LA PAIX DE L`ÂME

Transcription

LA PAIX DE L`ÂME
LA PAIX
DE L’ÂME
Les corps éternels
chez Lucrèce
Marcel Sylvestre
Marcel Sylvestre
Marcel Sylvestre
« Songe bien surtout que ce monde est l’ouvrage de la nature,
que d’eux-mêmes, spontanément, par le seul hasard des
rencontres, les atomes, après mille mouvements désordonnés
et tant de jonctions inutiles, ont réussi à former les unions
qui, aussitôt accomplies, devaient engendrer ces merveilles : la
terre, la mer, le ciel et les espèces vivantes. » – Lucrèce
LA PAIX DE L’ÂME
Les corps éternels chez Lucrèce
Athées, matérialistes, agnostiques, sceptiques et libres
penseurs, nous sommes des milliers à vivre et à penser
sans Dieu, à privilégier une morale dérivée de notre
connaissance de la nature et des passions humaines.
Dans le débat mettant en jeu le principe de laïcité, le
texte admirable de Lucrèce, De la nature des choses,
permet de se ressourcer. Le présent ouvrage explore cette
voix qui mène vers la sérénité, d’autant que la physique
moderne a conforté une intuition philosophique vieille de
Maintenant, prête attention
à la vraie doctrine
Une découverte inouïe
va frapper ton oreille
Lucrèce
ISBN 978-2-7637-9019-0
Marcel Sylvestre a enseigné la philosophie
pendant trente-cinq ans au cégep de Joliette. Passionné
par l’histoire des sciences, il se soucie, parfois avec
humour, de rendre le savoir philosophique accessible.
Esprit rebelle, il ne s’est jamais gêné pour contester les
règles avec lesquelles il était en désaccord.
Photographie de la couverture :
Natalie Battershill, Les Queules
du Mont Beuvray - Bibracte,
Bourgogne, France, 2006.
LA PAIX DE L’ÂME
deux mille ans.
Maintenant, prête attention à la vraie doctrine
Une découverte inouïe va frapper ton oreille
Lucrèce
La paix de l’âme
Les corps éternels chez Lucrèce
Marcel Sylvestre
La paix de l’âme
Les corps éternels chez Lucrèce
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ISBN 978-2-7637-9019-0
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Table des matières
REMERCIEMENTS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . XI
INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1
CANTATE I
Nous sommes de la poussière d’étoiles . . . . . . . . . . 9
Des dieux indifférents au sort des hommes . . . . . . 11
Les atomes sont l’alphabet de la Nature . . . . . . . . 14
Langage et secrets de la Nature . . . . . . . . . . . . . . . 16
Les anciens principes de la réalité . . . . . . . . . . . . . 20
L’idée de Néant d’hier à aujourd’hui . . . . . . . . . . . 21
Le vide et la physique contemporaine . . . . . . . . . . 22
CANTATE II
Vanité et pluralité des mondes . . . . . . . . . . . . . . . . 27
Inanité des choses et vanité des hommes . . . . . . . . 29
Une Nature imparfaite et insouciante . . . . . . . . . . 30
Atomes et qualités sensibles . . . . . . . . . . . . . . . . . 32
Des atomes insensibles créent vie et sentiment . . . 35
Une multitude de mondes semblables au nôtre . . . 38
VII
La paix de l’âme • Les corps éternels chez Lucrèce
CANTATE III
L’âme et la mort . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41
La matérialité de l’âme et de l’esprit . . . . . . . . . . . . 43
L’arôme de l’âme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45
Avant notre naissance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 48
L’âme malade . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49
L’âme dépendante du corps . . . . . . . . . . . . . . . . . . 50
Ni incarnation ni réincarnation . . . . . . . . . . . . . . . 51
L’âme mortelle et le suicide . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 56
L’inutile crainte de la mort . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 61
CANTATE IV
Simulacres du réel ou réalité des apparences . . . . 63
Atomes et simulacres . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 65
Les qualités sensibles chez Lucrèce . . . . . . . . . . . . 67
La science et la vie quotidienne . . . . . . . . . . . . . . . 70
Les simulacres de l’amour . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 73
CANTATE V
L’Homme : un produit du hasard . . . . . . . . . . . . . . . 79
Le destin de l’Univers et de l’Homme . . . . . . . . . . 81
L’intuition de l’évolution . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 85
Les petites méprises de Lucrèce . . . . . . . . . . . . . . . . 88
Une pensée contemporaine . . . . . . . . . . . . . . . . . . 89
CANTATE VI
La sagesse d’une Nature sans Dieu . . . . . . . . . . . . . 95
ÉPILOGUE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 103
BIBLIOGRAPHIE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 117
VIII
Richard Feynman, le grand physicien de Caltech,
fit observer un jour que si l’on devait réduire
l’histoire scientifique à une seule affirmation
fondamentale, ce serait : « Tout est formé d’atomes. » Ils sont partout et constituent toute chose.
