Du Maroc à la France, lettre d`un candidat à l`exil

L'Interdit
Du Maroc à la France, lettre d'un candidat à l'exil
Soumis par Sylvain Marcelli
29-08-2007
C'est l'histoire d'un jeune homme qui tente de traverser le détroit de Gibraltar à la nage. Parti à l'assaut de la Forteresse
Europe, il disparaît… Sans doute noyé. Youssef Jebri publie son premier roman, "Le Manuscrit d'Hicham", aux
éditions du Cygne : un cri de colère contre le pouvoir marocain. Entretien.
Votre livre décrit une société étouffante, figée dans ses habitudes, rongée par la corruption, dominée par le silence et
le non-dit, où même le "droit d'aimer" est ignoré. Le Maroc n'a donc pas changé au cours des dernières années ? N'y
a-t-il pas des mouvements souterrains qui font avancer ce pays ?
Dans les familles, il est toujours impossible de parler ouvertement de sexualité, et donc de faire de la prévention contre
les MST et le sida plus particulièrement. Les parents éteignent toujours la télévision quand un couple s'embrasse à
l'écran. Une jeune fille qui parle à un jeune homme dans la rue demeure, aux yeux des passants, une jeune fille prête à
perdre sa virginité, si ce n'est pas déjà fait. La corruption est omniprésente et tout le monde semble y trouver son
compte, de l'automobiliste marocain arrêté pour excès de vitesse à l'investisseur étranger satisfait de décrocher un
juteux contrat. Le rôle de l'artiste engagé est, justement, de contribuer à sortir la société de son immobilisme. Même si ce
n'est certainement pas une chanson qui va changer le cours de l'histoire, elle peut contribuer à attirer l'attention sur le fait
dénoncé. Il en va de même pour le cinéma, la littérature, et tous les moyens d'expression. Espérons donc que les
artistes marocains s'engagent dans cette voie. Le narrateur s'interroge : "Pourquoi nos parents n'ont-ils rien dit, rien fait"
devant les atteintes portées aux droits de l'Homme. Ce reproche adressé à la génération précédentes est-il, selon
vous, présent dans la jeunesse marocaine ? Ou est-ce là encore un non-dit ?
Malheureusement, il s'agit encore d'un non-dit. D'ailleurs toute l'histoire contemporaine marocaine, de l'indépendance à
nos jours est jalonnée de non-dits. Tenez, juste un exemple. Je suis né en 1973, un an après la tentative du coup d'Etat
du général Mohammed Oufkir. Cet homme a occupé les plus hautes fonctions du pays de 1956 jusqu’en 1972,
date de sa tentative de renversement du roi Hassan II. Depuis ce jour, il a disparu, lui et sa famille d'ailleurs, de la
mémoire collective marocaine. Dans les images d'archives diffusées à la télévision, à l'occasion des fêtes nationales, le
général avait disparu. Je n'ai vu sa photo pour la première fois qu'au cours de mon premier voyage en France, au
début des années 1990.
Vous créez le personnage de "J'rindou", mi clochard, mi fou du roi. Quelle est sa fonction dans le livre ?
D'abord j'ai voulu, au moment où l'on parle un peu - pas assez selon moi - des enfants des rues au Maroc, aborder le
problème d'une autre manière. A mes yeux, il faut agir vite car ces enfants grandissent dans les rues, et avec le temps
qui passe, y vieillissent avant d'y mourir. Je voulais aussi dire qu'il y a également des vieux à la rue au Maroc. Puis, en
créant ce personnage je voulais montrer comment un individu qui est victime de tant de rejets (n’oublions pas, il
est noir, de père inconnu et d’une mère prostituée, orphelin et marginal) réussit à conserver, à défaut de sa
dignité, sa liberté.
Né au Maroc, vous vivez en France depuis neuf ans. Cela représente-t-il une difficulté pour décrire le Maroc
d'aujourd'hui ?
Pour le moment avec les fréquents voyages que j'effectue au Maroc, décrire le Maroc d'aujourd'hui ne constitue pas
une difficulté. Mais le Maroc n'est pas ma seule source d'inspiration. Quels sont vos projets d'écriture ?
Justement je travaille sur mon prochain roman, "Réflexions clandestines" qui sera publié, aux Editions du Cygne
également, avant fin 2007. L'histoire d'un jeune Marocain clandestin à Paris.
Lire sur le même sujet : L'Occident fantasmé des jeunes Marocains
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