puisqu`il est centre sur virginia woolf et

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puisqu`il est centre sur virginia woolf et
LE ROMAN ET SES PERSONNAGES : VISIONS DE L’HOMME ET DU MONDE
AUTOUR DE MRS DALLOWAY
Le corpus de documents suivant peut être exploité dans le cadre de la séquence sur les romans
mettant en scène des créateurs (puisqu’il est centré sur Virginia Woolf et son roman Mrs
Dalloway), ou bien dans le cadre de la séquence sur les femmes dans le roman (Visions de la
femme, c’est-à-dire comment la femme perçoit le monde et est perçue dans le roman), cette
deuxième option étant peut-être la plus pertinente.
Ces textes pourraient eux-mêmes faire l’objet d’une séquence à part entière. En ce cas, il
serait fortement recommandé que les élèves lisent Mrs Dalloway de Virginia Woolf et Les heures
de Michael Cunningham en lecture cursive.
En première L, ces activités permettent de croiser l’étude du roman avec la question des
réécritures.
Voici le corpus :
z L’incipit de Mrs Dalloway, de Virginia Woolf, 1925 (Gallimard, collection Folio Classique
n°2643, traduction M.-C. Pasquier)
z Un extrait du journal intime de Virginia Woolf, daté du 30 août 1923, publié dans le Journal d’un
écrivain (Editions 10/18, traduction M.-C. Huet), cité en exergue du roman de Michael
Cunningham.
z Le triple-incipit du roman de Michael Cunningham, Les Heures, 1998 (Editions 10/18, traduction
Anne Damour) : « Mrs Dalloway », « Mrs Woolf », « Mrs Brown »
z La séquence liminaire de l’adaptation cinématographique du roman de Cunningham par Stephen
Daldry, The Hours, 2002, avec Meryl Streep, Nicole Kidman et Julianne Moore.
LES TEXTES
TEXTE 1. MRS DALLOWAY, VIRGINIA WOOLF, 1925
Mrs Dalloway est un des romans les plus célèbres de Virginia Woolf, qu’elle avait
initialement le projet d’intituler The Hours. Le récit met en scène vingt-quatre heures de la vie
d’une femme, Clarissa Dalloway, qui prépare toute la journée la réception qu’elle donnera le soir.
Le roman est une mise en pratique du « stream of consciousness » (le « courant de la conscience »),
développé par l’auteur : les personnages, leurs pensées, leurs sensations, leurs émotions se croisent
dans un désordre apparent à travers lequel se tisse une vision à la fois enthousiaste et mélancolique
du monde. Virginia Woolf essaie de saisir la richesse d’un instant, et par là-même la multiplicité et
la profondeur de la vie, à travers la subjectivité de ses personnages.
Mrs Dalloway dit qu’elle se chargerait d’acheter les fleurs.
Car Lucy avait bien assez de pain sur la planche. Il fallait sortir les portes de leurs gonds ;
les serveurs de Rumpelmayer allaient arriver. Et quelle matinée, pensa Clarissa Dalloway : toute
fraîche, un cadeau pour des enfants sur la plage.
La bouffée de plaisir ! Le plongeon ! C’est l’impression que cela lui avait toujours fait
lorsque, avec un petit grincement des gonds, qu’elle entendait encore, elle ouvrait d’un coup les
portes-fenêtres, à Bourton, et plongeait dans l’air du dehors. Que l’air était frais, qu’il était calme,
plus immobile qu’aujourd’hui, bien sûr, en début de matinée ; comme une vague qui claque ;
comme le baiser d’une vague ; vif, piquant, mais en même temps (pour la jeune fille de dix-huit ans
qu’elle était alors) solennel, pour elle qui avait le sentiment, debout devant la porte-fenêtre grande
1
ouverte, que quelque chose de terrible était sur le point de survenir ; elle qui regardait les fleurs, les
arbres avec la fumée qui s’en dégageait en spirale, et les corneilles qui s’élevaient, qui retombaient ;
restant là à regarder, jusqu’au moment où Peter Walsh avait dit : « Songeuse au milieu des
légumes ? » - était-ce bien cela ? – ou n’était-ce pas plutôt « Je préfère les humains aux chouxfleurs » ? Il avait dû dire cela un matin au petit déjeuner alors qu’elle était sortie sur la terrasse.
Peter Walsh. Il allait rentrer des Indes, un jour où l’autre, en juin ou en juillet, elle ne savait plus
exactement, car ses lettres étaient d’un ennuyeux… C’est ce qu’il disait qu’on retenait ; ses yeux,
son couteau de poche, son sourire, son air bougon, et puis, alors que des milliers de choses avaient
disparu à jamais, c’était tellement bizarre, une phrase comme celle-ci à propos de choux.
Elle se raidit un peu au bord du trottoir, laissant passer le camion de livraison de Durtnall.
Une femme charmante, se dit Scrope Purvis (qui la connaissait comme on connaît, à Westminster,
les gens qui habitent la maison d’à côté) ; elle avait quelque chose d’un oiseau, un geai, bleu-vert,
avec une légèreté, une vivacité, bien qu’elle ait plus de cinquante ans, et qu’elle ait beaucoup
blanchi depuis sa maladie. Elle était là, perchée, sans le voir, très droite, attendant de traverser.
Car lorsqu’on habite Westminster – depuis combien de temps, en somme, plus de vingt
ans ? – même au milieu de la circulation, ou lorsqu’on se réveille la nuit, on ressent, Clarissa en
avait l’intime conviction, une certaine qualité de silence, quelque chose de solennel ; comme un
indéfinissable suspens (mais c’était peut-être son cœur, dont on disait qu’il avait souffert de la
grippe espagnole) juste avant que ne sonne Big Ben. Et voilà ! Cela retentit ! D’abord un
avertissement, musical. Puis l’heure, irrévocable. Les cercles de plombs se dissolvaient dans l’air.
Que nous sommes bêtes, se dit-elle en traversant Victoria Street. Dieu seul sait la raison pour
laquelle nous l’aimons tant, et cette manière que nous avons tous de la voir, de la construire autour
de nous, de la bousculer, de la recréer à chaque instant ; et les mégères informes, les rebuts de
l’humanité assis sur le pas des portes (l’alcool ayant causé leur perte) en font autant ; on ne peut pas
régler leur sort par de simples décrets ou règlements, précisément pour cette raison : ils aiment la
vie. Dans les yeux des gens, dans leur démarche chaloupée, martelée, ou traînante ; dans le tumulte
ou le vacarme ; les attelages, les automobiles, les omnibus, les camions, les hommes-sandwiches
qui se frayent un chemin en tanguant ; les fanfares ; les orgues de barbarie ; dans le triomphe et la
petite musique et le drôle de bourdonnement là-haut d’un avion, dans tout cela se trouvait ce qu’elle
aimait : la vie ; Londres ; ce moment de juin.
