Le sentiment de culpabilité et sa possible incidence chez les
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Le sentiment de culpabilité et sa possible incidence chez les
Le sentiment de culpabilité et sa possible incidence chez les parents d'enfants handicapés Proposé par Docteur Gérard Saut jeudi, 04 décembre 2008 12:33 Docteur Gérard Saut Neuropsychiatre - Psychanalyste Ces observations proviennent essentiellement de ma pratique de la psychanalyse d'adultes. Les enfants dont je me suis occupé entraient majoritairement dans la catégorie des troubles de la personnalité. 1/ La notion essentielle est que la culpabilité n'est pas un sentiment naturel mais l'effet de la relation à une instance tierce. Freud est catégorique, et cela se vérifie toujours : à l'origine du sentiment de culpabilité on trouve la peur de perdre l'amour, des parents d'abord, et par la suite des personnes ou autorités morales substituées. Cette autorité ne peut exister que dans l'espace structuré par le langage, qui est l'espace humain par excellence. L'animal éprouve la peur, l'angoisse ou la soumission, mais ni la loi morale, ni la culpabilité. Ainsi la culpabilité subjective est distincte de la notion pénale, où coupable signifie simplement responsable d'un acte délictueux. Pour l'enfant, la loi se confond avec le désir de la personne dominante, le grand Autre qui occupe tout l'espace relationnel et y règne sans partage Autrement dit dans la pratique on n'est pas rejeté parce qu'on est coupable, on se sent coupable parce que l'on est rejeté, donc indigne d'amour, quelque fois simplement parce qu'on vous le refuse. 2/ Mon premier exemple proviendra d'une femme en psychanalyse depuis des années. Son fils est affecté depuis toujours d'une épilepsie grave difficilement équilibrée avec chutes, plaies, mictions involontaires plusieurs fois par jour, et grande déficience mentale. L'interprétation d'un de ses rêves ne fait aucun doute, c'est le désir d'en être débarrassée : pas de lui faire du mal, simplement que cela ne soit plus. Cette interprétation ne l'angoisse pas: la psychanalyse lui a appris depuis longtemps que selon le principe de plaisir Freudien, le souhait d'être libéré d'une souffrance est automatique, inévitable, et n'implique pas une hostilité particulière à ce qui en est la cause. Nous verrons plus loin pourquoi ce rêve ne la culpabilisait pas. Et pourtant, toute sa vie elle s'est sentie coupable: mais pas de ça. Elle était coupable aux yeux de sa mère d'être née fille, transfert probable hérité de sa propre mère (reproche inconscient que Freud considérait comme moment constant dans le développement identitaire des filles). Plus tard, devenir mère d'un garçon, lui aurait donné un nouveau statut. Qu'il s'avère lourdement handicapé l'a fait décevoir à nouveau les attentes de l'Autre. Ce dont elle se sentait coupable tout en sachant ne pas en être responsable. 3/ L'exemple le plus probant de l'origine extérieure du sentiment de culpabilité, c'est la situation des enfants que leur mère aurait voulu "faire passer" pendant la grossesse. Ils sont prêts à tout pour se faire accepter, aimer, ou à défaut punir. Cette culpabilité des innocents est incurable, sinon parfois après un long travail psychanalytique. J'insiste sur le fait que la culpabilité ne peut pas être créée par la survenue d'un enfant handicapé. Celle-ci ne peut que réactiver une prédisposition datant de l'enfance, due à la constellation parentale, environnementale, sous laquelle vous êtes né. Et il est d'autant plus difficile de s'en défaire que cette culpabilité, comme son origine, sont foncièrement inconscientes. Le sentiment de culpabilité fragilise la personne, donne prise sur elle et peut entraîner une dépendance totale. 4/ Voyons maintenant ce qui se passe quand l'enfant étant là, le handicap apparaît, inattendu, et plus ou moins précoce. Il est en général considéré comme un accident de la vie dont nul n'est responsable. Mais pour les parents qui, eux, en ont la responsabilité, se pose la question: que faire? Comment bien faire? Comment éviter de mal faire? Comment assumer la responsabilité d'une situation dont on n'est pas responsable? Élever et éduquer des enfants se font selon des règles certes variables, mais qui sont connues et se pratiquent souvent sans même y penser. Mais avec ces enfants différents ça ne fonctionne pas toujours, pas très bien, voire pas du tout et souvent dès les premiers jours, par exemple pour simplement le nourrir. 