Texte et image dans la « théorie des noms » d`Ingeborg Bachmann

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Texte et image dans la « théorie des noms » d`Ingeborg Bachmann
TRANS-
Revue de littérature générale et comparée
16 | 2013
Littérature, Paysage et Écologie
Texte et image dans la « théorie des noms »
d’Ingeborg Bachmann. La leçon de Francfort Der
Umgang mit Namen (1959-1960)
Alice Hattenville
Éditeur
Presses Sorbonne Nouvelle
Édition électronique
URL : http://trans.revues.org/810
DOI : 10.4000/trans.810
ISSN : 1778-3887
Référence électronique
Alice Hattenville, « Texte et image dans la « théorie des noms » d’Ingeborg Bachmann. La leçon de
Francfort Der Umgang mit Namen (1959-1960) », TRANS- [En ligne], 16 | 2013, mis en ligne le 02 août
2013, consulté le 30 septembre 2016. URL : http://trans.revues.org/810 ; DOI : 10.4000/trans.810
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Texte et image dans la « théorie des noms » d’Ingeborg Bachmann. La leçon de ...
Texte et image dans la « théorie des
noms » d’Ingeborg Bachmann. La leçon
de Francfort Der Umgang mit Namen
(1959-1960)
Alice Hattenville
1
L’œuvre de l’écrivaine autrichienne Ingeborg Bachmann, née en 1926 à Klagenfurt et
morte en 1973 à Rome, est constitué d’écrits de genres variés : textes en vers et en prose,
livrets d’opéras, œuvres radiophoniques, discours et essais au fil desquels se manifestent
les réflexions esthétiques de cette femme philosophe et poète. L’auteur y assume ses
affinités avec la philosophie, tout comme elle y aborde ouvertement celles qui l’attirent
vers la musique et la mènent à s’interroger sur les moyens artistiques capables de rétablir
la communication entre la musique et la poésie dans l’essai Musik und Dichtung écrit en
juin 1959, à la fin d’une décennie de collaboration professionnelle avec Hans Werner
Henze. Lorsque Leslie Morris (1999) demande au compositeur si l’écrivaine subissait des
influences du domaine pictural, celui-ci constate avec regret qu’Ingeborg Bachmann ne
s’exprimait ni sur la peinture, ni sur la sculpture ou le dessin1.
2
Cependant, comme le montre Sigrid Weigel (1999), la correspondance de l’écrivaine
témoigne de son admiration profonde pour certaines œuvres d’art ou des artistes2. La
publication en 2003 du poème inédit William Turner : Gegenlicht dans le numéro de la revue
Europe consacré à Ingeborg Bachmann et paru sous la direction de Françoise Rétif 3, met en
lumière qu’il y a bien eu une réception des œuvres d’art ou des artistes par la poétesse. Le
titre du poème traduit même une intégration des noms de l’art dans la forme poétique, ce
que Sigrid Weigel4 et, avant elle, Rita Svanderlik (1994) ont remarqué sans toutefois en
démontrer la portée poétologique. En particulier Rita Svandrlik cerne l’importance de la
leçon de Francfort Der Umgang mit Namen pour appréhender l’analogie établie entre les
noms et les images par Ingeborg Bachmann dans son œuvre5.
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Or, dans cette leçon de Francfort, l’analogie ne s’applique pas à toutes les images 6, mais à
une seule œuvre d’art : le tableau Le Bassin aux Nymphéas (1925-1926) de l’impressionniste
français Claude Monet, né à Paris en 1840 et mort à Giverny en 1926. Cet article se
propose de définir la « théorie des noms », de montrer en quoi la leçon de Francfort Der
Umgang mit Namen fonde cette théorie, puis d’en présenter les présupposés littéraire et
philosophique.
4
Il s’agira, dans une première partie, d’exposer précisément les motivations esthétiques et
historiques de l’intégration du Bassin aux Nymphéas dans la leçon de Francfort Der Umgang
mit Namen. La correspondance entre la réception de cette œuvre par Ingeborg Bachmann
et la fonction rédemptrice des noms propres chez Marcel Proust rappelle que le point de
départ de la théorie des noms demeure effectivement la réception de l’onomastique
proustienne par l’écrivaine autrichienne. L’emploi des noms propres par l’écrivain
français Marcel Proust, né en 1871 et mort en 1922 à Paris, est abordé dans les chapitres
« Nom de Pays : Le Nom » et « Nom de pays : Le Pays » du roman À la Recherche du temps
perdu (1913-1927). L’actualisation de la perte par les noms dont il est question dans le
chapitre « Nom de Pays : Le Pays » et qui sera l’objet de la deuxième partie, est
réceptionnée par Bachmann selon un présupposé benjaminien dont le bien-fondé devra
être démontré. Si une coïncidence entre la conception de l’image proustienne chez Walter
Benjamin dans l’essai Zum Bilde Prousts (1929) et chez Ingeborg Bachmann peut être
identifiée, l’origine de « l’aura » des noms, dont il est question dans la leçon de Francfort
Der Umgang mit Namen, n’est à attribuer ni à l’essai Zum Bilde Prousts ni à l’essai Über
Sprache überhaupt und über die Sprache des Menschen, (1916, publié à titre posthume). Il
semble plutôt – et ceci occupera la troisième partie – que l’aura trouve son origine dans le
fait qu’Ingeborg Bachmann avait lu les œuvres de Marcel Proust en français ; auquel cas
apparaît un présupposé constant dans l’œuvre de la poétesse, celui de la philosophie du
langage de Ludwig Wittgenstein. Barbara Agnese (1996)7 a montré qu’Ingeborg Bachmann
avait lu, très tôt, les écrits de Ludwig Wittgenstein et que cette lecture avait laissé des
traces dans toute son œuvre. Dans la leçon de Francfort Fragen und Scheinfragen, la
poétesse rappelle notamment que le devoir de l’écrivain est de transformer la réalité en
élargissant les frontières du langage à partir des mots que le langage met à sa disposition 8
.
