samedi 7 avril 2007 La proposition de Ségolène Royal, cette

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samedi 7 avril 2007 La proposition de Ségolène Royal, cette
INJEP – Panorama de la presse de novembre 2006 à avril 2007
samedi 7 avril 2007
La proposition de Ségolène Royal, cette semaine, d'un « contrat première chance » a
relancé le débat sur les mesures à prendre en faveur de l'emploi des jeunes
Table ronde animée par Sébastien Crépel et Rosa Moussaoui Photos : Patrick Nussbaum
Rappel des faits La proposition de Ségolène Royal, cette semaine, d'un « contrat première chance » a relancé le débat sur les
mesures à prendre en faveur de l'emploi des jeunes. Un an après leur âpre combat contre le CPE de Villepin, le CPC de Royal
a eu un goût amer pour les organisations de jeunes qui ont contribué à cette victoire. La logique de ce nouveau contrat : en
échange de l'embauche d'un jeune dans une entreprise, les pouvoirs publics prendraient en charge l'intégralité de son salaire
pendant un an. La candidate socialiste espère ainsi vaincre les réticences des patrons de petites entreprises à embaucher des
jeunes. À gauche, nombreux sont ceux qui dénoncent une philosophie voisine de celle du CPE. Beaucoup y voient le prétexte
à une nouvelle précarisation du travail, où les protections des salariés et leur « coût » pour l'entreprise sont de nouveau
montrés du doigt. Ils craignent un nouvel « effet d'aubaine » pour les employeurs qui ne créeront pas d'emplois mais se
serviront de ce nouveau contrat pour tirer les droits de tous vers le bas. Marie-George Buffet a réaffirmé de son côté son
ambition de sécuriser l'emploi et la formation avec le CDI pour tous comme base du contrat. Pour en débattre, nous avons
réuni deux responsables politiques et deux responsables d'organisations de jeunesse. Alain Obadia, dirigeant national du PCF
et membre du Conseil économique et social, soutient Marie-George Buffet à la présidentielle. Liliane Capelle, membre du
bureau national du MRC, le parti de Jean-Pierre Chevènement, soutient Ségolène Royal. Caroline de Haas est secrétaire
générale de l'UNEF et Hugo Vandamme est secrétaire national de la JOC. Invité, un responsable socialiste s'est décommandé,
le cabinet de Ségolène Royal nous expliquant qu'il appartenait à la candidate de préciser sa proposition avec la livraison
attendue d'un rapport sur le sujet, commandé à l'économiste Dominique Méda. S. C.
Au regard du bilan des contrats aidés qui se sont succédé ces dernières décennies, la réponse est-elle
dans un nouveau contrat jeune à l'instar du « contrat première chance » (CPC) de Ségolène Royal ?
Liliane Capelle. L'emploi des jeunes est un problème majeur, posé dans un contexte difficile. Il faut répondre à l'urgence
sociale, une urgence absolue, en donnant un emploi, une qualification à des jeunes pendant un an. Dans ce projet de « contrat
première chance », l'argent serait donné par l'État aux petites entreprises concernées à condition qu'elles embauchent, à terme,
le jeune. Le but poursuivi n'est donc pas un énième contrat précaire, mais un contrat de qualification in situ qui permettrait au
jeune de faire ses preuves et à l'employeur de ne perdre ni temps, ni argent. Ce contrat, je pense, répond à l'urgence sociale.
Cette période d'un an, où salaires et cotisations seraient pris en charge par les pouvoirs publics,
correspond-elle à une période d'essai ?
Liliane Capelle. Il ne s'agit ni d'un CPE, ni d'un CNE. Le but est d'ouvrir un temps de respiration qui permette une rencontre
entre un jeune, diplômé ou non, et une entreprise qui a des besoins, mais hésite à s'engager. Ségolène Royal est très claire sur
le fait que les entreprises qui bénéficieraient d'aides de l'État seraient dans l'obligation de donner des contreparties, c'est-àdire d'embaucher ces jeunes. C'est du donnant-donnant : il faut sortir de ces systèmes où l'on donne de l'argent à des
entreprises sans contrepartie en matière de création d'emplois.
L'UNEF a mis en garde contre la perspective d'un « CPE de gauche »...
Caroline de Haas. Le CPC de Ségolène Royal n'apporte pas les bonnes réponses. Le fait qu'une entreprise dispose pendant un
an d'un salarié qui produit des richesses sans débourser un centime me paraît dangereux. Ce n'est pas aux pouvoirs publics,
aux citoyens, de payer. Par ailleurs, en l'état actuel de la proposition, la précarité demeure, puisqu'il ne s'agit pas d'un CDI.
