DE n¡ 42 - Astrees

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Développements
Numéro 42 / décembre 2005
La seconde
partie
de carrière
Jean-Marie BERGÈRE
Claudine BOUNHOL
Alain DUPEYRON
Pascale GUSTINFAVIER
Sommaire
Michel LEBELLE
p. 2
Jean LE GAC
Benoît LEPLEY
p. 6
Le renversement démographique : (papy) boom ou changement durable ?
CIC : seconde moitié de carrière et reconversion
Yannick MOREAU
p. 8
Christian PIN
Paul SANTELMANN
p. 10
Isabelle TARTYBRIAND
p. 12
p. 15
p. 17
p. 18
p. 20
p. 22
p. 23
p. 25
p. 29
p. 31
SEB : réinventer la gestion prospective des ressources humaines par les âges
France 3 : moderniser avec les seniors
Siemens : la politique de gestion de tous les âges
Seniors en PME : ouvrir le champ des possibles
De l’analyse à la gouvernance des savoirs
L’engagement social et associatif en fin de carrière
Déplacer l’effort de formation vers les quadragénaires et plus ?
La majorité des cadres ne souhaite pas travailler au-delà de 60 ans
Des mesures ciblées pour le retour à l’emploi des seniors
Bonnes pratiques en Europe
Le cumul emploi-retraite
Travail, je t’aime. Travail, je te hais.
L’entreprise au cœur des équilibres locaux
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NÉCESSITÉ
FAIT-ELLE TOUJOURS LOI ?
D
epuis le printemps 2003, nous avons accueilli et animé un groupe de travail sur “l’emploi et
l’employabilité des seniors”. Notre intention de départ était d’expérimenter, de mettre en œuvre
et de tirer des leçons, des pratiques innovantes susceptibles d’entraîner l’adhésion des salariés et
des directions confrontés à une obligation nouvelle : mettre fin aux départs anticipés en retraite et bientôt
retarder encore l’âge de départ pour que chacun ait travaillé assez longtemps pour bénéficier d’une retraite
à taux plein. Malgré la motivation des participants, il a été difficile de mener de véritables expérimentations. Nous avons néanmoins toujours travaillé à partir de témoignages de responsables d’entreprises,
d’études de cas concrets, de réflexions de praticiens. Ce numéro de Développements se fait l’écho de ce
travail collectif. Il ne livre pas de recettes. Il fait le tour des questions multiples que le renversement démographique pose aux entreprises. Il aborde dans leur diversité et leur complémentarité les actions qu’il
convient de combiner: mobilité, formation, orientation, coopération entre générations, ergonomie, temps partagé, tutorat, consulting, lutte contre les idées reçues et les clichés, etc. Que tous ceux qui ont contribué à nos
échanges et à cette publication en soient chaleureusement remerciés.
Deux questions plus globales se sont régulièrement invitées – explicitement ou non – dans nos débats.
Je les résumerais ainsi. Comment sortir de cette contradiction entre une nécessité, travailler plus longtemps, et ce que tout le XXe siècle a considéré comme un progrès, travailler moins. Que tous les chiffres,
allongement de l’espérance de vie, faible natalité, équilibre des régimes de retraite par répartition, poids
déjà considérable des cotisations et impôts, suggèrent la même réponse, allonger la durée de vie au travail, ne dit rien des forces sociales qui vont porter les changements nécessaires. Au mot réforme, le mot
progrès a toujours été associé. Progrès au moins pour une partie des acteurs, qui se font alors les porteparole et les défenseurs des changements. L’enthousiasme et le consensus des experts et de leurs calculettes ne suffisent pas pour passer de 36,5 % à 50 % des 55/64 ans au travail en France. Sur ce
sujet comme sur d’autres, on ne peut s’exonérer de la mise en débat, du dialogue notamment entre les
partenaires sociaux. On ne peut pas plus s’exonérer de l’adhésion réelle des salariés à ces changements
qui les concernent. C’est là que vient la deuxième question. Le travail est-il une souffrance ou un bonheur ? Est-il asservissement ou libération ? La question n’est pas théorique. C’est en fonction des
conditions organisationnelles, matérielles, psychiques, en fonction de la reconnaissance reçue, que chacun
apporte une réponse à cette question. Et là, force est de constater que beaucoup d’entreprises ne parviennent plus à convaincre leurs salariés. Il y a comme une perte du désir. D’où peut-être ce sentiment
de morosité, j’allais dire de débandade. Et cela ne concerne pas que les seniors !
Face à cette démotivation, là où elle existe, il ne suffit pas de souhaiter bon courage aux directeurs de
ressources humaines. Les directions générales doivent monter en première ligne.
JEAN-MARIE BERGÈRE
[email protected]
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Développements
Le renversement démographique:
(papy) boom ou changement durable?
Un groupe de travail a réuni à Développement et Emploi une
dizaine de grandes entreprises confrontées à l’allongement de la vie
au travail, souvent synonyme de démotivation, d’usure et de pénibilité.
Une vie professionnelle qui pourrait se dérouler en deux mi-temps,
avec pendant l’arrêt de jeu une analyse du passé et une réflexion
sur la stratégie à adopter. Formation, mobilité, reconnaissance des
compétences, entretiens professionnels, aménagement du temps
de travail, équipes projet… Les outils et démarches à mobiliser
existent d’ores et déjà. Le principal obstacle à leur utilisation
réside sans doute dans les représentations que chacun se fait de l’âge.
U
ne dizaine de grandes entreprises françaises se sont
retrouvées de juin 2003 à
juin 2005 dans le cadre de
Développement et Emploi. La réforme
des retraites venait d’être votée. Le
débat sur les conséquences du papy
boom, du choc démographique, du
renversement démographique – les
termes les plus couramment utilisés
vont évoluer sur la période – se
déplace. Il était question de l’équilibre des régimes de retraite par
répartition. Il est maintenant question des conséquences sur l’emploi.
C’est ainsi que notre groupe s’intitulera “emploi et employabilité des
seniors”.
Le fait que les questions soulevées
trouvent leur origine en dehors de
l’entreprise, voire en dehors des
habituelles contraintes économiques,
va peser lourd dans les débats.Aucun
des acteurs de l’entreprise ne souhaite véritablement prolonger la
durée de vie professionnelle, aucun
ne souhaite faire évoluer l’âge moyen
des salariés, même si aucun ne souhaite non plus que les prélèvements
“retraite” augmentent. S’il y a un
souhait, c’est plutôt celui du rajeunissement des troupes. Le consensus sur
la gestion de l’emploi par l’âge existe
bien. Nous nous trouvons donc dans
une situation paradoxale, celle d’une
réforme qu’aucun des acteurs de
l’entreprise ne souhaite, qui ne
semble pas leur apporter les bénéfices
qui motiveraient une “mobilisation
réformatrice” et l’énergie qui va
avec. Comme ces acteurs ne manquent pas par ailleurs de sujet de
débats ou de controverses plus
urgents, ou en tout cas à effet plus
immédiat, tout semble inciter à
repousser la question à plus tard.
Et pourtant, si la démographie (nata-
LA
GESTION DES ÂGES EN
lité, pyramide des âges et espérance
de vie) suit d’autres logiques que
celles du monde économique, elle est
un des paramètres incontournables
des stratégies macro-économiques et
des stratégies d’entreprise. Les
courbes démographiques se prolongent (malheureusement pour chacun
d’entre nous !) inexorablement et
arithmétiquement. En revanche les
conséquences de la prolongation de
ces courbes et d’un changement
massif des équilibres démographiques ne s’en déduisent pas mécaniquement. La réflexion est encore à
mener au plan macro-économique:
est-ce une opportunité, celle qui
annonce la fin du chômage, est-ce un
risque, celui d’un déclin économique
qui rendra encore plus difficile la
résolution des problèmes d’emploi?
Cette interrogation est apparue en
filigrane dans nos débats. Notre
ambition était néanmoins plutôt
d’ordre micro-économique.
Les témoignages, les études, nos
3D
La CFDT-Cadres a organisé un colloque “Vers une gestion des âges en 3D, Durable,
Dynamique, Diversifiée - Analyse et prospective”
• Le 3 décembre 2004, s'est déroulée la première partie de ce colloque intitulée “Analyse
de la situation actuelle de l'emploi pour les cadres”. Les questions abordées ont été :
- Quels sont les traits caractéristiques du modèle social à l'œuvre en France ?
- Comment peut-on qualifier la situation particulière des cadres au travail, au regard de
l’âge ?
• La deuxième journée s’est déroulée le 19 avril 2005, sur les thèmes suivants :
- Comment garantir les conditions d'accès à un emploi durable et un travail de qualité
aux deux extrémités de l'échelle des âges ?
- Comment améliorer les conditions de travail des cadres en emploi, pour un investissement professionnel de long terme ?
Les actes du colloque peuvent être téléchargés sur http://www.cadresplus.net/actualites
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réflexions et propositions ont porté
sur les conséquences de la démographie dans les entreprises. C’est déjà
beaucoup.
Au total, c’est bien la capacité des
entreprises à se projeter dans l’avenir
et à intégrer des éléments nouveaux
de leur environnement qui est posée.
Les contraintes habituelles (l’humeur
des consommateurs, la concurrence,
les technologies, les revendications
des salariés ou l’inflation réglementaire et législative…) ont véritablement créé chez elles une propension
à traiter les problèmes de façon très
réactive, dans l’urgence.Anticiper, en
particulier sur les questions d’emploi,
ne va pas de soi.Vous comprendrez
que les membres du groupe avaient
fort à faire! Les lieux d’échanges,
comme ceux que Développement et
Emploi propose, servent aussi à
conforter les convictions et la détermination de ceux qui, vaille que
vaille, portent dans les entreprises les
exigences du moyen terme.
Une méthode
Un mot sur la méthode de travail.
Douze réunions ont permis d’entendre témoignages, réflexions,
études menées au sein des entreprises
ou études plus générales (INSEE,
Ernst & Young, CEGOS). Nous
avions au départ l’ambition de
conduire de véritables expérimentations dans les entreprises volontaires.
Les thèmes retenus permettaient de
balayer assez largement les champs
d’action possibles: formation, mobilité, coopération intergénérationnelle, pénibilité, rapport productivité/
coût, rôle des groupements d’employeurs. Malheureusement, faute de
moyens, mais aussi probablement
faute de maturité de ces questions
dans les entreprises, notre groupe a
dû se concentrer sur l’analyse collective des cas présentés et sur l’élaboration de pistes de propositions testées
sur des petites échelles. Elles impliquaient plutôt des personnes très
qualifiées, alors même que notre
ambition est toujours restée de promouvoir des solutions pratiques et
équitables, valables pour tous les salariés, quel que soit leur secteur ou
leur métier. Des comparaisons ont
été faites avec les pratiques européennes, grâce à nos rencontres avec
la Fondation de Dublin et grâce à
l’aide de la DARES. Nous reviendrons sur ce point. Un article de ce
numéro y est consacré. Les autres
articles illustrent les autres points
évoqués.
Des problèmes
conjoncturels et des
mutations fondamentales
Au départ, la motivation la plus pressante pour les participants les pousse
à chercher une réponse à la fin programmée des départs anticipés en
retraite (en tout cas à la fin des aides
publiques faites pour favoriser ces
départs!). On l’a dit plus haut, ces
départs anticipés font l’objet d’un
large consensus. Pour reprendre l’expression d’un participant:“partir vers
57, 58 ans est devenu une perspective
réaliste”. Les salariés mi-résignés, miheureux ont pris leur parti de ces fins
de carrière “avant l’âge”. S’ils ne
croient plus trop à l’argument selon
lequel cela donnerait du travail aux
jeunes, le travail pédagogique et les
dispositifs institutionnels pour les
convaincre de partir ont porté leurs
fruits. Ils ne voient plus ces départs
comme une “mise à la casse” de salariés devenus inutiles, ou aux compétences obsolètes. C’est devenu un
droit, en tout cas un “quasi-droit”.
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Les responsables dans l’entreprise, à
tous les niveaux, se sont habitués à
gérer par catégories d’âges. C’est en
particulier une facilité pour éviter de
se poser les difficiles questions de
l’usure au travail (et donc des
“réformes ergonomiques”) ou de la
motivation au travail en fin de carrière. Certes ces départs coûtent cher
à l’entreprise et à la collectivité, mais
comment refuser à un salarié démotivé, et qui veut partir parce que “ses
camarades de promotion sont tous
déjà en retraite”, son billet pour “une
retraite méritée”. Les choix lors des
procédures de licenciements collectifs renforcent évidemment fortement cette tendance.
Le premier travail, avant même de
parler “bonnes pratiques”, c’est de
convaincre la hiérarchie autant que
les salariés. Dur, dur.
À cette première question, celle de la
motivation au travail, s’ajoute rapidement une autre question liée elle
aussi à la conjoncture démographique très proche. Même en retenant plus longtemps les salariés au
travail, et quel que soit finalement
l’âge réel des départs, les années qui
viennent vont voir une augmentation massive des départs. On va
passer, en France, de 400000 départs
environ par an à 750000. Sur ce
point, les pyramides des âges peuvent
cacher l’essentiel. Il faut chercher la
vérité dans chaque service, dans
chaque métier, sur chaque site de
production. Par exemple, dans la
même entreprise, les dates des recrutements correspondent à des créations de produits nouveaux, à
l’introduction d’une technologie
nouvelle, elles diffèrent d’un site à
l’autre. Ces différences se retrouvent
à la sortie. Départs massifs, signifient
recrutements importants. Il y a là des
effets de seuil. Dans un service de
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Développements
LE
GROUPE DE TRAVAIL
Ont participé régulièrement au groupe
de recherche :
Jean Marie BERGÈRE, Développement et
Emploi
Laurent BUTLER, EDF-Gaz de France
Daniel COLINET, Air France
Christian COUTIN, Groupe SEB
Geneviève DECISIER, Conseil d’Orientation des Retraites
Michel DESURMONT, FFGE
Hélène GARNER, DARES
François GUÉRIN, ANACT
Pascale GUSTIN-FAVIER, Lyonnaise de
banque CIC
Olivier KUDLIKOWSKI, Air France
Jean LE GAC, Siemens
Benoit LEPLEY, ARACT Ile-de-France
Christian PIN, Ex-DRH du Groupe SEB
et Président du Conseil d’Orientation
d’ARAVIS
Georges SCHRAM, EADS Développement
Isabelle TARTY-BRIAND, Chargée
d’études
Dominique THIERRY,Vice-président de
Développement et Emploi
Frédérique TRIMOUILLE, DARES
Un grand merci à tous ceux qui, en
témoignant, ont nourri le groupe de leurs
connaissances et de leurs expériences :
Alain DUPEYRON, France 3
Iris TEPLITZKY, Calor
Patrick AUBERT, INSEE
Michel LEBELLE,Thales
Paul SANTELMANN, AFPA
Les représentants de Ernst et Young,
de la CEGOS
40 personnes, remplacer une personne par an ne nécessite aucune
démarche sophistiquée. Cela passe
tout seul. Remplacer la moitié des
effectifs en quatre ou cinq ans, est tout
à fait différent. Le risque de perte de
savoir-faire, les difficultés de recrutement et d’intégration seront sans
commune mesure. La disparition des
réseaux informels de circulation des
informations peut être fatale. La transmission des connaissances et de la culture professionnelle nécessitera des
démarches formalisées, des moyens.