Le pouvoir salvateur des noms
5
En novembre 1959, Ingeborg Bachmann inaugure la chaire de poésie contemporaine
nouvellement ouverte à l’Université de Francfort-sur-le-Main dans la perspective d’offrir
aux étudiants l’opportunité de considérer les œuvres littéraires sous l’angle de vue de
leur créateur9. Lors de ses cinq cours magistraux tenus jusqu’en février 1960, la poétesse
expose les fondements de sa propre conception de la poésie. Sont abordés successivement
les problèmes de définitions de la littérature et de son rôle (première leçon),
l’engagement moral du poète exprimé grâce au langage poétique (Über Gedichte), la
relation du Je à l’Histoire (Das schreibende Ich), la nécessité de dénommer les créations
artistiques (Der Umgang mit Namen) et, enfin, la fonction utopique de la littérature comme
moyen langagier de déployer la potentialité de la réalité (Literatur als Utopie).
6
C’est dans la quatrième leçon de Francfort qui fut donnée le 10 février 1960 et intitulée à
compter de sa radiodiffusion le 27 avril 1960 Der Umgang mit Namen, qu’Ingeborg
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Bachmann, tandis qu’elle commente la destruction de l’œuvre Le Bassin aux Nymphéas de
Claude Monet, soumet à l’auditoire le moyen de « sauver » une œuvre d’art :
Unlängst ist in einem New Yorker Museum ein Bild von Monet verbrannt, die
« Seerosen ». Ich habe es einmal gesehen, und als die Nachricht in den Zeitungen
stand, kam ich von den Gedanken nicht los: wohin sind nun eigentlich die Seerosen
gegangen? Dieses Verschwinden, Auslöschen, es ist nicht möglich; unser Gedächtnis
hält sie noch, will sie halten, und man möchte reden von ihnen, damit sie
hierbleiben, denn diese Zerstörung ist so anders als das Sterben aller Seerosen in
allen Seen, und doch war der Brand eine geringfügige Zerstörung, gemessen an
allen Zerstörungen, von denen wir wissen, durch Kriege10.
7
Un incendie avait dévasté le 15 avril 1958 plusieurs salles d’exposition du musée d’Art
moderne de New York11 et avait sérieusement endommagé six œuvres d’art, dont ce Bassin
aux Nymphéas acquis en 1955 par le musée et exposé pour la première fois dans ses murs
en novembre 1955 à l’occasion de l’exposition Recent Acquisitions (Painting and Sculpture)
qui dura jusqu’au 22 février 1956. De ce Bassin aux Nymphéas, qui a été en fait totalement
détruit par le feu, ne restent plus que deux reproductions en noir et blanc et une
reproduction en couleur, visibles respectivement dans le Catalogue raisonné des œuvres de
Claude Monet12 et dans l’article du magazine Life13 relatant l’incendie du musée d’Art
moderne et, quant à la reproduction en couleur, dans l’article du magazine Life daté du 2
décembre 195714.
8
Cette dernière reproduction soumet notre regard à une vision approximative de l’état
chromatique réel du tableau de Claude Monet, à savoir un camaïeu de bleus et de mauves.
Alors qu’elle témoigne, a posteriori de la destruction du tableau, de la double perte de la
matérialité picturale, elle ne rend pas compte précisément de la démarche
impressionniste dans la mesure où celle-ci consistait dans la juxtaposition de couleurs
complémentaires afin d’obliger l’œil à rétablir la sensation de lumière en opérant de luimême, par l’association des taches colorées, un mélange optique. La singularité
chromatique du tableau, peint entre 1925 et 1926, renvoie véritablement aux séquelles de
l’opération de la cataracte à laquelle Claude Monet s’était soumis en 1923. Ces séquelles
ne lui avaient pas permis de recouvrir en totalité la précision de sa perception colorée et
avaient en fait tant modifié sa perception que le peintre souffrait désormais d’une
cyanopsie ou « vision bleue »15.
9
Cette cécité partielle du peintre vis-à-vis des nuances colorées complémentaires est bien
reprise et transposée dans la leçon de Francfort lorsque Bachmann renonce à la
description du tableau et poursuit sur la pensée qui l’animait au moment où elle avait
appris la destruction du Bassin aux Nymphéas : « Ich habe es einmal gesehen, und als die
Nachricht in den Zeitungen stand, kam ich von den Gedanken nicht los : wohin sind nun
eigentlich die Seerosen gegangen ?16 ». Si l’auteur déçoit tout d’abord les attentes du
spectateur, préparé à la description du tableau ou au récit de la rencontre de la poétesse
avec Le Bassin aux Nymphéas, c’est peut-être pour mieux rendre sensible, d’une part, à la
disparition du tableau et, d’autre part, au moyen de cette disparition, à savoir
l’extinction : « wohin sind nun eigentlich die Seerosen gegangen ? Dieses Verschwinden,
Auslöschen, es ist nicht möglich17. » En renonçant à la visibilité du tableau, la poétesse
concentre l’attention sur le caractère insaisissable du destin tragique du Bassin aux
Nymphéas qui s’est, paradoxalement, « éteint » par le feu.
