Document de capitalisation du processus de la première année du
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Document de capitalisation du processus de la première année du
Enda Colombia – América latina PROJET QUARTIERS DU MONDE: HISTORES URBAINES DOCUMENT DE CAPITALISATION Décembre 2004 Groupe de travail : Catalina García Carlos Cárdenas Rodrigo Valero SOMMAIRE INTRODUCTION.......................................................................................................................... 3 1. Apports de l’équipe de Bogota à la dynamique internationale du projet ........................................ 4 2. Trajectoire du projet ................................................................................................................ 4 3. Présentation de la ville de Bogota ............................................................................................. 5 3.1 Démographie .................................................................................................................. 6 3.1 Démographie .................................................................................................................. 6 3.2 Géographie..................................................................................................................... 7 3.3. Culture .......................................................................................................................... 8 3.4. Aspects socioéconomiques .............................................................................................. 9 4. Axes méthodologiques transversaux.......................................................................................... 9 4.1. Conception et mise en œuvre de la RAP .............................................................................. 9 4.2. La cartographie sociale .................................................................................................... 11 4.3. La communication comme stratégie : un point de rencontre................................................ 12 4.4. L’introduction de la perspective de genre........................................................................... 12 4.4.1. Définition pratique du genre ....................................................................................... 13 5. Identités des jeunes .............................................................................................................. 16 5.1. Divergences des centres d’intérêt et des activités quotidiennes............................................ 16 5.2. Dialogue et reconnaissance à partir de la construction d’identités, de sujets et de territoires .. 16 5.3. Articulation des échelles du quartier et de la ville ............................................................... 18 5.4. Mémoires, histoires dans le processus de construction des identités : Récits du quartier ........ 19 5.5. Langage et expressions des jeunes: “connaissance en direct”: premier exercice vidéo ........... 21 6. Participation et pouvoir .......................................................................................................... 22 6.1. Politiques urbaines de jeunesse ........................................................................................ 22 6.2. Politiques de jeunesse à Bogota........................................................................................ 23 6.3 Les logiques de pouvoir..................................................................................................... 24 6.4. Niveaux de politisation du groupe ..................................................................................... 25 6.5. Elaborer des projets dans le quartier : vers une négociation avec les autorités...................... 25 6.6. Un cas particulier : la reconnaissance territoriale du quartier Lisboa ..................................... 26 6.7. Le pouvoir, pour quoi faire ?............................................................................................. 26 7. Se reconnaître comme sujet ................................................................................................... 27 7.1. Compte-rendu de la stratégie de formation-action .............................................................. 27 8. Auto-Régulation sociale.......................................................................................................... 28 8.1. Après le cours ................................................................................................................. 29 8.2. Difficultés et projections................................................................................................... 29 8.3. Lisboa, un autre quartier du monde .................................................................................. 30 8.3. Une organisation par bandes ............................................................................................ 30 9. Echange entre les groupes à Bogota ....................................................................................... 31 POUR CONCLURE ...................................................................................................................... 31 2 INTRODUCTION Ce texte est le résultat d’un effort collectif de réflexion de l’équipe en charge du projet QDM. Il fait état du développement du projet, des progrès, des difficultés et des défis à venir. Sa structure s’aligne sur le guide de capitalisation proposé par le comité, afin d’en faciliter la lecture et de permettre une analyse de l’ensemble du projet dans les différentes villes où il prend vie. Dans un premier temps, nous réaliserons un compte-rendu de l’activité internationale du projet et des apports de l’équipe d’Enda Colombie dans ce domaine. Puis nous aborderons le contexte local et municipal de Bogota. Nous verrons que les relations de la ville de Bogota avec sa région sont déterminées par des questions d’ordre politique qui influent également sur les conditions de vie des habitants et sur la qualité de l’habitat. Dans une troisième partie, nous ferons un bilan des différentes expériences méthodologiques qui définissent le cadre du travail et qui ont orienté le contenu des réflexions et les actions Dans une quatrième partie, nous présenterons les trois axes thématiques de planification du projet : participation et pouvoir, identité des jeunes et autorégulation sociale. Grâce à cet exercice de capitalisation, nous espérons apporter quelque chose à un projet en perpétuelle construction, en proposant des stratégies de consolidation et de mise en réseau du travail. Notre but est bien sûr de contribuer à une construction urbaine alternative, au moyen d’activités pratiques et d’une conceptualisation. Nous nous appuyons pour cela sur les organisations politisées des jeunes, prêtes à relever le défi que représente une transformation de leur réalité, mise à mal depuis toujours. L’ACTIVITE INTERNATIONALE DU PROJET Les équipes responsables du développement du projet QDM se sont concertées pour définir des intentions communes et un cadre général d’action : une fois pris en compte l’identité et les intérêts des jeunes, il convient de définir des objectifs à l’échelle du quartier, de valoriser la participation des jeunes dans le processus de planification et de développement territorial des quartiers concernés, sans oublier que chaque ville et chaque quartier possède sa propre histoire, et que la vie sociale est le résultat de nombreuses histoires individuelles qui peu à peu, en devenant collectives, construisent un tissu social divers et changeant. Ainsi, d’un quartier à l’autre, le contexte et les défis différent. C’est cet échange de visions multiples sur le territoire qui fait toute la richesse du projet. Les jeunes, expression vivante des générations passées, incarnent leur quartier, réinventent leurs cultures et instaurent de nouveaux codes relationnels depuis leurs propres logiques. Le projet n’est pas là pour construire des modèles préétablis, trouver des recettes miracles ou rédiger des manuels théoriques. Notre but est de les aider à mettre en commun leurs expériences et les guider dans leurs rencontres et leurs désaccords, afin de mieux comprendre des mondes qui ne semblent pas vraiment en contact. Si nous parvenons à en comprendre les racines, nous trouverons les points communs de nos histoires. A partir du cadre général, l’équipe de Bogota a défini un plan de travail sur les critères suivants : 3 - QDM ne doit pas s’aligner sur les autres projets d’Enda Colombie : il a une existence propre, une dynamique et des membres spécifiques. A partir de là, il peut s’articuler aux autres projets. - Il faudrait créer au moins deux groupes de jeunes dans deux localités différentes, afin de favoriser l’esprit d’échange qui anime le projet en confrontant deux réalités différentes de la ville (deux quartiers ont été choisi pour cela : Lisboa, situé dans la localité de Suba, et San Luis, situé dans la localité de Chapinero). - Le développement du projet doit suivre trois axes : Identités des jeunes et Territoire ; Participation et pouvoir ; Organisation des jeunes et travail en réseau. - Le travail des jeunes dans le quartier doit être tourné vers la recherche de relation avec les autres échelles territoriales (quartier-localité-ville-région). 1. Apports de l’équipe de Bogota à la dynamique internationale du projet Comme le projet cherche à se nourrir des expériences des autres groupes de jeunes, des activités communes ont été proposées dans le but de renforcer la communication et l’échange entre les jeunes. Voici les actions qui ont été menées dans ce sens : • Par le comité de Capitalisation - Elaboration d’un guide thématique et méthodologique Rédaction d’articles : deux sur la phase pilote du projet, un autre relatant les progrès de la perspective de genre et un dernier sur le développement de la cartographie sociale. Capitalisation de trois ateliers de formation sur le genre et la cartographie sociale avec les équipes de El Alto (Bolivie), Pikine (Dakar) et Evry (France) • A travers les référents méthodologiques du projet (perspective de genre et cartographie sociale) - Journées de travail sur le genre et la cartographie sociale durant les trois rencontres internationales. Journées de formation des équipes de El Alto, Pikine et Evry. Article et présentation PowerPoint de la méthodologie de cartographie sociale (réalisation, conception, application et avancées) Proposition d’un forum virtuel sur le développement des méthodologies, réunissant toutes les équipes. • Par l’équipe et les jeunes de Bogota - Discussion sur les interrogations de l’équipe de Rio de Janeiro quant à l’identité des jeunes Réalisation d’une vidéo par le groupe du quartier de San Luis : « Connaissance en direct » Proposition d’échanges thématiques à travers la photographie. Premier thème abordé : l’espace public et les jeunes Echange sur les expériences et l’application pratique de la cartographie sociale entre le groupe du quartier San Luis et le réseau des organisations sociales du Département de Tolima Pré-montage d’une vidéo sur les jeunes et le quartier, comme participation au FSM de Porto Alegre. 2. Trajectoire du projet En ce qui concerne Bogota, la phase pilote s’est caractérisée par le lancement d’un processus avec des jeunes de différentes organisations locales de Suba, et par la prise de contact avec le Conseil Local de la Jeunesse, une instance de poids à l’échelle locale. Cela a permis de rentrer en contact avec le Service administratif d’action municipale, qui agit à l’échelle du District, et qui a pour mission de 4 définir les politiques et les programmes municipaux destinés aux jeunes. Le contact avec ce service a été en partie conservé. Le groupe de jeunes avec lequel nous avons travaillé pendant cette première phase ne s’est pas maintenu, pour deux raisons concrètes : - Nous n’avons pas pu nous mettre d’accord sur le rythme de travail : outre leur condition d’étudiants, les jeunes avaient des profils et des modes d’organisations incompatibles avec un plan de travail commun. Le groupe n’a donc pas pu se consolider. Certains jeunes ont eu une présence par intermittence et le projet QDM n’a pas été une priorité pour eux. De plus, les jeunes du groupe étaient issus de quartiers différents. - L’équipe d’Enda elle-même (composée de deux personnes travaillant à mi-temps) était à ce moment-là dans une période d’appropriation du projet et avait d’autres responsabilités à remplir (comme la coordination). Les résultats se sont donc limités à la reconnaissance du contexte local de Suba, à l’identification des acteurs parmi les jeunes, à l’étude des dynamiques institutionnelles et organisationnelles des jeunes de la localité. C’est pourquoi de nouvelles stratégies d’intervention ont été appliquées, à partir du premier semestre de cette année, une fois le projet en tant que tel commencé: 1. Présentation du projet au Collège Monteverde (à San Luis), afin d’obtenir un accord oral pour un soutien institutionnel, qui nous permette de faire connaître à des étudiants de neuvième le Cours de Gestion Environnementale communautaire réalisé par Enda durant le premier semestre de l’année. Nous avons pu nous mettre d’accord sur le temps et le rythme de travail, dans le but que les jeunes de QDM partagent leur expérience avec le collège et puissent à partir de là y jouer un rôle. La réussite de cette mise en relation a permis d’élaborer un programme thématique et méthodologique répondant aux intérêts de QDM. Ce programme a marqué le début de la consolidation d’un groupe, qui peu à peu a pris conscience de l’importance de s’organiser pour agir, et de réfléchir à son quartier à partir d’éléments travaillés pendant les rencontres et les ateliers. Ces activités hebdomadaires ont d’ailleurs été plus loin que le cours en lui-même, et se maintiennent aujourd’hui encore. 2. L’équipe du quartier Comuneros n’a pas participé au cours proposé par Enda, mais elle a effectué un travail de réhabilitation historique de son quartier. Cette expérience est restituée sur un support vidéo. Cependant, la dynamique a été très instable et le travail s’est aujourd’hui pratiquement arrêté. Dès le début, l’action de la l’Assemblée d’Action Communale et de la UCPI ont été déterminantes pour la dynamique de ce groupe. 3. Le troisième groupe est apparu en septembre. Il est formé par les jeunes recycleurs du quartier Lisboa, où Enda a travaillé au renforcement de leur association. Dans ce groupe, très hétérogène, tous les jeunes ne sont pas scolarisés. La moyenne d’âge est très jeune, ce sont des jeunes qui ont dû commencer à recycler dès leur plus jeune âge. Leurs centres d’intérêts aussi sont différents des autres groupes : la musique, la danse et la composition de chanson sont les activités qui les motivent le plus. 3. Présentation de la ville de Bogota Bogota, capitale de la Colombie, est un territoire stratégique du point de vue géopolitique : principal centre administratif, politique et commercial (comme port aérien et terrestre) du pays, elle est considérée comme la ville la plus productive de la région, grâce à sa forte concentration en capital humain, au développement de son capital social, à la présence en son sein de nombreux centres financiers et de nombreux investisseurs étrangers. D’autres atouts, comme des services de haute technologie, notamment en conseil aux entreprises, et une production concentrée, font de Bogota une ville reconnue aux niveaux national et international1. 