Des syncinésies aux mécanismes d`inhibition motrice chez l`enfant
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Des syncinésies aux mécanismes d`inhibition motrice chez l`enfant
Des syncinésies aux mécanismes d’inhibition motrice chez l’enfant Jérôme Barral*, Jean-Michel Albaret** & Claude-Alain Hauert*** C ertaines manifestations motrices involontaires représentent une caractéristique développementale ou pathologique connue sous le terme de syncinésie. Cet article traite de la question des syncinésies en trois temps. Une première partie fait un point sur la diversité de leurs manifestations selon les populations et dresse un bilan sur les multiples épreuves psychomotrices qui mesurent leurs intensités et leurs évolutions dans le temps. Une seconde partie s’intéresse à une catégorie de ces syncinésies, les syncinésies d’imitation, et fait la description de deux modèles d’organisation neuro-motrices qui pourraient expliquer leur survenue. EnMots clés : fin dans un troisième temps, nous montrons Syncinésies - Inhibition motrice que les déterminants neurobiologiques du - Développement - Transfert intercouplage neuro-moteur à l’origine des syncihémisphérique - Evaluations nésies d’imitation sont également une source psychomotrices. d’intérêt pour les travaux de recherche qui s’intéressent à l’évolution avec l’âge des coordinations bimanuelles et plus particulièrement au développement des mécanismes d’inhibition motrice. Nous faisons l’hypothèse de mécanismes de contrôle en commun (et probablement de nature inhibitrice) qui, d’une part, participent à la diminution des syncinésies d’imitation et d’autre part favorisent la production des performances bimanuelles plus complexes chez l’enfant. Une approche interdisciplinaire intégrant des mesures classiques des manifestations syncinétiques et l’analyse de l’inhibition motrice inter-hémisphérique pourrait, dans une perspective développementale, permettre de mettre en évidence les liens entre ces deux phénomènes fondamentaux de la motricité humaine. * Jérôme Barral Maître d’Enseignement et de Recherche, Institut des Sciences du Sport et de l’Education Physique, Université de Lausanne. ** Jean-Michel Albaret Maître de Conférences, directeur de l’Institut de Formation en Psychomotricité, Université Toulouse III. *** Claude-Alain Hauert Professeur, Faculté de Psychologie et des Sciences de l’Education, Université de Genève. Note. JB et C-AH ont bénéficié d’un financement du Fond National Suisse de la Recherche Scientifique (n° 100011-108118/1) pour réaliser l’étude de Barral et al. (en correction) présentée dans cet article. Thérapie psychomotrice -et Recherches- N° 157 - 2009 4 Abstract: Involuntary co-movements of body parts revealing developmental or pathological signs are referred to as synkineses. This article addresses synkineses in three steps. The first part describes their different forms for specific populations and reviews many psychomotor tests which measure their intensity and evolution during childhood. A second part focuses on a category of synkineses, the imitative synkineses, and lay out two neuro-motor models that could explain their occurrence. Finally in a third part, we show that the neurobiological determinants of neuro-motor coupling at the origin of imitative synkineses represent an important field of researches concerning aged-related changes in bimanual coordination and more particularly the development of motor inhibition processes. Key words: We hypothesize the existence of a common Synkineses - Motor inhibition mechanism of control (likely to be inhibitory), - development - Inter-hemispheric that shall participate in the decline of imitative transfer - Psychomotor evaluations. synkineses as well as in the improvement of more complex bimanual coordination as children grow up. An interdisciplinary approach integrating standard tests for the assessment of synkineses and measures of inter-hemispheric motor inhibition could, in a developmental perspective, underscore the links between these two fundamental features of human motor behaviour. Resumen: Ciertas manifestaciones motrices involuntarias representan una característica del desarollo o de una patología conocida como sinsinesia. Este artículo trata de de la cuestion de las sinsinesias en tres étapas. Una primera parte trata de la diversidad de las manifestaciones de las sinsinesias según las poblaciones y hace balance de las múltiples pruebas psicomotrices que miden sus intensidades y sus evoluciones en el tiempo. Una segunda parte se interesa a una categoríe de estas sinsinesias, las sinsinesias de imitación, « de mimetismo », y hace la descripción de dos modelos de organización neuro-motrices que podrían explicar su aparición. Por fín, en la tercera parte, mostramos cómo los determinantes neurobiológicos del ajuste neuro-motor como origen de las sinsinesias de imitación, también resultan Palabras clave: interesantes para los trabajos de investigación que se dedican a la evolución con el crecimiento de las Sinsinesias - Inhibición motriz coordinaciones bimanuales y más particularmente Desarollo - Transfert interhémisphérique al desarollo de los mecanismos de inhibición motriz. - Evaluaciones psicomotrices. Suponemos mecanismos de control en común (y probablemente de naturaleza inhibitoria) que por una parte participan de la disminución de las sinsinesias de imitación y por otra parte favorecen la producción de los resultados bimanuales más complejos en el niňo. Un enfoque interdisciplinario integrando medidas clásicas de las manifestaciones sinsinéticas y el análisis de inhibición motriz inter hemisferico podría en una perspectiva de desarollo, permitir poner de manifiesto los vínculos entre estos dos fenómenos fundamentales de la motricidad humana. 