Regardez autour de vous : tout n’est qu’atomes.
Pas seulement les choses solides comme les murs,
les tables ou les canapés, mais l’air qui les sépare.
Et ce, en une quantité que vous ne pouvez absolument pas vous représenter.
Bill BRYSON, Une histoire de tout, ou
presque…, Éditions Payot et Rivages,
Paris, 2007, p. 167.
REMERCIEMENTS
J
e tiens à remercier André Baril, Natalie
Battershill, Mira Cliche et Florian Péloquin
pour la critique du manuscrit. Leurs judicieux
conseils m’ont grandement aidé à rendre davantage
accessible la pensée du poète et philosophe que fut
Lucrèce. Je remercie finalement Monsieur Denis
Dion d’avoir rendu possible la publication du présent
ouvrage.
XI
V
INTRODUCTION
oilà plus de deux mille ans, un homme d’une
pensée lumineuse, influencé par une doctrine jugée blasphématoire par toutes les
religions, composait une œuvre unique, De la nature
des choses. Son auteur, Lucrèce, est né vers 98 avant
Jésus-Christ dans une famille riche ayant produit
plusieurs magistrats. Il était l’ami de célébrités comme
Cicéron et Catulle1. Sa mort étant survenue quelque
40 ans plus tard, une rumeur voudrait qu’il se soit
suicidé. Sa philosophie atomiste, pour laquelle
l’homme n’est qu’un produit éphémère de l’organisation de la matière, l’aurait conduit au désespoir et au
suicide, dans une Rome étouffée par les guerres civiles
à répétition, les violences et la corruption2.
Lucrèce reprend pour l’essentiel la pensée des
philosophes Démocrite (460-370 av. J.-C.) et Épicure
(341-270 av. J.-C.). Pour ces penseurs, l’air subtil
que nous respirons, le massif des montagnes, l’herbe
frêle dressée devant la foulée des bovidés, notre corps
physique soumis à des élans passionnels, notre âme
1. Georges MINOIS, Histoire du mal de vivre, Éditions de la
Martinière, Paris, 2003, p. 24.
2. Georges MINOIS, Histoire du mal de vivre, Éditions de la
Martinière, Paris, 2003, p. 23-24.
1
La paix de l’âme • Les corps éternels chez Lucrèce
et notre esprit, tout dans la Nature s’écrit avec l’alphabet des réalités invisibles que sont les atomes.
Ceux-ci constituent les lettres avec lesquelles la
Nature peint son histoire et la nôtre.
Contredisant l’adage voulant que le siècle naissant sera religieux ou ne sera pas, je désire montrer
l’ascendant de la laïcité sur le religieux, du matérialisme sur le spiritualisme. En d’autres termes, doit
prévaloir le caractère profane de la Nature sur sa
prétendue sacralité, doit primer notre liberté à l’égard
des religions plutôt que l’égarement de notre liberté
par les religions. Il s’agit ici d’inverser notre réflexion,
de modifier notre regard. Au moment où la presse
écrite souligne l’impossible laïcité de l’État au
Québec3, que la culture des droits et libertés semble
se retourner contre la société québécoise4, que l’égalité homme-femme essuie un camouflet de la part des
accommodements religieux5, que tout voile islamique
porte en lui la négation des femmes6, je fais le pari
que l’ouvrage de Lucrèce peut libérer les sociétés de
leur attachement envers la suprématie de Dieu, peu
importe d’ailleurs les noms qu’on accole à ce dernier.
Dans le débat mettant en jeu le principe de laïcité et
les valeurs religieuses, l’ouvrage De la nature des choses
nous indique la route qu’il nous faut emprunter,
maintenant que la physique moderne a conforté une
intuition philosophique vieille de deux millénaires.
3. Robert DUTRISAC, « L’impossible laïcité de l’État au Québec »,
Le Devoir, les samedi 27 et dimanche 28 février 2010.
4. Mathieu BOCK-CÔTÉ, « Tolérer l’intolérable », La Presse, mercredi 3 mars 2010.
5. Joëlle QUÉRIN et Véronique LAUZON, « Le retour des accommodements », Le Devoir, vendredi 9 octobre 2009.
6. Djemila BENHABIB, « Peuple québécois, puis-je compter sur ta
solidarité ? », Le Devoir, les samedi 13 et dimanche 14 mars 2010.
