Défrichement et villeneuves. L`occupation des sols

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Défrichement et villeneuves. L`occupation des sols
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par Philippe THUILLOT
Le Moyen Age classique, celui de la féodalité aux XIIe et XlIIe siècles, est justement associé avec
l'image des moines blancs défricheurs.
C'est un mouvement historique important, mais qui s'inscrit dans la longue durée ; des déboisements
avaient déjà eu lieu avant ; ils continuèrent après.
Cette colonisation du sol ne s'est pas faite d'une façon linéaire, ni en progressant régulièrement : il y
eut des périodes d'arrêt, de régression, où les conditions climatiques, les circonstances historiques, la
baisse de la population, ont provoqué le retour à la ronce, des "savarts", un reboisement ; ainsi, entre la
Bas-Empire et le VIe siècle (1). ou pendant la guerre de Cent Ans. du début du XIVe à la fin du XVe
siècle.
Enfin, d'autres considérations ont influé sur la mise en valeur des sols ; le retour de la forêt au BasEmpire, la médiocrité des sols dans la vallée de l'Oise ont augmenté la surface du saltus ; les rois francs
ont contribué à développer ces bois pour des raisons cynégétiques. Leurs successeurs, puis les princes
de Condé ont poursuivi cet effort. La carte de Cassini, celle du diocèse de Senlis en 1709, montrent
encore de vastes zones de landes sablonneuses semées de grès, peuplées de fougères qui séparaient, au
XVIIIe siècle, les forêts de Chantilly et d'Ermenonville. Le repeuplement forestier de ces terrains est le
fait des XIXe et XXe siècles.
La colonisation de sols nouveaux, la création de nouveaux habitats sont des phénomènes anciens.
Des noms de lieux formés avec des radicaux pré-latins évoquent la nouveauté : Nouiodunum. la nouvelle forteresse ou le château neuf : Nouiomagus. le nouveau marché, qui a donné Noyon : Novientum. la
nouvelle agglomération, la ville neuve, d'où Nogent-sur-Oise. Nogent est un site de plaine, installé dans
la vallée de la Brèche près de son confluent avec l'Oise ; c'est le pendant du site de Creil sur la falaise
dominant les vallées de la Brèche et du Thérain (2).
Des constructions toponymiques identiques existent avec des mots latins : vicus. qui est d'abord une
agglomération rurale, marchande ou artisanale avant d'être pris dans le sens de village, comme Novus
Vicus, la ville neuve, qui a donné Neufvy-sur-Aronde.
Surtout, la langue latine a créé, à partir de l'adjectif novus. un mot qui a connu une grande fortune
dans la toponymie : novalia - c'est-à-dire les nouveaux terrains, les sols mis en culture - a donné
l'importante série Neuilly-Nully. Neuilly-sous-Clermont s'est implanté dans le vallon dominant la Brèche
peut-être en développant la culture de la vigne. Nully était un village situé dans la plaine entre
Rocquemont et Duvy, définitivement disparu à la fin de la guerre de Cent Ans (3).
11 faudrait encore citer, dans les noms gallo-latins, Nova Casa. Neufchelles, c'est-à-dire la maison
neuve. Dans les noms latino-francs, on ne trouve pas de formation avec curtis ; par contre. Novus
Villaris, Novillers. est représentée ; la série la plus importante est toutefois constituée par Noua Villa.
Neuville, en respectant le mode de construction francique déterminant-déterminé. On trouve ensuite, à
la place de Novus Villaris, Noua Villetta, Neuvilette, puis, au Moyen Age classique, avec l'apparition de
l'article et l'inversement du mode de composition, La Villeneuve, La Courneuve. L'ancien mode a continué de servir ; on le rencontre dans Neuchâtel-en-Bray, ou Neumoulin, hameau disparu de Plailly.
La chronologie des phases de peuplement au 1er millénaire commence à être connue : le déclin
amorcé au 111e siècle s'achève au VIe siècle ; suit une phase d'étiage avant la reprise qui se manifeste
dès le début du VIIe siècle (4). Le VIIe siècle est reconnu comme une période de paix qui se prolonge
jusque dans la deuxième moitié de ce siècle ; elle est marquée par un essor démographique important,
une activité économique soutenue avec de nouveaux défrichements, la multiplication de nouvelles
églises et le début de l'enracinement du village autour de ces foyers (5).
(1) - Philippe CONTAMINE, Marc BOMPAIRE, Stéphane LEBECQ. Jean-Luc SARRAZIN. L'économie médiévale, 1993, p. 17-22.
(2) - Michel ROBLIN, "Le terroir de Creil". 1964/1966, p. 29-54.
(3) - Gustave MAÇON, "Les fiefs de Chaversy", Soc. d'hlst. et d'archéo. de Senlis. 1913. p. 194-196.
(4) - P. CONTAMINE, op. cit., p. 56.
(5) - Ibid. p. 57 et K. F. WERNER "Le rôle de l'aristocratie dans la christianisation du Nord-Est de la Gaule'', Revue d'histoire de
l'Eglise de France, 62, 1975, p. 53.
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Page précédente : essartage moderne en foret aux environs de Crépy-en-Valois (photo Marc Durand).
Il semble qu'il faille attribuer à cette époque la formation des noms de lieux avec dominus, domina ;
cette catégorie comprend la mère du Christ, Marie, avec Dannemarie, le premier évêque de
Rome, Pierre avec Dampierre, l'évangélisateur des Gaules, saint Martin, avec Dammartin-en-Goële,
mais aussi des saints historiques : Médard, évêque de Soissons, Rémy, évêque de Reims... Cette série
s'est développée au moins jusqu'à la fin du VIIe siècle, puisqu'on y trouve saint Prix, évêque de
Clermont, assassiné en 674, ou saint Léger, évêque d'Autun, supplicié en 678. En forêt d'Ermenonville,
le long de la route de Senlis à Meaux, le carrefour d'Anleu rappelle une croix de Dan Leu, attestée en
1283 (6), et qui est le dernier témoignage d'une église dédiée, sans doute, à saint Loup, évêque de
Sens, mort en 643.