5 Thérapie psychomotrice -et Recherches- N° 157- 2009 L es syncinésies sont des contractions ou des mouvements intéressant un ou plusieurs groupes musculaires alors qu’un mouvement actif ou réflexe a lieu dans une autre partie du corps. signe neurologique doux (1) (Shaffer, 1978 ; Touwen, 1979) présent, chez l’enfant, dans différents troubles développementaux : Trouble Déficit de l’Attention/Hyperactivité (TDA/H - Mostofsky et al., 2003, 2006) ; Trouble de l’Acquisition de la Coordination (TAC - Albaret, 1999 ; Gordon & McKinlay, 1980 ; Licari et al., 2006) ; ébauches de crampe (Ajuriaguerra et al., 1964) ; troubles du langage et de la parole (Klipcera et al., 1981) ; dyslexie (Denckla, 1985a). Elles se retrouvent chez les enfants à faible poids de naissance (Leitner et al., 2000) ou encore dans l’hypothyroïdie congénitale (Bargagna et al., 2000). Chez l’adulte, elles sont mentionnées dans différents troubles neurologiques et psychiatriques : trouble obsessionnel compulsif (Hymas et al., 1991) ; schizophrénie (Ismail et al., 1998 ; Rogers, 1992) ; chorée de Huntington (Georgiou-Karistianis et al., 2004) ; maladie de Parkinson dans laquelle les syncinésies d’imitation constituent un signe physique précoce et fréquent (Espay et al., 2005). Ces activités musculaires et/ou motrices apparaissent dans des régions non concernées par l’exécution du mouvement premier. Sous ce terme générique sont regroupées différentes manifestations, présentes chez le sujet ordinaire ou porteur de pathologies, dont l’évolution et la signification ne sont pas univoques et renvoient à divers mécanismes : motor overflow (Hoy et al., 2004), associated movements (Cratty, 1994), mirror movements (Vardy et al., 2007), contralateral motor irradiation (Cernacek, 1961). Chez le sujet ordinaire, elles sont habituelles dans l’enfance, diminuant en fréquence et intensité avec la maturation (Stambak, 1960 ; Gidley Larson et al., 2007) ; elles peuvent être provoquées chez l’adulte en augmentant le niveau de contrainte, par la complexité de la tâche, la sollicitation de la force ou encore avec la fatigue (Armatas et al., 1996 ; Durwen & Herzog, 1992 ; Mayston et al., 1999) ; elles sont fréquentes chez les personnes vieillissantes (Bodwell et al., 2003 ; Baliz et al., 2005). Il existe des syncinésies d’imitation congénitales isolées, qui restent rares. Elles se manifestent par une symétrie exagérée des mouvements des mains et des bras, rendant difficiles voire impossibles les mouvements unimanuels (Ruggieri et al., 1999). Ces syncinésies d’imitation congénitales peuvent se retrouver également dans le syndrome de Klippel-Feil Les syncinésies ont une signification neurologique après une lésion cérébrale ou un traumatisme crânien (Carr 1996 ; Kim et al., 2003 ; Thomas & Ajuriaguerra, 1949 ; Walshe, 1923). (1) Les signes doux (“soft signs”) n’ont pas de valeur localisatrice précise, ils sont difficiles à actualiser, intermittents et suggèrent une neuropathie d’ordre supérieur dont l’interprétation donne lieu à discussion (Corraze, 1999). Ils peuvent être différenciés en plusieurs groupes : les signes spécifiques, appelés équivoques car ils peuvent résulter ou non d’une atteinte neurologique comme le nystagmus ou la déviation des index par exemple ; les déviations légères par rapport à la normalité et difficiles à détecter que sont les asymétries du tonus ou les réflexes légèrement anormaux ; enfin, les indices d’un retard de développement tels une incoordination motrice ou un retard de langage (Rutter et al., 1988). Les syncinésies d’imitation sont fréquentes chez les enfants présentant une hémiplégie congénitale (Cao et al., 1994 ; KuhtzBuschbeck et al., 2000 ; Nass, 1985) ou après une hémiparésie (Woods & Teuber, 1978). Les syncinésies sont considérées comme un Thérapie psychomotrice -et Recherches- N° 157- 2009 6 (2) (Gunderson & Solitare, 1968) ou celui de Kallmann (3) (Mayston et al., 1997). Les syncinésies sont, en général, plus fréquentes lorsque la main non dominante réalise le mouvement ; ainsi chez le sujet droitier, les syncinésies se retrouvent plus au niveau de la main droite que de la main gauche (Armatas et al., 1994 ; Cernacek, 1961 ; Stambak, 1960). Une telle différence n’est toutefois pas retrouvée de façon systématique (Connolly & Stratton, 1968). la première réponse est observée et la dominance latérale spontanée. Mais c’est surtout la forme que prennent les syncinésies qui est généralement retenue (Addamo et al., 2007 ; Ajuriaguerra & Stambak 1955 ; Stambak, 1960). Ajuriaguerra et Stambak (1955) distinguent ainsi les syncinésies d’imitation, appelées aussi tonico-cinétiques ou encore de reproduction, et les syncinésies toniques ou de diffusion tonique. Les syncinésies d’imitation sont des mouvements ou des ébauches de mouvement du membre opposé passif. Ce mouvement peut imiter exactement le mouvement inducteur ou s’en différencier. Les syncinésies toniques consistent en un raidissement du membre passif avec augmentation du tonus musculaire. Classifications Les syncinésies peuvent être définies selon la région du corps qui subit le mouvement parasite, elles sont alors homolatérales lorsqu’elles apparaissent dans des muscles voisins du muscle inducteur ou dans l’autre membre du même côté, controlatérales lorsqu’il s’agit de muscles symétriques ou encore généralisées quand la diffusion intéresse la totalité du corps. Guilmain et Guilmain (1971) proposaient l’utilisation des termes d’homocinésies et d’hétérocinésies mais ces termes n’ont pas été repris ultérieurement. La classification peut se faire en fonction de la localisation du mouvement inducteur. Elles seront alors périphériques comme dans l’épreuve de diadococinésie (Stambak, 1960), ou axiales et recherchées, dans ce cas présent, par l’ouverture progressive puis maximale de la bouche accompagnée parfois par le fait de