L'UNEF a rencontré jeudi Dominique Méda, chargée de la rédaction d'un rapport sur cette proposition. Elle nous a plutôt
rassurés et elle a laissé des portes ouvertes. Nous attendons donc des précisions.
Reste que les contrats spécifiques pour les jeunes ne fonctionnent pas. Des dizaines de dispositifs d'emplois aidés existent,
sans répercussion sur la création d'emplois. Ce ne sont pas les aides qui créent des emplois. Les entreprises embauchent
lorsquy a des commandes, c'est-à-dire lorsque le pouvoir d'achat augmente, lorsqu'il y a de la croissance. Depuis vingt ans,
les emplois aidés se sont multipliés, mais le chômage des jeunes n'a cessé d'augmenter. Il faut donc les arrêter. Les jeunes
veulent avoir les mêmes droits que les autres salariés, mais aussi être protégés pendant la période d'entrée sur le marché du
travail. Or, le contrat le plus protecteur c'est le CDI : il faut donc embaucher les jeunes en CDI. Les jeunes sortent de
l'enseignement supérieur avec des qualifications qui doivent être reconnues.
Liliane Capelle. Je suis présidente de la mission locale Paris-Centre. Les jeunes que j'y rencontre sont très, très loin de
l'université et de l'emploi. Je ne suis pas une inconditionnelle des contrats spécifiques. Mais celui-ci permettrait la rencontre
entre des artisans, des commerçants, et ces jeunes sans qualification.
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Hugo Vandamme. Je rejoins ce que dit Caroline sur l'impact des mesures en direction des jeunes. Il faut tirer le bilan de ces
contrats spécifiques. Le résultat de ces politiques, c'est que les jeunes sont culpabilisés. Ils en arrivent à penser que le
problème, c'est eux. Cette situation est encore plus grave dans les catégories populaires. Dans certaines cités, un jeune sur
deux est au chômage. Dans une telle galère, certains en arrivent à accepter n'importe quel contrat. Un grand nombre d'entre
eux acceptaient, par exemple, le principe du CPE. À la JOC, nous essayons de dire que les jeunes ne sont pas un risque, mais
une chance pour la société. En revanche, je rejoins Liliane Capelle à 100 % sur la question de l'accompagnement. Pour les
jeunes des milieux populaires, il y a un handicap supplémentaire : celui du réseau des parents et des amis qu'ils n'ont pas. Il
faut donc un accompagnement dans l'élaboration du projet de vie, dans l'orientation professionnelle.
Faut-il en finir avec les contrats aidés et les réponses générationnelles ?
Alain Obadia. Je comprends et je partage les réserves émises par les organisations de jeunesse. Nous ne sommes pas
favorables à ce contrat. Pour une raison de fond : la multiplication des contrats spécifiques, notamment pour les jeunes, tue le
CDI. C'est une manière d'attaquer les garanties du droit du travail. Comme tous les contrats spécifiques, ce CPC présente des
défauts majeurs : il banalise la précarité, et en la banalisant, il l'accroît. Et que devient le jeune après la première année ?
Liliane Capelle. Je vous l'ai dit : à l'issue de cette année, il y a un engagement de l'entreprise.
Alain Obadia. Pardon, mais Ségolène Royal indique, je la cite, que « l'entreprise s'engagerait en échange à recruter le jeune si
celui-ci donne satisfaction ». En droit du travail, des formules comme celles-ci sont évanescentes ! Cela peut signifier
n'importe quoi, être utilisé de façon telle que l'on irait vers une sorte de CPE dans une autre version.
Liliane Capelle. Je ne peux pas vous laisser dire cela...
Alain Obadia. On banalise encore l'idée selon laquelle les entreprises font un cadeau quand elles embauchent. Non. Les
salariés embauchés, quel que soit leur âge, ont une utilité sociale qu'il est indispensable de reconnaître. Enfin, une telle
mesure entraînerait un immense effet d'aubaine. Pour les jeunes, comme pour toute la population, il faut créer de vrais
emplois. C'est le sens du projet de Marie-George Buffet, qui pose en grand la question d'une politique macroéconomique
favorable à l'emploi. Une politique qui, par différentes mesures sociales, fiscales, réorienterait les financements vers
l'économie réelle, vers l'investissement créateur d'emplois. Nous pensons que, pour les jeunes, l'entrée dans l'emploi doit être
un CDI renforcé, avec un volet formation et un volet tutorat.
