James Carlès et Robyn Orlin font exploser les codes
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James Carlès et Robyn Orlin font exploser les codes
James Carlès et Robyn Orlin font exploser les codes LE MONDE | 15.02.2014 à 11h04 • Mis à jour le 16.02.2014 à 17h12 | Par Rosita Boisseau (Toulouse) La patte de la chorégraphe sud-africaine Robyn Orlin est unique. Championne d'un théâtre de performance en prise directe avec le public, elle est l'une des rares à manier la participation des spectateurs dans un ping-pong toujours plus évident et rapide entre la salle et le plateau qui finissent souvent par se confondre. Et ce, sans avoir l'air d'y toucher, sans jamais faire sentir lourdement cette explosion des codes, qu'elle met en branle avec un mélange de virulence et de tendresse qui concourt aussi à sa force de frappe. Avec le danseur et chorégraphe James Carlès, d'origine camerounaise, Robyn Orlin a trouvé un fameux compère et semé le bazar, jeudi 13 février, au Théâtre Jules-Julien, à Toulouse. Pour fêter le 10e anniversaire du festival CDC, qui se tient jusqu'au 27 février dans une dizaine de lieux toulousains, Annie Bozzini, directrice de la manifestation et du Centre de développement chorégraphique depuis 1995, a eu l'idée de connecter Carlès avec Orlin. Et ça marche ! MESSAGE POLITIQUE SUBTIL Leur spectacle double face, guerrier et ludique à la fois, intitulé Coupé-décalé, est composé d'un solo conçu par Orlin pour Carlès qui signe ensuite une pièce pour cinq hommes. Les deux cohabitent avec bonne humeur et ont fait grimper au rideau les 450 spectateurs du théâtre situé dans le quartier populaire Jules-Julien. James Carlès possède la carrure et l'empathie d'un performeur, énorme comme son rire de fond de gorge. Il harponne les spectateurs, les entraîne sans leur demander leur avis, ajuste son tir à la seconde selon les réactions – pas toujours facile de prêter son sac, encore moins sa robe ! – et sans lâcher le tempo d'enfer de ce solo intitulé I Am Not A Subculture, Rather A Gallery of Self-Portraits with A History Walking in Circles. Il ajoute à l'écriture d'Orlin une pointe de tension nerveuse qui lui va bien. Entre adhésion, stupeur et rire – un mélange épatant ! –, il libère. Au point que lorsqu'il cherche un manageur dans la salle, ce sont les gamins, très nombreux, qui lèvent spontanément la main pour être embauchés. Le talent de Robyn Orlin pour valoriser ses interprètes et chauffer l'ambiance ne va pas sans un message politique toujours subtilement glissé entre deux embuscades spectaculaires. Ici, elle a rappelé en quelques images projetées l'album de famille imaginaire de James Carlès et la colonisation allemande, puis anglaise du Cameroun. DES IMAGES IRONIQUES DE MANIFESTATIONS DES ANNÉES 1950 AU SÉNÉGAL ET EN CÔTE D'IVOIRE En écho, la pièce de groupe intitulée On va gâter le coin ! (autrement dit, on va pourrir la situation) se clôt sur des images ironiques de manifestations des années 1950 au Sénégal et en Côte d'Ivoire, où l'on voit des Africains brandir leur amour de la France. Outre l'aspect politique et la farouche vitalité, le point de contact entre les deux pièces est le coupé-décalé, cette danse urbaine « afro-française », selon la formulation de Carlès, née au cœur de la communauté noire, à Paris, dans les années 2000, avant d'essaimer dans les pays africains. Simplement cité et détourné par Orlin, il file un coup de fouet à On va gâter le coin ! qui en propose une démonstration sur roulement à billes. Autour du geste fondamental du paysan dans les plantations, qui coupe les plantes puis les « décale » en les mettant sur le côté, cette danse de club pulsante est aussi devenue le porte-étendard d'une critique insolente des signes extérieurs de richesse. Jeté d'argent et accès d'élégance, le coupé-décalé, revu par l'équipe de James Carlès, en a plein les poches. D'humour, de vie, d'appétit ! Coupé-décalé, de Robyn Orlin et James Carlès. Dans le cadre du CDC, Toulouse, en tournée : 16 février, Marciac ; le 21 février, Mazamet ; le 18 mars, Foix ; le 10 avril, Rodez. James Carlès, le roi se meut MARIE-CHRISTINE VERNAY 17 FÉVRIER 2014 À 17:06 CRITIQUE Danse. Sur scène en Midi-Pyrénées, le chorégraphe franco-camerounais mêle farce et protestation dans un esprit coupé-décalé. James Carlès dans le solo signé Robyn Orlin. (Photo Pierre Ricci) Il trône dans la salle du charmant théâtre de quartier Jules-Julien, à Toulouse, pour une soirée coupé-décalé à l’ivoirienne. Tel le roi de son peuple, aussi fictionnel quant à sa biographie que réel quant aux images d’archives projetées pendant le spectacle, James Carlès, 45 ans, danseur, chorégraphe, pédagogue et chercheur (1), Français d’origine franco-camerounaise, sait régner, rappelant que chacun est le roi de quelqu’un. Braquant une caméra mobile sur lui-même pour mesurer son ego, il se lasse et trouve rapidement un jeune homme blanc assis dans la salle à ses côtés qui deviendra son valet, «trop lent» à son goût. Personne ne l’avait vu dans ce registre théâtral. C’est la chorégraphe metteure en scène sud-africaine Robyn Orlin qui lui a joué un tour et lui a écrit un solo sur mesure, en l’occurrence plutôt sur démesure. Bien qu’encore trop bavard lors de sa première représentation et trop chargé en images vidéo (notamment dans des séquences de «peintures» sur le corps), Mesdames, Messieurs, maintenant arrêtons de tourner autour du pot rappelle judicieusement quelques pages tragiques du pouvoir colonial, tout en remontant aux origines dansantes attiées (du peuple éponyme de Côte-d’Ivoire) et en restant dans le registre de la rigolade et de la moquerie. Toge. Le coupé-décalé, né à Abidjan, qui vient de la danse traditionnelle akoupé, évocation d’un corps désarticulé, et qui est aussi une danse à succès autant en Afrique qu’à Paris, sert bien le propos des deux artistes. La protestation sociale y passe par les inventions abracadabrantesques des danseurs citoyens. Ce que ne manque pas de faire James Carlès. Il coupe en demandant aux spectateurs de lui ôter les montres qu’il porte à son avantbras pour les décaler en décorations de général. Il négocie avec une jeune femme du public qui prête généreusement son sac rouge. Il le décale en en faisant une coiffe royale avant de terminer son show en slip («acheté par Robyn à Berlin»), enroulé dans un rideau de scène comme dans une toge. La deuxième partie de la soirée, qui ne va pas sans la première (les deux tournent ensemble), est signée James Carlès. On va gâter le coin !, pour cinq danseurs de la région de Toulouse, est plus directement référencé au coupé-décalé. Le chorégraphe s’est intéressé de près à cette forme populaire, lors d’une intervention qu’il fit pour des jeunes des quartiers défavorisés de Nantes. «C’est là, dit-il, que j’ai compris que cette danse avait un sens immédiat pour les jeunes, beaucoup plus que le hip-hop par exemple.» Depuis, il a enquêté et plongé dans un milieu où la farce côtoie la désillusion, où les immigrés deviennent des personnages aptes à recréer une société à la hauteur de leur ambition et de leur culture. Tous Français d’origine ivoirienne et camerounaise, les danseurs, dans leurs différences physiques et culturelles, servent à merveille une danse complexe qui croise la rumba congolaise, le hip-hop, les musiques caribéennes, les chansons populaires françaises… le tout dans un apparent désordre salvateur. Dans ce show, ils ne manquent pas de cibler quelques actualités, dont celle de la Suisse qui brandit sa croix à ses frontières. Déchaînés, ils détournent tout ce qui bouge, jusqu’à se retrouver ivres morts devant un «maquis», une gargote, qu’ils «gâtent» sérieusement. Ils coupent et décalent naturellement sous l’emprise de l’alcool et autres substances, ils coupent en volant avant de se décaler en s’enfuyant, ils coupent l’argent avant de le décaler de l’Europe à l’Afrique et vice-versa. Et dépensent tout en une soirée bling-bling où chacun a pour visée d’être le plus grand frimeur, sapeur, Parisien, le plus fort «boucantier». Menottes. Dans ce tohu-bohu où l’argent