À Zapala, le mystère de la passion argentine pour le Liban

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À Zapala, le mystère de la passion argentine pour le Liban
Les Libanais dans le monde
lundi 1er février 2016
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Diaspora
À Zapala, le mystère de la passion
argentine pour le Liban
Au fin fond de l’Argentine, des descendants
d’émigrés font preuve d’un attachement
surprenant pour la patrie de leurs ancêtres.
Naji FARAH
Au cours d’un voyage réalisé
il y a deux mois en Argentine,
après un passage dans la très
belle région dite des Sept Lacs
(Los Siete Lagos) au sud de la
Patagonie, sur le flanc oriental de la cordillère des Andes,
après Calafate, Barriloche
et San Martin de los Andes,
ce fut enfin Zapala, dans la
steppe au cœur de L’État de
Neuquèn.
Un hôtel de grand luxe
nous attend dans cette terre
perdue, à l’entrée de Zapala,
la ville dont est originaire
Vanessa, l’une de nos jeunes
Libano-Argentines accueillies au Liban depuis juillet
dernier. On dit qu’une compagnie américaine vient de
le construire en prévision
de nouvelles installations
pétrolières. La ville avait
prospéré, il y a un siècle, en
raison de l’exploitation de ses
gisements d’or. C’est à cette
époque qu’elle avait attiré,
entre autres, les premiers
émigrés libanais qui y ont
ouvert des commerces.
« Ahlan wa sahlan ! »
L’accueil que nous ont
réservé les membres du Club
syro-libanais de Zapala était
particulièrement chaleureux.
Une rencontre pleine d’émotion axée sur quatre thèmes
majeurs (voir la vidéo sur YouTube RJLiban).
L’accueil à l’entrée du club
fut particulièrement marquant : une cinquantaine de
personnes nous attendaient
avec des « Ahlan wa sahlan »
retentissants. « Vous êtes les
premiers, depuis plus de 90
ans, à nous rendre visite depuis le Liban ! »
Toujours est-il que dans
cette région, comme dans
des centaines d’autres de par
le monde, des communautés
libanaises attendent toujours
des représentants consulaires
et religieux de leur pays d’origine, ainsi que des professeurs
de langues pour renouer les
liens avec la mère patrie.
Sara Nara (Nohra) accompagnée de ses filles Alicia et Adriana et
de son gendre Julio Berardi lors de la fête à Zapala.
Retrouver le pays
à tout prix
Soulignant la beauté du
Liban, une de nos hôtes fond
en larmes quand elle nous
voit : « Mes parents venaient
du Liban. Moi, je suis grandmère, je suis née ici et j’ai
enseigné tout ce que j’ai reçu
de mes parents à mes enfants
et mes petits-enfants. Mais
je ne sais pas si je pourrais un
jour découvrir la terre de mes
ancêtres… ».
En effet, les grands-parents
des descendants de Libanais
des 2e,3e et 4e générations
perpétuent jusqu’à nos jours
les traditions libanaises dans
les contrées les plus éloignées
et se comptent par milliers. La
plupart d’entre eux meurent
en espérant que leurs petitsenfants réaliseront un jour leur
rêve, celui de connaître le pays
du Cèdre.
Un grand sourire aux lèvres,
Sara Nara (Nohra) et ses
filles, Alicia et Adriana nous
reçoivent à bras ouverts. Débordantes de sympathie, elles
Photo de groupe au moment de se dire au revoir.
Hommage à la famille libanaise
Les fondateurs du Club de Zapala, il y 90 ans.
nous racontent, les yeux pétillants, leur parcours professionnel entre la culture et la mode.
Mariées à des Argentins, elles
veulent savoir pourquoi elles
ne peuvent pas accorder la
nationalité libanaise à leurs
enfants, d’autant plus qu’elles
se rendent régulièrement au
Liban. Nous leur fournissons
des explications relatives à
la conjoncture régionale au
Proche-Orient… avant de
nous rendre compte que ces
explications restent futiles.
