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Dans Golden Door, la problématique de la métamorphose, de l’émergence d’une conscience
nouvelle, qui transparaît à travers la question de l’immigration, semble liée à celle de la
représentation : celle que l’on a de soi et celle que l’on a de sa future terre d’accueil. Le film repose
constamment sur la tension entre illusion et réalité, laquelle nourrit le déroulement chronologique de
l’histoire organisé en trois volets :
- le départ de l’Ancien Monde
- le voyage (initiatique)
- l’arrivée dans le Nouveau Monde
Ces trois volets illustrent, chacun à leur tour, les différentes notions-clés de l’idéologie américaine et
de l’histoire des États-Unis.
Peuple élu et terre promise : le mythe fondateur
Les puritains qui s’établirent dans la baie du Massachusetts en 1630 croyaient à la prédestination
des âmes et se voyaient comme un peuple élu, choisi par Dieu et envoyé en mission sur la Terre
Promise, tout comme les Hébreux dans la Bible.
Le terme « puritanisme », apparu en 1560, désignait l’opposition faite à l’église d’Angleterre (Church
of England). Les puritains étaient ainsi nommés parce qu’ils voulaient « purifier » l’église : ils
prônaient le retour à une forme épurée de culte, à des règles de vie plus strictes et réclamaient la
suppression de la hiérarchie religieuse. Ils subirent des persécutions en Angleterre et beaucoup
d’entre eux émigrèrent dans le courant du XVIIe siècle, notamment entre 1630 et 1660 (The Great
English Migration).
La Nouvelle Angleterre devait être un exemple d’harmonie, de piété et de prospérité pour le reste du
monde et en tout premier lieu pour la vieille Angleterre. John Winthrop, appelé à devenir gouverneur
du Massachusetts, déclara ainsi: « …we shall be as a city upon a hill, the eyes of all people are upon
us ». Les colons de l’époque quittèrent donc l’Angleterre non pas pour satisfaire des ambitions
coloniales mais pour suivre un idéal et participer à une entreprise spirituelle. Peu étaient préparés
à survivre dans le nouvel environnement qui les attendait : hivers rudes, malnutrition, épidémies
furent autant d’épreuves à affronter.
Un idéal contagieux
Malgré la réalité éprouvante et l’immensité de la tâche à accomplir, l’idéal religieux était si fort que
le mythe de la Terre Promise perdura. Il façonna si bien les mentalités des « fondateurs » de la
nation qu’il s’enracina aussi dans l’esprit des immigrants qui arrivèrent ensuite par vagues
successives, qu’ils fussent protestants ou non. Les juifs et les catholiques, pétris de culture biblique,
embrassaient cet idéal sans réserve.
On ne peut s’empêcher de voir dans la scène de l’ascension vers la croix, au début du film Golden
Door, une référence à ce mythe. Au sommet de la montagne, Salvatore s’agenouille devant la croix
et attend un signe qui lui indique s’il doit ou non quitter sa terre natale pour les États-Unis. L’arrivée
de son jeune frère qui vient lui montrer des cartes postales reçues d’Amérique est aussitôt
interprétée par Salvatore comme le signe qu’il attendait : chacun à sa manière s’imagine faire partie
du peuple élu.
Ces cartes postales sont les premières images de l’Amérique que les personnages, et du même coup
le spectateur, peuvent voir. Il s’agit de cartes postales truquées, de photomontages, envoyés par
des proches ou amis déjà sur place. La Terre Promise existe d’abord et avant tout dans les discours
et les représentations de l’époque. Lors de la traversée, dans le bateau, Salvatore entend d’autres
passagers dire qu’en Amérique, les routes sont interminables et qu’il existe des rivières de lait. Ces
images et ces discours nourrissent l’imaginaire de Salvatore dont les fantasmes deviennent un des
leitmotiv du film : des images rêvées de carottes géantes, de pluie de pièces de monnaie et de mer
lactée s’insèrent dans le récit, créant d’étranges passages oniriques qui ponctuent le film. La terre
promise s’apparente ainsi à un véritable pays de Cocagne dans l’esprit de ceux qui ne la connaissent
pas encore. Salvatore et sa famille sont des « graines » qui vont pousser dans une « terre fertile »,
disent ceux qui restent à ceux qui partent, pour les fortifier dans leur projet. D’après eux, Salvatore
va être accueilli « comme un roi » : il faut donc que lui et les siens ressemblent « à des princes »
(voir l’extrait 1). Et Salvatore de troquer toutes ses bêtes contre des vêtements de ville pour
remplacer ses haillons, partir à la conquête de la terre promise, et enfin réaliser le rêve américain:
« from rags to riches » (des haillons aux richesses).
