Gérard Pussey

Transcription

Gérard Pussey
dossier d'accompagnement de la valise lecture
Gérard Pussey
Mouche
l'école des Loisirs
niveau
dossier proposé par
CE2
Suzy MALZIEU
Colette RAYSSAC
Février 1999
CDDP de la Gironde
BP 267 rue veyri 33698 Mérignac cedex tél. 05 56 47 05 81 fax : 05 56 47 38 05 Mèl : [email protected]
La nuit du Boufadou
Gérard PUSSEY, auteur - Philippe DUMAS, illustrateur
éd. L'école des loisirs
Livret réalisé par
Suzy Malzieu
Colette Rayssac
Niveau
CE2
Sommaire
Remarques préliminaires
Séquence 1
Séquence 2
Séquence 3
Séquence 4
Séquence 5
Séquence 6
Séquence 7
Séquences complémentaires
Textes
CDDP de la Gironde
1
page 2
page 3
page 4
page 5
page 6
page 7
page 8
page 9
page 10
page 11
La nuit du Boufadou
Remarques préliminaires
Pourquoi cet album ?
Il développe le thème de la peur de manière originale. D'abord plaisir
d'avoir peur à travers des lectures, puis de faire peur : ici c'est un enfant qui se
livre à ce jeu avec un adulte.
Dans un contexte quotidien, la tension dramatique croit jusqu'à la chute
inattendue.
Le texte donne cependant place à l'humour.
Les illustrations sont de qualité et très évocatrices, elles accompagnent
parfaitement le texte.
Résumé de l'album
Marion Briquet aime les histoires horribles, mais VRAIMENT HORRIBLES
(avec araignées, vampires, squelettes, etc.). Son père est pareil : il passe ses
soirées à dévorer des contes abominables (avec d'autres araignées, vampires,
squelettes, etc.). Mais il prétend avec un air supérieur que ses lectures à lui
sont bien plus horribles que celles de sa fille : "Forcément, un adulte comme
moi ne s'effraie pas aussi facilement qu'une fillette comme toi."
Alors, furieuse, Marion Briquet décide un soir de donner une bonne leçon
de frousse à son père (avec orage, panne d'électricité, Boufadou-mangeur
d'enfants, etc.)...
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La nuit du Boufadou
Séquence 1
1 - Entretien sur les peurs
Qu'est ce qui vous fait peur ?
Aimez-vous lire ou écouter des histoires qui font peur ?
En connaissez-vous ?
Pourquoi font-elles peur ?
2 - Observation du livre
Échanges
3 - Lecture du 1er chapitre
Une seule question : avec quoi le père et la fille aiment-ils se faire peur ?
Précisions pour l'enseignant
Entretien sur les peurs
a - Favoriser l'expression spontanée des enfants.
b - Amener les enfants à distinguer au moins deux types de peur :
les peurs de la vie réelle
exemple : la peur du noir
les peurs de l'imaginaire
exemple : les dragons
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La nuit du Boufadou
Séquence 2
1 - Lecture de la 4e de couverture
Lecture silencieuse
Lecture à haute voix
2 - Recherche sur l'histoire
Les personnages
Les lieux
Le thème
3 - Recherche des différents intervenants
L'auteur
L'illustrateur
L'éditeur, la collection, l'année d'édition
4 - Recherche en BCD
Autres livres de cet auteur et de cet illustrateur
5 - Traces écrites
Noter les renseignements dans le cahier de lecture
6 - Contrat de lecture
Pour la séquence suivante, chaque enfant prépare la lecture des
pages 13 à 15.
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La nuit du Boufadou
Séquence 3
1 - Travail individuel
Répondre à ces questions :
Pourquoi Marion est-elle étonnée de voir l'institutrice aussi effrayée ?
Qu'est-ce qui lui donne l'idée de vérifier que son père n'a jamais peur ?
Pourquoi est-ce très intéressant que Cyril lui prête le fameux masque ce
jour-là ?
2 - Réponses orales à ces questions
3 - Relecture silencieuse
4 - Lecture à haute voix par quelques élèves
5 - Contrat de lecture
Pour une date fixée par l'enseignant(e) – environ une semaine – lire de la
page 17 à la page 43.
