Rapport final d`évaluation des bénéfices de l`utilisation de la

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Rapport final d`évaluation des bénéfices de l`utilisation de la
Utilisation et impacts de la télépathologie au sein du RUIS Laval au Québec
Rapport déposé à Inforoute Santé du Canada
13 août 2013
Guy Paré, Julien Meyer et Marie-Claude Trudel
Chaire de recherche du Canada en TI dans le secteur de la santé
HEC Montréal
1. Mise en contexte
La télépathologie est un champ spécialisé de la télémédecine qui consiste en la pratique de la
pathologie à distance par l’entremise d’un numériseur de lames, d’un réseau de télécommunication
et d’un poste de travail pour le pathologiste consultant (INESSS 2008). Cette forme de télésanté a
plusieurs applications : l’envoi d’images d’échantillons ou de tissus histologiques à un pathologiste
permet un diagnostic rapide lors d’une intervention chirurgicale (aussi appelé examen
extemporané), l’obtention d’une seconde opinion médicale (un deuxième avis est sollicité dans
environ 20% des cas en pathologie) et la téléformation. Par ailleurs, le recours à une station de
macroscopie permet l’examen à distance par un pathologiste, en temps réel, d’un prélèvement
chirurgical. La télépathologie peut ainsi rendre des services appréciables lorsqu’il n’y a pas de
pathologiste au lieu du prélèvement.
Selon l’Association des pathologistes du Québec, la province compte environ 180 pathologistes
alors qu'il en faudrait entre 250 et 300 pour répondre à la demande de services. Cette pénurie de
ressources spécialisées touche l’ensemble du Québec, dont les régions de l’Est de la province
(voir Figure 1). C’est dans l’optique d’améliorer le support diagnostic aux établissements
partenaires du Centre hospitalier universitaire de Québec (CHUQ) que le Réseau universitaire
intégré de santé (RUIS) de l’Université Laval (ci-après nommé RUIS Laval) a mis en place en 2006
un projet de télépathologie, doté d’un budget de 6,2 millions de dollars. Ce rapport présente les
résultats d’une étude visant à mesurer l’utilisation ainsi que les impacts de la télépathologie au sein
des établissements de santé concernés.
Avant de présenter la démarche méthodologique qui fut adoptée dans le cadre de la présente
étude, il importe de préciser que le Canada est un leader mondial en matière de télépathologie.
Outre le projet du RUIS Laval, trois autres projets d’envergure ont été implantés dans d’autres
provinces. Un premier projet en Colombie-Britannique est axé principalement sur la mise en place
de standards en télépathologie et vise à faciliter l’accès à des programmes de formation continue
ainsi qu’à des programmes d’assurance-qualité. Un important rehaussement technique du système
mis en place en 2007 est présentement en cours, et ce, à la grandeur du réseau. Selon les
responsables du projet, ce rehaussement est nécessaire afin de permettre une utilisation de la
télépathologie à des fins de secondes opinions. Le second projet relie depuis 2010 les médecins
de deux communautés du Nord de l’Ontario, soit Timmins et Sault-Ste-Marie, aux 45 pathologistes
du University Health Network (UHN) à Toronto. Environ 200 cas sont analysés chaque année à
l’aide de la télépathologie. Trois quart d’entre eux représentent des secondes opinions alors que le
reste, soit environ 50 cas, sont des examens extemporanés réalisés avec les chirurgiens de CH de
Timmins, là où il n’y a aucun pathologiste sur place. Selon le responsable clinique du projet,
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l’utilisation de la télépathologie au sein du UHN devrait s’intensifier de manière considérable au
cours des deux prochaines années puisqu’on prévoit étendre l’utilisation du système aux cas de
routine. Un troisième projet fut déployé au sein du réseau de l’Université d’Ottawa, en Ontario. Le
principal objectif de ce projet consiste à offrir des services de diagnostic pour 17 hôpitaux
communautaires.
Figure 1. Établissements de santé participant au projet de télépathologie du RUIS Laval au
moment d’amorcer la présente étude (Source: Têtu et al. 2012)
Le projet de télépathologie du RUIS Laval se distingue des autres initiatives canadiennes à trois
égards. Premièrement, le projet du RUIS Laval concerne un total de 48 pathologistes dispersés
dans 21 établissements de santé de l’Est du Québec, ce qui en fait l’un des plus ambitieux en
Amérique du Nord, et l’un des plus importants au monde. Une forte majorité des pathologistes
impliqués dans ce projet est concentrée en milieu universitaire. En effet, 33 des 48 pathologistes
de l’Est du Québec se retrouvent au CHUQ.1 Le RUIS Laval couvre un large territoire de près de
Le Centre hospitalier universitaire de Québec (CHUQ) offre des soins généraux, spécialisés et surspécialisés à la
clientèle de la grande région de Québec et de tout l’Est du Québec. Il est né de la fusion de trois hôpitaux, soit l’Hôtel-
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410 000 km2 avec une population de plus de 1,7 millions d’habitants et dont la densité varie, sauf
pour la région de Québec, de 0,4 à 9,1 habitants par km2.
Deuxièmement, le projet du RUIS Laval se distingue par la diversité et l’ampleur des objectifs
poursuivis, dont les quatre principaux sont :
1. Assurer des services d’extemporanés partout et en tout temps sur l’ensemble du territoire
du RUIS Laval;
2. Obtenir des gains substantiels en termes de rapidité et de qualité de service à la clientèle
chirurgicale dans les régions éloignées, notamment en évitant une double intervention ou
un retard dans l’intervention due au nombre réduit d’effectifs médicaux;
3. Faciliter le recrutement et la rétention des chirurgiens dans les régions éloignées pour une
meilleure régionalisation des services plus près des différentes communautés;
4. Réduire l’isolement professionnel en permettant aux pathologistes en région éloignée
d’obtenir plus fréquemment et plus rapidement les avis de collègues.
Troisièmement, contrairement aux projets de la Colombie-Britannique et de l’Ontario, il n’existe pas
de site répondant unique vers lequel les hôpitaux communautaires se tournent pour leurs besoins
en pathologie. Ainsi, les 33 pathologistes du CHUQ n’ont pas pour mandat d’assurer une
couverture de services en pathologie sur l’ensemble du territoire. La nature décentralisée du
réseau de télépathologie du RUIS Laval fait en sorte que chaque établissement de santé requérant
a la responsabilité d’identifier un ou plusieurs établissements partenaires afin de signer des
ententes de services.
Notons que deux comités ont joué un rôle clé dans la réalisation de ce projet. D’abord, un comité
de gestion de projet, composé du directeur médical du projet, du chargé de projet et d’un
technicien du Centre de service et de coordination (CSC) en télésanté du RUIS Laval, a été mis en
place. Ce comité avait comme principales responsabilités de planifier le déploiement de la
télépathologie sur le territoire de desserte, d’assurer la coordination et la concertation des travaux
en lien avec le plan formulé, d’élaborer un plan en matière de gestion du risque et de gestion du
changement ainsi que de faire état périodiquement de l’avancement du projet aux autorités
ministérielles. Les membres de ce comité ont notamment visité chacune des équipes responsables
de la mise en place de la télépathologie (pathologistes, technologues, administrateurs, chirurgiens
et équipes TI et biomédicale) lors de la phase de pré-déploiement. Un comité d’experts composé
de 18 pathologistes de toutes les régions du territoire a également été mis sur pied. Le mandat de
ce comité consistait à proposer des modèles d’organisation, à rédiger un guide de protocoles
cliniques, à conseiller le comité exécutif et le comité de gestion et à assurer le suivi et la cohérence
des activités de déploiement du réseau. Les membres de ce comité ont également participé au
choix des équipements et des logiciels en contribuant à leur évaluation clinique et technique.
2. Objectifs de la recherche, cadre théorique et aspects méthodologiques
La présente étude vise d’abord à comprendre la nature des usages de la télépathologie au sein du
RUIS Laval puis à évaluer l’étendue des impacts ou bénéfices associés à la mise en place de cette
Dieu de Québec, l’Hôpital St-François d’Assise et le CHUL. Aujourd’hui, il compte deux établissements affiliés, soit
l’Hôpital de l’Enfant-Jésus et l’Hôpital du Saint-Sacrement.
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technologie de pointe. Le cadre théorique que nous avons emprunté pour guider la présente
démarche évaluative est celui de DeLone et McLean (1992). Il s’agit d’un modèle fréquemment
utilisé dans les études portant sur les impacts des technologies de l’information. Tel qu’illustré à la
figure 2, ce cadre comprend divers construits visant à évaluer le succès d’un projet technologique.
Figure 2. Cadre théorique (adapté de DeLone et McLean, 1992)
Appliqué au contexte particulier de la télépathologie, ce modèle théorique stipule d’abord que la
satisfaction exprimée à l’égard d’un système et son utilisation sont influencées par trois facteurs,
soit : la qualité perçue du système (convivialité, fiabilité, temps-réponse, etc.), la qualité perçue
des images générées par le système et la fiabilité des diagnostics qui en découle ainsi que la
qualité du soutien technique (ex. centre d’appels) et du soutien organisationnel (formation et
accompagnement) offerts. Ensuite, le modèle indique que plus les utilisateurs sont satisfaits du
système et l’utilisent, plus ils en tireront des bénéfices individuels (ex. meilleure prise de décision
clinique), et plus les effets positifs associés à l’utilisation du système se feront sentir au niveau des
établissements de santé (ex. rétention des chirurgiens) et de la région dans son ensemble (ex.
meilleure accessibilité des soins spécialisés offerts aux patients).
Sur le plan méthodologique, trois études de cas2 ont été réalisées (voir tableau 1). Le premier cas
concerne un site requérant, soit le CH de Sept-Îles (Centre Hospitalier Régional de Sept-Îles), et
un site répondant, soit le CH de Baie-Comeau (Hôpital Le Royer). Le pathologiste disponible au
site répondant assure la couverture de services au site requérant via télépathologie. Les deux
établissements sont situés au sein de la même région administrative, soit la Côte-Nord, et sont
séparés par plus de 230 kilomètres.
Ces études de cas se veulent représentatives des différents contextes d’utilisation de la télépathologie au sein du
RUIS Laval. Chacun des cas comprend des établissements de santé ayant signé une entente de services en matière
de télépathologie.
