Les trois femmes de Charles VII - Jean - Site de l`ARCEA-DIF
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N° 141 / JUIN 2015 LES TROIS FEMMES DE CHARLES VII - JEAN-CHRISTOPHE DELVILLE Préface En évoquant les trois femmes de Charles VII je ne veux pas parler des nombreuses femmes qu’il a connues au sens biblique du terme (la liste aurait été très longue car de ce côté-là il n’avait rien à envier à ses successeurs tels François Ier, Henri IV, Louis XIV, Louis XV ou autres Napoléon). Il s’agit ici des femmes qui ont compté dans sa vie, non seulement pour luimême, mais surtout pour la France. En fait à l’instar des Trois Mousquetaires, elles étaient quatre, mais contrairement au roman de Dumas où le quatrième était le plus important (d’Artagnan) pour Charles VII la quatrième était sa propre épouse Marie d’Anjou, personnage assez terne mais qui a eu toutefois deux grands mérites : être la fille d’une femme exceptionnelle, Yolande d’Aragon (puis d’Anjou), et être la mère d’un très grand roi, Louis XI. En réalité, le quatrième personnage très important de l’entourage de Charles VII n’était pas une femme mais un homme lui aussi exceptionnel, son argentier Jacques Cœur. Par ordre chronologique nous parlerons donc de Yolande d’Aragon, de Jeanne d’Arc, d’Agnès Sorel, la première maîtresse royale de l’histoire de France nommée favorite en titre et enfin de Jacques Cœur. A eux quatre on peut dire sans exagération qu’ils ont gagné la guerre de Cent ans à des titres divers et ceci, malgré le roi Charles VII auquel on peut accorder toutefois le mérite de les avoir écoutés au moins durant une certaine période. Yolande d’Anjou née d’Aragon Née à Saragosse en 1380 et décédée à Saumur en 1442, elle était la fille de Jean Ier d’Aragon et de Yolande de Bar. Elle eut de nombreux titres : duchesse consort d’Anjou, comtesse consort du Maine et de Provence, reine consort de Naples et de Jérusalem et dame de Guise. Elle épouse en 1400 à Arles, Louis d’Anjou qui venait d’accéder au trône de Naples, alors qu’une rivalité farouche opposait la famille d’Aragon à celle d’Anjou. Ils eurent six enfants dont Marie, future épouse de Charles VII. Ambitieuse et très intelligente, elle réclame le trône d’Aragon à la mort de son père. Elle était le seul enfant survivant mais les lois de succession étaient telles que c’est son oncle Martin Ier d’Aragon qui hérita du titre. Mais Yolande et ses fils, qui se considéraient comme les héritiers prioritaires, commencèrent à utiliser le titre de rois d’Aragon. Yolande fut alors appelée reine des quatre royaumes : Sicile, Jérusalem, Chypre et Aragon. En réalité leur véritable royaume se réduisait à Provence, Anjou, Maine, Touraine et Valois, ce qui n’est déjà pas si mal. Son fils René, le célèbre bon roi René, fut choisi comme héritier par le cardinal-duc de Bar et devint duc de Lorraine par son mariage avec Isabelle fille du duc de Lorraine. La guerre de Cent ans Durant cette guerre Yolande prit le parti de la France et des Armagnacs contre les Anglais et les Bourguignons. Elle protégea en particulier le dauphin Charles (futur Charles VII) contre les tentatives d’empoisonnement de sa mère, la tristement célèbre Isabeau de Bavière. Elle le fit retirer de la Cour et le garda dans ses châteaux de la Loire pour le marier ensuite à sa fille Marie et devenir ainsi sa belle-mère. Ce n’était pas tout à fait désintéressé car elle voulait sauvegarder les destinées du duché d’Anjou durant ces périodes troublées. P. 23 LES TROIS FEMMES DE CHARLES VII - JEAN-CHRISTOPHE DELVILLE Alors qu’Isabeau traite Charles en ennemi (il suffit de se souvenir du soi-disant dauphin quand elle parlait