Le sens au travail : la rencontre des " humanitudes "
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Le sens au travail : la rencontre des " humanitudes "
D O S S I E R D O N N E R U N S E N S A U T R A V A I L Le sens au travail : la rencontre des « humanitudes » L’ASSTSAS offre, depuis 2003, la formation Julie Bleau asstsas de formateurs à l’Approche relationnelle de soins1. L’un des objectifs consiste à « améliorer les conditions d’exécution des tâches de soins au plan psychologique ». L’impact du sens au travail sur la santé psychologique des travailleurs est de plus en plus reconnu. Cet article explore, à partir de nos expériences avec les participants à la formation, comment l’Approche relationnelle de soins redonne tout son sens au travail. Sens au travail Il existe plusieurs théories sur le sens au travail. Nous nous appuyons ici sur celle d’Estelle Morin P i erre Poulin (voir p. 10) et détaillons trois caractéristiques qui, si asstsas elles sont absentes, entraînent une perte de sens dont découlent du stress, de la tension, du mal-être. Il s’agit de la rectitude morale, la qualité des relations et l’utilité du travail. Effectuer un travail moralement justifiable, qui respecte les valeurs humaines, dans un milieu qui respecte les personnes. Nous établissons aussi des liens avec les propos des travailleurs qui ont suivi la formation Approche relationnelle de soins en centre d’hébergement et de soins de longue durée (CHSLD). Chaque participant a répondu à un questionnaire d’évaluation. Nous bénéficions ainsi de 440 témoignages écrits, riches d’expériences vécues. Rectitude morale Effectuer un travail moralement justifiable, qui respecte les valeurs humaines, dans un milieu qui respecte les personnes. Cette notion rejoint celle des règles de l’art enseignée dans la formation. Elles sont des façons de faire et d’affirmer que le travail a été bien fait2, des lignes directrices, des consignes, des protocoles écrits ou non, qui dictent ce qui doit être fait dans chaque situation. Au cours de la formation, nous discutons des inconforts et des conflits que font vivre les divergences des règles de l’art entre les personnes. Voici un exemple vécu. 12 – OBJECTIF PRÉVENTION – VOL. 31, NO 2, 2008 Fernand Reis, résidant du Centre d’hébergement Fortierville, accompagné par Lucie Gendron, préposée aux bénéficiaires. Deux soignantes exécutent la toilette de M. Gagnon. Très raide, il est difficile à laver sous les bras et à habiller. Il ne parle pas, ne comprendrait pas les consignes et résiste au soin. La soignante qui connaît bien M. Gagnon est « aux anges » à la fin de la toilette. Elle a les larmes aux yeux parce qu’il a parlé et qu’elle a réussi à le laver et à l’habiller sans tirer sur lui grâce à la méthode pour faire relâcher les rétractions. Plus tard, une collègue (qui n’a pas participé au soin) lui demande : « Mais qu’est-ce que vous avez fait ? M. Gagnon n’est même pas rasé... ». « C’est vrai, on n’a pas eu le temps. » La différence d’appréciation de la qualité du soin est évidente. Les deux soignantes ne s’appuient pas sur les mêmes critères. Or, cette différence devrait nous amener à aborder les changements organisationnels qui sont nécessaires pour définir la qualité du soin. Selon Morin et Archambault3, il est important que les gestionnaires discutent et déterminent avec leurs employés « la meilleure façon de faire ». D O S S I E R D O N N E R U N S E N S A U T R A V A I L Comme prémices aux discussions, la formation propose la philosophie de « l’humanitude4 », c’est-à-dire la reconnaissance des caractéristiques des êtres humains qui fait que nous nous ressemblons et que nous nous reconnaissons comme faisant partie d’une même espèce. Ramener le sens humain au cœur du travail est précieux pour les participants. Voici quelques-unes de leurs remarques. « C’est une formation qui rapproche du client et de l’être humain qu’il représente. On aborde parfois le travail de façon mécanique. Cette formation nous renvoie à l’essentiel. On ne travaille pas avec des boîtes de conserve. L’être humain a des besoins, il faut s’arrêter et prendre la peine de le comprendre ». « Génial ! Redéfinir les méthodes... nous sommes à la base. » « L’approche relationnelle avec le résidant permet de le considérer (le comprendre) encore comme un humain et non comme une tâche de travail ». « Cette formation amène les intervenants à s’humaniser au travail auprès d’une clientèle comme la nôtre. Elle nous amène à comprendre que nous sommes chez eux et que nous faisons partie de cela. » Qualité des relations Nous avons besoin d’accomplir un travail qui nous procure du plaisir et nous offre des contacts intéressants avec les autres. Souvent bousculés dans leur quotidien, les soignants perdent le contact avec leur amour du métier. Pourtant, le plaisir et le rire font partie de la vie, autant de celle des soignants que celle, actuelle ou passée, des résidants. Nous avons besoin d’accomplir un travail qui nous procure du plaisir et nous offre des contacts intéressants avec les autres. Lors de la formation pratique sur les unités, il n’est pas rare que le groupe s’amuse (au sens