Vers une définition du Réalisme Apparaissent au XIXème siècle les

Transcription

Vers une définition du Réalisme Apparaissent au XIXème siècle les
Vers une définition du Réalisme
Apparaissent au XIXème siècle les termes de réalisme et un peu plus tard de
naturalisme…Que veut dire poser la question du réalisme ?
« All is true »…Cette expression apparaît au début du Père Goriot, oeuvre de Balzac
en 1835…et pourrait servir d’enseigne au mouvement qui est en train de naître…Une
littérature qui vise à une littérature du « vrai » !
Ce serait donc insérer le personnage dans un milieu dont la peinture sera capitale et
le personnage aura à se mesurer à des forces hostiles de la société avec lesquelles il doit
compter !
C’est donc une conscience aux prises avec la réalité, avec le monde et cela suppose
donc la prise en compte de la temporalité. Or ce monde est établi de façon économique au
XIXè siècle !
A noter l’immense influence de Walter Scott ; ses textes signifient une réalité
historique en train de se faire, les différentes classes sociales se montrent et l’auteur donne
une importance nouvelle au menu peuple.
L’histoire devient le sujet- même du livre et non plus seulement le décor ! Elle
devient le ressort de l’action ; les personnages représentent les groupes humains auxquels
ils appartiennent ; ils figurent les mœurs, l’esprit d’un temps ; le personnage devient un type
qui a pour fonction de représenter un groupe humain, les croyances d’une société et ses
mentalités.
Les scènes essentielles, les dialogues ont pour fonction de faire avancer les actions ;
ils participent et constituent l’action ! Ils remplacent l’analyse car le personnage se signifie
par le discours qu’il tient !
En France, l’importance du petit peuple a été relevée par George Sand…Réalisme
certes mais avec une distance historique ! L’intrigue sentimentale est au second plan ; c’est
l’histoire qui est au centre et le sujet même du roman. L’individu devient donc représentatif
d’un temps, d’une époque et d’une classe sociale contemporaine à celle de l’auteur qui voit,
observe et vit… !Le roman historique qui a aussi participé au mouvement romantique avec
ce désir de quitter une société dans laquelle on se trouve mal et qui va permettre une
évasion vers une époque antérieure qu’on juge toujours mieux, va aussi participer à l’essor
du roman dit « réaliste » en introduisant le petit peuple et les clivages sociaux !
Le réalisme s’inscrit très clairement contre le romantisme, qui, s’il reconnaît bien la
dimension historique de l’homme, maintient son personnage dans une dimension spirituelle
et métaphysique qu’ignore le réalisme ! Pour le romantisme, l’individu est d’abord une
subjectivité, une intériorité qui lui donne son caractère propre, son individualité ; le
réalisme, lui, considère au contraire que l’homme est d’abord le produit de son milieu, le
résultat de forces qui lui sont extérieures ; le groupe social auquel il appartient, le lieu dans
lequel il vit, les milieux qu’il fréquente et qui déterminent ses habitudes vont faire du
personnage un être déjà déterminé, non libre de son devenir !
Faut-il donc opposer le roman de l’individu au roman de la société ?
Dès 1803, Stendhal, auteur du roman Le Rouge et le Noir ou chroniques de 1830,
voyait dans le roman une idéalisation de la société : « Dans les romans, on ne nous offre
qu’une nature choisie. Nous nous formons nos types de bonheur d’après les romans.
Parvenus à l’âge où nous devons être heureux d’après les romans, nous nous étonnons de
deux choses : la première, de ne pas éprouver du tout les sentiments auxquels nous nous
attendions ; la deuxième, si nous les éprouvons de ne pas les sentir comme ils sont peints
dans les romans. Quoi de plus naturel, cependant, si les romans sont une nature choisie ? »
Et Stendhal de souligner l’intérêt qu’il pourrait y avoir à pénétrer dans l’intériorité
d’un individu quelconque et à enregistrer ses pensées de façon fidèle ! Ainsi chez Stendhal
dès les années 1830, le roman s’inscrit-il comme une véritable chronique : il expose en
suivant le cours du temps la biographie du personnage principal ancré dans sa société. Une
image revient constamment chez lui, celle du miroir : « Un roman, c’est un miroir qu’on
promène le long d’un chemin »
Pour lui, il faut fonder la fiction sur l’étude du vrai et « copier les personnages et les faits
d’après nature ».