10
Or, la verbalisation annule l’extinction des Nymphéas par le feu au moment où Bachmann
affirme : « Dieses […] Auslöschen […] ist nicht möglich » ; et d’un point de vue
impressionniste, cette extinction ne peut certainement pas avoir lieu, car de la
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juxtaposition des couleurs complémentaires bleu – couleur dominante du Bassin aux
Nymphéas – et orange – le feu – c’est justement la lumière qui doit pouvoir devenir
perceptible par l’œil ! Dans la leçon de Francfort, Ingeborg Bachmann n’évoque certes ni
la couleur du tableau ni celle du feu destructeur. Mais en employant la traduction
allemande du titre du tableau de Claude Monet, elle rétablit la correspondance entre
éléments à la fois opposés et complémentaires : le substantif « Seerosen », désignant les
nénuphars ou signifiant dans une traduction littérale les « roses de lac », implique en
allemand l’eau et l’humidité qui s’opposent précisément au feu destructeur et le
complètent. Le jeu de couleurs complémentaires rendu impossible par la maladie de
Claude Monet, est remplacé, dans la mise en scène textuelle de la destruction du Bassin
aux Nymphéas dans la leçon de Francfort, par un nouveau jeu d’éléments complémentaires
de sorte que de l’eau et du feu – de la confrontation entre les teintes aquatiques du nom
« Seerosen » et les teintes incandescentes du feu destructeur –, la lumière devient
perceptible directement par la conscience ! Enfin, ce n’est plus de manière picturale, mais
de manière poétique que la lumière du Bassin aux Nymphéas est rendue à la vie.
11
La rédemption de cette lumière se réalise définitivement au moment où le nom du
tableau est prononcé : « man möchte reden von ihnen [den “Seerosen”], damit sie
hierbleiben18 ». Le Bassin aux Nymphéas incandescent est alors mis en présence, car la
lumière résulte désormais et à l’avenir du nom de l’œuvre d’art en feu, suspendu entre le
vivant et le mort. De plus, Ingeborg Bachmann reconnaît aux noms le pouvoir de
représenter la perte d’une réalité que le sujet n’a pas connue : « denn diese Zerstörung ist
so anders als das Sterben aller Seerosen in allen Seen, und doch war der Brand eine
geringfügige Zerstörung, gemessen an allen Zerstörungen, von denen wir wissen, durch
Kriege19 ». La reconnaissance de la perte par le sujet ne dépend pas d’un vécu individuel
de la réalité mais d’un savoir collectif sur celle-ci et d’une actualisation de ce savoir en
expérience par l’intermédiaire des noms de l’art. Pour Ingeborg Bachmann, cette
réminiscence explicite la valeur paradigmatique du Bassin aux Nymphéas pour les
destructions de la guerre. L’auteur qui, déjà dans ses écrits de jeunesse20, avait manifesté
une aversion profonde contre la guerre et toutes ses violences, compare, tout en en
minimisant la portée effective et l’intention, l’incendie du Bassin aux Nymphéas aux
autodafés nazis, voire même à l’extermination des Juifs dans les camps de concentration.
Le Bassin aux Nymphéas incandescent devient, en quelque sorte, le paradigme nonintentionnel de ces destructions, qu’il met en présence lorsque son nom est prononcé.
12
En contextualisant l’extinction du Bassin aux Nymphéas dans les évènements de la seconde
guerre mondiale, Ingeborg Bachmann actualise la perte de la fonction paradigmatique
qu’aurait dû recouvrir ce tableau dans l’immédiat après-première guerre mondiale. Le
contexte historique dans lequel s’inscrit le projet de peindre Le Bassin aux Nymphéas, est
effectivement celui de l’après-Grande Guerre. Daniel Wildenstein (1985) rappelle à ce
propos que Le Bassin aux Nymphéas ainsi que la série à laquelle il appartenait, avaient
momentanément relevé de la promesse que Claude Monet fit sous le conseil de Georges
Clémenceau, d’offrir à la République française plusieurs de ses œuvres à la mémoire de la
fin de la guerre et de la victoire de la France sur l’Empire allemand. Cet acte de donation
agit rétrospectivement comme une reconnaissance de l’existence factuelle de la Grande
Guerre et, même, de la guerre de 1870 par Claude Monet qui avait laissé paraître une
certaine « indifférence »21 vis-à-vis de la Grande Guerre et qui avait séjourné à Londres
pendant la guerre de 1870. Finalement, Le Bassin aux Nymphéas ne fit pas partie de la
donation visible aujourd’hui au musée de l’Orangerie. Mais il apparaît, à la lumière de ce
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que nous avons montré précédemment, qu’Ingeborg Bachmann rétablit, tout en la
modifiant, la promesse de Monet (« das Versprechen » en allemand) d’offrir une œuvre à
la mémoire de ce qui a été détruit et de ceux qui ont été détruits par la guerre en
prononçant (« aussprechen ») le nom d’une œuvre désormais à leur image. Le nom sauve
donc de la destruction totale en mettant en présence le processus de la perte.
La reconnaissance de la perte
13
La réception de la destruction du tableau de Claude Monet par Ingeborg Bachmann se
situe dans le cadre d’un hommage à l’écrivain français Marcel Proust et à son emploi des
noms propres dans le roman À la Recherche du temps perdu22. L’écrivain français y distingue
deux catégories d’instruments linguistiques : les mots et les noms propres de lieux ou de
personnages. La réception de l’œuvre de Marcel Proust par Ingeborg Bachmann a été
commentée par Gerhard R. Kaiser en 199123, puis en 2002 et en 2005 respectivement dans
le Bachmann-Handbuch24 et dans l’édition des écrits critiques de la poétesse. Les éditeurs
de cette dernière parution répertorient les essais portant sur l’œuvre de Marcel Proust
ainsi que les éditions de ses œuvres en possession de l’écrivaine25. La rédemption par les
noms invoquée par Bachmann dans sa réception de la destruction du Bassin aux Nymphéas,
laisse effectivement supposer une lecture attentive des œuvres de Proust, car cette
rédemption est en fait déjà évoquée par le narrateur du roman À la recherche du temps
perdu, lorsqu’il raconte, dans le chapitre « Nom de Pays : Le Nom », au sujet des noms de
lieux : « Je n’eus besoin pour les faire renaître que de prononcer ces noms : Balbec,
Venise, Florence26 ». Le narrateur ajoute que l’actualisation du nom, au moment de sa
prononciation, ne produit pas un équivalent de la réalité, mais sa contre-image : « Même
au printemps, trouver dans un livre le nom de Balbec suffisait à réveiller en moi le désir
des tempêtes et du gothique normand27 ». Chez Bachmann comme chez Proust, la réalité
et le nom se complètent, peu importe que le nom soit celui d’un lieu, d’un personnage ou
d’une œuvre d’art.