1 Données obtenues sur le site www.bogota.gov.co 5 La capitale de la République de Colombie concentre les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, est le siège du gouvernement national et la résidence du Président de la République. Le Maire et le Conseil du District, tous deux élus par voie démocratique, se partagent le gouvernement de la ville. Dans chacune des 20 unités administratives ou localités du district, une assemblée administrative, composée d’au moins sept conseillers, est élue par le peuple. Les maires locaux sont désignés par le Maire de la Ville, à partir d’une liste proposée par l’assemblée administrative. Les 20 localités administratives sont à leur tour divisées en 117 unités de planification zonal (UPZ). La localité de Chapinero comporte 5 UPZ, celle de Suba 10 UPZ urbaines et une rurale. Les deux localités, situées aux extrémités de la ville, comportent des secteurs rurbains. C’est le cas des quartiers où s’est développé le projet. 3.1 Démographie Les jeunes sont au nombre de 1.518.718, ce qui représente environ 23% de la population totale de la ville. 30% d’entre eux sont mineurs (moins de 18 ans) et 47% sont des hommes2 Bogota connaît, depuis la seconde moitié du XXème, siècle une croissance démesurée. Ce GROUPE phénomène s’explique par l’exode SAN LUIS rural, motivé à l’origine par la violence bipartiste, puis alimenté par l’affaiblissement de la politique agraire et l’attrait des centres urbains, censés apporter développement et opportunités. Dans ce contexte, il n’existe ni volonté politique ni capacité d’analyse pour chercher des réponses aux demandes des différents milieux sociaux qui ont commencé à se faire une place dans l’espace urbain. La ville s’est donc développée de façon chaotique : les priorités des autorités ne correspondaient pas aux besoins des milliers de familles qui s’y sont installées. Les nouveaux arrivants ne pouvant pas aspirer à un logement social se sont vus dans l’obligation d’improviser des logements sur des sols inconstructibles, mais bon marché. Ces cordons périphériques se sont transformés par la suite en pôles de conurbation avec les communes alentours (c’est le cas de Suba, Engativa, Usme, Fontibon, Bosa et Sumapaz). Les chiffres reflètent le fort taux de croissance de Bogota : la ville est passée de 715.250 habitants en 1951 à 6.500.000 en 2000, ce qui signifie qu’en seulement 50 ans, sa population a été multiplié par 9. La frénésie de construction de routes et de services publics a abouti à une fragmentation de la ville en termes environnemental et socioéconomique. Dans ce que l’on appelle la ville périphérique, on distingue deux types de logements : le premier est planifié et correspond aux développements urbanistiques légaux. Ces logements sont conformes aux normes techniques et ont obtenu un permis de construire qui leur assurent l’accès des services de base ainsi que leur légalisation en tant que quartiers. GROUPE LISBOA 2 Source : Vers une politique de développement de la population jeune à Bogota, Mairie de Bogota, 2003 6 L’autre type de logements ne bénéficie pas de ces avantages, et concerne ceux qui n’ont pas le pouvoir d’achat suffisant pour accéder à un logement légal : il s’agit de constructions « spontanées », également appelées illégales, anormales ou pirates. Bogota compte sept millions d’habitants et devrait en accueillir près de 1.500.000 de plus d’ici 10 ans, ce qui signifie une demande d’environ 430.000 logements supplémentaires. Face à cette situation, la ville est tiraillée entre expansion et densification, pour que son territoire connaisse un développement durable.3 Bogota fait partie d’une région qui comprend de nombreuses communes proches, qui interagissent de plus en plus avec le centre urbain. Cela a permis de considérer la possibilité d’un développement régional articulé et coordonné, parfois appelé « polynucléaire », qui permettrait à Bogota et à sa région un développement environnemental et social durable. La localité de Suba concentre 11% de la population du district. Avec 706.528 habitants en 20004, elle est la troisième localité la plus peuplée de Bogota, et la quatrième en terme d’extension urbaine (10.055 ha). De son côté, la localité de Chapinero compte 166.000 habitants, ce qui correspond à 2,6 % de la population total de la ville. La localité s’étend sur 3.846 hectares, dont 35,1% (1.349 ha) est considéré comme zone urbaine ; 23,1% comme zone de lotissement; 20,4% comme zone résidentielle ; 21,2% comme zone rurale.5 3.2 Géographie La ville est située au centre géographique du pays, sur la partie orientale de la plaine de Bogota, le plateau le plus élevé des Andes colombiennes, à 2.640 mètres au dessus du niveau de la mer. Sa superficie totale est de 1.732 km2 (173.200 ha), dont une zone rurale de 122.250.000 ha et une zone urbaine de 38.430.000 ha. Bogota est aussi le centre géographique du continent sud américain, à seulement une heure de vol des océans Atlantique et Pacifique, et de la mer des Caraïbes : on l’appelle la porte d’entrée de l’Amérique du Sud. Le fleuve Bogota traverse la plaine du nord au sud et débouche sur le Salto de Tequendama. Selon une légende Muisca, cette cascade s’est formée quand Bochica a rompu la roche pour que les eaux qui avaient inondé la Terre s’y précipitent. Les affluents du fleuve Bogota forment une vallée fertile où l’on trouve des villages florissants ; les habitants vivent de l’agriculture, du bétail et de la production artisanale de couvertures en laines, de céramique et autres objets d’art. Dans le Sabana et dans toute la zone cundiboyacense, on trouve des lagunes naturelles comme celle de Guatavita, où se déroulait autrefois la cérémonie de El Dorado, ou encore celle d’Iguaque, d’où selon la légende émergea Bachué, la déesse mère qui peupla la plaine. La région comporte également de très beaux lacs artificiels de grande valeur écologique, comme Tominé, el Sisga et el Neusa. La plaine est bordée d’une chaîne de montages faisant partie de la Cordillère Orientale. La ville étant entourée de collines, sa croissance urbanistique s’est d’abord fait du Sud au Nord, parallèlement à la chaîne de montagnes dont font partie les collines entourant la capitale, Guadalupe et Montserrate. Au sommet de celle-ci s’élève l’église de Montserrate, lieu de pèlerinage depuis sa construction au XVIIème siècle. Le fleuve Bogota marque la frontière occidentale de la ville, ainsi que la rivière du sud et le plateau de Sumapaz. Au nord, Bogota s’étend vers la plaine. Dans la plaine, les températures oscillent entre 9 et 22°C, avec une moyenne de 14°C. Le climat alterne entre saison sèche, de décembre à mars, et saison des pluies, d’avril à novembre, sauf les mois de juin et juillet qui sont peu pluvieux. Le mois d’août est également une exception, avec beaucoup de soleil et de vents dont les habitants profitent pour faire du cerf-volant. Mais ces conditions météorologiques sont très instables, à cause des phénomènes tels que El Niño et La Niña qui sont présents dans le golfe du Pacifique et produisent de brusques changements climatiques. Le projet QDM se déroule dans deux communautés, Suba et Chapinero. 3 Salazar Ferro, José. Expansion ou densification ? Revue Bitacorea, du département d’urbanisme, Université Nationale de Colombie. 4 DAACD 5 Données obtenues sur le site web www.bogotaturismo.gov.co 7 La localité de Suba est située aux bords du fleuve Bogota, à l’embouchure de la rivière Juan Amarillo en provenance du marécage du même nom (également connu sous le nom de Tibabuyes). 78% de la superficie de Suba est plane, mais il y a également une zone montagneuse atteignant 2700 mètres d’altitude. La population se concentre majoritairement dans les zones urbaines et résidentielles, mais l’on trouve aussi des habitations près des rivières et des marécages. La localité de Chapinero, quant à elle, se trouve à l’ouest de Bogota, sur les collines délimitant la ville du nord au sud. 3.3. Culture La ville de Bogota est connue pour son architecture de type colonial, sa collection d’art précolombien en or, ses splendides églises coloniales et ses magnifiques musées. La ville présente aussi une architecture plus moderne, avec la présence de bâtiments futuristes. Bogota a bénéficié de la transformation urbanistique et culturelle de la dernière décennie, et présente un nouveau visage : réhabilitation de l’espace public, embellissement des places et des parcs, modernisation du système de transports en commun, et progrès en termes de culture citoyenne, sont autant d’éléments indiquant un renouveau.6 Si ces efforts ont amélioré les conditions de vie de certains secteurs de la ville, ils ont aussi eu des conséquences sociales très négatives sur les populations traditionnellement vulnérables, comme les recycleurs ou les vendeurs ambulants, qui ont vu leurs droits bafoués, en particulier leur droit au travail. La ville comprend et, dans une certaine mesure, mêle différents milieux sociaux. C’est un conglomérat de villes où cohabitent des personnes et des communautés issues de toutes les régions du pays. Un endroit où prennent un sens la pluriethnicité et la multiculturalité, proclamées par la constitution politique colombienne. On y trouve des quartiers peuplés par les descendants des Muiscas, ethnie qui vivait autrefois dans la plaine et qui tente aujourd’hui de se revitaliser. De même, les jeunes de Bogota ont développé différents modes de vie, en s’appropriant, reproduisant ou créant des modèles, des courants, des conceptions différentes du monde. De nombreux jeunes se retrouvent dans des organisations, autour d’activités culturelles, sportives, religieuses, étudiantes ou de loisirs. Ces regroupements ont lieu principalement dans les zones populaires, où les jeunes n’ont pas les meilleures opportunités de développement, et souvent ne se retrouvent pas le contexte sociopolitique dans lequel ils évoluent, contrairement à ce que peuvent penser ceux de classes plus aisées.7 6 7 www.bogota.gov.co Salazar, Alonso (coord.). Imaginaires, présences et conflits chez les jeunes de Bogota, Mairie de Bogota, 1998 8 Au cours des élections de 2002, 78.736 jeunes avaient le droit de vote : or, seuls 13.954 ont voté, c’est-à-dire à peine 18%8. Ces résultats reflètent le manque d’adéquation des mécanismes de participation, qui maintiennent la population jeune dans une apathie généralisée et stéréotypante, dans l’indifférence face à la réalité sociale qui l’entoure. 3.4. Aspects socioéconomiques Près de la moitié du revenu national est issu de la ville de Bogota, riche de près de 100.000 entreprises productives de tous les secteurs. Les investissements étrangers s’y élèvent à une moyenne de 4 milliards de dollars, ce qui montre la confiance que Bogota inspire aux nombreuses multinationales (environ 411) qui y ont implanté leur siège. Bogota et sa région sont le principal centre exportateur de Colombie : les entreprises qui y sont présentes réalisent 24% du total des exportations nationales9. La ville possède un marché boursier dynamique et accueille le siège de nombreuses firmes de conseil en entreprise, de services financiers, de télécommunications et des plus grandes entreprises industrielles et commerciales du pays. Sa position géostratégique, son infrastructure aéroportuaire, sa main-d’oeuvre qualifiée, la qualité de ses centres éducatifs, de ses services publics, de ses télécommunications et de ses équipements urbains, la compétitivité de sa production, la présence en son sein de centres de recherchedéveloppement, l’accessibilité de son marché : tous ces facteurs font de la capitale colombienne une ville privilégiée et idéale pour les investisseurs étrangers, une plateforme du commerce international. Bogota est une ville cosmopolite en constante expansion : c’est une des métropoles colombiennes, voire sud-américaines, qui connaît la croissance la plus forte. Sa richesse culturelle est la plus grande du pays : 42 musées, 12 bibliothèques, 36 églises abritant des trésors coloniaux et républicains, 20 places, 7 avenues, 132 monuments nationaux, près de mille immeubles classés, 21 théâtres, 66 salles de cinéma et 20 centres culturels, ainsi que près de 30 centres commerciaux.10 Chaque année, des milliers de déplacé(e)s viennent grossir les quartiers pauvres, qui s’étendent surtout vers le sud-ouest de Bogota. La division socioéconomique de la ville se fait par catégories allant de 1 à 6. Les catégories 5 et 6 sont les classes sociales les plus hautes et se situent au nord de la ville. Dans cette ville où règne la ségrégation sociale, les inégalités économiques se traduisent par des conditions indignes de vie et d’habitat urbain. Les plans d’aménagement du territoire adoptés par le gouvernement ont été totalement dénaturés : ils ne font qu’accentuer cette situation de marginalisation, de spécialisation territoriale et de développement discriminatoire. A tout cela s’ajoute une politique de réglementation et de surveillance du comportement social. Le « code de la police » autorise le déplacement des vendeurs ambulants (qui font vivre des milliers de familles de Bogota) et des recycleurs, et règlemente l’utilisation de l’espace public (pour servir des intérêts privés). 4. Axes méthodologiques transversaux 4.1. Conception et mise en œuvre de la RAP La Recherche Action Participative s’est orientée vers l’élaboration collective d’une connaissance de la ville, et principalement du quartier. Les jeunes qui ont effectué les exercices de recherche sur le territoire ont eu un rôle actif dans la conception et le développement des stratégies de travail. Ils ont réussi à définir le rythme de travail et les responsabilités de chacun, en prenant en compte les intérêts du projet et ceux du groupe. 