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La nuit du Boufadou
Séquence 4
1 - Discussion collective
Dégager les grandes lignes du récit
Qui est le narrateur ?
2 - Travail individuel
a - Relecture des pages 17 à 19 jusqu'à ...je pousse sa porte.
b - Réponses écrites aux questions ci-dessous dans le cahier d'essai
Que veut Marion ?
Qu'utilise-t-elle pour devenir AFFREUSE ?
Quels autres éléments vont participer à l'ambiance de la peur ?
3 - Mise en commun
Rédaction collective des réponses pour figurer dans le cahier de lecture.
Précisions pour le maître
a - Grandes lignes du récit
pages 17 à 19 jusqu'à ...je pousse sa porte : le départ de la maman et les
préparatifs de Marion.
pages 19 à 22 : la peur du père
pages 22 à 25 jusqu'à ...se diriger dans l'obscurité : découverte du piège
de Marion et discussion sur le Boufadou.
pages 25 à 36 jusqu'à ...au ras de nos têtes : la grande peur des deux
personnes.
pages 36 à 41 : le réconfort apporté par Maman.
page 43 : situation finale ; la preuve que les grandes personnes ont peur.
b - À propos du narrateur
L'un des personnages principaux est le narrateur.
Faire dégager cette notion de narrateur dans d'autres textes.
Faire constater qu'il est souvent extérieur au récit.
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La nuit du Boufadou
Séquence 5
pages 19 à 22
1 - Relecture pages 19 à 22
2 - Lecture collective
Lecture dramatisée du dialogue avec récitants.
Distribution du texte à des groupes de trois élèves.
Recherche par groupe sur le vocabulaire
Relever les mots ou expressions qui créent l'ambiance de peur :
un gargouillis lugubre
la porte qui s'ouvre en grinçant
de plus en plus inquiet...
3 - Mise en commun
Création d'un répertoire sur la peur qui sera complété lors d'autres
séquences ; à recopier dans le cahier de lecture.
4 - Travail individuel
Recherche des éléments qui contribuent à la description du Boufadou
(pages 23 à 25).
5 - Mise en commun
Rédiger un texte descriptif sur le Boufadou ; ce texte pourra figurer dans le
cahier de lecture.
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La nuit du Boufadou
Séquence 6
pages 25 à 36
1 -Relecture des pages 25 (depuis Tout à coup...) à 36
2 - Recherche en deux ateliers
des éléments qui font monter l'angoisse : atelier 1
des catastrophes qui s'enchaînent : atelier 2
3 - Mise en commun au tableau
Les résultats de ces recherches seront notés ensuite dans le cahier de
lecture.
4 - Discussion collective sur l'image
Que pensez-vous des illustrations de ce passage (pages 25 à 36) ?
Réactions spontanées des enfants.
Quelle est l'image qui vous impressionne le plus ? Pourquoi ?
Dans l'illustration de la page 29, quels sont les éléments qui contribuent à
donner cette ambiance de peur ?
5 - Lecture collective
Lecture dramatisée du dialogue avec plusieurs récitants (texte long).
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La nuit du Boufadou
Séquence 7
pages 37 à 43
1 - Relecture des pages 37 à 43
Quels sont les deux moments importants dans ce passage ?
Donner un titre à chacun de ces passages.
2 - Discussion collective
a - Observation des images des pages 35 à 39
Encourager les réactions spontanées des élèves.
Qu'est ce qui se dégage de chacune de ces illustrations ?
b - Le rôle de la maman
Quelle est la réaction de la maman ?
Quel rôle joue-t-elle ?
Quelle est la conclusion de toute cette aventure ?
c - L'avis de Marion
Est-ce que Marion est toujours du même avis après avoir vécu cette
aventure ?
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La nuit du Boufadou
Activités complémentaires
à répartir sur plusieurs séquences
Textes sur les peurs
1- Un été aux arpents de A. Wildsmith
a - Lecture par les enfants de la 4ème de couverture
discussion :
- quel va être le type d'histoire dans ce livre ?
- quel est le problème ?
b - Lecture par l'enseignant des pages 153 à 161
Échanges à propos du texte
- quels sont les éléments qui contribuent à la dramatisation ?
- quel est le moment le plus dramatique ?
- où est-il situé dans le texte ?
