MARQUES, DESSINS ET MODÈLES

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MARQUES, DESSINS ET MODÈLES
OFFICE DE L’HARMONISATION DANS LE MARCHÉ INTÉRIEUR
(MARQUES, DESSINS ET MODÈLES)
Les Chambres de recours
DÉCISION
de la Première Chambre de Recours
du 8 août 2006
Dans l’affaire R 878/2005-1
STUDIO PEYO S.A.
36, chemin Frank-Thonas
CH-1208 Genève
Suisse
Demanderesse / Requérante
représentée par LAWFORT, Woluwedal, 20, B-1932 Sint-Stevens-Woluwe, Belgique
contre
RUFFO S.p.A.
Via del Tiglio, 195
I-56030 Calcinaia
Italie
Opposante / Défenderesse
représentée par STUDIO LEGALE AVV. LAURA TURINI, Piazza S. Giovanni, 8, I56038 Ponsacco, Italie
RECOURS concernant la procédure d’opposition n° B 558 454 (demande de marque
communautaire n° 2 467 538)
LA PREMIÈRE CHAMBRE DE RECOURS
composée de Th. Margellos (Président), C. Rusconi (Rapporteur) et Ph. von Kapff
(Membre)
Greffier: E. Gastinel
rend la présente
Langue de procédure: français
DÉCISION DU 8 AOÛT 2006 – R 878/2005-1 – PUFFO / RUFFO
2
Décision
Résumé des faits
1
Par demande n° 2 467 538 du 19 novembre 2001, publiée le 19 août 2002, Studio
Peyo S.A. ( ci-après « la demanderesse ») a sollicité l’enregistrement du mot
PUFFO
comme marque communautaire de type verbal pour distinguer les produits
suivants (ci-après, « les produits contestés ») :
Classe 25 – Vêtements pour bébés: sous-vêtements, vêtements de nuit, manteaux, chaussures,
chaussures de sport et autres vêtements de jour; chapeaux, casquettes, écharpes, foulards, cachenez, gants, moufles; ceintures; chaussettes et bas; vêtements pour enfants: sous-vêtements,
vêtements de nuit, manteaux, chaussures, chaussures de sport et autres vêtements de jour;
chapeaux, casquettes, écharpes, foulards, cache-nez, gants, moufles; ceintures, pochettes à fixer à
la ceinture, bretelle, bandeau; chaussettes et bas; vêtements pour adultes: sous-vêtements,
vêtements de nuit, manteaux, chapeaux, casquettes de base ball, visières; chaussures, chaussures
de sport, pantoufles, bottes; chaussettes et bas; cravates, noeuds papillon; écharpes, ceintures,
bretelles, diadème; gants, moufles; vêtements de sport et de détente; langes.
ainsi que d’autres, ne faisant pas l’objet du présent litige.
2
Ruffo S.p.A. (ci-après, « l’opposante ») a formé opposition au titre de l’article 8,
paragraphe 1, point b) du règlement (CE) n° 40/94 du Conseil du
20 décembre 1993 sur la marque communautaire (le « RMC ») (JO CE 1994 n° L
11, p. 1; JO OHMI 1/95, p. 52) sur la base de sa marque
RUFFO
Faisant, entre autres, l’objet de
a.
L’enregistrement italien déposé le 26 février 1980 sous le n° 322 969
(renouvelé en 2000) pour les produits suivants :
Classe 25 – Vêtements de dessus et de dessous tissés, à mailles et tricotés, y compris les
bottes, les souliers et les pantoufles.
b.
L’enregistrement communautaire déposé le 13 mai 1996 sous le n° 259 275
pour les produits suivants :
Classe 25 – Vêtements, chaussures, chapellerie .
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La demanderesse a répondu qu’il n’existe aucune similitude entre les marques
pouvant donner lieu à un risque de confusion, principalement parce que « Puffo »
est le nom d’un personnage de bande dessinée bien connu en Italie (son
équivalent français étant « Schtroumpf ») ; elle a également mentionné que
l’opposition est contraire à un accord de coexistence souscrit antérieurement par
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lequel les parties ont admis qu’il n’existe pas de risque de confusion entre la
marque IL PUFFO (« IL » est l’article défini masculin) et RUFFO et, de fait, ces
marques ont coexisté pacifiquement pendant 20 ans en Italie, en Suisse et au
Benelux.