8 Données obtenues au Département Administratif d’Action de la Commune et du District (DAACD) www.bogota.gov.co 10 www.bogota.gov.co 9 9 Les méthodes de travail et le déroulement des activités se sont appuyés sur la réflexion, l’action, une approche directe des réalités urbaines et rurales, sans oublier l’adoption de stratégies de communication nous permettant d’explorer différents langages communicatifs. L’ethnographie est une façon d’approcher d’autres individus qui se construisent dans l’espace urbain. Elle permet de définir des stratégies de travail et d’observation, qui aboutissent à des thématiques telles que les conflits environnementaux, le processus d’urbanisation, la relation urbain-rural, les écosystèmes stratégiques, l’agriculture urbaine, les jeunes et le territoire, le privé et le public, les relations de genre, etc. L’analyse collective de la réalité du quartier a commencé par des exercices de cartographie sociale. Cette étape a permis d’identifier les différentes dimensions du territoire: l’espace économico-productif, l’espace socioculturel, l’espace écologique, l’espace politique représentant l’axe transversal. A partir de là, les besoins spécifiques au quartier ont été évoqués, ce qui a abouti à des propositions à concrétiser par les jeunes. C’est le cas de la création d’une maison de la culture, initiative qui a permis entre autres de multiplier les possibilités de travail. Le quartier est en train de s’approprier de cet espace conçu comme un lieu ouvert à la communauté et à d’autres groupes organisés qui ont des propositions à faire pour le quartier. Ce travail a permis au groupe de se connaître dans un contexte différent de l’école, et de s’intégrer à la vie communautaire du quartier à travers un travail collectif. Des espaces de convergence sont apparus peu à peu, et le champ de participation s’est agrandi à des espaces et à des instances inconnus des jeunes. Le groupe a commencé à prendre conscience du processus et à se l’approprier. Son travail lui a apporté des éléments pour se rendre visible et trouver sa place dans des dynamiques qui n’incluent pas seulement les jeunes mais aussi les différents processus qui prennent vie dans le quartier et qui se développent autour des axes thématiques. La RAP s’est développée à partir de stratégies issues de la proposition à participer à un projet de formation-action. Ce projet s’est concrétisé dans le cours de gestion environnementale communautaire développé par Enda en accord avec l’Université Nationale de Colombie. A partir de là, différentes articulations sont possibles, avec différentes initiatives issues du quartier et qui commencent à se concrétiser à travers : a) Groupe de participation : il s’agit d’un espace proposé par le Réseau des organisations qui proposent des alternatives dans le secteur. Le pari : renforcer la participation des communautés dans le but de construire un territoire durable, et résister aux politiques d’aménagement du territoire qui ont pour but de déloger les habitants des quartiers non légaux. Cet espace en construction est l’occasion de connaître les pratiques historiques d’agriculture urbaine instaurées spontanément par les familles, la vocation rurbaine du sol et son usage productif. Il s’occupe de la promotion de l’agriculture biologique en ville. En effet, si les familles développent de petites cultures de subsistance, il devient nécessaire d’apporter une culture agricole biologique et de favoriser l’économie solidaire. Des institutions publiques du district, des ONG et des organisations communautaires se rencontrent dans cet espace. QDM fait partie de ce groupe, et commence à jouer un rôle actif dans les activités qui y sont promues, comme la foire aux produits agricoles. La réalisation de reportages vidéo est une façon de garder une trace de ces événements et à les faire connaître sur la chaîne communautaire du quartier. b) Conseil local de la culture : cette institution dépend de la mairie de Chapinero. Sa base institutionnelle est fragile, et les organisations et les ONG n’y sont que très peu représentées. C’est pourtant à partir de là que tendent à s’articuler les processus concernant l’environnement, la culture et le territoire. QDM y a participé de manière ponctuelle, avec des propositions en termes de communication, d’agriculture urbaine et de gestion environnementale communautaire (voir annexe) c) Collège Monteverde : l’expérience d’Enda avec les centres éducatifs n’a pas été très fructueuse. En effet, malgré l’existence, à l’intérieur des collèges, de politiques 10 institutionnelles se projetant au delà du milieu scolaire, il n’existe pas de réel intérêt pour concrétiser ces politiques de façon permanente et de les intégrer aux dynamiques du quartier. d) Les progrès en terme de reconnaissance des problématiques et du potentiel environnemental du quartier ne dépassent pas le simple exercice académique de recherche. QDM se positionne en tant qu’onterlocuteur ponctuel, en faisant part de ses avancées et en participant à des événements tels que la Semaine de la Productivité, qui a été l’occasion de présenter le projet à l’ensemble des étudiants et des professeurs. Il est prévu que les jeunes lancent avec l’école un projet de communication sur l’environnement, à travers la vidéo, la radio et la presse. Un autre projet concerne une expérience d’agriculture urbaine à l’intérieur du collège. e) La chaîne communautaire : L’équipe de QDM ayant acquis de l’expérience en ethnographie et dans la technique vidéo, elle s’est associée à un autre groupe de jeunes ayant aussi une grande expérience dans l’élaboration de films sur et dans le quartier. Ensembles, ils élaborent des propositions sur des sujets communs, comme les jeunes et le territoire du quartier, ou encore l’agriculture urbaine. Ces reportages permettent d’alimenter un media alternatif : la chaîne communautaire. Pour le moment, chaque groupe met en commun ses scénarios et ses réalisations. Ensuite ils devront unir leurs efforts pour proposer des initiatives, comme celle d’une présentation du travail au Groupe de participation. Le but est de recueillir la mémoire des habitants, pour créer et renforcer des identités communes. 4.2. La cartographie sociale La Cartographie Sociale, comme stratégie méthodologique, s’inscrit dans la même lignée que la RAP. Elle part du principe que les habitants du quartier en sont aussi les acteurs, et élaborent une connaissance du territoire à travers leurs habitats, leur type de relations et leur façon de comprendre le monde. C’est un exercice collectif de créativité, destiné à représenter le sens que prennent les lieux de vie, en tenant compte de leur histoire, de leur vie présente et de leur futur possible, sans oublier les différents acteurs qui se partagent ce territoire et produisent ainsi une territorialisation. L’apparition de la notion de « pouvoir » nous conduit à étudier les relations entre les aspects socioculturel, écologique, économique et politique, ainsi que les rôles remplis par les hommes et les femmes, ensemble ou séparément, de façon individuelle ou collective. Cet effort de recherche de priorités doit trouver un point de rencontre avec les capacités d’organisation des communautés, et des possibilités d’application dans la politique publique. Cette rencontre permet de mettre à jour les aspirations et de les réaliser, grâce à la construction de stratégies communes. L’angle méthodologique adopté place les jeunes comme sujets du projet, et non comme objets d’une recherche. L’appropriation d’un espace public nous fait évidemment aboutir à différentes versions d’un même fait social, perçu différemment par chacun. C’est en partageant ces versions et ces savoirs subjectifs qu’on arrive à une vision plus globale de la situation territoriale actuelle, des points de conflit, des façons dont les communautés affrontent et construisent un territoire donné. La cartographie sociale a été utilisée pour analyser la lecture que les jeunes ont de leur ville à partir de leur vécu et de leur quotidien. Nous avons commencé par une représentation de Bogota. Paradoxalement les jeunes ne considèrent pas San Luis comme faisant partie de la ville, en raison de la distance avec le monde urbain, de la proximité de la commune de la Calera et du fait que le quartier soit perché sur les collines orientales qui offrent une vue panoramique sur la ville. Ils le définissent donc comme un quartier marginal. Cependant, la relation avec « la ville » est constante et les liens au niveau productif sont évidents. Chaque jour les familles doivent « descendre » à la ville pour leurs travails, en général informels, mal payés et précaires. Sur le chemin qui va vers la ville, une vie commerçante s’est développée. On y a également vu naître une certaine activité touristique, motivée par le panorama, les restaurants chics et le bienfait de la nature sur la santé des habitants de la ville. Cette zone de passage se remplit donc les week-ends, et sur l’unique route, des dizaines de famille vendent leurs produits (sculptures de 11 pierre, fontaines) fabriqués avec les ressources naturelles, qui aident la famille à se maintenir financièrement. La ville semble parfois inaccessible aux jeunes. Le prix des transport étant inabordable, il faut souvent négocier avec le chauffeur pour obtenir une réduction, faire du stop, ou dans le pire des cas marcher pendant des heures pour rentrer chez soi. Les endroits les plus évoqués de la ville sont les espaces de rencontre, comme les parcs, les places, les centres commerciaux, les marchés ou les supermarchés. Ce sont en général des points de référence. Les jeunes participent parfois à des événements culturels de grande envergure, comme le Rock au Parc . Sinon, il leur est difficile d’avoir accès à la programmation culturelle, qui reste très élitiste. Leurs cartes reflètent une approche très limitée de la ville, qui reste en grande partie inconnue. Sur le Sud de la ville, ils ne connaissent rien d’autre que la pauvreté et la délinquance, stigmatisées en grande partie par les médias. Ce qui est finalement ressorti de la cartographie sociale, c’est une vision plus collective du territoire urbain et des quartiers concernés. Elle nous a permis de nous pencher sur les inquiétudes du groupe concernant le quartier, de comprendre sa façon de s’approprier l’espace urbain, et de préparer notre travail autour de trois axes d’analyse: l’élément culturel, l’élément environnemental et l’élément productif. C’est de là qu’est née l’idée d’une maison des jeunes dans le quartier, conçue comme un lieu de rencontre, de formation et de projection dans la vie communautaire. Un des défis posés par la cartographie sociale est de réussir à en faire une stratégie méthodologique pour acquérir du pouvoir, en créant des liens entre les autorités et les organisations influentes du quartier. Un exercice de Cartographie Sociale avec les femmes du quartier est prévu, et il faudrait vraiment intégrer ceux qui prennent des décisions dans le quartier. 4.3. La communication comme stratégie : un point de rencontre Les méthodes de recherche sur la vie du quartier et de la ville ont été renforcées par l’utilisation de moyens techniques comme la vidéo ou la photographie, qui ont facilité l’archivage et la rationalisation du processus. Les échanges fructueux entre les groupes de Lisboa et San Luis, ainsi que ceux qui ont eu lieu entre les jeunes de San Luis et les huitautres villes du projet, ont également été facilités par ces moyens techniques. Les travaux réalisés permettent de rendre compte des progrès et des réflexions des jeunes sur leur façon de s’organiser, leurs conflits, leurs visions des autres jeunes et du milieu social. Le recours à des exercices de vidéo et de photographie a donc été une stratégie bénéfique pour les deux groupes : elle a permis aux jeunes d’explorer la richesse du langage audiovisuel, tout en enquêtant sur leur quartier. Ils ont ainsi acquis de l’expérience dans le maniement technique des équipements. Ce support leur permet de présenter leur travail auprès de leur collège, du Groupe de participation et de l’équipe en charge du développement de la chaîne de télévision communautaire. 4.4. L’introduction de la perspective de genre L’introduction de la perspective de genre dans le projet prend pour le moment la forme d’un défi et d’un conflit dont nous commençons seulement à prendre conscience, tout d’abord dans nos propres vies d’éducateurs, de sujets politiques et d’initiateurs du projet QDM. La confrontation quotidienne avec les problèmes des jeunes du groupe, leur sexualité, leur vie familiale, leur travail, les relations entre eux : pour les facilitateurs et facilitatrices, tout cela agit comme un miroir qui révèle les incohérences humaines, politiques et culturelles, et tous les moments de la vie quotidienne faits d’indifférence, d’affrontement ou de sous-estimation de soi en tant qu’homme et femme, êtres humains et membre d’une même société, d’une même réalité. Nous nous sentons impuissants et mal placés pour donner des leçons de morale ou ériger des modèles de comportements dans les relations entre hommes et femmes. 12 Mais nous tenons à dire que le défi a été lancé et qu’il part d’une volonté politique de reconnaître une inégalité historique des sexes. Ce conflit est toujours d’actualité et n’a été reconnu que tout récemment. Tant qu’il ne sera pas réglé, il sera impossible de dépasser l’actuel modèle économique, social, environnemental et culturel. Certains mots sont déjà apparus dans le milieu du travail, comme féminin, patriarcal, machisme, féminisme. Nous pensons qu’à partir de la perspective de genre, on peut comprendre les éléments qui structurent la société, comme le pouvoir ou la production, ainsi que les éléments qui font la vie quotidienne, comme les habitudes, les relations, les émotions. On commence à découvrir des relations et des conflits de genre partout, et ce qui auparavant semblait normal ne l’est plus. La perspective de genre met au grand jour le rôle invisible de la femme dans la gestion du quartier. Les activités et les décisions révèlent la domination masculine et la passivité et la soumission féminine. Il permet également de réfléchir au patriarcalisme et au machisme présents dans la politique, dans les modèles de participation et dans la notion générale de développement. Cependant, dans l’intérêt de notre travail et de nos relations, il a fallu apporter une définition pratique à la perspective de genre, et trouver une activité qui s’applique bien à la vie quotidienne du groupe dont nous sommes les facilitateurs. Cette activité interrogeait notre passé, notre présent et notre avenir, en tant que membres d’une société, d’une culture, d’un lieu, d’une famille et d’une communauté. 