Au petit bonheur de la générosité publique en autrefois…

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Au petit bonheur de la générosité publique en autrefois…
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Au petit bonheur de la générosité publique en autrefois…
La Destinée des Hommes avait bien voulu me faire
prendre le pied à l’étrier apprenti de la fonction publique communale, en ce prometteur mois de juillet
1969. Délicieux mais singulier chanteur du moment émergeant, un certain Serge Gainsbourg
qualifiait d’érotique cette année mémorable à plus d’un titre, celle en surlendemain d’un mois de mais
plus rêveur que révolutionnaire. C’était pour moi l’advenue dans cet éminent service de proximité
que représente la maison commune républicaine, avec ses riches fonctionnalités multiples. Il me
faisait prendre connaissance de toute la richesse de la relation établie entre l’administré, le citadin, le
villageois avec le personnel communal se trouvant à leur service exclusif et placés sous l’autorité des
élus qui les dirigeaient. De ce temps d’il y a quarante années bien révolues, le problème du moment
des édiles municipaux mettaient à exécution leur intention prioritaire de réorganiser la configuration
des locaux de l’hôtel de ville de Montélimar recevant le public…Faisant passer en si peu de temps les
services pratiquement organisés en des lieux tels qu’ils le furent sous la Quatrième République
Française, en des locaux modernes et fonctionnels comme ils commencèrent à le devenir, dix ans
après l’advenue de la Cinquième République et, à cette époque placée sous le mandat présidentiel de
Georges Pompidou.
En ce tout début de la décennie soixante-dix, le
temps historique était à la célébration de la regrettée disparition du Général de Gaulle…Au maximum
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de succès populaire à l’écran de l’éternel Don Camillo…A Jacques Chancel créant son Grand
Echiquier…A Eddy Mercks remportant son quatrième tour de France…A Alain Colas remportant la
transatlantique sur son Pen Duick III…Mais aussi à la Télévision Française mettant en évidence une
personnalité de premier plan se montrant comme en binôme avec Guy Lux, organisant les émissions
de variétés…Il se nommait Pierre Bellemare, un inénarrable moustachu, toujours notre vivant
contemporain qui, par ses émissions, à cette époque très suivies par les téléspectateurs, parvenait à lui
seul à faire vibrer la France entière installée au même moment devant son petit écran…Pour des
causes nobles pour l’exposé desquelles n’existaient limitativement que trois chaînes formant toutes le
rayonnant service public. Avec toute sa verve persuasive, attachante et vibrante, Pierre Bellemare
avait alors fait paraître dans la presse et à la radio qu’il importait à tout un chacun, un certain soir du
printemps de l’année 1971, de se mettre attentivement à l’écoute de son émission télévisée…Pour
répondre à la mobilisation bienfaisante de la France entière, devenant en une soirée exceptionnelle si
réactive et tellement généreuse.
Alors, comme tout un chacun, nous écoutions cette
émission diffusée en noir et blanc et prenions connaissance de ce genre d’intervention télévisée en
direct. Il s’agissait de l’émission intitulée « Vous êtes formidable !... ». En cette soirée paisible,
sereine, installée dans l’intimité familiale, Pierre Bellemare exposait la préoccupante problématique
de la maladie du cancer contre laquelle il importait de se mobiliser fortement. Il prenait son intonation
et sa physionomie la plus passionnée pour défendre la cause très méritoire qu’il présentait devant
toute la France concernée et invitée à réagir immédiatement. Il se proposait même de soulever des
montagnes pour parvenir à son louable dessein. Dans l’instant, l’homme de télévision proposait à tous
ses auditeurs de prendre spontanément la direction de leurs mairies respectives, pour procéder à un
don le plus important qui soit mais au demeurant si minime soit-il, pouvait constituer des sommes
devant concrétiser cet élan national. Et cet homme de scène et même de spectacle télévisuel, à la voix
dramatique avec toute sa persuasion, de marteler ses pressantes invitations à suivre massivement. Il
précisait que des collaborations avaient été obtenues avec toutes les mairies de la France entière se
trouvant à la disposition de tous et de chacun…Dans les secrétariats desquelles commençaient,
quelques cinq minutes après, à converger tant de donateurs sensibilisés, émus par cette invitation
désintéressée et constitutive d’une grand espoir collectif, pour arriver à vaincre cette terrible et même
endémique maladie.