Une chose est sûre : la révolution des femmes libanaises
en Amérique latine est pour
très bientôt et commencera en
Habib Maaz, cofondateur de RJLiban, avec le président du
Club syro-libanais de Zapala, Wallid Adem, et son épouse Ida
Martínez, le 5 décembre.
Argentine, où la nouvelle Première dame Juliana Awada est
d’origine libanaise.
Une composition sociale
particulière
Les discussions se poursuivent allègrement au fil du
dîner, qui se déroule entre
spectacle de tango et dabké,
à laquelle tous participent. Le
mari d’Adriana, Julio Berardi,
explique qu’il est argentin,
descendant d’Italiens, mais
que son pays de prédilection
reste le Liban (lire encadré).
Ainsi, pour comprendre
l’attachement au Liban des
jeunes
Libano-Argentins
dont les ancêtres ont émigré
il y a 130 ans, il faut remonter
à la composition sociale de
l’Argentine, qui s’est peuplée
à partir du XVIIIe siècle d’un
grand nombre de Français et
d’Italiens. Ces deux peuples
ont été, au fil de l’histoire,
très proches des Libanais,
et ils sont venus s’ajouter
aux Espagnols qui avaient
conquis le pays deux cents
ans plus tôt.
Pourquoi ne pas, à la lumière de ces rencontres, considérer la solution suivante à la
situation actuelle déplorable
du Liban : celle de prêter plus
d’attention aux demandes de
ses communautés à l’étranger.
« Quand je me suis rendu pour la première
fois en 1999 au Liban grâce à mes beauxparents, ils m’ont fait connaître et aimer le
Liban. J’y suis retourné pratiquement tous les
ans, me sentant comme chez moi, bien que je
ne parle pas la langue. Les paysages avec les
montagnes, la mer... tout me plaît. » C’est ainsi
que s’exprime Julio Berardi, marié à Adriana
Nara.
« J’ai des origines italiennes, mais l’union
familiale m’a fait sentir plus proche du Liban.
À Ushuaïa, le gardien s’appelle Manzur...
En ce jour de grande affluence
à Ushuaïa, la file d’attente pour
prendre le Train du bout du
monde et admirer les paysages
de rêve à proximité du pôle
Sud s’allonge de plus en plus,
et pour cause : nos touristes
libanais Ramez et Nadim
viennent de faire connaissance
avec le contrôleur principal.
Il a appelé tous ses collègues
argentins à venir discuter avec
ses nouveaux amis libanais.
Appartenant à la famille des
Manzur et fier d’accueillir des
compatriotes sur son lieu de
travail, il raconte à ses amis
de l’agence Patagonia 365
comment ses parents avaient
émigré et s’étaient installés
dans la région. Il s’enquiert de
la situation au Liban et promet
à tous de les emmener un jour
découvrir le pays du Cèdre.
Rencontre libanaise à Ushuaïa : le contrôleur du « Train du bout
du monde ».
Associations
Communautés
Nouveaux ordres religieux maronites nés... aux États-Unis
Parmi ces communautés nées de l’immigration libanaise, il y a celles qui choisissent une vie recluse et
celles qui sont actives au sein de la société.
Frédéric ZAKHIA
Parmi les Églises orientales,
l’Église maronite compte la
plus grande diversité d’ordre
religieux et de congrégations.
Ces communautés se différencient par la règle de vie
qu’elles choisissent. Certaines
adoptent une vie recluse,
d’autres œuvrent dans la
société. L’immigration libanaise a ramené avec elle un
renouveau spirituel dans les
sociétés d’accueil. L’un des
aspects de ce renouveau est
la naissance aux États-Unis
d’un nouvel ordre monastique
maronite à la fin des années
1970, et d’une congrégation
de sœurs libanaises maronites
en 2008.
« Les Moines maronites
d’adoration » ou les « Moines
maronites de la Très-SainteTrinité » : cette communauté
adopte une vie recluse d’adoration eucharistique et de travail.