de son fils !), Yolande devient sa vraie mère, la bonne mère. En 1415 le duc d’Anjou, époux de Yolande, préside le conseil de régence après les prétentions anglaises au trône de France. Isabeau réclame alors son fils à Yolande pour le livrer à Jean sans Peur. Réponse de Yolande : "A femme pourvue d’amant (Jean sans Peur parmi tant d’autres) point n’est besoin d’enfant. N’ay point nourri et élevé iceluy jusques icy pour que vous le laissiez trépasser comme ses frères à moins que vous le fassiez Anglais comme vous ou le rendiez fol comme son père. Le garde mien, venez le prendre si l’osez". Elle apprend à Charles le métier de roy et ordonne que la mention fils de roy figure sur tous les actes que signera Charles. Elle réussit même à faire signer par Charles VI l’acte qui nomme le dauphin lieutenant général du royaume : c’est un grand titre. Puis Yolande fait ramener les marches de l’Est au loyalisme. En Lorraine, en cette année 1419 à Domrémy, une certaine Jeannette vient d’avoir sept ans ; son père s’appelle Jacques d’Arc. Après des tentatives de rapprochement avec Jean sans Peur, duc de Bourgogne, Yolande doit partir en Provence pour ses propres affaires. Dommage ! Durant son absence a lieu la rencontre entre Jean sans Peur et le dauphin Charles au pont de Montereau où ce dernier fait assassiner le duc de Bourgogne. Quelle erreur ! Ce crime provoque le déchaînement d’Isabeau qui proclame son fils parricide, criminel de lèse-majesté, ennemi de la chose publique, de Dieu et de la justice. N° 141 / JUIN 2015 Charles est prêt à tout abandonner mais c’est Yolande qui l’en empêche ; elle a acquis la conviction que les Anglais ne seront chassés de France que si le duc de Bourgogne s’allie à Charles VII, roi de France depuis la mort de son père en 1422. Elle adresse au duc de Bourgogne des offres de paix, bien accueillies et en 1424, Philippe le Bon, nouveau duc de Bourgogne, accorde une trêve qui durera quatre ans. Les Anglais, de plus en plus menaçants, ont entrepris la conquête du centre de la France et mis le siège devant Orléans. Cependant Yolande, elle aussi, finit par se lasser et commence à douter des capacités de Charles VII à redresser la situation. Mais le miracle se produit ! Un jour un message envoyé de Lorraine par le capitaine de Baudricourt demande des ordres à la Cour de France : que doit-il faire, face à une jeune paysanne de Domrémy, conduite par son oncle et qui déclare que trois saints lui commandent de se rendre auprès du roi, afin de l’aider à reconquérir son royaume ? Elle affirme en outre : "Une vieille prophétie de Merlin (l’Enchanteur) ne dit-elle pas : La France, perdue par une femme, sera sauvée par une pucelle des marches de Lorraine ? La femme c’est la reine Isabeau, la pucelle, c’est moi". C’est l’intervention de Yolande qui est une fois de plus déterminante. Il se peut que les liaisons étroites entretenues par elle avec la Lorraine aient joué un rôle important. Elle convainc le roi de faciliter le voyage de Jeanne à Chinon puis de lui faire conduire les troupes royales devant Orléans : c’est une envoyée de Dieu. Jeanne d’Arc Tout le monde connaît, au moins dans ses grandes lignes, l’épopée de Jeanne d’Arc. On se référera entre autres à l’Histoire de France de Jules Michelet (réf. 1) et, plus près de nous, à Régine Pernoud qui lui a consacré une dizaine d’ouvrages dont "Jeanne d’Arc et la guerre de Cent ans" (réf. 2). J’insisterai donc davantage sur les faits moins connus qui ont jalonné sa courte vie. P. 24 N° 141 / JUIN 2015 LES TROIS FEMMES DE CHARLES VII - JEAN-CHRISTOPHE DELVILLE Sa naissance et sa jeunesse Elle naît vers 1412 à Domrémy dans une