2
4
Le second cas comprend trois établissements de santé, soit deux sites requérants et un site
répondant. Les deux sites requérants, soit le CH de Gaspé (Hôpital Hôtel-Dieu) le CH de Maria
(l’Hôpital de Maria) sont situés en Gaspésie alors que le site répondant, le CH de Rimouski
(Hôpital régional du CSSS de Rimouski-Neigette), est situé dans la région du Bas-St-Laurent. Tout
comme au CH de Sept-Îles, la télépathologie a été introduite au CH de Gaspé lors du départ du
pathologiste. Quant à lui, le CH de Maria n’a jamais profité de la présence d’un pathologiste ni
même d’un laboratoire. Au moment de réaliser cette étude, le CH de Rimouski comptait pour sa
part quatre pathologistes.
Le troisième cas concerne deux établissements de santé ayant également convenu d’une entente
de services. Le site requérant est le CH de Thetford Mines (Hôpital de Thetford Mines) alors que le
site répondant est le CH de Saint-Georges (Hôpital de Saint-Georges de Beauce). Contrairement
aux sites requérants des deux cas précédents, le CH de Thetford Mines est situé dans une zone
plus densément peuplée et proche de grands centres urbains. La distance entre les sites requérant
et consultant est par ailleurs beaucoup plus courte, soit 64 km. Un autre trait distinctif par rapport
aux cas précédents est la présence d’un pathologiste itinérant au CH de Thetford Mines à raison
d’une journée par semaine. Quant à lui, le CH de St-Georges compte 2,5 pathologistes au moment
de réaliser cette étude. En fait, une des trois pathologistes travaille à mi-temps à partir de son
domicile.
Cas 1
Site requérant
Nombre de lits
Nombre de pathologistes
Nombre de chirurgiens
Nombre de chirurgiens qui avaient
recours à la télépathologie*
Site consultant
Nombre de pathologistes
Cas 2
Cas 3
CH de SeptÎles
CH de
Gaspé
CH de
Maria
CH de Thetford
Mines
96
0
3
1
56
0
7
3
77
0
4
4
96
0,2
13
1
CH de BaieComeau
CH de Rimouski
CH de StGeorges
1
4
2,5
Distance entre les deux sites
234 km
386 km
205 km
Tableau 1. Configuration des études de cas
64 km
Nous avons eu recours à deux principaux outils de collecte de données dans le cadre de la
présente démarche empirique. Premièrement, nous avons réalisé une série d’entrevues semistructurées. Les cliniciens et autres intervenants clés impliqués dans le projet de télépathologie ont
partagé leurs perceptions quant au système lui-même, l’utilisation qu’ils en font ainsi que ses
impacts perçus. Au total, 37 intervenants ont été rencontrés à une ou plusieurs reprises, soit : 12
technologues, 8 chirurgiens, 6 pathologistes, 5 gestionnaires de bloc opératoire, 4 gestionnaires de
laboratoire de pathologie et 2 gestionnaires d’Agences de santé. Au total, 43 entrevues semistructurées ont été réalisées lors de sept visites sur le terrain. Lors d’une de ces visites, nous
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avons été en mesure d’observer de visu l’utilisation du système par le pathologiste et assister à un
examen extemporané. Les entretiens ont tous été enregistrés puis transcrits verbatim, constituant
plus de 1110 pages de transcriptions. Celles-ci ont ensuite été codifiées puis analysées à la
lumière de la grille d’indicateurs de succès des projets de télépathologie développée par un comité
d’experts pancanadien (Inforoute Santé du Canada, 2011).
Deuxièmement, des données quantitatives de type pré-post concernant l’utilisation faite de la
télépathologie (ex. nombre d’examens extemporanés) et de ses impacts (ex. nombre de bris de
service, délai moyen entre le diagnostic initial et la chirurgie) ont été collectées lorsque disponibles.
Ces données sont issues des systèmes d’information clinico-administratifs des établissements de
santé concernés (ex. OPERA, Omnitech, registres papiers, etc.) et du Centre de service et de
coordination (CSC) en télésanté sur l’utilisation du réseau de télépathologie du RUIS Laval. Nous
avons également utilisé comme données secondaires les résultats d’une étude menée par des
pathologistes du RUIS Laval visant à évaluer la concordance des diagnostics réalisés à l’aide de la
télépathologie et du microscope (Perron et al. 2013).
Le comité d’éthique de la recherche de HEC Montréal a statué que la collecte de données liée à la
présente étude satisfait aux normes éthiques en recherche auprès des êtres humains. Un avis de
conformité a été émis en date du 23 novembre 2011. Dans la prochaine section, chaque cas est
analysé tour à tour suivi d’une analyse inter-cas.
3. Résultats
3.1 L’expérience de la Côte-Nord (cas 1)
Jusqu’à la fin de 2010, le CH de Sept-Îles comptait un pathologiste et trois technologues en
pathologie. Avant l’arrivée du pathologiste en 2004, tous les prélèvements d’organes et de tissus
étaient transmis au CH Universitaire (CHU) de Québec aux fins de diagnostic et aucune
intervention chirurgicale nécessitant un examen extemporané n’était effectuée. Quant à lui, le
laboratoire du CH de Baie-Comeau comptait un pathologiste arrivé en 2006 et trois technologues
formés de façon multidisciplinaire et pouvant ainsi travailler en hématologie, biochimie,
microbiologie ou en pathologie.
Dans les deux établissements de santé, entre septembre 2010 et janvier 2011, les équipements de
télépathologie ont été installés puis le personnel formé. Néanmoins, le projet n’a pris son véritable
sens qu’en décembre 2010, soit lorsque le pathologiste du CH de Sept-Îles a annoncé son départ
pour l’Hôpital de St-Georges de Beauce au 1er avril 2011. De sa propre initiative, il a convaincu le
pathologiste du CH voisin, situé à 230 km en amont, d’assurer la couverture de services en
pathologie au CH de Sept-Îles via télépathologie. Malgré qu’il n’ait pas participé au comité clinique
entourant le projet de télépathologie du RUIS Laval, le pathologiste du CH de Baie-Comeau s’est
toujours montré réceptif à utiliser les nouvelles technologies dans le cadre de ses fonctions. C’est
avec beaucoup d’enthousiasme qu’il accepta l’offre faite par son collègue du CH de Sept-Îles.
Après le départ du pathologiste, les trois technologues du CH de Sept-Îles ont continué de
« techniquer » les pièces sur place, c’est-à-dire couper, colorer et manipuler les spécimens
nécessaires à la préparation des lames de verre examinées par le pathologiste. Les lames
associées au cas de routine sont acheminées par la poste au CH de Baie-Comeau, tandis que
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celles associées aux cas urgents sont numérisées puis transmises électroniquement. L’autre
utilisation majeure de la télépathologie est pour les examens extemporanés. Avant son départ, le
pathologiste du CH de Sept-Îles avait pris soin de former une des technologues au niveau de la
manipulation des « grosses pièces » anatomiques et des cas complexes, actes réalisés jusque-là
par le pathologiste. Lors d’examens extemporanés, un technologue peut être appelé à manipuler
de tels cas, cependant le pathologiste peut en tout temps aider à l’orientation de la pièce via un
lien en macroscopie (c’est-à-dire un lien vidéo standard). Une fois la pièce coupée, le spécimen est
techniqué, numérisé puis transmis par voie électronique au pathologiste.
L’entente de services entre les deux établissements de santé a pris fin en juin de l’année suivante,
soit lors du départ du pathologiste au site répondant (CH de Baie-Comeau). L’analyse présentée
dans les prochaines sous-sections couvre ainsi la période pendant laquelle l’entente de services
entre les deux établissements de santé fut en vigueur, soit du 1er avril 2011 au 22 juin 2012.
Qualité du système, qualité des images et qualité du soutien technique
Avant l’implantation de la télépathologie, les intervenants interrogés appréhendaient la fiabilité du
système, comme en témoigne les propos d’une chirurgienne : « Je n'avais pas de problèmes à ce
que le pathologiste de Baie-Comeau lise les lames mais j’appréhendais un peu que la technologie
ne fonctionne pas ». Après quelques problèmes techniques survenus lors de la période de rodage,
le système s’est révélé être très fiable. Le problème technique le plus important a généré un délai
d’environ 30 minutes lors d’un examen extemporané, sans conséquences pour le patient, selon ce
qui nous a été rapporté. En matière de convivialité du système, les commentaires reçus tant des
technologues au site requérant que du pathologiste au site répondant se sont avérés positifs. Le
logiciel utilisé est, selon les répondants, à la fois simple d’apprentissage et d’utilisation.
Le pathologiste disait apprécier grandement la qualité des images générée par le système. Il nous
confiait n’avoir rencontré qu’un seul problème mineur lié à la saleté d’une lame. Toujours en lien
avec la qualité des images, une étude scientifique a permis d’évaluer la concordance entre le
diagnostic posé sur l’image digitalisée et la lame ainsi que le diagnostic final (Perron et al. 2013).
Un total de 104 examens extemporanés par télépathologie a été évalué. 3 Selon les analyses
effectuées, le diagnostic initial produit par télépathologie était totalement ou partiellement
concordant dans 102 cas. Les concordances partielles totalisaient huit cas où la différence de
diagnostic n’avait pas d’impact sur la conduite de la chirurgie. La concordance totale fut donc de
90,4% et la concordance partielle et totale, c’est-à-dire sans impact sur la conduite thérapeutique,
fut de 98,1%.
Le soutien technique offert au personnel des deux établissements de santé, comme c’est aussi le
cas dans les deux autres cas présentés plus tard, est assuré à trois niveaux, soit par l’équipe
informatique locale, le fournisseur du système et le CSC en télésanté du RUIS Laval. La qualité du
soutien technique fait l’unanimité et inspire confiance selon les dires des technologues : « Quand
on a fait les premiers essais, le personnel de chaque institution, y compris le fournisseur, était
Les lames complètes étaient digitalisées à une magnification de 20X à l’aide du Nanozoomer 2.0 HT de Hamamatsu
ainsi que le logiciel NDP.scan version 2.2 et visualisées à une résolution de 1680x 1050 pixels avec le logiciel mScope
v. 3.6.1 (Aurora MSC).