On ne pourra rien faire sans avoir
anticipé. Les outils existent, ils devront
être adaptés à ce nouveau contexte.
Cela demande du temps.
À vrai dire cette question des départs
importants, et concentrés sur quelques
années, est rarement posée. La perte de
savoir-faire est peu redoutée. Faut-il
penser que les entreprises entendent en
profiter pour diminuer les effectifs,
pour produire ailleurs? Elles entendent
en tout cas garder les mains libres pour
le faire si cela leur paraît dans leur
intérêt.Au mieux, elles misent sur leur
capacité à réagir vite, le moment venu.
Enfin d’autres questions sont rapidement apparues. Au-delà de la crise à
passer, du “boom” lié aux naissances
nombreuses après 1945, ce sont les
équilibres démographiques du XXe
siècle qui sont remis en cause. En particulier, pour la première fois, à cause
d’une natalité bien inférieure au “taux
de renouvellement”, c’est la population qui risque de diminuer (même si
la France est moins touchée que
d’autres pays européens). Cette stagnation, cette baisse prévisible du
nombre d’entrées de jeunes sur le
marché du travail, alliée à l’augmentation des départs et à l’allongement
considérable (et bienvenu!) de l’espérance de vie modifie complètement
les rapports entre population active et
population totale. Sauf bien sûr à prolonger la vie professionnelle… Pour
les entreprises, cela se traduit par la
perspective très durable d’une population au travail en moyenne plus âgée
qu’aujourd’hui. Les problèmes de la
pénibilité, de l’usure au travail prendront forcément d’autres proportions.
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L’image de l’entreprise, invariablement jeune et dynamique, devra être
modifiée. Le management devra évoluer. La valorisation de la diversité est
une première réponse à cette exigence.
Quand on lit les résultats des enquêtes
selon lesquels les plus de cinquante
ans ressentent fortement des discriminations à leur égard, on mesure le
chemin qui reste à parcourir.
Des solutions
Les réflexions et pistes de solutions
vont porter sur l’ensemble des questions soulevées: durée de la vie professionnelle, motivation en fin de
carrière, ergonomie, santé, transmission des connaissances et savoir-faire,
formation, coopération entre salariés
d’âges différents.
Ces préconisations peuvent être organisées autour de deux questions distinctes : comment les parcours
professionnels peuvent-ils se penser
dans ce contexte nouveau, et comment organiser les fins de carrière
pour que l’entreprise, comme le
salarié, y trouve son compte?
Sur le premier volet, les contributions
convergent vers l’idée d’une
deuxième partie de carrière, voire
d’une seconde carrière. Au fond la
courbe de vie professionnelle avec ses
trois phases habituelles: intégration,
maturité et “seniorité” ne semble plus
représenter ni la réalité ni les aspirations des salariés. Il faut peut-être lui
substituer l’image d’un match qui se
joue en deux mi-temps.En dehors du
fait que cela permet de se représenter
“l’après travail” comme une “troisième mi-temps” festive et joyeuse,
cela permet d’insister sur une idée
récurrente dans nos échanges: l’allongement de la vie professionnelle suppose
la
modification
des
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comportements à tous les âges de la
vie professionnelle, un management
des âges. À quarante-cinq ans se
jouent la deuxième mi-temps et aussi
la fin du match. Formation et développement des compétences, élargissement des aires de mobilité,
réorientation… Tout est encore possible lorsqu’il reste une vingtaine
d’années à travailler. Les entretiens de
mi-carrière,une réflexion très ouverte
sur les orientations possibles, une formation longue sont des investissements “rentables”. On ne prend pas sa
respiration de la même façon pour
courir, mettons de 25 à 58 ans, ou
pour courir de 22 à 65 ans ou plus.
Bien sûr ces “ruptures”, changements
de direction et bifurcations ne peuvent être imposés brutalement.
L’image d’un match en deux temps
(ou trois ou quatre…), avec, pendant
l’arrêt de jeu, l’analyse de la période
passée et une réflexion sur la stratégie
à venir, nous paraît en tout cas bien
plus favorable que le maintien de la
fiction d’une courbe continue et
douce de la vie professionnelle. Plus
favorable également que l’acceptation
d’une représentation chaotique, sans
“aucun sens” de ce parcours professionnel.
Il n’en reste pas moins vrai que,même
en deux parties, le match a une fin. Le
risque de considérer, à partir d’un certain temps, qu’il est joué (gagné ou
perdu) et qu’il n’y a plus qu’à attendre
la fin, existe bel et bien. Démotivation
des salariés, marginalisation, management indifférent à ceux qui vivent les
dernières années de leur activité de
salariés semblent bien être le lot quotidien dans la majorité des entreprises.
Les réponses doivent là aussi être imaginatives. Les expériences de contribution de “seniors” à des groupes
projet, dont ils ne sont pas forcément
les leaders, les expériences de partage
du temps entre une responsabilité
opérationnelle et des missions plus
transversales, les expériences de
“consulting interne” apportent des
exemples très stimulants. Bien sûr elles
se déroulent souvent à petite échelle,
plutôt avec des cadres et des personnes très qualifiés. Réussies, elles
ont un effet d’entraînement. La
condition de leur généralisation
semble plus reposer sur l’implication
des managers à tous les niveaux que
sur des impossibilités intrinsèquement
liées aux salariés. Les solutions organisationnelles ne sont peut-être pas
simples à mettre en œuvre. Pourtant
elles offrent à la fois la possibilité de
profiter pleinement de l’expérience,
de la connaissance des réseaux et cultures particulières des plus anciens, et
la possibilité de donner des signes
concrets de reconnaissance et de valorisation à des salariés contributifs.
C’est une marque de respect appréciée de tous les salariés, quel que soit
leur âge.
La coopération entre
les différentes générations
Le tutorat est souvent présenté
comme la solution à cette double exigence: transmettre l’expérience et
donner le sentiment aux salariés qu’ils
sont toujours utiles. S’il n’est pas bien
accompagné, il peut décevoir les
espoirs mis en lui. La transmission
unilatérale ou paternaliste ne peut
plus convenir. Dans la production des
savoir-faire comme des normes et des
valeurs de l’entreprise, la coopération
entre les différentes générations est
plus riche, plus adaptée à une économie où l’innovation est si importante. Cette coopération permet
l’intégration réussie, adaptée, des
changements technologiques ou
organisationnels. Elle donne un cadre
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favorable à l’invention de nouvelles
modalités d’exercice de l’autorité,efficaces et acceptées. Au fond, les participants ne revendiquent pas qu’on
accorde à l’âge un mérite en soi, personne n’a demandé un retour de
“l’avancement automatique à l’ancienneté”. En revanche, tous sont
convaincus que, contrairement à
l’idée répandue, l’âge n’entraîne pas
en soi de handicap. En particulier les
nouvelles technologies de l’information ne sont plus affaire de génération.
C’est ainsi qu’il faut comprendre
l’exigence toujours répétée qu’il n’y
ait pas de mesures spécifiques, jugées
dévalorisantes, voire “stigmatisantes”.
Les limites à cette exigence viennent
de travaux physiquement pénibles et
de l’usure réelle qu’ils entraînent
(mais n’est-il pas souvent possible de
les rendre moins pénibles comme
l’intégration des femmes au travail l’a
montré?). On peut également s’interroger sur les mesures qui favoriseraient le retour dans l’emploi pour des
salariés licenciés. Il y a là une réelle
discrimination.
Les exemples de coopérations, sans
esprit de bizutage comme sans paternalisme, montrent la richesse de cette
coopération. L’âge n’est plus le critère
qui permet de définir la contribution
que chacun va apporter. Et chacun du
coup apporte le meilleur de luimême. On sait que c’est toujours
beaucoup!
Les différents outils et démarches à
mobiliser semblent bien déjà exister:
formation, mobilité, reconnaissance
des compétences, entretiens professionnels, aménagement des temps de
travail, équipes projets, consulting
interne, etc. Ils doivent être adaptés
quelquefois, mais surtout il faut
cesser d’exclure les seniors lorsque
ces outils sont utilisés. Les raisons
souvent invoquées: difficultés d’adap-
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tation, inutilité des investissements
sur des personnes qui vont partir
(alors qu’elles ont encore plusieurs
années à travailler) ne résistent pas à
l’analyse. Elles sont plus le reflet des
représentations d’une société marquée par l’entrée en scène de la jeunesse comme “âge idéal” que le reflet
de la réalité. Si, après quarante-cinq
ans, les perspectives de partir en formation, de se voir offrir de nouvelles
opportunités, d’être considéré pour
ce qu’on apporte et pas seulement
pour ce qu’on coûte, disparaissent, le
“sentiment de fin de vie professionnelle” pour reprendre l’expression de
J-M de Peretti et Eléonor Marbot,
risque fort de continuer à envahir la
vie des entreprises et des salariés de
plus en plus nombreux à avoir
dépassé le cap de la “mi temps professionnelle”.
Il n’y a pas à chercher, en France ou
à l’étranger, de pratiques tout à fait
extraordinaires, jamais vues, révolutionnaires. Le principal obstacle
réside probablement dans les représentations que chacun se fait de l’âge.
Face à ça, les membres du groupe
n’ont pas cessé d’insister sur la nécessité de “mettre en scène” les discussions sur ce sujet. Cette organisation
des débats peut elle-même être imaginative. Les discussions au Comité
d’entreprise, les négociations avec les
organisations syndicales peuvent être
utilement complétées par des actions
de communication ou pourquoi pas
par des représentations théâtrales (les
POUR ALLER
PLUS LOIN
• ANACT : www.anact.fr
• Conseil d’Orientation des Retraites :
www.cor-retraites.fr
exemples existent!). Les chartes de
mobilité, les accords sur le management des âges, la valorisation des
améliorations ergonomiques ne sont
pas secondaires. Ils s’attaquent à cet
écueil majeur: l’idée que chacun se
fait, consciemment ou inconsciemment, de l’âge. Au moment où les
négociations sur ce point entre les
partenaires sociaux au niveau
national semblent s’enliser, les négociations sur le management des âges
sont peut-être à mener dans chacune
des entreprises. Pour le plus grand
profit de tous: salariés, entreprises et
collectivité.
JEAN-MARIE BERGÈRE
Directeur général de Développement et Emploi
[email protected]
CHRISTIAN PIN
Ex DRH du groupe SEB,
Président du Conseil d’Orientation d’ARAVIS
[email protected]
CIC: seconde moitié de carrière et reconversion
“Parce que le monde bouge”… le groupe CIC, constitué
de 6 pôles régionaux et de 25 000 collaborateurs, fait évoluer
son organisation et ses outils, sa stratégie commerciale et sa culture.
Faire la Banque de demain avec les salariés d’aujourd’hui, pour
la majorité dans leur “seconde moitié de carrière”.
F
in 2002, les plus de 50 ans
représentaient dans le groupe
CIC, 30 % des effectifs, ils
devraient en représenter plus
de 40 % fin 2006 et plus de 50 % en
2010. Les dispositifs de cessation
anticipée d’activité s’achevant en
2006, l’allongement de la vie professionnelle va se faire sur un fond de
redéploiement des emplois des ser-
vices centraux (personnel souvent
faiblement mobile et à forte ancienneté) vers le réseau commercial.
Une enquête auprès
des plus de 45 ans
Face à ce contexte, le choix s’est
porté, préalablement à toute décision d’actions ou de mesures spéci-
6
fiques, sur le lancement en 2003,
d’un questionnaire auprès d’un
échantillon représentatif d’environ
300 salariés du groupe de plus de
45 ans, dans le respect d’une
garantie absolue de confidentialité.
Une cinquantaine d’entretiens
approfondis ont complété plus qualitativement l’enquête.
Et les résultats ont bousculé
quelques idées reçues.
D’abord un taux de retour important, de plus de 90 % dans certaines
banques du groupe. Puis une majorité de collaborateurs satisfaits dans
leur poste actuel même si des
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regrets sont exprimés sur les possibilités d’évolution de salaire. Loin
des clichés souvent véhiculés, les
collaborateurs ciblés se sont bien
adaptés aux nouveaux applicatifs et
outils informatiques. Ils se montrent
confiants dans leur capacité d’adaptation aux changements dans leurs
savoir-faire et dans leurs compétences techniques. Aucun problème
inter-générationnel n’est remonté,
en dépit d’une faible population
tampon entre les jeunes et les
“seniors”. En revanche, une forte
proportion de collaborateurs
témoignent de difficulté à s’adapter
aux rythmes et charges de travail et
ont peu confiance en leur capacité
de résistance au stress. Les changements dans le Groupe sont vécus
autant comme des opportunités que
des contraintes. Beaucoup d’attentes sont exprimées vis-à-vis de
l’entreprise : une soif de reconnaissance, un besoin de visibilité et de
sécurité face à l’avenir, des craintes
de mobilité géographique forcée,
un besoin de formation plus
adaptée (modes d’apprentissage) et
SURTOUT, la volonté d’être gérés
comme des “salariés normaux”.
D’où début 2004, face aux résultats
de l’enquête, l’enjeu pour les
banques du groupe de trouver des
solutions qui s’adressent à l’ensemble de la population, d’imaginer
de vrais parcours professionnels à
45-50 ans et même à 55 ans.
Et le lancement, à ce moment-là,
d’un chantier de travail commun
entre les banques du groupe sur la
reconversion professionnelle qui
constitue un excellent terrain d’expérimentation.
Un dispositif
d’accompagnement
de la reconversion
Depuis 1998, année de privatisation, le groupe Crédit Mutuel/CIC
se construit selon deux principes : la
décentralisation et la responsabilisation au niveau de l’unité de base
(l’agence bancaire au cœur du système) et la recherche d’économies
d’échelle autour de pôles régionaux
couvrant au moins 10 millions
d’habitants. Ce rééquilibrage passe
par une politique Ressources
Humaines fondée sur la capacité
d’adaptation des hommes et sur un
engagement fort : “un emploi à
valeur ajoutée pour tous sous réserve de formation et de mobilité
fonctionnelle et/ou géographique”.
Le dispositif d’accompagnement
développé en commun pour l’ensemble du groupe, est opérationnel
* La situation de reconversion implique que
la décision de changement d’emploi généralement
s’impose au salarié. Elle se distingue de
l’adaptation par le fait que le salarié n’a
pratiquement jamais changé d’emploi ou
d’environnement de travail.
7
depuis fin 2004 pour toute personne du groupe en situation de changement d’emploi assimilée à une
reconversion. Dorénavant, les
mobilités au sein du groupe sont
possibles y compris pour les collaborateurs en reconversion*. La formation de tous les Gestionnaires
Ressources Humaines du groupe et
des managers qui accompagnent les
collaborateurs, y est aussi importante que le parcours de reconversion
proprement dit. Le salarié concerné, quel que soit son âge, au gré des
différentes étapes du processus, s’approprie la démarche, se prépare au
changement, découvre les possibilités offertes puis l’emploi choisi, et
enfin s’y forme avant une affectation définitive qui sera suivie dans le
temps.
Dans un tel dispositif, les entretiens
de carrière et les outils d’aide à
l’orientation professionnelle occupent évidemment une place essentielle. Un pas est surtout franchi vers
la prise de conscience d’une évolution professionnelle continue des
collaborateurs, c’est un processus
permanent. L’âge n’y a pas d’importance, seul le mouvement insufflé
compte.