4
5
Par décision n° 1916/2005 rendue le 28 mai 2005 (ci-après, la « décision
attaquée »), la Division d’Opposition, qui a pris comme seule référence la
marque communautaire antérieure – qu’elle a qualifiée de « verbale » – a fait
droit à l’opposition pour les produits contestés au motif qu’il existait un risque de
confusion de la part du public communautaire (en particulier non italophone)
étant donné que les produits sont identiques et les marques très similaires. Elle a
relevé que :
a.
Du point de vue visuel, la seule différence entre les marques est la
substitution de la lettre R par la lettre P ; or, ces lettres se
ressemblent beaucoup.
b.
Les marques se ressemblent aussi phonétiquement, car elles se composent du
même nombre de syllabes et la séquence de voyelles est la même .
c.
Sauf pour un italophone, les marques n’ont aucune signification ; dés lors,
aucune comparaison conceptuelle n’est possible.
En date du 25 juillet 2005, la demanderesse a adressé à l’Office un recours à
l’encontre de cette décision, suivi, le 26 septembre 2005, du mémoire exposant
les motifs. La révision au titre de l’article 60 bis du RMC n’a pas été accordée et
l’opposante a présenté, le 11 janvier 2006, ses observations en réponse
auxquelles la demanderesse a répliqué le 9 juin 2006.
Moyens et arguments des parties
6
La demanderesse demande l’annulation de la décision contestée et le rejet de
l’opposition au motif que la marque demandée ne prête pas à confusion avec le
droit antérieur. Elle développe deux moyens, le premier à titre principal, le
second à titre subsidiaire:
A. Violation d’un accord de coexistence conclu entre les parties :
a.
L’opposante a violé, en formant opposition, un engagement souscrit en
1998 dans le cadre d’un accord de coexistence, « à ne pas porter atteinte à
l’usage de la marque IL PUFFO » (que la demanderesse avait déposée
dans plusieurs pays européens) ;
b.
L’opposante avait admis à l’époque qu’il n’existait aucun risque de
confusion entre sa marque RUFFO et la marque IL PUFFO et que les
deux marques coexistaient pacifiquement depuis 1978 ; en fondant son
opposition sur le risque de confusion, elle se contredit donc;
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c. La Division d’Opposition a indûment fait droit à l’opposition sans
répondre à l’argument tiré de ladite coexistence ; ce faisant, elle a violé
son devoir de motivation.
B. Absence de risque de confusion :
a. Les marques sont phonétiquement différentes, vu qu’elles commencent
par des consonnes fortement caractérisées ;
b. Les produits s’adressent à des publics différents, à savoir les amateurs de
bandes dessinées dans le cas de PUFFO (« Puffo » étant l’équivalent
italien du personnage « Schtroumpf ») et les acheteurs de vêtements dans
le cas de RUFFO ; cette différence quant au public cible apparaît aussi à
la lecture des libellés des produits ; dans un cas, il s’agit de vêtements
sans précision, dans l’autre, de vêtements pour adultes, pour bébés ou
enfants ;
c. Les marques sont conceptuellement différentes pour les consommateurs
connaissant l’italien : PUFFO est le nom d’un personnage de bandes
dessinées : RUFFO n’a pas de signification ;
d. Les marques ont coexisté paisiblement pendant de longues années en
Italie et dans d’autres pays de la Communauté.
7
L’opposante demande que le recours soit rejeté. Quant à l’accord de coexistence
elle soutient qu’il n’a pas à être pris en considération dans la présente procédure,
puisqu’il n’a qu’une valeur interne entre les parties ; de toute façon, cet accord
ne concerne pas la marque PUFFO (mais les marques IL PUFFO, PUFFI et
PITUFO) ; quant au risque de confusion, elle affirme que les marques sont
presque identiques, surtout visuellement ; étant donné que les produits sont
identiques, le risque de confusion est évident.
