Les Actes du Colloque : Synthèses des discussions du 4ème Forum

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Les Actes du Colloque : Synthèses des discussions du 4ème Forum
SOLIDAIRES ET RESPONSABLES :
INVESTIR ET AGIR POUR LES OBJECTIFS DU MILLENAIRE
Les Actes du Colloque
Synthèses des discussions du 4ème Forum annuel Convergences 2015
Hôtel de Ville de Paris
3, 4 et 5 mai 2011
+ d’efficacité +d’impact + d’investissement
Avant-propos
4ème édition du Forum annuel Convergences 2015
C
onvergences 2015 et ses partenaires ont le plaisir de partager avec vous les Actes du Colloque 2011, qui s’est tenu du
3 au 5 mai 2011 à l’Hôtel de Ville de Paris. Initié par ACTED, le Crédit Coopératif et la Mairie de Paris, avec le soutien de
plus de quarante partenaires, le Forum Convergences 2015 a réuni pendant 3 jours près de 3500 acteurs français et internationaux autour d’un objectif commun : contribuer à l’émergence de nouvelles solidarités dans le Nord et le Sud pour
atteindre les Objectifs du Millénaire pour le Développement. Opérateurs publics, acteurs du secteur privé (des multina-
tionales aux entrepreneurs sociaux) et représentants de la société civile ont échangé idées, expériences et perspectives sur la manière dont
nous pouvons, ensemble, mieux investir et agir contre la pauvreté. Ils ont confronté leurs points de vue sur les pratiques, les financements
et les partenariats innovants pour contribuer à une réduction durable de la pauvreté. Les 3 jours de discussion lors du Forum ont abouti à
l’ émergence d’un consensus pour un développement de nouveaux financements pour la solidarité internationale, un changement d’échelle
de l’entrepreneuriat social et pour une microfinance plus responsable, avec le lancement de l’Appel de Paris (www.appeldeparis.org).
La diversité des partenaires engagés, les propositions des 200 intervenants, l’ expertise des acteurs de la microfinance, de l’entrepreneuriat social,
de l’ économie sociale et solidaire et de la coopération internationale, la contribution des 3500 participants (professionnels, étudiants et citoyens
engagés), et le dialogue entre acteurs du Sud et du Nord ont fait du Forum Convergences 2015 le Davos français des nouvelles solidarités.
Ces journées représentent une occasion unique d’initier des rencontres et des échanges inédits entre des acteurs et des univers différents, qui
se croisent peu, mais qui sont tous réunis par la volonté de proposer des solutions innovantes pour initier un développement plus équitable .
Convergences 2015 contribue ainsi à améliorer l’action, l’articulation et l’impact des multiples acteurs engagés pour un monde plus solidaire.
Fort du succès des précédentes éditions du Forum, Convergences 2015 est aujourd’hui devenu une plateforme européenne permanente
d’échanges et de synergies pour une nouvelle économie sociale, plus efficace, attirant plus d’investissements et générant plus d’impact. Nous
tenons à remercier l’ensemble des partenaires et des participants qui, par leur soutien et leur enthousiasme, ont fait le succès du Forum
Convergences 2015. Nous vous souhaitons une bonne lecture des Actes du Colloque 2011 et vous donnons rendez-vous en 2012 pour
la 5 ème édition du Forum Convergences 2015 et dès aujourd’hui, sur notre site internet (www.convergences2015.org),
où vous pourrez contribuer, jour après jour, à l’émergence de nouvelles solidarités pour un développement plus durable.
L’ équipe Convergences 2015
Sommaire
Principaux enseignements du Forum................................................................................................................................... p.6
Première partie : Conférences générales.............................................................................................................................. p.9
• Séance d’ouverture............................................................................................................................................... p10
• « Où commence la fin de la pauvreté ? » Conversation avec Hernando de Soto................................................ ....p.15
• La pauvreté augmente-t-elle dans les pays développés ?.................................................................................... p.18
• Poursuivre les Objectifs du Millénaire pour le Développement au-delà de 2015 ................................................. p.22
• Responsable pour le futur : repenser le capitalisme............................................................................................. p.25
• L’économie sociale est-elle au cœur ou à la marge de l’économie de marché ?.................................................... p.28
Deuxième partie : Améliorer les pratiques......................................................................................................................... p.31
• Commerce et pauvreté : quelle connexion ?........................................................................................................ p.32
• Durabilité : comment sortir des programmes d’urgence ?................................................................................... p.37
• La triple bottom line , nouveau modèle ou utopie ?............................................................................................. p.41
• Une bonne structure de gouvernance, clé de la réussite : discussion sur les bonnes pratiques ............................ p.44
• Une comparaison des définitions de l’économie sociale dans différents pays...................................................... p.48
• Création d’emploi et de revenu pour les plus pauvres : quel rôle pour les ONG ?.................................................. p.51
• Changement d’échelle :
quelle taille une entreprise sociale peut-elle atteindre sans compromettre son modèle ?............................. .....p.55
• Conversation entre un entrepreneur social,
une entreprise de commerce équitable, une IMF et une ONG : labels, objectifs et dérives................................... p.58
• Du Sud vers le Nord :
la reproduction de méthodes et de pratiques pour répondre aux problématiques sociales ................................. p.62
• BoP 2.0 pour les grandes entreprises : co-créer de la richesse à la base de la pyramide....................................... p.65
• La crise de la microfinance : résultats de plusieurs études................................................................................... p.68
3. Convergences 2015
Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements
Sommaire
• Microfinance plus : comment lier la microfinance à d’autres services pour toucher les plus pauvres?.................. p.72
• Au-delà de la microfinance : développer les chaînes de valeur et le revenu......................................................... p.77
• Branchless Banking : comment ça marche ?......................................................................................................... p.79
• La crise de la microfinance en Inde : quelles perspectives ? ................................................................................ p.82
• Vers une régulation et une supervision efficaces des institutions de microfinance. Vers une labellisation des IMF............................................................................................................................. p.85
• Pour une finance rurale et agricole opérationnelle.............................................................................................. p.89
Troisième partie : Améliorer les investissements................................................................................................................ p.93
• Impact de la finance carbone sur l’aide au développement................................................................................. p.94
• Plus d’échanges entre ONG et secteur privé : quand, comment, pourquoi ?......................................................... p.99
• Comprendre l’émergence de l’ impact investing : rapport de J.P.Morgan et de la Fondation Rockefeller............. p.103
• L’ aide privée peut-elle éradiquer la pauvreté ? Analyse et perspectives de la
philanthropie d’entreprise et de la philanthropie individuelle........................................................................... p.108
• Comment optimiser l’utilisation des fonds publics pour encourager les investissements privés ?...................... p.112
• Financements innovants pour le développement : des promesses à la réalité................................................... p.116
• Investir dans une entreprise sociale : quelques enseignements de différents impact investors ......................... p.120
• Quelles formes de financement innovant pour développer les entreprises sociales?......................................... p.124
• Plus de responsabilité et plus d’impact :
enseignements et nouveaux principes de l’investissement en microfinance..................................................... p.127
• Améliorer les services financiers pour les communautés pauvres:
faciliter les transferts des fonds des migrants et accroître leur efficacité........................................................... p.131
• Microfinance et coopération décentralisée........................................................................................................ p.134
4. Convergences 2015
Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements
Sommaire
Quatrième partie : Améliorer l’impact.............................................................................................................................. p.138
• Impact collaboratif :
comment stimuler la collaboration entre les différents acteurs pour optimiser l’impact social? ....................... p.139
• Quelle gouvernance locale pour quel impact ?.................................................................................................. p.143
• Discussions sur les méthodes et techniques d’évaluations d’impact.................................................................. p.148
• Comment mettre en œuvre une évaluation d’impact social dans votre organisation ? ...................................... p.151
• Mesurer la performance sociale des IMF : bilan de Planet Rating and Microfinanza Rating............................... p.154
Conclusion : Séance de clôture......................................................................................................................................... p.159
5. Convergences 2015
Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements
Principaux enseignements du Forum
L’ économie au service du développement et de la lutte contre la pauvreté :
quels enjeux ?
C
onvergences 2015 a été créée pour encourager les acteurs publics, privés et solidaires des pays du Nord et du Sud à travailler ensemble pour
contribuer à un développement économique, social et environnemental durable, dans la lignée des Objectifs du Millénaire pour le Développement. Le 4ème Forum annuel a permis de souligner l’importance de la mise en synergie de tous les acteurs, au-delà de leurs divergences de points
de vue et de pratiques, afin de maximiser l’impact social, dans les pays en développement, mais aussi au Nord où la pauvreté et l’exclusion persistent
sous des formes différentes.
Le Forum a consacré la plupart de ses débats à l’entrepreneuriat social et à la microfinance, tout en faisant le lien avec l’ économie sociale et solidaire
dans les pays développés et les ONG dans les pays en développement. Des enjeux communs à l’ensemble de ces secteurs ont été mis en exergue :
1.
Comment faire face à la multiplication et à la diversification des demandes auxquelles ni le secteur privé traditionnel ni les pouvoirs publics
ne répondent ? Où trouver les moyens humains et financiers pour répondre à ces besoins ?
2.
Comment faire face à la croissance exponentielle de ces secteurs et au changement d’échelle des organisations sans risquer de remettre en
cause leurs fondamentaux, l’attachement aux objectifs sociaux de l’activité, les modes de gouvernance, la capacité à innover et à s’adapter
aux contextes locaux ?
3.
Comment mieux mesurer l’impact social de l’activité ? Comment tirer parti des évaluations sociales pour améliorer la transparence, notamment vis-à-vis des investisseurs et des bailleurs, et améliorer les pratiques ?
4.
Quels sont les échanges possibles entre acteurs du Nord et acteurs du Sud ? Les pratiques développées dans les pays du Nord peuvent-elles
être adaptées au Sud ? Les innovations apparues dans les pays du Sud pour lutter contre la pauvreté peuvent-elles inspirer les pratiques des
acteurs de l’entrepreneuriat social et de l’économie sociale et solidaire au Nord ?
A ces enjeux partagés s’ajoute une tension fondamentale, qui traverse spécifiquement les secteurs de la microfinance et de l’entrepreneuriat social :
comment faire coexister l’impératif de rentabilité économique et les objectifs sociaux et sociétaux des entreprises, à l’heure où cette tension est
exacerbée par l’importance croissante des financements privés ?
Entrepreneuriat social et acteurs solidaires, dans les pays du Nord et du Sud
L’ économie solidaire pose les fondements d’une économie différente de l’économie de marché, qui s’inscrit dans le secteur privé et repose sur un
modèle économique viable, mais cherche parallèlement à avoir un impact positif sur la société, qu’il soit social ou environnemental. Les entreprises
sociales deviennent un acteur clé de la solidarité au Nord et de la coopération internationale. Parallèlement, associations et ONG développent
des actions économiques en lien avec leur cœur de métier social. Soutenir l’économie locale et la création de revenus apparaît en effet comme
un gage de pérennité des actions sociales mises en œuvre. Entrepreneurs sociaux et acteurs solidaires sont donc amenés à se croiser de plus en
plus fréquemment et à travailler ensemble sur des problématiques partagées.
Trois enjeux principaux ont été mis en lumière : les bonnes pratiques, le financement et l’impact.
Plusieurs conditions du succès de l’entrepreneuriat social ont été soulignées, qui sont pertinentes tant dans les pays du Nord que dans les pays
du Sud :
• appréhender les besoins économiques et sociaux de manière transversale,
• faire travailler ensemble les acteurs privés, solidaires et publics en mettant à profit l’expertise et les compétences spécifiques de chacun,
• envisager les projets sur le long terme,
• mettre en place des mesures d’évaluation de l’impact social.
En termes de financement, la mobilisation des fonds privés apparaît comme un enjeu fondamental. Ces financements privés peuvent prendre
des formes variées, allant de la philanthropie classique (dons, subventions) aux différentes formes d’investissements sociaux (impact investing,
investissement dans la microfinance ou l’entrepreneuriat social, investissement en capital patient…), en passant par de nouveaux types de philanthropie individuelle (plateformes de prêt en ligne pour les micro-entrepreneurs,etc.). L’ évaluation de l’impact social et la mise en place d’un
reporting régulier constituent un enjeu fondamental pour assurer une plus grande efficacité dans l’action sociale et consolider la confiance avec
6. Convergences 2015
Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements
le donateur / investisseur afin d’encourager la philanthropie et les investissements privés.
Enjeux et perspectives pour la microfinance
La microfinance connaît aujourd’hui une crise profonde, caractérisée par des situations de surendettement des emprunteurs et par la faillite du
système économique de certaines institutions de microfinance (IMF). Cette crise a mis en lumière des dérives et des comportements irresponsables
de la part de certains acteurs et des faiblesses inhérentes à un secteur en pleine mutation : défauts de conception et de méthodologie, manque
de transparence, régulation insuffisante du secteur, etc.
Le Forum a permis de mettre en valeur des solutions pour assainir le secteur de la microfinance. Il s’agit d’abord de renforcer la gouvernance et
la régulation du secteur :
• recentrer la microfinance sur sa mission sociale,
• diffuser des standards de bonnes pratiques,
• généraliser les mesures de la performance sociale,
• mettre en place une régulation et une supervision efficace des IMF par leurs pairs et par la puissance publique.
Il apparaît également nécessaire d’innover en termes de méthodologies et de produits, notamment en diversifiant l’offre de produits proposés
par les institutions de microfinance.
Au-delà de la question de la crise de la microfinance, les débats ont souligné les mutations récentes du secteur, qui doit faire à la multiplication
et à la diversification des demandes et des besoins des populations. De nouvelles pratiques ont été présentées :
• de nouvelles méthodes de distribution des services financiers (branchless banking, mobile money),
• des produits financiers nouveaux (microfinance adaptée au secteur rural et agricole, services liés aux transferts de fonds des migrants),
• des dispositifs qui visent à accompagner la microfinance par des actions économiques et sociales complémentaires, menées en lien
avec des acteurs publics et solidaires, pour décupler son impact social (autonomisation progressive des personnes pauvres, chaînes de
valeur).
Alors que la crise financière et économique mondiale perdure et que le capitalisme et l’économie de marché font l’objet d’interrogations croissantes et
de remises en cause, comment l’économie solidaire peut-elle éclairer ces débats fondamentaux sur le système économique mondial ? Plusieurs principes
clés pourraient inspirer une refondation de l’économie : la prise en compte des dimensions sociales et environnementales aux côtés des dimensions
économiques, l’accent mis sur le long terme et la promotion des partenariats entre acteurs issus de différents secteurs. En réunissant une diversité
d’acteurs privés, solidaires et publics, le Forum Convergences 2015 a en effet révélé que les attentes, les besoins et les ressources de chacun pouvaient se
rencontrer, se répondre et se combiner, afin de proposer des solutions et des initiatives innovantes aux défis économiques, sociaux et environnementaux
urgents de notre siècle.
7. Convergences 2015
Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements
Merci aux partenaires de Convergences 2015
Une initiative de
Partenaires Principaux
Partenaires Associés
Partenaires Soutiens
mise en
Partenaires Média
SOLIDAIRES ET RESPONSABLES :
INVESTIR ET AGIR POUR LES OBJECTIFS DU MILLENAIRE
Synthèse des discussions du 4ème Forum annuel Convergences 2015
Hôtel de Ville de Paris
3, 4 et 5 mai 2011
Première partie
Conférences générales
+ d’efficacité +d’impact + d’investissement
Session d’ouverture du 4ème Forum
Convergences 2015
Séance plénière // Général
Modérateur
François de Witt
Président, Finansol
Intervenants
Pierre Schapira
Adjoint au Maire de Paris
chargé des Relations
Internationales, des Affaires
Européennes et de la
Francophonie
Andris Piebalgs
Commissaire pour le
développement,
Commission
européenne
Jean-Louis Bancel
Président, Crédit Coopératif
Henri de Raincourt
Ministre chargé de la
Coopération
Frédéric Roussel
Co-fondateur, Acted
Résumé analytique
La tribune d’ouverture de la 4ème édition du Forum Convergences
2015 réunissait les représentants au plus haut niveau des acteurs
publics, privés, associatifs partenaires du Forum, et des décideurs
politiques français et européens. Elle s’est exprimée devant une
assistance particulièrement nombreuse.
Les intervenants ont présenté les grands axes de leur politique de
développement respective, les projets en cours et les réalisations
concrètes. Tous ont réaffirmé leur souhait d’agir sous le signe des
convergences : public – privé, social – économique, Nord – Sud,
qui sont le cœur-même du Forum.
Pour Pierre Schapira, les villes ont un rôle à jouer dans le soutien
au microcrédit et à l’entreprenariat social, qui peut prendre de
multiples formes : information, formation, amélioration de l’environnement administratif et fiscal, bonne gouvernance ou encore
transfert de compétences. Pionnière en la matière, la Mairie de
Paris préconise également d’intégrer des volets de soutien au
microcrédit aux projets de coopération et de développement traditionnels des villes, comme elle le fait pour son action en Afrique
auprès des personnes touchées par le VIH, afin de renforcer l’efficacité des actions de lutte contre la pauvreté et l’exclusion.
Après avoir rappelé l’engagement de longue date du Crédit Coopératif, « banque utile » au service de l’économie réelle, JeanLouis Bancel présente les récentes initiatives du Crédit Coopératif
en matière de financements innovants, avec une forte dimension
internationale. Il annonce notamment la création de la première
Contribution Volontaire sur les Transactions de Change, au profit
d’associations d’aide au développement.
10. Convergences 2015
Frédéric Roussel salue le choix d’annoncer cette initiative au
Forum Convergences 2015, en pleine cohérence avec les motivations initiales d’en faire un lieu de rencontre, de partage et
d’échange, mais aussi un lieu de construction. L’enjeu de ce Forum est de faire résonner et rendre visibles les « mille sentiers de
l’avenir », illustrant les multiples convergences construites dans
un intérêt commun, et d’appeler les pouvoirs publics à optimiser
leurs efforts pour l’action sociale et l’aide au développement.
Andris Piebalgs présente alors les grands chantiers de la politique européenne de développement. A travers une vaste
consultation visant à améliorer les modalités d’action de l’aide
européenne, la Commission confirme son engagement pour
la réalisation des Objectifs du Millénaire. Cet engagement
passe notamment par un renforcement des complémentarités
(Etats/Commission et Public/Privé), une meilleure identification
des secteurs et pays cibles, et par l’encouragement des réformes
politiques, sociales et économiques des pays aidés.
Henri de Raincourt partage les propos d’ Andris Piebalgs sur la
complémentarité nationale et européenne, et conclut la séance
d’ouverture en présentant les points marquants de la politique
française de l’aide au développement. La volonté de la France de
respecter ses engagements, et notamment en faveur des Pays
les Moins Avancés (PMA), est mise en avant, et à l’occasion de la
présidence du G20 et du G8, la France réaffirme la nécessité de
mettre en place des financements innovants. Enfin, à l’heure des
grands changements géopolitiques de la zone méditerranéenne,
il devient essentiel de mieux prendre en compte les aspirations
des sociétés civiles dans les stratégies d’aide au développement.
Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements
Synthèse
La Ville de Paris s’intéresse particulièrement au rôle des villes dans le
microcrédit et le social business, nous dit Pierre Schapira. L’ étude « Coopération décentralisée et microfinance » réalisée cette année par Cités Unies
France et ACTED fait suite à la conférence organisée sur ce thème l’an passé.
Les villes peuvent d’une part informer et former les micro-entrepreneurs
locaux et les administrations municipales, et d’autre part financer les
formations pour le montage de dossiers de microcrédits et l’utilisation
des Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication.
Elles fournissent des données sur les secteurs économiques porteurs, sur
les politiques d’économie familiale et d’assistance sociale, et veillent au
développement de la bonne gouvernance locale. Elles peuvent en outre
créer un environnement global favorable, par la simplification des procédures administratives, la réduction des taxes locales, la création de pépinières d’entreprises ou encore le développement de crédits municipaux.
C’est notamment le cas à Paris, où le Crédit Municipal, après avoir
organisé le microcrédit personnel pour les ménages les plus défavorisés, se tourne maintenant vers les pays en développement.
De nouvelles formes de coopération se développent, à l’instar de
l’organisation d’une récente levée de fonds pour le financement de
microcrédits en faveur des artisans de la ville tunisienne de Sejnane.
Ainsi, et bien que cela ne soit pas leur cœur de cible, les villes peuvent
inclure la microfinance dans leurs projets traditionnels, et le rendre
pleinement compatible avec leur politique de développement.
La Ville de Paris mène notamment une grande action pour la lutte
conte le Sida en Afrique, avec les autorités locales et les ONG. En complément des soins et de l’accompagnement psychologique et social
des populations concernées, l’accès au microcrédit permettrait de
lutter contre la discrimination à l’emploi et à l’exclusion socio-économique liée à la maladie, en redonnant du travail, une dignité et
des revenus. La demande de la part des ONG et des autorités locales
est forte, et c’est une voie dans laquelle la Ville souhaite s’engager.
Un autre constat dressé par Pierre Schapira est de voir le nombre
croissant de jeunes intéressés par le microcrédit et le social business,
qu’il s’agisse des jeunes diplômés en France ou des jeunes des pays en
révolte : ceci incite à repenser la coopération. Les efforts doivent également être orientés vers l’épargne des migrants qui représente quatre
fois le montant de l’Aide Publique au Développement (APD). C’est le sens
du Label Co-développement Sud lancé par la Mairie de Paris il y a 6 ans,
avec les associations de migrants, dont le travail est jugé remarquable.
De nombreuses pistes de travail sont donc encore à inventer,
pour faire face à une pauvreté planétaire qui touche tout particulièrement les jeunes et leur accès à l’emploi au Nord comme
au Sud : la microfinance et le social business ouvrent des
perspectives d’avenir nouvelles, qui doivent être explorées.
Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Séance plénière
Jean-Louis Bancel nous parle du Crédit Coopératif qui est fier
et honoré d’être à nouveau, et depuis longtemps, partenaire du
Forum Convergences 2015. Le Crédit Coopératif est en effet la
banque du secteur de l’Economie Sociale et Solidaire, des associations, fondations, coopératives, mutuelles, mais aussi des entrepreneurs sociaux, et des PME - PMI au cœur de l’économie réelle.
Cette notion d’économie réelle est importante pour ce Forum, qui va cette
année accueillir plus de monde encore que les années passées, et qui
sera avant tout un forum de la société civile pour débattre et échanger.
Pour Jean-Louis Bancel, nous sommes dans une période charnière
de « renversement du monde » : au 18ème siècle, les élites avaient
permis la prise de conscience et la fabrication de la société civile.
Aujourd’hui - en témoignent par exemple les très prochains Etats
Généraux de l’Economie Sociale et Solidaire organisés par Claude
Alphandéry - la société civile s’exprime, et pourra éclairer ceux qui
nous dirigent. C’est l’essence du processus démocratique, et le fruit
d’un travail d’élévation culturelle et technique de la société civile.
Dans ce contexte, le Crédit Coopératif se définit comme une banque
utile à ceux qui veulent faire bouger leur monde. Le métier de banquier
est de faire circuler l’argent utilement pour les projets de ses clients, qui
plus est dans une banque coopérative. C’est un devoir d’être d’abord
à l’écoute et de répondre à une attente. Pour cela, le Crédit Coopératif
est notamment pionnier et leader dans les produits d’épargne solidaire et de partage, dans le microcrédit professionnel et personnel.
De façon concrète, plusieurs initiatives illustrent cet engagement :
• Il y a quelques semaines, la Fédération Européenne des Banques
Ethiques et Alternatives (FEBEA) lançait le projet Europe Active, avec
le soutien de la Commission européenne.
• Avec le développement très actif du fond CoopEst, destiné à soutenir
les institutions de finance et d’assurance coopératives, mutuelles et de
microfinance dans les pays d’Europe de l’Est, le Crédit Coopératif réfléchit
et travaille à un projet de fonds CoopMed , pour le bassin Méditerranéen.
• 2012 sera l’année internationale des coopératives : au sein de l’Alliance Coopérative Internationale, et notamment avec le concours
de la Cooperative Bank en Grande-Bretagne, la banque travaille
au lancement d’un fonds mondial pour la promotion des coopératives, particulièrement dans les pays qui n’en ont pas suffisamment.
• La dernière initiative est annoncée pour la première fois à l’occasion
du Forum : le Crédit Coopératif a mis en place pour lui-même depuis le
1er mars une contribution volontaire sur ses transactions de change.
C’est ainsi 0,01% de chaque transaction qui sera prélevé, sans en
affecter les clients. Cette contribution devrait s’élever à 100 000 euros
en année pleine au profit d’associations d’aide au développement .
Session d’ouverture du 4ème Forum Convergences 2015
11.
Ces initiatives, qui confirment un engagement de longue date du
Crédit Coopératif, font écho à une tribune signée récemment dans le
Monde par le Ministre de la Coopération avec le président de la Banque
Africaine de Développement, ainsi qu’au rapport Landau demandé
par le Président Chirac sur les financements innovants. Jean-Louis
Bancel souhaite ainsi que le Crédit Coopératif, en plus d’être une
banque utile pour ses clients, permette également, sans intention de
donner de leçons, de faire changer et bouger le monde des banquiers.
Frédéric Roussel est très heureux que l’initiative du Crédit Coopératif soit annoncée à Convergences 2015, confirmant ainsi
l’objectif initial du Forum lancé par ACTED il y a quatre ans.
Il est important de ne pas travailler uniquement sur les conséquences mais aussi et surtout sur les causes. Et la cause fondamentale qui sous-tend l’action humanitaire d’ACTED est l’inégalité et la
difficulté d’accès au revenu et au travail. Il devenait donc important
d’agir également sur le capital humain en plus de l’action d’urgence.
Le professeur Muhammad Yunus donne à ce sujet une image très
claire : la même graine peut donner un arbre de 50 mètres de haut,
ou un bonzaï, en fonction du lieu où on la plante. A potentiel égal,
le contexte peut limiter ou au contraire encourager la croissance.
Pour intervenir sur cette notion de capital humain, Frédéric Roussel
met en avant 5 idées fortes :
• Le débat pour un monde plus juste et plus solidaire concerne tout le
monde et pas uniquement les acteurs spécialisés. Il doit être global,
avec les citoyens, les acteurs économiques, le monde associatif et les
décideurs politiques.
• Il faut essayer de dépasser les clivages Nord/Sud et social/economique.
Il n’y a finalement pas tant de différence entre la précarité en région
parisienne et la pauvreté dans le Sahel. In fine, c’est la même absence
de revenu qui pose problème. De même, il faut renforcer l’interaction
entre le social et l’économique, car il y a une porosité forte entre ces
12. Convergences 2015
deux parties d’un même cerveau. La microfinance, par laquelle ce
Forum a débuté, est la tentative la plus emblématique de concilier une
démarche à la fois sociale et économique. L’entrepreneuriat social, et de
façon plus timide la Responsabilité Sociale des Entreprises, cherchent
également à redistribuer en créant de la richesse, et ainsi à faire bouger
la frontière entre économique et social pour en renforcer l’interaction.
• Beaucoup d’outils se construisent en ce sens, et le Forum s’est
élargi à ces outils : la microfinance, l’entrepreneuriat social, l’Economie Sociale et Solidaire (ESS), etc. Il est important que tous
ces secteurs communiquent entre eux et travaillent ensemble.
• Il est nécessaire d’avoir un lieu pour converger : pour que les
gens se rencontrent, se rendent compte des initiatives et des
dynamiques existantes, et puissent échanger. Il ne s’agit pas de
construire des autoroutes, mais plutôt une multitude de pistes,
et de réfléchir dans ce Forum aux « mille sentiers de l’avenir »,
qui sont autant d’initiatives qui contribuent à un but commun.
• L’action des pouvoirs publics reste très importante. Nous devons,
d’une part, tous appeler les pouvoirs publics à maximiser leurs
efforts en matière d’aide au développement et d’action sociale.
D’autre part, il faut continuer à travailler ensemble, à dialoguer afin
d’améliorer les conditions d’intervention des acteurs du développement, et permettre aux pouvoirs publics d’accompagner mieux
encore les initiatives qui ne sont pas toujours visibles pour eux.
Le Forum Convergences 2015 a vocation à devenir cette interface.
Ces cinq principes ont guidé la création du Forum il y a quatre ans et
continuent de le faire pour cette nouvelle édition. Frédéric Roussel
remercie chaleureusement les partenaires du Forum : tout d’abord
la Mairie de Paris, devenue partenaire en plus d’accueillir le Forum,
et le Crédit Coopératif, soutien fidèle ; puis les 40 partenaires de
cette édition, qui peut-être montreront la voie à de nouveaux par-
Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements
tenaires encore ; enfin, la centaine de personnes qui ont participé
aux groupes de travail du Forum pour monter les conférences, ainsi
que tous les participants et intervenant du Forum venus converger.
Andris Piebalgs remercie en premier lieu d’avoir été invité devant
cette audience, la plus importante depuis son début de mandat
il y a un an et demi. Il présente ensuite de manière plus large les
grands chantiers de la politique européenne de développement.
La situation mondiale actuelle interpelle sur notre capacité à lutter efficacement contre la pauvreté et contre le terreau des instabilités, des conflits
et des violations des droits de l’Homme, et il faut en débattre ensemble
pour agir au mieux collectivement. Les valeurs de liberté, de démocratie, de confiance en l’Etat doivent être au cœur de l’action de développement pour que les citoyens continuent à y adhérer pleinement.
L’aide apportée aux pays tiers produit des effets ponctuels, mais elle ne
pourra mener à une élimination durable de la pauvreté que si ces gouvernements mettent en place une gouvernance et un système de droits solides.
L’Union européenne reste de loin le plus gros donateur mondial
pour l’aide au développement, avec plus de 50 milliards d’euros par
an. Cet argent représente un investissement pour le futur, un espoir
pour des millions de personnes de se soigner, s’éduquer, avoir accès au
microcrédit ou à l’emploi. L’aide de la Commission européenne doit
avant tout accompagner les Etats, dont la responsabilité première est
de mettre en place une administration efficace, une sécurité sociale,
une réglementation stable, en un mot une bonne gouvernance.
Mais l’aide apportée peut également être plus ciblée, et plus efficace
dans son effet multiplicateur. Une vaste consultation a été lancée par
Andris Piebalgs au travers d’un livre vert sur l’avenir de la politique
de développement de l’Union, dont voici quelques orientations :
• L’ objectif de lutte contre la pauvreté et d’atteinte des Objectifs du
Millénaire pour le Développement en 2015 reste prioritaire et pleinement pertinent.
• Il convient néanmoins de modifier la manière de faire : l’Union Européenne a confirmé ses engagements financiers d’ici 2015, une attention particulière sera portée au respect de ces derniers. Mais même un
budget de 0,7% du PNB ne suffira pas à régler le problème de la pauvreté
dans le monde. C’est pourquoi il faut utiliser l’argent disponible pour
produire un effet maximal, selon 4 principaux axes de changement :
1. Une amélioration de la coordination et de la division du travail entre
Etats membres et Commission.
2. Mieux cibler l’aide de l’Union européenne sur les domaines où elle a
une valeur ajoutée évidente, comme la gouvernance, et sur les secteurs porteurs de croissance, tels que l’agriculture et l’énergie. Cette
Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Séance plénière
croissance doit profiter au plus grand nombre et non à une petite élite.
3. Mieux différencier la couverture géographique de l’aide ; certains
pays en développement sont devenus eux-mêmes d’importants
donateurs, comme la Chine et le Brésil, et ces pays ne peuvent prétendre recevoir le même type d’aide que d’autres pays comme le
Libéria ou l’Ethiopie.
4. Développer de nouveaux types de partenariats public-privé, car
l’aide au développement n’est pas uniquement publique. Pour
en assurer un véritable impact sur place, il faut regrouper tous les
acteurs concernés.
La Commission européenne vient de proposer une nouvelle stratégie
pour les pays d’Afrique, assortie d’un appui financier conséquent, mais
également d’un principe fort : l’aide sera plus importante aux pays qui
s’engagent le plus rapidement sur la voie des réformes politiques, économiques et sociales. Andris Piebalgs se rendra prochainement en
Côte d’Ivoire et en Guinée Conakry pour porter un message d’accompagnement au processus de réconciliation et des réformes engagées.
En Côte d’Ivoire, il est proposé un ensemble de mesures de 180 millions
d’euros pour aider à la reconstruction. En Guinée Conakry, la coopération est poursuivie dans le cadre du processus démocratique en cours,
avec notamment l’inauguration d’un pont financé par l’Europe, qui est
au cœur de l’intégration économique régionale avec la Sierra Leone.
Cela est également le thème de la Conférence sur les pays les moins
avancés d’Istanbul. Andris Piebalgs sera enfin au Soudan pour discuter avec le Nord et le Sud des futures modalités de l’aide européenne.
Pour se différencier, il est fondamental de trouver le moyen de devenir
plus efficace dans les environnements difficiles. L’aide est à un tournant, et il est nécessaire de continuer à travailler tous ensemble.
Henri de Raincourt remercie en premier lieu Frédéric Roussel
et toute l’équipe d’ACTED d’avoir organisé un Forum rassemblant
autant d’acteurs et qui soit aussi ancré dans la vie qui entoure les
politiques de développement. Les citoyens ont pris conscience de la
nécessité absolue de mettre en œuvre des politiques de développement à la fois respectueuses de la liberté des peuples et efficaces, et
Henri de Raincourt souhaite que ce Forum rencontre un très grand écho.
La France et l’Union européenne sont en pleine communion de pensée
et d’action sur les politiques de développement à mener, et essayent
chaque fois que cela est possible d’avoir des actions complémentaires,
réfléchies et préparées ensemble pour viser plus d’efficacité et de rapidité.
Henri de Raincourt expose ensuite plusieurs réflexions :
• Sur les moyens consacrés par la France à l’Aide Publique au Développement : l’engagement des pays du G8 de consacrer 0,7% de leur
Session d’ouverture du 4ème Forum Convergences 2015
13.
Revenu National Brut à l’Aide Publique au Développement était assorti
d’un objectif intermédiaire de 0,5% du Revenu National Brut en 2010.
L’OCDE vient de confirmer que cet objectif était atteint par la France.
Avec près de 10 milliards d’euros d’engagement, la France est le 3ème
contributeur mondial de l’Aide Publique au Développement. Bien que
la crise économique mondiale ait durablement affecté les budgets des
pays développés, Henri de Raincourt confirme que la France tiendra
ses promesses et sanctuarisera ses engagements. Ceci doit se faire dans
le cadre d’un effort collectif à mener avec les autres pays. C’est le sens
de l’engagement de la France en faveur des financements innovants. Le
consensus progresse, et cette forme de financement stable, additionnel
et prévisible peut prendre des formes variées, dont celle d’une contribution sur les transactions financières. Il est logique que ceux qui profitent
le plus de la mondialisation participent au financement du développement. L’initiative du Crédit Coopératif est en ce sens excellente et exemplaire, et Henri de Raincourt espère que cette démarche sera reprise par
un nombre croissant de responsables qui partagent cette vision, dont
la dimension éthique est réclamée à juste titre par l’opinion publique.
fondations privées et des marchés des capitaux, les Etats n’ont plus le
monopole de l’aide financière. La société civile ne se résume pas aux
banquiers et aux entrepreneurs, bien qu’indispensables, mais s’étend
aux jeunes, aux femmes, aux syndicalistes, aux bloggeurs, qui pour
certains ont risqué leur vie pour la liberté et la dignité qu’ils ne retrouvaient pas dans les statistiques flatteuses qui réjouissaient les bailleurs
de fonds internationaux. Les Etats doivent assumer plus nettement
leur rôle d’impulsion politique, par l’exercice de leur responsabilité en
matière de paix et de sécurité internationale. Quel était le développement possible pour des populations soumises à la folie meurtrière
de dirigeants illégitimes, comme en Libye ou en Côte d’Ivoire hier ?
La France a pris ses responsabilités avec ses partenaires pour que les
actions de coopération puissent reprendre. Ce réengagement du
politique passe par la prise en compte d’enjeux stratégiques comme
le lien entre développement et sécurité. C’est le but de la stratégie
de développement en faveur du Sahel, élaborée avec le soutien français. Un tel engagement doit se décliner désormais pour la Méditerranée, en répondant aux aspirations à la liberté de la société civile.
• Sur l’efficacité de l’aide : le but premier des Objectifs du Millénaire pour
le Développement n’est pas de toucher une cible statique, mais de
créer une dynamique économique et sociale qui permettra aux pays
concernés de répondre durablement aux besoins de leurs populations,
en fonction des réalités et des spécificités qui leur sont propres. Pour de
nombreux pays africains, l’atteinte de ces objectifs dépend de la force
relative de leur croissance économique au regard de leur croissance
démographique. L’aide française est concentrée sur les Pays les Moins
Avancés, Henri de Raincourt souhaite que la prochaine conférence
d’Istanbul soit un moment important de mobilisation en faveur de ces
pays. Il faut créer les conditions d’une croissance endogène, qui est
un facteur de développement à long terme. En ce sens, l’initiative du
Cap, lancée en 2008 et qui mobilise 10 milliards d’euros en faveur du
secteur privé en Afrique, a toute sa place dans une politique globale
de développement. C’est aussi le sens de l’engagement de la France,
pendant sa présidence du G8 et du G20, de lutter contre les freins
au développement de l‘Afrique que sont le manque d’infrastructures
et la faible intégration régionale. Le développement passe enfin par
la capacité des pays en développement à renforcer leur gouvernance, améliorer le climat des affaires, la sécurité juridique et fiscale,
la mobilisation de ressources fiscales, et lutter contre la corruption.
Il faut désormais réexaminer avec un œil neuf les politiques de coopération,
en tenant compte des revendications des populations, dans un esprit de
respect mutuel. L’ heure est à l’imagination, et il faut compter sur les ONG
pour participer à la construction d’un monde moderne et les remercier de
leur travail quotidien. Nous partageons ici les mêmes convictions qu’il faut
désormais mettre en œuvre avec ardeur, passion, enthousiasme et cœur.
• Sur les bouleversements du monde qui conduisent à un paradoxe : le
printemps des pays arabes montre en effet que la démocratie n’attend
pas que le développement économique la précède. Les Etats ont
quelque peu perdu la place politique et diplomatique prééminente
qu’ils avaient au sortir de la décolonisation. A l’heure des grandes
14. Convergences 2015
Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements
Rapporteur officiel :
Yaël Zlotowski, Crédit Coopératif
Où commence la fin de la pauvreté?
Conversation avec Hernando de Soto
Grand Débat Le Monde // Coopération internationale
Modérateur
Serge Marti
Président, Association des journalistes économiques
et financiers (AJEF)
Intervenants
Hernando de Soto
Président, Institut pour la Liberté et la Démocratie
Résumé analytique
Selon Hernando de Soto, aucune nation ne peut développer une
économie de marché forte, sans un cadre d’information publique
adéquat qui enregistre tous les biens de propriété et autres renseignements économiques connexes. Dans leurs efforts pour atteindre
une croissance économique – et contribuer à la réduction de la pauvreté - la plupart des pays en voie de développement rencontrent un
obstacle principal : une grande part de l’activité économique dans
leur pays se déroule dans l’ombre de la loi.
Par conséquent, les gouvernements n’ont pas de connaissances
profondes de l’économie de leur pays. Ainsi, ils n’ont pas ce qui a été
l’un des principaux moteurs de la croissance économique dans les
pays riches pour les 100 dernières années – c’est-à-dire un « système
de mémoire publique » qui agit en tant que dépositaire des faits
économiques d’une nation.
Pourquoi la majorité des pauvres dans les pays en développement
travaille en dehors du système juridique? Hernando de Soto soutient qu’ils n’ont guère le choix : les lois dans les pays en développement ont tendance à être coûteuses, lourdes, discriminatoires
et tout simplement mauvaises. Sans les outils juridiques indispensables à la réussite économique, ces entrepreneurs « extralégaux »
sont condamnés à la pauvreté. L’activité économique non enregistrée de ces petits entrepreneurs, qui ont pratiquement l’impossibilité d’obtenir la propriété légale de leurs biens et de l’enregistrer,
crée une économie parallèle « extralégale ». Pour survivre, protéger
leurs actifs, et faire fructifier leurs activités, les entrepreneurs « extralégaux » doivent créer leurs propres règles – ce que Hernando de
Soto appelle « la loi du peuple ». Cela affecte aussi la société dans
son ensemble parce que les règles de cette économie ne permettent
pas de prospérer comme le reste de la société. Seule une minorité
de l’élite est capable de profiter des avantages économiques de la
loi et de la mondialisation, alors que la majorité des entrepreneurs
sont coincés dans la pauvreté, où leurs actifs, qui représentent plus
de 10 milliards de dollars américains, restent comme un « capital
mort » qui croupit dans l’ombre de la loi. En d’autres termes, le pays
dans son ensemble ne fonctionne pas à un niveau optimal.
Pour réduire la pauvreté, Hernando de Soto affirme que les gouvernements des pays en développement doivent réformer leurs systèmes juridiques et fournir à la majorité de leurs citoyens l’occasion
d’acquérir une participation au sein du marché économique. La clé
d’une économie de marché moderne inclusif, selon Hernando de
Soto, est l’octroi, à la majorité des personnes pauvres, d’un accès
facile aux droits de propriété juridique par le biais de titres fonciers
enregistrés. Cela incitera ces personnes à quitter le secteur extralégal
et à rejoindre l’économie légale. Une telle documentation construit
une partie essentielle du système de mémoire publique qui permet
à la société d’identifier et d’accéder à des informations sur les individus et leurs biens. Elle permet de faciliter l’établissement clair de
la limite de responsabilité pour les entreprises, de connaître leurs
situations économiques, d’assurer leur protection face aux tierces
parties. Elle permet aussi de quantifier et d’évaluer les actifs et les
droits. Ce système de mémoire publique facilite également l’accès
à une plus grande variété des possibilités économiques. Hernando
de Soto souligne que les actifs détenus en dehors de la loi sont un
« capital mort » – des richesses potentielles qui ne peuvent pas être
mises à profit. Grâce à des droits de propriété, ces actifs sont transformés en « capital vivant », où un seul actif peut avoir de multiples
fonctions : une maison, par exemple, n’est plus seulement un abri,
mais peut être utilisé comme garantie pour un prêt ou une adresse
vérifiable pour obtenir de l’électricité et d’autres services.
Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Grand débat Le Monde Où commence la fin de la pauvreté ? Conversation avec Hernando de Soto 15.
Synthèse
Quels sont les moyens pour combattre la pauvreté dans le contexte
actuel de crise économique et des révolutions dans le monde arabe ?
En effet, avec la crise économique, le nombre de personnes pauvres
est passé de 1,4 million en 2008 à 1,9 million en 2010. La liberté et la
démocratie sont-elles suffisantes pour réduire la pauvreté ?
Selon Hernando de Soto, cela dépend de la définition que l’on leur
donne. Si la démocratie, par exemple, signifie le droit de vote, cela ne
suffit pas : les électeurs à travers le monde en développement ont trop
souvent élus des dictateurs. La liberté économique n’est pas non plus
suffisante si l’on ne dispose pas d’autres libertés. Pour Hernando de
Soto, la liberté économique et la démocratie sans droits de propriété
ne sont pas suffisantes pour réduire la pauvreté. La majorité des pauvres
dans le monde en développement ne bénéficie pas d’un accès facile au
système juridique, qui, dans les pays avancés et pour l’élite des pays en
développement, est la porte de la réussite économique. Les documents
de propriété des personnes pauvres ont besoin d’être normalisés selon
la loi, afin d’avoir accès au système juridique et être en mesure de profiter
des avantages de celle-ci et de la mondialisation. Un document de propriété devient un mécanisme de la mémoire publique, facilitant toutes les
activités économiques qui poussent une économie moderne de marché :
l’accès au crédit, l’établissement de systèmes d’identification, la création
de systèmes de crédit et d’information sur les assurances, la fourniture de
logements et d’infrastructures, l’émission d’actions, l’hypothèque d’un
bien, et même une gouvernance efficace.
Quel a été le rôle de l’Etat péruvien dans la réforme de la propriété ?
Entre 1988 et 1995, Hernando de Soto et l’Institut pour la Liberté et la
Démocratie (ILD) ont conçu les bases administratives de la réforme de
la propriété du Pérou et le système du droit des affaires, ce qui a permis
l’obtention de titres de propriété à plus de 1,2 million de familles et a
aidé 380 000 entreprises (travaillant auparavant sur le marché noir) à
entrer dans l’économie formelle. Pour réaliser ces réformes, ils ont aussi
éliminé l’immatriculation, les licences et les lois de permis bureaucratiques et restrictives qui rendaient l’ouverture de nouvelles entreprises
chronophage et très coûteuse. Par exemple, la participation de l’Etat
est la clé de la réforme de la propriété, qui est une réforme juridique
fondamentale : l’État doit s’assurer que les titres fonciers sont pleinement reconnus par tous les acteurs économiques et juridiques et qu’ils
montrent clairement le lien entre la terre et son propriétaire au niveau
local, national et international – liant ainsi les acteurs économiques les
uns aux autres. Avec la création de telles institutions, les coûts du travail
en dehors de l’économie formelle deviendront sensiblement plus élevés
que ceux d’entrée et de fonctionnement au sein de l’économie formelle.
De même, les bénéfices d’exploitation dans l’économie formelle seront
évidemment plus nombreux que ceux dans l’économie extralégale.
16. Convergences 2015
Le jeune tunisien qui s’est immolé voulait un emploi, pas un titre
de propriété... L’approche des droits de propriété à la question de
la pauvreté n’est elle pas un peu simpliste ?
Pour Hernando de Soto, l’approche des droits de propriété est essentielle pour aider les entrepreneurs pauvres à transformer leurs biens et
leurs entreprises en actifs qu’ils peuvent exploiter et développer offrant
ainsi la prospérité de leurs familles – et des emplois pour d’autres. Ce
Tunisien, en fait, avait « un travail » – c’était un vendeur de rue typique des
pays en voie de développement coincés dans l’économie souterraine. S’il
avait eu une licence légale pour faire des affaires, un inspecteur municipal
aurait été moins susceptible de l’humilier, provoquant cette réaction
tragique de l’entrepreneur.
Hernando de Soto insiste sur le fait que l’État doit savoir qui possède
quoi dans l’économie informelle avant qu’il puisse y avoir de la croissance
économique ou une réduction de la pauvreté. Avant d’accorder des titres
de propriété, par exemple, l’Etat a besoin d’identifier la personne qui
possède ce terrain et doit obtenir des informations sur les individus,
leurs biens (y compris ceux détenus dans l’économie informelle), sur
les circonstances et, éventuellement, sur les charges et les obligations.
L’État doit également s’assurer que cette information est entrée dans le
système de mémoire publique, ce qui facilite la réalisation des fonctions
économiques essentielles, et aide les agents économiques à communiquer les uns avec les autres.
Pour montrer à quel point ces informations sont importantes, il cite
l’exemple du delta du Nigeria où l’ILD a travaillé : la population extralégale et sans papiers est si vaste que le gouvernement estime qu’elle est
comprise entre 15 et 30 millions. Hernando de Soto note qu’un nombre
plus exact peut être obtenu, seulement grâce à l’information récoltée
via la réforme agraire et la formalisation de la terre.
Hernando de Soto insiste également sur l’importance de l’outil juridique
de « responsabilité limitée » prévue par la loi de propriété pour les entrepreneurs. Cela aide les gens à évaluer et à limiter les risques en affaires
en comparant la part de propriété investie dans l’entreprise et quelle
est celle sauvegardée pour la famille. Selon Hernando de Soto, l’invention du concept de responsabilité limitée en Europe entre 1850 et 1900
était révolutionnaire : il a donné à chacun le droit de créer ou d’investir
dans une société sans que personne ne risque ses biens personnels.
Hernando de Soto souligne que dans les pays en développement, où
la plupart des entrepreneurs n’ont pas accès à cette protection juridique,
la « responsabilité illimitée » est la norme, et, pire encore, sans un titre de
propriété juridique, il n’existe aucun moyen pour les petits entrepreneurs
d’obtenir un crédit ou encore de lever des capitaux dans le but de faire
croître leurs entreprises.
L’ILD a-t-il des contacts avec des pays comme le Brésil et la Chine?
Oui, mais les chefs d’Etat de ces pays n’ont pas engagé l’ILD. Ils ont cependant utilisé leurs idées sans le rendre public.
Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements
Questions
Hernando de Soto parle de la différence entre le « capital mort » – des
actifs qui ne peuvent pas être exploitées car ils sont tenus en dehors de
la loi, sans accès aux outils juridiques (comme les droits de propriété
ou la responsabilité limitée) dont disposent les entrepreneurs des pays
développés et qu’ils tiennent pour acquis et le « capital vivant », où les
mêmes actifs permettent d'acquérir de nombreuses fonctions grâce
à la jouissance des droits de propriété. Par exemple, dans l'économie
extralégale, un bâtiment peut être utilisé comme abri ou lieu d'affaires,
mais une fois que le droit de propriété est attaché à ce bâtiment, il peut
être utilisé pour de nombreuses autres choses comme une garantie d'un
prêt hypothécaire ; il peut également être identifié en tant que terminal
pour obtenir de l'électricité, comme une location permettant de gagner
de l'argent ou comme un moyen de tracer un criminel. Transformer la
quantité massive de « capital mort » qui croupit dans les économies
extralégales des pays en développement est principalement un enjeu
politique : la loi doit être changée.
Selon Hernando de Soto, la révolution dans la réflexion sur le développement économique est de comprendre que la loi réelle dans les pays
en développement est la « loi du peuple » (les normes et les coutumes
qu'ils utilisent pour faire et protéger les transactions), qui n'a pas été
reconnue ou incorporé dans la loi réelle. Trop souvent, les pouvoirs politiques défendent le statu quo et ne s'attaquent pas à ce problème. Ils
n’établissent pas les réformes institutionnelles nécessaires qui rendraient
le cadre juridique plus reconnaissable et accueillant. Cela permettrait
aux personnes travaillant dans l’économie extralégale d’entrer dans
l'économie légale, où il est possible de protéger et faire croître leurs actifs,
et donc de sortir de la pauvreté.
Pour Hernando de Soto, l'actuelle crise financière mondiale est principalement due à des institutions financières qui ignorent ce que les réformateurs comme lui ont essayé d'obtenir des gouvernements des pays en
développement. Il cite ainsi l’établissement des procédures appropriées
pour la documentation et l'enregistrement des transactions qui permettent d’assurer la connaissance des propriétaires et les circonstances
dans lesquelles ils ont acquis la propriété. Ces faits économiques sont la
base de la confiance qui stimule la croissance économique. Lorsque les
banques ont vendu les hypothèques et ont distribué des crédits à risque
aux investisseurs par le biais de titres hypothécaires pour reconstituer
leurs fonds, ils l'ont fait d'une manière si opaque et complexe que le lien
entre le titre de propriété et de l'actif a été perdu – ce qui a miné la confiance envers le système financier.
Rapporteur officiel :
Convergences 2015
Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Grand débat Le Monde Où commence la fin de la pauvreté ? Conversation avec Hernando de Soto 17.
La pauvreté augmente-t-elle dans
les pays développés ?
Mini-conférence // Coopération internationale
Modérateur
Antoine Michon
Représentant, Délégation générale, ATD Quart Monde
Intervenants
Olivier Bontout
Sous-Directeur Adjoint, DREES
François Dechy
Directeur Délégué,
France Active Financement
Bernard Devert
Délégué Général, Habitat et Humanisme
Michael Förster
Economiste principal, division des politiques
sociales, OCDE
Jérôme Vignon
Président,
Observatoire National de la Pauvreté et de
l’ Exclusion Sociale (ONPES)
Résumé analytique
Malgré un taux de pauvreté qui reste stable au niveau de l’Union
Européenne, la pauvreté augmente dans certains Etats membres.
Il y a une forte variation du taux de pauvreté entre les Etats. On
assiste à un changement du visage de la pauvreté, à une crise du
mal-logement et à une crise de l’humanité.
18. Convergences 2015
Quels sont les horizons de la pauvreté d’ici à 2020 pour l’Union
Européenne et les Etats membres ? Il existe une stratégie commune de lutte contre la pauvreté et la misère qui mobilise les Etats,
l’Union Européenne mais aussi chacun d’entre nous. Il s’agit de la
stratégie de Lisbonne, en particulier de son volet social.
Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements
Synthèse
Antoine Michon, nous parle de la création d’ATD Quart monde en
1957, 5 ans après l’invention du mot « Tiers Monde » par Sauvy. Le Quart
Monde fait référence au cahier du 4ème ordre de la révolution française.
Son fondateur Joseph Brezinski voulait que le vrai sujet soit la libération
des plus pauvres. Depuis 1972, ATD Quart monde veut mettre la lutte
contre la misère au cœur de la construction européenne. Depuis l’accréditation de la journée mondiale du refus de la misère par l’assemblée
générale des Nations Unies, ce mouvement a permis de faire le point
sur la misère et la pauvreté dans nos pays développés.
Antoine Michon pose la question à Michael Förster quelle est l’évolution de la pauvreté dans les 34 pays de l’OCDE, quelles sont les politiques
mises en place et quel est le résultat obtenu.
Pour celui-ci, les ministres des affaires sociales ont convenus d’une
vingtaine d’objectifs dont le plus important est la détermination de
combattre la pauvreté et l’exclusion sociale. Trois champs de réflexion
se dégagent :
• Quelles sont l’ampleur et les tendances de la pauvreté?
• L’importance des inégalités.
• Les intérêts des politiques.
Il y a deux seuils de pauvreté. Le seuil de pauvreté absolue se base sur
le coût des besoins essentiels, le seuil de pauvreté relative lui se base
sur le niveau de vie. C’est en fonction du seuil de pauvreté relatif que
le taux de pauvreté est calculé. Le critère du revenu facilite la comparaison entre pays. Dans les 34 pays de l’OCDE, il y a une divergence
énorme entre les taux de pauvreté (6% Danemark, ≥ 20% au Mexique).
La moyenne des pays est de 11%. On constate une augmentation de
1 point de pourcentage dans l’OCDE qui correspond à 1,5 millions de
personnes supplémentaires qui vivent en dessous du seuil de pauvreté.
La situation est fort différente en fonction des pays. Si l’on prend 4 pays
membres comme les USA, l’Allemagne, la Suède et la France, on constate
que pour les USA le niveau de pauvreté reste élevé mais stable, pour la
France il oscille autour de 7%, ceux de l’Allemagne et de la Suède ont
considérablement augmenté depuis début des années 2000.
Ces dernières années, il y a eu un changement du visage de la pauvreté.
Le risque de la pauvreté s’est déplacé vers des populations très jeunes
ou très âgées sachant que ces personnes ne sont pas ou plus en âge
de travailler.
Il pourrait y avoir un taux de pauvreté européen mais il faudrait le calculer en fonction du seuil de pauvreté absolue. En effet, si on prend le
revenu absolu des 10% les plus pauvres en Suède, celui-ci sera plus
élevé que la moyenne des revenus des pays de l’OCDE. Par contre, aux
Etats-Unis, ce revenu sera comparable à un revenu moyen en Grèce
par exemple. Cette inégalité due à la concentration des richesses est à
considérer très sérieusement.
On ne peut ni comprendre ni combattre la pauvreté si on ne comprend
pas la richesse. Les inégalités se sont accrues dans l’OCDE en partie
à cause d’une concentration de revenus. Il faut donc regarder l’entité
de distribution et la répartition des richesses. Par ailleurs les transferts
monétaires et non monétaires jouent un rôle très important pour atténuer et combattre la pauvreté. Les politiques doivent faire en sorte que la
répartition soit efficace. Elles devraient aussi s’attaquer directement aux
causes. Bien sûr l’une des causes majeures est le travail. Même si l’emploi
n’est malheureusement pas une garantie de se retrouver au dessus du
seuil de pauvreté (phénomène du travailleur pauvre ; plus de la moitié
des ménages en situation de pauvreté travaille), il faut des politiques
d’activation inclusive renforcée. A cela doit s’ajouter une réduction
durable de la pauvreté, les politiques doivent donc se concentrer sur
l’ éducation et la formation.
Qu’en est-il plus précisément au niveau de l’Union Européenne et dans
le cas de la France ? Pour Olivier Bontout, le taux de pauvreté se définit,
au niveau de l’UE, par la proportion de ménages dont le revenu est inférieur à 60% du revenu médian dans chaque pays. Ce taux de pauvreté
monétaire s’établit à 16% pour l’Union des 27 et connaît une stabilité
depuis 2000. Malgré cela on observe une différence entre les pays
(par exemple : Allemagne et pays scandinaves dont le taux augmente).
Différentes approches représentant la nature multidimensionnelle de
la pauvreté ont également été développées, notamment la pauvreté en
terme de conditions de vie ou encore le lien avec le marché du travail.
L’ objectif de l’Union Européenne de 2010 pour la décennie (2010-2020)
est une diminution de 20 millions de personnes touchées par la pauvreté
ou l’exclusion. L’approche retenue a connu une évolution à l’occasion
de la définition de la cible et l’approche monétaire a été complétée par
deux autres dimensions :
• La pauvreté en termes de conditions de vie;
• La pauvreté en lien avec le marché du travail (ménages dont l’intensité
du travail est inférieure à 20%).
Au niveau de la France on observe trois tendances :
• la pauvreté est plus faible qu’en Europe et que chez la plupart de nos
voisins ;
• la pauvreté monétaire n’a pas connu d’évolution significative ;
• la pauvreté change de visage.
On observe une stabilité de la pauvreté monétaire depuis 2000 et un
changement du visage de celle-ci, depuis plusieurs décennies. En effet il
y a une diminution de la pauvreté parmi les personnes retraitées, mais on
observe une augmentation progressive de la pauvreté chez les jeunes et
chez certains actifs pour qui l’accès au marché du travail est difficile. Ces
personnes ont une faible intensité d’emploi au cours de l’année au sens
où elles enchaînent les périodes d’activité, d’inactivité et de chômage,
Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Mini-conférence La pauvreté augmente-t-elle dans les pays développés ?
19.
ce dont il résulte que les revenus d’activités ne sont parfois pas suffisants
pour dépasser le seuil de pauvreté.
La question de la pauvreté amène la question du mal-logement. Antoine
Michon demande comment évolue le mal-logement, les personnes qui
dorment dans la rue et les autres mal-être liés qui apparaissent. Pour
répondre à cela Bernard Devert nous donne son témoignage. Selon
lui, il est difficile de faire bouger les lignes et de faire en sorte que les 3
millions de personnes qui sont mal logées ou sans logement sortent de
cette situation. Comment faire bouger et comment refuser cet inacceptable ? C’est à travers l’écoute et la visibilité des visages de ces personnes
que d’autres perspectives sont envisageables.
Pour revenir sur la question de la pauvreté, elle n’est pas seulement monétaire, il y a aussi ce manque de reconnaissance vis-à-vis de la personne qui
n’a pas de toit. La pauvreté est aussi cela, une pauvreté à partir de laquelle
des hommes et des femmes qui n’ont pas de travail, qui n’ont pas de toit,
qui n’ont pas de relations considèrent que finalement ils ne sont rien.
L’urgence est de lutter contre ce mal-logement qu’il faut entendre comme
un malheur. Face à ce malheur il y a une question de responsabilité et
d’humanité. Le mal-logement touche en France des familles, notamment
des enfants. 600000 enfants sont victimes de ce phénomène, victimes
maintenant pour des conditions de vie inacceptable mais aussi victimes
demain des conditions inadéquates pour pouvoir suivre un parcours
scolaire. Depuis 30 ans, il y a de moins en moins d’enfants issus de milieu
défavorisés qui ont pu rejoindre la faculté ou les grandes écoles.
Que pouvons-nous réaliser face à cela ? Bernard Devert identifie deux
approches :
• La réconciliation de l’économique et du social ;
• La réconciliation de l’humain et de l’urbain.
La deuxième approche souligne que finalement ce n’est pas seulement la
crise du logement qui est en cause. Celle-ci en cache bien d’autres : une
20. Convergences 2015
crise de l’habitat au sens d’une crise de l’habité qui conduit à une crise
du vivre ensemble. Voulons-nous vivre ensemble ? Quand on voit les prix
de l’immobilier, on s’aperçoit qu’il y a beaucoup d’incendiaires du lien et
de la cohésion sociale. Ceci est une invitation à s’inscrire dans un enjeu
politique, des solutions existent et se dessinent dans les textes mais entre
ce qui est prévu dans les textes et les décrets d’application, il y a un écart.
Bernard Devert lance 3 propositions pour essayer de lutter contre cette
misère :
• Le plan local d’urbanisme dans les villes est un instrument au service
des municipalités. Les droits de construire devraient augmenter de 20
ou 30%. Ceux-ci sont affectés d’une charge foncière limitée voir nulle. La
création des logements éligibles à des financements très sociaux dans
le prêt locatif d’aide à l’insertion conduirait à une régulation du foncier.
• La nouvelle loi solidarité et renouvellement urbain oblige les communes à avoir en 20 ans 20% de logement sociaux.
• Une invitation à l’Etat et aux collectivités locales à voir comment un
certain nombre de leurs bâtiments pourrait être offerts aux grands
bailleurs de fonds à caractères sociaux pour peser sur le foncier et
permettre que la ville ne soit pas interdite aux plus démunis.
On assiste donc à une crise du mal-logement mais qu’en est-il des autres
formes de pauvreté ? Antoine Michon demande à François Dechy si
le retour à l’emploi par la création d’entreprise est une vraie possibilité.
France Active Financement intervient dans deux champs. L’organisme
permet à des demandeurs d’emploi de créer leur propre emploi en créant
leurs entreprises. Il crée les conditions pour que ces projets puissent
accéder aux conditions bancaires. Il s’agit de structurer leurs projets
avec le soutien des politiques publiques de l’emploi et de convaincre
les banques de les financer. La création d’entreprise est un processus
3 fois gagnant : pour l’Etat et les organismes sociaux qui financent un
accompagnement, pour les banques (un projet bien accompagné et bien
financé est un bon client) pour le porteur de projet car cela lui permet de
Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements
créer de la richesse dans un cadre sécurisé avec des financement adaptés.
pas été une solution à la question du chômage.
L’année dernière, le financement de 6000 créateurs d’entreprise et de 800
entreprises solidaires ont permis de consolider et de créer 30000 emplois.
Il reste beaucoup à faire quant à la création d’entreprise comme moyen
de retour à l’emploi. Pouvoir apporter des solutions efficaces est tout
l’enjeu pour que le pauvre ne se transforme pas en entrepreneur pauvre.
Maintenant il faut voir s’il y a suffisamment de sens de responsabilité
pour que les Etats soient à la hauteur des défis modernes qui consistent
à être à la fois des économies ouvertes au monde, à la compétitivité, à la
technologie et des sociétés socialement inclusives. L’ horizon pour 2020
est de se fixer un objectif chiffré. Chaque Etat européen doit se donner
des chiffres dans trois domaines :
Cela demande des moyens et un changement de représentation. Il s’agit
vraiment de faire changer d’échelle le cercle vertueux d’inclusion sociale,
économique et financière.
• Réduire les inégalités (taux de pauvreté monétaire), améliorer la protection sociale et avoir une fiscalité beaucoup plus juste ;
Pour synthétiser tous les points abordés, Antoine Michon pose 3 questions à Jérôme Vignon :
• diminuer ce noyau dur de familles dans lesquelles aucun adulte ne
travaille ;
• Quelles sont les tendances longues sur l’évolution de la pauvreté en
France et en UE ?
• Y a-t-il un succès ou un échec depuis le Congrès de Lisbonne ?
• attaquer la pauvreté profonde (exemples des Roms, des personnes
âgées dans les nouveaux Etats membres et de la population en dessous
du seuil de 40% du revenu médian).
• Quelles sont les stratégies pour les nouveaux objectifs fixés à 2020 ?
Qu’est ce qui relève des politiques nationales et qu’est ce qui va passer
par l’intervention de l’UE ?
Il est nécessaire de mobiliser une rigueur budgétaire, des accords sur
Europlus, une stabilité macro-économique renforcée et des mécanismes
européens qui vont avoir des impacts forts.
Pour Jérôme Vignon, avec ce que l’UE représentait de tradition sociale,
de protection sociale, de modèle d’économie sociale de marché plus
toute cette formation et intelligence disponible à l’approche d’un élargissement de l’UE, il y avait un réel optimisme des chefs d’Etats à Lisbonne
en 2000 au sujet de l’éradication de la pauvreté.
Quelle est l’urgence ? Le moment est venu de ne plus laisser les Etats
membres seuls pour assumer les stratégies de lutte contre la pauvreté
et l’exclusion. L’ Europe va s’engager pour qu’il y ait plus de rigueur budgétaire. Pour cela, elle doit mettre en place des gardes fous, des cadres
pour les services sociaux d’intérêt général, des indications claires et obligatoires pour le revenu monétaire dans chaque pays afin d’empêcher que
cette rigueur ne pèse d’abord sur les plus pauvres. C’est l’Europe seule
qui peut le faire. Cette stratégie de lutte est un test d’humanité pour
tous, pas seulement pour les Etats mais aussi pour l’Union Européenne
et chacun d’entre nous.
Il confirme qu’on assiste à une augmentation de la pauvreté dans les pays
développés de l’Union Européenne et à un changement des visages de la
pauvreté dans le sens générationnel. La moyenne reste stable car le taux
de pauvreté aura augmenté dans des pays comme l’Allemagne mais aura
diminué dans des pays comme la Pologne. On assiste à une stabilisation
de la pauvreté mais on soupçonne que la pauvreté profonde augmente.
Celle-ci est une segmentation importante de la société.
L’augmentation du taux de participation à l’emploi et du taux d’activité
étaient les objectifs majeurs. Il y a eu une augmentation du taux d’emploi
pour les femmes et les seniors. Par contre cela n’a pas atteint le noyau
dur des 10% de personnes vivant dans la pauvreté. L’activation à marche
forcée du travail ne touche pas certains qui en restent très éloignés.
Rapporteur officiel :
Convergences 2015
Par ailleurs, on assiste à une précarisation de l’emploi. Par exemple avec
la réforme « Hartz »1 en Allemagne, il y eut un rebond de la pauvreté avec
une détérioration des conditions et de la qualité du travail. Cela n’a donc
1 Cette réforme renforce la lutte contre le chômage volontaire, supprime les trappes à inactivité qui
poussent les membres de la population active à vivre des allocations chômage plutôt que d’accepter un
emploi dont ils jugent le salaire trop faible. La mise en place de ces réformes ne s’est pas faite sans heurts.
Officiellement, elle vise à adapter le droit (du travail, fiscal) allemand à la nouvelle donne économique
dans le secteur des services.
Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Mini-conférence La pauvreté augmente-t-elle dans les pays développés ?
21.
Poursuivre les Objectifs du Millénaire pour
le Développement au-delà de 2015
Séance Plénière // Coopération internationale
Modérateur
Georges Serre
Directeur adjoint, Direction de la mondialisation,
Ministère des Affaires Etrangères et Européennes
Intervenants
Serge Michailof
Professeur, Institut d’Etudes Politiques de
Paris
Lionel Zinsou
Président, PAI Partners
Cécile Molinier
Directrice du bureau de liaison de Genève,
Programme des Nations Unies pour le
Développement (PNUD)
Résumé analytique
Cette table ronde réunissait des profils d’origine très variée : un
représentant du MAEE, un enseignant de l’IEP, un représentant du
PNUD et le président d’une société de capital-investissement. Les
intervenants ont donné leur vision de ce qu’il faudrait faire pour
améliorer et poursuivre les Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) au delà de 2015.