Ces propositions peuvent-elles répondre au besoin de « souplesse » qu'expriment des entreprises ?
Alain Obadia. Dire que le CDI est une sorte de prise en glace de l'emploi dans les entreprises est absolument faux.
Malheureusement, les exemples sont multiples d'entreprises qui licencient des personnes en CDI. Le renforcement du CDI et
la limitation des contrats précaires doivent aller de pair avec un système de sécurité d'emploi ou de formation. Ce système est
une réponse aux questions de la mobilité professionnelle et des mutations technologiques. Toute personne qui le souhaite doit
être en position d'emploi ou en position de formation rémunérée devant conduire à un emploi. Ce système aurait la même
ambition pour l'emploi que celle de la Sécurité sociale, lorsqu'elle a été créée, pour les problèmes de santé.
Liliane Capelle. Lorsque vous parlez d'un CDI pour les jeunes, c'est une autre manière de proposer un contrat spécifique.
Pour le reste, je partage ce que vous dites, dans une situation qui serait idéale. Pour parvenir au plein-emploi, il faut un
changement radical, une réorientation complète de la politique européenne, un rééquilibrage du rapport entre capital et
travail. Je me bats pour cela. En attendant, il faut répondre à l'urgence. Vous parlez d'un effet d'aubaine. Ce serait un risque si
cette proposition concernait les grandes entreprises. Je vous parle, moi, des PME qui ne roulent pas sur l'or. De nombreux
petits patrons craignent de franchir le pas de l'embauche. Si on leur donne le temps de former les jeunes, si la rencontre
s'opère des deux côtés, si l'État paye en contrepartie d'une embauche en bout de course, cela peut lever la barrière.
Voulez-vous dire que le problème central est celui du coût du travail ? Si c'est le cas, en quoi ce problème
se poserait-il différemment au bout d'un an ?
Liliane Capelle. Ségolène Royal insiste sur le fait que rien n'est donné sans contrepartie. Et la contrepartie, c'est d'embaucher
la personne.
Caroline de Haas. Mais dans le discours que vous tenez, Mme Capelle, il y a deux pôles. Celui des politiques globales qu'il
faudrait conduire, et celui des mesures d'urgence. Le problème, c'est qu'on entend souvent des mesures d'urgence, de
rafistolage, mais rarement des projets de politique générale. À mon avis, une société qui progresse doit permettre à chaque
jeune d'accéder à l'enseignement supérieur, d'y réussir, d'obtenir un diplôme pour s'insérer dans le marché du travail. Sur les
emplois non qualifiés, il est - inutile de créer des contrats spécifiques. Pour régler l'urgence, ces emplois existent : plus de 800
000 étudiants sont contraints de se salarier pour financer leurs études. Ces étudiants n'occupent pas des postes qualifiés. Si on
met en place une allocation d'autonomie, proposition reprise par tous les partis de gauche, cela libérerait plusieurs centaines
de milliers d'emplois. Autre problème : les stages. Ils correspondent à 100 000 emplois que les entreprises refusent de créer.
Nous sommes favorables à l'interdiction des stages hors cursus. À partir du moment où un jeune est diplômé, c'est à
l'entreprise d'assumer sa formation au poste de travail sur lequel il est embauché. - Enfin, le problème de la déqualification
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est majeur. Les jeunes diplômés occupent des emplois peu qualifiés. Il est urgent de mettre à plat les conventions collectives
pour que les diplômes soient reconnus et ouvrent le droit à une rémunération en rapport avec la qualification. Mme Capelle,
vous n'expliquez pas en quoi ce CPC va créer de l'emploi...
Liliane Capelle. Mais si, puisque Ségolène Royal a assuré qu'un suivi individuel sera mis en place et qu'aucun jeune ne
resterait sans emploi ou sans formation pendant plus de six mois.
Hugo Vandamme. Pour nous, l'important est de ne pas décevoir les jeunes. Nous sommes d'accord avec l'UNEF sur la
responsabilité sociale des entreprises. Celles-ci doivent jouer le jeu, en donnant de bonnes conditions de travail et une qualité
de vie à leurs salariés. À la JOC, un jeune sur quatre que nous rencontrons lors de notre campagne d'été n'a pas de contrat de
travail, et certains ne savent même pas qu'il est obligatoire ! Sur la création d'emplois : les employeurs n'ont pas tous les
mêmes moyens, nous sommes d'accord. Mais les besoins existent, notamment dans le secteur non marchand. Nombreuses
sont les associations qui ont recruté leur premier salarié grâce aux emplois-jeunes. Mais ces employeurs ont besoin d'être
accompagnés pour qu'ils trouvent les moyens de pérenniser le poste. Il ne faut pas reproduire les mêmes erreurs.