8
La demanderesse réplique que la Chambre de recours doit prendre en
considération l’accord de coexistence - puisqu’il prouve la coexistence pacifique
des marques en conflit - et en constater la violation ; en tout cas, les marques ne
sont pas similaires ; elles se distinguent du point de vue phonétique par leur lettre
initiale ; elles se distinguent également du point de vue visuel puisque, d’une
part, la lettre initiale est différente et, d’autre part, la marque communautaire
antérieure est figurative et contient des éléments de nature à écarter toute
ressemblance avec la marque demandée ; la Division d’Opposition a du reste
commis une erreur en comparant les marques comme si toutes deux étaient
verbales, alors qu’aucune des marques antérieures n’est verbale, ce qui l’a
conduite à ignorer, dans sa comparaison, les éléments figuratifs présents dans la
marque antérieure ; la marque PUFFO est bien connue en Italie, même sans
l’article « IL » comme nom du personnage « Schtroumpf », ce qui exclut toute
confusion conceptuelle avec la marque RUFFO ; le public cible est différent :
DÉCISION DU 8 AOÛT 2006 – R 878/2005-1 – PUFFO / RUFFO
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l’acheteur de vêtements de haute couture, dans le cas de RUFFO, l’acheteur de
vêtements de fantaisie, dans le cas de PUFFO.
Motifs de la décision
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Le recours est conforme aux articles 57, 58 et 59 du RMC et à la règle 48 du
règlement (CE) n° 2868/95 de la Commission du 13 décembre 1995 portant
modalités d’application du règlement (CE) n° 40/94 du Conseil sur la marque
communautaire (le « REMC ») (JO CE 1995 n° L 303, p. 1; JO OHMI 2-3/1995,
p. 258) et est, dès lors, recevable.
10 Le recours est non fondé en ses deux moyens. Les marques présentent, en
particulier du point de vue du consommateur moyen communautaire de langue
non italienne, une ressemblance suffisante pour générer un risque de confusion
quant à l’origine commerciale des produits, qui appartiennent tous à la catégorie
des articles d’habillement, de la chapellerie et des chaussures. Les raisons sont
les suivantes.
11 Le moyen principal développé par la demanderesse est que l’opposition, que
l’opposante a fondée sur le risque de confusion, est en contradiction avec un
accord écrit par lequel l’opposante reconnaît que la marque PUFFO n’engendre
pas de risque de confusion avec la marque antérieure RUFFO et en tolère donc
l’utilisation concurrente.
12 Sans qu’il soit besoin de déterminer l’influence d’un contrat privé sur
l’appréciation du risque de confusion – où ce qui prime est la perception du
consommateur sur celle des parties – la Chambre relève que les seuls Etats
membres pour lesquels la demanderesse allègue l’absence de confusion sont
l’Italie et le Benelux. Or, le conflit ouvert par l’opposition s’étend également aux
autres Etats membres de la Communauté puisque le droit antérieur est une
marque communautaire. Cela veut dire que, du point de vue de l’opposante, la
marque PUFFO peut produire un risque de confusion avec sa marque RUFFO en
Allemagne, Suède, Royaume-Uni, Espagne, France, etc. Pour cette raison, la
Chambre estime que l’argument tiré de l’accord de coexistence ne peut servir à
résoudre le conflit dans ces Etats membres. Il faut rappeler au demeurant que
l’existence d’un risque de confusion dans une partie du territoire communautaire
est suffisante pour justifier le rejet de la marque demandée.
13 Le moyen subsidiaire, tiré de l’absence de risque de confusion, est également
infondé. La demanderesse nie que les produits soient identiques ou, à tout le
moins, similaires. Mais l’unique différence entre les libellés des deux marques
est que l’un est rédigé en des termes généraux, l’autre de manière détaillée. Il
suffit de lire le libellé détaillé (celui de la demande de marque) pour se rendre
compte que tous les articles mentionnés rentrent sans exception dans le libellé
général de la marque communautaire antérieure. Il existe donc une coïncidence
parfaite entre les deux. Cela signifie que le public ciblé est le même. La
demanderesse affirme le contraire, arguant que la marque RUFFO est utilisée
pour des produits de haute gamme, alors que PUFFO fait l’objet d’opérations de
licences pour des articles de qualité plus courante. Mais cette distinction ne se
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reflète pas dans les libellés des deux marques, qui sont la référence obligée pour
apprécier la similarité des produits.
14 Ce public, le même pour les deux marques, est donc l’acheteur communautaire
moyen de vêtements, chaussures et chapellerie. C’est par rapport à ce
consommateur-type qu’il y a lieu d’apprécier la similitude des marques et, en
conséquence, le risque de confusion.