2
Introduction
Les six livres composant De la nature des choses
nous révèlent que l’on peut expliquer totalement
l’histoire de l’Univers, de la vie et de l’Homme par
les atomes. Ils nous démontrent que la mort éternelle
attend l’animé comme l’inanimé et que ce que nous
prenons pour la réalité n’est au fond qu’un décor où
simulacres et illusions se jouent souvent de nous. Voilà
des vérités fondamentales qui irradient l’esprit des
hommes libres.
Athées, matérialistes, agnostiques, sceptiques et
libres-penseurs, nous sommes des milliers à vivre et
à penser sans Dieu, à privilégier une morale dérivée
de la connaissance de la Nature plutôt que celle des
rapporteurs officiels de voix célestes.
Déjà, au début du XXe siècle, le docteur Albert
Laurendeau (1857-1920) décrivait le De la nature des
choses comme « un poème didactique inimitable par
l’ampleur du sujet, la profondeur des idées, la beauté
des images et la vigueur du style7 ». Cent ans plus
tard, l’œuvre de Lucrèce me semble tout indiquée
pour permettre l’intégration harmonieuse de cultures
diverses.
Dans De la nature des choses, l’écriture se couvre
de fringues esthétiques, de tournures propres à cambrer l’émotion. Mais Lucrèce ne se limite pas à exprimer des affects ou des états d’âme. Son style distille
en nous une musique intérieure dont les notes charnelles séduisent l’esprit par sa rigueur et son goût de
la vérité. Et puisque la musique comme la vie com7. Albert LAURENDEAU, La vie – Considérations biologiques,
Présentation de Marcel Sylvestre, Les Presses de l’Université Laval,
Québec, 2009, p. 70.
3
La paix de l’âme • Les corps éternels chez Lucrèce
mencent et finissent avec le néant8, l’ouvrage De la
nature des choses apaise la crainte de la mort et celle
des dieux, craintes qui assombrissent trop souvent la
beauté de nos existences. La quiétude de la philosophie atomiste touche l’intime de notre être en expulsant le besoin de Dieu. De même que le silence du
néant donne valeur à l’irruption de la musique, ainsi
le silence attend la partition de chaque vie.
En reconnaissant que le sort dévolu aux humains
ne diffère en rien de celui de tous les autres vivants
issus comme nous de la Nature, l’acceptation du
sommeil éternel qui attend notre être s’avère maintenant possible. L’ouverture à la connaissance, à cette
sagesse que procure le savoir, à cette morale issue des
sciences et qui englobe la Nature entière, nous met
en diapason avec celle-ci. Lorsque nous refusons cette
réflexion qu’engendre le miroir de la Nature, nous
demeurons prisonniers de nos affects, de nos vouloirs,
de nos désirs. Nous oublions alors que ce que nous
voulons de la Nature ne peut être confondu avec ce
qu’elle est.
Regardons d’un peu plus près cette conception
rationnelle de la Nature que Lucrèce nous a léguée.
L’atomisme que prône Lucrèce ramène tout ce
qui existe à une seule substance, l’atome. Cette
conception athée et moniste de la réalité s’oppose
radicalement aux conceptions spiritualistes et dualistes des religions ; elle les menace dans leur essence
même et constitue le blasphème par excellence, car
l’atome exprime l’impossibilité de la décomposition
8. Daniel BARENBOIM, La musique éveille le temps, Librairie
Arthème Fayard, Paris, 2008, p. 15.
4
Introduction
à l’infini, l’unité qui ne peut plus être divisée, l’Être
fondamental qui explique toutes les réalités. Cet Être
sans commencement, éternel, insécable et inaltérable
n’envie rien aux dieux des religions puisqu’il leur est
antérieur. L’atomisme se veut un discours exprimant
ce qu’est vraiment la Nature, une physique donc, mais
aussi une métaphysique puisqu’il prétend décrire ce
qu’est la réalité en elle-même. Cette Nature englobe
toutes les réalités, les inertes comme les vivantes, les
conscientes d’elles-mêmes comme celles qui ne le sont
pas, les pensantes comme celles qui ne peuvent être
que pensées. Contrairement à ceux qui considèrent
le Néant comme incompatible avec l’Être, les ato­
mistes font cohabiter ce dernier avec le vide puisque
le mouvement des atomes le requiert. L’aphorisme
d’Aristote « La nature a horreur du vide » se voit ici
réfuté. Par contre, l’adage de Lavoisier « Rien ne se
perd, rien ne se crée » se voit confirmé.
De la nature des choses, qui fait la part belle à
l’athéisme, a pourtant traversé des siècles de chrétienté. Plus étonnant encore, des moines médiévaux
ont sans doute recopié avec soin le manuscrit, davantage fascinés par l’écriture poétique du philosophe
que par la thèse matérialiste qu’il défend. Car, avec
les atomes indestructibles et insécables fondant toute
la réalité, englobant tout ce qui existe, Lucrèce entend
bien libérer l’Homme des chaînes de la religion et de
la crainte de la mort.