3
7
présent. Chaque problème a été réglé assez rapidement ». Bref, le sentiment général est qu’il n’y a
pas lieu d’avoir d’inquiétudes au niveau de la fiabilité des équipements et des applications
informatiques tel qu’en témoigne cet extrait d’entrevue réalisée avec une technologue : « Je n'ai
pas d’inquiétudes par rapport à la technologie. Si jamais il y avait un bris, je sais que je pourrai
compter sur des gens qui connaissent bien le système et qui trouveront une solution ».
Utilisation du système et satisfaction des utilisateurs
Trois types d’utilisation de la télépathologie ont été observés au CH de Sept-Îles (site requérant),
soit les examens extemporanés, les consultations urgentes (micro ou macro) et le contrôle de
qualité de coloration ou d’immunohistochimie. Lors des 14 mois d’utilisation de la télépathologie,
on a enregistré un examen extemporané par semaine, en moyenne. Les nombres de consultations
urgentes et de contrôles de qualité ne sont pas disponibles puisque le CSC n’avait pas émis de
consigne quant à la conservation de ces statistiques. Comme mentionné plus tôt, chaque site au
sein du RUIS Laval peut agir à titre de site requérant et/ou répondant, selon les besoins. À ce titre,
le pathologiste du CH de Baie-Comeau (site répondant) a également utilisé le système à titre de
requérant. En effet, les données mises à notre disposition indiquent qu’il a sollicité l’avis de ses
collègues du CHUQ et du CH de Rimouski à 16 reprises lors des six premiers mois d’utilisation.
Au-delà des usages attendus de la télépathologie, il est intéressant de noter quelques utilisations
émergentes, notamment pour les cas urgents et le contrôle de qualité. « Parfois, la technologue
m’envoie une coloration. Elle me demande mon avis au sujet de celle-ci » explique le pathologiste
du CH de Baie-Comeau. On envisage par ailleurs que la télépathologie pourrait permettre d’éviter
des ruptures de service au site répondant lorsque le pathologiste est absent pour une période
prolongée, comme en témoigne une des technologues interrogées : « On a fait des tests avec
d'autres établissements de santé pour voir qui pourrait prendre la relève si jamais notre
pathologiste n’était pas disponible ».
En termes de satisfaction, l’apprentissage du système a généré un stress important pour tous les
technologues du site requérant selon une gestionnaire : « Il y avait beaucoup d’insécurité de la part
des technologues au début. C'était très stressant particulièrement pour la technologue en charge
de la pathologie. Elle a bien fait ça mais on a senti au début que ça l’inquiétait beaucoup ». Après
la phase de rodage du système, toutefois, le niveau de satisfaction a rapidement augmenté. Selon
les dires du pathologiste : « Nos appréhensions et nos craintes initiales ont disparu rapidement
parce qu’on utilise un système de qualité. Ça ne me stresse plus, au contraire; je suis content,
j’attends impatiemment qu'il y ait des extemporanés. C'est magnifique comme outil. Mon
expérience est meilleure que ce que j'avais espéré initialement ». Après six mois d’utilisation, une
technologue en pathologie au site requérant exprimait des sentiments similaires à l’égard de la
télépathologie : « J'aimerais pouvoir m’en servir davantage maintenant. J'aimerais ça avoir plus
d'extemporanés. Autant on appréhendait [la télépathologie] au départ, autant là on espère plus
d’extemporanés pour qu'on puisse se servir du système davantage! Il y a beaucoup d’interactions
[avec le pathologiste de Baie-Comeau], je trouve ça stimulant ». Enfin, le niveau de satisfaction est
également élevé parmi les chirurgiens rencontrés. Cela peut notamment être attribué au fait que le
délai additionnel associé au recours à la télépathologie est jugé satisfaisant, comme en témoigne
la citation suivante : « La télépathologie ajoute peut-être cinq minutes par rapport à avant, soit
quand le pathologiste était sur place ». Les statistiques disponibles montrent que la durée
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moyenne des examens extemporanés réalisés au CH de Sept-Îles durant la période d’observation
fut de 21 minutes alors la durée moyenne d’un tel examen réalisé in situ est d’environ 15 minutes.
Impacts perçus
La télépathologie avait pour but premier d’éviter les ruptures de service en pathologie causées par
le départ du pathologiste au CH de Sept-Îles. Un bris de service peut en effet avoir plusieurs effets
néfastes sur les chirurgies concernées : celles-ci peuvent être annulées ou effectuées en deux
temps, le temps que le diagnostic demandé soit reçu par courrier. Une telle situation peut causer
de l’angoisse « sur le plan humain, surtout si le patient n’arrive pas à supporter une deuxième
intervention » note le pathologiste du CH de Baie-Comeau. Alternativement, une chirurgie plus
agressive peut être effectuée pour éviter une deuxième intervention. Enfin, le patient peut être
transféré vers un autre hôpital où un pathologiste est disponible. Entre le 1er avril 2011 et le 22 juin
2012, le système de télépathologie a toujours été disponible lors des examens extemporanés qui
ont eu lieu, et aucun bris de service en pathologie n’est survenu au bloc opératoire du CH de SeptÎles durant cette période. Les examens extemporanés ont été effectués exclusivement par
télépathologie après le départ du pathologiste et les chirurgiens ont ainsi pu continuer à opérer
leurs patients comme si un pathologiste était disponible sur place, comme le note une
chirurgienne : « Quand notre pathologiste est parti, on avait la télépathologie en place alors je n'ai
pas eu besoin de me casser la tête. Mes patients n’ont pas besoin d’attendre quatre semaines
avant la prochaine visite du pathologiste itinérant. Aucune chirurgie à ma connaissance n’a été
annulée ».
Nous avons mesuré le délai moyen entre le diagnostic initial (conduisant à la décision d’opérer un
patient) et le jour de la chirurgie. Les données disponibles concernaient principalement des
biopsies au trocart et des biopsies endoscopiques; examens qui permettent de déterminer s’il y a
présence ou non de cancer et, dans l’affirmative, de planifier une chirurgie. Au total, 16 cas ont pu
être retracés pour la période pré (quand l’examen extemporané était effectué par le pathologiste
présent) et 12 cas pour la période post (quand l’examen était effectué par le pathologiste à
distance via la télépathologie). Le délai moyen pour l’ensemble des cas recensés est passé de 77
jours (pré) à 62 jours (post). Sur la base des données mises à notre disposition, il semble donc que
le fait que le diagnostic soit effectué à distance ne contribue pas à accroître les délais, comme on
aurait pu être porté à le croire à priori. Un plus grand volume de données devra éventuellement
être collecté puis analysé afin de confirmer ou infirmer ce résultat préliminaire.
Au niveau organisationnel, la télépathologie est perçue comme ayant des effets potentiels sur les
plans de la rétention et du recrutement des spécialistes, comme le note une chirurgienne :
« La télépathologie maintient le service de pathologie, ce qui est
indispensable pour les chirurgiens et pour les spécialistes. Dans un centre
hospitalier où il y a un pathologiste, on trouve beaucoup plus de spécialités
que dans un centre où il n’y en a pas. La télépathologie devrait ainsi aider à
garder les spécialistes ici comme les gynécologues et l’ORL. C'est certain
que, quand on pense à s’établir à un endroit, le fait qu’il y ait un pathologiste
ou non fait partie des arguments pour ou contre ».
9
Pour les technologues, la mise en place de la télépathologie peut d’une part signifier un
enrichissement ou une plus grande valorisation de la profession :
« On joue un rôle plus important notamment parce qu’on est responsable des
pièces lors des extemporanés. Le pathologiste, lui, est à l'autre bout de la
caméra. Mais c'est nous qui avons la pièce devant nous, qui coupons les
spécimens puis préparons les lames qui lui sont transmises. Ce sont de
grandes responsabilités ».
Pour certaines technologues, toutefois, la télépathologie n’apporte pas que des bénéfices. « On
voit la télépathologie un peu comme une menace aussi. Moi, ce qui me fait peur, c'est qu'un jour
on transfert notre vrai travail ailleurs et qu’on devienne de simples emballeuses de pièces », nous
disait une technologue au site requérant. Certaines technologues du site répondant craignent pour
leur part une surcharge de travail avec l’arrivée de la télépathologie, ce qui peut poser problème
dans un contexte de pénurie de ressources.
Enfin, en termes d’efficacité, il semble que la présence de la télépathologie puisse contribuer à
l’efficacité générale du bloc opératoire du CH requérant, comme l’indiquent les propos du
pathologiste :
« Grâce à la télépathologie, tu gères de manière optimale le temps du bloc
opératoire. Le fait d’éviter des interventions chirurgicales faites en deux
temps, cela facilite la gestion du personnel aussi. (…) Cela devrait permettre
également des économies ».
3.2 L’expérience de la Gaspésie et du Bas-St-Laurent (cas 2)
Depuis sa création, le CH de Gaspé a toujours bénéficié de la présence d’un ou deux
pathologistes. Au début 2012, toutefois, le seul pathologiste en poste a quitté l’établissement de
santé. La télépathologie, qui fut déployée au début 2012, a notamment permis la réalisation
d’examens extemporanés à distance. Les principaux besoins du CH de Gaspé en matière
d’extemporanés étaient associés aux ganglions sentinelles du cancer du sein et la chirurgie ORL.
Alors que les ganglions sentinelles constituent une utilisation répandue au niveau des examens
extemporanés, l’usage de la télépathologie en ORL est plus spécifique à cet établissement de
santé. Cet usage particulier est lié d’une part à la présence d’une chirurgienne ORL au CH de
Gaspé et d’autre part à celle d’une pathologiste spécialisée en ORL au site répondant. Certaines
chirurgies ORL nécessitent en effet plusieurs diagnostics peropératoires pour lesquels les
examens extemporanés sont essentiels. Il importe également de mentionner que deux
technologues au CH de Gaspé ont reçu une formation afin de préparer et numériser les lames
virtuelles.