famille de paysans plutôt aisée ; on peut s’en convaincre en visitant sa maison natale ; son père se nomme Jacques d’Arc et sa mère Isabeau. Là commence une controverse concernant sa naissance. Certains en effet se font la réflexion suivante : comment diantre a-t-on pu confier les troupes royales à une jeune inconnue, venue d’un village de Lorraine ou plus exactement du duché de Bar dont une partie seulement relevait du royaume de France pour le temporel et de l’évêché de Toul (du St Empire romain germanique) pour le spirituel ? Explication possible : elle avait en fait du sang royal ou au moins aristocratique, ce qui entraîne qu’elle n’était pas la fille de Jacques d’Arc et de son épouse. On peut alors imaginer le scénario suivant : Isabeau de Bavière qui n’en était pas à un amant près, pourrait être la mère de Jeanne et donc le demi-frère du dauphin. On a même avancé que son père était Louis, duc d’Orléans, frère de Charles VI et accessoirement amant d’Isabeau. Thèse insoutenable car Louis meurt en 1407, assassiné par son cousin Jean sans Peur, soit cinq ans avant la naissance présumée de Jeanne. Régine Pernoud, historienne de renom et spécialiste de Jeanne d’Arc, a balayé ces théories et affirme avoir démontré que Jeanne était bien la fille de Jacques d’Arc et de son épouse Isabelle (notons toutefois qu’à l’époque il n’existait pas de registres paroissiaux à Domrémy). L’orthographe du patronyme Dar, Darc, Day, d'Ay, Tare, Tarc, Tard, Dart, est flottante. La forme d’Arc n’apparaît qu’un siècle et demi après la mort de Jeanne. La particule montrerait son anoblissement par Charles VII mais aucun texte contemporain n’a été retrouvé. Seuls des textes très postérieurs le mentionnent. Ce qui caractérise Jeanne, dès son enfance, c’est son immense piété et la foi qui soulève les montagnes comme elle l’a montré par la suite. On peut penser que la France était dans un tel état de délabrement que Yolande d’Aragon a pu faire le raisonnement suivant : la prophétie de Merlin circulait abondamment en France, notamment dans les provinces de l’est. Après tout, on ne risquait pas grand-chose à faire confiance à cette jeune fille. Arrivée à Chinon, on la conduit à la salle des gardes mais Charles, comme toujours hésite (c’est son trait de caractère dominant). Il a écouté les contre, ceux qui voient en Jeanne une quasi-sorcière et les pour qui croient à sa mission divine. Il veut la mettre à l’épreuve et un de ses familiers prend sa place. Nouveau miracle : elle va tout droit vers Charles : "Dieu vous donne longue vie, gentil dauphin. J’ai nom Jeanne la Pucelle et vous mande le roi des cieux pour moi que vous serez sacré et couronné à Reims et serez le lieutenant du roi des cieux qui est le roi de France. Je te dis que tu es le vrai héritier de France et fils de roi". Ces derniers mots troublent Charles VII qui était hanté par le doute sur sa naissance royale. Il est convaincu mais Jeanne doit passer trois semaines à subir des questions d’examinateurs ; elle élude tous les pièges. Autre point important : on doit vérifier sa virginité. C’est Yolande elle-même qui s’en charge assistée de deux dames de la Cour. Jeanne peut alors partir pour Orléans entourée de ses compagnons d’armes, entre autres Dunois et La Hire (ce dernier immortalisé en tant que valet de cœur dans les jeux de cartes qui venaient de faire leur apparition en Europe). En huit jours les Anglais lèveront le siège. P. 25 LES TROIS FEMMES DE CHARLES VII - JEAN-CHRISTOPHE DELVILLE C’est ensuite le sacre royal à Reims ; le voyage de Chinon à Reims n’était pas évident car on doit éviter les troupes ennemies. A Reims, ils sont accueillis par