Les premières apparitions du mot « réalisme » semblent remonter à 1826 ; on trouve ce
terme dans le Mercure de France : « Cette doctrine littéraire qui gagne tous les jours du
terrain et qui conduirait à une fidèle imitation, non pas des chefs-d’œuvre de l’art, mais des
originaux que nous offre la nature, pourrait très bien s’appeler le réalisme : ce serait quelque
apparence, la littérature dominante du XIXème siècle, la littérature du vrai. »
Le terme sera repris dans les années 1830 pour désigner les œuvres faisant une large
part au pittoresque, aux descriptions extérieures, aux détails concrets. Dans les années 1840,
nous retrouvons ce terme en critique d’art pour désigner une nouvelle manière de peindre
un tableau. C’est de là que va naître le scandale réaliste et le sens du mot va se cristalliser
autour de l’œuvre de Gustave Courbet (1819/1877) qui, au lendemain de la révolution de
1848 peint les classes populaires comme on ne l’avait jamais fait. (Voir Enterrement à
Ornans) A ce moment-là le réalisme va se définir de façon plus précise et susciter la
polémique…Il deviendra alors l’antonyme du romantisme ! En effet le réalisme est alors
référé au matérialisme et au positivisme tandis que le romantisme est assimilé à l’idéalisme
et à l’imaginaire !
Balzac et Stendhal qui en ignore même le mot cherchent pourtant en se défaisant des
conventions et des stéréotypes littéraires, à écrire le réel, à décrire la société de leur temps
dans tous ses aspects, sous tous ses angles : tous les sujets, toutes le classes sociales, tous
les secteurs de la société (le grand, le beau, comme le laid et le monde des bas-fonds)
acquièrent une dignité artistique !
Le réalisme ne vise plus le beau mais le vrai et l’auteur réaliste est donc avant tout un
observateur ! Et son œuvre devient véritablement un « miroir » du réel ! D’ailleurs dans son
roman Le Rouge et le Noir Stendhal donne cette définition : « Un roman : c’est un miroir
qu’on promène le long d’un chemin » et il précise un peu plus loin : « Eh ! Monsieur, un
roman est un miroir qui se promène sur une grande route. Tantôt il reflète à vos yeux l’azur
des cieux, tantôt la fange des bourbiers de la route. Et l’homme qui porte le miroir dans sa
hotte sera par vous accusé d’être immoral ! Son miroir montre la fange, et vous accusez le
miroir ! Accusez bien plutôt le grand chemin où est le bourbier, et plus encore l’inspecteur des
routes qui laisse l’eau croupir et le bourbier se former. »
Ainsi le roman réaliste pointe-t-il inévitablement les tensions et les failles de la
société contemporaine de son auteur ; il devient un instrument d’exploration et de
description du réel, mais aussi un moyen d’analyse de la société, de révélation de ses
mécanismes et de sa complexité. La métaphore du « roman-miroir » traduit une volonté de
transparence, d’objectivité, de reproduction du réel par le texte tout comme une
impartialité de son auteur : « De quel parti est un miroir ? » se demande Stendhal dans son
avant-propos d’Armance. Le romancier réaliste se pose donc en montreur du réel ! Flaubert
soutiendra fermement cette thèse et ne cesse d’affirmer cette exigence d’observation et
d’exposition : « La littérature prendra de plus en plus les allures de la science ; elle sera
surtout exposante, ce qui ne veut pas dire didactique. Il faut faire des tableaux, montrer la
nature telle qu’elle est, peindre le dessus et le dessous. »
Maupassant, lui, dans sa préface de Pierre et Jean (1888), définit le rapport du texte
au monde par l’image de la transparence, de la « vitre » !