TEXTE 2. VIRGINIA WOOLF, JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN, JEUDI 30 AOÛT 1923.
Le temps me manque pour exposer mes projets. J’aurais pourtant beaucoup à dire au sujet
des Heures, et de ma découverte : comment je creuse de belles grottes derrière mes personnages. Je
crois que cela donne exactement ce qu’il me faut : humanité, humour, profondeur. Mon idée est de
faire communiquer ces grottes entre elles, et que chacune s’offre au grand jour, le moment venu.
TEXTE 3. MICHAEL CUNNINGHAM, LES HEURES, 1998 – UN TRIPLE INCIPIT.
Le roman de Michael Cunningham emprunte son titre à Virginia Woolf qui voulait intituler
son roman, Mrs Dalloway, The hours. Michael Cunningham rédige une variation sur le récit de
Virginia Woolf, qu’il met en scène en train d’écrire Mrs Dalloway en 1923, parallèlement à deux
autres personnages : Clarissa Vaughan qui, à la fin du XXe siècle, vit le roman, et Laura Brown
qui, elle, le lit en 1949. Après un prologue relatant le suicide de Virginia Woolf, le roman alterne
l’histoire des trois femmes tout en les réunissant à travers les époques.
A. « Mrs Dalloway »
Il reste à acheter les fleurs. Clarissa feint d’être exaspérée (encore qu’elle ne déteste pas
faire ce genre d’achats), laisse Sally ranger la salle de bain, et sort hâtivement, promettant d’être de
retour dans une demi-heure.
2
C’est à New York. A la fin du XXe siècle.
La porte s’ouvre sur une matinée de juin si pure, si belle que Clarissa s’immobilise sur le
seuil ainsi qu’elle le ferait au bord d’une piscine, regardant l’eau turquoise lécher la margelle, les
mailles liquides du soleil trembler dans les profondeurs bleutées. Et, comme si elle se tenait debout
au bord d’une piscine, elle retarde un instant le plongeon, l’étau subit du froid, le choc de
l’immersion. New York, avec son vacarme et sa brune et austère décrépitude, son déclin sans fond,
prodigue toujours quelques matins d’été comme celui-ci ; des matins imprégnés d’une promesse de
renouveau si catégorique qu’on en rirait presque, ainsi qu’on rit d’un personnage de bande dessinée
qui endure d’innombrables et horribles tourments dont il émerge à chaque fois intact, prêt à en subir
d’autres. Juin, à nouveau, fait sortir les petites feuilles parfaites sur les arbres de la 10ème Rue Ouest
poussant dans les carrés de crottes de chien et de vieux papiers. A nouveau, dans la jardinière de la
vieille voisine, pleine de géraniums en plastique rouge décoloré fichés dans la vieille terre, a poussé
un maigre pissenlit.
Quelle émotion, quel frisson, d’être en vie un matin de juin, d’être prospère, presque
scandaleusement privilégiée, avec une simple course à faire ! Elle, Clarissa Vaughan, une personne
banale (à son âge, à quoi bon le nier ?), a des fleurs à acheter et une réception à préparer. En sortant
du vestibule, sa chaussure crisse sur la première marche de pierre brune piquetée de mica. Elle a
cinquante-deux ans, exactement cinquante-deux, et jouit d’une belle santé. Elle se sent en tout point
aussi en forme qu’elle l’était ce jour-là à Wellfleet, à dix-huit ans, franchissant, pleine
d’exubérance, la porte vitrée par un temps comme aujourd’hui, frais et presque douloureusement
clair. Des libellules volaient en zigzag dans les roseaux. Il y avait une odeur d’herbe qui accentuait
la résine des sapins. Richard avait surgi derrière elle, posé une main sur son épaule et dit : « Tiens
donc, bonjour, Mrs Dalloway. » Le nom de Mrs Dalloway était une idée de Richard – un trait
d’esprit qu’il avait lancé au cours d’une soirée trop arrosée au foyer de l’université. Le nom de
Vaughan ne lui seyait guère, lui avait-il assuré. Elle devait porter le nom d’une grande figure de la
littérature, et, alors qu’elle penchait pour Isabel Archer ou Anna Karénine, Richard avait décrété
que Mrs Dalloway était le choix unique et évident. Il y avait l’augure de son prénom, un signe trop
manifeste pour être ignoré, et, plus important, la vaste question du destin. Elle, Clarissa, n’était
manifestement pas promise à faire un mariage désastreux ni à passer sous les roues d’un train. Son
destin était de charmer, de réussir. Bref, ce serait Mrs Dalloway, un point c’est tout. « N’est-ce pas
magnifique ? » dit ce matin-là Mrs Dalloway à Richard. Il répondit : « La beauté est une putain, je
préfère l’argent. » Il préférait l’esprit. Clarissa, étant la plus jeune, la seule femme, estimait qu’elle
pouvait s’accorder une certaine sentimentalité. Si on avait été fin juin, Richard et elle auraient été
amants.
B. « Mrs Woolf »
Mrs Dalloway dit quelque chose (quoi ?) et partit acheter des fleurs.
C’est un faubourg de Londres. En 1923.
Virginia se réveille. Ce pourrait être une autre façon de commencer, certes ; avec Clarissa
qui part faire une course un jour de juin, au lieu des soldats qui vont en rang déposer une couronne à
Whitehall. Mais est-ce le bon début ? N’est-ce pas un peu trop banal ? Virginia est allongée au
calme dans son lit, et une fois de plus le sommeil la saisit si vite qu’elle ne s’aperçoit même pas
qu’elle s’est rendormie. Il lui semble, soudain, qu’elle ne se trouve pas dans son lit mais dans un
parc ; un parc incroyablement verdoyant, vert au-delà du vert – une vision platonicienne du parc, à
la fois accueillant et siège d’un mystère, suggérant comme le font les parcs que, pendant que la
vieille dame enveloppée dans son châle somnole sur le banc latté, quelque chose de vivant et
d’ancien, quelque chose qui n’est ni bienveillant ni maléfique, triomphant par sa seule permanence,
tricote avec patience le monde vert des fermes et des prairies, des forêts et des parcs. Virginia se
déplace dans le parc sans marcher réellement ; elle flotte à travers lui, légère comme une
perception, désincarnée. Le parc lui révèle ses parterres de lys et de pivoines, ses allées de gravier
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bordées de roses couleur crème. Une vierge de pierre, polie par les intempéries, se dresse au bord
d’un clair bassin et se mire dans l’eau. Virginia parcourt le parc comme si elle était poussée par un
coussin d’air ; elle comprend peu à peu qu’un autre parc s’étend sous celui-ci, le parc d’un monde
souterrain, plus merveilleux et plus terrible ; c’est la source d’où naissent ces pelouses et ces
berceaux de verdure. C’est la véritable essence du parc, et rien n’est aussi beau que sa simplicité.