le bon roi René, fils de Yolande. Après le sacre, hélas ! pour le roi et pour la Cour (y compris Yolande), Jeanne est devenue une gêneuse. Par exemple alors que Charles VII traite avec les Bourguignons et leur abandonne Compiègne, Pont-Sainte Maxence, Senlis, Jeanne veut continuer la lutte. Elle obtient néanmoins l’autorisation d’assiéger Paris, toujours aux mains des Anglais. N° 141 / JUIN 2015 Faite prisonnière à Compiègne elle sera conduite au château de Beaulieu-en-Vermandois puis à celui de Beaurevoir, près de Cambrai, chez Jean de Luxembourg ; enfin au château de Crotoy. D’Arras où on le lui a livrée, Pierre Cauchon la conduit à Rouen. On connaît par cœur la suite et la triste fin de Jeanne après un procès inique. Le plus extraordinaire c’est la passivité de Charles VII et même de Yolande d’Aragon qui, apparemment n’ont rien fait ; peut-être une rançon aux Anglais aurait pu sauver Jeanne ? Mais en cette année 1431, les finances de la France étaient au plus bas : Jacques Cœur n’avait pas encore accompli son œuvre. Sur son bûcher Jeanne est étouffée par la fumée ; il faudra quatre heures pour la réduire en cendres mais les entrailles et Puis c’est Compiègne et sa capture par les Anglais et les Bourguignons, après avoir été blessée par un archer. Le soir même Isabeau apprenait la nouvelle ; en retour elle fit parvenir au duc de Bedford, Régent de France, cette lettre incroyable et scandaleuse où elle demande nommément l’exécution de Jeanne : "Vous sentez de quelle importance il est pour vous, duc de Bedford, de faire promptement condamner cette maudite sorcière qu'on nomme Jeanne la Pucelle, prise par un de vos braves Anglais et maintenant baillée au comte de Ligny, Jean de Luxembourg. C’est cette damnable créature, soufflée par l'esprit de Satan et se disant toujours inspirée par de males inspirations, qui a conduit à travers mille périls le prétendu roi Charles à se faire couronner à Reims. Mais Dieu nous en fait justice; elle a été punie de ce méfait par des blessures et par sa captivité. Vous l'avez maintenant, gardez qu'elle n'échappe : la confiance entière que le Français a dans elle la rendrait plus redoutable encore ; on dirait que c'est un miracle que Monseigneur le benoît Dieu fait pour elle ; notre parti, déjà très chancelant, n'a pas besoin de cela pour choir, et vous savez quelle impression fait sur ce peuple ignorant tout ce qui tient à la superstition. Dites à l'Inquisiteur de la réclamer ; il le doit, puisque cette fille est véhémentement soupçonnée de plusieurs crimes sentant l'hérésie... Crimes qui ne peuvent ni se dissimuler, ni éviter la punition. Il faut donc que ce moine, que vous ferez agir, vous supplie de lui livrer cette femme, comme dépendante d'un office dont il est le chef élu par le Saint-Siège; et, une fois que cette sorcière sera dans ses mains, dites-lui de procéder le plus tôt possible à son exécution". Isabeau de Bavière, reine de France (On notera au passage que cette lettre prouve qu’Isabeau n’était sûrement pas la mère de Jeanne) P. 26 le cœur n’ont pas voulu brûler malgré le soufre, le charbon, l’huile. Le cardinal Winchester ordonna : "Qu’on jette le tout dans la Seine !" (surtout point de reliques). L’Anglais Tressard, secrétaire d’Henri VI a fait toutefois cette oraison funèbre : "Nous sommes perdus, nous avons brûlé une sainte". Cet Anglais ne croyait pas si bien dire mais la pauvre Jeanne ne sera réhabilitée qu’en 1452 et canonisée seulement en 1920 ! Jeanne d’Arc, cette "merveille de toutes les histoires" a suscité effectivement un émerveillement universel qu’a si bien chanté Michelet (réf.1) : "Elle aima tant la France ! Et la