n’a la valeur que de sa dépense comme énergie, la bande des cinq va même jusqu’à donner quelques billets aux spectateurs (acte généreux et moqueur dit de «travaillement»). A bas l’avarice des spectateurs qui ne jetèrent que quelques pièces jaunes sur la scène. Ici, on mène la grande vie, à coups de frappes variées au sol, à coups de roulements de bassins très doux, à coups coupés de tranchant de la main. Et comme le «disque jockey» Arafat, ils font du boucan, miment le port des menottes de Guantánamo comme DJ Zidane, coupent du bois comme DJ Jean Jean, sont pris de la danse de Saint-Guy rattrapée par la grippe aviaire… ne fermant jamais la porte à la vulgarité. On aimerait qu’une femme se pointe mais ce sera sans doute pour plus tard, car pour l’instant il s’agit de consolider le groupe. Qui marche fort et entame une belle tournée dans la région Midi-Pyrénées à l’occasion de la 10e édition du festival CDC (C’est de la danse contemporaine) de Toulouse (lire ci-dessus), qui l’a produit (en coréalisation avec le théâtre Sorano, Jules-Julien et l’Office national des diffusions artistiques). Nul doute que ce spectacle assemble autour de sa cause bruyante. «Fouka ! Fouka !» («Tenez bon ! Tenez bon !») est son cri de ralliement. (1) Il travaille sur le répertoire encore peu exploré des danses noires, de Katherine Dunham aux danses urbaines, et collecte des sources liées aux expressions chorégraphiques de la diaspora africaine en Occident et destinées à être mises en ligne : 3 000 ouvrages, 4 500 vidéos, 7 000 disques et CD. Par Marie-Christine Vernay Envoyée spéciale à Toulouse Soirée coupé-décalé de James Carlès et Robyn Orlin Le 21 février à Mazamet (81), le 18 mars à Foix (09), le 1er avril à Rodez (12). James Carlès et Robyn Orlin mêlent les danses du monde à Jules-Julien Publié le 13/02/2014 à 03:49, Mis à jour le 13/02/2014 à 08:55 festival Spectacle «Coupé-décalé» au Théâtre Jules-Julien ce soir avec les chorégraphes James Carlès et Robyn Orlin. Une histoire commune pour une création intitulée «Mesdames et Messieurs, maintenant arrêtons de tourner autour du pot». Autres représentations en région. Pour les dix ans du Festival international CDC (Centre de Développement Chorégraphique) de Toulouse, James Carles et Robyn Orlin dansent en duo et en deux temps, «Coupé - décalé» au théâtre Jules-Julien. Entretien avec le chorégraphe toulousain entre deux répétitions. C’est la première fois que vous dansez avec la chorégraphe Robyn Orlin ? Absolument. Nous avions ce projet et cette envie depuis plusieurs années. Pour les dix ans du Festival CDC, j’avais proposé dans un premier temps à Robyn Orlin de réaliser ensemble la mise en scène de la danse urbaine coupé-décalé. Mais elle a eu envie de créer un solo qui soit un portrait de moi, danseur. Ce qui donne en première partie, Mesdames et Messieurs, maintenant arrêtons de tourner autour du pot. Un titre long mais qui dit bien ce qu’il veut dire et dans lequel Robyn Orlin peint très justement ce que je suis au travers de mon histoire. Et puis Robyn est une danseuse chorégraphe dotée de beaucoup d’humour. Elle aime s’amuser en dansant. Dans la seconde partie intitulée, On va gâter le coin !, avec cinq danseurs, je propose à mon tour une interprétation du coupé-décalé. Mais il faut bien le dire, notre collaboration est vite devenue comme une évidence. Mais qu’est ce que le coupé-décalé ? Le coupé-décalé initialement appelé coupé-décalé-travaillé est une expression chorégraphique populaire issue de la culture de Côte d’Ivoire, mêlant avec bonheur le hip-hop, la rumba congolaise, les musiques des Caraïbes et les chansons populaires françaises. Autrement dit un joyeux mélange de cultures. Née dans la communauté ivoirienne des années 2000 à Paris, cette forme chorégraphique a connu plusieurs vagues. Les clubs actuels se sont emparés de cette expression, notamment avec des DJ’s comme DJ Arafat, très célèbre en Afrique. Le coupé-décalé n’est pas seulement une danse ? Bien sûr que non. Comme beaucoup d’expressions chorégraphiques, il