Parmi les pistes indiquées, on relève notamment :
•La nécessité d’une réelle appropriation et d’un véritable consensus sur les stratégies de développement par la population locale
à tous les échelons ;
•La nécessité de reprendre le chantier des OMD pour prendre en
compte en particulier le caractère indispensable de la croissance
économique, du développement des infrastructures, de l’amélioration du cadre de vie urbain et enfin de la relance de l’agriculture familiale dans la lutte contre la pauvreté.
22. Convergences 2015
Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements
Synthèse
Pour Georges Serre, en 2000, au moment où les OMD sont définis, on
prend conscience que le développement est l’affaire de tous, y compris
des pays en développement.
Depuis 2008, l’histoire s’est accélérée avec les crises alimentaires,
financières puis économiques et de nouveaux acteurs sont apparus,
comme les grandes fondations (telles que la Gates Foundation).
De même, nous sommes passés du G8 au G20, soit une gouvernance beaucoup plus inclusive. L’objectif 8 prend tout son
sens dans ce nouveau contexte. A part l’objectif santé, atteint en
partie grâce à la Gates Foundation, le bilan des OMD est mitigé.
Pour Cécile Molinier, la clé du succès n’est pas technique, elle
nécessite volonté politique et changement de paradigme.
corrélés). Enfin, intégrer la lutte contre la pauvreté avec la lutte contre le
changement climatique et la protection de l’environnement est essentiel.
Lionel Zinsou, ancien consultant du PNUD en politique industrielle
en Afrique, est sensibilisé par le développement industriel de ces
pays et constate que les entreprises ne sont pas prises en compte
dans les OMD. Or beaucoup d’entre elles sont prêtes à participer
à leur réalisation et ont un potentiel énorme. Un bon exemple est
la Gates Foundation dont le budget équivalent à celui de l’Organisation Mondiale de la Santé est concentré sur trois pandémies.
Les diasporas jouent également un rôle important. En Afrique,
les transferts d’épargnes des migrants sont équivalents aux aides
publiques au développement ou bien aux transferts d’investissements.
Le sommet de septembre 2010 était volontairement tourné vers l’action
et rassemblait un grand nombre de chefs d’Etat tenant un discours très
concret sur les succès et les échecs en termes de réalisation des OMD,
l’analyse des facteurs de succès et de blocage, et de leur réplicabilité.
La concentration d’intervenants nouveaux ou déjà existants est un fait
récent dont le potentiel ne peut qu’augmenter avec l’arrivée croissante
des entreprises.
Pour la première fois, l’Assemblée Générale des Nations-Unies a
déclaré que les droits de l’homme sont indispensables à la réalisation des OMD, mais également que les femmes sont des acteurs
du développement. Enfin, ce sommet a débouché aussi sur un
plan d’action à 5 ans afin d’accélérer la réalisation des OMD.
• On doit cesser d’être complaisant envers la prévalence du secteur informel dans de nombreux pays en développement.
Dans certains domaines, on constate des succès notoires :
par exemple des progrès importants ont été accomplis dans
la lutte contre la faim, l’éducation et la santé en Ethiopie, au
Malawi et au Ghana, alors qu’en Egypte la mortalité maternelle
est passée de 174/100.000 à 5/100.000 naissances en 25 ans.
Cela dit, il reste beaucoup d’échecs inacceptables : 26 000 enfants
meurent encore chaque jour dans le monde.
Les principaux facteurs de blocage sont les crises financières, l’évolution climatique, la volatilité des prix, la spéculation sur les denrées alimentaires, l’urbanisation sauvage, les conflits et la violence.
Les facteurs d’accélération identifiés sont l’appropriation nationale et un
véritable consensus des populations sur la stratégie de développement.
La volonté politique est nécessaire à tous les niveaux. Il faut promouvoir
une croissance inclusive, durable et équitable en termes aussi de développement humain (espérance de vie et taux de scolarisation inclus).
Voici quelques pistes contribuant au progrès :
• L’importance du secteur informel (80% au Bénin en termes de valeur
ajoutée) ne doit pas être considérée comme une donnée immuable.
C’est le capitalisme sauvage. A l’heure actuelle, c’est très pénalisant
d’être dans le secteur formel en termes de coûts, impôts, rackets…
En conséquence il faut des incitations positives à passer dans
le secteur formel comme au Rwanda, ce qui impactera de
façon positive la santé, l’emploi, la formation et la fiscalité.
Par ailleurs, on parle toujours d’investir, mais de quelle manière ?
Implémenter les OMD impliquerait une dépendance croissante de l’étranger ; paradoxe intolérable. Il faut générer
des ressources nationales par la fiscalité, appréhender de la
matière fiscale ce qui implique de passer au secteur formel.
Les OMD ne portent que sur des sujets très intensifs en capital :
l’agriculture, nécessaire à la lutte contre la faim, est l’activité qui
consomme le plus de capital. Pour faire 100 de chiffre d’affaires en lait,
un capital de 150 est nécessaire alors que pour transformer ce même
lait et obtenir un chiffre d’affaires de 100, il ne faut que 50 de capital.
Plus on va vers l’amont plus l’investissement en capital est élevé.
Il faut beaucoup investir dans l’éducation des femmes puisqu’elles
exercent un fort effet de levier en termes de répercussions sur
l’éducation et la santé. Il faut également investir dans la santé,
l’eau potable, l’éducation, les socles de protection sociale – y
compris le secteur informel – l’accès à l’énergie dans les zones
rurales et la mobilisation accrue des ressources domestiques.
Seule l’énergie rivalise avec l’agriculture en termes d’intensité capitalistique.
Au-delà de 2015, il sera nécessaire de prendre en compte la nouvelle
typologie des pays, car la distinction pays développés/ non développés
ne tiendra plus et il faudra insister sur l’équité et la réduction des inégalités (à noter que le manque d’équité et le manque de durabilité sont
Il faut enfin associer les entreprises au développement, en
les encourageant à y contribuer de façon désintéressée.
Il y a donc un réel problème de capital. Heureusement, la bancarisation – y compris le développement de la microfinance et de l’épargne –
vont à toute allure dans ces pays. Il faut encourager cette révolution
financière, tout en continuant à chercher des financements innovants.
Serge Michailof pense que l’architecture des OMD présente de
sérieuses faiblesses liées au contexte historique de son lancement : au
Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Séance Plénière Poursuivre les Objectifs du Millénaire pour le Développement au-delà de 2015
23.
départ, l’aide au développement était essentiellement un instrument de
lutte contre le communisme dans le contexte de la guerre froide et de
facilitateur du processus de décolonisation. Puis, face à la crise de la dette
des années 80, l’ aide s’est fourvoyée dans des programmes d’ajustements
structurels impliquant des réductions massives des dépenses publiques
entraînant le démantèlement des secteurs sociaux dans les pays pauvres.
La prise de conscience du caractère inacceptable de ce sacrifice s’est faite
dans l’ opinion publique dans les années 90. Cela s’est concrétisé dans
les OMD en 2000, qui se sont donc focalisés sur les secteurs sociaux, au
point d’oublier les autres domaines.
Les objectifs de lutte contre l’extrême pauvreté seront globalement
atteints et dépassés, mais seulement grâce à la croissance économique
de la Chine et de l’Inde.
Le montant global de l’aide a certes augmenté mais l’aide réelle
aux pays les plus pauvres a stagné en termes réels depuis 20 ans
et sa concentration actuelle sur les secteurs sociaux fait que le
soutien à la croissance économique des pays les plus démunis
a été largement délaissé, ce qui est extrêmement critiquable.
Cette approche privilégiant les secteurs sociaux reposait sur le postulat
selon lequel le progrès social génère de la croissance économique. Postulat qui n’est nullement vérifié. En réalité, la croissance économique
est indispensable pour soutenir la croissance de dépenses sociales qui
constituent pour l’essentiel des charges récurrentes, si les pays concernés
ne veulent pas devenir de plus en plus dépendants de l’aide internationale. On peut d’ailleurs s’interroger, dans la conjoncture budgétaire
internationale, sur le réalisme des engagements à long terme qui ont été
pris pour financer des charges récurrentes à caractère social en augmentation. En effet la fiscalité internationale demeure encore balbutiante et
ne permet pas d’assurer le financement de ces charges. Finalement, on se
rend compte que le principe de base de financer les OMD avec des mécanismes divers n’est pas respecté puisque l’aide traditionnelle au développement a soutenue une grande partie du financement de ces objectifs.
découvre aujourd’hui les conséquences dramatiques en Afghanistan), ont
été complètement négligés. L’aide au développement agricole a été escamotée depuis les années 70 : elle ne mobilise qu’environ 3 à 4 % de l’aide
internationale, alors que 75% des plus pauvres vivent de l’agriculture.
Enfin, les OMD souffrent aussi de faiblesses de conception : étant
universels, ils sont pour beaucoup de pays largement irréalistes
car ils sous estiment les délais incontournables pour atteindre
certains objectifs. Les pays qui ne peuvent atteindre certains de
ces objectifs, tels la scolarité universelle, ne doivent pas être forcement stigmatisés. Enfin l’objectif de doubler l’aide aux pays les
plus pauvres n’est pas forcément souhaitable. Dans certains pays,
l’aide atteint déjà 10% du PIB. A l’augmenter, on risque de provoquer le fameux syndrôme hollandais qui fragilise l’économie réelle.
Au niveau de la mise en œuvre des programmes, notons
enfin que les approches top down qui se sont généralisées
sont bien fragiles, escamotent le problème de la création
des institutions nationales et ne tiennent pas dans la durée.
Il est donc temps de remettre sur le chantier la conception des
OMD. Il importe à cet égard de réhabiliter la croissance économique.
Dans les pays où cette croissance reste illusoire, il est enfin fondamental de sécuriser les transferts impliqués pour la couverture
des besoins sociaux les plus criants par une fiscalité internationale.
L’architecture des OMD est encore basée sur l’idée séduisante qu’il
est possible d’éliminer la pauvreté sans s’occuper des problèmes politiques et institutionnels. Or l’histoire économique montre bien que
la réduction de la pauvreté ne relève pas seulement de processus de
redistribution ; mais implique aussi la croissance économique, même
si sa nature doit bien sur changer face aux contraintes environnementales. Or la croissance implique des choix politiques qui ont été
ignorés dans cette approche très technique et finalement naïve.
De plus, nous nous rendons compte que des problèmes fondamentaux, tels que l’accès à l’eau et le développement des institutions (on en
24. Convergences 2015
Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements
Rapporteur officiel :
Priscilla de Moustier, OXUS
Responsable pour le futur : repenser le capitalisme
Grand débat Le Monde // Général
Modérateur
Erik Izraelewicz
Directeur et membre du directoire,
Le Monde
Intervenants
Antoine Frérot
Président Directeur Général, Veolia Environnement
Michel Pébereau
Ancien Président, BNP Paribas
Augustin de Romanet
Directeur Général, Caisse des Dépôts et Consignations
Francisco Chico Whitaker Ferreira
Co-fondateur, Forum Social Mondial
Résumé analytique
Pour trois des quatre orateurs (Antoine Frérot, Michel Pébereau
et Augustin de Romanet), le système capitaliste n’est pas une
idéologie, il n’obéit pas à un dogme. Le système capitaliste a donc
développé sa logique propre par accumulation des logiques
des entreprises, de leurs clients et de ceux qui les financent,
chacun essayant d’influencer les autres à son bénéfice. Les trois
convergent quand ils affirment que, dans un régime de liberté,
chaque type d’acteur (entreprise, collectivité, financier) a, à long
terme, intérêt à promouvoir un capitalisme dont l’impact sur
l’environnement est soutenable, et qui contribue à l’amélioration
de la société. Et tous d’insister que chaque type d’acteur a la
capacité d’y contribuer. Ils convergent également pour dire
que l’optique à long terme, qui vise à maximiser les bénéfices à
l’ensemble de la société, est la plus souhaitable, mais pas toujours
la plus visible. Ils convergent enfin pour reconnaître que le
cycle crise/expansion est une caractéristique de ce système qui
renaît perpétuellement de ses cendres et est donc continûment
repensé. La dernière crise est une crise de régulation. Elle a
actuellement pour résultat un déséquilibre prononcé des finances
publiques des Etats des pays développés, dont on peut s’interroger
sur l’impact pour une évolution vers un développement durable.
Francisco Whitaker pense autrement dans plusieurs de ces
aspects. Il considère aussi que le système capitaliste est capable
de renaître toujours de ses cendres et qu’il doit donc être
continuellement repensé, mais que cette renaissance se fait tout
en assurant la continuité de sa logique, qui n’est pas tournée vers
l’amélioration de la société. Dans cette logique, cette renaissance
n’est qu’un prétexte pour le développement des affaires, le but
étant de gagner et d’accumuler de l’argent, dans le plus court
terme possible. Selon Francisco Whitaker, la dernière crise est
Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Grand débat Le Monde
le résultat d’un manque de contrôle social sur l’avidité de ceux
qui dirigent les entreprises et manipulent des finances, et que le
moment arrive de ne plus chercher à « repenser » le capitalisme
mais de construire un « post-capitalisme basé sur une autre logique
». L’axe, la responsabilité et l’intensité de la « revue » varient donc
selon les interlocuteurs. Mieux intégrer le long terme, partager
la création de richesse entre les différentes parties prenantes,
intégrer le concept de frugalité dans sa régulation font partie des
axes retenus par certains. Il s’agit de modifier le comportement de
deux acteurs en particulier, le consommateur et l’entrepreneur.
L’initiative revient à l’entrepreneur pour Michel Pébereau, au
régulateur pour Augustin de Romanet, aux sociétés, à l’Etat et
aux politiques publiques pour Francisco Whitaker. L’intensité et
l’urgence de l’évolution est plus variée encore :
• Francisco Whitaker n’accepte pas l’idée de réduire tous les citoyens
– avec leurs droits – à des consommateurs ayant accès aux biens et
services dont ils ont besoin uniquement s’ils ont de l’argent pour les
acheter. Il critique alors la façon dont le système capitaliste pousse
les sociétés au consumérisme exacerbé, pour que la machine de
production – et le gaspillage de ressources - puisse tourner à une
vitesse croissante, ce qui met en danger un développement durable.
• Antoine Frérot se prononce pour l’avènement d’un
capitalisme de long terme et un nouveau contrat entre
les parties prenantes du cycle de création de richesse.
• Michel Pébereau et Augustin de Romanet se positionnent
quant à eux pour une régulation qui harmonise les intérêts à court
et long terme des entrepreneurs.
Responsable pour le futur : repenser le capitalisme
25.
Synthèse
Pour les trois premiers intervenants (Antoine Frérot, Michel Pébereau et
Augustin de Romanet), le capitalisme est le résultat de la combinaison
de la liberté d’entreprendre et de l’accumulation privée des moyens de
production. Tel un moteur, il est le produit de la volonté des conducteurs
du véhicule qu’il propulse : il n’a ni intention ni volonté, il n’est même
pas une condition suffisante du développement humain. Il n’est
donc pas une idéologie mais le résultat des activités économiques
humaines, encadrées par les lois de la société. La création de richesse
y est assumée par l’entreprise, modèle d’organisation humaine qui a
développé des processus efficaces et créatifs pour tirer le meilleur parti
possible des moyens de production à sa disposition. En ce sens, les trois
intervenants convergent sur un même constat : le système capitaliste ne
peut s’infléchir que par l’intervention du régulateur ou la modification
des comportements des entrepreneurs et des consommateurs.
Les intervenants de la table-ronde qui sont des responsables d’entreprises
rappellent que leurs entreprises sont depuis longtemps engagées dans
ces démarches.
La crise financière récente est une crise de la régulation financière.
Elle a amené un grand nombre d’institutions, en particulier aux EtatsUnis, à une distribution excessive de crédits, par aveuglement ou
cupidité. Cette crise a démontré les limites du secteur à s’autoréguler
face à la pression de la concurrence, même si de nombreux pays
y font exception. Elle ne trouvera sa résolution qu’une fois le
redressement des finances publiques des pays de l’OCDE accompli, qui
continuera à faire porter un coût élevé aux populations de ces Etats.
Veolia Environnement l’est également par métier, étant
impliquée dans la construction et l’exploitation d’infrastructures
environnementales et sociales (eau, propreté, services énergétiques,
transport) de long terme, mais aussi par son implication dans les
territoires très proche des collectivités et donc étroitement associée
à leur épanouissement. C’est dans son cœur de métier qu’elle a
trouvé des solutions pour favoriser l’accès à l’eau des plus pauvres,
combinant nouvelles techniques et modèles de solidarité tarifaire.
Au-delà de cette crise, notre monde économique est engagé dans
un élan apparemment insoutenable de consommation de ressources
naturelles et de pollution. L’explication en est la quête de la rentabilité,
qui pousse les entreprises à faire la promotion de la consommation
de leurs produits. Mais la rentabilité est le seul critère efficace
d’appréciation de l’utilité de l’action d’une entreprise. Mieux, elle
garantit sa survie et contribue à l’amélioration des conditions de vie de
l’ensemble, comme l’ont démontré les Trente Glorieuses et comme le
démontre l’accès de la population chinoise à la prospérité ces dernières
années; même si le cas chinois d’un capitalisme d’Etat présente des
caractéristiques de régulation exceptionnelles dans l’économie mondiale.
BNP Paribas l’est par stratégie. Dès son origine, elle a promu auprès
de ses actionnaires des projets de moyen et long terme dont elle a
voulu faire, au-delà des résultats, les critères déterminants de leur
décision d’investir. De la même manière, entreprise de services, elle
a fait de la gestion sociale de l’organisation un thème d’excellence.
Enfin, dès sa privatisation, elle s’est impliquée dans le soutien à
l’économie sociale et solidaire, c’est-à-dire dès 1993 avec l’ADIE et l’AFEV.
La question est donc d’encourager les entreprises à développer des activités
soutenables, à la fois socialement et pour l’environnement. C’est leur intérêt
vis-à-vis de toutes les parties prenantes de la chaîne de création de richesse :
La dictature du court terme souvent invoquée pour justifier les
comportements limites est donc largement le produit de la volonté
de quelques dirigeants d’entreprises. Pourtant, la vitesse à laquelle les
comportements de long terme sont intégrés n’est pas satisfaisante.
• de leurs employés, qui déserteront autant que possible une structure
au comportement non éthique ou irresponsable ;
• de leurs actionnaires, qui ne s’engageront pas dans le soutien à une
organisation dont les perspectives de long terme sont incertaines ;
• de leurs clients, qui intègrent de plus en plus les démarches de
soutenabilité dans leur comportement d’achat ;
• de leurs financiers, qui organisent des accords internationaux pour
garantir l’acceptabilité environnementale et sociétale des projets qu’ils
soutiennent ;
• des territoires, qui n’hésitent plus à poursuivre les entreprises aux
comportements non éthiques, ni à refuser l’implantation de projets
qui ne leur conviennent pas.
26. Convergences 2015
La Caisse des Dépôts a depuis longtemps fait le choix :
• d’une finance au bénéfice de tous via le microcrédit, le prêt d’honneur,
le financement en fonds propres des petites entreprises;
• d’une finance durable au service du très long terme par le financement
des biens publics (sur des durées de 40 ans), par l’intervention en fonds
propres pour des périodes longues auprès des entreprises;
• de l’implication dans l’investissement socialement responsable comme
l’attention portée à l’encouragement des entreprises citoyennes (par
exemple en se montrant attentif à la participation des salariés).
En ce sens, elles sont plutôt en avance sur le monde des entreprises,
mais elles sont aussi révélatrices que les logiques holistiques peuvent
être couronnées de succès.
Seul le changement de comportement du consommateur et du
citoyen peut accélérer l’adoption de cette perspective de soutenabilité
environnementale et sociétale. Ce changement est très long, notamment
dans les pays en développement dont les besoins essentiels ne sont pas
satisfaits.
Pour l’infléchir, deux axes de réflexion sont suggérés :
• l’intégration du temps long;
• la redistribution.
L’intégration du temps long vise à stabiliser les conditions d’engagement,
notamment financières dans les démarches d’investissement pour
Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements
mettre en place une solidarité entre l’investisseur ou le prêteur et le
réalisateur dans l’aboutissement des projets. Il vise aussi à intégrer
les externalités sociales et les conséquences sur l’environnement
des comportements marchands dans la réflexion économique.
Cette approche est en cours de déploiement, elle doit s’accélérer.
La redistribution est le fait de veiller à ce que le résultat de l’accumulation
de richesses né des projets couronnés de succès bénéficie de manière
plus homogène à l’ensemble de la population. Elle peut être le résultat
de transferts, mais aussi celui de la participation des entreprises au
bien-être (emploi, infrastructure, etc.) de la totalité des populations
des territoires dans lesquelles elles s’implantent. C’est dans ce
domaine que les opportunités de collaboration avec les nouveaux
acteurs économiques à objectif social, comme la microfinance,
l’entrepreneuriat social, le commerce équitable, sont les plus apparentes.
C’est à ces deux conditions qu’une société plus frugale et plus humaine
peut être construite.
La croissance continue à être indispensable, les besoins humains étant loin
d’être satisfaits, mais cette croissance doit s’asservir au développement.
La régulation est la mieux à même d’accélérer cette évolution. Cette
régulation peut avoir deux sources : l’une coopérative et volontaire
des acteurs, l’autre plus politique des collectivités. La plus grande
Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Grand débat Le Monde
menace à cette évolution favorable provient des Etats, qui vont se
trouver contraints de redresser leurs finances gravement obérées par
la combinaison d’années de développement à crédit et d’interventions
forcées dans le système financier pour en éviter la déroute.
Francisco Whitaker est d’accord avec quelques unes de ces affirmations
et initiatives, mais considère que tout en pouvant diminuer les effets
pervers de la logique du capitalisme, ses résultats pour un développement
durable effectif de long terme sont limités par l’acceptation non critique
de ce système. Il milite pour une prise de conscience croissante de ces
effets pervers, pour que toujours plus de forces sociales décident de ne
plus « repenser » le capitalisme mais de construire un « post-capitalisme »
basé sur la coopération et non sur la compétition, sur l’obligation éthique
de satisfaire prioritairement les besoins élémentaires des deux tiers de
l’humanité vivant encore dans des conditions indignes pour des êtres
humains, sur la possibilité d’orienter la vie de chacun, non pour « avoir »
toujours plus mais pour « être » toujours plus, et sur le respect de la nature.
Rapporteur officiel :
François Lepicard, Hystra Consulting
Responsable pour le futur : repenser le capitalisme
27.
L’économie sociale est-elle au cœur
ou à la marge de l’économie de marché ?
Grand Débat Le Monde // Economie sociale et solidaire et Social Business
Modérateur
Antoine Reverchon
Responsable, Le Monde Economie
Intervenants
Gérard Andreck
Président, Groupe MACIF
Cécile Renouard
Chercheur, ESSEC IRENE
Susan George
Présidente d’Honneur, ATTAC-France
Seybah Dagoma
Conseiller de Paris et du 1er arrondissement,
Adjointe, Mairie de Paris
Martin Hirsch
Président, Agence du Service Civique
Résumé analytique
Plusieurs grandes tendances coexistent à l’heure actuelle :
Les grandes entreprises privées sont amenées à entreprendre
des actions dans les domaines sociaux et environnementaux. Par
ailleurs, après la crise, les gouvernements ont diminué leurs budgets
sociaux et seraient prêts à se défausser de leurs responsabilités dans
le secteur de l’économie sociale et solidaire.
Dans ce contexte, les politiques sociales et environnementales
se doivent de conduire à de réels progrès, et ce, notamment, en
évaluant ces politiques au moyen d’indicateurs spécifiques. Les
projets conjoints entre entreprises « classiques » et entreprises
28. Convergences 2015
sociales sont aussi un bon moyen de faire évoluer les mentalités
et les pratiques.
S’il n’est pas souhaitable que les Etats se désengagent des secteurs
sociaux, ils peuvent néanmoins améliorer l’efficacité de leurs
actions en faisant intervenir des entreprises du secteur social et
solidaire et en incitant des entreprises « classiques » à créer des
projets spécifiques à vocation sociale. En règle générale, pour faire
évoluer l’attitude des pouvoirs publics ainsi que les mentalités, il est
nécessaire que tous les acteurs de l’économie sociale et solidaire
agissent de concert.
Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements
Synthèse
Seybah Dagoma, Conseiller de Paris et du 1er arrondissement, Adjointe
au Maire de Paris a ouvert la session en expliquant que la crise du
capitalisme financier a mis en avant l‘économie sociale et solidaire.
La Mairie de Paris a une politique volontariste dans ce secteur, qui,
en 2010, a procuré 3000 emplois à des bénéficiaires du RSA (Revenu
de Solidarité Active).
La crise actuelle nécessite un changement d’échelle et une prise
de risque en faisant le pari des convergences entre les structures
de l’économie sociale et solidaire qui devraient se fédérer, s’allier,
notamment pour répondre aux marchés publics, avec les entreprises
classiques, dans les secteurs qui sont les leurs, sous l’impulsion des
collectivités locales, qui peuvent initier, contrôler, coordonner et
accompagner ces projets, ce grâce aux marchés publics, qu’il faudrait
réformer en introduisant la prise en compte des effets sociaux et
environnementaux et enfin entre l’ Etat et les collectivités locales.
L’économie sociale et solidaire peut-elle conduire à un changement
de l’ensemble du système? Est-elle dans le marché ?
Gérard Andreck explique que l’économie sociale et solidaire
pèse 10% des emplois, qu’elle a continué à créer des emplois
pendant la crise mais qu’elle reste un secteur très hétérogène.
Le Centre des Entreprises et Groupes de l’Economie Sociale (CEGES)
dont Gérard Andreck est président regroupe tous les acteurs, des plus
petits aux grosses banques et mutuelles, unis les uns aux autres (les
plus gros soutiennent les petits) par leurs idées communes et solidaires.
Le sec teur des assurances montre que l’économie
sociale et solidaire est bien dans le marché : en effet un
français sur deux assure son véhicule chez une mutuelle.
A la différence du secteur classique, les mutuelles ont la responsabilité
de satisfaire leurs adhérents et de mettre à la disposition du
grand public des produits qui seraient sinon trop coûteux.
En revanche, le secteur de l’économie sociale et solidaire destiné
à la « réparation » (médico-sociale), n’est pas sur le marché
et vit une période difficile car les aides de l’Etat diminuent.
Par ailleurs, l’économie sociale et solidaire se prête beaucoup
mieux à des activités de services qu’à des activités de production.
La politique sociale et environnementales des grandes entreprises
relève-t-elle de l’alibi, de la réparation ou est-elle un réel
changement ?
Pour Cécile Renouard, les entreprises font partie du problème et
doivent faire partie de la solution. Notre modèle de croissance
est insoutenable. Il faut le faire évoluer. Les entreprises peuvent-elles
participer à cette évolution?
En effet, il y a une contradiction entre les engagements sociaux
et environnementaux qu’elles devraient prendre en compte
et les exigences financières à court terme des actionnaires.
Les entreprises occidentales développent maintenant des
stratégies Bottom of the Pyramid (BOP) : les pauvres représentent
en effet de grands marchés qu’elles souhaitent conquérir en
leur offrant des produits et des services ayant une utilité sociale.
Il est parfois difficile de distinguer les mobiles des grandes entreprises
et il faut se méfier des stratégies supposées être « gagnant-gagnant »,
pour l’entreprise et pour les populations locales. Un discernement au
cas par cas s’impose : par exemple, Unilever vend en Inde des soupes
vitaminées à bas prix, améliorant ainsi réellement l’alimentation, ce
qui est positif. Mais quand Unilever vend de la lessive en dosettes
au Nigeria aux plus pauvres, on peut se demander si l’objectif n’est
pas alors de pénétrer un nouveau marché en faisant consommer
des produits de marques aux consommateurs et en excluant ainsi
les producteurs locaux, sans améliorer la vie de la population.
Les initiatives menées en partenariat avec des entrepreneurs
sociaux sont intéressantes car elles obligent les grandes entreprises
à penser autrement et motivent les salariés de ces entreprises. Les
réglementations sont insuffisantes notamment en ce qui concerne les
prix de transfert : il s’agit des prix des biens et services échangés intrafirmes (entre filiales et entre filiales et maison-mère). En manipulant ces
prix et en transférant le profit vers des zones fiscalement avantageuses,
les entreprises se livrent à des pratiques d’optimisation fiscale le plus
souvent légales mais dommageables vis-à-vis du développement,
puisqu’elles constituent un manque à gagner pour les Etats. Pour
penser autrement, pour regarder la performance économique
et sociale avec une autre grille de lecture, il faudrait appliquer
les indicateurs de l’économie sociale aux grandes entreprises.
Le rôle de l’Etat et son évolution sont importants dans la lutte
contre la pauvreté. Selon Martin Hirsch, les pouvoirs publics
peuvent inciter les entreprises privées à monter des projets dans
le domaine de l’économie sociale et solidaire. Quand il était au
gouvernement, Martin Hirsch a créé avec Danone un projet
pilote pour rendre accessible du lait infantile 40% moins cher,
l’entreprise acceptant de ne pas dégager de marges sur ce projet.
Il y a des projets semblables dans l’optique et la téléphonie mobile.
Ces projets se font sous la forme de joint-venture sans retour sur
investissement. Il sera ensuite possible de régler le curseur pour
pouvoir rémunérer un peu les capitaux et ainsi attirer des investisseurs.
Les politiques publiques de désengagement de la protection sociale
ont tenté de reporter leurs responsabilités sur l’économie sociale.
On constate que dans de nombreux pays la création de richesse
s’accompagne de création de pauvreté. Dans ce contexte, l’ONU
souhaite que tous les pays se dotent d’un socle de protection
sociale qui atténue les chocs et a proposé cette politique au G20.
L’économie sociale n’est pas vouée à remplacer la protection
sociale, mais on peut imaginer des organismes hybrides, privés/
publics, comme les cliniques ophtalmologiques de Mohammed
Yunus au Bengladesh où chacun paie selon ses moyens.
Les entreprises ne doivent pas faire du social comme alibi et les
gouvernements ne doivent pas se désengager de la protection
sociale. Mais il y a des synergies à exploiter entre ces différents
acteurs, qui pourront faire sortir l’économie sociale de sa marginalité.
Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Grand débat Le Monde L’économie sociale est-elle au cœur ou à la marge de l’économie de marché ?
29.
Susan George affirme que les Etats sont inféodés au néolibéralisme.
L’ économie sociale reste marginale tant en Europe que dans le monde.
Les politiques de la Banque Mondiale et du FMI ont poussé à la
privatisation de tous les services publics qui font en réalité partie de
l’économie sociale. Combiné aux coûts imposés pour la santé et
l’éducation et à la politique du tout à l’exportation, cela induit des
catastrophes, comme au Niger en 2005 où une privatisation très
extensive a créé un système sans stocks, sans moyens de transport
des récoltes ni soins vétérinaires. Ceci a généré une famine. Dans
l’OCDE, les budgets sociaux sont coupés sans que ne soient examinées
les recettes : en 1985, les profits des entreprises représentaient 25%
du PNB, aujourd’hui 35%.
De même, les impôts des entreprises représentaient 4,2 % du PNB en
1985, chiffre qui est maintenant de 2,4%. Une enquête de Public Services
International évalue à 1900 milliards les privatisations effectuées
pendant la même époque. Le cadre dans lequel l’économie sociale
opère n’est pas propice. Il est essentiel que tous les acteurs et toutes les
forces en présence s’allient pour faire évoluer les mentalités et le système.
Pour Susan George, il est surprenant que la crise n’ait rien fait bouger
au niveau du G20, ni de l’Europe.
Pour Martin Hirsch, il y a des besoins de protection sociale
dans les pays arabes où ont eu lieu des révolutions. Les fonds
accumulés par Moubarak ou Ben Ali suffiraient amplement. Ils sont
supérieurs aux fonds des réserves élaborés en 15 ans en France.
Pour Cécile Renouard, la régulation des marchés financiers est
très insuffisante, la crise n’a pas entraîné de réel changement.
Il y a un grand besoin de formation à ces questions dans
l’enseignement supérieur. Il faudrait enseigner la responsabilité
sociale, l’éthique et la philosophie, réintroduire les stages ouvriers,
faire réfléchir à la question du sens de l’activité économique.
Selon Gérard Andreck, pour faire avancer les choses, il faut
pouvoir mesurer l’impact des initiatives et donc concevoir
des indicateurs. Pour le moment, on reste dans le déclaratif.
Mais quelle est donc la capacité de l’ensemble de toutes ces
initiatives de faire changer les choses ?
30. Convergences 2015
Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements
Rapporteur officiel :
Priscilla De Moustier, OXUS
SOLIDAIRES ET RESPONSABLES :
INVESTIR ET AGIR POUR LES OBJECTIFS DU MILLENAIRE
Synthèse des discussions du 4ème Forum annuel Convergences 2015
Hôtel de Ville de Paris
3, 4 et 5 mai 2011
Deuxième partie
Améliorer les pratiques
+ d’efficacité +d’impact + d’investissement
Commerce et pauvreté : quelle connexion ?
Table-ronde // Coopération internationale
Modérateur
Adrien de Tricornot
Journaliste, Le Monde Economie
Intervenants
Romain Benicchio
Responsable de plaidoyer, OxfamS France
Kif Nguyen
Responsable des opérations, Café Africa
Eugénie Malandain
Chargée de l’ évaluation d’impact,
Plateforme du Commerce Equitable
Ghislaine Psimhis
Secrétaire Générale adjointe, GICA RCA
Résumé analytique
La mondialisation et la libéralisation des échanges sont des opportunités pour un développement durable dans les pays pauvres à
condition qu’ils permettent de créer des emplois durables. C’est
un objectif qui doit être partagé par tous les acteurs (ONG, entreprises privées, et pouvoirs publics) afin que celui-ci soit atteint.
Mais si le commerce est un moyen de lutte contre la pauvreté, c’est
la durabilité de l’engagement entre les partenaires commerciaux
32. Convergences 2015
qui est le levier d’une transition pérenne. Un engagement qui va
au-delà de l’urgence permet en effet aux producteurs d’étendre
leur projet sur du long terme et d’être donc moins dépendants
des fluctuations économiques des prix. Est-il raisonnable de dire
aujourd’hui que le commerce est une solution efficace de lutte
contre la pauvreté, du moins tel qu’on le pratique aujourd’hui ?
Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements
Synthèse
Ghislaine Psimhis, GICA RCA, vient d’une des deux organisations
patronales de République Centrafricaine qui contribue pour 45%
aux recettes fiscales mais ne représente que 20 entreprises (les
plus grandes), ce qui montre bien la vulnérabilité du pays suite
aux conflits armés. Ghislaine Psimhis croit que la mondialisation
et la libéralisation des échanges sont des opportunités pour les
pays en développement mais un développement n’est durable
que si l’on crée des emplois durables qui relèvent l’homme dans sa
dignité. Cet objectif doit être commun à tous afin d’être atteint. Il
doit concerner les ONG qui sont arrivées pour faire face à des situations d’urgence puis ont proposé des programmes de développement autant que le pouvoir public et que les entreprises privées.
Eugénie Malandain représente la Plateforme du Commerce Equitable qui lutte pour que le commerce international réponde à un certain
nombre de critères sociaux et économiques et donc pour que les instances de régulation et de gouvernance internationale soient renforcées.
Oxfam est une confédération d’ONG actives dans l’urgence et dans le
développement. Pour Romain Benicchio, le commerce est un moyen
pour lutter contre la pauvreté mais il n’est pas une réponse en soi. Le
commerce a un rôle à jouer dans des questions plus larges : il s’agit
d’encourager les productions locales et les investissements étrangers
mais également de protéger les populations contre les chocs externes.
Kif Nguyen représente Café Africa, une association dont l’objectif est
de réduire la pauvreté en Afrique à travers la relance des filières café
dans chaque pays. En effet, alors que les exportations africaines de café
constituaient près de 30% du marché mondial il y a 30 ans de cela, elles
ne représentent aujourd’hui plus que 12%. Cette chute est d’autant
plus paradoxale que le marché du café est dynamique (croissance
de la demande mondiale d’environ 2% par an) grâce à une demande
très forte dans les pays émergents. Or, le café a toujours représenté
un produit clé dans les zones rurales africaines car il rapporte directement de l’argent qui permet de payer les frais d’éducation ou de santé
quand les cultures traditionnelles vivrières permettent simplement la
survie. L’ effondrement de la production a eu un impact désastreux car
rien n’est venu remplacer cette activité et le revenu qui en était issu.
Café Africa entend donc utiliser le commerce comme un levier afin de
soutenir le développement durable des zones rurales africaines audelà des aides d’urgence ou de l’assistanat à court terme. La réponse
qu’apporte Café Africa est de rassembler tous les acteurs de la filière
(planteurs, acheteurs locaux, transformateurs, exportateurs, maisons
de négoce, torréfacteurs mais également institutions de recherche et
organes de l’Etat) pour encourager la concertation tout au long de la
chaîne de valeur. Un diagnostic commun permet le développement
de plans d’actions nationaux et de stratégies sectorielles. Par ailleurs,
l’engagement de l’Etat et de la filière permet de les mettre en œuvre.
Au-delà des plans, la démarche permet à l’Etat et au secteur privé
de développer des relations positives qui dépassent l’antagonisme
généralement observé. Ce changement de mentalité a une valeur
considérable et un impact souvent sous-estimé. L’amélioration de la
gouvernance d’une filière permet aussi aux acteurs du secteur privé
d’être consultés sur les règles et normes à mettre en place, ce qui évite
les problèmes souvent observés dans les pays du Sud de règlements
inadaptés bloquant des pans entiers d’une industrie. Enfin, l’amélioration du climat des affaires qui en résulte permet à l’industrie elle-même,
ce qui inclut les petits planteurs, de pouvoir faire entendre sa voix et
de lutter ainsi efficacement contre la corruption et la parafiscalité qui
est souvent la première cause du sous-développement économique
dans ces pays. Un élément innovant dans cette approche est de lier des
comités locaux de filière à un comité national, ce qui permet à chacun
à travers le pays de se faire entendre et de pouvoir suivre la mise en
œuvre des plans de relance de la filière. Ils accompagnent bien sûr la
mise en œuvre car ils ne souhaitent pas rester au niveau du discours,
ce qui implique la levée de fonds avec le gouvernement concerné
auprès de grands bailleurs, et l’appui technique à la mise en œuvre
de projets de large envergure. Ils disposent ainsi d’une large palette
de compétences : du soutien à la mise en œuvre de programmes
agronomiques, au renforcement de la qualité du café produit, sans
oublier la commercialisation car ils cherchent à aider les filières nationales à obtenir le meilleur prix possible sur le café exporté afin que
toute la chaine de production bénéficie de revenus supplémentaires.
Adrien de Tricornot demande quelle est la différence entre
une activité comme celle de Café Africa et le commerce équitable ? S’agit-il d’une opposition ? D’une complémentarité ?
Pour Eugénie Malandain, le commerce équitable repose sur des
logiques volontaires des entreprises ou des ONG qui veulent s’engager
dans des partenariats économiques et commerciaux pour mettre en
place des filières qui répondent aux impératifs sociaux et environnementaux. L’objectif est de tomber d’accord sur un prix juste qui
couvre les coûts de production mais intègre aussi les coûts sociaux et
environnementaux. D’autres critères sont également pris en compte :
la durabilité de l’engagement entre les partenaires commerciaux est le
point le plus important car cela permet aux producteurs d’étendre le
projet sur le long terme et d’être donc moins dépendants des fluctuations économiques. Par ailleurs, un préfinancement peut être proposé
par les acheteurs pour plus de sécurisation sur les approvisionnements.
Les acheteurs comme les producteurs s’engagent à respecter les 11
conventions fondamentales de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) (interdiction du travail des enfants, liberté syndicale…). Les
critères environnementaux ne sont pas le pilier le plus développé
historiquement mais restent en croissance depuis 5 ans. Aujourd’hui,
le commerce équitable fait face à la question du transport : il s’agit
principalement de limiter les impacts environnementaux de l’exporta-
Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Table-ronde Commerce et pauvreté : quelle connexion ?
33.
tion. Lorsqu’on fait un bilan carbone de ces activités, on se rend compte
que l’émission des gaz polluants se fait davantage dans les transports
au Nord entre les ports et les réseaux de distribution. Des chaines de
magasins comme Biocoop s’engagent aujourd’hui à n’acheter des
produits équitables que pour des produits qui ne sont pas locaux.
Pour Kif Nguyen, le commerce équitable et une structure comme
Café Africa sont complémentaires. Dans le secteur du café, il existe
beaucoup d’organisations faisant la promotion du commerce équitable et des certifications en général, mais Kif Nguyen souligne qu’un
recensement de tous les projets de cafés en Ouganda a montré que
seuls 10% des planteurs étaient touchés par des projets d’appui quels
qu’ils soient, dont une infime partie par des certifications dites équitables. Comment aider les 90% restants ? Il convient d’agir au niveau
de la filière dans son ensemble. La plupart de la valeur le long de la
chaîne de production s’évapore du fait de la fiscalité/parafiscalité,
des intermédiaires inutiles qui profitent de la désorganisation de la
filière et qui prélèvent des commissions insensées ou bien des coûts
de transport trop élevés car les routes sont impraticables, sans parler
de la corruption. C’est ce qui explique que le planteur touche trop peu.
Il est possible en mettant tout le monde autour de la table, avec des
34. Convergences 2015
solutions très simples, d’améliorer le système afin que le maximum
du prix d’exportation revienne au planteur mais bénéficie aussi aux
autres acteurs qui font un travail utile et nécessaire. En faisant cela on
touche 90% de la filière, cela fait une différence. Pour lui, le commerce
équitable reste un marché de niche réservé à des personnes capables
de payer un coût supplémentaire pour avoir le café ou d’obtenir des
subventions qui couvrent le coût des expatriés, des certifications.
Adrien de Tricornot constate que tous les intervenants concluent qu’il y a
trop d’intermédiaires locaux dans les pays producteurs qui captent la marge
des producteurs mais que chacun y apporte des solutions différentes.
Eugénie Malandain rappelle que la question de l’intermédiaire est
le problème fondateur du commerce équitable mais nuance en précisant qu’en réalité, certains intermédiaires sont indispensables et ont
une réelle valeur ajoutée. C’est pourquoi le commerce équitable a
aussi un rôle pédagogique en permettant d’aller en profondeur dans
la notion de filière, notamment lors de la mise en place d’un label.
Selon Kif Nguyen, il est indispensable que la part la plus importante de la
valeur ajoutée aille aux producteurs. Or, ces derniers font face à ce qu’ils
appellent si bien au Congo des « tracasseries », c’est-à-dire à des dizaines
de taxes et à des filières corrompues qui taillent dans leurs bénéfices et
Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements
découragent les investisseurs potentiels. On estime que l’amélioration du
fonctionnement d’une filière pourrait permettre à tous les planteurs de
recevoir entre 70 et 80% de la valeur FOB ( free on board , donc livré dans
le bateau) du café. Ce serait une amélioration formidable de la situation.
Adrien de Tricornot soulève le fait que l’Etat, fragile, est souvent absent
de ces filières. Il pose la question de savoir si les Etats occidentaux n’ont
pas leur part de culpabilité dans le sous-développement de ces pays en
leur demandant de ratifier des conventions internationales alors qu’ils
n’en n’ont pas les moyens techniques ou d’ouvrir leurs frontières alors
que leurs marchés ne sont pas matures. Peut-on dès lors affirmer que
la pratique du commerce est la solution au développement durable ?
Ghislaine Psimhis répond que la plus grosse difficulté que rencontre
son organisation est le dialogue public-privé. Dans la plupart des pays
les moins avancés, l’Etat est en situation précaire ou de banqueroute. Sa
priorité doit être d’assurer les salaires pour garantir la paix sociale, car en
cas d’émeute et de fragilité sociale, les investissements disparaissent du
fait des pillages. On ne peut pas demander à l’Etat de jouer son rôle de
régulation du marché. Le problème est que le secteur public incrimine le
secteur privé de ses déficiences (soupçons de fraude, mauvaise volonté
à contribuer aux dépenses sociales ou recherche excessive de profit) et
vice versa (absence d’écoute et de prise en compte de leurs problématiques, insuffisance d’appui au développement des entreprises, gaspillage ou mauvaise gouvernance). Mais face à l’urgence, des partenariats
public-privé se sont mis en place, car les besoins en infrastructures sont
tels qu’il faut absolument se diriger vers le cofinancement. La priorité,
vue du secteur privé, est d’une part d’améliorer le dialogue public-privé
afin de régler les questions fiscales et réglementaires, et d’autre part
de faire basculer les entreprises, du secteur informel vers le secteur
formel. Cela permettra d’augmenter l’assiette fiscale et les revenus
de l’Etat. Les entreprises sont entravées par les contrôles et redressements fiscaux, ce qui favorise le développement du secteur informel.
favorise l’accès à la santé, à l’éducation et compense les impacts
de la volatilité des prix alimentaires. Il réaffirme que le commerce
international est un moyen et pas une fin, que la libéralisation n’est
pas la solution à tous les problèmes et qu’il faut prendre en considération les particularités de chaque pays dans les négociations.
Les intervenants s’accordent à souligner que les pays en développement ont affiné leurs techniques de négociation au cours des dix
dernières années : les éléments de langage des représentants de la
société civile des pays du Sud se sont étoffés. L’Afrique semble évoluer
très vite parce que les gens sont confrontés à une extrême détresse
mais ont une soif de vivre qui touche presque à l’acharnement et
qui permet l’innovation, l’ingéniosité. Les organisations de producteurs sont dorénavant présentes aux négociations de l’OMC, ce qui
permet des négociations plus pertinentes. Kif Nguyen lance alors
un appel à une réflexion collective pour repenser les approches de
l’aide au développement et financer des projets parfois plus limités
mais plus réalisables, qui méritent réellement ces financements.
Eugénie Malandain développe l’exemple d’un accord commercial
bilatéral entre le Cambodge et les Etats-Unis dans le secteur textile
qui conditionne les échanges commerciaux au respect de normes
sociales : quand les entreprises textiles cambodgiennes s’engageaient à respecter les conventions internationales du travail, les
quotas d’achat de textile augmentaient aux Etats-Unis. Cet accord
était financé par l’OIT ; l’aide publique américaine, le secteur privé
cambodgien et des ONG américaines et cambodgiennes étaient très
impliquées. A la fin du système des quotas, le secteur a tenu car des
marques achètent ces produits textiles socialement propres et la
société civile internationale joue un rôle très important à ce niveau.
Romain Benicchio souligne que l’exportation de produits de base
Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Table-ronde A7 Commerce et pauvreté : quelle connexion ?
35.
Questions
Quels ont donc été les suites de ce projet au Cambodge ? A-t-il
débouché sur l’augmentation des volumes ? De la part de marché ?
Il a eu un rôle d’exemplarité. Même si entre 2001 et 2005, le Cambodge
était un Etat en phase de post-conflit avec beaucoup de corruption, le
dispositif a été efficace. De plus, ce cadre de régulation a poussé le Cambodge à ratifier l’ensemble des conventions de l’OIT et à se mettre aux
normes internationales. Cependant, lorsqu’on interviewe des ouvriers et
des syndicats, on aperçoit les limites de ces dispositifs car tout repose sur
le contrôle du respect des normes de l’OIT qui reste peu fiable.
On dit souvent que la mondialisation pourrait réduire la pauvreté
grâce aux investissements étrangers. La pauvreté peut-elle être
réduite ainsi au niveau local et au niveau de la transformation du
secteur informel en secteur formel ? Par ailleurs, quel poids a une
organisation comme Café Africa pour changer l’environnement
économique et institutionnel, et en particulier le problème des
taxes locales ?
Ghislaine Psimhis explique que lorsqu’une industrie s’installe, elle provoque des flux de populations et génère des problématiques (déforestation pour bois de chauffe, alimentation sur le site d’implantation, insertion
professionnelle et sous-traitance locale…) qui sont de la responsabilité
sociale et environnementale de l’entreprise. Aujourd’hui plus qu’hier, la
tendance dans les grandes entreprises privées est à la RSE et elles ont
des obligations, négociées avec l’Etat lors de la signature de leur licence
d’exploitation, qui font partie de leur cahier des charges : faire des écoles
et des dispensaires, aménager des routes ou électrifier une zone, etc.
Ces projets bénéficient à l’ensemble de la population. L’investissement
direct à l’étranger (IDE) est donc très important quand il est négocié en
amont du processus et met la question sociale au cœur des priorités.
Pour Kif Nguyen, il est difficile de mesurer son impact mais le principal
changement constaté est celui de la mentalité : en faisant évoluer la relation public-privé, ne serait-ce qu’en les mettant autour d’une table pour
qu’ils échangent, on a un impact très important sur toute la filière. Au
Congo, Café Africa a amené un ministre à constater les « tracasseries ».
Le gouverneur s’est également déplacé. A leur retour, le sujet a été mis
à l’ordre du jour du conseil des ministres et un discours public a été fait
pour déclarer que les taxes allaient être réduites et que des contrôles
seraient mis en place.
J’ai vécu au Congo et ai fait partie d’une « école spéciale » qui donne
des enseignements primaires à des jeunes qui en ont dépassé l’âge.
Cette école reçoit 2000 élèves, gratuitement. L’instruction est essentielle dans nos sociétés modernes. Quelle est la proportion de bénéfices faits par ces grandes sociétés allouée à l’instruction ?
En République Centre-Africaine, la scolarisation est de la responsabilité
du secteur public. Le problème de fond n’est pas tant financier que de
travailler autrement. Après des sommes colossales de l’Aide Publique au
Développement allouées à l’éducation, rien n’a changé et les populations
36. Convergences 2015
désœuvrées tombent dans la violence. La société civile prend une grande
part de responsabilité car quand on investit de l’argent, on se rend vite
compte si l’investissement porte ses fruits ou pas.
Le consommateur a bien compris que le commerce équitable est un
moyen de développement du Sud mais a du mal à se retrouver car
on ne lui donne pas les outils pour mieux comprendre. S’il achète
un produit équitable, il ne le voit pas comme un acte d’achat commercial égal. Par ailleurs, jusqu’à quel point pouvons-nous permettre
l’investissement extérieur dans ces pays ?
Eugénie Malandain confirme que les liens avec les consommateurs sont
assez difficiles. Les organisations de commerce équitable ont essayé de
se rapprocher des associations de consommateurs mais avec difficulté
car il y a beaucoup de freins et de critiques. Il est vrai qu’aujourd’hui
les frontières du commerce équitable bougent : historiquement il était
plutôt Nord/Sud (années 1960) et devient aujourd’hui Nord/Nord et aussi
Sud/Sud dans une logique de relocalisation de l’économie. De plus, le
développement d’une multiplicité de labels perd le consommateur. C’est
pourquoi, la Plate-Forme du Commerce Equitable publie un guide des
labels du commerce équitable et de la RSE qui est accessible sur son
site internet. Ce dernier a pour objectif d’être un centre de ressources
pour le consommateur. Pour Romain Benicchio, le rôle du régulateur est
d’orienter l’investissement et d’assurer le lien avec l’économie locale. La
question reste de savoir si l’Etat est capable de jouer ce rôle. Kif Nguyen
rajoute que beaucoup d’annonces sont faites dans la presse concernant
des entreprises qui allaient acheter de grandes surfaces. Il est vrai qu’elles
en ont parfois l’idée mais elles se rendent compte rapidement que c’est
infaisable : il est impossible de garantir la propriété car l’Etat est faible.
Si la production de café a décru en Afrique, c’est certainement qu’un
pays d’Amérique Centrale a gagné. Comment se passe la redistribution ?
Pour Kif Nguyen, il ne s’agit pas d’un jeu à somme nulle car le marché est
en croissance. La flambée des prix, c’est en partie la spéculation mais aussi
le fait qu’il y a un déséquilibre fondamental entre l’offre et la demande.
Mais il est vrai que sur certains produits comme les minerais, la redistribution est faible.
L’augmentation des prix à la production est-elle répercutée aux
producteurs ?
Il y a toujours un décalage entre le moment où les prix flambent sur le
marché et le moment où cette augmentation revient au producteur. Il
est tout à fait faux que le producteur ne sait pas vendre son produit : les
plus grands groupes ont des employés qui sillonnent les campagnes pour
trouver les produits, le producteur a du poids selon l’efficacité de la filière.
Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements
Rapporteur officiel :
Antoine Michon, ATD Quart Monde
Durabilité : comment sortir des programmes
d’urgence ?
Table-ronde // Coopération internationale
Modérateur
Serge Mostura
Directeur du Centre de crise,
Ministère des Affaires Etrangères et Européennes
Intervenants
Xavier Boutin
Directeur Exécutif, IECD
Anne Leymat
Conseillère technique, Handicap International
Olivier Gilbert
Délégué aux innovations sociales,
Veolia Environnement
Thierry Mauricet
Directeur Général,
Première Urgence - Aide Médicale Internationale
Anne Héry
Directrice des relations extérieures,
Secours Islamique France
Résumé analytique
Une des questions posées par les programmes de développement
des ONG est celui la durabilité. Ceci comprend d’une part la question de la pérennité lorsque les programmes sont délégués aux
acteurs locaux, mais aussi la question des difficultés à passer d’interventions d’urgence à des programmes de développement. Les intervenants ont tout d’abord souligné les grandes différences entre
les programmes d’urgence et ceux de développement, en termes
de bailleurs, d’acteurs, de modes de fonctionnement, de finalité.
L’urgence ne débouche pas forcément sur du développement, de
même que l’on peut se trouver dans une situation de développement, lorsqu’une urgence surgit.
Le lien n’est pas véritablement fait. Ceci tient dans le fait que les
programmes de développement se mettent en place avec les partenaires locaux, ce qui est plus difficile dans les situations d’urgence.
Cette notion de partenariat est essentielle pour la durabilité des
programmes de développement, même lorsque l’organisation
quitte le lieu. Les relations institutionnelles et politiques sont importantes mais, dans certains pays, du fait de la corruption ou de
l’absence d’Etat, l’essentiel est de s’appuyer sur la société civile. Il
faut savoir lier le projet de développement avec la société civile et
le savoir-faire du pays.
Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Table-ronde Durabilité : comment sortir des programmes d’urgence ?
37.
Synthèse
Cet atelier a pour thème la durabilité des programmes de développement engagés par des « acteurs de développement » tels que des
ONG, des agences des Nations Unies, des fondations, des entreprises
mais aussi le fait de travailler en partenariat public/privé/associatif et
international/national/local qui font la réussite ou pas des programmes.
Comment faire pour que les projets soient pris en charge par les communautés après le départ des acteurs de développement et puissent avoir
une durabilité ? Mais la question qui se pose est également : quel lien
y-a-t il entre l’urgence et le développement ? Quelles sont les difficultés
pour passer d’une action d’urgence à une action de développement ?
Anne Héry, du Secours Islamique France, rappelle les principes
qui gouvernent les ONG dans les situations de crises : les principes
d’indépendance, d’impartialité, de neutralité, pour toucher l’ensemble des populations affectées. Le principe qui guide les actions
est de sauver les vies et non pas de répondre aux intérêts stratégiques de telle ou telle partie prenante. Mais les relations avec les
acteurs locaux sont nécessaires, elles sont même essentielles pour
la durabilité des projets. Ce qui amène une première difficulté.
Les programmes d’aide de première urgence et de développement
sont différents : la finalité, les objectifs, le mode opératoire (travail direct et immédiat dans l’urgence / recherche, travail de fonds,
dans le développement), les acteurs ne sont pas les mêmes. Les
bailleurs non plus. Il est plus facile de trouver des bailleurs pour 6
mois, dans l’urgence, que pour un plan de développement de 3 ans.
Il n’existe pas non plus d’évolution linéaire entre l’urgence et le développement. Le contexte change sans cesse et peut aller de l’un à l’autre.
D’où la nécessité qu’ont les ONG d’avoir plusieurs casquettes. L’exemple
d’Haïti montre que ce qui s’annonçait comme une fin de l’urgence a été
remis en cause avec l’épidémie de choléra, qui a rebasculé la situation.
La notion de partenariat est clé, mais elle doit être appréhendée différemment dans les deux cas. Le travail avec le partenaire local dans le
développement comporte souvent une composante de renforcement
de capacités. Mais il est difficile de travailler dans le même sens en
situation d’urgence : la réactivité des partenaires est souvent faible,
le type d’activité différent ; ceci peut causer des dégâts dans les relations avec eux. Le partenaire peut aussi se trouver instrumentalisé,
ou mis en danger dans le cas d’une situation de conflit par exemple.
Le système de coordination dans les deux contextes n’est pas le
même. Dans l’urgence, on voit se superposer un système de coordination spécifique, piloté par les Nations Unies, et très tourné vers les
acteurs internationaux, laissant une faible place aux acteurs locaux.
Anne Leymat, d’Handicap international (acteur d’urgence, de
post-urgence mais aussi de développement) rappelle à son tour
que les situations d’urgence ne débouchent pas forcément sur du
développement. Les enjeux sont différents. L’idée est d’interrompre
progressivement et de déléguer dès que possible aux partenaires
38. Convergences 2015
locaux. Handicap International a ainsi mis en place un « Principe de
Différentiation Opérationnelle » qui concerne les directions Urgence,
Développement et Mine. Chaque direction a un mode d’opération spécifique et différent. Il s’agit d’adapter le mode opératoire aux différentes
activités. Le principe de coordination, avec acteurs et partenariats
est un moyen de réaliser la mission sociale d’Handicap. Le développement des capacités des acteurs locaux est un gage de pérennité.
Xavier Boutin, de l’Institut Européen de Coopération et de Développe (IECD), rappelle que l’urgence crée des interrogations en termes
de développement. Des pays ainsi ignorés avant la crise sont soudain
découverts. Concernant le financement, les partenariats s’inscrivent
obligatoirement dans la durée, mais le financement est court (paradoxe),
d’où la difficulté à développer un plan long avec un financement court.
Xavier Boutin insiste sur le partenariat. C’est le fruit d’une mobilisation
de la société civile locale (association, communautés villageoise) avec
une dynamique de développement.
Il faut faire en sorte que le local puisse porter et continuer ce projet. C’est
le point focal lorsqu’on lance un projet de développement. Le partenaire
peut être une institution, coopérative, association. Le projet est une
occasion de se renforcer : c’est un outil de renforcement institutionnel. Le
partenariat permet aux locaux de s’approprier le projet. Il cite l’exemple
de la formation agricole en Côte d’Ivoire. Il faut lier le savoir-faire du pays
avec le projet de développement ; il s’agit de sentir ce qu’il y a d’expert
dans le pays, en vue de développer les acteurs économiques futurs.
La durabilité veut aussi dire que qu’il n’y a pas de contradiction avec
les autorités locales. Sachant que les intérêts des élites ne seront pas
forcément ceux des populations, ou des ONG. Il faut agir de telle
sorte que le projet aille vers le renforcement de la société civile. Les
autorités locales doivent participer surtout au niveau des questions
de financement. Il faut également développer le partenariat avec les
entreprises privées. Dans l’éducation, la santé, la formation professionnelle, le tissu économique s’intéresse à ce que les jeunes soient formés.
La question de l’autofinancement est cruciale dans la pérennité.
L’essentiel est de mettre tous les acteurs concernés autour de la
table et assurer ainsi l’autonomie et l’équilibre financier. C’est un
travail d’accompagnement et de renforcement institutionnel.
Il faut arrêter de penser en termes de projet (uniquement
financier). Il faut continuer le projet jusqu’à ce que les institutions publiques soient capables de le prendre le projet en
main. Les bailleurs doivent changer leurs modes de financement.
Olivier Gilbert de Veolia Environnement déclare ensuite que dans
le cadre des contrats de gestion déléguée de services publics d’eau,
d’énergie, de transport et de propreté, Veolia doit généraliser l’accès
aux services à l’ensemble des habitants du territoire sur lequel le
groupe intervient, et ce quelques soient les capacités financières de
Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements
ces derniers. Il s’agit d’une mission de service public, et d’une attente
des populations et des autorités locales qui fait l’objet chez Veolia de
constantes innovations dans le but d’adapter les métiers aux besoins
et capacités des habitants les plus défavorisés. Veolia est présent dans
les pays en voie de développement depuis une quinzaine d’années. Les
contrats qui lient Veolia avec les villes de ces pays prévoient de plus
en plus d’objectifs explicites en matière d’accès aux services essentiels.
Cette préoccupation s’étend également dans les pays développés où il
s’agit plutôt d’innover pour permettre aux habitants qui traversent des
périodes de difficulté et de précarité de ne pas être exclus du service
pour raison financière. De nombreux programmes sont ainsi menés à
l’étranger mais aussi dans les agglomérations françaises, en lien avec
les autorités. L’innovation « sociale » tient en 4 points :
• L’ingénierie sociale (ou marketing social) : elle vise à construire le dialogue avec populations concernées, à concevoir le service futur avec
leur participation et à établir une évaluation socio économique du
contexte. C’est le plus important, car c’est cette partie qui conditionne
l’appropriation du projet par les populations bénéficiaires.
• L’innovation financière : il s’agit de trouver les financements nécessaires pour créer le service qui faisait défaut (raccordement à l’eau
et à l’assainissement d’un quartier périurbain) puis le rendre économiquement durable. Ceci nécessite un travail en lien avec les
autorités responsables du service et la mise au point d’outils spécifiques : fonds sociaux, modélisation, mobilisation d’aides extérieures
y compris internationales, etc. C’est important car la desserte des
quartiers non desservis (en général, en périphérie) coûte en général
plus cher qu’en centre ville. Par ailleurs, les montants nécessaires
aux investissements ne sont pas compris dans les finances locales.
• L’innovation juridique ou administrative : il s’agit de régulariser
rapidement la situation de familles concernées par les projets, qui
ne disposent souvent pas de documents officiels nécessaires à leur
raccordement aux services publics (tels que des titres de propriété,
des quittances de loyer, etc.) sans créer de précédents qui ne permettraient plus de gérer la ville (c’est surtout en ville que le foncier et les
obstacles administratifs sont de vraies contraintes). Naturellement,
cette partie se fait en lien avec les autorités publiques compétentes.
• L’innovation technique : avec des solutions adaptées aux contextes
locaux, visant à s’affranchir de toutes les barrières que l’on rencontre
dans les quartiers et zones défavorisés.
On peut ajouter une dernière innovation, celle relative à l’organisation
du travail. Pour espérer réussir un projet durable, il est nécessaire de
travailler en partenariat : partenariats avec les ONG, les autorités locales,
les bailleurs, les experts (sociologues, socio économistes, etc.) mais surtout avec la population concernée elle-même et les forces vives locales
(médecins, chefs locaux, associations de femmes, etc.) afin d’éviter de
« passer à côté » des bonnes solutions et des contraintes socio-culturelles.
Enfin, une fois le projet réalisé (la desserte en eau d’un quartier
informel par exemple) une des conditions de durabilité du projet
concerne la gouvernance : la répartition des rôles en matière de
gestion locale du nouveau service doit être la plus claire possible et doit être acceptée par la majorité des bénéficiaires.
Thierry Mauricet de Première urgence – Aide médicale parle de
l’organisation qui est une création récente visant à rapprocher les deux
organisations en vue de faire plus d’urgence. La plupart du temps,
l’organisation se substitue aux autorités locales. Toute notion de partenariat est impossible, au delà du partenariat administratif (autorisation de travailler etc.). L’organisation fait en sorte que les populations
retrouvent leur niveau de vie précédent, mais elle n’est pas dans une
thématique de développement. Première Urgence – Aide médicale
reconnaît ainsi qu’il existe un creux au moment où l’association s’en
va et s’interroge sur le vide laissé, notamment dans les programmes
de relance agricole, etc. L’organisation envisage l’éventualité de se
rapprocher de ses collègues, avant de quitter le terrain. Les projets de
développement sont beaucoup plus difficiles à élaborer, plus longs.
Le temps que les développeurs prennent en main la situation, le cap
se perd. Il est difficile de passer la main aux ONG locales, car elles sont
souvent en difficultés de financement. Elles n’ont pas accès au même
guichet d’aide internationale car elles ne sont, le plus souvent, pas
capables de remplir les conditions requises (transparence etc.). Aussi
Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Table-ronde Durabilité : comment sortir des programmes d’urgence ?
39.
Questions
Qu’est-ce qui pourrait être amélioré ?
Il faudrait arriver à ce que les acteurs locaux s’approprient le projet, ce
qui est difficile en situation de crise car l’Etat est souvent absent. Il existe
donc un système qui tire le programme de développement loin des
acteurs locaux (transparence, bailleurs, internationalisation, etc.), mais
la réduction du fossé avec les acteurs locaux est une réalité dans certains
programmes.
Le Secours Islamique France prend l’exemple du Tchad et des projets
hydrauliques villageois. Ils développent une relation avec les communautés du fait de la proximité culturelle : le dialogue est plus facile, et
donc le taux de durabilité plus long.
Handicap International développe ensuite son expérience en Indonésie
après le tsunami. Le fait d’avoir le même bailleur pendant 3 ans a permis
de sortir de l’urgence et de responsabiliser les autorités locales. Il faut
également faire un travail de définition, de diagnostic participatif.
En termes de financement, avez-vous des solutions, des exemples
de bailleurs de fonds spécifiques ?
La question qu’il faut se poser est : quel est le modèle économique de
l’action ? Il ne faut pas oublier l’importance de la maîtrise d’œuvre locale
et internationale. L’assistance technique sur place est importante et va
de pair avec la recherche et l’identification des talents locaux. Les partenariats financiers sont divers. On peut penser par exemple à offrir des
services marchands au sein de structures non marchandes (les ONG),
vendre des services de production (par exemple la vente de formations
aux acteurs économiques, etc.), ou alors instaurer des systèmes de parrainage (familles européennes et élèves locaux, entreprises). Une autre
personne de l’assistance soulève ensuite le problème de la rentabilité
des programmes. Veolia prend alors l’exemple de projets d’accès à une
eau potable au Niger. L’idée est de créer des TPE (très petites entreprises)
dans le monde rural permettant à des familles qui n’ont accès qu’à une
eau non potable de dégager des revenus de leur agriculture familiale
et d’en profiter pour organiser un service de qualité et payer les coûts
inhérents à ce service.
Quels sont les partenariats avec les autorités locales pour lever les
obstacles au moment du lancement des projets, notamment ceux
liés à la corruption ?
Veolia répond que dans le cadre de ses contrats, le Groupe travaille
toujours en lien avec les autorités publiques qui lui ont confié la gestion
du service pendant une période donnée afin d’y apporter des changements spécifiés dans un contrat. Si certaines des responsabilités ont été
déléguées à Veolia comme l’organisation des services, la gestion du quotidien, l’exploitation des installations, le transfert de savoir-faire aux agents
locaux etc., d’autres ne sont pas déléguées comme les décisions relatives
aux investissements, les tarifs, le règlement de service etc. Chaque partie
joue ainsi son rôle. Ceci est important pour comprendre comment sont
gérés ensuite les services : il s’agit de travailler en commun. L’opérateur
doit assurer une bonne gestion du service, les autorités délégantes décident des grandes orientations et assurent le cas échéant leurs pouvoirs
de police.