14
Toutefois, tandis que la prononciation du nom chez Bachmann enclenche un processus de
réminiscence, l’absence devient présence chez Proust lorsque le nom est prononcé. Cette
perception de la réalité advient alors que le narrateur n’a pas encore vécu, concrètement,
la réalité désignée par le nom Balbec. Ce qu’il s’imagine être Balbec est le produit des
récits de vie rapportés par les autres protagonistes. Le narrateur considère encore dans
ce chapitre que les souvenirs rapportés par ses proches dépeignent fidèlement une réalité
bien existante. À aucun moment, il ne met en doute ce langage auquel il fait confiance et
se soumet, et à partir duquel il construit le souvenir d’une expérience qu’il n’a pas faite.
Ce n’est que plus tard, dans le chapitre « Nom de pays : le Pays », que le narrateur prend
conscience de son erreur lorsqu’il voit Balbec de ses propres yeux. Au contact de la
réalité, le nom perd tout ce qui constituait sa présence :
[…] pour Balbec, dès que j’y étais entré, ç’avait été comme si j’avais entr’ouvert un
nom qu’il eût fallu tenir hermétiquement clos et où, profitant de l’issue que je leur
avais imprudemment offerte, en chassant toutes les images qui y vivaient jusque-là,
un tramway, un café, les gens qui passaient sur la place, la succursale du Comptoir
d’Escompte, irrésistiblement poussés par une pression externe et une force
pneumatique, s’étaient engouffrés à l’intérieur des syllabes qui, refermées sur eux,
les laissaient maintenant encadrer le porche de l’église persane et ne cesseraient
plus de les contenir28.
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C’est en comparant son expérience subjective de la réalité aux images contenues dans le
nom, que le narrateur prend conscience de l’illusion de la véracité du nom. La réalité
apparaît alors comme le lieu de passage de l’illusion vers la désillusion et le nom se trouve
dévasté par la réalité qui s’engouffre en lui, le sature de façon à endiguer la moindre
tentative de mise en images du monde par le langage. Déjà en 1958, Ingeborg Bachmann
avait comparé le processus de désillusion à une dévastation dans l’essai Die Welt Marcel
Prousts – Einblicke in ein Pandämonium, écrit à l’occasion de la publication de la traduction
allemande du roman À la recherche du temps perdu chez Suhrkamp.
16
C’est en décembre 1956, pendant qu’Ingeborg Bachmann réside à l’Hôtel de la Paix, rue de
Blainville dans le cinquième arrondissement parisien, que débute sa lecture des œuvres
de l’écrivain français. Celle-ci laisse des traces identifiables dans l’essai de 1958 consacré à
Marcel Proust. Tandis que l’écrivaine expose dans quelle mesure le tome Le Temps retrouvé
se révèle conclusif pour l’ensemble du cycle29, elle s’appuie sur la description de la ville de
Paris pour illustrer le processus de désillusion auquel se soumet le narrateur au cour du
roman et qui atteint son apogée à la fin du roman, lorsque le narrateur compare son vécu
de Paris avec la même ville sous les bombardements :
[…] la ville semblait un […] noir, et qui tout d’un coup passait, des profondeurs et de
la nuit, dans la lumière et dans le ciel, où un à un les aviateurs s’élançaient à l’appel
déchirant des sirènes, cependant que d’un mouvement plus lent, mais plus
insidieux, plus alarmant, car ce regard faisait penser à l’objet invisible encore et
peut-être déjà proche qu’il cherchait, les projecteurs se remuaient sans cesse,
flairant l’ennemi, le cernant de leurs lumières jusqu’au moment où les avions
aiguillés bondiraient en chasse pour le saisir. Et, escadrille après escadrille, chaque
aviateur s’élançait ainsi de la ville transportée maintenant dans le ciel, pareil à une
Walkyrie30.
17
Dans le roman Le Temps retrouvé, la scène ci-dessus est décrite à l’occasion d’une
conversation entre le narrateur et son ami Robert de Saint-Loup sur la beauté qui peut
émerger de la guerre. Il ne s’agit à aucun moment de célébrer la beauté de la guerre. Le
propos porte bien davantage sur la beauté qui émerge du bonheur ressenti au moment où
les personnages prennent conscience d’un déploiement des possibilités de se souvenir
rendu possible par la modification d’un morceau de réalité ; Ingeborg Bachmann
constatera à son tour, en 1960 dans la leçon de Francfort Der Umgang mit Namen, qu’à
travers la prononciation du nom, la perte de l’image devient perceptible.
18
Pourtant, lorsqu’en 1958 Ingeborg Bachmann souligne le gouffre entre le vécu passé du
narrateur à Paris et sa perception de Paris sous les bombes à l’époque de la Grande
Guerre, elle le fait pour mettre en évidence que les modifications de la réalité induites par
la guerre relèvent bien plus d’un amoindrissement des possibilités du langage :
es ist nicht der Krieg, der geschieht, wo die Schüsse fallen, oder der abgemalt
werden könnte auf einem Schlachtenbild, sondern seine Spiegelung, die wirklicher
ist : sein Eindringen in die Sprache aller, sein Rückschlag auf das Leben in den
Salons und auf die Mode und seine Fähigkeiten, aus Orten andere Orte zu machen.
