Hypothyroïdie congénitale : une maladie génétique?
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Hypothyroïdie congénitale : une maladie génétique?
Hypothyroïdie congénitale : une maladie génétique? M Castanet , Rouen L’hypothyroïdie congénitale (HC) est une maladie endocrinienne relativement fréquente chez l’enfant (1/3500). Le dépistage systématique de cette affection, mis en place depuis 1979 en France, a permis une amélioration considérable du pronostic mental des enfants atteints (Leger, J.et al. 2001). Elle est due dans la majorité des cas à une dysgénésie thyroïdienne (DT), terme regroupant l’ensemble des anomalies du développement de la glande thyroïde [ectopies (40%), ou athyréoses (25%), ou plus rarement hypoplasies et hémiagénésies thyroïdiennes ou lobes uniques] (Castanet, M. et al. 2001). Dans les autres cas (~30%), la glande thyroïde est en place et l’hypothyroïdie est le plus souvent due à un trouble de l’hormonosynthèse. Les troubles de l’organification de l’iode, mis en évidence par la scintigraphie thyroidienne couplée au test au perchlorate, en sont la cause la plus connue (Cavarzere, P.et al. 2008). La physiopathologie de l’HC a longtemps été méconnue. Seul le caractère familial des défauts fonctionnels de la glande thyroïde était admis avec une transmission le plus souvent sur un mode autosomique récessif, d’où une fréquence plus élevée en cas de consanguinité. Les gènes en cause ont par la suite été découverts impliquant les facteurs clés de la synthèse des hormones thyroïdiennes tels que la thyroglobuline et la thyroperoxydase et plus récemment le gène THOX ou DUOX, cofacteur de la thyroperoxydase. Le gène codant pour le transporteur d’iode situé à la membrane basale de la cellule folliculaire, NIS (sodium idodide symporter ou SLC5A5), a également été incriminé notamment lorsque la captation d’iode était nulle (scintigraphie « blanche » contrastant avec la présence d’une glande thyroïde visible à l’échographie). De manière quasi concomitante, une forme syndromique connue de longue date, le syndrome de Pendred , associant HC, goitre et surdité, a été élucidée sur le plan génétique impliquant la Pendrin (PDS ou SLC26A4), transporteur d’iode situé à la membrane apicale de la cellule folliculaire. Dans tous ces cas, la thyroïde est en place avec le plus souvent un goitre dès la naissance et le défaut génétique se retrouve à l’état homozygote (Park, S. M. and Chatterjee, V. K. 2005). Les dysgénésies thyroïdiennes quant à elles ont longtemps étaient dites sporadiques sans risque de récurrence familiale. Cependant, il y a 10 ans nous avons démontré que ce risque n’était pas nul et qu’il existait un pourcentage de forme familial significatif, égal dans notre étude nationale à 2% (Castanet, NEJM, 2000), bousculant cet adage et réactivant le débat sur l’implication de facteurs génétiques également dans ces formes étiologiques. Les mécanismes moléculaires commencent maintenant à être élucidés et deux grands cas de figures se détachent. Dans le 1er cas le plus fréquent, l’HC est isolée sans aucune autre dysfonction d’organe et/ou malformation. Si la thyroïde est petite à tendance hypoplasique, une mutation homozygote perte de fonction du récepteur de la thyréostimuline (TSH) peut être évoquée d’autant plus que l’enfant est issu d’un couple consanguin puisque ces défauts génétiques s’observent le plus souvent à l’état homozygote. Le gène Pax8 a également était incriminé mais la présentation est plus pléiomorphe, la glande thyroide pouvant être soit en place de taille normale ou hypoplasique soit ectopique ou même absente. Notons que dans les cas de mutations de ce gène (toujours retrouvé à l’état hétérozygote chez l’homme jusqu’à présent), il a été rapporté des anomalies rénales associées s’expliquant par la double action de Pax8 sur le développement thyroidien et rénal (Meeus, L et al. 2004; Grasberger, H. et al. 2005). Plus récemment, le gène Nkx2.5 a également été impliqué chez