Le rêve américain et le mythe du self-made man
Le rêve américain peut être défini comme l’opportunité donnée à ceux qui sont partis de rien mais
qui ont travaillé dur de connaître le succès, la gloire, et la richesse. Le romancier Horatio Alger,
auteur de Ragged Dick (1867) contribua largement à populariser le mythe du self-made man, le
héros américain. Ses romans étaient peuplés de jeune gens pauvres mais honnêtes qui, à force de
labeur, d’ambition et de créativité parvenaient à s’élever dans la société. Dans la vie réelle, Andrew
Carnegie (1835-1919), le célèbre magnat de l’acier né au Royaume-Uni venu aux États-Unis en
tant que simple ouvrier pour y faire fortune, incarnait ce mythe : son itinéraire semblait prouver que
l’ascension sociale était à la portée de tous.
Dans le film, le rêve s’exprime à travers les fantasmes de Salvatore, mais aussi et surtout à travers
un parti pris de mise en scène tout à fait significatif. Le spectateur ne voit jamais vraiment la
ville de New York et a fortiori le reste des États-Unis : il n’en connaît, tout au long du film, que ce
que les personnages en disent. Les photomontages du début sont des représentations mensongères
qui symbolisent l’illusion. La brume qui entoure les personnages lorsqu’ils débarquent sur Ellis Island
matérialise l’aveuglement des personnages à différents niveaux : les illusions qu’ils continuent
d’entretenir sur l’endroit où ils débarquent et l’impossibilité objective de savoir ce que l’avenir leur
réserve. Plus tard, c’est une fenêtre opaque en verre dépoli qui masque Ellis Island à Salvatore et à
ses compagnons. Ils en auront un aperçu en se hissant jusqu’à la partie supérieure de la fenêtre,
transparente, mais le spectateur ne « verra » de New York que ce que les personnages en disent :
on comprend à leur description qu’ils voient des gratte-ciels pour la première fois (voir l’extrait 4).
La problématique de l’intégration : melting pot vs. salad bowl
Jusqu’en 1890, l’espoir d’une vie meilleure attira des millions d’immigrants venus d’Europe du Nord
et d’Europe de l’Ouest (Royaume-Uni, Irlande, Allemagne, Scandinavie). Ils étaient blancs, anglosaxons et protestants pour la plupart. En anglais, on les désigne sous l’acronyme de WASP : White
Anglo-Saxon Protestant. Les Irlandais, catholiques et souvent pauvres, étaient victimes de
discrimination.
À partir de 1890, une deuxième vague d’immigration massive amena aux États-Unis des immigrants
venus d’Europe du Sud (notamment d’Italie), d’Europe de l’Est (de Hongrie et de Pologne, par
exemple) ainsi que de Russie. Les « anciens » immigrants étaient méfiants à l’égard de ces
« nouveaux » immigrants, souvent pauvres et analphabètes et dont la langue, la religion et les
coutumes leur semblaient tellement exotiques et incompréhensibles. Ce sentiment (nativism) était
d’ailleurs relayé par les autorités américaines. Le Président Woodrow Wilson écrivit ainsi : « The
immigrant newcomers of recent years are men of the lowest class from the South of Italy, and men
of the meaner sort out of Hungary and Poland, men out of the ranks where there was neither skill or
energy, nor any initiative or quick intelligence. » 1
Pour plus d’informations sur cette question, lire les documents-Histoire.