En parallèle à cet usage, les lames associées aux cas de routine sont majoritairement acheminées
par courrier au site répondant. Pendant plusieurs mois, les technologues ont continué de
« techniquer » les lames de routine avant leur envoi par courrier. Mais depuis novembre 2012,
cette pratique a été transférée aux technologues du site répondant, une crainte émise par les
technologues du site requérant (CH de Sept-Îles) associé au cas 1. Ce transfert de responsabilités
visait notamment des économies en matière de personnel et d’équipement ainsi qu’une plus
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grande homogénéité en termes de pratiques et de qualité des lames. Ainsi, la réalisation des
examens extemporanés demeure présentement la principale activité effectuée au CH de Gaspé en
matière de pathologie.
Le deuxième site requérant est le CH de Maria, également situé en Gaspésie. Contrairement au
CH de Gaspé, ce petit établissement a traditionnellement fonctionné sans la présence d’un
pathologiste. Tous les spécimens faisant l’objet d’un examen en pathologie étaient acheminés
jusque-là par la poste au CH de Rimouski, situé dans la région voisine du Bas-St-Laurent. Aux
yeux des cliniciens (chirurgiens) et des gestionnaires de l’établissement, la télépathologie
représentait une belle opportunité de réaliser les examens extemporanés à distance. La
technologie fut officiellement implantée en octobre 2012 avant quoi il a fallu construire un nouveau
laboratoire. Heureux hasard, une des technologues du CH de Maria avait une expérience
antérieure de plus de 15 ans en pathologie. Celle-ci fut naturellement affectée à la télépathologie
et a ainsi participé activement à la création du laboratoire. Ce dernier est situé dans une pièce
adjacente au bloc opératoire; local expressément libéré par les chirurgiens eux-mêmes, signe de
leur appui au projet.
Le CH de Rimouski est l’établissement de santé vers lequel les deux sites requérants se sont
tournés afin de signer des ententes de services. Quoi qu’ils soient situés dans des régions
administratives différentes, le CH de Rimouski représente un grand centre tertiaire qui offre depuis
plusieurs années des soins de santé spécialisés aux patients provenant des régions de la CôteNord, de la Gaspésie et des Îles de la Madeleine. La création d’un centre régional de pathologie a
permis le recrutement de deux nouveaux pathologistes à l’été 2012, portant leur nombre à quatre.
Le centre reçoit par courrier des lames provenant de divers établissements de l’Est du Québec qui
ne disposent d’aucun pathologiste (voir figure 1). L’ajout récent de ressources visait aussi à réduire
l’isolement professionnel, d’avoir accès facilement à des collègues pour les secondes opinions et
pour les gardes, en cas d’absence.
L’analyse présentée dans les prochaines sous-sections concerne la période de janvier à
septembre 2012 pour le CH de Gaspé et la période d’octobre 2012 à avril 2013 pour le CH de
Maria.
Qualité du système, qualité des images et qualité du soutien technique
Tout comme ce fut le cas sur la Côte-Nord (cas 1), les problèmes techniques qui furent rencontrés
l’ont surtout été lors de la phase de démarrage. Sans conséquences majeures, ces problèmes
n’ont donc pas ébranlé la confiance des utilisateurs à l’égard de la technologie. Toutefois, après
quelques mois d’utilisation, le système est toujours perçu comme ayant certaines limites. D’abord,
les technologues ont noté la lenteur du système. En fait, le numériseur peut prendre plus de trois
minutes afin de numériser une seule lame, ce qui ralentit passablement le travail du personnel.
Pour les pathologistes, une des principales limites du système est également associée à sa
lenteur. Comme l’explique l’un d’entre eux, accéder à la lame puis naviguer dans le système prend
beaucoup plus de temps que manipuler la lame à l’aide d’un microscope :
« L’image numérique est belle. Ce n'est pas ça le problème. C'est se
promener dans cette image qui cause problème. Tu bouges la lame et puis
rien ne se produit à l’écran. Il faut attendre trop longtemps... Dans 10 ans, on
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s’en reparlera; probablement que la technologie en sera là. (…) Quand on
compare à la téléradiologie, on n’en est pas là. Nous…on clique puis on
attend, on clique… on attend ».
La qualité des images numériques, qui constituait une importante source d’inquiétude chez les
pathologistes avant le déploiement du système, s’est avérée satisfaisante aux yeux de ceux-ci.
Elle reste néanmoins inférieure à la qualité d’une lame analysée au microscope. Cela s’explique
selon un pathologiste en raison du fait que «… lorsque le tissu est congelé, il y a des artefacts de
coupe et de congélation [sur l’image] ». La qualité des lames virtuelles et des images est toutefois
de bonne qualité pour la très grande majorité des cas de routine. Toutefois, pour les cas
complexes ou ambigus que l’on retrouve souvent en hématopathologie ou en pathologie
pulmonaire, les médecins nous confiaient qu’ils pouvaient rarement parvenir à un diagnostic précis
à l’aide d’une lame numérique, comme en témoigne l’extrait suivant :
« Toutes mes consultations (requêtes de secondes opinions) de cas difficiles,
je les envoie par la poste pour la simple et bonne raison qu’un pathologiste
qui est à distance, quand on lui envoie un cas complexe, la première chose
qu'il va faire c'est demander des colorations spéciales ou des colorations
additionnelles ».
Tout comme ce fut le cas sur la Côte-Nord, le soutien technique offert aux utilisateurs de la
télépathologie est fort apprécié. En cas de problème, l’aide apportée par le service informatique
local, le CSC du RUIS Laval ou encore le fournisseur du logiciel mScope est considérée comme
étant courtoise, rapide et efficace. C’est ce que mentionnait une responsable de bloc opératoire :
« Oui, le support est rapide. Et puis, c'est facile de demander de l’aide [au centre régional]. J'ai eu
quelquefois à le faire et c'est très aidant pour nous autres en région ».
Utilisation du système et satisfaction des utilisateurs
Au CH de Gaspé comme à celui de Maria, la fréquence moyenne des examens extemporanés
réalisés depuis l’introduction de la télépathologie est d’environ un examen par semaine. Selon la
responsable du laboratoire au CH de Maria : « Au début, on s’attendait à avoir entre 30 et 40
examens extemporanés pendant la première année. Et là, on se dirige allègrement vers 50 ou
60 ». Un constat similaire est observé au CH de Gaspé où le volume d’extemporanés est supérieur
à ce qui était attendu initialement. Cependant, le sentiment exprimé par certaines technologues est
que bien plus pourrait être accompli à l’aide de la technologie, comme en témoigne l’extrait cidessous :
« La télépathologie est peut-être sous utilisée parce que nous pourrions aussi
faire les cas urgents. On pourrait numériser nos lames pour les envoyer au
CH de Rimouski afin qu'ils puissent faire une lecture avant l’envoi. Mais les
pathologistes de Rimouski ne sont pas vraiment pour ça. Il y a donc un délai :
on fait notre paquet l’après-midi, on l’envoie dans la nuit. Ça va être lu juste
le lendemain matin. Les cas urgents pourraient être numérisés puis lus le jour
même ».
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De nouveaux types d’examens extemporanés sont par ailleurs envisagés dans le futur, tant au CH
de Gaspé que celui du CH de Maria. Parmi ces possibilités on note les cancers du rectum et de
l’estomac ainsi que les chirurgies de Mohs, un type particulier de chirurgie de la peau.
Au CH de Rimouski, on utilise quasi-exclusivement la télépathologie pour réaliser des examens
extemporanés, tel que mentionné plus tôt. Les statistiques disponibles montrent qu’entre deux et
trois examens extemporanés sont réalisés chaque semaine et qu’il s’agit principalement de
requêtes provenant des CH de Gaspé et de Maria. Outre cet usage de base, le système est
occasionnellement mis à contribution lors de demandes de secondes opinions. En effet, les
pathologistes du CH de Rimouski se tournent au besoin vers leurs collègues d’autres
établissements, notamment le CHU de Québec, afin d’obtenir leurs avis. On dénombre en
moyenne tout près de quatre requêtes de secondes opinions par mois. Cet usage, que l’on peut
qualifier de ponctuel, s’explique par la présence de plusieurs pathologistes sur place et le fait que
les cas complexes sont rarement diagnostiqués à l’aide de la télépathologie, pour les raisons
évoquées plus tôt.
La très grande majorité des pathologistes, technologues, chirurgiens et responsables des blocs
opératoires des CH de Gaspé et de Maria se disent satisfaits du système. Une des chirurgiennes
rencontrées au CH de Gaspé mentionnait à cet effet : « Je suis très contente d'avoir ce système-là.
C'est sûr que, si on avait le choix d'avoir un pathologiste sur place, on préférerait ça. Mais, même
si tout le monde voudrait ça, on sait bien que ce n'est pas possible ». La satisfaction des
chirurgiens dans les sites requérants représente selon un pathologiste du CH de Rimouski un
facteur clé de succès de la télépathologie : « Il faut que le chirurgien y trouve son compte, c’est
vraiment important. Si les chirurgiens trouvent que les réponses sont trop longues à venir [lors des
extemporanés] et que la télépathologie les retarde dans leur journée... et bien leur satisfaction va
rapidement diminuer ». Un chirurgien du CH de Gaspé a enchérit ce point :
« La rapidité du système s'est améliorée depuis qu’il a été implanté. Au
début, c'était le gros bémol par rapport à la télépathologie; c'était très long. Il
m’est arrivé d’attendre une heure trente; j’attendais; toute l'équipe de
chirurgie attendait; le patient dormait; on ne pouvait rien faire; il fallait
attendre le résultat. Ça, c'était trop long. Mais ça s’est beaucoup amélioré
depuis. Récemment, les derniers cas que j'ai faits, je n'avais pratiquement
pas besoin d’attendre, quelques minutes à peine. On pouvait alors poursuivre
[la chirurgie] sans problème ».
Pour sa part, un chirurgien du CH de Maria nous confiait : « Je donne un 10/10 [au système] parce
que je ne pensais pas que ça allait marcher aussi bien. Ça a été tellement long avant que le
système soit installé que je m'étais mise un peu à ne plus vraiment y croire. Mais là, plus ça va,
plus je suis impressionnée de voir comment ça peut nous aider ». Ce que confirme un responsable
des laboratoires au CH de Maria : «Tout le monde fut agréablement surpris parce que c'était audelà de nos attentes initiales ».