tirer la langue (syncinésies orochirales de Becher consistant en un écartement avec extension des doigts de la main). Les syncinésies axiales n’évoluent pas avec l’âge et il y aurait, selon Stambak (1960), un lien entre le côté où Mise en évidence Les syncinésies sont mises en évidence par différentes épreuves dont la plus répandue est l’épreuve des diadococinésies consistant en des mouvements successifs de pronation et supination de l’avant-bras (mouvement des marionnettes) (Guilmain, 1948). Dans le test des syncinésies des membres supérieurs de Stambak (1960), quatre sous-tests sont utilisés : le test des « marionnettes » (cf. ci-dessus) ; le test du « serment » dans lequel le mouvement de prono-supination est fait avec le bras tendu à l’horizontale ; l’épreuve du mouvement de la langue consiste en une protraction linguale suivie d’un mouvement latéral rapide et répété de droite à gauche tandis que les yeux sont maintenus fermés ; l’épreuve du dynamomètre dans laquelle le sujet est invité à serrer le plus fort possible un dynamomètre à ressort ovale bras étendu le long du corps. Elles sont cotées selon leur intensité : très peu marquées, nettement marquées et très fortement marquées. Dans l’évaluation neuromotrice de Zurich (Zürich Neuromoteur Assessment - ZNA, Largo (2) Le syndrome de Klippel-Feil est une fusion congénitale d’au moins 2 des 7 vertèbres cervicales. (3) Le syndrome de Kallmann est caractérisé par l’association d’un hypogonadisme hypogonadotrope et d’une anosmie ou hyposmie (avec hypoplasie ou aplasie des bulbes olfactifs) (cf. http://www.orpha.net/data/patho/ FR/fr-kallmann.pdf). 7 Thérapie psychomotrice -et Recherches- N° 157- 2009 et al., 2001), les syncinésies sont recherchées au cours de différentes épreuves et cotées en termes de durée et d’intensité : La durée est estimée sur une échelle en 11 points : 0 = pas de syncinésie, 5 = syncinésies durant la moitié du temps de l’épreuve, 10 = syncinésies tout au long de l’épreuve. L’intensité est estimée sur une échelle en 4 points comme dans les épreuves de Stambak, la note 0 correspondant à une absence de syncinésies. 1) Mouvements répétitifs : • doigts - 20 frappes entre le pouce et l’index, bras levés latéralement avec épaule et coude fléchis à 90° • mains - 20 frappes de la main avec le poignet maintenu sur la cuisse et la main opposée le long du corps • pieds - 20 frappes de la pointe du pied, le talon restant au sol. 2) Mouvements alternés : • mains (pronation/supination en position assise) • diadococinésies (pronation/supination en position debout) avec le coude à 90° touchant le corps • pied (alternance talon-pointe). Figure 1 : Marches avec contraintes pour l’évaluation des syncinésies des membres supérieurs (extrait de Cratty 1994, p. 119). Dans une étude portant sur l’intensité des syncinésies bilatérales et controlatérales chez des sujets présentant un TAC associé ou non à un TDA/H, Licari et al. (2006) retiennent 5 tâches. Trois d’entre elles sont issues du ZNA (mouvements séquentiels, marche sur pointe, marche sur talon). S’y ajoutent une marche sur 5 mètres les pieds tournés vers l’extérieur et une épreuve de tenue de pinces à dessin ouvertes entre le pouce et l’index le plus longtemps possible. 3) Mouvements séquentiels : opposition des doigts avec le pouce (position identique à celle des mouvements répétitifs des doigts). 4) Planchette à trous (pegboard) : selon l’âge, placement ou retournement de chevilles avec une main puis l’autre. D’autres épreuves sont moins fréquemment utilisées, telles que le test de motricité faciale de Kwint, l’épreuve du lever digital, l’écartement des doigts ou encore l’épreuve de Launay. Le test de motricité faciale de Kwint, révisé par Stambak (1960), consiste en l’exécution de mouvements du visage bilatéraux (14 items) ou unilatéraux (8 items). A partir de l’épreuve du lever digital, mise au point initialement par Rey (1952), Stambak (1960) développe l’épreuve de motricité digitale qui comprend trois épreuves : le lever digital simple, le double lever digital de la même main et le lever digital simultané 5) Equilibre dynamique : • saut latéral - 10 ou 15 allers et retour selon l’âge au-dessus d’une corde (20 cm de hauteur) • saut en avant - 6 sauts de part et d’autre de la corde en avançant. 6) Equilibre statique unipodal. 7) Marches avec contraintes (cf. figure 1) : • sur la pointe des pieds • sur les talons • sur le bord externe • sur le bord interne Thérapie psychomotrice -et Recherches- N° 157- 2009 8 des deux mains afin d’en augmenter la sensibilité. Le sujet, ayant les paumes des deux mains posées sur une feuille de papier doigts écartés, est invité : 1) à lever le doigt montré par l’examinateur sans bouger les autres (lever digital simple), 2) à lever deux doigts de la même main (double lever digital), 3) à lever simultanément un doigt de chaque main (lever digital simultané). Les erreurs, qui constituent des syncinésies, sont les pertes de contact avec la feuille des doigts non désignés par l’examinateur. L’écartement des doigts est réalisé les deux mains posées paumes à plat sur la table. L’examinateur indique les deux doigts qui doivent être écartés l’un de l’autre en laissant les autres joints (Connolly & Stratton, 1968 ; Wolff et al., 1983). L’épreuve de Launay (Ajuriaguerra & Stambak, 1955) consiste à écarter et rapprocher alternativement les pointes des pieds alors que les talons restent joints. différentes études. Connolly et Stratton (1968) observent par exemple, dans une tâche de tenue de pinces à dessin entre le pouce et les autres doigts, des syncinésies d’imitation chez plus de 95 % des enfants de 5 ans, alors que seulement 4 % des adolescents de 15 ans en présentent. Largo et al. (2001), dans l’épreuve de diadococinésies (cf. supra), trouvent les résultats suivants : à 5 ans, 