Document - Quelques lectures utiles

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Document - Quelques lectures utiles
Hernando de Soto, Le Mystère du Capital
Flammarion, 2000
Notes de lecture : Antoine Belgodere, le 26/04/2005.
http ://econo.free.fr/scripts/notes2.php3 ?codenote=136
Pourquoi les pays pauvres sont-ils pauvres ? Voilà probablement une des
questions les plus importantes qu’un économiste est amené à se poser. Un grand
nombre de réponses se trouvent dans les théories de la croissance, qu’elle soit
exogène (Solow, Ramsey) ou endogène (un paquet de monde, dont Romer, Lucas, Barro, Aghion & Howitt, Grossman & Helpman, etc.). Selon toutes ces
théories, il faut, pour s’enrichir, accumuler quelque chose : du capital physique,
du capital humain, des connaissances, ou des biens publics productifs. Ces théories ont donc une réponse simple à apporter à la question de la pauvreté : les pays
pauvres sont pauvres parce qu’ils n’accumulent pas assez. Ils n’épargnent pas
assez, ils n’investissent pas assez, ils ne s’éduquent pas assez, etc. Les seules explications que donnent ces modèles à ce manque sont une forte préférence pour
le présent et/ou une faible élasticité de substitution intertemporelle, qui font
que les pauvres sont trop impatients pour investir dans l’avenir et/ou désireux
d’égaliser leurs consommations présente et future, ce qui a le même e¤et.
Ces explications ne sont pas satisfaisantes. Qui peut penser que les pays
pauvres puissent être impatients au point de se priver de développement économique ? Par ailleurs, comment expliquer que des capitaux étrangers ne viennent
pas s’investir massivement dans les pays pauvres, dans lesquels ils devraient être
mieux rémunérés qu’ailleurs, si l’on en croit la loi des rendements marginaux
décroissants ? La réponse apportée par Hernando de Soto dans "Le Mystère du
Capital" est que l’accumulation de capital n’est pas qu’une a¤aire de volonté,
c’est aussi un problème d’institution.
Cet économiste péruvien aime à se présenter comme un économiste de terrain. La ré‡exion qu’il propose dans ce livre a été abondamment alimentée par
de longues années d’observations de la vie économique des pauvres du tiersmonde. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, les pauvres épargnent. Ils
accumulent des biens. Mais selon De Soto, les biens qu’ils accumulent ne sont
pas du capital. La di¤érence entre des biens possédés par un individu et du capital, c’est la fongibilité. Et le meilleur moyen de rendre fongibles des biens, c’est
la légalité. Nous vivons, en occident, dans un monde où il est si simple de vivre
dans la légalité que pratiquement tout le monde le fait, et qu’on ne parvient
pas à réaliser ce que seraient nos vies économiques sans cette légalité. Nos logements et nos terres sont répertoriés dans des cadastres, nous avons des titres de
propriété. Notre épargne a été prêtée par des intermédiaires en qui nous avons
con…ance à des entreprises que nous ne connaissons pas. Des entreprises qui ne
nous connaissent pas nous livrent l’eau courante, l’électricité, le téléphone, en
étant à peu près sûres que nous les paierons.
Les cadastres, les registres du commerce, les adresses légales, etc., sont des
institutions auxquelles nous sommes tellement habitués que nous peinons à
croire qu’elles puissent avoir une telle importance. De telles institutions existent,
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dans les pays pauvres. Mais, selon De Soto, elles sont inaccessibles aux pauvres.
La multitude des démarches, leur cherté, le niveau d’instruction qu’elles requièrent, font que les pauvres n’accèdent pas à ces passeports pour la vie légale.
En conséquence, De Soto estime entre 50% et 80% la part de la population
active des pays pauvres qui vit dans l’extra-légalité. Seule une élite instruite
évolue dans ce qu’il appelle la "cloche de verre" de la légalité.
L’extra-légalité ne veut pas dire l’anarchie. Des institutions existent hors de
la cloche de verre. Les relations économiques y sont régies par des règles non
écrites, par des relations de con…ance, familiales ou communautaires. Des ma…as
jouent, dans ce monde clandestin, mutatis mutandis, le rôle que joue l’état dans
le secteur légal. Elles font respecter les règles. Comme l’État, elles ont besoin de
…nancements. Et comme l’État, elles ne s’en remettent pas à la bonne volonté
des administrés pour se …nancer. Mais elles ne sont pas l’État. Elles n’o¤rent
pas les garanties d’un Etat de Droit.