Elle a été fondée en 1978 au
Massachusetts par un moine
américain bénédictin, le père
William Driscoll. Ce dernier
fut marqué par la sainteté de
saint Charbel, dont la canonisation, qui a eu lieu en 1977
à la fin du concile Vatican
II, l’a inspiré un an plus tard
à fonder cette communauté.
Le thème est que la famille libanaise a transmis
sa culture à travers les générations, et son
amour pour ses coutumes est fort. La forme
de la famille, comment elle est constituée, et
la relation familiale font que les jeunes ont ce
sentiment envers leur pays et leurs origines. »
« L’Argentin est mélancolique, c’est une
personne qui garde en son for intérieur ses
coutumes. C’est pour cela que je crois que les
Libanais d’ici sont toujours restés attachés au
lieu d’où ils sont venus et en prennent soin. »
Les Servantes maronites du Christ-Lumière avec l’évêque Gregory J. Mansour.
Cet ordre monastique bénéficia du soutien de l’évêque
des maronites des États-Unis,
Mgr Francis Zayek, et s’est
développé sous la supervision
du père Youssef Mahfouz
(devenu plus tard évêque des
maronites du Brésil).
Le monastère maronite de
la Très-Sainte-Trinité, fondé
en 1981, est situé à Petersham
au Massachusetts et compte
une vingtaine de moines,
dont 9 prêtres. Un autre
Mère Marla Marie Lucas avec les membres de la Congrégation
des Servantes maronites du Christ-Lumière.
monastère a été fondé en l’an
2000 en Nouvelle-Écosse, au
Canada. Cet ordre, à l’instar
d’autres communautés maronites, s’attache fidèlement au
Saint-Siège et à la figure du
patriarche maronite, symbole
de foi et d’identité.
Comme les moines de
cet ordre se détachent complètement du monde et des
technologies de la communication, Internet, téléphone,
etc., il n’est pas facile d’entrer
en contact avec eux pour une
entrevue, mais la seule façon
de les joindre est par voie postale ou bien à travers l’adresse
e-mail de leur hôtellerie
(afin de passer des retraites
spirituelles).
« Les Servantes maronites
du Christ-Lumière » (Maronite Servants of Christ the
Light) : en juin 2008, l’évêque
de l’éparchie Saint-Maron de
Brooklyn, Gregory Mansour,
annonce la fondation d’une
Messe dans la chapelle du couvent avec le père Fadi Rouhana.
congrégation de dames qui
sera au service des paroisses
maronites américaines. Il
s’agit des Servantes maronites
du Christ-Lumière. La fondation de cette congrégation est
confiée à Marla Marie Lucas,
une descendante d’immigrants
maronites originaires de
Mechmech à Jbeil, autorisée
alors de quitter sa congrégation latine, la « Parish Visitors
of Mary Immaculate », afin de
fonder la nouvelle congrégation maronite. « Nous avons
choisi d’appeler notre communauté les Servantes maronites
du Christ-Lumière, en référence à ce que la Sainte Vierge
a répondu à l’ange Gabriel :
“Je suis la Servante de Dieu”,
quant au Christ-Lumière,
cette appellation est tirée de la
spiritualité de saint Ephrem »,
affirme sœur Marla Marie.
Les sœurs de cette congrégation œuvrent au sein des paroisses et épaulent les prêtres
dans diverses tâches. Elles
mènent aussi une vie contemplative de prière.
Une affection pour
le patriarcat maronite
L’ordre des moines d’adoration, ainsi que les Servantes
maronites professent une
estime et un attachement à
la figure du patriarche, fort
symbole de l’Église maronite.