4.4.1. Définition pratique du genre La perspective de genre est une manière d’analyser et de comprendre la réalité à partir des différences entre un homme et une femme, entre le féminin et le masculin. C’est reconnaître que d’un point de vue sexuel, culturel, historique, politique et économique, les hommes et les femmes diffèrent. Parler de genre, c’est aussi évoquer les rôles spécifiques que nous jouons dans la société : ils sont le reflet de nos différentes façons de percevoir la réalité, mais aussi d’un certain héritage historique que nous reproduisons inconsciemment, alors même qu’il nous place dans des positions injustes ou déséquilibrées. Par exemple, on retrouve cet héritage dans le sentiment de supériorité ou d’infériorité qu’ont les hommes et les femmes dans certains aspects de la vie. L’analyse du genre permet de comprendre la famille, le quartier, la ville. On peut par exemple se demander quel a été l’apport des femmes dans la construction du quartier, et pourquoi leur nom n’apparaît pas dans son histoire. On peut aussi se regarder et se demander pourquoi on est comme on est, pourquoi les garçons sont élevés pour être forts et doués en affaires, et les filles pour être tendres et habiles aux tâches ménagères. Réfléchir sur nous-mêmes à travers notre sexe est important pour consolider notre travail de groupe. Nous regarder à travers ce qui nous différencie et nous identifie nous aide à nous respecter et à nous valoriser davantage en tant qu’homme et femme. Cela permet de comprendre que les deux sexes ont un côté féminin et un côté masculin, et que cela à des répercussions dans notre façon de vivre les relations, le pouvoir, l’autorité, la solidarité et la vie quotidienne en général. A partir d’un exercice constant sur le genre, nous pouvons voir que les hommes comme les femmes sont capables d’assumer de grandes responsabilités, de mener, de gérer, de diriger quand cela est nécessaire ou encore d’accomplir des tâches apparemment plus insignifiantes. Enfin, et c’est primordial, ce travail permet de se rendre compte que la différence de sexe est aussi importante que la différence d’âge, car cela indique le rôle que nous remplissons, la responsabilité avec laquelle nous le faisons et la façon dont nous intervenons dans la réalité comme sujets sociaux. UNE PERSPECTIVE DE GENRE SUR NOS FAMILLES La famille au temps de nos grands-parents Observer le passé et s’interroger sur la famille au temps de nos grands-parents est un exercice apparemment facile, mais qui nous amène à réfléchir énormément. Nous nous sommes aperçus que l’homme et la femme avaient à l’époque des responsabilités et des activités bien distinctes. Ils 13 recevaient une éducation inégale, et leurs droits l’un envers l’autre étaient assez déséquilibrés. Nous nous sommes intéressés à la façon dont ils ont éduqué nos parents, et nous avons compris que nous sommes en partie le reflet de ce passé. Cela nous a fait réfléchir sur l’expression courante : « c’était mieux avant» Nous avons cependant rencontré des cas très différents selon les grands-parents. Le point commun entre la majorité des grands-parents des jeunes de Quartiers du Monde est leur origine rurale. C’était une époque difficile, où l’on travaillait dur et dès le plus jeune âge. Les hommes comme les femmes devaient travailler, mais remplissaient des tâches différentes. Les femmes s’occupaient des tâches ménagères, de la cuisine et de l’éducation, tandis que les hommes apportaient à la maison la nourriture et l’argent, ce qui leur donnait le droit de maltraiter nos grandsmères ou de leur être infidèles. A cette époque, les gens se mariaient très jeunes et certaines de nos grands-mères ont été contraintes de se marier et d’avoir beaucoup d’enfants. C’était en effet des familles très nombreuses, et tous les enfants travaillaient au champ. Personne n’allait à l’école : l’apprentissage se faisait directement par le travail. Ce sont nos grands-parents, et surtout nos grands-mères, qui ont inculqué des valeurs machistes à leurs fils, à nos pères. Un garçon ne pouvait pas entrer dans la cuisine (c’était bon pour les homosexuels), il devait travailler, et faire la cuisine n’était pas considéré comme un travail. On apprenait aux filles à se marier pour avoir un homme à leurs côtés. Les enfants étaient énormément battus, on ne leur passait aucun caprice. On ne les cajolait pas non plus, et surtout pas les garçons, de peur qu’ils deviennent fainéants, sensibles ou homosexuels. Mais il y a des cas à part, comme le grand-père de Katherin : sa femme l’a quitté et il a joué le rôle de père et de mère pour ses enfants et petits-enfants, subvenant seul aux besoins de la famille et assurant l’éducation et la transmission des valeurs. Il a prouvé ainsi qu’un homme a une grande part de féminité et une grande part de masculinité. Beaucoup de choses ont changé, mais cette évolution n’est pas due à une plus grande conscience du besoin de respect et de valorisation entre homme et femme. Cela s’explique plutôt par la situation économique et du marché du travail, qui a obligé les hommes et les femmes a travailler à égalité pour sauver leur foyer. Notre famille aujourd’hui Comme nous l’avons déjà dit, les jeunes reproduisent inconsciemment des attitudes des générations antérieures, mais le contexte historique, social, économique et culturel a changé, et ces attitudes ont donc d’autres conséquences. Comme le grand-père de Katherin, beaucoup de jeunes au sein du groupe doivent assumer des responsabilités et des tâches parentales, car leurs parents doivent travailler loin de chez eux. Ils doivent pour cela renoncer à des activités propres à la jeunesse et jouer un rôle d’adulte comprenant des caractéristiques féminines et masculines. Comme dit Ivan : « Je suis comme la maman de mes petites soeurs ». Aujourd’hui, dans ce contexte urbain, les gens ne sont plus obligés d’aller travailler si tôt, ni de se marier. Par contre, beaucoup de jeunes adolescentes se retrouvent enceintes. Les jeunes peuvent sortir, l’accès au collège est le même pour tous, mais les garçons sont toujours plus libres que les filles, à cause du machisme des parents ou pour des raisons de sécurité. De plus, quand les jeunes ont des rapports sexuels, c’est la fille qui tombe enceinte, et le garçon peut disparaître dans la nature. Certains affirment que les filles sont plus en danger que les garçons, qui eux savent mieux se défendre. Il est évident qu’il y a encore du favoritisme au sein de la famille : les garçons peuvent ramener de mauvaises notes, sortir avec beaucoup de filles, ne pas travailler, se battre et boire en toute impunité. 14 Pour les filles, c’est autre chose : elles doivent assumer de plus grandes responsabilités, en particulier vis-à-vis de leurs petits frères. Nos parents Les parents ont des rôles différents dans la famille : en plus de leur rôle de parents, ils sont un couple, un mari et une femme, ce qui entraîne d’autres conflits familiaux, d’autres malentendus. Il est assez courant que le père maltraite la mère, et qu’elle le supporte et le justifie. Un père peut se comporter très mal, et même si le respect envers lui se perd petit à petit, ses enfants l’approuvent toujours. Ils sont beaucoup moins tolérants envers leur mère. Certains jeunes se sentent plus tranquilles depuis que leurs parents se sont séparés, car il y a moins de disputes. Certaines familles n’ont qu’une mère, d’autres n’ont qu’un père, et les relations sont beaucoup plus sereines. Les problèmes commencent quand les parents célibataires se souviennent qu’ils sont aussi des hommes et des femmes et qu’eux aussi peuvent tomber amoureux. En effet, leur nouvelle compagne ou leur nouveau compagnon devient aussi la belle-mère ou le beau-père de leurs enfants, et cela crée des conflits. Certaines mamans se mettent avec un homme pour se sentir moins seules, elles tombent amoureuses mais ne sont pas forcément heureuses. La famille que nous voulons Quand on imagine sa future famille, on pense d’abord au fait de ne manquer de rien, de recevoir et de donner avec beaucoup d’amour. Il n’y a pas de projection précise. On pense d’abord à ce dont on a manqué. Cela fait même un peu peur à certains, qui ont beaucoup souffert et ne se font pas d’illusions. Ils ne veulent pas avoir d’enfants si c’est pour qu’ils vivent dans la même merde qu’eux. Aucun changement n’est envisagé dans les relations entre les sexes, dans le couple, entre le couple et les enfants, ou encore entre frère et sœur. La famille est considérée comme une étape dans laquelle on se lance après avoir réalisé ses rêves, et non pas comme un rêve en soi. Certains se voient sans enfant d’ici quelques années, d’autres ne veulent pas avoir de famille, et pour certaines, avoir un enfant donne une raison de se battre et de s’en sortir. Enfin, la famille n’est pas mesurée au nombre de membres, ou d’enfants, mais à la tendresse. Un groupe de personnes unies par l’amour et le respect forment déjà une famille. Quel avenir pour les relations entre homme et femme? Il est évident qu’il reste beaucoup de choses à dire sur la vie en général et notre réalité quotidienne du point de vue du genre. Cet exercice nous a permis d’étudier nos familles, leur passé, nos relations et nos rôles. Travailler et réfléchir sur le genre n’est pas une corvée, c’est une pratique constante pour parvenir à des relations plus équitables et amicales, moins dominantes, machistes, autoritaires et violentes, afin de ne pas répéter l’histoire amère de nos aînés. De plus, en tant que projet Quartiers du Monde, et comme initiative de travail pour et avec la communauté, la perspective de genre est un pont vers la réalité. Elle nous permet de nous faire une idée par exemple du rôle des femmes dans l’histoire du quartier : y avait-il des leaders ? Leur rôle était-il d’apporter de l’eau, de cultiver la terre ? Est-ce qu’elles étudiaient ? Construisaient-elles les maisons avec les hommes ? Et en ce qui concerne les hommes : de quoi travaillaient-ils ? Prenaient-ils part aux tâches ménagères ? Et comment étaient les relations entre homme et femme? Comment les gens se mariaient-ils ? Comment les familles sont-elles arrivées dans le quartier ? Aujourd’hui dans le quartier, les femmes sont plus organisées, il y a des regroupements, des associations, des leaders qui administrent et construisent le quartier jour après jour. Elles ont beaucoup à nous apprendre, sur la famille, leur éducation, leurs propositions pour la communauté. Il y a aussi des hommes qui travaillent dans des domaines pas proprement « masculins », ou qui adoptent des attitudes féminines sans pour autant renoncer à leur masculinité. Tous ces phénomènes nous permettent de comprendre les conflits de genre, mais aussi de voir, à partir de la perspective de genre, d’autres facettes du quartier et de la ville (culturelle, politique, démocratique, participative, religieuse, environnementale, historique et économique). Les propositions du projet QDM deviennent ainsi plus claires. 15 Contextes différents, mise en oeuvre différentes La différence de contexte et de niveaux d’organisation des jeunes entraîne des écarts dans la consolidation du projet. Il est donc nécessaire d’améliorer les méthodes de travail, pour renforcer un processus qui vise à prendre en compte les attentes et les intérêts des jeunes. Le travail avec les jeunes de Lisboa est maintenant plus axé sur la reconnaissance de leur travail de recycleurs, qui sert de base à l’étude de la situation du quartier. A Lisboa, les conflits de genre sont très présents, et il a donc fallu séparer les filles des garçons. En effet, la dévalorisation ou les mauvais traitements dont souffrent certains jeunes nécessite un traitement spécifique, et il nous faudra trouver des stratégies pour établir une relation et un dialogue entre les deux groupes. La situation à Lisboa est un vrai défi pour QDM, tant au niveau de la pédagogie que des relations humaines. En effet, la violence est une réalité dès l’enfance, qui se manifeste autant dans la négation de leur travail par l’Etat que dans la violence au sein de la famille. A tous les niveaux (personnel, familial, communautaire et organisationnel), il faut fournir un effort et trouver une dynamique particulière. Pour l’instant, nous ne savons pas très bien comment nous y prendre. 5. Identités des jeunes 5.1. Divergences des centres d’intérêt et des activités quotidiennes Groupe de San Luis Les études Les formes d’organisation déjà en place, comme QDM, ouvrent la voie à une prise de pouvoir Groupe hétérogène: les uns ont une grande capacité d’action, les autres de réflexion. Groupe de Lisboa Le travail Malgré l’existence d’une identité dans les bandes, ils n’ont pas encore pris conscience de l’importance de trouver des formes d’organisations comme QDM. Relations de genre conflictuelles, réaffirmation des valeurs machistes héritées de la famille 5.2. Dialogue et reconnaissance à partir de la construction d’identités, de sujets et de territoires La spécificité du territoire a été déterminante dans le processus d’organisation et de reconnaissance d’une appartenance à un groupe. En effet, San Luis n’est pas seulement un quartier, c’est aussi une façon traditionnelle de faire référence à l’ensemble des quartiers des collines du Nord-Ouest de Bogota, comme La Sureña, Morasi, La Capilla, Bosques de Bellavista, et San Luis. Cette zone, en proie à des conflits légaux et environnementaux, a toujours été exclue des budgets, plans, et interventions de l’Etat et du district. Cette exclusion a eu des conséquences pour les jeunes du quartier, comme la restriction de l’accès à l’éducation, à la culture, à la formation, aux loisirs et à la participation ; sans parler de l’absence d’investissements en infrastructures et services. Pour obtenir le peu qu’ils ont, les habitants ont dû se battre et organiser une gestion communautaire. Cette situation se reflète dans la vie quotidienne: chômage, groupes de jeunes désoeuvrés dans les rues, phénomènes de bandes, conditions de travail, sous-emploi (laveurs de carreaux, employées de service, dans le meilleur des cas). 16 A cela s’ajoute le fait de vivre au Nord de la ville, à proximité des riches et de leurs divertissements. Il y a aussi la multiplication des références culturelles, comme les cultures électro, hip-hop, rock, la fréquentation des bars, le goût pour les voitures, avec ce que cela entraîne comme dépenses en vêtements, disques et loisirs. Dans un monde où le pouvoir d’achat est faible mais l’offre abondante, la vie quotidienne est rythmée par les vols, les magouilles, le travail des enfants. La communauté et le quartier ne sont pas des références dans le mode de vie, et cela se trahit par un désintérêt pour les espaces et le travail communautaire. L’illégalité de leur logement et l’absence de réponse de l’Etat à leurs demandes ont miné la confiance dans les quelques espaces de participation et de dialogue avec les représentants du pouvoir. Cependant, leur vulnérabilité et les menaces pesant sur leurs quartiers (expulsion, expropriation, relogement dans d’autres quartiers) ont fait naître chez les habitants une volonté de défendre leur territoire et un attachement à leur quartier. Cela a abouti à la création du Groupe de participation citoyenne, espace de convergence entre organisations communautaires, ONG, et institutions officielles du district. Ce groupe, qui coordonne les actions et les projets qui naissent dans le quartier, a permis de révéler l’importance d’une participation et d’une organisation des jeunes. Au milieu de l’apathie qui caractérise cette tranche d’âge, certains jeunes ont eu une réaction positive, en apportant des propositions collectives et individuelles pour s’intégrer à la communauté, en particulier sur des questions de culture et d’environnement. Cela prouve que, contrairement à ce que laisse entendre la version courante, leur manque de participation n’est pas dû à un désintérêt et une apathie qui serait propre à leur âge: la participation des jeunes dépend des opportunités qui s’offrent à eux, de la reconnaissance qu’ont leur apporte, de leur confiance en soi, et de l’accès à l’information. L’équipe QDM de San Luis est venue s’articuler à cette organisation de quartier, et les jeunes se sont engagés, entre autres, à produire des vidéos et à participer au cours d’agriculture urbaine. Ces activités leur ont permis de rencontrer d’autres jeunes du quartier et ils sont en quelque sorte devenus des personnes connues et respectées, du moins par la communauté organisée. Cette reconnaissance les motive pour travailler et s’engager chaque jour un peu plus dans la vie du quartier, auquel ils apportent leur point de vue et leur vitalité. L’équipe de San Luis, en particulier certains jeunes, se sont appropriés de l’idée générale de QDM et ont compris l’importance et la valeur du travail social, politique et communautaire. L’intérêt de deux jeunes de l’équipe les a même poussés hors de leur contexte local, n’hésitant pas à bouleverser leur vie quotidienne : ils travaillent désormais activement avec l’équipe d’Enda-QDM, pour soutenir le processus naissant de QDM dans le quartier de Lisboa, ce qui enrichit aussi leur propre processus local. Il convient de souligner encore une fois l’importance d’un dialogue permanent, qui motive le travail des jeunes et permet la construction des identités, des différences et de la reconnaissance comme sujet. 