Robert Fossier estime qu'en Picardie, une première phase capitale de peuplement s'est déroulée de
la deuxième moitié du VIe siècle au milieu du Ville siècle, avec en corollaire la christianisation des campagnes. Une deuxième étape dans l'occupation humaine serait possible après 750 et durant l'essentiel
de la période carolingienne (7). C'est à cette deuxième phase qu'il faudrait rattacher les formations en
"Saint" : Saint-Ouen-sur-Seine est attesté en 832, Saint-Witz, près de Montmélian, renvoie à un saint
Gui ou Vit dont le corps aurait été donné par le pape Paul entre 757 et 767 (8). En forêt de Gâtine, mais
il peut y avoir des différences régionales, les novales et les mesnils fondés par l'évêque du Mans Aldric,
entre 832 et 857, ont été recensés (9).
En région senlisienne, Ermenonville se rattache à cette époque, le nom d'Ermenon porté par un
célèbre abbé de Saint Germain des Prés du début du IXe siècle, est aussi celui d'un évêque de Senlis
connu en 814 (10).
Faut-il placer dans ce contexte la formation des noms latino-romans en Villaris, diminutif de villa ?
Dans l'Oise, le plus ancien nom de lieu cité qui soit formé avec Villaris est Leubaredouillare, peut-être
Lieuvillers, en 636 (1 1). En région parisienne, le plus ancien Villers ne remonte qu'à 768 (12). En région
senlisienne. il s'agit d'habitats restés parfois à l'état de hameaux, ce qui montre bien que ce sont, à leur
création, des écarts, des démembrements. Ainsi en est-il de Villers, hameau d'Ormoy-Villers, ou
d'Yvillers, hameau de Villeneuve-sur-Verberie. Survilliers a acquis son indépendance, mais son église,
dédiée à saint Martin, rappelle sa distraction de celle du vicus de Plailly (13). Villers-Saint-Frambourg
n'est également qu'un démembrement d'Ognon en faveur du chapitre de Saint-Frambourg de Senlis
(14).
Habitats excentrés par rapport au chef-lieu d'origine, ce sont des fronts de déboisement et de peuplement. A Villers-Saint-Frambourg, le lieu-dit "Les Essarts" atteste que le déboisement n'a jamais cessé le
long d'un chemin de Meaux à Pont-Sainte-Maxence : les essarts de Villers, comme ceux d'Yvillers, tracent un front de culture qui s'attaque aux premières pentes de la forêt d'Halatte, à une époque où elle
n'était pas encore en futaie ( 15). Ormoy-Villers. en participant à la mise en valeur de l'ancien chemin de
Crépy-en-Valois. et Survilliers se présentent surtout comme des fermes nées de la mise en valeur de territoires excentrés du finage initial.
(6) - ADO (Arch. dép. de l'Oise). H 5087 ; "montrée des limites des bruyères de l'abbaye de Chaalis : ''...de la Croiz de Dan Leu
duques a la Croiz Blanche...".
(7) - Robert FOSSIER. La terre et les hommes en Picardie jusqu'à la fin du Xllle siècle, 1968. T. 1, p. 159.
(8) - Abbé Jean LEBECIF. Histoire de la ville et de tout te diocèse de Paris. T. 4, p. 338.
(9) - Dominique BARTHELEMY. La société dans le comté de Vendôme de l'an mil au XlVe siècle, ! 993. p. 168. note i 43.
(10) - Gallia Christiana. T. X. coil. 1384 (entre 813 et 816).
(11) • Michel ROBLIN. Le terroir de l'Oise aux époques gallo-romaine et franque. Picard, document n°2, p. 299.
(12)- Michel ROBLIN, Le terroir de Paris aux époques gallo-romaine et franque, 2e éd.. 1971. p. 84.
(13) - Miche! ROBLIN, "Le culte de saint Martin dans la région de Senlis", Journal des Savants, 1965, p. 558.
(14) - Arch. nat. S 5173 B. liasse 36 (ancienne cote S 5175 n°42) : "..quicquid habebat in territorio de Oignon et de Vilers tam in
decima quam in aliis rebus... " (en 1210).
(15) - Michel ROBLIN, "Le plan cadastral de Verneuil-en-Halatte,toponymie, histoire et archéologie", Revue internationale d'onomastique, 1964, p. 193, note 22.
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Il faut noter également une différence très marquée entre les titulatures des églises mères et celles
des églises démembrées, hormis le cas de Survilliers (16). Les églises primitives honorent effectivement
toutes l'évangélisateur Martin : Plailly, Ognon, Ormoy. Les sites secondaires vénèrent, par contre, dessaints historiques : Rémi à Villers Ormoy. Médard à Villers-Saint-Frambourg. Si l'évangélisation des
sites plus anciens remonte à l'époque mérovingienne, celle des habitats secondaires relève, par conséquent, de la phase carolingienne. On retrouve des exemples analogues avec d'autres sites associés
entre eux dans leur histoire : Néry (Saint-Martin) et Saintines (Saint-Denis). Feigneux et Fresnoy-laRivière qui honorent les mêmes patrons ou encore Fresnoy-le-Luat (Saint-Martin) et Auger (SaintMédard ou Saint-Vincent).
Un dernier exemple est fourni par Noël-Saint-Rémy, dont la paroisse, distraite de celle de Noël-SaintMartin. fut la cause d'une confrontation entre les évêques de Soissons et Beauvais réglée par un arbitrage en 872 (17).
En région senlisienne. toutes les catégories de noms sont représentées au cours du 1er millénaire :
gaulois, gallo-latins ou latino-romans ou latino-francs ; toutefois la série gallo-romaine est particulièrement attestée dans la dépression centrale entre Senlis et Crépy-en-Valois. La faible présence de la toponymie latino-franque s'explique par un arrêt des défrichements à la fin du 111e siècle (18). Les noms en
"ville'', "villers", "court'' sont surtout présents aux marges du Senlisis et à la frontière entre Senlisis et
Soissonnais. le long de l'Automne.
Y a-t-il eu un arrêt dans l'occupation du sol à la fin du 1er millénaire ? Robert Fossier note, en
Picardie, un blocage démographique aux IX et Xe siècles, un plafonnement de l'agriculture (19). En
région senlisienne. les sources documentaires se tarissent après 920. Senlis passe alors sous le contrôle
des Robertiens et devient la marche avancée des possessions de cette famille face au vieux domaine
carolingien : en 946 et 949. l'armée royale aidée par celle du roi germanique Otton. venant de Laon,
Reims et Soissons. assiège en vain Senlis puis ravage la région entre Senlis et Paris. En 978. l'empereur
Otton reprend une campagne visant Paris par Compiègne. et donc Senlis (20).