Bénéfices perçus
Aux yeux des cliniciens, la plus-value associée à la télépathologie est principalement associée à
une augmentation de la qualité des soins, tel que le résume un chirurgien au CH de Gaspé :
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« [Sans la télépathologie,] cela peut vouloir dire deux chirurgies plutôt qu’une,
cela peut vouloir dire des chirurgies plus invasives que ce qu'on aurait fait si
on avait eu l’avis d’un pathologiste au bon moment, tout cela veut dire
beaucoup pour nos patients, et ça peut aussi faire toute la différence dans le
geste chirurgical ».
Selon les pathologistes rencontrés, la télépathologie contribue à prévenir les erreurs médicales :
« J’envoie une requête de second avis à un collègue à Ottawa, par exemple, qui va rapidement
[confirmer le diagnostic]. Tu te protèges ainsi en tant que [professionnel] parce que ce sont des
cas de cancers » nous disait un d’entre eux. La télépathologie contribue aussi à réduire les délais
compris dans le cycle de traitement de la maladie. Par exemple, une technologue du CH de
Rimouski mentionnait qu’une demande de second avis pouvait prendre jusqu’à un mois avant que
le pathologiste requérant reçoive le diagnostic. Avec la télépathologie, obtenir des secondes
opinions d’autres pathologistes est beaucoup plus rapide, une question de 10 à 15 minutes parfois.
Tout comme dans le cas de la Côte-Nord, certains effets n’ont malheureusement pas pu être
mesurés, faute de données probantes. Parmi ceux-ci on trouve le nombre de chirurgies réalisées
en deux temps, le nombre de chirurgies agressives réalisées et le délai moyen entre le moment où
la lame est prête à être lue et le diagnostic final.
Sur le plan individuel, les pathologistes rencontrés au CH de Rimouski y voient plusieurs
avantages. À titre d’exemple, la télépathologie est perçue comme une alternative à l’itinérance :
« J'ai beaucoup de travail ici, et ma famille est ici. Je suis moins mobile, j’ai des jeunes enfants.
L’option de faire de l’itinérance, ce n'est pas pour moi, pas en ce moment, en tout cas. Donc, si on
me demandait d’en faire, ce serait non. Par contre, la télépathologie, je n'ai pas de problèmes à y
avoir recours » nous confiait un pathologiste. Maîtriser cette technologie est aussi un atout sur le
plan professionnel, comme le note une autre pathologiste :
« Ce type d’outils contribue à la satisfaction du chirurgien, à celle du patient
et en plus il nous apporte à nous les pathologistes une expertise qui, je
pense, est indéniablement importante dans notre carrière. Moi, je suis
certaine que si je quitte Rimouski pour aller ailleurs, malgré ma courte
expérience, le fait que j'ai déjà une expertise en télépathologie, c'est un
acquis, c'est un gros plus pour moi ».
Sur le plan organisationnel, la télépathologie semble avoir un effet positif sur le recrutement des
chirurgiens en région éloignée, comme ce fut observé sur la Côte-Nord. Voici à cet effet un
témoignage d’une jeune chirurgienne du CH de Gaspé :
« Heureusement qu'on a la télépathologie. Moi, si on n’avait pas ça, je ne
serais pas venue travailler ici, carrément. Je fais de la chirurgie de cancers,
donc je n'aurais pas pu, je ne serais tout simplement pas venue ».
Le regroupement de quatre pathologistes au CH de Rimouski a notamment permis d’affecter une
secrétaire aux tâches cléricales qui étaient effectuées auparavant par les pathologistes euxmêmes. Ceci permet ainsi aux médecins de consacrer une plus grande portion de leur temps aux
tâches à valeur ajoutée. Ce regroupement favorise également une plus grande spécialisation au
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sein de l’équipe : « Un pathologiste est spécialisé en hémato, ça lui prend beaucoup de temps car
ce sont des cas difficiles. Une autre est spécialisée en ORL pour sa part. Moi, je prends les
autopsies », nous confiait un des pathologistes. Il s’agit d’une tendance lourde qui est associée à
la complexification de la médecine en général. Comme l’explique un autre pathologiste, le
phénomène de spécialisation risque de contribuer à la pénurie actuelle de pathologistes en région,
d’où l’importance de continuer à investir dans la télépathologie :
« Les jeunes pathologistes se spécialisent de plus en plus. Moi, j'arrive des
années 90 où on faisait de tout. Maintenant, les nouveaux pathologistes sont
souvent meilleurs dans une branche particulière. Dans ce contexte-là,
envoyer un pathologiste en région éloignée, comme à Sept-Îles ou à Gaspé
par exemple, ce n'est pas très attirant ».
Tous s’entendent pour dire que ce mouvement vers une plus grande spécialisation de la
pathologie permet non seulement une amélioration de la qualité des soins (ex. meilleure précision
des diagnostics) mais aussi une plus grande efficacité et efficience (ex. moins de demandes de
seconds avis).
Enfin, notons qu’un système de garde régional pour les examens extemporanés est actuellement à
l’étape de la conception au CH de Rimouski. Pour un chirurgien du CH de Gaspé : « Quand on
avait une pathologiste sur place, elle était de garde toutes les fins de semaine et toutes les nuits.
C'est rare qu'on ait besoin de pathologie la nuit mais ça peut tout de même arriver. Je pense que
les ententes ne sont pas toutes finalisées mais… avoir un système de garde en tout temps, c'est
un filet de sécurité », avec des bénéfices très concrets :
« Si nous étions en mesure d’en faire [des extemporanés] de soir et de nuit,
c'est sûr que ce serait un avantage dans des cas d'urgence. J'ai un cas en
mémoire où on a eu une résection intestinale chez un jeune enfant. On
suspectait un cancer sauf qu'on n’était pas en mesure d’obtenir [un
diagnostic] à ce moment-là, on n’avait pas encore la télépathologie »
(chirurgien du CH de Maria).
3.3 L’expérience de la Chaudière-Appalaches et de la Beauce (cas 3)
Le CH de Thetford Mines a toujours eu recours aux services d’un pathologiste itinérant, à raison
d’un jour par semaine. Il s’agit d’un mode de fonctionnement profondément ancré dans les
habitudes de travail au sein de cet établissement. Le laboratoire médical compte également sur les
services de quatre technologues qui se partagent la charge de travail en pathologie (soit
l’équivalent de deux technologues à temps plein par jour). Trois de ces technologues avaient reçu
au moment d’amorcer la présente étude une formation en télépathologie.
En janvier 2012, la situation change alors que le pathologiste itinérant cesse de desservir le CH de
Thetford Mines. S’ensuit alors une période de transition où des pathologistes de différents
établissements de santé assurent la couverture de services. Les lames de routine sont alors
acheminées par la poste au Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM). Pour sa part,
un pathologiste du CH de St-Georges de Beauce, situé à 64 km de celui de Thetford Mines, se
déplace pour couvrir les examens extemporanés, mais seulement de façon intermittente jusqu’en
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septembre 2012. La disponibilité limitée de ce pathologiste poussa l’équipe du CH de Thetford
Mines à expérimenter la télépathologie à quelques reprises, notamment pour les examens
extemporanés et la manipulation des grosses pièces. Ces essais, qui ont eu lieu avec des
pathologistes de l’Hôpital du Saint-Sacrement et de l’Hôpital de l’Enfant-Jésus, deux
établissements affiliés au CHUQ, ne se sont toutefois pas avérés concluants. En effet, les
chirurgiens impliqués furent insatisfaits des délais occasionnés en pathologie peropératoire. Ils
cessèrent donc rapidement d’avoir recours à ce mode de fonctionnement, hormis un seul
chirurgien qui poursuivra son utilisation du système lors d’examens extemporanés imprévus.
En septembre 2012 une nouvelle entente de services fut conclue avec le CH de Saint-Georges de
Beauce qui compte alors deux pathologistes à temps plein et une troisième qui travaille
principalement de la maison à temps partiel. Selon cette entente, les lames sont envoyées par
courrier au CH de St-Georges et les examens extemporanés sont quant à eux réalisés lors de la
présence du pathologiste itinérant une fois par semaine. Les chirurgiens et les responsables du
bloc opératoire au site requérant doivent ainsi planifier toutes les chirurgies nécessitant un examen
extemporané lors de la venue du pathologiste.
L’analyse des impacts présentée dans les prochaines sous-sections concerne la période de janvier
2012 à mai 2013.
Qualité du système, qualité des images et qualité du soutien technique
Plusieurs bris ou problèmes de nature technique ont eu lieu durant les premières semaines
d’utilisation du système. Un des pathologistes rencontrés relate un événement fâcheux qui est
survenu lors du déploiement initial :
« [Le système] n’est pas toujours au point. Par exemple, je me souviens d'un
cas de congélation. Le système n’a pas fonctionné, il n’a pas été capable de
numériser les lames. Il a alors fallu fermer l’ordinateur, le relancer et
recommencer. Cela a causé un retard d’au moins trois quarts d’heure lors de
la congélation. Alors quand j'ai donné mon rapport, le chirurgien était sorti du
bloc opératoire. Il n’était pas très content ».
Quelques incidents du genre ont contribué à donner une mauvaise presse à la télépathologie aux
chirurgiens du CH de Thetford Mines. La qualité des images, en revanche, fut rapidement jugée
satisfaisante au site répondant : « La qualité de l’image est tellement bonne que je n’ai, à date,
jamais changé mon diagnostic après avoir regardé les lames que je fais toujours venir dans un
deuxième temps », témoignait un des pathologistes. Selon un autre pathologiste, il demeure en
effet nécessaire de vérifier le diagnostic avec la lame originale :
« Il restera toujours des détails que tu vois mieux sur la lame. Des fois, c'est
une question de mise au point, comme par exemple aujourd'hui : j'avais sur
une lame virtuelle quatre ganglions différents. Et il y en avait un qui n’était
probablement pas tout à fait au même focus que les autres, donc on le voit
un peu moins bien. Donc c'est plus difficile de se prononcer; on va préférer
regarder la lame comme il faut et au besoin la refaire ».
