au revoir, mr l`instituteur les bretelles le chagrin d`alice

Transcription

au revoir, mr l`instituteur les bretelles le chagrin d`alice
AU REVOIR, MR L’INSTITUTEUR
A chacune de mes visites il disait :
- Ha ! voilà la terrible qui arrive !
Lors de ma dernière visite, il était en fin de vie. Il n’a pas ouvert l es yeux,
je suis restée à ses côtés durant trente minutes. Il semblait dormir mais je
sentais que je devais rester et tout à coup il a pris ma main et a murmuré à
mon oreille :
- C’est pas de mourir que j’ai peur, c’est ce que je deviens.
Il est parti le lendemain. Quelle émotion pour moi cet entretien là.
LES BRETELLES
Un pensionnaire avait tout le temps les pantalons qui lui tombaient sur les
genoux, mais il était impossible, pour les soignantes de lui faire porter des
bretelles. Il refusait catégoriquement.
Un jour, le clown arriva, avec toute sa gaieté et sa bonne humeur. Avec un
brin d’innocence il lui légua ses plus belles bretelles rouges en lui disant
bien qu’elles n’étaient pas comme les autres et qu’il fallait en prendre
grand soin.
Depuis, cet homme ne porte plus que ces dernières en expliquant à qui veut
l’entendre que c’est un clown qui les lui a offertes.
LE CHAGRIN D’ALICE
Elle est rentrée au foyer avec son père et sa mère en 1956 comme
employée. A cette époque et durant de nombreuses années le foyer
fonctionnait comme un orphelinat dirigé par des sœurs de l’ordre
d’Ingelbold. 49 ans plus tard, Alice est encore parmi nous, elle a 86 ans.
Je rencontre Alice dans le corridor et elle me parait très bouleversé e. Je lui
dis :
- On est venu vous dire bonjour.
- Alors bonjour, je suis très triste.
- Vous avez un problème ?
- Oui une mauvaise nouvelle.
- Une mauvaise nouvelle ?
- Oui.
- Vous avez envie de m’en parler ?
- Mon frère est décédé au foyer des marronniers à Genève il y a de cela
deux mois et je viens d’apprendre la nouvelle aujourd’hui.
- Vous avez beaucoup de peine ?
- Beaucoup et en plus il est décédé le jour de mon anniversaire.
- Vous ne l’aviez pas revu ?
- Une fois il y a bien longtemps, j’ai une photo, vous voulez la voir ?
- Avec grand plaisir.
- Elle est petite, c’est la seule que j’ai, j’aimerais bien un petit cadre.
- Je vais vous arranger ça Alice.
- J’aimerais bien prier pour lui.
Vous acceptez que je vous accompagne, on va prier le chapelet à notre
bien aimée chapelle qui est à la porte de votre chambre.
- Je veux bien.
- Il nous écoute, il est avec nous.
Je récite avec elle une dizaine de prières et comme à son habitude elle me
récite la prière Suisse pour les familles. Elle m’avoue qu’ il n’a pas souffert
puisqu’il est mort subitement.
Nous sortons ensemble, je passe quelques instants avec elle puis je
l’installe dans son fauteuil. Elle parait perdue dans ses pensées, je sais que
le moment est venu pour moi de prendre congé d’Alice en espérant que ces
moments échangés lui auront donné un peu de réconfort.
LES SOUVENIRS DE LOUISA
Voilà plusieurs fois que Louisa sonne, nos nous trouvons devant sa porte
par hasard en même temps qu’une aide soignante, un petit signe et elle a
compris, elle nous laisse la place.
Elle nage dans les coussins, visiblement mal à l’aise, pliée en avant sur sa
chaise.
Ohla, avec sa petite voix lui demande : - On peut venir vous dire bonjour ?
Elle lui répond :
- Bien sûr, j’ai froid au bras.
- On est venu vous dire bonjour, vous avez mal ?
- Très mal, j’ai froid au bras.
- Vous n’avez pas trop de coussins ?
- Peut-être bien.
- Vous n’êtes pas trop pliée en deux ? Vous compressez votre plexus
solaire.
- Vous êtes de la partie ?
- Bien sûr que oui. Etes vous d’accord pour qu’on libère tout ça ? Nous
pourrions faire quelques respirations ensemble.
