Résumé de thèse ÉCOLE DOCTORALE de Théologie et de

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Résumé de thèse ÉCOLE DOCTORALE de Théologie et de
Résumé de thèse
ÉCOLE DOCTORALE de Théologie et de Sciences Religieuses
EA 4378
Richard Alexander Neff
Titre en français : Évangéliques en réseau, trajectoires identitaires entre la France et
les États-Unis
Titre en anglais : Evangelical networks, American influence and French identity
L’essor du protestantisme évangélique en France est un laboratoire d’analyse des effets de la
mondialisation sur les identités religieuses. Retraçant ses origines à la Réforme protestante du
XVIe siècle et au Réveil de Genève du début du XIXe siècle, l’évangélisme est pourtant souvent
considéré comme une anomalie dans la France laïque et de tradition catholique.
S’agit-il,
comme le supposent certains, d’une invasion culturelle américaine? L’exubérance des fidèles,
la rigueur éthique et le style spectaculaire des cultes, bien étranges encore en France,
caractérisent depuis longtemps des églises aux États-Unis où les évangéliques constituent plus
d’un quart de la population. Si les noms des responsables évangéliques français sont presque
inconnus en dehors du milieu, les noms des évangéliques américains Billy Graham et Rick
Warren ont une certaine réputation en France.
De nombreuses questions se posent alors. Quel contact existe-il réellement entre évangéliques
français et nord-américains? Si une certaine influence américaine existe, par quelles voies estelle véhiculée?
L’influence nord-américaine est-elle perçue différemment d’une église
évangélique à l’autre?
Quels sont les enjeux d’association avec les Américains pour les
évangéliques français?
La recherche existante sur l’évangélisme français ne permet pas de donner des réponses
suffisantes à ces questions. Un ensemble de recherches aborde les évangéliques sous l’angle
des mouvements sociaux. Compris de cette manière, le « mouvement évangélique » aurait une
cohérence interne et serait capable d’articuler des revendications précises. Ainsi de nombreux
auteurs ont expliqué le développement de l’évangélisme mondial en analysant l’alignement des
évangéliques américains sur les intérêts politiques et économiques des États-Unis.
Si un
certain nombre d’études récentes ont fragilisé cet argument, le cas de la France n’a pas encore
fait l’objet d’une étude de terrain.
Un autre ensemble de recherches aborde les évangéliques sous l’angle d’une minorité
religieuse. Ces ouvrages voient les évangéliques à travers leur statut d’infériorité par rapport à
un groupe religieux majoritaire.
Cette approche, qui nous semble très utile, a néanmoins
tendance à négliger l’apport des réseaux internationaux dans ce jeu de forces. Notre travail
sera l’occasion d’apporter un regard à la fois sur l’influence américaine en France et aussi sur le
comportement en réseau des églises françaises.
La thèse se divise en trois grandes parties. Dans la première partie, nous construisons l’objet
de recherche : l’évangélisme français à l’heure de la mondialisation. Nous examinons deux
problématiques en lien avec la mondialisation du religieux , celle des minorités religieuses et
celle des réseaux sociaux.
Ensuite, nous présentons une approche aux églises évangéliques
comme un milieu social, ce qui permet de discerner des types d’églises à l’intérieur du groupe,
chacun revendiquant une identité particulière.
Nous élaborons ensuite une typologie
quadripartite des églises évangéliques selon leurs modes de régulation d’autorité, selon leur
rapport à l’histoire et selon leurs pratiques d’association.
Notre thèse principale est le suivant : les États-Unis exercent une influence sur les églises
évangéliques françaises à la fois directe (liens personnels avec des Américains) et indirecte
(passant par des acteurs intermédiaires). Ces influences varient en fonction de la structure des
différents réseaux évangéliques français et du type des églises dans le milieu évangélique
français. Nous présentons ensuite notre projet de recherche : une enquête qualitative d’églises
dans l’est de la France avec des entretiens de pasteurs, des observations participantes de
cultes et une étude de la littérature évangélique contemporaine. La première partie de la thèse
est aussi l’occasion de placer l’évangélisme dans son contexte historique. Nous retraçons les
origines des quatre différents types d’églises en France, en restant attentif à l’apport des
mouvements évangéliques étrangers.
Enfin, nous examinons les traits principaux de
l’évangélisme américain et son regard sur la France.
La deuxième partie du travail est consacrée à une analyse de l’influence directe des
évangéliques américains sur les églises étudiées.
Nous avons répertorié différents types de
liens interpersonnels entre églises françaises et américaines.
On observe des modes de
comportement en réseau selon des dynamiques d’affinité doctrinale, d’affinité historique, de
mobilisation et de soutien. Chacun de ces modes de comportement caractérise davantage
certains types d’églises françaises que d’autres.
Les églises mennonites étudiées, par
exemple maintiennent des liens aux États-Unis uniquement avec d’autres églises et organismes
mennonites.