Elle voit les gens, à présent : un Chinois qui se baisse afin de ramasser elle ne sait quoi dans
l’herbe, une petite fille qui attend. Plus loin, au milieu d’un cercle de terre fraîchement retournée,
une femme chante.
Virginia se réveille à nouveau. Elle est ici, dans sa chambre à Hogarth House. Une lumière
grise emplit la pièce ; sourde, couleur d’acier ; elle s’épand avec une vie liquide, blanc-gris, sur la
courtepointe. Elle argente les murs verts. Elle a rêvé d’un parc et elle a rêvé d’une phrase pour son
prochain livre – de quoi s’agissait-il ? De fleurs ; quelque chose à propos de fleurs. Ou concernant
un parc ? Quelqu’un en train de chanter ? Non, la phrase s’est volatilisée, et peu importe, vraiment,
car elle conserve encore l’impression qu’elle lui a laissée. Elle sait qu’elle peut se lever et écrire.
C. « MRS BROWN »
Mrs Dalloway dit qu’elle se chargerait d’acheter les fleurs.
Car Lucy avait bien assez de pain sur la planche. Il fallait sortir les portes de leurs gonds ;
les serveurs de Rumpelmayer allaient arriver. Et quelle matinée, pensa Clarissa Dalloway : toute
fraîche, un cadeau pour des enfants sur la plage.
C’est à Los Angeles, en 1949.
Laura Brown essaie de se perdre. Non, ce n’est pas tout à fait exact – elle essaie de rester
elle-même en gagnant l’entrée d’un monde parallèle. Elle pose le livre ouvert contre sa poitrine.
Déjà sa chambre (non, leur chambre) paraît plus habitée, plus réelle, parce qu’un personnage du
nom de Mrs Dalloway est sorti acheter des fleurs. Laura jette un coup d’œil au réveil sur la table de
nuit. Il est sept heures passées. Comment a t-elle pu acheter ce réveil, cet objet hideux avec son
cadran carré vert inscrit dans un sarcophage rectangulaire de Bakélite noire – comment a-t-elle pu le
trouver élégant ? Elle ne devrait pas se laisser aller à lire, par ce matin entre tous les matins ; pas le
jour de l’anniversaire de Dan. Elle devrait être levée, douchée et habillée, en train de s’occuper du
petit déjeuner de Dan et de Richie. Elle les entend en bas, son mari qui prépare lui-même son petit
déjeuner sert Richie. Elle devrait être là, en bas, n’est-ce pas ? Elle devrait se tenir devant sa
cuisinière dans sa robe de chambre neuve, débordante de mots simples et encourageants. Pourtant,
quand elle a ouvert les yeux il y a quelques minutes (déjà sept heures passées !) – encore imprégnée
de son rêve, une sorte de machine tambourinant en cadence quelque part au loin, un martèlement
régulier tel un gigantesque cœur mécanique, qui semblait se rapprocher -, elle a ressenti cette
froideur humide autour d’elle, une sensation de néant, et elle a su que la journée serait difficile. Elle
a su qu’elle aurait du mal à avoir confiance en elle, chez elle, dans les pièces de sa maison, et
lorsqu’elle a regardé ce nouveau livre sur sa table de chevet, posé sur celui qu’elle avait terminé la
veille au soir, elle a tendu machinalement la main vers lui, comme si la lecture était la première
obligation du jour, unique et évidente, le seul moyen viable de surmonter le passage du sommeil
aux tâches obligées. Parce qu’elle est enceinte, on lui accorde ces écarts. Elle a le droit, pour le
moment, de lire avec excès, de traîner au lit, de pleurer ou de se mettre en fureur pour un rien.
Elle rachètera son absence au petit déjeuner en confectionnant un superbe gâteau
d’anniversaire pour Dan ; en repassant la belle nappe ; en mettant un gros bouquet de fleurs (des
roses ?) au centre de la table, et en l’entourant de présents. Ce devrait compenser, n’est-ce pas ?
Elle va lire encore une page. Une page seulement pour se calmer et se retrouver, puis elle
quittera son lit.
La bouffée de plaisir ! Le plongeon ! C’est l’impression que cela lui avait toujours fait
lorsque, avec un petit grincement des gonds, qu’elle entendait encore, elle ouvrait d’un coup les
portes-fenêtres, à Bourton, et plongeait dans l’air du dehors. Que l’air était frais, qu’il était calme,
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plus immobile qu’aujourd’hui, bien sûr, en début de matinée ; comme une vague qui claque ;
comme le baiser d’une vague ; vif, piquant, mais en même temps (pour la jeune fille de dix-huit ans
qu’elle était alors) solennel, pour elle qui avait le sentiment, debout devant la porte-fenêtre grande
ouverte, que quelque chose de terrible était sur le point de survenir ; elle qui regardait les fleurs,
les arbres avec la fumée qui s’en dégageait en spirale, et les corneilles qui s’élevaient, qui
retombaient ; restant là à regarder, jusqu’au moment où Peter Walsh avait dit : « Songeuse au
milieu des légumes ? » - était-ce bien cela ? – ou n’était-ce pas plutôt « Je préfère les humains aux
choux-fleurs » ? Il avait dû dire cela un matin au petit déjeuner alors qu’elle était sortie sur la
terrasse. Peter Walsh. Il allait rentrer des Indes, un jour où l’autre, en juin ou en juillet, elle ne
savait plus exactement, car ses lettres étaient d’un ennuyeux… C’est ce qu’il disait qu’on retenait ;
ses yeux, son couteau de poche, son sourire, son air bougon, et puis, alors que des milliers de
choses avaient disparu à jamais, c’était tellement bizarre, une phrase comme celle-ci à propos de
choux.
Elle inspire profondément. C’est si beau. C’est tellement plus que… bon, que presque tout,
en réalité.
LE FILM
L’adaptation du roman de Michaël Cunningham, The Hours (2002) par Stephen Daldry est
éditée en DVD par TF1 Vidéo.
On s’intéressera à lala deuxième séquence du film, dont on trouvera un découpage en plan à
la fin de ce document.
DÉMARCHES PROPOSÉES
Il y a plusieurs manières d’aborder le corpus.
NB : ce qui suit ne constitue pas un plan de séquence ; il ne s’agit que de pistes d’étude.
1) L’écriture de Virginia Woolf étant assez déstabilisante et ses thématiques complexes, on
peut partir d’une lecture analytique de l’incipit de Mrs Dalloway qui pourrait mettre à jour le jeu sur
la subjectivité, le principe du « stream of consciousness » et la thématique du temps et de l’instant,
laquelle recouvre une réflexion sur la vie et la mort.