L'avènement d'Hugues Capet et la stabilité ont apporte après cette période noire du Xe siècle la
reprise et l'activité. Elle s'apprécie, par exemple, avec la fixation définitive du nom de Pont-SainteMaxence dans un texte de 1016. le toponyme soulignant la reprise des échanges par la route (21). Elle
se mesure aussi au plan spirituel avec la couverture d'églises qui apparaît alors : a Senlis, la reconstruction de la cathédrale sous le titre de Saint-Gervais/Saint-Protais et de Notre Dame, comme de la chapelle octogonale adjacente serait due à l'évêque Eudes qui siège de 988 à 996 (22).
La fondation hors la ville de la paroisse de Saint-Aignan sous Robert II témoignerait du développement progressif de la ville (23). Sous le règne de Philippe 1er. au milieu du XIe siècle, la reprise semble
se confirmer le long de cette antique route qui devient la route de Flandre avec la fondation de SaintPierre de Lille à son terminus en 1063 (24). La diffusion du culte de saint Pierre est à mettre en rapport
(16) - Miche] ROBLIN. Le terroir de l'Oise.... op. cit.. p. 188 : "le titre de l'église mère n'est attribuée que dans le cas de l'érection
d'une chapelle en paroisse".
(17) - \bid.. p. 34.
(18) - Ibid., p. 265.
(19) - Robert FOSSIER, op. cit.. p. 206-207.
(20) - R1CHER, Histoire de France, éd. et trad. Robert LATOUCHE. Les Belles Lettres, 1964. T. i, p. 217, 283 et T. 11, p. 93.
(21) - Recueil des Historiens de France, T. X, p. 598 : "Acta est haec constituto in uilla uocabulo Pons Sanctae Maxentiae".
(22) - Dominique VERMAND, "La cathédrale Notre Dame de Senlis au Xlle siècle. Etude historique et monumentale", Soc. d'hist
et d'archéo. de Sentis, 1983/1985, p. 26-30.
(23) - Michel ROBLIN. "Cités ou citadelles ? Les enceintes romaines du Bas-Empire d'après l'exemple de Senlis". Revue des
Etudes anciennes. T. LXV11, 3/4. juiL. déc. 1965, p. 386.
(24) - Pierre GAILLARD, "L'histoire des Capétiens de Robert le Fort à Louis VIII", Les cahiers de l'Histoire. 81, déc. 1968, p. 50.
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avec le développement de la réforme grégorienne : saint Pierre est honoré dans les propriétés épiscopales de Baron ou de Séry et à Pontarmé, sur la route de Flandre. La diffusion du culte de la Trinité date
aussi de cette époque : dans l'évêché de Beauvais, le prieuré de Villers Saint Sépulcre, dédié à la
Trinité, est fondé en 1060 (25). Dans le diocèse de Senlis, la Trinité est le patronage de l'église de La
Chapelle en Serval qui se trouve également sur la route de Flandre.
Mais le phénomène marquant de la deuxième moitié du XIe siècle est la réforme impulsée par le
pape Grégoire VII (1073-1085). Un de ses aspects est le retour dans le sein de l'église d'autels détenus
jusqu'alors par des laïcs ; les terrains occupés par ces églises pouvaient être importants et ont constitué
alors un pôle d'attraction pour l'habitat laïque. L'aître d'Eve, en 1239, abrite des hôtes habitant une
dizaine de masures (26). A La Chapelle en Serval, en 1329, une notice précise que le moustier et le
cimetière appartiennent au prieuré de Saint-Christophe-en-Halatte et donne une liste de 12 hôtes. En
1712, la censive du prieuré s'étend sur 10 maisons (27).
Dans le diocèse de Senlis, le prieuré de Saint Martin des Champs reçoit vers 1090 l'église de
Survilliers et une terre attenante dans un territoire ancien qualifié de locus (28) ; cette cession fut le
point de départ d'un repeuplement du village : en 1097, les nouveaux habitants, qualifiés d'hôtes,
obtiennent la possibilité d'aller moudre leurs grains au moulin d'Orry-la-Ville (29).
Ces installations d'hôtes reflètent une poussée démographique attestée par ailleurs, en Picardie, dans
le dernier quart du XIe siècle (30). En Vendômois, promotion de nouveaux centres à partir de tels transferts d'autels et défrichements sont liés, dès 1070 (31). Rien ne permet de dire, en région senlisienne,
s'il y a eu des défrichements à cette époque, ou s'il ne s'agit que de la réactivation d'anciens centres.
Les textes connus pour la première moitié du XIIe siècle font également référence à des installations
d'hôtes dans des sites plus anciens, non dans des villages neufs, et sans parler d'essart. Dans une notice
de 1118, les chapitres de Saint-Frambourg et de Saint-Rieul de Senlis se partagent une terre à Bouville
jusque là indivise entre eux. Chaque chapitre garde la justice de ses hôtes propres, et la dîme est partagée 1/3-2/3 ; il ne s'agit pas nécessairement d'une terre neuve, mais la volonté de séparation peut correspondre à un désir de participer individuellement à la culture du sol (32). Dans une autre notice, non
datée, Raoul, comte de Vermandois mais aussi seigneur de Crépy, abandonne les coutumes qu'il percevait à Bazoche, propriété du chapitre cathédrale de Senlis et fixe les droits et les redevances dues par les
hôtes du chapitre : 4 deniers pour le bois de construction, redevance en nature pour le bois de chauffage, bannerie au moulin comtal (33). 11 y a bien là installation de ''colons", mais on ne trouve pas de
contrat de défrichement. Enfin, dans un acte de 1143, le roi Louis VII confirme une autorisation accordée par son père Louis VI (mort en 1136) au nouvel évêque de Senlis. Pierre, élu en 1135. afin d'installer des hôtes dans le village épiscopal de Montlévêque et d'y construire un moulin et un vivier (34).
(25) - Pierre LOUVET, Histoire de la ville et cité de Beauvais..., 1614. p. 449-451.
(26) - ADO. G 239.
(27) - AFFORTY. Collectanea Siluanectensia, T. X. p. 5246.
(28) - J. DEPOIN, Recueil des chartes et documents de Saint Martin des Champs. T. I. rr35. p. 64 : "Altare de sordida cilla et terciam partem capsi et atrium ; ...in loco qui dicitur ad Sordidam villam": rr43, p. 75 : "Terramque jacet ante ecclesiam Sordide ville
liberam ... et mete".