noble du terme) avec le résidant. On découvre qu’il a de l’humour, on se taquine mutuellement. Malheureusement, le plaisir est parfois suspect au travail... Pourquoi les soins ne se feraient-ils pas dans la bonne humeur ? Reprendre plaisir au travail, retrouver l’amour du métier, les participants en témoignent. « Il faut savoir aimer son travail. Ce sera très utile pour l’amour que j’ai pour cette vocation. » « Réapprendre à aimer ce que l’on fait tous les jours est le point fort de la formation. » « Le fait de tenir compte des véritables besoins du résidant amène une meilleure qualité de soins et un travail plus satisfaisant et valorisant et des gens heureux de faire leur travail. » « En aimant mon travail, je n’ai pas de difficulté à entrer en contact. Une bonne approche nous aide à faire une bonne toilette dans le respect et le calme, ce qui évitera l’agressivité. » Des échanges avec des résidants vivant en CHSLD sont rapportés par Michèle Charpentier5. Ils soulignent le caractère primordial des relations pour les personnes âgées. « Les entretiens avec les résidants démontrent que leur appréciation du milieu est étroitement liée à la dynamique des relations interpersonnelles qu’ils entretiennent avec le personnel. Malgré toute la bonne volonté du personnel, le manque d’attention et de personnalisation des soins est ressenti. » Rose Lemieux, résidante du Centre d’hébergement Fortierville, accompagnée par Lucie Bouvet, technicienne en loisirs. Ainsi, les relations satisfaisantes et de qualité sont chères aux soignants et aux résidants : c’est la rencontre des « humanitudes » ! Mais le plaisir, l’intérêt et la satisfaction personnelle, bien que nécessaires, ne sont pas suffisants. Les travailleurs ont aussi besoin de se sentir utiles aux autres. Utilité du travail Un préposé effectue plusieurs soins d’hygiène au cours de sa matinée. À quoi sert une toilette ? La question peut paraître saugrenue. Pourtant ce soin est souvent dévalorisé. Il faut du doigté pour solliciter la participation du résidant à ses soins, de la douceur dans les gestes et les propos. La formation met l’accent sur toutes ces qualités. Les participants réfléchissent à l’utilité de la toilette bien au-delà de « rendre propre ». Le moment de l’hygiène est un temps de présence privilégié pour le résidant ; le soignant est à même de constater son humeur (agressif, anxieux, décontracté), ses capacités motrices (peut se peigner lui-même, s’habiller), son niveau de compréhension (répond à des consignes simples ou plus complexes), sa mémoire. Lors de la toilette, le soiOBJECTIF PRÉVENTION – VOL. 31, NO 2, 2008 – 13 D O S S I E R D O N N E R U N S E N S A U T R A V A I L gnant stimule les sens du résidant, le fait bouger. Ainsi, il maintient, voire même il améliore, les capacités physiques et cognitives des clients. En prenant conscience de tous ces bienfaits, on rend au travail ses lettres de noblesse. Les soignants se sentent tout à coup plus utiles : 80 à 100 % d’entre eux sont d’accord avec l’énoncé « la formation permet d’améliorer la Lors de la toilette, le soignant santé des clients ». Leurs stimule les sens du résidant, le fait commentaires abondent bouger. Ainsi, il maintient, voire dans le même sens. même il améliore, les capacités physiques et cognitives des clients. « J’ai pris conscience du travail important que l’on a auprès des clients. » « Ce que j’ai aimé de cette formation, c’est que ma vision de mes tâches quotidiennes est différente. » « Cela a changé ma perception des soins qu’on peut donner. » « Le plus utile pour moi, c’est d’être présent pour les clients. Ils ont tellement besoin de chaleur humaine ». Retrouver le sens au travail Les témoignages des soignants qui participent à la formation Approche relationnelle de soins attestent que l’expérience les a marqués et enrichis. « Mon sentiment d’agresseur vis-à-vis un client est disparu. Je suis satisfaite. » « Cela m’a transformé. Je suis humain et cette approche me conforte dans ma nature humaine et celle de mes semblables. » « Merci de nous permettre de voir notre travail sous un autre angle. Je travaille avec une autre vision, plus merveilleuse ! » Pas de doute, la formation et la philosophie d’« humanitude » agissent bien sur le sens au travail. Objectif d’améliorer les conditions d’exécution des tâches de soins au plan psychologique atteint ! • 14 – OBJECTIF PRÉVENTION – VOL. 31, NO 2, 2008 André Mazerolle, préposé aux bénéficiaires, dont la bonne humeur agrémente les soins aux résidants. RÉFÉRENCES 1. POULIN, P., J. BLEAU, Y. GINESTE. « La formation à l’approche relationnelle de soins, la rencontre des humanitudes », Vie et Vieillissement, vol. 3, no 2, 2004, p.33-40. 2. ASSTSAS et CEC. Approche relationnelle de soins, Cahier du formateur, 2007. 3. MORIN, M. E., M. ARCHAMBAULT. « La santé au travail : une question de sens ! », Psychologie Québec, mars 2001. 4. GINESTE, Y., J. PELLISSIER. Humanitude Comprendre la vieillesse, prendre soin des hommes vieux, Bibliophane-Daniel Radford, 2003. 5. CHARPENTIER, M. Vieillir en milieu d’hébergement - Le regard des résidants, Presses de l’Université du Québec, 2007, 164 p.