8 % des enfants ne présentent pas de syncinésies, 35 % ont des syncinésies peu marquées, 48 % des syncinésies modérées et 8 % des syncinésies fortement marquées ; à 18 ans, ces pourcentages sont respectivement de 50 %, 44 %, 6 % et 0 %. Les syncinésies toniques, quant à elles, sont sans signification sur le plan de l’évolution génétique. Elles peuvent se retrouver, selon les individus, à tous les âges et seraient liées, d’après Stambak (1960), à la typologie et la tonicité du sujet. A 10 ans, 84 % des enfants en présentent contre 52 % pour les syncinésies d’imitation. A 12 ans, on les retrouve respectivement chez 64 et 44 % des enfants. Jusqu’à 9 ans, les filles sont plus syncinétiques que les garçons et, à partir de 10 ans, l’inverse se produit. Evolution L’évolution des syncinésies au cours du développement de l’enfant va dans le sens d’une diminution, voire de la disparition, mais ce processus n’est ni homogène, ni linéaire. Il existe une grande variabilité entre les individus ainsi qu’entre les tâches qui concerne à la fois l’âge de début de cette diminution et son rythme (Geerts et al., 2003 ; Geuze, 2004 ; Gidley Larson et al., 2007). Différences selon les tâches L’étude de Largo et al. (2001) est la plus élaborée à ce jour. Ces auteurs montrent que la durée des syncinésies au cours des épreuves présente une variabilité interindividuelle très grande entre 5 et 7 ans pour l’ensemble des tâches ainsi que des différences selon les tâches. Pour les tâches les plus simples, comme les mouvements répétitifs, la durée diminue rapidement ; par contre elle est très peu modifiée dans les mouvements alternatifs des mains et pour la planchette à trous. Si l’on s’intéresse aux marches avec contraintes, la diminution est rapide pour la marche sur pointe des pieds, mais pas pour les marches sur bords interne ou externe. Les filles tendent à présenter des durées Différences selon le type Des différences sont tout d’abord retrouvées en fonction du type de syncinésies. Ainsi, dans les études de Stambak (1960), la divergence est nette entre le devenir des syncinésies d’imitation et celui des syncinésies toniques. Les syncinésies d’imitation sont importantes vers 6 à 8 ans, elles s’atténuent fortement vers 9 à 10 ans pour disparaître normalement à 12 ans. Ces données sont corroborées par 9 Thérapie psychomotrice -et Recherches- N° 157 - 2009 fibres du faisceau pyramidal responsable du contrôle de la motricité volontaire distale et les possibilités de communication entre les deux hémisphères via le corps calleux. moindres que les garçons à tous les âges à l’exception du saut en avant. La diminution se fait plus précocement chez les filles que chez les garçons. L’intensité des syncinésies s’atténue au fil des âges dans les différentes tâches à l’exception de l’épreuve de la planchette à trous, avec des différences entre les sexes moins marquées que pour la durée. Cependant, là encore cette évolution n’est pas homogène. Ce point de vue est partagé par Denckla (1985b) qui signale que les syncinésies d’imitation persistent plus longtemps, puisqu’on les retrouve encore à 13 ans, avec une variabilité interindividuelle plus grande dans les mouvements séquentiels que dans les mouvements répétitifs simples. En proposant une tâche de remplissage d’une tasse à l’aide d’une théière à 57 enfants de 1 an 5 mois à 4 ans 8 mois, Rosenbloom et Horton (1975) trouvent les résultats suivants : 19 % des enfants ne manifestent pas de syncinésies controlatérales, 60 % présentent des syncinésies modérées et 21 %, les sujets les plus jeunes, des syncinésies marquées. Geerts et al. (2003) montrent, chez des enfants de 2 ans, que les syncinésies d’imitation sont plus fréquentes dans des tâches de saisie et d’insertion de cubes que dans des tâches similaires d’insertion de chevilles qui exigent une précision plus grande. Neuro-anatomie des faisceaux moteurs Les fibres motrices en provenance du cortex moteur primaire (appelée voie cortico-spinale ou pyramidale) croisent dans la portion inférieure du tronc cérébral (jonction bulbo-médullaire) et forment dans la moelle épinière la partie latérale du faisceau cortico-spinal. Par conséquent, cette décussation pyramidale assure un contrôle par l’hémisphère controlatéral de tous les mouvements d’un côté du corps (Victor & Ropper, 2001) et plus spécifiquement des muscles distaux et intermédiaires impliqués dans la motricité fine. Un petit pourcentage du tractus cortico-spinal (10 à 25 %) ne croise pas et poursuit son trajet dans la partie ventrale de la moelle épinière. Cette partie du faisceau cortico-spinal contrôle essentiellement les muscles axiaux pour le maintien de l’équilibre et de la posture, ainsi que ceux des ceintures. Le développement ontogénétique (croissance de connexions et myélinisation) des faisceaux cortico-spinaux se fait tardivement pendant l’embryogénèse et se poursuit pendant la première année de vie extra-utérine. Cette maturation coïncide avec l’apparition des premiers mouvements volontaires et la disparition des réflexes dits archaïques, comme celui de Babinski (e.g. Stanfield, 1992). Par ailleurs, la projection du faisceau cortico-spinal ipsilatéral régresse pendant l’enfance diminuant alors son influence sur le tonus et la motricité. Mécanismes Les syncinésies d’imitation constituent un phénomène intéressant pour l’étude des bases neurales du contrôle moteur. Différentes théories tentent de rendre compte du ou des mécanismes qui sont à l’origine de leur survenue (Cernacek, 1961 ; Hoy et al., 2004 ; Mayston et al., 1999 ; Vulliemoz et al., 2005). Pour introduire ces différentes théories, il faut tout d’abord rappeler deux spécificités neuro-fonctionnelles chez l’être humain : le trajet croisé d’une partie des Thérapie psychomotrice -et Recherches- N° 157- 2009 Le rôle du corps calleux