Diable ! Démon
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Diable ! Démon
appel du large À l’aveuglette dans la vie suivante (suite) Le fort protégeant l’entrée du chenal Escale fantomatique Diable ! N Photos © Pierre Lang ous arrivons à Sancti Petri, 40 milles au NW du détroit de Gibraltar, avec 2 à 3 noeuds de courant contre, dans un chenal parfaitement balisé. Les remous et le sillage des balises sont impressionnants. Impossible de se faufiler entre les bateaux sur leur corps mort sans risquer l’abordage. Le vent monte subitement à 25 noeuds pour saluer le coucher du soleil. Seul à bord, ne pouvant ni consulter l’écran du PC ni explorer les environs, j’ai Clin d’oeil de Thoè, seul dans la lagune failli échouer le de l’autre côté des dunes bateau. Je n’ai plus eu qu’une seule idée : avancer, dépasser la zone des corps morts et jeter l’ancre où c’est possible. Finalement, je mouille par 8 mètres de fond sableux, entre un petit cargo décati et un voilier hollandais. Manoeuvre terminée. Le vent retombe à 15 noeuds… Diable ! Quel comité d’accueil ! Démon L e lendemain, résolu à mieux gérer ma journée que la veille, je décide de tenter le Démon. Sous mon contrôle, évidemment ! Je l’ai enchaîné dans la chaîne de l’ancre. Thoè baigne benoîtement à quelques mètres de la plage, à bâbord 42 de l’entrée du site. Le fond passe tellement vite de 4 à 0 mètre qu’on ne pourrait pas mesurer 2 mètres au sondeur sans que le bordé touche le bord. Un plongeon de la jupe de Thoè et trois brasses suffiraient à aller à terre, même avec 3 noeuds de courant traversier. Le bénéfice est une superbe balade sur la langue de plages et de dunes séparant la lagune de l’océan. Mais le satané Démon aidé de Murphy va nous mettre des bâtons dans les rames. Au moment de quitter le rivage, ils ont drossé l’annexe sur la plage pour que la clavette de l’hélice casse. Je rame sans me marrer pour rentrer et fabrique une clavette provisoire en décapitant une vis M4 ! Eh oui. Pour aller acheter une clavette, il faudra bien que le moteur de l’annexe fonctionne. C’est le genre de problème stupide dans lequel le Démon vous fait tourner en rond comme un chien après sa queue, dans une totale confusion. Il faut nécessairement trouver une astuce pour s’en sortir. Grâce à lui, au vent de travers et au courant de face, je me suis bien musclé les bras. À la vitesse de 5 ou 10 mètres par minute, j’ai établi un modeste record de vitesse du cent mètres en annexe. C’est une journée sportive. Cet après-midi, ce record a été battu avec des palmes, nettement plus efficaces que les rames. Il faudrait toujours avoir des palmes avec soi quand on part en annexe ! Escale fantomatique Pauvres pécheurs et pauvres pêcheurs ? Fantômes S ancti Petri est désorganisée comme un décor de cinéma. Si le décor est une ville bombardée sauvagement, la destruction massive doit être méticuleusement parfaite avant de crier « silence ! On tourne… » Chaque détail a son importance et sa raison d’être. Chaque chose doit être à sa place, propre et cinégénique. Ici, c’est pareil. L’église, complètement ruinée à l’intérieur, montre fièrement sa façade fraîchement repeinte. Les abords du village font croire à une zone en pleine expansion. Les murs du village ne sont même pas taggués. Ou bien les tags n’ont pas attiré mon attention comme ailleurs. Car ici, s’il y en a, ils ont du sens. Cette cité-ci aurait servi de terrain d’entraînement sous Franco ou aurait été désertée, puis pillée, suite au déclin de la pêche au thon. On ne sait pas très bien. Mystère. Si on aime les fantômes, Sancti Petri est une escale à ne pas manquer. Il y a plusieurs possibilités de jolies balades, sur les plages, au village, peut-être à la forteresse si elle est accessible, et en annexe, au hasard, à travers la lagune. C’est un endroit assez calme, peu exploité touristiquement et pas trop fréquenté. Au-delà J ’ai toujours envie de passer « au-delà » de Gibraltar. Mais j’hésite. C’est pétole. Sans doute seulement dans ma tête ! Je fais confiance à mon ressenti. En mer je ne sais pas. Apparemment, l’éolienne n’a pas le même ressenti que moi. Le Diable et les fantômes ont demandé un temps mort. Je temporise. Il faut dire que cet endroit inspire à l’immobilité et l’immobilisme. Au farniente. Quand vous êtes dans une impasse décisionnelle ou que vous êtes fatigués de penser que vous vous décarcassez trop, que faites-vous ? Vous vous croisez les bras en signe de protestation ou pour lâcher prise ? Et bien, aujourd’hui, de mon côté, j’ai décidé de me croiser les pieds pour éviter de me prendre la tête. Je me laisse vivre, planant entre ciel et mer en lévitation dans le hamac. Demain sera un autre jour. Le mois et l’année prochains sont sans doute plus proches que demain… Je vous souhaite de passer 2009 sans devoir faire face à trop de dépressions. Le hic E n se jetant à l’eau, on allume sa bonne étoile et fait le nécessaire pour que la chance sourie… Cela ne peut que réussir ! Le seul hic, c’est de passer aux yeux d’autrui pour plus fort qu’on ne l’est réellement. Peut-être est-ce le prix à payer ? • Pierre Lang Mon journal de bord sur Internet : www.thoe.be Photos © Pierre Lang I l y avait un concours de pêche aujourd’hui. Voir ces centaines de poissons (grands comme cela !) pêchés par une poignée d’individus vêtus de polos turquoise m’a fait un choc ! J’étais sur le point de penser qu’il n’y a plus de thons à pêcher, car ma ligne de traîne est toujours restée vierge. Les trois premiers du classement général (sur 20 participants) ont pêché ensemble près de 160 kg. Les quatre derniers n’ont pas fait mieux que moi : bredouille ! Moralité : Les premiers sont de pauvres pécheurs épuisant de façon éhontée les ressources marines… et les derniers de pauvres pêcheurs affamés !