Olivier Maurel, La fessée. Questions sur la violence éducative, Paris

Transcription

Olivier Maurel, La fessée. Questions sur la violence éducative, Paris
compte rendu
juin 2015
www.efg.inrs.ca
Compte rendu d’ouvrage
Olivier Maurel
La fessée. Questions sur la violence éducative
Nouvelle édition revue et augmentée, Paris, La Plage, 2015, 160 pages,
ISBN : 978-2-8422-1401-2 (papier), 978-2-8422-1420-3 (epub)
Isabelle Corpart
Maître de conférences en droit
Université de Haute Alsace (France)
[email protected]
Pour intervenir d’une manière argumentée dans
le débat entre les défenseurs de la petite gifle
« qui n’a jamais fait de mal à personne » et qui
permet de calmer les enfants désobéissants
et les opposants à toute violence éducative et
à toute atteinte, si minime soit-elle, au corps
humain, Olivier Maurel, professeur, agrégé de
lettres, propose à ses lecteurs un tour d’horizon
des prises de conscience en ce domaine, avec
une approche historique éclairante. Il reprend
ensuite les différentes thèses soutenues autour
de la question des châtiments corporels, longtemps prisés comme méthode éducative, pour
montrer les incidences de la Convention internationale des droits de l’enfant et ses avancées
en matière de respect de l’intégrité corporelle.
Il est intéressant de noter que les actes de
violence dont les enfants sont destinataires n’ont
jamais été appréciés comme les autres formes de
violence (même à l’égard des animaux la répression est plus grande, p. 41). Il paraît normal de
corriger des enfants, alors que de tels agisse-
ments seraient totalement répréhensibles dans
le cadre d’autres rapports, notamment entre
hommes et femmes (même si en matière de
lutte contre les violences conjugales des avancées notables sont à signaler), dans le milieu
professionnel...
Tout le paradoxe, détaillé dans cet ouvrage
à la lecture très plaisante mais qui assène avec
force des vérités, vient du fait que peu de personnes se rendent compte que donner une fessée, une gifle, une claque – quel que soit le
nom qu’on lui donne pour en amoindrir la portée – sont des atteintes corporelles. Pourtant, le
corps de l’enfant n’appartient pas à ses parents.
Nul ne doit y porter atteinte, pas davantage ses
père et mère que d’autres adultes. De nouvelles
méthodes éducatives doivent être imaginées et
développées pour encadrer l’enfant et lui transmettre les valeurs familiales et sociales.
Le problème vient du fait, qu’à l’heure
actuelle, la violence éducative n’est pas analysée
comme une manifestation de violence. L’accent
I. Corpart, compte rendu de l’ouvrage La fessée. Questions sur la violence éducative d’Olivier Maurel,
Enfances Familles Générations, juin 2015, 4 pages. - http://www.efg.inrs.ca/index.php/EFG/article/view/559
est mis au contraire sur la pédagogie, l’attitude
des parents étant relativisée et édulcorée : « Qui
aime bien châtie bien... Je bats mes enfants mais
c’est pour leur bien... Une petite gifle ne tue pas... »
Des générations durant, des enfants ont été
élevés sur cette base éducative. De nombreux
romans en témoignent, ces valeurs ancestrales
ayant traversé les époques, elles sont présentes
aussi dans les contes ou les chansons de notre
enfance. Longtemps, il était quasiment normal
de corriger ses enfants, le martinet ou le ceinturon du père de famille étant utilisés régulièrement pour calmer les indisciplinés.
Nombre des parents d’aujourd’hui ont été
élevés dans ce rapport de force, dans la crainte
de l’autorité du chef de famille et ses coups.
Comment pourraient-ils critiquer un système
qui les a endurcis ? En conséquence, ils reproduisent la seule méthode qu’ils connaissent,
sans se préoccuper des incidences qu’elle induit
sur le comportement de leurs enfants.