Pour ce qui est des obstacles, c’est ensemble qu’ils doivent être traités.
Par exemple, pour prévenir d’éventuels problèmes de corruption locale,
Veolia met en place des procédures et des actions de sensibilisation concernant les règles d’éthique. Si malgré tout des problèmes apparaissent,
c’est avec l’autorité délégante que les sanctions sont prises. Par ailleurs,
concernant la bonne gestion du service, Veolia doit assurer l’équité de
traitement entre tous les usagers des services. Ainsi, il ne peut accepter
que des passe-droits existent et que certains usagers ne paient pas leur
branchement ou le tarif normal. En tant qu’opérateur, il doit faire respecter
le règlement de service fixé et voté par les autorités et passer outre les
éventuelles pressions locales visant à favoriser certains clients au détriment d’autres. Il doit garder son indépendance d’entreprise pour mener
à bien les missions qui lui sont confiées, dans l’intérêt de l’ensemble de
la population.
Rapporteur officiel :
Christine Rousselot, Réseau Européen de la Microfinance
Le lien avec des partenaires locaux (ONG, socio économistes, ou entrepreneurs sociaux) est alors essentiel pour trouver les bons modèles
économiques.
40. Convergences 2015
Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements
La triple bottom line,
nouveau modèle ou utopie ?
Table-ronde // Environnement et développement
Modérateur
Brice Terdjman
Directeur Associé, ENEA Consulting
Intervenants
Stef van Dongen
Fondateur, Enviu
Fanny Picard
Associée, Alter Equity
Elisabeth Laville
Fondatrice, Utopies
Pierre Victoria
Vice-Président Développement Durable,
Veolia Environnement
Résumé analytique
Les modèles de reporting fondés sur l’approche triple bottom
line sont de plus en plus répandus. Cependant, ce concept reste encore vague et souvent perçu comme porteur de contradictions. La
rhétorique de la triple bottom line est-elle trompeuse ? S’agit-il d’un
écran de fumée derrière lequel les entreprises qui ne parviennent
pas à de réelles performances sociales et environnementales
peuvent se cacher ? Est-ce un standard que les entreprises doivent
atteindre ? Cette table ronde a rassemblé experts, investisseurs, évaluateurs et représentants d’entreprises afin de mieux comprendre
les différents positionnements sur cette notion de triple bottom line.
L’approche triple bottom line consiste en l’analyse de la performance d’une entreprise selon 3 critères : social, environnemental,
économique. Elle peut être considérée comme la transposition
de la notion de développement durable dans les entreprises.
Sa mise en pratique peut être motivée par différents éléments : elle peut résulter de nouveaux besoins liés aux problèmes sociaux et environnementaux actuels, de la volonté
de dirigeants de gérer leur entreprise de façon responsable,
de nouvelles attentes des consommateurs qui recherchent
des produits respectueux de l’homme et de l’environnement.
Quelle qu’en soit l’origine, il est nécessaire de disposer d’éléments
pour évaluer les performances sociales et environnementales des
différents acteurs. Plusieurs méthodes de mesure ont vu le jour
mais aucun standard n’a encore émergé de façon reconnue. A
ce stade, ces méthodes sont généralement imparfaites car on
ne sait pas encore bien mesurer certains paramètres. Elles permettent néanmoins de comparer les projets en fonction de certaines dimensions de leur utilité sociale ou environnementale.
Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Table-ronde La triple bottom line, nouveau modèle ou utopie ?
41.
Synthèse
Brice Terdjman a débuté la table-ronde par une brève introduction à
la notion de triple bottom line (TBL). Cette approche consiste à évaluer
la performance sous trois angles : économique, environnemental et
social. Elle peut être utilisée par des acteurs très différents : ONG, fonds
d’investissements, de dotations, entreprises, entrepreneurs sociaux, etc.
Comment les acteurs appliquent-ils cette notion au sein de leurs structures ? Quelles sont les motivations et les évolutions de cette approche ?
Dans un premier temps, Fanny Picard a présenté Alter Equity, un fonds
d’investissement s’appuyant sur l’idée que la recherche de rentabilité
est compatible avec une pratique éthique des affaires. Son objectif est
de servir un rendement dynamique à ses investisseurs tout en contribuant à l’intérêt général d’un double point de vue :
• d’un point de vue sectoriel : en investissant dans des entreprises (non
cotées en bourse), dont l’activité a un impact social ou environnemental positif;
• et d’un point de vue opérationnel : en accompagnant ses participations dans la mise en œuvre d’un business-plan extra-financier, encourageant et cadrant un progrès vers plus de responsabilité sociale.
Elisabeth Laville a ensuite expliqué l’origine d’Utopies, cabinet de
conseil spécialisé en développement durable. Utopies est né en 1993,
du constat que les entreprises ne prenaient pas en compte les enjeux
environnementaux et sociaux dans leur stratégie. Or, ce sont des
éléments cruciaux, puisque qu’une entreprise ne peut pas prospérer
dans un environnement humain qui se dégrade. De plus, les questions
sociales et environnementales peuvent avoir un impact financier non
négligeable. Il est donc nécessaire pour les entreprises d’intégrer ces
dimensions à leur stratégie.
Pour Elisabeth Laville, si des progrès ont été faits dans la compréhension des concepts liés au développement durable, ils restent insuffisants dans la pratique et il faudrait un changement bien plus radical.
Selon elle, le problème réside dans le fait que la stratégie business
et la stratégie développement durable sont élaborées séparément. Il
faudrait établir clairement le lien qui existe entre les deux pour prendre
conscience de leur impact mutuel. Il s’agirait ainsi d’une question de
gouvernance.
Pour Pierre Victoria, Veolia Environnement, l’application de la TBL
provient de la nature même de l’entreprise. En effet, Veolia est une
entreprise de services à l’environnement. Elle se doit de répondre aux
attentes des collectivités territoriales clientes, qui ont inscrit la durabilité
des territoires au cœur de leurs stratégies et de leurs orientations. L’entreprise a donc dû construire un modèle économique répondant à des
exigences aussi bien environnementales et sociales qu’économiques.
Stef van Dongen est le fondateur d’Enviu, une organisation qui développe des solutions innovantes en réponse aux problèmes sociaux
et environnementaux. Il possède une vision moins pessimiste de la
42. Convergences 2015
situation actuelle : les jeunes se mobilisent de plus en plus, l’innovation
se fait de manière très rapide… Il considère que le changement en
matière de développement durable est déjà initié, et que le défi pour
les acteurs du secteur est désormais de parvenir à coordonner leurs
efforts pour introduire les entreprises sociales sur le marché et pouvoir
réellement mesurer leur impact social.
La dimension sociale est désormais primordiale, complète Pierre Victoria. Ainsi, Veolia s’efforce de lutter contre la précarité par différents
moyens : nouveau système « Allô Solidarité » pour venir en aide aux
employés en situation de précarité, formations diverses, chèques eau,
etc.
Pour Elisabeth Laville, l’émergence de ces problématiques sociales
et environnementales est liée à la crise de ces dernières années, et
les entreprises s’en servent aujourd’hui pour améliorer leur image.
Elle est donc peu optimiste quant à la capacité des grands groupes
à intégrer ces dimensions, malgré l’existence de quelques exemples
positifs d’engagement. Marks and Spencer, par exemple, s’engage à
ce qu’un produit sur deux soit « garanti développement durable ». Il
existe très peu de démarches semblables dans le monde, et pourtant,
selon Elisabeth Laville, cela devrait être le rôle des grands groupes
de transformer le marché : « Il existe un potentiel des consommateurs
responsables, qui ne demande qu’à être révélé par des offres. C’est aux
entreprises de faire l’éducation de leurs actionnaires ».
Fanny Picard pense que les consommateurs et les salariés poussent
les entreprises vers la prise en compte de démarches d’intérêt social
et environnemental. Un grand nombre de sondages viennent attester
de cette évolution des consommateurs. On peut ainsi citer les résultats
suivants :
• 75% des français disent attendre que les entreprises développent des
produits respectueux de l’environnement, 71% qu’elles proposent des
produits de bonne qualité et 52% qu’elles traitent bien leurs salariés
(Sondage EURO RSCG - Harris Interactive nov. 2009).
• 76% des français se reconnaissent dans l’assertion « je privilégie les
produits respectueux de l’environnement même s’ils coûtent un peu
plus cher » (IFOP-Journal du Dimanche, fév. 2009). Pour 69% des français, la première responsabilité d’une entreprise est son attention à la
santé et à la sécurité des salariés (Ethicity-TNS Media, fév-mars 2010).
Cette évolution importante des consommateurs suite à la crise financière et économique de 2008 entraîne des changements très rapides
et structurants dans un certain nombre d’entreprises. Ce mouvement
vers la responsabilité sociale et environnementale est porteur d’espoir.
Il ne suffit malheureusement pas à ancrer l’optimisme au regard de
l’ampleur et du calendrier des enjeux de dérèglement climatique et
de la souffrance sociale auxquels nous faisons face.
Selon Stef van Dongen, les entreprises investissent déjà énormément
Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements
d’argent dans les problématiques de développement durable, et ne
pourront pas changer le marché seules. Il pense que l’ensemble des
acteurs devraient se coordonner pour repenser totalement les modèles
actuels de la valeur et de la propriété, car le changement doit venir de
l’extérieur.
Quid des investisseurs ? Pour Fanny Picard, les marchés financiers ne
reconnaissent à ce stade aucun autre rendement que le rendement
financier. L’ISR (Investissement Socialement Responsable), représente
de l’ordre de 3% de la capitalisation de la Bourse de Paris, c’est-à-dire
un encours marginal. Mais les mentalités et les pratiques évoluent rapidement. Au sein du private equity, l’investissement dans les entreprises
non cotées, dans l’ensemble des pays à culture financière ancienne, fait
émerger un certain nombre d’acteurs soutenant une responsabilité
sociale et environnementale. En ce qui concerne les marchés boursiers,
ce sont probablement les émetteurs qui expliqueront au marché la profondeur de la demande qu’ils lisent chez leurs consommateurs et leurs
salariés. Il est probable que les marchés – même s’ils n’ont pas encore
intégré cette évolution – y procèdent par basculement, de façon rapide,
dès qu’ils auront compris l’importance sur le rendement ainsi – et c’est
fondamental – que sur la réduction des risques.
il existe de nombreuses initiatives de ce type. La difficulté est que beaucoup d’éléments ne sont pas chiffrables, mais doivent malgré tout être
pris en compte. Fanny Picard pense que même si les indicateurs actuels
de bien-être social ou de progrès environnemental sont encore imparfaits, ils permettent de cumuler des premières expériences, de faire
émerger des acteurs de ces évaluations, et de comparer les projets
entre eux, dans le temps et les uns par rapport aux autres.
Si Stef van Dongen reconnaît la difficulté de mesurer des éléments
tels que le bien-être, la satisfaction ou autres choses non chiffrables,
il met également l’accent sur la nécessité de rendre des comptes aux
actionnaires et aux parties prenantes.
Enfin, on peut se demander quelle est l’utilité de ces indicateurs pour
continuer de parler de croissance à une société dont la survie passe
par une moindre prédation sur les ressources malgré l’émergence
démographique ?
Rapporteur officiel :
Sébastien Goua, Croix-Rouge
L’accent a ensuite été mis sur l’importance de l’innovation dans la
conduite du changement. Pour Elisabeth Laville, si le développement
durable n’est pas considéré comme un levier de l’innovation, il ne changera jamais d’échelle. Par ailleurs, Stef van Dongen a présenté l’impact
investment comme une opportunité pour les ONG de se positionner
en tant que pionniers dans l’utilisation de cet outil innovant. Elisabeth Laville préconise d’observer autour de nous et de s’inspirer des
méthodes déjà utilisées qui fonctionnent. Aux Etats-Unis par exemple,
Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Table-ronde La triple bottom line, nouveau modèle ou utopie ?
43.
Une bonne structure de gouvernance, clé de la réussite
:
Discussion sur les bonnes pratiques
Table-ronde // Economie sociale et solidaire
Modérateur
Anne Rodier
Journaliste, Le Monde Economie
Intervenants
François-Xavier Hay
Directeur des partenariats, MACIF
Nicolas Hazard
Directeur de cabinet du délégué général,
Groupe SOS
Hugues Sibille
Vice-Président, Crédit Coopératif,
Président, AVISE
Résumé analytique
Il existe différents statuts pour les organisations d’économie sociale
et solidaire (ESS) en France et en Europe, qu’il s’agisse des entreprises sociales, des associations, des coopératives, des mutuelles
ou des fondations. Dans quelle mesure ces statuts déterminent-ils
les objectifs et les succès de l’organisation ?
La gouvernance est un élément essentiel dans la gestion d’une
entreprise sociale. En effet, ce sont les statuts particuliers qui déterminent la gouvernance et distinguent une structure de l’économie
sociale et solidaire d’une entreprise « classique ». La multiplicité
des statuts existants en France permet à chaque porteur de projet d’adopter la forme de gouvernance la plus pertinente selon la
finalité qu’il souhaite donner à sa structure. Du point de vue des
investisseurs potentiels ou du grand public, cette diversité peut
engendrer un manque de lisibilité des entreprises de l’ESS.
44. Convergences 2015
Se pose alors la question de la création d’un statut d’entreprise sociale. Pour certains, cela permettrait de faciliter l’accès aux capitaux
pour ces entreprises. Pour d’autres, le statut n’est pas une preuve
d’impact social et il serait préférable de mettre en place un label
qui jugerait des pratiques réelles des entreprises au quotidien, à
un moment donné.
Par ailleurs, l’impact social est une notion difficilement mesurable,
et les méthodes d’évaluation varient selon les structures et leur
champ d’action, mais il est néanmoins une condition souhaitée
par un nombre croissant d’investisseurs acceptant de prendre des
risques malgré la lucrativité limitée des entreprises sociales.
A partir de ces réflexions, la MACIF, le Crédit Coopératif ainsi que
le groupe SOS nous ont apporté un éclairage sur les pratiques actuelles des entreprises sociales.
Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements
Synthèse
Lors de cette table-ronde, les participants ont réalisé un état des lieux des
modèles de gouvernance existants, et ont mis en lumière l’importance
de cet élément dans la gestion d’une entreprise sociale, en s’appuyant
sur leur propre expérience.
Dans un premier temps, Nicolas Hazard a présenté le Groupe SOS,
qui possède la particularité de cumuler en son sein plusieurs statuts
différents. Présent en France métropolitaine et dans les Départements
d’Outre Mer (DOM), il compte aujourd’hui 4 000 salariés, répartis en 3
pôles d’action : le pôle santé et social, le pôle éducation et formation,
et le pôle d’insertion par l’activité économique.
La structure du groupe est particulière : il se compose d’une quarantaine d’entreprises sociales de statuts variés – associations, entreprises,
coopératives – et a fait le choix de mutualiser certaines fonctions et
compétences en créant un groupement d’intérêt économique.
Selon Nicolas Hazard, cette organisation permet une structure de gouvernance optimale. D’une part, car le groupe est détenu par 3 associations principales. Il s’agit ainsi d’une association de personnes morales,
ce qui garantit la non-lucrativité du groupe et lui confère davantage de
légitimité en tant qu’acteur de l’économie sociale et solidaire. D’autre
part, la multiplicité des statuts permet de distinguer, selon l’impact
recherché et le « degré commercial », le statut le plus adapté pour
chaque activité. Pour les activités d’intérêt général, par exemple, on
privilégiera plutôt un statut associatif.
Pour Nicolas Hazard, si le statut constitue un élément essentiel de la
gouvernance, du fait de son rôle déterminant dans le pilotage de la
structure, il n’est cependant pas une condition suffisante de succès.
Selon lui, l’enjeu le plus important réside dans la mesure de l’utilité
sociale.
La spécificité de l’économie sociale et solidaire repose sur 3 éléments
principaux, a ensuite rappelé Hugues Sibille. L’ESS, ce sont d’abord des
valeurs : démocratie et solidarité. Ce sont ensuite des statuts particuliers qui établissent des règles portant sur deux aspects : le partage du
pouvoir, « un homme=une voix », et des profits car les excédents mis en
réserve sont non attribuables à titre personnel et doivent être réinvestis
dans l’activité de l’entreprise. Enfin, l’émergence de la responsabilité
sociale des entreprises fait partie intégrante du mouvement, puisque
c’est là que se jouent les équilibres entre rentabilité et solidarité.
Or, c’est au niveau de la gouvernance que se font les arbitrages relatifs
à ces trois éléments. C’est donc elle qui permet de garantir l’application
des principes de l’ESS par l’entreprise.
Francois-Xavier Hay rappelle l’importance des statuts décrivant la
« raison sociale », l’intention sociale à l’origine du projet, les règles de
partage des pouvoirs et des profits. Ces éléments sont fondamentaux
car ils régulent le fonctionnement de la structure et permettent de distinguer la société de personnes (un homme=une voix) de la société
de capitaux (un euro=une voix). Par conséquent, l’économie sociale
se différentie de l’économie capitalistique par un partage du pouvoir
démocratique et non fondé sur la propriété d’un capital. Si l’on y ajoute
l’impartageabilité des réserves obligatoirement attachées à l’objet social.
Il n’en reste pas moins qu’au-delà des statuts la qualité de leur mise en
pratique est primordiale pour l’impact d’une entreprise sociale.
Suite à ce premier échange sur l’importance du système de gouvernance
dans les entreprises sociales, les intervenants ont été interrogés sur leurs
pratiques au sein de leurs organismes.
A la MACIF, comme nous l’a exposé Francois-Xavier Hay, le principe
de solidarité est mis en œuvre à travers le partage des excédents, qui
sont soit injectés dans l’activité de l’entreprise, ou affectés à des actions
telles que les activités prévention, la fondation, ou autres activités de
la vie mutualiste du groupe qui concourent à la résolution des enjeux
sociétaux.
Le système « un homme=une voix » garantit quant à lui l’application du
principe démocratique : les quelques 2 000 délégués sont élus par les
sociétaires, et parmi eux sont nommés les administrateurs au niveau
national. Les délégués sont issus des partenariats politiques et les débats
menés par les délégués animent la gouvernance et orientent les décisions de la société. Le consensus construit par la diversité des partenariats politiques permet de minimiser les risques dans les processus de
décisions de l’entreprise.
Qu’en est-il pour une banque coopérative ? Si Hugues Sibille reconnaît
le challenge de mettre en place une réelle démarche participative dans
une structure de grande échelle, le Crédit Coopératif s’efforce de faire
concorder théorie et pratique. Ainsi, les 33 000 personnes morales qui
sont ses sociétaires peuvent prendre part aux décisions en participant,
entre autres, aux assemblées générales régionales qui annoncent les
résultats de la banque, définissent les grandes orientations, désignent
le Conseil d’administration.
Deux autres particularités sont également à noter dans les pratiques du
Crédit Coopératif : la publication d’un rapport coopératif mentionnant
l’origine et l’utilisation des ressources financières, ainsi qu’un système de
parties prenantes. Dans chaque région, un Comité de région composé
de partenaires, sociétaires et clients a été mis en place pour discuter du
fonctionnement de la banque et mieux comprendre son organisation
et ses besoins. Le modèle de développement du groupe est un modèle
partenarial, basé sur la coopération et la coproduction entre la société
et ses clients. Cela permet d’être plus proche des besoins des parties
prenantes.
La troisième partie de la discussion a été dédiée à la question de l’impact,
et des éléments dont disposent les entreprises sociales pour l’évaluer.
Selon Nicolas Hazard, l’impact social présente autant d’importance
que l’impact financier. Il est cependant difficile à mesurer, en particulier
Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Table-ronde Une bonne structure de gouvernance, clé de la réussite : Discussion sur les bonnes pratiques 45.
au sein du groupe SOS, du fait de la diversité des activités exercées. La
méthode d’évaluation varie donc d’une activité à l’autre. Pour les activités
d’insertion professionnelle par exemple, SOS évalue le pourcentage de
personnes qui retrouvent un emploi dans une entreprise classique au
bout des 3 premiers mois de recherche. Concernant les Centres d’Education Renforcés (CER), les statistiques montrent que le taux de récidive
pour les jeunes délinquants est moins élevé au sortir d’un CER qu’après
une peine carcérale. C’est en se basant sur ce type de données que SOS
analyse son utilité sociale.
Au Royaume-Uni, des social impact bonds ont été créés, ce sont des obligations rémunérant les entreprises sociales en fonction de leur impact
social. Cela fait émerger deux interrogations : doit-on tendre vers ce type
de système ? La lucrativité doit-elle être liée à la performance, même
pour une entreprise sociale ?
A la MACIF, explique Francois-Xavier Hay, les enjeux sociétaux guidant
les prises de décisions sont variés : accès à la santé/dépendance, accès au
logement, à la mobilité, surendettement… L’impact social des activités
menées est simplement exprimé par les retours formulés par les délégués, représentants des sociétaires. Le rapport des activités mutualistes
et de la responsabilité sociale de l’entreprise complète cette évaluation.
46. Convergences 2015
Pour Hugues Sibille, le premier élément à identifier pour mesurer
l’impact du Crédit Coopératif est l’utilisation de l’argent par la banque.
Chaque année, 8 milliards d’euros sont déposés au Crédit Coopératif,
il est donc crucial de savoir à quoi ils sont employés. Près de 40% de
ces dépôts servent à financer des associations ou des activités d’intérêt
général. Cette traçabilité des flux est fondamentale car cela amène plus
de transparence donc plus de confiance.
Enfin, les derniers échanges ont porté sur le débat autour de la nécessité d’un statut pour les entreprises sociales. En effet, l’ensemble des
acteurs du secteur s’accordent à reconnaître le manque de lisibilité des
entreprises sociales.
Pour François-Xavier Hay, un statut unique n’est pas nécessaire, car il
existe suffisamment de solutions permettant de créer des structures.
Selon lui, l’enjeu n’est pas tant dans les statuts que dans les pratiques
et leur mesure. Il estime plus judicieux de mettre en place un label qui
jugerait les pratiques des entreprises et associations car ce n’est pas un
statut qui garantit l’impact social d’une entreprise mais bien ses pratiques.
Et si celles-ci changent et ne sont plus jugées sociales, il est aisé d’ôter le
label alors qu’il est très difficile de retirer un statut.
Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements
Hugues Sibille ajoute que différentes utilisations peuvent être faites
d’un label : il peut faire office de marque pour communiquer, être un
référentiel, ou bien être plus contraignant. Par exemple, pour les finances
solidaires, il existe le label Finansol, piloté par un comité indépendant
du label, qui établit un certain nombre de critères de solidarité et de
transparence. Dans tous les cas, il faut déterminer qui attribue le label
(pouvoirs publics, acteurs du secteur…).
Par ailleurs, le Mouves (Mouvement des entrepreneurs sociaux) met en
avant 4 critères qui, selon lui, définissent une entreprise sociale :
• L’ objet de la société doit avoir une finalité sociale ;
• La profitabilité doit être limitée ;
• L’écart de rémunérations doit être limité ;
• Les bénéfices doivent être réinvestis dans l’activité de l’entreprise.
Mais cela permet-il une lisibilité suffisante pour les investisseurs potentiels ? Hugues Sibille poursuit en expliquant que si un nouveau statut
spécifique d’entreprise sociale était créé, on risquerait d’aboutir à la formation d’un « ghetto » des entreprises sociales.
Le premier souci pour les entrepreneurs sociaux, explique Nicolas
Hazard, est la levée de fonds. Avec un statut associatif, il est impossible
d’ouvrir son capital aux actionnaires pour augmenter les financements. Il y
a un équilibre à trouver : on peut envisager en revanche dans une société
de capitaux, dans le pacte des actionnaires, une limitation de la lucrativité,
mais il sera plus délicat de trouver des investisseurs prêts à prendre des
risques. L’enjeu est donc le suivant : comment faire aujourd’hui pour lever
des fonds en tant qu’entrepreneur social et comment changer d’échelle
sans refroidir les investisseurs ? Le modèle de la Community Interest Company, lancé au Royaume-Uni en 2005, constitue une option envisageable.
Ou encore, on pourrait imaginer des entreprises avec un statut de Société
par Actions Simplifiée (SAS) auquel on ajouterait un statut fiscal particulier
destiné aux entreprises sociales.
Les structures de gouvernance, nous l’avons vu, constituent donc un
élément crucial dans le succès d’une entreprise. L’enjeu réside désormais
dans la lisibilité des entreprises de l’ESS, et il n’existe à ce jour aucune
solution miracle. Il incombe ainsi à chaque entrepreneur social de savoir
s’inspirer des modèles de réussite et d’adopter la gouvernance la plus
adaptée à son entreprise, selon son objet social, ses capacités de développement les ambitions et l’implication de ses membres dans une
gouvernance démocratique ou capitalistique.
Rapporteur officiel :
Pauline Barthel, Croix-Rouge
Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Table-ronde A3 Une bonne structure de gouvernance, clé de la réussite : Discussion sur les bonnes pratiques 47.
Une comparaison des définitions de l’économie
sociale dans différents pays
Table-ronde // Economie sociale et solidaire et Entrepreneuriat social
Modérateur
Apostolos Ioakimidis
Administrateur Principal, Direction Générale Industrie et
Entreprises, Commission européenne
Intervenants
Tarik Ghezali
Délégué Général, Mouvement des entrepreneurs
sociaux
Joshua Motta
Investisseur principal, IGNIA Fund
Anne-Claire Pache
Professeur Assistante en entrepreneuriat
social, ESSEC IIES
Résumé analytique
Cette table ronde porte sur les diverses définitions de l’économie et des entreprises sociales. Il en ressort deux grandes tendances : une définition américaine et une définition française
très différentes. La définition américaine est pragmatique ; elle se
concentre sur les résultats.
Aux Etats-Unis, une entreprise sociale est une entreprise ayant
des répercussions positives sur la communauté, apportant des
produits de qualité et développant des compétences au sein de
la communauté.
Une entreprise sociale est non lucrative, participative et a un certain statut juridique. Cette définition étant malgré tout restrictive, il est possible d’aller au-delà et de considérer une entreprise
sociale selon sa finalité. En France, l’entreprise sociale doit être
viable économiquement, avoir un objectif social, encadrer sa
lucrativité et enfin avoir une gouvernance démocratique et participative.
Ainsi, il n’y a pas une seule définition de l’économie sociale ; mais
toutes se recoupent sur un point essentiel : celui de protéger les
populations les plus vulnérables.
En France, la définition est beaucoup plus cadrée : en effet l’entreprise sociale a été définie par le législateur.
48. Convergences 2015
Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements
Synthèse
Quelle est la définition américaine de l’économie sociale ?
Pour Joshua Motta, investisseur principal chez IGNIA, l’économie
sociale et l’investissement dans celle-ci doivent permettre aux communautés d’acquérir des connaissances et habiletés techniques. Selon
lui, l’intérêt pour les communautés n’est pas le type d’investissement
qui est effectué, mais bien les répercussions que ces investissements
provoquent. Ils doivent donner aux communautés un produit de
qualité au meilleur coût possible. Les investissements doivent servir
à créer un impact économique et social apportant une plus value à la
communauté. Ils doivent également permettre aux communautés de
développer des compétences dans un domaine précis et ainsi faciliter
l’accès au travail dans les entreprises créées.
Les produits et services fournis doivent refléter un haut standard de qualité. Toujours selon Joshua Motta, les gens ne considèrent pas le type
d’entreprise et de secteur, mais seulement les résultats qui sont tirés de
ces investissements. Un exemple parlant est celui d’un important investissement privé réalisé au Mexique et ayant permis de développer un
réseau de téléphone mobile prépayé. Ce réseau a pu offrir un excellent
service de téléphonie mobile, à un prix bien en dessous du marché des
opérateurs traditionnels.
Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Table-ronde
Aux Etats-Unis, les investisseurs ne parlent pas de l’économie sociale;
pour eux, ce secteur de l’activité économique se nomme the third sector.
Quelle est la définition française de l’économie sociale ?
Selon Anne-Claire Pache, professeur à l’ESSEC, l’économie sociale se
décline en deux principales définitions, l’une se basant sur la légalité
des statuts et l’autre sur la finalité.
La première est la définition juridique, une spécificité française selon
laquelle les entreprises sociales doivent être non-lucratives. De plus,
leur structure doit être construite dans un esprit de démocratie. Chaque
personne a droit à un vote, contrairement aux entreprises capitalistes
où le nombre de vote dépend du capital investi.
Les mutuelles, les fondations et les coopératives font partie de ce type
d’entreprise.
La deuxième est la définition selon la finalité. Selon cette définition,
l’entreprise produit des biens et/ou services à valeurs sociales ajoutées. Ces entreprises favorisent l’intérêt général et les profits ne sont
pas redistribués, mais réinvestis dans la communauté ; l’entreprise est
là pour la collectivité.
Une comparaison des définitions de l’économie sociale dans différents pays
49.
La caractéristique principale de l’économie sociale en France réside dans
son organisation. Celle-ci s’est développée en contre point de l’activité
capitaliste traditionnelle, elle suit un courant divergent favorisant l’enrichissement collectif.
On peut dégager quatre fondamentaux de l’économie sociale vue par
la France :
• Un projet économique viable.
• Une finalité sociale forte (on répond à un problème social) : Lorsque
la solution sociale n’existe pas, il suffit de la créer. Le meilleur exemple
serait celui de la Grameen Bank créée par Muhammad Yunus. Il a su
développer un outil simple qui permit à plusieurs communautés de se
développer.
• Une lucrativité limitée et encadrée.
• Une gouvernance participative : Il faut faire participer les parties
prenantes des projets. La participation permet aux entreprises sociales
d’avoir une direction collective. Cette définition accepte l’idée du renouvellement permanent autour de ces principes fondamentaux.
Cette vision de l’économie sociale se distingue de celle partagée dans
le milieu américain. En France, l’engagement envers l’économie sociale
prend un rôle politique. Le législateur favorise ce type d’économie en
créant un espace juridique favorable. Aux Etats-Unis, le third sector est
soutenu par un mouvement populaire citoyen, il bénéficie beaucoup
moins de l’appui des pouvoirs publics. Son principal soutien provient
de l’engagement philanthropique de fondations privées.
50. Convergences 2015
L’économie sociale s’est développée en deux familles. La première privilégie la forme non-lucrative. Elle se développe autour de l’économie solidaire en faisant travailler des gens en réinsertion sociale ou en favorisant
le commerce équitable. La deuxième famille favorise un statut lucratif
dans l’espoir de mener à bien un objectif social. Ces concepts sont relativement nouveaux puisqu’ils ont été créés vers la fin des années 1990.
Il existe aussi un dernier concept de l’économie sociale en France. Il s’agit
de l’entreprise et de l’entrepreneuriat social. Cette idée fait référence à un
état d’être et d’esprit axé sur l’entreprenariat. Elle vise à développer au
maximum les impacts sociaux de ces entreprises sur la communauté. Elle
s’inscrit dans une logique ambitieuse au service de l’économie sociale.
Elle permet de créer des ponts entre le monde capitaliste traditionnel
et l’économie sociale.
Ainsi, l’économie sociale ne peut se définir d’une seule et unique façon.
Tous les intervenants présents lors de cette table-ronde s’accordent en
ce sens. L’économie sociale s’est graduellement développée depuis le
début du siècle dernier et semble prendre une nouvelle tangente suite
à la crise financière de 2008-2009.
Que la définition de l’économie sociale s’oriente vers l’approche étatsunienne ou française, elle poursuit le même objectif, celui de venir en
aide aux communautés vulnérables.
Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements
Rapporteur officiel :
Louise Swistek, Groupe SOS
Création d’emplois et de revenus pour les plus pauvres : quel rôle pour les ONG ?
Table-ronde // Coopération internationale
Modérateur
Philippe Ryfman
Professeur, Université Paris I
Intervenants
Alain Boinet
Directeur Général, Solidarités International
Michael Philip Cracknell
Co-directeur, Enda interarabe
François Danel
Directeur Général, Action Contre la Faim
Jean-Guy Henckel
Fondateur, Réseau Cocagne
Béndicte Hermelin
Directrice Générale, GRET
Frédéric Roussel
Co-fondateur, ACTED
Résumé analytique
Les Objectifs du Millénaire pour le Développement sont une promesse
pour les personnes les plus pauvres et les plus vulnérables, dans les pays
riches comme dans les pays pauvres. Cependant, les pauvres ont besoin
de moyens de subsistance durables pour sortir de la pauvreté. Ceci peutêtre notamment atteint par la création d’emplois, de biens et de services
pour les pauvres. Quel est le rôle des ONG dans ce domaine où elles ont
longtemps été perçues comme une réponse à court terme dans les situations d’urgence plutôt qu’une réponse à long terme contre la pauvreté ?
L’axe socio-économique est une composante essentielle du travail des
ONG. Outre les réponses que celles-ci peuvent apporter en situation
d’urgence ou de crise, leurs activités doivent impliquer directement
les populations et dans la mesure du possible leur donner les moyens
d’assumer certaines responsabilités de façon pérenne. A l’image d’ACTED
qui s’emploie à contribuer de façon durable au développement des zones
d’intervention, le GRET œuvre à former et accompagner les populations
pour les rendre autonomes. Les ONG s’attachent également au respect de
la dignité humaine dans l’aide aux populations. Dans cette optique, Alain
Boinet rappelle d’ailleurs que la création d’emploi et de revenu est fondamentale, bien qu’elle ne constitue pas une fin en soi : que l’ONG ait ou non
cette vocation, elle doit d’abord s’adapter aux besoins des populations
locales et trouver sa place aux côtés des pouvoirs publics. Peu aidée dans
cette tâche par le consensus géo-économique de Washington, il lui faut
s’appuyer sur la collaboration des parties prenantes et l’intérêt collectif,
pierres angulaires de la coopération et du développement économique.
Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Table-ronde Création d’emplois et de revenus pour les plus pauvres : quel rôle pour les ONG ?
51.
Synthèse
ACTED est une ONG qui intervient en situation d’urgence, c’est-à-dire
après un grave problème, mais également en post-crise. Frédéric
Roussel a la forte conviction qu’après avoir dépassé les questions de
vie ou de mort, une autre dimension est à prendre en compte : c’est l’axe
socio-économique. En effet, la principale composante d’une crise est
l’effondrement des revenus : en cas de crise, les victimes perdent leurs
biens mais également leur travail et donc leur source de revenus. Dans
les sociétés traditionnelles, le travail structure aussi bien le revenu que
le statut et l’insertion par l’activité. Au Pakistan, l’été dernier, seulement
trois jours après les inondations, ACTED a employé des dizaines de milliers
de personnes pour déblayer et reconstruire. Il était possible de louer
quelques bulldozers mais avec l’outil du cash for work , on a employé des
personnes, pour quelques jours seulement mais cela a permis d’assurer
un revenu individuel mérité et donc du lien social et de la dignité. Plus
les distributions de biens et services se maintiennent, plus la situation
devient difficile. Les populations qui restent des années dans des camps
de réfugiés sont les plus difficiles à réinsérer dans un tissu normal. C’est
pourquoi l’action humanitaire doit élargir son action en s’occupant non
seulement de sauver des vies mais également de ce qui va autour. C’est
pourquoi ACTED construit des routes. Ce n’est pas humanitaire au sens
propre du terme mais cela permet le déplacement et la réinsertion de
populations réfugiées ou déplacées. L’idée principale est d’assumer que
les bénéficiaires ont aussi le droit de devenir riches. Ils ont les mêmes
attentes que nous : maximiser leurs revenus pour eux et pour leurs
familles, afin de maximiser le soin et l’éducation. Cette théorie est porteuse d’un grand nombre de renouvellements dans le secteur des ONG.
L’objectif du GRET est de permettre un développement durable, donc
sous-tendu par un développement économique. Le GRET n’est ni une
ONG d’urgence ni une ONG humanitaire, c’est une ONG de développement. Bénédicte Hermelin prend l’exemple de l’action du GRET pour
l’accès à l’eau potable : le GRET ne construit plus de puits ni même de
bornes fontaines (point d’accès collectif dans un village) mais travaille
sur le raccordement et le réseau pour que chaque foyer ait l’eau dans
son habitation. Outre une certaine qualité de vie, ce système permet une
mobilisation des bénéficiaires en cas de défaillance du système. L’ONG
apporte un savoir-faire et un accompagnement dans la mise en place. Elle
forme les bénéficiaires pour qu’ils soient autonomes dans l’entretien de
ces systèmes. Et comme cet entretien a un prix, les bénéficiaires doivent
payer suffisamment pour que le système soit indépendant et autonome.
Le GRET intervient également auprès des collectivités locales pour que
les populations soient aidées et qu’un service public soit mis en place.
Il s’agit de faire en sorte que la parole des acteurs soit prise en compte
dans les politiques publiques. L’idée fondamentale est qu’une ONG n’a
pas vocation à rester sur le terrain ni à se substituer à qui que ce soit. Il
faut qu’à son départ du terrain, le service soit en place et autonome.
L’ONG Solidarités International est née dans les années 70 avec la génération « Sans Frontière » et trouve ses racines dans le fait d’aller au secours
52. Convergences 2015
des populations en danger même sans autorisation. Solidarité International intervient dans des pays très pauvres confrontés à un conflit qui
détruit les vies et les moyens de subsistance. Cette intervention s’inscrit
dans le temps et va de la rupture à la sortie de crise. A chaque phase correspond des besoins précis. La période d’urgence est celle des conflits et
des mouvements de réfugiés pendant laquelle il s’agit de répondre à des
besoins vitaux. Lors de la sortie de conflit, les besoins évoluent, les populations se réorganisent et les structures existantes reprennent l’initiative,
il faut alors répondre à des besoins plus durables. Comme Frédéric
Roussel et Bénédicte Hermelin, Alain Boinet croit qu’il est fondamental
de créer de l’emploi pour le revenu et la dignité. Solidarités International
emploie d’ailleurs 10 nationaux pour 1 expatrié. Mais sa conviction profonde reste que ce n’est pas un but en soi : le plus important est d’adapter
son action aux besoins des populations. En Afghanistan, Solidarités
International est présente depuis 30 ans et mène en parallèle des programmes d’urgence à Kaboul auprès des réfugiés et des programmes
d’accès à l’eau potable et à l’assainissement dans la banlieue de Kaboul.
La question fondamentale que se pose toute ONG est : jusqu’où aller ? Il
ne faut pas se substituer aux populations ou au gouvernement. De plus,
entre l’urgence et le développement, il y a la reconstruction qui est une
étape importante et qui accompagne le processus de paix. Aujourd’hui,
les dispositifs pour les acteurs humanitaires sont mal adaptés pour la
reconstruction. C’est pourquoi, Alain Boinet et Benoit Miribel (de la fondation Mérieux) ont écrit et transmis un rapport au Ministère des Affaires
Etrangères pour demander la création d’un Fonds de Reconstruction.
Action Contre la Faim est une ONG qui a un positionnement un peu
différent des autres panélistes : son cœur de métier est la nutrition et
la sécurité alimentaire. Pour François Danel, les ONG n’ont pas vocation à créer des emplois et des revenus pour les plus pauvres. Action
Contre la Faim a quitté l’Indonésie après le tsunami : une intervention
d’urgence a été mise en place, des vies ont été sauvées, mais l’ONG a
considéré qu’ensuite sa valeur ajoutée n’était plus suffisamment forte
et qu’il était temps pour elle de passer le relais aux pouvoirs publics.
Les ONG doivent faire très attention car elles deviennent des acteurs
économiques importants dans les pays d’intervention : l’arrivée massive
d’ONG crée des conflits et des rivalités avec les autorités locales, même si
la création d’emplois et de revenu est positive. Pour modérer ce point de
vue, François Danel souligne que si les ONG n’ont pas vocation à créer
de l’emploi, cela reste une dimension importante dans les programmes
d’Action Contre la Faim : en Haïti comme en Côte d’Ivoire, Action Contre
la Faim a distribué des coupons alimentaires, ce qui a permis non seulement de répondre à l’urgence mais également de relancer l’économie et
d’utiliser les produits locaux. De même, dans les programmes de sécurité
alimentaire, Action Contre la Faim distribue des semences et aide à l’autonomie par des programmes de maraichage. La priorité est la lutte contre
la malnutrition, mais l’intervention est durable. S’il est vrai que c’est par
le développement économique qu’on réduira les problèmes d’un pays,
Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements
chaque ONG doit se centrer sur sa valeur ajoutée pour les populations
qui souffrent, savoir passer le relais et travailler avec d’autres acteurs.
Michael Philip Cracknell a créé Enda Interarabe dans les années 1990
et les activités de microcrédit ont débuté en 1995. Pour lui, le microcrédit
est un outil de développement économique durable car aujourd’hui,
les activités d’Enda Interarabe sont autosuffisantes et refinancées par
des prêts bancaires à des taux commerciaux. Le microcrédit est un outil
de solidarité des pauvres entre eux car s’ils ne remboursaient pas leurs
prêts, les activités s’arrêteraient et d’autres personnes ne pourraient
en profiter. La révolution du 14 janvier 2011 en Tunisie a bousculé la
situation : les grèves, le fort chômage et l’insécurité (600 prisonniers ont
été libérés lors de la révolution et la police était peu active) ont fait souffrir les micro-entreprises. Les magasins ont été pillés, quelques locaux
ont été incendiés, les circuits commerciaux avec des pays comme la
Libye ont été coupés et donc les taux de remboursement ont chuté.
Pour permettre à ces micro-entrepreneurs de se remettre, Enda a
introduit des prêts à des taux très faibles et les met en relation avec
des donateurs. Pour Michael Philip Cracknell, le fond du débat reste
la politique néo-libérale des années 1990 qui n’a eu d’autres buts que
d’enrichir les riches et d’appauvrir les pauvres, notamment en réduisant les impôts qui est le moyen par lequel l’Etat peut aider les pauvres.
Frédéric Roussel ajoute que le Consensus de Washington plane effectivement au dessus des débats et que la 4ème édition du Forum Convergences 2015 a aussi pour objectif stratégique de jeter les bases d’un
Consensus de Paris.
Jean-Guy Henckel souligne que la confrontation de son action à celle
des autres panélistes qui ont davantage une action au Sud est inédite
et très intéressante car ces approches peuvent s’inspirer mutuellement.
Jean-Guy Henckel fait partie du mouvement de l’insertion par l’activité économique lancée dans les années 1970 et dont l’objectif était de
réinsérer les publics en difficulté qui vivaient en centres d’hébergement.
Pour cela, les travailleurs sociaux ont pensé à créer des entreprises pour
ces personnes en difficulté mais n’avaientt aucune formation pour ce
faire. C’est à cette période que Jean-Guy Henckel a monté une petite
expérience, les Jardins de Cocagne, qui sont le moyen d’aborder un
territoire dans toute sa diversité : entreprises, pouvoirs publics, agriculteurs et personnes défavorisées se rassemblent pour parler d’un projet
commun. Jean-Guy Henckel rejoint les autres panélistes sur le fait qu’il
est indispensable de passer de l’urgence au développement en ne montant pas un dispositif de plus dont on sera fier mais en permettant que
les parties prenantes s’approprient cette idée et soient en autonomie.
Chaque jour, l’organisation des Jardins de Cocagne reçoit une demande
pour installer ce dispositif dans une région en France, ce qui fait une
marge de progression de 200 entreprises par an. Mais les membres de
l’association ont décidé de n’en créer que 10 ou 12 en faisant le choix de
prendre le temps de fédérer toutes les parties prenantes pour rendre
les jardins parfaitement viables : il faut laisser le temps aux intérêts personnels de s’exercer pour que l’intérêt collectif puisse prendre corps.
Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Table-ronde Création d’emplois et de revenus pour les plus pauvres : quel rôle pour les ONG ?
53.
Questions:
•On a vu une grosse évolution depuis 30 ans, en particulier avec
le problème du lien entre le politique et le développement sur le
terrain : les politiques locaux se désinvestissent, or la pérennité
ne peut exister sans eux. Par ailleurs, le problème des salaires
proposés par les ONG se fait de plus en plus sentir. Pourriez-vous
vous exprimer sur ces sujets ?
•Vous avez tous fait référence aux rôles des acteurs du développement public, associatif et privé. Alain Boinet a parlé d’une substitution possible des ONG aux états faibles, en situation de post
crises. Les autres panélistes peuvent-il également s’exprimer sur
ce sujet ?
•Frédéric Roussel croit beaucoup dans le « cash for work » qui est
créateur d’emploi mais on a vu que les objectifs et les moyens
de mise en œuvre sont très différents entre ONG. J’ai personnellement travaillé en Haïti pour Action contre la Faim sur un
programme de « cash for work » et c’était très sensible parce qu’il
s’agit de l’injection de beaucoup d’argent dans des bidonvilles.
Est-ce que les intervenants pourraient faire un bilan tant sur le
plan de la sécurité alimentaire que de l’emploi, notamment à Port
au Prince, de ce dispositif du « cash for work » ?
•Pourriez vous nous expliquer comment se coordonne l’action des
ONG sur le terrain ?
Pour Bénédicte Hermelin, la question des salaires est un vrai problème. Au GRET, nous portons une attention particulière au niveau
de salaires : ils sont toujours 20% au dessus du salaire minimum du
pays, quelqu’il soit, et nous tachons d’avoir une échelle de salaire
aussi resserrée que possible. On fait des études régulières sur les
niveaux de salaire et on se place à un niveau comparable à ce qui
se fait dans le pays et dans le milieu. Il est vrai que les ONG peuvent participer à la distorsion du marché de l’emploi en arrivant.
En ce qui concerne la coordination, il est très compliqué de se coordonner entre acteurs d’urgence et de développement car nous n’avons
pas les mêmes pratiques, ni les mêmes objectifs. On dialogue mais on ne
réussit à travailler qu’avec certaines ONG en Haïti car d’autres refusent.
Pour la question de la substitution Etats fragiles, ce qui fonctionne bien,
c’est de travailler avec les collectivités locales, pour les former et les
rendre plus efficaces.
Frédéric Roussel reste un fervent partisan du « cash for work » car
c’est, pour lui, le moyen le plus massif d’insérer de l’équité dans une
communauté. Il faut, bien sûr, faire attention à l’approche communautaire, sélectionner des activités qui ne sont pas sensibles, payer des
salaires en ligne avec ce qui se fait mais cela permet, en période de
crise, d’employer beaucoup de gens.
Sur la question de la mobilisation des pouvoirs publics, Frédéric
Roussel a tenu à faire le lien avec la question du débat public, celle
de savoir comment l’action des ONG pourrait être relayée par tous au
sein du débat public.
Ce qu’il faut retenir c’est qu’un jardin bio en Auvergne ou au Kenya,
finalement, c’est la même chose et que la solidarité a plusieurs villages
et plusieurs visages mais elle est la même partout.
Pour Jean-Guy Henckel, ce qu’il faut comprendre, c’est qu’on ne peux
pas dire aux pouvoirs publics qu’on va se substituer à eux pendant
quelques temps pour s’occuper des publics en difficulté et après leur
rendre le pouvoir. Les pouvoirs publics, seuls, ne savent pas s’occuper
des pauvres. Aujourd’hui, il est important pour les organisations sociales
de pouvoir changer d’échelle. Or, elles n’ont pas d’argent pour cela et le
tête à tête avec les pouvoirs publics n’est pas satisfaisant. C’est pourquoi,
Jean-Guy Henckel a appelé à un partenariat tripartite, public-privésolidaire pour réinventer une démocratie participative.
Pour Alain Boinet, la coordination entre ONG sur le terrain est assez
difficile. Il s’agit de répondre à des besoins de manière complémentaire
avec d’autres acteurs : les ONG doivent donc s’informer sur celles qui
sont déjà présentes ou répondre à des besoins auxquels personne ne
répond. Le problème arrive lorsqu’il y a trop d’acteurs (au Kosovo, 350
ONG étaient présentes sur un territoire grand comme deux départements français) ou pas assez (au Darfour, il y avait 2 millions de déplacés
sur territoire grand comme la France et très peu d’ONG présentes). Dans
le cadre de la réforme sur son fonctionnement, l’ONU a mis en place
des « clusters » qui sont des structures thématiques (réfugiés, logistiques, eau…) de coordination des acteurs nationaux et locaux. C’est
une bonne idée mais elle ne fonctionne pas toujours. Le problème de la
coordination avec l’ONU, c’est que cette organisation a deux mandats,
humanitaire et politique, et que les ONG se trouvent prises dans des
tractations politiques qui peuvent entraver leur action.
Selon François Danel, un véritable effort de coordination a été fait pour
l’aide d’urgence en Haïti.
Sur la question de la substitution, il faut que les ONG soient capables
de limiter leur intervention au secteur sur lequel elles ont de la valeur
ajoutée et de passer le relais aux acteurs locaux lorsqu’elles sortent de
ce périmètre.
54. Convergences 2015
Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements
Rapporteur officiel:
Priscilla de Moustier, OXUS
Changement d’échelle : quelle taille une entreprise
sociale peut-elle atteindre sans compromettre
son modèle ?
Table-ronde // Entrepreneuriat social
Modérateur
Olivier Kayser
Directeur Général, Hystra Consulting
Intervenants
Laurence Grandcolas Lamoureux
Responsable développement, Ashoka France
Johny Joseph
Directeur, Creative Handicrafts
Laurent Muratet
Directeur Marketing et Communication, Alter
Eco
Christophe Roturier
Directeur délégué, Max Havelaar France
Résumé analytique
La diversité des sujets traités et des organisations participantes à
Convergences 2015 témoigne de la multiplication des initiatives
en faveur d’enjeux du développement. Nous pouvons nous en
féliciter. Pour autant, face aux enjeux colossaux pointés par les
Objectifs du Millénaire, la recherche d’impact à grande échelle est
un élément clef pour que nos dispositifs soient satisfaisants. Leur
nombre ne suffit peut-être pas, la taille serait essentielle. La problématique de cette table ronde soulève alors plusieurs questions
: comment, dans leur développement, les entreprises sociales
peuvent-elles conserver leur ADN culturel, autour duquel l’entrepreneur a initialement bâti son projet, et fédérer les membres de
leur équipe ?
Si en étant plus petit, on est plus agile, comment maintenir les
dynamiques d’innovation et de pertinence dans les réponses aux
besoins que nous adressons sur le terrain ? Pour pérenniser un modèle, quand peut-on considérer que la taille critique est atteinte ?
Alors que Bill Drayton, fondateur d’Ashoka, définit l’entrepreneur
social comme le réinventeur de tout un secteur d’activité pour
servir des finalités sociales, la mission de son entreprise peut-elle
supporter des limites de taille ?
Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Table-ronde Changement d’échelle :
quelle taille une entreprise sociale peut-elle atteindre sans compromettre son modèle ?
55.
Synthèse
Plusieurs témoignages, de pays et de secteurs différents, apportent
leurs éclairages.
Johny Joseph nous présente Creative Handicrafts, Inde, qui distribue
des produits artisanaux, sous un label « Fair Trade » (jouets, objets de
décorations …). Cette organisation a créé de l’emploi pour près de 1000
femmes et génère un chiffre d’affaire d’1 million d’euros. Pour Johny
Joseph, toute organisation a son cycle de vie. Il est naturel pour elle de
se développer, de grandir : la question reste de savoir jusqu’où ? Il s’agit
alors de bien comprendre de quelle croissance nous parlons : croissance financière (autocentrée sur le résultat financier de son activité)
ou croissance inclusive (englobant la redistribution de valeur vis-à-vis
de l’ensemble de ses parties prenantes), c’est-à-dire comment faire pour
que mon activité profite à de plus en plus de monde. Dans l’atteinte de
ces objectifs, des risques demeurent : le poids d’un système qui peut
biaiser les choix et les responsabilités des individus qui le compose.
Dans le prolongement de cette idée, Johnny Joseph termine en nous
interrogeant sur nos systèmes de production : passer d’un modèle de
production de produits de masse vers un modèle de production par
les masses (i.e. générant un emploi et des revenus pour les masses).
Laurent Muratet nous présente Alter Eco, France, qui emploie 45 personnes et commercialise des produits bio-équitables, achetés auprès
de petits producteurs. Leur mission s’intègre dans les interdépendances
du développement durable, en répondant à la fois à des enjeux sociaux
(amélioration des revenus des petits exploitants) et environnementaux
(préservation et valorisation des espaces agricoles et naturels). Depuis
11 ans qu’Alter Eco existe, cela ne fait que 2 ans que l’entreprise est profitable. Elle a atteint en 2010 un chiffre d’affaires de 15 millions d’euros.
Pour Laurent Muratet, la recherche de pérennité de son action passe
par l’atteinte d’une taille critique. Elle est la seule à même d’assurer
la survie du modèle et donc de servir durablement sa mission. Pour
autant, une taille optimale est atteignable sans qu’elle soit sans limite.
En effet, plus une entreprise est petite, plus elle semble connectée à
son bon sens, aux réalités du terrain où elle souhaite avoir de l’impact.
Alors que le commerce équitable représente encore moins de 1% des
échanges marchands, la croissance des acteurs du marché passera
par une sensibilisation des consommateurs : vulgariser une pensée
complexe (redistribution de valeur, relocalisation de l’économie, prix
juste, agroéconomie,…) n’est pas simple.
Christophe Roturier nous présente le label Max Havelaar, France,
qui promeut le commerce équitable : un marché estimé à 3,4 milliards
d’euros dans le monde, dont 300 millions d’euros en France. Pour Christophe Roturier, la croissance de son organisation est essentielle pour
atteindre plus d’impact direct et pour influencer davantage les règles
des échanges mondiaux. Cette croissance participe ainsi à plusieurs
objectifs : renforcer le système du commerce équitable, élargir ses zones
de solidarité (accompagner de nouveaux producteurs labélisés, intégrer de nouvelles organisations et de nouvelles filières) et densifier
56. Convergences 2015
l’impact des productions déjà labélisées. Christophe Roturier nous
fait observer qu’un agriculteur isolé ne peut rien ; les organisations
collectives sont nécessaires pour influencer des négociations commerciales et peser sur le développement d’un territoire. Pour autant,
le développement de démarche collective n’est pas simple : comment
rendre visible les intérêts de pratiques qui peuvent, à court terme,
être vues comme contraignantes ? Dans le système de labellisation de
commerce équitable Max Havelaar, les producteurs sont inclus dans
les organes de gouvernance internationale. Ils peuvent peser sur les
grandes orientations du système. Aujourd’hui, on estime que le secteur
du commerce équitable touche environ 1,5 millions de producteurs et
travailleurs regroupés dans plus de 800 organisations : face à 1 milliard
de petits producteurs dans le monde, les perspectives de développement restent gigantesques.
Laurence Grandcolas Lamoureux nous présente Ashoka, France,
qui est un réseau de soutien auprès de 3000 entrepreneurs sociaux,
répartis dans 70 pays. Créé il y a 30 ans, Ashoka emploie aujourd’hui
200 collaborateurs et gère un budget de 25 millions d’euros. A travers
l’action des entrepreneurs qui composent ce réseau, Ashoka estime
améliorer la vie de 300 millions de bénéficiaires.
Forte de l’expérience des entreprises sociales de ce réseau, Laurence
Grandcolas Lamoureux observe que leur croissance ne se fait pas
uniquement par une croissance organique centrale. Elle peut passer
par des effets de réseau, le développement de partenariats, des collaborations ouvertes, et de l’essaimage. La démultiplication des effets
d’un modèle peut ainsi passer par son enrichissement par d’autres.
Laurence Grandcolas Lamoureux insiste alors sur la question du
financement : comment attirer les investissements nécessaires aux
plans de développement ? Peut également se poser la question du
respect et de la transmission des valeurs initiales, portées par l’entrepreneur historique. Différentes modalités existent pour que la taille
n’impose pas de compromis (exemple : une charte de principe pour
l’entreprise sociale des Jardins de Cocagnes). Enfin, reste l’enjeu de
l’entrepreneur : la croissance peut éloigner le fondateur du terrain et du
contact avec les bénéficiaires. En a-t-il envie ? En a-t-il les compétences ?
Olivier Kayser nous présente Hystra Consulting qui élabore et
construit des projets réunissant les expériences d’entrepreneurs sociaux
aux ressources de grands groupes : tirer partie des fortes capacités
à innover des uns et à répliquer à grande échelle des autres. Ayant
travaillé dans le secteur de l’énergie, notamment sur la valorisation de
petites unités de lampes à panneaux photovoltaïques, Olivier Kayser
revient sur le cas de Grameen Shakti, distribuant ses produits à près
de 700 000 familles. Cette organisation recherche en permanence le
double impact : fournir un équipement essentiel, tout en créant des
emplois locaux (installation, formation, maintenance). Au risque de
prendre du temps, ils ne souhaitent pas avancer l’un sans l’autre. Ce
type de question est fréquente chez les entrepreneurs sociaux : réussir
sur le « quoi » mais également sur le « comment ».
Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements
Au-delà des choix stratégiques des entrepreneurs, Olivier Kayser
insiste sur le fait que la croissance de leurs projets dépendra également d’externalités et de leur capacité à les modifier à leurs avantages :
modifier certaines réglementations ainsi que le niveau d’information
auxquels les consommateurs ont accès, par exemple.
développement, plusieurs étapes et questions clefs ont été identifiées :
seuil de rentabilité, redistribution des richesses créées parmi les parties
prenantes, réplication sur d’autres territoires, respect des valeurs initiales, pertinence du modèle au cours du temps, rôle de l’entrepreneur
dans son entreprise et place de son entreprise dans son écosystème.
Pour servir sa mission dans le temps, l’entrepreneur social doit pérenniser son modèle économique. Cela passe vraisemblablement par
l’atteinte d’une taille critique. Si cette croissance sert l’autonomisation
du modèle, elle participe aussi à son efficacité face à des enjeux de
solidarité qui restent massifs, au Nord comme au Sud. Sur ce chemin de
Rapporteur officiel: Olivier Maurel, danone.communities
Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Table-ronde Changement d’échelle :
quelle taille une entreprise sociale peut-elle atteindre sans compromettre son modèle ?
57.
Conversation entre un entrepreneur social,
une entreprise de commerce équitable et une IMF :
labels, objectifs et dérives
Table-ronde // Entrepreneuriat social et Microfinance
Modérateur
Arnaud de Bresson
Délégué Général, Paris EUROPLACE
Intervenants
François Marty
Président, Chênelet
Franck Renaudin
Directeur Général, Entrepreneurs du Monde
Roger Persichino
Universitaire
Jérôme Schatzman
Directeur Général, Tudo Bom ?
Résumé analytique
Comment conjuguer l’économique et le social dans différentes
activités d’entrepreneuriat social et de microfinance, dans l’humanitaire et dans le commerce équitable ?
58. Convergences 2015
Cette table-ronde démontre que chacun dans son secteur, tout en
faisant face à des défis propres, s’engage vers une rentabilité sur le
long terme et s’attache à donner un sens social à son activité.
Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements
Synthèse
En introduction, Arnaud de Bresson rappelle que la finance durable
est un élément clé pour la Place de Paris. Un plan d’action a été
établi au niveau de la Place pour continuer à développer nos forces
sur l’ISR, la finance responsable et la finance carbone. Il se félicite
d’avoir autour de la table trois patrons engagés qui vont pouvoir
donner un éclairage très concret de leurs pratiques. Ils ont chacun
une expérience particulièrement originale, riche d’enseignement.
Pour François Marty, il y a un réel problème de catéchisme au sein
de l’économie sociale. Bien souvent perçue comme un ratio entre
le social et l’économique, il rappelle que l’économie sociale est un
ensemble et une réelle conjonction de ces composantes. Arnaud
de Bresson confirme la conjonction de l’économique et du social
au sein de la création d’entreprise. Les deux visions sont complémentaires et liées : il n’y a pas de projet durable sans l’une et l’autre.
Avant tout, l’entrepreneur est quelqu’un qui a un rêve et qui a envie
d’entreprendre au-delà du profit. A cet égard, François Marty précise
que l’entreprise où « l’on rêve à bon cœur » permet d’avancer. Ainsi, le
social c’est défendre les acquis sociaux, de la petite enfance aux personnes âgées. Le social dans une société c’est alors ce qui distingue
la barbarie de la non barbarie. Le solidaire c’est entreprendre avec.
L’économie sociale favorise l’innovation en interne. De sa propre expérience, François Marty démontre qu’il a pu adapter des machines
complexes, destinées à des ingénieurs, à une main d’œuvre peu qualifiée. L’innovation a permis la création d’emplois inaccessibles aux
populations les plus fragiles. Par l’innovation sociale et solidaire, il a pu
inventer un business. Lauréat de la fondation Ashoka, François Marty
s’est lancé dans la construction de logements sociaux à faible charge
par l’écologie. Il a fallu réinventer la filière avant de trouver la finance.
Bien souvent dévalorisé, le travail des salariés dans le social doit être
perçu comme une passion et le sens d’une vie. Lorsque François Marty
s’interroge sur la rentabilité, il remet en cause le court terme. Ainsi, les
entreprises qui jouent sur un taux de rendement de 20% apparaissent
moins rentable sur la durée. Par ailleurs, il faut se demander ce qui est
rentable pour la société et analyser les dépenses passives (le coût d’un
chômeur). Il y a un besoin pressant de rechercher l’économie de demain.
Entrepreneurs du Monde conduit des programmes de microfinance.
Cette association a pour mission de donner accès à des services financiers à des familles vivant dans des conditions très précaires afin de
développer une petite activité économique. Pour ce faire, Entrepreneurs du Monde inscrit son action dans une vision sociale. Ainsi, afin
de poursuivre son objectif premier – l’accès aux besoins fondamentaux des populations vulnérables – la microfinance doit impérativement être suivie par des services non financiers complémentaires :
des formations, un accompagnement et du social dans certains cas.
Selon Franck Renaudin, la microfinance a parfois dérivé de cet objectif
initial pour devenir une activité seulement commerciale. Entrepreneurs
du Monde est une entreprise sociale en ce qu’elle travaille avec des
bénéficiaires qui n’ont ni accès au secteur bancaire traditionnel, ni aux
autres institutions de microfinance. Contrairement à d’autres institutions qui s’adressent uniquement à des bénéficiaires qui ont déjà une
activité, Entrepreneurs du Monde encourage la création d’activité. Elle
poursuit ainsi son objectif initial en ciblant les familles bénéficiaires et
en allouant des crédits sans garantie à des montants très faibles (parfois
aussi peu que 15 €). L’emprunt est ainsi effectué par le biais d’un programme de remboursement très flexible selon les capacités des familles.
La tension entre objectifs économiques et sociaux est forte et fréquente
dans le domaine de la microfinance. Elle explique bien des dérives dans
ce secteur, dont parlent les médias. On assiste à un vrai phénomène de
financiarisation de la microfinance. Pour Entrepreneurs du Monde, l’objectif est d’appuyer des organisations pour qu’elles deviennent indépendantes financièrement. Il est néanmoins fondamental de placer l’objectif
social en priorité. A cet égard, la pérennité financière suit toute activité
sincèrement orientée vers les plus pauvres. Preuve à l’appui, Franck
Renaudin cite des exemples de programmes qui ont maintenu ce cap de
la logique sociale et qui accèdent aujourd’hui à leur indépendance financière. A contrario, une organisation partenaire d’Entrepreneur du Monde
qui s’est lancée dans une activité plus lucrative a perdu en viabilité.
De son expérience dans des ONG humanitaires, Roger Persichino
revient sur le rôle de l’humanitaire. Pour lui, un chef de mission développe des activités dans des pays où l’ONG n’est pas encore implantée.
Cette fonction recouvre les champs traditionnels de l’action d’entreprises
sur le terrain afin d’analyser les besoins des bénéficiaires, de dégager les
ressources ou de mobiliser les équipes. Néanmoins, il s’agit de libérer du
sujet la tension entre l’objectif social et l’objectif commercial. L’humanitaire ne pose pas ces termes comme tels : les moyens sont au service
de l’action sociale ou de la mission sociale de l’organisation (sur le terrain ou au siège). En revanche, il y a des tensions sociales qui émergent
et qui entrent en tension avec la mission sociale de l’organisation.
Qu’est ce donc que le social ? Roger Persichino introduit cette interrogation par son expérience au Pakistan en 2005. Suite au séisme, il a
fallu mobiliser des tentes d’hiver pour près de 3 millions de déplacés.
La survie de ces populations déplacées s’est heurtée aux conditions
de production des tentes sollicitant le travail des enfants. Quand on
parle de social, il faut ainsi se demander si l’on parle du champ des
bénéficiaires ou de la société en général, de l’urgence ou du long
terme. L’idée n’étant pas de sauver des vies par le travail des enfants.
Dans quelle mesure peut-on relier l’urgence de la situation et l’impact
social de la production. Dans l’humanitaire, le social recouvre des
dimensions entre l’international et le national. Roger Persichino
a été confronté à des dissensions avec les employés internationaux
plus que les nationaux sur les acquis sociaux. Au final, à la question
« qu’est-ce que le social ? », il répond que ce sont des choix à effectuer.
Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Table-ronde Conversation entre un entrepreneur social, une entreprise de commerce équitable et une IMF :
labels, objectifs et dérives
59.
Lorsqu’il lance Tudo Bom ? en 2002, Jérôme Schatzman entreprend
de remonter toute une filiale de production, de la matière première
coton à la marque de vêtement fabriquée au Brésil, à l’encontre du
flou artistique de la chaîne de production qui mobilise pourtant de
nombreux enjeux sociaux et environnementaux. Jérôme Schatzman
souligne ainsi l’ambition du projet : le changement est opéré en mettant en place une véritable filière intégrée verticalement qui apporte la
transparence. Tudo Bom ? replace le côté human inside au cœur de ses
produits et cette méthode se traduit sur le vêtement : on peut directement identifier la confectionneuse de son vêtement sur le site internet.
Jérôme Schatzman évoque les tensions entre objectifs économiques et sociaux dans le commerce équitable. La transparence et
la confiance apparaissent comme des éléments centraux du progrès.
Il est difficile de faire supporter tous les coûts au client final, il faut donc
activer des types de financement propres à la coopération internatio-
60. Convergences 2015
nale et locale. La mission du commerce équitable se heurte ainsi à cette
question de rentabilité de l’activité. La rentabilité économique reste
néanmoins un outil de mesure afin d’obtenir un équilibre financier et
de rendre un modèle duplicable. Autrement dit, si l’économique reste
un outil d’échange et de commerce, il permet de dupliquer des activités
à l’infini, le commerce équitable pouvant ainsi s’insérer dans le système.
Il existe par ailleurs un risque quant à la subvention de l’inefficacité en soutenant les producteurs qui dégagent une rente. Pour Jérôme Schatzman
s’il faut aussi mesurer les autres rentabilités sociales et environnementales, la tendance à la monétisation de l’impact social présente à cet égard
un écueil. Il faut interroger notre rapport au temps afin de comprendre
de nouvelles logiques. Alors que la vision « court-termiste » suscite la
crainte au regard de la flambée des cours de coton, ces prix ont d’ores et
déjà été intégrés et absorbés dans le modèle économique de Tudo Bom?
Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements
Questions
Quels sont les labels pour une filière intégré ? Y a-t-il des labels pour
la filière entière ? La labellisation existe-t-elle dans le commerce
équitable ? Est-elle efficace ? Engage-t-elle une réelle reconnaissance de l’activité ? De la transparence ? Existe-t-il des labels dans
le microcrédit ? Dans le social business ?
On milite pour définir très clairement une microfinance sociale grâce à des
critères précis (échelle des salaires, pourcentage du niveau de l’épargne
des foyers, montant moyen des crédits) et il ne faut pas mélanger tous les
acteurs de la microfinance (Entrepreneurs du Monde avec Compartamos
par exemple).
Selon Jérôme Schatzman, la notion de transparence est fondamentale : comment se prouve-t-elle ? Par un label ? Par ce tiers qui rassure
davantage le consommateur. Le label est lié au temps court : en 1988, le
label Max Havelaar a souhaité vendre du café en supermarché pour un
achat rapide des courses. Dans le commerce équitable, la labellisation est
uniquement privée. Il n’y a pas encore de labellisation publique en France.
Au Brésil, la définition publique du commerce équitable commence à
exister. Il y a deux types de labellisations : la labellisation horizontale, qui
consiste en l’audit de ses pairs, et la labellisation verticale de cabinets
d’audit. Il faut savoir que pour la plupart des producteurs de coton, vu
de Sao Paulo, il est souvent choquant de recevoir un auditeur de France,
payé à un niveau peu comparable à leurs salaires. On retombe ainsi
sur la question de la transparence et de la confiance : il est plus facile
de défier l’auditeur. Certaines marques seront plus aptes à générer de
la confiance par la cohérence de leur discours et de leurs actes que par
des labels. La question n’est pas évidente. A la base c’est un atout commercial. Au final, quand on vend des produits d’entreprises sociales ou
solidaires, c’est la qualité du produit ou du service qui doit être le premier
argument. Le label ne remplacera pas un café mauvais. Les certifications
ISO se muent en combat pour se mettre en conformité vis-à-vis de la
certification. Au final, le risque zéro par la certification absolue tourne
en rond. En revanche, les consommateurs et les associations ont un rôle
à jouer dans ce circuit de la transparence.
Nous constatons que la sphère de la microfinance connait une certaine dérive. Alors que la plupart des institutions de microfinance
s’alimentent sur les marchés financiers classiques, mais pratiquent
des taux exorbitants pour les populations vulnérables, le système
soulève une incohérence et entraine une situation dramatique pour
le remboursement des clients.
Pour Franck Renaudin, il y a un mouvement vers des labellisations
proposées aux acteurs de la microfinance. Cette tendance est positive :
elle est liée à une prise de conscience du secteur et de l’importance de
choisir des partenaires avec une mission sociale extrêmement prononcée.
La question de la sincérité est fondamentale. En effet, ces dispositifs ne
fonctionnent que si la démarche sociale est sincère. On ne peut pas
décréter unilatéralement une mission sociale dans la microfinance. Si la
mise en place de ces différentes initiatives est intéressante, elle s’inscrit sur
le long terme et repose sur la participation et l’acceptation des acteurs.
Une fois mis en œuvre, il faut ensuite exploiter et améliorer ces mesures
pour aller encore plus loin dans cette mission sociale. Or beaucoup
d’acteurs contournent ces différents mécanismes.
Selon Franck Renaudin, des secteurs entiers du microcrédit en Afrique
ont besoin d’avoir un accès au microcrédit, sans pour autant avoir forcément besoin d’un accès à un accompagnement social. A ce titre, une
microfinance minimaliste, sans accompagnement social, est tout à fait justifiée dans certains contextes. Par contre, ce terme microfinance regroupe
des acteurs ayant des objectifs très divergents, voire contradictoires. Or ce
secteur est clairement à segmenter pour que l’on sache de quelle microfinance on parle. On a identifié la dérive provoquée par cette approche très
financière de certaines IMF. Au niveau du fonctionnement du système,
les rémunérations des investisseurs présentent un problème éthique :
des personnes dégageront des revenus parfois significatifs en plaçant
des fonds à des taux de 6-8% par an. Si elle n’est pas généralisable, cette
tendance est réelle. Il est important d’aboutir à une définition précise de
ce que serait une microfinance sociale. Il faut aussi militer pour une baisse
des taux d’intérêt puisque les IMF font d’importants gains de productivité.
Arnaud de Bresson conclu que l’économie sociale ne doit pas être
une Eglise. Il n’y a pas d’un côté l’économique et de l’autre le social. Le
comportement social doit se développer dans le mainstream, concerner
l’universalité des entreprises et des comportements.
L’ économie sociale ne doit pas comporter de chapelles, où chacun serait
retranché dans sa spécialité. Toutes les initiatives doivent contribuer à la
même cause. Il faut bénir toutes les initiatives de création d’entreprise
pour le changement du modèle économique dans le monde.
Rapporteur officiel:
Convergences 2015
Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Table-ronde Conversation entre un entrepreneur social, une entreprise de commerce équitable et une IMF :
labels, objectifs et dérives
61.
Du Sud vers le Nord : la reproduction de méthodes
et de pratiques pour répondre aux problématiques
sociales
Table-ronde // Economie sociale et solidaire et Social business
Modérateur
Olivia Verger-Lisicki
Responsable Programme BoP,
IMS-Entreprendre pour la Cité
Intervenants
Daniel Dantand
Chef de Projets Responsabilité Sociétale à la
Direction de la Stratégie et du
Développement Durable , GDF SUEZ
Bénédicte Faivre-Tavignot
Directrice Exécutive, Chaire Social Business,
HEC
Carlos de Freitas
Coordinateur, Palmas Institute Europe
Maria Nowak
Présidente Fondatrice, Adie
Résumé analytique
La microfinance est née dans les pays du Sud pour les bénéficiaires du
Sud. Vingt ans plus tard, les pays du Nord ont importé cette méthode
pour résoudre leurs propres problèmes issus de la pauvreté.
62. Convergences 2015
Comment assurer un transfert de compétences ? Quelles sont les autres
bonnes pratiques en faveur de la réduction de la pauvreté que les pays
du Nord pourraient emprunter des expériences des pays du Sud ?
Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements
Synthèse
Alors qu’on évoque bien souvent le transfert d’innovations du Nord vers
le Sud, on constate que ce mouvement tend actuellement à s’inverser.
En effet, l’innovation, notamment sociale, n’est plus l’apanage des pays
développés. Au Sud, la créativité et la richesse des initiatives prenant en
charge des besoins sociaux n’ayant trouvé aucune réponse satisfaisante
inspirent de plus en plus le Nord dans la recherche de solutions sociétales nouvelles. La prise de conscience de différents acteurs (publics,
associatifs, économiques) est croissante dans ce sens, à l’heure où l’on
parle de plus en plus de reverse innovation (innovations conçues dans
les pays émergents, puis développées mondialement) et où, surtout,
le Nord est confronté à la montée des précarités qui nécessite des
approches inédites pour répondre à l’ampleur des besoins.
Au-delà de l’enjeu d’innovation cher aux entreprises, celles-ci ont un
intérêt grandissant pour le sujet, avec :
• la volonté du secteur privé de contribuer à la lutte contre la pauvreté,
au-delà de la pure philanthropie ;
• la stagnation des marchés « classiques » dans les pays développés,
qui pousse à investir de « nouveaux » marchés auprès de clientèles
jusque-là délaissées ;
• une motivation forte des salariés sur ces projets qui renouent avec leur
recherche de sens au travail.
Mais comment peut-on importer les approches du Sud, avec toutes
leurs spécificités, au Nord ?
Les intervenants ont mis en avant différents freins :
• La mauvaise connaissance des populations en situation de pauvreté
est le principal frein actuel. Il faut aller à la rencontre de ces personnes
pour apprendre à les comprendre et délimiter les contours de cette
pauvreté.
• Le cadre légal du Nord : au Sud, le cadre pour lancer les démarches
est souvent informel. Dans les pays développés, les démarches sont
rendues longues et difficiles car la réglementation n’est pas encore
adaptée à ces projets.
• Il faut faire avec l’existant au Nord quand au Sud les démarches partent
d’un terrain plus vierge, où la marge de manœuvre est plus grande.
Dans ce cadre, les conditions de succès suivantes pour des applications
au Nord ont été soulignées :
• La vision doit être systémique : tous les leviers doivent être activés au
Nord, du législatif à l’échelon citoyen. Il est important de trouver une
pédagogie de formation de l’opinion publique sur les sujets de lutte
contre la pauvreté. Les citoyens ont un rôle essentiel à jouer pour faire
bouger les lignes et permettre une réaction pertinente des autorités
publiques.
• L’ approche doit être expérimentale, avec des tests sur des zones pilotes
avant d’envisager des applications à grande échelle.
• Le projet doit être envisagé sur le long terme : il faut sortir du modèle
de « court termiste » ambiant et concevoir ce transfert d’innovations
sur un temps long.
• Tous les acteurs qui ont un rôle à jouer doivent travailler de façon
conjointe : la co-création est une démarche nécessaire, les entreprises
doivent s’associer aux ONGs et associations qui ont une forte légitimité
et une bonne connaissance du terrain. Elles doivent également aider
les entrepreneurs sociaux à changer d’échelle.
• Les réponses apportées aux besoins sociaux nécessitent une approche
transversale, prenant en compte l’interdépendance forte des difficultés
rencontrées par les populations pauvres (emploi, logement, accès aux
biens essentiels…).
• Les populations pauvres ne doivent plus se sentir stigmatisées : dans
les pays en développement, la pauvreté n’est pas vécue comme une
honte et il s’agit bien souvent d’une pauvreté active. En France, et
dans les pays du Nord plus généralement, les personnes en situations
de pauvreté ont un sentiment fort d’exclusion et il faut arriver à leur
rendre leur dignité.
Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Table-ronde Du Sud vers le Nord :
63.
la reproduction de méthodes et de pratiques pour répondre aux problématiques sociales
Sur la question du transfert des innovations en faveur des populations
pauvres du Sud au Nord, il apparaît donc que l’agrégation de plusieurs
acteurs est essentielle. Chacun à un rôle à jouer par rapport à ce qu’il peut
apporter : les entreprises pour leur approche économique, les associations et ONG pour leur légitimité et leur connaissance de ces populations,
l’Etat et les autorités publiques pour la constitution du cadre législatif et
les citoyens pour la pression qu’ils peuvent exercer pour faire avancer
et changer les choses. L’opinion publique doit être transformée. Même
si les freins sont nombreux, la prise de conscience et l’intérêt montants
64. Convergences 2015
pour le sujet sont autant de leviers à actionner pour mettre en place les
démarches qui permettront de faire reculer la pauvreté dans les pays
du Nord.
Rapporteur officiel :
Olivia Verger-Lisicki, IMS-Entreprendre pour la Cité
Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements
BoP 2.0 pour les grandes entreprises :
co-créer de la richesse à la base de la pyramide
Atelier // Social Business et BoP
Modérateur
Henri de Reboul
Délégué Général, IMS-Entreprendre pour la Cité
Intervenants
Sébastien Goua
Chargé de projet, Croix-Rouge
Sébastien Lambroschini
Directeur, ACTED Corne de l’Afrique
Emmanuel Marchant
Délégué Général, danone.communities
François Perrot
Chef de projet, Lafarge
Shyama Ramani
Professeur, Maastricht University School of
Business & Economy
Fabienne Riom
Responsable France BoP Learning Lab, pôle RSEBoP, ESSEC IIES
Bernard Saincy
Directeur responsabilité sociétale - Direction
du développement durable, GDF SUEZ
Rustam Sengupta
Fondateur, Boond
Gilles Vermot-Desroches
Directeur du Développement Durable,
Schneider Electric
Résumé analytique
Depuis quelques années, les stratégies BoP (Base of the Pyramid)
suscitent un intérêt croissant. Du Bop 1.0 a découlé le protocole du
BoP 2.0 qui conditionne les stratégies et le succès du BoP 2.0. Celuici est une bonne approche dans la théorie mais ne correspond pas
réellement aux réalités de terrain. Il faut donc élargir cette voie afin
de pouvoir répondre aux attentes des entreprises et aux besoins
Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Atelier
des populations pauvres en combinant plusieurs démarches. Il
s’agit de commencer par la co-création de marché, d’impliquer la
communauté dans les projets, de comprendre les besoins pour créer
l’offre. Il est nécessaire de créer l’accès aux produits et aux services
BoP pour les populations pauvres. Le BoP est un enjeu stratégique
pour l’entreprise pour laquelle il faut trouver le bon business model.
BoP 2.0 pour les grandes entreprises : co-créer de la richesse à la base de la pyramide
65.
Synthèse
Depuis plusieurs années, les entreprises tentent d’inventer des produits et services et de nouvelles façons de vendre adaptés aux communautés pauvres. Avec la première approche BoP avancée par C.K.
Prahalad, il s’agissait d’adapter le produit et d’atteindre le consommateur.
Comme le souligne également Sébastien Goua, il faut que les associations apprennent elles aussi à inclure les entreprises dans leurs projets.
La démarche consiste à s’appuyer sur un business model solide
pour apporter une pérennité à la finalité sociale, qui manque
aux initiatives de charité pure. Le profit devient alors un véhicule pour mieux lutter contre la pauvreté, pour atteindre et maximiser l’impact social ; impact à définir en fonction du métier de
l’entreprise et du territoire sur lequel cette dernière s’implante.
• Le social business est un business model de proximité : Emmanuel Marchant évoque l’importance d’utiliser les ressources locales, de travailler
avec les populations locales et de donner une chance aux personnes
les plus pauvres de ces communautés.
Les critiques sur cette vision ont été nombreuses, avec une mise en exergue
du fait qu’on ne peut régler le problème de la pauvreté simplement
en considérant les populations pauvres comme des consommateurs.
L’entreprise doit également participer à l’augmentation de leurs revenus.
Le Protocole BoP 2.0 a été co-écrit par le Professeur Stuart Hart et Erik
Simanis1 sur la base d’expériences d’entreprises et en croisant différents champs académiques. Il a plusieurs objectifs : dans un premier
temps, celui de les connaître et de les comprendre, malgré la distance
qui existe entre ces populations et les grandes entreprises. Ensuite,
pour créer un environnement propice à la conception d’un nouveau
produit, un espace R&D qui innove en profondeur. Ce protocole est
un bon stimulant méthodologique, néanmoins ce n’est pas exactement ce qui se passe en réalité et il faut aller plus loin dans cette voie.
Il existe un fossé entre ce que la plupart des entreprises veulent
– aller plus loin avec les communautés – et la réalité des affaires
– l’exigence du retour sur investissement à court terme. Malgré
cela, qu’est-il possible de faire ? Jusqu’où peut aller l’implication
des différents acteurs et l’innovation du modèle économique ?
Dans une démarche dite «2.0», il faut commencer par co-créer le
marché. C’est un processus long et difficile impliquant des acteurs
nombreux et différents :
• La construction doit se faire avec toutes les parties prenantes : ONG et
associations, entrepreneurs sociaux, partenaires financiers, pouvoirs
publics, populations ciblées.
Les partenariats doivent être construits à partir de ce que chacun peut
apporter.
• Les entrepreneurs sociaux, ONG et associations ne doivent pas être
considérés par l’entreprise comme des sous-traitants ; ils apportent une
connaissance de la population et permettent notamment de faire le
lien avec celle-ci, de la mettre en relation avec l’entreprise.
• Le travail de l’entreprise doit compléter celui des entrepreneurs sociaux
et non pas le reproduire.
• L’entreprise doit apporter des compétences.
1. Il existe une version traduite en français par ESSEC-IIES et téléchargeable sur le site www.iies.essec.edu
66. Convergences 2015
• Le rôle des différents partenaires est amené à évoluer au fur et à mesure,
avec le projet.
• Il faut trouver la gouvernance la mieux adaptée, en fonction du projet,
des différents partenaires engagés et de leurs intérêts. On crée la gouvernance et le projet en même temps, ce sont deux choses qui évoluent
continuellement.
• La question de la confiance entre les acteurs est primordiale et implique
de bien cerner ce que chacun attend de l’autre.
Les partenariats avec les communautés ciblées sont au cœur du protocole
2.0 :
• Il faut trouver quelqu’un à qui parler dans la communauté : au départ,
l’entreprise qui se lance dans le social business est une étrangère qui
s’invite dans la communauté.
• Gilles Vermot-Desroches propose d’impliquer les populations BoP
soit dans une partie de la chaîne de valeur, soit dans toute la chaîne
de valeur.
Concevoir une nouvelle offre adaptée au BoP requiert bien souvent une
innovation disruptive : il faut repenser entièrement l’offre et sa plateforme
de distribution. Les démarches BoP 2.0 doivent partir du besoin pour
créer l’offre et non l’inverse.
Shyama Ramani distingue deux types de produits :
• Produit BoP : un produit ou service adapté à la population BoP.
• Produit pro-poor : un produit ou service qui aide la population BoP, qui
ne crée pas seulement de la consommation directe et classique mais
qui a un impact sur les conditions de vie de ces populations.
Les populations BoP sont mal connues actuellement des entreprises, a
fortiori leurs besoins aussi :
• Pour faire émerger les besoins et les comprendre, il est nécessaire d’aller
à la rencontre des populations, d’échanger avec elles.
• L’existence du besoin, même exprimé, ne signifie pas nécessairement
qu’il y aura une demande ; sur ce point, il est intéressant de faire appel
à un intermédiaire.
• Les populations BoP doivent faire face à différents problèmes (éclairage,
eau potable, etc.), elles ont donc besoin d’avoir le choix et de disposer
de solutions financières pour être capables de payer plusieurs services.
• L’utilisateur n’est souvent pas l’acheteur, ce qui crée un fossé, car même
si l’utilisateur souhaite acheter le produit, l’acheteur ne sera pas forcément prêt à le faire.
Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements
• La question clé du BoP 2.0 n’est pas de concevoir le produit, ni de créer
des solutions financières mais de donner l’accès au produit. L’accès
consiste notamment à offrir du choix aux consommateurs et de les
éduquer sur l’utilité des produits et services proposés.
• La distribution doit passer par une personne intégrée à la communauté,
en qui celle-ci a confiance car la vente est un élément difficile dans une
stratégie BoP. Elle doit parler le même langage et être religieusement
et culturellement liée au consommateur.
• Il faut convaincre la cible des bénéfices du produit. Rustam Sengupta
parle de la difficulté à faire accepter des solutions pour l’énergie ou
l’accès à l’eau potable, alors que certains produits sont relativement
faciles à vendre.
Pour qu’elles soient pérennes, Bernard Saincy insiste sur l’importance
d’inscrire les initiatives BoP au cœur de la stratégie de l’entreprise :
• Elles permettent de construire les marchés de demain.
• Elles concernent la responsabilité de l’entreprise auprès de ses différents
publics.
• Elles apportent beaucoup à l’entreprise en termes d’innovation.
Le BoP 2.0 consiste à réinventer un nouveau business model pour les
entreprises. Si celui-ci va permettre la pérennité du projet, il n’est néanmoins pas toujours évident de mettre en place un modèle soutenable et
efficace. Il faut trouver une solution pour chaque situation car le contexte
local est un élément important.
Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Atelier
L’exemple de Lafarge montre que les démarches 1.0 et 2.0 peuvent être
parallèles. Le groupe a lancé en Indonésie 2 projets dans deux villes différentes :
• dans la première ville, l’entreprise a développé un processus 1.0, en se
positionnant sur un marché existant et en créant des partenariats avec
des promoteurs privés locaux ;
• dans la seconde ville, elle a du créer le marché totalement, être beaucoup plus innovante, en proposant par exemple du microcrédit pour
l’habitat.
Si une initiative BoP 1.0 est un processus relativement rapide car il s’agit
de s’implanter sur un marché existant, engager une stratégie BoP 2.0
demande beaucoup plus de temps et d’énergie pour créer son marché
et son écosystème.
En effet, plutôt que de simplement adapter leur offre, les entreprises
doivent surtout le rendre accessible aux populations en situation de
pauvreté en les impliquant dans leur projet car il ne s’agit pas simplement
de vendre moins cher.
Dans les initiatives BoP, l’humilité de l’entreprise est nécessaire : tout reste
à apprendre car nous sommes encore aux prémices de ces démarches.
Comme le souligne Fabienne Riom, il faut être dans une vision expérimentale et avoir conscience que le projet évolue à mesure que les choses
se font.
Rapporteur officiel:
Olivia Verger-Lisicki, IMS-Entreprendre pour la Cité
BoP 2.0 pour les grandes entreprises : co-créer de la richesse à la base de la pyramide
67.
La crise de la microfinance : résultats de plusieurs études
Mini-conférence // Microfinance
Modérateur
Jean-Michel Servet
Professeur, IHEID
Intervenants
Sébastien Duquet
Directeur Général, PlaNIS responsAbility
Marco Fischer
Analyste senior de recherche, responsAbility
Social Investments AG
Mariana Paredes
Consultante, Marulanda Consultores
Résumé analytique
Cette table-ronde vise à donner les résultats de différentes études sur
la crise de la microfinance. Les trois conférenciers Mariana Paredes,
Sébastien Duquet et Marco Fischer ont partagé leurs explications et
leurs conclusions sur les raisons de la crise.
Mariana Paredes insiste sur six points essentiels qui permettent de
comprendre les échecs des Instituts de MicroFinance (IMF) : les défauts
de méthodologie, les malversations de prêts, l’absence de contrôle sur
la croissance, l’abandon de la niche du microcrédit, les défauts de conception et les ingérences politiques. Ces erreurs appellent selon elle des
mesures en termes de régulation et de gouvernance.
68. Convergences 2015
Marco Fischer présente les résultats d’une étude internationale sur le
surendettement et propose un indice d’alerte précoce basé sur quatorze
indicateurs, dont trois principaux : le taux de pénétration du marché, les
signaux envoyés par les établissements de crédit, et le cumul des prêts.
Enfin, pour Sébastien Duquet, la crise met en lumière les carences les
plus évidentes de la microfinance : la faiblesse des infrastructures, y
compris juridiques, la saturation du marché, la gestion des risques, les
prêts collectifs et l’attitude des investisseurs, qui doivent se montrer
plus responsables.
Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements
Synthèse
L’étude de Mariana Paredes est basée sur 10 Institutions de Microfinance (IMF) dans six différents pays d’Amérique Latine. Chaque IMF
étudiée représente un exemple d’échec spécifique. La présentation de
Mariana Paredes se concentre sur six types d’erreurs qui ont obligé les
IMF à affronter de gros problèmes et qui les ont poussé éventuellement
à l’échec. La présentation de Mariana Paredes revient également sur
les leçons apprises de ces erreurs.
Ces erreurs sont:
1.
Les défauts de méthodologie
La plupart du temps, il y a une implantation pauvre ou partielle
implantation de la méthodologie spécialisée typique du microcrédit. L’accent est mis sur l’octroi des bonus aux agents de crédit
au lieu de contrôler les risques.
2.
Les fraudes systématiques
Au niveau de la gestion:
• Prêts aux parties liées ;
• Contrat de service aux membres de la famille.
Au niveau de la vente:
• Des prêts fantômes et une information inexacte ;
• Le consentement entre le client et les bureaux de prêts.
Ces fraudes n’augmentent pas les pertes économiques mais minent
l’éthique de l’institution.
3.
4.
La croissance non contrôlée
Dans ces IMF, Il y a eu une forte croissance sur du court terme
avec un recrutement rapide de gestionnaires de crédit et un
manque de systèmes de gestion.
La perte de concentration sectorielle
Les IMF étudiées se sont essayées à d’autres activités avant
de renforcer leur propre service de microcrédit. Elles se sont
aussi implantées sur d’autres secteurs sans ajuster leur modèle
d’évaluation des risques. Mariana Paredes insiste sur le fait que
beaucoup trop de produits arrivent sur le même marché sans
études de diagnostic ou de développement d’un business model.
5.
Défauts de conception
Il n’y a pas eu d’étude du marché potentiel, et les expériences
réussies ne sont pas faciles à extrapoler pour tous les pays ou
toutes les institutions. Intervention publique.
6.
Les financements publics
Des investissements directs des gouvernements dans les IMF ont
donné lieu à l’octroi de crédits pour des raisons politiques. Par
ailleurs, les financements publics faussent et saturent le marché
, participant ainsi au développement de mauvaises pratiques
bancaires. Par ailleurs, le consentement du public crée un aléa
moral.
Il y a eu une multitude de leçons apprises. Premièrement, il est important
de savoir qu’une solution ne peut pas répondre à tous les problèmes.
Mariana Paredes dit que l’adversité stimule la créativité pour éviter de
montrer une augmentation des pertes.
Les IMF utilisent ensuite une gymnastique financière créative. Mariana
Paredes recommande beaucoup de travail et une consolidation de la
méthodologie spécialisée développée pour rencontrer les principales
caractéristiques du marché. Dans chaque cas, un système intégral de
gestion des risques est demandé. Mariana Paredes pose ensuite la
question de l’accès facile aux financements : est ce positif ou négatif ?
Un endettement excessif aggrave-t-il les problèmes de gouvernance ?
L’ accès facile aux financements est-il un frein au dynamisme ? Dans son
étude, Mariana Paredes démontre que ces financements permettent
un taux de croissance plus élevé qui peut poser des problèmes. Le risque
politique est aussi énorme pour les IMF.
Le défi est à présent de réguler et de définir un ensemble de règles et
de contrôles appropriés pour assurer un système de gestion des risques
correct. Par ailleurs, la bonne gouvernance fait la différence.
Donner l’essentiel des moyens d’actions à une seule personne, compte
tenu de la faiblesse du Conseil d’Administration et du manque de contrôle interne au sein des IMF, devrait être évité.
Marco Fischer présente son étude : « Le surendettement et la microfinance, construction d'un indice d'alerte précoce ». La définition du
surendettement est lorsque l’emprunteur ne peut pas rembourser ses
dettes en totalité et à temps comme ce fut le cas en Bosnie, au Maroc,
et au Nicaragua en 2008 et 2009.
Le problème du surendettement est qu’il crée des dégâts financiers et
sociaux. Il a un impact négatif sur les emprunteurs, les IMF et les investisseurs.
L’ objectif de cette étude est d’établir un indice d'alerte précoce pour
le surendettement et de l'appliquer à un certain nombre de pays.
L’ objectif serait d’aider à la prévention de futures crises et de développer
l’évaluation des risques de marché.
La méthodologie de cette étude était de choisir des indicateurs et de
faire une enquête étendue auprès de 120 IMF, ainsi qu’une synthèse
de la littérature académique de toutes les recherches universitaires
pour ensuite définir les index du surendettement. 14 indicateurs ont
été choisis.
Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Mini-conférence La crise de la microfinance : résultats de plusieurs études
69.
Marco Fischer s’est concentré sur trois indicateurs.
1.
2.
3.
La pénétration du marché reflète la saturation du marché. Cette
dernière est un facteur clé du surendettement.
La qualité et l’utilisation d’indicateurs sur le crédit comme par
exemple dans le cadre des centrales de risque, pour éviter le surendettement.
Les prêts multiples, qui montrent l'augmentation du risque de
surendettement.
Ensuite Marco Fischer a présenté le classement des pays qu’il a fait avec
l’indice d’alerte précoce. Le plus haut niveau de surendettement est par
exemple localisé au Pérou, au Cambodge et en Bosnie. Ce classement
n’est pas destiné à encourager ou à arrêter les investissements mais à
créer des dialogues et des débats. Ceci est le premier pas, cependant,
des recherches futures sont nécessaires. Cette recherche est la première
étude académique transnationale.
Pour Sébastien Duquet, les crises apportent un éclairage sur de
nombreux problèmes sous-jacents :
• La faiblesse du système juridique et le manque d’infrastructures
appropriées comme les centrales de risque.
•
Le manque de transparence et la communication inappropriée
entre les IMF
•
Le problème de la méthodologie de prêts collectifs.
•
Le problème de la gestion des risques.
Comment peut-on prendre en compte le surendettement durant le
processus d’investissement ?
Lors de l'évaluation de la méthodologie de crédit, certains points doivent
être vérifiés : la sélection des clients, le suivi, les contrôles, l’utilisation
des garanties, le processus de validation de crédit et de l’ évaluation
rigoureuse de la capacité à rembourser la dette.
La culture des risques devrait être évaluée à tous les niveaux : au niveau
du Conseil d’Administration et de la gestion, au niveau des ressources
humaines, au niveau de l’audit interne et au niveau de la succursale. La
gestion de la performance sociale devrait aussi être une priorité.
Pour être responsables face au surendettement, les investisseurs devraient
orienter leurs investissements, réduire le montant ou l’échéance, envoyer
des lettres officielles au Conseil d’Administration ou au comité de direction des IMF soulevant leurs inquiétudes, construire des indices de
surendettement et participer à toutes les études pertinentes sur le sujet.
• La saturation du marché.
70. Convergences 2015
Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements
Questions
Quelle est la différence entre avoir trois prêts et être surendetté ?
Marco Fischer : Cela dépend du contexte du marché ou des flux de
trésorerie et de vos capacités.
Sébastien Duquet : Le surendettement concerne habituellement les
entrepreneurs individuels. Ce qui est délicat, c'est qu'il a poussé les IMF
à cesser leur collaboration avec les entrepreneurs sociaux, tandis que
les petites entreprises ont un profil moins risqué que celles de taille
moyenne. Une solution doit être trouvée.
Commentaire du public : Les excès de liquidités ont précédé le surendettement, en constituant une offre de crédit trop importante. Nous
avons besoin d'examiner le rôle des institutions.
Marc Roesh : Il est toujours difficile de donner une définition du surendettement. Par exemple, en Inde, c’est lorsque les personnes ne sont
pas capables de trouver un autre prêteur. Cela diffère d’une famille à
une autre. Cela dépend beaucoup du système informel.
Rapporteur officiel :
Claire Alambik, BNP Paribas
Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Mini-conférence La crise de la microfinance : résultats de plusieurs études
71.
Microfinance plus : comment lier la microfinance à
d’autres services pour toucher les plus pauvres ?
Mini-conférence // Microfinance
Modérateur
Christophe Villa
Professeur, Chaire microfinance, Audencia
Intervenants
Yannick Bézy
Responsable, secteur développement économique, Inter Aide
Aude de Montesquiou
Analyste microfinance, CGAP
Rustam Sengupta
Fondateur, Boond
Résumé analytique
La microfinance peut être liée à d’autres entreprises à but social afin
de décupler leur impact. La Fondation CGAP-Ford nous présente1
le « modèle de progression »2 qui vise à contribuer à la réduction
de la pauvreté par l’autonomisation des personnes pauvres pour
apporter des changements dans leur vie. Celui-ci a pour but de
comprendre comment les filets de sécurité, la qualité de vie et la
microfinance peuvent être organisés pour créer des voies de sortie
de l’extrême pauvreté en utilisant une méthodologie développée
par BRAC3 au Bangladesh .
Le modèle de progression de la fondation CGAP sélectionne les
foyers les plus pauvres et leur offre un soutien financier et une
formation élémentaire afin qu’ils puissent se stabiliser financièrement et gérer leur épargne. Le programme leur confie alors un actif
économique qu’il aide à investir en fonction des opportunités de
marché, et guide l’investissement en s’appuyant sur des comités de
soutien et l’intervention d’un personnel accompagnant.
Les résultats, pour l’instant encourageant, sont encore à juger sur
le long terme.
Inter Aide nous présente un programme de micro-assurance santé
mis en place en Inde en 2003 qui vise à l’amélioration des qualités
de vie au niveau de la santé et de l’hygiène en réduisant les coûts
des soins de santé.
Boond nous présente sa mission qui est de résoudre certains des
gros défis mondiaux comme l’accès à l’électricité, l’accès à l’eau potable et la lutte antiparasitaire qui affectent les zones reculées du
monde. Cette entreprise sociale et durable a une approche orientée vers l’innovation.
1 Toute la partie concernant le « modèle de progression » du CGAP est tirée du document suivant:
« Créer des mécanismes de sortie de la pauvreté pour les plus démunis : premières leçons sur les
modèles associant filet de sécurité et développement d’activités », note du CGAP rédigé par Mayada
El-Zoghbi et Aude de Montesquiou, avec la contribution de Syed Hashemi, décembre 2009.
2 « graduation program »
3 http://www.brac.net/
72. Convergences 2015
Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements
Synthèse
Aude de Montesquiou travaille au CGAP pour le « modèle de progression » de la fondation CGAP - Ford. Depuis 2006, le CGAP et la
Fondation Ford ont adapté l’expérience de BRAC à d’autres contextes.
Neuf programmes de progression pilotes sont en cours en Éthiopie,
en Haïti, au Honduras, en Inde, au Pakistan, au Pérou et au Yémen, et
s’inscrivent dans les contextes institutionnels, économiques et culturels
les plus divers. Les programmes pilotes ont été mis en œuvre au moyen
de partenariats formés avec des prestataires de services financiers,
des Organisations Non Gouvernementales (ONG) et des programmes
publics de protection sociale. Plusieurs de ces programmes pilotes
mesurent l’effet de l’intervention sur la vie des participants à l’aide d’évaluations d’impact randomisées rigoureuses et/ou d’études qualitatives.
L’approche adoptée par le modèle de progression est holistique et
intensive, et elle exige un degré important d’efforts concertés. La
réussite repose essentiellement sur la bonne programmation dans
le temps des services de développement, et sur un suivi minutieux
et des interactions régulières entre le personnel du programme
et les ménages participants. La sélection des participants est cruciale car elle doit garantir que seuls les ménages les plus pauvres
sont admis dans le programme. Une première identification peut
être effectuée à l’aide d’une classification des ménages par niveau
de richesse effectuée de manière participative au sein de la communauté et par le biais d’enquêtes simples auprès des foyers. En
outre, il s’est avéré nécessaire de prévoir des visites par des cadres
du programme afin d’éviter la participation de ménages mieux lotis.
Par ailleurs, étant donné que le modèle est fondé sur le renforcement
des activités économiques, il ne peut recruter que des personnes qui
sont capables, physiquement ou mentalement, de gérer une petite
entreprise. Une fois que les participants ont été sélectionnés pour
le programme, ils reçoivent dans un premier temps un soutien à la
consommation sous la forme d’une petite somme d’argent ou de
biens en nature. Ce soutien leur donne la possibilité de « respirer », en
stabilisant leur consommation. Il peut être offert dans le cadre d’un programme de protection sociale déjà en place. Le fait de discuter du montant et de la durée du soutien avec les participants établit la confiance
et les aide à faire des projets pour la période qui suivra l’arrêt du soutien.
Une fois que la consommation alimentaire des participants a atteint un
équilibre, ils sont encouragés à épargner, en général dans un compte
individuel ouvert auprès d’une institution de microfinance (IMF).
Non seulement cette approche permet d’accumuler un patrimoine,
mais l’épargne régulière inculque une discipline financière et familiarise les participants potentiels avec l’IMF. La plupart des sites pilotes
ont ressenti le besoin de former les participants à la gestion de trésorerie et à la gestion financière. Les participants reçoivent en outre une
formation qui doit les aider à s’occuper de leurs actifs et à gérer une
activité génératrice de revenus. Même rudimentaire, une telle formation
est essentielle pour la réussite des petites entreprises. Cette forma-
tion comprend également des informations sur les sources d’assistance et les services disponibles (services vétérinaires par exemple).
Quelques mois après le début du programme, chaque participant
bénéficie d’un transfert d’actif subventionné, ce qui lui permet de
démarrer une activité économique. Pour identifier des options de
subsistance pérennes dans des filières capables d’absorber de nouveaux venus sur le marché, il faut commencer par analyser minutieusement les services d’appui et les infrastructures de marché. Une fois
que plusieurs options ont été identifiées, le participant fait son choix
dans une gamme d’actifs, en fonction de ses préférences et de son
expérience. Si l’on veut réduire les risques, les ménages doivent entreprendre plusieurs activités ; il convient d’associer des actifs à court
terme à des actifs à long terme. Si l’actif choisi est du bétail, ce dernier
doit être autant que possible résistant aux maladies et facile à soigner.
La partie cruciale du modèle est celle du suivi régulier et de l’encadrement des participants par un personnel dédié. En général, les
personnes indigentes manquent de confiance en elles-mêmes et ne
possèdent aucun capital social. La formation renforce les compétences
et la confiance, mais elle ne suffit pas à stimuler la confiance en soi. Les
visites hebdomadaires du personnel du programme dans les ménages
participants ont un but de suivi mais leur objectif principal est bien plus
de coacher les participants tout au long des 18 à 24 mois du programme.
Pendant ces réunions, le personnel aide les participants à planifier leur
activité professionnelle et à gérer leur argent, tout en offrant soutien
social et services de soins et de prévention sanitaire. Dans plusieurs cas, il
s’est révélé essentiel d’associer au programme un prestataire de soins de
santé, qu’il s’agisse d’une structure publique ou d’options offertes par des
organisations non gouvernementales. Le soutien et la solidarité fournis
par le biais de réunions de groupe et par la participation à des groupes
d’entraide contribuent également à renforcer la confiance. Plusieurs
programmes pilotes ont créé des « comités d’assistance villageoise » :
ils comprennent habituellement des personnalités locales, telles que
des membres du clergé, des enseignants ou des anciens du village.
Ces comités soutiennent les participants pendant le programme et
peuvent poursuivre leur appui après la fin du programme.
Les neuf programmes pilotes étudiés par le CGAP et la Fondation Ford
en sont à des stades différents : quatre d’entre eux ont achevé le cycle de
progression tandis que les cinq autres sont en cours de mise en oeuvre.
Dans le cas de Fonkoze (Haïti), 143 participants sur 150 ont atteint l’objectif de progression. La majorité des participants qui n’ont pas achevé
le cycle vivait dans une zone bénéficiant d’interventions humanitaires
postérieures à un cyclone, et Fonkoze a décidé de ne pas étendre ses
opérations dans cette région. À Bandhan (Bengale occidental), la proportion de participants atteignant les objectifs du programme s’élève
à 97 %, et l’organisation a déjà commencé à s’étendre dans des zones
urbaines aussi bien que rurales. À Trickle Up, toujours dans le Bengale
Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Mini-conférence Microfinance plus :
comment lier la microfinance à d’autres services pour toucher les plus pauvres ?
73.
occidental, en dépit des obstacles majeurs rencontrés par les participants
au début du projet, dont la grippe aviaire et d’autres maladies, des inondations et un puissant cyclone, 258 des 300 participants au programme
pilote avaient atteint l’objectif de progression en octobre 2009. Chacun
d’entre eux avait pu se doter d’actifs à hauteur de 150 USD, constituer une
épargne de plus de 20 USD et pouvait compter sur des sources de revenus
diversifiées. Dans l’État d’Andhra Pradesh, le programme SKS prend en
charge les participants par groupes successifs : 360 participants sur 426
avaient atteint leur objectif en octobre 2009. SKS prévoit qu’après le départ
du quatrième groupe, le taux de réussite (graduation) atteindra 97 %.
Il reste à déterminer si le modèle de progression produit un effet à long
terme sur la pauvreté ou si les participants retombent dans leur état initial
après l’arrêt du soutien. L’étude d’impact entreprise par le CGAP et la Fondation Ford va continuer à suivre les participants aux programmes pilotes.
74. Convergences 2015
Yannick Bézy a travaillé pour la mise en œuvre de programmes
de développement à différentes échelles d’implication (la microfinance sociale grâce aux formations, à l’épargne, au développement
de la famille, à des formations professionnelles et de placement, à
la mutuelle santé, etc.). Ici, il se concentre sur la micro-assurance.
L’origine de l’activité provient de l’idée que dans les zones urbaines,
les problèmes d’hospitalisation et de santé ont été les principales
causes d’échec des micro-entrepreneurs dans les programmes de
microfinance. Cela représente entre 30 et 40% des cas où les gens
sont retournés à un état de pauvreté. Tous les efforts consentis
par la population ont ensuite été ruinés. La question était donc
de créer une micro-assurance adaptée aux personnes pauvres.
Yannick Bézy se concentre sur le cas de l’Inde, où Inter Aide a
mis en œuvre un programme de micro-assurance santé en 2003.
Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements
Les problèmes de santé des habitants des bidonvilles sont liés à des
problèmes d’argent, de qualité de vie et au manque d’information.
1. En l’absence d’un système de sécurité sociale, les individus ont
besoin de financer leurs frais médicaux. Quand ils sont hospitalisés,
le gouffre financier est dû aux dépenses médicales et à la perte
du salaire journalier. Par conséquent, cela aggrave la pauvreté.
2. L’accès aux services de santé de qualité est difficile. Les frais de médicaments et de médecins sont élevés. En Inde, de nombreux médecins
ont des qualifications peu élevées et l’accès aux médicaments est difficile. On constate notamment que 40% des médicaments sont contrefaits. Enfin, il y a globalement un manque d’éducation sur la santé.
3. Les individus frappés par la pauvreté ne sont pas informés des
services vers lesquels ils peuvent se tourner pour répondre à leurs
besoins (produits à prix abordable, orientation, gestion locale…)
Par ailleurs, de manière connexe, le manque d’hygiène dans certaines
zones du pays et les croyances superstitieuses sont des facteurs aggravants des problèmes de santé.
Le programme lancé par Inter Aide est un programme de fonds de
mutuelle santé. L’objectif est de réduire le coût des services de santé.
Ce fonds paye 80% des coûts d’hospitalisation (jusqu’à 15 000 roupies
par an). L’accès aux soins de qualité est donné à travers un réseau de
200 praticiens de la santé. Des campagnes de santé sont aussi effectuées dans les bidonvilles. Des conseils sont donnés pour un accès
accru aux hôpitaux et autres services de santé. Le programme est
géré par des gens de la communauté qui se réunissent tous les mois.
Le produit proposé à la population est de 100 roupies par an et par
membre. Il est obligatoire pour les personnes sollicitant des prêts.
En 2010, il y avait 100 000 membres et 100 000 euros ont été remboursés. Les membres bénéficient également de services de soins
de santé gratuits et se familiarisent avec les réseaux hospitaliers qui
offrent des réductions sur les coûts de santé. En 2010, l’ensemble des
membres a pu économiser plus de 100 000 euros sur les dépenses de
santé. Un modèle similaire est actuellement mis en œuvre à Madagascar.
A son tour, Rustam Sengupta présente les activités de sa fondation. Boond
est le nom d’une petite entreprise sociale en Inde qui cible les populations
les plus frappées par la pauvreté. En hindi, ce nom signifie « goutte d’eau ».
Près de 25% de la population indienne (soit 300 millions de personnes), vit
avec peu ou pas d’électricité. D’où vient donc la croissance économique
de 9% par an ? Boond essaie de regarder les défis auxquels sont confrontés
les villages : l’électricité, l’eau potable, le stockage de nourriture, l’assainissement, l’assurance maladie, la peste /la lutte contre les maladies etc.
Les solutions existent mais il faut pouvoir y accéder.
Les centres de développement Boond proposent des produits simples
à prix abordable grâce à un financement à faible coût et le service
de soutien allant avec ces produits. Boond fournit les produits et la
formation pour permettre aux microentrepreneurs de les vendre.
Les kits de développement Boond sont également vendus. Ils comprennent une moustiquaire, une lampe et un panneau solaire.
Dans les cas d’extrême pauvreté, 30 roupies sont donnés sur une
base quotidienne. Ces paiements s’effectue au cours de l’année.
L’activité est subventionnée par les grandes entreprises, les IMF
et les financements privés. C’est un modèle de microfinance 2.0.
Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Mini-conférence A2 Microfinance plus :
comment lier la microfinance à d’autres services pour toucher les plus pauvres?
75.
Questions
Pourrions-nous avoir plus de détails sur la viabilité financière du
programme du BRAC ?
Aude de Montesquiou : Le coût du programme du BRAC est de 150 dollars par participant. Pour le programme du CGAP, il est compris entre 200
et 1480 dollars pour 18 mois à 2 ans. Pour l’avenir, ils espèrent atteindre
des économies d’échelle. Ce programme reste une solution coûteuse car
il est intensif et est adapté pour seulement 10% de la population. Une
analyse coût-bénéfice aura lieu en 2013.
Les subventions viennent-elles des bailleurs de fonds ?
Rustam Sengupta : Boond est un modèle hybride : il est une fondation
sans subventions officielles et son rôle en tant qu’entreprise sociale est
secondaire.
Qu’avez-vous appris depuis que vous avez commencé ?
Comment est formé votre personnel ?
Yannick Bézy : L’orientation, le suivi et la vérification sont très importants
afin de donner une meilleure information à la population et améliorer
l’accès aux services de soins de santé.
Rustam Sengupta : Ce sont les personnes qui ont une vision et un lien
très fort avec l’endroit qui sont engagés. Celles-ci sont formées sur place
et apprennent aussi des compétences de base.
Rustam Sengupta : Les clients et les consommateurs sont différents. Les
gens peuvent être pauvres, mais ils ne sont pas stupides. Ils ont besoin
de produits à véritable valeur ajoutée.
Les micro-entrepreneurs doivent-ils emprunter ?
Rustam Sengupta : La fondation Boond donne le premier prêt. Ils commencent avec un investissement de 800 euros. Pendant trois mois, la
société paie pour le loyer, ensuite le micro-entrepreneur parvient à récupérer les coûts. A partir de ce moment là et c’est un partenariat 20 - 80%.
Ils sont propriétaires, le gérant détient plus de part que les personnes qui
travaillent pour lui. Les micro-entrepreneurs appuient la surveillance et
fournissent des suivis.
76. Convergences 2015
Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements
Rapporteur officiel :
Claire Alambik, BNP Paribas
Au-delà de la microfinance : développer les chaînes
de valeur et le revenu
Mini-conférence // Microfinance
Modérateur
Marie-Anne de Villepin
Chargée de communication, département microfinance, BNP Paribas
Intervenants
François Durollet
Directeur Général, PlaNet Finance
Ivana Damjanov
Adjointe à la direction des opérations,
PlaNet Finance
Vipin Sharma
Directeur Général, ACCESS Development
Services
Résumé analytique
Cette table-ronde a permis de découvrir deux modèles de création
de chaînes de valeur, l’une en Inde et l’autre au Ghana. Dans les
deux cas, des réseaux de petits producteurs ont été créés, renforçant leur pouvoir de négociation.
Ces petits producteurs sont formés pour améliorer la qualité de
leurs produits. La transparence du marché est améliorée par une
large information notamment sur les prix. Les réseaux de producteurs sont mis en relation avec les acheteurs internationaux ou
même déchargés du risque commercial quand l’organisation leur
achète leur production. Enfin, des produits de microfinance adaptés leur sont proposés. C’est la synergie de tous les instruments
employés qui fait l’efficacité du système.
Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Mini-conférence Au-delà de la microfinance : développer les chaînes de valeur et le revenu
77.
Synthèse
Vipin Sharma explique que, en Inde, 93% de la population travaille dans
le secteur informel, sans aucune forme d’assurance sociale, 37% d’entre
eux travaillent hors du secteur agricole et sont souvent des personnes
seules, des travailleurs manuels, mal informés, sans aucun pouvoir de
négociation, peu mobiles et donc limités aux marchés locaux. Pour eux,
comme pour les agriculteurs, la création de valeur s’arrête à leur porte.
D’où la nécessité de créer des chaînes de valeur, qui les incluent. Ce sont
des demandeurs de microcrédits typiques. Mais la microfinance, à elle
seule, ne suffit pas. De nombreux services complémentaires sont nécessaires. Access a ainsi créé un label Ode to Earth, basé sur une utilisation non
abusive des ressources naturelles renouvelables, avec une valeur ajoutée.
Access analyse le marché, fournit une assistance à l’élaboration des produits et joue un rôle d’intermédiaire, en achetant les produits aux producteurs prenant ainsi le risque à leur place, et s’occupe enfin du packaging.
Access fournit aussi le capital initial nécessaire. Ode to Earth rassemble
aujourd’hui 75 000 producteurs, dont des ONG. Une foire annuelle a lieu
en automne et deux magasins de détail ont été ouverts, dont un à Delhi.
Ode to Earth est aujourd’hui confronté à différents défis. En particulier, la structure est destinée à devenir autonome financièrement
mais la question se pose de savoir si les producteurs pourront payer
leur « abonnement ». De plus, le co-investissement des producteurs
dans Ode to Earth risque de ralentir son développement, d’autant plus
que les problèmes de qualité sont dus à la pauvreté des producteurs.
Ode to Earth se pose la question du fonds de roulement et reste positionné sur des marchés de niche ce qui exclut les grosses productions.
par la cueillette sur des arbres qui poussent dans la savane, le séchage,
l’ensachage, le stockage et parfois la transformation des noix en beurre de
karité. Les femmes qui font ce travail n’ont aucun pouvoir de négociation
et aucune organisation collective. Elles vendent à des intermédiaires qui
augmentent le prix au long de la chaine mais n’y ajoutent aucune valeur.
Le projet a consisté notamment à éliminer les intermédiaires, à instaurer une transparence du marché (grâce à un logiciel spécialement
conçu par SAP informant sur les prix), à améliorer la qualité des noix
et leur séchage, à éduquer au développement durable, à créer des
produits financiers adaptés et des réseaux de femmes productrices,
et à établir une relation directe entre les producteurs et les acheteurs internationaux (notamment pour les produits cosmétiques).
Les trois points clés du dispositif sont la technologie de l’information et
de la communication, l’éducation et la microfinance. Le réseau comprend
1500 personnes et a pour objectif d’en atteindre 4500. Une étude faite
à Stanford démontre que l’amélioration de la qualité des produits et
de la transparence des marchés fait croître le revenu des femmes de
30%. A terme, pour accroître la création de valeurs, l’accent doit être
mis sur la production et commercialisation du beurre de karité. PlaNet
Finance et SAP ont prévus de prolonger leur partenariat et de développer un social business autour de ce projet pour en assurer la durabilité.
François Durollet et Ivana Damjanov présentent un projet noix de karité
au Ghana, avec SAP et l’Union Européenne1 . En général, les noix de karité
sont ramassées localement par les femmes (600 000 notamment au nord
du Ghana, qui vivent en dessous du seuil de pauvreté) et transformées
en produits dérivés à l’étranger (majoritairement en Europe du Nord).
Localement, la valeur ajoutée apportée par le travail des femmes passe
1 http://admin.planetfinancegroup.org/upload/medias/fr/gn_1004_fr.pdf
78. Convergences 2015
Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements
Rapporteur officiel :
Juana Ramirez, e-MFP
Branchless Banking : comment ça marche?
Mini-conférence // Microfinance
Modérateur
Sugandh Saxena
Directrice Exécutive, South Asian Microfinance
Network (SAMN)
Intervenants
André Oertel
Responsable des Etudes et du Conseil,
Horus Development Finance
Dominique Villeneuve
Chef de projets, PlaNet Finance
Mohsin Syed Ahmed
Directeur Général,
Pakistan Microfinance Network
Résumé analytique
Le mobile money1 et autres systèmes du branchless banking2 ont
suscité un grand intérêt depuis quelques années. Cependant, les
résultats sont encore dispersés et largement discutés. Nous allons
présenter quelques réussites expérimentales, du mobile money aux
partenariats avec les réseaux existants.
Nous verrons donc les innovations du service postal financier, les
projets des compagnies de téléphones facilitant l’accès au mobile
banking et l’utilisation du modèle de banque par téléphone mobile.
1 argent mobile
2 banque à distance Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Mini-conférence Branchless Banking : comment ça marche ?
79.
Synthèse
Dominique Villeneuve identifie au fil de son exposé les expériences et
les initiatives utilisées par les réseaux mondiaux des bureaux de poste
pour des financements positifs.
Avec un réseau dense de plus de 500 000 points de vente à travers le
monde, les bureaux de poste sont, de loin, les organisations les plus
répandues.
En Algérie, par exemple, les réseaux de bureaux de poste représentent
le double des réseaux bancaires cumulés.
L’utilisation des bureaux de poste à des fins financières se présente
comme une opportunité historique liée à la baisse des quantités de courrier en raison de l’importance croissante des vecteurs de communication
alternatifs tels que la messagerie électronique. Dans de nombreuses
régions du monde, les bureaux de poste offrent déjà des produits financiers tels que les comptes courants et d’épargne, mais n’accordent pas
de crédits. Certains d’entre eux veulent à présent devenir des banques et
offrir d’autres services tels les crédits et les prêts. Au cours des 15 dernières
années, ce mouvement a été observé dans plusieurs régions et pays :
• France en 2006
• Chine en 2007
• Maroc en 2010
Il est aussi nécessaire de mentionner le parcours de la banque Bradesco :
gagnant un appel d’offres du gouvernement à des fins de correspondance bancaire au Brésil en 2002, Bradesco a, depuis, été capable de
vendre ses services bancaires à travers plus de 6200 bureaux des réseaux
postaux Banco.
L’intérêt spécifique de la microfinance pour les bureaux postaux est
dérivé de :
• la proximité géographique : d’une importance majeure pour les institutions de microfinance (IMF) qui n’aiment pas garder la trésorerie qui
reste pourtant le principal outil de paiement de microcrédit (70-80%) ;
• le partage des mêmes valeurs : les deux tendent à couvrir une zone
géographique maximale afin de mieux servir toutes les communautés,
même les plus isolées.
Quelques particularités des innovations du service postal financier :
• Tunisie : La poste fournit des produits d’épargne avec une composante
d’assurance pour l’éducation des enfants ;
• Maroc : La poste fournit des produits d’épargne avec une composante
d’assurance pour la retraite.
Quelques histoires célèbres de la poste pour l’inclusion financière :
• Afrique du Sud : Les bureaux de poste ont atteint la majorité des parts
du marché (37%) avec le Mzansi account - un produit d’épargne lié à
une carte qui a été lancée par quatre banques commerciales ;
particulièrement dans la région la plus défavorisée du Nord ;
• Pakistan : En 2007, les bureaux de poste ont mis en place un partenariat
avec la première banque de microfinance garantissant un accès à 50
bureaux de poste dans le Penjab. Ce partenariat a permis l’octroi de
150 000 prêts d’un montant de 27 millions de dollars.
Les questions juridiques qui interférent avec ce genre d’alliances stratégiques :
• Au Brésil par exemple, les pharmacies et les stations-service sont autorisées à offrir des services financiers. Le cadre réglementaire des services
de correspondance bancaire a facilité le succès de l’entreprise pour la
banque postale.
• En Chine, la banque postale a été créée en 2007 et est entrée dans le
monde des IMF 2 ans après, offrant des contrats de microcrédit et de
microassurance représentant aujourd’hui plus de 1,9 millions d’emprunteurs actifs.
Mohsin Syed Ahmed, qui représente Pakistan Microfinance Network
une association de 26 IMF au Pakistan, présente l’impact des services
bancaires mobiles au Pakistan. Dans ce pays, 62 banques (toutes privées,
sauf la Banque Nationale du Pakistan) gèrent 26 millions de comptes à
travers 190 000 branches.
A côté de cela, 680 000 transactions sont initiées par le biais des téléphones portables. En pleine croissance, les IMF sont au service de la
population pauvre (la moyenne du revenu net par habitant est de 370
dollars par mois).
Pour la fin 2015, on estime en moyenne à 4 millions le nombre d’emprunteurs auprès des IMF, alors qu’une estimation plus agressive les évalue
à près de 10 millions.
Deux expériences récentes de branchless banking ont été introduites au
Pakistan : Easypaisa vs Omni Dukaan.
La première est orientée de manière plus technologique que la seconde
dont le business model apparaît moins couteux. Easypaisa a été lancée
par Telenor Pakistan. Cela permet à n’importe quelle personne (clients de
Telenor ou non, possédant un téléphone portable ou non) d’effectuer des
transferts d’argent d’un magasin Easypaisa (10 500 au Pakistan). Cependant, l’ouverture d’un compte est réservée aux détenteurs d’une carte
sim Telenor. Telenor Pakistan a récemment rejoint Tameer Microfinance
Bank pour faciliter le paiement des factures des services publics, envoyer
ou recevoir de l’argent à l’intérieur du pays, et recevoir de l’argent de
l’étranger.
Omni Dukaan est une création de United Bank ; le numéro de téléphone
portable est également utilisé comme un numéro de compte bancaire.
Les opérations sur le compte peuvent ainsi être effectuées de n’importe
quelle branche de United Bank tout comme dans les magasins Omni
Dukaa (présent dans 350 villes du Pakistan).
• Brésil : Banco Postal a ouvert 10 millions de comptes en moins de 8 ans
80. Convergences 2015
Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements
D’autres initiatives ont été mentionnées par Mohsin Syed Ahmed
comme :
• Orascom /mobilink (Waseela Bank),
• HBL Ufone,
• Bank Alfalah Warid,
• Dubai Islamic Puilot,
• TCS (Courier Co),
• KASB MobileAkhwat.
Laurent Clauser nous présente Horus Finance.
Horus/Advans/Noomadic sont actives dans la gestion des IMF (Advans),
fournissant des services de consultance dans les domaines de la microfinance et de la finance du développement (Horus), et ayant développé
un logiciel de banque par téléphone portable (Noomadic) offrant des
services stratégiques (Horus).
L’objectif général du branchless banking réside dans la réduction des
coûts et l’accessibilité croissante des services. Horus considère néanmoins
que, pour tirer des conclusions des expériences passées, il faut distinguer
trois niveaux d’inclusion financière résultant du branchless banking inégalement traités à ce stade :
1. Services de caisse de base : envoyer/recevoir des espèces, payer des
factures et recevoir un salaire en espèces (niveau 1)
2. Services de compte courant : les transferts, les paiements scripturaux,
la sauvegarde des petites quantités (niveau 2)
réelle « nouvelle frontière » consiste en l’utilisation du modèle de banque
par téléphone mobile pour accroître l’accès au niveau 3 des services
tels que le crédit, l’épargne et l’assurance. Ceci nécessite l’implication
des institutions financières. Horus/Advans estiment qu’il existe plusieurs
manières d’atteindre ce but et ont expérimenté (ou considéré) plusieurs
modèles différents :
• Atteindre directement les comptes bancaires à travers une plate-forme
de banque contrôlée : cela a été effectué par la Banque Xac en Mongolie,
qui a acquis 51 000 clients pour ce service (24 000 transferts) après 1 an
et demi et qui emploie aujourd’hui 1888 agents ; et plus récemment
par Advans Congo (services d’information, de transferts, et potentiellement d’utilisation des services bancaires mobiles pour les mauvaises
opérations de recouvrement de la dette).
Ces deux banques de microfinance utilisent Noomadic Software :
• Elles participent à l’initiative de mutualisation pour fournir des portefeuilles électroniques à leurs clients : Advans Ghana aide activement les
comptes de la Banque E-Zwitch du Ghana à la collection d’épargne quotidienne (15 percepteurs susu équipés des services bancaires mobiles,
servant 1200 clients sur une base quotidienne) ;
• Elles étudient les partenariats avec d’autres initiatives développées par
des sociétés télécom, institutions financières ou des fournisseurs de
services.
Des choix sont faits au cas par cas, pour répondre à la question suivante :
dans ce contexte, avec cette demande, quel modèle (services / organisation / modèle économique) pourrait servir au mieux les objectifs de l’IMF ? 3. Crédit/épargne/assurance (niveau 3).
Jusqu’à présent, les modèles de banque par téléphone portable les plus
communs, comme E-wallet utilisé par les compagnies de téléphone
(ex : Safaricom’s M-PESA), ont été efficaces pour fournir des services de
niveau 1 et 2 tels que des transferts P2P (Person-to-Person transfers) et
G2P (Governments-to-Person transfers) et des paiments P2G (Person-toGovernments transfers) et P2B (Person-to-Business transfers). Cependant, la
Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Mini-conférence Branchless Banking : comment ça marche ?
Rapporteur officiel :
Gérard Brasquet, Société Générale
81.
La crise de la microfinance en Inde :
quelles perspectives ?
Table-ronde // Microfinance
Modérateur
Vipin Sharma
Directeur Général, ACCESS Development Services
Intervenants
Arvind Ashta
Professeur,
ESC Dijon Bourgogne
Suresh Krishna
Directeur Général,
Grameen Koota
Royston Braganza
Directeur Général,
Grameen Capital India
Alok Prasad
Directeur Général, MFIN
Résumé analytique
La crise de la microfinance a éclaté en Inde en octobre dernier.
Les institutions de microfinance ont été accusées d’être à l’origine d’une vague de suicides dans l’Etat de l’Andhra Pradesh. Or,
bien que les IMF exercent une certaine pression auprès de leurs
bénéficiaires, nécessaire au bon remboursement de leur prêt, c’est
faire un raccourci que d’établir une corrélation entre les suicides
en Andhra Pradesh et la microfinance, d’autant plus que les IMF
indiennes s’adressent majoritairement aux femmes.
Aujourd’hui, l’heure est à la recherche des causes de cette crise et
des solutions à mettre en œuvre pour éviter de nouvelles dérives.
Pour les intervenants, il ne s’agit pas d’une crise de la microfinance
en général, mais plutôt d’une crise d’un canal. En Inde, le secteur
a crû à une vitesse ahurissante et les clients ont été les premiers
oubliés. Certaines caractéristiques de la microfinance indienne
peuvent expliquer l’émergence de cette crise :
1. Un secteur caractérisé par différents groupes d’intérêt en
conflit les uns avec les autres. Or il est important de faire
coexister à la fois le volet social et commercial.
2.
3.
L’insuffisance de l’autorégulation : le gouvernement a un rôle
à jouer dans la mise en place de bonnes pratiques de la microfinance.
L’approche « mono-produit » : manque la possibilité pour les
IMFs d’accepter l’épargne, d’où leur dépendance à l’appel aux
fonds propres par des investisseurs privés.
82. Convergences 2015
L’arrêté édicté par le gouvernement d’Andhra Pradesh, peut être
trop rapidement, a eu un impact considérable sur les liquidités,
d’autant plus que les IMF en Inde ne sont pas autorisées à collecter l’épargne de leurs clients. Les banques ont arrêté de prêter aux
IMF ; de plus les acteurs politiques ayant demandé aux emprunteurs de ne pas rembourser leur prêt, le taux de remboursement
est passé de 99% à 9%.
Il est nécessaire de revoir les pratiques de la microfinance et de
mettre en place un certain nombre d’actions:
• Se concentrer sur le prêt responsable et la mission sociale des
IMF par la création d’un label.
• Limiter les taux d’intérêt sans que cette limite soit exclusive pour
certains clients d’IMF ou pour certaines IMF.
• Mettre en place une concurrence saine (le gouvernement ne doit
pas dominer le marché mais établir des partenariats).
• Sortir du modèle mono-produit : être plus flexible dans la
conception des produits et tolérant en termes de taux de remboursement et accepter l’épargne.
Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements
Synthèse
Vipin Sharma : Les plus grosses IMF ont été touchées par la crise en Inde
en octobre dernier. Il faut chercher quelles en ont été les causes et voir
quels en ont été les effets. Il faut chercher les solutions et les challenges.
Aujourd’hui pour en parler nous avons des personnalités de haut vol
dont 3 viennent d’Inde :
•Suresh Krishna est directeur de la Grammen Koota, qui fait partie
des 20 IMFs les plus grandes.
•Alok Prasad a travaillé sur la stratégie d’entreprise. Il est aujourd’hui
président du MFIN, un nouveau réseau d’IMF dans le pays.
•Royston Braganza a travaillé pendant 12 ans dans la banque commerciale. Il est maintenant directeur de la Grameen Capital, mise en
place par la fondation FMI et Grameen.
•Arvind Ashta est professeur à l’ESC Dijon Bourgogne. Il a écrit un
livre sur les technologies de microfinance avancée.
Vipin Sharma : Dans l’identification des causes de la crise actuelle, les
IMF ont-elles joué un rôle dans la crise qui les a affectées ?
Royston Braganza : Notre secteur s’attend à de nouvelles réglementations. Il y a 2 mois, une série de réglementations est venue un peu
perturber le secteur. Certes de nouvelles orientations ont été données
mais il faut chercher les causes inhérentes à la crise.
L’Inde dispose d’une économie complexe et intéressante à la fois. Différents groupes d’intérêt sont en conflit les uns avec les autres, et les
intérêts des clients sont parfois oubliés. Les volumes ont crû de manière
importante et des secteurs se sont sentis menacés. Conduire à une telle
vitesse sur ces routes a conduit à se jeter dans le précipite. La politique,
les intérêts divergents des investisseurs, la concurrence des programmes
financés par l’Etat, le taux d’échec important dans certaines régions et le
personnel qui n’est pas toujours bien formé font que la consanguinité
n’est pas bonne. L’ensemble de ces facteurs a fait éclater un conflit entre
les IMF et le gouvernement. Je ne pense pas que ce soit une crise de la
microfinance, mais plutôt la crise d’un canal.
Je crois qu’il faut tenir compte du contexte global, l’Inde n’est pas un cas
isolé. Cette vitesse ahurissante n’est pas sans causer quelques dégâts.
Le secteur a commencé avec des objectifs différents. Il faut qu’il y ait un
volet commercial et un volet social. Les deux doivent coexister.
Toutes les données nécessaires sur la microfinance étaient là, mais pour
l’impact social, c’était plus difficile. Les taux d’intérêt ne diminuent pas
alors que les retours sur investissement s’accroissent. Le client était le
centre à l’origine or on s’en est éloigné. Je voudrais insister sur le fait
qu’un secteur qui devrait avoir deux jambes ne s’est appuyé que sur
une jambe.
Vipin Sharma : Le problème est que les IMF ont été accusées d’être
responsables des suicides.
Arvind Ashta : Effectivement c’est un problème critique entre bailleurs
de fonds et clients. Si l’IMF est un animal dangereux, il faut pouvoir le
dompter et c’est également la responsabilité de l’Etat. Pendant longtemps, il n’y a pas eu de réglementation, ce qui a permis à la microfinance
de se développer considérablement. Aujourd’hui, on a une réglementation, ce qui est une bonne chose, mais elle limite considérablement
le secteur.
On a trouvé une corrélation entre la pénétration de la microfinance et les
suicides des hommes, or le microcrédit est essentiellement à destination
des femmes ! Certes, il y a un stress créé par les institutions de microfinance auprès des bénéficiaires, mais il n’y a pas de corrélation entre la
microfinance et les suicides. Si aucune pression n’est mise, personne
ne remboursera.
Vipin Sharma : En 2008 il y a eu une autre crise dans le Karnataka.
Suresh Krishna : Il y avait quelques signaux avant-coureurs. Pour moi
ce n’est pas vraiment une crise. Il fallait faire une pause et voir comment
traiter de la microfinance.
Nous devions tout d’abord voir ce qu’il se passait au niveau des clients
car il y avait beaucoup de nouvelles IMFs, au niveau des investisseurs
et au niveau des régulateurs.
En Inde, la microfinance s’intéresse essentiellement aux femmes. Les
expériences tirées du Bangladesh ont montré que les femmes gèrent
mieux l’argent. C’est pourquoi nous avons ignoré les hommes. En effet,
aujourd’hui, la femme peut être la principale source du foyer. C’est un
changement difficile à accepter pour les hommes.
Chaque femme recevant un microcrédit devait attendre que toutes
les femmes du groupe d’emprunteuses remboursent. Ce modèle fit le
succès des institutions de microfinance, mais il est également à la racine
du problème car il a été répliqué avec un manque de souplesse. Les
femmes ont dû faire face à des responsabilités énormes.