11 • Socialisation des propositions des jeunes QDM de Rio, pour répondre à leurs interrogations, de façon individuelle ou collective. Des groupes de 3 ou 4 jeunes se sont formés pour réaliser un croquis représentant les villes de QDM, et définir avec des mots l’image qu’ils ont de ces villes et des jeunes qui y habitent. A partir de là, ils rédigent une série de questions pour les jeunes des autres villes. Un petit groupe de jeunes suivant le cours s’est réuni pour répondre aux questions des jeunes de Rio et ont envoyé leurs réponses aux différentes équipes QDM11 • L’expérience avec Ibagué a été très motivante pour l’équipe. 3 jeunes de l’équipe s’y sont rendus pour échanger leurs expériences et leurs apprentissages, et réaliser une formation sur la cartographie sociale. Cette rencontre avec Ibagué a ensuite été restituée. • Une autre expérience d’échange a eu lieu pendant le Cours. Une invitation a été lancée pour connaître le travail du groupe, à travers une exposition appelée “Contrastes entre deux mondes”, qui comprenait une fresque murale, ainsi que des comptes-rendus d’activités, des photos commentées du quartier, une vidéo sur la visite de l’Université Nationale. Voir en annexe le texte d’échange avec les jeunes de Rio de Janeiro 17 Les jeunes de QDM participant initialement au cours de Gestion Environnementale Communautaire sont scolarisés dans 3 localités différentes (Suba, Chapinero et Usme ), et ont connu le projet par des voies différentes : - Suba : certains avaient déjà suivi le cours au semestre précédent, mais se sont réinscrits, car ils sont intéressés par les expériences d’organisations de jeunes ; d’autres suivent le cours car leur collège leur demande une activité sociale extérieure. - Chapinero : c’est le collège Campestre Monteverde qui les a invités à participer. - Usme : les jeunes ont connu le projet par des voies plus informelles. Cette variété dans l’origine des jeunes avait pour but de former différentes équipes, avec lesquelles travailler de façon articulée. Cela partait de l’importance de la communication dans la construction d’identités pour les jeunes, dans le cadre du projet. Ce cours était le point de départ d’un processus plus large, visant à générer et à consolider des processus organisationnelles chez les jeunes ; l’objectif étant qu’ils répercutent cette expérience de réflexion et d’action, dans leur quartier et leur école. Pendant les trois années que dure le processus de QDM, il faudra favoriser un travail articulé, une dynamique communautaire et la création d’espaces de dialogue avec les pouvoirs publics de la localité, afin de donner une place aux initiatives du groupe dans ces instances de décisions. Comme on pouvait s’y attendre, le cours a été déserté, en raison du manque d’intérêt ou de motivation pour les thématiques et les dynamiques abordées, mais aussi en raison du manque d’engagement du centre éducatif de Suba (CED Julio Florez). En effet, le centre avait d’abord rendu obligatoire l’assistance au cours pour certains élèves, puis a changé d’avis. Comme le cours n’était plus obligatoire, les jeunes ont donc cessé d’y aller. Finalement, le cours s’est consolidé avec les jeunes de la UPZ San Isidro-Patios, pour la plupart des étudiants du collège Campestre Monteverde, et avec une jeune fille de la localité de Usme. L’équipe avec laquelle le projet continue n’est plus la même que pendant le cours, certains jeunes s’étant éloignés et d’autres ayant apparus, attirés par leurs ami(e)s ou par la présence permanente du projet dans le quartier. La construction et la consolidation d’un espace fonctionnant comme Maison culturelle de la jeunesse commence à attirer de nouveaux jeunes intéressés par les thématiques ou les activités (agriculture urbaine, projections audiovisuelles, ateliers de formation, etc.). 5.3. Articulation des échelles du quartier et de la ville De la ville au quartier, du quartier à la ville Le processus initié avec le cours a juste pour objectif la consolidation des bases nécessaires à l’élaboration d’une organisation chez les jeunes. Il n’a pas pour ambition d’arriver déjà à une organisation solide. Tenant compte de cela, nous avons travaillé à une reconnaissance territoriale du contexte ville-région, comme stratégie pour construire une identité propre et pour mettre en relation les différents groupes de jeunes en processus d’organisation. Les principales méthodologies ont donc été fondamentales : - - - Visites de différentes localités et zones de la ville. Elles ont permis d’élaborer des axes d’analyse pour comparer des problématiques, connaître des endroits dont « on ne soupçonnait pas l’existence », en rencontrer les habitants, les interviewer, et interviewer également des personnes suivant le cours dans d’autres groupes. Ces visites ont été bénéfiques pour le développement des thématiques abordées, mentionnées ci-après. Exercices de cartographie sociale, pour connaître différentes facettes du quartier, les différentes représentations qu’a le groupe de la ville, les différentes représentations qu’ont d’autres personnes du quartier, de la ville et d’autres contextes (comme avec Ibagué par exemple). Un dialogue est né du partage de ces perceptions et de ces modes de vie. L’importance de la communication pour le projet QDM a fait de l’enregistrement des activités sur différents supports un des outils fondamentaux du travail : documents vidéos, photos, audio, cahier de bord individuel, bulletin d’information collectif, documents d’information, de 18 - création, de réflexion et de capitalisation, etc. L’élaboration de tels produits de communication et d’échange a en fait consisté en un exercice de capitalisation permanente. La RAP a été fondamentale pour la consolidation du groupe, à travers les visites, les conversations et les ateliers. Une fois le cours achevé, elle a permis au groupe de San Luis de mettre son apprentissage en application dans le quartier, en proposant des activités surtout informelles s’inscrivant dans le cadre du projet QDM, et qui aujourd’hui encore continuent d’enrichir la vision du quartier, de la ville, du district et de la région. Le processus a été conçu à partir d’objectifs clairs à moyen et long terme, dans le but que les étapes franchies vers une consolidation du groupe de jeunes prennent déjà en compte les caractéristiques organisationnelles souhaitées. La reconnaissance du territoire part nécessairement des logiques et des dynamiques territoriales qui se tissent chaque jour dans les quartiers. Il est donc fondamental de travailler à une reconnaissance du contexte le plus immédiat, tout en essayant d’apporter une vision plus large du territoire. De ce fait, l’exercice d’ethnographie proposé aux jeunes a joué un rôle très important, et les facilitateurs l’ont d’ailleurs utilisé pour la capitalisation du travail. Les activités réalisées, comme les visites organisées dans différentes localités de la ville, les interviews, ou encore l’enregistrement de fragments de mémoire collective et individuelle, ont toutes été archivées. Cela a amené une réflexion ethnographique de plus en plus complexe sur la nature même du quartier, sur le contexte plus large dans lequel il s’insère, depuis de multiples perspectives (histoires du quartier, les jeunes dans le quartier, les espaces de participation, etc.). Ce travail à partir de l’ethnographie a pour objectif de dépasser le simple processus d’archivage, pour arriver à l’analyse et à la production de documents de divulgation, comme le montre le schéma suivant : Pour arriver à l’élaboration de ces documents, nous avons utilisé différentes méthodes audiovisuelles (interviews, visites, activités, fiction) et écrites (cahiers de bord individuels, bulletin d’information collectif, guides, bulletin, essais, etc.). 5.4. Mémoire, histoires dans le processus de construction des identités : Récits du quartier Pour connaître la vision de chacun sur le quartier, des récits12 individuels ont été élaborés, à partir de l’identification d’un contexte, de personnages, et d’une situation, sans nécessairement arriver à une fin. Des récits collectifs ont ensuite été rédigés en combinant les écrits individuels. Ce travail a abouti à une analyse commune des thèmes abordés, des personnages, et de la situation, qui a mis en évidence les problèmes du quartier (violence, délinquance, drogues). Cette analyse a également permis de voir l’ambiguïté qui soutend le fait que le quartier soit considéré comme « inintéressant », « vide ». Outre l’apport d’un diagnostic sur le contexte du quartier, ce travail commence à rendre visibles de possibles champs d’action, à la vue des besoins du quartier et de ses habitants. Pour parvenir à une reconnaissance territoriale du contexte ville-région, en partant aussi d’une lecture plus locale, le travail s’est déroulé suivant les thématiques suivantes : • Les marécages et le système hydraulique de la plaine, comme composants d’une approche environnementale de la ville-région, fondamentale pour une vision particulière - plus locale de certains secteurs où vivent les groupes de QDM, dans les vallées des cours d’eau ou autres éléments hydriques. 12 • La relation urbain-rural dans de nombreuses zones de la ville, en particulier dans les localités et les quartiers périphériques, où l’urbanisation est récente et où subsistent des logiques rurales s’intégrant peu à peu au contexte urbain. L’agriculture urbaine s’y développe, comme un champ potentiel d’action et de formation. Les visites d’Usme, Chapinero et Suba ont permis d’obtenir des éléments d’information, de réflexion et d’échange à ce sujet. • Les problèmes posés par le maniement de résidus solides a été abordé à l’occasion de visites le dépôt d’ordures Doña Juana. Le dialogue avec la population des recycleurs (dont font partie certains jeunes de l’équipe du quartier Lisboa) a permis de les sensibiliser au problème, et ils Voir en annexe quelques-uns des récits élaborés au cours de l’atelier 19 ont aussi participé au cours. A partir du travail réalisé sur les alternatives de production, des ateliers de travail ont été mis en place autour du thème des matériaux recyclables, comme la fabrication de papier à partir de résidus organiques et de fibres végétales. 13 14 15 • Les processus d’urbanisation de la ville ont également été évoqués au cours des visites dans les différentes localités. Ce sujet a été travaillé de façon plus approfondie dans le quartier. En effet, les jeunes sont allés interviewés des habitants, en leur posant des questions sur les origines du quartier et de la zone. Comme pour d’autres sujets (système hydraulique, collines orientales, plan d’aménagement territorial, etc.), seule une vision complète permet de distinguer à la fois la spécificité des problèmes et leur articulation dans les différentes localités. • Les collines orientales de Bogota13, qui englobent cinq localités de la ville, connaissent des problèmes particuliers, mais liés à une échelle plus large. Le thème a été abordé au cours des présentations, des conversations et des visites à Chapinero et Usme, non seulement pour le décrire et le contextualiser, mais aussi pour analyser la politique publique correspondante, notamment le Plan d’Aménagement et la gestion des collines orientales (POMCO). • Le problème de l’espace public14 a été abordé, en tant que concept, à travers l’analyse de la conjugaison de « l’espace » avec le « public ». Les visites ont aussi été une façon de se pencher sur les problèmes de cet espace public dans différentes localités de la ville. De même, la prise de photographies dans différents espaces urbains (notamment dans les quartiers des équipes) et leur analyse ont mis en évidence les réflexions suscitées par l’espace public, en tant que concept et réalité quotidienne dans la ville et le quartier. • Etant donné la complexité de la perspective, le plan d’aménagement du territoire est une thématique transversale, sous-jacente à toutes celles déjà mentionnées. En effet, à partir d’une vision d’ensemble sur les différentes composantes du système environnemental de la ville, mais aussi des lectures, des conversations, des visites, etc., on peut distinguer les éléments d’un plan d’aménagement du territoire, qui vient s’opposer à une dynamique d’aménagement du territoire des communautés elles-mêmes. Cela mérite une analyse. De même, au cours d’une visite de l’Université Nationale avec des groupes d’étudiants, nous avons identifié sur le campus universitaire une logique d’aménagement du territoire, qui, malgré la spécificité15 de ses usages, politiques et conflits, s’inscrit dans une logique plus large d’aménagement du territoire, à l’échelle du district et de la région. Pour apporter une vision critique de ce phénomène, il est nécessaire d’aborder le sujet du développement durable. • Les processus organisationnels sociaux et communautaire au niveau local et du district, comme les aqueducs communautaires à Ciudad Bolivar et Chapinero, les organisations de recycleurs à Suba, Usaquén et Kennedy, ainsi que les processus davantage propres aux quartiers et à leurs espaces de participation et de dialogue. Cela a permis de mieux connaître ce que sont ces organisation sociales et communautaires dans la ville, et définir un cadre de référence de ce que peuvent être ce type d’organisations pour les jeunes. • Création d’espaces de participation locale et pour le district pour les jeunes, dans le but de mettre en lien les points de vues et les propositions de chacun. • Construction d’identités juvéniles, prenant en compte les multiples façons d’être jeune, dans le contexte du quartier et de façon plus large dans la ville. Voir en annexe la présentation des collines orientales, comme composante de la Structure Ecologique Principale de la ville Voir en annexe la présentation de l’espace public Voir en annexe le parcours à travers l’Université Nationale 20 5.5. Langage et expressions des jeunes: “connaissance en direct”: premier exercice vidéo Nous avons proposé comme exercice l’élaboration d’une vidéo relatant l’expérience du cours, destinée à être présentée pendant le cours. « Connaissance en direct » est le résultat de cette première expérience vidéo comme méthodologie de recherche-action. Le cours a énormément enrichi l’équipe, et il nous semblait important de pouvoir en tirer profit. Nous avons donc décidé de réaliser une vidéo reflétant les principaux thèmes abordés et les réflexions ayant émané des activités. Ainsi, en plus des connaissances acquises, nous disposons d’un abondant matériel audiovisuel et photographique. Même si tous les membres du groupe n’étaient pas encore à l’aise avec les outils audiovisuels (caméras et appareils photos), nous avons décidé que cette activité serait collective et que tous les jeunes y participeraient. Nous avons donc formés des petits groupes chargés des différents aspects du travail, pour