123 Niger

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123 Niger
Niger
Évolution du processus démocratique nigérien de 1991 à 1999
par le Professeur André Salifou
Président de la Conférence Nationale,
Ancien Président du Haut Conseil de la République
(Parlement de Transition),
Ancien Ministre, Représentant personnel du
Chef de l’État au Conseil Permanent
de la Francophonie (CPF)
EN GUISE D'INTRODUCTION
E
ntre le 3 août 1960, date de la proclamation de
l'indépendance, et le 29 juillet 1991, jour du démarrage des
travaux de la Conférence nationale souveraine, le Niger connaît,
grosso modo, trois régimes, très sensiblement différents les uns
des autres. Il s'agit :
– du régime du Président Diori Hamani, animé par un parti
unique, le Parti progressiste nigérien (PPN) section locale du
Rassemblement démocratique africain (RDA) ;
– du régime d'exception, animé à partir du coup d'état militaire
du 15 avril 1974 par le Conseil militaire suprême (CMS) présidé
par Seyni Kountché, ancien chef d'état-major des forces
armées nigériennes ;
– et du régime de la décrispation d'Ali Saïbou, successeur du
général Seyni Kountché.
Le 15 avril 1974, au nom de l'ensemble de ses frères d'arme, le
lieutenant-colonel Seyni Kountché déclare avoir mis fin à “quinze
ans de règne jalonné d'injustices, de corruption, d'égoïsme et
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d'indifférence à l'endroit du peuple” et annonce “la suspension de
la Constitution, la dissolution de l'Assemblée nationale, et la
“suppression de toutes les organisations politiques et parapolitiques”.
Un Conseil militaire suprême (CMS) va désormais diriger le pays
pendant une quinzaine d'années, d'abord sous la houlette de
Seyni Kountché jusqu'au 10 novembre 1987, date de sa mort, puis
sous la direction du colonel et bientôt général Ali Saïbou, jusqu'à
la création du Conseil supérieur d'orientation nationale (CSON)
au mois de mai 1989.
Kountché a réussi à assainir la situation financière du pays, à
mettre en place une machine administrative efficace, à
développer le réseau routier, à accroître, y compris dans les
campagnes, les infrastructures médico-sanitaires, scolaires et
hydrauliques.
Malheureusement pour les Nigériens, en matière de liberté
notamment, le bilan du “règne” de Kountché est totalement
négatif. En effet, sous le régime du “Général”, la démocratie a
choisi de prendre congé du Niger.
Une fois en selle, le Président Ali Saïbou choisit en fait de
pratiquer une politique de changement dans la continuité.
Celle-ci se manifeste notamment par le maintien à son poste du
Premier ministre Hamid Algabid et par l'attribution de six
portefeuilles ministériels à des officiers. (1)
L'armée étant ainsi rassurée, le Président Saïbou inaugure sa
politique de “décrispation” en proclamant, le 18 décembre, tout
en lançant un appel à la réconciliation, une amnistie générale.
Cette décompression est perceptible dans la vie quotidienne. Les
Nigériens découvrent en effet qu'ils peuvent désormais
s'exprimer librement et sans danger sur tous les sujets et qu'il leur
est permis de se promener jour et nuit, sans excès de contrôle.
Saïbou pousse plus loin l'évolution des institutions, qui avait été
esquissée sous son prédécesseur. Un congrès constitue ainsi, le
18 mai 1989, un Mouvement national pour la société de
développement (MNSD). Par ordonnance prise par le chef de
l'État le même jour, le Conseil supérieur d'orientation nationale
(CSON), qui coiffe ce parti unique, remplace comme instance
supérieure de l'État le Conseil militaire suprême qui dirigeait le
Niger depuis 1974.
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Le CSON est destiné à jouer ce rôle jusqu'à la mise en place des
nouvelles institutions, c'est-à-dire essentiellement, une
Assemblée nationale et un nouveau gouvernement au lendemain
d'élections générales prévues pour 1989.
Le MNSD regroupe en son sein, comme “affiliés”, diverses
organisations, en tant que parties prenantes de la société de
développement. Ainsi de l'Union des coopératives, de
l'Association des chefs traditionnels, de celle des femmes, de la
Samarya (jeunes), et aussi de l'Union des syndicats des
travailleurs du Niger. Cette dernière n'est cependant pas sans
s'interroger, depuis 1987, sur le bien-fondé du mot d'ordre de
“participation responsable” qui avait auparavant régi ses rapports
avec le pouvoir. Un recul qui s'est notamment manifesté lorsque
la centrale s'est abstenue d'entrer dans le Bureau exécutif du
CSON, au contraire de ce qu'ont fait d'autres affiliés au parti
unique.
Ayant mis en place ses structures, le MND fait élire le 10 décembre
1989 les quatre-vingt-seize députés de l'Assemblée nationale, avec
un taux de participation de 94,65 %. Le même jour, le général Ali
Saïbou est élu, avec 99,60 % des voix, premier Président de la
IIe République pour un premier mandat renouvelable de sept ans.
Ces scrutins auront été précédés, le 24 septembre, de l'adoption,
avec 99,28 % de “oui” – le taux de participation étant de 95,08 % –
d'une nouvelle loi fondamentale perpétuant le système de parti
unique et de rôle politique de l'armée.
Il s’agit de scores élevés, propres à ce type de régime, qui ont pour
défaut de ne pas traduire l'état d'esprit réel de la population,
surtout quand celle-ci subit les effets d'une mauvaise conjoncture
économique.
Finalement Ali Saïbou connaîtra le destin de bien des
réformateurs : la première satisfaction passée, la population ne
verra dans ses réformes que du replâtrage et en exigera d'autres,
autrement importantes.
Une étincelle suffit souvent, lorsque l'Histoire s'accélère, pour
mettre le feu aux poudres. À Niamey, elle jaillit le 9 février 1990,
lors d'une marche de protestation organisée par l'Union des
scolaires nigériens (USN), lesquels avancent des revendications
ponctuelles.
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Bien qu'elle soit pacifique, leur manifestation est réprimée par les
forces de l'ordre avec une brutalité qui crée l'irréparable. Les trois
étudiants morts (selon les sources officielles) et la dizaine de leurs
camarades blessés qui seront relevés sur le pont Kennedy
pèseront lourd dans le sort du Niger, car l'événement, qui s'est
déroulé alors que le Président Saïbou était en mission à l'étranger,
le colonel Amadou Seyni Maïga assurant son intérim, ne sera plus
appelé que la “tuerie du 9 février”. Son évocation servira de point
de départ à tous les mouvements sociaux à venir, lesquels vont
progressivement mettre fin au régime d'Ali Saïbou (2).
À partir de ce 9 février, c'est en effet tout le pays qui se dresse face
au pouvoir en place. Les travailleurs, qu'ils soient ou non affiliés à
l'Union des syndicats des travailleurs du Niger, épousent d'autant
mieux la colère de l'Union des scolaires nigériens qu'ils sont
inquiets quant aux problèmes de l'austérité et de l'emploi.
Bref, la détermination des Nigériens est telle que désormais
l'engagement du pays dans la voie de la démocratie semble
inexorable.
Le sursaut nigérien se nourrit aussi bien sûr du nouveau
contexte mondial qui s'est créé avec la chute du mur de Berlin,
en novembre 1989. Comme tout pays des régions encore vierges
de démocratie, le Niger sent le vent de libéralisation politique
qui s'est levé à l'est de l'Europe, même si c'est d'une manière
atténuée par l'éloignement et la dissemblance des situations.
Au demeurant, nombre de Nigériens ne trouvent pas leur modèle
plus loin qu'au Bénin. La Conférence nationale qui s'est ouverte
en mars 1990 chez ce voisin leur apparaît comme la voie royale
menant à la démocratie.
Ce sont en fait les échéances financières qui vont bousculer le
calendrier politique : pour sortir les caisses de l'État du marasme,
le pouvoir veut négocier avec le Fonds monétaire international et
la Banque mondiale les termes d'un second programme
d'ajustement structurel. Pour ce faire, il annonce le 11 avril qu'il
lui faut prendre de nouvelles mesures d'austérité. En réponse
l'Union des syndicats des travailleurs du Niger, à l'occasion de la
Fête du travail du 1er mai 1990, rejette les mesures d'austérité
envisagées et revendique même ouvertement, le multipartisme.
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Le général cherche à gagner du temps. Mais finalement un rapport
conjoint et interne des commissions politique et sociale du CSON,
mis au point assez rapidement, prévoit, en juin 1990,
l'instauration d'un multipartisme à nombre de partis limité,
naissant “après une période transitoire”. Au terme d'une réunion
ouverte, le 16 juin, le CSON lui-même adopte “le principe de la
révision de la constitution et de la Charte nationale, en vue d'une
ouverture politique”.
Il est grand temps car le 19 juin à La Baule, devant le sommet des
chefs d'État de France et d'Afrique, le Président français
Mitterrand lie, dans un discours mémorable, l'octroi par Paris de
nouvelles aides aux progrès de ses partenaires en matière de
“droits et libertés”.
Un comité chargé d'étudier la réforme des institutions ne verra
pourtant le jour au Niger que le 18 septembre. Il remettra ses
conclusions au CSON six semaines plus tard.
À cette prudence calculée de Saïbou répond de nouveau
l'impatience populaire, malgré la nomination en octobre, en la
personne de Mahamadou Halilou, d'un médiateur mandaté pour
améliorer les relations du pouvoir avec les syndicalistes et les
scolaires. Pour réclamer la création du multipartisme et appuyer
ses autres revendications, l'Union des syndicats des travailleurs
du Niger (USTN) observe, du 5 au 9 novembre 1990, une grève
générale suivie au point qu'elle paralyse les centres urbains ; forte
de ce succès, elle menace ensuite de déclencher un arrêt de travail
illimité.
Le CSON fait l'économie de cette épreuve de force en annonçant
le 15 novembre aux députés, par la voix d'Ali Saïbou, son
président, qu'il opte désormais lui-même pour le multipartisme,
“afin de permettre une meilleure manifestation des opinions et
sensibilités”.
Ali Saïbou précise encore le 4 décembre, devant le CSON, que les
partis politiques naissants peuvent déposer une demande
d'agrément provisoire, en attendant que la révision de la
constitution permette leur reconnaissance légale.
L'opposition, qui n'était jusqu'alors constituée que par l'USTN
(laquelle abandonnera définitivement le 10 janvier 1991 sa
politique d'“un pied dedans, un pied dehors” en se retirant du
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MNSD), de l'Union des scolaires nigériens et de membres de la
société civile, se voit sensiblement renforcée par la naissance des
nouveaux partis.
S'inclinant devant ce nouveau front de la contestation, qui ne
cesse d'exiger la convocation d'une conférence nationale, le
CSON se prononce le 16 janvier pour la tenue de telles assises.
Pour s'y préparer, le MNSD tient lui-même un congrès du 12 au
18 mars 1991. Saïbou y est réélu président du parti face à deux
autres candidats, Adamou Moumouni Djermakoye et Mamadou
Tandja ; mais, faisant place à ce dernier, il démissionnera de cette
fonction le 13 juillet, à quelques jours de l'ouverture de la
Conférence nationale, afin de se placer au-dessus des formations
politiques.
Durant cette période, la pression constante des scolaires, des
syndicats, des partis incite le régime déclinant à lâcher du lest en
différents domaines. Un exemple en est donné en avril 1991, lors
du procès devant la Cour de sûreté de l'État des Touaregs inculpés
pour la seconde attaque, celle du 7 mai 1990, de Tchin-Tabaraden,
qui se termine par leur acquittement. (3)
Si le pouvoir tient à se rénover et veut se montrer conciliant, c'est
parce qu'il s'attend à avoir affaire à forte partie.
L'épreuve de force commence lors des travaux, du 13 mai au
7 juillet 1991, de la Commission nationale préparatoire à la
conférence nationale (CNPCN). Celle-ci réunit en effet les
représentants des institutions établies, telles que le gouvernement
et l'Assemblée nationale, et les forces d'opposition : syndicats et
nouveaux partis.
Pour ces dernières, le droit de vote à la Conférence doit être
réservé à sept grandes “structures”, ou groupes, qui seraient :
l'Union des syndicats des travailleurs du Niger (USTN), l'Union
des scolaires nigériens (USN), les syndicats patronaux, les
pouvoirs en place, les partis politiques, les syndicats non affiliés à
l'USTN et les associations. À côté des huit cent quatre-vingtquatre membres de ces structures, qui seraient les délégués
proprement dits au forum, siégeraient trois cent vingt
observateurs, consultants et invités, lesquels pourraient
contribuer aux débats sans pour autant participer aux scrutins.
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Une telle répartition des participants semble inacceptable aux
pouvoirs. Elle ne fait, selon eux, pas une place suffisante aux
associations des chefs traditionnels, des femmes, des jeunes
(Samarya), et à l'Union des coopératives, toutes organisations
liées au Mouvement national pour la société de développement.
De plus, elle laisse les soixante-quatre ruraux, dont le collectif se
trouve parmi les observateurs, sans droit de vote.
Les ruraux, réplique l'opposition, seraient au contraire bien assez
représentés. Selon la répartition qu'elle propose, ils figureraient
en effet non seulement dans leur collectif mais aussi dans les
associations (dont certaines travaillent avec les cultivateurs et les
éleveurs), une des sept structures disposant du droit de vote.
Élargir à la Conférence le rôle des ruraux et des chefs ou d'autres
entités proches des pouvoirs équivaudrait donc, aux yeux des
opposants, à donner à ces derniers des voix supplémentaires.
Ce point de vue de l'opposition prévaut clairement dans le rapport
que le CNPCN remet le 17 juin 1991 au chef de l'État, lequel juge
en outre en le lisant que le rôle à lui réservé dans le futur est par
trop minimisé. Aussi, le 28 juin, dissout-il la Commission. Un
simple comité technique, présidé par le commandant
Abdoulrahamane Seydou, ministre de la Culture, de la Jeunesse et
des Sports, se substitue à elle.
Des décisions qui provoquent naturellement, de la part de
l'opposition, une menace de paralyser le pays par des grèves,
marches et réunions, si bien que, le 7 juillet, abrogeant son décret
précédent, Ali Saïbou rétablit la CNPCN dans ses prérogatives.
Reste, pour la Commission ressuscitée – qui, avant sa fugace
dissolution, avait déjà préparé tous les textes devant servir de base
de travail aux futurs conférenciers – à organiser matériellement le
forum ; une tâche qui va sans heurt mais non sans contretemps.