France touchée se mit à s’aimer elle-même. Souvenons-nous toujours, Français, que la patrie bien-aimée est née au cœur d’une femme, de sa tendresse et de ses larmes, du sang qu’elle a donné pour nous…" N° 141 / JUIN 2015 LES TROIS FEMMES DE CHARLES VII - JEAN-CHRISTOPHE DELVILLE Agnès Sorel, Dame de Beauté Agnès Sorel serait née en Picardie, à Coudun, près de Compiègne vers 1422. Son père Jean Sorel (ou Soreau) était châtelain, seigneur de Coudun et conseiller du duc de Clermont. Sa tante la fit entrer à quinze ans en qualité de demoiselle d’honneur à la cour d’Isabelle de Lorraine, reine de Sicile, épouse du roi René et donc bru de Yolande d’Aragon (toujours elle !). Elle était dès son adolescence comme "oncques en aucun païs reine tant belle ni divine le fut…" Sa rencontre avec Charles VII eut lieu à Toulouse en 1443 lorsque ce dernier reçoit en grand cérémonial son beau-frère René et son épouse. Le roi fut littéralement frappé par sa beauté et, rentré chez lui dans un état voisin de l’extase, se crut au paradis. Rapidement Agnès devient sa maîtresse en remplaçant Mme de Joyeuse qui se consola avec le sire de la Trémoille. Un soir la reine Marie d’Anjou rencontra dans un couloir du château Agnès se promenant les seins à l’air, ce qui lui mit la puce à l’oreille ; elle n’eut plus de doute lorsqu’Agnès accoucha d’une fille en 1445. Elle alla trouver sa mère (Yolande) qui lui conseilla d’accepter la situation. En effet la pauvre Marie ne pouvait pas, avec des attraits physiques et des facultés intellectuelles médiocres, lutter contre l’éblouissante Agnès. Elle se résigna et entretint d’excellentes relations avec elle. En 1448 Agnès avait trois enfants et Charles VII décida d’anoblir sa maîtresse qui fut, de fait, la première favorite en titre d’un roi de France. Le roi possédait près de Paris, en bordure de la forêt de Vincennes, un petit manoir que Charles V avait fait construire pour abriter sa bibliothèque ; cet endroit s’appelait Beauté-sur-Marne. Un poète l’a célébré : "Sur tous les lieux plaisans et agréables Que l'on pourroit en ce monde trouver, Edifiés de manoirs convenables, Gais et jolis, pour vivre et demourer Que c'est à la fin du boys De Vicennes, que fit faire Iy roys Charles - que Dieu donne paix, joye et santé ! Son fils aîné, Dalphin de Viennois, Donna le nom à ce lieu de Beauté" Ballade d'Eustache Deschamps (1346-1406) Le roi en fit don à Agnès qui devint ainsi, en titre et en fait, Dame de Beauté. Agnès Sorel imposa son art de vivre à la Cour : décolletés épaules nues, traînes allant jusqu’à huit mètres de longueur, onguents en tous genres, robes et fourrures précieuses, bijoux précieux (diamants taillés par exemple). Elle devint ainsi la meilleure cliente de Jacques Cœur, marchand international, notamment en liaison avec le Levant, et grand argentier du roi ayant amassé des trésors dans son château de Bourges. Agnès s’attira ainsi des jalousies et des inimitiés aussi bien à la Cour que dans le royaume. Un de ses plus grands ennemis était le dauphin Louis (futur Louis XI) qui n’accepta pas la place prise par Agnès auprès de son père. Un jour il la poursuit l’épée à la main dans les pièces de la maison royale pour la tuer. Du coup Charles VII le chasse de la Cour pour l’envoyer gouverner le Dauphiné ; les rapports entre eux étaient exécrables car le dauphin était impatient de prendre le pouvoir (Charles VII n’est décédé qu’en 1461 alors que Louis atteignait trente-huit ans). P. 27 LES TROIS FEMMES DE CHARLES VII - JEAN-CHRISTOPHE DELVILLE Agnès était aussi très intelligente et elle voulait se rendre utile auprès du roi en lui prodiguant des conseils éclairés. Elle