construire en commun la vidéo. Après avoir répertorié les éléments dont nous disposions pour élaborer la vidéo, évaluer l’intérêt des jeunes et les capacités acquises pendant le cours, nous avons formés les groupes de travail suivants : - Sélection de photos, parmi celles prises lors des visites et des activités du cours dans le quartier et à l’Université Sélection d’images en mouvement, parmi celles filmées lors des visites, activités, interviews, et dans des documentaires comprenant des images pertinentes Sélection d’interviews parmi les enregistrements audio effectués pendant les activités ethnographiques. Choix de la musique pour notre vidéo (style, mélodie et paroles) Sélection de textes pour la voix off, dans la bibliographie utilisée et les différents documents rédigés pendant le cours. Un petit groupe s’est ensuite chargé de monter le film avec tous ces éléments, et cela a abouti à « Connaissance en direct », une vidéo de dix minutes pendant lesquelles les jeunes proposent une brève réflexion sur les thèmes suivants : la vision de la ville, sa dimension environnementale, l’identité des jeunes, la manipulation de résidus solides, et les problèmes d’espace public. Ce travail a été un effort intéressant auquel chacun a apporté quelque chose. Le sentiment d’appartenance au groupe s’en est trouvé renforcé, car tous étaient fiers de leur rôle de réalisateurs/trices dans un des groupes mentionnés plus haut. La vidéo a déjà une histoire (courte mais qui existe), elle a déjà été adoptée par les populations et les communautés, surtout par les jeunes. C’est un outil multifonctionnel, une sorte de boîte à outils. Si le domaine photographique et audiovisuel facilite la capitalisation, il faut faire attention à ne pas confondre enregistrement et capitalisation… Mais il faut reconnaître que la quantité énorme de photographies et d’enregistrements vidéo des activités rend déjà bien compte du déroulement du cours (développement, objectifs, méthodologies, difficultés, réussites, etc.). La réalisation de cette vidéo collective par les jeunes a été un vrai exercice de capitalisation du cours. De plus, la dynamique qui a sous-tendu cette activité entre pleinement dans le cadre de la RAP, car ce sont toujours les jeunes qui ont organisé le travail pour que chacun puisse y participer. Notre rôle de facilitateur s’est limité à coordonner les discussions, et de régler les questions techniques. Ce travail collectif a vraiment été un succès. Pour étudier la situation du quartier, les improvisations théâtrales sont une ressource pédagogique intéressante : il demande un travail d’expression orale, et aide à recréer le contexte du quartier et ses problématiques. Notamment, il en est ressorti le rôle central que joue l’association des usagers de l’aqueduc communautaire (ACUALCOS). Cette expérience historique d’autogestion communautaire est exemplaire pour le groupe, car elle montre que les communautés sont capables d’élaborer des stratégies et de nouvelles constructions urbaines, pour faire face aux manques crées par une ville profondément inéquitable. 21 6. Participation et pouvoir 6.1. Politiques urbaines de jeunesse Les politiques de jeunesse en Colombie ont en général un caractère urbain, en raison de la demande et des propositions des dirigeants. Elles visent presque toujours une population urbaine, l’économie urbaine, financière, industrielle, des petites entreprises et informelle. Les politiques pour la jeunesse rurale sont inexistantes, à l’exception du programme paysans soldats, et de quelques initiatives privées, comme les fédérations des cultivateurs de riz, de café, ou des propriétaires de bétail, qui tendent surtout à renforcer la productivité dans ces secteurs. Il est donc inutile de préciser le caractère urbain des politiques de jeunesse, car il est en général implicite. La politique de jeunesse est un thème récent, encore fragile et en constante redéfinition. Elle répond clairement à des intérêts de classe, en particulier socioéconomiques. D’un côté, les jeunes commencent à s’organiser, poussés par l’exclusion, la marginalisation, le manque d’opportunités et d’accès à l’éducation, à la formation, au sport, à la santé et au travail. De l’autre, les pouvoirs publics commencent à développer des programmes, projets et activités. Cette politique de jeunesse est financée par le secteur privé et public du pays, pour répondre aux exigences d’un marché qui recherche une main d’œuvre qualifiée, bon marché, mais peu éduquée. Ces secteurs développent également des formes de contrôle et d’assistance, pour faire face aux possibles problèmes de sécurité et d’ordre social et pour compenser les inégalités issues du modèle économique et du conservatisme politique. C’est le cas par exemple des cours de formation en électricité, céramique, coiffure, couture, ou encore boulangerie, dans lesquels on fait miroiter aux jeunes un avenir de travailleur indépendant. Il existe aussi des activités culturelles, concerts, cours de théâtre, d’échasses ou de guitare. Tout cela sans coordination, sans fil conducteur ou processus social cohérent et durable. La politique de prévention voit dans les jeunes un problème et non une opportunité, une population vulnérable au lieu d’une population en construction. Ainsi, on trouve de nombreux espaces de dialogue sur la dépendance aux drogues, les grossesses prématurées, le satanisme et la violence. Les politiques de jeunesse se construisent donc entre ses deux ensembles : du côté des jeunes, un désir de participer et d’être écouter, et de l’autre, une recherche de main d’œuvre ou de contrôle de potentiels ennemis publics. Cette relation relève plus de la contradiction et de la surdité que d’une communication intersectorielle et intergénérationnelle. D’un côté, on forme les jeunes à la forgerie ou l’électricité, et de l’autre, on élimine les garanties de travail et la protection de la santé, ce qui revient à annuler les possibilités d’avenir et la stabilité du travail. Les organisations de jeunes ne sont pas écoutées quand il s’agit de propositions politiques, et encore moins quand celles-ci dépassent l’échelle locale pour s’appliquer à l’ensemble des quartiers, collèges, universités ou villes du pays. Les organisations de jeunes sont stigmatisées et gênées dans leurs initiatives, ce qui les éloigne encore un peu plus de la vie politique officielle. C’est le cas d’organisations de gauche ou de groupes politisés comme les punks. Cependant, cette situation n’est pas absolue. A ce conflit s’ajoutent l’inconsistance des politiques publiques et l’inefficacité ou la faible portée des actions communautaires. Tous ces éléments ont joué un rôle dans la définition des mécanismes de participation et les politiques en général. Aujourd’hui, on s’interroge sur la nature des conseils de jeunesse, leur caractère consultatif et leur manque de portée, mais il y a 10 ans, ces conseils n’existaient même pas, il y a 20 ans, on ne parlait pas de la jeunesse comme on le fait maintenant. A l’heure actuelle, notre vision est influencée par les gouvernements, eux-mêmes poussés par les demandes des jeunes et par le contexte conflictuel. La réalité de ce conflit exige des politiques plus solides, qui englobent les institutions, engagent le secteur privé et s’ouvrent lentement à la politisation et à la participation. En Colombie, la politique de jeunesse remonte à une vingtaine d’années, avec la création en 1968 de l’Institut Colombien de la Jeunesse et des Sports. A l’époque, elle se limitet à des activités sportives, les jeunes étant considérés comme une classe d’âge mineure dont il faut occuper le temps libre. Leur statut de sujet politique ou économiquement actif dans la société est complètement ignoré. C’est seulement à partir des années 80 et 90 que cette vision change, influencée par des dynamiques et des rencontres internationales. Le gouvernement comprend l’importance de considérer la jeunesse comme une population vulnérable et spécifique, demandant une attention particulière. La nécessité de 22 recourir à des mécanismes institutionnels garantissant l’application des politiques de jeunesses et l’accès aux droits fondamentaux et aux avantages naturels et sociaux. En 1985, année de la jeunesse (par l’ONU), est créé le Conseil National de Coordination pour la Jeunesse, regroupant de nombreuses organisations colombiennes qui bénéficient d’un soutien international. Ce Conseil a pour but la promotion et la diffusion de l’organisation et de la participation des jeunes. Cette époque est marquée par un travail d’approfondissement du concept de jeunesse et du thème de la prévention. Les jeunes sont davantage écoutés et le travail, la production et la formation sont revalorisés. Parallèlement, cette époque est le théâtre de la politique mal qualifiée de « nettoyage social » dans des villes comme Médelin et Bogota, orchestrée par les pouvoirs publics et des groupes paramilitaires, et qui se solde par des milliers de morts chez les jeunes. Cette situation renforce et accélère le processus d’organisation dans les quartiers de Ciudad Bolivar ou le district de Agua Blanca à Cali. Des bandes, des milices, des groupes artistiques, culturels et religieux se forment, et s’emparent des espaces traditionnels de participation comme les Assemblées d’action municipale. Ces mouvements sociaux attirent le regard et les investissements d’organismes internationaux de tous bords. L’Etat est alors contraint de revoir sa politique, car les jeunes posent un sérieux problème d’ordre public, de sécurité et de développement en général. Les années 1990 marquent la création du Conseil pour la Jeunesse, les Femmes et la Famille, et celle du Vice-Ministère de la Jeunesse. Cette initiative surgit à la même époque dans d’autres pays de la région, ce qui prouve qu’il s’agit plus d’une réponse extérieure qu’une solution aux problèmes nationaux et locaux des jeunes. Cela se reflète dans le manque d’articulation des institutions et des programmes, de la part de l’Etat et des organisations non gouvernementales. Cependant, différentes rencontres internationales au Panama et au Mexique débouchent sur l’élaboration de chartes et de manifestes pour la défense des droits de la jeunesse, par les ministres de la jeunesse de différents pays et d’organisations sociales et politiques. Peu à peu, on assiste à une reconnaissance de la participation des jeunes, et à la création d’espaces appropriés. La participation active des jeunes lors de l’Assemblée nationale constituante de 1991 en est le témoin, même s’il en est ressorti un seul article sur la participation active dans les organismes publics et privés. Quelques années plus tard, une loi sur la jeunesse est promulguée, la loi 375, en réponse au besoin de développement des jeunes, tant sur le plan institutionnel que de la formation. Le poste de ministre adjoint à la jeunesse est supprimé sous Pastrana, en raison de la faiblesse du travail réalisé en vue de l’élaboration d’une politique de jeunesse à l’échelle nationale. Plus tard, un programme présidentiel est mis en place, le programme « Colombie Jeune », qui offre une vision plus intègre de la politique de jeunesse. Il s’applique à l’échelle nationale, dans les villes, communes et départements, et veille au bon fonctionnement des conseils de jeunesse, selon le décret 089 de 2000. Ces dernières années, le gouvernement a davantage investi en ressources, activités et programmes, en mettant à l’honneur le travail et la production, en offrant des crédits, des espaces comme « expocamello », des formations et des aides pour les jeunes entrepreneurs, et en renforçant ses programmes de formation technique et artisanale. Mais ces efforts sont en contradiction avec les politiques socioéconomiques menées par le gouvernement, qui sont pourtant déterminantes pour la réalité des jeunes : des cours de formation professionnelle et des universités ferment, les intérêts des crédits augmentent, la modeste industrie nationale est sacrifiée au profit du libre-échange, le service militaire est prolongé, et les assassinats systématiques sont toujours à l’ordre du jour dans certains secteurs, comme Altos de Cazucá, au sud de Bogota. 6.2. Politiques de jeunesse à Bogota La ville de Bogota est particulièrement concernée par le renforcement de la politique de jeunesse mené depuis les années 90. Parmi les nombreux projets mis en oeuvre, on peut noter : - le décret 808 de 1991 (gouvernement de Caicedo Ferrer), qui réglemente les Conseils locaux de la jeunesse, qui n’ont jamais été mis en œuvre lors de cette adminsitration ni lors de la 23 - - suivante de Jaime Castro. le rapport « Bogota est jeune», du gouvernement Mockus Bromberg les actions menées en vue d’une amélioration de la politique municipale de jeunesse, comme le programme « Bogota jeune, pense-la, crée-la » de la mairie de Peñalosa, qui s’engage sur 4 sujets : formation de jeunes talents, participation et identité, santé et bien-être, prévention pour les jeunes en danger les projets d’enquête, comme « Atlantide » de 1992 à 1995, « avoir 15 ans à Bogota » en 1993, « les jeunes prennent la parole » en 1994 ; les rencontres de jeunes à l’échelle du district ; les programmes comme « les jeunes, tisserands de la société », qui a permis de former plus de 800 jeunes parmi les catégories les plus pauvres, ce qui a aidé à leur développement personnel ; le concours « action pour la convivialité », qui a récompensé plus de 100 projets menés par des jeunes. Malgré tous ces efforts, il n’existe ni représentation institutionnelle des jeunes, ni reconnaissance de leurs intérêts, en termes de politique, d’éducation, de travail, de science, de sports, de problématiques régionales et culturelles, etc. Cette défaillance du système ne touche pas seulement les jeunes, car il s’agit d’un problème de manque de participation, de conservatisme politique. En effet, les conseils, les rencontres citoyennes, les organismes sociaux, ne sont que des instances consultatives, qui ne bénéficient ni de budget, ni d’aide technique et professionnelle pour leur travail. Les seuls espaces réservés aux jeunes sont les groupes politiques de différents bords. Ces groupes possèdent un espace interne de formation, et des pratiques externes de socialisation et de participation. Mais ils ne sont pas toujours orientés vers la construction de la ville ou les problèmes locaux : ils pensent souvent en des termes nationaux, voire internationaux, super-structurels et s’éloignent beaucoup des problématiques locales et communautaires. Pour l’instant, les groupes formés par QDM n’ont pas eu de contact direct avec une instance politique, mise à part l’expérience de coordination avec certains services ou bureaux de la mairie de Chapinero, qui a abouti sur la création d’un centre opératif local, un fonds d’habitat populaire, ou encore un jardin botanique. Mais ce travail reposait plus sur des termes territoriaux généraux que sur des problématiques propres aux jeunes. Par ailleurs, l’expérience auprès du Conseil local de culture a été le seul contact avec un espace officiel de participation communautaire. Mais encore une fois, le travail était axé sur les problèmes environnementaux, et non sur les problèmes des jeunes. Les Conseils locaux de la jeunesse sont les seules institutions permettant une participation légitime des jeunes. Cela ne veut pas dire que les jeunes n’ont pas d’influence sur leur ville, qu’ils ne participent pas et n’ont pas d’idée ou de forme d’action politique. Il existe en effet d’autres façons d’exercer un pouvoir politique, plus spontanées, comme effectuer un travail social, territorialiser, parcourir la ville... Le projet QDM histoires urbaines a permis de connaître et de partager ces formes d’expression du pouvoir. 