La lettre mensuelle en PDF

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La lettre mensuelle en PDF
LETTRE
MENSUELLE
N°175
IVG-IMG
avril
2015
TRIBUNE
COIN DES EXPERTS
Eloge de la culpabilité
D’
étapes en étapes, les lois, comme les idées, semblent devenues folles. La brèche ouverte au moment de la dépénalisation de l’avortement en 1975, loin de se résorber,
semble s’approfondir. Pourtant le législateur, en élargissant le
champ d’application des lois et en supprimant les contraintes,
banalise l’acte, mais ne réussit pas à endiguer la culpabilité.
Pour Gènéthique, Thibaud Collin, philosophe, s’interroge : faut-il
échapper à la culpabilité, cet ultime instinct de vie ?
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La loi Veil se voulait
un compromis entre
deux thèses contradictoires.
Suffit-il de nier la contradiction pour faire disparaître la culpabilité ?
Il est très difficile voire impossible pour une personne et pour une société, de vivre dans un état de scission intérieure, c’est-à-dire de s’installer durablement dans une action dont on se sent coupable. L’adage
prêté à Paul Bourget « si on n’arrive pas à vivre comme on pense, on finit
par penser comme on vit » manifeste le désir de cohérence et d’unité
inscrit dans le cœur de l’être humain. La loi Veil, quelles que soient
les intentions de ses rédacteurs, se voulait un compromis entre deux
Tout est fait depuis une trentaine d’années pour que l’avortement thèses contradictoires. En effet, de deux choses l’une : soit la femme
apparaisse comme un acte banal. C’est une nouvelle fois le cas, avec porte un être doué de vie humaine et alors l’avortement est un hola suppression du délai de réflexion dans la dernière loi santé votée micide et à ce titre ne peut être légalisé ; soit partant de la concluces jours. Pourquoi si ce n’est qu’il faut tout faire pour déculpabiliser sion que l’avortement doit être légalisé, il faut qu’il ne soit plus quales femmes qui y ont recours, et au-delà des femmes, les hommes, lifié d’homicide et il faut donc refuser de reconnaître l’humanité de
l’embryon humain. Mais alors l’avortement devient
les médecins, bref de proche en proche, toute la
aussi banal que de se faire arracher une dent, et il
société qui organise et cautionne la suppression
ne s’agit pas simplement de le tolérer, mais de le
de centaines de milliers de vies humaines par an
voir comme l’effectuation d’un droit de la femme
? La culpabilité est le fait de se sentir coupable. Or
Notre société est
sur son corps. La loi Veil voulant transiger s’enfonce
est coupable celui qui a commis une faute. Certes
dans le déni du mal,
dans la contradiction. Or une contradiction ne tient
le sentiment de culpabilité peut parfois prospérer
pas face au besoin de cohérence interne à l’esprit
sans qu’il y ait eu faute objective, c’est le cas de la
mais le mal n’a pas
humain ; ce qui devait arriver arriva et en quelques
conscience scrupuleuse. En s’appuyant sur cette
années toutes les dispositions liées à une logique
distinction, notre société s’évertue à affirmer que
pour autant disparu.
de tolérance étaient abrogées sous la pression de
le sentiment de culpabilité engendré par l’avortement n’est pas causé par une réelle faute, mais par
la logique alternative, celle du droit.
des dispositions sociales liées à une anthropoloOn peut bien sûr soutenir que la loi Veil a été le
gie et à une morale désuètes, aux yeux desquels l’avortement est vu fruit d’un compromis politique pour faire accepter l’inacceptable
comme un acte mauvais. Dès lors, tout ce qui, dans la législation ou et que ses auteurs la considéraient comme la première étape d’une
dans le vocabulaire utilisé, pourrait rappeler un tel jugement moral entreprise de basculement de l’opinion publique en général, et de la
doit être supprimé.
majorité parlementaire en particulier, pour légitimer progressivement
l’avortement comme un droit essentiel de la femme. Il n’en reste pas
L’avortement : De la tolérance d’un mal à la proclamation d’un moins que l’avortement continue à apparaître comme un acte qui
droit
n’est pas banal, car un embryon humain n’est pas une dent, fut-elle de
sagesse. On peut chercher à congédier le réel quand il nous contrarie,
Les dispositions que la loi Veil avait prescrites présupposaient mais le réel résiste. Alors que faire ?