Reprenant la métaphore d’Israel Zangwill dans le titre de sa pièce de théâtre, The Melting Pot
(1903), les optimistes envisageaient la nation Américaine comme un creuset dans lequel les
différentes cultures se fondraient en une seule. Cette métaphore suggérait le pouvoir
d’assimilation de l’environnement américain et l’idée que la population des États-Unis formait
une véritable nation, bien qu’étant une nation d’immigrants (a nation of immigrants). Elle était
dans l’esprit de la devise créée par les pères fondateurs et frappée sur la monnaie nationale : « e
pluribus unum » (out of many one).
En fait, il s’avéra, avec l’arrivée des nouveaux immigrants, que bien des groupes ethniques étaient
impossibles à « américaniser ». Les opportunités n’étaient plus les mêmes que par le passé.
L’urbanisation galopante détournaient les nouveaux venus de l’agriculture et les attiraient en ville où
ils ne trouvaient souvent que des emplois faiblement qualifiés et faiblement rémunérés. Ils se
concentraient dans des colonies urbaines qui devinrent des ghettos surpeuplés où les problèmes
sanitaires et la criminalité s’installaient également. Nombre d’Américains commencèrent à douter
que ces « étrangers » puissent jamais s’intégrer à la société américaine. On constatait que les ÉtatsUnis étaient en train de devenir une société pluriculturelle, une mosaïque de groupes ethniques
différents qui conservaient une identité culturelle distincte, à tel point que le concept de melting
pot fit place à celui de salad bowl : dans un saladier, les ingrédients sont mélangés mais chacun
garde une saveur distincte.
De fait, les différentes communautés conservaient leurs traditions et leurs spécificités culturelles.
L’arrivée aux États-Unis renforça même le sentiment d’identité nationale de certains. En effet, tandis
que nombre d’étrangers se sentaient davantage rattachés à leur village ou à leur région d’origine
qu’à leur pays dans sa globalité, les Américains les catégorisaient par nationalités. Ainsi, les gens
originaires du comté de Cork et du comté de Limerick étaient « les Irlandais » ; ceux qui venaient de
Calabria et ceux qui venaient de Campobasso étaient « les Italiens ». De même, pour survivre, les
journaux et les églises de chaque communauté étrangère devaient s’adresser à l’ensemble de ses
membres sans distinction.
Pourtant, au contact les unes des autres, le mode de vie de ces différentes communautés était bien
obligé d’évoluer malgré tout. Pour s’auto-désigner, les immigrés se mirent à utiliser en anglais des
vocables qui témoignaient d’une mutation identitaire: ils se disaient Irish-American, Italo-American,
Polish-American, …
Dans le film, le départ prend corps dans un très beau plan où l’on voit le navire chargé d’immigrants
se détacher de la terre ferme et laisser entrevoir la mer, comme une frontière entre deux mondes,
l’Ancien monde et le Nouveau qui s’incarne déjà en ceux qui partent. Les hommes et les femmes
sont envoyés dormir dans des endroits différents du navire, et pourtant, lors de la tempête qui
secoue le bateau pendant la traversée, tous sont projetés les uns sur les autres, tous âges et toutes
origines confondus. On peut voir dans cette scène une représentation symbolique de la dynamique
du melting pot.
Le choc de la traversée est initiatique et annonciateur d’une renaissance. Emmanuel Crialese dit
avoir été touché par les mots d’un émigrant de l’époque qui écrivait dans une lettre: « Nous
sommes tous des âmes en route pour un paradis […], mais nous mourons tous un peu plus à chaque
vague que nous passons. »2 Des morts, il y en a, à l’issue de la tempête dans le film, mais pour
ceux qui en sortent vivants, il s’agit bien d’une renaissance. « It’s a new day », comme le chante
Nina Simone un peu plus tard dans la bande-son du film.
L’ambiguïté du processus d’intégration est illustrée dans le film par la scène de la prière à Ellis
Island (voir l’extrait 4). Lorsqu’un groupe de juifs commence à prier à côté d’eux, Salvatore et ses
compagnons ne veulent pas être en reste et commencent à prier eux aussi mais dans leur langue et
selon leurs coutumes religieuses. Le double mouvement qui habite spontanément les nouveaux
arrivants suggère habilement celui qui traversait la société américaine de l’époque : s’identifier à
des valeurs communes (il faut prier) et garder ses spécificités (chacun dans sa langue et dans
sa religion).