En effet, le 27 juillet, c'est-à-dire deux jours à peine avant la date
prévue pour l'ouverture des assises, le large toit en béton,
pourtant soutenu par de puissantes colonnes, du bâtiment qui
devait les abriter s'effondre brusquement. De là, pour les esprits
disposés à tout expliquer par le surnaturel, à attribuer le sinistre
aux pratiques de quelque charlatan, stipendié par des milieux
gouvernementaux bien sûr, hostiles à la tenue de la Conférence, il
n'y a qu'un pas. Vite franchi. Même s'il ne veut pas répondre à de
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telles insinuations, Ali Saïbou est bien obligé de trouver
rapidement, car un retard risquerait, au plan politique, de lui être
préjudiciable, un local de remplacement pour le forum national ;
ainsi, aucun autre édifice suffisamment vaste n'étant disponible,
finit-il par mettre à la disposition des conférenciers le palais des
sports, grande bâtisse de Niamey qui porte le nom de “Général
Seyni Kountché”.
Cette communication commence par une présentation de la
Conférence nationale : ambiance générale, thèmes débattus et
principales décisions. Elle se termine par une troisième partie où
l'auteur expose les raisons probables qui, à ses yeux, sont à
l'origine des difficultés que rencontre le processus démocratique
nigérien. Auparavant, l'évolution de ce même processus entre la
fin de la Conférence nationale (novembre 1991) et l'élection du
premier Président de la Ve République aura été analysée.
PREMIÈRE PARTIE
LA CONFÉRENCE NATIONALE SOUVERAINE
En ouvrant, l'après-midi du 29 juillet 1991, la Conférence
nationale, le Président Saïbou lance aux mille deux cent quatre
participants un appel pour que les mesures qu'ils arrêteront, “sans
préjugés ni utopie”, puissent être mises “effectivement en œuvre”.
La conjoncture économique, sociale et financière
“particulièrement difficile”, relève-t-il, exige une attitude
“responsable”.
S'il élève d'entrée de jeu le débat par cet appel au réalisme, le chef
de l'État n'en oublie pas pour autant de défendre, une fois de plus,
ses positions. Relevant que ses auditeurs ont le pouvoir
d'approuver ou de modifier les propositions de la Commission
préparatoire, il souligne en effet qu'il ne saurait y avoir, à la réunion
qui commence, des Nigériens ayant le droit de vote à côté de
compatriotes “qui observent et qui subissent”.
Par deux fois, le lendemain, le matin et l'après-midi, les délégués
des pouvoirs engagent le duel à ce sujet, sous la forme d'une
“question préalable”. Ils y demandent qu'avant tout examen de ses
projets de statuts et de règlement, la Conférence ouvre un débat
sur les “quotas” de représentation accordés aux différentes
organisations, ainsi que sur la “discrimination faite entre les
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délégués avec droit de vote et les autres”. À chaque fois la sanction
tombe, identique : procédant à un scrutin par “structure”, chacune
disposant d'une voix, la Conférence rejette la question préalable
par six votes contre un, celui des pouvoirs.
Sous le choc de leur cuisante défaite, les délégués du
gouvernement, de l'Assemblée nationale et du Conseil national de
développement, ainsi que les représentants de l'Union des
coopératives et de l'Association des chefs traditionnels, se retirent
alors de la salle, où l'on notait déjà l'absence de l'armée.
L'apaisement viendra pourtant le 1er août lorsque la Conférence,
sans pour autant modifier les quotas de représentation, adoptera
en même temps que son règlement intérieur un amendement
essentiel à ce texte (article 39), accordant à des groupes
d'observateurs, qui jusqu'alors n'en avaient pas la possibilité, le
droit de prendre part aux votes, en les incluant comme délégués
dans la structure des associations. Il s'agit du monde rural, des
membres de l'administration centrale, des forces armées et
paramilitaires, des représentants des Nigériens travaillant dans les
organisations internationales et de ceux vivant à l'étranger.
Du coup, les délégués des institutions de l'État et leurs alliés
reprennent le même jour leur place à la Conférence, un exemple
qui sera finalement suivi, le 5 août, par l'armée.
Les scrutins ont lieu d'abord à l'intérieur des sept structures
(1 délégué = 1 voix), puis l'ensemble des délégués à la Conférence
se retrouvent en séance plénière, où le porte-parole de chacun des
groupes annonce à son tour le vote exprimé en son sein.
Entre-temps, le 30 juillet, dès la sortie des pouvoirs de la salle, la
Conférence, approuvant ses statuts, s'était proclamée souveraine.
Autrement dit, comme le précisait d'ailleurs l'article 3 du texte,
elle avait rendu ses décisions “impératives et exécutoires”.
Le 5 août, lors de l'élection de son Présidium, le grand forum
connaît de nouveau un débat animé. Il s'agit de savoir si le
président de cet organe de la Conférence peut être ou non un
membre d'un parti. Éprouvant de la difficulté à choisir une
personnalité apolitique, les conférenciers finissent par faire leur
choix parmi les candidats, membres de partis politiques, qui ont
milité sous le régime défunt en faveur du multipartisme.
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Ainsi les tours de scrutin aboutissent-ils à l'élection comme
président du Présidium d'un certain André Salifou, qui succède
ainsi au doyen d'âge Mamoudou Yaro.
L'un des premiers textes qu'il lui revient de signer est l'important
acte III, adopté le 9 août par la Conférence, aux termes duquel,
mettant en pratique le principe de sa souveraineté, celle-ci prend
le contrôle des services publics, des forces de l'armée et de celle de
la gendarmerie. Le Président de la République doit désormais
limiter son rôle à ses fonctions protocolaires. Quant au
gouvernement de Aliou Mahamidou, qui est en place depuis le
2 mars 1990, il est reconduit à titre provisoire, mais il se bornera à
expédier les affaires courantes.
L'exécutif en sursis n'accomplit en fait ce travail
qu'imparfaitement : sachant qu'ils perdront probablement leur
portefeuille lors de la naissance du futur gouvernement de
transition, les ministres, mécontents, soumettent nombre de
dossiers qu'ils pourraient eux-mêmes traiter au Présidium,
distrayant ainsi celui-ci de sa charge essentielle : conduire la
Conférence nationale à son terme sans plonger le pays dans le
chaos. Une cohabitation boiteuse, propre à déstabiliser la
nouvelle institution souveraine, pensent les conférenciers qui en
viennent à se demander s'il ne vaudrait pas mieux confier la
gestion des affaires courantes aux secrétaires généraux des
ministères. L'acte XI/CN du président du Présidium, portant
dissolution du gouvernement, réorganise donc le 10 septembre
l'exécutif dans ce sens. Pour plus de commodité, le Présidium
chargera Albert Wright, son second vice-président, de coordonner
l'activité des secrétaires généraux.
La Conférence peut de la sorte mieux se consacrer à l'un des
devoirs qu'elle s'est imposés en adoptant l'article 2 de ses statuts :
“(…) faire un bilan des actions passées dans tous les secteurs de la
vie nationale en vue d'en tirer les leçons et de dégager les
responsabilités collectives et individuelles”.
Une lourde tâche, en vérité, car son accomplissement fait
ressurgir toutes les ombres de l'histoire récente du Niger, celles
qui ont entouré la prise du palais de Diori Hamani, les complots
de 1975, 1970 et 1983, de même que la tuerie du 9 février 1990 ou
les affaires de Tchin-Tabaraden. Si ces évocations ne sont pas sans
animer les travaux du forum, au point parfois d'en tendre
fortement l'atmosphère, aucune ne marque l'assistance comme la
soudaine réapparition d'Amadou Oumarou dit Bonkano.
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L'ancien conseiller spécial de Kountché, qui s'était réfugié en
Europe depuis son putsch manqué de 1983, a gagné Abidjan dès le
début du Forum de Niamey. Il a pu suivre ses travaux grâce à la
radio nigérienne, qui en assure la retransmission intégrale et qu'il
peut capter depuis la Côte d'Ivoire ; et, le 9 octobre, il charge Bello
Tchiousso Garba, qui participe aux assises en tant que président
de l'Union pour la démocratie et le progrès, d'informer la
Conférence qu'il est “prêt à venir témoigner” devant elle. Pour ce
faire, précise le messager, Amadou Oumarou “demande une
amnistie politique”.
Sans hésitation, lorsqu'elle est consultée à ce sujet par le président
du Présidium, la Conférence accepte l'offre de Bonkano. Le 11
octobre est signé l'acte XIX/CN portant amnistie des “crimes et
délits contre la sûreté de l'État commis à l'occasion des
événements dits des 5 et 6 octobre 1983”. Les peines, incapacités
ou déchéances sanctionnant ces faits se trouvent ainsi éteintes,
indique le texte, avec toutefois une exception : l'amnistie ne
pourra pas “donner lieu à restitution des biens confisqués”.
Cette dernière précision n'est pas sans attirer l'attention des
Nigériens parce que (même s'ils ne constituaient pas, il s'en faut,
toute sa fortune) les biens confisqués à Bonkano n'étaient pas
rien : 47 propriétés à Niamey (dont 18 dans les quartiers chics)
figurent notamment dans la liste officielle qui en a été établie, à
côté d'un complexe immobilier à Dareyna et d'une très vaste
exploitation agricole à Bougoum. L'énumération inclut des
vergers et champs à Nordiré, Timiré et Guakatiré, ainsi que 64
engins et véhicules utilitaires.
La connaissance de ces biens et plus encore l'ancien rôle de
Bonkano en matière de sécurité nourrissent bien sûr toutes les
conversations de la ville, tandis qu'il est accueilli le 11 octobre à
l'aéroport de Niamey par des membres de la commission “Crimes
et Abus” de la Conférence, lesquels le placent ensuite au quartier
Yantala en résidence surveillée dans une villa appartenant à l'État.
(4)
Durant les quatorze jours que durera l'audition d'Amadou
Oumarou, la salle de la Conférence nationale ne désemplira
jamais. Nul ne voudra manquer l'occasion de voir de près cet
homme, sans doute le mieux renseigné des Nigériens sur le régime
Kountché, qui est précisément autopsié par le forum ; et chacun
attendra évidemment de lui (quelquefois craindra de lui) des
révélations.
133
Il en fait quelques-unes. Ainsi est-ce de lui que les conférenciers
apprennent, le 15 octobre, comment est mort le commandant
Sani Souna Sido. Cet ancien homme de confiance de Diori
Hamani, qui avait été en 1974 l'un des artisans de son
renversement avant d'être, l'année suivante, incarcéré lui-même
pour complot, est mort tué par des militaires, révèle Bonkano, sur
décision venue du sommet de l'État, et non pas terrassé par une
crise d'épilepsie comme l'avait laissé croire un communiqué
publié en 1977. Les soldats qui, cette année-là, avaient mis fin à la
vie de l'ex-numéro deux du régime Kountché obéissaient, précise
Amadou Oumarou, aux instructions du capitaine Kimba Kollo,
commandant de la Zone de défense n° 2, agissant lui-même sur
ordre du chef de bataillon Bangnou Beïdo, préfet du département
d'Agadez.
Convoqués le 17 octobre par le président du Présidium, les deux
officiers ne cherchent pas à nier l'évidence : ils citent à la
Conférence le règlement militaire, qui contraint un subordonné à
exécuter “sans discussions ni murmures” un ordre émanant d'un
supérieur, lequel en est tenu pour responsable.
Malheureusement pour eux, la Conférence n'entre pas dans ce
système de défense. Elle les fait arrêter sur-le-champ, puis déférer
devant la Haute Cour de justice qu'elle a créée le 28 septembre
1991.
Autre événement marquant du passé, le putsch de 1983, qui a failli
renverser Kountché ne manque pas d'être évoqué par la
Conférence nationale. “Pour remettre le pouvoir aux civils”,
répond-il, en précisant que l'idée d'une telle restauration lui était
venue de Mahamane Sidikou, directeur de cabinet du Premier
ministre. Les conférenciers veulent naturellement savoir pourquoi
a échoué cette “révolution de palais”, comme la qualifie Amadou
Oumarou. “C'est, explique celui-ci, qu'il y avait plusieurs groupes,
et plusieurs problèmes entre ces groupes”. Pas tout à fait limpide,
cette réponse ravive cependant des souvenirs pour bien des
participants à la Conférence. Il n'était en effet un secret pour
personne, au début du mois d'octobre 1983, qu'au moins deux
groupes de putschistes préparaient un coup, chacun de son côté.
Le premier aurait éliminé à la fois Bonkano et le chef de l'État.
Quant au second, prenant en quelque sorte les devants, il aurait
visé à n'écarter que le seul Kountché.
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L'affaire des fameux 80 milliards de francs CFA, ceux qu'Amadou
Oumarou, selon la rumeur publique, aurait emportés en fuyant,
ressort bien entendu au grand jour pendant le débat. Sans se
démonter, Bonkano nie carrément avoir pris cette somme.
Il réfute également le témoignage de Mahamane Ousseini, fait le
15 octobre devant la Conférence, au sujet du coup d'État de 1974.
Selon Ousseini, qui était sous-lieutenant des parachutistes au
moment de ce putsch auquel il a participé, une cantine contenant
de l'argent, trouvée par les militaires dans le palais de Diori
Hamani, aurait abouti après son passage à l'état-major dans la
maison de Bonkano à Dareyna. Ousseini dit tenir l'information de
Boubacar Dottia, autre participant au coup de 1974, qui fut depuis
son codétenu à Ouallam, à 100 km de Niamey, après la tentative de
putsch de 1983. Interrogé par la Conférence, Dottia, tout comme
Amadou Oumarou, rejette cette version qu'Ousseini, appelé à
témoigner de nouveau, maintient fermement.
Bonkano est également mis sur le gril au sujet de ses anciennes
fonctions. Les conférenciers veulent l'entendre confirmer qu'il
était bien ce superviseur de toutes les polices, en charge du
Bureau de coordination et de liaison (BCL-service politique), qui
inspirait tant de crainte dans le pays. Mais ils en sont pour leurs
frais. Amadou Oumarou affirme qu'il n'a été que le conseiller
spécial de Kountché, rien d'autre. Jamais il ne s'est trouvé à la tête
de la police politique, ajoute-t-il, et encore moins à celle des divers
services policiers du Niger.
Personne n'est convaincu par ce que dit Bonkano, mais nul ne
peut, ou n'ose, lui démontrer le contraire.
C'est que, naturellement, aucun ordre aboutissant à des actes
guère recommandables, tels que détournements de deniers
publics, trafic d'influence ou violation du droit des personnes, n'a
jamais été donné par écrit. Trop intelligent pour s'exposer
directement, Amadou Oumarou faisait d'ailleurs toujours agir
quelqu'un d'autre à sa place, souvent le général Kountché en
personne, pour atteindre les objectifs qu'il s'était fixés. Aussi les
interlocuteurs de Bonkano à la Conférence n'ont-ils aucune
preuve matérielle à lui opposer.