Der kleine Weißdornweg von Méséglise ist die Höhe 307 geworden 31.
19
Ingeborg Bachmann insiste sur les conséquences matérielles de la guerre, car elles
montrent que la guerre se répercute effectivement sur les possibilités du langage, dans la
mesure où elle modifie profondément la réalité en la réduisant. Après les guerres, la mise
en langage de la réalité est tout simplement perdue. Le fait que le nom met en lumière la
perte de ces possibilités, est introduit pour la première fois en 1960 dans la leçon de
Francfort Der Umgang mit Namen alors que la destruction du Bassin aux Nymphéas est
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Texte et image dans la « théorie des noms » d’Ingeborg Bachmann. La leçon de ...
évoquée, mais également au début de la leçon de Francfort lorsque l’écrivaine célèbre
l’« illumination » des noms :
daß der Name sich immer im Bewußtsein verankert, dieser Name mit Aura, einer
Aura, die er zwar der Musik und der Sprache verdankt, aber hat er sie, hat ein Name
einmal solche Strahlkraft, so scheint es, daß er sich frei macht und
verselbstständigt ; der Name allein genügt, um in der Welt zu sein. Es gibt nichts
Mysteriöseres als das Leuchten von Namen und unser Hängen an solchen Namen 32.
20
L’hypothèse de Bettina Bannasch (2002) selon laquelle Ingeborg Bachmann se réfère ici à
la philosophie de Walter Benjamin et, plus particulièrement, à l’essai écrit en 1916 Über
Sprache überhaupt und über die Sprache des Menschen, se laisse en partie vérifier par l’emploi
répété du substantif « taufen » (« baptiser ») dans la leçon de Francfort ; car justement
dans cet essai de Walter Benjamin, il est question d’une magie qui devient perceptible
lorsque le spirituel, d’origine divine, se communique au langage par les noms et se révèle
aux hommes par les noms. Or le baptême dont parle Ingeborg Bachmann, est étranger
aux gestes du sacrement chrétien : « Taufe [...] bei der [...] kein Weihwasser hat herhalten
müssen und von der kein Schriftzug in einem Register spricht33 ». En affirmant cela, la
poétesse annonce sa propre description de la pratique du baptême chez Marcel Proust. Il
apparaît alors que le baptême revient paradoxalement à un « effacement » des noms :
[Proust] hat über Namen gesagt, was sich nur irgend sagen läßt, und er hat nach
zwei Seiten gewirkt : hat die Namen inthronisiert, sie in ein magisches Licht
getaucht, dann zerstört und verwischt ; er hat sie mit Bedeutung erfüllt,
aufgeladen, und hat zugleich ihre Leere bewiesen, sie als leere Hülsen weggeworfen,
als Anmaßung eines Eigentums gebrandmarkt34.
21
Cette description correspond à celle que Walter Benjamin fait du processus d’écriture de
Marcel Proust dans l’essai Zum Bilde Prousts de 1929. L’écriture proustienne revient à une
tentative d’effacement de ce qui a eu lieu pendant la journée :
An jedem Morgen halten wir, erwacht, meist schwach und lose, nur an ein paar
Fransen den Teppich des gelebten Daseins, wie Vergessen ihn in uns gewoben hat,
in Händen. Aber jeder Tag löst mit dem zweckgebundenen Handeln und, noch
mehr, mit zweckverhaftetem Erinnern das Geflecht, die Ornamente des Vergessens
auf. Darum hat Proust am Ende seine Tage zur Nacht gemacht, um im verdunkelten
Zimmer bei künstlichem Lichte all seine Stunden ungestört dem Werk zu widmen,
von den verschlungenen Arabesken sich keine entgehen lassen 35.
22
Selon Walter Benjamin, le processus d’écriture de Proust consiste à laisser l’obscurité
répandre sa lumière sur l’oubli. L’écriture nocturne facilite la mise en œuvre textuelle de
l’oubli du vécu diurne. L’écriture proustienne ne complète ou ne parfait pas le vécu. Elle
fait de l’oubli le « pendant » de ce qui est revenu à la mémoire : « Und ist dies Werk
spontanen Eingedenkens, in dem Erinnerung der Einschlag und Vergessen dem Zettel ist,
vielmehr ein Gegenstück zum Werk der Penelope als sein Ebenbild ?36 » Ce que met en
œuvre l’écriture proustienne est l’oubli, car il conditionne le déploiement des possibilités
de se souvenir et la mise en mouvement du passé : « ein erlebtes Ereignis ist endlich,
zumindest in der einen Sphäre des Erlebens beschlossen, ein erinnertes schrankenlos,
weil nur Schlüssel zu allem was vor ihm und zu allem was nach ihm kam37. » Le texte tisse
l’image de ce qui a été oublié, c’est-à-dire une image de la perte ou une image en perte ;
tout comme, chez Bachmann, le nom « Seerosen » incandescent présentifie Le Bassin aux
Nymphéas en perte de matérialité.
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Texte et image dans la « théorie des noms » d’Ingeborg Bachmann. La leçon de ...