6.3 Les logiques de pouvoir La participation politique est conçue sur une logique qui n’éveille pas l’intérêt des jeunes. La rigidité des structures, le langage administratif et la différence de générations entre les jeunes et ceux qui élaborent les processus participatifs officiels créent un abîme entre les jeunes et le modèle de participation tel qu’il est conçu. Cela ne veut pas dire que les jeunes n’éprouvent pas d’intérêt pour leur quartier ou ignorent leurs besoins. Mais les stratégies et les instruments de participation sont peu attirants et pas assez actifs. Les jeunes interviennent dans la pratique, de façon non officielle. C’est pourquoi toute proposition pour le quartier doit s’appuyer sur une démarche pédagogique et méthodologique combinant réflexion et action. Les jeunes participent avec leurs propres langages de communication, et à partir de là, s’intègrent dans la vie communautaire. A ce sujet, certaines questions surgies lors de la phase pilote sont toujours d’actualité : 24 - Les nouvelles formes de participation élaborées par les jeunes sont-elles aussi valables que les formes officielles ? - Comment se différencient les jeunes par rapport aux autres et face à eux-mêmes ? - Comment sont élaborées les règles d’appartenance à un groupe donné ? - Quelles formes de pouvoir et de hiérarchie sont en vigueur à l’intérieur des groupes de jeunes ? - Comment se manifeste le pouvoir dans les dynamiques propres aux jeunes, et comment s’intègrentelles dans des espaces plus larges ? A partir de ces questionnements, on comprend mieux l’intérêt d’établir un dialogue à double sens entre les équipes de chaque ville et les jeunes, car le projet développe ainsi son caractère participatif. Cela permet aussi au groupe de se consolider, car les jeunes se valorisent et échangent leurs savoirs et leurs capacités. En se plaçant comme interlocuteurs avec les différents acteurs sociaux, les jeunes découvrent la reconnaissance mutuelle, construisent des relations plus solidaires et partagent des propositions de changement. Dans ce contexte, et dans l’optique que ce soit les jeunes qui mènent et défendent leurs propres initiatives face au pouvoir local, QDM les aident à gagner de la crédibilité en tant que leaders, et à développer un travail collectif pour devenir des acteurs du changement. 6.4. Niveaux de politisation du groupe Formation de comités thématiques A partir des axes travaillés au cours de l’atelier de cartographie sociale, des comités thématiques ont été formés : • Les axes étant Environnement, Culture et Production, les comités ont étudié : - les situations problématiques (propres à l’axe) - les situations attendues - les solutions au problème Le travail s’effectue à partir de l’investigation, de l’autogestion, et de certains aspects de communication. • Réalisation d’interviews dans le quartier par chaque comité, qui les enregistre sur support audio. Appel à la participation pour la rencontre des jeunes à Ibagué, à travers un concours de rédactions sur la cartographie sociale. Réalisation d’un exercice de cartographie sociale sur les installations du collège. Discussion sur les points que chaque axe compte explorer, sur les questions à poser aux personnes apparaissant sur les cartes, sur les habitants du quartier à inviter. • Mise en commun de l’activité de cartographie sociale sur le collège, des projets sociaux du collège Monteverde avec les classes de Terminale. Le but pour Enda est d’arrêter une proposition d’élaboration d’un PRAE qui réunisse dans un seul programme toutes les initiatives. 6.5. Elaborer des projets dans le quartier : vers une négociation avec les autorités Comme les initiatives des comités se sont concentrées sur les axes écologique, productif et culturel, on a donc défini un axe politique transversal. Le travail se fera à partir de propositions concrètes, qu’il faudra articuler dans l’espace communautaire. Nous avons donc commencé par élaborer des projets, en identifiant les problématiques du quartier. Nous avons fait une dynamique au cours de laquelle il s’agissait d’agir répondre à un supposé concours organisé par la mairie locale, où les jeunes devaient rédiger des termes de références et développer leur capacité argumentative16. Les facilitateurs ont joué le rôle des autorités locales, évaluant et notant les projets, comme un jury. Cette activité a mis en évidence les possibilités qu’ouvre une mise en commun des initiatives de chaque comité en un seul projet plus global, grâce aux outils apportés pendant la session. Nous avons 16 Voir présentation des projets en annexe 25 aussi compris l’importance de réaliser de tels exercices, qui améliorent la capacité d’expression orale face à un auditoire. De là est né le projet de Maison culturelle. Elle commence actuellement à se matérialiser grâce à la meilleure organisation des jeunes, qui assument les responsabilités, en répondant aux besoins de s’approprier de l’espace et d’organiser des activités qui permettent à la communauté de participer à cette expérience. Les problématiques du quartier et les solutions proposées par les comités ont été présenté en plénière. 6.6. Un cas particulier : la reconnaissance territoriale du quartier Lisboa Bien que l’intention de départ était de développer les mêmes thèmes, le processus s’est déroulé de façon différente avec les jeunes du quartier Lisboa, en raison de leur situation particulière (mineurs en âge, recycleurs et pour la plupart déscolarisés), et du contexte du quartier (marginalité et pauvreté extrême). La reconnaissance territoriale, comme stratégie d’identification de l’identité des jeunes et des espaces de participation dans le quartier, nous a amené à travailler : • La cartographie sociale : élaboration de cartes où le quartier est conçu comme l’environnement immédiat, avec les différents éléments qui en font un espace agréable à vivre : le fleuve, le parc, le lieu où viennent manger les chevaux, le collège, les amis, la bande, etc. Il est intéressant de noter que tous les jeunes sans exception ont dessiné le fleuve entourant complètement le quartier. Cela suggère l’importance que cet espace recouvre pour eux : c’est un des rares endroits de loisir gratuit et d’évasion avec les amis. • L’identification de certains éléments qui donnent une spécificité au territoire (quartier des recycleurs, le fleuve, la bande, etc.). Sachant l’intérêt des jeunes pour la musique rap, nous avons développé des activités qui permettent aux jeunes de composer des chansons qui racontent leur propre histoire urbaine. Notre objectif était de réaliser une activité culturelle solide dans sa forme (rimes, rythmes) et dans son contenu (messages, histoires). Même si le processus n’a pas mûri comme nous l’espérions (les chanson ne sont pas encore entièrement composées), ce travail a permis d’identifier tous ensemble des éléments constitutifs de l’identité des jeunes, en vue d’une construction du territoire. • L’espace public : nous avons abordé ce sujet de la même façon qu’à San Luis, à travers la prise de photos, observées et analysées en commun lors des conversations. Grâce aux apports de la cartographie sociale, cet exercice n’a pas seulement traité l’espace public comme tel, mais aussi d’autres aspects de reconnaissance du territoire. Par exemple, l’importance que les jeunes donnent à leur groupe d’amis, à leur « bande », ou encore le fait que le quartier soit en grande partie habité par des familles de recycleurs, dont certaines sont organisées. Afin que les jeunes comprennent mieux l’activité proposée, nous leur avons d’abord diffusé des présentations réalisées par les jeunes de San Luis (une à l’échelle de la ville, une autre à l’échelle du quartier), et celles des jeunes du quartier bolivien de El Alto. Ainsi, cet exercice de réflexion sur l’espace public aboutira à son tour sur un produit d’échange international. 6.7. Le pouvoir, pour quoi faire ? Pour aborder le sujet du pouvoir et de la participation des jeunes dans la ville, il faut d’abord visualiser deux niveaux d’analyse : d’un côté, le caractère formel et officiel des institutions, de l’autre la spontanéité, l’efficacité sociale des jeunes. Ensuite, il faut voir comment convergent ces deux manières de construire, d’agencer et de territorialiser la ville. Tout cela permet de comprendre quel est le pouvoir et la participation des espaces, des programmes, des politiques institutionnelles, du gouvernement du district ou national, des instances internationales comme l’ONU, des ONG ou encore des autorités ecclésiastiques. 26 Cette mise au point est importante pour les lieux où se vit le projet QDM, qui sont pour différentes raisons des endroits historiquement mis à l’écart des investissements et de la politique publique. Cette marginalisation oblige les communautés, et parmi elles les jeunes en tant qu’acteurs significatifs, à construire leur propre territoire, à chercher leurs propres biens et services, à subvenir eux-mêmes aux premières nécessités et à s’organiser à partir de logiques marginales mais très efficaces, qui incluent des formes différentes de participation et une approche plus directe et locale du pouvoir. Cela a des conséquences immédiates et nocives, comme l’isolement par rapport aux centres de décision et aux espaces officiels de participation, où sont prises les décisions structurelles qui, elles, ont une incidence réelle sur la vie individuelle et communautaire. Leurs formes spécifiques d’organisation se voient alors ignorées. 7. Se reconnaître comme sujet Le projet prend le pari de reconnaître et de promouvoir l’organisation des communautés jeunes de la ville de Bogota, tout en les articulant aux espaces de participation, de contrôle social, de planification, de décision et de développement communautaire. Cette démarche passe par une étape nécessaire et importante : la reconnaissance des participants du groupe en tant que sujets et acteurs de leur environnement, de leur quartier et de leur ville. Cette construction d’identités se fait dans les rencontres, communes ou individuelles, des autres quartiers, villes ou pays, à travers différents échanges virtuels ou physiques. Cette étape se déroule parallèlement à la connaissance globale, complexe et historique de la ville. Ainsi, les jeunes abordent la ville dans sa dimension physique, économique, urbaine et politique, en s’informant sur la gestion environnementale, la politique publique et la politique de jeunesse. Ils comprennent la réalité territoriale, et de façon individuelle ou collective, ils deviennent des acteurs conscients de la vie sociale, (environnementale, culturelle et politique), des personnes qui connaissent, influencent, enseignent et apprennent en permanence. 7.1. Compte-rendu de la stratégie de formation-action C’est à l’occasion du cours de gestion environnementale communautaire que nous avons commencé à nous reconnaître comme sujets aux côtés des jeunes de QDM, de façon spontanée. Une invitation publique a été lancée pour le cours, mais nous souhaitions y faire participer les jeunes. Sachant leur manque d’intérêt pour la politique et comme le cours avait lieu en dehors des heures de cours, nous sommes intervenus dans les collèges où ENDA avait des contacts ou avait déjà réalisé des travaux, pour inviter officiellement les élèves de terminale. Nous avons fait en sorte que les heures de cours soient validées comme heures de service social (ce qui est une condition légale dans ce pays pour que les jeunes obtiennent leur diplôme). Nous avons également invité certains jeunes non scolarisés du quartier San Luis, avec qui nous avions commencé à former le groupe QDM. Cependant, cet espace officiel ne les a pas inspiré, car cela sortait totalement de leur contexte quotidien. Nous avons donc continuer à inviter les jeunes de San Luis de façon officielle, à travers le Centre éducatif du district Campestre Monterverde, qui a réuni un nombre important d’étudiants de neuvième. Pour QDM, il s’agissait là d’un changement de perspective : passer de jeunes déscolarisés à des jeunes scolarisés oblige à changer la vision de la réalité, du travail, du territoire, du pouvoir, et de la vie en général. Dans sa dynamique, le cours a donc exclut temporairement les membres originels de QDM, mais a généré une autre dynamique tout aussi intéressante avec les jeunes de neuvième. Le cours les a fait rentrer en contact avec des jeunes d’autres quartiers et d’autres milieux sociaux, ce qui leur a permis de commencer à comprendre les principes internationaux du projet, à un niveau plus local. Par cette rencontre entre différents contextes, le cours a permis de faire ressortir les identités de chacun. Les jeunes ont pu se définir à travers les différences qui existent entre les quartiers, les styles de vie, les genres, qui forment cependant une seule ville, une seule nationalité. Nous avons découvert petit à petit des cultures, des groupes, des clans, et cela a permis d’élaborer une lecture de la ville, du pays et du monde, à partir du quartier. 27 Pour mieux reconnaître les différents secteurs sociaux, nous avons employé les méthodologies axées sur la recherche d’action participative, comme la cartographie sociale, l’ethnographie réflexive, l’élaboration collective d’histoires et de récits. Les facilitateurs de l’équipe QDM de Bogota ont dynamisé ces activités en favorisant un échange constant entre les jeunes, guidé par des questions sur leur réalité et leurs conflits dans le contexte urbain (chômage, marginalisation, utilisation de l’espace, ressources naturelles, espace privé et public, mobilité, peuplement, organisation sociale, diversité culturelle, etc.). Cet axe méthodologique a permis une approche différente d’une réalité toute proche mais incomprise. Ainsi, les participants et les futurs ou nouveaux membres de QDM ont mieux compris cette réalité, dans sa diversité et sa complexité. Les questions posées par les facilitateurs ont fait ressortir des histoires et des perceptions individuelles sur l’environnement proche, et petit à petit, des contrastes socioéconomiques ont surgi. Chaque exercice a abouti à une vision plus collective et complexe de la réalité. Le cours prévoyait aussi des parcours dans la ville, pendant lesquels les jeunes ont présenté leur quartier en expliquant les problématiques aux autres participants (et à eux-mêmes en même temps). Ils ont dû répondre à des questions qu’ils ne s’étaient jamais posés, comme le nombre d’habitants, l’histoire du peuplement du quartier, les services publics et les écosystèmes. Ces parcours ont aussi été l’occasion d’interroger les habitants, et d’enquêter sur des sujets peu connus. En s’interrogeant entre eux, les jeunes se sont posés des questions su les relations sociales, le sexe, la fête, la violence, le fait d’être jeune. Ils ont compris qu’ils se ressemblaient en bien des points, et que leurs problèmes étaient similaires : ne pas être majeur, ne pas avoir d’argent, étudier dans des collèges différents mais où les méthodes et les contenus sont les mêmes. Cela a été l’occasion de connaître les autres quartiers, car la plupart d’entre eux ne l’avaient jamais fait, en raison des distances, des prix des transports, ou car ils n’avaient jamais eu besoin d’aller de quartier en quartier. Ces échanges commencent à générer des produits de qualité. 