Non moins importante que cette audition de Bonkano, la
résurgence à la Conférence nationale, du 9 au 12 octobre 1991, de
la seconde affaire de Tchin-Tabaraden, lors de laquelle, le 7 mai
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1990, des Touaregs avaient attaqué divers points de cette localité
avant de subir une violente répression, suscite de vifs débats.
Se portant partie civile, certains Touaregs concernés par le dossier,
associés dans cette démarche à des parents et amis de victimes,
demandent que soient sanctionnés différents responsables de
cette répression sans merci, tels que le colonel Toumba Boubacar,
chef d'état-major des forces armées, et le capitaine Maliki
Boureïma, qui dirigea sur le terrain la défense opérationnelle,
ainsi que plusieurs de leurs subordonnés et informateurs.
Ils réclament des mesures identiques à l'encontre de deux anciens
préfets du département de Tahoua (où se trouve TchinTabaraden) : Mamadou Tandja – qui fut, depuis, ministre de
l'Intérieur – et Bagnou Beïdo, lequel sera également mis en cause,
comme nous l'avons vu, pour la mort en détention de Sani Souna
Sido. Ces derniers sont coupables à leurs yeux d'avoir fait empirer
de leur temps, par un comportement autoritaire, la situation dans
la région.
Finalement la Conférence ne prend qu'une seule véritable
sanction : elle met le capitaine Maliki Boureïma à la disposition de
la justice militaire, qui s'avérera être en fait un conseil de
discipline – lequel, à propos de cette affaire, aura d'ailleurs à
connaître des cas d'autres officiers. Il est vrai que le capitaine
Boureïma (couvrant ainsi, on l'apprendra plus tard, un de ses
hommes) a avoué devant le forum qu'il avait achevé lui-même le
vieil Abdoulmoumine, un Touareg réputé pour sa sagesse et sa
culture.
Ces mesures sont loin de satisfaire les plaignants et leurs amis,
dont le sentiment de frustration va croissant, au point que des
Touaregs militants de l'Union pour la démocratie et le progrès
social (UDPS), un parti représenté à la Conférence, réclament
finalement à celle-ci l'instauration du fédéralisme, seul système
qui, disent-ils, permettrait aux Touaregs de gérer leurs propres
affaires. Une option que ne partage pas la Conférence : si celle-ci
est plutôt favorable à une décentralisation administrative qui
profiterait à toutes les régions du pays sans exception, elle estime
qu'il serait dangereux de renoncer à être un État unitaire. Cette
différence de conception dépasse de loin le niveau du simple
échange de vues puisque, comme on l'apprendra plus tard, c'est
en pleine Conférence nationale, une semaine après la fin du débat
sur l'affaire de Tchin-Tabaraden, que des Touaregs rassemblés
136
dans le Kori d'Agadour, non loin de la cité minière d'Arlit, créent le
19 octobre 1991, dans la plus grande discrétion, le Front de
libération de l'Aïr et de l'Azawad (FLAA). Le même mois, des
rebelles lancent contre la localité d'In Gall, où ils tuent cinq gardes
républicains, leur première attaque d'envergure. Des
harcèlements moins importants avaient en fait déjà ponctué toute
la durée de la Conférence.
Par l'article 2 de ses statuts, celle-ci ne s'est pas seulement imposé
de faire un bilan du passé mais aussi d'élaborer de nouvelles
orientations pour la vie politique, économique et socioculturelle
du pays. Ainsi par exemple, en matière d'économie et de finances,
ne se contente-t-elle pas d'étudier, sur présentation de sa
commission “Crimes et Abus”, la banqueroute de la Banque de
développement de la République du Niger, la gestion de l'Office
des produits vivriers ou encore le déficit de la Caisse nationale de
sécurité sociale – à qui l'État doit 21 milliards de francs CFA. Il lui
faut aussi décider si le Niger devra ou non se soumettre à un
Programme d'ajustement structurel (PAS).
C'est que les finances n'ont pas guéri de leurs maux : à la fin du
forum, l'État devra deux mois de salaire à ses agents. Sans écarter
tout recours à un PAS, les conférenciers l'assortissent toutefois de
conditions (aucune réduction de la masse salariale, des bourses
d'enseignement et des effectifs de la fonction publique,
notamment) tellement contradictoires avec les exigences du FMI
et de la Banque mondiale qu'elles équivalent à un rejet. Le fait
n'est pas pour étonner, le précédent PAS ayant été suspendu par
l'ancien régime, sous la pression des syndicats, en raison de ses
effets sur les populations pauvres du pays ; mais il n'ira pas sans
inconvénient, en l'absence d'un substitut crédible à l'ajustement.
Celui qui est retenu par les conférenciers, la “mobilisation des
ressources internes”, s'avérera en effet être inapplicable pour les
futurs gouvernants.
Ceux-ci sont choisis par les conférenciers avant que, le 4
novembre 1991, ils se séparent. Pour ce faire, ils adoptent, outre
une Charte des partis politiques, un acte XXI (29 octobre 1991)
qui, en attendant la mise en vigueur d'une nouvelle loi
fondamentale, sert de constitution.
Le texte recrée un poste de Premier ministre et pour l'occuper la
Conférence choisit Amadou Cheffou, un ingénieur qui
représentait auparavant à Dakar l'Organisation de l'aviation civile.
137
À côté du gouvernement, l'acte XXI crée un pouvoir législatif,
confié à un Haut Conseil de la République (HCR). Composé de
quinze membres, dont cinq permanents, ce HCR reçoit parmi ses
missions celle d'assurer le contrôle de l'action gouvernementale
et le suivi des décisions du forum. À cette tâche n'est pas étrangère
l'élection le 2 novembre, comme président du Haut Conseil,
d'André Salifou, qui se trouvait déjà à la tête du Présidium de la
Conférence.
Par souci de continuité, les conférenciers reconduisent en outre le
général Ali Saïbou dans ses fonctions protocolaires de chef de
l'État, “incarnation de l'unité nationale”.
La Conférence nationale du Niger laisse un bilan composite.
Comment en serait-il autrement ? Après tant d'années de silence,
passées sous des régimes militaires ou de parti unique, les
premières paroles libres des Nigériens ne pouvaient que dépasser
parfois la mesure, comme portées par un besoin de défoulement
collectif.
Les délégués participant au grand forum se sont ainsi montrés
dans leur majorité des adversaires résolus des pouvoirs établis
passés et présents. Aucune occasion n'a été manquée par eux
pour en faire impitoyablement le procès. Pour ces censeurs – dont
quelques-uns devaient, ce faisant, gommer certains détails de leur
cursus personnel –, tout se passait comme si le Niger était tombé
du ciel un 29 juillet 1991, les régimes antérieurs à la Conférence
n'ayant à leurs yeux rien accompli d'utile pour le pays et ses
populations.
Si ces réquisitoires excessifs ont pu laisser des marques, ils ne
peuvent occulter les aspects du forum de Niamey : en elle-même,
la réunion des conférenciers symbolisa déjà la fin de
l'autoritarisme et l'avènement – du moins, à ce moment-là,
chacun le pensait-il – de l'ère de la démocratie. En outre, la
Conférence a tracé des perspectives pour l'avenir et créé des
institutions de transition, instruments qui pourront être utilisés
plus ou moins bien, mais qui auront le mérite d'exister.
Moins spectaculaires, certes, que les débats en séance plénière, les
travaux en commissions de la Conférence, surtout, ont été
importants : embrassant tous les aspects de la vie au Niger, les
études qui ont été ainsi réalisées par les commissions pourraient
constituer une bonne base pour tous ceux qui auront à faire
avancer ce pays.
138
DEUXIÈME PARTIE
L'ÉVOLUTION CHAOTIQUE DU PROCESSUS
DÉMOCRATIQUE NIGÉRIEN
DE NOVEMBRE 1991 À NOVEMBRE 1999 (5)
De novembre 1991 à novembre 1999, autrement dit de la
Conférence nationale à l'élection du premier Président de la
Ve République, le Niger n'a pas connu en neuf ans moins de cinq
régimes politiques, à savoir :
– une période de transition démocratique décidée par la
Conférence nationale souveraine ;
– la IIIe République ;
– le régime d'exception instauré au lendemain du coup d'État
militaire du 27 janvier 1996 ;
– la IVe République ;
– et un autre régime d'exception inauguré par le coup d'État
militaire du 9 avril 1999 et qui prendra fin après l'investiture du
premier Président de la Ve République élu le 24 novembre 1999.
I - DE LA PÉRIODE DE TRANSITION DÉMOCRATIQUE
(NOVEMBRE 1991-AVRIL 1993)
On le sait, la Conférence nationale souveraine se sépare le 3
novembre 1991. Trois jours plus tard, le Premier ministre Cheiffou
Amadou forme son gouvernement et la “transition nigérienne” se
met donc au travail sous la conduite de ses trois principaux
responsables qui ne pourront pas être candidats à la future
élection présidentielle.
Si cette décision a été prise pour éloigner d'eux, autant que faire se
peut, l'esprit d'électoralisme, cette dernière préoccupation n'est en
revanche pas absente chez nombre de leurs compatriotes. Dès le
début de la transition, le Niger vit en effet dans un climat de précampagne électorale. Les dirigeants des scolaires et des travailleurs
qui pourtant, non sans courage, avaient sous le régime de parti
unique conduit le pays vers la Conférence nationale, se comportent
désormais essentiellement comme des militants de partis
politiques. Avant tout soucieux d'assurer la victoire de leurs
formations respectives aux futures élections législatives et
présidentielle, ils ne consentent aucune trêve sociale aux autorités
de la transition, qu'ils ont eux-mêmes contribué à mettre en place,
139
leur réclamant sans délai le règlement de leurs arriérés de bourses
et de salaires.
Face à ces revendications, les nouvelles autorités sont bien
désarmées. Transitoires, donc sans réel pouvoir, elles ont hérité
d'un État d'autant plus insolvable que la Conférence nationale
leur a d'avance interdit tout Programme d'ajustement structurel
(PAS). Lorsque les scolaires crient “Si le PAS passe, on trépasse”, les
partenaires du Niger répondent : “Pas d'aide financière
substantielle sans PAS”. Ainsi la situation financière du Niger se
détériore-t-elle de jour en jour, malgré la perfusion opérée par
quelques pays qui, pour permettre sa survie, lui lâchent de
maigres subsides. Il ne sera donc point surprenant de voir le pays,
parvenu à la fin de la période de transition, cumuler pratiquement
cinq mois d'arriérés de salaires.
Cet épuisement des ressources est d'autant plus inquiétant que
les autorités doivent faire face, dans le Nord, à la rébellion
touarègue. Dans un communiqué du 5 janvier 1992, le Front de
libération de l'Aïr et de l'Azawad (FLAA), qui a été fondé le 19
octobre précédent, se manifeste pour la première fois en
menaçant d'attaquer “tout ce qui représente l'État répressif” si le
gouvernement ne trouve pas une solution au problème du Nord.
Les Présidents de la République et du HCR et le chef du
gouvernement répondent conjointement au FLAA par un
communiqué radiodiffusé et télévisé du 8 janvier 1992 dans lequel
ils reconnaissent l'existence d'une rébellion touarègue et lui
demandent de leur indiquer quelles sont sa plate-forme
revendicative et la composition de son organe de direction. Ils font
en outre part de leur désir de voir le FLAA libérer les otages qu'il
détient.
Un mois plus tard, Rhissa Ag Boula, commandant en chef du
FLAA, déclare que le Front ne détient pas d'otages mais des
prisonniers, tous militaires, capturés au cours de ses opérations,
et qui seront traités selon la Convention de Genève.
Les trois principaux organes de la transition, en mai 1992,
acceptent que la France joue un rôle de “facilitateur” entre eux et
la rébellion. Paris désigne pour ce faire le préfet Claude
Silberzahn, patron de la Direction générale de la sûreté de l'État
(DGSE).
140
Tandis que les négociations sont entamées en juillet 1992 à Paris –
à travers la presse, les rebelles feront savoir que leur revendication
reste le fédéralisme (19) –, les attaques armées se poursuivent sur
le terrain. Entre août 1991 et mars 1993, elles auront touché
plusieurs dizaines de localités. Montés sur une cinquantaine de
véhicules tout terrain, les rebelles disposent d'un armement
moderne relativement important. Convenablement entraînés, ils
possèdent aussi une bonne connaissance des zones nomades qui
facilite leurs embuscades.
L'armée voit dans celles-ci l'œuvre de complices de la rébellion,
dévoilant ses plans, cachés parfois en son sein même. Elle déplore
à l'inverse de voir les populations du Nord, par solidarité ou
crainte, répugner à la renseigner. Au gouvernement, qui s'en
défend, elle reproche de limiter ses moyens matériels, en raison
des difficultés financières, et s'indigne de retrouver trop souvent
au combat, face à elle, des rebelles précédemment capturés et
trop vite libérés, à ses yeux. Elle estime en outre que les autorités
tiennent trop peu compte des rapports de police et de
gendarmerie relevant une circulation d'armes entre la région du
lac Tchad et le Ténéré, à travers le pays Toubou, avec tous les
risques que cela implique pour la stabilité de cette région.
Bien des griefs qui grossissent au point d'inciter finalement les
militaires du rang à enfreindre les règles de la discipline pour
accomplir de leur propre chef ce qu'ils attendaient des
responsables politiques : entre le 27 août 1992 et la fin de
septembre, ils arrêtent cent cinquante personnes, touarègues
dans leur majorité, pour “complicité avec la rébellion”. Parmi les
détenus figurent quelques personnalités, et non des moindres,
telles que El Moctar Icha, préfet d'Agadez, le commandant Illias El
Mahadi, de l'état-major des forces armées, l'ancien député Akoli
Daouel, président du Parti pour l'union nationale et la démocratie
(PNUD-Salama), et même Mohamed Moussa, ancien ministre de
l'Intérieur, devenu entre-temps, ministre du Commerce, des
Transports et du Tourisme.
Ce n'est pas la première fois d'ailleurs que se produit un
“mouvement de la troupe”. Déjà, du 26 février au 3 mars 1992, puis
dans la troisième semaine de mars, des militaires avaient
manifesté dans Niamey pour obtenir de meilleures conditions de
travail et la libération du capitaine Maliki Boureïma, lequel avait
été déféré à la justice militaire, lors de la Conférence nationale,
pour répondre de la seconde affaire de Tchin-Tabaraden ; ils
141
avaient même pris comme otages, dans la nuit du 27 au 28 février,
le président du HCR, André Salifou, et le ministre de l'Intérieur. Le
capitaine Boureïma avait été mis en liberté provisoire après une
journée de concertation, le 20 mars, entre la transition et les
représentants de toutes les organisations nationales, et la troupe
était alors rentrée dans le rang.