PASCALE GUSTIN-FAVIER
Gestionnaire Ressources Humaines
CIC-Lyonnaise de Banque
[email protected]
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Développements
SEB: réinventer la gestion prospective
des ressources humaines par les âges
Dans le groupe SEB, confronté à la compétition mondiale au plus
haut niveau, trente pour cent des salariés ont plus de cinquante ans.
Le départ à la retraite se fait désormais au plus tôt à soixante ans.
La politique de ressources humaines a dû intégrer cette nouvelle donne.
Elle met en place des entretiens à mi-carrière pour les cadres et explore
d’autres voies. Dans l’usine Calor de Pont-Évêque, un plan global de
gestion prévisionnelle a été mis en place. Une ergonome a été recrutée.
L
e Groupe SEB, comme beaucoup
d’entreprises,
est
confronté au vieillissement de
ses salariés. Il doit à la fois
intégrer l’allongement de la durée
d’activité, la prise en compte de la
santé, des aptitudes, de la motivation et des aspirations des seniors,
faire face aux mutations technologiques, économiques, organisationnelles et anticiper la transmission
des savoirs et savoir-faire collectifs.
30 % des salariés ont plus de cinquante ans. Chez les cadres, ce
chiffre est de 27 %, dont la moitié
ont plus de 55 ans, et 25 parmi eux
atteignent ou dépassent les soixante
ans. C’est une situation nouvelle
liée à la fin progressive des cessations anticipées, dispositifs publics
de type pré-retraite FNE, ou
départs par consentement mutuel et
transaction.
La courbe démographique permet
d’anticiper un accroissement sensible des sexagénaires en 2008-2009
(de 10 à 40 nouveaux par an).
Le nouveau dispositif des retraites
conduit de plus en plus de salariés,
en particulier des cadres, à ne pouvoir envisager un départ qu’après
62/63 ans, et des pots de départ
pour des collaborateurs ayant
atteint l’âge “normal” de la liquidation des droits sont de nouveau une
réalité banale.
La nature et l’organisation du travail
a conduit ces dernières années à un
fort accroissement de la pression du
travail, de la charge mentale et du
stress entraînant usure, fatigabilité,
en corollaire avec le déclin (supposé… qu’en est-il dans la réalité ?) de
certaines aptitudes pour les seniors.
Comment gérer ces paradoxes et
résoudre ces contradictions dans
une entreprise confrontée à la compétition mondiale au plus haut
niveau ?
D’abord reconnaître qu’il y a là un
vrai enjeu, collectif. Donc dépasser le
traitement au cas par cas pour trouver des solutions individuelles satisfaisantes pour les deux parties.
C’est-à-dire intégrer les données
nouvelles que sont le vieillissement
croissant, les aspirations personnelles
des salariés en fin d’activité professionnelle, les besoins liés aux déficits
démographiques à venir sur le marché de l’emploi, les carrières souvent
incomplètes des femmes…
Ensuite entériner et inscrire clairement dans la politique R. H. que la
cessation normale d’activité et donc le
départ en retraite se fait au mieux à
soixante ans. Ces nouvelles donnes
ont conduit l’entreprise, une fois cette
position prise, à un double choix:
- le problème est collectif (à échelle
“industrielle”), mais réclame des solutions personnalisées et diversifiées;
- la G. R. H. ne doit pas se concentrer sur les collaborateurs âgés (au
risque de les marginaliser), mais bien
8
développer une gestion des âges tout
au long de la vie de travail.
Des entretiens
à mi-carrière
En conséquence, la mesure novatrice de base est la mise en place d’entretiens à mi-carrière proposés
systématiquement aux cadres (et
plus tard à tous les membres de
l’encadrement, techniciens et
employés qualifiés ; en effet, le problème se pose d’une toute autre
manière pour les personnels de production, en particulier ouvriers).
Cet entretien s’adresse à tous les
volontaires qui éprouvent le besoin
de faire un point en profondeur sur
leurs compétences, leurs souhaits et
motivations dans la perspective de la
deuxième partie de carrière. Il est
mené de façon ouverte et confidentielle par une personne dédiée (et
spécialisée) de la DRH.
Le vrai enjeu, c’est la suite qu’on
peut y donner, à la fois quel engagement possible de l’entreprise, et les
plans d’action qu’on peut mettre en
œuvre, surtout s’il y a souhait, réaliste
et validé, d’évolution ou de changement importants.
Expérimenter et réussir des solutions
qui concilient des projets professionnels contributeurs aux besoins de
l’entreprise, donc en phase avec ses
orientations, et les aspirations personnelles: comment?
Des voies prometteuses ont été
ouvertes et expérimentées ces dernières années, sans que cette problématique en soit forcément au cœur
explicitement et donc définie
comme objectif de “meilleure gestion des seniors”.
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Le Groupe Seb a mis en place il y
a quelques années un système d’information intégré et homogène,
reposant sur le déploiement mondial de processus communs et d’un
progiciel informatique novateur.
Pour préparer et mettre en place ce
dispositif complexe remettant
beaucoup de choses en cause et
nécessitant un travail d’adaptation
et d’appropriation considérable, sur
plusieurs années, la solution d’une
équipe de consultants travaillant
avec les structures internes de
toutes les filiales et fonctions
concernées n’a pas été retenue.
C’est donc une importante équipe
pluridisciplinaire interne, constituée de volontaires arrivant soit des
fonctions
couvertes
(achats,
contrôle de gestion, administration
des ventes, logistique…), soit des
services informatiques (études et
programmation) qui a été recrutée,
regroupée et mise en place opérationnellement : le “Center Of
Expertise” (C. O. E.), constitué de
six cellules spécialisées, représentant une cinquantaine de personnes. La plupart des volontaires
pour ce job temporaire, prévu pour
durer 3 à 4 ans, ont été des jeunes
cadres ou techniciens intéressés à
donner une plus-value et un intérêt
évidents à leur carrière. Mais quatre
ou cinq seniors confirmés se sont
présentés pour cette mission
longue passant par un nouveau
métier “d’expert fonctionnel systèmes d’information SAP”.
Ce qui paraissait une difficulté à
gérer (quel débouché pour eux
après trois ans, à quelques années de
la retraite ? quelle faisabilité d’apprentissages intensifs ? quelle cohabitation avec des jeunes de trente
ans de moyenne d’âge ?) s’est révélé
un atout considérable et un grand
succès. L’entreprise en a tiré de
riches enseignements validés à
l’épreuve des faits. Le bilan très
positif a été fait à la fois par les responsables du C. O. E., par les intéressés eux-mêmes et par les plus
jeunes. Les responsables du C.O.E.
ont apprécié l’apport d’expérience
terrain indispensable, le rôle régulateur au plan humain, leadership de
certains s’imposant par leurs compétences fonctionnelles et ne cherchant pas à imposer leur pouvoir
car dégagés d’ambitions de carrière.
VIEILLISSEMENT, SANTÉ ET GESTION DES ÂGES
LA DÉMARCHE DE CALOR POUR LE PERSONNEL
DE PRODUCTION
La population ouvrière de l’usine Calor de Pont-Évêque, dans l’Isère, en grande majorité
féminine, a une ancienneté moyenne supérieure à 20 ans. 29 % des opératrices avaient plus
de 50 ans en 2003, ce chiffre sera de 33 % en 2006. Le nombre des inaptitudes et des maladies professionnelles de type T. M. S. a sensiblement augmenté. “Nous avons décidé depuis
plusieurs années de mettre en place un plan global de gestion prévisionnelle, sur plusieurs
fronts”, déclare Iris Teplitzky, la DRH. Une ergonome a été embauchée, des moyens et une
démarche ont été mis en place.
- La base de l’approche repose sur une méthodologie systématique et complète
métiers/compétences.
Les compétences requises sont déclinées dans des fiches par métier, à aujourd’hui et dans
trois ans.
- L’évaluation ergonomique des postes et l’impact sur les compétences à acquérir
permet de visualiser par le salarié la progression par rapport au niveau à atteindre.
Ces deux processus permettent d’élaborer un plan de formation et un plan dit “de fragilité”.
- Les managers assurent le suivi régulier des personnes par le biais des fiches postes et
ergonomie. Des points de rencontre régulier, entretiens avec les salariés, comme travail
d’équipe pluridisciplinaire (hiérarchie, R. H., ergonome), contribuent à animer la méthode et
à associer les collaborateurs aux actions.
- La prospective d’évolution des métiers, et la consolidation des bilans, avec les écarts
constatés et les objectifs fixés donnent une vision collective (y compris les " pertes métiers ").
La réduction des écarts constatés passe par des actions de GRH : recrutement, cursus,
mobilité, ergonomie et aménagement des postes, entretien d’évaluation et d’orientation,
formation…
La gestion des âges ne se concentre pas sur les “fins de carrière” mais concerne tous les
salariés, toutes les étapes d’évolution, chacun étant appelé à demeurer actif plus longtemps.
Anticiper à trois ans l’évolution des métiers, les besoins en formation, l’adaptation au travail
(et du travail), mais aussi prévenir la démotivation souvent liée à un fléchissement ponctuel
ou non des capacités physiques et cognitives, impliquer les salariés dans une démarche qui
les concerne au premier chef, c’est ne pas subir la fatalité du vieillissement.
Un groupe de travail “gestion des âges” inter sociétés du Groupe Seb a été constitué, animé
par la DRH de Calor. Il a comme objectif l’échange des bonnes pratiques d’anticipation et
de prévention et la généralisation des solutions efficaces.
9
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Développements
Les cadres concernés ont trouvé
une forte stimulation intellectuelle,
de nouveaux challenges, un job
fonctionnel et relationnel (rôle
pédagogique) les soulageant du
poids et du stress d’une fonction
hiérarchique plus ou moins bien
vécue. Quant aux plus jeunes, ils
ont apprécié la sécurité et la sérénité apportées par les “papys” quelquefois tuteurs malgré eux, ne leur
faisant pas d‘ombre et se révélant
être autres que des “vieux cons verrouillant le système pour que rien
ne change” !!!
Cette mise en lumière de l’intérêt
d’un fonctionnement inter-générationnel, surtout dans l’élaboration
et la transmission de savoir-faire
pointus et stratégiques devant se
déployer dans l’entreprise, a été
confirmé dans d’autres situations
récentes :
- des cadres-relais volontaires ont
été détachés en mission de 18 mois
dans le cadre d’un plan dit
“Rebond” de restructuration, mise
en place de nouvelles organisations
à partir de l’élaboration de nouveaux processus de travail ;
- des groupes de travail par
domaines stratégiques et l’appel à
de nombreuses expertises ont fonctionné avec les mêmes ressorts pour
le Projet d’entreprise CAP + 5 en
cours depuis son lancement en
2002 ;
- une petite équipe de “knowledge
management” a été mise en place, à
la lumière de ces expériences.
Des reconversions réussies, des rôles
d’expertise valorisants, des doubles
fonctions mixtes opérationnelles
plus fonctionnelles (sur des projets
transversaux par exemple), des missions d’étude qui ne soient pas des
leurres (prospective sur des projets
de nouvelles activités, par exemple
sur des services complémentaires de
nouveaux produits), du tutorat
d’envergure, un rôle pédagogique
dans des actions de changement
(exemple de modules de formation-action aux outils de gestion
“Sebeco” lors de l’intégration des
équipes Moulinex en 20022003)… les pistes sont nombreuses.
Une condition de réussite, c’est
l’imagination certes, mais surtout la
volonté de faire. Les pratiques de
GRH doivent être renouvelées à la
lumière de cet enrichissement
d’une gestion intelligente de tous
les âges dans l’entreprise.
Et puis il existe une autre voie,
complémentaire, celle de l’engagement social et associatif, du bénévolat de fin de carrière, et les
orientations de mécénat social et
sociétal du Groupe SEB favorisent
ces démarches nouvelles (voir article
sur le sujet dans cette revue).
CHRISTIAN PIN
Ex DRH du groupe SEB,
Président du Conseil d’Orientation d’ARAVIS
[email protected]
France 3: moderniser avec les seniors
Dans le cadre du programme européen EQUAL, le projet “Moderniser
avec les seniors” a réuni trois acteurs du secteur audiovisuel, France 3,
l’Institut National de l’Audiovisuel et Arte. Pour favoriser l’acquisition
des compétences tout au long de la vie, ces entreprises ont développé
de nouvelles modalités pédagogiques de formation, associées à des outils
innovants.
objectif était de faire bénéficier les quinquas de parcours
de formation individualisés,
répondant aux besoins émanant de leurs pratiques professionnelles et de leur permettre un apprentissage à leur rythme tenant compte
L’
de leurs contraintes professionnelles.
Différentes initiatives-pilotes ont été
menées dans ce sens, avec l’appui
méthodologique de l’un des partenaires du projet, Algora, spécialisé sur
les aspects de formation ouverte et à
distance (FOAD).
10
Les Ateliers Multimédia
En 2003, une première initiative a été
conduite par France 3 au bénéfice
d’une dizaine de salariés quinquas travaillant sur les sites Internet régionaux de l’entreprise.
Basé sur un dispositif de formation
innovant, l’objectif était d’anticiper le
changement de logiciel du site d’information Internet à destination du
public et d’accompagner les salariés
quinquas concernés dans leur apprentissage, afin qu’ils ne soient pas en dif-
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ficulté d’adaptation face à cette nouvelle technologie.
Le dispositif ainsi construit, baptisé
“Ateliers Multimédia”, s’est basé sur
un dispositif modulaire, par ateliers de
travail, alliant des rencontres en face à
face - permettant un apport théorique, des échanges, réflexions et productions collectives - et des travaux à
distance, permettant à chacun d’avancer à son propre rythme. Chaque atelier a permis de trouver une solution
à une problématique métier rencontrée en situation de travail, et de produire tout en se formant.
Le dispositif ainsi construit alternait
des situations de travail et de formation permettant d’apprendre et de
construire des solutions innovantes
par la pratique, d’apprendre à innover
en commun, d’utiliser les NTIC
comme outils de formation, de valoriser les seniors quant à leur capacité
à développer des compétences et à les
transmettre.
Contrairement à ce qui aurait pu être
craint, aucun frein lié aux nouvelles
technologies n’a été rencontré. Par
ailleurs, le fait de participer à l’expérimentation d’un dispositif innovant a
été une source de fierté et de motivation.
De plus, l’outil utilisé pendant la
phase de formation à distance a permis de créer un espace commun
coopératif, de produire des projets
éditoriaux transversaux et de rompre
l’isolement en nourrissant la réflexion
de chacun grâce à l’interaction en
direct ou en différé avec ses collègues.
D’autre part, l’aspect novateur des
ateliers applicables à la production,
loin de susciter des appréhensions a
été un réel élément de motivation de
formation.
Ainsi, étant isolés et se sentant non
reconnus dans leur travail, les stagiaires ont trouvé lors des ateliers, la
possibilité d’unir leurs efforts de
façon inter-régionale avec leurs pairs.
Ce point a été un élément de motivation important et de ciment de
l’équipe (esprit de groupe face à l’adversité) sur lesquels les formateursanimateurs ont pu s’appuyer.
Enfin, la transversalité fonctionnelle
(journalistes et personnels de la communication parfois en “opposition
historique”) a été grandement appréciée pour aider à la construction d’un
projet éditorial complet.