1/5 Le sentiment de culpabilité et sa possible incidence chez les parents d'enfants handicapés Proposé par Docteur Gérard Saut jeudi, 04 décembre 2008 12:33 Il y aura donc difficultés et échecs parentaux, vécus surtout par la mère qui est en première ligne. Il est naturel que cela produise inquiétudes voire angoisse, énervements, découragement, épuisement. Mais en principe, la culpabilité ne peut apparaître que si des tiers interviennent, sur un terrain propice. La situation de faiblesse peut donner l'occasion à des tensions conjugales, familiales, belle familiales, jusque là étouffées, de s'exprimer. De la remarque insidieuse aux propos blessants. Cela peut aussi provenir des intervenants "professionnels"qui, inconsciemment ou involontairement transfèrent impuissance ou désintérêt sur le compte des parents. La mère citée plus haut a subi pendant des années les remontrances d'une "psy" pour qui les troubles de l'enfant (pourtant d'origine purement organique) seraient causés par le désir de mort de la mère. Ces interventions sont d'autant plus irresponsables que potentiellement mortifères en renforçant la pulsion de mort, déjà présente chez chacun. 5/ Reprenons maintenant les choses du point de vue du narcissisme, c'est à dire la satisfaction d'être soi, qui implique aussi les appartenances personnelles, la voiture, la femme, les enfants, la maison, etc. Cet état bienheureux est menacé par ce que Freud a défini comme complexe de castration, soit tout ce qui, dans le réel, ou de façon symbolique, signifiera l'impuissance, le défaut, la moins-value, la mort. L'enfant handicapé va entrer dans ce registre avec des effets différents selon les personnes. La patiente ci-dessus pouvait rêver d'être "débarrassée" de son enfant sans culpabilité parce qu'elle l'aimait à un point extrême, il était vraiment sa propre chair dont les souffrances étaient les siennes. Cette identification radicale est le mode le plus vrai de l'amour mais aussi le plus rare parce qu'il implique l'acceptation de l'être de l'autre tel qu'il est, sans réserve. Tout différent est l'amour narcissique. Dans ce registre, avoir un enfant handicapé peut être ressenti comme insupportable ce qui ne fait qu'aggraver la situation. J'ai par exemple connu un père qui a toujours poursuivi de sa haine son fils déficient intellectuel, avec pour seul résultat que le fils est devenu la caricature du père. Qui croit le plus en son excellence, qui dénie le plus ses manques et ses faiblesses, celui-là aura beaucoup de mal à accepter un handicap. La culpabilité est alors attribuée à l'enfant rendu responsable d'être comme il est. A l'inverse, pour avoir observé et fréquenté, dans mon entourage familial ou relationnel, quelques enfants atteints de déficience intellectuelle moyenne, j'en ai retiré l'impression que ceux qui sont acceptés comme des personnes, qui ont une place dans la famille et qui sont éduqués aux doses normales d'amour et d'exigence sont ceux qui deviennent les plus aimables et les plus heureux. Il arrive aussi que la solidarité soit efficace. En voici un exemple. Un garçon déficient intellectuel moyen est élevé par ses parents qui ne lui font pas payer leur déception. A l'adolescence il fait quelques bêtises qui auraient pu avoir des conséquences, mais pour lesquelles la société environnante ne porte pas plainte. A l'âge adulte il travaille avec son père. S'il vit encore avec ses parents, il a ses propres amis. Ceci a été possible parce que cela se passe dans un village où les liens de parenté sont anciens et multiples et où le sentiment communautaire subsiste. Les aides sociales sont nécessaires mais anonymes et ne peuvent remplacer la solidarité et l'implication personnelle réelle de l'environnement humain prêt à partager une charge qu'il ressent comme étant aussi la sienne. 6/ Mais le rejet ouvert se rencontre aussi avec peu ou pas de culpabilité. Le premier exemple proviendra de la mère d'un enfant atteint de spina bifida sévère. Elle trouvait absurde que l'on s'en occupe et l'instruise "puisqu'il doit mourir bientôt"; elle oubliait que si tout le monde doit mourir, il y a une vie à vivre avant. Le second concerne un enfant conçu pour raccommoder un couple bancal. Il naît trisomique. Les parents décident aussitôt de l'abandonner. J'ai rencontré plusieurs fois la mère à plusieurs années d'intervalle. Elle disait "je sais que c'est mal, mais je 2/5 Le sentiment de culpabilité et sa possible incidence chez les parents d'enfants handicapés Proposé par Docteur Gérard Saut jeudi, 04 décembre 2008 12:33 referais la même chose à coup sûr". Sa culpabilité, modérée, ne tenait qu'au fait que le diagnostic ayant été annoncé après que l'enfant ait été déclaré à l'état civil, l'abandonné portait un nom qui signait l'acte. Ce qui confirme la culpabilité comme dépendant du jugement d'un tiers. 