Si ce premier mouvement n'était pas passé inaperçu, celui d'août
1992, par son caractère et son ampleur, le dépasse en résonance :
l'opinion publique de l'Europe occidentale réclame en effet la
libération des Touaregs arrêtés par la “Troupe”. Comment ignorer
une telle démarche alors même qu'elle émane des pays qui aident
le Niger ?
Les trois principaux organes de la transition décident donc, le
13 novembre, de calmer le jeu en créant les conditions permettant
aux armes de se taire. Cela suppose à terme la libération des
personnes détenues par la “Troupe” et par les rebelles, ainsi qu’au
moment opportun l'ouverture d'un débat national, avec la
participation des rebelles, sur la régionalisation.
Malgré ces décisions affichées, les négociations traînent et ce pour
deux raisons presque parallèles : d'une part, une mauvaise
coordination entre Mano Dayak, qui travaille en France pour la
rébellion, et les combattants du désert, d'autre part, la
mésentente entre le Premier ministre et le président du HCR.
En effet, celui-ci reproche à celui-là de vouloir, malgré les
apparences, gérer seul en fait le “dossier rébellion”.
De telles dissonances ont d'ailleurs été notées en d'autres
domaines, par exemple lorsque le gouvernement, désapprouvé en
cela par le président du Haut Conseil de la République, a renoué le
12 août 1992, pour obtenir un prêt, des rapports avec la
République de Chine (Taiwan), et donc rompu ipso facto ses
relations avec le pays rival, la République populaire de Chine
(Pékin).
Quelles que soient parfois ces différences d'optique, les autorités
de la transition savent qu'en ce qui concerne la question du Nord
il devient urgent pour elles d'aboutir à une solution.
C'est qu'après l'adoption le 26 décembre 1992, par 89 % des
votants, lors d'un référendum, d'une nouvelle constitution,
142
elles ont désormais pour préoccupation principale
l'organisation d'élections législatives et présidentielle. Aussi
désirent-elles aboutir à un dénouement au moins en ce qui
concerne le sort des personnes détenues par les rebelles et par
la “Troupe”.
Au demeurant, négociations et élections ne vont pas sans
interférer. La rébellion ne voit par exemple pas d'un bon œil la
possibilité d'une élection à la tête de l'État du colonel en retraite
Mamadou Tandja, président du Mouvement national pour la
société de développement (MNSD), l'ex-parti unique, que des
Touaregs avaient mis en cause, notamment pour son ancienne
gestion en tant que préfet, devant la Conférence nationale (6). Or
Mamadou Tandja arrive en tête au premier tour de l'élection
présidentielle, le 27 février. Heureusement pour ses adversaires,
son score est faible : 34,39 %, contre 26,78 % à Mahamane
Ousmane, 15,59 % à Mahamadou Issoufou et 15,09 % à Adamou
Moumouni Djermakoye. Aussi ces trois derniers candidats
allient-ils leurs partis respectifs le 2 mars 1993 à six autres
formations pour constituer une Alliance des forces du
changement qui, mathématiquement, compromet les chances
du candidat Tandja. En effet, chacun œuvrant pour son compte,
les neuf partis membres de cette AFC naissante ont déjà obtenu
lors des élections législatives qui ont eu lieu le 14 février, 50 des 83
sièges de députés. Et parmi ces coalisés se trouvent l'Union pour
la démocratie et le progrès social (UPDP-Amana) qui, lors de la
Conférence nationale, défendait au nom des Touaregs le
fédéralisme, et le Parti pour l'union nationale et la démocratie,
autre sympathisant de la cause touarègue.
Cette évolution politique est jugée suffisamment satisfaisante par
la rébellion pour que Mano Dayak signe au nom de celle-ci le 19
mars, entre les deux tours de la présidentielle, un accord de trêve
avec Albert Wright, agissant pour le compte des autorités de la
transition.
La victoire de Mahamane Ousmane le 27 mars 1993, au second
tour de l'élection présidentielle, avec près de 55 % des suffrages
exprimés – le taux de participation étant de 35 % – ne peut qu'aller
dans le même sens.
Étape suivante du règlement de la question du Nord, la libération
des trente et une personnes qui avaient finalement été
maintenues en détention après leur arrestation par la troupe, et
143
qui devaient comparaître sous l'inculpation de complicité avec la
rébellion devant la Cour de sûreté de l'État, intervient en avril.
Le 16 avril 1993, le nouveau Président de la République,
Mahamane Ousmane, laisse entendre, au cours de la cérémonie
de sa prestation de serment, laquelle se déroule dans la salle du
palais de sports où avait siégé la Conférence nationale, que le
problème de la rébellion touarègue est pratiquement réglé.
Même si elle a pâti des problèmes dont elle avait hérité, tels que
l'insolvabilité de l'État, le manque d'autorité de celui-ci, et la
rébellion touarègue, la transition, qui a duré un peu plus de dixsept mois, a ainsi accompli la tâche principale qui lui avait été
confiée : mettre en place, après des élections démocratiques, les
institutions de la IIIe République.
II - DE L'ALLIANCE DES FORCES DU CHANGEMENT
Si, en formant l'Alliance des forces du changement (AFC), neuf
partis ont pu gagner l'élection présidentielle, construisant du
même coup une majorité parlementaire, ils auront moins de
facilité à gouverner ensemble le pays. C'est qu'il leur faudra
diviser par neuf la liste des postes à responsabilités – non sans être
accusés par l'opposition de les accaparer – et qu'à ce jeu l'une ou
l'autre des composantes de la coalition majoritaire s'estimera
parfois lésée.
Les trois principales composantes de l'AFC sont :
– la Convention démocratique et sociale (CDS-Rahama) de
Mahamane Ousmane, représentée à l'Assemblée par vingtdeux députés ;
– le Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme (PNDSTarayya) de Mahamadou Issoufou qui compte treize députés à
l'Assemblée ;
– l'Alliance nigérienne pour la démocratie et le progrès (ANDPZaman Lahiya) de Moumouni Djermakoye Adamou avec onze
députés. (7)
Le 17 avril, Mahamadou Issoufou, secrétaire général du PNDS est
nommé Premier ministre.
144
Le nouveau chef du gouvernement mettra en revanche une
semaine à composer celui-ci, car la distribution des portefeuilles
entre les vainqueurs est un peu plus complexe que celle des
hautes fonctions. En raison de ce subtil dosage, la nouvelle
équipe, comprenant vingt-huit membres, est pléthorique et par
conséquent coûteuse. Au plan politique, elle est inexpérimentée –
(à la seule exception de son ministre de la Santé, qui a été
secrétaire général d'un ministère) – comme il arrive souvent dans
un pays qui a longtemps été gouverné par un régime autocratique.
Le nouveau gouvernement a pour première tâche de porter
remède à l'anémie financière du pays. Pour ce faire, il lui faut
mobiliser ses ressources internes puisque, depuis la Conférence
nationale, le Niger refuse sa mise sous Programme d'ajustement
structurel (PAS). Une politique toutefois difficile à mener après
que la formation du chef de l'État, la CDS, a promis pendant les
campagnes électorales de supprimer nombre d'impôts et de
droits de douane si elle parvenait au pouvoir. L'imprudence de
telles promesses éclate après l'élection lorsque la population
manifeste sa déception. Ainsi les travailleurs et les scolaires
s'irritent-ils, réclamant pour leur part le paiement de leurs
arriérés de salaires et de bourses ainsi que l'amélioration de leurs
conditions de travail.
Défendant ces revendications, cent cinquante étudiants
observent le 18 juin 1993 une grève de la faim devant le Parlement.
Le 7 du mois suivant, ce sont les fonctionnaires qui font une grève
d'avertissement. L'atmosphère sociale s'alourdit de façon encore
plus périlleuse quand, le 10 juillet, afin d'obtenir notamment le
versement de plusieurs mois d'arriérés de salaires, l'escadron
blindé de Zinder se mutine.
Est-ce le prélude à un coup de force qui ramènerait les militaires
sur la scène politique ?
Le Premier ministre a bien dû se poser la question lorsque son
avion a été empêché d'atterrir sur l'aéroport de Zinder, neutralisé
par les mutins. Ainsi a-t-il été contraint de regagner
précipitamment Niamey et d'interrompre la tournée de prise de
contact qu'il effectuait dans tous les chefs-lieux de département.
Le 12 juillet, le Président Mahamane Ousmane monte au créneau
pour lancer un appel au loyalisme et au patriotisme des forces
armées.
145
C'est dans cette atmosphère déjà survoltée que les Nigériens
voient se compliquer les problèmes du Nord. Rassurés, le 10 juin
1993, par la conclusion entre le gouvernement et la rébellion d'un
nouvel accord de trêve, confirmant pour trois mois celui du 19
mars, ils ont appris peu après la naissance de deux tendances
dissidentes du FLAA, et divergentes. La première, qui s'est
manifestée le 19 juin sous le nom de Front de libération du
Tamoust (FLT), est dirigée par Mano Dayyak, signataire des
accords de trêve et jusqu'alors porte-parole de la rébellion ; elle a
affirmé sa disponibilité pour un “dialogue franc et sincère”. À
l'inverse, l'Armée révolutionnaire de libération du Nord-Niger
(ARLN) a annoncé le 24 juin, en même temps que sa création, son
rejet de la trêve du 10 juin. Au début de 1994, naîtra dans le NordEst et le Sud-Est un nouveau mouvement fédéraliste, le Front
démocratique pour le renouveau (FDR), regroupant des groupes
toubou, arabes et kanouri.
Une aide de près de six milliards de francs CFA apportée par la
France vient en août 1993 insuffler une bouffée d'oxygène dans le
pesant climat qui s'est installé au Niger. Elle n'est pas sans
condition : Niamey doit assainir ses finances. Aussi le Président
Mahamane annonce-t-il le 10 octobre que le Niger conclura des
accords avec le FMI et la Banque mondiale. Le même jour le
gouvernement discute de mesures d'austérité avec les syndicats.
Ses relations avec ces derniers resteront toutefois marquées de
heurts. Aussi, le 17 mars 1994, l'Assemblée nationale adopte-t-elle,
en l'absence des députés de l'opposition, une loi limitant le droit
de grève.
Commencée la veille, cette session du Parlement est du reste
marquée par un bras de fer entre l'AFC et l'opposition. Les partis
composant celle-ci rédigent un mémorandum sur l'état de la
Nation, qu'ils adressent au président de la Cour suprême et au
chef de l'État, en même temps qu'une lettre dans laquelle ils
notifient à ce dernier leur intention d'appeler les Nigériens à la
désobéissance civile, ainsi que le leur permet, relèvent-ils, l'article
6 de la constitution. Ils veulent ainsi protester contre les
“multiples violations” de celle-ci par le pouvoir.
De fait, le 16 avril, cette désobéissance civile est déclenchée. Le
lendemain, des manifestants se heurtent dans Niamey aux forces
de l'ordre. Celles-ci recensent un mort et vingt blessés et arrêtent
de nombreuses personnes. Elles placent notamment en garde à
vue Mamadou Tandja, du Mouvement national pour la société de
146
développement, Issoufou Assoumane, du Sawaba et André
Salifou, de l'Union des patriotes démocrates et progressistes, bien
qu'ils n'aient en fait participé à aucune manifestation publique.
Ces dirigeants sont relâchés le 21 avril mais, trois jours plus tard,
le gouvernement obtient de l'Assemblée nationale la levée de
l'immunité parlementaire de tous les députés de l'opposition.
Un arrangement intervient le 30 mai : l'opposition se voit attribuer
quelques postes dans le bureau de l'Assemblée. Ainsi Amadou
Hama, chef du groupe parlementaire MNSD-Nassara, en devientil vice-président. Mais la tension persiste, au point que la majorité
parlementaire doit repousser, le 11 août 1994, une motion de
censure déposée par l'opposition.
Ce répit pour l'AFC ne masque plus le vrai danger, de nature
interne, qui la menace. Déjà, en septembre de l'année précédente,
l'ANDP, le parti du président de l'Assemblée, avait marqué son
mécontentement de n'avoir pas obtenu un certain nombre de
postes importants, dont celui de trésorier général, promis à ses
militants. En 1994, si les raisons sont les mêmes, la crise va plus
loin. Cette fois, c'est le PNDS qui entre en lice, mais c'est pour
prendre la décision sans retour de se retirer le 28 septembre de
l'Alliance des forces du changement, tandis que son dirigeant,
Mahamadou Issoufou, démissionne de son poste de Premier
ministre. Le PNDS et le MNSD, l'ancien parti unique devenu la
principale force de l'opposition, proclament ensuite leur
“rapprochement”.
Une union de circonstance, brocardée par certains comme étant
un “mariage de la carpe et du lapin”, mais qui permet le 16 octobre
1994 à l'opposition, par quarante-six des quatre-vingt-trois
députés que compte l'Assemblée, de sanctionner par une motion
de censure Abdoulaye Souley, ministre du Commerce et des
Transports dans le cabinet sortant, que le Président Ousmane a
nommé Premier ministre quelques heures après la démission de
Mahamadou Issoufou.
Le chef de l'État répond le lendemain à la censure en dissolvant
l'Assemblée, tout en reconduisant Abdoulaye Souley, qui est l'un
de ses proches, dans son poste de Premier ministre.
Entre-temps, le 25 septembre, le gouvernement et la rébellion du
Nord ont renoué le dialogue et, le 9 octobre, ils sont parvenus à un
“accord de paix” à Ouagadougou. Le document affirme à la fois le
147
“caractère indivisible” du pays et le droit des populations à “gérer
leurs propres affaires”. Il est assorti d'une trêve de trois mois.
Une réussite qui ne change rien au sort de l'AFC présidentielle. Le
12 janvier 1995, les élections législatives anticipées lui font perdre
la majorité parlementaire, de justesse il est vrai, avec 40 sièges sur
83, et la contraignent à subir désormais un régime de
cohabitation.
III - DE LA “COHABITATION” À LA NIGÉRIENNE
“À la nigérienne” ? Oui ! Simplement parce qu'elle a très peu de
similitude avec celle qu'avaient inaugurée François Mitterrand et
Jacques Chirac en 1986, et qui s'était répétée quelques années
plus tard entre le même François Mitterrand et un autre Premier
ministre de droite, en l'occurrence Édouard Balladur.