Que font les pauvres de leur épargne ? Ils fabriquent de petites maisons dans
des bidon-villes, ils montent de petits ateliers clandestins, de petits commerces,
de petites entreprises de services. Mais rien de tout ça n’est du capital. Leurs
maisons n’ont pas d’existence légale. Ils ne peuvent les louer, ou les hypothéquer en échange d’un emprunt. Leurs mini-entreprises ne sont inscrites dans
aucun registre du commerce. Quelle que soit leur productivité ou leur perspective d’avenir, ils ne peuvent émettre d’actions ou d’obligations pour s’étendre,
pour investir, car qui leur ferait con…ance ? Et quand bien même ils auraient les
moyens, pourraient-ils vraiment s’agrandir ? Di¢ cile de gérer plusieurs unités
en même temps, quand on n’a de droit légal sur aucune d’entre elles ! Comment
contrôler ce qui se passe en plusieurs endroits di¤érents ?
Les grandes capitales du tiers-monde ont à faire face à un a- ux de population en provenance des campagnes, qui s’entasse dans des quartiers sordides.
Les autorités locales ont tendance à voir cet a- ux comme un ‡éau qu’il faudrait combattre. Le livre de De Soto nous invite à voir les choses autrement. Ces
migrants, souvent dynamiques et ambitieux, sont un potentiel qui ne demande
qu’à s’exprimer. Si l’accès à la légalité leur était facilité, ils pourraient béné…cier de services tels que l’électricité ou l’eau courante. S’ils étaient o¢ ciellement
propriétaires de leurs logements, ils auraient une incitation évidente à les entretenir. Et leur petits tra…cs clandestins deviendraient des commerces normaux
s’ils pouvaient avoir une existence juridiquement reconnue. Les autorités locales
commettent une autre erreur en pensant que c’est la volonté d’échapper à l’impôt qui pousse tant de gens dans l’illégalité. De Soto rappelle à quelle point est
coûteuse l’illégalité, et que, l’un dans l’autre, il serait bien plus rentable d’avoir
une existence légale et de payer des impôts, que de subir les risques et les rackets
des ma…as qui sont le lot des clandestins.
Un chapitre passionnant de ce livre est celui consacré à... l’histoire des USA.
Un argument fort avancé par Hernando de Soto est que les institutions défaillantes du tiers monde sont en fait très proches des institutions occidentales
d’il y a quelques siècles. Les pionniers qui, outre-atlantique, sont partis à la
conquête de l’Ouest font partie du mythe américain. Pourtant, à l’époque, ces
aventuriers, ces bâtisseurs, étaient considérés comme des squatters et des ban2
dits par les autorités. C’est avec le temps que leurs arrangements extra-légaux
ont …ni par être intégrés au système légal de propriété.
Cette évolution contient un message d’espoir. La légalisation du système
extra-légal s’est produite en occident. Elle peut se produire partout ailleurs.
C’est le sens du "combat" de De Soto, qui est très actif pour in‡uencer les dirigeants du tiers monde dans ce sens-là : rendre le monde de la légalité accessible
aux pauvres ; leur ouvrir la cloche de verre. Le dernier chapitre est consacrée à
cette question du "que faire" et, évidemment, la question n’est pas simple. Il
s’agit de créer une relation de con…ance avec des gens qui pour l’instant, ont de
bonnes raisons d’être mé…ants à l’égard des institutions légales. Il faut également
convaincre les privilégiés qui sont déjà dans la cloche de verre que leur position
ne serait pas altérée si l’on intégrait plus de monde dans la cloche. Les pays
touchés par la corruption de leur administration savent que la volonté des dirigeants est loin d’être su¢ sante pour lutter contre elle. Des pistes intéressantes
sont proposées pour tenter de réaliser cette alchimie.