Zola de son côté préconise la théorie des « écrans » qui assigne clairement cet idéal de
transparence au réalisme : « toute oeuvre d’art est comme une fenêtre ouverte sur la
création », sur le monde et il précise qu’il y a dans l’embrasure de cette fenêtre une sorte
d’écran, ou de filtre, à travers lequel on voit les objets « plus ou moins déformés »…Il y aurait
selon lui trois sortes d’écrans : l’écran classique, qui ternit les couleurs mais dégage la pureté
des lignes, l’écran romantique qui fait éclater les couleurs mais brouille le dessin, et l’écran
réaliste qu’il définit ainsi : « L’écran réaliste est un simple verre à vitre, très mince, très clair,
et qui a la prétention d’être si parfaitement transparent que les images le traversent et se
reproduisent ensuite dans toute leur réalité. Ainsi point de changement dans les lignes ni
dans les couleurs : une reproduction exacte, franche et naive. L’écran réaliste nie sa propre
existence. (…) L’écran réaliste, le dernier qui se soit produit dans l’art contemporain, est une
vitre unie, très transparente sans être très limpide, donnant des images aussi fidèles qu’un
écran peut en donner »
L’œuvre réaliste se présente donc comme un « véritable réceptacle du monde ».
MAIS le tempérament de l’écrivain, son regard propre interviennent forcément dans
la description du réel !! Tous les romanciers en sont conscients et Zola sera un de ceux qui le
souligneront le plus fortement. Il définit d’ailleurs l’œuvre d’art comme « un coin de la
création vu à travers un tempérament ». Et au moment même de l’apparition de la
photographie, c’est cela même qui l’en distinguera !
Flaubert écrit lui-même à Taine que « l’œil idéalise », c'est-à-dire choisit, sélectionne
le réel et le teinte d’une couleur particulière. Et de surenchérir : « Il n’y a pas de Vrai ! Il n’y a
que des manières de voir. » L’œuvre réaliste est donc bien le résultat d’un regard sur les
choses, et non pas les choses elles-mêmes !
LES RACONTEURS DU PRESENT
Ou chroniqueurs du temps présent !
« Les historiens sont des raconteurs du passé, les romanciers sont des raconteurs du
présent », c’est ce qui distingue l’historien du romancier selon les frères Goncourt.
Sthendhal, le premier, dès 1830, fait du roman une chronique du temps présent, un
outil de connaissance du contemporain. Il donne d’ailleurs à son roman Le Rouge et le Noir,
un sous-titre : Chronique de 1830.
Flaubert lui aussi fera de même avec son roman Madame Bovary ou Mœurs de
Province…En outre la dernière phrase du roman, consacrée au pharmacien, est au présent
alors que toute l’œuvre est au passé : « Il vient de recevoir la croix d’honneur ». C’est le
présent du romancier « écrivant » son roman ; le texte rejoint le présent de son auteur !
Pour Balzac, l’histoire par le roman c’est une histoire de la vie quotidienne, des
pratiques, des mentalités, des habitudes sociales d’une époque. Les mœurs deviennent
matière première du roman ; ce sont elles qui permettent de comprendre les mouvements
de la société et qui la font évoluer.
Pour cela, le réalisme va faire naître une nouvelle « géographie » littéraire :
auparavant, tout se passait à Paris ou Versailles, et la province ne faisait que graviter
autour…Les romanciers du réel vont en faire une véritable exploration et vont faire de la
province un véritable objet littéraire à part entière ! Balzac parlera même d’ « antithèse
sociale » de cette fracture Paris/ province !
La province est le lieu de la grisaille, de la monotonie, de l’étouffement…Songeons
bien entendu à madame Bovary…Cette influence du milieu provincial est très présente ici : le
drame de Madame Bovary n’aurait jamais pu avoir lieu de cette façon-là à Paris ! Ce sont
l’ennui, la solitude que génèrent ces petites villes de province qui sont causes du mal-être
d’Emma, inactive et ainsi poussée à « rêver sa vie » sans pouvoir la vivre, mais aussi des
rumeurs qui font souvent de la vie un enfer !