La nouvelle majorité se prépare donc à prendre en main la gestion
du pays. Et, pour commencer, elle propose au chef de l'État la
nomination de Hama Amadou, secrétaire général du MNSD au
poste de Premier ministre. Mais, faisant fi de ce choix, Mahamane
Ousmane décide d'accorder sa préférence à Amadou Boubacar
Cissé, militant du même Mouvement pour la société de
développement et fonctionnaire de la Banque mondiale : c'est le
premier accroc dans la cohabitation.
De fait, le chef de l'État et ses alliés se croient non pas en situation
de cohabitation, mais dans un régime de “cogestion”.
Au sein du Parlement, le changement attendu au perchoir s'opère
sans difficulté : Mahamadou Issoufou, secrétaire général du PNDS
est élu président de l'Assemblée nationale contre Moumouni
Djermakoye Adamou, allié de Mahamadou Ousmane et candidat
à sa propre succession.
Pendant ce temps, le nouveau Premier ministre cherche
vainement à former son gouvernement.
Se plaçant sur le terrain politique, la nouvelle majorité qui entend
s'en débarrasser décide de déposer une motion de censure contre
Amadou Boubacar Cissé. Renversé le 20 février, le Premier
ministre présente dès le lendemain sa démission au chef de l'État
qui, s'inclinant enfin devant les exigences de la majorité
parlementaire, nomme Hama Amadou Premier ministre. Le 25
148
février 1995 le quatrième gouvernement de la IIIe République est
formé : il compte dix-sept ministres, y compris le chef du
gouvernement. Cela dit, pour Hama Amadou, le plus difficile reste
à faire : se préparer à une guerre d'usure contre un chef de l'État
retors et prendre sur tous les fronts les commandes de l'État.
Dans le bras de fer qui va l'opposer à son Premier ministre,
Mahamane Ousmane se montre d'autant plus intransigeant que
ses amis politiques et lui-même ont affaire, selon leur propre
expression, à une “majorité étriquée” de 43 députés contre 40 à
l'opposition !
Le 24 avril 1995, Hama Amadou signe solennellement un accord
de paix avec la rébellion touarègue représentée par l'Organisation
de la résistance armée (ORA).
Mais sur le front social rien ne s'arrange.
Les milieux scolaires notamment, privés de leurs bourses et autres
allocations depuis plusieurs mois, s'agitent et finissent par
commettre le 8 juin des actes de vandalisme notamment à Niamey
et à Zinder.
Le 6 juillet l'on assiste à une nouvelle crise au sein du pouvoir
exécutif ; ce jour-là Mahamane Ousmane refuse de présider le
Conseil des ministres et fait interdire au Premier ministre l'accès
aux locaux qui accueillent habituellement cette réunion.
Ulcéré, Hama Amadou fait lire par le porte-parole du
gouvernement un communiqué où il fustige le comportement
inacceptable du chef de l'État et annonce la suspension de tous les
directeurs généraux des sociétés de leur fonction : le pays s'engage
ainsi dans une crise sans précédent qui va durer un peu plus de cinq
semaines. Cinq semaines durant lesquelles le fonctionnement de
l'État reste paralysé malgré l'intervention de nombreux médiateurs
tant nigériens qu'étrangers, soucieux d'amener Mahamane
Ousmane et Hama Amadou à trouver entre eux un terrain d'entente
afin d'éviter à un pays déjà meurtri de sombrer dans le chaos. (8)
Le 4 août, devant le refus persistant du chef de l'État de présider
les conseils des ministres, le Premier ministre en préside un où
“plusieurs mesures nominatives ont été adoptées”, en particulier
celles d'un certain nombre de directeurs généraux de sociétés.
149
Le même jour, dans une déclaration radiotélévisée, la présidence
de la République attire l'attention du peuple nigérien sur le
caractère anticonstitutionnel du conseil des ministres présidé par
M. Hama Amadou et la nullité qui, ipso facto, frappe les décisions
prises à cette occasion.
Le 9 août l'Union des syndicats des travailleurs du Niger (USTN),
renvoyant dos à dos le chef de l'État et son Premier ministre, leur
donne jusqu'au 11 août pour que tout rentre dans l'ordre. “Faute
de quoi, (elle) mobilisera tous ses militant(e)s et sympathisant(e)s
et associera à ses actions de lutte qu'impose la situation, les
associations féminines, les organisations politiques, les patriotes
démocrates sincères pour démettre de ses fonctions tout
responsable de l'exécutif qui ne se pliera pas à nos exigences” (9).
Mahamane Ousmane attend le 11 août pour annoncer la tenue
d'un conseil des ministres le 15, tout en précisant d'ailleurs que la
nomination des directeurs généraux des sociétés ne figurera pas à
l'ordre du jour de ce conseil. Le jour venu, le chef de l'État tient
effectivement parole et le fonctionnement de l'État commence de
nouveau à se normaliser.
Le 17 août, le Premier ministre adresse enfin à la Cour suprême
une requête “tendant à l'interprétation de la notion de
cohabitation et des articles 48, 49, 58, 62 et 63 de la constitution
relatifs à l'organisation du Conseil des ministres, à la conduite de
l'action gouvernementale et à la promulgation des lois”.
Mais, tandis que Mahamane Ousmane est engagé dans un combat
politique sans merci contre son Premier ministre, la discorde
s'installe au sein même de sa propre coalition. En effet, le 23 août,
un groupe de militants de l'ANDP (parti de Moumouni
Djermakoye Adamou) conduit par Moumouni Yacouba, député et
président du groupe parlementaire dudit parti, dénonce
l'affiliation de leur formation politique à la mouvance
présidentielle.
Le 5 septembre, répondant à la requête du Premier ministre, la
Cour suprême écrit notamment dans son arrêt n° 95-05/Ch. Cons.
que
“la notion de cohabitation signifie l'existence de deux légitimités
dont les programmes politiques ne convergent pas” ;
150
En cas de cohabitation, il y a alternance de pouvoir et non
“cogestion” ou “coresponsabilité” ;
La présidence du conseil des ministres est une obligation
constitutionnelle du Président de la République ; qu'en
conséquence celui-ci ne peut, sans aller à l'encontre de son
serment, refuser de présider le Conseil des ministres ;
Il n'y a aucune disposition constitutionnelle permettant au
gouvernement de déterminer et de conduire la politique de la
Nation en dehors des délibérations faites en Conseil des ministres,
présidé par le Président de la République ;
Le gouvernement ou l'un de ses membres ne peut se prévaloir
d'un éventuel refus du Président de la République de présider le
Conseil des ministres pour exercer des attributions
constitutionnelles qui ne sont pas les siennes ;
La promulgation des lois est une obligation constitutionnelle du
Président de la République à laquelle il ne peut se soustraire.
Sur un tout autre plan, la tension sociale persiste. Les travailleurs
ne rentrent pas dans leurs droits, les produits de première
nécessité coûtent de plus en plus cher, le tout dans un pays où les
mauvaises récoltes enregistrées au terme d'un hivernage
capricieux laissent entrevoir à l'horizon le spectre de la famine.
L'année 1995 s'achève dans un climat politique et social
extrêmement tendu et un contexte économique morose. Plus que
jamais, Mahamane Ousmane, qui, dans la dernière décade du
mois de décembre, a effectué une tournée dans le département de
Zinder, son “pays” et son fief, semble avoir regagné la capitale avec
la ferme détermination d'en découdre avec le gouvernement et la
majorité parlementaire qui le soutient.
Et sa résolution est d'autant plus grande que la date du 27 janvier
1996, terme à partir duquel il peut encore dissoudre l'Assemblée
s'il le désire, n'est pas loin.
En attendant, le pays est figé. Indiscutablement, les deux plus
hauts responsables du pouvoir exécutif ont, par leur
comportement, conduit à un “blocage de fait de l'appareil de
l'État”. Pis, tout absorbés par leurs querelles incessantes, le
Président de la République et le Premier ministre ont fini par
151
reléguer au second plan les difficultés de toutes sortes qui
accablent la quasi-totalité de la population du pays : une situation
que rendent encore plus inquiétantes les rumeurs d'un coup
d'État militaire qui serait en préparation.
Une éventualité qu'à Niamey notamment la population semble
appeler de tous ses vœux, la démocratie en cours dans le pays
depuis la Conférence nationale s'étant révélée à ses yeux pire que
tous les régimes politiques antérieurs à cette date. Quel paradoxe !
L'armée revient effectivement aux affaires, suite au coup d'État
militaire du 27 janvier 1996, conduit en plein jour, en période de
ramadan (jeûne musulman) par le colonel Ibrahim Maïnassara
Baré, chef d'état-major des forces armées nigériennes, depuis à
peine huit mois.
Ainsi donc prend fin la cohabitation entre Mahamane Ousmane et
Hama Amadou.
IV - DU RÉGIME D'IBRAHIM MAÏNASSARA BARÉ
A. La période d'exception
Dans la déclaration qu'il a faite le soir même du putsch, le colonel
Ibrahim Maïnassara justifie cette nouvelle irruption de l'armée
sur la scène politique, entre autres par la “crise absurde,
irraisonnée et personnalisée” qui régnait au sommet de l'État ;
avant d'ajouter : “face à ce péril majeur pour notre laborieux
peuple, les forces armées nigériennes ont décidé ce jour, 27
janvier 1996, de prendre leurs responsabilités”. Puis, en sa qualité
de chef d'état-major général des FAN, le colonel Ibrahim
Maïnassara Baré décide et proclame :
– la suspension de la Constitution du 26 décembre 1992 ;
– la destitution du Président de la République et du
gouvernement ;
– La dissolution de l'Assemblée nationale et du Conseil
supérieur de la communication ;
– la suspension, jusqu'à nouvel ordre, de tous les partis
politiques.
En outre, comme il est de mise en pareilles circonstances, le nouveau
maître du pays proclame l'état d'urgence sur l'ensemble du territoire
national et instaure un couvre-feu de 21 h à 5 h 30 du matin.
152
Enfin, le colonel Ibrahim Maïnassara Baré annonce que “le
Conseil de salut national (CSN) est investi de tous les pouvoirs
politiques” (10).
À plusieurs reprises, le colonel Ibrahim Maïnassara Baré répond
par la négative à tous ceux qui lui posent la question de savoir si,
à la fin de la période de transition, il se portera candidat à sa
propre succession.
Le mardi 31 janvier, le chef d'État nomme un Premier ministre en
la personne de Boukary Adji, vice-gouverneur de la Banque
centrale des États de l'Afrique de l'Ouest (BCEAO) et ancien
ministre des Finances de Seyni Kountché. Le choix porté sur ce
grand technocrate pour être inattendu n'en est pas moins
judicieux…
Mais venons-en aux réactions suscitées par ce coup d'État
militaire.
Pratiquement dans l'heure qui suit la fin des opérations,
l'ambassadeur de France au Niger se rend à l'état-major général
des forces armées nigériennes où, au nom de son pays, il dit leur
fait aux putschistes et exige d'eux le retour à la légalité
républicaine. Le pauvre diplomate se fait purement et simplement
éconduire. Les jours suivants, il multiplie de telles démarches,
sans plus de succès.
Le 28 janvier, un communiqué du ministre français des
Affaires étrangères, “condamne le coup d'État intervenu au
Niger” et annonce la suspension par la France de “sa
coopération civile et militaire avec ce pays”.
Sans tarder l'Union européenne, les États-Unis d'Amérique, le
Canada et les gouvernements allemand et danois, notamment, en
font autant.
Le Secrétaire général des Nations unies et celui de l'Organisation
de l'Unité africaine déplorent à leur tour l'interruption du
processus démocratique au Niger.
Le 11 février, à l'issue d'une rencontre avec le chef de l'État, les
anciens protagonistes de la cohabitation et l'ancien président de
l'Assemblée nationale reconnaissent, en présence de M. Ali
Bandiaré, président par intérim de la Cour Suprême, que la
153
constitution suspendue le jour du coup d'État militaire
comportait effectivement un certain nombre d'imperfections et
souhaitent expressément que les nouveaux responsables du pays
prennent toutes les dispositions utiles pour y remédier (11). Ce
jour-là, les Nigériens et une grande partie de l'opinion publique
internationale voient dans cette attitude la capitulation des trois
anciens dirigeants du pays.
À partir de cette date, personne ne réclame plus la restauration de
ces derniers dans leurs fonctions. En revanche, une pression de
plus en plus forte s'exerce sur le colonel Ibrahim Maïnassara Baré
pour qu'il organise le plus rapidement possible des élections
présidentielle et législatives équitables et transparentes.
Désormais, les événements se précipitent. En effet, encouragé par
tous les amis du Niger en général et les présidents des pays du
Conseil de l'Entente en particulier, le colonel Baré oriente
l'essentiel de ses activités vers la préparation des futures
consultations populaires :
– dès la fin de la première semaine d'avril 1996, les projets de
textes fondamentaux sont élaborés par un “forum” qui
regroupe plus d'une centaine de personnes (12) ;
– la charte des partis politiques prévoyant la création d'une
Commission électorale nationale indépendante (CENI) est
promulguée le 16 avril ;
– le 12 mai le peuple nigérien adopte sa nouvelle constitution
par référendum ;
– huit jours plus tard, les partis politiques sont de nouveau
autorisés à reprendre leurs activités.
L'élection présidentielle se déroule en deux jours, les 7 et 8 juillet
1996. Or, la diffusion par des mediaS privés plutôt favorables à
l'opposition des résultats relatifs à la première journée du scrutin
amène le pouvoir, le 8 juillet, à dissoudre la CENI pour la
remplacer par une Commission nationale électorale (CNE).
En fin de compte, Ibrahim Maïnassara Baré, promu général de
brigade depuis le 14 mai, remporte l'élection présidentielle avec
un peu plus de 52 % des voix. L'opposition crie au scandale et
parle même de “hold up électoral”.
154
Le 7 août, le Président Baré prête serment et est investi dans sa
nouvelle fonction. Organisée au sein d'un Front pour la
restauration de la défense de la démocratie (FRD), l'opposition
décide de son côté de poursuivre avec davantage de détermination
encore son combat politique et exige qu'un certain nombre de
conditions soient réunies pour qu'elle accepte de prendre part aux
élections législatives. En particulier elle insiste pour que :
– la CENI soit réhabilitée ;
– la Chambre constitutionnelle de la Cour suprême, qui ne lui
inspire aucune confiance, soit recomposée.
Le Conseil des sages joue les médiateurs entre le gouvernement et
le FRDD, qui, après quelques semaines de négociations,
aboutissent à un accord mais uniquement sur la CENI.
Finalement les élections législatives se tiennent le 23 novembre
1996, sans la participation de l'opposition.
Les 83 députés élus appartiennent donc tous à la mouvance
présidentielle !