On a beaucoup entendu parler de performance financière, sans se soucier de bien servir le client. Beaucoup d’emprunteurs ont commencé à
eux-mêmes prêter de l’argent. Les IMF n’ont pas appréhendé ce problème assez tôt.
Vipin Sharma : Le secteur est dans un état catastrophique, sans nouvel
investissement. Pourtant il y a quelques années, tout le monde voulait
faire partie de cette microfinance.
Royston Braganza : Nous avons eu un ordre du gouvernement et d’un
coup toutes les activités se sont arrêtées en Andhra Pradesh. Cet ordre a
eu un impact sur les liquidités. Les banques ont arrêté de prêter aux IMF
et se sont inquiétées de savoir quel impact cette crise pourrait avoir sur
leur propre secteur. Dès lors qu’il n’y avait plus de liquidités, il n’y avait
plus de fonds pour financer le cycle de prêt suivant. De plus, le gouvernement est allé de village en village dire aux emprunteurs de ne pas
Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Table-ronde La crise de la microfinance en Inde : quelles perspectives ?
83.
rembourser : le taux de remboursement est passé de 99% à 9% ! Les IMF
n’étant pas autorisées à collecter l’épargne, elles ont été complètement
privées de liquidités.
flexibles vis-à-vis de notre tolérance en termes de taux de remboursement. De plus les groupes d’aide ont des limites, mais la pression des
pairs est un bon outil de remboursement.
Arvind Ashta : Au Bangladesh, la réglementation était interprétée telle
que l’on pouvait prendre les dépôts des clients. Ce n’est pas permis en
Inde. Je voudrais rappeler que les pratiques de recouvrement des dettes
impliquent une certaine pression sans laquelle il n’y a pas de remboursement.
En fait on a surtout géré des chiffres et des choses doivent être changées.
Vipin Sharma : Comment les pratiques employées en Inde vont-elles
être impactées ?
Alok Prasad : Je pense en effet qu’il est important de réfléchir à cela pour
l’avenir. Nous devons nous concentrer sur le prêt responsable, créer un
label pour les IMF. La rentabilité ne serait plus la même, et le taux d’intérêt
limité. Il faut qu’il y ait de la concurrence pour donner le choix aux IMF.
On doit créer des partenariats avec le gouvernement, ce dernier ne peut
pas être un acteur dominant le marché.
Vipin Sharma : On pourrait mettre en place un code de conduite. Est
que l’on est proactif en termes de performance sociale? Est-ce que l’on
a commencé la double bottom line ou la triple bottom line ? Que faire en
termes de transparence ?
Arvind Ashta : La relation entre les hommes et les femmes est changeante dans la famille, mais il faut accorder des prêts aux hommes également. De plus, les IMF doivent pouvoir prendre les dépôts de leurs
clients, cela instaurerait une relation équilibrée entre les agents de l’IMF
et leurs clients. Enfin, les prêts doivent prendre en compte les conditions
du client et établir des plafonds. La microfinance se déroule bien dans les
pays qui ont une bonne gouvernance, sans corruption !
Alok Prasad : Est-ce que nous avons retenu des leçons ou est-ce que
nous espérons que les bons jours reviennent ? Je crois que nous avons
compris que le client est le plus important.
Nous avons peut-être ignoré les signes avant-coureurs de cette crise.
L’autorégulation est insuffisante, le gouvernement doit être présent et
peut ordonner des interventions. Nous sommes tous ensemble dans
cette situation : banques, IMF et régulateurs. Il faut œuvrer ensemble.
Royston Braganza : Nous avons appris la sur-dépendance par rapport à
la dette bancaire. Comment créer des liens avec le marché des capitaux
et des obligations et ne pas avoir juste un flux de capitaux ? Comment
sélectionner les investisseurs ? Il faut un investisseur qui comprenne la
mission et soit capable de nous accompagner. Il nous faut mettre sur
pied ce code de conduite qui devienne l’ADN de notre secteur. S’assurer
que les IMFs connaissent bien leurs clients pour éviter les mauvaises
pratiques et intégrer un taux d’intérêt limité, tout en ayant à l’esprit pour
les régulateurs qu’une limite de taux d’intérêt, exclura certains clients.
Enfin, il faut transférer une partie des bénéfices sur les clients.
Suresh Krishna : En Inde, nous avons eu une approche mono-produit,
c’est une des principales raisons de notre échec. Nous devrions accepter
l’épargne, être plus flexibles en terme de conception des produits, plus
84. Convergences 2015
Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements
Rapporteur officiel :
Florence de Maupeou, Babyloan
Vers une régulation et une supervision efficaces des
institutions de microfinance. Vers une labellisation
des IMF.
Atelier // Microfinance
Modérateur
Emmanuel de Lutzel
Responsable Microfinance, BNP Paribas
Intervenants
Anne Bastin
Responsable de projet microfinance,
Lux-Development
Eric Duflos
Spécialiste Microfinance Senior, CGAP
Erik Ekué
Consultant
Anne-Françoise Lefèvre
Responsable des relations institutionnelles,
World Savings Banks Institute
Laurent Lhériau
Consultant
Patrick Naïm
Fondateur, Elseware
David Payne
Directeur Général, OXUS Afghanistan
Jean-Luc Perron
Délégué Général, Grameen Crédit Agricole
Microfinance Foundation
Franck Renaudin
Fondateur, Entrepreneurs du Monde
Matthew Titus
Directeur Général, Sa-Dhan
Chuck Waterfield
PDG, MicroFinance Transparency
Paul Loridant
Secrétaire Général, Observatoire de la Microfinance, Banque de France
Résumé analytique
La microfinance représente une multitude de service financier
auxquels beaucoup d’individus dans les pays en voie de développement n’ont pas accès en partie à cause de la faiblesse des institutions et des infrastructures financières. Des institutions de microfinance (IMF) peu scrupuleuses ont tiré profit de ces faiblesses et ont
provoqué le surendettement des emprunteurs ce qui a entrainé une
crise de la microfinance. Cette crise a permis de remettre en place la
question de la transparence et de la régulation efficace de la micro-
Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Atelier
finance. Il s’agit à présent de définir ce qu’est la régulation et quels
en sont ses principes directeurs ? Comment pourrait-on construire
un droit de la microfinance et protéger le client dans ces pays ? Cet
atelier a pour but d’identifier les différentes initiatives proposées
au cours de ces dernières années à travers lesquelles se dégage la
labellisation des IMF ayant pour but de protéger l’épargnant. Mais
permettra-t-elle de répondre aux multiples problématiques de la
microfinance ?
Vers une régulation et une supervision efficaces des institutions de microfinance.
Vers une labellisation des IMF.
85.
Synthèse
Emmanuel de Lutzel a inauguré la table-ronde en demandant en quoi
il était nécessaire de réguler une activité qui servait pour l’essentiel le
secteur informel.
Eric Duflos a rappelé les définitions clés du débat : la microfinance ne
traite pas uniquement du microcrédit mais d’une diversité de services
financiers pour les gens qui n’y ont pas accès. L’ épargne est au moins
aussi importante que le crédit. Les institutions de microfinance ont des
statuts très divers (ONG, banques, coopératives…). Quant à la règlementation, il s’agit d’un ensemble d’instruments légaux (lois, règlementations,
décrets) pour légiférer une activité. La règlementation prudentielle est
liée à la protection de l’épargne et concerne l’intermédiation financière
tandis que la règlementation non prudentielle a d’autres objectifs très
importants eux aussi tels que la lutte contre le blanchiment, la transparence des IMF et la protection des consommateurs. Au-delà de la réglementation prudentielle et non-prudentielle, la régulation inclut aussi les
codes de conduite établis par le secteur privé.
Pour Paul Loridant, en France, la législation a pour objectif de superviser,
de contrôler et de faciliter la transparence. L’ Autorité de Contrôle Prudentiel (ACP) fait des contrôles sur pièce et sur place et peut prononcer des
sanctions. Le problème de la régulation se pose dans les pays où 90%
de la population n’est pas bancarisée.
Selon Erik Ekué, fin connaisseur de l’Afrique, la microfinance ne fait pas
partie du secteur informel, mais il s’agit plutôt de structures bien établies.
Dans les années 1990, il y a eu une tentative de règlementation en Afrique
après que des montants de l’épargne collectée aient été détournés.
Aujourd’hui dans l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine
(UEMOA) , 10 millions de personnes sont concernées par la microfinance.
Anne-Françoise Lefèvre rajoute que tout l’enjeu et le défi du débat
règlementaire est de savoir comment on va passer de cette économie
informelle à un cadre formel. Il faut se remettre dans le contexte des
pays en développement où en général il manque d’infrastructures, de
stabilité ainsi qu’une assise forte au soutien des initiatives liées à l’inclusion financière.
Pour Jean-Luc Perron, il est nécessaire de prendre en compte le contexte
des pays du sud. Il faut se poser la question de la finalité de la réglementation. Il s’agit de protéger l’épargnant. Le niveau de risque n’est pas le
même selon le type d’institutions. L’épargne, le consommateur et l’intérêt
général doivent être protégés. La réglementation en microfinance doit
être universelle, effective, adaptée au contexte de chaque pays.
Pour Patrick Naïm, qui dit règlementation, dit supervision. Or, il faut que
les pays concernés aient une structure et un sens de l’intérêt général. Cela
est difficile dans les pays où il y a beaucoup de corruption.
Emmanuel de Lutzel pose ensuite la question de comment construire
86. Convergences 2015
un droit de la microfinance dans un pays où beaucoup de gens n’ont
pas de papiers.
Pour Erik Ekué, le cadre peut exister mais sa mise en œuvre peut poser
problème. Un pays non démocratique a quand même des règles. La
réglementation ne s’adresse pas directement à l’individu mais doit protéger le consommateur.
Matthew Titus parle de la crise en Inde et de l’intervention de la banque
centrale pour protéger les clients. La banque centrale peut maintenant
lancer des actions en justice contre les institutions de microfinance peu
scrupuleuses.
Emmanuel de Lutzel demande par ailleurs si l’on est passé d’une régulation absente à une régulation excessive.
Matthew Titus souligne le courage de la banque centrale en Inde d’agir
ainsi. La banque centrale a tout redéfini.
Pour Eric Duflos, le cas de l’Inde est particulier et il faut toujours revenir
à l’objectif de la règlementation. La protection de l’épargne est une
grande priorité pour la réglementation prudentielle. La crise en Inde a
mis en valeur la nécessité de mieux protéger les emprunteurs face au
surendettement.
Une supervision effective et efficace est extrêmement importante.
Cependant, la règlementation et la supervision engendrent un coût
pour l’IMF et pour l’Etat.
Anne Bastin explique ensuite comment le Grand Duché du Luxembourg
s’est engagé à aider la Banque Centrale de l’Afrique de l’Ouest vers la
régulation à travers le PRAFIDE/ Programme Régional d’Appui à la Finance
Décentralisée. Ce programme vise quatre objectifs :
• la modernisation du cadre juridique (loi, décret, institutions) ;
• le renforcement de la surveillance ;
• un appui au secteur ;
• l’amélioration de l’information financière (nouveau référentiel comptable, centrale des risques).
Pour assurer ces objectifs, une centrale des risques sous-régionale sera
mise en place : il y aura un gros chantier avec l’utilisation de la biométrie
et une vulgarisation du cadre juridique. Elle travaille actuellement à l’amélioration des systèmes d’Information et de gestion, à l’amélioration du
contrôle interne et au renforcement des capacités des 8 Associations Professionnelles des Systèmes Financiers Décentralisés (AP/SFD) de l’Afrique
de l’Ouest. Des audits externes seront obligatoires pour les structures les
plus grosses. Il y aura également dorénavant un agrément unique pour
toutes les institutions de microfinance. A noter cependant que cette
nouvelle réglementation adoptée en avril 2007 en zone UEMOA, a été
adoptée dans six des huit pays de la zone.
Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements
Chuck Waterfield expose ensuite le transparent and responsible pricing. Il dit que l’on ne devrait pas parler de prix moyen en microfinance.
Beaucoup d’institutions ne savent pas le prix réel qu’elles font payer à
leurs clients. Nous avons besoin de prix responsables en microfinance.
Le fait de fixer une limite de taux d’intérêt est une bonne intention de
régulation, mais cela peut avoir un impact négatif.
Franck Renaudin souligne qu’il n’y a pas une mais des microfinances
et que la microfinance n’est pas qu’une question d’inclusion financière
mais aussi de réduction de la pauvreté. Il ne faudrait pas une financiarisation trop poussée de la régulation. Il y a un modèle de régularisation
intéressant au Cambodge où la régularisation suit le développement
de l’institution.
Pour David Payne, quand on parle de régulation, il faut se demander
qui l’on veut protéger. La différence entre les pays occidentaux et en
développement porte sur la responsabilité. Il faut éduquer les clients
pour qu’ils prennent des décisions responsables.
Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Atelier
Vers une régulation et une supervision efficaces des institutions de microfinance.
Vers une labellisation des IMF.
87.
Question
Matthew Titus rappelle que la Banque Centrale indienne insiste sur
l’éducation du client.
Erik Ekué rappelle qu’il n’y a pas de réglementation sur la gouvernance,
ce qui pose problème.
acteurs. Elle rappelle ensuite les six principes de la SMART Campaign.
Les IMF vont souscrire à ces principes et il en va de la crédibilité de cette
campagne à ce que le terrain suive. Pour le client il faut qu’il y ait une
transparence, d’où l’idée d’une certification. Comment bâtir la confiance ?
Il y a l’approche graduée qui consiste à remplir certains critères puis on
certifiera certaines IMF après vérifications. La question du coût se pose
alors : qui va payer ?
Anne-Françoise Lefèvre rappelle que le prix doit être abordable pour
le client et financièrement viable pour l’institution.
Emmanuel de Lutzel réaffirme que les coûts et les formations sont
déterminants.
Eric Duflos explique qu’il y a eu trois grandes initiatives pour la labellisation :
Erik Ekué dit que les informations données au public constituent un
signal et peuvent créer des distorsions. Qui publie et où ? Qui a accès à
l’information ?
Paul Loridant souligne l’événement que constitue l’article du Comité
de Bâle sur la microfinance.
• la SMART Campaign avec ses principes de protection des clients : Do
no harm ;
• le Social Performance Task Force qui identifie des standards pour évaluer
la performance sociale des institutions de microfinance et qui favorise
une double bottom line financière et sociale ;
• les certificats tel que le Seal of Excellence qui est voué à certifier des
institutions de microfinance qui se concentrent sur la réduction de la
pauvreté.
Eric Duflos livre alors le chiffre de 800 IMF qui ont adhéré à la SMART
Campaign mais aussi des milliers de particuliers et la grande majorité
des bailleurs de fonds. Emmanuel de Lutzel souligne le problème
d’incompréhension de la règlementation prudentielle.
Paul Loridant lui répond que la règlementation protège la solvabilité de
ceux qui font de la transformation.
Anne-Françoise Lefèvre montre comment les principes d’autorégulation
servent. Cela soulage le problème de la supervision et sensibilise les
86. Convergences 2015
Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements
Rapporteur officiel :
Marie-Anne de Villepin, BNP Paribas
Pour une finance rurale et agricole opérationnelle
Atelier // Microfinance
Modérateur
Jurgen Hammer
Directeur des investissements,
Grameen Credit Agricole Microfinance Foundation
Intervenants
Bernard Ornilla
Responsable de projet, Alterfin
Adama Ba
Directrice d’exploitation,
UM PAMECAS-ADA-GRET
Adama Camara
Directeur, Soro Yiriwaso
Dominique Lesaffre
Responsable géographique, SIDI
Jean-Baptiste Cavalier
Chargé de programme, CFSI
Etienne Mottet
Responsable des opérations,
OXUS Afghanistan
Renée Chao-Beroff
Directrice du département Microfinance au
CIDR, Directrice Générale de PAMIGA
Marc Roesch
Chercheur, Institut de Pondichéry
Nicolas Hertkorn
Chargé de mission, AFD
Résumé analytique
Le monde rural fait face à deux défis majeurs : le risque climatique
et le risque de marché (problèmes de fixation et de fluctuation des
prix). De plus, il faut noter la difficulté d’accès à la propriété foncière, la difficulté des déplacements, les questions de sécurité et
le manque de technologie et de formation. Dans ce contexte, le
monde rural et agricole a besoin de financements et de produits
spécifiques : avances de trésorerie (préfinancement des récoltes),
assurance contre le risque climatique, flexibilité des conditions de
remboursement, système de warrantage. Les institutions de microfinance (IMF) rurales se heurtent au problème de la rentabilité de
l’agriculture et à des coûts importants pour atteindre ces populations (coûts de formation et de déplacement). Cependant, la forte
croissance des pays émergents (naissance d’une classe moyenne
demandeuse de produits agricoles) ainsi que l’amélioration de l’accès à la technologie présentent une opportunité réelle de développement pour le monde agricole.
Il s’agit de développer une microfinance agricole adaptée, qui prend
en compte les besoins particuliers et les défis des populations rurales. Pour limiter son risque, l’IMF se doit de contrôler tous les paramètres possibles et créer des systèmes d’incitation et de formation
à destination des emprunteurs et des partenaires. La gestion des
interactions entre les différents acteurs de la microfinance rurale
est une des clés de la réussite du prêt agricole. De nombreux acteurs sociaux, financiers, entrepreneuriaux et étatiques sont impliqués dans le financement agricole. Il faut privilégier une approche
coopérative et un partage des connaissances. Le monde rural est
avant tout très hétérogène. La microfinance agricole doit donc être
conçue de manière inclusive et il s’agit de privilégier des IMF solides
et bien diversifiées s’adressant à tous les segments du marché. La
finance inclusive implique de travailler sur l’ensemble des besoins
de développement économique simultanément (urbain, rural,
micro-assurance, etc). Une réflexion sur le type d’agriculture que la
microfinance agricole entend soutenir et sur le partage de la valeur
ajoutée doit être menée.
Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Atelier Pour une finance rurale et agricole opérationnelle
89.
Synthèse
La microfinance rurale et agricole implique des défis, qui s’expliquent
par les risques particuliers auxquels sont confrontées les populations
pauvres rurales et agricoles.
Adama Camara, le directeur de Soro Yiriwaso, une institution de microfinance rurale malienne, souligne quatre grands défis de la microfinance
rurale et agricole : les contraintes de vulnérabilité, opérationnelles, de
capacité, juridiques et règlementaires. Il souligne le risque climatique,
l’accès limité au crédit, les fluctuations du marché non maitrisées par le
pays, ainsi que les contraintes techniques et de formation (taux d’analphabétisme élevé).
Pour Adama Ba, la directrice d’exploitation de UM PAMECAS-ADAGRET, un réseau de mutuelles d’épargne et de crédit au Sénégal installé
dans le monde rural depuis 8 ans, la microfinance rurale nécessite des
méthodes différentes, adaptées aux contraintes du monde rural. Elle
souligne spécialement les contraintes de terrain, et la nécessité pour l’institution de se déplacer, d’aller à la rencontre de ces populations. De plus, il
est nécessaire de repenser une politique de garantie pour le monde rural.
Marc Roesch, chercheur à l’Institut de Pondichéry, souligne le fait qu’il
s’agit souvent d’exploitations de très petite taille. Selon lui, les agriculteurs
font face à trois problèmes principaux : trouver une terre à cultiver et
en financer l’achat ou la location, financer la main d’œuvre, financer les
semences et les engrais. Pour traiter ces trois problèmes, les agriculteurs
font d’abord appel à leurs proches, et ont recours à la banque en dernier
ressort. Les principaux risques selon lui sont liés au climat et à la rentabilité des activités agricoles à financer.
Jean Baptiste Cavalier, chargé de programme au Comité Français
pour la Solidarité Internationale (CFSI), souligne le problème d’accès
à la terre et de l’accaparement de celle-ci (exemple du travail réalisé
par l’association « Terres de liens » pour favoriser l’accès des paysans au
foncier ). Il évoque aussi le risque climatique et la nécessité de faire en
sorte que les paysans ne supportent pas l’intégralité de ce risque. Des
groupements de consommateurs pourraient accepter d’en supporter
une partie (exemples des Associations pour le Maintien d’une Agriculture
Paysanne – AMAP – ou des agricultures contractuelles de proximité)…
Etienne Mottet, responsable des opérations pour OXUS Afghanistan,
mentionne aussi le risque climatique, qui est difficile à gérer, hormis avec
une assurance, et qui est particulièrement important en Afghanistan
où alternent les phases d’inondation et de sécheresse. Il souligne le
problème de vulnérabilité de ces populations et des actions dans ces
zones, dû notamment aux problèmes de sécurité et à la difficulté des
déplacements. Les difficultés opérationnelles sont aussi très présentes
dans ces régions, avec le manque de technologie et de formation (50%
de la population est illettrée). Si les risques sont énormes, la population
agricole est majoritaire : il est donc nécessaire de développer une microfinance agricole.
90. Convergences 2015
Dominique Lesaffre, responsable géographique à Solidarité Internationale pour le Développement et I’Investissement (SIDI), évoque
plusieurs problèmes : le facteur climatique, les invasions intempestives,
l’émergence d’investisseurs qui se disent sociaux mais demandent des
rendements élevés, les difficultés engendrées par des causes de nature
politique… Par exemple, en relevant ses barrières douanières, le Malawi
a pu relancer l’agriculture familiale dans le pays. A l’inverse, la réglementation au Pérou impose des Portfolio at Risk (PAR) trop sévères, inadaptés
au milieu rural. De plus, il y a une inadéquation de l’offre de financement
dans le milieu rural. Les modalités des systèmes d’aide contreviennent
souvent aux exigences du financement rural.
Le monde rural connaît donc des risques et contraintes particuliers qui
impliquent des besoins de financement spécifiques.
En effet, le métier d’agriculteur nécessite de la trésorerie, selon Jean
Baptiste Cavalier. Il évoque deux exemples de systèmes d’avance de
trésorerie : les AMAP, dans lequel les consommateurs s’engagent sur la
durée en achetant par avance à un agriculteur les produits de sa récolte,
et le système de warrantage, qui permet aux agriculteurs d’obtenir un
financement en apportant en garantie une partie de leur récolte.
Bernard Ornilla, responsable de projet à Alterfin évoque la diversité des
produits de financement existant : épargne, crédit, transferts d’argent…
Il souligne qu’il est important d’être flexible quant au mode de paiement
lorsqu’il s’agit de microfinance rurale. De plus, une coordination entre
les IMF, le gouvernement local, associations de producteurs, etc. est
nécessaire.
Quelles sont les principales difficultés rencontrées pour la mise en
place d’une offre adaptée à ces besoins de financement particuliers?
Renée Chao-Beroff, directrice du département Microfinance du Centre
International de Développement et de Recherche (CIDR) et Directrice
Générale de PAMIGA identifie deux problèmes principaux : la rentabilité
de l’agriculture (avec entre autres la question de la volatilité des prix) et les
coûts induits pour amener le service au plus près des emprunteurs (création de caisses, formation du personnel…). La question de la rentabilité
de l’agriculture a évolué : en effet, la croissance des pays émergents est
favorable à la rentabilité des produits agricoles. Leurs villes croissent et
on observe l’émergence d’une classe moyenne détentrice d’un pouvoir
d’achat accru et génèrant une véritable demande de produits agricoles.
Ainsi, le principal risque aujourd’hui pour les agriculteurs est de passer
à côté de cette demande émergente et de ne pas savoir produire pour
ce nouveau marché. La question des coûts supportés par les institutions
pour atteindre les populations rurales peut aussi être considérée sous un
nouvel angle : l’arrivée de la technologie va révolutionner le milieu rural
en réduisant l’asymétrie d’information au niveau des clients et en permettant à ces derniers de mieux connaître les prix des produits agricoles.
De plus, des technologies comme le mobile banking vont permettre de
réduire les coûts de transaction.
Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements
Pour gérer les risques liés au monde agricole et développer un produit
financier rentable, Etienne Mottet (OXUS Afghanistan) pense qu’il est
nécessaire de prendre en compte tous les paramètres avant le déboursement : taille du champ, type d’agriculture, semence (lieu de procuration, utilisation), engrais… L’idée centrale est qu’il faut contrôler tous ces
paramètres pour assurer la réussite du prêt agricole. Il faut concevoir un
produit financier qui incite l’agriculteur à agir dans l’intérêt de l’IMF : la
façon dont l’institution veut que le client se comporte doit être incluse
dans le produit de prêt.
Jean-Baptiste Cavalier explique qu’un paysan vit de ce qu’il produit. Les
choix qu’il fait par rapport à son modèle de production sont en général
fondés (stratégie de limitation des risques, réponse à des problèmes
environnementaux, etc.). Les contraintes extérieures, du type de celles
évoquées par Etienne Mottet pour garantir la réussite du prêt agricole,
sont souvent celles qui vont mettre en danger un système de production
qui fonctionne, même si ça n’est pas toujours de manière optimale. Cette
vision centrée sur la rentabilité du travail de l’IMF est donc très risquée,
et en particulier pour le paysan.
UM PAMECAS-ADA-GRET ont mis en place plusieurs actions pour traiter
des particularités de la microfinance rurale et agricole. Ils ont revu la durée
du prêt en fonction de chaque secteur d’activité et créé des produits
correspondant aux différents besoins de l’agriculteur tout au long de
l’année : crédit de campagne, de stockage, de groupe, individuel, etc. Ils
ont employé des personnes relais, qui aident l’IMF dans la sélection des
emprunteurs en zone rurale. Ils ont mis en place des guichets mobiles
pour aller à la rencontre des populations et leur éviter des déplacements
difficiles. Ils se sont entourés de spécialistes agricoles et effectuent les
déboursements en fonction des calendriers agricoles. Enfin, ils ont inclus
dans leurs procédures le remboursement en nature et sont en train de
travailler avec une caisse d’assurance agricole.
Il faut choisir quelle agriculture les IMF veulent soutenir. Pour Renée
Chao-Beroff, l’agriculture de subsistance doit évoluer et disparaître.
Les agriculteurs doivent pouvoir nourrir leur famille et contribuer à
l’économie de leur pays. L’agriculture moderne n’est pas seulement
l’agriculture de rente, tournée vers l’exportation. Il est en effet possible
de produire pour un marché local de façon rentable. Des prêts destinés à
financer l’agriculture de subsistance équivaudraient à endetter les gens
pour une activité qui ne rapporte rien. Pour Jean-Baptiste Cavalier, le
débat devrait se focaliser entre agriculture familiale et agriculture capitaliste, deux modèles de production dont l’apport à l’économie du pays
est radicalement différent. Par ailleurs, une réflexion doit être menée sur
la redistribution de la valeur ajoutée tout au long de la filière, depuis le
producteur jusqu’au consommateur.
Dominique Lesaffre souligne l’émergence d’un kaléidoscope d’acteurs
au sein du secteur de la microfinance rurale, provenant des sphères
sociales (organisations de producteurs (OP), organisation panafricaine
des OP récemment créée, coopératives, regroupements associatifs…),
financières (IMF créées par des systèmes d’aide, ONG locales ayant développé une branche destinée à la microfinance, systèmes mututalistes
d’épargne et de crédit, regroupements d’IMF réunies en Apex pour mobiliser des ressources financières locales, réseaux continentaux comme
FOROLAC et MAIN…) et entrepreneuriales (associations de production,
entreprises sociales…).
Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Atelier Pour une finance rurale et agricole opérationnelle
91.
Selon Marc Roesch, l’Etat joue un rôle important dans certains pays en
octroyant des crédits agricoles. C’est le cas notamment en Inde. Mais
dans beaucoup de pays l’Etat refuse de soutenir la très petite agriculture.
Elle laisse aux filières organisées le soin de financer les investissements
de campagne. Ainsi les filières (coton, canne à sucre) jouent un rôle non
négligeable dans le financement de l’agriculture. La microfinance vient
en complément mais peut également jouer le rôle d’intermédiaire pour
la distribution des crédits pour ces filières (filière coton au Cameroun ou
au Bénin par exemple).
Pour Adama Ba, les commissions nationales de fixation des prix sont un
acteur majeur du financement agricole. Il est fréquent que les commissions fixent des prix très en dessous du coût de revient pour l’agriculteur.
Ainsi, il y a effectivement une floraison d’acteurs qui ne se réduit pas à
la finance. Dominique Lesaffre propose donc que Convergences 2015
incite tous les acteurs concernés par la microfinance et la microassurance
agricole à travailler ensemble.
Pour Etienne Mottet, le point clé dans le succès d’un produit agricole
est la gestion des interactions entre les acteurs, la manière dont ils vont
être formés et motivés. Il faut que le développement du produit agricole
permette la formation des acteurs. Le client doit avoir un intérêt au bon
remboursement du prêt. Ainsi, OXUS Afghanistan travaille en collaboration avec des coopératives agricoles qui fournissent les semences aux
clients et sont chargées de les former pendant une phase initiale qui dure
six mois. Ces coopératives sont des acteurs centraux, il s’agit de mettre
en place un système d’incitations pour que le service qu’elles fournissent
aux clients soit de qualité (système de primes…). Ce système d’incitation
est bénéfique à OXUS ainsi qu’aux coopératives, qui sont incitées à se
développer de manière efficiente et durable.
Au Mali, les femmes exploitent des parcelles de très petite taille car elles
n’ont pas accès au financement. Soro Yiriwaso a donc développé un produit rural spécifique destiné à des groupes de femmes : celles-ci ont la
responsabilité du choix des bénéficiaires du prêt, du montant, du suivi
et du remboursement. Le taux de remboursement frôle les 100% et la
demande de ce type de prêt est très importante. Ce financement induit
des conséquences positives pour toute la famille.
Pour Jürgen Hammer, la distinction entre produits et services est très
difficile, surtout dans le domaine de la microfinance agricole.
Selon Renée Chao-Beroff, l’agriculture a du mal à répondre aux besoins
du marché car les producteurs ont été livrés à eux-mêmes en matière
92. Convergences 2015
technique pendant de nombreuses années: manque de formation, d’accompagnement, etc. Aujourd’hui, le secteur privé est en train de revenir
dans l’agriculture (entreprises agroalimentaires…), de façon beaucoup
plus intégrée. Ces entreprises interviennent en amont en fournissant
de l’assistance technique et des intrants (semences améliorées…) et en
aval en garantissant l’achat des produits agricoles si un certain cahier des
charges a été respecté. La value chain finance est une nouvelle approche
pour financer l’agriculture de façon moins risquée : les contrats entre
les producteurs et ces entreprises peuvent servir de garantie pour le
déboursement de financements.
Pour Marc Roesch, le changement d’échelle dans le financement rural
est un problème important. La saisonnalité des activités agricoles et les
volumes des fonds nécessaires (tout le monde emprunte en même temps
et rembourse en même temps) rendent difficile la gestion des fonds par
les IMF et plombent leurs coûts.
Renée Chao-Beroff aborde la question de la finance inclusive. Cibler
exclut. Le milieu rural n’est pas homogène donc si on ne veut pas exclure
de catégories de clients en milieu rural, il faut segmenter ce marché. Il
s’agit de reconnaître les différents besoins existants et de travailler avec
les différents segments séparément. La crise de la microfinance est liée
au ciblage et au mono produit. Le salut réside dans la diversification des
IMF. La finance agricole et rurale de demain doit être plus inclusive, plus
variée, prendre en compte les différentes réalités, allant du financement
de l’agriculture de subsistance au financement d’une agriculture plus
entrepreneuriale… Etienne Mottet partage cet avis : l’objectif d’OXUS
Afghanistan est de développer un panel complet de services en incluant
le maximum de personnes.
Bernard Ornilla souligne d’autre part la nécessité d’améliorer la culture
d’épargne et de crédit dans les zones rurales et d’offrir des technologies
accessibles.
Pour Dominique Lesaffre, il faudrait tirer avantage de la configuration
même de Convergences 2015 pour que, sur le champ de la finance rurale,
un véritable projet ambitieux et fédérateur puisse émerger comme celui
de la conception et la création d’un système d’assurance agricole dans
une des zones vulnérables d’intérêt commun (comme par exemple le
Sahel), et qui puisse associer le profil varié de nos organisations.
Rapporteur officiel:
Julien Sciau , Grameen Crédit Agricole Microfinance Foundation
Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements
SOLIDAIRES ET RESPONSABLES :
INVESTIR ET AGIR POUR LES OBJECTIFS DU MILLENAIRE
Synthèse des discussions du 4ème Forum annuel Convergences 2015
Hôtel de Ville de Paris
3, 4 et 5 mai 2011
Troisième partie
Améliorer les
investissements
+ d’efficacité +d’impact + d’investissement
Impact de la finance carbone sur l’aide au
développement
Mini-conférence // Environnement et développement
Modérateur
Maxime de Rostolan
Fondateur, Babel Blue
Intervenants
Matthieu Tiberghien
Responsable de programme Action Carbone,
Fondation GoodPlanet
Pierric Jammes
Directeur Général,
Pur Projet
Gautier Quéru
Directeur,
Natixis Environnement et
Infrastructures
Laurent Valiergue
Directeur de l’Origination,
Orbeo
Résumé analytique
Le secteur de la finance carbone a connu une croissance très rapide
ces quatre dernières années (il représente plus de 100 milliards
d’euros aujourd’hui), participant ainsi à la réduction des émissions
de gaz à effet de serre (GES) au niveau mondial. La finance carbone
s’est développée suite à l’entrée en vigueur du Protocole de Kyoto
en 2005, qui établit des objectifs de réduction d’émissions de GES
par pays sur la période 2008-2012, étant principalement concernés les pays développés (non ratifié par les Etats-Unis) et les pays
d’Europe Centrale et de l’Ouest (annexe 1 du protocole de Kyoto).
L’Union Européenne, dans le cadre de sa politique de lutte contre
le changement climatique qui s’insère dans le protocole de Kyoto jusque fin 2012, puis dans le cadre du paquet européen pour
réduire de 20% (ou 30% selon les accords internationaux à venir)
les GES d’ici 2020, a mis en œuvre un système de quotas carbone
concernant 20 000 installations industrielles soit un peu moins de
40% des GES de l’UE. L’objectif de la phase II (jusqu’en 2012) correspond aux engagements Kyoto, puis la phase III (2013-2020)
correspond aux engagements européens de -20% d’ici 2020. Les
crédits issus des mécanismes dits « de flexibilité Kyoto » trouvent
pour 90% leurs débouchés dans le marché des quotas européens,
qui rend possible une compensation à hauteur de 10% de ses émissions de GES.
Le Protocole de Kyoto prévoit deux mécanismes dits « de flexibilité » permettant aux sociétés de créer des « crédits carbone »
pour leur propre conformité ou pour les échanger sur un marché commun. Ces deux mécanismes correspondent à la mise en
place de projets de réduction d’émissions de GES dans les pays
en développement (annexe 1 concernant le Mécanisme de Développement Propre (MDP)) ou entre pays de l’annexe 1 (notamment à destination des pays de l’ex-espace soviétique via la Mise
en œuvre Conjointe). Les crédits issus de mécanismes de flexibilité trouvent pour 90% d’entre eux leurs débouchés, sur le marché
européen où ils sont « importés », à hauteur de 10% des quotas
94. Convergences 2015
européens. Il existe également un marché dit « volontaire » qui
n’est pas régulé par le Protocole de Kyoto mais couvert par des
standards établis par des ONG reconnues (Gold Standard, VCS
notamment). La mise en place de projets de flexibilité se fait ainsi
dans les pays en développement – les MDP représentent 80% du
marché – le principe étant d’effectuer des réductions d’émission
où le coût de la tonne de eqCO2 réduite est le plus efficace sur
le plan économique. Par ailleurs, certains projets (EnR, modernisation d’infrastructures, projets forestiers etc.) peuvent avoir un
impact positif sur le développement socio-économique local.
La finance carbone est aujourd’hui confrontée à diverses problématiques qui risquent d’entraver la croissance rencontrée ces
dernières années. Premièrement, le manque de visibilité sur la
période de l’après Kyoto (post-2012) entraîne une incertitude
institutionnelle et économique sur le futur des mécanismes de
flexibilité Kyoto. Actuellement, l’Union Européenne conditionne
l’importation de la majorité des crédits carbone issus de projets
Kyoto pour la période 2013-2020 à la mise en œuvre d’un accord
international sur le climat ; or l’UE est le débouché de 90% des
crédits issus des MDP et MoC. Deuxièmement, le financement
des projets de réduction d’émissions reste complexe, et un grand
nombre d’acteurs a des difficultés à mobiliser des capitaux, notamment en préfinancement, pour des projets dont le retour sur
investissement est à moyen ou long terme et reste incertain. Enfin,
les projets mis en place jusqu’à aujourd’hui sont principalement
des projets industriels à grande échelle, dans un nombre restreint de pays (Chine, Inde, Brésil) ; par conséquent l’impact sur le
développement dans les pays les moins avancés est encore limité.
L’objet de cette mini-conférence est d’analyser les mécanismes
d’aide au développement liés à la finance carbone, en faisant le
point sur les opportunités offertes par le Protocole de Kyoto et le
marché volontaire. Quatre experts du sujet ont été invités à partager leurs expériences de praticiens et échanger sur le passé, le
présent et l’avenir du marché de la finance carbone.
Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements
Synthèse
En guise d’introduction, Gautier Queru rappelle qu’un projet de réduction d’émissions de gaz à effeGES), exprimée en tonne équivalent CO2
(teqCO2), entraîne la création de crédits carbone qui sont achetés par
une entité pour sa propre conformité ou peuvent être revendus sur des
marchés d’échange.
Le Fonds Carbone Européen, créé en 2004 à l’initiative de la Caisse des
Dépôts et géré aujourd’hui par le département Environnement et Infrastructures de Natixis, a mis en place 27 projets correspondant à l’achat de
67 millions de teqCO2 évitées via des projets de réduction des émissions
de GES variés un peu partout dans le monde.
Les émissions de GES sont globales, de fait une teqCO2 évitée dans un
pays développé équivaut à une teqCO2 évitée dans un pays en développement. Cette flexibilité permet deux avantages :
Ainsi, au Brésil, un projet de valorisation par captation du méthane
de décharge, éligible au MDP, a permis d’éviter l’émission de 600 000
teqCO2 depuis son implémentation, tonnes qui ont été échangées sous
forme de crédits carbone.
• Optimiser la réduction d’émissions de GES en mettant en place des
projets à impact plus fort dans les pays en développement et émergents, le rapport coût / efficacité est nettement meilleur que dans les
pays développés : mise en place et modernisation des installations
existantes, etc.
• Impliquer ces pays dans la lutte contre le changement climatique et
ainsi diffuser des bonnes pratiques pour réduire a priori les émissions
de GES1.
Il existe trois mécanismes de crédits carbone : le Mécanisme pour un
Développement Propre (MDP), la Mise en Œuvre Conjointe (MOC) et le
marché volontaire. Les deux premiers mécanismes sont régulés par le
Protocole de Kyoto et sont destinés respectivement à la mise en place
de projets dans les pays en voie de développement (MDP) et dans les
pays dotés d’engagements chiffrés de réduction de leurs émissions de
GES (MOC). Le marché volontaire comprend les projets non régulés par
le Protocole, couvrant des domaines plus larges que la lutte contre le
changement climatique (protection des ressources aquatiques, forestières, etc.). Ces projets sont basés sur des standards mis en place par
des ONG reconnues. Aujourd’hui le marché des crédits carbone est à
80% composé de MDP, la MOC et le marché volontaire en représentent
chacun 10%.
Le marché de la finance carbone a fortement évolué ces dernières
années. En 2009, on dénombrait 96 fonds2 représentant 11 milliards
d’euros (pour comparaison, en 2006, 44 fonds se partageaient 7,2 milliards d’euros). A ce jour, 3 046 projets ont été mis en oeuvre, ce qui
représente 605 millions de crédits carbone, mais sur des projets industriels à grande échelle et dans un nombre limité de pays (Chine, Inde,
Brésil notamment).
L’industrie de la finance carbone et le savoir-faire se sont développés
très rapidement, néanmoins le manque de visibilité des acteurs sur
l’« après-Kyoto » (les engagements des pays signataires courent jusqu’à
2012) laisse craindre un fort ralentissement de la mise en place de projets
de réduction d’émission des GES, et par conséquent des échanges sur
le marché des crédits carbone.
1 Ces pays sont majoritairement les pays d’Europe Centrale et Orientale (PECO) et les pays
développés.
Laurent Valiergue nous présente Orbeo qui historiquement est une
société de négoce de réduction d’émissions créée en 2006 et qui a été
mise en place conjointement par le groupe de chimie français Rhodia et
par la Société Générale. Elle visait au départ à générer des flux carbone
(URCEs3) issus de projets MDP de destruction de N20 de la production
d’acide adipique intervenant dans le processus du nylon. Ces URCEs
répondent aux exigences de conformité de Rhodia dans le cadre du
marché de quotas Européens (SCEQE) pour une part mais la majorité
devait être valorisée (plus de 100 millions de crédits carbone à valoriser pour la société) ; la Société Générale s’est ainsi jointe à Rhodia afin
d’assurer le trading de ces flux carbone. Orbeo a ensuite développé ses
services marketing pour le négoce de crédits sur le marché européen
SCEQE. En 2007, l’entreprise a également développé un réseau en charge
de la création d’autres projets CDM : elle achète des crédits Kyoto sur
le marché primaire, auprès de porteurs de projets, qu’elle revend sur le
marché secondaire. Aujourd’hui, Orbeo représente un peu moins de
10% du marché mondial.
Les critères de choix des projets pour Orbeo ne reposent pas uniquement sur le prix : les coûts de transaction (enregistrement, vérification)
sont élevés et nécessitent des volumes de réduction importants. Les
risques représentent également un critère clé dans le choix d’un projet :
risque pays, risque d’image pour l’industriel et l’investisseur, risque de
contrepartie, etc.
L’achat de crédits carbone se fait via des contrats à terme : les revenus
générés par le projet permettent de négocier le contrat de préfinancement (dette). Le préfinancement est aujourd’hui une problématique
clé dans la mise en place de ce type de projet. La part de financement
carbone issue du MDP doit permettre de rendre rentable un projet permettant la réduction de GES qui autrement ne l’aurait pas été (principe
d’additionnalité), c’est donc cette finance carbone qui doit permettre
de participer au bouclage financier du projet (en plus de la dette et des
fonds propres).
Le problème étant que ces crédits sont livrés une fois que le projet est
commissionné, or il existe une incertitude quant aux réductions réelles
d’émissions de GES, il est donc difficile pour un financeur de s’engager
uniquement au vu de potentiels revenus carbone.
2 Un fonds carbone est une entité qui collecte du capital public et/ou privé et négocie les contrats de
crédits carbone profitant aux investisseurs (définition apportée durant la conférence par G. Quéru).
Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Mini-conférence
3 Unité de Réduction Certifiée des Emissions
Impact de la finance carbone sur l’aide au développement
95.
En effet, le manque d’expertise du secteur par les financeurs potentiels du
projet rend difficile l’accès pour les porteurs de projet à une solution de
préfinancement qui pourtant pourrait être justifiée par la rémunération
du carbone.
Ainsi, pour un projet de 10 millions d’euros visant à l’installation d’un
petit barrage hydro-électrique de 5 MWh à Madagascar (143 049 tCO2
évitées sur 10 ans), réalisé dans le cadre du MDP, un porteur de projet local
a rencontré des difficultés pour trouver un partenaire financier susceptible de lui accorder un crédit de 5 millions d’euros, aussi bien auprès de
financeurs privés que des bailleurs de fonds bilatéraux ou multilatéraux.
Au final, c’est la Société Générale locale, forte de sa relation de confiance
avec Orbeo (Orbeo étant filiale à 50% de la SG) qui avait effectué la Due
Diligence du porteur du projet, qui a apporté son concours au projet.
Outre cette question du préfinancement, Laurent Valiergue rejoint
Gautier Quéru sur les conséquences néfastes du manque de visibilité
de l’après-Kyoto sur le marché carbone : celui-ci a permis de générer
100 milliards d’euros de flux en quatre années seulement, et a permis
le développement d’un véritable savoir-faire en ingénierie financière
96. Convergences 2015
focalisé sur le carbone. A priori, les perspectives de développement de
la finance carbone sont donc très importantes, cependant le flou qui
entoure l’après-2012 risque d’entrainer une quasi-disparition des projets
de réduction des émissions de GES issus des mécanismes de flexibilité.
Et ce dès aujourd’hui, car le processus d’implémentation d’un projet est
long et complexe : il faut compter un an voire un an et demi pour qu’un
projet soit enregistré auprès de l’ONU.
Cependant, le marché volontaire, non couvert par le Protocole de Kyoto
et non éligible au marché de quotas européens, sera donc amené à se
développer dans les années à venir.
Matthieu Tiberghien, responsable de programme Action Carbone de
la Fondation GoodPlanet nous présente le programme. Action Carbone est un programme de la Fondation GoodPlanet, créée en 2005 par
Yann Arthus-Bertrand et reconnue Fondation d’Utilité Publique. Avec un
budget annuel d’environ 2 millions d’euros, 300 entreprises partenaires
et 4 000 donateurs particuliers, ce programme a permis d’éviter 150 000
teqCO2 d’émissions de GES. Six projets ont vu le jour.
Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements
Le programme Action Carbone intervient sur le marché volontaire et pas
sur les mécanismes de flexibilité du Protocole de Kyoto (MDP et MOC),
il propose deux outils :
• Compensation carbone (depuis 2006) : consiste à faire émerger des
projets qui n’auraient pas lieu via le secteur privé par manque de rentabilité ;
• Alternative carbone (depuis 2008) : finance les projets pas assez mûrs
pour la compensation carbone et la méthodologie du Protocole de
Kyoto.
Les projets de compensation carbone utilisent le cadre de référence du
MDP et sont labellisés au Gold Standard et VCS, qui sont les standards
établis par des ONG reconnues pour le marché volontaire. Matthieu
Tiberghien souligne que ces programmes sont à but non lucratif et
entièrement transparents (95% des dons sont affectés directement aux
projets). Malgré des coûts plus élevés que dans les programmes classiques, Action Carbone a un modèle économique équilibré. Le coût de
compensation des émissions de GES est de 15 à 17 euros par teqCO2,
contre 12 à 13 euros pour les CER et 5 à 10 euros pour les CER4 . Le programme accorde un préfinancement de 15 euros par teqCO2.
L’additionnalité des projets mis en place se situe entre 60 et 100% (5 à
20% en temps normal), ce qui signifie que sans l’investissement d’Action
Carbone les projets en question n’auraient pas pu voir le jour.
Action Carbone a ainsi mis en oeuvre en Inde un projet de valorisation
des excréments d’animaux par l’installation de réservoirs à biogaz. Plus
de 50 000 biodigesteurs ont déjà été construits, qui ont permis d’une
part de réduire 5 teqCO2 par unité et par an, et d’autre part d’augmenter
les revenus des populations locales grâce à la vente de compost et la
réduction des besoins en kérosène et engrais chimiques.
Pierric Jammes nous présente Pur Projet qui est une structure créée
en 2008 par Tristan Lecomte (Alter Eco) destinée au développement de
projets d’agro-foresterie avec les cultures locales des pays en voie de
développement (café, cacao, riz, etc.). Par l’intermédiaire de programmes
de réduction des émissions de GES et de lutte contre la déforestation, l’objectif de Pur Projet est de maximiser l’impact social et environnemental
sur les producteurs locaux. Pur Projet intervient sur le marché volontaire.
Pierric Jammes a montré en pratique la vision intégrée de Pur Projet en
prenant l’exemple du programme mis en place au Pérou au profit des
producteurs de cacao. Ce programme permet de lutter contre l’érosion
des sols, de gérer la ressource forestière (exploitation du bois, meilleure
séquestration du carbone, gestion de la biodiversité et des ressources
naturelles) et de multiplier par 5 à moyen terme les revenus des petits
producteurs locaux par la revente du bois.
Le marché volontaire, amené à se développer dans les années à venir,
correspond à une démarche complète qui profite aux populations locales
aux niveaux environnemental, social et économique.
4 Les CER (réductions d’émissions certifiées) sont délivrés par les projets mis en place dans le cadre du
Protocole de Kyoto (MDP et MOC), les VER (réductions d’émissions vérifiées) dans le cadre du marché
volontaire.
Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Mini-conférence
Impact de la finance carbone sur l’aide au développement
97.
Questions
L’impact du changement climatique se fera sentir surtout sur les pays
pauvres. N’est-ce pas se donner bonne conscience que de mettre en
place ces projets ? Est-ce que cela agit réellement sur le développement ?
Laurent Valiergue : Un marché de 100 milliards d’euros a été instauré
en seulement 4 ans, ce qui implique des conséquences à moyen et long
terme pour le développement des pays les moins avancés. Néanmoins,
pour assurer cette continuité, il est nécessaire d’avoir plus de visibilité
sur l’après-2012 et la suite que les instances internationales choisissent de donner au Protocole de Kyoto. La seule visibilité donnée par
la Commission Européenne est que seul les Pays les Moins Avancés,
majoritairement africains seront éligibles pour le montage de projets
MDP.
Vous parlez d’un marché de 100 Milliards d’euros, quelle est la part
réellement reçue par les PED ?
Laurent Valiergue : Ce marché est majoritairement composé par
les échanges de quotas entre entreprises. Les crédits carbone issus
des mécanismes Kyoto des PED représentent 15 milliards de dollars.
Aujourd’hui, de plus en plus de projets de réduction d’émissions de GES
sont mis en place par des PME locales, sur des projets du type Hysacam
où la dette est levée par une banque locale pour une PME locale, et par
conséquent la recette issue de ces projets reste dans le pays. Cependant
nous n’avons pas de chiffrage précis quant à la part restant dans le pays
sur l’ensemble du marché carbone.
les impacts pour ces dernières ?
Gautier Quéru : Les parties-prenantes sont prises en compte dans le plan
de développement de chaque projet, notamment le rôle et l’implication
des populations locales. Le sujet est d’ailleurs assez sensible dans certains
pays d’Afrique.
Laurent Valiergue : C’est également le cas pour les projets mis en place
par Orbeo. Par exemple, en Azerbaïdjan, les collecteurs de déchets vont
tous être embauchés par une usine de recyclage.
Les ONG de développement ont une expertise sur la mise en place
de projets. Les projets que vous présentez sont-ils initiés par vousmême ou est-il possible de développer des partenariats avec des
ONG du Nord et du Sud ?
Matthieu Tiberghien : Les partenariats avec des ONG sont fréquents
car elles ont des compétences en montage de projet. Action Carbone
s’appuie par exemple sur AVSF. Malheureusement les programmes
groupés sont souvent assez lourds à gérer.
Pierric Jammes : Pur Projet s’appuie sur des coopératives locales de
producteurs et des ONG locales.
Beaucoup de projets concernent la récupération du méthane dans
les décharges. Or, dans les PED, les décharges sont souvent les dernières opportunités de survie pour les populations locales. Quels sont
98. Convergences 2015
Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements
Rapporteur officiel :
Anthony Degouve, Crédit Coopératif
Plus d’échanges entre ONG et secteur privé pour
plus de financements :
quand, comment, pourquoi ?
Atelier // Social business et Coopération internationale
Modérateur
Médéric Jacottin
Responsable des relations externes,
Fondation GoodPlanet
Charles-Benoît Heidsieck
Président, Le RAMEAU
Intervenants
Alain Caudrelier-Bénac
Directeur Général, Plan France
Stéphane Godin
Responsable des partenariats, Groupe SOS
Augustin Debiesse
Consultant Senior, Optimus
Philippe Lévêque
Directeur Général, CARE France
Damien Desjonquères
Coordonnateur Sociétal et Responsable du
Programme Accès à l’Energie, Total
Didier Piard
Directeur de l’ action sociale,
Croix-Rouge
Patrick Edel
Fondateur, La Guilde Européenne du Raid
Résumé analytique
Alors que le secteur associatif doit aujourd’hui faire face à une
augmentation des demandes qui lui sont adressées, la raréfaction
des ressources financières et humaines, en particulier des aides
publiques, rend nécessaire la recherche de nouvelles sources de financement. Les partenariats entre ONG et secteur privé constituent
une réponse à cette problématique. Il serait cependant réducteur
d’envisager ces partenariats sous le seul angle financier. Il s’agit au
contraire de créer les conditions d’un dialogue et d’un échange entre
des acteurs dont les cultures diffèrent pour aboutir à des partena-
riats gagnant-gagnant. La mise en synergie des ressources de l’ONG
et de l’entreprise au service d’un projet et d’objectifs communs, la
complémentarité de leurs expertises et l’innovation émanant de la
rencontre des cultures de chaque acteur doivent permettre de renforcer la pertinence et l’efficacité des projets menés conjointement.
Le succès de ces échanges repose sur l’établissement d’un climat
de confiance entre les partenaires, au travers de la prise en compte
de leurs intérêts respectifs et de la définition d’objectifs communs.
Forum Convergences 2015 - Edition 2011 ///Atelier Plus d’échanges entre ONG et secteur privé pour plus de financements : quand, comment, pourquoi ?
99.
Synthèse
Sans les financements, les salariés et les bénévoles, il n’y a pas d’association. A l’heure actuelle, l’on attend encore beaucoup des pouvoirs
publics, qui ne peuvent pas tout faire. Les associations existent également, mais elles ont besoin de se financer, de se développer, de se
former. Les financements ne font pas tout, il faut des moyens concrets,
ce qui implique aujourd’hui un changement de culture et de posture
des associations, culture de l’adaptation que les entreprises ont déjà.
Dès lors, le secteur associatif doit aujourd’hui faire face à trois grands enjeux :
• l’augmentation des besoins que l’on a vu s’exercer ces trente dernières années quand la mission du secteur associatif est justement de répondre aux besoins auxquels ni les pouvoirs publics,
ni les entreprises privées ne peuvent répondre qui requiert
l’augmentation du poids du secteur associatif dans l’économie ;
• la raréfaction des ressources financières et humaines, due en
particulier à l’évolution de la structure des dépenses publiques ;
• l’évolution des enjeux structurels profonds, due à un changement d’échelle territoriale (locale contre nationale) et à
l’impact de changements culturels au sein des bénéficiaires.
De ce fait le secteur associatif évolue, et demande à s’ouvrir à de
nouveaux partenaires. Affirmer que l’intérêt de cette ouverture est
purement financier serait donné une image bien réductrice des
évolutions qui sont en marche : il s’agit aujourd’hui de mettre en
œuvre une nouvelle gestion (une cogestion) du bien commun.
Les intérêts du partenariat association-entreprise pour les parties
impliquées sont multiples. Le partenariat permet de favoriser ou
renforcer l’ancrage territorial des entreprises, de renforcer les expertises (pour les entreprises et les associations). Il est source d’innovation et donne les moyens de créer et de faire vivre les projets pour
pouvoir en démontrer l’efficacité. C’est aussi la raison pour laquelle
nous nous devons de développer des projets mieux adaptés et plus
efficaces, et de ce fait plus innovants : démontrer l’efficacité de ces
projets permettra leur développement à une plus grande échelle.
Mais pour l’entreprise, il s’agit aussi bien sûr d’un enjeu en terme
d’image, interne et externe, qui n’est pas négligeable. Le partenariat entreprise-association aide à développer un esprit d’entreprise,
la fierté et la fidélité des employés. L’entreprise a besoin de sens ; la
quête de sens est humaine et universelle. Une société aujourd’hui
ne se construit pas seulement avec l’Etat, mais aussi avec les acteurs
sociaux. Il faut alors prendre le temps de bien poser les partenariats.
Les 4 défis des partenariats association-entreprise sont donc les suivants :
• assurer le bon management du projet ;
• assurer le développement économique ;
• impliquer les parties prenantes ;
• générer l’innovation.
De plus, l’opinion que la société se fait du partenariat entre association et
100. Convergences 2015
entreprise a évolué. Il est aujourd’hui plébiscité par les citoyens alors qu’ils
y étaient jusqu’à présent opposés, ce qui résulte de la prise de conscience
du désengagement des Etats, des promesses non tenues, des pouvoirs
centraux pas ou plus crédibles. Sur le terrain, la possibilité de faire changer
les choses appartient aujourd’hui aux autorités locales et aux entreprises,
tandis qu’elles étaient considérées hier comme la source du problème.
Dès lors, dans le contexte actuel de remise en cause du capitalisme et de
la mondialisation, l’entreprise prend conscience qu’elle ne répond plus
aux attentes des parties prenantes. Deux solutions s’offrent à elle : le
mécénat ou la philanthropie. Mais quelle est alors la réelle valeur ajoutée
de l’entreprise dans les projets ainsi soutenus ou dans les partenariats ?
Aujourd’hui encore, les acteurs rencontrent de nombreux freins au
changement sur le terrain. Au début de leur recherche de financement, les ONG tendaient la main dans une « logique de mendicité ».
L’enjeu est alors de faire évoluer les mentalités jusqu’à parvenir à un
partenariat gagnant-gagnant. Notons également que les entreprises
peuvent aussi aider financièrement les associations en les faisant
travailler (services aux entreprises, etc.). En 1985 déjà, les grandes
conclusions du Forum d’Agen étaient, entre autres, de toujours garder
en tête que les associations sont aussi des entreprises. Nos collègues
anglo-saxons sont plus avancés que les acteurs français dans cette
démarche, tandis que les acteurs japonais sont plus en retard que nous.
Mais le fait est que ces deux mondes très différents sont en train de se
rapprocher, car le point le plus important dans ce partenariat est la finalité
des projets menés.
On recense 3 points de convergence entre associations et entreprises :
• les valeurs communes (un sens similaire donné à l’action de chaque
partenaire) ;
• les projets (rien ne naît sans un projet, au service du bien ou de l’intérêt
commun) ;
• les individus (qui échangent entre eux, se parlent et sont désireux de
faire vivre le projet).
La co-construction appelle différentes phases de questionnement respectif :
• s’interroger pour apprendre à se connaître et fixer les termes et
la dimension du partenariat (local, national ou international),
ce qui représente plusieurs mois d’échanges entre les protagonistes (environ 14 mois soit plus que le temps nécessaire pour
obtenir une subvention, mais les subventions ne suffisent pas);
• définir la thématique du partenariat ;
• définir la zone géographique concernée, aux confluents des intérêts
de l’entreprise et de la finalité de l’association ;
• déterminer dans quelle mesure l’entreprise est prête à accepter un
co-financement ;
• déterminer le mode d’action ce que chacun apporte, les interdits.
Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements
On saura alors quel partenariat est en train de s’établir. Cette étape est
importante car ce n’est qu’une fois que l’on a identifié les modalités de
partenariat possibles, les objectifs et la finalité des moyens mis en œuvre
que l’on peut s’intéresser aux enjeux financiers derrière le partenariat.
Mais bien entendu, il ne faut pas sous-estimer l’importance de la finalité
de l’action pour savoir, d’où l’on part, où l’on va, en combien de temps,
avec quels indicateurs de suivi, quels audits et quelle mesure d’impact.
Le partenariat représente l’avenir de ce que les entreprises et les associations peuvent faire ensemble, et il est encore plus riche lorsqu’il
est multilatéral, et non plus seulement bilatéral. Les associations
touchent un public difficilement accessible aux entreprises, dont
le professionnalisme s’enferme parfois dans des schémas réduits.
Il s’agit alors de regagner l’esprit d’innovation. L’avenir de ce partenariat s’apparente beaucoup à celui de l’entrepreneuriat social.
Retours d’expériences : les risques et les difficultés, les bonnes pratiques et les success stories .
L’ instrumentalisation des projets pour un greenwashing des entreprises : des pratiques avérées ou exagérées ?
Si ce point est souvent mentionné, cela prouve bien qu’il y a effectivement eu des cas d’instrumentalisation du partenariat entreprise-association. Et si cela s’est déjà produit, cela prouve qu’il existe des entreprises
et des associations qui acceptent ces pratiques, car il est aisé de les
éviter : il suffit de bien définir en amont les objectifs du partenariat.
En outre, il est important de rappeler que dans le partenariat entreprise-association, c’est l’entreprise qui prend le plus de risque en
termes d’image, d’autant que la mémoire (la rancune) des ONG est
bien plus longue que la mémoire institutionnelle de l’entreprise. Les
ONG ne manqueront pas de rappeler à l’entreprise ses mauvaises
pratiques en temps voulu. Mais l’image de l’entreprise qui se dessine
au fil des projets dans lesquels elle s’investit ne s’arrête pas aux ONG :
elle se diffuse à l’ensemble de la société. Dès lors, il est plus difficile
pour les associations relativement jeunes, ou traitant de problèmes
nouveaux ou tabous, de s’ouvrir les portes des entreprises et, inversement, une entreprise qui souhaite aujourd’hui se lancer dans le
mécénat aura plus de difficultés à contacter les grandes associations.
De plus, si l’entreprise prend le risque de signer avec une association qui
ne répondra pas à ses attentes, l’association quant à elle court le risque
d’être instrumentalisée par l’entreprise. Il faut accepter ces risques pour
entrer dans un partenariat entreprise-association. Il s’agit là d’une crainte
constructive, d’où naîtra l’innovation. Si l’on n’accepte aucun risque alors
aucun projet ne verra le jour. Au sein de l’entreprise, le porteur de projet
doit se battre pour que le projet soit suivi pour sa finalité et non pour la
communication que l’on peut en faire. Mais de plus en plus les entreprises
ne souhaitent pas communiquer sur un projet avant qu’il ne soit mené à
bien, ce qui prouve que l’on est plus dans le « faire » que dans le « paraître ».
Forum Convergences 2015 - Edition 2011 ///Atelier Plus d’échanges entre ONG et secteur privé pour plus de financements : quand, comment, pourquoi ?
101.
Les associations choisissent-elles les entreprises avec qui elles souhaitent ou ne souhaitent pas travailler ? Quels sont les dangers pour
des ONG à s’associer à des entreprises jouissant d’une image négative ? Comment le choix est-il validé en interne par l’association et comment le partenariat est-il ensuite rapporté à ses parties prenantes ?
Il s’agit ici d’une question fondamentalement éthique et politique, sur
laquelle chaque association doit trancher un jour ou l’autre. Si le Groupe
SOS et CARE France ont choisi d’exclure de tous leurs partenariats
certains secteurs d’activité controversés, Augustin Debiesse, Consultant Senior pour Optimus, souligne qu’il est également important de
communiquer sur ce qui fonctionne et faire jouer l’exemplarité, et pas
seulement mettre en lumière ce qui ne marche pas. Cela fait partie du
cercle vertueux. C’est le projet qui importe vraiment car si les associations
étaient réellement exigeantes, de nombreux projets ne se feraient pas.
Les dommages en termes d’image pour les ONG sont très faibles. Mais
dans la représentation culturelle que se font les français de ce que doit
être la solidarité, il existe des projets invendables. Stéphane Godin,
Responsable des partenariats du Groupe SOS, prend pour exemple
les projets en faveur de la réinsertion des drogués ou des délinquants.
Il est très difficile pour une association de faire passer de tels projets
auprès d’une entreprise. On dérive ici sur la nouvelle dimension du
mécénat d’entreprise, qui tient compte de la légitimité de l’entreprise
à se positionner sur une problématique qui s’éloigne de son cœur de
métier. La question est alors de savoir si l’entreprise doit réellement
s’engager sur un terrain qui n’est pas le sien, mais celui des pouvoirs
publics. L’ entreprise ne doit pas être le nouveau pouvoir public. Elle a
un rôle à jouer à ses côtés pour repérer et solutionner les problèmes
des sociétés actuelles, mais les deux acteurs doivent s’impliquer. Si
l’Etat ne peut pas tout, l’entreprise a sa place non pas en tant que remplacement, mais en en tant que complémentarité de l’action de l’Etat.
Comment se fait la communication sur les projets de partenariat ?
devient difficile de déterminer à quel niveau se situe la prise de décision.
En outre, si certains projets apparaissent comme particulièrement peu attrayants pour les entreprises, l’enjeu est parfois pour elles de reprendre leurs responsabilités du fait de leur
activité. C’est le cas par exemple de l’accompagnement par les
banques des personnes exclues du système bancaire classique.
Il existe aujourd’hui trois points primordiaux qui, s’ils sont bien gérés,
font des projets une réussite :
• le passage à l’échelle des projets, enjeu fondamental si l’on veut changer
le monde ;
• savoir éviter les incohérences (par exemple : développer la commercialisation de produits laitiers pas chers quand d’autres
associations se mobilisent pour augmenter le prix du lait
dans l’espoir d’améliorer les conditions de vie des paysans) ;
• impliquer l’Etat dont le rôle est fondamental en tant que régulateur.
Pour conclure, il a semblé primordial aux participants de rappeler
que le professionnalisme des acteurs est l’une des clés de la réussite
des partenariats entreprise-association. Dès lors, la question n’est pas
de savoir s’il faut monter un partenariat, mais comment le monter.
Trois pistes d’amélioration apparaissent alors : suivre l’exemple des
pionniers, multiplier les expériences et mutualiser les compétences.
La formation des consultants qui accompagnent les partenariats est elle
aussi primordiale. Sans elle, il est très osé de parier sur la réussite du partenariat, d’autant que les acteurs, et en particulier les entreprises, manquent
souvent d’informations sur la réalité des marchés auxquels s’adressent les
partenariats et sur la meilleure manière de mener à bien ces partenariats.
Dès lors que l’on a levé le voile sur la façon dont il est possible de faire
vivre des projets communs, Didier Piard formule le vœu pieu de voir
naître des partenariats pérennes, capables de faire naître une entité mixte
qui génèrerait des emplois grâce à des projets véritablement rentables.
Tout d’abord, il est important de bien définir ensemble le projet en
se calant sur les ambitions de chacun, sinon l’exercice de la communication peut s’avérer très périlleux. Lors de leurs exercices de
communication respectifs, l’ONG doit valoriser l’investissement de
l’entreprise, tandis que l’entreprise doit valoriser la compétence de l’ONG.
En termes de reporting sur les projets et de mesure d’impact, les associations accusent un retard frappant au regard de ce à quoi sont parvenues
les entreprises. Il est très difficile pour le secteur d’évaluer l’impact de ses
actions sociales, ou même de suivre efficacement ses projets sociaux.
Comment surmonter les différences de culture et la frilosité de certains acteurs ?
Si l’entreprise semble s’impliquer de plus en plus dans les projets de partenariat dont elle est l’acteur aux côtés des ONG, et non plus le suiveur,
on doit alors faire face à des structures de plus en plus complexes, où il
102. Convergences 2015
Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements
Rapporteur officiel :
Alexandra Bestel, Ethifinance
TheComprendre l’émergence de l’ « impact investing » :
rapport de J.P. Morgan et de la Fondation Rockefeller
Mini-conférence // Social Business
Modérateur
Olivier de Guerre
Président, PhiTrust Active Investors
Intervenant
Yasemin Saltuk
Chercheur analyste, J.P. Morgan Chase & Co
Résumé analytique
Le rapport de JPMorgan et de la Fondation Rockefeller a évalué les
Retours Sur les Investissements (RSI) attendus et les réalisations de
plus de 1000 investissements d’impact, identifiés par le Global Impact Investing Network. Le rapport souligne qu’il s’agit d’ une nouvelle classe d’actifs à structurer:
•
Quel est le RSI attendu et l’efficacité de ces actifs ? L’étude identifie le RSI en fonction du secteur, du type d’investissements
et de l’emplacement géographique. Le RSI varie considérablement selon les acteurs qui peuvent se concentrer sur l’impact
(RSI faible) ou sur le rendement financier (RSI important).