Ce sont ces aspects qui sont particulièrement
bien dégagés dans cet ouvrage. Les méfaits des
méthodes éducatives à la dure sont exposés pour
montrer que l’enfant est appelé à grandir dans
un environnement qui n’est pas propice à son
épanouissement. Ce constat est dramatique car,
c’est au moment où la personnalité de l’enfant
est façonnée, qu’il est le plus dangereux de lui
inculquer des valeurs de soumission, d’obéissance, en le laissant vivre dans un climat de peur.
Ce choix des parents est d’autant plus regrettable qu’il n’est pas démontré que les enfants corrigés sont les plus obéissants et que les familles
ne seraient pas parvenues au même résultat en
utilisant d’autres moyens pour les discipliner.
Elles s’enferment dans une spirale, la violence
appelant la violence. C’est tout le mérite d’un tel
livre que de permettre à des parents de prendre
conscience de la portée de leurs actes.
Pour éduquer les parents et leur permettre de
bien éduquer à leur tour leurs enfants, on ne sau-
rait trop leur conseiller la lecture de cet ouvrage
plein de convictions, parfois un peu militant,
son auteur s’étant donné pour mission d’éradiquer toute forme de violence éducative. Dans
ce livre d’alerte, les lecteurs trouveront toutes
les clefs pour comprendre les arguments de chacun, avec des approches très concrètes de ces
réalités, et pour se forger leur propre opinion. À
mettre entre toutes les mains, il complètera utilement les campagnes faites notamment par les
services publics et les associations de défense de
l’enfance contre les effets perfides et insidieux
des corrections parentales et des punitions corporelles. Si les châtiments corporels ont été bannis de l’école, ils doivent à présent disparaître
aussi de la sphère domestique et familiale.
Cependant pour faire évoluer les prises
de conscience des parents, il importe de leur
fournir des explications, en remontant le fil de
l’histoire et en s’intéressant aux méthodes éducatives préconisées à l’étranger, parfois à deux
portes de chez nous.
Olivier Maurel apporte de nombreux éléments dans ce discours. À le lire, on mesure
mieux les difficultés à faire avancer les choses
car la force et le poids des traditions occultent la
réalité, l’enfant étant réprimandé, corrigé, voire
battu, en toute impunité par ceux qui sont chargés de le protéger au premier chef.
Des idées nouvelles sont avancées aussi pour
susciter des réflexions sur l’éducation à donner à
nos enfants. L’évolution des rapports familiaux
– en particulier la disparition du paterfamilias et
du père de famille et le regard actuel porté sur
les enfants – doit avoir un impact sur la manière
d’élever ses enfants et conduire les parents à
développer d’autres méthodes car il n’y a jamais
de « bonne fessée ».
Il faut enfin traiter ce sujet avec toute la gravité nécessaire, pour rendre aux enfants leur
place de sujets de droit et les porter définitivement hors de portée de toute brutalité parentale,
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I. Corpart, compte rendu de l’ouvrage La fessée. Questions sur la violence éducative d’Olivier Maurel,
Enfances Familles Générations, juin 2015, 4 pages. - http://www.efg.inrs.ca/index.php/EFG/article/view/559
même pour leur bien, même parce qu’ils l’ont
mérité... Et tant pis si cela doit conduire à culpabiliser les parents quand ils mesureront l’impact
de leurs agissements.
des enfants faisant l’objet de répression, de
même que les coups et blessures, à l’exclusion
de violences légères (Code pénal, art. 312 anc.).
L’évolution s’est faite seulement durant la deuxième partie du XXe siècle, grâce aux écrits de
médecins, et en particulier de pédiatres, déconseillant le recours aux punitions corporelles.
Beaucoup est venu ensuite de la Convention
internationale des droits de l’enfant de 1989 et
de recommandations du Conseil de l’Europe.
Les enseignements de l’analyse historique des châtiments corporels
Beaucoup de parents ne se sont jamais interrogés sur leur attitude face à leurs enfants désobéissants. Leur réaction première était de donner
une petite tape sur la main ou une petite fessée,
sans en mesurer les « grands » effets sur l’enfant.