que l’avortement est un mal. Rappelons-en les éléments. Dans
son discours à l’Assemblée le 26 novembre 1974, elle affirmait que Se libérer de la culpabilité en accueillant la faute
les « diverses consultations doivent conduire à mesurer toute la gravité
de la décision que la femme se propose de prendre »1 . En effet, « les Une des tâches majeures de notre époque est de restaurer la grandeur
deux entretiens que la femme aura eus, ainsi que le délai de réflexion de la culpabilité comme signe, alerte, qu’un mal a été commis. Notre
de huit jours qui lui sera imposé, ont paru indispensable pour lui faire société est dans le déni du mal, mais le mal n’a pas pour autant dispaprendre conscience de ce qu’il ne s’agit pas d’un acte normal ou banal, ru et engendre son lot de souffrance, de désespérance, de dépression.
mais d’une décision grave qui ne peut être prise sans en avoir pesé les Casser un thermomètre n’a jamais fait baisser la fièvre. Comme le dit
conséquences et qu’il convient d’éviter à tout prix ». Enfin, elle affirmait si bien Pascal : « D’où vient qu’un boiteux ne nous irrite pas et qu’un
que la loi « ne crée aucun droit à l’avortement » et elle ajoutait que « la esprit boiteux nous irrite ? A cause qu’un boiteux reconnaît que nous alsociété tolère un tel acte mais qu’elle ne saurait [le] prendre en charge, lons droit et qu’un esprit boiteux dit que c’est nous qui boitons » (Pascal,
ni [l’] encourager ». Pourquoi est-on passé en quelques années de la B.80). Il ne s’agit pas d’accabler le boiteux, mais de dénoncer l’esprit
tolérance d’un mal à la proclamation que l’avortement est un droit boiteux qui empêche le boiteux de se voir comme tel, pour prendre
les moyens de marcher droit. La seule manière de lutter contre le
essentiel de la femme ?
mal, d’être libéré de sa culpabilité n’est pas de nier la faute commise,
mais d’entrer dans le chemin du pardon, pardon demandé et pardon
offert à l’autre et à soi. Mais le pardon repose sur la conscience de la
Thibaud Collin
faute commise. Notre société s’épuise à vouloir lutter contre le mal de
l’avortement en proclamant que c’est un acte banal au lieu d’avoir le
Né en 1968, agrégé de philosophie. Il enseigne en classes
courage de nommer le mal, afin de tout faire pour l’éviter en amont,
préparatoires au Collège Stanislas et à l’Ipc Faculté libre de
et le soigner en aval. ■
philosophie.
◗ 1.Simone Veil, Les homme aussi s’en souviennent, Paris, Stock, 2004, p.30à 39
→
Embryon
DECRYPTAGE
→ GÈNÉTHIQUE VOUS INFORME
Recherche sur l’embryon :
l’invité surprise du projet de loi santé
De 1994 à 2013, un régime d’« études sur l’embryon » existait. Son
objectif visait notamment « à développer les soins au bénéfice de l’embryon » et à améliorer les techniques d’AMP. Ces études ne devaient
pas porter atteinte à l’embryon, avant son transfert dans l’utérus à des
fins de gestation.
En 2013, le législateur a supprimé ce régime des études sur l’embryon.
Depuis, le comité d’éthique de l’INSERM a publié une note le 18 juin
2014 (décryptage Gènéthique), où il demande un cadre pour effectuer
des recherches sur l’embryon en lien avec l’AMP.
Un décret d’application illégal
Le gouvernement a répondu positivement à cette demande, en publiant, le 13 février dernier, un décret d’application de la loi du 6 août
2013 (loi relative à la recherche sur l’embryon).
Si en apparence, il s’agit de répondre au souhait de rétablir le régime
des études, en fait, le gouvernement crée un nouveau régime qui autorise à chercher sur l’embryon dans le cadre de l’AMP.
Cependant, ce décret n’a pas de base légale. On le découvre dans
l’exposé des motifs de l’amendement 2509 introduit le 10 avril dans
le projet de loi santé : « Le Conseil d’État, saisi du projet de décret
d’application de la loi de 2013, a estimé que les dispositions législatives
existantes en matière de recherches biomédicales ne pouvaient, à elles
seules, servir de base légale au dispositif réglementaire de recherches
biomédicales en AMP. Il a considéré que les recherches de cette nature
devaient être expressément prévues par le législateur ».
Ainsi, le gouvernement a introduit « l’amendement recherche » dans
le projet de loi santé le 10 avril pour rendre possibles des recherches
sur embryons transférables à des fins de gestation. Si elle donne
l’apparence de ressusciter le régime des études, cette disposition
poursuit en fait l’extension de la libéralisation de la recherche sur
l’embryon en France (libéralisation initiée à titre expérimental en
2004, confirmée en 2011, et considérablement élargie en 2013).
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Cette disposition
poursuit en fait
l’extension de
la libéralisation
de la recherche
sur l’embryon en
France.
Des études qui détruisent les embryons ne sont pas des études.