•
•
Quelle est la taille du marché potentiel ? Investir 1000 milliards
de dollars en capital générerait un profit de 667 milliard de dollars sur les 10 prochaines années.
•
Quels sont les risques ? Trois types majeurs de risques on été
identifiés: Les risques de réputation, les risques juridiques et
financiers, et les risques pour l’impact social.
•
•
La définition: L’ investissement d’impact est un investissement
destiné à avoir un impact social. Il est basé sur une transaction
financière (injection de capital), une intention réelle d’avoir un
impact, une affectation à des projets spécifiques et l’attente
d’un RSI positif.
Les investissements d’impact sont soutenus par les institutions
financières, les fondations, les fonds de pension, des sociétés et
des particuliers fortunés.
Les investissements d’impact sont soutenus par les institutions
financières, les fondations, les fonds de pension, des sociétés et
des particuliers fortunés.
Le rapport complet est disponible sur le site internet de JPMorgan:
http://www.jpmorgan.com/pages/jpmorgan/investbk/research/
impactinvestments
Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Mini-conférence Comprendre l’émergence de l’ « impact investing » :
rapport de J.P. Morgan et de la Fondation Rockefeller
103.
Synthèse
1. Qu’est ce qui définit et distingue l’investissement d’impact des
autres produits financiers d’investissements ?
Pour comprendre l’émergence de l’investissement d’impact, il est nécessaire de le distinguer d’autres concepts existants et d’un grand nombre
de termes : l’investissement d’impact ne peut être considéré comme
un acte de philanthropie (la logique du don sans retour sur l’investissement) ou un investissement socialement responsable (qui ne vise qu’à
minimiser l’impact négatif).
En effet c’est un investissement qui génère un impact positif au-delà
de simples retours financiers. Ceci étant dit, cela requiert une gestion
prudente de l’environnement réel et de la performance sociale en plus
des risques financiers liés et des RSI :
Source : J.P. Morgan
L’investissement d’impact fonctionne dans deux domaines principaux : les besoins fondamentaux (agriculture, eau, logement) et les services
(éducation, santé, énergie, services financiers).
104. Convergences 2015
Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements
2. Qui est impliqué ?
3. Quel est l’impact de cette classe de produits d’investissement
émergente ?
Les acteurs de l’investissement d’impact incluent :
• Les Institutions financières de développement (IFD) qui ont été créées
par les gouvernements en complément des donations des particuliers
et des entreprises (La Banque Européenne pour la Reconstruction et le
Développement par exemple).
• Les fondations privées (Omidyar Network aux Etats-Unis et la Fondations Esmée Fairbairn au Royaume-Uni).
• Des institutions financières majeures (J.P. Morgan, Citigroup, ...) qui
sont positionnées au-delà de leurs obligations légales afin d’améliorer
leur impact.
• Les gestionnaires de patrimoine privé (Capricorne Investment Group).
• Les banques commerciales (Triodos Bank en Europe) qui offrent des
produits de détail à des clients individuels et à leurs associations afin
d’apporter des initiatives de soins.
• Les gestionnaires de fonds de pension (PGGM aux Pays-Bas).
• Les fonds d’investissements qui collectent et gèrent les fonds d’individus aux revenus élevés (HNWI).
• Les entreprises qui diversifient leurs activités de chaîne d’approvisionnement et qui élargissent leur part de marché à travers ce type
d’investissements (Danone).
• Des institutions financières de développement des communautés
(CIFD).
Cette diversité montre que ce type d’investissement n’est pas un épiphénomène.
L’institut CFA définit une classe d’actifs en général avec un ensemble de
caractéristiques financières. Ainsi, une classe d’actifs doit comprendre un
ensemble relativement homogène d’actifs, être mutuellement exclusive,
être diversifiée en tant que groupe, représenter une part significative
du potentiel d’investissement global et avoir la capacité d’absorber une
partie significative du portefeuille d’investisseurs sans affecter la liquidité
du portefeuille. Cette définition est un bon début mais devrait être complétée pour prendre en compte les catégories de placement qui n’ont
pas encore généré suffisamment de données historiques. J.P. Morgan
ajoute des propositions à cet ensemble de critères qui répondent aux
spécificités qui définissent l’investissement d’impact :
• Un ensemble unique de compétences d’investissement / gestion des
risques : de plus en plus de professionnels seront définis par leur expertise dans le domaine. Pour l’investissement d’impact, les compétences
financières sont inséparables des compétences en matière socio-environnementale.
• Des organisations structurées pour répondre à ces expériences : dans
les grandes institutions, il est nécessaire d’avoir une véritable équipe
travaillant ensemble sur le thème de l’investissement d’impact. Cela
arrive de plus en plus fréquemment, comme les exemples de la Fondation Rockefeller et de J.P. Morgan le montrent.
• Des organisations sectorielles, des associations et des écoles qui se
sont saisies du sujet : Des réseaux, des conférences, des cours et des
ressources seront construits et disponibles pour les nouveaux experts
dans le domaine. De plus en plus d’écoles intègreront l’investissement
d’impact dans leur formation.
• Le développement de mesures, études comparatives et/ou ratios standardisés. Plusieurs initiatives sont en cours sur ce sujet (système de
classement) pour éviter de perdre du temps au cours de l’évaluation
de l’impact des investissements.
Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Mini-conférence Comprendre l’émergence de l’ « impact investing » :
rapport de J.P. Morgan et de la Fondation Rockefeller
105.
Une fois que ces caractéristiques sont identifiées, la question qui se pose
est celle des défis les plus importants : Quelles sont les questions les
plus difficiles à traiter? Est-ce trouver des personnes compétentes pour
structurer une équipe au sein d’une grande structure, trouver des projets
dans lesquels investir ou avoir l’appui de l’équipe de direction ?
4. Quel est le RSI attendu et l’efficacité de ces actifs ?
6. Quels sont les risques ?
Cette étude distingue le RSI attendu par secteur (distribution de secteur), type d’investissement (distribution d’instrument) et emplacement
(distribution géographique). Le RSI varie fortement selon les acteurs qui
se concentreront sur l’impact (faible RSI) ou sur le retour financier (RSI
important).
Trois types majeurs de risques ont été identifiés :
Nous notons que le moyen privilégié de l’investissement d’impact est
l’investissement dans la dette privée, ce qui équivaut à un prêt, puis vient
la logique d’investissement plus traditionnelle avec des capitaux privés.
En termes de secteurs, les secteurs de la microfinance et de l’agriculture
sont favorisés. La question de l’eau apparaît comme la dernière priorité,
ce qui est surprenant étant donnée l’importance de ce problème (comme
vu dans les Objectifs du Millénaire pour le Développement par exemple).
Cela indique simplement la nécessité pour ce secteur de trouver un
modèle économique viable.
Il y a très peu de données sur le RSI réellement atteint. Il y a une réelle
diversité en termes d’acteurs dont certains sont surtout motivés par
l’impact et d’autres par le retour financier, avec un ensemble de situations intermédiaires.
5. Quelle est la taille potentielle du marché ?
Le rapport estime que des investissements d’impact à hauteur de 400
milliards à 1000 milliard de dollars situeraient les profits potentiels entre
183 milliards et 667 milliards au cours des 10 prochaines années dans cinq
zones où les gens gagnent moins de 3000 dollars par an. Ces bénéfices
incluront le logement, l’eau, la santé, l’éducation et les services financiers.
Cela peut sembler élevé, mais c’est marginal par rapport à l’investissement
global.
106. Convergences 2015
• Le risque juridique et le risque de réputation sont très importants,
comme nous l’avons vu avec les gros titres sur la Grameen Bank et son
fondateur. Une fois que vous générez un profit en ciblant les plus pauvres, il faut être très prudent pour ne pas compromettre votre réputation
et votre image, ou prendre des risques juridiques.
• Les risques financiers : Il y a les risques de crédit associés à certaines
compagnies, les risques pays associés aux entreprises traitant, par
exemple, avec le Moyen-Orient, et les risques de change.
• Les risques en termes d’impact social : Le tout est de mesurer l’impact
social de tous les investissements avec une méthode qui n’est pas trop
coûteuse ni trop gourmande en ressources, mais qui est logique et
compréhensible.
Conclusion
• L’investissement d’impact est vraiment une nouvelle classe d’actifs et
les investisseurs doivent se retrouver pour en tenir compte. Les écoles
de commerce commencent à l’enseigner, ce qui est une bonne chose.
• Le marché potentiel est très important.
• L’étude comparative des RSI est très délicate et le rapport a montré une
dispersion réelle des attentes selon les investisseurs.
• Beaucoup de travail reste à faire sur les infrastructures. Les produits
doivent être rendus plus accessibles, des séries de mesures et d’outils
doivent être mis en place pour établir un langage commun.
Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements
Questions
• Parmi les attentes des investisseurs, il y a beaucoup de nouveaux
entrants qui investissent en « capital passion » avec du RSI à long terme
et de petits rendements attendus (entre 4 et 5%). Espérons que cela va
devenir une tendance.
• Est-ce que cette nouvelle classe d’actifs est un ensemble de plus
de produits financiers ou conduira-t-elle à une véritable rénovation de la relation entre le public, le privé et le secteur associatif ?
• Des interrogations sur le fait que le financement de la dette
privée semble être le principal outil financier des investissements
d’impact : Le prêt n’est pas une véritable forme d’investissement.
Investir ne signifie-t-il pas prendre des parts dans une entreprise ? Il y a une réelle différence entre ces deux démarches.
Rapporteur officiel :
Sébastien Goua, Croix-Rouge
• On pourrait dire que la seule mesure du retour sur investissement
est le RSI. Quand on parle de l’impact financier de l’investissement,
il faut cependant aussi parler de Retour Social Sur Investissement.
Il serait intéressant de combiner cette analyse avec l’approche RSI.
Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Mini-conférence Comprendre l’émergence de l’ « impact investing » :
rapport de J.P. Morgan et de la Fondation Rockefeller
107.
L’aide privée peut-elle éradiquer la pauvreté ?
Analyse et perspectives de la philanthropie
d’entreprise et de la philanthropie individuelle
Table-ronde // Economie sociale et solidaire et Social business
Modérateur
Priscilla de Moustier
Présidente, Conseil de surveillance, OXUS Holding
Intervenants
Béatrice de Durfort
Déléguée Générale, Centre Français des Fonds
et Fondations
Michel Soublin
Ancien Président, Comité de la Charte du Don
en Confiance
Pierre-Emmanuel Grange
Fondateur, MicroDON
Judith Symonds
Consultant principal, JCS International
Arnaud Poissonnier
Fondateur et Président, Babyloan
Résumé analytique
L’objectif de la philanthropie est de trouver des solutions face à un
large éventail de questions sociales. Le thème de cette conférence
était d’aborder l’aide privée par laquelle les particuliers choisissent
de donner à des associations de solidarité internationale.
La philanthropie privée peut être mise en place par un grand
nombre d’outils allant de subventions stratégiques, données par
des particuliers et des fondations, aux formes différentes d’investissements sociaux (impact investing, microcrédit, l’entrepreuneuriat
social, le capital patient, etc.)
Des nouvelles formes de philanthropie et d’investissements sociaux ont récemment été introduites en France et élargissent le
champ de participants impliqués dans la philanthropie.
108. Convergences 2015
On peut donc, en un sens, considérer que certaines solutions innovantes impliquent des acteurs privés dans une nouvelle forme de
philanthropie individuelle :
•Des plateformes de prêt en ligne pour des micro-entrepreuneurs
(Babyloan),
•Des cartes de dons pour des associations locales (MicroDON),
•Des techniques d’arrondi sur feuilles de paie qui consistent à reverser les centimes sur les nets à payer.
Afin de faciliter le développement de la philanthropie privée, il est
souhaitable de donner confiance au donateur en effectuant un
contrôle des organismes bénéficiaires (comité de la charte du don
en confiance). Une autre mesure pourrait consister à favoriser le
rapprochement entre les associations pour éviter les effets de dilution des ressources.
Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements
Synthèse
Arnaud Poissonnier présente Babyloan, plateforme de prêt de particulier à particulier, située en première position en Europe. Il s’agit de
philanthropie par l’innovation : la plateforme sur internet permet de
développer les relations Nord Sud. Au lieu de donner, les personnes
prêtent des sommes qui sont reversées à des micro-entrepreneurs.
Selon Arnaud Poissonnier, l’objectif de la philanthropie est de compenser les carences de l’Etat. Il est donc judicieux de réfléchir à de nouveaux outils notamment via le web qui est en train de créer de nouvelles
solidarités. Sur l’ensemble des dons en France, le web ne représente que
3-3,5% : il y a donc un réel chantier à mener.
Arnaud Poissonnier prend l’exemple de « just giving », le site internet
anglais grâce auquel des particuliers peuvent organiser des évènements
dans un objectif de collecte de dons pour une association.
Pierre-Emmanuel Grange a découvert au Mexique le principe du
« redondeo » : l’arrondi donné à une association. Il s’agit d’ embeddedgiving, c’est-à-dire de générosité embarquée/au quotidien.
MicroDON a développé deux types d’outils :
• La carte microdon : don à une association locale de solidarité, partenariat public/privé à l’échelle locale
• Le don sur salaire : automatic data processing, c’est-à-dire proposer aux
salariés de reverser les centimes sur les nets à payer.
La France souffre d’un tarissement des subventions publiques et utilise
surtout la collecte sur la voie publique et les campagnes par e-mail pour
collecter des dons. Cependant, compte tenu de l’évolution des nouvelles
technologies, les nouvelles générations sont de moins en moins enclines
à utiliser des coupons papiers.
Béatrice de Durfort rappelle que le Centre Français des Fonds et Fondations est une association qui vise à réunir tous les acteurs du secteur,
opérateurs ou distributeurs, à en promouvoir l’action, à en développer
les bonnes pratiques afin de leur permettre de renforcer leur impact au
bénéfice des causes d’intérêt général. L’ Observatoire des Fondations
et Fonds de dotation a récemment publié le 3ème panorama du secteur,
unique benchmark en France d’un secteur encore méconnu. Il permet de
mesurer jusqu’à quel point les fondations s’impliquent dans les Objectifs
du Millénaire pour le Développement (OMD). La lutte contre la pauvreté
commence bien sûr par une action et un engagement des fondations
en France où les besoins sont en cruelle augmentation.
Il est par ailleurs à noter que l’intérêt général au sens fiscal du terme – et
la lecture restrictive de son application par l’administration - ne favorise
pas l’intervention internationale des fondations.
• Implication grandissante sur l’action sociale. Le sujet de la pauvreté
est abordé par des axes stratégiques spécifiques (santé, accès à l’eau,
alimentation, lutte contre l’illettrisme, etc.) et non de façon globale : par
suite, il est difficile de mesurer la contribution globale des fondations
à ce sujet.
• Les fondations pensent de plus en plus en termes de coopérations et
synergies pour atteindre des seuils critiques susceptibles d’avoir un
véritable impact sur les enjeux qu’elles entendent traiter.
• Démultiplication des modalités d’action : grand déploiement d’ingénierie de projet et d’innovation dans la mise en œuvre des projets. Les
frontières entre secteur lucratif et non lucratif bougent pour mieux
appréhender les problèmes, mais non sans tensions pour la bonne
compréhension des acteurs.
Selon Béatrice de Durfort, la philanthropie est le miroir de la société :
aujourd’hui, sommes-nous prêts à accepter l’idée que l’économie est
au service de l’homme, et non l’inverse ?
Michel Soublin considère qu’une aide privée est possible si et seulement si les donateurs ont confiance dans l’organisme qui bénéficie des
dons. C’est une question fondamentale qui ressort dans les sondages
d’opinion : la défiance étant considérée comme un frein à l’aide.
Le Comité de la charte du don en confiance, qui a 20 ans d’existence,
a pour mission d’établir des règles déontologiques pour la profession,
ainsi que de contrôler l’application de ces règles. Ainsi, l’objectif est
de s’assurer que les organisations font ce qu’elles disent et disent ce
qu’elles font. 70 organisations sont agréées par le comité de la charte,
dont OXFAM, Entrepreneurs du Monde, le Secours Catholique, etc.
Selon Michel Soublin, un des obstacles à l’efficacité et à l’efficience de
la lutte contre la pauvreté est la multiplication excessive du nombre
d’associations et de fondations. Cela limite l’effet incitatif auprès des
bailleurs de fonds et provoque un éparpillement des compétences et
de l’usage des ressources.
Judith Symonds rappelle que l’aide publique au développement dans
les pays de l’ OCDE représente 25% du total des engagements dans les
PED. Les 75% restants relèvent de la philanthropie privée, des transferts
de fonds des migrands et de l’investissement en capital. Le premier pays
donateur est les Etats Unis avec 26 milliards de dollars d’aide publique
et 37 milliards d’aide privée.
Bill Gates a récemment incité le public français à faire pression sur le
gouvernement pour accroître l’aide internationale. Cela est prometteur
pour l’avenir et pour répondre à l’objectif de 0.7 % du produit intérieur
brut (PIB) pour l’aide internationale (correspondant à la contribution des
pays de l’OCDE pour les Objectifs du Millénaire pour le Développement).
La contribution de la France aujourd’hui est de 0.39% du PIB.
Par l’intermédiaire de la campagne Giving proof, Bill Gates cherche à
mettre en avant ce qui fonctionne bien dans le développement international, le rôle de la philanthropie privée dans la démultiplication des
fonds publics, l’accroissement de la coordination et de l’impact de l’aide
internationale publique et privée à travers une philanthropie stratégique.
Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Table-ronde L’aide privée peut-elle éradiquer la pauvreté ?
109.
Analyse et perspectives de la philanthropie d’entreprise et de la philanthropie individuelle
Judith Symonds pose la question de la valeur ajoutée à l’aide privée sur
l’aide publique. Selon elle, l’aide privée permet :
• De créer une compétition au secteur de l’aide publique.
• Une plus grande liberté : incubation d’un nouveau modèle et l’augmentation par le relais des pouvoirs publics.
• De faciliter les partenariats public-privés et encourager l’esprit de collaboration.
• De jouer un rôle de veille (watchdog).
• De rendre l’aide plus efficace par l’évaluation, la communication des
best practices etc.
110. Convergences 2015
Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements
Questions
L’évaluation de l’utilité de l’aide publique vise à s’assurer que toutes les
parties prenantes s’alignent sur des mêmes objectifs à tenir. L’Observatoire
Des Non-Recours aux droits et services (ODENOR), créé par l’Institut
d’Etudes Politiques de Grenoble vise par exemple à s’interroger sur
l’effectivité et la pertinence de l’offre publique sur la question du non
recours (toute personne éligible à une prestation sociale, qui – en tout
état de cause – ne la perçoit pas).
Michel Soublin rappelle que l’évaluation doit également porter sur
l’efficacité d’une organisation : le Conseil d’Administration réfléchit-il à
l’efficacité de son organisation et pas seulement à celle de chacun de
ses projets ? Cela intéresse tout particulièrement les philanthropes qui
s’interrogent sur l’usage des sommes données. Ces philanthropes se
rapprochent alors d’une logique d’investissement.
Arnaud Poissonnier constate que les citoyens américains et anglais
donnent 19 fois plus et 15 fois plus que les citoyens français (philan-
Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Table-ronde
thropie privée). Pourtant, le niveau d’imposition des américains est
presque équivalent (légèrement en dessous, toutes taxes confondues).
Il y a selon lui un lien entre la notion de Welfare State à la française et la
philanthropie privée.
Béatrice de Durfort ajoute qu’il faut être davantage bienveillant envers
les donateurs : le don ne doit pas être perçu comme étant une évidence
sous prétexte que le donateur gagne de l’argent.
Les initiatives comme celles de L’Oréal (sensibilisation sur le SIDA) ou
de danone.communities doivent provoquer un effet d’entrainement,
notamment pour le don privé.
Rapporteur officiel :
Thomas Brebion, Finansol
L’aide privée peut-elle éradiquer la pauvreté ?
111.
Analyse et perspectives de la philanthropie d’entreprise et de la philanthropie individuelle
Comment optimiser l’utilisation des fonds publics
pour encourager les investissements privés ?
Table-ronde // Social business
Modérateur
Jean-Michel Lécuyer
Directeur Général,
Société d’Investissement France Active
Intervenants
Marc Bichler
Président, e-MFP & Directeur de la Coopération, Ministère des Affaire étrangères,
Luxembourg
Laurent Demey
Directeur général délégué, PROPARCO
Isabelle Coquelle-Ricq
Responsable de la promotion et
du développement de l’ISR, IDEAM
Perrine Pouget
Chargée d’investissement,
Banque Européenne d’Investissement
Résumé analytique
La conjugaison des subventions publiques aux investissements
privés est souvent un pré-requis indispensable pour maximiser l’impact social d’un projet et assurer sa pérennité financière.
Cette table-ronde se penchera sur les partenariats publics-privés et abordera la question de l’efficacité des aides publiques
pour les entreprises privées. Les fonds publics dédiés à l’aide
au développement se font plus rares. C’est pourquoi les organismes d’aide public au développement doivent développer des
mécanismes pour que les montants disponibles fassent effet de
levier pour attirer les fonds privés enclins à s’investir au Sud, à
condition que la liquidité et la rentabilité soient au rendez-vous.
Ces mécanismes sont très divers : plaidoyer et recherche ; encoura-
112. Convergences 2015
gement à la mise en place d’une réglementation favorable ; garanties ; positionnement sur les projets les plus risqués en assumant
les premières pertes ; comportement en investisseur, en capital patient, en prise de participation ou dette. Ces mécanismes visent à
donner confiance aux investisseurs privés. Cependant, les porteurs
de projets et entrepreneurs éprouvent des difficultés à lever des
ressources. Les freins sont liés à la méconnaissance de ces zones
géographiques par les investisseurs et à la difficulté pour les porteurs de projet de constituer des dossiers. Ainsi, les migrants sont
à la fois une source de clients et de prêteurs, à la condition que
les transferts d’argent aient vocation à développer l’activité économique et non la consommation.
Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements
Synthèse
L’aide au développement est un enjeu stratégique qui, pour les Etats
du Nord, confrontés eux mêmes à l’urgence de relancer l’activé économique alors qu’ils doivent faire face à la gestion de leur dette, n’est pas
la priorité première.
Dans ce contexte, l’argent public dédié à l’aide au développement se fait
de plus en plus rare. Cependant, dans le même temps, il existe un potentiel
considérable lié à la disponibilité d’argent privé. Ces sommes pourraient
s’investir dans des proportions plus importantes dans l’aide au développement à condition que la liquidité et la sécurité soient au rendez-vous.
Cette table ronde a pour objet de faire le point sur les mécanismes par
lesquels les fonds publics font effet de levier pour favoriser l’investissement de ressources privées.
Marc Bilcher est Président d’e-MFP et Directeur de la Coopération,
Ministère des Affaire étrangère du Luxembourg, spécialiste de la
finance inclusive, qui vise au développement de l’activité économique
dans les pays du Sud pour les populations pauvres. Il explique quels
mécanismes indirects et directs peuvent être mis en place pour mobiliser des fonds privés.
Des initiatives indirectes peuvent consister en des actions de
plaidoyer auprès des institutions internationales et auprès
des gouvernements et des régulateurs dans les pays en
développement, en faveur de la microfinance par exemple.
Un tiers des fonds de microfinance sont enregistrés au Luxembourg, ce qui représente 3 milliards de dollars, soit trois fois le
montant de l’aide au développement du pays. Pour rappel, les
engagements du Luxembourg vis à vis de l’aide au développent
sont atteints, ce qui n’est pas le cas pour la plupart des pays, cependant, il reste nécessaire de développer des ressources alternatives.
Lorsque l’on parle de microfinance, il est important de mettre en avant
que c’est un moyen d’éradiquer la pauvreté en passant par un outil de
financement durable. Il faut savoir que certains investisseurs sont prêts
à réduire leurs revenus financiers pour pouvoir s’affirmer comme investisseurs responsables. En ce sens, la microfinance tient sa promesse de
durabilité car elle engendre un bénéfice mutuel pour le « micro-client »
et l’investisseur. Les conditions à remplir pour assurer le développement de la microfinance sont les mêmes que celles auxquelles doivent
répondre toutes les transactions financières «classiques ». Il faut de la
confiance, un minimum de savoir faire, une capacité de gestion et un
souci de transparence pour gérer l’argent de manière responsable.
Enfin, si la condition sine qua none, déjà présentée, est la disposition
de la part de l’investisseur du Nord à réduire son revenu financier pour
agir de façon socialement responsable, il faut bien entendu un cadre
réglementaire bien mis en oeuvre, ce qui est primordial pour la protection des clients et la crédibilité de l’industrie. Ce sont ces messages
qui doivent être transmis aux acteurs privés par les acteurs publics.
Aux cotés des moyens indirects mentionnés plus haut, il y a des moyens
directs. De par nature, les flux publics sont plus flexibles, que ce soit par
le don ou par l’investissement, car les fonds publics sont moins attachés
au retour financier. Les fonds publics peuvent être ainsi liés à un investissement sur une période plus longue ou servir de garantie pour partie et
jouer un rôle d’effet de levier. Ainsi, des investisseurs qui hésitent à investir
peuvent être encouragés à le faire. Les fonds publics peuvent également
assumer les risques de premières pertes. C’est le cas au Luxembourg
pour un fonds commercial dont le risque de première perte est assumé
par le ministère et pour lequel un capital de 25 millions d’euros est visé.
Ainsi, même si l’Aide Publique au Développement (APD) ne suffira jamais,
que ce soit au Nord ou au Sud, son importance reste primordiale pour
donner de la confiance aux investisseurs privés mus par l’intérêt d’un
bénéfice mutuel pour le développement durable. L’APD peut également
être mise à profit dans la recherche en micro finance pour bâtir des bases
de données solides. Un bailleur public peut aussi avoir pour rôle de soutenir le fait que tout le monde n’est pas un auto entrepreneur, mais que
pour autant, tout le monde a des besoins en termes de micro épargne. La
micro épargne est une source importante de capital en temps de crise.
Perrine Pouget, de la BEI, rappelle que la Banque est constituée
de capitaux publics dont les actionnaires sont les 27 Etats membres
en Europe. Le portefeuille de la BEI est situé en Europe mais également hors Europe, à travers divers mandats. Par exemple, le
mandat de Cotonou s’adresse à la zone Afrique Caraïbes Pacifique.
La BEI agit principalement en microfinance pour l’instant à travers des
fonds de microfinance. Ellle va y jouer un rôle à la fois financier et d’appui
technique, pour un montant de 200 millions d’euros. Sa contribution
est de prendre plus de risques que les fonds privés afin de jouer un
rôle de catalyseur. Ainsi, la BEI participe, aux cotés de Proparco, à des
fonds de première génération avec des promoteurs publics et privés qui
veulent par exemple cibler une nouvelle niche de marché ou atteindre
de nouvelles zones géographiques peu servies. La BEI œuvre pour l’amélioration des caractéristiques et des conditions du fonds en optimisant
les éléments juridiques et financiers et en les alignants avec les bonnes
pratiques. A partir de la proposition du promoteur, la BEI apporte un
appui technique afin de porter le fonds aux standards internationaux.
La BEI travaille aussi sur des fonds de deuxième génération avec des
sociétés de gestion qui auront moins de difficulté à attirer des fonds privés,
compte tenu de l’expérience acquise qui leur aura permis d’émerger.
Les avantages offerts par la BEI sont le fait d’investir avec du capital
patient, notamment de façon contre-cyclique par rapport au reste des
marchés financiers, et parfois dans des pays touchés par des conflits
ou des catastrophes. Ainsi, la BEI a exceptionnellement octroyé à
Haïti des prêts en monnaie locale et à long terme, ce que d’autres
prêteurs ne sont pas enclins à faire compte tenu du contexte. La BEI
met aussi à disposition des subsides d’assistance technique pour
améliorer la qualité des opérations et donc la rentabilité du projet.
Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Table-ronde Comment optimiser l’utilisation des fonds publics pour encourager les investissements privés ?
113.
Laurent Demey, directeur général délégué de PROPARCO
explique que PROPARCO est une filiale de l’AFD qui propose des
financements à condition de marché. Les activités de PROPARCO
agissent comme un effet de levier. Sur un portefeuille de 2,5 milliards d’euros, 300 millions d’euros proviennent du public et le
reste du privé. Ces montants sont investis dans des projets au Sud.
Le capital de PROPARCO est rémunéré car ses clients sont des opérateurs
privés qui ont des objectifs de rentabilité. De la même façon, les fonds
publics ne constituent pas des dons mais doivent avoir un effet de levier.
Sur le terrain, le portefeuille de PROPARCO est investi en capital et dette à
long terme dans des projets privés à hauteur d’1 milliard par an ventilé à
200 millions d’euros en capital et 800 millions d’euros en dette à long terme.
Les domaines d’activité de Proparco sont :
• l’ agro-industriel, avec pour vocation la création d’ emploi ;
• le développement local ;
• le secteur financier et microfinancier et le secteur bancaire au sens
large, car le problème rencontré dans beaucoup de pays africains est
le sous développement du système bancaire local (au Burkina et en
RDC le taux de bancarisation est inférieur à 10%). Cette activité utilise
plus de la moitié des fonds ;
• l’ investissement dans des fonds d’investissement de microfinance
et PME locales.
PROPARCO exerce son effet de levier en investissant aux cotés d’investisseurs privés et de banques privées en fournissant les ressources
financières dont ils ne disposent pas : dette à long terme, ou capitaux,
si nécessaire en co-investissement pour attirer les banques locales.
• Exemple 1: Le grand barrage de Bujagali en Ouganda, qui a
permis de multiplier la production d’électricité par deux dont
l’Aga Khan avait l’initiative. Aucun investisseur privé n’était
prêt à prendre des risques sur 10 ou 20 ans en Ouganda et la
BEI et PROPARCO sont venus pour compléter l’investissement.
• Exemple 2 : Alamana est une des principales IMF au Maroc. L’AFD
a beaucoup poussé le secteur qui a atteint aujourd’hui le niveau
114. Convergences 2015
de maturité requis pour lever des ressources locales mais il y a un
manque de fonds propres. PROPARCO en a apporté, ainsi, chaque
euro apporté par PROPARCO permet à Alamana d’en lever 7. Ici l’Aide
Publique a donc constitué un complément entre les différents opérateurs qui sont l’Etat, les fonds publics et les banques commerciales.
• Exemple 3 : Téléphonie cellulaire en Afghanistan et en Haïti. La
téléphonie est un des rares secteurs sur lesquels un opérateur
privé peut se positionner dans ce type de région, et ces opérateurs
deviennent alors de gros investisseurs et de gros employeurs.
Pourtant il y a peu de prêteurs, c’est la raison pour laquelle PROPARCO et la Banque Asiatique de Développement y sont allés.
PROPARCO gère des poches techniques et octroie des dons en
première perte, c’est moins naturel car cela peut donner au projet
une rentabilité qui peut sembler indue, néanmoins, c’est souvent
indispensable pour faire démarrer une start-up. Cela peut permettre de payer des assistants techniques au démarrage d’un
projet de microfinance ou des consultants pour des projets privés.
Le fonds RGMIFA, une initiative de KFW et de l’AFD enregistrée au
Luxembourg prête, en monnaie locale. Les opérateurs publics ont
pris la première couche où le risque n’était pas supportable pour des
investisseurs privés. PROPARCO est un investisseur en capital patient.
Isabelle Coquelle-Ricq explique que, comme il existe chez les particuliers une demande et un engagement pour une consommation plus
responsable, on constate que les épargnants recherchent également
des produits financiers qui fassent plus de sens. On le voit au travers
des taux de croissance des fonds ISR, Solidaires, de partage, ou d’aide au
développement, même si les montants sous gestion restent modestes.
En 2008, Amundi et l’AFD ont créé une initiative commune qui a
pris la forme d’un fonds d’investissement : le Fonds Amundi AFD
Avenirs Durables qui vise à contribuer à l’aide au développement
en investissant à hauteur de 20% dans des obligations de l’AFD et
10% dans des actions de PROPARCO et à terme d’autres projets,
le reste étant investi dans des OPCVM ISR en majorité prudents.
Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements
Questions
Comment améliorer le fonctionnement de l’aide au développement ?
pour laquelle cette ressource potentielle n’intéresse pas les banques
européennes.
Selon Marc Bichler, en 2002, la conférence sur le financement du développement a révélé que l’aide publique au développement ne suffit
pas. C’est un complément aux transferts des migrants, aux effets de
commerce.
Il faudrait au contraire que les migrants soumettent des projets d’activités
capables de générer des produits financiers et de rembourser le capital.
Pour la BEI, l’amélioration de l’Aide au Développement passe par la
révision permanente de la stratégie et l’adaptation des instruments.
Il faut aussi tirer les leçons de l’assistance technique afin d’évaluer son
efficacité réelle. Il est aussi nécessaire de faire le point sur la disponibilité
des compétences locales car trouver les prestataires de service sur place
n’est pas évident. La BEI a de la difficulté à trouver des interlocuteurs.
Enfin, il faut savoir quand s’abstenir ou se retirer d’une opération, afin
de ne pas se substituer aux investisseurs privés
Pour PROPARCO, l’évolution réglementaire des normes bancaires est
nécessaire. C’est difficile pour les banques d’avoir suffisamment de fonds
propres pour investir dans les pays qui ne sont pas ou sont mal notés par
les agences de notation. C’est un frein et il faudrait changer certaines
règles car souvent les entreprises de ces pays ont de meilleures qualités
de crédit que les Etats eux mêmes mais actuellement les entreprises ne
peuvent pas bénéficier d’une meilleure note que celle de l’Etat où elles
sont implantées.
Comment permettre l’investissement dans des projets de migrants ?
Les opérateurs migrants rencontrent des difficultés pour emprunter que
ce soit auprès des banques de leur pays d’origine ou de leur pays de résidence. Ces opérateurs, de plus en plus nombreux, ont le sentiment d’être
laissés pour compte. Pourtant, de part leur nombre, ils représentent une
importante source de nouveaux clients potentiels.
Pourquoi n’y a-t-il pas de banque de développement en Afrique ?
On pourrait envisager que les acteurs de l’Aide Publique au Développement contribuent au développement d’une Banque Africaine de
Développement en partenariat avec la diaspora Africaine qui soutient
ce type de projet.
La réglementation n’est pas encore prête pour cela. Par ailleurs, pour une
telle initiative, il faudrait être en mesure de proposer du rendement afin
de s’assurer la confiance des investisseurs.
A noter que l’Aide Publique au Développement pourrait aider à la structuration des communautés de migrants.
Quels dossiers constituer pour demander des investissements ?
Il existe de nombreuses initiatives économiques qui ont été mises en
place par l’argent des migrants. Selon la responsable de l’association
Road Trip, une coopérative d’éleveurs et d’agriculteurs qui vise à combattre la désertification, cela peut représenter jusqu’à 60% des ressources
du pays. Même dans ces cas, il reste difficile de constituer des dossiers
PROPARCO reconnaît que c’est un problème crucial. Une solution, bien
que difficile à mettre en place, et donc aléatoire, serait de convaincre des
banques européennes de s’installer en Afrique. Il faut discuter avec la
Banque de France pour faciliter ce type d’opérations qui ont été réalisées
avec la BGFI et la CBAO pour faciliter ce genre de flux.
Il y aurait en France 90 000 dirigeants de PME algériens, et 600 000 à
700 000 personnes de la diaspora marocaine. Si 1 à 10% de ces dirigeants
investissaient pour le développement de leurs pays, ou se portaient
caution, cela pourrait contribuer à rendre à la France l’influence qu’elle
avait dans certains pays comme la Tunisie. C’est la condition du succès
du Printemps arabe : l’ouverture vers la démocratie va passer par
l’investissement.
L’ AFD met en place des fonds sur le Maghreb pour les PME en croissance.
Comment expliquer les difficultés rencontrées par les coopératives
pour trouver des investisseurs ?
Les coopératives sont des social business par nature. Leur succès en
termes de coopératives leur barre la route vers les financements externes
car le profit réalisé à vocation à être réinvesti dans les structures, ce qui
n’est pas motivant pour le banquier ou pour l’investisseur.
Rapporteur officiel :
Christophe Person,
Grameen Credit Agricole Microfinance Foundation
Discussion sur l’utilisation des transferts d’argent des migrants.
Les représentants des banques indiquent que très souvent le transfert
d’argent des migrants vers leurs pays d’origine sert à la consommation
et non pas au développement de l’activité économique. C’est la raison
Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Table-ronde Comment optimiser l’utilisation des fonds publics pour encourager les investissements privés ?
115.
Financements innovants pour le développement :
des promesses à la réalité
Table-ronde // Social Business
Modérateur
Frédéric Dohet
Administrateur, ACTED
Intervenants
Luc Lamprière
Directeur Général,
Oxfam France
Jean-Michel Lécuyer
Directeur Général,
Société d’Investissement
France Active
Pierre Valentin
Directeur Général
Délégué chargé
des finances,
Crédit Coopératif
Résumé analytique
Jusqu’en 2015, 50 milliards d’euros supplémentaires chaque
année sont nécessaires pour atteindrSe les Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD). Dans un contexte de
diminution des ressources publiques, les financements innovants permettent de développer de nouvelles formes de mécénats privés et de financements publics de projets de solidarité.
L’innovation en matière de financement doit faire préférablement l’objet d’une démarche volontaire de la part de l’organisme financier qui le met en œuvre ou de son bénéficiaire,
et permettre de lever une ressource ayant une grande prévisibilité et gérée selon un mode de gouvernance innovant.
L’exemple de la taxe de solidarité depuis 2005 ou la contribution
volontaire sur les billets d’avion révèle l’efficacité du financement
innovant pour contribuer à l’aide publique au développement.
En France, deux initiatives récentes sont à retenir:
•Au niveau d’un établissement financier : Le Crédit Coopératif a
transactions de change de 0,01%. À l’instar de la taxe Tobin sur
l’ensemble des transactions financières, la contribution volontaire appliquée au marché des changes semble plus réaliste du
fait de l’existence de chambres de compensation et opérations
moins complexes. L’idée d’une taxe sur les transactions financières est relayée au niveau politique, notamment dans le cadre
du G20 de novembre 2011.
•Dans
le domaine législatif : Le développement de l’épargne
salariale solidaire grâce à la loi de Modernisation de l’économie (LME) du 4 Août 2008 obligeant les entreprises ayant des
plans d’épargne entreprise (PEE) de présenter parmi les placements possibles un fonds solidaire à leurs salariés. Fonds
dont 5 à 10% de l’actif sont investis dans des entreprises solidaires. L’épargne salariale solidaire représente aujourd’hui
autour de 1,5 milliards d’euros collectés, ce qui permet de
dégager 150 millions d’euros — 200 millions d’euros pour des
financements d’actions de solidarité, notamment internationale.
mis en place un mécanisme de contribution volontaire sur les
116. Convergences 2015
Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements
Synthèse
En guise d’introduction, Frédéric Dohet rappelle que les Objectifs du
Millénaire pour le Développement (OMD) ont enclenché un processus
qui, sur le plan international, a conduit à envisager des moyens de financements innovants. 50 milliards d’euros supplémentaires chaque année
sont nécessaires pour atteindre les OMD.
Le sujet s’est complexifié depuis le sommet de Copenhague de 2009
avec les nouveaux objectifs en matière de lutte contre le changement
climatique (réduction des émissions de gaz à effet de serre). Au besoin
de 50 milliards d’euros par an jusqu’en 2015 pour les OMD, s’ajoutent
donc 100 milliards d’euros supplémentaires pour l’atteinte des objectifs
sur le changement climatique (horizon 2020).
L’innovation financière porte sur plusieurs dimensions :
• Une démarche volontaire de l’organisme financier ou du bénéficiaireclient, plutôt que l’obligation.
• Un lien entre l’activité qui contribuerait à ces nouvelles ressources
(lien entre la ressource et l’objet) et le bien public que l’on souhaite
préserver. Exemple : les quotas carbone vendus qui génèreraient des
recettes et permettraient de réduire les émissions de gaz à effet de
serre.
• Une ressource ayant une grande prévisibilité car il existe un problème
de volatilité des devises mais également des ressources. Il s’agit de
mobiliser des ressources en dons, mais également en prêts, prêts
concessionnels, etc.
• Une bonne gouvernance qui entoure l’emploi de ces ressources,
comprenant des modalités de gestion de la ressource innovante, par
exemple via l’implication des bénéficiaires (notamment par la participation des acteurs de la société civile).
Sous beaucoup d’aspects, le fonds mondial de lutte contre le Sida, la
malaria et la tuberculose est précurseur dans ces diverses dimensions.
Frédéric Dohet prend 2 exemples de financements innovants :
• De nouvelles ressources publiques par la taxe de solidarité sur les
billets d’avion: une partie des ressources du Fonds mondial de lutte
contre le sida, la tuberculose et la malaria est collectée via UNITAID
qui est une organisation ad hoc hébergée par l’OMS et crée en 2006.
UNITAID collecte de la ressource par une taxe de solidarité sur les billets
d’avion, adoptée par 30 pays (dont la France), qui vise à permettre
l’achat de médicaments ainsi qu’une baisse des prix des traitements
contre le sida, la tuberculose et la malaria. Cette taxe a déjà permis de
collecter 300 millions de dollars par an.
• De nouvelles ressources privées par l’appel à une contribution volontaire sur l’achat de billets d’avion: il s’agit d’un dispositif complémentaire au premier et destiné aux voyageurs de pays qui n’ont pas
instauré la taxe ci dessus. Les personnes qui voyagent en avion peuvent
décider de contribuer au développement en apportant une contribution volontaire sur leurs billets d’avion. En 2010, la fondation pour le
millénaire (basée en Suisse) a lancé une opération appelée Massive
Good, qui vise à permettre à tous les voyageurs en avion d’apporter
librement une micro-contribution de 2 dollars au projet Massive good.
Les fonds ainsi collectés seront ensuite affectés à UNITAID, pour la lutte
contre le VIH-SIDA, le paludisme et la tuberculose.
Pour l’avenir, 3 types de questions se posent à nos invités:
• Qu’est ce qui s’est fait et quelles leçons en tirer ?
• Que souhaiterions-nous faire aujourd’hui ? Quelles sont les modalités
de mise en œuvre de dispositifs de financement innovants ?
• Quels vœux formuler auprès des autorités nationales ou internationales pour développer les financements innovants pour les OMD ?
Pierre Valentin annonce l’initiative qui fonctionne depuis le 1er mars
2011 : le Crédit Coopératif a mis en place un mécanisme de contribution volontaire sur les transactions de change. Sur le volume des
opérations de change interbancaires au comptant et à terme traitées,
un taux de 0,01% sera supporté par le Crédit Coopératif (les clients
effectuent les opérations dans les mêmes conditions qu’auparavant).
Le bilan des sommes collectées sera affecté à des associations de solidarité internationale.
Le Crédit Coopératif est la première banque à mettre en place un tel
dispositif. La banque s’appuie sur son expérience dans le domaine
(notamment via la carte Agir) mais également sur deux rapports :
• Rapport Landau, commandé en 2004 par le Président Chirac sur les
mécanismes de financement innovant. C’est d’ailleurs de ce rapport
qu’est venue la taxe sur les billets d’avion. La question des transactions
financières (sur le change) y était également évoquée. Mais certains
aspects restaient flous puisque le chiffrage n’était pas aussi précis qu’il
peut l’être aujourd’hui.
• Rapport « Mondialiser la solidarité de 2010 ». Chiffres actualisés : les
transactions sur le marché des changes sont de 3600 milliards de dollars par jour. Lorsque Tobin avait parlé de taxe sur les opérations de
change notamment, les volumes étaient 30 fois plus faibles. Les taux
de prélèvements sont donc amenés à baisser fortement. En outre les
modalités de mises en place d’un tel prélèvement sont désormais
bien étudiées.
Pierre Valentin est favorable à ce que le prélèvement (contribution
volontaire ou taxe) soit sur les transactions de change plutôt que sur
l’ensemble des transactions financières pour les raisons suivantes :
• Base internationale : puisque l’objectif de mondialiser la solidarité doit
se baser sur une ressource, elle-même doit être liée à l’international.
• Les opérations de change sont techniquement simples tandis que les
transactions financières (beaucoup plus larges) sont beaucoup plus
diverses et complexes.
• Les opérations de change présentent un risque de réalisation. Les
Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Table-ronde Financements innovants pour le développement : des promesses à la réalité
117.
autorités incitent donc à ce qu’elles s’effectuent par des chambres de
compensation pour que les flux soient simultanés. Les avantages que
tirent les banques de l’utilisation des chambres de compensation, que
ce soit en termes d’économie de fonds propres (les opérations sont
plus sûres) ou en termes de flux sont tels qu’une taxe prélevée dans
ces chambres de compensation semble assez facilement acceptable.
Or il n’est pas évident que cela soit aussi facile pour les transactions
financières. Cela ne concerne pas le Crédit coopératif directement, mais
c’est une des raisons techniques qui amène à penser que le mouvement
pour prendre comme sous jacent les transactions de change est plus
réaliste que pour les opérations financières (proposition de Tobin).
L’attente de Pierre Valentin vis-à-vis des autorités publiques est la suivante :
• Que l’Etat s’intéresse de plus près à l’initiative du crédit coopératif.
• Dans les pays de tradition du don, il existe une fiscalité favorable au
mécénat. Il serait bon qu’un certain nombre de pays mettent en place
un système qui soit homogène.
Luc Lamprière présente la vidéo de la campagne Oxfam pour instaurer
une taxe « Robins des bois » sur les transactions financières. La taxe sur
les transactions financières soulève la question de la capacité à financer
des besoins considérables pour le développement et le changement
climatique.
118. Convergences 2015
Par exemple :
• Sécurité alimentaire : 30 milliards par an pour éradiquer la faim
• Engagements sanitaires internationaux : 67 milliards par an manquent.
L’idée de la taxe fait son chemin : c’est un changement radical de paysage
puisque maintenant la discussion n’est plus seulement académique et
technique mais plutôt politique.
Au niveau des gouvernements, la France est favorable non plus seulement à des financements innovants sur diverses activités mondialisées
(avions, bateaux) mais aussi à une taxation sur les transactions financières.
L’ Allemagne d’Angela Merkel suit cette même ligne politique. L’Afrique
du Sud, lors d’une réunion du G20, a également évoqué la responsabilité
des ministres des finances quant à la collecte des 100 milliards d’euros
évoqués à Cancun et à Copenhague sur le changement climatique.
Le risque qu’implique cette taxe : Quand va t’elle être mise en place ?
Peut-il y avoir une décision politique prise au niveau mondial ? D’après
Luc Lamprière, cela n’arrivera pas lors du G20 à Cannes en Novembre
2011. De façon plus vraisemblable, nous pourrions envisager que les Etats
volontaires impulsent une dynamique, c’est-à-dire qu’une coalition de
pays pionniers affirment leurs choix en faveur de l’instauration d’une taxe.
Un autre type d’innovation possible serait la taxation sur les soutes
maritimes, soutes de tankers (exclues des dispositifs du protocole de
Kyoto) dont l’argent serait utilisé pour financer les besoins en terme de
changement climatique.
Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements
D’après Frédéric Dohet, les financements innovants ne consistent pas
seulement en la taxation des activités financières. D’ autres voies sont
explorées :
• Collecte et orientation de l’épargne des migrants.
• Contribution sur les transferts de fonds des migrants.
• Aide sectorielle fondée sur des taxes sectorielles.
• Partenariats public privé.
• Loterie internationale.
Jean-Michel Lécuyer explique que l’épargne salariale est une voie de
financement de l’ESS l’ économie sociale et solidaire) très intéressante,
puisqu’elle représente 100 milliards d’euros. Il existe en effet un écosystème d’entreprises solidaires en France, qui représente 3,4% du PIB, 6-7%
de l’emploi. C’est un secteur qui a cependant des problèmes d’assises
financières (ONG, coopératives…), surtout pour le financement en fonds
propres et quasi fonds propres.
à convaincre Laurent Fabius, ministre de l’Economie et des Finances,
d’inciter les gestionnaires d’épargne salariale à proposer systématiquement aux salariés un fond solidaire via le Plan d’épargne pour la
retraite collectif (PERCO). Enfin, en 2008, le lobby fort de syndicalistes
(et notamment l’appui d’Edmond Maire et de Claude Alphandéry) ont
permis d’étendre ce dispositif à l’ensemble des plans d’épargne entreprise (PEE). Désormais, toutes les entreprises qui ont un PEE sont obligées
de proposer un fonds solidaire à leurs salariés.
L’ épargne salariale solidaire représente 1,5 milliards d’euros collectés, ce
qui permet de dégager 150 millions d’euros-200 millions d’euros pour
des financements en fonds propres ou en prêts à moyen et long termes
des acteurs de l’économie sociale et solidaire, et par exemple les associations de solidarité internationale.
Rapporteur officiel :
Thomas Brébion, Finansol
L’ épargne salariale solidaire s’est développée sous l’impulsion de syndicalistes dans les années 90 (notamment Nicole Notat). Cela s’est conclu
par l’introduction dans les fonds communs de placement d’une poche
de financement pour les activités solidaires. La Caisse des dépôts et
consignations a créé, en 1994, le produit « Insertion emploi » dont
10% maximum de l’actif est investi dans des titres solidaires. En 2001,
des entrepreneurs sociaux alors proches du gouvernement ont réussi
Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Table-ronde Financements innovants pour le développement : des promesses à la réalité
119.
Investir dans une entreprise sociale :
quelques enseignements de différents
impact investors
Atelier // Social business et Microfinance
Modérateur
Jean-Luc Perron
Délégué Général,
Grameen Crédit Agricole Microfinance Foundation
Intervenants
Bernard de Boischevalier
Chargé de mission, SIDI
Loïc de Cannière
Directeur Général, Incofin
Laurent Chéreau
Représentant, Tembeka
Emmanuel Gautier
Responsable Gestion Solidaire, Natixis Asset
Management
Olivier de Guerre
Président, Phitrust Active Investors
Jérémy Hajdenberg
Directeur d’investissement, Investisseurs &
Partenaires pour le Développement (I&P)
Laurence Méhaignerie
Présidente, Citizen Capital
Christophe Poline
Directeur des investissements solidaires,
Schneider Electric
Michel Pernot du Breuil
Directeur Général, SENS
Louise Schneider-Moretto
Directeur adjoint, Community Development
Group, Deutsche Bank
Résumé analytique
Cet atelier réunit onze participants aux profils variés, tous impact
investors qui réunissent une capacité d’investissement de 680 millions d’euros.
Ils sont dans un premier temps revenus sur l’importance de bien
définir sa cible. Il faut savoir quel type d’entreprise sociale est visé,
quel public ou encore quelle rentabilité est attendue. Seulement
alors, il est possible de procéder à l’origination des projets, grâce
à des réseaux locaux par exemple. Les investisseurs sociaux ont
ensuite voulu insister sur la notion d’accompagnement : ils ne se
contentent pas d’investir en equity, quasi ou dettes, mais ils accompagnent également le développement de l’entreprise grâce à de
l’assistance technique.
120. Convergences 2015
La problématique de la rentabilité a ensuite été abordée. Les investisseurs institutionnels attendent une certaine rentabilité. Un
travail de pédagogie doit être mené afin d’expliquer qu’en investissant dans une entreprise sociale, le risque est moindre et l’investissement peut être moins rentable.
Enfin, la mesure de l’impact a été discutée : tous ont d’abord voulu
distinguer « impact » de « performance » sociale, plus simple à mesurer. L’avancée de la microfinance en termes de mesure d’impact
a été soulignée. En ce qui concerne le reste du secteur, les outils
mis en place tel que le SROI (social return on investment) sont complexes et chronophages, et chaque investisseur développe ses
propres indicateurs, de manière plus pragmatique.
Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements
Synthèse
Présentons tout d’abord les intervenants.
Bernard de Boischevalier est chargé de mission à la SIDI. La SIDI est
une société anonyme créée en 1983, qui dispose aujourd’hui d’un
capital de 13 millions d’euros et d’un portefeuille d’investissement de
10 millions d’euros. Elle s’est donnée pour mission de créer de la valeur
ajoutée sociale et d’induire des changements sociaux durables grâce
à la prévention et à la réduction de la vulnérabilité des populations du
Sud. Son action est double : financements (prêts, equity ou garanties)
et accompagnements (assistance technique) d’IMF (80% des activités)
ou d’organisations paysannes et d’ entreprises agricoles.
Loïc de Canniere est Directeur Général chez Incofin en Belgique. Il s’agit
d’une société de gestion d’une capacité d’investissement de 300 millions
d’euros, qui gère des fonds d’investissement dédiés à la microfinance.
Six fonds sont soutenus grâce à des interventions en dettes et en equity.
Laurent Chéreau est représentant de Tembeka, entreprise sociale
Sud-Africaine apportant des services financiers et non financiers au
secteur de la microfinance sociale dans le pays. Deux services sont mis à
disposition des usagers: un fonds d’investissement réalisant des prêts à
moyen terme (aujourd’hui 5 IMF sont soutenues, soit un million d’euros
investis) et de l’assistance technique.
Emmanuel Gautier est responsable de la gestion solidaire chez Natixis
Asset Management. Il travaille dans la filiale de gestion d’actifs pour
compte de tiers de Natixis, pionnier de l’investissement solidaire, grâce
à ces fonds qui doivent investir 10% dans des projets solidaires. Natixis
AM dispose d’1,2 milliards d’euros d’actifs, dont près de 100 millions
sont effectivement investis dans des entreprises non cotées en bourse
à fort impact social et/ou environnemental.
Olivier de Guerre est président de la société d’investissement Phitrust
Partners qui est dédiée au financement et à l’accompagnement de
sociétés viables favorisant la solidarité. Elle finance 17 projets en phase
d’accélération.
Jérémy Hajdenberg est le directeur d’investissement de la société
I&P qui finance et accompagne PME et entrepreneurs en Afrique dans
le but de renforcer le tissu de PME, indispensable au développement.
Sa démarche est celle du capital développement : investir aux côtés
d’entrepreneurs du secteur privé des pays en développement, dans
une relation de partenariat à long terme. I&P a un capital de 19 millions
d’euros et son portefeuille comprend aujourd’hui plus de 30 entreprises,
dont un quart sont des IMF.
Laurence Mehaignerie est présidente de Citizen Capital qui est un
fonds de capital d’investissement indépendant créé fin 2008, au capital
de 19 millions d’euros. Il investit dans des PME en France en phase de
développement (entre 1 et 20 millions d’euros de chiffre d’affaire) sur
la base d’une rentabilité raisonnable et de critères extra financiers : des
PME implantées dans des zones défavorisées, un dirigeant issu des
minorités ou autodidacte, ou une PME avec un impact social.
Christophe Poline est directeur des investissements solidaires chez
Schneider Electric qui est une entreprise dans le secteur de la maitrise
de l’énergie. Elle est cotée en France, emploi plus de 110 000 personnes,
et a un chiffre d’affaire de 20 milliards d’euros. Un programme de responsabilité sociale d’accès à l’électricité pour tous a été mis en place
et comprend 3 volets : formation ; innovation ; investissement. Le but
est de contribuer à l’émergence de PME qui fournissent de l’électricité
dans les pays émergents. Un fonds d’investissement a été développé
pour répondre à ce besoin, accessible via l’épargne salariale solidaire.
Michel Pernot du Breuil est le Directeur Général de SENS. C’est une
coopérative qui a pour objet de promouvoir le développement durable
et équitable des territoires du Sud et du Nord et de lutter contre la
précarité par la création et la promotion d’entreprises. SENS accompagne aujourd’hui 16 projets, dont 8 créations d’entreprises, dans 4
secteurs : circuit agricole et alimentaire ; éco habitat, construction ; accès
à l’énergie; éco mobilité.
Louise Schneider Moretto est Directrice Adjointe du Community
Development Finance Group, un pôle de la Deutsche Bank. Il réalise
des investissements sociaux aux Etats-Unis et à l’international. Il se compose de 7 fonds, dont 5 en microfinance et agit avec des investissements
directs et la construction de fonds spécialisés dans un domaine, tel que
the Eye Fund, co-construit avec 2 partenaires : Ashoka et l’association
américaine contre la cécité.
Voyons à présent comment cela se passe au niveau de l’origination des
projets. La première question qui se pose est la suivante : que cherchet-on ? Il faut pour y répondre revenir sur la définition de l’entreprise
sociale et sur ses récentes évolutions. Chaque investisseur partage une
vision commune de l’entreprise sociale, mais n’utilise pas forcément
les mêmes critères.
Une entreprise sociale doit avoir une rentabilité suffisante pour être
pérenne et avoir un impact social. Pour Michel Pernot du Breuil, le
principal critère de cet impact est celui du public visé et de sa vulnérabilité. Pour Laurence Méhaignerie, il s’agit entre autres de la diversité
et de l’ancrage dans les territoires. Pour Jérémy Hajdenberg, il ne suffit
pas d’avoir une rentabilité suffisante, un objet et un impact social, il
est aussi essentiel de réunir des capacités de management afin d’être
pérenne. De plus, le domaine du social business couvre des réalités
très différentes selon les secteurs, et donc des logiques diverses. Une
entreprise sociale en Europe n’est pas une entreprise sociale dans un
pays émergent, tout simplement car l’impact attendu ne peut être le
même. I&P souligne ainsi que l’objet de l’entreprise n’a pas à être social
pour être une cible potentielle, le simple fait de créer des emplois et
de participer à la structuration d’une filiale locale fait par exemple de
la structure une entreprise sociale en Afrique. Il est donc difficile de
faire converger les modèles du Nord et du Sud. Le plus important dans
l’origination des projets est donc de bien définir sa cible.
Forum Convergences 2015 - Edition 2011 ///Atelier Investir dans une entreprise sociale :
quelques enseignements de différents impact investors
121.
Plusieurs méthodes sont ensuite appliquées pour identifier les projets
y correspondant :
• DB investit en senior debt au taux de 1,5%, en subordinate debt à un
taux entre 2 et 4% et en equity à un taux de 1%.
• DB travaille avec des partenaires locaux, telles que les ONG locales. Pour
eux, construire un réseau est essentiel.
La problématique de la rentabilité est essentielle pour les impact investors.
Les investisseurs institutionnels attendent une certaine rentabilité, aussi
un travail de pédagogie doit être mené afin d’expliquer que le risque est
moins important dans un investissement dans une entreprise sociale,
et donc moins rentable. I&P a, par exemple, à la fois des actionnaires
privés et des actionnaires institutionnels et rencontre ce dilemme : les
institutionnels ont un objectif d’impact mais souhaitent également un
rendement élevé. Il faut ainsi viser des investisseurs très particuliers et
spécialisés, comme FISEA, un fonds d’investissement de Proparco.
• SENS repère avant tout des potentiels, des compétences, c’est-à-dire
des porteurs de projets.
Quels sont les instruments financiers ? Tous les investisseurs ont dans un
premier temps insisté sur la notion « d’accompagnement ». Leur travail ne
consiste pas simplement à investir dans une entreprise sociale, mais bien
plus à l’accompagner dans son développement grâce à de l’assistance
technique. Une fois les projets déterminés et étudiés, les impact investors
ont une palette d’instruments divers pour investir.
• La SIDI investit principalement en dette et au maximum en monnaie
locale (60% du portefeuille). Ses taux vont de 5 à 10% en fonction de
la devise et de la durée.
• Natixis investit en fonds propres, dettes sous forme de billets à ordre et
d’obligations (le taux des obligations est de 50% de l’euribor pour les
billets à ordre pour 3 mois et 75% de l’euribor pour plus de 3 mois).
• Phitrust investit en monnaie locale avec un mécanisme OSEA pour
gérer le risque de change.
• I&P et Schneider Electric investissent en monnaie locale et en fonds
propres, quasi fonds propres et dettes. Ils sont toujours actionnaires
minoritaires.
122. Convergences 2015
Comment mesurer l’impact social ? Tous les participants ont voulu différencier impact social et performance sociale. L’impact social est une
mesure très complexe : il est difficile de prouver ce qu’ aurait été un environnement sans l’intervention de l’entreprise sociale et donc d’associer
clairement l’environnement, ses améliorations et l’entreprise sociale.
Mesurer la performance sociale est plus pertinent : comment la mission
sociale se traduit en produits, en méthode, en moyens, en personnes
touchées… Le secteur de la microfinance est plus développé en termes
d’évaluation d’impact. On constate un début de standardisation : l’outil
SPI de CERISE pour la microfinance est utilisé par plusieurs investisseurs,
car il est simple à appliquer. Pour le reste du secteur, des outils existent
(SROI, IRIS) mais sont très complexes et chronophages, et la plupart des
investisseurs ont fait le choix de créer leur propre méthode de mesure
d’impact.
Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements
Pour Natixis c’est une mesure d’impact simple et concrète avec quelques
critères :
• Création d’emplois : par exemple, de 40 à 50 000 emplois ont été
créés ou consolidés depuis le début du lancement des fonds solidaires
de NAM
• Logement des familles : 1 500 à 2 000 familles logées
• Financement des IMF
• Nombre de gisements « énergies renouvelables » financés
• Distribution de microcrédit : 1 400 prêts en France
Incofin utilise une méthode financière et l’outil SPI de Cerise pour la performance sociale. Tembeka a ses propres indicateurs créés avec les IMF
accompagnées. Pour Phitrust c’est une mesure basique : pour chaque
entreprise, 10 critères de performances sociales. SENS utilise la méthode
des moyens d’existence durables : comment diminuer la vulnérabilité
d’une personne ? 5 champs sont évalués : capacités humaines, social,
aspect matériel, environnement, financier : sécurisation et stabilité
du revenu. Citizen Capital utilise des critères ESG (enjeux environne-
mentaux, sociaux et de gouvernance) : politique d’achat, formation,
rémunération, recrutement, contribution sociétale… Pour Schneider
Electric, il s’agit d’un fonds thématique, donc la mesure est plus simple,
les critères sont plus évidents comme le nombre de personnes ayant
accès à l’électricité.
I&P a une approche globale de son utilité grâce à un bilan qualitatif :
2 000 employés, 50 missions d’assistance technique, accès à des services,
accès au marché à des fournisseurs, structuration de filières, salaires
et sécurisation de revenus. Il y a aussi la constitution d’un outil systématique « mouvance ESG » accompagnée par CERISE. La DB utilise 25
indicateurs de social performance.
Pour finir, la tendance à la standardisation des reporting et des critères
est une préoccupation des investisseurs, comme le prouve le Global
Social Performance Task Force.
Forum Convergences 2015 - Edition 2011 ///Atelier Investir dans une entreprise sociale :
quelques enseignements de différents impact investors
Rapporteur officiel : Louise Swistek, Groupe SOS
123.
Quelles formes de financement innovant pour
développer les entreprises sociales?
Atelier // Social business
Modérateur
François de Witt
Fondateur et Président, Finansol
Intervenants
Luciano Balbo
Président, Fondazione Oltre
Mark Campanale
Directeur, The Social Stock Exchange
Samuel Clause
Responsable Senior investissement mSicrofinance, European Investment Fund
Emmanuel Marchant
Délégué Général, danone.communities
Maximilian Martin
Fondateur, Impact Economy
Christophe Poline
Directeur des investissements solidaires,
Schneider Electric
Nicolas Hazard
Président, Le Comptoir de l’Innovation
Sébastien Lyon
Directeur financier, ACTED
Résumé analytique
Le social business vise à répondre à des besoins sociaux et sociétaux croissants au travers d’un système économique rentable, à
l’heure où les financements publics se réduisent drastiquement.
Ce secteur est confronté à quatre défis majeurs :
1. Changer d’échelle sans perdre sa spécificité et sans remettre
en cause l’esprit du social business.
2. Mobiliser des financements pour accompagner la croissance
de l’activité.
124. Convergences 2015
3. Attirer les compétences permettant de doter le secteur du
capital humain nécessaire à son bon fonctionnement.
4. Ne pas perdre de vue l’objectif social et sociétal de l’activité et
évaluer son impact.
Au sujet de la mobilisation des financements, plusieurs pistes sont
évoquées : améliorer la communication entre entrepreneurs sociaux et investisseurs sociaux, former des intermédiaires compétents capables d’attirer une plus grande diversité d’investisseurs,
inciter les banques à développer des produits financiers dédiés,
améliorer les synergjes entre fonds publics et privés.
Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements
Synthèse
Chacun s’accorde à dire que le social business reste dans une logique
de rentabilité : il offre un système économique et n’est pas fondé sur
la subvention. Le social business est une solution de marché pour
résoudre les problèmes sociaux et sociétaux et ayant besoin de capitaux pour se développer. C’est un outil pour créer le changement.
La première contrainte du social business est qu’il offre un
retour lent voire même aucun retour pour un investissement financier qui lui est très risqué. C’est pour cette raison
que les fonds de social business peinent à lever des fonds.
La deuxième contrainte est que peu d’entreprises sociales peuvent réellement changer d’échelle. Souvent, la taille, l’organisation et la culture de
l’entreprise sociale sont liées au contexte qui la définisse. Dans cette perspective, accroître les activités de l’entreprise sociale peut s’avérer inapproprié ou impliquer un changement d’esprit pour de nombreux acteurs.
La troisième contrainte est d’attirer les personnes talentueuses
et dotées de connaissance afin de renforcer l’industrie. Pour
certains intervenants comme Mark Campanale il n’y a ni un
manque de talents ni d’opportunités dans le social business.
Sébastien Lyon fait remarquer que des outils pour démarrer une
entreprise sociale existent et sont accessibles, mais qu’il est difficile de
trouver des fonds pour développer et intensifier l’entreprise sociale.
Il semble qu’il y ait une lacune dans « l’offre de financement » entre
les petites start-ups d’entreprise sociale et les grandes. Paradoxalement, on peut observer que beaucoup d’entrepreneurs sociaux ont
des projets de croissance tandis que les investisseurs sociaux ont du
mal à cibler des projets d’investissement avec un potentiel de changement d’échelle. Il y a certainement des marges de progression
pour un meilleur modèle de communication entre ces deux acteurs.
Finalement les intervenants s’accordent sur le fait que la croissance
des entreprises sociales ne peut pas être une fin en soi : ce qu’il est
nécessaire d’accroître est l’impact social de l’activité. L’exemple de
l’industrie indienne de microfinance montre que le suivi de l’impact
social devrait toujours être prioritaire devant la croissance de l’entreprise sociale. Comme les coûts d’évaluation de l’impact social sont
énormes, ce problème de priorité est l’une des principales contraintes
rencontrées par les entreprises sociales pour changer d’échelle.
Comme pour les tendances sous-jacentes de l’industrie émergente du
social business, Mark Campanale soutient que le social business n’est pas
seulement une mode. Selon lui, la recherche de la durabilité sociale et environnementale par les investisseurs est devenue une « méga-tendance »
et qu’il n’y a aucun doute que les social business continueront de croître.