(29) - Ibid.. n c 81, p. 131 : "quod quidam canonici... concesserunt ut hospites eorum de Solo villari (sic) et ipsi idem monachi insuper et omnes hospites quos tune habebant vel deinceps habitur erant... ibi annonas molerent".
(30) - Robert FOSS1ER, op. cit.. p. 285.
(31) - Dominique BARTHELEMY, op. cit., p. 184 et sq.
(32) - Gallia Christiana, T. X, col. 226.
(33) - AFFORTY, op. cit., T. XIII, p. 629-702.
(34) - Arch. nat., JJ 26, fol. 138 : 'quoniam villam de Montibus, quam ... Petrus, Silvanectensis episcopus fecit hospitari cum uivario et molendinoque ipsemet ibidem instituit".
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Tous ces textes ne parlent que de peuplement, ou plutôt de repeuplement d'anciens villages ; y a-t-il
eu en région senlisienne un retard dans la mise en valeur des terres ou un repli ? Un accord conclu en
1159 concernant les essarts de Plailly réalisés depuis plus de trente ans, précise qu'une partie d'entre
eux était retournée en broussailles (35).
La décennie 1150-1160 paraît marquer le début dans le Senlisis de la colonisation en grand du sol.
Au sud de Paris, Louis VI avait appelé déjà des hôtes à Tourfou en 1134 pour défricher la forêt (36). Plus
près, aux alentours de Vaulerent (Val d'Oise), les Cisterciens de Chaâlis avaient reçu vers 1143 le bois
de la Buscalia pour le rompre et le mettre en culture (37) ; mais, à la même époque, les moines de
Chaâlis rachetaient la dîme grevant les terres qu'ils avaient reçues du roi en 1136 à Commelle, dans
l'Oise (38). Les moines se mettaient ainsi à la place des anciens tenanciers, mais sans envisager
d'essart.
Ce grand mouvement d'essart semble commencer dans les années 1130 en région parisienne (39)
comme en Picardie (40).
En Senlisis, le premier gros contrat d'essart date de 1152 ; le chapitre d'Argenteuil, seigneur de
Saint-Witz. cède alors à l'abbaye de Chaâlis son bois situé autour d'un hôtel-Dieu à raison de quatre
deniers par arpent avec l'ancien fond déjà cultivé et contenant soixante arpents (41 ). Cette cession n'eut
pas d'effet puisque le chapitre cède en 1161 à Guy, Bouteiller du roi, cent quarante arpents de ce site à
essarter (42). A son tour, celui-ci rétrocède ces terres à l'abbaye de Chaalis (43). Ce sont donc quatrevingt arpents, un peu plus de trente hectares, qui auraient été mis en culture en dix ans.
Dès lors, les premiers procès touchant à la perception de la dîme sur ces terres nouvelles se multiplient ; ces nouvelles dîmes s'appelleront désormais novales du nom des terres sur lesquelles elles portaient. En 1156, Louis VI confirme un accord concernant la dîme des novales du bois de Baron,
intervenu entre l'évêque de Senlis. duquel dépend l'église paroissiale et la dîme de baron, et l'abbaye de
Chelles (en Seine-et-Marne), propriétaire d'un domaine par donation royale en ce même lieu (44). En
1159, le trésorier du chapitre Saint-Frambourg de Senlis, auquel appartiennent l'église et la dîme de
Plailly, et l'abbaye de Morienval, qui possédait un tiers des forêts de Plailly, passent une transaction sur
les essarts réalisés depuis trente ans sur le domaine royal (45).
En 1171, Guy le Bouteiller investit le prieuré de Saint-Nicolas d'Acy de la dîme des novales de son
(35) - PEIGNE-DELACOURT. Cartulaire de l'abbaye de Morienval, p. 7 : "Ecclesia de Morgneualle sexaginta arpennos et dsimidium in propria decimatione obtinuit. Quorum undecim culta erant. reliqua vero olim culta, jam tunc arbustis et vepribus obsita
erant".
(36) - Charles HIGOUNET, Le Moyen Age derrière la géographie. Un village d'hôtes royaux du Xlle siècle, Torfou, Inform. historique. 1957.
(37) - Charles HIGOUNET, La grange de Vaulerent, structure et exploitation d'un terroir cistercien de la plaine de France, XIIe-XVe
siècles, 1965, p. 20 : "rumpere, extirpare et absque ulla contradictione eradicare, colere et arare".
(38) - Arch. nat., J 710, n°2 : "...concedo ecclesie beate Marie Karolitoci decimam sue terre ... in territorio Commelensi".
(39) - Charles HIGOUNET, Défrichements et villeneuves du bassin Parisien, 1990, p. 47.
(40) - Robert FOSSIER, op. cit., p. 311.
(41) - AFFORTY, op. cit., T.XIV, p. 80-108 : "... concessimus ... totam terram ... circa Domum Dei... nemora rumpere, terram nemoris arare..."
(42) - Arch. nat., L 837, n°59 : "concessimus ... de ruptis terris et isardis de nemore beate Marie qoud est sub strada publica
Silvanectensi...".
(43) - AFFORTY, op. cit., T. XIV, p. 197 : " ...me dedisse... in nemoribus Sancte Marie Argentulii centum quadraginta arpenta terre
ad rumpendum et excolendum".
(44) - lbid.,p. 145/184 : "pro decimis novalium de fiorestis que sunt in territorio ville que uoeatur Berronium".
(45) -PEIGNE-DELACOURT, op. cit., p. 7 : "... Orta est... dissensio ... de decimis novalium que vulgo dirrupticia vel essart vocantur que fiebant in domanio regis ...".
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bois de Brasseuse qu'il a fait essarter par des paysans (46). Les textes livrent une dîme de novales à
Rully en 1182 (47), une mention d'essarts à Cornon en 1186 (48), une dîme de novales à Raray en
1186 (49), des novales dans les bois entre Ver et Dammartin en 1196, bois de La Charmée (50) et en
1197, bois de Gratuel (51) ; en 1198, le prieuré de Saint-Nicolas d'Acy reçoit la dîme des terres en culture et des novales à venir sur les territoires de Fontaine-Saint-Firmin et de Vineuil (52). En 1205, il est
dit que le bois de Geni, entre Plailly et La Chapelle en Serval, n'est pas encore essarté (53) ; celui
d'Orry-la-Ville ne l'est pas encore complètement en 1203 (54) ; on signale des essarts à Survilliers en
1209 (55), à Ognon en 1219 (56) ; enfin la première mention de la ferme de l'Essart, au nord-est de
Versigny, date de 1220 (57).