est le miroir de la société. Le coupédécalé est à la fois politique et social. Il parle aussi du rapport aux vêtements, particulièrement prisés chez les Africains avec des concepts tels que farot farot qui veut dire porter des vêtements griffés et coûteux. Il a surtout une énergie festive et un dynamisme que chacun ressent rapidement. D’ailleurs près de 150 danses en sont issues comme le Guantanamo qui mime le port de menottes, le Pétanco qui rappelle la coupe du bois. Des expressions qui rappellent aussi l’actualité. Danse dans laquelle même des gamins de douze ans se reconnaissent, c’est aussi un mélange de chant, de verbe. Vous aimez dire que vous avez avec Robyn Orlin une carte d’identité complémentaire. Bien sûr. Car mes racines sont au Cameroun et Robyn Orlin est née et a grandi en Afrique du Sud. Nos histoires se croisent. Nous instaurons un vrai dialogue complice par le biais de cette danse. De la bonne humeur assurée sur scène et dans la salle. Théâtre Jules -Julien (6, avenue des Ecoles-Jules-Julien jeudi 13 février à 20 h. Tarif: 10 €. Tél. 05 61 59 98 78. Propos recueillis par Silvana Grasso Février 2014 James Carlès : " Le coupé-décalé dit beaucoup du monde" Le 13 février, au théâtre Jules-Julien, le chorégraphe toulousain James Carlès propose la pièce Coupé-décalé dans le cadre des 10 ans du Festival international du CDC. Entre deux répétitions avec Robyn Orlin à Berlin, il répond à Cultures Toulouse. Vous présentez une création chorégraphique en deux parties, pourquoi ? Au départ, j'avais proposé à la chorégraphe Robyn Orlin de travailler avec moi à la mise en scène d'une pièce de Coupé-décalé pour les 10 ans du Festival international du CDC de Toulouse. Mais à force d'échanger, elle a eu envie faire un solo portrait, avec moi comme interprète. Résultat : vous êtes à la fois interprète et chorégraphe… Oui et non. Car pour la première partie, Robyn Orlin m'a beaucoup associé à sa réflexion, à ses recherches. La pièce chorégraphique Mesdames et Messieurs est partie de mon histoire, mon expérience. Mais les cartes sont brouillées… Au final, c'est moi et ce n'est pas moi. Dans la seconde partie, vous mettez en scène une danse urbaine, le Coupédécalé. D'où vous vient cette idée ? Il y a une dizaine d'années, quand cette danse est née, je ne l'ai pas comprise. Je me disais : « C'est n'importe quoi ! Ce n'est qu'une mode qui va s'arrêter… » Je n'ai pas suivi le mouvement. Par la suite, beaucoup de jeunes – qui ne se reconnaissaient pas dans le hip-hop – m'ont renvoyé souvent au Coupé-décalé. Alors, je me suis dit : « tu as raté un truc ! » Je suis donc parti faire un « voyage d'études chorégraphiques » à Paris, Marseille et même en Afrique. Là où le mouvement est le plus présent. Apparue dans la communauté ivoirienne de Paris, cette danse met en scène l'argent et la frime, sous forme de satire du pouvoir. Qu'avez-vous alors découvert sur cette danse urbaine ? Ce que j'en retiens surtout, c'est que ce mouvement dit beaucoup du monde d'aujourd'hui, de notre rapport au pouvoir et à l'argent. Mais jamais de manière frontale, tout est dans le jeu et l'esquive. Et cela va bien au-delà des questionnements raciaux… Si la branche africaine du mouvement est explicitement politique, celle européenne l'est plus implicitement. C'est cette dernière qui m'a inspirée pour ma création. Justement, comment arrive-t-on à créer sur une danse qui a déjà ses propres codes ? On s'approprie les procédés d'écriture, on s'inspire des codes, puis on recréé en utilisant pour ma part les outils issus de ma formation académique. Ce n'est pas du copier-coller ! C'est un échange. D'ailleurs, on a choisi d'auditionner 5 danseurs qui viennent du dancehall, du hip-hop, etc., et qui maîtrisent parfaitement les danses urbaines et ses techniques. Et puis, il y a aussi du chant, de l'art du verbe… La nouveauté : c'est que ce n'est pas qu'une pièce dansée ! Infos pratiques Coupé-décalé par Robyn Orlin et James Carlès 1re partie Mesdames et Messieurs – 2e partie On va gâter le coin ! Dans