- De ma vie, jamais je n’ai ni pris le temps de respirer convenablement.
- On ne peut rien pour vous si vous ne nous aidez pas. Pourquoi ne pas
mettre ce bras en mouvement, c’est probablement votre immobilité qui
provoque vos douleurs dans l’épaule. Essayez de v ous aider, de vous
mobiliser pour améliorer votre confort.
Les aides soignantes se sentent impuissantes. Elles essayent de vous
soulager par tous les moyens possibles. La maladie fait peur, elles peuvent
imaginer leurs propres avenirs d’où leurs propres souffrances.
Plusieurs fois Louisa demande à boire…, un silence paisible puis soudain
elle nous prend les mains, les porte a ses lèvres et nous dit « vous avez
raison ».
Elle a un coffre en bois avec tous ses souvenirs, son regard est pose
sur lui.
Ohla lui demande : - Il est beau ce coffret, je peux regarder ?
Louisa lui répond :
- Bien volontiers. Il contient beaucoup de souvenirs, et les cartes
postales, elle les évoque à voix basse, nous écoutons avidement ses
souvenirs. Il contient aussi les cartes de deuil de ma fa mille, à
l’époque on savait confectionner d es cartes enrichies de beaux textes ,
pour immortaliser les instants ou l’on perd les personnes que l’on
aime.
Un petit sanglot se fait sentir, un moment de si lence si précieux, en
empathie je l’espère, avec notre interlocutrice. Peut-être le fardeau estil moins lourd à porter quand il est partagé.
Louisa dit :
- Vous êtes des anges, cette rencontre m’a fait beaucoup de bien.
Ohla lui répond :
- Le moment est venu de nous quitter, mais à très bientôt, merci de
votre accueil et de votre confiance.
Titi le clown de la maison assiste admirative à la rencontre, il n’y a
rien à rajouter, c’est magique.
HISTOIRE D’EAU
Les résidents se reposent au bord du lac devant un panorama idyllique.
Chaude après midi de juillet, e t soudain trois clowns surgissent de nulle
part.
Cacahuette Titi et Ohla disent :
- On est venu vous dire bonjour…
Les résidents sortent peu à peu de leur torpeur et jettent un regard curieux
sur ce trio insolite. Ohla, le clown de la maison hèle un rési dent, Monsieur
« Zanoni » en mouvement devant nous, gymnastique et footing en pleine
chaleur, elle l’accompagne dans ses déplacements sans que cela ne le
perturbe. Un petit canot pneumatique apparaît à nos yeux, un petit chérubin
aux cheveux blonds tout bouclés manœuvre des pagaies.
Ohla lui crie :
- Je peux venir faire une promenade ?
Elle jette un coup d’œil aux parents en demandant du regard leur
approbation. La réponse est positive. Le petit garçon accoste et Ohla monte
sur le petit bateau avec des mimiques dignes des plus grands clowns, ils
s’éloignent du rivage et tout à coup Ohla, descend du bateau et la voilà
dans l’eau. Titi observe la réaction des résidents amusés, elle écoute leurs
commentaires. Une dame très distinguée, encore jeune dans une chaise dit :
- Elle a de la chance, je rêve de me mouiller les pieds dans le lac. Titi
n’hésite pas, il escalade la barrière de cailloux et non sans acrobaties, ce qui
déchaîne les rires, tantôt les quatre fers en l’air ou à quatre pattes, elle
atteint le lac et là patatras elle glisse dans la vase et avec inspiration se met
à nager avec un air important.
L’air résonne de leur Oh !!! d’étonnement puis elle sort de l’eau enlève ses
gros godillots en plastique vert garnis d’une marguerite, elle prend
délicatement de l’eau dans ces récipients improvisés et toute dégoulinante
entreprend de repasser le barrage de pierres. Mes amis quel spectacle, elle
s’encouble, elle est à genoux, elle jongle avec se deux godasses pleines
d’eau pour en perdre le moins poss ible, et tout à coup la voilà devant la
belle dame. Titi, assistée de Cacahuette, enlève les chaussures de la dame
en question sans quitter du regard ses beaux yeux. Ohla glisse délicatement
les pieds de la résidente à l’intérieur des souliers du clown.
Merci lui dit- elle, il y avait des années que j’en rêvais.