« Nous avons beaucoup d’affection pour le patriarche Raï,
que nous avons visité au Liban
et aux États-Unis », indique
sœur Marla. Cette dernière
parle un peu l’arabe, qu’elle a
appris dans sa maison parentale. À la question de savoir
comment on peut vivre selon
la liturgie maronite quand
on ne parle pas couramment
l’arabe, sœur Marla précise :
« Vivre selon la spiritualité
maronite n’est pas restreint à la
connaissance d’une langue ni à
ceux qui parlent l’arabe. Notre
Église maronite est une Église
catholique avec une belle spiritualité et qui se trouve partout dans le monde, utilisant
plusieurs langues. L’important, c’est cette spiritualité
antiochienne syriaque. » Elle
poursuit : « Certes, nous utilisons un peu d’arabe et de
syriaque dans nos liturgies. »
Actuellement,
cette
congrégation compte quatre
membres, dont trois jeunes
filles maronites. « Nos Églises
orientales apportent une
richesse à l’Église catholique. Pour moi, être à la fois
maronite et catholique est
une double bénédiction ! » se
réjouit sœur Marla.
Des membres de l’ordre des Moines maronites d’adoration
(États-Unis).
Raconter l’histoire
de RJLiban à Paris...
Une vue de l’assistance au dîner RJLiban à Paris le 25 janvier.
C’est l’histoire de RJLiban
qui a ponctué le dîner qui s’est
tenu, à Paris, le 25 janvier sur
les quais de la Seine près de la
place de l’Alma. Le parcours
de RJLiban, fondée en 1986,
a été mis en avant par les
convives libanais et français.
Charles Kaazan a présenté
un pin du Liban qui avait
été distribué en 1990 lors de
l’occupation de l’ambassade
du Liban à Paris suite aux
bombardements de l’armée
syrienne à Beyrouth ; il venait
de quitter le Liban où il s’était
engagé dans la Croix-Rouge
au cour des derniers combats.
Les anciens de l’association,
Naji Farah, Nabil Khoury,
Antoine Akoury, Fouad Bita
ret Nadine Abi-Aad, ont
salué la persévérance des fondateurs et des membres actifs
dans la poursuite de leur action depuis 30 ans dans un climat d’union. Rosarita Tawil a
relaté les rencontres faites en
un an de voyages avec RJLiban en Amérique latine, dont
les deux derniers en Argentine (décembre 2015) et au
Mexique (janvier 2016), et a
annoncé les trois prochains
voyages de retour aux sources
au Liban qui auront lieu en
février, mars (fête de Pâques)
et juillet 2016.
Randa Lteif Stephan a présenté sa nouvelle association
de dames franco-libanaises,
qui multiplie ses actions à Paris. Elle a noté l’efficacité de
l’annuaire RJLiban diffusé sur
Internet. Regina Fenianos,
rencontrée au défilé de mode
du couturier libanais Tony
Ward qui s’est tenu le jour
même à la rue Saint-Honoré
en présence de Miss France
2016, a relaté ses projets au
Liban en rapprochement avec
le Brésil en particulier, soulignant l’importance de l’engagement de RJLiban auprès des
jeunes d’Amérique latine.
Jean-Pierre Haddad, Alain
Geoffroy, Nicolas Fiani et
Élie Antoun ont expliqué
les raisons de leur soutien à
cette association qu’ils suivent
depuis plusieurs années. Antoine Menassa, arrivé le soir
même de Beyrouth, a parlé du
rapprochement avec l’Union
libanaise culturelle mondiale
et des activités de l’Association des hommes d’affaires
franco-libanais (Halfa) qu’il
préside.
Le colonel Alain Corvez,
qui avait servi au Liban-Sud
en 1987, a raconté comment
il avait pu organiser, en 1997,
un voyage pour ses collègues,
anciens officiers de l’armée
française, au Liban grâce à
RJLiban, soulignant « le rôle
primordial que joue actuellement l’association dans
l’animation de la diaspora
libanaise ». Lui ont succédé
les journalistes Philippe de
Saint-Robert et Michel Anfrol, qui ont visité le Liban
dans le cadre d’un voyage, en
2009, de l’Amicale de l’Institut Charles-de-Gaulle.
Cette page est réalisée en collaboration avec l’Association RJLiban.
E-mail : [email protected] – www.rjliban.com