L’aura des noms
23
S’il apparaît qu’Ingeborg Bachmann reprend, dans la leçon de Francfort Der Umgang mit
Namen, la conception benjaminienne de la mémoire involontaire de Proust, il semble
également qu’elle recentre le propos de Walter Benjamin sur le contexte dans lequel
émerge l’image proustienne, à savoir le contexte de l’emploi des noms propres défini dans
le chapitre « Nom de Pays : Le Nom ». Les dernières lignes de la leçon de Francfort en
attestent : Proust « hat die Namen inthronisiert, sie in ein magisches Licht getaucht, dann
zerstört und verwischt ; er hat sie mit Bedeutung erfüllt, aufgeladen, und hat zugleich
ihre Leere bewiesen, sie als leere Hülsen weggeworfen, als Anmaßung eines Eigentums
gebrandmarkt38. » La traduction française proposée par Elfie Poulain souligne le champ
lexical relatif à l’acte de « graver par le feu » qui est présent à la fin et au début de la
leçon de Francfort : « Diese Namen sind eingebrannt in erdachte Wesen und vertreten sie
zugleich39. » Il semble qu’Ingeborg Bachmann, s’appuyant sur une fausse étymologie,
traduise par les verbes « einbrennen » et « brandmarken », le verbe « aggraver » employé
dans le chapitre « Nom de Pays : Le Nom » :
Mais si ces noms absorbèrent à tout jamais l’image que j’avais de ces villes, ce ne fut
qu’en la transformant, qu’en soumettant sa réapparition en moi à leurs lois
propres ; ils eurent ainsi pour conséquence de la rendre plus belle, mais aussi plus
différente de ce que les villes de Normandie ou de Toscane pouvaient être en
réalité, et, en accroissant les joies arbitraires de mon imagination, d’aggraver la
déception future de mes voyages40.
24
Ingeborg Bachmann déplace et condense le processus de désillusion dans le nom : celui-ci
devient le lieu de passage de l’illusion vers la désillusion. Alors que la désillusion est
vécue comme une déception dans le texte proustien, Ingeborg Bachmann « aggrave » la
déception en marquant le nom au fer rouge et, de ce fait, en désignant par ce stigmate
son imposture. C’est de ce marquage au fer rouge que l’aura des noms tire son origine.
Marqué pour s’être approprié les caractéristiques du signifiant et les avoir remplacées, le
nom élargit également les frontières du langage, dans la mesure où il extirpe le signifiant
hors de ses limites et le déplace dans sa propre « contre-image ». Le nom correspond
effectivement à l’image en creux de la réalité puisque le marquage au fer rouge
(« brandmarken ») a eu lieu en gravant par le feu (« einbrennen »). Par le marquage au fer
rouge ou la gravure par le feu, l’écrivain offre à ses inventions langagières – les noms –
une matérialité que le langage ne possède pas a priori.
25
Il semble finalement que l’aura des noms dans la leçon de Francfort Der Umgang mit Namen
s’explique bien plus par une lecture bachmannienne des œuvres de Marcel Proust en
français que par la théologie du langage de Walter Benjamin. Depuis que Tanja Schmidt
(1989) a émis l’hypothèse d’une lecture bachmannienne de la philosophie de Walter
Benjamin, la recherche a pu identifier des traces d’une telle réception dans les œuvres de
la poétesse. La supposition selon laquelle Ingeborg Bachmann connaissait la philosophie
de Walter Benjamin avant 195841, n’exclut pas une nouvelle lecture de l’essai Zum Bilde
Prousts entre 1958 et 1959, notamment si on observe l’évolution de la réception des
œuvres de Marcel Proust par Ingeborg Bachmann. Si la reconnaissance de la perte dans le
nom « Seerosen » ou la nécessité de considérer l’écriture comme un « pendant » en creux
de la réalité semblent s’inscrire dans la continuité de la réception des œuvres de Marcel
Proust par Walter Benjamin, il est également apparu que la théorie des noms d’Ingeborg
Bachmann relevait d’une traduction de l’onomastique proustienne du français vers
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l’allemand. La traduction de l’emploi proustien des noms d’une langue vers une autre
devient le modèle de la traduction d’un langage pictural en un langage poétique à partir
des noms de l’art. C’est pourquoi la théorie des noms dans la leçon de Francfort Der
Umgang mit Namen peut être considérée comme une théorie de la transposition d’une
œuvre d’art dans le texte par l’intermédiaire de son nom.
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NOTES
1. Leslie Morris, « Das Leben, die Menschen, die Zeit. Hans Werner Henze im Gespräch mit Leslie
Morris (Rom, 4.Januar 1999) », in Monika Albrecht, Dirk Göttsche (éd.), Über die Zeit schreiben 2 :
Literatur- und kulturwissenschaftliche Essays zum Werk Ingeborg Bachmanns, Wurtzbourg,
Königshausen & Neumann, 2000, p. 150.
2. Sigrid Weigel, Ingeborg Bachmann : Hinterlassenschaften unter Wahrung des Briefgeheimnisses,
Vienne, Paul Zsolnay Verlag, 1999, p. 34.
3. Ingeborg Bachmann, « William Turner : Gegenlicht », Europe, Revue littéraire mensuelle : Ingeborg
Bachmann, no892-893, Françoise Rétif (dir.), Paris, Europe, août-septembre 2003, p. 129.
4. Sigrid Weigel, Ingeborg Bachmann..., op.cit., p. 34.
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5. Rita Svandrlik, « Der Umgang mit Bildern », in Robert Pichl (éd.), Kritische Wege der Landnahme :
Ingeborg Bachmann im Blickfeld der neunziger Jahre, Vienne, Hora Verlag, 1994, pp. 81-84.
6. Ingeborg Bachmann emploie indifféremment le terme allemand « Bild » pour désigner une
œuvre d’art, un décor de scène, un rêve (etc.). Sur les acceptions du terme « Bild », Gottfried
Boehm (éd.), Was ist ein Bild ?, 3e édition, Munich, Fink, 2001.
7. Agnese Barbara, Der Engel der Literatur : zum philosophischen Vermächtnis Ingeborg Bachmanns,
Vienne, Passagen Verlag, 1996.