2 - Les enfants de Noé de Jean Joubert
a - La 4ème de couverture
L'enseignant raconte d'après la 4ème de couverture le thème du roman
pour situer le passage qu'il va lire.
b - Lecture par l'enseignant des pages 132 à 134
Échanges à propos du texte
- à partir de quel moment l'angoisse est-elle présente ?
- quelle est la crainte de l'enfant ?
c - Situer Jean Joubert dans la littérature française (4ème de couverture).
3 - Poil de Carotte de Jules Renard : les poules
a - Situer Jules Renard dans la littérature française
Présenter l'Histoire de Poil de Carotte (voir document joint).
b - Lecture silencieuse par les enfants du texte "les poules".
Échanges à propos du texte
- Poil de Carotte est partagé entre deux sentiments. Lesquels ?
- quels sont les mots et expressions qui traduisent la peur ?
- que ressent-il lorsqu'il rentre ?
- comment est-il accueilli ?
Lecture à haute voix en particulier le dialogue et le paragraphe montrant
Poil de Carotte dans le poulailler.
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La nuit du Boufadou
Textes
Un été aux arpents
Quand la famille quitte la ville pour habiter une vieille ferme, les trois aînés se réjouissent à l'idée d'explorer le territoire
des "Arpents", au milieu de la forêt canadienne. Mais John va faire une découverte étrange dans la vieille cabane de la
propriété. Paula et David rient d'abord de ses craintes, puis vont, à leur tour, être gagnés par l'inquiétude : des traces
mystérieuses sont découvertes dans les herbes, des bruits, étranges retentissent dans la nuit…Comment les enfants
réussiront-ils à percer le secret de la vieille cabane ?
II faisait un noir d’orage quand j’arrivai à la maison. Maman me gronda d’avoir mis si longtemps à rentrer. Il fallut que
je quitte mes habits trempés dans la cuisine et que je me sèche avec la serviette qu’elle me tendait pendant que je
l’écoutais me gronder. Ensuite, j’allai à la fenêtre du salon et je restai là, à regarder les éclairs allumer les ourlets des
nuages. Des fourches se plantaient dans la terre et de grands coups de tonnerre faisaient trembler les fenêtres tandis que
les torrents de pluie rebondissaient au-dessus du sol. Cela continua ainsi pendant tout le repas. Et il pleuvait encore
quand j’allai me coucher. Pas la peine d’essayer de dormir, car, chaque fois que le tonnerre s’éloignait, un nouveau lot
de nuages arrivait comme une énorme vague d’éclairs qui aurait déferlé et explosé sur la forêt. C’est alors que je vis la
chose, et que, dans mon excitation, je manquai passer à travers la vitre. Ce devait être vers une heure du matin, bien que
je fusse trop énervé pour avoir vérifié l’heure. J’avais mis un oreiller sur ma chaise et je l’avais tirée devant la fenêtre
pour pouvoir assister confortablement au spectacle. Au moment où tout le paysage s’illuminait d’une lumière bleue
rendant tout merveilleusement clair, les arbres, les nuages, le rocher, la cabane, même à travers la pluie, je vis des
lambeaux de fumée sortir de la cheminée de la vieille cabane en rondins. Je restai à ma fenêtre jusqu’au prochain éclair,
pour m’assurer que je ne rêvais pas. Puis je n’eus plus qu’une idée en tête : atteindre la cabane avant que l’intrus
disparaisse à nouveau. Une dizaine de secondes pour enfiler mes habits, encore une autre pour me glisser en bas dans le
noir. Ce n’était pas facile parce que mes yeux étaient rem- plis de la lueur des éclairs. Il me fallut bien un million
d’années pour trouver mon anorak, et puis encore deux secondes jusqu’au prochain coup de tonnerre pour ouvrir et
fermer la porte sans qu’on m’entende. Dehors, la pluie tombait toujours à pleins seaux, le tonnerre et les éclairs
déchiraient le ciel. Je courus tout le long du chemin jusqu’à la cabane. Et quand j’arrivai, je ne m’arrêtai pas pour
réfléchir. J’ouvris la porte d’un grand coup et je me précipitai à l’intérieur. Je me tenais dans la pénombre de la cuisine,
hors d’haleine et dégoulinant comme une rivière sur le sol de pierre. Mes poumons luttaient pour retrouver leur
respiration et mon cœur battait comme un fou. La porte de la grande pièce était entrouverte, assez pour que je puisse
apercevoir des ombres bouger. J’essayai de toutes mes forces d’écouter, mais aucun autre bruit que le craquement d’une
bûche et le fracas de l’orage, dehors, ne me parvenait. En hésitant, je poussai la porte un peu plus et j’entrai. Je n’étais
pas plutôt à l’intérieur que la porte se referma et que de rudes bras m’attrapèrent par-derrière. Je hurlai de peur et
j’essayai de me libérer quand une main se posa sur ma bouche et que je tombai la tête la première dans l’obscurité.