Leurs parents avaient déjà en leur temps procédé
de la sorte, les corrections familiales étant alors
un mode éducatif non contesté. À leur décharge,
les religions et certaines institutions relayaient
ces idées en matière d’éducation d’enfants qu’il
fallait « mater ». Selon ces discours, les enfants
étaient par nature des êtres nuisibles devant être
encadrés avec l’usage de la force, si nécessaire.
Dès les premières grandes civilisations, les
enfants se sont trouvés malmenés, frappés pour
les faire plier ou tout simplement pour leur
transmettre des connaissances. On ne rappellera
jamais assez les ravages des dogmes religieux à
la base de tant de souffrances pour les enfants.
Les punitions encourues pouvaient être terribles
et marquer à jamais les enfants dans leur chair
et leur âme. Elles étaient pourtant considérées
comme de justes réponses aux refus d’obtempérer des enfants, quelque soit leur âge (p. 34). Les
mêmes idées d’une autre époque étaient aussi
véhiculées par de grandes institutions.
Il faut noter encore combien l’État a tardé à
réagir et à interdire les sévices corporels. Il les
interdit d’abord dans les écoles, sachant que l’on
a dû s’y prendre à plusieurs reprises tant les traditions résistaient, en particulier dans les écoles
religieuses. Par contre, dans la sphère familiale,
le droit de correction parental perdure, seules les
violences risquant de porter atteinte à la santé
Les arguments soutenant la lutte contre
les châtiments corporels
Il faut commencer par prendre conscience de ce
que recouvrent les violences parentales éducatives. On combat mieux ce que l’on comprend et
c’est tout le mérite d’un tel ouvrage, d’un abord
aisé mais riche en enseignements. Informés et
conscients des ravages occasionnés, les parents
pourront développer d’autres méthodes éducatives, en s’inspirant notamment de modèles
issus de pays abolitionnistes.
Dans une vision concrète des relations familiales, l’ouvrage recèle encore des pistes très
intéressantes vers des actions propices à faire
renoncer à toute violence éducative, pour éradiquer les dangers avérés qui en découlent. C’est
le développement de l’enfant et son psychisme
qui sont l’enjeu de cette évolution et de ces
efforts à mieux tenir compte des capacités que
l’enfant est apte à développer.
Une fois que l’on a pris conscience des
atteintes portées au corps de l’enfant, tout milite
à faire de l’interdiction de tout châtiment corporel un des axes de l’action des organismes de
défense des droits de l’homme (p. 80). D’autant
qu’il n’est nullement prouvé de toute manière
que les châtiments corporels soient efficaces
car l’enfant obéit davantage par peur des
coups, par lâcheté, selon l’auteur, au risque de
développer son hypocrisie et sa tendance à se
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I. Corpart, compte rendu de l’ouvrage La fessée. Questions sur la violence éducative d’Olivier Maurel,
Enfances Familles Générations, juin 2015, 4 pages. - http://www.efg.inrs.ca/index.php/EFG/article/view/559
cacher. Craintifs, humiliés dans leur enfance, on
façonne les hommes de demain qui reproduiront
sans doute cette violence dans leurs rapports
familiaux et sociaux.
Ces corrections parentales sont bel et bien
des formes de violences visant des enfants et
elles doivent être condamnées comme telles. Il
ne faudrait pas pour autant faire d’amalgame
entre ces punitions corporelles et des maltraitances graves, continues et portant atteinte à la
santé des enfants. Il est souvent reproché aux
partisans de la suppression de toute violence
éducative de conduire à minimiser les actions
contre la maltraitance des enfants. Il s’agit toutefois de degrés totalement différents et on ne
saurait faire d’amalgame (p. 119). Néanmoins,
apprendre aux parents qu’on ne corrige pas
physiquement un enfant, c’est aussi leur signifier que le corps de l’enfant doit être préservé
de toute atteinte. L’enfant doit être respecté et
ses besoins fondamentaux rappelés. Surtout,
comme le précise l’auteur (p. 93), il faut traiter l’enfant comme nous voudrions qu’il nous
traite. Ce livre devrait conduire en tout cas à
faire bouger les consciences.
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