7/ Nous avons donc d'un côté ceux qui considèrent que s'ils ne sont pas capables de dévouement, ils ne méritent pas l'affection. D'autres par contre, semblent considérer le dévouement et l'amour comme des duperies dont il faut éviter le piège. Est-ce l'effet des ruptures contemporaines du lien inter humain? Ou bien l'effet d'une désillusion précoce, amenant à un réalisme brutal, à la certitude que l'égoïsme est la condition nécessaire de la survie et de la tranquillité? On rencontre aussi une incapacité "psychotique" d'empathie avec l'autre vivant. Elle peut être consécutive à de graves carences relationnelles dans les premiers temps de la vie. Peut-être aussi un jour, découvrirons-nous que certaines personnes sont indifférentes aux autres pour d'autres causes. Précisons qu'il ne s'agit pas de juger et que l'attachement ne doit pas empêcher d'être lucide sur le handicap et les contraintes qu'il induit. 8/ Pour résumer, j'ai essayé d'éclairer l'origine du sentiment de culpabilité en rappelant comment la demande d'amour rend dépendant du jugement de l'autre. Ceci par exemple le distingue de la honte qui, elle, affecte l'amour propre. La survenue d'un enfant handicapé peut réactiver, fut-ce inconsciemment, les conflits non résolus pendant l'histoire du sujet. Elle peut raviver les questions existentielles, les positions à l'égard de la vie ou de la mort, l'ambivalence amour-haine, menacer le narcissisme en rouvrant des blessures. Un équilibre précaire peut en être mis en danger. Face à cela on est trop souvent seul. Aussi faut-il souhaiter que 3/5 Le sentiment de culpabilité et sa possible incidence chez les parents d'enfants handicapés Proposé par Docteur Gérard Saut jeudi, 04 décembre 2008 12:33 parents et éventuellement fratrie trouvent un lieu où ils puissent s'exprimer librement auprès de professionnels suffisamment formés pour ne pas être leurrés par leurs préjugés et leur propre inconscient. Ceci pour permettre une parole vraie en laissant à la dialectique interne le temps de jouer, sans en juger ni préjuger, sans l'altérer ou la clore en suggérant une issue plus ou moins normative. Il faut pourtant éviter qu'au fardeau du handicap vienne s'ajouter celui injuste et inutile de la culpabilité. La seule justification de l'existence, c'est l'existence. 9/ Enfin, la question de la culpabilité peut être envisagée d'un autre point de vue. Certes nous sommes tous nés d'un désir sans lequel nous ne serions pas grand-chose. Mais ce désir de l'Autre, est-ce un impératif absolu auquel nous sommes tenus de nous conformer? Cela peut produire des catastrophes, en voici un exemple. Un fils aîné se retrouve soi-disant "par hasard" dans une profession semblable à celle de son père et conforme au désir de celui-ci, bien que d'un niveau inférieur. Exercer cette profession devient vite pour lui un supplice car elle ne lui inspire aucun intérêt et ne correspond guère à ses compétences. La lutte pour assumer sa fonction l'épuise, il se sent incapable, déprime et le sentiment de son indignité produit en réaction un délire où il croit qu'on va lui décerner le prix Nobel, à l'occasion d'un travail mineur auquel il s'est cru obligé. Et pourtant, il s'agit d'un homme de valeur qui aurait sans doute excellé dans d'autres domaines. J. Lacan disait que:"la seule chose dont on puisse se sentir vraiment coupable, c'est d'avoir cédé sur son désir", fut-ce pour des raisons honorables. Ce patient se sentait doublement coupable: de n'avoir pas mérité l'amour de son père car n'étant pas à la hauteur de ses espoirs, et, en sens opposé, d'avoir renoncé à être lui-même. Et ce dernier sentiment 4/5 Le sentiment de culpabilité et sa possible incidence chez les parents d'enfants handicapés Proposé par Docteur Gérard Saut jeudi, 04 décembre 2008 12:33 entraînait chez lui une agressivité réprimée et inconsciente à l'encontre des modèles sur lesquels il s'était formé, ce qui achevait de le détruire. Car l'exigence d'être conforme et le désir d'être soi-même, tirant le sujet en sens opposés, le paralysait. Chez une personnalité en proie à ce type de conflit, avoir un enfant handicapé peut être cause de déséquilibre quand c'est ressenti comme un échec personnel. L'épreuve du handicap confronte à la question de son propre désir, oblige à décider ce que l'on veut. Si l'on peut faire face, elle peut être l'occasion de se réaliser au delà des facilités de la routine, de se découvrir à nouveau, et de recréer un lien social. Il s'est agi jusqu'ici de considérations générales. Au-delà, les causes les plus profondes, la vérité du sentiment de culpabilité de chaque parent lui sont particulières, souvent inconscientes parce que refoulées, et lui seul est habilité à les dire, s'il le supporte et le souhaite. Tout peut être dit, selon la liberté de chacun. Si la parole ne résout pas tous les problèmes, elle permet au moins de les dialectiser. Ne pas rester bloqué sur une idée ou un affect remet du mouvement, de la vie dans une situation apparemment sans issue Je laisserai donc maintenant la parole à qui souhaitera la prendre. N'hésitez pas à réagir ou poser des questions à notre auteur dans notre espace discussion. 5/5