le cadre du Festival international CDC – Danse contemporaine Jeudi 13 février à 20h Théâtre Jules-Julien 05 61 59 68 78 www.cdctoulouse.com En savoir plus Le Coupé-Décalé a connu plusieurs vagues de popularité depuis le début des années 2000 à Paris. Croisant la rumba congolaise, le hip-hop, les musiques caribéennes, cette danse urbaine connaît aujourd'hui un regain dans les clubs. Satire sociale et politique, pur divertissement, éloge de la sape et énergie festive sont les ingrédients de ce mouvement. …Critiphotodanse… http://critiphotodanse.e-monsite.com/ Robyn Orlin / Coupé-décalé / Plus décalé, tu meurs... Le 10/03/2014 par Jean-Marie Gourreau Elle est égale à elle-même et ne peut s'empêcher de provoquer son public d'une manière ou d'une autre, flattant parfois le petit côté masochiste de celui-ci. C'est peut-être d'ailleurs pour cela qu'on l'aime. Peut-être aussi pour voir jusqu'où elle ira... Seul problème, c'est que, quand elle - ou ses danseurs - s'en prennent à quelqu'un, ça peut faire mal... Aussi vaut-il mieux que ce ne soit pas vous qui soyez pris pour leur tête de turc ! Cela dit, tout rentre rapidement dans l'ordre, le premier moment de... honte passé. A ce titre, Coupé-décalé s'avère particulièrement démonstratif. Jugez-en plutôt: lorsque le spectacle commence, la lumière est toujours dans la salle. Un danseur noir, costume - cravate de rigueur et chaussures dernier cri, est assis au premier rang, une caméra à la main braquée sur son visage. Son image en gros plan est renvoyée sur un écran géant en fond de scène. Soudain, il interpelle la spectatrice qui s'est assise à sa droite, vantant en public, avec force gestes bien sûr, sa grande beauté. Puis, se tournant vers la gauche, c'est à son jeune voisin qu'il s'adresse, lui passant la main dans les cheveux et le bras autour du cou: "Vous et moi, on est beau; rapprochez-vous de moi, n'ayez pas peur, mes intentions sont bonnes, c'est un geste purement amical. Ce soir, je vais vous rebaptiser. Je vais vous donner un joli, joli nom." Et, insistant, "Il faut dire oui !" Il se saisit alors de son IPAD, montre des images de son village, de sa famille, de 1-1 ses proches, tout en les projetant grâce à sa mini-caméra sur l'écran. "Serrez-vous contre moi. a vous gêne que je vous caresse ? Je suis si près de vous..." Et de poursuivre: "Regardez-moi dans les yeux. Je vais vous faire un bisou. Je suis content, je suis très content..." Il se lève après l'avoir embrassé comme un amoureux et entame une petite danse primesautière sur la scène, dirige sa caméra vers le public: "Regardez tout ce monde, ils sont venus pour moi, rien que pour moi, parce que je suis plus décalé que Robyn..." Mettez-vous quelques instants à la place de ce pauvre malheureux qui se voit tout de go caressé, bécoté, dorloté par un noir bien plus âgé que lui et qu'il ne connaît ni d'Eve, ni d'Adam. Et ce, devant le public d'une salle archipleine... Quelle aurait été votre réaction ? Rentrer la tête dans les épaules et attendre que cela passe. C'est précisément ce qu'il a fait. Jusqu'au moment où, se montrant moins pressant, le danseur-comédien James Carlès, de plus excellent chorégraphe comme on va le voir par la suite, confie sa caméra au jeune homme un peu rasséréné, l'enjoignant de le filmer durant ses futures évolutions. D'ailleurs pas tristes, elles non plus ! Avisant en effet une autre jeune femme assise au troisième rang, laquelle portait un magnifique sac rouge en outre parfaitement assorti à sa robe, il monte vers elle et lui demande péremptoirement - avec insistance et fermeté mais non sans doigté - de lui donner son sac. Bien sûr, celle-ci refuse. Après quelques échanges verbaux plutôt drolatiques, elle finit par le lui donner non sans avoir mis dans le sac en plastique de type supermarché qu'il lui tendait les effets personnels qui y étaient contenus. Il s'en coiffe aussitôt, fait le pitre, puis retourne vers elle pour lui demander cette fois sa robe, en spécifiant : "Quand on voit un feu rouge, on s'arrête..." Stupéfaction