Mais cette approche est peut-être un peu trop académique et, à la limite, il me paraît presque
plus pertinent de faire s’interroger les élèves sur les éléments de l’écriture romanesque qui les
surprennent, les perturbent, les expressions qui les frappent, peut-être, par leur beauté ou leur
caractère incongru (« les cercles de plomb se dissolvaient dans l’air… »), voire les éléments qu’ils
n’apprécient pas, pour les emmener ensuite vers le reste du corpus et la réécriture par Michaël
Cunningham.
On peut également amorcer le travail par une analyse comparée précise de l’incipit de Mrs
Dalloway et du chapitre « Mrs Dalloway » des Heures de M. Cunningham. La confrontation des
textes amènera à dégager les nombreux points communs entre les deux Clarissa mais aussi des
différences révélatrices, telles que, par exemple, le fait que Clarissa Dalloway relève de maladie
tandis que Clarissa Vaughan est en pleine santé.
2) On peut aussi s’appuyer sur le passage tiré du journal intime de Virginia Woolf – sachant
que l’écriture quasi compulsive de Virginia Woolf, dans un journal qu’elle commence à
l’adolescence et qui s’achèvera avec sa mort, révèle bien l’attachement de l’auteur à une réflexion
sur la conscience et l’intériorité. En particulier, on peut faire réfléchir les élèves sur la métaphore de
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la « grotte » : que recouvre-t-elle ? que suggère-t-elle des personnages, de leur rapport au monde ou
de l’écriture romanesque chez Woolf ?
Les personnages – dans l’extrait Mrs Dalloway et Scrope Purvis – ne sont en effet pas traités
de façon traditionnelle dans cet incipit : il n’y a aucune « fiche d’identité » les présentant à leur
lecteur, et hormis une simple relation de voisinage, on ne sait rien des liens entre Clarissa Dalloway
et Scrope Purvis. Les personnages sont uniquement abordés sous l’angle de leurs perceptions, de
leurs impressions, du cours apparemment désordonné de leurs pensées. La « grotte » qui se creuse
derrière les personnage désigne alors tout à la fois leur intériorité, leur passé, que le monde lui
même, dont ils sont eux-mêmes, en quelque sorte, des métaphores. Or, c’est précisément à travers la
subjectivité des personnages, celle de Mrs Dalloway en particulier, que se construit une vision du
monde : un monde marqué par la beauté et la vie, mais aussi par la mort, très présente à travers le
souvenir de Clarissa, qui suggère un passé où elle a pu être heureuse, mais qui n’est plus (« des
milliers de choses avaient disparu à jamais »), et auquel fait écho Big Ben.
Bien entendu il ne s’agit pas d’une thématique novatrice : la réflexion sur l’éphémérité des
choses, sur le fait que la vie ne se mesure qu’à l’aune de la mort est largement répandue dans la
littérature et les arts. Il pourra être pertinent, d’ailleurs, de mettre en parallèle l’incipit de Mrs
Dalloway avec des vanités
(cf. à ce sujet l’excellent site de Karine Lanini : http://karine.lanini.free.fr/Jardindevanites.htm).
Mais ce qui est original chez Woolf, c’est la création d’une écriture originale et l’utilisation des
personnages dans le but de reproduire la fugacité et la densité de l’instant. On reviendra sur ce sujet.
3) On peut s’attacher à montrer par la suite que Michael Cunnigham, qui place en exergue
de son roman l’extrait du Journal de Virginia Woolf daté du 30 août 1923, applique le principe que
celui-ci énonce : « faire communiquer ces grottes entre elles ».
¾ Cunningham développe parallèlement ses trois personnages, Virginia Woolf, Clarissa
Vaughan alias Clarissa Dalloway et Laura Brown. Le roman alterne les chapitres à leur sujet.
C’est pourquoi, sans considérer le prologue qui relate le suicide de Virginia Woolf et qui
n’apparaît pas dans le corpus, on peut parler de triple incipit au sujet des trois premiers
chapitres du roman, qui présentent tour à tour les trois femmes tout en construisant un
système d’échos (par les objets, notamment les fleurs, la récurrence du présentatif « C’est à
New York / un faubourg de Londres / à Los Angeles » suivi de la mention d’une date ou
d’une époque, par le personnage de Mrs Dalloway, évidemment, par les « réveils » des trois
femmes, toutes présentées au lit ou tôt le matin, mais aussi par les thèmes du temps, de la
mort et du déclin…). On peut envisager de travailler en corpus les trois extraits, par exemple
en construisant un tableau comparatif qui soulignerait le parallélisme des trois chapitres.
¾ On peut envisager un travail plus spécifique sur le temps, là encore en comparant les trois
extraits et en menant une réflexion sur le titre du roman de Cunningham, Les Heures, et en
revenant au texte de Woolf. La communication des « grottes » entre elles passe en effet par la
superposition des époques, comme si les heures vécues par chacune des trois femmes
correspondaient finalement toutes à un seul et même instant.
¾ Par ailleurs, et toujours dans cette même perspective d’une réflexion sur la temporalité, il
faudra s’interroger sur le fait que Michael Cunningham actualise Mrs Dalloway en
transposant la figure féminine de Woolf dans un personnage contemporain, Clarissa Vaughan
et dans une lectrice du roman, en 1949, Laura Brown. Ce faisant, Cunningham signifie la
pérennité et le caractère universel du roman de Woolf : Mrs Dalloway n’appartient à aucune
époque, elle est toutes ces femmes.
4) Il serait pertinent de s’interroger à partir de ces textes sur les questions de la genèse d’une
œuvre romanesque et les problématiques de sa réception :
- Cunningham met en scène l’auteur, Virginia Woolf et imagine celle-ci cherchant la première
phrase de Mrs Dalloway. La mise en abyme de l’auteur montre notamment un choix à faire
entre une situation banale et frivole (une femme partant acheter des fleurs un matin) et une
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situation historique et grave (le contexte militaire du roman puisque, Mrs Dalloway de
Virginia Woolf se déroule sur fond de première guerre mondiale, arrière-plan lointain et
seulement suggéré, mais peut-être d’autant plus présent qu’il n’est pas explicite). Il est capital,
sur ce point, que les élèves prennent conscience que le travail de Cunningham ne relève pas
ici de la biographie, mais est une mise en scène fictive de Woolf en train de créer. Toujours
est-il que la réflexion sur la création littéraire est une piste intéressante, parce qu’elle permet
de revenir sur l’incipit de Mrs Dalloway et ses enjeux ; on peut alors poser une question,
simple en apparence, mais qui peut recevoir des réponses multiples : de quoi parle Mrs
Dalloway ? Qu’est-ce que cela raconte ?