La formation en ligne
En 2004, une seconde initiative a été
menée, en poursuivant dans la voie
engagée de la formation à distance.
Une vingtaine de salariés quadras et
quinquas essentiellement, de la filière
administrative, a eu la possibilité de se
former sur le logiciel Excel, à la fois
sur le poste de travail mais aussi dans
une salle dédiée à la formation.
Durant plusieurs semaines, les salariés
ont pu avancer à leur rythme, selon
leurs propres contraintes, avec la possibilité de revenir en permanence sur
des éléments qui ne semblaient pas
tout à fait maîtrisés, tout en mettant
en application de manière quasi
simultanée leurs apports.
Ainsi a été évitée l’épreuve redoutée
du jugement par les stagiaires plus
jeunes, lors des stages traditionnels
(“ils nous retardent”, “ils ne comprennent rien”…) qui généraient par
la suite des frustrations (“le formateur
allait trop vite”, “je dérangeais en
posant des questions”…).
Cette initiative, comme la précédente, montre que contrairement aux
idées reçues, les salariés ciblés par le
projet portent un intérêt certain à ces
nouvelles modalités de formation et
s’y adaptent parfaitement. Il semble
même que la plupart d’entre eux ait
11
une préférence pour cette modalité
souple et flexible en adéquation à
leurs besoins et contraintes professionnelles et/ou personnelles.
Parallèlement, une troisième initiative
a été menée dans ce sens au bénéfice
des salariés quadras de la filière technique afin de leur permettre d’accéder à des contenus théoriques en
ligne (contenus du BTS audiovisuel
développés en ligne sur une plateforme de formation dédiée).
Les salariés volontaires ont pu
remettre à niveau leurs connaissances
théoriques dans le domaine de l’audiovisuel. Deux modules ont ainsi été
mis à disposition d’une dizaine
d’opérateurs prise de son, dans le
cadre d’un cursus de formation visant
à améliorer la qualité sonore des
reportages.
La formation des DRH
et des managers
Enfin par le biais de la formation,
nous avons souhaité sensibiliser
l’encadrement et les DRH des
entreprises partenaires, au thème du
management de la diversité des âges,
à travers la mise en place d’une
conférence portant sur le thème de
l’inter-générationnel, et en créant un
atelier de formation spécifique. En
effet,il est apparu que ces deux populations n’étaient pas au fait des évolutions démographiques et sociologiques majeures qui vont les impacter
très rapidement et qu’elles n’ont, par
conséquent, mis en œuvre que peu
ou pas d’actions d’anticipation.
L’objectif de ces ateliers était de les
faire bénéficier d’un apport théorique sur le sujet (le passage d’une
gestion par l’âge à une gestion de tous
les âges, les leviers de motivation des
différentes populations par grande
classes d’âges…), pour ensuite échan-
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Développements
ger, partager et créer ensemble des
solutions qui leur sont propres et qui
correspondent aux situations et
contraintes auxquelles ils font face
chaque jour.
Le premier atelier, destiné aux DRH,
visait à susciter des prises de conscience au regard des évolutions démographiques et sociologiques en cours et à
décider d’actions concrètes à mettre
en œuvre. Le second atelier, destiné
aux managers de proximité, a eu pour
objectif de leur permettre de mieux
manager chaque collaborateur, quel
que soit son âge, et de favoriser la
coopération entre les différentes
générations. L’objectif visé était que
chaque manager puisse adapter son
mode de management aux nouveaux
rapports au travail des différentes
générations. Cela consiste à leur permettre de repérer leurs points d’appui, leurs points de vigilance et leurs
axes de progrès dans leur métier au
quotidien, de déterminer les implications de ces analyses en matière de
management individuel et collectif
pour demain, de s’approprier des outils
et méthodes permettant de personnaliser les règles du jeu du travail au quotidien et de favoriser la coopération
entre des générations et des profils différents au sein d’une équipe.
En conclusion, cette initiative a renforcé les innovations en matière de
RH en repoussant la pression/facilité
s’exerçant en faveur de transactions et
de départs anticipés… Ce projet, initié au bénéfice d’une population
ciblée, a été l’occasion d’interroger
l’ensemble des pratiques des entreprises partenaires en matière de gestion
et de développement des RH.
Ainsi, pour faire suite aux initiativespilotes mises en œuvre dans le cadre
du projet, une réflexion a été menée
sur les modalités d’extension - voire
de généralisation de celles qui auront
été jugées concluantes.
Cela a été aussi l’occasion de toiletter
quelques outils dédiés à la GRH et
d’en inventer de nouveaux, en parti-
culier en matière de formation professionnelle. Mais cela a aussi été le
déclencheur d’actions concrètes
venant légitimer le discours de lutte
contre les discriminations.Autrement
dit, il s’est agi de promouvoir le développement social en garantissant
l’égalité des chances tant en interne
qu’en l’externe.
En interne, le projet a fait apparaître la
nécessité de valoriser l’expérience
professionnelle pour lutter contre les
représentations erronées et les inégalités en relation avec l’âge, le genre, le
handicap, dans une logique favorisant
le lien social. En externe il a été/est
question de lutter contre la xénophobie et le racisme en menant une
action d’intégration positive pour que
France Télévisions soit mieux représentative de la diversité des composantes de la société française.
ALAIN DUPEYRON
Directeur de la formation de France 3
[email protected]
Siemens : la politique de gestion
de tous les âges
Une nouvelle politique de gestion des ressources humaines a vu le jour dans les années 2003/2004.
S’appuyant sur des travaux d’experts et sur le dialogue social, cette démarche a permis de dégager
des principes pour la mise en place d’une gestion de tous les âges, d’assurer le déploiement du dispositif
grâce à des outils responsabilisants et de gérer la transition grâce à un accord de cessation progressive
d’activité.
ne nouvelle politique de gestion des ressources humaines a
vu le jour dans les années
2003/2004.
Elle a fait l’objet d’une réflexion
interne au sein du Comité des Res-
U
sources Humaines Siemens, qui
regroupe trois fois par an l’ensemble
des DRH de toutes les unités Siemens en France. Dominique
Thierry, ex-délégué général de
Développement et Emploi, Dominique
12
Balmary ex-délégué à l’Emploi du
Ministère du Travail et de l’Emploi
et des responsables de l’UIMM ont
participé à cette réflexion interne.
Mais cette démarche a fait également l’objet d’un dialogue social
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dans le cadre de l’Instance Française
du Dialogue social Siemens (IFD),
comité mis en place en 2000 qui
regroupe les principaux comités
d’entreprise français et une représentation des cinq syndicats de salariés représentatifs désignés au sein
de Siemens par leurs fédérations respectives.
Cette réflexion s’est appuyée sur des
recherches réalisées nationalement,
elle a dégagé des principes de gestion Siemens de mise en place d’une
gestion des âges, un processus de
ressources humaines grâce à des
outils responsabilisant et une cessation progressive d’activité transitoire.
Principes pour la mise en
place d’une gestion de
tous les âges
Une réflexion globale
sur tous les âges
Le choc démographique génère un
bouleversement de la politique de
gestion des âges lequel impose la
nécessité de rompre avec la culture
de mise à l’écart des salariés âgés.
Il faut intégrer les seniors au business : il ne s’agit plus de gérer de
manière défensive les travailleurs
âgés, mais d’énoncer des stratégies
offensives pour les secondes parties
de carrière, afin de maintenir leurs
capacités. Il faut éviter l’effet stigmatisation des seniors par une réflexion
isolée qui irait à l’encontre du but
recherché, et les intégrer à une
démarche globale.
Raisonner âge, c’est aussi s’occuper
des plus jeunes et examiner ce qu’ils
deviendront aux âges avancés pour
adapter les trajectoires en fonction
des besoins futurs.
Il faut travailler sur tous les âges de
manière différenciée en engageant
un plan d’action bien connecté à la
stratégie de l’entreprise et développer une Gestion des Ressources
Humaines destinée à accompagner
les salariés tout au long de la vie
professionnelle.
Une gestion des âges fondée
sur le maintien de l’employabilité
et le développement des compétences
Le maintien de l’employabilité passe
par le développement de la gestion
prévisionnelle des compétences.
Le développement des évolutions
technologiques, exige d’anticiper la
raréfaction des compétences liée à
l’évolution des technologies, de
favoriser leur transmission, mais
aussi de préserver, maintenir et
développer les compétences des
salariés.
La logique compétence est une
démarche partagée et responsabilisante. L’entreprise doit préserver,
tout au long de la vie, la capacité et
la volonté d’un travailleur à suivre
les adaptations de son emploi et
réciproquement chaque salarié est
acteur de sa trajectoire professionnelle.
Les freins susceptibles d’entraver
cette évolution
Il existe des freins culturels à la revalorisation des seniors : nos pratiques
sont trop souvent sous-tendues par
une perception négative des seniors
considérés comme inadaptables et
contre-productifs.
Cela exige de défendre l’idée que le
vieillissement est un atout et de
mettre en avant la mixisation des
équipes pour faciliter la coopération
intergénérationnelle et la prise en
compte de l’expérience. Mais il faut
aussi sensibiliser les collaborateurs
au fait que le départ anticipé n’est
plus un avantage acquis.
13
Déployer le dispositif,
mais maintenir
l’employabilité
L’employabilité traduit la capacité
d’un individu de développer et de
maintenir ses compétences afin
d’obtenir et de conserver un emploi
dans l’entreprise, mais aussi sur le
marché du travail, tout au long de sa
vie active.
L’employabilité procède d’une
vision plus large qui dépasse le cadre
unique de l’entreprise, dès lors que
cette dernière ne peut plus garantir
l’emploi ni s’engager pour toute
une carrière.
Un salarié “employable” est susceptible d’être mobile à la fois en
interne et lorsque cela n’est pas possible en externe, dans la mesure où
des compétences entretenues et
renouvelées faciliteront son reclassement sur le marché de l’emploi.
Le maintien de l’employabilité
devient ainsi l’un des axes d’une
politique socialement responsable.
L’employabilité responsabilise également les salariés dans le développement de leur carrière, chaque salarié
est acteur de sa trajectoire professionnelle et doit se former tout au
long de la vie.
Afin de renforcer l’employabilité,
Siemens a pour rôle de proposer
aux salariés tout au long de leur carrière les moyens de se former à
l’aide de perspectives professionnelles claires et lisibles.
Le déploiement d’un tel dispositif
nécessite la mise en place d’outils
destinés à identifier les écarts de
compétence, à anticiper l’évolution
du contenu des métiers et à mieux
maîtriser les qualifications nécessaires à l’entreprise, et ce pour
construire des parcours professionnels motivants adaptés à chaque âge.
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Développements
Ce dispositif se décline autour de
trois axes :
1. L’ARTICULATION
DU SYSTÈME
Ces parcours professionnels assurent
la motivation à tous les âges au travers d’une redynamisation des carrières.
D’ÉVALUATION ET DE LA POLITIQUE
DE FORMATION
3. UNE GESTION DES CARRIÈRES
Le système d’évaluation annuel
désormais basé sur les compétences,
couple l’entretien d’évaluation avec
le recueil des besoins de formation
en liaison avec les perspectives
d’emploi et les souhaits de mobilité
des salariés.
L’entretien annuel d’évaluation de la
performance garantit ainsi une
meilleure connaissance des collaborateurs, de leurs compétences, aspirations et potentiels.
Le plan de formation s’articule
autour de l’évaluation des besoins
stratégiques définis dans le Business
Plan et de l’identification des
besoins individuels. Un budget spécifique est réservé aux salariés considérés comme ayant des problèmes
d’employabilité (fixé à 0,2 %).
Des comités carrières sont maintenant réalisés chaque année pour
tous les salariés avec un focus sur les
salariés ayant plus de 7 ans dans leur
poste, plus de 15 ans d’ancienneté et
les plus de 45 ans. Il permet d’identifier les compétences clés, les personnes à risques…
Chaque manager est dorénavant
plus impliqué sur le devenir de ses
salariés.
2. DANS
UNE PERSPECTIVE
DE MOBILITÉ INTERNE/EXTERNE
Il s’agit de rendre les salariés plus
mobiles en interne et lorsque ce
n’est plus possible de faciliter le
reclassement externe sur le marché
de l’emploi.
Une mobilité interne est favorisée
par une bourse des emplois disponible sur l’ensemble du groupe
(Hermes).
La mobilité est une co-responsabilité de l’entreprise et des collaborateurs, qui a été reconnue dans une
“charte de mobilité” du groupe Siemens France.
Gérer la transition
Un accord à durée déterminée
de cessation progressive d’activité…
L’approche de la gestion des âges
entre dans une phase transitoire. La
nécessité de renouveler une pyramide des âges inadaptée, de préparer l’avenir obligent à recourir à
des départs de fin de carrière anticipés.
Un accord cadre du groupe Siemens a été négocié en juin 2005. Il
fait l’objet de négociation dans
chaque entreprise pour la mise en
place d’un dispositif de cession
d’activité programmée pour les
salariés dont la volonté est de
prendre leur retraite de façon progressive et concertée.
Cet accord permet au salarié de
préparer sa retraite, deux ans avant
que celle-ci soit effective, par un
dispositif responsabilisant pour l’entreprise et le salarié, sans être à la
14
charge de la collectivité (aucun passage par la “case” Assedic).
… dont la logique diffère radicalement de celle du passé
Cet accord, qui vise à répondre à
l’attente légitime d’une partie du
personnel de cesser leur activité
avant l’âge légal de départ à la
retraite, a pour ambition de permettre aux salariés volontaire de
Siemens en France :
• de cesser leur activité par anticipation, grâce à un programme de Cessation Progressive d’Activité ;
• de bénéficier d’un dispositif transitoire entre l’activité qu’ils exercent
au sein de leur entité et la retraite ;
• de leur assurer un revenu dit de
remplacement jusqu’à ce qu’ils puissent prétendre à la liquidation d’une
retraite à taux plein auprès de la
Sécurité Sociale et d’une retraite
complémentaire AGIRC/ARRCO.
Il facilite ainsi la planification des
recrutements, la transmission des
savoir-faire par le biais de tutorat.
Cet accord n’est qu’un dispositif
transitoire de gestion de la fin de
carrière des seniors. Le préambule
de l’accord indique clairement qu’il
ne s’inscrit pas dans le schéma bien
connu de mise à l’écart des seniors,
mais accompagne la mise en place
progressive d’une politique de gestion des âges.
Au terme de cette transition, le
départ en retraite constituera le
mode normal de cessation d’activité.
JEAN LE GAC
Directeur des Affaires Sociales Siemens France
[email protected]
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Seniors en PME:
ouvrir le champ des possibles
Si l’emploi des seniors occupe une place croissante dans le débat social,
s’il commence à prendre corps (sous forme d’accords) dans quelques
grandes entreprises, force est de constater que la très grande majorité des
petites et moyennes entreprises semblent aussi dubitatives que démunies
face au choc démographique annoncé et à ses conséquences sur l’emploi.
P
our autant, les PME sont et
seront soumises d’une part à
des départs en nombre des
“papy boomers” entraînant
des difficultés telles que la perte de
savoir-faire. D’autre part, elles
seront confrontées aux impératifs
d’allongement des parcours professionnels pouvant engendrer davantage de pénibilité, de la lassitude,
une inadaptation des postes de travail, des tensions intergénérationnelles, des problèmes de mobilité…
Il s’agit pour l’ANACT et le réseau
des ARACT d’inviter ces entreprises à ne pas rester passives et
de les accompagner dans des
démarches d’anticipation et de prévention des impacts du vieillissement au travail afin de maintenir
leurs performances.