Ces liens sont durables et constitutifs de l’identité du groupe.
Les églises
pentecôtistes, par contre, tendent à intégrer des réseaux de mobilisation aux États-Unis de
façon ponctuelle et pour des buts plus précis. Les projets de mobilisation entrepris par ces
églises peuvent aider à réguler l’autorité dans l’église et à conférer un certain niveau de
légitimité sociale en France.
Il ressort de l’enquête que l’influence directe des Américains sur les églises évangéliques
françaises est très limitée. Aucun des pasteurs interviewés n’était d’origine américaine. Aucun
acteur évangélique américain ne semble jouer le rôle d’articulateur entre les différents courants
du milieu en France. Au contraire, les églises françaises sont très méfiantes de l’étiquette
américaine. De même on ne retrouve aucune corrélation entre l’intensité des liens avec des
Américains et l’apparition de traits typiquement américains dans les églises françaises.
L’individualisme, l’activisme, l’enthousiasme émotionnel, l’optimisme et le fondamentalisme ne
semblent pas davantage caractériser les églises françaises ayant des liens aux États-Unis que
les églises françaises n’ayant pas de liens aux États-Unis.
Par exemple, les baptistes
indépendants en France ont tendance à se distancier de certains traits des églises
fondamentalistes américaines, malgré de nombreux liens d’affinité avec ces dernières.
La troisième partie de la thèse est consacrée aux influences indirectes des Américains sur les
évangéliques français, c’est à dire l’influence qui ne passe pas par des relations
interpersonnelles.
Nous examinons en particulier la musique de culte et l’édition de livres
chrétiens en France. Dans les deux cas, l’empreinte américaine est très forte. Plus de 24%
des cantiques répertoriés dans les principaux recueils évangéliques français ainsi que 44% des
livres publiés par des éditeurs évangéliques français viennent des États-Unis. Dans les cultes
que nous avons observés, un cantique sur trois était une traduction d’un cantique américain.
Force est de constater que les évangéliques américains produisent énormément de musique et
de littérature de qualité facilement accessible aujourd’hui en France par le biais de l’internet.
Il faut pourtant relativiser l’importance de l’influence américaine représentée par cette
importante quantité de livres et de musique.
Par exemple, en ce qui concerne la fréquence
d’évocation de différents thèmes théologiques, il n’y a aucune différence significative entre les
cantiques américains et les autres cantiques que nous avons entendus lors des cultes. On
retrouve aussi de nombreux exemples où les traducteurs français des cantiques américains ont
adapté les paroles pour l’usage en France. De même, les pasteurs français interviewés sur
leurs choix de lecture citaient plus d’auteurs français qu’américains.
Les auteurs français
n’imitent pas les traits les plus saillants de la littérature évangélique américaine : le ciblage du
lectorat, l’autopromotion de l’auteur, et la Christian fiction. On observe une popularisation des
expressions en anglais dans les églises, particulièrement dans les activités de jeunesse. Mais
ceci semble être plus le résultat de l’influence de la culture populaire américaine que des
évangéliques américains.
La troisième partie de la thèse est aussi l’occasion d’examiner les différents domaines où
l’influence évangélique américaine est particulièrement limitée en France.
On commence par
l’organisation administrative de l’église, plus hiérarchique et entrepreneuriale aux États-Unis,
plus associative en France.
Contrairement aux États-Unis, en France les évangéliques ne
constituent pas un électorat à contours bien définis.
Les tentatives de formuler des
revendications politiques par le biais d’un parti politique évangélique ou un lobby évangélique
n’ont pas pour l’heure connu un grand succès en France.
Les évangéliques américains
prennent souvent une position ferme contre toute consommation de l’alcool, alors qu’en France,
le sujet n’est pas d’actualité.
De même, les évangéliques français s’opposent à la fête
d’Halloween alors qu’elle est fêtée, ou au moins tolérée par la majorité des évangéliques
américains. Nous examinons les facteurs sociaux en France et aux États-Unis qui peuvent
expliquer ces différences.
La conclusion générale est l’occasion d’inscrire notre thèse dans une problématique plus large
des effets de la mondialisation sur le religieux. Il ressort de notre travail que par leur nombre
important, les évangéliques américains exercent effectivement une certaine influence en
France. Les évangéliques français sont régulièrement confrontés au fait qu’ils font partie d’un
mouvement à dimensions mondiales. En revanche, nous n’assistons pas à la domination d’un
groupe sur un autre. Il s’agit plutôt d’un phénomène de « glocalisation », où les dimensions
locales et mondiales se recoupent. Le plus souvent, lorsque les églises françaises établissent
des liens avec des Américains, elles le font en fonction de leurs propres besoins dans le champ
social français. Ainsi les évangéliques français ne sont pas de simples récepteurs d’influence,
mais des acteurs sociaux à part entière.