évidente de la part du public ! Suite au refus bien compréhensible de la jeune femme, un troc s'engage en joignant de sa part le geste à la parole : "Négocions : Je vous donne ma veste contre votre jolie robe rouge ? Non ? Je vous donne alors mes chaussures plus la veste... Toujours pas ? Je rajoute ma cravate... Et ma chemise... Toujours pas ? Et le voilà qui enlève son pantalon. "Toujours pas ? J'ai compris ce que vous voulez... Vous voulez mon slip ? Cela ne se fait pas. Jamais le slip ! C'est un cadeau de Robin..." Et le voilà, comme offusqué, qui descend les marches en slip bariolé du plus heureux effet, retourne sur la scène et s'enroule majestueusement dans une tenture rouge descendue des cintres. S'adressant une dernière fois à sa proie : "Madame, vous pouvez garder votre robe. La mienne est plus décalée que la vôtre..." Ouf, elle l'a échappé belle ! Vous me direz que tout ceci est très théâtral, et vous aurez raison. Mais Robyn Orlin a toujours aimé mixer la danse et le théâtre, privilégiant d'ailleurs ce dernier. La soirée n'était cependant pas terminée. La seconde partie, bien moins décalée - mais un peu tout de même était totalement dansée dans une électrisante chorégraphie de... James Carlès lui-même, mi africaine, mi jazzy. D'origine camerounaise, ce chorégraphe aux multiples talents (comédien, danseur, conférencier, pédagogue, musicien, chercheur, directeur artistique du Festival International Danse à Toulouse qu'il oriente d'ailleurs, en 2008, sur le thème "Danses et Continents Noirs"...) a composé pour les cinq danseurs de ce coupé-décalé* de Robyn une œuvre éminemment politique, mettant en valeur le double langage de cette danse, à savoir que ce qui est montré au public à la volée n'est pas du tout perçu de la même façon par les initiés. Si cette danse spectaculaire magistralement interprétée par la compagnie de Robyn Orlin et qui traite du pouvoir de l'argent, a, sur le plan socio-philosophique, une signification analogue à celle du sketch de la 1ère partie, il est toutefois dommage que sa portée ait été éclipsée par le solo anticonformiste beaucoup plus spectaculaire de Robyn, magistralement servi, il faut bien l'avouer, par le talent exceptionnel de James Carlès. J.M. Gourreau I am not a sub-culture, rather a gallery of self portraits with a history walking in circles / Robyn Orlin & On va gâter le coin / James Carlès, Centre National de la Danse, Pantin, du 5 au 7 mars 2014. http://critiphotodanse.e-monsite.com/blog/do/tag/robyn-orlin-coupe-decale-cnd-pantin-mars-204 2-2 Supplément festival Total Danse novembre 2014 16 CULTURE Samedi 8 novembre 2014 Le Journal de l’Île FESTIVAL TOTAL DANSE Le coupé-décalé, tu peux pas y couper ! James Carlès et ses cinq zigotos ont offert au festival dionysien une ouverture qu'on n'aurait jamais imaginée aussi explosive. Juste énorme. Et décalée, forcément ! A llez, disons que c'est ça, la danse totale. Un truc né dans les boîtes de nuit, devenu expression sociale, politique même, puis érigé en véritable art par des spécialistes de la chorégraphie dite "savante". Mais surtout un zaffaire qui dépasse la danse, vous fait bouger, rire, réfléchir, parce que conçu à partir de comédie, de postures, de jeu immédiatement perceptible. Excusez-nous pour les mots "truc" et "zaffaire" mais on a du mal à définir ce que James Carlès et ses danseurs ont offert hier soir au public chaud-bouillant de Champ-Fleuri. C'est une pièce de théâtre, pour faire simple, où la scène est partout, où le public est constamment pris à partie et où la rythmique donne envie de se remuer le popotin. Résumé ainsi, ça a l'air si simple. Mais c'est surtout drôlement malin. Le chorégraphe James Carlès, avec la patte immense de la célèbre Robyn Orlin, s'est emparé du phénomène "Coupé-décalé", né dans les boîtes parisiennes sur des bases rythmiques ivoiriennes, pour décliner tous les codes du genre dans un décalage total. Tout y passe, à commencer par l'amour immodéré pour les fringues, le coupé-décalé étant le royaume des "sapeurs". Qui dit sape