Sortir des logiques de la
“bricole”…
L’étude de l’ARACT Ile-deFrance, de l’ARETE et de la
CGPME 91, menée en 2004 auprès
d’une douzaine de PME, montre
que “si la Gestion des âges n’est pas
identifiée comme une problématique prioritaire, elle est néanmoins
présente, intégrée dans des
approches de gestion de ressources
humaines peu formalisées, fortement individualisées et effectuées
au cas par cas”. La gestion des âges
n’est pas une question nouvelle
pour bon nombre de petites entre-
prises, mais elles n’en mesurent
peut-être pas assez l’acuité.
D’une manière générale, les petites
entreprises se caractérisent par une
plus faible présence de seniors.
Lorsqu’ils sont en activité dans les
PME, ils ont souvent vieilli avec
l’entreprise. Ils représentent une
ressource essentielle par leur expérience, leurs savoir-faire et la
confiance accordée par leur patron.
Lorsque l’avancée en âge d’un ou
plusieurs salariés “reconnus” équivaut à l’émergence d’inaptitudes
nécessitant de revoir le poste de travail, le collectif de travail fait souvent preuve de solidarité, de
débrouillardise et de souplesse pour
les maintenir en activité. Il existerait
donc des marges de manœuvre,
malgré les faiblesses déclarées de
moyens. Reste que ces solutions
organisationnelles, dépendantes fortement des modes de management,
sont généralement synonymes d’actions curatives de court terme et
individualisées.
Par ailleurs, on ne peut occulter les
nombreuses pratiques d’exclusion
naturalisée pour les salariés vieillissants. Ils partent d’eux-mêmes ou
sont invités à partir, principalement
aux motifs qu’ils développeraient
des inaptitudes ne permettant plus
de suivre les rythmes ni de s’adapter
aux changements technologiques et
organisationnels.
Les chefs d’entreprise estiment
communément avoir une bonne
connaissance de leurs salariés du fait
EXEMPLE 1
Dans cette PME du textile, plus d’un salarié sur deux a plus de 45 ans. La plupart ont une
très forte ancienneté (25 ans et plus). L’accroissement de la pression du marché et des
exigences des clients a entraîné restructuration et intensification du travail qui se répercutent sur la santé des salariés. Les futurs nombreux départs à la retraite posent un problème de perte de savoir-faire d’une population fortement expérimentée, accentué par les
difficultés de recrutement pour des métiers peu attractifs. La démarche engagée a consisté
à:
- Mettre en place une gestion prévisionnelle des âges : repérage à moyen et long termes
des futurs départs et états des lieux des ressources humaines internes pouvant les suppléer,
- Redéfinir les tâches attribuées aux personnes ayant développé des TMS et la prévention
de ces risques,
- Développer des passerelles entre métiers, et une harmonisation de certaines activités,
- Améliorer l’attractivité interne : déploiement d’une dynamique professionnelle, redéfinition du système de classification, développement de la politique de formation,
- Améliorer l’attractivité externe : création de partenariat avec les établissements scolaires,
intégration structurée des nouveaux recrutés.
15
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Développements
de la proximité inhérente à la taille
de leur structure. Néanmoins ils
ont peu d’éléments pour une gestion prévisionnelle de leur personnel. Ils ne possèdent pas
d’indicateurs précis sur leur pyramide des âges, pas plus que de
données relatives à la santé.
… et engager des
actions d’anticipation
Il existe cependant des exemples
d’actions engagées montrant des
capacités d’anticipation des PME
sur des problématiques liées à la
gestion des âges. Ces actions peuvent être menées à l’échelle d’une
entreprise (voir encadrés “exemples 1
et 2”). Elles commencent également à émerger au niveau interentreprises.
Si les solutions de l’exemple 1 peuvent paraître relativement basiques
pour un professionnel des ressources humaines aguerri, elles
illustrent toutefois le besoin d’objectiver les données sociales afin de
modifier
les
représentations
(notamment des dirigeants). Cet
exemple souligne aussi qu’une
demande sur la perte de compétences et la faible attractivité peut
impliquer de reposer la problématique sous l’angle de la santé, de la
prévention des usures professionnelles et des conditions d’exercice
du travail.
Le second exemple développe
davantage un mode de régulation
qui renvoie au volontarisme des
acteurs, en particulier du dirigeant,
EXEMPLE 2
Dans une entreprise de mécanique spécialisée d’une cinquantaine de salariés, le travail se
fait toujours à façon et nécessite au moins cinq années d’expérience sur le terrain. Son
dirigeant a demandé à l’ARACT de réfléchir à la transmission des savoirs dans la perspective à moyen terme de départs importants à la retraite. Il est repéré également une forte
inadéquation entre les profils des jeunes candidats et les exigences des postes. L’action a
consisté à mettre en place un système de tutorat
Afin de garantir son efficacité, la démarche s’inscrivait dans la durée (action pluriannuelle)
pour bien anticiper les départs des anciens tout en favorisant l’intégration des jeunes. Il a
fallu organiser le travail en binôme. Enfin, les nouvelles compétences des tuteurs (suivi d’un
stage de formation pédagogique) ont été reconnues financièrement (augmentation des
salaires).
Cette action a permis de remotiver les tuteurs par la reconnaissance de leurs savoirs et la
possibilité de les transmettre avant de cesser leur activité.
à inscrire sa démarche comme un
ressort stratégique essentiel à la
survie de son entreprise.
Néanmoins, les chefs de petites
entreprises se déclarent souvent
dépourvus de moyens d’action :
possibilités limitées de mobilité
interne (fonctionnelle et hiérarchique), difficulté pour envoyer un
salarié en formation, pour adapter
les postes… De plus, l’accroissement des contraintes de marché
engendrerait une intensification des
charges de travail, limiterait le
nombre de postes “doux” et surtout
ne permettrait pas de se projeter
dans l’avenir et donc d’offrir des
perspectives d’évolution professionnelle aux salariés vieillissants. Ces
difficultés à rechercher des solutions singulières, combinées au
phénomène de masse que constitue
le vieillissement de la population
16
active, invitent à trouver des solutions collectives au niveau professionnel et/ou territorial. Des
secteurs tels que le bâtiment ou
l’agriculture, confrontés à des pénuries de main-d’œuvre et des problèmes de gestion de fins de
carrière, se sont déjà engagés dans
ces dynamiques. Aujourd’hui, ces
exemples se multiplient (encore
timidement), par exemple, dans les
métiers du logement social ou du
secteur sanitaire et social. Des initiatives sont également amorcées au
niveau territorial (région, bassin
d’emploi) afin de sensibiliser les
entreprises et d’améliorer l’employabilité de seniors en PMEPMI.
BENOÎT LEPLEY
Chargé de mission ARACT Ile-de-France
[email protected]
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De l’analyse
à la gouvernance des savoirs
Le groupe Thales a commencé à analyser les risques de perte de savoirs
stratégiques liés aux futurs départs en retraite. Des expérimentations
sont lancées.
L
a gestion stratégique du capital
humain est aujourd’hui reconnue par les entreprises dans le
monde entier comme un
enjeu majeur de compétitivité ; 70 %
des grandes entreprises la considèrent comme un élément clé de leur
stratégie. Nous avons pu entrevoir
auprès de Thales et de plusieurs
entreprises de l’aéronautique que
l’annonce de perturbation démographique a été une stimulation
réelle pour que les directions des
ressources humaines se posent de
nouveau des questions sur leurs
modalités de gestion des savoirs et
des compétences. Les difficultés
constatées dévoilent une insuffisance
prospective dans la gestion des
savoirs de chaque organisation. Le
repérage des risques autour des
savoirs stratégiques est une approche
qui conduira notamment à clarifier
les urgences, identifier, localiser,
caractériser, estimer la valeur de ces
savoirs, définir et justifier les actions
de transmission, prioriser les typologies de savoirs à sauvegarder. Ce travail permet de répondre aux questions suivantes : quels types de savoirs
doit-on capitaliser ? Qui détient ces
savoirs dans l’entreprise ? À quels
endroits dans l’entreprise ? Sous
quelle forme ? Quels sont les enjeux
et les risques associés ?
C’est bien le projet validé par le
DRH groupe de Thales que nous
souhaitons vous présenter rapidement. Le lancement de la phase
exploratoire des risques autour des
savoirs stratégiques des seniors a pu
voir le jour fin juin 2004 dans la pre-
mière unité pilote (ATM). Il s’agissait, à ce stade des opérations, de
mesurer le degré de risques effectifs
autour des départs envisagés. Ainsi,
ceci nous a amenés à investir les
savoirs mobilisés par les experts
seniors. La réalisation de l’inventaire
des savoirs combinatoires mobilisés
lors de situations problèmes typiques
et/ou significatives, a constitué le
corpus des ressources en situation
que nous souhaitions identifier.
Savoirs cachés
Ce travail d’investigation chez Thales
a permis de confirmer et de valider
le périmètre d’une problématique
réelle. Au-delà de cette dimension,
cette action pilote au cœur de cette
unité de l’entreprise, prise comme
laboratoire socio organisationnel,
avait comme objectif de mettre en
œuvre des expérimentations adaptées en fonction de la famille professionnelle, des missions retenues
comme stratégiques, du contexte et
du parcours professionnel (ancienneté, réorganisation, compétences en
œuvre, historique professionnel,
motivation individuelle, relation aux
savoirs…). Nous avons pensé les
savoirs d’action en relation et
construction mosaïque à partir de
savoirs cachés, savoirs d’expérience,
savoir-faire relationnels, savoirs
contextuels, savoirs informels.
Notre investigation réalisée autour
d’entretiens, s’est construite à partir
d’un panel de 12 experts, choisis par
les managers opérationnels. Ce
panel, qui ne se voulait pas exhaus-
17
tif, avait pour fonction de repérer et
d’identifier les missions les plus stratégiques pour l’unité. En phase préparatoire aux entretiens, le manager
opérationnel a mené des communications individuelles auprès de
chaque expert. Ceci avait pour
ambition dans un premier temps, de
démystifier les représentations renforcées par une longue pratique
managériale de mise en préretraite.
D’autre part, d’expliciter les enjeux
stratégiques de cette démarche portant sur l’investigation de leurs
savoirs agissants. Nous avons accompagné les experts, autour d’une
grille d’entretien, afin qu’ils choisissent les expériences les plus marquantes, dégagent les situations les
plus stratégiques et retracent, par un
exercice réflexif, leurs combinatoires
de savoirs. L’enjeu étant là, de cerner
les diverses typologies de savoirs
mobilisés dans l’action et de caractériser le niveau de criticité s’y rattachant.
Cette action continue chez Thales
dans sa phase de transmission, mais
cette année, c’est sur d’autres terrains
pris comme pilotes que va continuer
cette expérimentation réelle porteuse d’enseignements stratégiques.
La période du retournement démographique va nécessiter une nouvelle gouvernance des savoirs.
“À vouloir résoudre les questions de
demain avec les outils d’hier, nous avons
les problèmes d’aujourd’hui.”
HERVÉ SERIEYX
MICHEL LEBELLE
Ingénieur en stratégie et ingénierie
de formation d’adultes Chercheur à Paris X
sur la gestion des savoirs en entreprise
[email protected]
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Développements
L’engagement social et associatif
en fin de carrière
Quelques entreprises, comme EDF/GDF, Sanofi-Aventis ou Schneider Electric incitent leurs salariés en fin
de carrière à s’engager dans la vie associative. Après une première expérience réussie avec la Fondation de la
deuxième chance, le groupe SEB va lancer une campagne d’information sur l’ensemble de ses sites français.
E
DF/GDF a signé en 1998 un
accord créant l’activité partagée qui prévoit dans les deux
années précédant le départ en
retraite, la possibilité pour les agents
de disposer d’une journée par
semaine, rémunérée, pour se consacrer à une activité associative. La
condition exigée pour utiliser ce
dispositif est que l’engagement
associatif ait un lien avec le métier
de l’entreprise, par exemple favoriser le transport électrique pour des
populations défavorisées.
Dans le cadre de sa politique de
mécénat, Sanofi-Aventis organise
pour les salariés de plus de 55 ans
une journée de sensibilisation au
bénévolatintitulée La cessation anticipée d’activité, une opportunité pour s’engager dans le bénévolat.
Un partenariat avec
France Bénévolat
Schneider Electrics, dans son site de
l’Eure, monte un programme de
trois séances d’une demi-journée
en partenariat avec France-Bénévolat
à destination de ses collaborateurs
en fin de carrière. Information et
sensibilisation collective, précèdent
une séquence individualisée permettant de construire un projet
personnel d’engagement associatif
bénévole.
IBM France s’interroge, à l’occasion de la mise en place de systèmes
de départs anticipés “maison”, sur
l’opportunité de proposer aux
bénéficiaires potentiels une alternative “d’utilité sociale” par le biais
d’activités bénévoles volontaires,
avec un dispositif incitatif.
Comment analyser ces actions ou
projets qui émergent, encore rares
mais significatifs ?
Les entreprises se donnent-elles
“bonne conscience” en favorisant
pour les seniors autre chose que l’alternative entre le travail plus ou moins
investi et l’inactivité rémunérée?
Sont-elles conscientes qu’une
contribution à l’enrichissement de
la vie de la cité, un meilleur équilibre de vie des personnes en fin de
parcours professionnel, se traduiront dans une image plus flatteuse
pour elles ?
Des dirigeants soucieux de la
dimension éthique et sociétale
cherchent-ils à concrétiser leurs
convictions ?
Est-on en train de réaliser que l’allongement de la vie, le vieillissement au travail, créent de nouvelles
conditions et enjeux pour ces
vagues de “seniors” qui sont autre
chose qu’une cible de consommateurs ?
Le Groupe SEB a mis en place en
2004 une Direction du Développement Durable. Elle a élaboré
une politique et lancé des projets,
notamment en matière de
Responsabilité Sociale et Sociétale
de l’Entreprise (RSE). Le Mécénat
Social est centré sur une cause : la
lutte contre l’exclusion (le “mieux
vivre pour tous”). Un des axes retenu est celui de l’insertion professionnelle, en s’appuyant sur l’esprit
d’entreprendre, une valeur-clé qui
fonde la culture de l’entreprise, avec
18
la capacité d’innovation.
Seb est donc partenaire de la
Fondation de la Deuxième Chance
et met en œuvre un soutien financier et du mécénat de compétences
pour accompagner des personnes
en “rebond de vie”, porteuses d’un
projet de création d’activité individuelle, qui bénéficient ainsi d’un
sérieux coup de pouce.
Une équipe de volontaires a été
constituée pour le site-relais de
Lyon de la Fondation. Composée
de salariés, dont des seniors en fin
de carrière du Groupe Seb-Calor
de la région et de récents retraités,
elle se charge d’étudier les projets et
d’accompagner les porteurs en parrainage.
Les salariés consacrent quelques
heures par mois, sur le temps de
travail, à cette mission qu’ils
mènent en équipes mixtes de deux
ou trois, avec des retraités de l’entreprise (ainsi que d’associations de
seniors comme Egée, Agir abcd…).