Le 21 décembre 1996, le premier gouvernement de la IVe
République formé par le Président Ibrahim Maïnassara Baré ne
comporte aucun membre de l'opposition, ce qui ne facilitera pas
la gestion du pays.
B. Le Niger, sous la IVe République
Les nouvelles autorités du pays mènent un combat permanent,
principalement sur trois fronts :
– politique ;
– économique et financier ;
– social.
L'année 1997 commence mal pour le processus démocratique en
cours au Niger. En effet, dès le 11 janvier, le Front pour la
restauration et la défense de la démocratie (FRDD) organise sur
toute l'étendue du territoire national des réunions suivies de
marches. À Niamey, ces manifestations donnent lieu à de
violentes échauffourées. Des militants de l'opposition sont
molestés par les forces de l'ordre et les principaux chefs du FRDD
placés en garde à vue.
155
Après plusieurs jours de transactions, tous ces dirigeants sont
libérés. L'opposition, comme il se doit, poursuit son combat
politique et le gouvernement, comme il est de son devoir aussi,
tente de faire le travail pour lequel il a été mis en place, c'est-à-dire
essentiellement :
– garantir la sécurité des personnes et des biens ;
– remettre effectivement les Nigériens au travail ;
– poursuivre ou entamer, selon les cas, les réformes qu'exige la
situation économique et financière catastrophique du pays.
Réaliste, le chef de l'État demeure conscient de ce que la sérénité
indispensable à la conduite de toute action politique ne peut être
obtenue au Niger sans l'aval de l'opposition. Il propose donc à
cette dernière de rentrer dans un gouvernement d'ouverture. En
vain.
En fait, ce n'est pas que la proposition l'effarouche réellement
mais, sachant parfaitement qu'il représente une force
“incontournable” dans le pays, le FRDD répond qu'il ne lui
servirait à rien de compter des ministres au sein du gouvernement
si, dans le même temps, il n'était pas représenté à l'Assemblée
nationale. Et donc si le général Ibrahim Maïnassara Baré veut
réellement voir les opposants nigériens composer avec lui, qu'il
commence par dissoudre l'Assemblée nationale élue le 23
novembre 1996 et par organiser de nouvelles élections
législatives… Un préalable que le Président de la République
refuse de prendre en considération.
Sur un tout autre plan, le “dossier de la rébellion” est mal géré. Au
point d'ailleurs que nombre d'anciens rebelles dirigés les uns par
Barka Wardougou, les autres par Mohammed Anacko dénoncent
l'accord du 24 avril 1995, reprennent les armes et s'enfoncent
dans le désert nigérien d'où, périodiquement, ils lancent des
attaques contre les forces armées régulières.
Néanmoins, le 28 octobre 1997, à Tchin-Tabaraden, au cours
d'une cérémonie présidée par le Premier ministre Amadou
Boubacar Cissé, sept fronts touaregs et deux milices arabes
d'autodéfense sont désarmés.
Il n'empêche cependant que l'intégration et la réinsertion des “excombattants” et des rapatriés dans l'armée, la gendarmerie et
dans les structures économiques et sociales du pays sont
156
nettement compromises par l'indigence des ressources
financières.
Sur le plan économique et social la situation n'est guère plus
reluisante. En effet, un incroyable incivisme fiscal, aggravé par un
impardonnable laxisme de la part des pouvoirs publics fait qu'au
Niger les impôts et taxes de toutes sortes ne sont pas
normalement recouvrés depuis près d'une dizaine d'années.
Conséquemment, l'État demeure plus que jamais insolvable.
À en croire le Premier ministre Boubacar Amadou Cissé lui-même,
qui s'exprimait le 23 novembre 1997 devant la représentation
nationale, “les ressources extérieures nettes prévisionnelles
nécessaires au fonctionnement proprement dit, aux
investissements et à la charge de la dette publique que l'État doit
supporter, s'élèvent à 197,2 milliards pour l'année 1997. Cela
représente près de deux fois les ressources budgétaires annuelles
ou encore plus de deux mois de production du pays”.
Or, ajoute le coordonnateur de l'action gouvernementale, “à la fin
du mois de septembre, la mobilisation de financement extérieur
obtenue était de 95 milliards dont 33,2 milliards pour les dépenses
d'investissement et 61,8 milliards destinés au budget
général” (13).
Bien que ce résultat soit le plus important enregistré depuis une
demi-douzaine d'années, plus de 100 milliards restent encore à
rechercher à l'extérieur !
Les caisses de l'État demeurent donc désespérément vides et le
gouvernement a du mal à assurer le traitement des travailleurs.
Même l'agriculture, sur laquelle, en cette fin d'année 1997,
comptent les autorités nigériennes pour au moins nourrir les
populations à défaut de pouvoir les loger, les éduquer et les
soigner convenablement, ne répond pas à leur attente. En effet, la
production brute de céréales pour 1997-1998 est “évaluée à 1 896
000 tonnes, d'où un déficit de 394 000 tonnes contre 286 000
tonnes en 1996 et 267 000 tonnes en 1995”.
Le front social est mouvant durant toute l'année 1997. Les
syndicats, qu'ils soient d'ailleurs de travailleurs ou d'étudiants,
157
représentent depuis une décennie un véritable épouvantail pour
tous les régimes qui se sont succédé.
Bref, à la fin du mois de novembre, tout le pays, littéralement figé,
semble au bord de l'implosion… Le chef de l'État le reconnaît luimême et décide le 24 novembre 1997, dans un message à la
nation, de mettre en congé l'ensemble de l'équipe
gouvernementale “(…) qui désoriente bon nombre d'entre vous,
tant certaines de ses attitudes attentistes et ses agissements jurent
franchement avec les normes connues de bonne gouvernance, de
clairvoyance, de dynamisme et de solidarité” (14).
Vingt-deux mois après le coup d'État du 27 janvier 1996, le pays
est de nouveau dans l'impasse !
Le 1er décembre 1997, un nouveau gouvernement est mis en place
avec à sa tête Ibrahim Assane Mayaki, ministre des Affaires
étrangères et des Nigériens de l'extérieur dans l'équipe
précédente. Mais s'il est vrai que le gouvernement offre la
particularité d'avoir pour ministre du Tourisme Rhissa Ag Boula,
ex-chef du Front de libération de l'Aïr et de l'Azaouk (FLAA), il
n'en demeure pas moins que cet exécutif diffère bien peu de
l'ancien : quatorze de ses membres sur vingt-trois sont des
sortants !
Où se trouve l'ouverture qu'aurait pu laisser prévoir l'éclatante
mise en congé de la précédente équipe ?
Le changement survenu n'améliore en rien la sérénité politique
du pays. Au contraire, l'atmosphère s'alourdit même, dès le 1er
janvier 1998, lorsque la télévision nationale fait état d'un complot,
déjoué par la police, visant à assassiner, parmi d'autres
personnalités, le Président Baré. L'instigateur n'aurait été autre,
selon le présentateur du petit écran, qu'Amadou Hama, ancien
Premier ministre, secrétaire général du mouvement national pour
la société de développement (MNSD). Hama est arrêté le
lendemain en même temps qu'une dizaine de personnes, dont
Mohamed Bazoum, vice-président du Parti nigérien pour la
démocratie et le socialisme (PNDS), et Issoufou Assoumane,
secrétaire général de l'Union des démocrates et forces
progressistes (UDFP), anciens ministres respectivement, des
Affaires étrangères et des Mines. Accusé de constitution
d'organisation paramilitaire, Amadou Hama recouvre sa liberté,
158
sur ordre du Parquet, le 8 janvier. Puis, les événements se
précipitent :
– 14 janvier : le général reçoit huit dirigeants du Front pour la
restauration et la défense de la démocratie (FRDD), conduits
par Mahamane Ousmane. Il leur suggère de rechercher avec lui
“de nouvelles formes de relations et d'actions par lesquelles
pourrait s'instaurer enfin au Niger une démocratie
participative”.
Malheureusement pour le chef de l'État, des personnes de son
entourage familial, quand ce ne sont pas des membres du
gouvernement, font tout pour freiner son élan.
– le 27 janvier, jour anniversaire du coup d'État militaire
d'Ibrahim Maïnassara Baré, l'opposition tient un meeting à
Niamey et réclame toujours la dissolution de l'Assemblée.
– le 2 février 1997 l'opposition reçoit du renfort : l'ANDP
d'Adamou Moumouni Djermakoye, le Parti nigérien de
l'autogestion (PNA) de Sanoussi Jackou et le Parti pour l'unité
nationale et le développement (PUND) d'Akoli Daouel, tous
anciens membres de la mouvance présidentielle, décident de
se regrouper dans une Alliance des forces démocratiques et
sociales (AFDS) et de se rapprocher du FRDD pour former
désormais la seconde composante de l'opposition à
Maïnassara Baré.
– à partir du 21 février, les dirigeants du pays oublient
momentanément la politique pour juguler des mutineries qui
éclatent dans quatre garnisons. Une dizaine de personnalités
civiles et militaires sont prises en otage par des militaires qui,
comme les civils, réclament leurs arriérés de solde.
– les 18 et 19 avril : vives manifestations de l'opposition à Maradi
et Zinder.
– le 29 avril : convocation, par le Président Baré d'une
Conférence des cadres dont il profite pour dénigrer
l'opposition.
Mais, bien heureusement, le 31 juillet, le Premier ministre signe
avec l'AFDS et le FRDD, grâce notamment à la médiation du
“Monsieur Afrique” du Parti socialiste français, Guy Labertit, un
159
protocole d'accord prévoyant, pour de prochaines élections
locales, des conditions acceptables pour tous. Cet accord porte à
trente jours le délai de dépôt des candidatures et à soixante celui
de proclamation par la Cour suprême des résultats.
En outre, la Commission électorale nationale indépendante
(CENI) verra désormais son président choisi parmi les magistrats
du siège. Le même esprit de consensus prévaudra aussi pour le
remplacement des quatre membres de la Chambre
constitutionnelle de la Cour suprême qui, dans le passé, étaient
nommés par les Présidents de la République et de l'Assemblée
nationale. Le fichier électoral sera révisé par la CENI qui aura son
propre représentant, avec compétence de gardiennage, au sein de
la Délégation à l'informatique. L'accord garantit encore l'accès
équitable aux medias publics des partis politiques et de la société
civile.
Enfin quelques interdits sont posés : non-utilisation de l'État à des
fins partisanes ; obligation de réserve pour les militaires, les cadres
de commandement, les diplomates, et les chefs traditionnels.
Toutes ces mesures, on le voit, assureraient sans doute au Niger un
début de régime démocratique si elles étaient correctement
appliquées.
Mais, au lieu de cela, le Rassemblement pour la démocratie et le
progrès (RDP), le parti du Président de la République, monopolise
les medias d'État, vidant ainsi de son contenu une des
dispositions majeures du protocole.
Bref, plus les élections locales approchent, plus les rapports se
tendent entre le pouvoir en place et l'opposition.
Lorsque la consultation se tient, le 7 février 1999, quelques
lacunes sont constatées, telles que l'absence ou l'insuffisance de
bulletins de vote à l'ouverture de certains bureaux, mais le
phénomène, qui n'est malheureusement pas nouveau, ne semble
pas atteindre des dimensions significatives et dans l'ensemble la
journée se déroule sans incident sérieux, du moins jusqu'au soir.
Diverses localités voient alors (parfois le lendemain) des hommes
en uniforme ou bien des civils, et même des administrateurs,
quand ce ne sont pas des députés, prendre dans les bureaux de
vote urnes, bulletins ou procès-verbaux, les emporter ou les
détruire ; tous actes destinés à empêcher le dépouillement ou à le
rendre non crédible.
160
Chacun se souvient alors de la déclaration qu'avait faite à la
télévision le 6 février, donc la veille même du scrutin, Abdoulaye
Souley, ministre de l'Intérieur, dans laquelle il affirmait que le
FRDD et l'AFDS se préparaient “à reconquérir la totalité du
pouvoir d'ici à la fin de juillet 1999”. Pour cela, ajoutait le ministre,
l'opposition entend s'appuyer sur les chancelleries qui lui sont
“favorables” et sur des “amitiés” au sein des institutions de la
République (15).
Au lendemain de ces élections mal clôturées, la confusion la plus
totale règne à Niamey : l'opposition réclame bien entendu, mais
c'est un prêche dans le désert, le châtiment des coupables, et
s'estime la vraie gagnante de ce scrutin. Le RDP de son côté
revendique la victoire et convie ses militants, le 13 février, à son
siège national pour célébrer l'événement.
Pour sortir de l'impasse, la CENI propose que, partout où les
procès-verbaux et les bulletins de vote sont restés introuvables, les
résultats soient reconstitués. Il existe pour ce faire, argue-t-elle,
des récépissés qui, après le dépouillement, ont été officiellement
remplis. Pourquoi ne pas les demander aux représentants de
chacun des partis, à qui ils ont été remis ?
Séduisante, cette suggestion butte pourtant sur une méfiance
réciproque : qui me dit que l'autre candidat ne va pas falsifier les
récépissés qu'il détient, se demande chacun des adversaires en
présence ?
Le 6 mars, lors d'une réunion à Niamey, les opposants font leurs
propres propositions : sanctions pour les vandales, installation
sans tarder dans leur fonction des conseillers dont l’élection n’a
donné lieu à aucune contestation, recomposition de la Chambre
constitutionnelle de la Cour suprême dont les membres ne leur
inspirent pas confiance.
Réclamant au cours de cette manifestation des élections
législatives anticipées, un des dirigeants, Issoufou Assoumane,
“mange le morceau” : “Cela fait partie, dit-il, des accords que nous
avons passés avec le pouvoir”. Pour la première fois, il est ainsi fait
état ouvertement d'un second accord resté secret, concernant les
législatives, qui avait été conclu le 31 juillet entre le pouvoir et
l'opposition parallèlement à celui, rendu public, relatif aux
élections locales. Mohamed Bazoum, vice-président du PNDS, est
encore plus explicite à ce sujet le 13 mars 1999, dans un entretien
161
qu'il accorde au quotidien dakarois Le Soleil : “en cas de victoire de
l'opposition aux élections locales, affirme-t-il, le gouvernement de
Maïnassara s'engageait à dissoudre l'Assemblée nationale pour
organiser des élections anticipées, afin de rééquilibrer la
représentation politique au sein des institutions. Dans ce schéma,
l'opposition devait en retour reconnaître la légitimité du Président
de la République, ainsi que les prérogatives que lui confère la
nouvelle constitution. Tout cet édifice menace de s'écrouler”.
Le 6 avril, la Cour suprême proclame les résultats définitifs des
élections : l'opposition remporte le scrutin.