15 La demanderesse affirme que les marques sont suffisamment différentes, tant du
point de vue visuel, phonétique et conceptuel, pour que l’on puisse exclure tout
risque de confusion. La Chambre ne partage pas cet avis. Les deux marques
présentent, dans l’ensemble, davantage de points communs que de différences, ce
qui, joint à l’identité des produits, est de nature à générer, pour la plupart des
consommateurs communautaires, un risque de confusion.
16 Concernant l’aspect visuel, la Chambre ne partage pas l’avis que la Division
d’Opposition a commis une erreur en qualifiant la marque antérieure de
« verbale ». L’affirmation de la demanderesse, selon laquelle aucune des
marques antérieures n’est verbale, est manifestement erronée. L’enregistrement
communautaire nº 259 275 concerne, justement, la marque verbale RUFFO. Il
s’ensuit que l’analyse faite par la Division d’Opposition est correcte et la
Chambre la reprend à son compte. Le degré de ressemblance visuelle entre les
deux marques est, par conséquent, très élevé, étant donné la forte ressemblance
entre les mots PUFFO et RUFFO.
17 Concernant l’aspect phonétique, il faut tenir compte du fait que les marques ont
la même séquence vocalique, sont toutes deux bi-syllabiques et portent l’accent
tonique sur la même syllabe (la première ou la seconde, selon la langue utilisée).
Evidemment, la lettre d’attaque est différente mais la Chambre doute que cela
modifie radicalement l’impression sonore produite par les deux dénominations.
Les sons communs sont plus nombreux que les sons différents. Globalement,
donc, la ressemblance phonétique est marquée.
18 La demanderesse développe de longues argumentations pour démontrer que les
marques ont un contenu conceptuel différent. Mais ces affirmations ne
concernent que ceux d’entre les consommateurs communautaires qui
reconnaissent PUFFO comme le nom d’un personnage de bande dessinée (que le
public français connaît sous le nom de « Schtroumpf »), à savoir les italiens. Ce
n’est donc qu’en Italie que l’argument de la demanderesse a un quelconque
fondement (ce qui explique, probablement, sa coexistence paisible avec la
marque RUFFO). Or, comme il a été dit, il faut aussi considérer le territoire des
Etats membres dans lesquels le mot PUFFO n’a aucune signification pour le
public : l’Allemagne, le Royaume-Uni, la France, l’Espagne, pour ne citer que
quelques-uns d’entre eux. La demanderesse n’a pu démontrer que le
consommateur de ces pays parviendrait à distinguer les dénominations PUFFO et
RUFFO sur la base de leur signification. Par conséquent, une comparaison
conceptuelle ne peut donner aucun résultat satisfaisant dans la majeure partie du
territoire communautaire.
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19 La conclusion qui s’impose donc est que la marque demandée est similaire
visuellement et phonétiquement à la marque communautaire antérieure et,
puisque les deux distinguent les mêmes produits et s’adressent donc au même
public, ce dernier peut être amené à les confondre.
20 Pour ces raisons, la décision contestée doit être confirmée.
Frais
21 La demanderesse, en tant que partie perdante, devra supporter, au terme de
l’article 81, paragraphes 1 et 6, du RMC, les frais de représentation
professionnelle de l’opposante dans la procédure de recours, que la Chambre
établit à 550 euros (Règle 94, paragraphe 7, point d) du REMC). En ce qui
concerne la procédure d’opposition, la Division d’Opposition avait décidé que la
demanderesse supporterait les frais de l’opposante. En l’absence de mesures
transitoires, la Chambre considère approprié de fixer les coûts de cette procédure
à la charge de la demanderesse, à 350 euros pour la taxe et 250 euros pour les
frais de représentation professionnelle, ceux-ci étant les montants en vigueur à la
date de la décision contestée.
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Dispositif
Par ces motifs
LA CHAMBRE
1.
2.
Rejette le recours.
Dit que la demanderesse supportera les frais de représentation de
l’opposante à concurrence de 550 euros quant à la procédure de recours
et fixe à 600 euros la somme que la demanderesse devra supporter à
titre des frais et taxe de l’opposante dans la procédure d’opposition.
Th. Margellos
C. Rusconi
Greffier:
E. Gastinel
DÉCISION DU 8 AOÛT 2006 – R 878/2005-1 – PUFFO / RUFFO
Ph. von Kapff