La Nature ainsi décrite ne peut plus avoir de
Créateur qui l’aurait tirée du Néant. Dès lors, la
connaissance de l’origine de la Nature et de ses
­transformations nous évite un questionnement stérile
sur les intentions spirituelles d’un quelconque démiurge.
5
La paix de l’âme • Les corps éternels chez Lucrèce
La question de la finalité des choses se voit ainsi évacuée du discours savant. En ce sens encore, la poésie
et la science de Lucrèce rejoignent le discours actuel
de la science. Pour nous aussi, des atomes forment la
structure des réalités qui nous entourent et aucun
savant ne peut induire une quelconque finalité au
mouvement organisé de ces particules à moins de quitter le cadre de la science et de se compromettre avec
celui de la religion ou des sciences occultes.
On peut se représenter le poème philosophique
de Lucrèce comme la méditation d’une MarieMadeleine sur la finalité des choses9. Le crâne qu’elle
tient dans sa main interroge le but de l’existence, le
sens de la vie humaine comme celui de toute réalité.
De la nature des choses nous propose de regarder la mort
non plus avec effroi, mais avec sérénité. Notre finitude
devient le simple retour au rien que nous fûmes avant
notre naissance.
Dans cet essai, je fais une lecture libre des six
chapitres composant De la nature des choses tout en
intercalant de nombreuses citations tirées de l’œuvre
de Lucrèce. Ces dernières permettront au lecteur
d’apprécier chacun des six chants livresques et de
pénétrer dans une vision du monde susceptible de
chambouler celle qu’il affectionnait jusque-là. Mais
ce trouble risque de lui être salutaire s’il ouvre son
esprit à l’illumination que ne pourra manquer de
provoquer la pensée de Lucrèce.
9. Page suivante : Sainte Madeleine méditant sur les fins dernières, peinture
attribuée à Benedetto LUTI, 4e quart XVIIe siècle. Photo de Natalie
Battershill, Bourg-en-Bresse, musée de Brou, France, 2006.
6
CANTATE I
Nous sommes de la poussière d’étoiles
Nous sommes les enfants du hasard, après quoi,
nous serons comme si nous n’avions pas été.
LA BIBLE TOB, Le livre de la Sagesse, p. 1255.
L’observation systématique du monde naturel
et la réflexion disciplinée qu’on peut faire sur
cette observation montrent à l’athée que le
hasard est la cause fondamentale, essentielle,
de toute chose en tout temps et partout, que cette
vérité est confirmée chaque fois qu’on se donne
la peine de la tester. L’athée est donc forcément
un philosophe du hasard.
Claude M. J. BRAUN, Québec athée, p. 42-43.
9
D
Des dieux indifférents au sort des hommes
ès le début du premier livre, Lucrèce
demeure fidèle à la culture de son temps
en mentionnant la déesse Vénus. Or, s’il
n’existe que de la matière constituée d’atomes indestructibles, la référence à une déesse créatrice de toutes
les espèces vivantes ne peut apparaître que déroutante. Ainsi, en insinuant qu’il revient à Vénus de
susciter le désir sexuel en vue de la perpétuation des
espèces, Lucrèce se garde de heurter trop violemment
l’attachement de ses concitoyens envers l’existence
des divinités. Cette déesse de l’amour, beaucoup plus
séduisante que les dieux paternalistes des religions
monothéistes, a peut-être envoûté le dieu Mars de ses
charmes. Mais, nous dit Lucrèce, les dieux n’ont pas
créé les principes premiers de la matière que sont les
atomes éternels. Et ce sont eux qui excitent en nous
le goût du sucré, la perception des couleurs ou le
plaisir charnel. La référence aux divinités ne trahit
pourtant pas, chez Lucrèce, la nécessité de recourir
à leurs actions pour expliquer nos existences particulières, pas plus que la réalité dans son ensemble.
En cela, il reprend la pensée d’Épicure, pour qui les
dieux sont insensibles à notre existence.
Il ne faut pas croire que les phénomènes célestes,
les mouvements, les changements de direction, les
­solstices, les éclipses, les levers, les couchers et
11
La paix de l’âme • Les corps éternels chez Lucrèce
toutes les choses du même genre se produisent sous
le gouvernement d’un être qui les règle ou doive
­intervenir un jour, s’il le faut, pour les régler, et à
qui on attribue en même temps la béatitude et
l’immor­talité10.
Cantonnés dans un monde à part, insouciants
du sort des hommes et des choses, les dieux se voient
réduits à des étrangers qui nous sont toutefois familiers
par les passions qu’ils partagent avec nous.