En revenant à moi, je vis tout d’abord le feu. Les flammes léchaient des bûches que l’on venait de déposer. Je refermai
les yeux, priant pour que tout cela ne soit qu’un rêve. Mais quand je les rouvris, je sus que c’était vrai. J’étais assis sur
une chaise près du feu, toujours trempé, je pouvais entendre mon cœur battre la breloque et sentir mes muscles se
durcir. Je regardais autour de moi. Un homme était assis de l’autre côté du feu. Un Indien. Je me figeai en l’apercevant.
Il avait vraiment une drôle de tête : un grand nez crochu comme un bec, des pommettes hautes et des yeux noirs et durs
comme des pierres. Je m’obligeai à détourner mon regard, me disant qu’à trois, je foncerais en direction de la porte. Un,
deux, trois ! Je sautai sur mes pieds et me mis à courir. Je ne pense pas avoir jamais couru aussi vite de toute ma vie.
Mais il allait plus vite que moi. – Va t’asseoir, petit Blanc ! ordonna-t-il. – Qui êtes-vous ? Que faites-vous ici? J’étais
soulagé de me découvrir une voix normale, qui ne tremblait pas et ne pouvait donc révéler à quel point j’étais terrifié.
D’une certaine façon, cela me rassura. Cela me donna l’impression d’être un peu plus fort. – Assieds-toi, répéta-t-il, en
me regardant avec ses yeux noirs. – Je ne veux pas m’asseoir. C’était vrai. Mon corps tout entier était tendu comme il
ne l’avait jamais été, comme un élastique complètement étiré. Je voulais bouger, et bouger en m’éloignant de cet Indien.
– Alors, ne t’approche pas de la porte. Je n’avais guère de choix. Il était bien plus fort que moi. Je revins vers le feu et
me tins sur l’un des côtés de la cheminée pour pouvoir avoir l'œil sur lui. Il retourna à sa chaise et s’assit sans rien dire
de plus. Petit à petit, je me rendais compte de ma situation impossible. Je n’étais pas loin de chez moi, mais cela ne
m’avançait à rien : ces quelques centaines de mètres auraient pu être tout aussi bien des kilomètres. J’étais bel et bien
pris au piège. Personne ne s’apercevrait de mon absence avant le matin, et nous en étions loin. Pendant ce temps, il
pouvait m’arriver n’importe quoi.
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La nuit du Boufadou
Les enfants de Noé
En février 2006, des expériences dans la zone polaire provoquent une gigantesque tempête qui ensevelit l’hémisphère
nord sous plusieurs mètres de neige, paralysant toute activité. Quelques années plus tard, un jeune homme, Simon,
raconte la longue lutte pour la survie matérielle et spirituelle qu’il a menée avec sa famille, dans leur chalet des Alpes,
au cœur de ce déluge blanc. Dans leur arche perdue, le père, la mère et les deux enfants affrontent de multiples périls, la
solitude, la peur, parfois l’angoisse, mais finalement c’est l’ingéniosité et l’espoir qui l’emportent. Ils réinventent des
gestes ancestraux qu’ils croyaient oubliés. Auprès d’eux, leurs animaux familiers les aident, de diverses manières, à
surmonter l’épreuve. Dans les livres qui les entourent, et dont le père lit chaque soir quelques pages au coin du feu, ils
puisent aussi des leçons d’amour et de courage. Roman d’anticipation, récit d’aventures, fable écologique, ce livre est
aussi une méditation sur la fragilité du monde où nous vivons, et comme un manuel de survie pour les futurs naufragés
de la société industrielle
Prix de la Fondation de France, 1988.
