L`Officiel
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MAGAZINE BEYROUTH LIVRE PALIMPSESTE C omme on écrit pour sauver ce qui peut l’être, Gabriel Rayess s’est attaché, tout au long des années 80, à griffonner sur un carnet reçu en guise de cadeau d’entreprise ses souvenirs du Beyrouth “d’avant”. Il est vrai que la notion d’ “avant” est vague et qu’il y a toujours un avant d’avant, et même des après qui sont des avant. Toujours est-il que pour Gabriel Rayess, 148 L’OFFICIEL LEVANT alors que la guerre bat son plein et limite les déplacements, une urgence se précise, celle de coucher ses souvenirs d’une ville où il faisait bon vivre, et dont le cœur a été littéralement arraché dès les premières batailles. Dès 1976, toute vie s’était arrêtée autour de la place des Martyrs. A l’évidence, ce Beyrouth-là où les commerces les plus élégants cohabitaient avec les établissements les plus populaires, où les banques, les boutiques, les restaurants, les cafés, les bouis-bouis, les hôtels drainaient une foule aussi hétéroclite que bon enfant, ne reviendrait plus. En cette décennie éminemment nostalgique des années 80, où l’on avait assisté à une frénésie de collectionneurs de cartes postales, où les peintres avaient lancé une mode plutôt kitsch d’aquarelles avec toits de tuiles, Gabriel Rayess, lui, revivait ses PHOTOS DR. Avec Le Centre Ville de Mon Père, c’est un ouvrage à quatre, voire à six ou huit mains que livre Tania Rayess Ingea. C’est elle qui s’est chargée, à partir des notes jetées pendant la guerre par son père Gabriel Rayess, puis de la “mise au propre” effectuée par sa mère avec l’aide de l’ami du couple, Jean-Pierre Sara, de raconter l’histoire de l’histoire, de documenter et de mettre en page ce texte indispensable. Et de le doter d’une magnifique préface. Par F.A.D PHOTOS DR. MAGAZINE souvenirs dans l’écriture, sans doute conscient de faire œuvre de mémoire à l’intention des siens. Cette entreprise semble avoir eu un caractère jubilatoire puisque, comme l’indique Tania Rayess “Ces retours incessants vers le manuscrit prouvent qu’il avait à cœur –ou du moins qu’il prenait plaisir- à continuer sa promenade». Au fil des pages, l’auteur du manuscrit épluche le centre-ville secteur par secteur, non seulement pour le restituer tel qu’il se présente dans ses souvenirs, mais également pour le situer dans l’histoire de la ville. Conservant la mémoire des lieux, il s’attache du même coup à préserver la mémoire des hommes et des femmes qui leur ont donné vie. “Dans un pays où le patronyme tient lieu de numérotation des immeubles, le nom déteint immanquablement sur la pierre, sur la rue, sur le quartier. On comprend donc plus aisément la hâte de consigner dans un registre personnel des noms que les changements à venir appelleraient à disparaître, tout comme un arbre généalogique perdrait ses branches” commente Tania Rayess. En notant ses souvenirs aussi fidèlement que les lui restituait sa mémoire, Gabriel Rayess se doutait-il qu’ils raviveraient les rares flashes que sa propre fille gardait d’un centre-ville qu’elle a à peine connu? Tania Rayess a elle aussi, vers 10 ou 11 ans, trottiné à la suite de son père dans ce paradis perdu. A la faveur de ce carnet de notes, elle retrouve des espaces et des odeurs entrevus ou connus. Une émotion qui, par-delà la piété filiale, donne un nouvel élan à une entreprise d’édition qui devient plus scientifique, s’enrichit de cartes postales, de vieilles enveloppes, de papier à entête, fruits d’une enquête devenue passion. Le résultat est un ouvrage vibrant, un beaulivre où la richesse de l’iconographie n’a d’égal que la fluidité du texte, et qui ne laissera personne indifférent. L’OFFICIEL LEVANT 149