Le corps calleux (CC) est le plus important faisceau de fibres commissurales reliant les régions homotopiques des deux hémisphères. Sur le plan phylogénétique, l’apparition du CC est liée à l’évolution du 10 néocortex, lui-même représentant l’évolution des fonctions supérieures chez l’homme (Mayer, 2002). Sur le plan ontogénétique, les premières fibres calleuses se forment entre la 11e et la 12e semaines de gestation et se développent jusqu’à la 20e semaine, période à partir de laquelle la croissance se fera à des vitesses différentes en fonction des aires corticales reliées. A la naissance, les fibres callosales sont réparties sur toute la surface du cortex et, à partir du deuxième mois, un phénomène de perte sélective va progressivement se produire, témoignant de remodelages locaux et spécifiques des circuits inter-corticaux. La myélinisation est beaucoup plus tardive, se poursuivant selon certains auteurs jusqu’à l’âge de 18 ans (Giedd et al., 1996) bien que ses effets, d’un point de vue comportemental (dans des tâches de transfert inter-hémisphérique, par exemple), semblent être visibles jusque vers le début de la deuxième décennie seulement (e.g. O’Leary, 1980). Les nombreuses recherches effectuées dans le courant du xxe siècle pour définir la nature des échanges interhémisphériques reconnaissent un rôle majeur pour les échanges d’informations activatrices et inhibitrices (voir Bloom & Hynd, 2005). Du point de vue du contrôle des coordinations motrices, ces échanges inter-hémisphériques de messages activateurs et inhibiteurs via les connexions callosales permettraient l’exécution d’habiletés complexes engageant plusieurs effecteurs simultanément (Geffen et al., 1994). Un des rôles essentiels du CC est donc de favoriser l’in(ter)dépendance entre ces différents effecteurs en réduisant les risques de conflit entre les différentes commandes motrices. D’une manière générale, pour le développement moteur normal, cette interférence au niveau des commandes motrices disparaît progressivement sous l’effet de la maturation du CC entre autres. La formation complète de la gaine de myéline autour des axones du CC permet, d’une part, une conduction plus rapide des impulsions nerveuses mais surtout une isolation des axones neuronaux les uns des autres favorisant ainsi un meilleur transfert des informations inhibitrices et activatrices entre les deux hémisphères. Origines des syncinésies Les syncinésies ont été considérées comme l’expression d’un déficit ou d’une malformation neurologique ou comme un indice de retard dans la maturation neurologique (Ajuriaguerra & Stambak 1955 ; Touwen, 1987). Dans le contexte des pathologies congénitales, la présence de mouvements involontaires en miroir chez les patients atteints du syndrome de Klippel-Feil serait liée à une décussation anormale du faisceau cortico-spinal au niveau du bulbe rachidien. Cette décussation (vers le côté controlatéral) ne se ferait pas au niveau du tronc cérébral mais plus bas au niveau de la mœlle épinière avec un branchement qui s’effectue bilatéralement directement sur les neurones moteurs (Vuillemoz et al., 2005). L’origine neuro-anatomique des mouvements en miroir congénitaux chez les patients atteints du syndrome de Kallmann ou chez les personnes qui présentent des mouvements en miroir congénitaux est moins claire. Il semblerait que le faisceau ipsilatéral du tractus cortico-spinal n’ait pas régressé, conservant ainsi une forte influence dans le contrôle des muscles distaux ipsilatéraux. Par ailleurs, une activité corticale homolatérale simultanée en provenance de l’hémisphère qui contrôle la main opposée pourrait se surajouter à cette première caractéristique, suggérant ainsi deux origines neuro-anatomiques pour expliquer ces syncinésies d’imitation (Farmer et al., 2004). Les travaux de Mayston et al., (1999) confirment cette idée, ajoutant que les mécanismes sous-jacents à l’activation en miroir chez les adultes et les enfants ordinaires sont différents de ceux qui sont responsables des activations pathologiques 11 Thérapie psychomotrice -et Recherches- N° 157 - 2009 des mouvements en miroir. En effet, les mouvements en miroir « physiologiques », observés dès la naissance et jusque l’âge de 10-12 ans environ, seraient provoqués par deux mécanismes neurobiologiques non exclusifs : une activation directe par les fibres ipsilatérales et une activation indirecte par une excitation transcallosale (i.e. via le corps calleux) des régions motrices homologues du second hémisphère (Vuillemoz et al., 2005). Figure 2 : Coupe coronale du cerveau au niveau du cortex moteur. Représentations schématiques des deux théories à l’origine des activations des groupes musculaires de la main ipsilatérale. Nous voyons sur ce schéma le contrôle croisé de la motricité distale par la décussation du faisceau pyramidal au niveau de la jonction bulbo-médullaire. En noir, le trajet descendant des fibres cortico-spinales de la main controlatérale (mouvement volontaire) et en pointillés gris, le trajet des fibres cortico-spinales de la main ipsilatérale (activation/mouvement en miroir). Ce schéma est inspiré des études de Hoy et al. (2004) et de Vuillemoz et al (2005). Se référer au texte pour les explications. Les deux théories des syncinésies d’imitation La figure 2 illustre schématiquement les « câblages » neurobiologiques à l’origine des activations musculaires homologues susceptibles de produire ou pas des mouvements involontaires associés. Sur la partie gauche de cette figure, la théorie de l’activation bilatérale, formulée à l’origine par Cernacek (1961), suppose l’existence d’une facilitation transcallosale des zones corticales homologues à l’hémisphère impliqué dans un mouvement unilatéral volontaire. L’excitabilité de cette région opposée (flèche grise), correspondant aux