Jean Joubert, poète et romancier, est né à Chalette-sur-Loing (Loiret) en 1928. Après des études à la Sorbonne et de
longs séjours en Angleterre, en Allemagne et aux États-Unis, il s’établit en Languedoc, dans un petit village de la
garrigue. C’est là qu’il vit depuis une vingtaine d’années, se partageant entre la poésie, le roman et l’enseignement de la
littérature américaine à l’université Paul-Valéry de Montpellier. Il a obtenu le prix Renaudot pour son quatrième roman,
L’Homme de sable, et le prix de l’Académie Mallarmé pour Les Poèmes : 1955-1975. Il a également publié sept livres
pour la jeunesse. Couverture: Nicolas de Staël, La lune, 1953 (huile sur toile). @ A.D.A.G.P., Paris, 1988.
Nous nous étions hissés sur la terrasse pour respirer et faire notre gymnastique quotidienne, lorsque j’aperçus au loin,
sur une crête, un point sombre qui bougeait. Je poussai un cri, les autres se retournèrent, et nous restâmes là, les bras
ballants, à regarder cette apparition pour nous stupéfiante : celle du premier être vivant que nous ayons vu depuis le
désastre. Mais je pressentais que nous n’avions pas à nous en réjouir, et ce qui suivit le confirma bientôt.
Pa avait braqué ses jumelles dans la direction du point, qui commençait à descendre la pente, mais il n’arrivait pas à
régler les lentilles. Il maniait fébrilement la molette, s’énervait et jurait. Enfin il dit que c’était mieux, c’était bien : il
voyait un animal, oui, probablement un chien qui avait l’air d’avancer avec difficulté.
Il doit être à six ou sept cents mètres. J ai l impression qu’i1 vient vers nous. Je ne distingue pas très bien sa couleur.
Il avait relevé les jumelles, et il observait maintenant l’horizon.
En voilà d’autres ! s’exclama-t-il aussitôt. Trois. Quatre. Et là-haut, cinq autres encore ! D’ailleurs nous les voyions
sans trop de ma1 à l'œil nu, car la lumière était un peu moins grise, et ils se détachaient sur la blancheur de la neige.
Deux autres bêtes étaient apparues, un peu plus loin sur la droite, et toutes convergeaient vers la maison, rejoignant la
piste que sans doute elles avaient frayée lors de leur visite nocturne. Lorsqu’elles arrivèrent à environ trois cents mètres
de nous, les traînards avaient rejoint le gros de la troupe, et de toute évidence, malgré la lenteur de la progression, cette
meute désormais compacte ne tarde- rait pas à nous atteindre. Nous ne pouvions pas encore distinguer très nettement les
détails, mais, s’il s’agissait de chiens, ils devaient être d’assez grande taille et de même race. Pa, qui n’avait pas lâché
ses jumelles, nous les décrivait peu à peu : une fourrure gris sombre, un museau fin, des oreilles pointues... Puis, tout à
coup il s’écria :
Mais, ma parole, tu avais raison, Noémie. Ce sont des loups. Quelle histoire !
C’est ce dont nous étions persuadés depuis la veille, Noémie et moi, mais d’entendre Pa l’admettre nous donna malgré
tout un coup au cœur. Cette fois nous étions entrés dans ce qui m’apparaissait à la fois comme une aventure et un
cauchemar. Les loups avançaient de front maintenant, et, sous le ciel noir, dans la lueur livide qui montait de la neige,
ils avaient un aspect sinistre et menaçant. On devinait leurs muscles tendus dans l’effort, et, de temps à autre, lorsqu’ils
retroussaient leurs babines, les crocs luisaient.
Ils étaient si proches que Man nous poussa vers l’échelle, en nous ordonnant de descendre vite dans le fenil. La chèvre,
en bas, s’était mise à bêler avec frénésie, et sans doute les loups l’avaient-ils entendue, car l’un d’eux donna aussitôt de
la voix, et, les autres suivant son exemple, il y eut un concert de hurlements sauvages. Lorsque je me retournai, un
instant, avant de poser le pied sur le barreau, je vis qu’ils s’étaient arrêtés, le museau pointé vers le ciel, à une vingtaine
de mètres de la terrasse où Pa battait prudemment en retraite.