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Utilisation du système et satisfaction des utilisateurs
L’utilisation de la télépathologie est différente au CH de Thetford Mines comparativement aux deux
cas précédents. Comme les chirurgiens planifient leurs chirurgies en fonction de la venue du
pathologiste itinérant, les examens extemporanés non prévus et nécessitant la télépathologie sont
peu fréquents, soit environ un examen par deux mois. En revanche, tel qu’expliqué ci-dessus, la
télépathologie est utilisée fréquemment pour l’orientation de grosses pièces, soit environ une
séance de macroscopie tous les deux jours. Deux pathologistes du CH de St-Georges sont
affectés à la macroscopie et il est également prévu d’installer le matériel nécessaire (écran et
tablette) au domicile du pathologiste qui travaille à temps partiel.
Le temps de lecture des lames virtuelles semble constituer une barrière importante au
développement de la télépathologie, comme en témoigne le pathologiste itinérant :
« Pour des petits cas non urgents de chirurgie de routine où le diagnostic
peut être fait en quelques secondes, devoir ouvrir mScope, regarder la lame
numérisée, ça prend beaucoup plus de temps qu’au microscope. C'est sûr
que pour un usage ponctuel, ça ne fait pas une grosse différence dans ma
journée, mais si j'avais à lire tous mes cas de cette façon-là, dont les cas non
urgents… Je n’accepterais pas de faire ça pour un grand volume de cas non
urgents, pour le moment, avec le temps que ça me prend. Ce serait une
utilisation inefficace de mon temps. Pour l'instant, je ne joue pas ma pratique
entière sur la numérisation de lames. Éventuellement, si on est capable de
transférer de grandes quantités de données rapidement et de voir des lames
très rapidement à l'écran, ça permettrait des pratiques complètement
différentes, mais pour l'instant, on n’est pas encore là ».
Tout comme ce fut le cas sur la Côte-Nord, la télépathologie est aussi utilisée pour les cas de
routine urgents. Il s’agit de pathologie postopératoire où l’envoi des lames par courrier serait trop
lent, puisqu’un diagnostic est espéré à l’intérieur de 24 heures. Cette utilisation est fréquente mais
irrégulière : « Ça dépend des semaines, c’est difficile à prédire. Parfois il n’y a aucun « stat »,
parfois on en a deux ou trois par semaine et il y a des semaines où il y en a tous les jours »
affirmait un pathologiste.
L’utilisation de la télépathologie pour les secondes opinions et les gardes (lors d’absences) se
heurte à une autre barrière importante, soit le peu de pathologistes intéressés par la
télépathologie au sein des grands établissements du RUIS où on compte la grande majorité des
ressources :
« La première chose que j'ai sue, c'est que très peu de pathologistes ne
semblaient vouloir prendre mes gardes pendant mes absences. Et pour ce
qui est des consultations, les seconds avis, c'est toujours difficile. Un seul
pathologiste au CHUQ demande les lames numérisées, un champion de la
télépathologie. Rapidement, on s'est aperçu que peu de pathologistes étaient
vraiment intéressés à participer… probablement en raison de la surcharge de
travail. Ce n'est certainement pas une question d’argent parce qu’on est
rémunéré 1,5 fois plus que si on interprète des lames au sein de notre propre
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établissement. Ça me semble donc être une question de manque de
disponibilités » (pathologiste).
Au CH de St-Georges, la seconde opinion est donc principalement utilisée pour les cas jugés
urgents. Celle-ci a permis de réduire les délais d’attente de un ou deux jours à moins d’une heure,
notamment en raison de l’assiduité du pathologiste répondant au CHU de Québec. Dans un cas,
une seconde opinion imprévue a même été obtenue lors d’un examen extemporané pendant une
chirurgie.
Une utilisation envisagée de la pathologie au CH de St-Georges est associée à ce qu’il est
convenu d’appeler les « séances de lames ». Tel que résumé ci-dessous, ces séances se situent à
mi-chemin entre une seconde opinion et une séance de formation :
« Lors d’une séance de lames, on montre des cas et chacun donne son
opinion. Ce n'est pas nécessairement le diagnostic final mais par contre, tu
dis – Moi, je pense que c'est plus, par exemple, bénin versus malin. Si on est
cinq qui participent, et quatre disent – je suis sûr que c'est bénin, c'est
probablement bénin. Donc, toi, tu peux trancher vers un diagnostic de
bénignité. (…) Présentement, ça ne se fait pas à distance mais on a
commencé à en parler. Un pathologiste qui est seul dans son labo en région
aimerait beaucoup participer à ces séances virtuelles. Une troisième
pathologiste a aussi montré un vif intérêt » (pathologiste).
Tel qu’expliqué plus tôt, les chirurgiens du CH de Thetford Mines ont vécu beaucoup de frustration
lors du déploiement initial de la télépathologie. Selon la responsable du bloc opératoire :
« Ils disent que ça prend trop de temps pour avoir les résultats, que c'est peu
fiable. Les chirurgiens n’aiment pas ça quand on opère et que c'est fait en
télépathologie (…) On a essayé au début, surtout en gynécologie, il n’était
pas vraiment content le gynécologue. Et comme il a un grand respect de tout
le monde ici, les autres [chirurgiens] ont alors suivi son avis ».
A contrario, un chirurgien nouvellement arrivé reste ouvert à l’idée d’avoir recours à la
télépathologie et en perçoit l’utilité, surtout pour les ganglions sentinelles. Cependant, ce chirurgien
n’était pas au courant au moment de le rencontrer que la télépathologie pouvait aussi être utilisée
pour les examens extemporanés imprévus, signe que cet usage ne faisait pas partie à ce momentlà des pratiques courantes au CH de Thetford Mines. Tout comme dans les deux cas précédents,
les pathologistes et les technologues rencontrés se sont dits satisfaits de l’utilisation qu’ils font du
système mis à leur disposition.
Bénéfices perçus
Tel que mentionné plus tôt, le problème de la télépathologie est qu’elle impose des délais perçus
comme inacceptables par les chirurgiens, analyse partagée par un des pathologistes rencontrés :
« Les journées où il y a beaucoup de congélations, je préfère être sur place. Ça va plus
rapidement, le patient reste moins longtemps endormi, etc. ». Seulement quand le pathologiste
n’est pas présent, la télépathologie permet de gagner du temps : « Pour les médecins, sur place,
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ils peuvent se dire que s’ils ont un cas urgent, il peut être numérisé et répondu la journée même,
au moins avec un résultat préliminaire. Cela offre un meilleur service, je crois, plus rapide pour ces
cas ponctuels » nous confiait un autre pathologiste. Le chirurgien nouvellement arrivé au CH de
Thetford Mines décrit comme suit l’utilité première de la télépathologie :
« Certaines chirurgies ici sont effectuées en l’absence du pathologiste. On
envoie alors la pièce à l’extérieur et une fois qu’on reçoit les résultats,
souvent plusieurs jours plus tard, et bien si le diagnostic dit qu’il y a des
marges positives, il faut alors reprendre la chirurgie. S’il y a un pathologiste
itinérant sur place ou si on peut le faire à distance [via la télépathologie],
alors c'est un avantage (…) surtout pour éviter de faire l’anesthésie générale
une seconde fois. Autre exemple, si on fait un ganglion sentinelle et que le
diagnostic fait par télépathologie révèle qu’il y a des adénopathies, on peut
alors faire le curage le même jour, ce qui est très bon ».
La responsable du bloc opératoire pour sa part ne perçoit pas la télépathologie comme une
solution aux problèmes de listes d’attente, notamment en raison de la disponibilité d’un
pathologiste itinérant :
« Ce que j'ai actuellement sur mes listes d'attente qui nécessite l’intervention
d’un pathologiste ce sont des excisions de lésions de la peau. Les thyroïdes
sont toutes planifiées en fonction du pathologiste itinérant. On s’organise
avec le volume qu'on a actuellement, avec le fait que le pathologiste vienne
un jour par semaine. C'est sûr que les délais d’attente ne sont pas toujours
respectés au niveau des excisions de lésions de la peau. On prend alors des
mesures autres (…) on s’organise en fonction des priorités ».
Sur le plan individuel, la télépathologie offre divers avantages aux pathologistes : « Je voyais déjà
des possibilités de consultation, les possibilités de me faire remplacer à distance lorsque je prenais
des vacances ou partais en congrès. (…) J'ai le logiciel mScope sur mon ordinateur à la maison :
si j'ai des cas urgents, je peux les regarder ». La technologie permet une plus grande flexibilité
dans l’organisation du travail et la pratique étendue du télétravail, comme en témoigne l’extrait cidessous :
« Essentiellement, la télépathologie me supporte dans un mode de pratique à
domicile. Ce serait impossible pour moi de devoir me déplacer au CH de
Thetford Mines qui est à 1 heure 40 minutes de route de chez nous ou
encore de me déplacer en Beauce qui est à 1 heure et demie de route. Ce
serait impossible pour moi de pouvoir travailler pour eux si ce n'était d'un
accès à la télépathologie. Je ne pourrais pas travailler pour eux plus d'une
journée par semaine. Là, ça me permet d’offrir quand même un service
ponctuel, les autres journées pour des cas urgents » (pathologiste).
En lien avec la macroscopie, la principale utilisation de la télépathologie au CH de Thetford Mines,
le recours à la technologie permet d’abord d’économiser de l’argent car sans elle un technologue
devrait se rendre au CH de St-Georges plusieurs jours par semaine pour manipuler les grosses
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pièces en présence du pathologiste. Le recours à la télépathologie pour la macroscopie permet
aussi de sauver du temps, comme l’explique le technologue :
« Les grosses pièces, c'était le pathologiste qui les faisait, si on retourne en
2010. Donc, s’il y avait une chirurgie le mardi [le pathologiste est présent les
lundis], on laissait la pièce de côté jusqu’au lundi suivant. On venait de créer
une semaine de délai. Le mardi, on pouvait couper les lames, et le mercredi,
on pouvait faire un envoi. On est déjà rendus à huit ou neuf jours de délai
pour obtenir le diagnostic. Et là, c'était souvent de gros volumes de lames qui
arrivaient au pathologiste, donc, impossible de toutes les lire la même
journée. Cela cause un autre délai supplémentaire ».
3.4 Analyse inter-cas
Dans la présente section, nous synthétisons les principales observations reliées au succès du
projet de télépathologie du RUIS Laval. Notre analyse porte d’abord sur les utilisations faites de la
télépathologie et les raisons qui les sous-tendent. Dans un deuxième temps, nous mettrons
l’accent sur les bénéfices observés.