Ce nouveau régime de recherche sur l’embryon ne mentionne plus
l’essentiel du régime des études : l’obligation de bénéficier à l’embryon et ce faisant évidemment de ne pas attenter à sa vie. Dès lors
rien ne s’oppose à ce que l’embryon humain soit détruit par les
interventions des chercheurs.
Autre conséquence de la création de ce nouveau régime : certaines
recherches sur l’embryon échapperont au contrôle de l’Agence
de la biomédecine (ABM), alors que toutes ces recherches sont soumises à autorisation de l’ABM (article L.2151-5 du code de la santé
publique), la création de ce nouveau régime conduit à créer un statut
particulier de recherches sur l’embryon, sans contrôle de l’ABM.
Mise en garde des professeurs Jacques Testart et Alain Privat
Face à l’enjeu de cette disposition (destructions et manipulations
d’embryons humains), deux experts Gènéthique ont réagi. Pour
Jacques Testart1, ce nouveau régime de recherche sur l’embryon
va ouvrir « des pistes nouvelles (…) pour intensifier la recherche sur
l’embryon lui-même, dont la création d’embryons pour la recherche
d’une part et la possibilité de transfert in utero des embryons après
recherche d’autre part ».
Comme le fait justement remarquer le Pr Alain Privat2, l’expression de
« recherches biomédicales menées dans le cadre de l’AMP (...) ne veut
pas dire que ces recherches auront pour but de traiter l’infertilité du
couple ». Il y voit « un moyen de contourner l’interdiction de fabriquer
des embryons pour la recherche en créant des voies parallèles d’accès à
l’embryon pour les chercheurs. »
Dérives eugénistes et transhumanistes
Le nouveau texte adopté par les députés prévoit que les recherches
biomédicales pourront être réalisées sur l’embryon fabriqué in vitro,
avant ou après son transfert à des fins de gestation, si chaque membre
du couple y consent. Il n’y a aucune autre précision sur la nature des
recherches qui seront effectuées : le champ des possibles est donc
infini. Corrections génétiques, amélioration de l’embryon… ouvrent
la voie au rêve prométhéen de l’homme augmenté.
Pour le Pr Alain Privat, « il sera bientôt possible par exemple de modifier
l’hormone somatotrope qui influe sur la taille d’un être humain, et on
pourra alors intervenir sur les embryons au stade pré ou post implantatoire ». Il précise : « Les recherches dans le cadre de l’AMP pourront être
destructrices de l’embryon humain, mais pire encore : elles pourront réaliser des modifications sur l’embryon humain, via la thérapie génique.
Encore une fois, on ouvre la porte à l’homme augmenté. »
Un autre chercheur complète l’analyse en s’interrogeant sur l’encadrement : « Donner carte blanche à la recherche avec pour seul garde-fou le
consentement des parents serait prendre un risque considérable ».
Enfin, ce nouveau régime de recherche porte également sur les « gamètes destinés à constituer un embryon ». Il renvoie ainsi aux « FIV à
3 parents » récemment autorisées au Royaume-Uni après un débat
national. De nombreuses voix se sont élevées en France pour dénoncer la fabrication de ces bébés « à 3 parents ». On peut craindre que la
France emprunte cette voie.
Suppression des études sur l’embryon en 2013 : hasard ou oubli
stratégique ?
Si le Sénat, quand il examinera à son tour le projet de loi santé,
confirme la création de ce nouveau régime de recherche sur l’embryon, on imagine la satisfaction des promoteurs de cette recherche.
Lors du débat en 2013 pour obtenir le régime d’autorisation, avaientils en tête que dans les mois qui suivaient, par le jeu des décrets
d’application, plusieurs garde-fous allaient être balayés de la main,
en catimini, sans aucun débat démocratique et dans l’indifférence
générale ? ■
◗ 1. Jacques Testart est le père scientifique du bébé éprouvette et directeur de recherche honoraire
à l’INSERM.
◗ 2. Alain Privat est docteur en médecine et docteur en biologie humaine.
Lettre Gènéthique, 37 rue des Volontaires 75725 Paris cedex 15
[email protected] - www.genethique.org
D irecteur de la publication : Jean-Marie Le Méné - R édacteur en chef : Marie-Anne Chéron
I mprimerie : PRD - N° ISSN 1627.498
D
ans le projet de loi Santé voté le 14 avril par l’Assemblée
nationale, le gouvernement a introduit un amendement libéralisant la recherche sur l’embryon humain. Cet amendement n°2509, adopté en catimini le 10 avril 2015, crée un nouveau
régime de recherches sur l’embryon : un régime spécifique en lien
avec l’assistance médicale à la procréation (AMP).

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