Une deuxième équipe de salariés se
met en place sur le site-relais
d’Annecy avec des salariés de TefalRumilly.
L’entreprise poursuit dans cette
démarche volontariste plusieurs
objectifs :
- donner la possibilité à des salariés
qui le souhaitent et ont envie d’être
utiles sur le plan social de contribuer à des projets humanitaires de
proximité cautionnés et appuyés
par l’entreprise qui y consacre des
moyens ;
- permettre à des seniors de faire
l’apprentissage du bénévolat (et de
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préparer ainsi pour certains des
activités associatives qu’ils assumeront à la retraite) ;
D’ABORD
RÉTICENT,
- développer des pratiques d’actions
inter-générations ;
- fédérer des salariés et d’anciens
MICHEL
DÉCOUVRE
UN NOUVEL UNIVERS
Michel L. a bientôt 59 ans. Ingénieur logisticien dans un groupe de produits de grande
consommation, il y a passé la plus grande partie de sa carrière.
Service Méthodes, Fonction Organisation, Directeur d’usine, Responsable des systèmes d’information Centraux, il a connu une belle trajectoire. Il est chef de projets logistiques internationaux, au siège du Groupe, depuis pas mal d’années. Sa mission consiste à étudier des
projets de logistique physique et de distribution (flux de produits, entrepôts…), à la
demande et à assurer leur suivi fonctionnel lorsqu’ils sont lancés. Il vient rencontrer le DRH
pour lui faire part de sa lassitude : une certaine routine, beaucoup de projets reportés ou
qui ne débouchent pas, un job très fonctionnel où il souffre de l’indépendantisme de beaucoup de filiales, une rémunération qui stagne… un peu d’aigreur et surtout le désir de partir.
Son épouse a pris une pré-retraite, il reste le seul de sa promotion de l’école des Arts et
Métiers encore en activité professionnelle.
“Place aux jeunes ! Vous allez bien me trouver une solution de départ !”
Plus de FNE dans l’entreprise, pas de possibilité de départ anticipé, une transaction est hors
de question, la politique est désormais de partir au mieux à 60 ans, si les trimestres sont
acquis pour les droits à pension de retraite. C’est clair et net et “en plus on doit montrer
l’exemple pour les cadres et au siège du Groupe”.
Un projet local d’insertion de titulaires du RMI, mené à l’instigation de la mairie et en partenariat avec des entreprises de la région a débouché sur la création d’une association d’accompagnement à l’emploi. Cette structure recherche des compétences d’appoint venues
de l’entreprise. Le DRH propose à Michel L. de collaborer à mi-temps avec cette association, en lui apportant tout son vécu d’homme de l’industrie. D’abord déçu et réticent,
Michel finit par accepter “pour voir”.
Ce sera une réussite. Détaché à temps partiel pendant un an, très bien intégré dans l’équipe
de l’association qui lui reconnaît rapidement de fortes compétences et une efficacité exemplaire, il découvre le champ social, une utilité évidente à court terme, il fait preuve de
grandes qualités relationnelles, et retrouve du tonus et une perspective nouvelle qui rejaillit
sur ses projets logistiques.Y compris son patron qui ne le reconnaît plus.
Il avouera en partant un an plus tard :“J’ai découvert cet univers de gens qui galèrent et tout
ce qu’on peut faire pour eux, et j‘ai préparé mon futur de retraité actif ”.
19
salariés autour d’une ambition de
responsabilité sociale, au-delà des
limites de l’entreprise, là où elle est
implantée ;
- donner de la visibilité à son
engagement vis-à-vis de l’environnement et concrétiser son image
en matière de Développement
Durable sur le registre social.
SEB concrétise ainsi ses objectifs
d’entreprise citoyenne et sa volonté
de renforcer la cohésion interne, en
intégrant les aspirations de ses collaborateurs qui sont incités de cette
façon à s’engager et à préparer leur
rôle futur.
L’expérience menée en région
lyonnaise depuis deux années est
très concluante. Un deuxième siterelais va s’organiser sur la région
d’Annecy (Seb-Tefal). Une campagne d’information va démarrer
sur la quinzaine des autres sites du
Groupe en France, pour sensibiliser
et susciter des volontaires qui iront
rejoindre les équipes locales de la
Fondation, animées par d’autres
entreprises partenaires (plus de quarante sites-relais dans toutes les
villes, grandes ou moyennes).
CHRISTIAN PIN
Ex DRH du groupe SEB,
Délégué de la Fondation de la deuxième
chance pour le grand Lyon
[email protected]
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Développements
Déplacer l’effort de formation
vers les quadragénaires et plus?
L’accès à la formation professionnelle continue ne va pas de soi pour
les plus de quarante ans. Les organismes sont peu sollicités et rares
sont ceux qui ont développé une ingénierie adaptée à ce public.
D’
une façon générale, en
dehors des phénomènes de
reconversion contraints ou
non (apprendre un nouveau
métier en milieu de carrière) l’engagement en formation suppose des perspectives ou des projets professionnels.
La formation professionnelle continue
(FPC) ne repose pas sur la supposée
attirance des personnes à acquérir des
connaissances en soi, non pas que le
goût pour acquérir de nouveaux
savoirs ne soit pas légitime ou honorable mais c’est précisément ce postulat qui entraîne la formation
continue vers les plus éduqués, les plus
diplômés et les plus qualifiés.
La société française bute donc sur
les conséquences de la prise de
conscience tardive que l’accès à la
FPC ne va pas de soi pour les moins
qualifiés et les plus de 40 ans. Or dans
une société qui vieillit mais où les personnes sont de plus en plus aptes
physiquement et mentalement
à maintenir une activité au-delà de
60 ans (on ne fera pas de Mick Jagger
une icône d’exemplarité dans ce
domaine mais quand même…) il faut
s’interroger sur les mécanismes de
renouvellement des savoirs durant
toute la vie.
Quelques constats
Les objectifs de formation ne conservent leur légitimité que si ils sont de
plus en plus précis au fur et à mesure
que l’on évolue professionnellement.
Plus les personnes avancent dans leur
vie professionnelle et plus leur expérience relativise le rôle des systèmes
de formation dans l’acquisition de
savoirs techniques ou procéduraux.
L’accélération des mutations du travail a certes mobilisé la FPC durant
ces 30 dernières années mais de façon
infime par rapport aux phénomènes
d’auto-apprentissage, d’apprenance,
d’adaptation en situation de travail,
etc. Si les salariés, à tous les niveaux, se
sont adaptés à la plupart des changements techniques ou procéduraux,
certains ont eu plus de difficulté face
aux changements organisationnels ou
managériaux, précisément là où les
organismes de formation sont moins
préparés à intervenir. Dans un certain
nombre de cas, la non-maîtrise des
savoirs de base a été un obstacle à
cette adaptation ce qui a révélé
d’ailleurs les faiblesses de notre appareil de formation qui a séparé dans la
tradition académique le traitement de
savoirs de base et l’appropriation des
techniques.
Dans cette période marquée par le
chômage de masse et de longue
durée, les trajectoires professionnelles
ont été déstabilisées et on ne peut pas
dire que la FPC aie eu un rôle correcteur très flagrant. Pour résumer, la
tendance à “sur-utiliser” la FPC avant
25 ans ou lors des périodes de chômage a affaibli le lien déjà ténu entre
FPC et parcours professionnel. Or
c’est ce lien qui donne à la FPC son
sens et son intérêt pour les salariés. Si
la FPC ne sert pas à progresser professionnellement (exercer des activités plus riches ou plus
intéressantes), personne ne peut
penser qu’elle peut servir à régler le
problème du chômage.
20
L’appareil de FPC français est très peu
sollicité pour anticiper des progressions professionnelles après 30 ans
(obtention de savoirs permettant de
compléter des acquis expérientiels
insuffisants pour occuper un emploi
plus qualifié). Le scénario est plutôt
d’envoyer en formation des salariés
qui ont acquis des compétences par
l’expérience et dont on pense
qu’elles ont besoin d’une consolidation académique (formalisée par un
diplôme) dans ce champ de connaissances déjà acquis. Ce registre ne
mobilise donc que très peu les opérateurs capables d’accélérer un processus expérientiel de montée en
compétences par des contenus et des
méthodes pédagogiques appropriées.
Or c’est cette vocation d’accélérateur
qui est la première valeur ajoutée
d’un organisme de formation qualifiant (réaliser une acquisition de
savoirs par des méthodes intensives et
attractives).
Des repères RH
La mobilisation de la FPC dans la
gestion des âges dans l’entreprise doit
permettre cette réconciliation et se
confronter à l’expérience des salariés
sur ce plan. La façon dont chaque
quadragénaire analyse son évolution
professionnelle est une des clefs de
compréhension de la façon dont la
FPC peut ou non lui apparaître
comme utile pour son avenir.
Trois cas de figure s’imposent:
• carrière stagnante
• carrière ascendante
• carrière déclinante
Pour une DRH ou un service de formation soucieux d’instrumenter sa
politique de FPC dans le champ de la
gestion des mi-carrières, il faut pro-
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céder à une telle investigation personnalisée et collective afin de distinguer les faits objectifs et subjectifs (le
sentiment qu’éprouve le salarié, sa
trajectoire réelle, son image auprès
des collègues et hiérarchiques) avant
d’aborder la question des objectifs de
formation.
Cette analyse suppose un climat de
confiance fort entre la DRH et les
salariés sinon mieux vaut faire appel à
un conseil externe sur ce plan sachant
établir le lien entre une carrière, une
identité et l’expression de besoins de
formation.
Les objectifs de formation ambitieux
et crédibles doivent comporter une
part de rupture et une part de
confortation des acquis dans des
dosages différents selon la situation
dans un schéma de ce type:
carrière
stagnante
carrière
ascendante
carrière
déclinante
éléments
de rupture
éléments
de confortation
50
50
30
70
70
30
Plus les personnes sont auto-dévalorisées plus elles redoutent les situations de rupture. Ce blocage nécessite
une instrumentation d’amont de
type:
• repérage des compétences génériques (habiletés, compétences transverses, etc. qui dépassent les
compétences très techniques et très
spécialisées);
• VAE;
• bilans de compétences;
• etc.
Cela afin de valoriser l’expérience
acquise. Mieux vaut éviter d’attendre
les phases de démobilisation et de distanciation à l’égard de l’engagement
professionnel pour mobiliser la formation (l’instrumentation sera plus
lourde avec des résultats moins probants sauf contexte très favorable). Ce
choix milite pour:
• le développement des pratiques
préventives en FPC;
• une meilleure liaison entre formation et reconnaissance (certification);
• une amélioration de la compréhension des processus d’autoformation;
• une meilleure appréciation (évaluation) de la valeur ajoutée de la formation organisée et des prestataires
externes.
Ces préoccupations dépassent les services formation et concernent
d’abord l’encadrement de proximité
qui doit s’approprier le champ du
développement du patrimoine de
compétences et de connaissances de
leurs équipes.
Renforcer l’ingénierie
en formation d’adultes
En tout état de cause la définition de
la formation dans le champ du traitement des quadragénaires qui allient
une expérience et un rapport plus
distant à l’égard des modèles pédagogiques scolaires, doit être plus charpentée et explicitée que s’il s’agissait
de jeunes.
Compte tenu du faible effort de formation français à l’égard de cette
population il n’y a pas beaucoup
d’organismes de formation qui ont
développé une ingénierie adaptée à
cette population qui devient de plus
21
en plus importante. Les repères pour
légitimer un engagement en formation après 40 ans sont donc peu courants, peu explicités et ne permettent
pas d’établir des signaux suffisants
pour modifier le doute ambiant à
l’égard de l’engagement formatif
“tardif ”. Ces repères consistent à rassurer les individus sur leurs capacités
cognitives mais aussi et surtout sur
l’environnement de l’emploi souvent
caricaturé (les gens ignorent la réalité
du marché de l’emploi, l’évolution
des contenus d’emplois, les zones de
transférabilité des compétences, etc.).
• Il y a une expérience à traduire qui
doit être appréhendée comme point
d’appui mais aussi comme verrou par
rapport à certaines options d’évolution ou opportunités.
• Il y a une instrumentation spécifique à développer sur le plan pédagogique car à 40 ans et plus, la façon
d’apprendre (style d’apprentissage)
s’est consolidée ou rigidifiée (il faut à
ce niveau réactiver des mécanismes
d’apprentissage qui ont été sousutilisés plutôt que d’enfermer les
personnes dans leurs options).
• Le choix d’opérateurs externes possédant un crédit et une identité forte
est important. L’offre de formation en
France est très tournée vers les jeunes
et les formateurs ont développé des
façons de faire qui passent plus mal
avec des personnes expérimentées.
• Les méthodes et les contenus de
formation doivent être appropriés à
un public MIXTE (rien de pire
qu’une pédagogie pour vieillissants!).
PAUL SANTELMANN
Responsable de la veille prospective à l’AFPA
[email protected]
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Développements
73 % des cadres ne souhaitent pas travailler
au-delà de 60 ans
À l’occasion des négociations interprofessionnelles sur l’emploi des salariés âgés,
rendues obligatoires par la loi du 21 août 2003 portant réforme des retraites,
l’Ugict-Cgt (Union générale des Ingénieurs, Cadres et Techniciens Cgt)
a mené une enquête auprès des cadres et professions intermédiaires âgés
de plus de 45 ans, du secteur privé et du secteur public.
I
l s’agissait d’approcher au plus
près la réalité de ces catégories
professionnelles pour en tirer des
enseignements revendicatifs.
Le questionnaire a été élaboré avec
l’aide de l’institut de sondage
Enquête & Opinion qui en a présenté les résultats.
Qu’est-ce qu’un
ou une senior ?
Prenant appui sur la réforme des
retraites, le patronat et le gouvernement les situent dans la tranche des
55/64 ans. Car si cette réforme a
maintenu l’âge légal de la retraite à
60 ans, elle s’est aussi donné comme
objectif de faire remonter cet âge en
allongeant la durée de cotisations
nécessaire pour une retraite entière
et en créant un mécanisme de surcote pour les retraites liquidées après
l’âge légal.
À noter cependant que le vécu dans
certaines entreprises, quant aux
conditions de travail, à la formation
QUEL
EST LE POIDS
DES CADRES ?
Selon l’Insee, en 2003, parmi les salariés
de plus de 50 ans, 20,4 % exerçaient des
professions intermédiaires, 17,8 % étaient
cadres et professions intellectuelles supérieures, 23,3 % étaient des femmes toutes
catégories confondues.
professionnelle, à la progression salariale, aux déroulements de carrière,
fait que certains salariés situent les
seniors à partir de 40 ans !
À partir d’un échantillon de
300 cadres et professions intermédiaires, les réponses obtenues ont
permis de dégager les points forts
suivants.
Charge et conditions
de travail
Seuls 22 % des ingénieurs, cadres
et techniciens supérieurs interrogés
estiment que les moyens humains
mis à leur disposition pour un travail
de qualité sont suffisants. Pour 52 %
d’entre eux la principale revendication concerne la charge de travail. Ils
souhaitent une diminution de la
pénibilité du travail liée notamment
à la charge mentale.