Lucrèce nous met en garde contre cette prédisposition des humains à croire que les phénomènes de
la Nature sont causés par l’action de divinités et que
leur existence est nécessaire au fonctionnement
ordonné de l’Univers. Ces croyances religieuses lui
paraissent des chaînes qu’il faut briser afin d’échapper
à la honte de la servilité. À cet égard, Lucrèce parle
d’un temps où les hommes se compromettaient avec
les fables divines des religions :
Au temps où, spectacle honteux, la vie humaine
traînait à terre les chaînes d’une religion qui, des
régions du ciel, montrait sa tête aux mortels et les
effrayait de son horrible aspect11.
Ce temps qu’il dénonce, Lucrèce sait pourtant
qu’il caractérise son époque. Et il serait certes malheureux de constater qu’il dépeint aussi le nôtre. Pour
Lucrèce, les doctrines impies ne sont donc pas celles
qui enseignent l’éternité de l’univers matériel auquel
se trouve associé l’éphémère des existences individuelles. Elles sont plutôt le fruit des superstitions
10.ÉPICURE, Lettres et maximes, Éditions Nathan, Collection Librio
# 363, Paris, 2003, p. 40.
11.LUCRÈCE, De la nature, Éditions GF-Flammarion, Paris, 1964,
p. 20.
12
Cantate I • Nous sommes de la poussière d’étoiles
engendrées par les religions. Ces croyances ne peuvent subsister que par l’ignorance dans laquelle les
humains se complaisent au regard de la Nature :
Le principe qui nous servira de point de départ,
c’est que rien ne peut être engendré de rien par
l’effet d’une puissance divine12.
Les choses se font donc et se défont sans l’intervention des dieux. La preuve en est, selon Lucrèce,
que si les dieux s’amusaient par leurs gestes et par
leurs paroles à produire à leur gré les choses que nous
observons, il serait possible de faire l’expérience de
roses fleurissant à l’automne ou de chevaux s’élançant
dans l’air tels des oiseaux. N’importe quoi pourrait
produire n’importe quoi. Comme rien de cela n’arrive,
il est clair que les propriétés distinctes de chaque
corps expliquent le comportement de la Nature.
Pour Lucrèce, les seuls êtres dotés d’éternité ne
sont pas les dieux mais les atomes par lesquels la
Nature forme les réalités que nous observons. Les
atomes, ces réalités tellement petites qu’elles ne peuvent plus être divisées, constituent toute la matière
existante de même que toute la matière vivante. Par
ailleurs, tous les corps sont condamnés au chaos, au
désordre, à ce que nous appelons aujourd’hui l’entropie. « Ainsi nul corps ne retourne au néant, mais tous
retournent, après leur dissolution, aux éléments de
la matière13. » La formule « Tu es poussière et tu retourneras en poussière » vaut également pour l’âme. Elle
succombe comme le corps aux assauts du temps.
12.De la nature, p. 22.
13.De la nature, p. 25.
13
La paix de l’âme • Les corps éternels chez Lucrèce
Une analyse attentive des mythes et des religions
nous a permis de constater combien l’esprit humain
tend à projeter sur les choses ses constructions intellectuelles et affectives et à les identifier comme des
réalités indépendantes des structures mentales qui
leur ont donné naissance. Reconnaissons donc que
les divinités ne précèdent pas les vertus ou les vices
qu’on leur attribue. Ce sont plutôt les aspirations et
les séductions qu’éprouvent les humains qui leur
donnent forme et existence.
Les atomes sont l’alphabet de la Nature
Pour Lucrèce, toutes les réalités sont composées
d’atomes. Le différent n’est dissemblable que par une
combinaison autre des mêmes éléments fondamentaux. Cette conception moniste du réel fait dépendre
toute existence d’une seule entité. Chez Lucrèce, les
atomes constituent la chair de toute chose et préfigurent le discours du physicien moderne qui, semblable
à lui, se laisse parfois séduire par la beauté des
constructions de la Nature.
Il importe donc de considérer, non seulement la
nature des éléments, mais encore leurs mélanges ;
les positions respectives qu’ils prennent, leurs
mouvements réciproques. Les mêmes, en effet, qui
forment le ciel, la mer, les terres, les fleuves, le
soleil, forment aussi les moissons, les arbres, les
êtres vivants : mais les mélanges, l’ordre des combinaisons, les mouvements, voilà ce qui diffère14.
14.De la nature, p. 40.
14
Cantate I • Nous sommes de la poussière d’étoiles
Lucrèce assure que nous sommes faits du même
tissu que l’Univers. Seule l’organisation diffère. Il
l’illustre par une analogie montrant qu’il en va des
choses comme des mots. Avec un alphabet limité, il
est possible de former des millions de mots. Ainsi en
est-il pour les atomes :
Réfléchis ; dans nos vers même tu vois nombre de
lettres communes à nombre de mots, et cependant
ces vers, ces mots, est-ce qu’ils ne sont pas différents par le sens et par le son ? Tel est le pouvoir
des lettres quand seulement l’ordre est changé !