3.4.1 Formes variées d’utilisation de la télépathologie
Tel que mentionné dans l’introduction, une des principales utilisations attendues de la
télépathologie dans le cadre du projet du RUIS Laval est liée aux examens extemporanés. À cet
égard, on constate des résultats divergents entre les trois cas analysés dans la présente étude. En
effet, alors que les chirurgiens concernés dans les CH de Sept-Îles (cas 1), Gaspé et Maria (cas 2)
ont régulièrement recours à la télépathologie à cette fin, ceux du CH de Thetford Mines (cas 3) ont
pour la plupart renoncé à ce type d’usage. Deux raisons principales expliquent cet écart au niveau
de la prédisposition des chirurgiens à adopter la télépathologie. La première est liée au fait que les
problèmes et les longs délais rencontrés initialement au CH de Thetford Mines ont rapidement
contribué à semer de sérieux doutes dans l’esprit de plusieurs chirurgiens, dont un jouissant d’une
très grande notoriété au sein de l’établissement de santé. Sous les conseils de ce leader d’opinion,
la grande majorité des chirurgiens a vite renoncé à recourir à la télépathologie lors des examens
extemporanés. Or de tels problèmes techniques, également rencontrés initialement dans les sites
requérants associés aux cas 1 et 2, furent rapidement résolus et n’ont aucunement ralenti l’ardeur
des troupes.
La deuxième raison est liée quant à elle à l’existence (ou non) d’une alternative viable. Au CH de
Sept-Îles comme à ceux de Gaspé et de Maria, il n’y a pas d’alternative à la télépathologie en ce
sens que, sans recours à la technologie, plusieurs chirurgies ne peuvent pas être réalisées sur
place ou encore doivent être faites en deux temps, avec tous les effets collatéraux que ces options
entraînent pour le personnel soignant, les responsables du bloc opératoire et les patients euxmêmes. Les chirurgiens ont donc réagi de manière très positive à l’idée d’utiliser la télépathologie
aux fins d’examens extemporanés, et ce, malgré les limites inhérentes de la technologie. Au CH de
Thetford Mines, en revanche, le pathologiste itinérant représente une alternative jugée
satisfaisante et, de surcroit, profondément ancrée dans les habitudes de travail. Ainsi, les
contraintes associées à la venue d’un pathologiste itinérant ont semblé moins lourdes de
conséquences pour les chirurgiens que les risques inhérents à l’introduction de la télépathologie -
20
délais peropératoires, risques pour les patients, baisse de productivité, changement des habitudes
de travail, etc.
Tel qu’expliqué plus tôt, l’utilisation de la télépathologie aux fins de secondes opinions est pour sa
part limitée par la qualité des images numériques. La technologie mise en place dans les
établissements du RUIS Laval permet d’interpréter sans difficulté les cas de routine, ce que
confirme l’étude menée par Dr Perron et ses collègues (2013). En revanche, les cas jugés
complexes (ex. pathologie pulmonaire) ne se prêtent pas bien à la télépathologie en raison des
analyses complémentaires (ex. coloration, anticorps) qui sont souvent requises, selon les
pathologistes rencontrés. Par ailleurs, quelques types d’interventions envisagées par certains, dont
la chirurgie de Mohs, semblent contraints par le trop grand nombre de lames qui nécessiteraient
d’être numérisées, nuisant du coup à la performance du processus dans son ensemble.
Enfin, il importe de mentionner qu’une autre utilisation importante de la télépathologie dans le
cadre du projet du RUIS Laval est associée à l’examen de grosses pièces anatomiques à l’aide de
la macroscopie. Cet usage fut particulièrement exploité au CH de Thetford Mines et, dans une
moindre mesure, au CH de Sept-Îles. Ces examens nécessitent des connaissances poussées que
normalement seuls les pathologistes ont le privilège d’avoir. De son initiative personnelle, un des
pathologistes du CH de St-Georges (et anciennement de Sept-Îles) a offert une formation intensive
aux technologues de Sept-Îles (cas 1) et de Thetford Mines (cas 3) au niveau de la manipulation et
de la coupe des grosses pièces, ce qui a rendu possible ce type d’usage. Nous apprenions
récemment qu’un nouveau programme de « macroscopiste » sera bientôt offert par l’Université de
Montréal afin de former des « super techniciens ». Bref, l’expérience des CH de Thetford Mines et
celle de Sept-Îles suggèrent qu’il existe un réel potentiel associé à cette pratique et que l’usage et
les bénéfices associés à la télépathologie peuvent être tributaires d’initiatives individuelles.
3.4.2 Nature et étendue des bénéfices associés à la télépathologie
Dans cette section, nous tenterons de répondre à la question suivante : Dans quelle mesure les
principaux objectifs visés dans le cadre du projet de télépathologie du RUIS Laval ont-ils été
atteints?
Le premier objectif du projet visait à offrir une couverture continue du service d’examens
extemporanés dans les établissements de santé n’ayant pas de pathologiste sur place. Sur la base
des trois cas analysés dans cette étude, il ressort clairement que la télépathologie permet
d’assurer une telle couverture. En fait, aucun bris de service n’a été enregistré dans les trois sites
requérants ayant recours à la télépathologie lors des examens extemporanés. Nos observations
suggèrent en fait deux niveaux de couverture, soit les examens extemporanés prévus et non
prévus. Le premier niveau concerne les examens planifiés d’avance par l’équipe médicale et le
bloc opératoire. Tel qu’expliqué précédemment, ce type de couverture fut pleinement assuré aux
CH de Sept-Îles (cas 1) ainsi qu’aux CH de Gaspé et Maria (cas 2). Le deuxième niveau concerne
l’examen extemporané imprévu, soit celui qui survient lors d’une chirurgie. Chacun des quatre sites
requérants étudiés fait usage de la télépathologie dans de telles circonstances. Par ailleurs, la
mise en place d’un éventuel service de garde au centre régional de pathologie au CH de Rimouski
(cas 2) vise à assurer ce deuxième niveau de couverture pour tout l’Est du Québec.
21
L’objectif suivant visait à réduire les délais et à accroitre la qualité du service à la clientèle
chirurgicale dans les régions périphériques et éloignées, notamment en évitant les doubles
interventions et les transferts de patients vers les centres urbains. Malheureusement, aucune
donnée quantitative n’était disponible au niveau des interventions réalisées en deux temps et des
transferts de patients. Cependant, tel que décrit précédemment, tous les chirurgiens ayant recours
à la télépathologie lors d’examens extemporanés sont formels pour dire que l’usage de la
technologie permet d’éviter un tel dédoublement des efforts et d’améliorer l’accessibilité aux soins
à la population. Par ailleurs, seul le CH de Sept-Îles (cas 1) disposait de données fiables, quoique
peu nombreuses, au niveau du délai moyen entre le diagnostic et la chirurgie.
Le troisième objectif visait à faciliter le recrutement et la rétention de chirurgiens dans les régions
éloignées. Selon les données que nous avons collectées, il est clair que cet objectif a été atteint.
En effet, nous avons observé au moins un cas de recrutement au CH de Gaspé et au moins un
cas de rétention au CH de Sept-Îles. Par ailleurs, il importe de mentionner que la télépathologie a
contribué au maintien de tous les postes de technologues là où on observe l’absence de
pathologistes. Certains technologues ont vu leurs tâches rehaussées, voire enrichies avec l’ajout
de la manipulation de grosses pièces. Toutefois, d’autres technologues ont vu l’effet contraire se
produire, comme on l’a observé au CH de Gaspé. Cela indique clairement que la télépathologie,
soit la technologie qui la sous-tend, est dans une large mesure « neutre ». Cela signifie que ses
effets sont largement influencés par les réactions, les décisions et les actions des acteurs clés
dans chacun des établissements de santé concernés.
Enfin, la mise en place de la télépathologie a permis de réduire l’isolement professionnel du
pathologiste présent au CH de Baie-Comeau (cas 1) et celui du CH de Saint-Georges (cas 3) via
les secondes opinions demandées à des collègues œuvrant dans des établissements de santé de
2ème et 3ème ligne ainsi que les séances de visioconférence tenues lors des examens
extemporanés (cas 1 et 2). Le problème de l’isolement professionnel était évidemment moins
présent au CH de Rimouski en raison de la présence de plusieurs pathologistes sur place.
En résumé, le projet de télépathologie a d’abord et avant tout permis une couverture continue du
service d’examens extemporanés dans les établissements de santé ne disposant d’aucun
pathologiste sur place et, ainsi, éviter les bris de service. La technologie a aussi permis une
couverture en situation d’urgence, lors d’examens extemporanés imprévus. Pour leur part, les
chirurgiens ayant recours à la télépathologie lors d’examens extemporanés croient que cette
approche leur permet d’améliorer la qualité des soins offerts aux patients, notamment en diminuant
le nombre d’interventions réalisées en deux temps. Sur le plan organisationnel, la télépathologie
contribue indéniablement au recrutement et à la rétention de chirurgiens en région éloignée.
Finalement, la télépathologie permet de réduire l’isolement professionnel des pathologistes qui
travaillent en solo en région éloignée, comme ce fut le cas pour le pathologiste du CH de BaieComeau (cas 1).
Nous réitérons le fait que la présentation de ces bénéfices ne doit pas donner l’impression que leur
concrétisation est automatique ou encore que l’implantation de la télépathologie représente un
exercice trivial. En fait, les difficultés rencontrées peuvent être à la fois nombreuses et variées
comme en témoigne ce projet. Au niveau technologique, il est crucial que les composantes
technologiques et logicielles soient à la fois performantes et fiables lorsque le système est mis en
opération. Il faut par ailleurs éviter que les bris techniques initiaux, lorsqu’ils se produisent, nuisent
22
à l’adhésion des utilisateurs vis-à-vis du système. Une phase de rodage ou d’expérimentation est
nécessaire avant de pouvoir utiliser la télépathologie en contexte de pathologie peropératoire. Lors
de la phase de post-déploiement, la qualité du support technique a souvent été notée dans les
entretiens comme étant un facteur clé de succès.