dit fric. Et qui dit sape dit concours de look. Qui dit concours dit battle, qui dit battle dit trouvailles gestuelles. Et qui doit boîtes dit sexe. Voilà le tableau : des danseurs qui chantent et jouent la comédie, qui enflamment toute une salle en quelques mouvements de hanches et expressions bien senties. Et un public drôlement amusant à saisir, entre ceux qui réagissent à la seconde, à grands cris, et ceux qui se sentent un brin… décalés. Bref, cette leçon de danse coulait de source, juste après une autre forme grandie bien loin des scènes académiques, dans nos zabitasyon à nous : le moringue. Sur le parvis du théâtre, les Saint-Leusiens de Moringue Angola ont bâti leur discours sur l'esthétique des corps huilés et des gestes purs. Une merveille de partage, où qui veut rentrer dans le rond y est autorisé. Sur ce fond de maloya qui tourne impeccable. C'est élégant et puissant. Cette danse-là, on n'y coupe pas. D.C. Moring Angola (19h, gratuit) et CoupéDécalé (20h) encore ce soir à ChampFleuri, ainsi que Cristian Duarte (22h). Le coupé-décalé : quelques mouvements de hanche et expressions bien senties ont rendu le public chaud-bouillant (photos Ludovic Laï-Yu). James Carlès n’est pas un clown mais un chorégraphe très sérieux : la preuve ! Rentrer dans le rond, c’est le principe de la danse totale. Moring Angola : la pure esthétique de la tradition. Quand la scène est partout, le décalage est à son comble. BLABLA JAMES CARLÈS : "LE COUPÉ-DÉCALÉ EST BIEN PLUS QU'UNE SIMPLE DANSE" Au coeur de leur création chorégraphique en deux parties, Robyn Orlin et James Carlès mettent à l'honneur le coupé-décalé, danse créée par la communauté africaine de Paris dans les années 2000. Précisions auprès du danseur et chorégraphe. Pourquoi avoir scindé le spectacle en deux parties bien distinctes ? C'est quelque chose qui s'est fait assez naturellement durant le processus de création, ce n'était pas quelque chose de prémédité. Au début on ne travaillait avec Robin que sur le quintet de danseurs de coupé-décalé, et ce n'est que durant la création qu'elle m'a parlé de son envie de faire un solo avec moi. Nous avons donc décidé avec la production de garder les deux projets au sein de la même proposition. Comment expliqueriez-vous cet intérêt commun pour le coupé-décalé ? Ce qui nous a intéressé avec Robyn, c'est le fait que ce phénomène soit né à Paris de cultures d'anciennes colonies, plus précisément d'afro-descendants de la capitale. Ce n'est pas vraiment une nouveauté en soi, mais le coupé-décalé est la première danse à obtenir un si grand écho au niveau métropolitain, notamment auprès des jeunes n'étant pas issus de ces cultures. Le phénomène a largement dépassé le cadre de la "communauté". Le coupé-décalé est en fait une synthèse de rumba congolaise, de hip hop, de musiques caribbéennes et de chanson française. Cette danse possède d'ailleurs beaucoup de similitudes avec le krumping (danse afro-américaine née à Los Angeles, ndlr), étant née presque au même moment. A quoi est due cette popularité ? Au départ, le public venait dans des boîtes parisiennes pour assister plus à des performances. Ceux qui ont créé le mouvement ne sont pas forcément de bons danseurs ni de bons musiciens, ils sont en revanche de très bons performeurs. C'est par la suite qu'ils se sont retrouvés face à un producteur qui leur a proposé de les aider à structurer leur mouvement pour en faire quelque chose de moins anonyme. Cela a fait grand écho auprès des jeunes et les a rapidement dépassés. Comment vous êtes-vous approprié les codes de cette danse ? Le premier acte n'a de décalé que le nom, il n'y a aucune musique de coupé-décalé dans celui-ci. Le second par contre se situe vraiment dans les codes du genre. Chorégraphiquement, l'idée n'était pas de faire une reproduction de cette danse mais de l'agrémenter. Il n'y a pas de volonté de transposer littéralement une danse sociale sur scène. Ce vocabulaire sous-tend un autre propos. Pour ce deuxième acte, nous avons d'ailleurs fait appel à cinq vrais