- Cunningham met en scène une lectrice de Mrs Dalloway, insatisfaite par sa vie de ménagère
modèle dans une famille américaine standard, et trouvant dans le roman de Woolf un souffle
qui lui manque. Il y a lieu de s’interroger ici sur le lecteur de romans et ses attentes : s’évader,
s’identifier…
- Enfin, Cunningham imagine une Clarissa moderne, Clarissa Vaughan, qui va vivre, d’une
certaine manière, la vie de Clarissa Dalloway dans le roman de Woolf, mais soixante-dix ans
plus tard. On pourra alors s’interroger sur la fonction du roman (s’agit-il simplement de
relater la vie de personnages, ou bien ne s’agirait-il pas de raconter le monde à travers des
personnages, donc de tenir un discours universel sur le monde ?), et sur les rapports du roman
avec la réalité.
5) Il paraît nécessaire également de s’interroger sur les choix stylistiques de Woolf à partir
de sa comparaison avec la réécriture proposée par Cunningham. Le style de Woolf, sous un
apparent désordre, est cohérent avec sa volonté de traduire en mots ce qu’elle nomme « the stream
of consciousness ». Il faut alors démontrer comment s’articulent mise en place des personnages,
discours sur le monde, et choix stylistiques dans le roman. Le style de Woolf est ainsi très
reconnaissable, quoique bien sûr le texte traduit en limite l’analyse :
¾ un apparent désordre dans l’enchaînement des phrases, une idée semblant en appeler une
autre par une sorte de glissement. Cette façon de concevoir la phrase comme un flux de mots
correspond au flux de la pensée, mais est en fait extrêmement réfléchie puisque le texte va
tisser son sens à partir des échos et des oppositions qui le constituent. Il serait intéressant
d’étudier aussi comment Woolf utilise phrases longues ou courtes, comment elle construit ses
paragraphes… Elle est assez proche de la démarche d’un Proust ou d’un Joyce et la
confrontation de l’extrait avec des passages de La Recherche ou d’Ulysse pourrait d’ailleurs,
en prolongement, permettre d’approfondir la réflexion sur ce point.
¾ l’utilisation du discours indirect libre et de la focalisation interne : toute la vision du monde
passe par un ou des regards sur celui-ci.
¾ l’utilisation massive de signes de ponctuation d’ordinaire négligés par le roman
traditionnel, parce qu’ils signalent souvent la digression et nuisent à la clarté de la pensée
comme de la lecture : le tiret et les parenthèses.Woolf les utilise pour faire coexister dans son
récit les différents éléments qui composent un instant. Un travail d’écriture des élèves les
poussant à exploiter ces signes de ponctuation sur ce principe, quoique ardu, pourrait
d’ailleurs être très formateur pour les élèves. D’autre part, l’étude de la ponctuation rejoint les
réflexions sur le changement de titre du roman : le tiret et la parenthèse matérialisent les
différentes strates dans un même instant, donc applique à la phrase la réflexion de Woolf sur
les Heures.
¾ Si on revient au texte de Michael Cunningham, les élèves pourront s’apercevoir qu’il
pastiche le style woolfien en utilisant lui-même certaines constructions syntaxiques et sa
ponctuation (mais sans dérision ; il s’agit davantage d’un hommage rendu à une romancière
que, visiblement, il admire). On retrouve également la focalisation interne et l’emploi du
discours indirect libre. Au delà du simple aspect stylistique, il applique également à la
construction du récit des principes de Mrs Dalloway. Par exemple, Mrs Dalloway laisse sa
pensée remonter vers le souvenir d’une scène sans doute amoureuse avec un certain Peter
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Walsh ; Clarissa Vaughan fait de même. Dans les deux cas, on glisse de la réalité vers le
souvenir. Cunningham décline ce principe dans les deux autres chapitres, avec le va-et-vient
de Virginia Woolf entre son rêve et la réalité, et avec celui de Laura Brown entre sa lecture et
la réalité. Il y a toujours, dans les extraits de Cunningham comme dans le texte de Woolf, une
oscillation entre la réalité et les « mondes souterrains » ou « parallèles ».
6) En fin de séquence, il serait pertinent de mener une analyse filmique de la séquence
d’ouverture du film de Stephen Daldry, The Hours – en fin de séquence, car tout l’intérêt de ce
travail, à mon avis, réside dans la question de la transposition d’un style verbal à l’image, et dans la
problématique suivante : comment rendre compte de récits (ceux de Woolf et de Cunningham) qui
s’appuient sur l’intériorité des personnages par un médium qui, de prime abord, n’aborde les choses
et les personnages que par l’extérieur ?
Par ailleurs, cette analyse filmique permettra de prolonger la réflexion sur les réécritures.
On sera particulièrement attentif, dans cette séquence filmique, aux éléments suivants :
- le montage des plans, qui alternent, comme les chapitres des Heures, les trois personnages à
leur réveil et enchevêtre leurs histoires et leurs points de vue.
- l’utilisation des différentes prises de vue – gros plans, panoramiques, travellings – pour
mettre à jour les différentes émotions des trois femmes. Il est remarquable que par ce travail
proprement cinématographique, Stephen Daldry évite de dire l’intériorité des personnage par
une voix off qui eut été une solution de facilité mais d’une lourdeur insupportable. On
remarquera par ailleurs que Daldry ne systématise pas le gros plan, qui permet d’être au plus
près des expressions des actrices et donc des émotions ou sensations que les personnages
éprouvent. Il l’utilise avec parcimonie, jouant ainsi sur l’implicite, de façon à mettre en place,
tout de suite, un rythme, un dynamisme dans la séquence. D’ailleurs, les plans sur les
personnages sont tout aussi intéressants par les attitudes symétriques des trois femmes, mis en
valeur par le jeu des actrices, les cadrages, les mouvements de caméra et la musique, que par
la présence récurrente des objets (les fleurs, en particulier, font référence, comme dans le
roman de Cunningham, à la phrase fondatrice de Mrs Dalloway : « Mrs Dalloway dit qu’elle
se chargerait d’acheter les fleurs »).
- l’utilisation de la musique, composée par Philip Glass : visionner la séquence avec la
musique, puis en coupant le son ; on se rend alors compte de son importance dans la
construction du rythme, la mise en place d’une atmosphère, et l’établissement des liens entre
les trois femmes (une seule et même phrase musicale, déclinée en trois variations, structure la
séquence et, d’ailleurs, le film tout entier). Dans la séquence d’ouverture, il peut être
intéressant, par exemple, de repérer les plans dans lesquels on n’entend que les cordes, et ceux
où le piano donne le thème musical. Un des suppléments à l’édition DVD est d’ailleurs un
entretien avec Philip Glass au sujet de son travail sur le film.