Mais pensons aussi à Jeanne dans Une vie, de Maupassant…
Paris, au contraire, est une réalité sociale et politique pleine de mouvance et
d’aspirations vers la « gloire » et pour de nouvelles idées, de nouveaux idéaux…Et permet de
faire rentrer le peuple en mouvement, ouvriers et prolétaires…Ainsi le réalisme saisira-t-il le
développement industriel et tous ses bouleversements. Et Flaubert ne manquera pas non
plus de faire entrer le monde de l’industrie dans son roman, Madame Bovary : visite d’une
filature de lin en construction, et surtout on devine sa puissance sur le destin des
personnages ; Berthe sera envoyée à l’usine à la mort de sa tante…sa mère avait rêvé de clair
de lune, de romance et de passion ; son père voulait qu’elle ait de l’instruction et qu’elle soit
bien établie ; leur fille partira à l’usine, dans une filature de coton (peut-être celle que
Charles, Emma et Homais ont visité lors de sa construction !) Ainsi Flaubert montre-t-il une
part de l’histoire bourgeoise du XIXème siècle dans laquelle la personne souvent se trouvait
broyée, acculée à la misère, et venait alimenter une classe sociale naissante : celle des
« misérables » ! L’usine, c’est la fin d’un rêve, et Zola le montrera bien dans ses romans du
cycle Les rougon-Macquart , dont la figure centrale est celle de l’ouvrier.
Mais le romancier réaliste n’est pas qu’un photographe de sa société ! Ainsi
Maupassant insiste-t-il dans une étude intitulée Le roman dans le Figaro du 7 janvier 1888 ,
qui sera d’ailleurs reprise pour sa préface de Pierre et Jean, sur le fait que chaque écrivain
doit suivre sa pente personnelle, et montre que le réalisme n’est pas une simple
reproduction du réel, mais un travail visant « à faire vrai, qui consiste donc à donner l’illusion
complète du vrai, suivant la logique ordinaire des faits et non à les transcrire servilement
dans le pêle-mêle de leur succession .
J’en conclus que les Réalistes de talent devraient s’appeler plutôt des illusionnistes. »
Le roman implique par définition la présence de l’invention, du fictif, de l’imaginaire.
C’est pourquoi un texte ne peut être totalement assimilé au réel ; il n’en donne que l’illusion
et le réalisme devient davantage un « art de la vraisemblance ».
L’investissement de l’imaginaire se fait souvent par la transfiguration mythique ; à lire
Balzac, Zola, dont les descriptions sont de véritables témoignages de leur époque mais
chargés de dimension épique qui grandit les personnages jusqu’à devenir de véritables
mythes ! Pour cela bien sûr, les auteurs puisent abondamment dans les ressources de la
métaphore ! Qu’on se souvienne des images de Zola : violent courant que ce défilé
d’insurgés dans La fortune des Rougon ou le voreux qui dévore ses victimes dans
Germinal…et tant d’autres…
Quelques repères :
Trois phases peuvent se distinguer dans le courant réaliste en France :
1. La phase de fondation : 1830-1848 qui est contemporaine au romantisme
et qui correspond aux œuvres de Balzac et Stendhal ; avec ces deux
romanciers, le roman devient un outil d’analyse de la société et de sa
place dans l’histoire.
2. La phase d’affirmation : 1848-1870 pendant laquelle le réalisme s’affirme
comme mouvement dans tous les arts. (Peinture : G. Courbet). Le roman
devient de plus en plus la peinture de l’insignifiance, de la platitude de la
vie au quotidien, tout en revendiquant un immense travail sur le style.
(Gustave Flaubert). C’est aussi la période où le Peuple fait sa véritable
entrée en littérature comme en peinture !
3. La phase de radicalisation : 1870-1893 qui accompagne l’émergence de la
science et qui prendra le nom de « naturalisme », par Zola. Le roman ira
plus loin qu’être un lieu d’observation ; il sera un lieu d’expérimentation !
(A voir le cours sur le naturalisme, qui ne devrait pas tarder !!)
A lire : La Préface de Pierre et Jean, de Maupassant !!
Les romanciers naturalistes (extraits), de Zola.
G.P.
D’après l’étude de X. Bourdenet