Intime

DOSSIER
Quels savoirs pour soigner ?
Intime
conviction
Sylvie Lagabrielle
Juriste
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Qu’est-ce qui fait ma décision ? Quel en est le
question, qui renferme toute la mesure de leurs
moteur et le fondement ? La réponse de la juriste
devoirs : « Avez-vous une intime conviction ? »
que je suis à ces questions tient en trois mots :
Certes. Mais encore ?
mon intime conviction. Mais cette intime convic-
Généraliser sur l’intime est sans doute présomp-
tion quelle est-elle ?
tueux. L’intime conviction est une conviction sin-
Le droit, qui a d’une certaine façon un peu confis-
gulière, dans toutes les acceptions du terme, aussi
qué la notion, n’est pas très secourable sur la
ne puis-je ici en dire que ce qu’elle est pour moi.
question.
Je retiendrai de ces préliminaires juridiques (et un
Les dictionnaires juridiques en donnent une défi-
peu indigestes) quelques mots : s’interroger, rai-
nition « mécanique ». Ainsi l’intime conviction
son, sincérité, conscience.
est-elle l’« opinion profonde que le juge se forge
Dans ces mots pris ensemble je lis ceci : pas d’in-
en son âme et conscience et qui constitue, dans
time conviction sans interrogation honnête des
un système de preuves judiciaires, le critère et le
faits, ce qui suppose, d’une part, une absence de
fondement du pouvoir d’appréciation souveraine
parti pris, de prendre la mesure d’une situation
reconnu au juge du fait » ; elle est aussi le « juge-
comme un corps et la traiter dans son ensemble,
ment personnel que la loi prescrit au juge pénal,
et implique, d’autre part, une présence aux
aux jurés et au juge civil d’établir par eux-mêmes
autres et une forme de recul intime. Mon histoire
avec raison, dans la sincérité de leur conscience,
n’a pas à intervenir. Les faits seuls doivent vibrer.
à partir des preuves qui leur sont proposées ».
Ma tâche n’est pas de les comprimer, les res-
L’article 353 du Code de procédure pénale, plus
treindre à un schéma préconçu mais de les recon-
« démonstratif », fait obligation au président de
naître et leur donner leur place dans le cadre juri-
la cour d’assises, avant que la cour se retire pour
dique qui m’est donné. Mon intime conviction
délibérer, de lire l’instruction suivante : « la loi ne
est au bout de cette alchimie bizarre où mon
demande pas compte aux juges des moyens par
savoir et les faits se concilient, se posent et où je
lesquels ils se sont convaincus, elle ne leur pres-
me sens juste, au sens musical du terme.
crit pas de règles desquelles ils doivent faire par-
Mon intime conviction résulte de la mise en
ticulièrement dépendre la plénitude et la suffisan-
écoute de mon savoir. Ma formation, mes
ce d’une preuve ; elle leur prescrit de s’interroger
connaissances théoriques y participent moins que
eux-mêmes dans le silence et le recueillement et
ma curiosité, tout du moins dans la phase analy-
de chercher, dans la sincérité de leur conscience,
tique de la situation.
quelle impression ont fait, sur leur raison, les
Je ne crois pas le juriste si différent en cela du
preuves rapportées contre l’accusé, et les moyens
médecin. Ce qui nous sépare est sans doute le
de sa défense. » La loi ne leur fait que cette seule
temps plus compté au médecin qu’au juge.
P R AT I Q U E S