des sujets porteurs d’une HC isolée et/ou associée à des anomalies cardiaques (Dentice, M et al. 2006). Ces associations syndromiques se rencontrent plus fréquemment dans la population atteinte d’hypothyroidie congénitale comparée à la population générale (Castanet, M., et al. 2001; Olivieri, A., et al. 2002) et deux autres gènes ont été incriminés les formes syndromiques uniquement: TTF2/FOXE1, et TTF1/ Nkx2.1. Dans le cas des mutations de TTF2/FOXE1 (mutations toujours retrouvées à l’état homozygotes jusqu’à présent), l’ hypothyroidie est due à une athyréose et est toujours associée à une fente palatine, à des « spiky hairs » et de manière inconstante à une atrésie choanale, association regroupée sous le nom « Bamforth syndrom » (Castanet, M. et al. 2002; Baris, I.et al. 2006). Dans les cas de mutations de TTF1/Nkx2.1 (mutations hétérozygotes), l’ HC est associée à une détresse respiratoire à terme, une hypotonie et/ou des anomalies neurologiques de type choreoathétose qui se développent plus tardivement (Carre et al, 2009). Notons que dans ces cas, la glande thyroide est soit hypoplasique soit de taille normale et le défaut de production des hormones thyroidiennes est dû alors à un défaut de transactivation des gènes codant pour la TPO et/ou la TG. De plus, l’association de ces 3 pathologies s’expliquent par l’expression de TTF1/Nkx2.1 non seulement dans le tissu thyroïdien, mais également dans certaines régions cérébrales et dans le tissu pulmonaire où il est responsable de l’activation de la transcription des gènes codant pour les protéines du surfactant (Carre, A.et al. 2009 Trueba, et al. 2005)). Ainsi, l’ensemble des gènes précédemment cités sont maintenant clairement impliqués dans l'HC chez l’homme formant une hétérogénéité génétique complexe à l’origine de l'HC. La fréquence de l’implication de chacun de ces gènes reste actuellement mal connue ce qui rend l'étude génétique difficile. De plus, jusqu’à présent les mutations identifiées dans les gènes pré-cités ne se retrouvent que chez un faible nombre de patients (5 à 10%) (données personnelles)(Al Taji, E., al. 2007; Ramos, H. E., et al. 2009). Aussi s’il est possible que la faible fréquence de mutations identifiée soit le reflet d’études génétiques non systématiques et incomplètes, l’implication d’un ou plusieurs autres gènes encore inconnus peut également être suggérée. Cette hypothèse s’appuie notamment sur les résultats de l’étude de liaison menée dans 19 familles comportant plus de 2 membres atteints d’HC due à une dysgénésie thyroïdienne, qui montre l’exclusion de 4 des 5 gènes précédemment cités dans 5 familles (Castanet, M., et al. 2005). Aussi en pratique, l'étude génétique dans les HC n’est pas systématique et reste encore limitée à la recherche et face à un nouveau cas, la stratégie optimale du diagnostic génétique reste encore à établir (cf fig). En conclusion, le rôle de la génétique dans l'hypothyroidie congénitale n'est plus à démontrer. Cependant, il est très probable que d'autres facteurs tels les facteurs endocriniens ou environnementaux interviennent dans cette pathologie et que l'HC soit une maladie non seulement génétique mais également plurifactorielle. Figure : stratégie génétique proposée dans le cas d’une hypothyroidie congénitale Références : 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10. 11. 12. 13. 14. 15. Al Taji, E., H. Biebermann, et al. (2007). "Screening for mutations in transcription factors in a Czech cohort of 170 patients with congenital and early-onset hypothyroidism: identification of a novel PAX8 mutation in dominantly inherited early-onset non-autoimmune hypothyroidism." Eur J Endocrinol 156(5): 521-9. Baris, I., A. E. Arisoy, et al. (2006). "A novel missense mutation in human TTF-2 (FKHL15) gene associated with congenital hypothyroidism but not athyreosis." J Clin Endocrinol Metab 91(10): 41837. Carre, A., G. Szinnai, et al. (2009). 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