Alors, en employé communal que j’étais, je me
sentais soudainement concerné à plus d’un titre et prenais rapidement le chemin de la mairie pour, à
la fois, apporter mon don personnel et offrir ma collaboration à mes collègues de travail se montrant
submergés par l’afflux continuel de tant de monde en si peu de temps. En parvenant dans le service
d’accueil de l’état civil, je m’apercevais qu’une foule importante se rassemblait pour, chacune et
chacun opérer un don manuel à la mesure de ses possibilités. En échange de quoi, il était remis un
petit document mis à la disposition par l’administration et constituant une sorte de récépissé de dépôt.
Toutefois, il s’avérait qu’au fil des minutes intenses et même fébriles, le nombre des donateurs allait à
ce point grossissant, au point que la petite poignée d’agents communaux s’étant montrés
bénévolement volontaires pour recevoir les fonds…Se trouvait totalement débordée au fil des minutes
se passant. Le stock des formulaires de récépissés étant largement épuisé et le volume d’argent en
numéraire allant tellement s’amplifiant…Que les corbeilles à papiers disponibles du service de l’étatcivil étaient spontanément utilisées pour en rassembler tout le volume…Des si nombreux billets de
banque, en total désordre dans des modestes poubelles à papiers…Quelle singularité !...Mais pourtant
tellement réelle et sympathique !...
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De mémoire d’agents communaux et de
donateurs, jamais une telle générosité publique aussi massive, n’avait précédemment été constatée.
Pendant que de nouveaux citadins survenaient pour jeter dans les ces réceptacles improvisés leurs
contributions à la cause du cancer à vaincre. De la part des nouveaux arrivants en mairie, il était
confié que Pierre Bellemare s’était montré plus que persuasif et même performant, avec toute sa
puissance oratoire destinée à convaincre les foules, par le choix des mots adaptés à une véritable
dramatique, un cri de désespoir. Mais surtout, parce que c’était la première fois qu’une telle entreprise
philanthropique avait été initiée à la télévision française, avec un tel succès populaire inespéré mais
tellement réel. Après la réception du don du dernier offrant ayant quitté le lieu public, il importait
pour nous de compter cette énorme masse d’argent, pièces et billets. C’étaient des francs de l’année
1971. Ils furent entreposés dans le coffre de la Recette Municipale installée au rez-de-chaussée de la
Mairie. De mémoire non altérée de ma part, il y eut plus de 50000 francs de collectés. De
commentaires lus dans la presse quelques jours après, il s’avéra que le centre de don qui était
opérationnel à la mairie de Livron se trouva dévalisé par un groupe de voleurs ayant dérobé la recette.
Ce qui devait amoindrir d’autant cette oeuvre reconnue d’utilité nationale et même universelle, auprès
d’une cause humanitaire de première importance.
Parce que, de ce temps d’il y a presque quarante ans,
cette opération, en ces circonstances bien particulières, se montrait possible, parfaitement aboutie et
même au-delà de tous les espoirs permis. Chose qui se trouve impensable aujourd’hui. Le monde
associatif est devenu constitué et habilité pour recevoir les dons dans la continuité. Il ne se manifeste
pas de la même manière de façon aussi spontanée en un élan général mais demeure plus étal et
certainement plus régulier. « L’ARC » ou bien les « Restaurants du Cœur », par exemple,
bénéficient d’une logistique, d’un vaste réseau de bénévoles, d’une importante administration propre
et opérationnelle, de nombreuses antennes départementales, d’une image et d’un renom constituant
tout leur impact persuasif. Ce qui n’était pas le cas de l’organisation bien démunie, lors de cette
période historique très fondatrice. Elle se montrait pourtant pionnière, par un certain côté très
attachante et significative. Elle faisait réagir, en une seule soirée, la France entière, généreusement
partie dans son fulminant coup de cœur : C’était l’émergence, d’une mobilisation émotionnelle pour
une cause humanitaire, mise en évidence par un outil alors nouveau : la Télévision, par un
présentateur alors nouveau : Pierre Bellemare et un procédé alors nouveau : l’appel à la Générosité
publique…Tout ce qui constituait en ce printemps 1971, ce dont se montrait fière à l’unisson, la
France entière…Laquelle, dans cette mémorable circonstance, avait à sa façon d’alors, donné tant de
sens et de portée …
Au petit bonheur de la générosité publique en autrefois…
Jean d’Orfeuille