Un double mouvement apparaît par
ailleurs: une certaine satisfaction visà-vis des horaires de travail (62 %)
mais aussi une charge de travail trop
lourde.Problème qui soulève de nouveau la question de l’organisation du
travail, thème peu discuté (du fait de
la volonté patronale) lors de la mise
en œuvre de la réduction du temps
de travail.
Motivation et aptitude
au changement
Si 59 % des ingénieurs, cadres et
techniciens expriment le sentiment
de ne pas avoir évolué dans leur tra-
22
vail et 72 % celui de ne pas savoir à
quoi ils servent dans l’entreprise.
Apparente contradiction, ils sont
pourtant 74 % à trouver leur travail
intéressant tout en se sentant peu ou
pas associés à la prise de décisions, et
83 % à se déclarer capables de travailler autrement. Ainsi se trouve
battue en brèche l’idée selon laquelle les seniors seraient dans l’immobilisme ou dans le désintérêt.
L’enquête le prouve sans détour,
c’est bien d’une critique du sens et
de l’organisation du travail dont il
s’agit. Les seniors sont tout à fait disposés à se former et à s’impliquer,
pour peu que les moyens leur en
soient donnés.
Retraite
73 % des cadres ne souhaitent pas
travailler au-delà de 60 ans. Ce
score atteint 83 % parmi les professions intermédiaires. Le manque
d’années de cotisations et des raisons d’ordre pécuniaire sont les
principales raisons évoquées pour la
poursuite d’une activité salariée
après cet âge.
À noter que le cumul emploi/
retraite est rejeté par 68 %.
La retraite à 60 ans demeure donc
un repère social très fort, y compris
parmi l’encadrement, sans qu’il
s’agisse pour autant d’un âge “couperet”.
L’ensemble des résultats de l’enquête (disponibles sur le site de l’UgictCgt : www.ugict.cgt.fr, rubrique
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syndicalisme puis cadres) montrent
la distance entre les propositions
patronales liées à l’emploi des
seniors et les revendications de ces
derniers.
Leur volonté affichée est de demeurer au travail dans un emploi de
qualité, du début jusqu’au moment
du choix de la retraite. Enfin, l’enquête a confirmé un niveau différent de perception selon la place
occupée (cadres ou techniciens
supérieurs). À l’image de ce qu’elle
fait déjà pour les cadres, l’Ugict va
donc mettre en place un “baromètre
techniciens”.
CLAUDINE BOUNHOL
Animatrice du collectif
“emploi des seniors” à l’Ugict
[email protected]
Des mesures ciblées pour le retour à l’emploi
des seniors: plus de ghetto ou plus de justice?
Bien que leur nombre augmente, les chômeurs âgés sont les oubliés
des politiques de l’emploi. Peu d’entre eux bénéficient de formations.
Des mesures ciblées sont-elles opportunes ?
L
es chômeurs “âgés” sont les
oubliés des politiques de l’emploi, cinq cent mille à un million selon les sources (ANPE,
BIT, recensement). Le décompte de
ces chômeurs est déjà un problème à
part entière. Les Dispensés de
Recherche d’Emploi par exemple ne
sont pas comptabilisés de la même
manière, chômeurs pour certaines
sources, préretraités pour d’autres…
Dans tous les cas, c’est la définition
des frontières entre le chômage et
l’inactivité qui est en cause.
Aujourd’hui, dans la plupart des
débats sur le thème de l’âge et du travail on observe un large consensus sur
l’idée qu’il ne faut pas traiter à part les
plus “âgés” au nom des risques de
stigmatisation voire de ghettoïsation.
On peut s’interroger sur la pertinence ou non d’une approche du chômage qui passerait par la mise en
place de dispositifs spécifiques, de
mesures préférentielles, envers les
seniors exclus de l’emploi. Car une
fois au chômage, la probabilité de
retrouver un emploi passé 50 ans est
très faible. Le chômage se transforme
bien souvent en chômage de longue
durée diminuant d’autant plus les
chances de retrouver un emploi alors
même que l’on demande aux gens de
travailler plus longtemps.
Des chômeurs âgés
de plus en plus
nombreux
Jusqu’à présent la politique de
l’emploi n’a jamais accordé beaucoup de place à la “ré” insertion des
chômeurs dits “âgés” qui vont pourtant augmenter mécaniquement en
nombre dans un contexte de
vieillissement
démographique.
Soulignons également que les diminutions récentes du nombre de cessations anticipées du travail dans les
dispositifs publics connaît un corollaire qui se traduit notamment par
une augmentation du nombre de
chômeurs seniors1.
Si des mesures ciblées existent ou
ont existé pour quitter le marché
23
du travail après un certain âge et
éviter le chômage, telles que les dispositifs de préretraite : ARPE,
ASFNE, CATS, CAATA… il
n’existe en revanche pas de mesure
spécifique pour le retour à l’emploi
des plus de 50 ans.
Grâce à la législation, les sorties
précoces sont apparues de plus en
plus légitimes. L’entreprise ne se
précipite pas pour embaucher des
quinquas alors même qu’elle a du
mal à s’en séparer. La contribution
Delalande2 et la perception négative qu’en ont les employeurs ne
facilitent pas la situation.
Du côté des mesures dites actives,
au sens où elles permettent le
(1) Fin 2004, la France compte 528 000
chômeurs indemnisés de 55 ans et plus,
77 % d’entre eux sont dispensés de recherche
d’emploi, soit une augmentation de 6 % par
rapport à 2003 (Dares, 2005).
(2) Mesure relative à l’âge qui initialement
(1987) taxe l’employeur en cas de licenciement
des plus de 55 ans, puis des plus de 50 ans à
partir de 1992. Depuis 2003 en cas d’embauche
d’un salarié âgé de plus de 45 ans, l’employeur,
qui bien souvent ne le sait pas, n’a pas à verser
cette contribution s’il procède ultérieurement à
son licenciement. La suppression de la mesure
a été annoncée…
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Développements
retour à l’emploi, très peu de dispositions sont prises pour les chômeurs “âgés”. Peu d’entre eux
bénéficient de formation. Les organismes de formation ne se précipitent d’ailleurs pas sur ce public.
Même s’ils se présentent comme
des organismes de formation pour
adultes, ils forment majoritairement
des jeunes adultes, plus “employables” à l’issue d’un stage. Tous
les chômeurs “âgés” ne sont pas
non plus demandeurs de formation
ce qui nécessite il est vrai une
démarche volontariste d’autant plus
difficile lorsqu’on a été en rupture
avec la formation pendant des
années voire des décennies, ce que
désormais la formation tout au long
de la vie pourra à long terme normalement atténuer.
Des chômeurs
absents des dispositifs
de réinsertion
professionnelle
Outre la formation, si l’on regarde
la place des chômeurs “âgés” dans
les mesures d’aide à l’emploi,
c’est-à-dire les contrats aidés : les
Contrats initiative emploi, les
Contrats emploi solidarité, les
Contrats emploi consolidé etc… les
plus de 50 ans y ont une part
modeste (depuis peu le nouveau
CIE semble leur laisser un peu plus
de place). D’une manière générale,
ils y sont prioritaires comme tous
les autres prioritaires : les jeunes, les
handicapés, les bénéficiaires du
RMI, de l’allocation de parents isolés, de l’allocation de solidarité, etc.
C’est-à-dire parmi tous ceux qui
rencontrent des difficultés. CIE,
CES, CEC sont des dispositifs qui
s’adressent aux plus de 50 ans au
même titre que d’autres catégories
d’âge ou d’autres bénéficiaires
potentiels.
On remarquera pourtant que des
dispositifs réservés aux jeunes existent
et se suivent (Contrat Emploi Jeunes,
contrats de qualification, contrat
d’orientation, Aide du Conseil
Régional par les chèques apprentissage, le programme TRACE, les nouveaux contrats d’embauche…). De
plus, il n’existe aucune structure d’accueil spécifique pour les plus “âgés”
comme il peut en exister notamment
pour les jeunes (Missions Locales),
pour les femmes (pour lesquelles il
existe des associations de soutien), etc.
Les politiques d’insertion ont ainsi
jusque-là procédé à des sélections
de critères dans lesquels le vieillissement n’entre jamais en compte, au
nom, en partie, de la “non-stigmatisation” qui ne s’est pourtant jamais
posée en problème pour les plus
jeunes. Les acteurs de l’insertion
l’ont bien saisi, sans outils d’action,
ils élaborent des catégories de chômeurs plus ou moins “employables”
et pour lesquels les plus de 50 ans
sont considérés le plus souvent
comme hors-jeu. La tâche de réinsertion s’avère soit trop difficile, soit
inutile au regard de la projection
dans le temps d’une retraite plus ou
moins proche, mais de plus en plus
éloignée.
L’ANPE est la première à entériner
cet abandon de fait avec bonne
conscience : “après 50 ans on ne
leur demande plus rien”.
(3) Voir notamment sur ce point la description
qu’en fait Serge Ebersold dans le chapitre I de
son ouvrage : La naissance de l’inemployable,
ou l’insertion aux risques de l’exclusion,
PUR, pp. 31-68, 2001.
24
Les chômeurs “âgés”
absents des logiques
catégorielles des
politiques de l’emploi
La majorité des acteurs de terrain
(agents ANPE, des PLIE…) est
généralement contre un traitement
spécifique par âge. Pour la plupart ce
serait une erreur de faire un traitement spécifique, le mélange des
jeunes et des plus anciens dans les
groupes de travail et de recherche
d’emploi, dans les dispositifs de formation doit permettre de donner des
résultats positifs en termes de redynamisation et il y aurait davantage
de risques par un traitement parcellisé en fonction des genres, des âges,
etc. Le débat serait ainsi clos et politiquement correct. Il se retrouve de
la même manière dans de nombreux
rapports, où l’on souligne que toute
“mesure-vieux” (par comparaison
avec les mesures jeunes), qui porterait en elle la stigmatisation de salariés en fin de carrière, déterminés à
priori comme catégorie à part, est
récusée par l’ensemble des organisations.
Le problème, c’est que les logiques
catégorielles se sont imposées depuis
le milieu des années 19803, le traitement à l’insertion également, mais
pas la pratique de l’insertion des plus
“âgés”. Catégorisations, cloisonnements ont été fortement critiqués,
pour autant ils ont bien été mis en
place. Il devient alors étonnant de ne
pas continuer de traiter l’insertion
par ces découpages pour tous. La
logique d’insertion est dominée par
des perspectives catégorielles : les
femmes, les handicapés, les jeunes, les
personnes issues de l’immigration.
Cette logique disparaît dans le traitement non catégoriel cette fois-ci des
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plus “âgés” les mettant ainsi vraiment
à part alors même qu’il leur est
demandé de travailler plus longtemps.
N’est-ce pas se voiler la face que de
croire que l’on peut traiter l’insertion
de la même façon, notamment par
exemple pour la formation, quand on
a 20 ans ou quand on en a 50?
De deux choses l’une…
Comment peut-on envisager des
formations communes quand les
rythmes d’apprentissage ne sont pas
les mêmes, mais surtout quand les
motivations, les ambitions ne se
projettent plus dans l’avenir de la
même manière ?
Depuis 30 ans la politique de l’emploi en France pour lutter contre le
chômage a toujours été établie par
morcellement réglementaire en
s’adressant aux jeunes, aux femmes,
aux handicapés… mais jamais aux
plus “âgés”, relégués dans le
meilleurs des cas vers des dispositifs
“de préretraite-chômage” (type
ACA, Allocation Chômeurs Âgés,
supprimée en 2002).
Au regard du poids historique du
traitement du chômage par catégories, pourquoi ne pas créer dans
cette logique catégorielle des dispositifs spécifiques pour l’emploi
des seniors ? À moins d’aborder le
sujet par un traitement global de
lutte contre le chômage comme au
Danemark où la question de l’emploi des seniors n’est pas séparée des
questions concernant les autres travailleurs. Faut-il alors renoncer aux
pratiques de catégorisations qui
existent en France depuis trente ans
ou enfin introduire des mesures
pour les chômeurs âgés pour qu’ils
n’apparaissent pas comme les
oubliés des politiques de l’emploi ?
La mise en place ou non de dispositifs spécifiques pour les seniors en
emploi au sein de l’entreprise est un
autre débat…
ISABELLE TARTY-BRIAND
Docteur en sociologie, rattachée au
GTM-CNRS (Genre-Travail et Mobilité)
[email protected]
Bonnes pratiques en Europe
Même s’ils sont peu développés dans les entreprises françaises, il existe
toute une palette d’outils de gestion des âges et d’anticipation face au
vieillissement démographique : formation, plans de carrière,
aménagement et personnalisation des fins de carrière, gestion des
mobilités et des compétences, tutorat… Et pour répondre à la pénibilité :
amélioration des conditions de travail, modulation du temps de travail,
allégement et aménagement des horaires, organisation du travail
spécifique, aménagement des équipements, amélioration de l’environnement et des conditions de travail résultant d’études ergonomiques,
programme d’activité sportive de mise en forme des salariés…
Ces différents outils, plus largement répandus en Europe du Nord
sont, dans une moindre mesure, utilisés dans certaines entreprises
françaises. Quels sont les obstacles à leur diffusion ?
T
out d’abord ces différents
outils ont un coût pour l’entreprise même s’ils peuvent à
moyen terme devenir béné-
fiques.
Mais bien plus que cela, soulignons
que les pratiques des entreprises en
matière de gestion des âges dépendent en partie du rôle et du poids
exercés par les politiques publiques.
Les principales études sur ce sujet
montrent en effet que l’action
publique et les instruments qu’elle a
forgés modèlent considérablement
25
les stratégies des firmes dans chaque
pays (Guillemard, 2003). Les pratiques des entreprises en matière de
gestion des âges en Europe dépendent ainsi du rôle et du poids
exercés par les politiques publiques
et sont donc fonction du degré
d’implication de l’État (faible au
Royaume-Uni, fort en France,
modulé au Danemark). Les entreprises adoptent des stratégies de
gestion de l’âge plus ou moins en
phase avec les orientations et les
instruments proposés par les politiques publiques.
Là où les configurations des politiques publiques ont multiplié les
voies de sortie anticipée et où de
surcroît l’État s’implique fortement
dans le système de relations industrielles, les pratiques de maintien ou
d’intégration du personnel vieillis-
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Développements
sant dans l’entreprise se font rares1.
Il semble bien qu’en France cette
logique de sortie anticipée ait été
poussée très loin.
On comprend en partie mieux
pourquoi les entreprises françaises se
révèlent relativement moins engagées que les autres entreprises européennes
dans
des
actions
d’embauche, de maintien ou de
réinsertion des salariés vieillissants.
La succession pendant trente ans
d’instruments publics fortement
incitatifs à la mise à l’écart des salariés âgés et favorisant leur sortie
précoce du système ont encouragé
les entreprises, en particulier celles
de grande taille, à trouver dans les
mesures d’âge une réponse aisée aux
différents problèmes auxquels elles
étaient confrontées. Une des particularités qui caractérisent la France
résulte de cette dimension culturelle
forte en matière de fin précoce de
vie active. Et on ne rompra pas aisément avec plus de 30 ans de gestion
des âges par les départs anticipés
aussi bien du côté des entreprises
que de celui des salariés qui ne
paraissent toujours pas prêts à gérer
des vies professionnelles plus
longues. Le sentiment de fin de vie
professionnelle précoce (décrit par
Eléonore Marbot et Jean-Marie
Perretti2) dans une conjoncture économique plutôt défavorable, est loin
d’avoir disparu.