mêmes groupes musculaires, provoquerait une activité périphérique résiduelle (pointillés gris), activité qui peut être observée chez l’adulte sain sans qu’aucun mouvement visible ne se manifeste (Ridderikhoff et al., 2005). Cependant, si l’on mesure les latences d’activité des réponses musculaires bilatérales, ces activations sont simultanées ou présentent un délai entre les deux hémicorps de 5 à 10 ms, incompatible avec le délai minimum de 10 ms nécessaire pour le transit des impulsions nerveuses par le corps calleux (Amassian & Cracco, 1987). Cette observation est à l’origine d’une seconde théorie, la théorie d’activation ipsilatérale (Figure 2, droite), selon laquelle la commande motrice à destination de la main controlatérale pourrait « irradier » le faisceau ipsilatéral (pointillés gris), expliquant ainsi la survenue d’une activité au niveau de la main ipsilatérale. Thérapie psychomotrice -et Recherches- N° 157- 2009 Ces deux modèles offrent un cadre interprétatif non seulement aux mouvements associés involontaires, mais également aux mouvements bilatéraux -ou coordinations bimanuelles- intentionnels. Ils permettent en particulier de comprendre pourquoi les mouvements intentionnels en miroir de segments homologues (appelés aussi en inphase ou symétriques) sont plus stables (par exemple, en cas de mouvements bimanuels en miroir, la synchronisation entre les deux mains est très peu variable) et plus rapides à exécuter que les mouvements asymétriques (mouvement alternatifs de doigts par exemple). En effet, le système moteur serait « câblé » pour produire spontanément des activations simultanées de groupes musculaires homologues. Ce phénomène correspond en quelque sorte au fonctionnement moteur « par défaut », présent dès la naissance. La conséquence de ces contraintes d’activation simultanée, au cours du développement moteur de l’enfant comme chez l’adulte, est que le système moteur peut être amené à faire face à des conflits inter-manuels lorsqu’il doit assurer la production de mouvements simultanés 12 Développement des coordinations bimanuelles et inhibition motrice La force de couplage entre les deux mains est une question centrale de l’évolution fonctionnelle des mouvements bimanuels chez l’enfant. Dans une étude de référence dans ce domaine, Fagard (1987) montre que les enfants de 5 et 7 ans réalisent plus rapidement et plus précisément des mouvements « en miroir » (in-phase) que des mouvements « en parallèle » (anti-phase). Entre 7 et 9 ans, la différence de performance entre les deux types de patterns bimanuels est significativement réduite, démontrant une meilleure intégration de commandes musculaires hétérogènes. Une étude de Hauert et Steffen (1987) montre également que les enfants de 7 et 8 ans éprouvent davantage de difficulté à dessiner simultanément un carré avec chaque main lorsque l’activité des deux mains est différente. De plus, lorsque les carrés sont dessinés avec des mouvements « en miroir » par rapport au plan sagittal de l’enfant, les performances sont meilleures que lorsque les dessins sont produits par des mouvements bimanuels « en parallèle ». Ces deux études suggèrent que l’enfant doit apprendre à moduler le couplage inter-manuel de base pour créer de nouvelles synergies musculaires (Fagard, 1987). Pour vérifier l’hypothèse selon laquelle les évolutions observées dans les coordinations bimanuelles au plan comportemental dépendraient de la maturation du transfert inter-hémisphérique, Fagard et al. (2001) ont comparé, chez l’enfant entre 3 et 10 ans, la maturité fonctionnelle des échanges calleux avec la capacité de coordination bimanuelle, au moyen de deux tâches, le paradigme de Poffenberger (1912) et le Télécran (mouvements en miroir et en parallèle). Le paradigme de Poffenberger permet d’enregistrer le temps de réaction lorsque le participant doit répondre le plus rapidement possible, au moyen d’une pression d’un doigt mais non symétriques des deux mains. Ces conflits se traduisent par des interférences sur les trajectoires des actions effectuées (Stucchi & Viviani, 1993 ; Franz, 1997). La réalisation d’une habileté bimanuelle nécessite donc l’inhibition de l’« irradiation motrice » (Marteniuk et al., 1984) ou de la facilitation transcallosale (Hoy et al., 2004) de ces commandes d’origine corticale pour permettre le contrôle indépendant de chaque main. Dans ce contexte, les mouvements symétriques reposeraient essentiellement sur des commandes activatrices tandis que les mouvements bimanuels asymétriques et les mouvements unimanuels seraient le résultat d’une intégration coordonnée -via les voies callosales- et progressive -avec le développement de l’enfant- de commandes activatrices et inhibitrices. Ainsi, la présence des syncinésies est aujourd’hui expliquée par un dysfonctionnement (pour les pathologies) ou une immaturité (pour le développement) des systèmes neuro-moteurs en charge des mécanismes qui suppriment ces conflits inter-manuels. Pour Mayston et al. (1999), produire des mouvements unimanuels simples nécessite que l’activité du cortex ipsilatéral à la main active soit progressivement supprimée avec l’âge. Ces mêmes auteurs associent ce processus de contrôle à un meilleur fonctionnement des mécanismes d’inhibition inter-hémisphérique. Par conséquent, l’évolution avec l’âge des mécanismes d’inhibition devient aussi importante à étudier que celle des mécanismes d’activation, pour mieux connaître les mécanismes de contrôle du découplage bimanuel. Cependant, si l’évolution avec l’âge des mécanismes d’activation motrice a fait l’objet de nombreuses études dans la littérature scientifique, il n’en va pas de même pour les mécanismes d’inhibition motrice vers lesquels nous nous tournerons maintenant. 