Quand j’ai commandé ce livre sur internet, j’avais une vague idée de ce
qu’étaient les travaux de De Soto. Dans "Théorie de la Croissance Endogène",
Charles Jones évoquait son expérience consistant à ouvrir légalement une petite fabrique de textile dans la banlieue de Lima. Les démarches administratives
lui avaient coûté 300 jours à temps plein. Je m’attendais donc à trouver en ce
livre une sorte de monographie des institutions du tiers-monde, une validation
empirique des thèses de Douglas North sur l’importance des institutions dans
le développement économique. Au bout du compte, il constitue peut-être, au
contraire, le début d’une nouvelle piste de ré‡exion sur la notion même de capital. On pourra toujours lui reprocher de tomber dans le piège de la mono-idée,
de vouloir ramener un problème complexe à une solution unique, vendeuse, mais
trop simple. Mais cette critique doit être tempérée par le constat que la question
institutionnelle a longtemps été la grande oubliée dans les théories orthodoxes
de la croissance. Quoi qu’il en soit, je ne saurais trop vous recommander la lecture de ce "Mystère du Capital", il devrait changer, au moins partiellement, le
regard que vous portez sur la pauvreté.
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Hernando de Soto (économiste) - Un article de Wikipédia,
l’encyclopédie libre.
http ://fr.wikipedia.org
Hernando de Soto est un économiste péruvien né en 1941 à Arequipa. Ses
travaux portent sur le rôle de l’accès à la propriété dans l’émancipation et l’enrichissement des populations défavorisées ainsi que sur l’importance de l’économie
souterraine dans les pays en développement. Il expose dans ses ouvrages sa thèse
selon laquelle les habitants des pays du Sud sont riches mais riches d’un capital
"mort", qu’ils ne peuvent mobiliser faute d’un système de propriété e¢ cace.
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Biographie
Né d’un père diplomate, il émigre en 1948 à l’âge de 7 ans en Suisse. Il y
suit des études supérieures à l’Institut de hautes études internationales (IUHEI)
de Genève avant de devenir économiste. Il a entre autres travaillé au GATT, à
la Swiss Bank Corporation Consultant Group et été gouverneur de la banque
centrale du Pérou. Il est retourné dans son pays natal en 1980.
Il a fondé à Lima en 1980 l’Institut pour la Liberté et la Démocratie (ILD)
dont le but est de promouvoir les réformes politiques permettant aux pays
pauvres de se développer. 30 pays l’ont invité à mettre en place les plans de
l’ILD sur leur territoire. Il a conseillé de nombreux dirigeants de pays d’Amérique latine ou du tiers monde, en particulier l’ancien président péruvien Alberto
Fujimori.
Travaux
Hernando de Soto a publié deux ouvrages majeurs, traduits dans plus de 20
langues : Le premier paru en 1986 dans sa version espagnole : L’autre sentier,
en référence aux terroristes du Sentier lumineux au Pérou qui avaient essayé de
l’assassiner. En 2000, il publie Le mystère du capital : Pourquoi le capitalisme
triomphe en Occident et échoue partout ailleurs.
Pour De Soto, une condition primordiale de fonctionnement du capitalisme
est un système de droits de propriété clairement garantis par l’Etat. Dans ses
travaux il expose que cela a permis :
– Une émancipation de l’individu par rapport à la communauté
– La garantie de la propriété
– La généralisation et la standardisation des titres de propriété
– Une plus grande con…ance dans les relations entre acteurs économiques
– La création d’un système complexe de mutualisation du risque (assurances
et sociétés anonymes)
– Un accès plus facile au crédit, les droits de propriété donc les garanties
étant clairement établies
Il explique donc les di¢ cultés et les succès des pays par l’existence ou non de
ce système de droits de propriété. Pour expliquer le développement des ÉtatsUnis et du Japon, il avance l’existence d’un système clair de droits de propriété
mis en place pendant la période de la Frontier aux États-Unis (jusque 1890) ou
dans le Japon féodal d’avant la première guerre mondiale. A l’inverse la nonexistence de la propriété individuelle clairement dé…nie contraint l’agriculteur
des pays sous-développés à rester dans une culture d’autoconsommation.
Comme l’a rappelé Thomas Sowell dans une conférence1 , De Soto a calculé
que le montant des biens immobiliers sans propriétaire o¢ ciel était de 20 fois
supérieur aux investissements direct à l’étranger vers le Sud.
Il met également en doute la capacité des États du Sud à garantir ce système
de droits de propriété, en prenant les exemples d’Haïti ou de l’Égypte. Créer une
entreprise à Haïti nécessite ainsi de s’adresser à 65 interlocuteurs administratifs
di¤érents et prend en moyenne 2 ans, selon De Soto.