Une excellente analyse du film est disponible à l’adresse suivante :
http://www.filmdeculte.com/film/film.php ?id=453
On pourrait encore ouvrir cette étude sur des analyses de deux films de François Ozon, avec
Charlotte Rampling : Swimming Pool et Sous le sable, d’abord parce que tous deux mettent en
scène des femmes confrontées à un monde qui leur échappe et sur lequel leur regard va changer,
ensuite parce que ce changement est induit par une relation entre la vie et la mort, enfin parce que le
temps est au cœur de chacun des deux films, dont le rythme est d’ailleurs comme ralenti, comme si
les instants s’étiraient tout en gagnant en épaisseur : le temps de la création pour la romancière de
Swimming Pool, le temps du deuil – avec une interpénétration très « woolfienne » de la réalité, des
souvenirs et du rêve – dans Sous le sable. Ce film multiplie d’ailleurs les références à Virginia
Woolf : Charlotte Rampling, qui campe un professeur d’université spécialiste de Virginia Woolf, lit
8
un extrait des Vagues, les hallucinations de la veuve évoquent les voix qu’entendait Virginia Woolf
et qui lui valurent plusieurs internements, et la mort du mari rappelle le suicide de Virginia Woolf
lui-même, qui s’est noyée.
The Hours, de Stephen Daldry (2002)
Découpage de la séquence 2
La deuxième séquence du film, qui correspond au générique du film (et au chapitre 2 de
l’édition DVD, intitulé « Trois femmes ») a une cohérence thématique – il s’agit du réveil de
Virginia Woolf, Laura Brown et Clarissa Vaughan – et une cohérence sonore – la musique de Philip
Glass commençant sur le plan 1 et s’achevant sur le plan 46 - qui lui donnent son unité. On peut
dire que cette séquence, après la première qui, en prologue et comme dans le roman de Michael
Cunningham, présentait le suicide de Virginia Woolf, a une fonction d’incipit dans la mesure où,
outre le fait qu’elle présente les trois personnages et établit les liens entre elles, elle contient en
germe tout le propos du film et ses thématiques. La séquence dure exactement 5 minutes et
comporte 46 plans, soit courts (moins de 10 secondes), soit moyens (entre 10 et 20 secondes).
Remarque : pour ce découpage, j’utilise la terminologie proposée par le Précis d’analyse
filmique de François Vanoye et Anne Goliot-Lété (Nathan Université, collection 128, 1992). Mais
en ce qui concerne les raccords, j’ai dû adapter la terminologie, qui s’avérait insuffisante.
Ainsi, le raccord mouvement peut désigner la continuité des mouvements d’un même
personnage entre deux plans, mais aussi le fait qu’un personnage achève ou reproduise le
mouvement effectué par un autre dans le plan précédent.
Le raccord sonore désigne le fait que les deux plans sont reliés par un son in présent dans
les deux plans.
Le raccord thématique signale la récurrence dans les deux plans, ou d’une attitude de deux
personnages distincts (ex : à la fin de la séquence, les trois femmes manifestent toutes, dans des
plans se succédant, une hésitation).
Le raccord objet fonctionne quant à lui sur le principe de la métonymie (plan 11 : la porte
signifie Virginia, que le plan 12 va nous proposer) ou bien relie deux plans par la présence d’un
type d’objet (les miroirs, les fleurs).
Ces choix sont peut-être peu rigoureux sur le plan universitaire, mais on été effectués par
commodité, pour retranscrire avec le plus de fidélité possible la complexité de cette séquence
cinématographique.
PLAN
Plan 1.
2’’
BANDE IMAGE
Titre du film sur fond noir : « The Hours »
Plan 2.
11’’
Gros plan sur un camion de déménagement remontant une rue.
Travelling latéral gauche et arrière qui aboutit à un plan d’ensemble : un
lotissement américain impeccable, bourgeois et uniforme. Une banlieue
américaine qui correspond à l’image de l’« american way of life ».
RACCORD MOUVEMENT
CUT
BANDE SON
La musique de Philip
Glass a commencé sur la
fin du plan précédent et va
se
développer
sur
l’ensemble de la séquence
2.
9
Plan 3.
16’’
Plan 4.
3’’
Plan 5.
16’’
Plan 6.
16’’
Travelling latéral gauche : on abandonne le camion pour la voiture de
Dan qui se gare dans l’allée de garage.
Caméra fixe et titre en surimpression : « Los Angeles, 1951 ».
Travelling latéral gauche : Dan sort de la voiture, un bouquet de fleurs
jaunes à la main, il regarde sa montre et se dirige vers la porte d’entrée.
RACCORD MOUVEMENT
Plan d’ensemble, caméra fixe sur la maison et Dan ouvrant la porte.
RACCORD MOUVEMENT
L’intérieur de la maison, confortable mais standardisé, typique des
années 50 : plan américain sur Dan, de profil, entrant par la porte
d’entrée à gauche.
Travelling latéral gauche : on suit Dan jusqu’au bar, dans la cuisine, où
il pose le bouquet. Il regarde de nouveau sa montre et (caméra fixe) il se
dirige au premier plan, en direction de la chambre.
RACCORD MOUVEMENT
Caméra fixe depuis la chambre : plan américain sur Dan, de face, qui se
tient dans l’encadrement de la porte. Il reste silencieux, regarde Laura
(hors champ) avec une manifeste bienveillance : il sourit et repart.
Pano-travelling vers la gauche qui aboutit à un gros plan sur le visage de
Laura Brown endormie.
CUT
Plan 7.
7’’
Plan 8.
9’’
Plan 9.
8’’
Plan 10.
6’’
Plan 11.
10’’
Plan 12.
20’’
Extérieur. La banlieue de Londres. Plan d’ensemble sur la ville et le
parc : travelling latéral gauche et avant par lequel on voit Léonard
Woolf remonte l’allée, de face. Il porte un sac et est accompagné par un
chien. On aboutit à un gros plan sur Léonard par un pano-travelling : il a
l’air inquiet.
RACCORD MOUVEMENT
Plan de Léonard en pied et de profil qui marche. Un pano-travelling le
suit lorsqu’il tourne dans un escalier qu’il descend : caméra fixe sur le
paysage avec Léonard, de dos, qui le dévale.
Titre en surimpression : « Richmond, England, 1923 »
RACCORD MOUVEMENT
Plan américain sur le portail de Hogarth House que Léonard ouvre.
Travelling vers le haut, par dessus le mur d’enceinte en briques, qui
aboutit à un plan d’ensemble en caméra fixe sur la maison. On voit
Léonard, de dos, remonter vers la porte, précédé du chien.
RACCORD MOUVEMENT
L’intérieur de Hogarth House, le hall. Caméra fixe et plan en pied : le
chien puis Léonard entrent par la droite et se retrouvent devant une table
couverte de manuscrits et d’épreuves .
Simultanément, le docteur descend l’escalier au premier plan à gauche,
se poste face à Léonard de l’autre côté de la table et le salut.
Léonard pose une pile de papier sur la table.
RACCORD MOUVEMENT
Plan d’ensemble en plongée, du haut de l’escalier au premier étage : on
voit le docteur avec Léonard qui regarde la table. Celui-ci jette le sac sur
la table, met les mains dans ses poches et lève la tête vers le médecin.
Léonard.
–
Bonjour,
Docteur.