8. Ingeborg Bachmann, Werke, tome IV, Christine Koschel, Inge von Weidenbaum et Clemens
Münster (éd.), Munich, Zurich, Piper, 1978, Fragen und Scheinfragen, p. 192.
9. Ingeborg Bachmann, Kritische Schriften, Monika Albrecht et Dirk Göttsche (éd.), Munich, Zurich,
Piper, 2005, p. 581.
10. Bachmann, Werke, tome IV, op.cit., Der Umgang mit Namen, p. 241. Ingeborg Bachmann, Œuvres,
Arles, Actes Sud, 2009, Leçons de Francfort : La fréquentation des noms, trad. de l’allemand par Elfie
Poulain, p. 697 : « Récemment un tableau de Monet a brûlé dans un musée de New York : les
Nénuphars. Je l’avais vu une fois, aussi lorsque cette nouvelle fut dans les journaux, je n’ai pu
m’empêcher de penser : mais où ont-ils bien pu aller, les nénuphars ? Cette disparition, cette
extinction, n’est pas possible. Notre mémoire garde encore ces nénuphars, elle désire encore les
garder et on aimerait parler d’eux pour qu’ils demeurent, car cette destruction est différente de
la mort de tous les nénuphars dans tous les lacs même si l’incendie a beau n’avoir été qu’une
destruction insignifiante par rapport à toutes les destructions que nous connaissons et qui furent
causées par des guerres. »
11. Voir l’article : Sanka Knox, « Monet Water-Lily painting valued at $ 40,000 Destroyed in
Museum Fire », The New York Times, New York, The New York Times Company, 16 avril 1958, p. 30.
12. Daniel Wildenstein, Claude Monet : biographie et catalogue raisonné, tome V, Lausanne,
Bibliothèque des Arts, 1991, pp. 324-325. La reproduction du Bassin aux Nymphéas est
accompagnée du numéro d’inventaire (no1982) et des dimensions de l’œuvre (2x6, 02 m).
13. « Fiery Peril in a Showcase of Modern Art : A multimillion-dollar collection is saved in New
York museum but a great Monet is burned and lost », Life, vol. 44, n o17, Chicago, Illinois, Time
Inc., 28 avril 1958, p. 56.
14. « Old Master’s Modern Heirs : The scorned work of Monet’s later years inspires a present
generation of painters », Life, vol. 43, no23, Chicago, Illinois, Time Inc., 2 décembre 1957,
pp. 94-95.
15. Daniel Wildenstein, Claude Monet : biographie et catalogue raisonné, tome IV, Lausanne,
Bibliothèque des Arts, 1985, p. 120.
16. Bachmann, Werke, tome IV, op.cit., Der Umgang mit Namen, p. 241. Voir traduction note 10.
17. Ibid., idem. Voir traduction note 10.
18. Ibid., idem. Voir traduction note 10.
19. Ibid., idem. Voir traduction note 10.
20. Par exemple : Ingeborg Bachmann, Kriegstagebuch ; Mit Briefen von Jack Hamesh an Ingeborg
Bachmann, Hans Höller (éd.), Berlin, Suhrkamp, 2010.
21. Daniel Wildenstein, Claude Monet…, tome IV , op.cit., p. 89.
22. Bachmann, Werke, tome IV, op.cit., Der Umgang mit Namen, p. 253.
23. Gerhard R. Kaiser, « Kunst nach Auschwitz oder “Positivist und Mystiker”. Ingeborg
Bachmann als Leserin Prousts », in Dirk Göttsche, Hubert Ohl (éd.), Ingeborg Bachmann : Neue
Beiträge zu ihrem Werk, Wurtzburg, Königshausen & Neumann, 1993, pp. 329-352.
24. Bettina Bannasch, « Literaturkritische Essays und Frankfurter Vorlesungen », in Monika
Albrecht, Dirk Göttsche (éd.), Bachmann-Handbuch : Leben – Werk – Wirkung, Stuttgart, Weimar,
Metzler, 2002, pp. 191-203.
25. Bachmann, Kritische Schriften, op.cit., p. 573.
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26. Marcel Proust, À la Recherche du temps perdu, tome I, Paris, Gallimard, 1955, Nom de pays : le
Nom, p. 387.
27. Ibid., idem.
28. Proust, Recherche, tome I, op.cit., Nom de pays : le Pays, pp. 660-661.
29. Bachmann, Werke, tome 4, op.cit., Die Welt Marcel Prousts..., p. 230.
30. Marcel Proust, À la Recherche du temps perdu, tome III, Paris, Gallimard, 1955, Le Temps retrouvé,
p. 759 ; Bachmann, Werke, tome IV, op.cit., Die Welt Marcel Prousts…, p. 168.
31. Ibid., idem. « ce n’est pas la guerre, celle qui se déroule effectivement, celle où les coups de feu
sont tirés, ou celle qui peut être peinte dans la scène de bataille d’un tableau, mais c’est son reflet
qui est plus réel qu’elle ne l’est : son intrusion dans la langue de tous, son impact sur la vie dans
les salons et sur la mode et ses capacités de faire des lieux d’autres lieux. Le raidillon aux
aubépines de Méséglise est devenu la cote 307. » Traduction A.H.
32. Bachmann, Werke, tome IV, op.cit., Der Umgang mit Namen, p. 238. Bachmann, Œuvres, op.cit., La
fréquentation des noms, p. 695 : « ce nom s’ancre pour toujours dans la conscience avec son aura,
une aura qu’il doit certes à la musique et au langage, mais une fois qu’il l’a, une fois qu’un nom a
une telle force de rayonnement, il semble alors qu’il se rende libre et autonome. Il n’y a rien de
plus mystérieux que cet éclat fulgurant des noms et que notre adhésion a eux. »
33. Bachmann, Werke, tome IV, op.cit., Der Umgang mit Namen, p. 238. Bachmann, Œuvres, op.cit., La
fréquentation des noms, p. 695 : « un baptême […] où […] on n’aurait eu recours à aucune eau bénite
et dont on aurait gardé aucune trace écrite ».