Selon Luciano Balbo, le secteur de la philanthropie représente seulement 2% du produit intérieur brut des Etats-Unis. De plus, les Etats
occidentaux sont sur endettés alors que les richesses privées n’ont
jamais atteint un niveau si élevé, et que pour la première fois dans
l’histoire du capitalisme, il n’y a peut-être plus de placements sécurisés. Il devient alors nécessaire et opportun de créer une nouvelle
industrie financière avec des acteurs différents des banques traditionnelles d’investissement. Cette nouvelle industrie a besoin d’attirer des
talents afin de former de bons intermédiaires qui pourront relever le
défi d’attirer le capital provenant des fonds de pension. Ce faisant,
ces intermédiaires doivent répondre à la question de la rentabilité
attendue des entreprises sociales, aux côtés de questions plus profondes comme la valeur sociale de l’argent et l’intérêt mutuel entre
les propriétaires et la communauté. Cet intérêt mutuel a existé après
la Seconde Guerre Mondiale et a permis la fondation de l’État providence en Europe, mais s’est écroulé depuis le début des années 80.
Quelles sont les solutions financières qui permettraient aux entreprises sociales de croître?
Mark Campanale pense que les synergies entre les institutions financières de développement et les fonds privés d’impact d’investment ont
commencé et ont besoin d’être renforcées par une allocation plus massive des capitaux dédiés. Il souligne également que les fonds de développement sociaux sont des fonds de private equity, et que si nous voulons
changer le capitalisme, nous devons prendre le contrôle du capital,
créant ainsi une structure du marché des capitaux publics pour l’entrepreneuriat social, permettant un accès direct à l’épargne des particuliers.
Finalement, Mark Campanale nous dit que nous pourrions trouver
un moyen de tirer profit des 60 milliards d’investissement socialement
responsable et attirer des investisseurs retraités averses au risque.
Néanmoins, Luciano Balbo répond que les fonds des investissements
socialement responsables sont efficaces et sont l’affaire des gestionnaires d’actifs. Les fonds qu’ils placent sont typiquement des fonds qui
ont besoin d’être attirés dans une deuxième phase de développement
du secteur. La première phase dans la construction de l’industrie du
social business est, selon lui, la responsabilité des fondations pionnières
et des entreprises familiales, comme certains l’ont déjà entrepris, car ils
ne dépendent que d’eux-mêmes. Mais entre la première et la deuxième
phase, qui sera l’accélérateur de la croissance de l’industrie ? Développer
le social business signifie développer l’argent social et l’accès à celui-ci.
Emmanuel Marchant, en s’appuyant sur son expérience au sein de
danone.communities, rappelle à tout le monde qu’investir dans le
social business est un peu « fou » : risque élevé, aucun retour financier, mais d’énormes rendements sociaux. C’est quelque chose
que nous devons admettre et nous aurons besoin de temps pour
Forum Convergences 2015 - Edition 2011 ///Atelier Quelles formes de financement innovant pour développer les entreprises sociales ?
125.
le surmonter. Cependant, les particuliers peuvent être vraiment
enthousiaste et souscrire à des placements dans le social business
poussant les banques de détails à créer des produits financiers dédiés.
Il est de notre responsabilité de communiquer et de créer des
succès et des héros pour convaincre la communauté de changer.
Par exemple, en France et dans beaucoup d’autres pays, les fonds privés
ne peuvent être investis dans les entreprises sociales que si celles-ci
ont un statut de société à but non lucratif ou un statut de coopérative, d’où le débat sur un statut européen pour les entreprises sociales.
C’est aussi la responsabilité des gouvernements de créer un cadre
légal qui permettra la croissance des investissements sociaux.
126. Convergences 2015
Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements
Rapporteur officiel :
Thomas Lauruol, I&P
Plus de responsabilité et plus d’impact :
enseignements et nouveaux principes
de l’investissement en microfinance
Table-ronde // Microfinance
Modérateur
Xavier Reille
Responsable de l’ équipe Microfinance Industry, CGAP
Intervenants
Femke Bos
Responsable Investissement, Triodos Investment
Management
Claude Falgon
Administrateur, Advans
Stefan Fischer
Responsable Investissement, Blue Orchard
Investments
Guillermo Salcedo
Directeur adjoint, Département des prêts et des
investissements, Oikocredit
Résumé analytique
La microfinance semble être une évidence : son volume a été multiplié par 4 en 5 ans et représente 8 milliards de dollars. En même
temps, selon les médias, elle est en crise. A quels impacts peut-on
s’attendre ?
Premièrement, nous demanderons aux intervenants leur opinons
sur les problèmes de la microfinance et si oui ou non il y a une exagération de la part des médias.
Deuxièmement, quelles sont les opportunités pour une microfinance sociale ?
La microfinance est de plus en plus intégrée dans le monde économique. Si après l’indépendance des pays développés la plupart des
initiatives étaient publiques, la microfinance serait désormais une
partie intégrante du système de développement, c’est-à-dire privée,
mais avec un engagement social.
Récemment des comportements non responsables sont apparus.
La réputation et le risque sont très importants car tout dommage
à la microfinance aura une incidence sur l’ensemble du secteur. Les
directives pour surmonter les problématiques sont les suivantes :
une meilleure gouvernance des IMF (Institutions de Microfinance),
plus de transparence, la mise en œuvre de la réglementation locale,
des centrales de risques, la protection des clients, l’augmentation
des mesures de la performance sociale, la diversification vers de
nouveaux produits sur-mesure (assurance, dépôts, épargne, services bancaires mobiles, etc.), et l’équité entre les différents partenaires (coopératives, petites entreprises, etc.).
Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Table-ronde Plus de responsabilité et plus d’impact :
enseignements et nouveaux principes de l’investissement en microfinance
127.
Synthèse
Selon Advans la microfinance est un élément important de la
stratégie globale de développement tel qu’elle est perçue par
les donateurs et les institutions financières de développement.
Si initialement les initiatives étaient gouvernementales, la microfinance fait à présent partie du système de développement. En
d’autres termes, elle est privée mais avec un engagement social.
Récemment, des comportements irresponsables sont apparus:
• Repenser les systèmes financiers plutôt qu’utiliser ceux existants
dans les pays du Nord qui sont adaptés aux besoins de la population, est essentiel. Par exemple le mobile banking : les téléphones
sont plus facilement accessibles que les filiales des banques dans
certaines zones, en particulier des zones sans transports publics.
Pour Triodos Investment Management, les questions sont:
• Consolider, réduire l’activité, et diversifier les produits dans
certains pays lorsque cela est faisable. Parfois, lorsque l’assurance existe, la centrale de risque est ignorée par les IMF.
• Quelques IMF ont connu une croissance importante ces dernières années; le nombre de filiales a augmenté, le marché ayant
la réputation d’être infini. Si la taille d’une IMF augmente, elle est
plus respectée et attire plus d’argent. Chaque pays qui a fait face
à une crise fut considéré à un moment donné comme très fructueux avant la crise. Les exemples incluent le Bénin dans les années
90, la Bosnie et le Maroc plus récemment, et l’Inde actuellement.
• Pour limiter le surendettement, un document intitulé “Les Principes
pour la Protection des Clients” a été signé par 40 autres organisations.
• Les incitations managériales : incitation à croître, perte de contrôle,
moins de formation des agents locaux.
• Concernant les mesures de notations des IMF, qu’est ce qui peut être
fait au niveau des mauvaises notations ?
• Les questions de gouvernance : quelques Conseils d’Administration
n’exercent pas le niveau approprié de supervision du management ;
la gouvernance requière des compétences, de l’argent et du temps.
• La microfinance perdant sa vertu, cela provoque une diminution
de l’intérêt des grands investisseurs. Par ailleurs, certains investisseurs pourraient choisir d’investir dans des projets de long terme
(comme des fonds de pension) et donc quitter complètement les IMF.
• La responsabilité des actionnaires : certains ont des perspectives d’investissement trop courtes (4 à 5 ans) alors que la microfinance a besoin
de temps et d’investissements avec un engagement à long terme.
• Certains établissements ont désormais des pratiques commerciales trop agressives, impropres à l’activité de crédit : elles ciblent
les bons clients des concurrents et leur offrent le double du montant emprunté chez le concurrent, sans aucune analyse rigoureuse
de la capacité du client à rembourser, mais en garantissant à plusieurs reprises la valeur de l’emprunt (terre ou maison de titre).
Cela conduit, ou cela conduira, au surendettement et à une crise
systémique comme dans les pays mentionnés précédemment.
Pour Blue Orchard, le risque de crédit, la réputation, l’ingérence
politique et la gouvernance sont les quatre questions principales.
• Le risque de crédit est important pour n’importe quelle banque.
Quand un client ne peut rembourser ni le crédit ni les intérêts du
crédit cela devient un problème pour le client, pour la croissance
du pays, pour les IMF et le secteur de la microfinance. Le problème
d’une dette excessive n’est pas spécifique à la microfinance : la dernière crise financière était principalement une crise de la dette.
• Une entreprise privée doit créer des centrales de risques afin
d’améliorer la transparence, collecter des informations au
niveau des clients (historique de crédit, revenus, dette), mettre
en place des outils d’évaluation disponibles à tous, faire un
suivi des activités des concurrents et éduquer ses clients.
• La microfinance ne concerne pas uniquement l’accès à
la finance mais aussi l’amélioration de la qualité de vie.
128. Convergences 2015
• Regarder le droit de vote au sein des IMF.
• Accepter la participation minoritaire dans certains cas.
Pour Oikocredit, compte-tenu de sa base d’investisseurs
(43 000 investisseurs), le risque de réputation est peut être l’aspect le plus important de tous car n’importe quel dommage de la
microfinance l’affectera, décourageant l’intérêt des investisseurs.
• Oikocredit a mesuré et surveillé la performance sociale des projets de
ces partenaires pendant plusieurs années.
• Oikocredit a été un des premiers fonds international spécialisé en microfinance (MIV) à signer “les Principes pour la Protection des Clients” qui ont été progressivement intégrés
dans leurs critères de financement et de contrats avec les IMF.
• L’attention sur les clients surendettés et sur d’autres critères sociaux associés à des critères financiers sont inclus dans la sélection des partenaires.
• La qualité des investissements est supérieure et l’impact social est plus
grand.
• Il y a plus d’attention donnée à l’autonomisation et aux pauvres.
Dans cette seconde partie les opportunités pouvant apporter une valeur
sociale seront examinées.
L’un des objectifs stratégiques pour Oikocredit est de développer les
investissements directs dans des secteurs non financiers en conformité
avec les activités actuelles de la microfinance. En agriculture, ils ont été
des leaders dans 10 pays pour apprendre la finance directe. Comment les
coopératives peuvent-elles avoir un impact direct sur la famille ? La priorité est mise sur les projets d’énergie respectueuse de l’environnement et
les projets de commerce équitable. Ils seront plus présents en Afrique.
Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements
Triodos Investment Management diversifie ses activités d’assurance et de petite entreprise avec la création d’emploi dans
les domaines tels que l’économie d’énergie, la biomasse, les
systèmes solaires, le biologique et le commerce équitable.
Blue Orchard avec son affiliation à Bamboo, développe un business
model qui fonctionne en dehors des services financiers en générant de
l’énergie provenant de la poussière de riz et des déchets de l’agriculture.
Advans a été crée en 2005 avec 6 institutions financières de développement. Leur objectif est d’établir un réseau de banques de
microfinance basé sur le même modèle où Advans est le principal
actionnaire. Advans tente d’être un leader et d’établir de nouveaux
standards dans les pays où il investit. Depuis le début, les institutions
Advans ont fourni des crédits, collecté les dépôts et offert de simples
services de paiement ciblant les micro-entreprises. Après un an, plus
de PME sont servies et plus de services de paiement sont offerts (tels
que chèques, cartes bancaires et mobiles). Les institutions Advans
ont commencé dans les villes et se sont progressivement déplacées
vers les régions rurales lorsqu’elles ont atteint l’équilibre financier.
Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Table-ronde Plus de responsabilité et plus d’impact :
enseignements et nouveaux principes de l’investissement en microfinance
129.
Questions
• La mesure de la performance sociale est plus facile avec de grandes
IMF qui ont plus de ressources (principalement en termes de nombre
d’employés) .
• Les services financiers doivent être fournis de manière durable. C’est
dans ce domaine là que plusieurs projets publics ont échoués dans
le passé. Il y a un besoin de réglementation, particulièrement lors des
mouvements de dépôts. Alors que certaines organisations pourraient
perdre de vue leurs objectifs sociaux initiaux et se concentrer sur les
bénéfices, d’autres se recentrent sur les performances sociales où des
petits profits sont nécessaires pour qu’elles trouvent un équilibre sur
le long terme.
130. Convergences 2015
• Capital : les organisations de tous les participants ont un peu de fonds
propre, mais ce n’est pas la majeure partie de leur portefeuille (8% pour
Oikocredit). Ils prennent plus de temps pour décider (18 à 24 mois),
ont besoin d’un conseil de décision et de plus d’investissement à long
terme (7 à 8 ans) ainsi que d’une organisation plus stable pour aider à
améliorer la gouvernance.
Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements
Rapporteur officiel :
Marc-Henri Stroh, Oikocredit
SOLIDAIRES ET RESPONSABLES :
INVESTIR ET AGIR POUR LES OBJECTIFS DU MILLENAIRE
Améliorer les services financiers pour les communautés pauvres: faciliter les transferts des fonds des
migrants et accroître leur efficacité
Table-ronde // Microfinance et coopération internationale
Modérateur
Saïd Bourjij
Directeur Général, Epargne Sans Frontières
Intervenants
Adama Ba
Directrice d’exploitation, UM PAMECAS-ADAGRET
Obed Makori
Directeur Général, Irnet Coop Kenya
Jean Pouit
Directeur Général, My Transfer
Pape Sene
President, CGMD
Résumé analytique
Durant de longues années, les transferts d’argent entre personnes
ont été quasi exclusivement gérés par des sociétés spécialisées. Ce
monopole a permis à ces sociétés de maintenir un prix prohibitif
pour leurs services. L’arrivée de nouveaux acteurs sur ce marché, au
premier rang desquels figurent les IMF et les opérateurs de téléphonie mobile, laisse entrevoir une potentielle baisse des coûts pour
leurs utilisateurs, alors que ce marché représente près de 300 milliards de dollars annuels.
Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Table-ronde
Cependant, force est de constater que pour l’instant, et malgré la
fin des licences d’exclusivité qui lie souvent les IMF aux sociétés
spécialisées dans les transferts d’argents, les prix de ces services demeurent stables. En parallèle de ce phénomène, il se développe des
initiatives locales et internationales ayant pour objectif d’améliorer
les services associés aux transferts d’argent, par la mise en place de
partenariats, de produits innovants, de plateformes internet, etc.
en attendant que des avancées technologiques et/ou de nouvelles
stratégies des acteurs de ce marché ne permettent de réduire significativement les coûts des transferts d’argents.
Améliorer les services financiers pour les communautés pauvres :
faciliter les transferts des fonds des migrants et accroître leur efficacité
131.
SOLIDAIRES ET RESPONSABLES :
INVESTIR ET AGIR POUR LES OBJECTIFS DU MILLENAIRE
Synthèse
Durant de longues années, les transferts d’argent entre personnes
ont été quasi exclusivement gérés par des sociétés spécialisées nous
dit Saïd Bourjij (Epargne sans frontières). Ce monopole a permis
à ces sociétés de maintenir un prix prohibitif pour leurs services.
Les deux principaux objectifs sont donc aujourd’hui :
• de diminuer les coûts associés aux services de transferts,
• de transformer ces transferts en épargne locale dans les pays vers lesquels
les transferts sont effectués, voire en épargne disponible pour l’investissement local. Il faudrait passer du « cash à cash », au « cash à comptes »,
voire au « cash à investissement », afin d’avoir un impact positif sur la
bancarisation des populations, voire sur la réduction de la pauvreté.
Depuis quelques années, de nouveaux acteurs apparaissent sur ce
marché, dont les Institutions de microfinance (IMF). Les IMF ont été
longtemps, et sont très souvent encore, cantonnées au rôle de sousagent pour les sociétés spécialisées ou les institutions financières. Elles
doivent encore signer généralement des clauses d’exclusivité avec
les sociétés de transferts, ne permettant pas de faire jouer la concurrence et de diminuer les coûts. Les opérateurs de téléphonie mobile
commencent également à devenir actifs sur le marché des transferts.
L’impact des nouvelles technologies et la suppression progressive
des clauses d’exclusivité représentent un espoir important pour
diminuer effectivement les coûts associés aux transferts d’argent.
Jean Pouit de My Transfer pointe quelques chiffres et fait quelques
remarques :
• Le montant des transferts d’argents entre personnes des
pays du Nord vers les pays du Sud est de 300 milliards de dollars dont 43 milliards de dollars vers l’Afrique essentiellement
pour des dépenses d’urgence (alimentation, éducation, santé).
• Les migrants africains en Europe ont une épargne représentant un montant total de 28 milliards de dollars, qui pourrait
être partiellement utilisée pour financer des investissements
dans leurs pays d’origine via des diasporas bonds, comme
cela a déjà été fait par exemple au Ghana ou en Ethiopie.
• 65% des points de service en Afrique sont détenus par MoneyGram et
Western Union.
• Les IMF ont des réseaux bien plus importants et étendus que les
sociétés de transferts, notamment dans les zones rurales. Leur
collaboration avec les sociétés de transferts représente donc
un enjeu important pour le développement de ces services.
Voici la liste de quelques sites internet de comparaison des prix des services de transferts :
• www.remittanceprices.worldbank.org
• www.envoidargent.fr
• www.sendmoneyhome.org
132. Convergences 2015
Obed Makori présente la coopération entre Woccu et Irnet . Woccu est le
premier réseau mondial de coopératives de crédit et d’épargne au monde.
Il permet à ses IMF partenaires d’accéder à une plateforme internationale
(Irnet) de transferts d’argent pour laquelle les sociétés de transferts les
plus compétitives ont été préalablement choisies. L’objectif de Woccu
est de réduire les coûts associés aux transferts en proposant aux sociétés
de transferts d’accéder à un réseau comptant un nombre très important
de membres. Woccu propose de plus à ses IMF membres des services
d’assistance technique afin de mettre en place les transferts d’argent.
Ce système permet aux personnes bénéficiant des transferts de domicilier directement les transferts dans leurs comptes épargne sans avoir à
payer de commissions supplémentaires ou à se déplacer avec de l’argent.
Dans la majorité des pays avec lesquels travaille Woccu, ses
membres lui permettent d’avoir une couverture dans les zones
rurales et de très nombreux points de service comparativement
aux sociétés classiques de transferts d’argent. Au Guatemala par
exemple, les transactions atteignent un nombre de 50 000 par mois.
Adama Ba présente les produits d’épargne innovants de PAMECAS.
PAMECAS déploie ses activités à travers un réseau de 77 agences sur le
territoire sénégalais. L’IMF travaille avec 3 sociétés de transferts différentes
et a développé des produits de transferts innovants en partenariat avec la
CIF (Confédération des Institutions Financières) et le GRET (ONG française).
Un des premiers aspects de ce programme a été de développer des partenariats en Europe avec des sociétés de transferts afin de permettre aux migrants d’ouvrir un compte chez
PAMECAS depuis l’étranger, sans avoir à se déplacer au Sénégal.
Les produits sont :
• L’ épargne familiale : la famille du migrant peut récupérer mensuellement les transferts d’argents. Lorsque le transfert n’a pas été effectué,
la famille peut bénéficier du montant habituel (découvert autorisé
pour le migrant).
• L’ épargne projet : chaque migrant peut réaliser un projet au Sénégal,
et bénéficier d’une aide financière, ainsi que de conseils en entreprise
de la part de PAMECAS.
• L’épargne logement : les migrants qui souhaitent construire une
maison au Sénégal peuvent profiter des conseils et du suivi du chantier par PAMECAS.
800 migrants ont déjà adhéré au programme en Italie, ce qui représente un volume d’épargne de XOF 300mln. Un bureau devrait
prochainement ouvrir pour les migrants résidant en Espagne.
Pape Sene nous parle des factures des familles et des proches
payées directement par les migrants depuis la Belgique.
L’ objectif de l’ONG CAAD Belgique fondée par Pape Sene
est de permettre aux migrants sénégalais en Belgique de
Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements
SOLIDAIRES ET RESPONSABLES :
INVESTIR ET AGIR POUR LES OBJECTIFS DU MILLENAIRE
payer par téléphone mobile les factures d’eau, d’électricité, de téléphonie, de loyer ou tout autre paiement sur un
compte bancaire de leurs familles et proches restés au Sénégal.
Chaque adhérant reçoit gratuitement un téléphone portable dont
l’utilisation est limitée aux transactions financières effectuées dans le
cadre du projet.
Chaque téléphone portable est doté d’un abonnement et d’un crédit
mensuel qui permet de réaliser jusqu’à huit transferts dans le mois, sans
frais de communication.
Le système de transfert est constitué d’une plateforme informatique reliée à des téléphones portables, à une banque
belge et à une banque Sénégalaise. L’ensemble fonctionne de
façon autonome et exclusivement pour les activités du projet.
Cette plateforme permet de réduire les coûts associés aux transferts pour
le migrant. De plus, un quart de la commission revient indirectement
au migrant via un fonds de garantie localisé au Sénégal et géré par une
ONG. Ce fonds de garantie a pour but d’aider les migrants souhaitant
développer des activités économiques dans leur pays d’origine. Enfin,
un partenariat avec une mutuelle de santé sénégalaise a été noué
afin de faciliter la prise en charge des familles et proches de migrants.
afin de mutualiser via une plateforme internet les montants des
transferts et d’en réduire ainsi leurs coûts. La plateforme internet
devrait également donner à ses utilisateurs la possibilité de gérer
un compte dans leur pays de départ, et d’obtenir des informations
afin de les aider à gérer leur argent et à développer des projets.
Malgré l’arrivée de nouveaux acteurs les coûts associés aux services de
transfert d’argent n’ont pas encore diminué. Cependant, si les banques
centrales ne réagissent pas à cette problématique, nous pouvons raisonnablement imaginer que les opérateurs de téléphonie mobile, qui ont
acheté des licences d’activité à des prix exorbitants, décident de créer
ou de racheter des banques locales afin de développer le marché des
transferts d’argents à moindre coût. Si cette éventualité revêt un caractère positif concernant le prix de ces services, elle ne donne en revanche
aucune assurance sur l’utilisation de ces transferts, sur le passage du
« cash à cash » à du « cash à compte », voire à du « cash à investissement ».
Rapporteur officiel:
Julien Sciau, Grameen Credit Agricole Microfinance Foundation
Jean Pouit développe actuellement un projet appelé « INAFI Remittances », en partenariat avec le réseau d’IMF africaines INAFI, l’Union
Européenne et Oxfam. Ce projet a pour objectif de relier 10 associations de migrants de 10 pays européens et 10 IMF africaines,
Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Table-ronde
Améliorer les services financiers pour les communautés pauvres :
faciliter les transferts des fonds des migrants et accroître leur efficacité
133.
Microfinance et coopération décentralisée
Atelier // Microfinance et coopération internationale
Intervenants
Bertrand Gallet
Directeur Général, Cités Unies France
Constance Koukoui
Chef de Projets, Cités Unies France
Michaël Knaute
Directeur Général, OXUS Development
Network
Ingrid Metton
Chef de Projet, ACTED
Résumé analytique
L’engagement des collectivités territoriales françaises en microfinance, même s’il reste limité (2,3 millions d’euros investis sur les 10
dernières années) est en augmentation et traduit une volonté croissante des collectivités de s’impliquer sur des projets de développement économique générateurs d’emplois.
134. Convergences 2015
Pour les collectivités souhaitant s’engager, des actions pourraient
être entreprises pour améliorer la qualité encore faible des projets, comme un soutien au montage et au suivi de projet, à la compréhension du cadre juridique et à l’identification de partenaires
fiables.
Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements
Synthèse
Une étude inédite sur l’action des collectivités françaises en microfinance à travers la coopération décentralisée a été lancée conjointement
par Convergences 2015, ACTED et Cités Unies France en juin 2010. Cet
atelier vise à restituer et discuter les conclusions principales de cette
étude.
la moitié du montant total du projet présenté.
La coopération décentralisée est « l’ensemble des initiatives et actions
de coopération internationale menées par une ou plusieurs collectivités territoriales françaises (régions, départements, communes et leurs
groupements), d’une part, et, d’autre part, une ou plusieurs autorités
territoriales étrangères et/ou leurs groupements ».
Les collectivités françaises peuvent adopter plusieurs modalités d’action :
37 collectivités françaises (5 régions, 5 départements et 27 communes) et
45 projets ont été étudiés par l’enquête. La majorité des projets étudiés
se trouvent en Afrique de l’Ouest (91 % des projets), tout particulièrement dans la zone sahélienne (69 %), avec une prédominance du Burkina Faso qui représente 38 % des projets de l’échantillon représentatif.
Entre 2000 et 2010, les collectivités territoriales françaises concernées
par l’enquête ont investi 2 327 675 euros dans les activités de microfinance menées dans le cadre de la coopération décentralisée, avec une
prévision d’engagement de 406 730 euros pour 2011. On observe une
augmentation des financements depuis 2007.
Les régions étant les collectivités territoriales disposant de la plus grande
capacité financière, elles sont sans surprise les plus gros financeurs de
projets microfinance, pour une moyenne de 360 000 euros. Hormis
exceptions, le montant moyen des projets départementaux et communaux est plus faible et s’élève rarement au dessus de 50 000 euros.
Il arrive que l’autorité locale étrangère partenaire ou des institutions
spécialisées cofinancent le projet, mais dans la majorité des cas la
collectivité française est le principal financeur. Enfin, le Ministre des
Affaires Etrangères et Européenne abonde souvent l’engagement de
la collectivité à travers des subventions, représentant entre un tiers et
Les secteurs d’intervention des collectivités territoriales menant des
projets microfinance peuvent se regrouper en deux catégories : le soutien au secteur économique du territoire et le soutien au domaine non
économique (projets de femmes, agriculture, eau et assainissement…).
• abonder des fonds destinés à subventionner des prêts auprès de la
population identifiée via des IMF existantes ou la création de nouvelles
IMF sur le territoire d’intervention ;
• financer des microcrédits par l’intermédiaire de l’autorité locale partenaire, d’une association ou bien d’un groupement local (la structure
intermédiaire ne sera pas une structure spécialisée) ;
• soutenir le secteur de la microfinance de la zone d’action par le financement d’activités diverses comme la formation professionnelle ou
l’achat de locaux ou de matériel ;
• financer des fonds de garantie pour des crédits ou l’octroi de subventions pour la diminution des coûts de la clientèle (ex : frais d’adhésion
à une caisse d’épargne et de crédit).
L’autorité locale partenaire participe toujours à l’élaboration du plan
d’action. Dans certaines situations, elle peut être impliquée dans la mise
en œuvre et le déroulement du projet.
Les associations françaises du territoire de la collectivité territoriale sont
parfois partenaires. Les associations locales sous la forme de comités de
jumelage ou d’associations en charge du partenariat sont fréquemment
impliquées (deux tiers des cas). Enfin, le recours aux IMF et partenaires
techniques spécialisés en microfinance est également fréquent (60%
des cas).
Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Atelier Microfinance et coopération décentralisée
135.
Pour les collectivités, le microcrédit est attractif car les fonds remboursés
pourront être réinjectés évitant tout nouvel engagement financier de
la collectivité française. La microfinance s’inscrit également dans une
nouvelle conception de la coopération décentralisée où l’économie
est perçue comme outil d’appui des projets de développement, mais
aussi comme élément clé d’un développement global et durable de
populations défavorisées, notamment en matière de création d’emplois.
de microfinance a également été noté, ce qui rend nécessaire la mise en
place de formations à l’attention des services en charge de la coopération décentralisée intéressés par le secteur de la microfinance.
La recherche de partenaires constitue la principale difficulté rencontrée par les collectivités. Le rapport recommande donc de mettre en
place une aide à l’identification et à la mise en relation avec les acteurs
pertinents.
On observe aussi un manque de connaissance du contexte d’intervention et des difficultés de suivi des projets. Plusieurs solutions sont suggérées : soutien à la réalisation d’expertises préalables et amélioration
de l’accompagnement, du suivi et du contrôle des projets financés par la
mise en place d’une structure de suivi qui pourrait être basée en France
ou dans les pays partenaires ; développement des partenariats avec des
structures intermédiaires compétentes qui pourraient avoir la charge
de ces questions de suivi.
L’opacité de la réglementation au Nord et au Sud, et notamment la
règlementation relative aux transactions financières, est une autre difficulté centrale pour les collectivités territoriales françaises agissant à
l’international. Le rapport appelle à l’élaboration de recommandations
juridiques sur la législation française et les législations étrangères des
pays d’intervention des collectivités territoriales et l’information des
collectivités quant aux limites juridiques de leurs investissements en
vertu du droit français et du droit des pays partenaires.
Enfin, on a parfois relevé un manque de connaissances et de compétences du partenaire au Sud. Il apparaît donc nécessaire de mettre en
place un appui à l’identification de partenaires fiables et compétents
et déjà potentiellement formés.Le rapport souligne la possibilité pour
les collectivités territoriales d’investir spécifiquement sur des actions de
formation plutôt que des actions de crédit ou à minima d’intégrer dans
tous les projets un volet formation.
Un manque criant de connaissance des acteurs concernés en matière
136. Convergences 2015
Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements
Questions
Deux critiques principales ont été formulées : d’une part, leur caractère
généraliste et non spécifique au domaine de la microfinance ; d’autre
part, leur caractère uniquement technique alors que des orientations
politiques relatives aux objectifs que devraient viser ce type de projets
pourraient être formulées. En effet, la microfinance n’est pas un outil
économique neutre : quelles sont les implications d’un engagement
dans ce type de projets ?
Quel rôle pour les collectivités territoriales engagées à l’international
souhaitant utiliser l’outil microfinance ?
De plus, pour pallier la méconnaissance par les collectivités du secteur
de la microfinance et le manque de connaissances du partenaire du Sud
dans ce domaine, il serait judicieux que soit créée une offre de formation
répondant à ce besoin.
De ces interrogations s’est dégagé un accord quant à l’apport de la
coopération décentralisée au secteur de la microfinance et les modalités d’action des collectivités françaises. Il serait préférable qu’elles se
concentrent sur des services qualitatifs et non uniquement quantitatifs.
Le financement des projets des populations précaires par la microfinance nécessite un accompagnement des dits projets, la pratique de
taux d’intérêt les plus bas possibles, ainsi qu’une autonomisation des
structures de microfinance locales. Or les collectivités territoriales engagées à l’international peuvent avoir une valeur ajoutée certaine pour
améliorer ces aspects des projets microfinance.
En outre, l’identification de partenaires techniques et financiers, au
Nord et au Sud, étant l’une des principales difficultés identifiées dans
le cadre de l’étude, la facilitation des possibilités de partenariats avec
les institutions professionnelles en place, qui pourraient notamment
être la source d’une plus grande sécurité pour les lignes de crédit, a été
mise en exergue.
L’ étude révèle que le taux de recouvrement moyen est inférieur au
niveau moyen du secteur de la microfinance. Ce constat s’explique par
un double manque de capacités, à la fois des bénéficiaires des microcrédits (capacités financières et techniques) et des responsables de la
mise en œuvre des projets de microcrédits (évaluation des situations
des bénéficiaires et suivi des projets financés).
L’initiative de la région Ile-de-France menée dans le cadre de sa coopération avec la région Métropolitaine de Santiago (Chili) éclaire lesdites difficultés. Sur les trois ONG de terrain opérateurs du projet, deux ont eu un
taux de recouvrement avoisinant les 97%, du fait de leur connaissance du
secteur de la microfinance et des relations étroites avec les bénéficiaires,
qu’elles ont pu informer de toutes les dimensions du financement de
projet par la microfinance. La troisième, qui n’avait pas de connaissance
réelle du secteur de la microfinance, a connu un échec de sa politique
de remboursement.
Il est incontestable que la microfinance a un certain coût et pose des
difficultés pratiques dans le suivi des dossiers. L’ AFD a fait savoir son
engagement dans ce secteur avec un investissement de 100 000 euros
en 2009. Pour autant, elle a également rappelé que l’implication des
collectivités dans cette pratique devrait être envisagée comme un
partenariat dans lequel ces entités pourraient se concentrer sur leurs
domaines de prédilection (notamment la gouvernance locale).
Un consensus s’est dégagé quant à la nécessité de sensibiliser les collectivités sur les modalités de leurs actions en matière de microfinance.
Néanmoins, il faudrait définir au préalable le rôle préférable à assigner
aux collectivités dans ces projets : constitution d’IMF ? appui à la mise
en réseau ? expertises ?
L’importance de l’implication de la société civile ainsi que des retours
sur le territoire de la collectivité française sont des éléments fondamentaux des actions des collectivités territoriales. Le rôle des associations au
Sud, notamment des associations de femmes, est primordial et il devrait
être précisé. De plus, l’action des collectivités françaises à l’international
appelle légitimement à un certain retour positif sur leur territoire, ne
serait-ce que pour justifier leur action à l’international auprès de leur
population. En ce sens, l’initiative de la région Picardie au Bénin, en partenariat avec la société SENS, opérateur du projet, visant à un co-développement de l’entrepreneuriat social a été mis en exergue, de même que
l’association Xetic.org, plateforme Internet de prêteurs solidaires français
à destination de micro-entrepreneurs de pays en développement travaillant en collaboration avec les collectivités territoriales rhônalpines, qui
vise notamment à décloisonner l’action internationale des collectivités,
à la faire connaître du grand public et à l’y impliquer.
Enfin, la question du rôle des diasporas et de la prise en compte de leur
activité financière a été évoquée, sans pour autant avoir donné lieu à
un consensus.
Rapporteur officiel :
Michaël Knaute, OXUS
Il est cependant craint que la crise actuelle du secteur de la microfinance
ne conduise les collectivités territoriales à se recentrer sur les activités
traditionnelles de la coopération décentralisée et à abandonner leur
action en matière de microfinance.
Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Atelier Microfinance et coopération décentralisée
135.
SOLIDAIRES ET RESPONSABLES :
INVESTIR ET AGIR POUR LES OBJECTIFS DU MILLENAIRE
Synthèse des discussions du 4ème Forum annuel Convergences 2015
Hôtel de Ville de Paris
3, 4 et 5 mai 2011
Troisième partie
Améliorer l’impact
+ d’efficacité +d’impact + d’investissement
Impact collaboratif : comment stimuler la
collaboration entre les différents acteurs pour
optimiser l’impact social ?
Table-ronde // Coopération internationale
Modérateur
Alexandre De Carvalho
Network Partner, Hystra Consulting
Intervenants
Serge Allou
Chargé de Programme DAT (Développement
institutionnel, Acteurs, Territoires), GRET
Jake Benford
Responsable de projet, Fondation Bertelsmann
Ziggy Garewal
Directrice pays, ACTED Afghanistan
Jennifer Vasquez
Directrice Senior, SEEP
Résumé analytique
Le thème de l’impact collectif s’inscrit dans le prolongement de
l’initiative de FSG, un cabinet de conseil international spécialiste
de l’innovation sociale. Le FSG affirme que l’impact social peut être
maximisé si l’on travaille avec un groupe d’organisations. Les efforts
collectifs devraient avoir plus d’impact que les efforts individuels.
Par rapport à « l’impact isolé », « l’impact collectif » s’attache à
appréhender les problèmes sociaux dans un cadre plus large et à
développer des solutions découlant de l’interaction de plusieurs
organisations. Le progrès social dépend alors de la volonté des différents acteurs de travailler vers les mêmes objectifs, au-delà de
leurs divergences de points de vue, et d’apprendre de leur collaboration. Cependant, la création d’une approche partagée par les
acteurs est un processus beaucoup plus difficile qu’il n’y paraît.
Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Table-ronde Impact collaboratif :
comment stimuler la collaboration entre les différents acteurs pour optimiser l’impact social?
139.
Synthèse
Avoir un agenda commun peut être une façon de maximiser l’impact social.
Alexandre De Carvalho introduit le sujet en disant que lorsque beaucoup de participants travaillent ensemble, ils tendent à partager la même
vision, avec une compréhension commune du problème. L’impact social
peut ainsi être optimisé. Il demande alors aux intervenants comment une
approche commune peut contribuer à résoudre des problèmes sociaux.
Ziggy Garewal explique qu’avoir un agenda commun est une question clé. En Afghanistan, il y a de multiples intervenants: les bénéficiaires, les Organisations Non-Gouvernementale (ONG) locales/
nationales/internationales, l’Organisation des Nations Unies (ONU),
le gouvernement de l’Afghanistan aux niveaux national, régional
et local, les gouvernements étrangers, les organismes de développement international, les acteurs militaires, les acteurs du secteur privé, etc. La diversité des intervenants (qui peuvent avoir des
motivations différentes) peut souvent être un facteur de rupture.
Quand une ONG s’assoit à la même table qu’un acteur militaire, avoir
un agenda commun est essentiel pour éviter les malentendus. Les
acteurs peuvent rater beaucoup d’opportunités simplement à cause
de leur manque de confiance envers les partenaires ou à cause d’une
mauvaise compréhension des raisons du partenariat. Il faut avoir
conscience qu’une organisation ne peut pas exercer toutes les fonctions
et ne peut pas obtenir tous les résultats seule. Ziggy Garewal passe
80% de son temps à construire une approche collaborative au niveau
du réseau et à mettre en place des bases communes avec les autres
intervenants. L’aspect clé pour construire un agenda commun est de
s’assurer que chaque joueur peut participer de manière égale à la discussion. Construire un agenda commun est absolument essentiel et
doit être une étape initiale importante dans n’importe quel programme.
Jennifer Vasquez explique la mission de SEEP qui est de connecter les
praticiens des micro-entreprises dans une communauté globale d’apprentissage. SEEP réunit l’expérience des praticiens dans un espace exclusif,
neutre, de partage et de développement des connaissances, et diffuse
largement ces connaissances afin de faire avancer le développement de
l’industrie des micro-entreprises. Les membres de SEEP sont des leaders
du secteur. Plus de 80% des membres sont des associations de microfinance du monde entier qui supportent et fournissent des formations, des
services et des renforcements institutionnels aux Institutions de Microfinance (IMF) qui opèrent sur le terrain. SEEP échange avec ses membres
et établit des alliances stratégiques avec d’autres intervenants clé.
Voici deux exemples:
• Youth Financial Services PLP – Bring together a Private Actor – MasterCard and For-Profit Organizations – Making Cents on Youth Financial
• Le programme Citi Network Strengthening – Le projet collaboratif avec
Citi, SEEP et ses membres associés.
SEEP est bien positionné pour acquérir une meilleure compréhension
140. Convergences 2015
des dynamiques de la construction des relations et des connexions entre
acteurs. Il détermine quels acteurs ont un agenda commun et quelles
ressources ils peuvent utiliser pour maximiser l’impact social. Jennifer
Vasquez est convaincue que les acteurs doivent travailler ensemble
pour atteindre des résultats plus rapidement et éviter la duplication
des efforts. SEEP souligne l’importance du travail collaboratif, du fait
de partager des objectifs et un agenda avec ses partenaires, ainsi que
de l’identification des meilleures pratiques. Il est critique d’identifier les
rôles et les responsabilités de chacun et de déterminer une feuille de
route pour une stratégie efficace afin d’éviter des dérives dans la mission.
Il est important de comprendre que chaque acteur a sa propre mission et qu’un des plus grands défis est de construire un agenda
commun et de faire travailler les acteurs ensemble. Des synergies
doivent être créées entre les différents acteurs et la collaboration doit être mutuellement bénéfique pour qu’elle soit réussie.
Serge Allou ajoute que, en tant qu’acteur extérieur, il est parfois difficile
pour le GRET de réunir tout le monde autour d’une table. Dans ce sens,
le cas du GRET en Mauritanie est très intéressant. En effet, un acteur – le
Commissariat de la lutte contre la pauvreté– ne voulait pas parler avec le
Ministère du logement. Il était donc impossible de les forcer à collaborer.
Le Commissariat voulait se concentrer sur combattre la pauvreté,
alors que, dans l’agenda du GRET, il n’est pas seulement question
de lutte contre la pauvreté, mais aussi de consolidation des acteurs
sociaux et des politiques publiques (en matière de logement).
Pour Ziggy Garewal, réunir les acteurs autour d’une table est difficile car il y
a beaucoup de méfiance. Cependant, l’Afghanistan est un environnement
d’opération très complexe où travailler seul est très dangereux. Les voies de
communication doivent rester ouvertes à toutes les parties investies afin
d’être sûr qu’aucun acteur ne soit isolé. Dans le contexte afghan, les acteurs
commencent à se comprendre les uns les autres et à travailler ensemble.
Des données collectives aident à mesurer les efforts entrepris et les progrès d’un projet commun. Alexandre De Carvalho introduit l’idée que
les “données collectives” et la “mesure des résultats” permettent à tous les
participants de s’assurer que l’effort reste en cohérence avec les objectifs.
Jake Benford évoque le processus d’apprentissage que la
Fondation Bertelsmann (FB) a traversé quand elle a commencé à faire
des recherches sur le champ de l’action collaborative et des mesures
de l’impact. L’ objectif des mesures d’impact est d’améliorer l’impact
social des activités et d’être en capacité de convaincre d’autres acteurs
afin d’obtenir plus de financement. Aussi bien au Royaume-Uni qu’en
Allemagne, il y a peu de connaissances et peu d’outils disponibles pour
les organisations qui voudraient utiliser de telles mesures d’analyse.
Si une mesure d’impact donnée doit être appliquée, les données doivent être insérées dans un système de données ;
mais ces données doivent être recueillies sur le terrain, sinon
Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements
même la meilleure méthodologie ne produira aucun résultat.
Il est clair que les acteurs doivent augmenter leurs échanges et travailler ensemble. C’est pour cela que le réseau de membres de la
FB a été mis en place. Il a été établi comme une communauté de
praticiens. Ce réseau permet aux associations à but non lucratif
d’envoyer leur propre agenda et de décider de ce qui doit être fait.
La FB n’a pas une unique méthodologie correcte. La méthodologie
devrait être développée en fonction de chaque contexte local.
L’objectif de ce réseau est de réellement proposer une plateforme
où les acteurs du secteur peuvent partager des analyses nationales ou internationales et développer le champ de l’impact social.
Par ailleurs, Jake Benford dit que certains impacts sont très difficiles à
mesurer sur le terrain (par exemple la mesure des compétences chez
les adolescents). Les acteurs doivent au moins être d’accord sur ce que
pourrait être un bon indicateur pour un secteur donné, pour que les
informations puissent commencer à être rassemblées et pour que le
système de mesure puisse être complété. L’ évaluation est un projet à long
terme, qui dépend des indicateurs, du secteur, et de ce qui a besoin d’être
mesuré. Cela peut prendre 10 ans de mesurer certains impacts (le champ
de l’éducation : l’impact des compétences enseignées par les professeurs aux adolescents, l’accès aux marchés du travail des étudiants, etc.).
Les indicateurs doivent être valides, fiables, pratiques, et réalistes
d’un point de vue politique. Dès que les mesures commencent
à utiliser des indicateurs, cela a des impacts sur les résultats.
Ziggy Garewal ajoute qu’une des questions clés est de distinguer
les résultats et l’impact. La question de la « mesure commune »
est liée à l’idée d’un agenda commun avec la nécessité de définir
des objectifs, des paramètres et des indicateurs pour l’action.
En Afghanistan, ACTED a essayé de parvenir à une meilleure gouvernance
et une meilleure stabilité, mais comment est-il possible de les mesurer ?
Lorsque beaucoup d’ONG construisent un programme national massif,
cela peut prendre 5 à 6 ans pour mettre en place les indicateurs basiques
de résultats (les indicateurs ne peuvent pas uniquement être définis, ils
doivent aussi être mesurés). C’est un processus long mais nécessaire,
car les acteurs ne sont pas habitués à pratiquer une telle méthodologie.
Pour Jennifer Vasquez, la structure SEEP permet une meilleure collaboration entre le secteur public et le secteur privé à travers un modèle
de “ Communauté de Pratique ” (COP). Elle permet d’accroître l’engagement et l’apprentissage des membres autour d’objectifs communs.
Par exemple : Trois communauté de pratique sont organisées autour de ces thèmes : le croisement des domaines
d’intérêt, la planification, la production, le polissage, la diffusion et, enfin, les mesures et l’évaluation de l’impact social.
Jennifer Vasquez pense que la communication est un défi important et
Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Table-ronde Impact collaboratif :
comment stimuler la collaboration entre les différents acteurs pour optimiser l’impact social?
141.
que pour les réseaux mondiaux comme SEEP, il y a beaucoup de barrières
telles que la langue. SEEP tient compte du contexte local des initiatives de
collaboration et crée une stratégie de communication pour synthétiser
le savoir, les mises à jour et les meilleures pratiques de manière à ce que
les travailleurs de terrain puissent les comprendre et les appliquer. SEEP
a développé une stratégie de communication cohérente avec beaucoup
d’apports des membres et a commencé à appliquer les meilleures façons
de diffuser l’information pour assurer la meilleure visibilité des programmes. Dans le cadre de la collaboration avec la Citi et les associations
de microfinance, SEEP a créé un ensemble d’outils, incluant des notes
techniques, des kits d’outils et des guides. Ces outils ont été créés spécialement pour les associations. La stratégie doit essentiellement s’assurer
qu’il y ait un point de contact entre chaque acteur impliqué et qu’il soit
ensuite possible de diffuser ce message à ceux impliqués dans le projet.
SEEP a un réseau de membres dynamiques, avec les associations de
microfinance (intéressées par les mesures et les chiffres) et les entreprises (s’attachant plus à la performance sociale des activités). SEEP
s’arrange pour que ces deux types d’acteurs puissent se comprendre.
Serge Allou précise que lorsqu’il y a une série d’acteurs autour de
la table, ils n’ont pas tous la parole. Lorsqu’il y a des conflits de pouvoir entre les acteurs, la discussion n’est pas clairement établie.
Ainsi pour aider les gens à construire un agenda commun et prendre
part au processus de communication et de négociation, il faut que
les personnes présentes soient en mesure de discuter. Ce n’est pas
toujours le cas et des intermédiaires sont nécessaires pour faciliter
la discussion. Serge Allou rajoute que le GRET en tant qu’ONG de
développement, essaie autant que possible de construire des relations entre les acteurs sociaux et la sphère publique. Il est essentiel
de considérer l’Etat comme un acteur majeur du développement.
positives. Il est important d’avoir une organisation solide avec un personnel qui surveille en permanence l’avancée des efforts entrepris en
partenariat avec d’autres organisations et mesure les résultats obtenus.
Pour Ziggy Garewal, avoir une organisation forte est essentiel : la mise
en réseau, la collaboration, etc., ne sont pas des activités spontanées. Elles
requièrent beaucoup de personnes travaillant dur et soutenant le processus. Concernant la construction de la stratégie de communication, il est
nécessaire d’avoir une structure, des forums de discussions et des réunions
qui permettent à des voix différentes d’avoir un rôle dans le processus, en
parallèle des retours des collègues et de la circulation de l’information.
En Afghanistan, il y a environ 500 ONG enregistrées. Il y a une agence
appellée Agency Coordinating Body for Afghan Relief (ACBAR) qui représente 120 ONG. Elle a été créée pour servir et faciliter le travail des ONG
membres afin de répondre efficacement aux besoins humanitaires et de
développement des Afghans. ACBAR joue un rôle clé en Afghanistan. Il
procure de l’information à ces membres et aux partenaires extérieurs (les
donneurs, les organisations multilatérales et les médias). Sa capacité à
transmettre les informations à ses membres et à les coordonner est fortement appréciée, d’autant plus que les ONG ont des tailles, des mandats,
des activités, des budgets et des zones d’intervention différents. ACBAR
a créé une plateforme commune d’acteurs. Il est nécessaire d’avoir une
organisation dédiée à cette mission car les ONG n’ont pas nécessairement le temps de collaborer entre elles sans l’appui d’un acteur extérieur.
Pour renforcer les activités de manière efficace, SEEP travaille avec
ses partenaires pour établir des objectifs communs, en incluant
les contributions de chacun dans son programme de travail. Selon
l’expérience de SEEP, les sommets et les formations au niveau
régional permettent un meilleur renforcement mutuel des activités.
Alexandre De Carvalho dit que les acteurs ont généralement leurs
propres sujets, leurs propres responsabilités, alors qu’en parallèle il y a
quelque chose qui les rassemble et qui encourage des collaborations
140. Convergences 2015
Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements
Rapporteur officiel:
Florian Bertaud, Schneider Electric
Quelle gouvernance locale pour quel impact ?
Table-ronde // Economie sociale et solidaire
Modérateur
Jean Karinthi
Directeur, Maison des Associations du Deuxième
Arrondissement, Ville de Paris
Intervenants
Perrine Lantoine-Rejas
Chef de projet microfinance et philanthropie,
Fédération Nationale des Caisses d’Epargne
Georges Métayer
Responsable de l’ innovation et de l’ entrepreneuriat social,
Croix-Rouge
Gérard Longatte
Chargé de mission partenariat, MACIF
Jean-Michel Ricard
Directeur Général, SIEL Bleu
Résumé analytique
La gouvernance locale est un facteur clé de réussite des projets de
développement. Elle renvoie à différentes approches visant à mieux
prendre en compte les acteurs des territoires dans les processus de
décision face au constat que bien souvent, les centres de décision
sont éloignés des territoires effectifs des projets. La table ronde
aborde quelques uns de ces aspects, notamment la question de
la gouvernance locale et du statut coopératif, la participation des
usagers, la coopération entre les entreprises et la société civile, le
rôle des salariés dans la gestion de leur entreprise, l’implication de
bénévoles et volontaires, etc.
Ces thématiques sont illustrées par une série de témoignages et
d’exemples concrets, qui montrent comment la gouvernance locale
permet une meilleure identification des besoins, l’adaptation des
stratégies aux configurations locales, ou encore l’innovation. Mais
les difficultés ne doivent pas être sous-estimées : les participants
insistent sur l’importance de la formation des opérateurs locaux, le
temps nécessaire à la mise en œuvre de coopérations locales avec
des acteurs parfois très nombreux, et surtout le défi du changement
d’échelle. Comment la gouvernance locale peut-elle contribuer à
des solutions globales ?
Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Table-ronde Quelle gouvernance locale pour quel impact ?
143.
Synthèse
Le modérateur invite tout d’abord les participants à décrire leur vision de
la gouvernance au sein de leurs organisations respectives.
Selon Perrine Lantoine-Rejas, de la Fédération Nationale des Caisses
d’Epargne (FNCE), la question de la gouvernance se pose principalement
à deux niveaux pour les Caisses d’Epargne : elle renvoie, d’une part, au
statut coopératif et à l’implication des sociétaires et de leurs élus dans
le fonctionnement des instances de décision et d’autre part, aux modes
de coopération de chaque Caisse d’Epargne avec ses parties prenantes,
sur son territoire.
Concernant le premier point, il convient de rappeler que les 17 Caisses
d’Epargne sont des banques de plein exercice et, comme pour les autres
banques coopératives, la gouvernance se fait d’abord en région. Les 4,3
millions de sociétaires, qui portent le capital des Caisses d’Epargne, sont
représentés par des administrateurs élus, qui contribuent à l’élaboration
et à la mise en œuvre de la stratégie des Caisses d’Epargne, aussi bien
dans le domaine bancaire que pour ce qui est des actions de responsabilité sociale. L’organe central, BPCE, assure, entre autres, la solidarité financière entre les banques et définit une stratégie commune. La Fédération
Nationale (FNCE), quant à elle, a pour rôle d’animer la vie coopérative du
réseau et de coordonner les actions de responsabilité sociale. Par nature,
les Caisses d’Epargne ont donc un mode de gouvernance décentralisé,
dans la continuité de leur histoire.
Par ailleurs, en tant que banques de proximité, les Caisses d’Epargne sont
très impliquées dans la vie locale et travaillent en partenariat étroit avec
les acteurs des territoires, ce qui constitue un autre aspect essentiel de
leur mode de gouvernance. Une illustration en est leur politique d’engagement sociétal, en particulier le microcrédit. Les Caisses d’Epargne ont
en effet décidé de faire de l’inclusion financière un élément clé de leur
responsabilité sociale et elles sont aujourd’hui les premiers acteurs du
microcrédit personnel en France, à travers le dispositif Parcours Confiance.
Pour mettre en œuvre ce dispositif et répondre au mieux aux besoins des
personnes en difficulté, le choix a été fait de travailler en collaboration
étroite avec les acteurs spécialistes de l’accompagnement social : centres
communaux d’action sociale (CCAS), Secours Catholique, Restos du cœur,
conseils généraux… Chacun joue son rôle : la Caisse d’Epargne octroie
le microcrédit et offre un accompagnement bancaire et budgétaire personnalisé, et les réseaux d’accompagnement spécialisés accompagnent
les bénéficiaires sur les autres aspects de leur projet d’insertion (emploi,
logement, santé…). Cette complémentarité des acteurs est un facteur
clé de la réussite des projets portés par les bénéficiaires de microcrédit.
La MACIF, représentée par Gérard Longatte, quand à elle, est plus localisée (Nord-Pas de Calais) mais travaille également en décentralisation.
Elle a été créée il y a 50 ans sur un mode de gouvernance directe, c’est-àdire que l’ensemble des sociétaires participaient à la gouvernance. Mais
la structure a grandi, et en 1975, il a été décidé que la gouvernance se
déroulerait à deux niveaux : des délégués locaux et un Conseil d’Administration.
144. Convergences 2015
En 1987, le pouvoir politique de l’époque considère que la taille est
critique pour que les élus aient une véritable représentativité et des liens
de proximité avec les sociétaires. La régionalisation est mise en place. Le
territoire est scindé en 11 régions ; chaque région élit son comité régional
avec un président. L’ensemble des élus constitue le comité régional et
l’ensemble des comités régionaux forme l’assemblée générale qui élit
un conseil d’administration, qui élit son président.
Dans le Nord-Pas de Calais, il existe 180 délégués, 1 pour 2000 sociétaires.
C’est une structure pyramidale classique au niveau régional et national.
Mais les élus n’ont pas qu’une fonction élective, ils ont également un réel
pouvoir. Les élus sont décisionnaires de la stratégie d’entreprise et du
projet social, ceci est visible aussi dans les commissions de prévention,
les fondations... Concernant le volet prévention de la MACIF, les outils ne
sont pas les mêmes suivant les régions (ex des sauveteurs en mer pour
l’un ou lutte contre les incendies pour l’autre). Le but est de trouver des
réponses adaptées aux besoins des régions. Les élus sont maîtres de ces
actions. Un autre exemple est que aucun partenariat ne peut se signer
en région sans l’aval des politiques. Ces derniers ont le vrai pouvoir au
niveau local. Par ailleurs, il existe également une « dimension spirituelle »
de cette gouvernance locale : les élus sont « l’âme et conscience de la
MACIF », ils doivent représenter les sociétaires.
La Croix-Rouge compte aujourd’hui 18 000 salariés et 52 000 bénévoles ;
elle intervient sur 5 métiers :
• Opérations et relations internationales (mouvement de la Croix Rouge
et du Croissant Rouge) qui sont des opérations d’urgence ou de long
terme.
• Urgence et secourisme : enseignement au grand public, manifestations culturelles, etc.
• Métiers de la santé.
• Action sociale : La Croix-Rouge gère par exemple 80% des SAMU
sociaux, le 115, CHRS, hébergements d’urgence, structures d’accueil
migrants, soutiens psychologiques, etc..
• Formation : Il existe une vingtaine d’instituts régionaux et en entreprise. La Croix-Rouge a 700 structures de types « établissement ».
Comment établir une gouvernance qui puisse servir à la fois les bénévoles
et les établissements ?
Il existe une continuité entre les activités bénévoles et les établissements professionnels créés. La Croix-Rouge est une association unique,
une personne morale unique. Le pouvoir est détenu par l’Assemblée
Générale, et, par délégation, par le Conseil d’Administration, son bureau
et son président. L’AG est composée des délégués départementaux et
régionaux. Sur le territoire, la gouvernance est déléguée. Un mouvement
de décentralisation a été lancé en 2007 avec la création de délégations
régionales, qui a repensé la gouvernance de la Croix-Rouge. Les délégations régionales reçoivent des compétences de l’Assemblée Générale, par
Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements
délégation. Ceci permet à la Croix-Rouge de s’adapter au territoire et a
été accompagné de mutualisation des moyens, de création d’instances
d’élus etc. Les élus veillent à l’intégration sur le territoire. Les décisions
sont prises collectivement ; les élus bénéficient d’un « accompagnement
de la négociation », pour améliorer leurs discussions avec les partenaires
privés et publics.
SIEL Bleu, dont le directeur général est Jean-Michel Ricard, est un
groupe associatif, créé il y a 14 ans en 1997, qui met en place des activités de prévention (activités physiques adaptées) pour les personnes
fragilisées (personnes âgées, handicapées et/ou atteintes de maladies
chroniques) mais aussi pour les salariés dans les entreprises, dans un
objectif d’amélioration de la qualité de vie et de maintien dans l’autonomie. L’association compte 270 salariés en France.
SIEL Bleu se développe par le biais d’une forte autonomie donnée aux
salariés et a notamment développé une association à l’étranger, en
Irlande par exemple.
Le siège est à Strasbourg. Le Conseil d’Administration est formé de 8
personnes, garantes des valeurs de l’association. Ces administrateurs ont
des fiches de postes précises. Au niveau local, des salariés impulsent le
développement de l’association.
SIEL Bleu est un fellow Ashoka, du fait de son modèle social innovant
qui consiste à mettre en place une structure commerciale au sein de
l’association mais également grâce à son impact social en direction des
personnes les plus fragilisées.
Gérard Longatte souligne que la structure de la MACIF, avec ses 11
régions, ne nuit pas au lien qui lie les sociétaires à leur groupe mutualiste. Les élus sont trouvés localement. Mais il reste que la formation de
l’administrateur est nécessaire.
La Croix-Rouge l’approuve en déclarant que ses élus ont le pouvoir de
négociation annuelle des budgets sans grands enjeux, mais qu’ils suivent
une formation, afin qu’ils aient les clés sur quelques points de négociation
avec l’interlocuteur public.
L’élu et le salarié travaillent ensemble, pour trouver une structure cohérente afin de valoriser au mieux les partenariats. Les rôles de directeur,
de formateur etc. font l’objet de fiches de postes. Les élus bénéficient
également d’une formation continue (les mandats sont renouvelables
tous les 4 ans).
Avoir une formation permet de mieux gérer. La formation des administrateurs est également un aspect essentiel pour les Caisses d’Epargne.
Ces derniers sont amenés à exercer des responsabilités sur des sujets
parfois très techniques : pour assurer une gouvernance équilibrée, il est
indispensable de donner aux administrateurs les moyens de comprendre
et analyser les enjeux stratégiques d’un établissement financier.
Mais les administrateurs apportent aussi une compétence indispensable
à la Caisse d’Epargne, à savoir leur connaissance des territoires. Le maillage territorial est très étroit puisqu’il existe 275 sociétés locales d’épargne
(SLE), avec de 7 à 48 SLE par Caisse d’Epargne. Ce rôle se manifeste par
exemple dans les actions d’engagement sociétal : certains administrateurs sont amenés à rencontrer les partenaires, voire à participer aux
comités de microcrédit ; ils contribuent à l’élaboration de la stratégie
de mécénat de la Caisse d’Epargne et au choix des projets soutenus. En
cela, ils sont un véritable « trait d’union » entre la Caisse d’Epargne et son
territoire et assurent la vitalité de sa gouvernance locale.
Jean Karinthi demande à Perrine Lantoine-Rejas d’expliquer comment
se coordonnent entre cette gouvernance locale et son rôle de coordination et d’orientation nationale.
Perrine Lantoine-Rejas prend l’exemple du microcrédit. La FNCE a
lancé des travaux en 2004 pour mettre en place un dispositif d’inclusion
financière, Parcours Confiance. Elle a proposé une boîte à outils, à destination des Caisses d’Epargne, pour démarrer le dispositif. Mais chaque
Caisse d’Epargne est ensuite libre d’adopter ou pas ces outils, ou de les
adapter. La Caisse d’Epargne de Provence Alpes Corse a ainsi développé
un dispositif propre, appelé Créa-Sol, sur la base d’une expérimentation
menée sur leur territoire. De manière générale, dans chaque région, on
Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Table-ronde Quelle gouvernance locale pour quel impact ?
145.
observe des variations par rapport au « modèle » national.
Pour la FNCE, cette diversité est la preuve d’une réponse « sur-mesure »
aux configurations régionales ; elle permet aussi à nos correspondants
d’avoir une certaine liberté pour innover et mener des expérimentations qui peuvent ensuite bénéficier aux autres Caisses d’Epargne. Il faut
pouvoir s’adapter aux appétences et aux manières de fonctionner de
chacun, même si cela rend parfois le travail de coordination nationale
compliqué. Il n’en reste pas moins que cette diversité s’exerce dans le
respect de principes et d’orientations communes qui permettent d’avoir
une cohérence d’ensemble.
Il faut rappeler que les administrateurs, qui contribuent à la gouvernance des Caisses d’Epargne, sont des clients par définition : pour être
administrateur, il faut détenir des parts sociales. Pour ce qui est, plus
spécifiquement, des bénéficiaires de microcrédit, la question est sensiblement différente. L’implication des « usagers » est effectivement
une bonne pratique mais la FNCE ne la met pas en œuvre de manière
systématique : l’échange est permanent avec les bénéficiaires lors des
entretiens avec les conseillers. La FNCE a réalisé une étude d’impact
où elle interroge les bénéficiaires sur leur satisfaction par rapport aux
services proposés, mais les Caisses d’Epargne n’ont pas organisé de
« comités client » formalisés à ce jour. L’une des raisons est la difficulté
à impliquer les bénéficiaires : leur situation est souvent très précaire et
ils doivent jongler avec des emplois du temps très chargés – beaucoup
sont des femmes seules avec enfants.
La Croix-Rouge travaille aussi avec des acteurs locaux. Les conseils de
surveillance ont ainsi un rôle particulier : maintenir le lien avec les bénéficiaires et leur famille. En réalité, la Croix-Rouge réfléchit sur la question
de l’association des bénéficiaires à de futurs services. Il s’agit de trouver
un mode de collaboration, ce qui n’est pas facile car les populations
sont fragilisées.
Pour la MACIF, le bénéficiaire est un sociétaire et l’élu est un sociétaire.
Mais ce n’est pas si évident que cela. Les gens adhèrent au système
d’assurance pas forcément avec une étiquette mutualiste, mais plutôt
comme clients. Il reste un travail à faire pour la MACIF : que ce client
devienne sociétaire, qu’il vote pour ses élus. C’est la question de
146. Convergences 2015
l’adhésion aux valeurs de la Mutuelle. Faire comprendre qu’un acte de
consommation, un achat, peut aussi être un acte citoyen. A ce jour, ¼
des sociétaires vote pour ses représentants.
Le travail de délégué n’est pas encore connu. Il doit être identifié et ses
fonctions reconnues (représentativité, action à mener via prévention,
fondation et partenariat etc.) : il lui faut s’impliquer dans la société, être
acteur du changement de la société. L’accompagnement, la formation
doivent être permanents. Les délégués ont par exemple un site extranet
dédié : blog, ressources, échanges avec des « sachants » etc. Un exemple
de formation mis en place en région, l’utilisation et la maitrise du site
grâce à des exercices sur postes informatiques.
Il faut faire ressortir, chez l’élu, ses compétences. Un engagé MACIF peut
créer un partenariat avec SIEL Bleu, par exemple.
Qu’en est-il de l’implication des salariés dans une association tel que
SIEL bleu ?
SIEL Bleu rappelle que dans les associations, le mal-être au travail est
le plus important.
Pour le développement de l’association en région, quelques outils
sont donnés mais le champ reste très libre. Ce dernier se base sur les
convictions de salariés etc. qui ont besoin de trouver eux-mêmes leurs
partenaires pour pérenniser leurs activités. Par rapport aux usagers, SIEL
Bleu s’est aperçu qu’il ne fallait pas forcer les gens à participer. Avant, il y
avait des comités de bénéficiaires au niveau départemental. Mais l’association a changé de direction : les groupes de travail locaux sont très
libres et composés de salariés, d’élus locaux, de caisses de retraite etc.
Un incubateur a été mis en place au sein de SIEL Bleu : 3 projets sont
choisis par année. Ce sont essentiellement des gens de terrain. Deux
sont montés conjointement avec un chargé de prévention et un bénéficiaire. Le projet est monté, puis validé et généralisé. Le chargé de
prévention du terrain concerné devient chef du produit national.
Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements
Questions
Concernant le microcrédit proposé par les Caisses d’Epargne, s’agit-il
de microcrédit professionnel ou social ? Comment convaincre les
caisses que cette catégorie de prêts n’est pas en concurrence avec
leurs opérations bancaires normales ?
Les Caisses d’Epargne proposent aussi bien des microcrédits personnels
que professionnels. Les modalités de fonctionnement ne sont pas exactement les mêmes pour les deux, puisque les microcrédits professionnels
peuvent être proposés soit via les associations Parcours Confiance, soit
directement en agence.
Concernant l’articulation entre crédit classique et microcrédit, il convient
de souligner que le choix de recourir à des conseillers spécialisés, détachés dans les associations Parcours Confiance, est dû en grande partie
au constat qu’il est plus simple de développer le microcrédit en parallèle
de l’activité bancaire classique. Cela étant dit, il n’y a pas de frontière
étanche entre les deux : nos 60 conseillers Parcours Confiance sont tous
issus du réseau commercial des Caisses d’Epargne, et détachés sur une
mission de quelques années ; par ailleurs, les microcrédits sont réalisés
sur le bilan des Caisses d’Epargne et gérés au même titre que les autres
crédits : c’est le canal de distribution qui est différent.
Plus généralement, il s’agit d’une expérimentation menée dans le cadre
de la responsabilité sociale, qui a de ce fait une dimension quasiment
de « laboratoire », même si c’est un laboratoire à grande échelle puisque
3000 microcrédits personnels ont été accordés l’an dernier ! Il n’y a donc
pas de concurrence entre l’activité bancaire classique et le microcrédit.
Avec 2011, année européenne du volontariat, la question du renouvellement des forces de volontariat dans les associations se pose.
N’y a-t-il pas une crise de l’engagement ?
Pour la MACIF, le renouvellement des générations est en effet une question cruciale, car la représentativité est difficile : les délégués sont souvent
âgés et masculins. Il y a seulement trois jeunes sur 9 nouveaux délégués
en 2011.
Pour la Croix-Rouge, on fait face à de nouvelles formes de bénévolat : les
associations ont besoin de s’adapter au zapping, ce mode de consommation des jeunes actuellement.
Le renouvellement concerne certes les élus eux-mêmes mais aussi le fait
d’avoir des personnes qualifiées, choisies pour leurs compétences. Ceci
est crucial dans la dynamique de l’équipe d’élus.
La Croix Rouge pense également à réduire la durée des mandats : les mandats qui durent trop longtemps amènent de la « féodalité » (2 mandats
de 4 ans). Il faut privilégier l’accès des jeunes vers les fonctions électives,
sans discrimination d’âge.
Quel lien y sa-t-il entre gouvernance locale et innovation ?