Robert Fossier note que les essarts picards s'inscrivent dans une période de longue durée : de 1130 à
1280, avec deux phases importantes entre 1150 et 1170 puis de 1210 à 1240 (58). Pour sa part,
Charles Higounet considère qu'en région parisienne la colonisation s'est faite entre 1130 et 1250, avec
deux grandes périodes, de 1140 à 1200 et de 1220 à 1240 (59).
En région senlisienne, une réactivation a pu se faire avant le milieu du XlIIe siècle ; en 1223, Guy le
Bouteiller abandonne son droit de gruerie sur les essarts que le chapitre cathédrale de Senlis envisage
de faire sur le territoire de Montlognon (60). A Pontarmé, une charte mentionne en 1239 des essarts
près de l'hôtel-Dieu nouvellement fondé (61). A Guépelle, de nouveaux essarts sont cités en 1240
(62) ; sur Plailly, les essarts de Dame Clémence, en 1250, rappellent une certaine Clémence de
Mortefontaine contemporaine (63).
(46) - AFFORTY, op. Cit., T. XIV, p. 426/480 : "Quod dominus Guido Buticularius, omnem decimam que percipienda est vel futura est in noualibus nemoris de Braisilua vel circa Braisiluam, quod ipse agricolis ad eradicandum et excolendum dedit... redditit".
(47) - Ibid., p. 605/663 : "Ecclesiam de Ruilliaco cum medietate majoris decime terrarum ejusdem ville. Insuper medietatem cujusdam noue decime que decima noualium nuncupatur".
(48) - Recueil des actes de Philippe Auguste, T. 1, n° 185, p. 223 : "...decem arpenti terre arabilis in essartis de Cornum... ".
(49) - AFFORTY, op. cit.. p. 684/740 : "...omnem decimam que de noualibus nostris exiet...".
(50) - Ibid., p. 828/900 : "...medietatem totius decime ... de toto nermore quod dicitur Calmeia tam de terris cultis quam etiam de
his que ad cultam nondum redacte sunt... ".
(51) - Ibid., p. 842/914 : "...ecclesia beate Marie ... habet tertiam partem decime de omnibus noualibus nemoris quod dicitur
Gratuel... ".
(52) - Ibid.. p. 932 : "totam decimam suam magnam tam in terris jam cultis quam in nouialibus faciendis, et minutam quam
apud Fontem et apud Vineolum habeabant... ".
(53) - Arch. nat., LL 1157 : "et de illo autem nemore de Gehennei non potest aliquid dirumpere R. de Vernone ..." (P. 901 ).
(54) - AFFORTY, op. cit., T. I, p. 35 : "...in nemore tam extirpante quam extirpando ...".
(55) - Arch. nat., S 1365, n°16, : "monachi conquerentur quod idem Petrus decimam de essartis suis que in uilla de Soruilers fecerat... non reddebat... ".
(56) - Arch. nat., M 13, n°52, : "...quod ...? presbiter quitauit... decimas ... noualium que tune temporis erant... ".
(57) - Arch. nat., JJ 26, fol. 220 v° : abandon par Philippe Auguste "nos, dilecto et fideli nostro Johanni Choisel... quittamus ...auenam quam habebamus in terris que sunt circa domum suam de Essarto quas tenebat de abbatissa Kalensis et dominis de
Vercegni".
(58) - Robert FOSSIER, op. cit., p. 311.
(59) - Charles HIGOUNET, op. cit., p. 47.
(60) • ADO, G 2275 : "...concessimus ... essarta que sunt de griaria nostra ... prout uoluerit capitulum excolenda".
(61 ) - Arch. nat., S 4264, n°22 : "duos arpennos terre site en l'essart ante domum (-Dei) ... "
(62) - ADO, H 5317, : "... in nouis rupticiis contra culturam de Gaipeles...".
(63) - Biblio. nat., nouv. acq. lat., 2371, n°31 -en 1250 : "quod Johannes de Borrenc ... quitauit... unum arpanum terre arabilis
situm... in essartis domine Clementie de Mortuofonte ... quam terram dicta Clementia ... legauit".
239
Le règne de saint Louis marque l'aboutissement de ce mouvement : en 1273, le chapitre cathédral
de Senlis achète la dîme de 180 arpents de terre au lieu-dit "Les Essarts de Glaignes", soit entre 40 et 50
hectares (64) ; un acte de 1275, enfin, parle du lieu-dit "Les Essarts de Villers-Saint-Frambourg", toujours présent sur la carte de l'IGN (65).
Il n'y a plus d'essarts, parce qu'il n'y a plus de terres à gagner. Les finages se rejoignent ; ils sont
bornés, des croix sont plantées à leurs limites : la Croix Dame Jeanne, connue dès 1304, sur le chemin
de Senlis à Crépy-en-Valois à la hauteur de Chaversy (66) ; entre La Chapelle-en-Serval et Survilliers, la
Croix Messire Renaud, sur le bord de la route de Paris, qui doit son nom à Renaud Leschans. chevalier et
seigneur de Survilliers, cité en 1239 (67). C'est la fin de l'organisation des villages, au temporel, mais
aussi au spirituel, et les dernières paroisses sont alors fondées : en 1245, la cure de Geni est rattachée à
celle d'Orry/La Chapelle (68) ; en 1276, la chapelle de Mortefontaine est érigée en cure par distraction
de celle de Plailly (69).
Sous quelle forme se sont réalisés les essarts ? Soit par mise en valeur directe par les propriétaires
sous forme de coutures, soit par concession à des paysans sous forme de censives, qu'il s'agisse de
véritables acensements ou de reconnaissance d'essarts individuels. Sur les terres royales, on trouve une
censive à Plailly à côté des coutures royales (70) ; à Rully, les anciennes coutures seigneuriales entourent le village, mais les lieux-dits "Les Essarts" ou "Les Novales" sont en censive (71). Les essarts de
Cornon (72) ou ceux de Villers-Saint-Frambourg sont, eux aussi, en censive. Le système de la concession est. peut-être, plus répandu chez les grands propriétaires terriens : Guy le Bouteiller précise, en
1171, qu'il a fait mettre en culture son bois de Brasseuse par des paysans (73) ; son petit-fils Guy
envisage aussi cette possibilité en 1223 dans son accord avec le chapitre cathédral de Senlis (74) ; à
Geni aussi, ce sont des "hommes'' qui ont essarté près de trente hectares (75).