danseurs de coupé-décalé qui ont la particularité d'avoir d'autres danses dans leurs corps. Ils viennent tous de danses sociales africaines, du dancehall, du hip hop... C'est pour cette raison que j'ai souhaité travailler avec eux. Que raconte le coupé-décalé du monde d'aujourd'hui ? Le rapport au pouvoir d'une manière générale avec toutes ses déclinaisons : l'argent, le sexe, les questions de genre, de pauvreté et des minorités, ce qui explique que l'argent soit le premier symbole du coupé-décalé. Le coupé-décalé est bien plus qu'une simple danse. Ce qui a contribué à son succès est ce que l'on appelle le "travaillement" c'est à dire le fait que les artistes de coupé-décalé aient renversé les codes en donnant de l'argent au public au lieu d'en recevoir. En tant que chorégraphe, vous intéressez-vous de près à l'émergence des danses noires et de leur circulation dans le monde ? Tout à fait, cela est même à la base de mon engagement dans la danse. Tout simplement parce qu'elles me plaisent et me touchent. Je viens de la danse moderne avec une formation académique, bien qu'ayant pratiqué aussi des danses sociales, et c'est en m'intéressant de manière affective à ces danses que j'ai réalisé en cours de parcours qu'elles avaient bien plus de vertus que ce que je pouvais imaginer au départ. Elles portent en elles une trace de l'histoire socio-politique. Ces formes là disent beaucoup de choses du monde, comment il évolue et a été dans le passé. D'un point de vue esthétique, ces danses sont également intéressantes dans la mesure où elles possèdent leurs propre écriture, langage, manière d'aborder l'improvisation, leur rapport à l'autre etc. Propos recueillis par Anne-Sophie Luccioni A découvrir les 7 et 8 novembre à 20h au TEAT Champ Fleuri. CULTURE Festival de danse : le dancefloor monte sur scène Clicanoo.com publi le 7 novembre 2014 05h50 Avec Coupé-Décalé, James Carlès et ses cinq danseurs vont forcément envoyer du groove à Champ-Fleuri. Une mode passagère, le coupé-décalé ? À d’autres. C’est même un mouvement de fond que le chorégraphe James Carlès a découvert quasiment par hasard et qu’il n’a plus lâché, jusqu’à le mettre en scène et jongler avec tous les codes du dancefloor et des beats africains. Pour le coup, l’ouverture de ce Fes-tival Total Danse sera loin des clichés élitistes trop souvent collés à cet art. "Je travaillais avec des jeunes dans un collège de Nantes, ils ne voulaient danser que sur du coupé-décalé, raconte James Carlès. Puis je vais dans un mariage à Lille et les gars se mettent à danser du coupé-décalé et cette énergie, je ne l’avais jamais vue". Le chorégraphe découvre alors la singulière histoire du genre, née dans la communauté noire de Paris au tout début des années 2000. "Il y avait des fringues, des DJ, des crews, des battles et des groupes qui marchaient très fort comme Jet Set. C’était l’époque de la guerre civile en Côte d’Ivoire et le coupé-décalé a été vu comme le symbole du dépassement de la guerre. C’est à Abidjan que le coupé-décalé est devenu plus tonique, en accentuant l’art de fractionner puis accélérer les temps". Rythmiquement, le coupé-décalé fonctionne sur un motif de rumba congolaise et des bases de makosa, pour donner naissance à des évolutions comme le logobi. Oui, "Corde à sauter", c’est du coupé-décalé. "C’est la même chose que la tektonik", résume James Carlès. De l’or, donc, pour le chorégraphe qui met en scène cinq danseurs issus du coupé-décalé, qui accompagnaient tous ces groupes qui cartonnaient dans les boîtes de Paris, d’Abidjan ou d’ailleurs. Cette fois, c’est sur la grande scène que ça va chauffer ! Mais nous parlons là de la deuxième partie du spectacle, car la première partie est assurée par James Carlès lui-même, en solo, sur une chorégraphie de la célèbre Robyn Orlin. Là encore, du coupé-décalé comme support de recherche identitaire. Car en se trémoussant sur le dancefloor, on n’exprime pas que son corps ! D.C. Vendredi 7 et samedi 8 -20h- Champ-Fleuri. Réservations 02 62 41 93 25 ou www.theatreunion.re