Y a-t-il une différence à faire entre les employeurs ?
Alain Obadia. Les entreprises qui privilégient la financiarisation en saccageant l'emploi doivent être pénalisées. À l'inverse,
des mesures favorisant les investissements créateurs d'emplois doivent être mises en oeuvre. La crise est d'une telle gravité
que l'avenir du pays est en jeu. Face à l'urgence sociale, il faut de grandes ambitions. Toutes les mesures visant à prendre le
problème par le petit bout de la lorgnette ont échoué parce que les logiques de financiarisation sont beaucoup plus puissantes.
Les propositions qu'avance Marie-George Buffet s'appuient sur les moyens financiers qui existent pour créer massivement de
l'emploi. En 2006, l'excédent brut des entreprises s'est élevé à 570 milliards d'euros, dont seulement 30 % ont été réinvestis.
Tout le reste est allé aux dividendes et aux placements financiers. Il faut réorienter cet argent. Pour les PME, nous proposons
que celles qui veulent créer de l'emploi aient accès à un crédit bancaire à taux bonifié. Les cotisations sociales devront être
modulées en fonction des investissements dans l'emploi, et l'assiette de la taxe professionnelle (TP) doit être revue pour
inclure les actifs financiers des entreprises. Cela avantagerait les PME car elles ne sont pas dans la bulle financière. Il faut
aussi une loi qui change les règles du jeu entre donneurs d'ordres et sous-traitants. Avec ces mesures, il y a la création de
centaines de milliers d'emplois à la clé. Mais les besoins vont au-delà des PME : dans les services publics, dans l'industrie, il
faut des milliers d'emplois nouveaux. L'Allemagne connaît un rebond de sa croissance parce qu'elle a préservé son outil
industriel, alors que les gouvernements ont bradé celui de la France...
Liliane Capelle. Voilà !
Alain Obadia. On voit l'hémorragie d'emplois dans l'automobile, dans des secteurs de pointe comme chez Alcatel-Lucent ou
Airbus. Le problème de l'emploi ne se réglera pas à coups de mesurettes, mais en s'attaquant à la racine du mal.
Liliane Capelle. La proposition de Ségolène Royal n'est pas une mesurette. À chaque fois qu'un jeune retrouve un travail,
c'est une victoire. Cela n'exclut pas de s'attaquer aux grands problèmes de l'emploi, de la formation des jeunes. Il faudra en
effet changer la donne, notamment dans l'industrie. Je rappelle que j'ai voté « non » à la constitution européenne. Je soutiens
Ségolène Royal parce qu'elle prend en compte ce « non ». Mais la question, aujourd'hui, est de savoir si dans un premier
temps, on donne de l'emploi aux jeunes.
N'y a-t-il pas un problème de concertation entre Ségolène Royal et les jeunes ?
Hugo Vandamme. À la JOC, nous aurions aimé être sollicités pour donner notre avis. Ségolène Royal a donné son accord
pour nous rencontrer. Elle est la seule candidate à gauche à ne pas l'avoir fait. Les petites entreprises et l'artisanat peuvent
jouer un rôle dans la cohésion sociale des territoires. Ça ne me gêne pas qu'on soutienne ces entreprises qui ont besoin de
main-d'oeuvre. D'accord pour la proposition de Marie-George Buffet sur le coût du crédit, mais je ne crois pas que cela
puisse suffire.
L'opposition des organisations de jeunes ne justifie-t-elle pas de réviser la position de Ségolène Royal ?
Liliane Capelle. Je ne pense pas qu'il faille revoir la proposition du CPC. Sur la méthode, il y a certainement des choses à
préciser. Le principal est d'aider le jeune à maîtriser sa vie. Les jeunes sont notre avenir, il faut cesser de porter sur eux un
regard condescendant ou méprisant. Le CPC amélioré par vos propositions est une réponse à une situation d'urgence.
Alain Obadia. Qu'il y ait une urgence extrême, c'est évident. Mais doit-on continuer à créer des emplois avec, à chaque fois,
un ancrage supplémentaire dans la précarité ? Nous disons non, et nous proposons de remettre l'emploi sur de bons rails. Une
précision : les propositions de Marie-George Buffet ne se limitent pas au crédit, bien que son impact soit largement - sousestimé. Il y a aussi des mesures puissantes pour les PME, sur la réforme des cotisations ou de la TP, en lien direct avec les
territoires.
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