Fonds commun de l`éducation : un projet complètement burundais

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Fonds commun de l`éducation : un projet complètement burundais
Dossier
Fonds commun de l’éducation :
un projet complètement burundais
Quand le gouvernement nouvellement élu du Burundi a décrété "l’éducation pour tous" et l’enseignement primaire
gratuit, les problèmes et les défis ne manquaient pas : manque de professeurs, de classes, de livres et de budget.
Les pays donateurs, dont la France, le Royaume-Uni, le Luxembourg et la Belgique, ont proposé de soutenir ce
pays dans cet ambitieux projet. Mais pas n’importe comment… Il fallait un plan sectoriel national sur lequel les
donateurs s’aligneraient, une véritable concertation et une harmonisation des procédures. Un exercice remarquable
de dialogue et d’interaction, mené par le du Ministre burundais de l’Education nationale et de la Recherche
scientifique, Saïdi Kibeya. Nous lui donnons la parole.
"C’est un cadre unique et
très efficace par rapport aux
mécanismes antérieurs. Le
Ministère de l’Éducation n’a
pas à répondre à 4 projets ou
4 programmes différents avec
des procédures différentes."
Saïdi Kibeya, Ministre burun-
© Ministerie Nationale Opvoeding - Burundi
dais de l’Education nationale.
"C’est un projet complètement burundais" souligne Luc Risch, attaché de la
Coopération belge à Bujumbura en charge du suivi du Fonds. "Nous sommes
arrivés à 4 bailleurs de fonds pour financer un projet commun en utilisant
des procédures burundaises. C’est le Ministre qui préside les concertations.
Nous ne sommes qu’un instrument de financement. Eux exécutent, et ils
nous demandent un avis de non-objection."
Monsieur le Ministre, dans quel contexte du système éducatif burundais s’inscrit le Fonds commun
de l’éducation (FCE) ? Quels étaient les défis suite
à l’annonce de la gratuité de l’enseignement ?
Le contexte est difficile, car l’éducation a beaucoup souffert de ces douze dernières années de guerre civile. Quand
nous avons repris ce ministère, en 2005, seuls 53 % des
enfants étaient scolarisés dans le primaire, et nous visons
l’éducation pour tous d’ici 2015. Avec la suppression des
frais de scolarité et la sollicitation des communautés, la
population scolaire a, de 2005 à 2006, augmenté de 30 %
en un an (1.300.000 élèves). Sur trois années scolaires,
nous avons évolué de 65 % en termes de chiffres absolus
d’élèves inscrits en primaire. Cette croissance d’effectifs
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octobre
2008
impose beaucoup d’actions pour lesquelles nous avons
trouvé des partenaires : Unicef, la Coopération technique
belge, la coopération britannique, la coopération française, la Banque mondiale. Cela nous a permis d’augmenter substantiellement la quantité des salles de classe.
Le nombre d’enseignants primaires s'est accru de 50 %.
Quant aux manuels scolaires, ils étaient auparavant partagés par quatre, voire huit enfants. Actuellement, ils sont à
deux sur un livre, du moins pour la première et la seconde
année scolaire. Dans un avenir proche, nous voudrions,
avec l’appui de la Banque mondiale, disposer d’un livre
pour chaque enfant. Le partenariat avec la Belgique, la
France, le Royaume-Uni et le Luxembourg va nous permettre de compléter ce programme. Ce sera une révolution !
Autre défi à relever, avec l’appui des partenaires : mettre
en place une vision pour l’éducation. Identifier les priorités, mettre en place une stratégie, préciser les actions
pour chaque palier : primaire, secondaire et supérieur.
Nous avons pu concevoir les actions à réaliser d’ici le
terme 2015 avec l’utilisation des indicateurs de performances que nous voulons atteindre. C’est une démarche
nouvelle pour les Burundais.
Le Fonds commun a-t-il contribué à élaborer cette
vision ?
Oui, le partenariat international nous a permis d’avancer dans l’élaboration du Plan Sectoriel de l’Éducation et
la Formation. Il nous permet maintenant de mettre des
outils de financement dans ce plan. Nous sommes accompagnés par la Banque mondiale, l’Unicef, les partenaires
bilatéraux, les ONG, mais le grand moteur, c’est le FCE.
Donc, il y avait déjà un plan national sur lequel est
venu se greffer le Fonds commun de l’Éducation ?
Nous avions une stratégie nationale pour la lutte contre
la pauvreté. L’axe trois de cette stratégie concernait le
développement du capital humain, dont l’éducation était
l’élément central. Ce qui nous a amenés à élaborer, dès
2005, un plan sectoriel de l’éducation harmonisé au cadre national de lutte contre la pauvreté. Et puis, l’éducation avait besoin de financements…
"Un projet complètement burundais"
Assurer l’enseignement primaire pour tous d’ici 2015 :
tel est l’enjeu du deuxième
Objectif du Millénaire et
© Elise Pirsoul
l’ambition du gouvernement
burundais. Une ambition qui
ne manque pas de défis…
Le rôle des bailleurs est donc financier ?
Oui, le rôle est financier, mais c’est aussi un rôle d’accompagnateur. Il mobilise les partenaires techniques et financiers.
Le fonds est opérationnel depuis mars 2008. La réunion
de ce 17 juillet 2008 lance l’adoption du premier plan d’activités semestrielles du fonds et le début des activités.
Le Fonds commun réunit quatre pays différents.
N’est-il pas trop difficile de travailler avec un
groupe aussi vaste ?