La censive peut, parfois, être remplacée par un droit en nature à base d'avoine, l'avenage, qui
témoigne du développement de l'assolement triennal et des besoins de l'élevage des chevaux. La grande plaine dite des "Essarts" qui s'étend entre La Chapelle-en-Serval, Orry-la-Ville, la RN 17 et la vallée
de l'Ysieux est ainsi soumise à un droit d'avenage, rappel du droit éminent du propriétaire de l'ancienne
forêt de Coye primitive (76) ; c'est un tel droit qui est perçu en 1220 sur les terres dépendant de la ferme
(64) - ADO, G 2275, : "... quod Renaudus de Glana ... recognovit ... se vendidisse ... totam terciam parlera ... in totali decima in
novies viginti vel circiter arpennis terre arabilis sitis ... in territorio de Glana ... in loco qui les essars vulgariter nuncupatur... ".
(65) - AFFORTY, T. XVI. p. 155.
(66) -ADO, G 2314.
(67) - Arch. nat., LL 1157, p. 916 : "... duo arpenta sita ad crucem domini Renaudi...". Biblio. nat., nouv. acq. lat.. 2371, n°19 :
"Ego Renaudus de Campis, miles et dominus de Sotvilers ... " (en 1239).
(68) - AFFORTY, T. I, p. 142.
(69) - Gallia Christiana, T. X, n°CXXVI, col. 469-471.
(70) - Achille LUCHAIRE, Etude sur les actes de Louis VII, p. 455 : "don par Louis VIl à Gui, Bouteiller - "...triginta solidos de censu
essartorum de Plailly... ".
(71) - Recueil des actes de Philippe Auguste, T. Il, p. 299. (en 1202) : "... quod Cono de Betunia ... culturas suas quas circa easdem villas habebat... hominibus (de Rully et de Chamicy) ... excolendas concessit ...". AFFORTY, T. XV, p. 207, (en 1209) :
"...quod ... Hugo Burnaus ... dedit duo arpenta sita in essartis de Ruilli unde ipsa ecclesia tenetur soluere Regi duodecim denarios
censuales...".
(72) - Recueil des actes de Philippe Auguste, T. 1, n°185, p. 223 : "...decem arpenti ... in essartis de Cornum, annuente hec
Clementia, in cujus censu est terra hec".
(73) - AFFORTY, T. XIV, p. 426-480 : "... quod ... Guido Buticularius, omnem decimam ... in noualibus nemoris de Braisilva ...
quod ipse agricolis ad eradicandum et excolendum dedit... reddidit".
(74) - ADO, G 2275 : "...nos ... concessimus ... esssarta que sunt de griaria nostra ... per se vel per colonos ... excolenda".
(75) - Arch. nat., LL 1157 : "Et pro nemore de Gehennei... pro quinquaginta nouem arpennis quo R. (Richard de Vernon) dederat
suis hominibus ad dirumpendum ...".
(76) - Gustave MACON, Histoire du domaine forestier de Chantilly, forêts de Coye, Luzarches, Chaumontel et Bonès, Senlis, T. II,
1906, p. 140.
240
de "L'Essart" (77). Les mentions d'avenage permettent d'affirmer que les essarts se sont faits sur des
bois, qu'il ne s'agit pas de la mise en culture de friches.
Les coutures se trouvaient principalement dans les domaines ecclésiastiques : l'abbaye de
Montmartre, à Paris, avait une réserve à Barbery, composée de champs ou coutures de différentes tailles
(78) ; le prieuré de Saint-Leu d'Esserent avait une couture à Chantilly en 1240 (79) ; l'abbaye de
Chelles (Seine-et-Marne) en possédait également une à Baron en 1156 (80) ; la grange de l'abbaye de
Saint-Arnoul de Crépy-en-Valois, à La Houatte, était le centre d'une exploitation directe en coutures
(81).
Toutefois, le faire-valoir direct du travail de la terre par des convers a triomphé essentiellement chez
les Cisterciens : les granges de Fay (commune de Néry), Fourcheret (commune de Fontaine Chaâlis),
La Chapelle Chaalis dépendent de l'abbaye de Chaâlis comme les "maisons" de Commelle, La
Chapelle-en-Serval ou de Guépelle. Ces granges pouvaient être à la tête de vastes exploitations : la
grange de Vaulerent rayonnait sur près de 400 hectares, avec des parcelles pouvant dépasser 4 hectares. Beaucoup de ces granges, encore debout, datent du début du XIIIe siècle, de l'apogée de l'ordre
cistercien (82).
Les essarts peuvent se développer directement à la sortie des villages. Ceux de Pontarmé touchent à
l'ancien hôtel-Dieu sur la route de La Chapelle-en-Serval ; ceux de Villers-Saint-Frambourg se sont
étendus perpendiculairement à l'ancien chemin de Meaux à Pont-Sainte-Maxence, ce qui donne des
essarts en arête, phénomène classique du village-rue. D'autres essarts montrent très bien que la mise en
culture du sol s'est faite à partir du centre du village : Orry-la-Ville, dont le territoire est ovale, présente
un cas bien connu, celui d'un habitat qui est né à partir d'une clairière, ici, dans la forêt de Coye et s'est
agrandi en rayonnant progressivement.
D'autres essarts sont nettement marqués aux confins des finages : ceux de Glaignes touchent à la
grange du Plessis-Châtelain ; ceux de Rully sont attenants au hameau de Huleux qui dépend de Néry ;
les essarts de Brasseuse concernent un bois périphérique au village ; les anciens bois de Plailly. de
même, s'étendaient vers Mortefontaine.
Tous ces essarts confirment bien que la colonisation du sol a alors atteint son maximum quand il n'y
a plus de friches ou de bois entre les villages. L'extension de ces essarts a contribué à la création d'habitats secondaires, fermes ou hameaux entre les villages ; ainsi la grange du Plessis-Châtelain ou Huleux.
Des raisons "stratégiques", la défense du territoire ont pu favoriser l'implantation d'habitats comme la
grange du Plessis-Châtelain ou Huleux, tous deux sur des chemins secondaires et contrôlant les accès
de la chàtellenie de Béthisy (83). De tels habitats intercalés se trouvent ailleurs : le hameau de Montaby
est une extension médiévale de la châtellenie de Montmélian, à sa périphérie, où se trouvaient les
anciens bois de Plailly et face à la seigneurie d'Ermenonville (84).