La sélection des immigrants : Ellis Island
Le contrôle et la régulation de l’immigration furent lents à se développer aux États-Unis. Devant
l’afflux massif d’immigrants au XIXe siècle, le gouvernement fédéral se vit obligé de prendre des
mesures. Un premier centre de contrôle, appelé Castle Garden, ouvrit ses portes à New York en
1855. En 1892, il fut remplacé par le centre d’Ellis Island.
À Ellis Island, la terre promise ne remplissait pas ses promesses pour tout le monde. À l’arrivée, les
passagers qui voyageaient en première et en seconde classe n’étaient soumis qu’à un contrôle
rapide. Mais les passagers qui voyageaient en troisième classe (c’est-à-dire dans les cales des
navires) débarquaient sur l’île fatigués et souvent malades, après une traversée éprouvante dans
des conditions difficiles. Ils étaient alors examinés par des médecins qui vérifiaient qu’ils n’avaient
pas de handicaps physiques ou de maladies contagieuses. Ceux qui ne correspondaient pas aux
critères de santé requis étaient marqués à la craie par les médecins : un E pour les problèmes
d’yeux (eye), un H pour les problèmes de coeur (heart), un X pour les pathologies mentales, et ainsi
de suite.
La plupart des immigrants ne passaient que quelques heures à Ellis Island, le temps de passer
l’examen médical puis un entretien d’entrée aux États-Unis. Ceux qui avaient été repérés pour des
problèmes de santé étaient retenus et hébergés dans des dortoirs. La plupart ne restaient là qu’un
ou deux jours, jusqu’à ce qu’un de leurs proches viennent les chercher. Dans les cas les plus
difficiles, les malades étaient retenus plusieurs semaines. Au total, seulement 2% d’entre eux
étaient finalement expulsés du territoire américain.
Au fil du temps, la liste des indésirables s’allongea : criminels et prostituées, handicapés, malades
mentaux, épileptiques, tuberculeux, alcooliques, polygames, anarchistes, et même Chinois et
Japonais ! Dans les années 1920, le gouvernement finit par adopter des lois sur l’immigration qui
instaurèrent des quotas par nationalités et marquèrent la fin de l’immigration de masse. Ellis Island
ferma en 1954, avant de devenir un monument national dans les années 1970 et un musée dans les
années 1990.
Pour plus d’informations sur cette question, lire les documents-Histoire.
Le film montre bien le processus qui se met en place à Ellis Island : étiquetés, examinés par des
médecins, épouillés, soumis à des tests intellectuels, puis enfin lavés, seuls les migrants qui sont
jugés « aptes » (fit enough) sont autorisés à passer la porte dorée qui ouvre sur le Nouveau Monde.
Ceux-là feront de bons citoyens américains. On passe de la notion de peuple élu, avec une très forte
connotation religieuse et solennelle, à celle d’individus « élus » de façon tristement prosaïque.
Les individus qui ne correspondent pas à la norme ou refusent de s’y conformer, comme le frère ou
la mère de Salvatore, risquent de ne pas être acceptés. La scène dans laquelle Salvatore
« détourne » la logique du casse-tête chinois, puis celle de la devinette, montre d’ailleurs que cette
« norme » est arbitraire (voir l’extrait 3).
Conclusion
Finalement, la perpétuelle tension entre illusion et désillusion, dans l’épopée des personnages de
Golden Door, nous en dit plus sur les mythes qui ont façonné les valeurs et l’imaginaire collectif
américains que ne pourrait le faire un livre d’histoire. Le film reflète une mémoire subjective,
donc « sélective »3 et « incomplète » comme le revendique Crialese, mais qui a le mérite d’éclairer
notre perception de l’identité américaine dans ce que celle-ci peut avoir de plus intime en nous
faisant aller « à la rencontre du particulier, de l’individu. »4
NOTES
1
History of the American People, W oodrow W ILSON, 1902, in A People and A Nation, A History of the United States, Volume II: Since 1865,
Fourth Edition, Norton, Katzman and co., Houghton Mifflin Company, 1994, p.570.
2
Dossier de presse du film, notes du réalisateur, p.5
3
Dossier de presse du film, notes du réalisateur, p.4
4
Ibid.

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