écarta de son entourage les personnes qui lui étaient néfastes et qui flattaient son apathie naturelle pour lui suggérer de s’entourer d’hommes capables comme le connétable de Richemont, Jean Burin, spécialiste de l’artillerie, Pierre de Brézé, Etienne Chevalier et… Jacques Cœur. D’après Brantôme (cf. sa Vie des Dames Galantes) elle déclara un jour fort habilement au roi : "Lorsque j'étais encore jeune fille, un astrologue m'a promis que je serais aimée et servie par l'un des plus vaillants et courageux rois de la Chrétienté. Quand vous m'avez fait l'honneur de m'aimer, je pensais que ce fût ce roi valeureux qui m'avait été prédit ... Mais je vous vois si mol, avec si peu de soins de vos affaires, que je vois bien que je me suis trompée. Ce roi courageux n'est pas vous, mais le roi d'Angleterre, qui fait de si belles armes et vous prend' tant de belles villes à votre barbe. Adieu ! Je m'en vais le trouver, car c'est celui-ci dont parlait l'astrologue" "Ces paroles piquèrent si fort le cœur du roi qu'il se mit à pleurer. Prenant courage et quittant sa chasse et ses jardins, il prit le frein aux dents, si bien que, avec bonheur et vaillance, chassa les Anglais de son royaume" Brantôme a raison. Quelques temps après cette conversation, Charles VII réorganisa ses fameuses compagnies d'ordonnances et, en 1449, rompant la trêve avec l'Angleterre, il reprit la lutte. L'ennemi occupait encore plusieurs positions importantes. Il le "bouta hors". Et ce roi véritablement galvanisé par son amour pour la Dame de Beauté mit fin à la guerre de Cent ans en 1453. N° 141 / JUIN 2015 Les exécuteurs testamentaires d’Agnès Sorel furent Jacques Cœur, Robert Poictevin, physicien, et maître Estienne Chevalier, trésorier du roi ; dans son testament elle ordonna que le roi seul, et pour le tout, fût par-dessus les trois. Plus tard François Ier loua la Dame de Beauté pour avoir mieux servi la France que n’importe quelle nonne cloîtrée. Agnès Sorel fut considérée comme la plus belle femme de son époque par ses contemporains. Le pape Pie II lui-même a déclaré qu'elle avait le plus beau visage qu'on pût voir. Jacques Cœur Jacques Cœur est né à Bourges vers la fin du XIVème siècle (date incertaine). Son père Pierre Cœur était pelletier (maître fourreur) et son commerce était très florissant à la cour du duc Jean Ier de Berry. Il initia son fils à la vie pratique des affaires. Peu après le désastre d’Azincourt en 1415 le dauphin, futur Charles VII est obligé de quitter Paris et se réfugie dans le Berry devenant par dérision "le petit roi de Bourges". Jacques Cœur devient rapidement le gérant de l’un des bureaux de change de Bourges. Il se marie vers 1420 et sa belle-mère Jeanne Roussart est la fille d’un maître des monnaies de Bourges, ce qui contribua à l’origine de la carrière de Jacques Cœur au service du roi de France. Hélas ! Le destin ne devait pas permettre à la favorite du roi de voir l’achèvement de son œuvre. Agnès accoucha de sa quatrième fille début 1450 et les suites des couches furent pénibles ; à la surprise générale elle mourut le 9 février 1450. On a parlé à l’époque d’empoisonnement et accusé le dauphin qui la détestait ainsi que Jacques Cœur, qui faisait partie de ses intimes et qui eut droit à un procès retentissant car lui aussi était détesté. P. 28 Très attiré par le commerce international il constitue avec des associés une société en vue du commerce avec le Levant afin de rivaliser avec les Vénitiens, les Pisans et les Génois ! Il favorise les opérations économiques et commerciales par l’utilisation du numéraire (et non plus du troc) en exploitant des mines d’argent, de cuivre et de plomb. N° 