Le Docteur. – Mr Woolf.
Le
Docteur.
–
Stationnaire…
Léonard. – Je vois.
Le docteur. – Qu’elle reste
où elle est. Et calme. (un
Panoramique vers le haut qui aboutit à un plan en pied de la porte de la temps) A vendredi.
chambre de Virginia, fermée.
RACCORD OBJET
La chambre de Virginia. Travelling latéral vers la droite : on voit une
coiffeuse avec un miroir, un fauteuil, et on arrive au lit. Gros plan sur le
visage de Virginia : elle a les yeux ouverts, l’air malade. Elle ferme les
yeux.
CUT
Plan 13.
8’’
Plan 14.
Noir. Travelling vers le bas et plan d’ensemble sur une station de métro.
Au premier plan, les piles de béton. Derrière, une rame passe vers la
gauche. A l’arrière-plan, on voit Sally remonter le quai vers la gauche.
Titre en surimpression : « New York City, 2001 »
Extérieur sur une rue de New York dans Greenwich Village. C’est
10
8’’
Plan 15.
5’’
Plan 16.
2’’
Plan 17.
9’’
Plan 18.
13’’
Plan 19.
5’’
Plan 20.
3’’
Plan 21.
8’’
Plan 22.
5’’
Plan 23.
7’’
Plan 24.
4’’
Plan 25.
5’’
Plan 26.
12’’
Plan 27.
6’’
Plan 28.
2’’
l’hiver, il y a des tas de neige sur les trottoirs. Plan américain en caméra
fixe : on voit Sally de face remonter la rue. Imperméable rouge et
lunettes de soleil. Elle fouille d’une main dans son sac et en sort des
clefs. Le plan s’achève sur un gros plan du visage de Sally ; air fermé.
RACCORD MOUVEMENT
Plan d’ensemble en caméra fixe sur le bel immeuble de briques de Sally
et Clarissa. On voit Sally remonter les marches de l’entrée vers la porte.
RACCORD MOUVEMENT
Plan en pied et caméra fixe sur Sally qui pousse la porte de l’immeuble.
RACCORD MOUVEMENT
Gros plan sur le seuil de la chambre, depuis l’intérieur de la pièce, dans
l’appartement : la porte s’ouvre. On voit les pieds nus de Sally qui entre
discrètement. Travelling latéral droite et arrière : on voit les jambes de
Sally, elle pose par terre les jeans et les chaussures qu’elle tient à la
main, enlève son pull ; on voit son reflet dans le miroir de la coiffeuse à
l’arrière-plan : elle se dirige vers lit.
Plan américain sur Sally qui entre dans le lit. La caméra suit le regard de
Sally vers Clarissa par un travelling latéral à droite qui aboutit à un gros
plan sur le visage de cette dernière, apparemment endormie. Clarissa
ouvre les yeux.
CUT / RACCORD THÉMATIQUE
Plan large, en plongée sur le lit de Laura endormie.
Laura se retourne et jette un regard derrière elle, sur la place vide de
Dan.
RACCORD THÉMATIQUE
Gros plan sur Virginia dans son lit, qui se retourne sur le dos. Elle
soupire.
RACCORD THÉMATIQUE
Gros plan sur Clarissa qui éteint avec difficulté son réveil, au premier
plan. Elle finit par se redresser dans le lit.
RACCORD MOUVEMENT
Plan d’ensemble en caméra fixe sur le couloir de l’appartement de
Clarissa, avec, en arrière plan, la cuisine. Clarissa sort de la chambre par
la droite, traverse le couloir, se ravise et éteint la lampe que Sally a
laissé allumée, et repart vers la gauche, où se trouve la porte de salle de
bain, qu’elle pousse.
RACCORD MOUVEMENT
Dans la salle de bain. Plan rapproché sur Clarissa qui entre par la
gauche. Des orchidées dans un vase à côté du miroir. Travelling latéral
gauche qui accompagne Clarissa devant le miroir. Elle est de dos au
premier plan. Au second plan, son reflet dans le miroir. Elle attache ses
cheveux.
RACCORD THÉMATIQUE / OBJET (MIROIR) / MOUVEMENT
Plan rapproché sur Virginia assise de profil devant sa coiffeuse. A
l’arrière-plan, son reflet dans le miroir. Zoom arrière : Virginia attache
ses cheveux.
RACCORD THÉMATIQUE / OBJET (MIROIR) / MOUVEMENT
Très gros plan sur la nuque de Clarissa au premier plan. Au second plan,
son reflet dans le miroir : elle s’observe. Air absent. Elle se baisse pour
jeter de l’eau sur son visage (hors-champ)
RACCORD THÉMATIQUE / OBJET (MIROIR) / MOUVEMENT
Travelling latéral gauche et zoom arrière par lesquels on voit Virginia se
lever de sa chaise et se diriger vers la vasque. Au dessus, sur le mur, un
autre miroir. Caméra fixe en plan rapproché : Virginia jette un bref coup
d’œil à son reflet, verse de l’eau dans la vasque, et se lave les mains.
RACCORD THÉMATIQUE / OBJET (MIROIR) / MOUVEMENT
Très gros plan sur la nuque de Virginia au premier plan avec, en arrièreplan, son reflet dans le miroir. Elle s’observe. Air inquiet, voire effrayé.
Elle se penche pour laver son visage (hors champ)
RACCORD THÉMATIQUE / OBJET (MIROIR) / MOUVEMENT
Même cadrage que le plan 25. Clarissa relève la tête, le visage humide,
et soupire.
Son in : le réveil sonne.
Son in : on entend les
cloches d’une église au
loin.
Son in : le réveil sonne.
11
CUT
Plan 29.
2’’
Plan 30.
3’’
Plan 31.
5’’
Plan 32.
2’’
Plan 33.
2’’
Plan 34.
2’’
Plan 35.
2’’
Plan 36.
2’’
Plan 37.
2’’
Plan 38.
2’’
Plan 39.
5’’
Plan 40.
4’’
Plan 41.
3’’
Plan 42.
5’’
Plan 43.
2’’
Plan 44.
2’’
Gros plan et caméra fixe sur la main de Laura qui saisit un exemplaire
de Mrs Dalloway, posé sur d’autres livres (dont Under the net d’Iris
Murdoch et Melbourne de lord David Cecil), sur le sol de la chambre.
RACCORD MOUVEMENT
Plan large en plongée sur le lit de Laura. Caméra fixe. Laura pose le
livre à côté d’elle est se redresse dans le lit.
RACCORD MOUVEMENT
Plan rapproché en caméra fixe sur Laura qui s’assoit péniblement dans
le lit. Air las et fatigué. Elle tourne la tête en direction de la porte, à
Son in : bruits de placards
gauche.
qu’on ouvre et ferme.
