Texte Dinah Korn
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Texte Dinah Korn
Marche pour la paix 01-01-2016, organisée par Sant’Egidio ב״ה Tout d’abord, je vous souhaite chaleureusement « Bonne année 2016, à vous tous, ici présents, et à vos familles : année de paix, de bonheur et de santé. Et je vous dis aussi « chalom, chalom alèykhèm », la paix soit sur vous, le bonjour juif comme « salam alèqoum » est le bonjour musulman. Ce qui est beau dans cette salutation, c’est qu’elle n’est pas à sens unique : elle engage le dialogue puisqu’elle est suivie de réponse : alèykhèm chalom (alèyqoum salam). Merci aux organisateurs de donner la parole à une personne membre de la communauté juive, si petite à Liège qu’elle ne se compose que de 200 personnes environ. Les intervenants que vous venez d’entendre ont fait des constats avec des paroles de sagesse et de bonté sur les événements positifs et négatifs de l’année 2015. Dans de nombreux textes, nos religions monothéistes dénoncent l'oppression, réclament la justice sociale et donnent des préceptes multiples et concrets pour y arriver. La justice sociale est donc une affaire qui nous concerne tous, elle n’est pas l’affaire des seuls dirigeants, elle entraînera un apaisement dans nos groupes sociaux, du plus petit, la famille, au plus large. Et au bout du chemin se trouve l'idéal de paix, je l’avais souligné les années précédentes. Mais dans la réalité tout n’est pas aussi simple dans nos communautés. À cause de ce qui s’est déjà passé en Belgique, nous sommes sous la surveillance et la protection de la police depuis 1980 : c’est à la fois une grande sécurité et un sentiment d’infériorité : citoyens de seconde zone, nous avons été longtemps les seuls à ne pas pouvoir vivre en communauté normalement. Malheureusement, actuellement, même une manifestation pour la paix comme celle-ci nécessite policiers et soldats. Et je ne vous cache pas que beaucoup de juifs ont parfois peur des arabes, des musulmans ; c’est qu’on trouve, sur internet surtout, des textes dictés par la haine et la peur, des messages anti-juifs. Comme il y a aussi beaucoup de messages anti-musulmans, haineux et absurdes, alors je répète, comme en 2013 : il y a un gros boulot d’éducation à faire. Oui, il faut apprendre à décoder les média. Oui à l’éducation familiale, oui à l’éducation à la justice et à la paix dans le cadre des écoles et des mouvements de jeunesse. Dans la Torah et dans son commentaire le Talmud, l’accent est mis sur l’enseignement et l’éducation je l’avais déjà souligné précédemment et j’y reviens car c’est important. Dans le Lévitique, chap. 19, verset 18, on lit : Ne garde pas rancune… mais aime pour ton prochain comme toi-même, Précepte difficile : d’abord il faut s’aimer soi-même, ne pas traîner des casseroles depuis l’enfance mais surtout comment aimer ce prochain qui vous énerve avec sa musique bruyante, ce dirigeant pour qui un être vivant est seulement une ressource subsidiairement humaine mais surtout productive ? Comment aimer ce prochain qui fait si peur : celui qui entraîne les jeunes à s’évader dans la drogue, celui qui pratique le vol avec violence, ou qui viole, celui qui a décidé de mourir en tuant un maximum d’êtres avec lui, celui qui fait son profit de la vente des armes ? Alors, dans le Talmud, au 1er s. avant J.-C., le rabbin Hilèl, a dit : « Ne fais pas à autrui ce que tu détestes pour toi ; va et apprends. » C’est très réaliste, chacun sait ce qui lui déplaît et il est demandé de l’agir même en l’absence de sentiment positif. Mais comme ce n’est pas si facile que ça de se débarrasser de ses préjugés, Hilèl a judicieusement ajouté : « va et apprends ». 