141 / JUIN 2015 LES TROIS FEMMES DE CHARLES VII - JEAN-CHRISTOPHE DELVILLE Il voyage beaucoup en Egypte, en Syrie, à Damas, à Beyrouth, fait copier les navires génois ; il possède rapidement plus de douze navires qui sillonnent toute la Méditerranée. Dans les villes importantes trois cents agents sont à son service ; il obtient le monopole d’importation des épices et des exportations françaises vers le monde musulman et noue à cette occasion des liens avec des princes d’Orient. Il amasse ainsi une fortune exceptionnelle, achète de nombreux hôtels et seigneuries, prête de l’argent au roi lui-même. Cette fulgurante ascension lui vaut incompréhension et jalousie auprès de nombreux de ses contemporains. Cela ne l’empêche pas d’être apprécié par Charles VII qui le nomme maître des monnaies à Bourges en 1435. Le roi rétablit ensuite en 1439 la charge d’argentier du royaume de France qu’il confie à Jacques Cœur. Ce dernier régularise l’emploi des finances royales en y remettant de l’ordre et en créant des ressources nouvelles (par exemple la taille et le fouage en tant qu’impôts directs ainsi que les aides et la gabelle en tant qu’impôts indirects). Il contribue puissamment à fournir les moyens financiers dont le roi a besoin pour délivrer la France du joug anglais. Les résultats sont spectaculaires et Michelet a pu dire de lui : "Cet homme intelligent rétablit les monnaies et invente la justice en matière de finances". En 1441 Charles VII lui accorde des lettres d’anoblissement pour lui, sa femme et ses descendants. Ses armoiries : d’azur à la fasce d’or chargées de trois coquilles de sable (cf. St Jacques) et accompagnées de trois cœurs de gueules avec cette devise restée célèbre "A vaillans cuers riens impossible". En 1442 il devient le conseiller du roi de France et de fait son ministre des Affaires étrangères, tâches qu’il accomplit avec succès. Lorsque Charles VII, sous l’influence d’Agnès Sorel, décide de reconquérir la Normandie sur les Anglais (voir plus haut), il avance aussitôt deux cent mille écus et en août 1449 la guerre contre l’Angleterre reprend avec succès. En 1444 le roi avait offert à Agnès Sorel pour vingt mille six cents écus de bijoux dont le premier diamant taillé connu à ce jour. Agnès devint ainsi la meilleure cliente de Jacques Cœur. Une extrême amitié va les lier et certains auteurs parleront d’une liaison (ce qui n’a jamais été prouvé) qui serait à l’origine des malheurs à venir du grand argentier. En effet Charles VII était d’un naturel très jaloux et il a pu prendre ombrage non seulement des qualités exceptionnelles de Jacques Cœur (qualités qu’il ne possédait pas) mais aussi de son "amitié" avec sa favorite. Lorsqu’elle meurt en 1450 Jacques cœur est soupçonné de l’avoir fait assassiner sous prétexte qu’il avait été désigné comme son exécuteur testamentaire. Cet argument ne tient pas quand on songe à son immense fortune ; il est d’ailleurs rapidement lavé de ce chef d’inculpation. Ses ennuis reprirent de plus belle, car il avait perdu la protection d’Agnès. Comme on l’a vu, il était très jalousé pour sa fortune et ses ennemis l’accusèrent de toutes sortes de crimes et il fut finalement arrêté en 1450 pour malversations. Charles VII qui décidément ne brillait pas par la reconnaissance (cf. Jeanne d’Arc) lui impute en outre le crime de lèsemajesté, le fait emprisonner et fait mettre tous ses biens sous séquestre ; cela permet au roi de prendre cent mille écus au passage pour financer la guerre en Guyenne et aux débiteurs de Jacques Cœur qui étaient nombreux (et auxquels il avait prêté de l’argent sans intérêt) d’être quittes de leur dette du jour au