Ces essarts ont donné naissance à des habitats de toutes sortes : fermes, hameaux ou villages. Mais
s'agit-il pour autant de ville-neuves, de créations dirigées ? Les mentions de villes neuves sont rares
(77) - Arch. nat.. JJ 26, fol. 220 v° : "... nos ... quittamus ... avenam quam habebamus in terris que sunt circa domum ... de essarto".
(78) - Arch. nat., S 4420, S 4421 et S 4422.
(79) - Gallia Christiana, T. X, col. 458 : "Stephanus, prior et conuentus Sancti Lupi de Esserento ... quod cum nos ab hou Hugone
de Vinolio ... septem arpenta terrae juxta culturam nostram prope Chantilli... emissemus ... ".
(80) - Achille LUCHAIRE, Etude sur les actes de Louis VII. n° 365. p. 402 : "... exceptis culturis predicte abbatisse propriis que non
sunt de forestis ...".
(81) - ADO, H 3301.
(82) - François BLARY, Le domaine de Chaalis, Xlle-XIVe siècles, p. 8.
(83) - Biblio. nat., Moreau, T. 79, fol. 189, : "... quod Richardus, castetlanus Bestisiaci ... dederat ... in grangia sua apud
Pleisetum... de terris ad grangiam pertinentibus" (en 1167). Biblio. nat., Picardie. 351, n°3, (amortissement des terres de Chaalis
en 1229) : "... in toto territorio de Neri, de Saintines, de Vallibus et de Hueleu".
(84) - Biblio. nat., Moreau, T. 192, fol. 57-58 ; vente en 1268 par Jean de Plailly à l'abbaye de Chaalis de ses biens de Montaby.
241
dans la région de Senlis : Villeneuve-les-Auger est connu depuis le début du Xlle siècle (85). En 1166,
l'évêque de Senlis confirme au prieuré Saint-Nicolas d'Acy la possession d'un hôte et de 40 hectares de
terres dans une Villeneuve non identifiée (86). Villeneuve-sur-Verberie, propriété royale, est certainement une création du Xlle siècle (87) : l'église est connue à la fin de ce siècle (87), son titre, saint
Barthélémy, est capétien (88) et le roi est représenté par un prévôt dont le nom est connu en 1171 (89).
A une date comprise entre 1155 et 1167, le prieuré de Saint-Arnoul de Crépy-en-Valois et un certain
Etienne concluent un accord pour le partage d'une friche, gastata. dans une Villeneuve, donc dans un
habitat plus ancien, et identifié jusqu'alors avec Villeneuve-les-Auger (90) ; mais le terme latin désignant la friche, gastata. a donné le nom de La Houatte, grange de l'abbaye de Saint-Arnoul, à mi-chemin entre Senlis et Crépy-en-Valois. où s'est déroulé en 1183 une entrevue entre le roi de France et le
comte de Flandre pour régler la dévolution de l'héritage de la femme de ce comte, héritière du Valois
(91). Cette grange possédait une dizaine de coutures montant à une soixantaine d'hectares. En face, se
trouvait la grange de Beaurain, dont les coutures faisaient la même superficie et touchaient celles de La
Houatte. Beaurain appartenait à une famille de chevaliers où l'on retrouve le prénom d'Etienne et dont
l'origine doit remonter au Xlle siècle (92). Cet exemple montre la complexité de l'évolution de l'habitat.
Qu'est devenue cette Villeneuve ? Disparition ou destruction ? Villeneuve avortée ? Le flanc ouest du
mont Cornon (entre Huleux et Trumilly) est à la croisée de plusieurs chemins médiévaux.
En région senlisienne les villes neuves paraissent être surtout le fruit de l'essor économique comme
Villeneuve-sur-Verberie sur le chemin de Senlis à Verberie et Compiègne. Villeneuve-les-Auger ou la
ville neuve de La Houatte pourraient dépendre d'une période antérieure, pour le moment indéfinie.
L'apparition et le développement de nouveaux villages peuvent s'appréhender à partir d'autres critères que le nom. L'article défini concerne des habitats du Xlle siècle, comme La Chapelle-en-Serval, La
Plessis-Chamant, Le Plessis-Châtelain. Le Luat. Le Plessis-Cornefroy. Certains cultes caractérisent certaines périodes : celui de saint Nicolas développé après la première croisade est pratiqué au PlessisChamant. à Gigny. hameau disparu près de Trumilly, à Raray. Le culte marial, qui a toujours existé, a
connu un regain à partir du milieu du Xlle siècle : on le trouve à Rully. à Orry-la-Ville. à Trumilly. à Othis
dont l'église nouvellement construite fut dédicacée en 1 190 (93). D'autres cultes, comme celui de saint
Barthélémy honoré à Mortefontaine ou à Villeneuve-sur-Verberie, ou celui du Baptiste, en vigueur à
Montépilloy ou au Luat, sont des cultes des XII et XIIIe siècles et pratiqués dans des villages neufs.
Les actes prévoyant la création de villeneuves sont rares. Vers 1184, Guy le Bouteiller envisage de
créer un village à Chantilly ; il se réserve trois arpents pour y construire une grange et attribue un arpent
(85) - Jean DEPOIN, Recueil des chartes et documents de l'abbaye de Saint Martin des Champs, T. I. n° 70. p. 1 13 : "... quod
Eustachius de Siluanecti dedit... alodium quod habebat apud uillam novam que estjuxta villam Sti Arnulfi de Crispei que Otgerus
nuncupatur...".
(86) - AFFORTY, T. XIV, p. 374 : " ...Iterum sex hospites cum quadraginta arpentis terre apud villam novam que sita est in territorio de Valleis. "
(87) - Ibid., p. 561/617 : "... adjunxit ecclesiam de Nova Villa cum minutis decimis ...".
(88) - Michel ROBLIN, Le Terroir de l'Oise aux époques gallo-romaine et franque. p. 185, note 77.
(89) - AFFORTY, T. XIV. p. 422/476 ; "...Sigillum Rogerii prepositi de Noua villa".
(90) - Ibid., p. 153/204 : " ... quod Simon ... prior Sancti Arnulphi de Cripeio et Wido, miles ... convenerunt et terre cujusdam de
villa noua que dicitur gastata ... que terre ... commuais esr agricolatum inter se diuiserunt... Quod si guerra communis Silvanecti et
Crespeie terre illius agriculturam impedierit... ".