Mais les principes du monde apportent incomparablement plus d’éléments à la création des êtres
et à leur variété infinie15.
Semblables à l’agglutinement des atomes matériels responsables de la création des réalités qui nous
entourent, les lettres symbolisent les atomes nécessaires à la construction des mots et leurs différentes
combinaisons produisent les discours par lesquels
nous construisons le monde.
Ce parallèle entre le langage et le réel n’aura de
cesse d’interpeller l’esprit humain. Deux mille ans
après Lucrèce, on se questionne encore sur la correspondance entre la verbalisation du monde et le monde
réel ou si les mots ont quelque vertu permettant de
soumettre le réel aux volontés et aux désirs des
hommes.
15.De la nature, p. 40.
15
La paix de l’âme • Les corps éternels chez Lucrèce
Langage et secrets de la Nature
On ne peut toutefois pas réduire la philosophie
poétique de Lucrèce à une simple réflexion sur le
langage. Elle vise davantage à rendre compte de la
véritable nature des choses, de la réalité telle qu’elle
est en dehors des représentations que nous pouvons
en faire. La poésie de Lucrèce ne se résume pas à
jouer avec les mots et à produire des émotions esthétiques par de belles formules : « C’est que, tout
d’abord, grandes sont les leçons que je donne : je
travaille à dégager l’esprit humain des liens étroits de
la superstition16. » S’il use de la poésie, ce n’est pas
pour amuser le public, pour le divertir, mais bien pour
lui faire avaler l’amère potion du discours rationnel
rigoureux qu’il entend lui tenir.
Les médecins, quand ils veulent faire prendre aux
enfants l’absinthe amère, commencent par dorer
d’un miel blond et sucré les bords de la coupe : ainsi,
le jeune âge imprévoyant, ses lèvres trompées par
la douceur, avale en même temps l’amer breuvage
et, dupé pour son bien, recouvre force et santé17.
Mais, en quoi l’enseignement de Lucrèce est-il
à ce point amer que les gens reculent d’horreur devant
lui ? Cet effroi n’est autre que l’incapacité de regarder
la mort en face, pour ce qu’elle est : la finitude irrémédiable de chaque vie et la désespérance qu’aucune
autre vie nous attende après celle-ci. Voilà pourquoi
les hommes succombent aux charmes hypnotiques
des textes sacrés qui leur épargnent l’amertume du
16.De la nature, p. 42.
17.De la nature, p. 42.
16
Cantate I • Nous sommes de la poussière d’étoiles
discours rationnel. Si les atomes forment toute chose,
les humains ne peuvent connaître d’autre éternité que
celle de leurs atomes. Ils partagent avec la Nature
tout entière un même sort puisqu’ils sont faits de la
même étoffe qu’elle. Quelle incongruité de voir des
humains s’imaginer une existence sans fin alors qu’ils
n’éprouvent aucune réticence à la dénier pour leurs
ancêtres simiesques. Et quelle singularité de croire à
la finitude de l’Univers.
Or, seule la Nature peut se prévaloir de la qualité
d’infini, selon Lucrèce : « L’univers total n’est donc
limité nulle part ; autrement, il aurait une extrémité18. » Pour illustrer son propos, il doute qu’une
bordure de l’Univers puisse faire obstacle à une flèche
ailée lancée par une main puissante. Nous pouvons
actualiser son exemple en remplaçant sa flèche par
une fusée s’élançant à l’assaut des espaces infinis et
dont le but avoué serait de nous informer des limites
de l’espace. À l’intelligence qui fixerait une borne à
la course de cette fusée, il faudrait demander ce qui
lui arrive une fois qu’elle aura atteint les limites de
l’Univers.
Il existe donc un espace, une immense étendue que
les éclairs de la foudre pourraient traverser pendant
l’éternelle durée des âges sans en atteindre le terme
et sans que la distance restant à franchir fut jamais
diminuée. Tant il est vrai que partout s’ouvre aux
choses un immense espace sans limites qui se prolonge en tous sens19.
18.De la nature, p. 43.
19.De la nature, p. 44.
17
La paix de l’âme • Les corps éternels chez Lucrèce
Ce refus d’un terme au voyage, marqué par l’arrivée en gare de l’Univers, défie l’adage voulant qu’à
tout commencement il y ait une fin, qu’il y ait un but
à toute chose, et que la Nature ne peut s’être faite
toute seule.