Il ne fut pas long à nous rejoindre et à fermer le volet qu’il consolida avec la poutre. Quelques secondes plus tard, les
hurlements résonnaient au-dessus de nos têtes, des griffes crissaient sur les planches de la terrasse, et nous entendions
tout près des halètements et comme des plaintes. Pa avait allumé la lampe tempête, et nous restâmes là, silencieux, à
écouter le va-et-vient des fauves. L’un d’eux, poussé par la faim, n’allait-il pas se précipiter dans la fosse et tenter de
forcer l’ouverture. Pa affirmait que le volet était solide, et que nous ne craignions rien, mais je n’étais qu’à demi
rassuré, car je prêtais à ces monstres une force redoutable, et je me demandais si, à coups de dents et de griffes, ils ne
finiraient pas par faire voler le bois en éclat, et à s’introduire dans notre refuge
Le tapage dura un bon quart d heure, qui nous parut très long, puis il diminua, nos visiteurs s’étant sans doute repliés sur
le tas d’immondices où ils devaient flairer l’odeur du bétail. On n’entendait plus que des jappements étouffés, et parfois
des gémissements qui semblaient être de douleur. Nous finîmes par descendre dans la cuisine où la vue du feu nous
revigora. Le chat, que rien ne paraissait affecter, dormait paisiblement devant l’âtre où cuisait la soupe pour le repas de
midi.
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La nuit du Boufadou
Poil de carotte
Poil de Carotte a accompagné Renard toute sa vie, depuis les Cloportes de 1887, jusqu’à la dernière ligne du journal.
Dans les Cloportes et dans la Bigote, Poil de Carotte vit d’une présence latente. Et dans le premier roman, comme dans
la dernière pièce de Jules Renard, revivent le petit village, la maison, la famille où s’est formée son enfance, et qui ont
fortement marqué son âme. Le Titly des Cloportes, c’est Chitry. La maison des Lérin (les Cloportes) ou des Lepic, celle
où grandit Poil de Carotte.
Ce n’est pas là qu’il est né, mais "c’est bien là, déclara-t-il, que sont nées mes premières impressions, et c’est jusque-là,
et ce n’est pas plus loin, que remontent mes plus vieux souvenirs d’âge tendre".
Chitry, où se trouvaient autrefois des mines de plomb argentifère, n’est qu’un tout petit village de la Nièvre, entouré de
prés et de quelques bois, et dont les jardins champêtres s’inclinent doucement jusqu’à la rivière, "que longe le pêcheur à
la ligne volante". On peut y voir encore "sa maison", sa tombe et son buste. Renard était attaché à Chitry. Il le quitta de
bonne heure, pour aller à Paris. Mais une fois qu’i1 eut réussi à Paris, celui que Rachilde appelait assez méchamment
"le paysan perverti" revint au village. En 1895, il loue une grande maison à Chaumot, à moins de deux kilomètres de
celle de Chitry, de l’autre côté de l’Yonne. Tout en résidant à Chaumot, il sera maire de Chitry. Ses parents morts, il se
disposait à revenir en propriétaire dans la maison de son enfance. Il avait commencé à l’aménager à son goût
(contestable) quand, prématurément, il mourut.
Ce village, avec sa quarantaine de maisons, son auberge, sa petite église, et, s’étendant de l’autre côté de la route, le
parc et le château que Renard voulut ignorer, c’est le cœur de l'œuvre de Renard, et ce qui en fait la solidité. Il y eut
deux "côtés" dans Jules Renard : le côté de Chitry, le côté de chez Guitry – le côté paysan, le côté parisien. Mais jamais
le second n'effaça le premier, essentiel. Et Renard devint l’ami de Guitry sans perdre la saveur de l’homme de Chitry.