(91) - Recueil des Historiens de France, T. 18, (Chronique de Gilbert de Mons), p. 370 : "Unde ... colloquium ... inter Silvanectum
civitatem Regis et Crispiacum, castrum ipsius comitis fuit nominatum. in loco qui dictur grangia Sancti-Arnulphi...".
(92) - AFFORTY, T. II, p. 981 : Stephanus de Belloramo est cité en 1234.
(93) - Gallia Christiana, t. X, col. 223-224, n° XXXIII, instr. : "quod Robertus Clunchez ... postulavit ecclesiam quamdam quam in
valle quae dicitur Ostis aedificaverat, dedicari... " (charte de l'évêque de Senlis de 1190).
242
à chaque hôte pour sa maison (94). Rien ne dit que le projet ait abouti, la grange de Chantilly n'apparaît
qu'à partir de 1217 (95). A Boasne, hameau de Montépilloy, ce même Guy se réserve en 1180 trente
arpents pour y faire des masures (96) et, à Montépilloy, son fils Guy accorde aux habitants une charte
de franchise (97). On touche ici à une nouvelle phase de peuplement postérieure aux villeneuves entrevues au milieu du Xlle siècle. Ces dernières paraissent dater de la fin du Xlle siècle et, peuvent faire partie d'une grande poussée de peuplement que Robert Fossier situe de 1180 et 1220 entre les deux
phases d'essarts en Picardie (98).
Au total, on ne trouve que peu ou pas de fondation autoritaire. Senlis n'est pas une marche comme la
Brie entre le roi de France et le comte de Champagne (99). Comme en région parisienne (100) ou
comme en Picardie (101), il n'y avait guère de place pour des hostises ou des villeneuves. L'essor de
l'habitat s'est fait essentiellement par le développement de centres antérieurs d'une part, ou par la création d'habitats intercalaires. Ces anciens centres pouvaient être de vieux villages comme Boasne, tout
autant que des sites presque déserts et réoccupés au Xlle siècle : La Chapelle-en-Serval montre un vallon abandonné, Le Serval, et une église, témoin d'un habitat connu déjà au Bas-Empire (102).
Les habitats intercalaires sont représentés par des fermes ecclésiastiques - ce sont les granges cisterciennes- ou laïques comme les granges de Beaurain, de l'Essart ou du Plessis-Châtelain ; également par
des hameaux : Montaby, Le Luat, Le Plessis-Chamant, Le Plessis-Cornefroy. D'autres ont pu accéder au
niveau de villages dotés d'une église : Othis et, sans doute, Villeneuve-sur-Verberie.
Quel que soit le mode de développement, il s'agit de la poursuite et de l'extension de terroirs. Ce
phénomène avait déjà été observé au premier millénaire, où les formations en -villers, -villiers, traduisaient un habitat secondaire issu du défrichement et de l'essor démographique.
Le Moyen Age féodal poursuit l'oeuvre de l'époque franque. Il trouve à la fin du XlIIe siècle ses
limites. Les essarts chutent de moitié sous le règne de saint Louis puis, brutalement, dans les années
1280 en Picardie (103). En Parisis, la conjoncture se renverse après 1300 ; c'est le temps des crises :
crise frumentaire, crise du faire-valoir direct abandonné à Vaulerent en 1315 (104), crise démographique, guerre, peste... Les textes de la fin du XlVe siècle au milieu du XVe siècle décrivent tous la
même situation où la végétation reprend du terrain, où les villages disparaissent.
Avec la paix, le retour à la vie se fait et les broussailles disparaissent. Les premiers contrats d'acensement en région senlisienne datent de la moitié du XVe siècle. La plaine des Essarts à La Chapelle-en-
(94) - A. VATTIER. "Cartulaire du prieure de Saint-Nicolas d'Acy". Comité archéologique de Senlis. 1886. p. 63-64 : "...dedi... tertiam parlera terre illius que fuit Bracurii et Mathei apud Cantelli, exceptis tribus arpennis que ego retinui ad faciendam granchiam
meam. Et si ego vel heres meus in predicta terra villam facere voluerimus, unus quisque hospitum habebit arpennum unum ad
mansuram suam ..."
(95) - AFFORTY, op. cit., t. XV, p. 330 : "... super minutis decimis pecudum granchiarum meamum de Chantilli... ".
(96) - AFFORTY, op. cit., t. XV, p. 569-627 : " ... concessi... totam terram de Baerne, ... exceptis triginta arpentis ... ad masuras
faciendas... ".
(97) - Gustave MACON, Histoire de Montépilloy.. p. j . , p. 23. charte de 1 190 : " ... quo ego ... omnibus hospitibus de Montepiloer
has consetudines in perpetuum habendas concessi... ".
(98) - Robert FOSSIER. op. cit.,p. 312.
(99) - Charles HIGOUNET. Défrichements et villeneuues du Bassin parisien, 1990. p. 59 et suiv.
(100) - ibid., p. 46-48.
(101) - Robert FOSSIER. op. cit.. p. 345 et suiv.
(102) - Emile WOILLEZ, Répertoire archéologique du département de l'Oise, 1862, p. 198.
(103) - Robert FOSSIER, op. cit., p. 311.
(104) - Charles HIGOUNET, La grange de Vaulerent, 1965, p. 4è et suiv.
243
Serval est remise en culture dans les années 1470 (105). La conquête des sols est même étendue et
poursuit l'oeuvre des XlIe-XIIIe siècles : on essarte encore au début du XVIe siècle des bois qui n'avaient
pas été touchés ; ce phénomène continue jusqu'au XVllle siècle puisque le bois séparant La Chapelleen-Serval d'Orry-la-Ville n'est abattu qu'à cette époque là (106). Ces derniers déboisements se présentent comme l'achèvement d'un mouvement ; ils n'ont pas donné naissance à de nouveaux habitats.
En ce sens, ils marquent aussi la fin d'une époque, celle qui s'étend jusqu'à la fin du XIIIe siècle et la
transition vers l'époque moderne : beaucoup de ces derniers essarts n'ont pas eu de suite ; désormais on
recherche l'augmentation de la productivité, et les terres de faible rendement sont progressivement
reboisées comme sur les marges et entre les forêts de Chantilly, Pontarmé et Ermenonville.
(105) - Chantilly, Musée Condé, carton B 83.
(106) - Gustave MACON, Histoire du domaine forestier de Chantilly, t. II, "Forêts de Coye, Luzarches, Chaumontel et Bones",
1906. p. 58.
Mémoires de la Société d'histoire et d'archéologie de Senlis - 1990/1994
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