Pour la Croix-Rouge, la gouvernance locale a été l’occasion de multiples
innovations, comme la prise en charge en phase terminale des enfants, les
formations d’infirmière etc. Mais une question demeure : c’est la question
du changement d’échelle : est-on en capacité de développer cette idée
au niveau national ? Georges Métayer, de la Croix-Rouge, se rappelle
d’une réflexion à une conférence de Sciences Po il y a quelques temps : «
Il y a 30 ans qu’on a créé le microcrédit, et seulement 15% des gens qui en
ont besoin dans le monde y ont accès. Dans le même temps, lorsqu’une
grande société veut lancer un produit au niveau mondial, il lui faut 18
mois ». Ceci pose la question des moyens que nous pouvons mettre au
service des innovations.
Pour SIEL Bleu, l’innovation est au cœur de leur pérennité économique.
Ils développent notamment une enquête avec l’INSERM, pour montrer
que des activités physiques régulières permettent de réduire les fractures
et donc les coûts liés au système de santé. En relatant également une
anecdote, Jean-Michel Ricard conclut: « Tout est possible ».
Rapporteur officiel:
Christine Rousselot, Réseau Européen de la Microfinance
Nationalement, la MACIF a pris l’engagement de féminiser et rajeunir ses
représentativités, avec des objectifs chiffrés.
Jean Karinthi, Directeur de la Maison des Associations du Deuxième
Arrondissement, modérateur du débat, explique qu’ils ont créé un
Passeport des Associations qui permettait à leurs usagers de valoriser
des expériences de volontariat. C’était également une nouvelle façon
de s’adapter aux changements de perception vis-à-vis de l’associatif.
Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Table-ronde Quelle gouvernance locale pour quel impact ?
147.
Discussions sur les méthodes et techniques
d’évaluations d’impact
Table-ronde // Economie sociale et solidaire et Entrepreneuriat social
Modérateur
Cécile Lapenu
Directrice, CERISE
Intervenants
François Grünewald
Directeur Général, URD
Emeline Stievenart
Chargée de mission Evaluation de l’ impact social,
ESSEC IIES
Aurélie Quentin
Chargée de mission, GRET
Résumé analytique
L’évaluation d’impact a pris une importance croissante dans
tous les domaines d’intervention humanitaires, sociaux, et de
l’aide au développement. Le modèle traditionnel de l’enquête
statistique à grand nombre de sondés domine encore largement. Il a l’avantage d’être reconnu et de produire des données chiffrées sur de larges échantillons, mais l’inconvénient
d’être lent à produire des résultats et focalisé sur le résultat, par rapport à l’organisation du projet et son efficacité.
seulement de la situation des populations, mais aussi du contexte
sociologique spécifique (politique, anthropologique et social) et
de l’adéquation des moyens et structures retenues pour atteindre
les objectifs déclinés de la mission du projet. Si ces progrès font
gagner en richesse et en finesse d’analyse, ils contribuent à donner une perspective relative à l’évaluation, c’est-à-dire liée intimement aux contexte et objectifs des projets. Même la terminologie retenue s’interprète de manière spécifique au projet évalué.
Les nouvelles méthodes (enquêtes sur échantillons raisonnés,
évaluation par les pairs, observatoires, social return on investment
(SROI)) cherchent à améliorer à la fois l’opérationnalité du feedback, pour contribuer à une démarche de qualité et de progrès
continu, et à accélérer les temps de retours d’information. Ils
donnent aussi une perspective temporelle à l’évaluation, permettant d’intégrer en particulier l’évolution des impacts positifs et
négatifs sur les comportements et les situations des populations
ciblées. Ils mettent en exergue l’importance de l’analyse ex ante basée sur les outils des sciences sociales pour la compréhension non
Il n’en reste pas moins que de grands progrès sont encore à réaliser à la fois dans l’analyse en amont des objectifs et impacts
attendus des projets, et dans la disposition de moyens pour former et employer un effectif suffisant de personnel maîtrisant les
outils et pratiques de l’évaluation sur le plan méthodologique,
les analyses d’attribution et de coût d’opportunité restent du
champ de la recherche. C’est à travers l’accumulation et la capitalisation des expériences qu’une convergence des méthodologies pourra améliorer la productivité du travail des évaluateurs.
148. Convergences 2015
Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements
Synthèse
L’évaluation d’impact a suivi un processus historique d’évolution des
méthodes et des objets liés à l’évolution des intérêts pour le sujet. Cette
évolution regroupe progressivement trois types de demandeurs : les
bailleurs, les acteurs et les bénéficiaires, tirant inspiration à la fois du
monde académique et du monde de l’entreprise. L’évolution constatée
est similaire pour les acteurs de l’humanitaire, ceux du développement
ou plus en amont ceux de la philanthropie.
La première phase qui a vu quintupler les moyens investis dans l’évaluation répondait à une interrogation des bailleurs sur l’impact des fonds
mis à disposition des projets. La méthode utilisée pour ce type d’évaluation est celle de l’étude randomisée. Cette méthode vise à quantifier
l’amélioration de la situation des populations ciblées en identifiant les
progrès réalisés auprès d’un échantillon statistiquement significatif de
cette population. Pour en garantir la rigueur, ces études suivent des
protocoles assez lourds, notamment dans la sélection des échantillons et
s’appuient sur des méthodes lourdes de collecte de l’information induisant des pas de temps long avant que des résultats soient disponibles.
Dans le cas de la microfinance, ils ont donné aussi lieu à de vifs débats sur
la fiabilité des résultats. Théoriquement, cela implique l’utilisation d’un
groupe témoin (donc ne bénéficiant pas du projet ou programme), ce
qui s’avère inacceptable dans l’analyse des interventions humanitaires,
et souvent impraticables dans le développement en raison des variances
de situation.
Ces études ont néanmoins trois avantages significatifs :
• Elles permettent une quantification crédible de l’impact.
• Elles permettent d’accumuler de nombreuses informations permettant d’affiner la compréhension de la situation des populations ciblées.
• Elles donnent une image convaincante de l’action à travers la masse
de données collectées.
Bien que critiquées pour leur caractère simpliste (homogénéité de la
mesure, prise en compte faible ou nulle de l’impact négatif, photographie sans perspective temporelle), voire contestées dans leur légitimité
théorique parce que ne prenant pas en compte l’hétérogénéité des
situations de départ nécessairement segmentées, elles restent la référence dès lors que des questions fondamentales sont posées sur l’effet
de l’intervention (sur la microfinance récemment par exemple).
A la demande des principaux bénéficiaires de ces évaluations, à savoir
les acteurs des projets, de nouvelles méthodes ont été développées. Les
méthodes traditionnelles de suivi-évaluation intègrent une dimension
dynamique mais répondent encore de manière primordiale aux préoccupations des bailleurs.
Pour infléchir les structures et processus des projets, les professionnels
de l’évaluation, tant le GRET dans le développement, CERISE dans le
domaine spécifique de la microfinance ou le Groupe URD dans l’humanitaire, ont choisi de se rapprocher des approches qualités : Being good
at doing good and proving it .
C’est à dire intégrant l’impact (doing good), la qualité de l’approche/les
procédures et activités (being good) et la responsabilité ou plus précisément l’accountability (proving it).
L’approche SROI, issue, elle, de la philanthropie puis du monde académique et de celui des professionnels du secteur de l’entreprise, a
identifié des outils et des problématiques similaires et tente de les synthétiser sous la forme d’une valeur monétaire. Dans les deux cas, avec
des philosophies similaires même si les méthodes varient, ces nouvelles
approches insistent sur l’importance de l’investissement en amont du
projet, sur l’intégration du plus large spectre possible de dimensions
d’impact, et sur l’intérêt de mêler rapidité et rigueur d’analyse, même
si la crédibilité statistique doit souffrir.
Que recouvrent ces nouvelles approches ? Elles visent à coller de plus
près à la réalité opérationnelle des projets en prenant en compte :
• La configuration initiale du projet : analyse de la mission et des axes
d’impact retenus (SROI), analyse des conditions ex ante par la mise en
place d’observatoires dans les zones à risque (URD à Haïti, en Afghanistan) ou par des études anthropologiques (du comportement)
ou sociologiques (GRET), formalisation des choix en amont (tous).
Même un choix contestable, comme celui des zones agricoles aidées
en Afghanistan obéissant à une priorité de value for money (et donc à
l’emphase accordée aux zones d’agricultures riches plutôt qu’à d’autres
impératifs plus redistributeurs dans les zones pastorales pauvres), est
meilleur que l’absence de choix. Plus l’objet est défini précisément,
plus la chance de succès sera grande.
• Le choix et la structuration des indicateurs : ils procèdent non seulement de l’objectif retenu, mais aussi de la forme d’organisation, la ou
les structures exécutant le projet, l’approche retenue, et la façon dont
l’équipe du projet pense obtenir des résultats. Ces résultats attendus
peuvent être significativement différents de ceux des bailleurs. Par
exemple, dans le cas de l’étude SROI en cours sur l’évaluation des
programmes de réinsertion, il y a une perspective de valorisation
différente entre l’Etat, qui mesure l’impact sur les transferts sociaux
du programme, et les acteurs qui ciblent l’amélioration de la vie d’individus en situation personnelle difficile. En contraignant les acteurs à
attribuer une valeur à cette action, elle donne à chacun une perspective sur l’origine de cette valeur.
• La diversité des situations : les mesures sur la base d’échantillons raisonnés, et la validation d’impact par méthode d’analyse comparative.
• L’élargissement du concept d’impact : l’analyse porte, au-delà de l’efficacité du projet au sens classique, sur le ressenti des populations, sur
les impacts négatifs (par exemple en anticipant comment l’importation de semence en urgence conduira à l’éradication des cultivars
locaux mieux adaptés, et donc à une baisse durable de la productivité
agricole).
Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Table-ronde Discussions sur les méthodes et techniques d’évaluations d’impact
149.
• Les temps de retour des informations : les indicateurs retenus sont
collectés rapidement pour obtenir une mesure à 80% correcte.
• L’appropriation des processus d’évaluation : les nouvelles démarches
construisent les paramètres de mesure avec l’équipe projet, et leur
suivi est réalisé avec l’aide d’un évaluateur indépendant présent aux
côtés de l’équipe sur le terrain.
• Les formes de restitution et les outils d’analyse : au-delà de l’analyse
quantitative et du camembert, de nombreuses formes de restitution
permettent un apprentissage plus concret et une appréhension fine
des points à améliorer : enregistrements audio ou vidéo, images,
compte rendus d’entretiens structurés. Dans le cadre de l’approche
SROI, la démarche de monétarisation a conduit les équipes à utiliser
des outils issus du marketing d’analyse de la valeur perçue par préférence (par exemple, combien vaut le fait d’obtenir le permis par rapport
à acheter une nouvelle télévision ?).
Ces méthodes permettent d’obtenir des réponses dynamiques et utiles
aux questions que se posent les équipes et font progresser l’interprétation des évolutions de comportement des bénéficiaires. Elles ont
répondu à de nombreuses questions des équipes de projet et une base
d’outils robustes est en train de se constituer qui conquiert progressivement les esprits. Deux sujets restent objets de recherche :
• La question de l’attribution, c’est-à-dire la part de l’impact constaté
effectivement attribuable au projet par rapport à d’autres initiatives
ou évolutions en cours.
• La question du coût d’opportunité, c’est-à-dire la valeur du programme
par rapport à d’autres actions ou par rapport à ne rien faire.
Le deuxième est plus culturel. Les bailleurs ont en particulier une perspective très quantitative de la mesure d’impact. Même si de nombreux
acteurs sont ouverts à l’introduction de méthodes plus fines pour analyser la progression d’un projet, ils estiment à la quasi-unanimité que
seules les données chiffrées collectées sur de très larges échantillons
ont valeur de preuve. L’évaluation ex ante des allocations de fonds des
bailleurs eux-mêmes, plutôt que l’évaluation des programmes qu’ils ont
choisis reste un sujet délicat pour la plupart.
Par ailleurs, et en particulier dans le cadre de l’aide humanitaire qui se
prévaut de l’urgence, les études préalables sont souvent réduites au
minimum, voire entièrement éludées au bénéfice de l’application de
méthodologies d’intervention standardisées. L’absence de base lines
quantitatives est rendue plus grave par le manque de dialogue avec les
acteurs locaux et les populations. C’est ce qui est arrivé à Léogâne, où
les équipes n’ont pas consulté le maire, qui se trouvait être par ailleurs
un dignitaire vaudou, et n’arrivaient pas à expliquer les réticences des
populations vis-à-vis d’intervenants extérieurs qui montraient du mépris
pour leurs institutions religieuses. L’excuse fréquemment avancée pour
expliquer ces faiblesses d’analyse est le manque de temps. Pourtant,
dans l’aide humanitaire, passé 72 heures, on ne peut plus réellement
se prévaloir de l’urgence.
Enfin, l’apprentissage des bonnes pratiques de la préparation de l’intervention et de l’évaluation reste le parent pauvre du développement
comme de l’humanitaire. Malgré les progrès accomplis, les mêmes
erreurs sont répétées par les générations successives de meneurs de
projet. L’un des axes à venir est donc celui de la capitalisation et de la formation maintenant qu’un consensus s’établit sur les bonnes pratiques.
De nombreux obstacles demeurent notamment à l’emploi des nouveaux
outils d’évaluation de manière systématique. Le premier d’entre eux est
qu’ils n’assurent pas la comparabilité entre projets. Même la méthode
SROI qui traduit l’impact en valeur monétaire insiste sur la variabilité
des résultats obtenus en fonction de la valorisation des paramètres
d’impact et des hypothèses d’attribution retenues. L’impact est une
notion relative, qui procède, au-delà des efforts, de l’intention de l’acteur
et de la perspective du bénéficiaire du projet. La méthode SROI affiche
que sa principale utilité est dans la structuration et l’évaluation dynamique des projets, et pas primordialement dans la démonstration de
la « rentabilité » de l’action.
150. Convergences 2015
Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements
Rapporteur officiel :
François Lepicard, Hystra Consulting
Comment mettre en œuvre une évaluation d’impact
social dans votre organisation ?
Atelier // Economie sociale et solidaire
Modérateurs
Jérôme Auriac
Directeur Général, Be-linked
Angela de Santiago
Directrice Générale, Youphil.com
Intervenants
Jérôme Bossuet
Responsable du
développement commercial,
Prakti Design
Lucile Brachet
Membre du projet,
Planète d’Entrepreneurs
Joseph Le Marchand
Fondateur, Le Non Marchand
Richard Kennedy
Directeur, SROI Network
Suzanne Renard
Ingénieure, Prakti Design
Irène Serot Almeras
Directrice,
Fondation Ensemble
Hedwig Siewertsen
Directrice,
d.o.b. Foundation
Vatansho Vatanshoev
Directeur Général,
OXUS Tadjikistan
Dominique Weiss
Analyste Senior,
Grameen Crédit Agricole
Microfinance Foundation
Résumé analytique
Cet atelier a permis la rencontre des différentes parties prenantes
de l’entrepreneuriat social – acteurs de terrain, financeurs, acteurs
de la microfinance et organismes spécialistes des outils d’évaluation – afin de bien comprendre les enjeux de la mesure de l’impact
social. Redéfinir la façon d’appréhender et de mesurer la performance des organisations à finalité sociale est plus que jamais capitale.
Objectifs sociaux et viabilité économique sont encore trop souvent opposés. Il faut dépasser cet antagonisme et essayer d’évaluer et de valoriser l’impact réel des organisations pour la société.
Considérée comme un outil de management pluridimensionnel,
l’évaluation permet d’assister pleinement l’organisation dans la
maximisation de son impact social. Il est nécessaire pour cela que
soient définis les objectifs et le cadre de sa mise en œuvre le plus
tôt possible dans la construction du projet. Les outils de mesures
établis doivent être en cohérence avec l’ampleur du projet.
« Soyez honnêtes et transparents » et « si vous n’êtes pas sûrs de
faire du bien, assurez-vous de ne pas faire du mal » pourraient
résumer les enjeux de la nécessaire évaluation de l’impact social.
En requérant d’elles un important travail introspectif, la mesure de
l’impact social questionne l’efficacité des organisations et facilite
grandement le dialogue entre les parties prenantes.
Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Atelier Comment mettre en œuvre une évaluation d’impact social dans votre organisation ?
151.
Synthèse
Evaluer, pour qui et pour quoi faire ?
Selon Lucile Brachet, membre de l’ONG française Planète d’Entrepreneurs, qui a pour objectif d’aider les entrepreneurs sociaux à évaluer
l’impact social de leur organisation, il est indispensable de mesurer l’impact réel de son activité si l’on souhaite donner du sens à son action. En
tant qu’outil de l’organisation, l’évaluation remplit différentes fonctions.
C’est d’abord un outil de management qui facilite la planification et
le suivi d’activité. En permettant à l’organisation de concentrer son
attention sur les points clés de son activité, elle sert directement un
objectif de maximisation de l’impact. Dans le cadre des travaux menés
par Planète d’Entrepreneurs au côté de Sarvajal, qui travaille en Inde
pour l’accès à l’eau potable, concentrer les efforts sur la réduction des
maladies et la réduction des dépenses de santé a permis de mesurer que
34% de l’argent économisé dans les dépenses de santé était réalloué
à l’éducation, 41% au logement et 43% aux dépenses alimentaires.
Toujours dans une logique de gestion, Jérôme Bossuet expose qu’intégrer l’évaluation au processus d’ingénierie permet à Prakti Design de
mesurer les conséquences de ses activités sur l’environnement ainsi
que leurs impacts sur les consommateurs. En instaurant un dialogue
direct avec ces derniers, l’organisation parvient à prendre en compte
leurs remarques et à améliorer la qualité de ses prestations. Parce
qu’elle fournit la preuve que l’objet vendu va améliorer le quotidien
des consommateurs, l’évaluation peut être un bon outil de marketing.
Lucile Brachet y voit également un outil de communication puissant,
qui permet à l’organisation de gagner en crédibilité en justifiant de
résultats tangibles. Son utilisation en tant qu’outil de communication
doit faire l’objet de nombreuses précautions explique Angela de Santiago. Cet argument est repris par Richard Kennedy, président du SROI
Network. Au Royaume-Uni, explique-t-il, les charities partent souvent
du principe qu’elles « font de bonnes choses », il est important de pouvoir le prouver.
L’évaluation questionne donc l’efficacité des organisations et permet
de vérifier que la stratégie mise en place a bien les effets escomptés,
résume Angela de Santiago. Ceci est essentiel pour la légitimité du
secteur. Hedwig Siewertsen, directeur exécutif de la d.o.b Foundation,
observe que 80% des organisations qui mesurent l’impact le font en
utilisant un système développé par eux-mêmes. Un autre constat est
que l’impact social constaté est atteint par un petit nombre d’activités
génératrices d’impact.
Dans la logique de partenariats sur laquelle se construit actuellement
le secteur, l’évaluation sera également un facteur de performance
important selon Richard Kennedy. Elle permettra d’identifier le meilleur partenaire potentiel pour un projet d’une part, pour la recherche
de fonds d’autre part. Ceci est un argument qui trouve une résonnance
du côté des financeurs.
152. Convergences 2015
La d.o.b. Foundation réalise par exemple une étude avant et pendant
chaque investissement, afin d’identifier en amont quels investissements
auront le plus d’impact, puis de s’assurer après coup de l’impact généré.
S’il s’agit de fonds public, l’évaluation d’impact permet de justifier que
l’argent public est utilisé de manière responsable, estime Hedwig
Siewertsen.
L’évaluation peut ainsi se voir confier un rôle de surveillance. D’autant
que l’expérience dans les Institutions de Microfinance (IMF) a prouvé
que des dérives sont possibles dans les organisations à finalité sociale,
conclut Vatansho Vatanshoev.
Au sein des organisations, par qui la mise en place de l’évaluation
est-elle portée ?
Après la crise qu’a connue la microfinance, les IMF, les financeurs et les
gouvernements travaillent ensemble à la mise en place de processus
d’évaluation. Une clause sociale, requérant des organisations que cellesci prouvent les bénéfices de leur activité, est désormais inclue dans
les contrats passés avec les gouvernements. Vatansho Vatanshoev
note cependant que la décision d’évaluer l’impact social généré est
de plus en plus portée par les IMF eux-mêmes, et fait désormais partie
intégrante de leurs activités.
Les financeurs portent largement les démarches d’évaluation. En France,
les fondations, pour évaluer leur propre impact, demandent aux projets qu’elles financent de mettre en place des processus d’évaluation
rapporte Irène Serot Almeras.
Cependant, l’évaluation apportant une réponse au « challenge des ressources », celle-ci se fait de plus en plus à l’initiative des entrepreneurs
sociaux explique Lucile Brachet.
Tout n’est cependant pas si simple tempère Dominique Weiss. Le sentiment répandu qu’il est impossible de mesurer l’impact d’organisations
œuvrant dans les domaines de l’éducation ou de la santé fait naître
d’importantes réticences auprès des acteurs de ces secteurs à mettre
en place des processus d’évaluation.
Un consensus réuni tous les acteurs : la taille de l’organisation conditionne largement la propension de celle-ci à évaluer son activité.
Quel est le bon moment pour évaluer ?
Définir un bon moment pour mener une évaluation est difficile. Pour les
entrepreneurs comme pour les financeurs, différents types d’évaluation
à différentes étapes de la vie du projet peuvent servir différents objectifs.
Irène Serot Almeras et Hedwig Siewertsen distinguent cependant
divers « moments » pour mener une évaluation.
• La réalisation des prévisions d’activité est l’occasion d’estimer l’impact
social qui sera généré par l’activité. Il est nécessaire dès la conception
du programme de se rendre sur le terrain pour discuter des indicateurs
à mettre en place. D’autre part, une évaluation ex-ante permet aux
Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements
investisseurs de prendre en compte les indicateurs d’impact social dans
leur analyse du projet, au même titre que les indicateurs financiers.
• Une évaluation du projet en cours sert l’objectif de suivi (monitoring) par
ses porteurs, afin de contrôler son avancement. Elle peut être compléter
par une évaluation au terme de l’activité analysée, qui permettra de
mesurer précisément l’impact généré.
• Une évaluation ex-post permet de recueillir les commentaires, et de
comprendre comment améliorer les processus de l’organisation. Pour
les financeurs, elle est l’occasion de s’assurer que l’investissement a bien
eu l’impact social escompté.
L’essentiel reste cependant que le processus soit régulier, notamment
dans la microfinance, explique Vatansho Vatanshoev. D’autant que
dans la pratique, le laps de temps entre le démarrage du projet et sa mise
en place pratique peut être important. Il est donc nécessaire de coupler
évaluations ex-ante et ex-post.
Qui pour réaliser l’évaluation ? Et quel budget ?
Faire appel à des ressources externes à son organisation pour mener son
évaluation peut faciliter sa mise en place. L’évaluation externe a d’une
part un coût moins élevé pour l’organisation, et permet à une organisation qui ne dispose pas d’une connaissance précise des outils de simplifier
leur mise en œuvre. Elle garantit également une plus grande objectivité.
Réalisée en interne, l’évaluation permet aux membres de l’organisation
de s’approprier le processus. Rien n’est plus néfaste qu’un consultant
parachuté.
En tout état de cause, l’organisation doit disposer d’outils en interne. Si
elle dispose des moyens suffisants, assigner une équipe interne à l’évaluation est le meilleur moyen de procéder. En pratique, l’adoption d’une
solution hybride semble être un bon compromis, permettant de concilier
objectivité de l’analyse et implication des membres de l’organisation.
Difficile donc de définir avec précision le budget qu’une organisation
doit prévoir d’allouer à l’évaluation. Le coût de l’évaluation dépend largement de la structure, et du périmètre de l’analyse menée. Malgré cela,
impossible d’éviter d’allouer des ressources à l’évaluation : se prétendre
entrepreneur social suppose d’avoir du temps et des ressources à allouer
à l’évaluation du projet. D’autant qu’il existe des sources de financement
(fondations, financements publics…), que l’organisation sera capable de
mobiliser si elle en a la volonté.
Méthodologies:
Il existe plus de 200 méthodes d’évaluation, ce qui nuit évidemment à
la lisibilité du marché. Le SROI Network s’emploie à la promotion de
différentes méthodes et à en extraire les similarités, afin de proposer aux
organisations une liste standardisée d’indicateurs pour leurs évaluations.
La méthodologie proposée par le SROI met l’accent sur l’engagement
des parties prenantes dans le processus. En privilégiant une approche
pratique de l’évaluation, elle permet à l’organisation de se concentrer
sur le process qui en découle. Il est donc nécessaire d’aller au-delà de
l’approche économique de monétisation, qui n’est d’ailleurs pas toujours
pertinente, et de ne pas se concentrer uniquement sur le résultat tangible
de l’évaluation (le ratio SROI).
Pour Irène Serot Almeras, la diversité des besoins des organisations doit
pousser chacune d’entre elles à choisir parmi la variété disponible 1 ou 2
indicateurs spécifiques à l’activité analysée. Notons au passage que ces
indicateurs ne sont pas nécessairement quantitatifs. Utiliser différentes
méthodes permet de mieux comprendre la manière dont est produite
l’utilité sociale.
Il existe donc 2 types de méthodes disponibles récapitule Joseph Le
Marchand : des méthodes basiques qui permettent à l’organisation de
se concentrer sur des objectifs identifiés (actions, résultats, indicateurs,
mesures) et des méthodes plus complexes comme le SROI qui proposent
d’aller au-delà des indicateurs.
L’expérience de la microfinance, qui a mis en place depuis 2001 une task
force dédiée à la mesure des performances sociales, peut être utile à
l’entrepreneuriat social.
Rapporteur officiel :
Georges Métayer, Croix-Rouge
Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Atelier Comment mettre en œuvre une évaluation d’impact social dans votre organisation ?
153.
Mesurer la performance sociale des IMF :
bilan de Planet Rating and Microfinanza Rating
Mini-conférence // Microfinance
Modérateur
Aurélie Duthoit
Co-fondatrice, Babyloan
Intervenants
Micol Guarneri
Directrice Evaluation Sociale,
Microfinanza Rating
Emmanuelle Javoy
Directrice Générale, Planet Rating
Résumé analytique
Après deux ans de mesures de performance sociale au sein de
plus de 300 institutions, les deux principales agences d’évaluation sociale – PlaNet Rating et Microfinanza Rating –
présentent les principaux résultats et observations de ces
études soulignant les meilleures pratiques dans le secteur.
Les données sociales sont auto reportées par les Institutions
de MicroFinance (IMF) : la validation externe de la quantité
d’information croissante pourrait être utile et apporter une certaine objectivité. Par ailleurs, des outils simples et flexibles
devraient être désignés pour d’autres évaluations d’impacts.
Dans la première partie de leur présentation, les deux intervenants
partagent leur compréhension et leur définition de la performance
sociale. Elles expliquent les outils, les critères et les méthodologies
qu’elles ont utilisées et commentent leurs principales conclusions.
PlaNet Rating conclut sur le fait que, ce qui est évalué est ce
qui est réellement mesuré. Dans la plupart des cas, la performance financière et la performance sociale sont entrelacées et
qu’une combinaison positive de celles-ci mène à la transparence.
Microfinanza Rating souligne les principaux défis en jeu, l’un d’eux
étant l’innovation. En effet, l’implantation actuelle des objectifs
sociaux est un domaine d’amélioration, où de nouveaux concepts
et idées pourraient nourrir une réflexion sur cette question.
Les deux agences ont des visions convergentes concernant
le rôle de l’évaluation sociale. Une évaluation de la performance sociale devrait se concentrer sur la vérification de la
cohérence entre l’intention de l’IMF et les réelles ressources
et intentions utilisées pour atteindre cet objectif social.
Dans la seconde partie, il est dit que le contrôle interne et le système d’audit des données sociales sont toujours manquants.
154. Convergences 2015
Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements
Synthèse
Micol Guarneri introduit sa présentation en définissant la méthodologie de Microfinanza Rating. Cette méthodologie vise à fournir une
évaluation de la performance sociale des IMF. En d’autres mots, il s’agit
de la capacité à mettre en pratique la mission donnée et atteindre les
buts sociaux. L’évaluation de la performance sociale a été menée pendant plus de 5 ans. Environ 100 évaluations sociales ont été effectuées
par MicroFinanza Rating au sein desquelles 20% se sont déroulées en
Afrique, 28% en Asie et Europe de l’Est et 52% en Amérique Latine. Les
bénéficiaires peuvent choisir entre une évaluation complète, qui inclut
des discussions de groupe et des enquêtes auprès des clients ou bien
une évaluation standard (IMF - niveau d’information). Sur le nombre
total d’évaluations menées jusqu’à ce jour, 66% sont des enquêtes.
Micol Guarneri met en évidence les tendances et l’évolution des grands secteurs de l’industrie et souligne le fait que la
demande d’évaluations sociales a augmenté très sensiblement
au cours des dernières années. La question de la performance
sociale est une question clé pour tous les acteurs de la microfinance ; cependant, beaucoup de questions restent sans réponses.
En expliquant le cadre logique, Micol Guarneri insiste sur le fait que
l’évaluation sociale est différente de la mesure de l’impact social. En
effet une évaluation sociale consiste à analyser l’intention, le processus et le système, l’output de l’IMF et l’impact que ceux-ci peuvent
avoir sur les clients. Une étude d’impact mesure les changements au
niveau des conditions de vie d’une population grâce à l’action de l’IMF.
Micol Guarneri décrit les différents domaines d’analyse de l’évaluation
sociale. Premièrement, le système de gestion de la performance sociale
(SGP) analyse l’alignement des systèmes avec les objectifs la mission
sociale. Deuxièmement, la responsabilité sociale traite de la protection des clients, ainsi que de la responsabilité vis-à-vis de l’équipe de
travail et de l’environnement. Tant que le travail social de proximité est
concerné, il a un rapport entre le secteur opérationnel et la cible atteinte.
Micol Guarneri estime que l’accent devrait être mis sur la cohérence entre les intentions et les objectifs de l’IMF et les résultats.
Le processus de l’évaluation sociale inclus plusieurs étapes : la phase
préliminaire consiste à la collecte des données et le suivi de la mission
en elle-même (adaptation du questionnaire, entretiens avec le personnel, groupes de discussion, etc.). Le reporting est la dernière étape
du processus. L’évaluation est exprimée par un système de notation.
Microfinanza Rating a mis en place une échelle de 8 niveaux allant de
triple A à D. Le niveau doit refléter l’actuelle transition de la mission
sociale à la pratique. Le poids des 4 domaines évalués sont les suivants : la gestion des performances sociales (30%), la responsabilité
sociale (25%), la sensibilisation (25%) et la qualité de service (20%).
Micol Guarneri présente les différents résultats :
• En ce qui concerne le SGP – dans certains cas, un bon équilibre
social/financier dans l’orientation de la gouvernance a été observé,
alors que les termes clés de la mission sociale n’ont pas été définis
adéquatement. La mission sociale peut être bien diffusée au sein
de l’institution, mais parfois il peut y avoir moins de connaissances
parmi les nouveaux membres du personnel en raison de l’absence
de procédure formalisée. Les résultats montrent aussi que la stratégie de l’IMF est trop concentrée sur la performance financière et
que la mission sociale est négligée. Il est également constaté que
les grands objectifs sociaux sont rarement traduits en objectifs
sociaux SMART (Spécifique, Mesurable, Atteignable, Raisonnable,
Temporellement définis). Lorsqu’il s’agit de la gouvernance, l’implantation des meilleures pratiques sociales dans la gouvernance
sociale montre également de bons résultats en termes d’alignement du système de performance sociale et des résultats de celle-ci.
• En ce qui concerne l’alignement de la gestion des systèmes d’informations, les ressources humaines et le contrôle interne, même s’il
existe un potentiel d’information pour le suivi de la performance
sociale dans certains cas, le système de déclaration fournit rarement les principaux indicateurs de performance sociale qui sont
nécessaires pour un processus de prise de décision équilibrée.
• La base de données d’évaluation de Microfinanza Rating montre
une corrélation positive entre la gouvernance sociale, le SGP
et les résultats de la performance sociale. Les IMF doivent
suivre l’information qui est pertinente pour leur propre mission, selon les orientations et les objectifs que l’IMF s’est fixé.
Le risque de surendettement du client nécessite des efforts supplémentaires et collectifs du secteur : ce qui pourrait être atteint
en encourageant et en aidant les acteurs à mettre en place les centrales de risque (pour vérifier les passifs des clients), en améliorant
l’analyse de la capacité de remboursement du client et en instaurant une meilleure conformité avec la politique de crédit prudentiel.
En termes de résolution efficace des plaintes, la grande majorité des
IMF (63%) ne dispose d’aucun système en place pour répondre aux
plaintes des clients.
En termes de responsabilité sociale vis-à-vis des employés
(enquête de satisfaction des employés), le climat de travail est
généralement positif et des opportunités d’évolution au sein
de l’institution existent. Il y a encore quelques IMF qui évaluent systématiquement la satisfaction de leur personnel.
Lorsqu’il s’agit de toucher la population pauvre, le taux de
pauvreté parmi les clients est généralement moindre que le
taux de pauvreté au niveau national dans la majorité des cas.
L’inclusion financière est aussi un domaine important qu’il faut
prendre en compte. La question de la relation entre la performance sociale et la performance financière reste un défi majeur.
Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Mini-conférence Mesurer la performance sociale des IMF :
bilan de Planet Rating and Microfinanza Rating
155.
Sur le plan opérationnel, les IMF auto suffisantes ont tendance à
montrer un score plus élevé de performance sociale, mais la sensibilisation à la pauvreté implique des charges d’exploitation plus élevées et l’autosuffisance peut être moins opérationnelle. L’alignement
de gestion des ressources humaines et l’alignement du contrôle
interne montrent une corrélation positive significative avec le ROE
(retour sur capitaux propres) et l’OSS (autosuffisance opérationnelle).
Quels progrès ont été faits en termes d’évaluation et de mesure de la performance sociale ? De gros efforts ont été dévoués à l’évaluation de la performance sociale. Par ailleurs, il y a un consensus croissant sur la protection
des consommateurs et sur les questions de responsabilité sociale. L’évolution des outils d’évaluation sociale correspond aux principaux standards
et initiatives ; les processus de certification sont également en bonne voie.
Pour conclure, Micol Guarneri souligne les défis en jeu. Avant toutes
choses, il y a une place importante dédiée à l’innovation et à la mise
en œuvre des systèmes efficaces de gestion des performances
sociales où des mesures de protection des consommateurs sont
clairement un domaine à améliorer. Le contrôle interne et l’audit
des données sociales font encore défaut. Les données sociales sont
156. Convergences 2015
auto rapportées par les IMF : la validation externe de la quantité croissante d’informations pourrait être utile et apporter une certaine objectivité. Il y a un besoin d’outils simples pour plus d’évaluation d’impact.
Selon Emmanuelle Javoy, des institutions traduisant des missions
sociales très différentes peuvent être trouvées dans le secteur de la
microfinance qui est, de ce point de vue, hétérogène. Il semble que les
investisseurs et les donateurs expriment un désir fort de mieux comprendre la question de l’impact social et ce qu’elle implique. Les données
au niveau des clients ne sont pas facilement disponibles ou bien elles ne
peuvent être collectées dans toutes les IMF. En d’autres termes, ces informations sont difficiles d’accès. Emmanuelle Javoy souligne le fait que
les indicateurs de performance sociale sont encore définis ou redéfinis.
La position de PlaNet Rating par rapport à l’évaluation sociale est
qu’elle doit fournir une opinion sur la capacité d’une IMF à mettre sa
mission sociale en pratique. Emmanuelle Javoy définit l’évaluation
sociale comme la probabilité que l’IMF produise un impact social significatif dans le présent et dans le futur. L’évaluation devrait se concentrer
sur les procédés, les systèmes, et les outputs directs du travail des IMF.
Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements
La mission sociale pourrait être définie comme l’apport de service financier aux personnes habituellement exclues avec l’objectif clair de les aider. Les IMF devraient être très claires quant à
leurs objectifs (le droit des femmes, la prévention, la cible géographique…) et ainsi éviter des missions trop larges et ambitieuses comme par exemple « changer la vie de ses clients ».
Le cadre de l’évaluation de la performance sociale inclus des sujets
tels que la gestion de la performance sociale, l’inclusion financière,
la protection du client, les politiques de ressources humaines, le
changement social (santé, éducation, services sociaux, réduction de la pauvreté, création d’emploi, égalité des genres, autonomisation des femmes, démocratie, droits de l’homme, etc.).
qualité de la réglementation. La taille tend à être un facteur ayant
un impact positif sur la performance même si small can be beautiful.
Les IMF plus grosses, plus matures, ayant des systèmes plus raffinés, plus flexibles avec une diversité de produits, semblent avoir
de meilleurs résultats ; cependant, cela ne veut pas dire que les
petites IMF ne peuvent pas obtenir ce genre de résultats. C’est le cas
pour celles qui ont défini des principes de gouvernances clairs et
qui ont conçu une gamme large et diversifiée de produits/services.
Les principes de la protection des clients sont implantés dans plus de
70% des IMF évaluées. Dans 50% d’entre elles, des améliorations doivent
être faites. Cela vaut la peine de notifier que tout le secteur a dévoué
beaucoup d’efforts pour augmenter les progrès dans ce domaine.
L’échelle d’évaluation de la performance sociale allant de 0 à 5 (de
négative à avancée), donne une indication concernant la situation et la position de l’IMF lorsqu’il s’agit de la performance sociale.
L’idée soulignée derrière ce modèle d’évaluation est d’encourager les IMF à faire mieux et les aider à implanter les meilleures
pratiques et transformer une intention concrète en action réelle.
En ce qui concerne la prévention contre le surendettement, les tendances
suivantes ont été observées : la transparence accrue des services (taux
d’intérêt chargé, prix, frais, etc.) et une meilleure explication pour le client.
L’Amérique Latine atteint la meilleure performance dans le domaine de
la protection du client probablement grâce à la contribution positive
de la réglementation et du rôle efficace joué par les centrales de risque.
Il est évident que la demande pour l’évaluation sociale devient de
plus en plus forte, considérant l’augmentation du nombre d’évaluations effectuées en 2010. Cette tendance positive peut être expliquée par un intérêt croissant, qui restera inévitablement le long des
deux prochaines années comme en témoigne une enquête récente.
Les plus hauts niveaux de performances peuvent être trouvés en
Amérique Latine. A l’autre bout du spectre, les IMF Africaines produisent un résultat médiocre – la moyenne étant de 2.5 au niveau
régional. Il y a néanmoins beaucoup de différences entre les régions.
Emmanuelle Javoy soulève la question de l’existence du lien entre
la performance sociale et le retour financier. Ces deux composantes
devraient-elles être opposées ? On ne peut tirer aucune conclusion
concernant la nature de cette corrélation. Les IMF rentables, avec
un fort ROE, peuvent atteindre une haute performance sociale, la
situation inverse est également possible. Lorsqu’il s’agit de la gouvernance aucun lien clair ne peut être établi, car les échantillons
sont trop petits. Cependant, une certaine cohérence peut être
observée entre les partenaires sociaux et la note de gouvernance.
Les enquêtes ont montré qu’il existe une corrélation positive entre
les pratiques de bonne gouvernance et les bons résultats de l’évaluation sociale. Encore une fois, l’Amérique latine occupe un rang
élevé au niveau de la gouvernance. Chose intéressante, une gouvernance forte est également liée à la maturité du marché et la
En conclusion Emmanuelle Javoy insiste sur le fait que ce
qui est évalué, est ce qui est réellement mesuré. Dans la plupart des cas, la preuve démontre que la performance financière et la performance sociale sont étroitement liées. Une
combinaison positive des deux conduit à une plus grande transparence.
Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Mini-conférence C1
Mesurer la performance sociale des IMF :
bilan de Planet Rating and Microfinanza Rating
157.
Questions
La présentation de Microfinanza Rating tend à montrer qu’il existe
un lien entre la performance sociale et la performance financière
et qu’elles ont toutes les deux un impact positif l’une sur l’autre ;
cependant les conclusions de PlaNet Rating diffèrent légèrement
et indiquent qu’aucune règle générale ne peut s’appliquer.
Micol Guarneri : L’échantillon est trop petit pour dire s’il y a une claire
corrélation globale. La cohérence existe et l’effet mutuel peut être vu
mais aucune statistique ne peut prouver la corrélation.
Emmanuelle Javoy : Il appartient au conseil d’administration et à
l’équipe de gestion de mettre l’institution dans une direction spécifique
avec des orientations sociales claires. L’objectif principal devrait être
expliqué au niveau du business plan. Le bon équilibre entre la vocation
sociale et la vocation financière devrait être déterminé afin de créer des
synergies au niveau de l’IMF.
Vous avez mentionné la sensibilisation et l’inclusion financière. 42%
des clients en Afrique sont pauvres. 11% des clients en Amérique
Latine sont pauvres, quels indicateurs sociaux sont utilisés pour
fournir de telles déclarations ? L’utilisation d’autres méthodologies pourrait-elle mener à des résultats différents ? Quels critères
peuvent expliquer ces chiffres ?
Emmanuelle Javoy : Les clients pauvres et le niveau de pauvreté doivent
être évalués en tenant compte du contexte du pays. Il est important de
s’assurer que les IMF ne prêtent pas à des gens qui sont incapables de
rembourser leur dette. Dans les pays d’Afrique tel que le Nigeria ou la
Tanzanie où la microfinance a un petit impact, où il n’y a pas de système
d’identification au niveau national...Ces critères sont encore plus cruciaux
et doivent être examiné de près.
154. Convergences 2015
Pourriez-vous expliquer la différence entre l’impact social dû à un
prêt et l’impact social dû aux services publics et à l’aide de l’Etat ?
Micol Guarneri: Il est important de rappeler que l’évaluation sociale
n’évalue pas l’impact direct sur les clients. Quelques études spécifiques
(panneaux de contrôle randomisés) visent à mesurer l’impact social mais
non à l’évaluer. Ces études, qui mesurent le progrès fait d’une année à
l’autre, sont généralement très coûteuses .
Emmanuelle Javoy: il est difficile de s’assurer que la microfinance
est responsable de l’amélioration des conditions de vie des microentrepreuneurs. La seule obligation de l’IMF est de rapporter les actions
à fin sociale qu’elle entreprend. Que devraient faire les IMF pour maximiser l’impact? En se référent au travail académique et à la recherche, il a
été établi que la moyenne de l’impact social dû à la microfinance était
relativement faible ; cependant, il y a des groupes de personnes qui
bénéficient de plus de services de microfinance que d’autres .
Emmanuelle, vous avez dit que l’évaluation sociale était la vérification et l’évaluation de la profondeur de l’intention. Ceci est par définition une approche subjective. Comment pouvez-vous la mesurer ?
Emmanuelle Javoy : Je l’ai exprimé comme cela mais j’ai aussi clairement expliqué que la gestion de la performance sociale était un outil
pertinent visant à suivre les indicateurs de performance sociale en relation avec les objectifs à atteindre .
Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements
Rapporteur officiel :
Vanessa Mendez, Planis responsAbility
SOLIDAIRES ET RESPONSABLES :
INVESTIR ET AGIR POUR LES OBJECTIFS DU MILLENAIRE
Synthèse des discussions du 4ème Forum annuel Convergences 2015
Hôtel de Ville de Paris
3, 4 et 5 mai 2011
Conclusion
Séance de clôture
+ d’efficacité +d’impact + d’investissement
Séance de clôture du 4ème Forum Convergences 2015
Séance plénière // Général
Modérateur
François de Witt
Président, Finansol
Intervenants
Claude
Alphandéry
Président d’honneur, France Active
Jean-Marc Borello
Délégué Général, Groupe SOS
Olivier Guersent
Chef de Cabinet de Michel Barnier,
Commission Européenne
Jean-Luc Perron
Délégué Général,
Grameen Credit Agricole Microfinance
Foundation
Frédéric Roussel
Co-fondateur, ACTED
Jean-Louis Vielajus
Président, Coordination SUD
Anne Hidalgo
Première Adjointe au Maire de Paris, en
charge de l’ urbanisme et de l’ architecture
Résumé analytique
C’est avec une allocution ovationnée d’Anne Hidalgo, première Adjointe au Maire de Paris, que se tint la session de clôture de Convergences 2015. Ces trois jours de réflexion visant
à faire communier les acteurs publics, privés et solidaires sur
la thématique de la réduction de la pauvreté grâce à l’atteinte
des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD),
ont suscité un fort engouement qui n’a pas faibli au soir du 5
mai. L’un après l’autre, les intervenants ont salué l’initiative de
160. Convergences 2015
Convergences 2015 et ont témoigné leur engagement, au travers de leur structure d’appartenance, à ne pas perdre de vue cet
objectif noble qui est de penser autrement l’économie, de mettre
l’Homme au centre du circuit économique, d’œuvrer pour une
meilleure répartition des richesses et de faire face de façon plus
responsable au phénomène du changement climatique. Cette
session de clôture a été marquée par un appel solennel lancé au
monde : l’Appel de Paris pour une microfinance responsable.
Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements
Synthèse
Ayant qualifié d’audacieux le Forum Convergences 2015, au vu de la
pluralité et de la variété des acteurs conviés à un consensus sur la « fin »
du capitalisme moderne, Anne Hidalgo a remercié les organisateurs
d’avoir choisi la ville de Paris pour cet évènement. Pour Anne Hidalgo,
Paris en tant que « ville monde » est engagée dans la dynamique de
mondialisation et de ce fait, a des responsabilités qu’elle entend assumer.
Justice sociale, économique et environnementale, sont les 3 principes
sur lesquels a insisté Jean-Louis Vielajus. La question centrale évoquée
par le Président de Coordination Sud, est celle de l’accès au financement des pays les moins avancés. Son appel dirigé à l’encontre des responsables des services publiques et du secteur financier et bancaire, a
pour but de faire prendre conscience que la réduction des dépenses
publiques allouées à des activités non productives économiquement
et socialement parlant, pourrait être l’un des moyens pour les Etats du
Nord de tenir leurs promesses d’aide au développement. Aussi a-t-il
félicité l’initiative du Crédit Coopératif pour la mise en place de la « Taxe
Robin des Bois », qui permettrait de générer sur chaque transaction
financière, environ 100 milliards de dollars par an, en faveur des OMD
avec une attention particulière aux problématiques du changement
climatique qui requiert un financement important. La question sur la
mise en place de mécanismes innovants de financement, étant à l’ordre
du jour au prochain Sommet du G20, Jean-Louis Vielajus espère que
de bonnes résolutions en sortiront. Pour terminer ses propos, il lança un
défi aux nations développées qui, de par leur action pour une gouvernance plus responsable et une économie plus équitable dans le monde,
pourraient contribuer à calmer ce printemps des révolutions qui secoue
le monde arabe.
L’Appel de Paris a été lancé par le Délégué Général de la Grameen Crédit
Agricole Microfinance Foundation. Jean-Luc Perron n’a pas fait fi de
la crise que connaît aujourd’hui la microfinance, notamment au travers
de l’une de ses figures emblématiques, le Professeur Muhammad Yunus.
Aussi a-t-il rappelé que près de 190 millions de personnes à travers le
monde bénéficient d’un microcrédit et que 80% de cette population
est constituée de femmes. Ces statistiques montrent indéniablement
la place prépondérante que tient la microfinance dans la lutte contre la
pauvreté dans le monde. C’est pour cela que ce secteur s’engage dans
une dynamique de revalorisation de son image et de ses objectifs en
introduisant des critères de performance sociale et de transparence
dans son approche. L’appel a ainsi été lancé pour une microfinance
plus responsable.
Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Séance plénière
C’est sur une note économique que Jean-Marc Borello, Directeur
Général du Groupe SOS, aborda le sujet de cette session de clôture du
Forum Convergences 2015. Evoquant l’image de la régulation du marché
par la « main invisible » d’Adam Smith, il montra que croissance ne rime
pas forcément avec développement. L’échec de la répartition juste des
richesses par le secteur public et privé a suscité l’émergence d’une nouvelle forme d’économie, celle sociale et solidaire, qui n’a certes pas pu
éviter l’avènement de la crise socio-économique et environnementale
à laquelle on assiste.
Frédéric Roussel, co-fondateur d’ACTED, a rejoint son homologue
en disant qu’il faudrait entreprendre différemment avec un meilleur
système de gestion des entreprises sociales, qui sont à même d’œuvrer
dans le champ d’action des entreprises privées capitalistes, de les
concurrencer voire de leur ravir des appels d’offre. L’Economie Sociale
et Solidaire (ESS) n’est donc pas une économie de pauvre ou celle qui
répare les dégâts engendrés par le capitalisme. « Sans pour autant être
radical sur la notion de croissance » a dit Frédéric Roussel, l’ESS parviendra à faire « tomber le mur de la pauvreté qui s’est érigé après celui
de Berlin ». Pour cela, les différentes branches de l’économie doivent
œuvrer ensemble et Jean-Marc Borello affirme que « le temps de la
convergence est arrivé ».
Dans une logique de continuité, Olivier Guersent a mis l’accent sur les
besoins de financement de l’économie sociale, financements à caractère pérenne et appropriés à chaque niveau de développement. En
effet, a-t-il affirmé, il faudrait d’une part que les entreprises sociales
les plus développées puissent tendre la main à celles plus petites et
d’autre part, qu’il y ait une meilleure captation de l’épargne dormante.
De plus, l’Etat doit jouer son rôle en élaborant un cadre juridique et
fiscal moins contraignant pour permettre aux entreprises solidaires de
se développer.
Claude Alphandery, Président d’honneur de France Active a conclu
cette session en résumant les propos de ses prédécesseurs sur une
pensée de Michel Barnier : « Remettre la finance au service de l’économie
et l’économie au service de l’homme ». « Sur cette lancée, Convergences
2015 est bien partie pour ! » a-t-il déclaré.
Séance de clôture du 4ème Forum Convergences 2015
Rapporteur officiel :
Convergences 2015
161.
Appel de Paris pour une microfinance responsable
Convergences 2015, appuyée par un collectif de partenaires, a rédigé l’« Appel de Paris pour une microfinance responsable ». En réponse
à la commercialisation excessive de la microfinance et aux dérives que cette commercialisation a entraînées, cet Appel de Paris rappelle
des valeurs fondamentales pour le secteur et propose une série d’actions visant à améliorer ses pratiques et son impact.
Lancé officiellement lors du 4ème Forum Convergences 2015 de mai 2011, cet « Appel de Paris pour une microfinance responsable » fait
l’objet d’une campagne de plaidoyer et d’action auprès de tous les acteurs intéressés : le grand public, les professionnels du secteur et
les décideurs.
Si, comme nous, vous soutenez les Objectifs du Millénaire pour le Développement et la microfinance comme un outil puissant de développement économique et de réduction de la pauvreté, signez « l’Appel de Paris pour une microfinance responsable » sur le site www.
appeldeparis.org
Soyez nombreux, particuliers, bénéficiaires, régulateurs, investisseurs, opérateurs à soutenir cet Appel:
***
Depuis 30 ans, le microcrédit est un outil au service du développement et de la lutte contre la pauvreté. Fin 2009, selon les chiffres les plus récents
de la Campagne pour le Sommet du Microcrédit 1, 190 millions d’emprunteurs, dont 128 millions de pauvres, bénéficiaient d’un microcrédit. Plus de
80% des emprunteurs pauvres sont des femmes. Ces prêts sont destinés à créer ou développer une activité génératrice de revenus. Les montants
octroyés sont faibles et augmentent au fur et à mesure que l’emprunteur a réalisé plusieurs cycles de crédit sans incident de remboursement. Les
taux d’intérêt sont encore relativement élevés pour couvrir les coûts opérationnels et ne pas dépendre de subventions externes. Mais ils sont en
baisse constante depuis 5 ans grâce aux progrès de productivité des institutions de microfinance2 . Les méthodes de distribution, les échéanciers de
paiement, la politique de garantie sont adaptés aux capacités de remboursement des emprunteurs et à leur très faible niveau d’éducation financière.
Malgré son développement rapide, le microcrédit ne touche encore qu’une faible fraction des bénéficiaires potentiels : à titre d’exemple 2,5 millions
d’emprunteurs en Ethiopie, pays de 80 millions d’habitants.
D’autres services financiers, en particulier des services d’épargne, de paiement et d’assurance, se sont greffés sur le microcrédit pour offrir à des
populations qui, dans leur très grande majorité, n’ont aucun contact avec le système financier formel3 , une gamme complète de micro-services
financiers simples et accessibles. Ces services répondent ainsi aux deux besoins fondamentaux qui existent chez tout être humain : le besoin d’être
accompagné dans ses risques économiques, c’est le rôle du crédit ; le besoin d’être protégé contre les aléas de l’existence, c’est le rôle de l’épargne
et de l’assurance. Cette 2ème fonction est aujourd’hui très insuffisamment développée : quelques dizaines de millions de familles seulement
bénéficient aujourd’hui d’une micro-assurance contre les risques de santé ou les risques de perte de récolte, dans les pays en développement.
L’expansion des activités de microfinance a été portée par plusieurs milliers d’institutions spécialisées, de taille et de statut très variés. Ces institutions
jouent souvent un rôle social qui va très au-delà de leur fonction financière. Elles contribuent à la construction d’une société civile plus consciente
de ses droits et plus confiante dans ses propres forces, à la promotion des femmes dans la vie économique, et à la mise en œuvre de programmes
de santé ou d’éducation. Certaines de ces institutions développent une microfinance sociale pour les populations en situation de grande précarité,
avec comme objectif premier la lutte contre la pauvreté, et comme approche un accompagnement des emprunteurs par une offre adaptée de
services non financiers, sous forme notamment de conseils, de formations et d’accompagnement social.
L’impact de la microfinance a fait l’objet de nombreuses études universitaires ; celles-ci ont mis en avant l’importance des services financiers dans
la réduction de la vulnérabilité des populations à faibles revenus. L’impact sur la réduction de la pauvreté varie selon les régions et les types de
produits financiers offerts et des recherches scientifiques sont en cours pour mieux cerner ces phénomènes.
Ce sont ces bénéfices directs ou induits qui expliquent le succès de la microfinance, sa diffusion rapide dans plus de 80 pays en voie de développement et la reconnaissance internationale qui lui a été accordée, avec notamment l’Année du Microcrédit des Nations Unies en 2005 et l’attribution du
Prix Nobel de la Paix au Professeur M. Yunus et à la Grameen Bank en 2006. Diffusé à grande échelle dans les pays du Sud, le modèle du microcrédit
1. http://www.microcreditsummit.org/state_of_the_campaign_report/
2. Les institutions de microcrédit, pour ne pas dépendre des subventions ou des dons, doivent amortir leurs coûts opérationnels et le coût du risque sur des marges d’intérêt d’un montant unitaire très faible
3. 2.7 milliards des habitants de la planète ne sont pas intégrés aux systèmes financiers formels
162. Convergences 2015
Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements
a été ensuite introduit dans les pays les plus développés en réponse à l’exclusion bancaire qui frappe les populations les plus démunies ou des
groupes marginalisés. La crise qui touche ces pays ne peut que renforcer le rôle des organismes de microcrédit en accompagnement des laissés
pour compte du système économique et financier.
En raison de ce succès, la microfinance a pu être présentée à tort comme la solution miracle aux problèmes de lutte contre la pauvreté et de
sous développement. Le simple rapprochement de l’encours du microcrédit dans le monde, environ 65 milliards de dollars, et des montants de
l’aide publique au développement (100 milliards USD) et des transferts des travailleurs immigrés dans leur pays d’origine (300 milliards USD), est
de nature à remettre le microcrédit à sa juste place. Le microcrédit apporte une contribution fondamentale et originale aux problématiques du
développement. Il est bien adapté à l’encouragement de micro-activités commerciales, artisanales et agricoles. Il est une source d’innovation
financière, économique et sociale. Mais il ne peut prétendre se substituer ni aux politiques publiques de sécurité sociale ni au développement
des infrastructures nécessaires dans les domaines de la santé et de l’éducation. Il peut par contre renforcer l’efficacité de ces politiques et de ces
programmes grâce à son réseau capillaire dans les quartiers les plus défavorisés et les zones rurales les plus reculées.
Dans le contexte très porteur rappelé ci-dessus, les institutions de microfinance ont connu un développement très rapide de leur clientèle, au
risque d’affaiblir la relation de proximité et de confiance qui est au cœur de leur modèle économique. Elles ont fait croître leur portefeuille de crédit
à un rythme très élevé, au risque d’affaiblir la progressivité dans les cycles de financement, la discipline de remboursement, l’attention portée à
la nature des activités financées. Pour refinancer leur portefeuille de crédit en forte croissance, certaines institutions se sont endettées de façon
excessive et exposées dans certains cas à un risque de change non maîtrisé. Des défaillances d’institutions se sont produites dans quelques pays,
aggravées parfois par des interférences politiques comme en Inde ou au Nicaragua. Ces excès réels sont toutefois restés contenus. Ils n’ont ni
l’ampleur, ni le caractère systémique des innovations financières hasardeuses qui aux Etats-Unis, puis en Europe ont déclenché la plus grave crise
du système financier occidental depuis 1929. En outre, les actions à mener pour corriger ces excès sont relativement bien définies :
•
renforcement des capacités des institutions, en particulier dans les domaines de la gouvernance, de la formation des agents de crédit et
amélioration de la gestion du risque,
•
poursuite d’une croissance plus durable et mieux répartie géographiquement, accompagnée de mécanismes de contrôle du surendettement
comme les centrales de risques,
•
amélioration du cadre réglementaire et notamment des règles prudentielles, et renforcement de la supervision.
Beaucoup plus difficile est la correction des dérives rapportées par les média dans certaines régions du monde et qui portent gravement atteinte
non seulement à la réputation de toute la microfinance, mais à son essence même. L’ambition de la microfinance est en effet depuis l’origine
de concilier un modèle économique d’entreprise avec une mission sociale au service des pauvres. Quand certaines institutions, au nom de la
recherche de la rentabilité, adoptent des politiques agressives de développement, pratiquent des taux d’intérêt usuraires, mettent en œuvre des
politiques musclées de recouvrement, elles discréditent le modèle même de la microfinance et ne doivent plus s’en réclamer. Des reportages,
parfois simplificateurs, ont mis l’accent sur ces dérives, sans rappeler le désintéressement de milliers de dirigeants et d’employés d’institutions,
fidèles à la mission sociale de la microfinance et dévoués à leur communauté. Le risque existe que l’effort patient de construction d’institutions
de microfinance responsables, jouant un rôle irremplaçable dans les services financiers et non financiers aux populations les plus démunies, soit
ruiné par quelques institutions séduites par la seule recherche du profit.
Face à ce risque, des efforts significatifs ont été faits ces dernières années à quatre niveaux.
•
Au niveau de l’information et de la protection de la clientèle, une campagne mondiale4 permet d’améliorer les produits et les pratiques.
•
Des indicateurs de performance sociale standardisés ont été développés et plus de 350 institutions de microfinance5 les ont intégrés dans
leur reporting. Des agences de notation sociales se sont mises en place avec le soutien des pouvoirs publics 6 et financent chaque année plus
de 200 notations sociales. Des outils spécifiques ont été élaborés pour mesurer l’impact sur la pauvreté d’une institution de microfinance
.
4 Smart Campaign
5. Les standards de performance sociale ont été développés par la SPTF Social Performance Task Force
6. Le Rating Fund est une initiative financée par des bailleurs de fonds publics et gérée par l’association luxembourgeoise ADA
Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Séance plénière
Séance de clôture du 4ème Forum Convergences 2015
163.
(PPI7et PAT8 ) et pour suivre les changements dans la vie de leurs clients. La Social Performance Task Force9 travaille actuellement à une série
de standards de performance sociale.
•
Au-delà de standards minimum, la Campagne pour le Sommet du Microcrédit développe un « Seal of Excellence for Poverty Outreach and
Transformation in microfinance » destiné à servir de référence et de label de reconnaissance de ce que la microfinance réalise en matière de
lutte contre la pauvreté.
•
Enfin au niveau de la réglementation du secteur, le comité de supervision bancaire de Bâle a publié une série de recommandations sur la
supervision des institutions de microfinance qui font appel à l’épargne.
Toutefois ces initiatives pour une microfinance responsable ne suffisent pas à prévenir les dérives et à désarmer les critiques. Une impulsion politique
et une initiative globale sont nécessaires pour restaurer la confiance dans la microfinance et l’engager dans de nouvelles voies de développement.
D’ores et déjà le G20 a décidé de donner une nouvelle impulsion pour le développement de systèmes financiers inclusifs. L’Alliance pour l’Inclusion
Financière regroupant des représentants des banques centrales de plus de 40 Etats du Sud a été lancée. Et un groupe de travail réunissant les
organisations internationales et les instances de contrôle comme le Comité de Bâle ou la Financial Action Task Force10 a été mis en place pour
accélérer les réformes réglementaires nécessaires.
Toutefois, pour répondre pleinement à son objectif, une telle initiative globale concertée, tout en bénéficiant de l’impulsion politique du G20, doit
impliquer tous les acteurs de la microfinance, qu’il s’agisse des institutions de terrain et de leurs associations nationales ou régionales, des apporteurs
de capitaux et des fournisseurs de services spécialisés, des institutions internationales et des instances de régulation et de supervision.
Au cours de son développement très rapide, la microfinance n’a pas suivi un modèle unique ; elle s’est adaptée aux conditions de chaque pays.
Suivant les pays et les institutions, l’accent est mis de façon inégale sur la lutte contre la pauvreté ou l’inclusion financière. Certaines institutions se
définissent comme des social business, excluant toute distribution de profit à des actionnaires privés, d’autres estiment compatibles la poursuite de
leur mission sociale et une rémunération, éventuellement plafonnée, du capital investi. La diversité des statuts juridiques n’est pas moins grande.
Cette diversité est une richesse, qui doit être préservée, mais dans un monde globalisé et interconnecté, elle ne doit pas faire obstacle à un socle
fondamental de principes et de règles. C’est la condition d’une confiance maintenue du public et d’une nouvelle phase de croissance durable
et responsable.
Ce socle minimal devrait, à la lumière de l’expérience, comporter des principes et des règles obéissant aux six orientations suivantes :
1.
Le modèle économique de la microfinance répond à un double objectif à long terme d’impact social et de viabilité financière. La recherche
d’un impact social effectif passe par le souci constant de toucher les populations les plus pauvres, en développant des réseaux de distribution
adaptés, y compris en zone rurale, en offrant une gamme complète de produits de services financiers et non-financiers adaptés à leurs besoins,
et en faisant preuve de modération dans les politiques de taux d’intérêt et de tarification des services. Des indicateurs de performance sociale,
répondant à des définitions standardisées, doivent permettre d’attester le respect de cette orientation.
2.
Les institutions de microfinance ne peuvent inscrire leur développement dans une perspective durable qu’en inspirant confiance par une
gouvernance solide, des règles prudentielles robustes et des systèmes efficients de reporting, de contrôle et d’audit. Ces règles doivent être
soumises à supervision et ces systèmes faire l’objet de notation suivant des méthodes objectives et transparentes.
3.
L’information et la protection des clients, la prévention du surendettement, la transparence des taux et tarifs pratiqués, les procédures de mise
en jeu des garanties et de recouvrement, les politiques d’incitation des agents de crédit doivent pleinement respecter la vocation première
de la microfinance, basée sur une relation de confiance et de respect du client. Elles doivent suivre des règles précises et vérifiables, comme
celles développées par la Smart Campaign11 ou l’ONG Microfinance Transparency12 , et contenues dans une charte éthique de l’institution.
7. Le “Progress out of Poverty Index” est un outil pratique destiné à évaluer la probabilité qu’un ménage soit au dessous du seuil de pauvreté. Le PPI est maintenant disponible dans 34 pays. .
8. Le « Poverty Assessment Tool » est une variante du PPI et intègre une notion d’évolution dans le temps du groupe cible en comparant le scoring atteint d’une année sur l’autre sans notion de seuil de pauvreté.
9. Créée en 2005 à l’initiative du CGAP et de Fondations privées, la Social Performance Task Force est constituée de représentants d’ONG, de bailleurs de fonds, d’investisseurs sociaux, de réseaux de microfinance,
d’agences de rating et de chercheurs. Elle élabore des méthodes et des indicateurs d’évaluation de la performance sociale des institutions de microfinance.
10. (FATF) – instance international pour combattre le blanchiment de l’argent et le financement du terrorisme
11. http://www.smartcampaign.org/
12. http://www.mftransparency.org/
164. Convergences 2015
Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements
4.
Les investisseurs internationaux, publics et privés, spécialisés en microfinance, ont le devoir d’agir dans le respect des intérêts à long terme
des institutions qu’ils accompagnent et se donner pour objectif leur autonomie financière. Cette vision passe par l’adhésion à un Code de
conduite des investisseurs, comme les Principes pour la Finance Inclusive développés avec le soutien de l’UN PRI, destiné à garantir que
les conditions, notamment de durée et de garantie, de leurs concours financiers répondent à des normes de qualité, que les taux et commissions pratiqués soient modérés, et que les concours proposés n’exposent pas les institutions financées à un risque de change déraisonnable.
5.
Les chercheurs et les milieux académiques sont invités à intensifier leur dialogue avec le secteur de la microfinance pour réaliser des études
d’impact objectives, en tenant compte de la diversité des contextes locaux, et à en diffuser largement les conclusions.
6.
Les bailleurs de fonds et les grandes fondations privées ont un rôle essentiel à jouer pour promouvoir les bonnes pratiques et encourager
l’innovation et la diversification en microfinance. Sachant que la grande majorité des personnes touchées par la pauvreté et la malnutrition
est en zone rurale et dépend de l’agriculture et de l’élevage pour sa survie, les institutions de microfinance doivent être encouragées à se
tourner vers le milieu rural et le financement de la petite agriculture familiale. Les bailleurs de fonds sont également invités à amplifier leur
effort d’encouragement à la conception et la diffusion de systèmes de micro-assurance adaptés, en particulier dans les domaines de la santé
et de l’agriculture. Outre le bénéfice que pourront en retirer les emprunteurs pour eux-mêmes et leur famille, ces dispositifs sont de nature à
réduire le risque des institutions de microfinance et à les encourager à développer leur activité de crédit. Une attention particulière doit être
portée aux services non financiers, notamment de conseil et d’éducation, proposés par les institutions de microfinance. Les programmes
d’aide des Institutions financières internationales en faveur de la microfinance doivent viser en priorité les pays, segments de population et
secteurs économiques les plus défavorisés où la microfinance peut apporter une contribution essentielle au développement économique
et social, notamment : Afrique sub-saharienne, secteur agricole, groupes marginalisés. Ces priorités d’action pourraient faire l’objet d’un
document cadre d’orientation à moyen terme, auquel adhéreraient les grandes institutions financières internationales, les agences des
Nations Unies, les banques de développement, les agences de coopération.
Pour donner corps à ce socle fondamental de principes et de règles, dans le respect de la diversité de la microfinance, les signataires
lancent un appel pour des « Etats généraux de la microfinance responsable », organisés par grande région du monde et par grande
catégorie d’acteurs, sous l’égide d’un Comité d’organisation mandaté par le G20.
Convergences 2015
Paris, le 3 mai 2011
Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Séance plénière
Séance de clôture du 4ème Forum Convergences 2015
165.