RACCORD SONORE
Dan en gros plan, caméra fixe, ouvrant et fermant les placards de la Son in : bruit des placards.
cuisine : il ne trouve pas ce qu’il cherche.
RACCORD SONORE
Laura, en plan rapproché, assise dans le lit et écoutant Dan dans la Son in : bruit des placards.
cuisine. Elle touche son ventre. Air abattu.
RACCORD SONORE
Dan en gros plan cherchant toujours dans les placards.
Son in : bruit des placards
RACCORD MOUVEMENT
Légère contre-plongée, plan large sur la cuisine des Brown. Dan, de Son in : bruit des placards
dos, fouille encore dans les placards puis s’arrête : il a trouvé ce qu’il
cherchait.
CUT / RACCORD THÉMATIQUE
Plan rapproché sur Clarissa, de profil, en pyjama, ouvrant les rideaux de
la fenêtre à gauche (l’ouverture des rideaux peut correspondre à
l’ouverture des placards dans le plan précédent, d’où le raccord
thématique). Clarissa paraît surprise par la lumière et a un mouvement
de recul.
RACCORD THÉMATIQUE
Gros plan sur Laura, toujours au lit, qui se redresse avec un air inquiet.
RACCORD THEMATIQUE
Plan rapproché en caméra fixe sur Clarissa dos à la fenêtre (angle de
prise de vue à l’opposé du plan 36 : la fenêtre est ici à droite). Elle porte
la main à sa bouche, tapote ses lèvres de ses doigts, comme si elle
s’interrogeait sur ce qu’elle allait faire. Elle pivote légèrement sur ellemême, sourit. Air pensif, elle porte sa main à l’épaule.
RACCORD THÉMATIQUE (L’HESITATION) / MOUVEMENT
Caméra fixe en gros plan sur la nuque de Virginia, au premier plan. Au
second plan, son reflet dans un miroir. Léger travelling descendant
pendant qu’elle s’observe, la main à l’épaule comme Clarissa dans le
plan précédent. Air mécontent. Dans le miroir, on la voit partir, de dos,
en direction de la porte de la chambre, puis s’arrêter.
CUT / RACCORD THEMATIQUE (L’HESITATION)
Gros plan en caméra fixe sur Laura qui ferme les yeux, comme si elle ne
parvenait pas à se décider. Elle rouvre les yeux : elle paraît indécise et
désespérée.
CUT / RACCORD THEMATIQUE (L’HESITATION)
Gros plan en caméra fixe sur Virginia, de profil, face à la porte de sa
chambre à gauche. Elle paraît hésiter.
CUT / RACCORD THEMATIQUE (L’HESITATION)
Gros plan en caméra fixe sur Clarissa qui paraît hésiter elle aussi.
CUT
Plan large en caméra fixe sur le salon de Clarissa, qui se trouve à
l’arrière-plan toujours à côté de la fenêtre. Au premier plan, en gros
plan, un bouquet de roses dans un vase sur la table. Clarissa avance d’un
pas décidé vers celui-ci et s’en saisit pour l’en enlever.
RACCORD OBJET (FLEURS) / MOUVEMENT
Gros plan sur les mains de Dan portant devant lui le vas dans lequel il a
mis les fleurs jaunes qu’il a apportées. Le gros plan devient un plan
d’ensemble sur la cuisine où l’on voit Dan emporter le vase sur le bar à
12
l’arrière-plan.
Plan 45.
1’’
Plan 46.
15’’
RACCORD MOUVEMENT
Très gros plan sur le vase de Dan et son dos au premier plan.
RACCORD OBJET (FLEURS) / MOUVEMENT
Le dos de Dan a laissé place au dos de Nelly, la servante de Virginia,
qui tourne devant la table du hall de Hogarth house, couverte de
manuscrits (arrière-plan, l’escalier) et sur laquelle se trouve un vase
contenant des fleurs bleues.
Par un panoramique vers la gauche, on voit Nelly passer derrière la
table (elle est alors face à la caméra et on ne distingue pas son visage) et
arranger les fleurs du vase devant elle.
Nouveau panoramique vers la gauche tandis que Nelly s’éloigne : plan
d’ensemble sur le hall : Nelly, de dos, part en direction des cuisines, en
jetant un œil autour d’elle pour vérifier que tout est en place. Au
premier plan, le bouquet de fleurs.
Le piano et la musique de Philip Glass se taisent définitivement sur la plan 47, dans un
decrescendo qui va laisser place au premier dialogue entre Léonard et Virginia Woolf, qui lui
annonce qu’elle a trouvé la première phrase de Mrs Dalloway.
En ce qui concerne la musique, encore, il faudrait préciser comme elle se développe en
fonction des images. La mélodie au piano n’est pas toujours présente, il n’y a parfois que des cordes
sur certains plans. Par ailleurs, le piano est plus ou moins fort, il va crescendo ou decrescendo sur
les images.
On pourra à ce titre réfléchir sur les propos suivants de Philip Glass sur son travail
(interview de Philip Glass se trouvant dans les bonus DVD, © Paramount, 2003) :
« La première fois que j’ai vu le film, il m’a semblé que la musique devait structurer The
Hours. L’intrigue est compliquée et la musique pouvait devenir un élément qui rende le film plus
compréhensible et qui fasse le lien entre les trois histoires. La musique devait apporter une unité au
film. On aurait pu envisager une musique différente pour chaque époque. Mais je préférais avoir la
même musique pour les trois. Chaque personnage est illustré par une variation du thème. Cela
donne l’impression d’une seule et même musique.
Les premières notes sonnent comme un faux départ. Et puis ça continue. Un peu comme
quand on a du mal à se réveiller le matin. La musique commence, s’arrête. Puis elle reprend pour
continuer sans s’arrêter. Exactement comme la sensation du matin.
J’ai choisi le piano parce que c’est un instrument qui me tient à cœur et qui traverse les
époques. Le piano est intemporel. J’y ai ajouté un orchestre à cordes pour l’intensité et la
profondeur.
Dans le film, on remonte le temps, on passe d’une époque à l’autre. A la fin du film, le
personnage de Virginia Woolf dit qu’elle doit affronter la vie. Pour elle, se suicider n’est pas un
acte tragique, mais plutôt une sorte d’aboutissement. C’est un thème récurrent de la littérature
japonaise : s’ôter la vie peut être un acte d’accomplissement, un acte de plénitude. Le suicide de
Virginia Woolf n’est pas un geste désespéré engendré par la tristesse et la folie. Donc la musique
ne doit pas forcément évoquer la mort, mais un choix existentiel.
Il est indéniable que le ton émotionnel de la musique est évoqué par la musique – les images
restent très neutres. Elles ont bien sûr un contenu émotionnel, mais il peut facilement être
manipulé. La musique donne la direction, comme une flèche tirée en l’air. Tout le reste suit. »
Élise Dalle-Rive, lycée général et technologique Charles de Gaulle - Compiègne
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