Sur le plan humain, il ne faut pas sous-estimer l’effort que requiert l’apprentissage de la
technologie et l’incidence que celle-ci a sur les pratiques cliniques. Nous avons pu observer que
les habitudes de travail profondément ancrées semblent être la cause de certains comportements
de résistance. Le succès d’un projet de télépathologie est également associé au développement
d’une relation de confiance entre les différents acteurs. Par exemple, le chirurgien doit faire
confiance au pathologiste qui intervient lors d’un examen extemporané et le pathologiste doit à son
tour faire confiance au technologue qui doit préparer les lames ou manipuler les grosses pièces.
En ce sens, la gestion du changement ne doit pas être sous-estimée. Les attentes doivent être
bien gérées au risque sinon de se retrouver dans un contexte défavorable comme ce fut le cas au
CH de Thetford Mines. La présence d’un champion clinique représente une autre condition
essentielle de succès, et ce, tant au sein des sites requérants que répondants.
Enfin, implanter la télépathologie amène également son lot de défis au niveau organisationnel;
notamment l’identification de partenaires et la signature d’ententes contractuelles interétablissements, l’harmonisation des processus et des pratiques cliniques (ex. coupe de pièces)
entre les partenaires, la création d’un laboratoire médical (lorsque non existant) et la réorganisation
du travail tant au sein des sites requérants que répondants. Enfin, la mise en place de la
télépathologie modifie certaines pratiques et, en tant qu’innovation, fait évoluer la nature des
tâches ou responsabilités des professionnels impliqués. La manipulation des grosses pièces par
les technologues constitue un excellent cas de figure. Sur le plan légal, il faut reconnaitre que de
tels actes sont à la limite de ce que les technologues sont autorisés à faire, comme le note un
technologue :
« En l’absence d’un pathologiste, plusieurs technologues craignent d'avoir à
faire des actes délégués, d’être obligés de faire quelque chose qu’ils ne sont
peut-être pas en mesure de faire (…) Présentement, je crois même que
l’Ordre des techniciens de laboratoire médical examine cela. (…) Il y a un
dossier qui est ouvert à ce sujet ».
Bref, le succès d’un projet de télépathologie comme celui du RUIS Laval repose sur la prise en
compte et la résolution de plusieurs défis technologiques, humains, organisationnels et légaux.
Avant de conclure, il convient de noter que les résultats présentés dans ce rapport doivent être
interprétés avec prudence en raison de deux principales limites méthodologiques. D’une part,
même si le choix des trois études de cas visait à maximiser la représentativité des contextes (ex.
présence ou non d’un pathologiste avant l’introduction de la télépathologie, présence ou non d’un
laboratoire médical avant le déploiement de la télépathologie; établissements requérants et
répondants au sein d’une même Agence ou non; présence ou absence d’un pathologiste itinérant)
et que ce choix fut initialement approuvé par Inforoute Santé du Canada, il demeure néanmoins
que seul le tiers des établissements du RUIS Laval ont participé à la présente étude. D’autre part,
les données quantitatives associées à certains indicateurs de succès, dont le nombre de chirurgies
réalisées en deux temps et le nombre de patients transférés vers d’autres établissements de
23
santé, n’étaient malheureusement pas disponibles et n’ont donc pu faire l’objet d’analyses. Nous
avons toutefois été en mesure de collecter des données qualitatives très riches puis de trianguler
celles-ci avec les données quantitatives mises à notre disposition, augmentant du même coup la
fiabilité et la validité de nos conclusions.
4. Conclusion
Tel que mentionné plus tôt, cette étude visait à mieux comprendre la nature des usages de la
télépathologie sur le territoire du RUIS Laval ainsi qu’à évaluer de manière objective et rigoureuse
l’étendue des impacts associés à la mise en place de cette innovation technologique.
Nos résultats indiquent clairement que la télépathologie a une utilité pour les établissements de
santé dépourvus de pathologiste. Elle permet principalement d’assurer une couverture en
examens extemporanés qui améliore la qualité et l’accessibilité des soins aux populations vivant
en région éloignée. La télépathologie offre plusieurs avantages au niveau des secondes opinions,
de la macroscopie et des lames de routine. La mise en place de la télépathologie a par ailleurs
contribué au mouvement de concentration des laboratoires de pathologie dans l’Est du Québec,
phénomène également observé ailleurs au Canada. Soulignons toutefois que certaines limites
inhérentes à la technologie disponible font en sorte que la télépathologie ne peut se substituer
entièrement aux diagnostics réalisés à l’aide d’un microscope.
Rappelons que les sites étudiés dans ce rapport se sont tous organisés de façon autonome. En
effet, ce sont les établissements requérants eux-mêmes (ou dans certains cas, les pathologistes
de ces établissements avant leur départ) qui ont débuté les négociations avec les établissements
partenaires. Ces sites ont pu faire l’objet de la présente étude car ils ont été parmi les premiers à
signer des ententes de services. Or, il y a plusieurs autres sites requérants (qui disposent des
équipements et des logiciels nécessaires) qui peinent à trouver des établissements partenaires, ce
qui constitue un frein important au développement de la télépathologie au sein du RUIS Laval.
Deux constats doivent être émis à cet effet. Le premier concerne l’organisation de la pathologie
dans le réseau de la santé alors que le deuxième concerne la rémunération des pathologistes.
D’abord, l’offre de soins en pathologie (et non en télépathologie) est organisée dans une optique
de servir d’abord la patientièle locale, puis celle de la région, puis éventuellement celle des autres
régions. Vouloir superposer à cette organisation naturelle une vision où tous les établissements du
RUIS Laval sont reliés entre eux via un système de télépathologie n’est qu’un exercice théorique
ayant peu de chances de succès à long terme. En effet, les établissements n’améliorent en rien
leur performance respective lorsqu’ils « aident » d’autres établissements. À la limite, apporter une
telle aide peut améliorer les indicateurs de performance d’une Agence de la santé en autant que
cette aide soit apportée en son sein. En d’autres termes, il apparaît qu’une vision RUIS de la
télépathologie a très peu de chance de générer l’ensemble des bénéfices escomptés si elle n’est
pas alignée avec une vision suprarégionale de l’offre de soins en pathologie, et si des indicateurs
de performance appropriés ne sont pas clairement établis. Il est accablant de penser que l’analyse
de lames contenant des cas potentiellement urgents puisse être effectuée par un pathologiste
plusieurs mois après l’analyse de dents extraites lors d’une une chirurgie de routine, sous prétexte
qu’elle provient d’un autre établissement, surtout lorsque le spécimen aurait pu être transmis
numériquement. Il s’agit là de situations réelles, selon les participants à cette étude. Nous
convenons tous qu’aucune technologie, aussi parfaite soit-elle, ne pourra régler ce type de
24
problème. Nous croyons que la solution demeure au niveau de l’organisation de l’offre de services
sur le territoire du RUIS Laval.
De plus, il était anticipé initialement que les pathologistes du CHUQ et de ses établissements
affiliés (en raison de la concentration des expertises de pointe) agiraient dans le cadre du projet
comme « filet de sécurité » en faisant des extemporanés pour des CH en difficulté temporaire ou
en répondant à des consultations urgentes. Il était clair que les centres universitaires ne pourraient
pas contribuer davantage en raison de la surcharge de travail actuelle. Une autre raison ayant
sans doute freiné l’ardeur des pathologistes du CHUQ est associée au mode de rémunération. En
effet, il importe de préciser qu’entre le 1er janvier et le 1er septembre 2012, le salaire des
pathologistes au Québec était plafonné de sorte qu’il n’y avait aucun incitatif pour un médecin à
« dépanner » les établissements dans le besoin. 4 En date du 1er septembre 2012, des
changements importants ont été apportés à la politique salariale 5 mais comme cette nouvelle
entente ne s’applique qu’aux établissements en difficulté, il n’existe toujours aucun incitatif pour un
pathologiste travaillant dans un centre universitaire à couvrir un ou plusieurs de ses confrères en
région éloignée, ce qui semble aller à l’encontre des objectifs originaux du projet.
En résumé, selon plusieurs répondants l’avenir de la télépathologie tient à la volonté ministérielle
d'en arriver à une véritable organisation régionale des services en pathologie jumelée à la mise en
place d’une politique salariale incitative. Les autorités ministérielles ainsi que les gestionnaires des
Agences de la santé et des services sociaux devront à leur tour poser un diagnostic détaillé de la
situation actuelle et prendre les décisions qui s’imposent. Sans cette volonté politique, les
initiatives, l’enthousiasme et la détermination des champions sur le terrain ne permettront pas
d’assurer la pérennité de cet important projet collectif.
Voir à cet effet, l’article intitulé « Rien ne va plus en pathologie » à http://santeinc.com/2012/05/rien-ne-va-plus-enpathologie/
5 Lettre d’entente no 189, conclue entre l’Association des pathologistes du Québec, la Fédération des médecins
spécialistes du Québec, et le Ministère de la santé et des services sociaux du Québec à l’arrivée du ministre Réjean
Hébert.
4
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Références
DeLone, W. H., and McLean, E. R. 1992. “Information Systems Success: The Quest for the
Dependent Variable.,” Information Systems Research (3:1), pp. 60–95.
INESSS. 2008. “Telepathology: Guidelines and technical standards, literature review”.
Inforoute Santé du Canada. 2011. Utilization and Benefits Evaluation Indicators for Telepathology.
8 pages.
Perron, E., Louahlia, S., and Têtu, B. 2013. “Intraoperative Pathologic Consulation by
Telepathology: An Accuracy Study of 104 Analysis Performed by the Eastern Quebec
Telepathology Network,” (Vol. 26 (S2)) , p. 499A.
Sicotte, C., and Paré, G. 2010. “Success in health information exchange projects: Solving the
implementation puzzle,” Social Science & Medicine (70:8), pp. 1159–1165.
Têtu, B., Boulanger, J., and Houde, C. 2010. “Telepathology project on virtual slides of eastern
Quebec: a clinical project carried out in 21 areas,” Annales de pathologie (30:5 Suppl 1),
pp. 25–27.
Têtu, B., Boulanger, J., Houde, C., Fortin, J.-P., Gagnon, M.-P., Roch, G., Paré, G., Trudel, M.-C.,
and Sicotte, C. 2012. “Le réseau de télépathologie de l’Est du Québec,”
Médecine/sciences (28:11), pp. 993–999.
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