13 Thérapie psychomotrice -et Recherches- N° 157 - 2009 sur un bouton, à un stimulus visuel présenté du même côté (condition non croisée) que la main active ou du côté opposé (condition croisée). Dans la condition non croisée, le même hémisphère reçoit la stimulation visuelle et contrôle la réponse manuelle, alors que la condition croisée nécessite l’accès aux zones motrices de l’hémisphère non stimulé, via une connexion inter-hémisphérique. La différence des temps de réaction entre les conditions croisée et non croisée (CUD) est donc une mesure possible du temps de transfert inter-hémisphérique. Avec ce paradigme, Fagard et al. (ibid) montrent que la diminution significative du CUD est plus prédictive des performances des mouvements en parallèle que des mouvements en miroir, suggérant que « les changements liés à l’âge dans le transfert inter-hémisphérique facilitent la coordination bimanuelle de muscles non homologues. » (Fagard, 2001, p 213). Cette hypothèse selon laquelle la réalisation progressive des coordinations bimanuelles complexes dépendrait d’une meilleure contribution des échanges interhémisphériques avec l’âge a été évoquée également dans des travaux récents (e.g. Deboard Marion et al., 2003). l’effet des mécanismes d’inhibition motrice dans les coordinations visuo-motrices chez des enfants âgés de 5 à 11 ans. Notre hypothèse était qu’un défaut d’inhibition motrice devrait affecter le déclenchement des mouvements unimanuels (voir Mayston et al., 1999), tandis que les mouvements en miroir devraient être comparativement facilités. Trois tâches motrices différentes ont été proposées et présentées aléatoirement dans un bloc expérimental : des mouvements unimanuels exécutés avec la main dominante et la main non dominante, des mouvements bimanuels « en miroir » (symétriques) et des mouvements bimanuels plus complexes dit « en parallèle » (asymétriques). Comme attendu, les résultats montrent que les enfants de 5 ans initient les mouvements unimanuels moins rapidement que les mouvements bimanuels tandis que, dès l’âge de 8 ans, ces différences disparaissent. Un résultat similaire a été observé dans une étude antérieure, qui montre qu’avant 6 ans les enfants ont des temps de réaction (TR) plus longs pour déclencher les réponses unimanuelles par rapport aux réponses bimanuelles (Southard, 1985). Dans ces deux études, le « déficit » des mécanismes d’inhibition motrice chez les enfants les plus jeunes se traduirait par un rallongement du temps de réaction pour déclencher un mouvement unimanuel. Ces premiers résultats semblent montrer, comme nous l’avons précédemment suggéré, que le développement des mécanismes d’inhibition motrice est un pré-requis pour le déclenchement des mouvements unimanuels ainsi que, par extension, pour l’initiation et l’exécution des coordinations bimanuelles complexes. Couplé avec une certain nombre d’études en neurosciences du mouvement qui suggèrent que les échanges inter-hémisphériques sont principalement de nature inhibitrice -notamment pour empêcher l’apparition de mouvements en miroir lors d’une action latéralisée (e.g. Duque et al., 2007)- les résultats précédemment décrits suggèrent que cette évolution dans les échanges interhémisphériques pourrait inclure une large contribution des processus d’inhibition motrice. De fait, nous avons focalisé nos travaux de recherche sur la compréhension de la relation entre les mécanismes d’inhibition motrice et l’évolution des performances bimanuelles. Dans une première étude (Barral et al., 2006), nous nous sommes intéressés à Thérapie psychomotrice -et Recherches- N° 157 - 2009 Dans une deuxième étude (Barral et al., en correction) nous avons mesuré les effets perturbateurs liés à l’inefficience de ces mécanismes d’inhibition dans une tâche de coordination bimanuelle en alternant 14 de façon continue des mouvements de vaet-vient effectués à une seule main ou à deux mains (Figure 3). Cette alternance se caractérise donc par des transitions motrices qui, dans certains cas, correspondent à une activation manuelle et dans l’autre à une inhibition. Nous nous sommes intéressés à l’évolution des performances lors de ces transitions motrices afin d’étudier les mécanismes d’activation et d’inhibition chez 85 enfants âgés de 5 ans à 11 ans. Par ailleurs, dans ce travail nous distinguons l’inhibition sélective de l’inhibition non-sélective. La première consiste à stopper uniquement une des composantes de l’action (par exemple une des deux mains) tandis que la seconde correspond à un arrêt complet de toutes les composantes de l’action. La seconde tâche sert de « tâche contrôle » afin de mesurer les performances de base de l’inhibition tandis que la première est supposée faire intervenir une commande inhibitrice spécifique via les connexions inter-hémisphériques. En fonction des conditions, les enfants devaient 1) effectuer des transitions d’une main vers deux mains (activation), 2) de deux mains vers une seule main (inhibition), 3) activer une seul main et 4) inhiber une seule main. Les mouvements bimanuels pouvaient être soit symétriques par rapport au plan sagittal de l’enfant (en phase, figure 3 droite), soit asymétriques (anti-phase, figure 3 gauche). Les premiers représentent les patterns les plus stables chez l’enfant (en miroir) et les seconds les plus difficiles (en particulier chez les plus jeunes). Ces mesures de perturbations permettent de savoir si la main qui doit poursuivre son mouvement subit transitoirement 1) un ralentissement ou une accélération, ou 2) une diminution ou une augmentation de l’amplitude de son déplacement. Ces paramètres de perturbation ont été analysés précisément dans la « fenêtre de transition » entre les deux patterns de mouvement (bimanuel ou unimanuel). Figure 3 : Illustration des mouvements bimanuels répétitifs réalisés dans la tâche de Barral et al. (en correction). A gauche, les mouvements