1 Marche pour la paix 01-01-2016, organisée par Sant’Egidio ב״ה Cela veut dire, pour nous, aujourd’hui : étudie pour savoir ce que disent vraiment nos textes saints, pour ne pas se focaliser sur certains passages qui, détachés de leur contexte, permettent toutes les dérives, des « versets douloureux » comme les ont appelés trois auteurs, un catholique, un juif et un musulman. Cela veut dire, pour nous aujourd’hui : apprends à connaître ceux qui sont différents de toi, quelles que soient leurs différences, pour pouvoir les respecter concrètement dans leur humanité. Ce que font beaucoup d’écoles qui emmènent leurs élèves à la rencontre de différentes religions et cultures. Cela veut dire, pour nous aujourd’hui : apprends à comparer les informations des media, pour rectifier ce que certains peuvent distiller d’erreurs et de haine. Mais même les journaux écrits ou TV ne sont pas toujours des media « inoffensifs » dont il suffit de se contenter : ceux-là nous disent, non pas ce que nous devons penser mais à quels événements nous devons tous penser en même temps, sans jamais expliquer pourquoi ils passent d’autres choses sous silence. Ils nous conditionnent à notre insu. Un exemple : l’indignation sélective qui établit une échelle de valeurs des dangers ; il y a consensus lorsque l’Europe est frappée par le terrorisme, dans ses citoyens et dans ses valeurs, c’est un devoir, c’est juste et légitime. Mais personne n’a dit : je suis l’Algérie quand des villages entiers étaient égorgés, je suis le Bardo quand la Tunisie a été frappée… Qui aurait eu l’idée de dire « Je suis Ayotzinapa » ? cette ville moyenne d’un État oublié du Mexique, le Guerrero (je cite ici le journaliste et essayiste Jean-Paul Marthoz) quand 43 étudiants de l’école normale ont été arrêtés par la police et remis aux hommes de main d’un cartel de la drogue. Aux yeux d’une dictature de la délinquance, c’est dangereux des futurs profs, ça réfléchit et ça fait réfléchir. Et les prendre en otage et les décapiter ne suscite pas trop d’opprobre. Un journaliste est allé jusqu’à dire : « le péril islamiste nous menace davantage que le narcoterrorisme » et, comme on lui rétorquait que les narcos avaient tué autant de journalistes que les islamistes, il ajouta : « Les islamistes représentent une menace claire et immédiate… alors que les narcos opèrent dans des zones sans importance et ne menacent pas directement nos sociétés. » En fait, pour moi comme pour d’autres, le plus grand danger venant des islamistes est qu’ils poussent les sociétés européennes à prendre des mesures de sécurité qui restreignent la démocratie. Certes, la violence des narcos ne se fait pas sentir chez nous mais la menace qu’ils représentent est insidieuse : dépendance et parfois déchéance de certains utilisateurs, trafic un peu partout et notamment au Moyen-Orient, spéculation sur les produits, blanchiment gigantesque d’argent, montages fiscaux, paradis fiscaux, à l’encontre aussi de nos idéaux d’humanisme et de civilisation. Et J.-P. Marthoz concluait en novembre 2014 : « S’ils n’ont pas les mêmes buts ni les mêmes intérêts, s’ils prétendent appartenir à des mondes opposés, les caciques et les califes participent de concert au dérèglement du monde… » Pour contrer cela, il faut une prise de conscience et une marche pour la paix comme celle-ci et aussi toutes les rencontres de bonne volonté ont un rôle à jouer ; sans se faire d’illusion, sans être bêtement pacifiste à cause de tout ce que j’ai rappelé : pour moi, la paix postule la vigilance, mais avec optimisme : même si elles sont le fait d’une toute petite partie de la population, marches et rencontres sont un exemple positif au milieu de constats défaitistes. La vraie audace est de faire confiance, ne pas avoir pour seul guide la peur. Enfin, je souhaite Chabat chalom car le chabat est en train de commencer. 2