Aujourd’hui encore, la plupart des humains ne
reconnaissent toujours pas que la finalité des choses
est un leurre, car il leur faudrait l’admettre pour leur
propre existence. Puisque la vie humaine doit avoir
un but, ils sentent le besoin de prétendre que la
Nature poursuit le dessein d’une intelligence créatrice. De cela, Lucrèce nous enseigne qu’il n’en est
rien.
Ce n’est pas en vertu d’un dessein arrêté, et par
raison clairvoyante, que les premiers principes des
choses sont venus prendre chacun leur place. Ils
n’ont pas combiné entre eux leurs mouvements
respectifs ; mais après avoir subi maints changements de maintes sortes à travers le grand Tout,
heurtés, déplacés au cours des âges par des chocs
incessants, à force d’essayer toutes sortes de mouvements et d’assemblages divers, ils arrivent enfin
à un ordre dont notre monde est le résultat20.
La célèbre fresque de Michel-Ange (1475-1564)
illustrant la création de l’homme par Dieu ne correspond pas plus à la réalité que le Flying Spaghetti
Monster, du diplômé en physique Bobby Henderson.
Délaissons ces fables et prenons conscience que nous
sommes le fruit du hasard, que dans la multitude
d’êtres que la Nature a produits, nous aurions pu ne
jamais survenir. Notre apparition demeure aussi
20.De la nature, p. 45.
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Cantate I • Nous sommes de la poussière d’étoiles
aléatoire que celle du brontosaure ou de la
drosophile.
Semblable à Lucrèce, la science actuelle ne
reconnaît pas de centre à la Nature. De même que la
Terre n’est plus le centre du monde, que le Soleil n’est
pas au centre de notre galaxie, que la Voie lactée n’est
pas au centre de l’Univers, les humains ne sont aucunement le centre autour duquel devraient graviter les
végétaux et les animaux. Ici encore, Lucrèce nous
met en garde :
Voilà les grossières erreurs où des fous sont tombés
pour avoir soumis les faits à de faux principes. Il
ne peut y avoir de centre dans une étendue infinie,
et quand il y en aurait un, les corps n’auraient pas
plus de raisons de s’y arrêter que dans toute autre
partie de l’espace21.
Pour Lucrèce, il nous faut admettre qu’il appartient à la Nature d’orchestrer la naissance et l’organisation des êtres. Il exprime dès lors sa foi en la
capacité de la raison humaine à tenir un discours
matérialiste permettant de fonder solidement le pourquoi et le comment vivre. Le discours savant révèle
notre filiation à la Nature et prédispose à jouir de
cette vie mortelle, non pas en y ajoutant la perspective
d’une durée infinie, mais en nous libérant du désir de
l’immortalité.
Dans le rapport à la Nature, à cet Autre qui n’est
pas moi, se profile la quête de mon identité, le désir
inextinguible d’un discours atteignant l’intime des
choses. Cette soif, le philosophe roumain Cioran
21.De la nature, p. 46.
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La paix de l’âme • Les corps éternels chez Lucrèce
(1911-1995) l’a magnifiquement exprimée : « Chercher
l’être avec des mots ! – Tel est notre donquichottisme,
tel est le délire de notre entreprise essentielle22. » Cette
oscillation entre la solitude de ma différence et le désir
de ce qui m’est semblable se fige parfois dans la perdition du moi dans l’autre. Et elle s’identifie au suicide
de soi quand on se perd dans l’absolu de l’autre.
Cette froide lucidité du rasoir de la rationalité
heurte le romantisme et la vision chimérique que nous
avons des choses. Il est plus agréable de se dire que
les êtres sont soumis aux lois de l’amour et de la haine
qu’à celles de la gravitation et de l’entropie.
Les anciens principes de la réalité
Ce n’est pas un hasard si furent conservées, dans
le langage populaire, les vieilles recettes des premiers
philosophes. L’eau demeure associée au principe de
la vie, le feu à celui de l’amour, l’air à celui de l’esprit,
la terre à celui de la mère. Nous sommes plus sensibles
aux prédictions astrologiques qu’aux explications
astronomiques. Les signes du Zodiaque sont d’ailleurs
regroupés sous les quatre signes : feu, air, terre et eau.
Or, chacun de ces quatre éléments constituait le principe explicatif de l’Univers chez les premiers philosophes : l’eau pour Thalès de Milet (625-546 av.
J.-C.) ; le feu pour Héraclite (576-480 av. J.-C.) ; l’air
pour Anaximène (550-480 av. J.-C.) ; l’eau, le feu,
l’air et la terre pour Empédocle (490-435 av. J.-C.)
22.CIORAN, Cahiers 1957-1972, Éditions Gallimard, Paris, 1997,
p. 73.
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Cantate I • Nous sommes de la poussière d’étoiles
ces quatre éléments assujettis à deux forces : l’amour
qui les unit et la haine qui les dissocie.