8. Auto-régulation sociale Consolidation du groupe de San Luis grâce à la Maison de la Culture. Prendre connaissance des organisations communautaires, être présents lors des débats sur les conflits, les intérêt et les visions de l’Etat, des entreprises privées, de l’administration publique et des organisations sociales… ces objectifs ont été intégré au cours et au projet QDM, pour tout ce qui est politique publique, planification et participation. Différents réflexions sont nées autour de l’idée d’organisation et de participation. Nous nous sommes ainsi rendu compte que si d’un côté les adultes avaient toujours brimé ou sous-évalué la participation des jeunes dans les affaires communautaires, de leur côté les jeunes, malgré leur vitalité et leurs capacités, n’avaient pas fait grand chose non plus pour y avoir accès et y jouer un rôle. Pour faire naître en eux cette envie, nous avons élaboré un projet, comme un des aboutissements du cours. A travers trois projets (culturel, éco-touristique et productif), nous avons concentré toutes les activités sur l’organisation d’une maison de la culture, actuellement en phase de consolidation. Cette étape a été primordiale pour la consolidation du groupe QDM de San Luis : elle a permis aux jeunes d’être reconnus comme sujets d’une communauté et d’une ville, de se revaloriser comme hommes et femmes, de se distinguer par rapports aux autres en tant que groupe ou individus. Parallèlement au cours, les activités propres au projet QDM continuent à se développer, comme l’échange avec les équipes brésiliennes et espagnoles de lettres, de questions-réponses, de photographies du groupe et du territoire. Cet échange a été très motivant, car il ne s’agit plus des jeunes du quartier, mais des jeunes du monde entier, qui ont beaucoup de choses à dire sur leur réalité, et beaucoup à apprendre des jeunes des autres territoires. A cette fin, les moyens de communications ont été énormément utilisé : usage intensif de l’appareil photo, utilisation de la caméra vidéo et de l’enregistrement audio comme des formes d’expression qui permettent de se 28 montrer et de s’approprier de sa réalité. Ces supports ont été privilégiés pour les échanges internationaux, car le site Internet n’était pas encore bien développé. Un autre fait marquant du processus a été le partage de l’expérience de cartographie sociale avec les jeunes organisés de la ville d’Ibagué, dans le département de Tolima. Ils ont connu QDM et ses méthodologies grâce au réseau des organisations sociales de Tolima. Ils ont invité deux filles et un garçon de l’équipe, accompagnés de deux responsables, pour renforcer par cet échange l’expérience organisationnelle de Tolima, encore modeste mais non négligeable. Les jeunes de QDM se sont donc retrouvés face à des jeunes issus de milieu rural, urbain, universitaires, religieux, d’organisations de femmes, ou encore d’organisations politiques, pour parler et établir un contact. Cette expérience a été bien différente des rencontres avec les autres quartiers de Bogota. Ils ont découvert des formes d’organisation plus solides et diverses, marquées par un mélange enrichissant des milieux sociaux, et des personnes de leur âge, s’exprimant de façon fluide et ayant déjà une trajectoire dans l’activité politique, sans être adultes, professionnels ou politiciens. Ces jeunes de Tolima proposent ainsi une autre manière de faire de la politique et d’être jeune. Plusieurs personnes ont abandonné le cours avant la fin, surtout des jeunes de Suba. Ils n’avaient pas pu valider les heures de cours comme service social, ou tout simplement ils n’avaient pas pu s’intégrer à l’équipe, pour des raisons propres aux jeunes, comme s’enfermer dans son groupe, se différencier et se juger. Mais pour le projet QDM, les choses ont bien fini car le groupe de San Luis s’est maintenu malgré la disparition du lien institutionnel qui les avait amené à participer les premières fois. Ils sont restés car ils se sentaient inclus dans le groupe et le projet QDM les motivait, tout comme leurs propres propositions. Ils ont trouvé dans l’organisation et la participation communautaire et politique une forme de vie individuelle et collective. 8.1. Après le cours Une certaine incertitude planait sur l’avenir, car on ne savait pas bien qui allait continuer à collaborer une fois le cours terminé. Comme nous l’avons déjà dit, il n’y avait pas de lien institutionnel pour accompagner la suite du projet, ni certificat ni diplôme. Il était également possible que les parents interdisent à leurs enfants de venir. Dans la mesure où le projet allait s’implanter dans le quartier, nous avions peur qu’il cesse d’attirer les jeunes, qui jusque-là y voyaient une façon d’aller au centre ville et de rencontrer des gens, ou simplement de ne pas rester chez soi. A ce stade de fin du cours et de début d’une certaine indépendance de QDM, le groupe jouissait d’une certaine reconnaissance de la part des organisations d’adultes du quartier. Il s’est d’ailleurs rapidement mis en lien avec elles, en particulier avec le Groupe de participation citoyenne de l’UPZ 89, (unité administrative intermédiaire entre le quartier et la localité), dont fait partie San Luis, et avec l’institution de contrôle social et le conseil de culture locale de Chapinero. Ainsi, le groupe a assisté à la naissance du processus d’agriculture urbaine, en participant aux activités de visites et de marchés, ainsi qu’aux réunions au cours desquelles ils ont rempli leur rôle de représentant des jeunes, en faisant appel aux outils découverts pendant le cours, comme la photographie et la vidéo. Ils ont étonné de nombreux habitants du quartier, plus habitués à les voir faire du sport ou la fête qu’à réaliser des activités communautaires ou politiques. Cette nouvelle étape s’installe timidement. Certains jeunes ont montré une attitude de leaders, certains sont là sans prendre de responsabilités, d’autres vont et viennent, mais l’unité du groupe existe. 8.2. Difficultés et projections Nous n’avons pas rencontré pour le moment de difficultés significatives. En effet, il est normal qu’un groupe de jeunes fasse preuve d’irrégularité, voire d’irresponsabilité. Mais cette attitude pourrait avoir des conséquences à long terme. Par exemple, les relations avec les autres groupes du quartier, du district, ou d’autres pays demandent un certain engagement, une préparation et une volonté. A l’heure actuelle, le calendrier est déjà remis en cause, et son respect dépendra de l’attitude du groupe à l’avenir. Parmi les engagements tenus, on trouve entre autres le maintien de la maison de la culture, la préparation de la rencontre en Afrique en 2005, la participation au processus d’agriculture urbaine, la production, pour la chaîne de télévision communautaire, de programmes destinés aux jeunes sur 29 les problématiques urbaines, la gestion active d’un comité environnemental à l’intérieur du collège, l’élaboration constante de documents destinés aux échanges virtuels. 8.3. Lisboa, un autre quartier du monde Le projet QDM a aussi pour objectif de s’articuler aux autres projets d’Enda à Bogota, pour les renforcer et les dynamiser. C’est le cas par exemple du projet « Construire une territorialité », du réseau de travail communautaire, du travail avec les recycleurs et les collèges. C’est pour cela que le projet QDM s’est développé dans le quartier Lisboa, situé à la périphérie nord-ouest de Bogota, dans la localité de Suba, à côté du fleuve Bogota et des marécages Juan Amarillo. Dans cette zone, Enda est d’abord venu pour aider les recycleurs à améliorer leur organisation productive et sociale. Désormais, l’accompagnement de la communauté se fait dans des activités plus ponctuelles, en essayant de maintenir le processus. Le travail réalisé jusqu’à présent s’adressait aux adultes en tant que producteurs, et ne s’intéressait pas aux jeunes et aux enfants, ce qui a donné une bonne raison à QDM pour y implanter son projet. Les jeunes de Lisboa commencent à travailler très jeunes, sans aucune structure ou sécurité sociale. Leurs horaires sont très pénibles, le travail méprisé et marginalisé, s’effectue dans une ambiance hostile. Leur mode de vie est bien différent de celui des autres jeunes de Bogota, qui vivent dans des conditions acceptables. En effet, quand la majorité des enfants dorment dans la ville, les jeunes de Lisboa sont dans la rue, en train de ramasser ce qui pour les autres n’a pas d’utilité. En général, ils ne finissent pas le collège, ils travaillent et se marient très jeunes. Ils apprennent plus à survivre qu’à vivre, et le vol, la bagarre et les magouilles sont la seule garantie de rentrer le matin chez soi avec quelque chose à manger. Tout cela ne donne pas beaucoup de chances à un projet comme QDM, qui demande du temps et un certain engagement. De plus, il est délicat de leur proposer quelque chose qui n’apporte ni nourriture ni amélioration des conditions de travail, contrairement à ce que faisait Enda auparavant. Le groupe avec qui nous sommes entrés en contact est donc formé d’enfants et de préadolescents, car ils sont un peu plus disponibles et comme ils sont encore en contact avec l’école, ils sont plus familiers avec des pratiques éducatives comme la RAP, qui de toute façon, dans ce contexte, ne s’éloignent pas trop des méthodes éducatives habituelles. Travailler avec ce groupe était un vrai défi pour l’équipe Enda responsable du projet, tout comme réussir à les mettre en relation avec la dynamique en place à San Luis et les échanges internationaux, vu la différence d’âge, de mode de vie et de contexte social. Cela a été plus difficile pour eux d’identifier leur identité et de déchiffrer le sujet avec les autres jeunes : ils se définissent clairement comme des travailleurs, des recycleurs, mais ne perçoivent pas tous les rôles qu’ils jouent en tant qu’enfants, jeunes et adultes. 8.3. Une organisation par bandes C’est en les accompagnant dans leur vie quotidienne que nous avons identifié les espaces et les dynamiques auxquels ils pouvaient avoir accès, vu leur âge et leur condition de travailleurs : promenades le long du fleuve, atelier de composition et de danse hip-hop et de brake. Les jeunes de Lisboa ont retenu dans QDM la possibilité d’avoir des échanges, car le caractère organisationnel fait déjà partie de leur vie, avec la bande à laquelle ils appartiennent, les « Buguis », et la sous-bande « los bananiados ». Mais même le sens de cette dynamique de bande leur échappe, car ils ne comprennent pas encore quelles garanties, quelle amélioration des conditions ou quels biens cela leur apporte d’appartenir à cette bande. Trouver des espaces de travail communautaire ou de participation politique est encore abstrait, car ils ne sont pas assez mûrs pour cela. Pourtant, cela ne veut pas dire que leurs activités et leurs propositions ne puissent pas avoir d’influence sur le quartier, la localité ou la ville. Pour l’instant, le plus important est de maintenir le groupe en activité jusqu’à ce qu’il soit reconnu par les familles et les organisations adultes, tout en anticipant de façon plus précise les espaces de participation dans lesquels ils pourraient avoir de l’influence. 30 9. Echange entre les groupes à Bogota Pour le moment, des échanges visuels sur le thème de l’espace public ont été organisés entre el Alto et San Luis, au moyen des présentations PowerPoint et grâce à la vidéo réalisée par l’équipe de San Luis sur le cours de Gestion environnementale communautaire. Cela les a motivé pour photographier leur quartier, le raconter, ou plutôt le chanter dans les courts morceaux de rap qui accompagnaient les images qu’ils avaient eux-mêmes sélectionnées. L’échange le plus riche a cependant été la vraie rencontre. Deux membres de l’équipe de San Luis se sont appropriés du projet QDM et ont entamé le suivi vidéo de leur expérience à Lisboa, passant petit à petit d’un soutien ponctuel et technique à un engagement plus global dans le projet « QDM : Histoires Urbaines ». Rencontrer l’équipe de San Luis a suscité de l’intérêt et une certaine inquiétude chez les jeunes de Lisboa. Ils sont plus grands qu’eux, et très différents car ils ne savent ni recycler ni travailler. Mais il existe une certaine identité de classe, car ce sont aussi des jeunes issus d’un quartier pauvre et illégal, situé aux abords de la ville. L’idée de visiter le quartier de San Luis les a séduit : connaître la population, les jeunes, le fleuve et les chevaux, voir s’ils sont mieux que ceux de Lisboa. Ils savent qu’ils peuvent aussi partager leur rap et leurs connaissances sur le recyclage. En effet, ils sont très fiers de leur travail et de leur territoire, ce qui est très important pour se reconnaître et se valoriser comme sujets, et leur permet de rentrer avec force et sécurité en contact avec les autres groupes et espaces. Les difficultés se situent au niveau de la relation garçon-fille, car ils reproduisent le modèle patriarcal de domination et dévalorisation, dans un monde où l’homme, qui fait vivre économiquement la famille, maltraite et nie constamment la femme. Ainsi, les garçons ne laissent pas les filles penser, danser, ou même rester aux réunions et aux activités. Face à cette situation, nous avons choisi de séparer temporairement les filles et les garçons, et d’établir une relation avec les plus âgés en leur proposant des activités. C’est en effet avec eux que l’on peut obtenir un résultat plus immédiat en termes de production et de participation locale. POUR CONCLURE Le projet a été très enrichissant, car il nous a montré que le sujet ne se définit pas par son âge, son sexe, sa profession ou sa position dans l’espace productif, ni par sa position marginale dans la société. Ainsi, nous avons compris dans la pratique que la démarche organisationnelle des jeunes est beaucoup plus riche et complexe que celle proposée par les clubs et associations officielles. Nous avons en effet rencontré des bandes ou des groupes d’amis qui réussissent beaucoup de choses par eux-mêmes, sans structure interne ni statut. Ils savent rester ensemble et se différencier des autres, tout en s’identifiant aux autres à travers la musique, le sport, la culture, le chômage, les relations affectives et sexuelles, les fêtes, les promenades, et la vitalité. Cette vitalité laisse espérer une organisation plus large que l’échelle locale ou nationale. Le réseau de communication permet des échanges permanents entre les jeunes, qui se forgent une identité en se retrouvant dans les pratiques, les problèmes, les projets et les situations des autres. Ainsi, le projet prend vie et sens : les jeunes entrevoient la possibilité d’acquérir du pouvoir, de l’influence au niveau local, et des outils d’échange. 31