Avec le même cérémonial, infatigable, Titi descend et escalade ses maudits
cailloux et propose un bain de pied à tous les résidents présents. Pendant ce
temps, Olha a fait surgir deux ballons, e lle les a gonflé, elle attend son
bébé, elle se promène avec son gros ventre et Cacahuette veut à tout prix
q’elle accouche. Cacahuette, jalouse de la prouesse de Titi, dit ses regrets
de ne pas pouvoir escalader la barrière de cailloux car elle est un pe u trop
ronde et a mal aux genoux. Etc. etc.
Ces excuses ne sont pas tombées dans l’oreille d’un sourd, Titi s’éclipse un
instant, remplit discrètement une dernière fois ses souliers d’eau et tout
aussi discrètement, les verse sur la tête de Cacahuette. A u diable les mise
en plis elle arrose du même coup la poche de la belle résidente. Elle est si
malheureuse se confond en excuses et espère, encore aujourd’hui, avoir été
pardonnée.
A LA RENCONTRE DE MARIE
Les Clowns osent tout
Marie est une résidente atteinte de la maladie d’Alzheimer. Elle est arrivée, il y
a quelques années, depuis la Suisse allemande.
Elle est très craintive et sursaute à la moindre approche. Son visage reflète assez
souvent une expression de peur et parfois de vide. Nous somme s les deux
clowns de l’institution et nous frappons à sa porte.
Quand nous nous sommes retrouvées en clown à l’entrée de sa chambre, j’avais
une certaine appréhension. Comment établir le contact sans l’effrayer.
J’ai de prime abord pensé que ce ne serait pas possible. J’ai suspendu cette
interprétation dés que j’en ai pris conscience. Et OH !!! surprise, son front se
plissa comme pour dire qui c’est ceux là…
Puis son visage a commencé à se détendre et à s’ouvrir vers une expression de
béatitude. Elle nous regardait comme si nous étions des anges.
Nous avons pris le temps d’avancer pas à pas en restant présents et à l’écoute de
ses yeux ouverts aux surprises qui pourraient surgir d’un instant à l’autre. Elle
gardait la même expression d’apaisement et de bo nheur, comme si elle dégustait
notre présence.
Grâce aux accompagnements qui suivront Marie nous accueille avec confiance,
nous échangeons parfois quelques paroles, quelques chansons en Suisse
Allemand. Elle a confié à une soignante : « Ils sont venus rien que pour moi . »
LE CADEAU
A l’heure de notre dernière rencontre, nous avons reçu un merveilleux
cadeau.
Je toque à la porte et au moment de rentrer, me voilà seule à m’installer
près de Marie qui est dans son lit. Les yeux grands ouverts, elle r egarde
dans le vide. Je m’installe tout doucement à ses côtés. Je suis là, ici et
maintenant.
Cacahouète arrive et se penche vers elle en me disant :
- Titi, vois-tu ça, elle dort les yeux ouverts.
- Mais non Cacahouète, elle ne dort pas.
A ce moment, je capte son regard… c’est un instant magique, inoubliable.
Je lève la main pour lui dire bonjour, dans un long silence, elle imite mon
geste, je lui lance un baiser, elle me le rend. Je lui prends la main et
Cacahouète en fait autant, elle nous retient, elle no us sourit. Nous restons
ainsi un long moment, le temps a suspendu son cours. Nos trois cœurs
battent à l’unisson, j’aurais voulu rester pour toujours.
En fin de journée, lorsque les infirmières sont au rapport et que moi petite
animatrice en formation, je peine à décrire sur ce maudit ordinateur ces
instants si précieux que nous a offert, Marie le matin même, j’entends
l’infirmière qui dit que Marie est en fin de vie, mais que depuis ce matin
son regard n’exprime plus de l’angoisse et de la peur, mais plut ôt de la
sérénité et de l’apaisement.
Merci Mon Dieu et merci Marie pour ces émotions et cet au revoir
inoubliable.
BONJOUR MADAME
Lors d’une sortie Clown, une résidente de cet établissement nous accueille par
ces mots : « Ah c’est donc vous les clowns ? »
- Bonjour Madame, on est venu vous dire bonjour. Comment allez vous
aujourd’hui ?
Gros soupir, visage crispé, contrarié !