C’est un cadre unique et très efficace par rapport aux mécanismes antérieurs. Les partenariats sont encadrés dans
une structure coordonnée. Les procédures sont uniques,
les relations unifiées. Le Ministère de l'Éducation n’a pas
à répondre à quatre projets ou quatre programmes différents avec des procédures différentes. Les relations
se font avec un seul chef de file qui va répandre l’information. C’est beaucoup plus facile de travailler avec un
cadre de partenariat unifié.
Qu’a apporté au pays la réflexion sur l’éducation
qui a commencé en 2005 ?
Cette réflexion est organisée au niveau d’un débat national
après une étude diagnostique sur le système éducatif national. Cette étude a impliqué des représentants privés et
gouvernementaux ainsi que les églises, les associations,
les enseignants, et nous a amenés à adopter une stratégie
et des choix vers des performances cibles. Nous espérons
aussi que la réussite du FCE incitera d’autres partenaires à
adhérer à la mise en œuvre du plan d’éducation pour tous.
C’est ambitieux, mais nous espérons réaliser ainsi l’accès
de tous les Burundais à l’éducation…
Quels sont les grands points financés par le Fonds ?
Ce sont les activités qui se trouvent dans le plan sectoriel.
L’enseignement primaire s’y taille la part du lion avec 50 à
60 % du budget, le secondaire reçoit 25 % et le supérieur
ainsi que les universités, 17 %. Le premier plan sectoriel,
en démarrage maintenant, concerne la construction d’infrastructures : on a établi des devis et proposé des offres
pour 400 à 500 salles de classe. Les autres éléments ont
trait à la qualité de l’enseignement : les manuels scolaires
et la formation des enseignants.
Elise Pirsoul
Le fonds s’élève
actuellement à
24 millions d'euros.
"Avant d’adopter une politique sectorielle, il n’était pas rare qu’on doive travailler avec des plans d’action qui ressemblaient à une 'wish list' de chaque
ministère pour sa matière. Chaque secteur inscrivait tant de souhaits dans ce
plan que tout le budget de l’État ne pouvait pas suffire à financer les actions
d’un seul Ministère. Avec cette nouvelle stratégie, c’est une vision réaliste
que les Burundais embrassent…" M. le Ministre de l’Éducation nationale et
de la Recherche scientifique du Burundi".
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2008
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FONDS COMMUN POUR L'ÉDUCATION
L'appropriation : un moteur pour le développement
Aperçu :
En 2005, le Président nouvellement élu du Burundi a déclaré son intention de mettre
en œuvre un programme Éducation pour tous. Cette volonté politique et l'ouverture
d'esprit du Ministère de l'Éducation a attiré les partenaires financiers et techniques.
Pendant les 8 missions communes au cours des deux années qui ont suivi, un dynamisme réel entre tous les acteurs s'est développé, aboutissant à une collaboration
forte et à un dialogue politique ouvert entre le gouvernement et les donateurs, qui a
conduit directement à l'élaboration d'un Plan sectoriel de Développement de l'Éducation et de la Formation (PSDEF), à la création d'un mécanisme pour soutenir ce plan
de manière harmonisée, le "cadre partenarial pour l'appui au PSDEF" et à la création
du Fonds Commun de l'Éducation par quatre partenaires bilatéraux (Belgique, France,
Luxembourg et Royaume-Uni).
éducation
Expérience acquise :
L'appropriation est importante parce
qu'elle seule peut vraiment engendrer des partenariats harmonisés et
opérationnels entre les donateurs
et les gouvernements partenaires.
Elle est au cœur de la Déclaration
de Paris et probablement l'un des
principes les plus importants sur lesquels celle-ci repose. Ce processus
ne peut se réaliser que s'il existe
une volonté politique de rendre ses
décisions transparentes, à la fois du
côté du gouvernement et du côté
des donateurs.
Résultats :
évolution
dialogue
Jalons :
• 2 005 : Déclaration du Président pour la mise en œuvre d'un programme Éducation pour tous.
• 2005 – 2007 : 8 missions communes :
• Collaboration forte et dialogue politique ouvert entre le gouvernement et les donateurs.
• Élaboration d'un Plan sectoriel de Développement de l'Éducation et de la Formation (PSDEF) : passage de projets d'urgence
à court terme dispersés à un programme de développement à long terme cohérent.
• Création du "Cadre partenarial pour l'appui au PSDEF)" : un mécanisme pour soutenir ce plan de manière harmonisée.
• Création du 'Fonds Commun de l'Éducation': quatre partenaires bilatéraux (Belgique, France, Luxembourg et Royaume-Uni)
ont décidé d'acheminer
leur aide financière
au secteur de l'éducation par un fonds commun, aligné sur les plans et les prio16
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octobre 2008
rités du gouvernement plutôt que de développer leurs propres initiatives.
Toutes les photos : © CTB
Le Fonds Commun de l'Éducation est un
exemple de vraie appropriation. L'ensemble du processus d'établis­sement
du fonds a suivi les principes de la Déclaration de Paris :
•H
armoniser l'aide financière via un
financement direct du "Plan sectoriel
de Développement de l'Éducation et
de la Formation (PSDEF)" du gouvernement burundais.
•S
'aligner sur les priorités, les systèmes et les procédures du pays.
•É
viter d'avoir des unités parallèles de
mise en œuvre, le gouvernement prenant la responsabilité à la fois du plan
et de la gestion du fonds.
•A
ssurer une plus grande prévisibilité
du financement pour le gouvernement, et une capacité de gestion
améliorée au sein de celui-ci.
On s'attend à ce que d'autres donateurs, tels que la Banque mondiale,
rejoignent à l'avenir le fonds, qui bénéficiera à terme d'un financement catalytique FTI.