lendemain. Dans les années 1450 il se fait construire à Bourges un palais fastueux de style gothique tardif. Coût : cent mille écus d’or (ce superbe palais subsiste encore aujourd’hui et peut être visité). P. 29 LES TROIS FEMMES DE CHARLES VII - JEAN-CHRISTOPHE DELVILLE N° 141 / JUIN 2015 Son procès s’ouvre ; un grand nombre de faits imaginaires lui sont reprochés par exemple d’avoir transporté chez les Sarrasins, grande quantité d’armes ayant contribué au gain d’une victoire remportée par ces infidèles sur les chrétiens. Malgré l’intervention de personnages puissants en sa faveur tels l’évêque de Poitiers, l’archevêque de Bourges, le pape lui-même, on mène Jacques Cœur de château en château (une demi-douzaine) et il est torturé plusieurs fois, notamment à Poitiers (supplice des brodequins). Il est condamné à payer la somme de quatre cent mille écus, conduit sur un échafaud pour faire amende honorable. Quelques mois plus tôt son épouse était morte de chagrin à Bourges. Il réussit heureusement à s’échapper en 1454 du château de Poitiers, se réfugie à Limoges puis, avec l’aide de son fils et de son neveu, en Provence et enfin à Rome où le pape Nicolas V l’accueille avec bienveillance dans son palais et le fait soigner. Toute sa fortune n’était pas en France et il en récupère une partie dont des galères. C’est ainsi qu’il prépare pour le nouveau pape Calixte III une expédition vers l’île génoise de Chios menacée par les Ottomans (rappelons qu’ils viennent de prendre Constantinople en 1453). On lui donne le titre de capitaine général de l’Eglise et il embarque en 1456 pour Rhodes puis Chios. Il y meurt, hélas ! fin 1456. Causes de sa mort : blessure lors du siège de Chios par les Turcs, maladie infectieuse, ou encore, comme le suggère Jean-Christophe Rufin dans son excellent livre "Le Grand Cœur" (réf.7) victime d’un assassinat. Dans la postface de son ouvrage Rufin écrit en conclusion : "Un monde meurt en Europe, celui de la chevalerie, du servage et des croisades. Ce qui va le remplacer c’est la mise en mouvement des richesses par le commerce, le pouvoir de l’argent qui supplante celui de la terre, le génie des créateurs, artisans, artistes, découvreurs. Jacques Cœur est l’homme de cette révolution. Il change radicalement le regard que l’Occident porte sur l’Orient et passe de l’idée de conquête à celle d’échange" P. 30 Postface Des quatre personnages que nous avons évoqués : Yolande d’Aragon, Jeanne d’Arc, Agnès Sorel et Jacques Cœur qui ont permis à la France de gagner la guerre de Cent ans, c’est certainement ce dernier qui a eu le rôle le plus important grâce notamment au redressement spectaculaire de l’économie et des finances françaises dont il est l’indiscutable artisan. On a noté l’attitude incroyable de Charles VII envers certains de ses proches à qui il devait beaucoup mais dans l’histoire il restera le roi "victorieux". On n’oubliera pas non plus que son fils Louis XI a parachevé la suprématie française en Europe : malgré ses défauts, il est considéré à raison comme l’un de nos plus grands rois. Mais cela est une autre histoire…. Références 1/ Histoire de France/Tome 6 Jules Michelet - Ed. Lacroix 2/ Jeanne d’Arc et la guerre de Cent ans Régine Pernoud - Ed. Denoël 1990 3/ Histoire des Françaises Alain Decaux - Ed. Rombaldi 4/ Histoire de la Civilisation Will Durant - Ed. Rencontre 1963 5/ Histoires d’amour de l’histoire de France Guy Breton - Ed. Noir et Blanc 6/ La belle Agnès ouvre le bal J-Christophe Rufin - Le Point n°2153-54 7/ Le Grand Cœur Jean-Christophe Rufin - Ed. Gallimard 8/ Histoire de France : les derniers secrets Dossier spécial - L’Express n°3259 9/ Le WEB