Cependant, en raison des incidents qui ont marqué soit les
opérations de dépouillement soit la proclamation des résultats
provisoires, la même juridiction annule les résultats dans 17
communes sur 73, 21 départements sur 36 et 5 régions sur 7 !
Le 8 avril, sur les antennes de la radio privée ANFANI, l'opposition
annonce qu'elle suspend tout dialogue avec le gouvernement,
exige le départ du pouvoir du chef de l'État et revendique pour le
peuple un “droit naturel de résistance”.
Le 9 avril, vers 10 h 30 (heure locale), le Président de la République
Ibrahim Maïnassara tombe sur le terrain de l'escadrille militaire
de Niamey, victime des balles tirées par des éléments de sa propre
garde présidentielle, dont deux jeeps munies de fusils mitrailleurs
de 12,7 mm stationnaient sur le tarmac. Il s'apprêtait à embarquer
à bord d'un hélicoptère qui devait l'emporter au nord-ouest du
pays, à Inatès, un village proche de la frontière malienne où il
devait régler un problème de rezzou touchant des réfugiés.
Notons au passage qu'en attendant qu'une enquête puisse un jour
le confirmer ou l'infirmer, personnellement nous considérons la
mort du Président Baré comme un assassinat.
Le Niger s'installe de nouveau dans un régime d'exception dirigé
par une junte militaire regroupée au sein du Conseil de
réconciliation nationale (CRN) composé de 14 officiers et présidé
par le chef d'escadron Daouda Malam Wankè, commandant de la
garde présidentielle depuis le coup d'état du 27 janvier 1996.
Dans une proclamation rendue publique le 11 avril, les
putschistes déclarent que le régime mis en place depuis trois ans
s'étant “révélé incapable de résoudre les problèmes épineux
162
auxquels (le) pays est confronté”, les forces armées “après une
large concertation avec toutes les composantes de la nation” ont
décidé de suspendre la constitution, de dissoudre le
gouvernement, la Cour suprême et le Conseil supérieur de la
communication et d'annuler les élections locales du 7 février.
Déjà annoncée par le Premier ministre qui dès le 9 avril a qualifié
la mort de Baré d'“accident malheureux”, la dissolution de
l'Assemblée nationale est confirmée par la proclamation, parmi la
même série de mesures.
Si les partis de l'ancienne opposition déplorent la mort de Baré et
si ceux de l'ex-mouvance présidentielle (rassemblés dans une
“Convergence pour la République”) condamnent “la violence
meurtrière” qui l'a causée, ni les uns ni les autres, dans les
déclarations qu'ils publient à ce sujet, respectivement les 12 et
13 avril, ne ferment la porte à une coopération avec le nouveau
pouvoir.
Bref, c'est donc le Conseil de réconciliation nationale qui prend en
main la gestion du pays. Et, tout comme leurs prédécesseurs, ses
membres sont confrontés à l'extérieur aux condamnations de la
communauté internationale et à l'intérieur aux multiples
mouvements de grève conduits par des travailleurs et des
étudiants réclamant ceux-là des arriérés de salaires, et ceux-ci des
bourses restées impayées depuis des lustres.
Et pourtant, les autorités militaires parviennent, avec l'aide
notamment de la France, de la Belgique, du Danemark et de la
Côte d'Ivoire, à organiser proprement un référendum
constitutionnel et des élections générales.
Le 24 novembre, au second tour de l'élection présidentielle,
Tandja Mamadou, colonel en retraite et leader du Mouvement
national pour la société de développement (MNSD), est élu, grâce
à une alliance avec la CDS de Mahamane Ousmane, premier
Président de la Ve République avec 59,89 % des suffrages contre
40,11 % pour Mahamadou Issoufou du PNDS, son rival.
Aux élections législatives organisées le même jour, le MNSD et la
CDS enlèvent 55 des 83 sièges que compte l'Assemblée nationale,
contre 28 pour la nouvelle opposition qui sera conduite par
Mahamadou Issoufou.
163
Le Niger renoue ainsi avec le processus démocratique et organise
des élections qui n'ont souffert d'aucune contestation de la part
des Nigériens, toutes tendances confondues, et que l'ensemble de
la communauté internationale n'a pas manqué de saluer !
C'est dire que quand ils se mobilisent pour ne mettre en avant que
l'intérêt supérieur de leur pays, les Nigériens sont tout à fait en
mesure de réussir des prouesses. Voilà qui nous encourage à
examiner, dans la dernière partie de cette communication, les
raisons pour lesquelles le processus démocratique nigérien a pris
durant ces dix dernières années les allures d'un chaos dans le
champ de la politique.
TROISIÈME PARTIE
LES RAISONS PROBABLES
DU DÉSORDRE DÉMOCRATIQUE AU NIGER
À la lumière des pages précédentes, il est difficile de ne pas parler
de “pagaille démocratique” à propos du processus de
démocratisation dans lequel le Niger s'est engagé au lendemain
de la Conférence nationale. À l'origine de ce désordre se trouvent,
selon nous, deux types de raisons. Les unes endogènes ; les autres
exogènes. Ces raisons s'appellent intolérance, amnésie et
égoïsme. Oui, il s'agit de :
– l'intolérance de nos partenaires du Nord qui, refusant aux
autres peuples, et plus particulièrement aux Africains, le droit
à la différence, pensent, quand ils ne le clament pas, qu'il
n'existe pas de “démocratie à l'africaine”. La démocratie est
universelle. Ou elle n'est pas ;
– l'amnésie de ces mêmes peuples qui oublient que même
parmi eux certains, et non des moindres, ont mis plus de deux
siècles pour asseoir leur propre système démocratique. Un
système qu'ils surveillent d'ailleurs étroitement, tellement ils
sont conscients de ce qu'il est un chantier en perpétuelle
construction ;
– l'égoïsme de ces “maîtres” qui, soucieux avant tout de leurs
intérêts propres, avaient trouvé normal que l'Afrique fût sevrée
de la quasi-totalité de ses droits et libertés du temps de la
guerre froide, et soutenu avec ardeur et patience tous les
régimes chargés de cette sale besogne, mais qui, aujourd'hui,
164
le mur de Berlin ayant disparu et l'Union soviétique s'étant
désagrégée, exigent que nos pays s'engagent à la fois vite et
bien dans un processus démocratique non seulement
irréversible mais encore (et c'est en fait le principal à leurs
yeux) ouvrant leur marché à la concurrence internationale.
Malheureusement pour nous, la fin de la guerre froide
correspondait à un moment où, malmenés par une grave crise
économique et financière, la plupart de nos pays étaient
insolvables et leurs populations vivaient déjà dans la misère. Or,
démocratiser un régime politique c'est libérer toutes les
revendications… Comment donc pourrions-nous le faire
convenablement dans l'état actuel de nos économies et de nos
finances ?
Mais venons-en aux raisons endogènes qui relèvent de nous, et
sur lesquelles nous avons délibérément choisi de nous étendre.
Elles sont essentiellement au nombre de quatre, à savoir :
– les inconséquences caractérisant souvent la conduite des
hommes politiques eux-mêmes ;
– le caractère parfois inadapté et incohérent des textes
fondamentaux régissant le processus démocratique ;
– l'impréparation des populations à s'engager dans un
processus parfaitement étranger à leur culture ;
– la fâcheuse confusion entre multipartisme et démocratie.
1. Des inconséquences caractérisant la conduite des hommes
politiques
Au Niger, ces hommes se sont principalement manifestés à la
Conférence nationale où d'ailleurs la plupart d'entre eux ont brillé
par leur manque de réalisme. Défaut lui-même lié sans doute au
fait de n'avoir jamais auparavant exercé le pouvoir.
– Première inconséquence : après avoir dénoncé et même
condamné avec la dernière énergie des maux tels que le
régionalisme, le népotisme, le favoritisme et le clientélisme, ils
sont les premiers à y recourir une fois installés aux commandes
de l'État.
165
Sous leur “règne”, comme sous celui de leurs prédécesseurs
qu'ils ont violemment vilipendés, tout s'est passé (et se passe)
comme si, afin de mieux consolider les bases du pouvoir à eux
conféré par les urnes, il leur fallait nécessairement s'entourer
de collaborateurs issus de leur famille ou de leur région
d'origine et confier des postes importants à leurs proches ou
aux militants de leur formation politique. Que les bénéficiaires
de leur complaisance n'aient ni la compétence ni l'expérience
ni la conscience professionnelle requises n'a aucune
importance.
– La deuxième inconséquence de ces nouveaux dirigeantsréside
dans leur comportement vis-à-vis d'un certain nombre de
chefs d'État au pouvoir, pour la plupart depuis une ou
plusieurs décennies. En effet, c'est paradoxalement à ces
“dinosaures” que les différentes conférences nationales n'ont
pas hésité à traiter de “dictateurs”, d'“ennemis du peuple” et de
“voleurs”, qu'ils s'adressent pour obtenir les sommes d'argent
nécessaires :
– au versement de leur caution ou celle de leurs militants,
candidats à tel ou tel scrutin ;
– à leurs campagnes électorales ou, tout simplement ;
– à l'amélioration de leur confort personnel.
– Troisième inconséquence : ces mêmes dirigeants, une fois
parvenus au pouvoir oublient qu'ils ont dénoncé la création
autrefois, au profit de leurs prédécesseurs, de caisses noires ou
de fonds politiques. Ils les récréent à leur tour en changeant
simplement l'appellation : désormais en parlera de fonds
spéciaux. Excellente trouvaille !
– Quatrième inconséquence : après avoir longtemps condamné
le régionalisme et “l'ethnicisme” et longuement disserté sur les
vertus de l'unité nationale, les dirigeants des partis politiques
s'adressent presque toujours d'abord à leur région d'origine
pour recruter leurs militants. Du coup, pratiquement toutes les
formations politiques du pays sont construites sur une base
régionale.
– Cinquième inconséquence : le fait que ces dirigeants de l'“ère
démocratique” aient condamné leurs aînés pour avoir utilisé,
par le passé, des fonds publics et du matériel appartenant à
l'administration pour faire campagne ne les empêche pas, eux,
de se comporter de la même manière.
166
Il est donc courant de voir, en période électorale, le ou les parti(s)
au pouvoir mettre à profit leur position pour procurer à leurs
formations les moyens de leur propagande : le parc automobile et
le carburant de l'administration, de même que d'importantes
sommes d'argent prélevées sur les fonds publics !
Comme on peut le deviner, la philosophie de la démarche est fort
simple : “quand on cherche le pouvoir il ne faut reculer devant rien
pour le conquérir, et quand on l'exerce déjà, l'on ne doit rien
négliger pour le conserver” !
2. Du caractère parfois inadapté et incohérent des textes
fondamentaux
Ces textes, et singulièrement les constitutions, sont souvent
restés, malgré l'effort de démarcation qui a été tenté par les
législateurs nationaux, de pâles copies des documents en vigueur
dans l'ancienne métropole.
À propos de la Constitution du 26 décembre 1992 dont
l'application, en période de cohabitation, entre février 1995 et
janvier 1996, a entraîné d'abord des blocages au sommet de l'État,
et ensuite le coup d’État militaire d'Ibrahim Maïnassara Baré, un
expert français a pu écrire :
“Comme d'autres, la constitution du Niger comporte des lacunes
et des imperfections, des ambiguïtés, voire des contradictions, qui
peuvent être la source de conflits à la tête de l'État, notamment
entre le Président de la République et le Premier ministre, lorsque
ceux-ci appartiennent à des mouvements politiques opposés”. En
particulier, poursuivant sa réflexion, l'expert signale :
– “la qualité de chef de l'administration qui est reconnue au
Président de la République (article 53) n'est guère compatible
avec le rôle dévolu au Premier ministre de chef du
gouvernement, appelé à diriger, animer et coordonner l'action
gouvernementale (article 60) ;
– cette dernière prérogative peut se trouver d'autant plus privée
de sens que la constitution confère au Président de la
République la responsabilité de nommer aux emplois civils et
militaires de l'État ;
– la constitution ne précise pas s'il incombe au Président de la
167
République ou au Premier ministre de fixer l'ordre du jour du
Conseil des ministres ;
– elle est également muette, sauf à renvoyer à une loi organique
ultérieure, sur le point de savoir à qui appartient de pourvoir
aux autres emplois que ceux énumérés au 3e alinéa de
l'article 58” (16).
Notons aussi qu’à notre point de vue le régime semi-présidentiel
prévu dans cette même constitution n'est pas celui qui semble le
moins “éloigné” de la conception traditionnelle du pouvoir au
Niger. Et sans doute même dans la quasi-totalité des États
africains. En effet, chez nous le chef exerçait un pouvoir sans
partage et nos ancêtres n'ont jamais été en situation de s'adresser,
à la fois, à deux responsables détenant chacun une parcelle du
pouvoir exécutif.
Quant au scrutin proportionnel, même s'il favorise la
représentation au sein du Parlement, par exemple du plus grand
nombre possible de sensibilités, il n'en demeure pas moins qu'il a
aussi la vertu cardinale de rendre difficile l'acquisition d'une
majorité homogène, condition nécessaire à l'exercice du pouvoir,
avec un minimum de stabilité.
3. De l'impréparation des populations à la démocratie
La population du Niger est analphabète, en français, à environ
85 %. Autrement dit, hormis une catégorie de privilégiés ayant eu
la possibilité d'entreprendre des études et de les poursuivre
jusqu'à un certain niveau, la quasi-totalité des Nigériens sont
incapables de lire par eux-mêmes les statuts et le règlement
intérieur de chacun des partis politiques du pays, de même que
les programmes proposés par ces derniers, avant de décider en
connaissance de cause d'adhérer à la formation politique qui
proposerait au pays les meilleurs choix politiques, économiques,
sociaux et culturels, pour le mieux-être de ses populations.
Et comme les partis politiques qui assurent la formation de leurs
militants aux principaux mécanismes régissant généralement le
jeu démocratique sont plutôt rares, les Nigériens sont restés
majoritairement attachés à l'aspect sentimental et/ou matériel
des choses : ils adhèrent très souvent à un parti pour y rejoindre
des parents ou des amis, ou uniquement parce qu'ils espèrent y
trouver des hommes et des femmes suffisamment généreux pour
168
prendre en charge périodiquement les dépenses relatives à leurs
soins médicaux, à la scolarisation de certains de leurs enfants et,
d'une manière générale, à l'entretien de leur famille ! Il suffit donc
que cet espoir soit déçu pour que se déclenche ou s'accentue le
nomadisme des militants d'un parti à l'autre.
4. De la fâcheuse confusion entre multipartisme et démocratie
Quelques-unes des plus grandes démocraties du monde
fonctionnent avec pour base deux ou trois formations politiques.