Ce n’est pas seulement dans les Cloportes, Poil de Carotte et la Bigote, c’est dans les Histoires naturelles et le Vigneron
dans sa vigne, dans les Philippe et Patrie, dans Ragotte et l’Œil clair, que Renard a exprimé, du jeune Grelutot à la
vieille Honorine, son village, Chitry ou Chaumot. Dès 1894, il projetait d’écrire un livre qui aurait été la "somme" de
son village, "depuis le maire jusqu’au cochon". Ce livre, l’Herbe, Renard ne l’a pas écrit sous une forme suivie, mais
dispersée, sous d’autres titres, le maire ici, le cochon ailleurs, et les fragments empruntés aux différents ouvrages que
nous avons cités se rapprochent d’eux-mêmes pour le construire en nous. Dans l'œuvre, comme dans le cœur de Renard,
il n’y a qu’un village, dont il a été, conformément au vœu qu’il formulait un jour, "la résultante". A la lisière de Chitry,
du côté des champs, la maison des Renard, bien modeste, était une des plus belles. Renard ne l’a jamais "décrite", pas
plus qu’il n’a "décrit" son village, pas plus qu’il n’a fait de "portrait" de Poil de Carotte, mais ils vivent, dans toute son
œuvre, par mille détails précis, comme si nous les connaissions. C’est l’auberge de la mère Suzanne, en descendant vers
la rivière, avant le pont ; plus proche, l’église où ces dames vont à la prière, à la messe, aux vêpres ; le vieux cimetière,
et le neuf, construit par les soins de François Renard, maire de Chitry avant son fils Jules ; la rivière, où Honorine et
Ragotte vont laver le linge des autres, où se baigne Poil de Carotte en vacances ; les prés et les bois où chasse M. Lepic,
où grand frère Félix et Poil de Carotte vont essayer leur carabine, où Poil de Carotte mange de la luzerne, où il tuera sa
première bécasse, et, devenu Jules Renard, chassera les perdrix, les lièvres, avec Philippe, et les images, tout seul. Voici
le "petit mur" où son père, comme M. Castel, avait coutume de s’asseoir, la vieille croix jusqu’où M. Lepic emmenait,
le soir, promener ses enfants, le jardin où la Françoise des Cloportes accouche, le puits où elle jette son enfant, où Mme
Lepic, dans ses crises, menace de se précipiter, où la mère de Jules Renard, en 1909, se noiera. Voici les "toitons", celui
des poules, celui des lapins, celui où se tapit Poil de Carotte, et dont Jules Renard, en 1906, fera les honneurs à Lucien
Guitry. La lourde porte, la grande pièce, où se dresse la vaste cheminée, où souffle le trou de la "bassie", la chambre de
la cave, où couche Poil de Carotte, la cuisine des Bucoliques, tout est sorti de la réalité. La famille Lérin, ou Lepic, c’est
celle de Jules Renard. Comme dans Poil de Carotte, elle comprenait la mère, le père et trois enfants, deux garçons et
une fille. C’est la mère qui tenait le plus de place, et qui menait le jeu. Anne-Rosa Colin vivait en Haute-Marne lorsque
François Renard, peu après 1850, la rencontra, la trouva belle fille, et l’épousa. Elle avait les yeux "froids, brillants et
vagues", la voix "dure, éclatante et sèche comme un éclat de poudre". Elle parlait avec tant d’aisance et de volubilité
que sa belle-mère l’appelait "l’avocate", et disait même : "elle avocate bien". Les oreilles, comme les yeux, toujours à
l’affût, elle aurait voulu tout savoir. C’était une comédienne, par ses mises en scène, ses exagérations, ses couplets, de
bravoure, ses effets, par tout un côté factice, sinon hypocrite. Tantôt elle se montrait aigre, méchante, cruelle, tantôt elle
se détendait jusqu’aux larmes. Elle appelait son fils tantôt "mon Jules", ou même "Julot", tantôt "le chieur d’encre".