Lucrèce s’opposait à tous ces philosophes en
prônant l’atome comme principe explicatif de la
Nature et en faisant dériver toutes les réalités de cet
élément premier. Sur le fond, sa pensée rejoint la
théorie moderne du Big Bang, cette explosion qui
donna naissance à l’Univers et qui dévoile notre origine. Toujours, le flambeau du savoir éclaire les
écueils de l’ignorance et de la superstition sur lesquels
la pensée risque de s’échouer.
L’idée de Néant d’hier à aujourd’hui
Que la Nature puisse enfermer dans son sein le
Néant, comme le propose Lucrèce, semble défier les
règles de la logique qui suggère que l’existence de
l’Être semble incompatible avec celle du Rien. La
formule « La nature a horreur du vide » d’Aristote (384322 av. J.-C.), la question « Pourquoi y a-t-il quelque
chose plutôt que rien ? » de Leibniz (1646-1716) et la
certitude parménidienne23 que s’il y a de l’être le nonêtre n’existe pas, démontrent combien l’humain
éprouve un malaise évident devant la question du
Néant.
La pensée tend à s’écrier à la manière d’Hamlet :
« To be or not to be, être ou ne pas être. » La croyance
en l’immortalité comme à celle d’un Sauveur nous
épargnant de retourner au Néant atteste de la frayeur
23.Parménide est un philosophe grec qui a vécu de 544 à 450 avant
Jésus-Christ.
21
La paix de l’âme • Les corps éternels chez Lucrèce
que cette idée lui inspire. Que la formule d’Aristote
ait prévalu pendant deux millénaires, jetant ainsi le
discrédit sur la doctrine atomiste d’un Lucrèce,
s’avère très révélatrice. Le refus du Néant comme
une composante inséparable de l’Être s’explique par
notre peur viscérale de la mort. Ne pouvant concevoir
le Néant pour sa propre vie, l’homme en nie l’existence. En affirmant que la Nature a horreur du vide,
il ne fait que projeter sur la Nature la frayeur de sa
vacuité.
En faisant cohabiter la matière et le vide afin
d’assurer le mouvement des atomes, Lucrèce demeure
ainsi audacieusement moderne. Il suggère que le vide
attend tous les vivants, qu’il s’agisse des plantes, des
animaux ou des hommes. La mort permet à d’autres
êtres d’accéder à la vie, car « ce n’est que par la mort
des uns que la Nature procure la vie aux autres24 ».
Pour Lucrèce, nous n’avons pas conscience des particules de la matière que la Nature ajoute aux êtres
en croissance, pas plus que nous ne voyons celles
qu’elle ôte aux corps vieillissants.
Le vide et la physique contemporaine
Lucrèce ne s’offusque pas que tout ce qui existe
puisse coexister avec le vide, avec le Néant. Recon­
naissant le vide comme intrinsèque aux réalités que
nous observons, Lucrèce reconnaît que le Néant qui
a précédé sa naissance l’accueillera lorsque la mort le
fauchera comme blés des champs.
24.De la nature, p. 26.
22
Cantate I • Nous sommes de la poussière d’étoiles
Toutefois, si Lucrèce admet que les corps élémentaires, les atomes, sont de matière pleine25, il en
va tout autrement pour les physiciens modernes.
Néanmoins, la plupart des gens ignorent encore que
les atomes sont essentiellement constitués de vide et
que la sensation de solidité que nous inspire le monde
autour de nous est une pure illusion. Qui, parmi nous,
considère que lorsqu’il s’assoit sur une chaise, il ne
se trouve pas réellement assis, mais qu’il lévite audessus à la hauteur d’un angström, ses électrons et
ceux de la chaise s’opposant formellement à toute
tentative d’intimité plus rapprochée26 ?
Pour le physicien moderne, comme pour
Lucrèce, les atomes représentent les briques indispensables des corps visibles et invisibles, des corps
inertes comme des vivants. Mais, contrairement à
Lucrèce, l’atome n’est plus aujourd’hui une matière
pleine puisqu’il est essentiellement constitué de vide.
Imaginons une balle de golf sur le monticule d’un
stade de baseball. La balle représente le noyau de
l’atome formé de protons et de neutrons ; le toit du
stade, les électrons tournant autour du noyau à des
vitesses folles. L’espace entre la balle et le dôme représente le vide. Si, pour Lucrèce, les corps élémentaires
que sont les atomes ne comportent point de vide, pour
les physiciens modernes, ils l’embrassent au point
presque de s’identifier à lui. Le vide s’invite à ce point
au banquet des choses.
25.De la nature, p. 32.
26.Bill BRYSON, Une histoire de tout, ou presque…, Éditions Payot et
Rivages, Paris, 2007, p. 176-177.
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