1 http
://www.jewishworldreview.com/cols/sowell121800.asp
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Actions
Grâce à son action, l’ILD a initié la réforme agraire au Pérou qui a permis
l’accession à la propriété d’1,2 millions de familles et a intégré 380 000 entreprises
qui opéraient sur le marché noir à l’économie o¢ cielle. La politologue Susan
C. Stokes a également établi qu’il était à l’origine du changement de politique
économique d’Alberto Fujimori, d’une politique keynésienne à une politique néolibérale. Pour le Cato Institute la réforme agraire dont il est à l’origine a a¤aibli
la guérilla du Sentier lumineux en a¤ranchissant les paysans de la dépendance
envers les terroristes. Ce qui expliquerait pourquoi les marxistes du Sentier
Lumineux l’ont menacé de mort.
Critiques
La journaliste Madeleine Bunting l’a accusé d’encourager des solutions fatalistes tandis que le journaliste John Gravois a critiqué sa proximité avec les
milieux du pouvoir, en particulier sa participation au Forum de Davos. De Soto
a répondu en expliquant qu’ainsi il sensibilisait les puissants à la situation des
pauvres. Robert J. Samuelson lui a reproché d’approcher les problèmes du tiers
monde d’un point de vue trop singulier en négligeant le culturel. Alan Gilbert
trouve que donner des titres de propriété aux pauvres comme à Bogota n’a eu
qu’un e¤et à la marge sur l’accès au crédit des plus pauvres.
Récompenses
Hernando de Soto a reçu de nombreuses récompenses, parmi lesquelles :
– Le Freedom Prize (Suisse)
– Le prix Fisher (Grande Bretagne)
– Adam Smith Award de l’Association of Private Enterprise Education (USA
2002)
– Donney Fellow de l’université de Yale
– Le prix Milton Friedman pour le progrès des libertés2
Il est reconnu et estimé, en particulier de Bill Clinton qui a dit de lui qu’il
était "plus grand économiste vivant", de Ronald Reagan ou de Ko… Annan. Time
Magazine l’a désigné comme l’une des 5 plus grands innovateurs sud-américains
du XXe siècle.
Citations
– "Les pays pauvres ont besoin des solutions que les pays développés ont
adoptées au XIXe siècle, pas au XXIe siècle."
– "La plupart des pauvres possèdent déjà su¢ samment de biens pour réussir
le capitalisme. En réalité, la valeur de leurs biens est immense : elle s’élève
à quarante fois le montant total de l’aide étrangère reçue dans le monde
entier depuis 1945. (...) Mais ces ressources ne se présentent pas comme il
faudrait (...) Faute de documents désignant nettement leur propriétaire,
ces possessions ne peuvent être directement transformées en capital, elles
ne peuvent être vendues en-dehors de petits cercles locaux où les gens se
2 http
://www.cato.org/special/friedman/desoto/
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connaissent ou se font mutuellement con…ance, elles ne peuvent servir à
garantir des emprunts, elles ne peuvent servir d’apport en nature lors d’un
investissement". (Hernando de Soto, Le Mystère du Capital)
– "Comme l’a si bien souligné l’auteur péruvien Hernando de Soto, dans
de nombreux pays sous-développés on appelle capitalistes les propriétaires
de grosses entreprises qui vivent en symbiose avec l’État, qui vivent de
subventions, de privilèges, de protections douanières et qui, en retour,
soutiennent les hommes politiques en place. Mais ils ne méritent pas le
beau nom de "capitalistes", ni même celui d’entrepreneurs. Ils ne sont que
des nomenklaturistes, des parasites sociaux, qui non seulement vivent aux
dépens des autres, mais encore les empêchent de se développer. Les vrais
capitalistes, ce sont tous ces hommes et ces femmes - qu’ils soient pauvres
ou aisés, petits entrepreneurs, agriculteurs ou artisans - qui développent
des trésors d’imagination pour survivre, imaginer, créer, en dépit des obstacles …scaux, législatifs et réglementaires que leur opposent les détenteurs
du pouvoir. (Pascal Salin)
Bibliographie
– Le mystère du capital : Pourquoi le capitalisme triomphe en Occident et
échoue partout ailleurs, 2005, Flammarion, ISBN 2082105040
– L’autre sentier, 1994, La découverte
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