bimanuels en anti-phase (parallèle), les deux mains déplacent simultanément les manettes des joysticks vers la gauche puis vers la droite et ainsi de suite. A droite, il s’agit de mouvements bimanuels in-phase (miroir), les deux manettes sont déplacées ensemble vers l’extérieur et vers l’intérieur. Les résultats de cette étude montrent tout d’abord une augmentation, à tous les âges, du TR pour effectuer l’arrêt (inhibition) ou le déclenchement (activation) de la main dans les conditions bimanuelles par rapport aux conditions d’activation et d’inhibition unimanuelles (tâche contrôle). Ce coût supplémentaire peut être attribué d’une part à l’activité attentionnelle que requiert cette transition mais également à l’inefficience des mécanismes de contrôle qui interviennent dans la minimisation du conflit inter-manuel au moment de la transition (ajouter ou retirer une commande manuelle pendant l’action déjà engagée par l’autre main). Dans la tâche contrôle d’inhibition, les TR ne changent pas avec l’âge tandis que ceux pour stopper une main pendant une coordination bimanuelle (inhibition sélective) diminuent significativement avec l’âge. Ce résultat Les variables analysées correspondaient au temps de réaction (i.e. TR, le temps nécessaire pour effectuer la transition suite à l’apparition du signal auditif ordonnant d’arrêter ou d’initier le mouvement d’une main) et aux mesures des perturbations potentielles (spatio-temporelles) provoquées par la transition sur la main qui continue le mouvement. 15 Thérapie psychomotrice -et Recherches- N° 157 - 2009 Conclusion conforte l’existence de deux mécanismes d’inhibition, le premier non sélectif qui semble être mature et efficace dès l’âge de 5 ans environ et le second sélectif, qui intervient dans le contrôle de l’inhibition d’une des composantes de la coordination en cours, via les voies transcallosales probablement. Ce deuxième mécanisme pourrait être particulièrement impliqué dans les structures de contrôle des coordinations bimanuelles complexes. Les tests classiquement utilisés en psychomotricité et les études expérimentales citées précédemment ont en commun de rendre compte d’une certaine inefficience du système moteur chez l’enfant. La nature des mécanismes à l’origine des syncinésies d’imitation reste encore à déterminer bien que les spécificités des structures neuro-motrices ainsi que les hypothèses de maturation tardive du CC représentent des arguments en faveur d’une implication forte des processus d’inhibition inter-hémisphérique. Le système neuro-moteur semble imposer une activation musculaire symétrique impliquant des groupes musculaires homologues. Cette symétrie fonctionnelle « par défaut » doit être rompue pour faire disparaître les syncinésies d’imitation et favoriser l’organisation des coordinations bimanuelles. La maturation du système nerveux, et probablement une meilleure attribution des ressources cognitives (attentionnelles), vont permettre ce découplage fonctionnel, assurant ainsi une dissociation fonctionnelle du rôle de chaque main dans les habiletés motrices quotidiennes. Cependant, l’hypothèse d’une interaction complexe entre les processus d’activation et d’inhibition dans ces phénomènes de « décoordination » ne doit pas être négligée. En effet, étant donné qu’un des effets de la maturation du CC est d’isoler les axones entre eux, favorisant de meilleurs échanges activateurs et inhibiteurs entre les hémisphères, cette « isolation » peut aussi bien favoriser le transfert des messages activateurs que des messages inhibiteurs. Des travaux expérimentaux supplémentaires sont nécessaires pour étudier plus en profondeur les liens entre syncinésies et inhibition motrice en comparant directement des tests psychomoteurs classiques et des mesures d’inhibition motrice sélective. Par ailleurs, les effets perturbateurs de la transition motrice sur la main qui ne doit pas arrêter ses mouvements répétitifs montrent une évolution développementale différente selon que l’enfant active ou inhibe sélectivement une des deux mains en fonction du type de couplage (in-phase ; anti-phase). En effet, chez les plus jeunes seulement (5-7 ans environ), l’activation de la main en anti-phase provoque un ralentissement significatif de l’autre main alors que l’arrêt de cette même main dans cette même coordination ne provoque qu’une légère accélération qui ne varie pas avec l’âge. Ce résultat montre que, chez les plus jeunes enfants seulement, établir une coordination en anti-phase est plus difficile que d’en sortir. De plus, l’absence de différence liée à l’âge pour la mesure d’accélération/décélération dans les deux conditions d’activation et d’inhibition pour la coordination bimanuelle en in-phase révèle un mécanisme de contrôle probablement plus facile. Dans ces situations de transition, ce mécanisme pourrait reposer sur une simple levée ou non d’inhibition pour passer respectivement à un mouvement bimanuel symétrique ou à un mouvement unimanuel. Enfin, l’activation et l’inhibition dans le cas de coordinations plus complexes (i.e. antiphase) pourraient être contrôlées par des processus distincts qui se développent différemment avec l’âge. Thérapie psychomotrice -et Recherches- N° 157- 2009 16 bibliographie Barral (J.), Debû (B.) & Rival (C.) (2006) Developmental changes in unimanual and bimanual movements. Developmental Neuropsychology, 29, 415-429. Addamo (P.-K.), Farrow (M.), Hoy (K.-E.), Bradshaw (J.-L.) & Georgiou-Karistianis (N.) (2007) The effects of age and attention on motor overflow production. A review. Brain Research Reviews, 54, 189-204. Bloom (J.-S.) & Hynd (G.-W.) (2005) The role of the corpus callosum in interhemispheric transfer of information: excitation or inhibition? Neuropsychology Review, 15(2), 59-71. 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