Dépensière, sans ordre, curieuse, menteuse, donneuse, geignarde, bavarde, et bigote, elle exaspérait son mari qui en
était venu à la détester, à la mépriser, et qui, dans le fond, la craignait un peu. A son fils, elle faisait peur, "une espèce de
peur physique, une peur d’imagination qu’il gardera toute sa vie". Personne ne l’impressionnait autant qu’elle. Se
demandant toujours où tendaient ses discours, ne sachant s’il allait sortir de cette bouche une invective ou une
tendresse, l’enfant prit l’habitude de se tenir sur la défensive, et cette habitude devint une seconde nature, non seulement
de l’enfant, mais de l’homme, qui la garda. Jamais, jusqu’au dernier moment, i1 n’eut avec cette mère une seconde
d’abandon. Ses yeux terribles, sa voix aiguë et métallique le paralysèrent jusqu’à la fin. En outre, Renard nous a confié
que, par certaines négligences d’attitude ou de costume, sa mère, sans y prendre garde, allumait ses jeunes sens, et il
faut certainement voir dans les rêves incestueux et atroces que nous rapporte le journal, une explication de la gêne que
Jules Renard éprouva, toujours devant elle. Mme Renard a passé toute vive dans l'œuvre de son fils. C’est d’elle qu’il a
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La nuit du Boufadou
le moins laissé perdre. "Ce que j’ai fait de plus vrai, disait-il, et peut-être de plus théâtre, c’est le mur plein de ses yeux
et de ses oreilles". Cependant les Cloportes, Poil de Carotte, la Bigote, mettent chacun l’accent sur un trait plus
particulier de sa physionomie : le bavardage dans les Cloportes; la méchanceté dans Poil de Carotte; dans la Bigote, la
curiosité et les petits mensonges. C’est elle qui fit de son mari, François Renard, le chasseur taciturne qu’est M. Lepic,
Après un temps d’amour, de tendresse, d’accord, vinrent les observations, les querelles, les scènes. Ils en vinrent à ne
plus s’entendre, littéralement. Et l’enfant tard venu en supporta, plus que les autres, les conséquences. Lorsqu’il avait
quelque chose à demander ou à dire à sa femme, François Renard l’écrivait sur une ardoise. Même avec ses enfants,
qu’il aimait à sa manière, depuis la première fille qu’il avait perdue, et qu’il chérissait passionnément, au point de
vouloir se tuer quand il la perdit, ce père restait avare de paroles. Il "n’avait pas de tendresse visible", et "ne disait
jamais merci". Il ne disait rien.
Ainsi la mère et le père de Jules Renard, simpli6és, sont devenus dans ses livres, M. Lepic, l’épouse insupportable, la
mère mauvaise, et M. Lepic, le chasseur muet; son frère Maurice et sa sœur Amélie, grand frère Félix et sœur Ernestine.
Entre les frères, il y eut camaraderie, mais pas ombre apparente d’affection. Sa sœur, au contraire, bonne et pitoyable,
douce et pieuse, l’aimait beaucoup, mais Jules Renard, qui sut profiter de cette tendresse, était souvent énervé par ses
manifestations maladroites, et ne se faisait pas faute de la rudoyer. L’enfant, différent des siens, mena donc une enfance
et une jeunesse « à part », comme Poil de Carotte, avec lequel il est facile et tentant, mais arbitraire, de le confondre. On
se fait d’ailleurs trop souvent de Poil de Carotte une idée sommaire, incomplète. On voit seulement en lui l’enfant
martyr, ou tout au moins victime. Poil de Carotte est plus complexe que cela. Il y a en lui le "petit animal" instinctif. Et
il y a en lui un être qui n’est "pas comme les autres", et qui le sait, et qui souvent n’est pas commode à prendre. Il y a
déjà de l’Eloi dans Poil de Carotte. "On ne le mène pas comme on veut, celui-là". Ses parents, ses proches et ses amis
en savaient quelque chose. Le reproche de n’aimer personne, qu’un "homme de cœur indigné" adresse à Eloi, homme
de lettres, c’est celui que déjà Mme Lepic adressait à son fils. Elle appelait Poil de Carotte " tête de bois". Ses
camarades appelaient Jules Renard "tête de pioche". Antoine a noté, dans ses Souvenirs que Suzanne Desprès ne faisait
pas assez sentir "les dessous du gamin". C’était aussi l’avis de Jules Renard, qui dit un soir à Desprès : "Poil de Carotte
n’est pas tout à fait ainsi, Il est plus sauvage, moins ouvert, plus renfermé, plus farouche, moins souriant. Vous souriez
trop". Colère de Desprès qui trépigne et rend son rôle, tandis que Jules Renard s’écrie : "Voilà ! C’est tout à fait ça".
Quelques jours après, l’actrice recevait le livre de Renard, avec cette dédicace : "A Suzanne Desprès, en souvenir d’un
soir où elle fut, dans sa loge, un peu plus Poil de Carotte que je ne voulais..." c’est-à-dire un peu plus difficile et
insupportable.
CDDP de la Gironde
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