34. Bachmann, Werke, tome IV, op.cit., Der Umgang mit Namen, p. 254. Bachmann, Œuvres, op.cit., La
fréquentation des noms, p. 707 : « [Proust] a dit des noms tout ce qu’on peut en dire et il a agi dans
deux directions : il a intronisé les noms, les a plongés dans une lumière magique, puis les a
détruits et effacés ; il les a remplis, chargés de signification, et il en a prouvé en même temps le
vide, il les a jetés comme des cartouches vides, il les a marquées au fer rouge comme usurpations
de propriété. »
35. Walter Benjamin,
Gesammelte Schriften, tome II.I, Rolf Tiedemann et Hermann
Schweppenhäuser (éd.), Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1955, Zum Bilde Prousts, p. 311. Walter
Benjamin, Œuvres, tome II, traduit de l’allemand par Maurice de Gandillac, Rainer Rochlitz et
Pierre Rusch, Paris, Gallimard, 2000, L’image proustienne, pp. 136-137 : « Mais chaque jour, avec
nos actions orientées vers des fins précises et, davantage encore, avec notre mémoire captive de
ces fins, nous défaisons les entrelacs, les ornements de l’oubli. C’est pourquoi, à la fin de sa vie,
Proust avait changé le jour en nuit : dans une chambre obscure, à la lumière artificielle, sans être
dérangé, il pouvait consacrer toutes ses heures à son travail et ne laisser échapper aucune des
arabesques entrelacées. »
36. Benjamin, Gesammelte Schriften, tome II.I, op.cit., Zum Bilde Prousts, p. 311. Benjamin, Œuvres,
tome II, op. cit., p. 136 : « Et ce travail de remémoration spontanée, où le souvenir est la trame et
l’oubli la chaîne, plutôt qu’un nouveau travail de Pénélope, n’en est-il pas le contraire ? »
37. Benjamin, Gesammelte Schriften, tome II.I, op.cit., Zum Bilde Prousts, p. 312. Benjamin, Œuvres,
tome II, op. cit., p. 137 : « un évènement vécu est fini, il est à tout le moins confiné dans la seule
sphère de l’expérience vécue, tandis qu’un évènement remémoré est sans limites, parce qu’il
n’est qu’une clé pour tout ce qui a précédé et pour tout ce qui a suivi. »
38. Bachmann, Werke, tome IV, op.cit., Der Umgang mit Namen, p. 254. Voir traduction note 34.
39. Bachmann, Werke, tome IV, op.cit., Der Umgang mit Namen, p. 238. Bachmann, Œuvres, op.cit., La
fréquentation des noms, p. 695 : « Ces noms sont marqués au fer rouge dans des êtres fictifs en
même temps qu’ils les représentent ».
40. Proust, Recherche, tome I, op.cit., Nom de pays : le Nom, p. 387.
41. Par exemple : Sigrid Weigel, « Die Erinnerungs- und Erregungsspuren von Zitat und Lektüre.
Die Intertextualität Bachmann – Celan, gelesen mit Benjamin », in Bernhard Böschenstein, Sigrid
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Texte et image dans la « théorie des noms » d’Ingeborg Bachmann. La leçon de ...
Weigel (éd.), Ingeborg Bachmann und Paul Celan : poetische Korrespondenzen, Francfort-sur-le-Main,
Suhrkamp, pp. 231-249.
RÉSUMÉS
Les noms de l’art – titres d’œuvres d’art et noms d’artistes – sont au cœur de la théorie des noms
qu’Ingeborg Bachmann expose dans la leçon de Francfort Der Umgang mit Namen (1959-1960) : les
œuvres d’art et leurs auteurs sont intégrés à l’œuvre littéraire par les noms avec lesquels ils ont
été « baptisés ». Ces noms, une fois intégrés au texte, sont les moteurs de la réminiscence, c’est-àdire d’un processus de remémoration de ce qui a été oublié. Cet article se propose d’exposer cette
théorie, ainsi que de la situer par rapport à ses présupposés historiques (l’expérience de la
guerre), littéraires (Marcel Proust) et philosophiques (Walter Benjamin).
Names in art (titles of works of art and artists’ names) are at the heart of the theory of names,
which Ingeborg Bachmann exposes in her Frankfurt Lectures on Poetics Der Umgang mit Namen
(1959 – 1960): the works of art and their authors are embedded into literary works through the
names with which they were “baptized”. These names, once embedded in the text, are the
triggers of recollection – that is to say, the process of reminiscing about what has been forgotten.
This paper will expose Ingeborg Bachmann’s theory of names in the context of its historical (the
war experience), literary (Marcel Proust) and philosophical (Walter Benjamin) presuppositions.
AUTEUR
ALICE HATTENVILLE
Alice Hattenville est Docteur en Littérature autrichienne. Elle a enseigné à l’Institut de
Littérature Comparée de l’Université de Vienne et au Département d’Etudes germaniques
de l’Université de Rouen. Sa thèse de doctorat, préparée puis soutenue en juin 2012 dans
le cadre d’une cotutelle-de-thèse entre l’Université de Vienne et l’Université de Rouen,
portait sur l’image et le voir dans les œuvres d’Ingeborg Bachmann et visait à mettre à
jour la réception des arts plastiques et de la photographie par l’écrivaine autrichienne.
Elle a publié l’article « William Turner/Ingeborg Bachmann : La lumière en face » dans le
numéro 130 de la revue Po&sie (Belin, 2010).
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