- Vous rendez-vous compte on a pas eu à manger à notre faim, que 3 filets
de perches dans notre assiette.
Ohla lui demande :
- 3 filets de perches vous êtes sûr ?
Elle répond :
- Bien sûr que oui !
Cacahuète et Titi se mettent d’accord pour faire quelque chose. Cacahuète
décide de téléphoner à la cuisine, il décroche le combiné et fait un numéro
imaginaire, il entame la conversation :
- Bonjour Madame la Cuisinière, on a une réclamation à vous faire.
Comment ça, vous n’avez pas le temps ? C’est comme les filets de
poisson vous n’en n’avez plus ou vous les avez mangés vous -même, trois
filets par personne, comment ça va pas, non ça va pas, 1 perche ça a 2
côtés donc deux perches quatre filets, il est où le quatrième ? Comment ça
c’est pas du sérieux ! Je veux parler au Directeur.
Dans son lit, aidée par la complicité des deux clowns pince sans rire, Madame
ne sait pas si elle doit rire ou p leurer. On observe un changement dans son
attitude. La dédramatisation par l’humour s’opère.
Elle nous regarde étonnée, Ohla s’approche et Madame en profite pour lui parler
aussi de ce problème d’urine à heures fixes.
- Comment ça à heures fixes ?
- Et oui avant 9 heures c’est trot tôt et après 9 heures c’est trop tard.
Un deuxième téléphone s’impose !
- Bonjour Madame l’aide-soignante, nous avons une question urgente, non pas
un besoin urgent. Est-ce-que vous arrivez à uriner et à aller à selle à heures
fixes…….. Arrêtez de bredouiller, nous aimerions une réponse entre deux poses
pipi ou à la pause café. Nous vous attendons au pays des Clowns le lundi 17
mai. Merci de venir….
Vous ne pouvez pas ? Elle non plus ne peut pas faire ces besoins quand vous
avez le temps.
Madame rit carrément, elle a compris.., oh merveilleux humour, source de joie
et de bonheur, quand ce dernier est utilisé c’est employé au bon moment. C’est
toute la difficulté, car chaque résidente est unique, comme chaque être à tous les
âges de la vie.
Nous lui parlons de notre chère Gruyère. Elle dit justement qu’elle adore le
fromage de gruyère.
On lui a promis de lui en ramener lors de notre prochaine visite.
UN INSTANT, UN REGARD…
Parmi mes rencontres, le cas de Madame souffrant d’une mala die rare est tout à
fait exemplaire. Elle était arrivée dans l’institution 6 mois auparavant.
Son mari étant décédé le mois précédent, peu après être entrée avec elle dans le
home. Avant les interventions Clown, nous avions été très touchées par sa
détresse et la manière dont elle se manifestait.
Elle était mutique, les yeux grands ouverts, dans un état d’angoisse et de terreur
tel qu’il nous était impossible de communiquer avec elle. Cet état autistique
durait depuis des semaines et le soignant ne sava it comment établir un contact
avec elle.
Quand je me suis trouvée en Clown à l’entrée de sa chambre, il m’est d’abord
aparu que ce ne serait pas possible d’établir ce contact. J’ai suspendu cette
interprétation dès que j’en ai pris conscience. A ma grande surprise, celle qui
deux heures auparavant était incapable de se manifester, accepta immédiatement
un contact du regard avec moi.
Son front se plissa, comme pour m’interroger sur mon identité et ma présence.
Son visage a commencé à se détendre et à s’ouv rir vers une expression de
béatitude. J’ai pris le temps d’avancer pas à pas, en restant présente à l’écoute
des yeux, ouverts et aux surprises qui pourraient surgir d’un instant à l’autre.
Elle gardait la même expression d’apaisement et de bonheur comme si elle
dégustait ma présence.
Grâce aux accompagnements qui suivront, Madame ne replongera plus dans ses
états de terreur. Elle a retrouvé une confiance de base et a pu trouver sa place
dans le home où nous aurons avec d’autres soignants, le bonheur reno uvelé de
l’accueillir et l’accompagner dans ses états toujours plus régressifs.
La dernière fois que je l’ai rencontrée c’était comme si ses yeux me dévoraient.
Elle cherchait le contact avec la bouche, comme un nouveau -né et elle est venue
se blottir contre mon épaule de Clown.