C'est dire que le succès d'un processus démocratique n'est pas
forcément lié au nombre des partis politiques qui se disputent
l'électorat dans un pays donné. Et pourtant, sans le confesser,
nombre de protagonistes de notre vie politique semblent bien
croire qu'il l'est ! Pour eux, multipartisme est synonyme de
démocratie et donc pour peu que leur élection se fasse dans un
contexte de pluralisme politique, ils se croient autorisés, une fois
installés au pouvoir à :
– “bâillonner” la presse ;
– réduire la liberté des partis de l'opposition ;
– exclure de la gestion du pays nombre de cadres pourtant
compétents, expérimentés et bons patriotes, dont le seul tort
est de ne pas être du même bord politique qu'eux ;
– ériger le népotisme et le régionalisme en système de
gouvernement ;
– et puiser à souhait dans les caisses publiques, pour la
satisfaction de leurs besoins personnels et ceux de leurs
parents ou de leurs amis politiques.
Après tout ce qui vient d'être dit, doit-on conclure que le Niger est
incapable de concevoir, élaborer et mettre en œuvre, de façon
convenable, un processus démocratique digne de ce nom ? Si la
réponse à cette question est “non” alors quelle est la démocratie
qui, aujourd'hui et pour quelque temps, répondrait le mieux aux
aspirations du peuple nigérien ?
Prétendre répondre à une telle question serait présomptueux de
notre part. Néanmoins, après tout ce qui vient d'être dit, un
certain nombre de propositions pourraient être hasardées en la
matière.
169
L'on peut toujours débattre de la question de savoir si oui ou non
l'Afrique possède une culture démocratique et, du reste, en ce qui
nous concerne, nous répondons par l'affirmative à cette question,
tout en ajoutant immédiatement que le vrai problème se trouve
ailleurs… Et d'abord pourquoi une conception universelle de la
démocratie, que tous les peuples doivent respecter, voire mettre
en œuvre, qu'ils y soient préparés ou pas, ou que cela corresponde
chez eux à un besoin réel ou non ?
Le Niger pré-colonial avait déjà un certain nombre de qualités
indispensables à l'exercice de tout pouvoir, en particulier dans un
système démocratique. Il s'agit notamment :
– du sens du dialogue et du compromis ;
– de l'esprit de tolérance et de solidarité ;
– ainsi que du respect du droit à la différence.
L'Afrique en général et le Niger en particulier nous semblent donc
bel et bien outillés pour pratiquer correctement la démocratie.
Même si dans leur conception traditionnelle du pouvoir celui-ci
doit toujours rester fort, indivisible, c'est-à-dire incarné et exercé
par une seule autorité. Mais l'on sait aujourd'hui que le droit
constitutionnel prévoit aussi que la démocratie puisse s'exercer
dans le cadre d'un régime présidentiel où l'ensemble des pouvoirs
est concentré entre les mains d'une seule personne, en
l'occurrence le chef de l'État.
À nos yeux donc, la démocratie la moins éloignée possible de
notre conception du pouvoir et de la manière de l'exercer est celle
que l'on peut mettre en œuvre dans un régime présidentiel et qui
se fonde sur un mode de scrutin mixte, c'est-à-dire comportant,
dans des proportions à définir selon le contexte où l'on se trouve,
une dose de proportionnelle et une autre de système majoritaire.
Une fois ces principes acceptés, les élections organisées et les
résultats définitivement, proclamés, les vainqueurs doivent
exercer le pouvoir en gardant à l'esprit cette culture africaine tout
entière fondée sur la solidarité et le partage, dans le sens noble du
terme, car il s'agit ici du partage non pas entre alliés politiques en
déniant tout droit à l'opposition, mais bien au contraire, du
partage du pouvoir avec l'opposition ! La formule pour le faire
n'est sans doute pas aisée à trouver mais elle doit sûrement
exister.
170
Et, quelle qu'elle soit, ses chances de succès résident une fois
encore dans sa capacité à prendre en compte notre culture dont
l'un des traits dominants est précisément de ne pas faire, en
matière de gestion de la chose publique, une dichotomie entre le
pouvoir et l'opposition. Autrement dit, entre ceux qui, pour avoir
gagné les élections, sont appelés à gérer le pays, et ceux qui sont
exclus de cette gestion pour avoir perdu ces mêmes élections.
En Afrique l'on fait tout ensemble : on travaille ensemble, on
mange ensemble et on gère ensemble ! À chacun, bien entendu,
de savoir occuper convenablement la place qui est la sienne et de
jouer le rôle qui lui revient, dans l'intérêt de la communauté à
laquelle il appartient.
Certes, d'aucuns pensent et disent même qu'une telle façon de
faire risque de conduire à l'abâtardissement, voire à la négation
même de la démocratie. Soit !
Pour nous, le principal aujourd'hui est d'imaginer et de mettre en
œuvre des modes de gestion sauvegardant la stabilité de nos pays
et créant les conditions d'une construction nationale dans la
sérénité.
Dans quelques décennies, quand la scolarisation aura accompli
tous les progrès attendus et qu'à force de pratique nos partis
politiques, leurs dirigeants et leurs militants auront appris à
maîtriser correctement les mécanismes régissant le jeu
démocratique, nous ferons de la “vraie démocratie”. Ce sera la
tâche de nos enfants, voire de nos petits-enfants.
Non, les Africains ne sont pas a priori allergiques à la démocratie.
Mais, en la matière aussi, ils demandent tout simplement qu'il
leur soit laissé le loisir de construire eux-mêmes ce système
démocratique, certes dans le respect des droits et libertés de la
personne humaine, mais aussi, et peut-être même surtout, en
marchant à leur rythme et en tenant compte du contexte
politique, économique, social et culturel dans lequel ils évoluent.
Le Niger dit oui à la démocratie, tout en se méfiant de cette
démocratie qu'on lui a apportée, tel un prêt-à-porter.
171
CONCLUSION
À la limite, nous aurions pu nous contenter de considérer la
dernière partie de cette communication comme la conclusion à la
présente étude. Néanmoins, il n'est pas inutile de préciser encore
un certain nombre de choses.
D'abord, disons-le explicitement, l'essentiel de ce que nous avons
développé ici, reste globalement valable pour la quasi-totalité des
pays du continent africain.
C'est seulement par précaution que nous avons voulu nous
limiter à notre pays pour ne pas donner l'impression d'étendre à
l'ensemble de l'Afrique des expériences vécues localement.
En revanche, l'essentiel de ce qui se passe au Niger depuis la
Conférence nationale et la manière dont une certaine démocratie
y est pratiquée semblent fortement procéder d'une mentalité bien
nigérienne, dangereusement “jusqu'au boutiste”.
En quelques années, ce pays a tout expérimenté et semble avoir
partout échoué. Et l'espérance de vie des gouvernements est si
faible qu'elle ne permet pas de placer dans une certaine durée les
actions à réaliser au profit des populations. Par exemple, entre le
16 avril 1993, date de l'investiture du président Mahamane
Ousmane, et le 24 novembre 1997, jour de la dissolution pure et
simple de l'ensemble de l'équipe gouvernementale par le
Président Ibrahim Maïnassara Baré, le Niger a connu pas moins de
neuf gouvernements !
Plus généralement, un vaste malentendu semble s'installer entre
gouvernants et gouvernés. En effet, bien que le mot dialogue soit
constamment sur les lèvres des uns et des autres, l'expérience est
là pour attester qu'en vérité les Nigériens ne dialoguent plus ; ils se
chamaillent, essentiellement pour avoir oublié leur culture de
compromis. Au mieux, ils se parlent sans s'écouter.
Cela dit, à nos censeurs, à tous ceux qui trop hâtivement nous
condamnent quotidiennement pour ce qu'ils disent être chez
nous une incapacité congénitale à animer normalement un
régime démocratique, nous demandons de ne pas oublier que,
non seulement la démocratie ne se construit pas en dix ans, mais
encore qu'elle est un chantier jamais achevé. Eux-mêmes s'y sont
engagés depuis fort longtemps et en sont aujourd'hui encore, sur
172
cette gigantesque machine, à réajuster des pièces et à resserrer ici
et là un certain nombre de boulons, parce qu'elle requiert un
entretien permanent ainsi d'ailleurs qu'une adaptation
périodique aux réalités trop mouvantes du monde moderne.
Enfin, nos censeurs ne doivent pas non plus oublier qu'à un
moment donné de leur histoire, moment déterminé par euxmêmes, ils auraient librement choisi de vivre en démocratie, un
système politique inventé par eux ! Mais nous ?
Naturellement ils ont une excuse : au moment où eux-mêmes
s'engageaient dans cette voie, d'autres régions du globe étaient
encore inconnues. Chaque peuple vivant dans un relatif isolement
pouvait alors prendre tout le temps qu'il lui fallait pour construire
et expérimenter tout ce qu'il voulait, pour son bien. Mais de nos
jours, la planète entière est devenue un village où aucune
expérimentation isolée n'est guère possible. Le calendrier est le
même pour tous et les peuples sont liés entre eux par un pseudosentiment de solidarité dicté par le dernier-né des ogres, la
mondialisation. Impitoyable, celle-ci impose le même rythme à
tous les peuples et, dans cette marche à pas forcés, celui qui
n'avance pas est condamné à rester au bord de la route. S'il ne
crève pas !
Encore un mot et il concerne, lui, cette élite nationale dont on
parle toujours et qu'on condamne souvent en rejetant sur elle la
responsabilité des maux dont souffre le continent.
Sans être totalement infondé, pareil jugement demeure pour le
moins sévère.
En tout cas, il demande à être nuancé. D'autant qu'il ne faut pas
oublier que cette élite, en particulier celle qui s'est engagée dans
le combat politique, se trouve elle-même en période
d'apprentissage démocratique. Ne perdons pas de vue en effet
que la majorité de ceux qui la composent n'ont connu, entre 1960
et 1991 par exemple, que deux types de systèmes politiques : deux
régimes à parti unique, et un régime d'exception. Or, il va sans dire
qu'en matière de démocratie pareils cadres de gouvernement ne
peuvent être que des antimodèles.
Enfin, malgré les erreurs voire les fautes qu'ils commettent (et il y en
a!), nos dirigeants politiques sont, dans l'ensemble, de bons patriotes
et agissent généralement de bonne foi. En tout état de cause, à eux
173
également, il convient d'accorder le droit à l'erreur tout en exigeant
d'eux en retour humilité, réalisme, esprit de tolérance et sens du
compromis. Des vertus d'autant plus indispensables qu'en
démocratie, peut-être même beaucoup plus que dans tout autre
système politique, au-delà des textes fondamentaux régissant
l'organisation et le fonctionnement des pouvoirs publics, la qualité
des hommes appelés à appliquer ces textes importe énormément.
Par contre, il y a une responsabilité qu'on n'évoque jamais, ou très
peu : celle de nos partenaires du Nord qui ne peuvent pas il est vrai
construire la démocratie chez nous et à notre place, mais qui sont
largement en mesure d'aider à créer les conditions propices à une
telle construction. De fait, cette Afrique qui s'engage dans la
démocratie est dans une situation tout à fait comparable à celle
d'une personne minée par la maladie, très affaiblie et dont l'état
de santé requiert nécessairement une intervention chirurgicale.
Or, en pareil cas, à moins de vouloir carrément achever le malade,
les praticiens se doivent d'abord de le “retaper” comme on dit
familièrement, c'est-à-dire de lui redonner des forces afin de le
rendre apte à supporter, le moment venu, cette intervention.
Nos partenaires doivent donc nous aider à restaurer notre
économie avant de se monter trop regardants sur le
dysfonctionnement de notre démocratie. Dans le cas contraire, ils
devraient se résoudre à nous laisser évoluer à notre rythme tout en
détournant leur regard des traitements spéciaux que nous serions
inévitablement amenés à infliger, de temps à autre, à cette
démocratie. Oui, qu'elle soit voulue ou imposée, la démocratie a
besoin, pour fonctionner convenablement d'un contexte
économique et financier relativement prospère, ce qui n'est pas le
cas aujourd'hui, dans la quasi-totalité de nos pays ; or, là réside
aujourd'hui, le vrai problème !
174
Notes et Références
(1)
Contre quatre portefeuilles dans le précédent et dernier
gouvernement formé le 7 septembre 1987 par le général
Seyni Kountché.
(2)
En sa qualité de secrétaire politique du Conseil supérieur
d'orientation nationale, le colonel Amadou Seyni Maïga était
en fait le second personnage de l'État.
(3)
La première attaque de Tchin-Tabaraden a été perpétrée fin
mai 1985 par une quinzaine de Touaregs qui tentèrent de
s'emparer des locaux administratifs de cette localité, située à
environ 500 km au nord-est de Niamey.
(4)
Commission créée par la Conférence nationale elle-même
pour traiter l'ensemble des dossiers relatifs aux crimes et
abus politiques, économiques, sociaux et culturels commis
au Niger depuis 1960.
(5)
Pour l'évolution politique et constitutionnelle du Niger
jusqu'en 1993 voir notamment l'ouvrage de Jean-Jacques
Raynal intitulé Les Institutions politiques du Niger, Paris,
Sépia, 1993, 334 p.
(6)
Tandja Mamadou a été préfet du département de Tahoua
dont relève l'arrondissement de Tchin-Tabaraden de
septembre 1981 à mars 1988.
(7)
En pensant sans doute à l'électorat qui est très
majoritairement analphabète en français, les partis ajoutent
souvent à leur appellation en français un mot en langue
nationale plus facile à prononcer et à retenir. À eux trois
donc, la CDS, le PNDS et l'ANDP totalisent 46 des 50 députés
qui vont soutenir la politique de l'AFC à l'Assemblée.
(8)
Parmi les médiateurs étrangers figurent Hubert Maga,
ancien Président de l'actuel Bénin, Amadou Toumani Touré,
ancien Président du Mali et Jacques Chirac, Président de la
République française, qui s'est également entretenu en
juillet 1995 d'abord avec Mahamane Ousmane à
Yamoussoukro et ensuite avec Hama Amadou à Dakar.
175
(9)
Le Sahel, quotidien d'information, du 11 août 1995.
(10) Le Sahel du 1er février 1996.
(11) Le Sahel du 12 février 1996.
(12) Il s'agit essentiellement de la constitution, de la charte des
partis politiques et du code électoral.
(13) Déclaration devant l'Assemblée nationale, le 23 novembre
1997, p. 23-24.
(14) Le Sahel du 15 novembre 1997.
(15) Le Sahel du 8 février 1999.
(16) Note rédigée et envoyée aux plus hautes autorités
nigériennes, en septembre 1995, par Pierre Mazeaud,
président de la Commission des lois à l’Assemblée nationale
française.
176