La fin récente des recours aux préretraites institutionnelles (ARPE,
ASFNE, CATS, CAATA, etc.) n’est
pas sans conséquences. Si les chiffres
provisoires d’une étude du ministère
de l’Emploi montrent que le
nombre de nouvelles entrées dans
les dispositifs de préretraite a chuté
de 44 % entre 2003 et 2004 on
constate cependant une progression
importante des indemnités journalières pour arrêt maladie de longue
durée versées aux 55-59 ans (Jolivet,
2003, Devillechabrolle, 2004) et surtout une augmentation du nombre
de chômeurs seniors.
Comme le souligne Jérôme Gautier,
on assiste de ce point de vue à un
véritable phénomène de vases communicants3.
(1) A-M. Guillemard, L’âge de l’emploi,
Les sociétés à l’épreuve du vieillissement,
Armand Collin, 2003.
2) E. Marbot, J-M. Peretti, Les seniors dans
l’entreprise, Village mondial, 170 p, 2004.
(3) J. Gautié, “Les travailleurs âgés face à
l’emploi”, Économie et Statistique, n° 368,
pp. 33-42, 2004.
(4) Jeunes et seniors : regards croisés sur
l’entreprise. Enquête Ipsos/CGPME/Planète
PME réalisée auprès des jeunes de moins de
25 ans et des actifs âgés de 45 ans et plus, mai
2005. Les jeunes sont plutôt confiants à l’égard
de leur avenir professionnel qui se révèlent plus
attirés par la fonction publique et les PME que
par les grandes entreprises et les multinationales.
www.ipsos.fr/CanalIpsos/articles/1593.asp?rubId
=21
Cependant, certaines grandes entreprises françaises continuent de préférer financer des préretraites
maisons, malgré une contribution
spécifique pour diminuer leur
attractivité depuis 2004, plutôt que
d’investir dans le maintien en
emploi des seniors jusqu’à un âge
avancé. C’est notamment le comportement actuel de grands groupes
qui ne craignent pas d’être
confrontés aux pénuries de maind’œuvre annoncées. Ces grandes
entreprises restent persuadées de
leur attractivité supérieure à celle
Les PME, victimes
de comportements
prédateurs des grandes
entreprises ?
26
des PME dans un contexte où le
taux de chômage reste élevé. À
moyen terme, les PME pourraient
en souffrir, victimes de comportements prédateurs de la part de
grandes entreprises, à moins qu’elles
ne deviennent davantage attractives
aux yeux des plus jeunes. C’est
d’ailleurs ce qu’une récente enquête
Ipsos4 révèle.
Malgré ces constats plutôt négatifs
certaines entreprises anticipent tout
de même le vieillissement de leur
personnel, mais on peut s’étonner
de voir dans un même groupe des
pratiques très différentes selon le
pays où l’entreprise est implantée.
Grandes entreprises :
une gestion nationale
des ressources humaines
La gestion des ressources humaines
des groupes se fait en effet au niveau
national et rarement au niveau
transnational, comme le montre
l’exemple de Siemens.
Siemens Nederland a développé de
son côté un programme d’activité
sportive de mise en forme des salariés, ce qui est d’ailleurs encouragé
par le gouvernement. Cela a permis
de diminuer l’absentéisme ainsi que
le nombre des cas de maladies
cardio-vasculaires (ce dispositif n’a
pas été réservé exclusivement aux
salariés âgés).
Quant à Siemens en Norvège, dès
les années 1980 un programme de
mobilité et de développement des
ressources humaines a été mis en
place. Les salariés sont invités durant
tout le processus à réfléchir à leur
situation professionnelle et personnelle, l’objectif étant de prendre en
compte l’évolution professionnelle
tout au long de la carrière. La poli-
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tique de gestion du personnel a
toujours été de laisser espérer aux
salariés qu’ils feraient l’ensemble de
leur carrière professionnelle dans
l’entreprise.
Chez Siemens France, indépendamment de ces pratiques, l’accent a été
mis sur l’importance de l’entretien
d’évaluation annuel afin de mieux
anticiper les besoins en RH. L’entretien devient l’outil managerial de
référence pour la préparation du plan
de carrière et du plan de formation
et également pour l’anticipation des
actions de mobilité.
S’il ressort qu’il existe bien chez
Siemens au niveau international
une culture d’entreprise spécifique,
marquée longtemps par une cogestion de la politique sociale, il
n’en demeure pas moins que les
pratiques en matière de gestion des
âges sont très différentes selon les
pays et non coordonnées les unes
aux autres. Il n’y a pas de réflexion
en matière de gestion des ressources
humaines commune connue à travers les frontières. On observe donc
des logiques nationales (chaque
société du groupe en France a déjà
une autonomie de fonctionnement) mais il n’existe pas de
logique transnationale en matière
de gestion des âges.
On retrouve cette donnée dans
d’autres grands groupes tels que
Thales, implanté en France, au
Royaume-Uni, aux Pays-Bas, en
Allemagne et dans de nombreux
autres pays. Là non plus, il n’y a pas de
pratiques transnationales en matière
de gestion des âges. Certaines comparaisons ont certes été réalisées sur les
pyramides des âges mais pour autant
chaque pays a une gestion propre de
ses effectifs. Il n’y a pas de réflexion
commune entre les DRH des différents pays sur le sujet. L’accord
AVEC, (Accord sur la Valorisation de
l’Expérience et de la gestion des fins
de Carrières) signé en 2001 ne
concerne que la France.
Comme le soulignait la responsable
RH de Thales-France, mobilisée sur la
gestion des âges, le licenciement d’un
senior chez Thales au Royaume-Uni
ne se pose pas de la même manière et
avec les mêmes difficultés qu’en
France. On comprend une nouvelle
fois le rôle et l’impact que peuvent
avoir les politiques institutionnelles.
Pour le cas français, l’amendement
Delalande tend à freiner le licenciement des plus “âgés”.
Ces politiques peuvent rendre les pratiques françaises en décalage important par rapport à d’autres pays
d’Europe. Autre exemple, celui de
l’âge des départs à la retraite: malgré
le recul récent de l’âge de la retraite,
l’âge moyen de départ effectif reste
encore beaucoup plus bas que dans
les pays d’Europe du Nord. Dans ce
contexte d’écart important de perception, notamment de l’âge, la transposition de pratiques en matière de
gestion des âges est rendue difficile.
Les entreprises qui
recrutent des quinquas
Le recrutement de quinquas en
France est encore peu développé.
L’amendement Delalande, que nous
citons à nouveau et dont la suppression a été annoncée, y est peut être
pour quelque chose. Comment
envisager des recrutements de
seniors alors qu’il est perçu comme
difficile de s’en séparer5 ?
Les quelques entreprises françaises
qui ont recruté des seniors, principalement des commerciaux, et qui
ont communiqué sur ce thème
comme par exemple Grand
Optical, sont celles qui se sont aper-
27
çues qu’elles valorisaient leur image
auprès du grand public et donc de
consommateurs potentiels.
Ikea, détaillant de meubles suédois
et “enseigne jeune par excellence” a
réalisé une campagne de recrutement de seniors importante en
Suède et en Angleterre. Cette
entreprise de mobilier en kit a
séduit depuis longtemps la clientèle
des moins de trente ans, elle s’intéresse aujourd’hui de plus en plus
aux quadras et aux quinquas de plus
en plus nombreux à fréquenter ces
grandes surfaces.
En France, la création en février 2005
d’un nouveau magasin Ikea à l’ouest
de Paris semble s’inspirer des pratiques de l’enseigne en Suède, et
donne peut-être un signe de pratiques transnationales en matière de
gestion des âges. Le nouveau magasin
a en effet recruté une quarantaine de
personnes de plus de 40 ans pour
vendre ses produits.
Les pratiques
d’entreprises seront
modifiées si les règles
institutionnelles changent
En guise de conclusion, il ne
semble pas y avoir d’obstacle
majeur à transposer des bonnes pra(5) En mars 2003, lors de la table ronde pour
l’emploi, il avait été décidé que la contribution
Delalande ne serait pas supprimée ; toutefois,
en cas d’embauche d’un salarié âgé de plus de
45 ans, l’employeur n’a plus à verser cette
contribution s’il procède ultérieurement à son
licenciement. Alors que jusque-là l’exonération
de la contribution Delalande ne jouait que
pour les embauches au-delà de 50 ans.
Nombre d’employeurs ne semblent d’ailleurs pas
connaître cette disposition, pour nombre d’entre
eux, l’amendement Delalande reste un obstacle
institutionnel.
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Développements
POUR
ALLER PLUS LOIN
• Un site Internet a été mis en place par la fédération de l’industrie autrichienne
sur les bonnes pratiques dans différentes entreprises pour promouvoir l’emploi
des travailleurs âgés :
www.arbeitundalter.at
• Une campagne d'information sur âge et travail est menée en Grande-Bretagne :
http://www.agepositive.gov.uk
• L’emploi des salariés de plus de 55 ans en Europe du Nord,Violaine Delteil, Dominique
Redor (GIPMIS), étude réalisée pour le compte de la Dares, février 2003, 265 p.
www.travail.gouv.fr/etudes/pdf/gipmis.pdf
• Âge et conditions de travail dans l’Union Européenne, Fondation européenne pour l’amélioration des conditions de vie et de travail, Anne-Françoise Molinié, CREAPT, 2003.
http://www.eurofound.eu.int/publications/files/EF02107FR.pdf
tiques d’entreprises en matière de
gestion des âges observées en
Europe du Nord ou ailleurs. Parmi
les possibilités d’actions, une bonne
partie est déjà appliquée dans des
entreprises françaises, même si elles
sont encore trop peu nombreuses.
La difficulté n’est pas dans le fait de
trouver un bon exemple à suivre,
mais bien davantage dans la capacité
de l’entreprise à vouloir mettre en
place ce type de pratiques, ce qui
nécessite en France une évolution
des mentalités et plus difficile, une
rupture avec la logique institutionnelle prônée pendant plus de trente
ans des départs anticipés.
Les blocages entre partenaires
sociaux sur les questions relatives à
(6) Pour une approche complète se référer
au rapport de V. Delteil et D. Redor,
Le Rapport du GIPMIS, “L’emploi des salariés
de plus de 55 ans en Europe du Nord”,
étude réalisée pour le compte de la Dares,
février 2003, 265 p.
www.travail.gouv.fr/etudes/pdf/gipmis.pdf
28
l’emploi des seniors ne facilitent pas
non plus la tâche.
Enfin, rappelons que depuis le
milieu des années 1990, les pays
d’Europe du Nord s’inscrivent dans
des démarches volontaristes pour
accroître l’emploi des salariés âgés.
Les différents pays répondent par
des politiques très diversifiées qui
portent leurs fruits : approche globale du problème du sous-emploi
des plus âgés, recours à de nombreux leviers d’actions en Finlande,
aux Pays-Bas, abandon des préretraites, prise en compte des conditions de travail, recours à la
formation tout au long de la vie au
Danemark et en Suède6… La plupart des mesures prises qui visent à
promouvoir l’adaptation et le maintien des capacités de travail des salariés âgés s’inscrivent sur du long
terme, ce que la France n’a jusqu’à
présent pas réussi à faire.
ISABELLE TARTY-BRIAND
Docteur en sociologie, rattachée au
GTM -CNRS (Genre-Travail et Mobilité)
[email protected]
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Numéro 42 - décembre 2005
Le cumul emploi-retraite
Le cumul emploi-retraite est aujourd’hui un sujet d’actualité. Il est intéressant de se demander comment
nous sommes passés d’une situation dans laquelle la réglementation concernant le cumul paraissait
durablement figée à une situation où les questions de transition entre l’emploi et la retraite sont
principalement vues au travers de ce prisme.
L’
histoire se joue en quatre
étapes. La loi sur l’abaissement
de l’âge de la retraite en 1981
marque l’adoption de dispositions restrictives; pendant les vingt
années qui suivent, les dispositions
paraissent figées du côté des organisations syndicales; mais dès lors que la
question de l’emploi des seniors
devient un enjeu, le sujet du cumul
entre un emploi et une retraite
évolue et la loi du 21 août 2003
apporte plusieurs modifications; l’importance de plus en plus grande
donnée au développement de l’emploi des seniors conduit à rouvrir très
rapidement le débat, avec diverses
(1) “Cumul emploi retraite”, Jean-Marc Boulanger, rapport remis au Conseil d'orientation des
retraites le 6 mars 2003. (Rapport en ligne sur
le site du COR, www-cor-retraites.fr)
(2) On rappellera que la loi de 1981 assortit
la condition d’âge d’une durée de cotisation
de 37,5 ans dont le non respect entraînait
une décote très dissuasive de 10 % par année
manquante, ce qui touchait une proportion non
négligeable de femmes et atténuait le coût
financier de la mesure.
(3) Certaines activités ont été exclues de cette
règle parce qu’elles fonctionnaient, dans certains
cas, très largement avec des retraités. Ce fut
le cas, par exemple, pour les activités juridictionnelles largement exercées dans certaines
juridictions spécialisées par des retraités.
(4) Mme Nicole Questiaux.
(5) Avant 60 ans, aucune limite n’était fixée,
en raison principalement de la situation des
militaires dont il ne pouvait être considéré que les
retraites parfois très précoces pouvaient permettre
de vivre sans travailler.
(6) “Le cumul emploi-retraite”, 1999, rapport
présenté par M. Dominique Balmary à
Mme Aubry, ministre des affaires sociales.
prises de position en faveur d’une
déréglementation, qui soulèvent de
très nettes réticences des partenaires
sociaux.
Comme on le verra, le débat, devenu
beaucoup plus vif, reste doublement
circonscrit. Il ne donne pas lieu, pour
le moment, à des prises de position
politiques et il est très rarement situé
dans le contexte de l’ensemble des
réglementations relatives à la transition entre l’emploi et la retraite.
La retraite à 60 ans
et les restrictions au
cumul emploi retraite
Comme l’indique le rapport de
M. Boulanger1, le principe qui prévaut depuis vingt ans est celui d’une
limitation des possibilités de cumul
d’un emploi et d’une retraite. “En
abaissant à 60 ans l’âge d’accès à la
retraite à taux plein2, le gouvernement était soucieux d’éviter un effet
d’aubaine qui aurait pu résulter de la
possibilité de jouir de la retraite cinq
ans plus tôt en ayant la possibilité de
continuer à travailler comme par le
passé”. Cette position avait le plein
accord des partenaires sociaux et doit
être comprise dans un contexte où
chacun s’accordait à voir dans les
mesures de préretraite et l’abaissement de l’âge de la retraite des
moyens directs de libérer des emplois
pour les jeunes.
Bien qu’elle soit contraire au droit au
travail, la réglementation paraissait un
moindre mal dans un contexte de
fort chômage. Le principe fut donc
29
posé, pour les régimes de base, qu’il
était impossible de percevoir une
retraite sans rupture du contrat de
travail, liquidation et absence de
reprise d’une activité chez le même
employeur, sauf s’il s’agissait d’activités procurant un revenu très limité3
qui fut évalué à 1/3 du SMIC.
Cependant, le Gouvernement et particulièrement la ministre de la solidarité4 souhaitaient limiter les atteintes
ainsi portées au droit au travail. La loi
ne prévoyait donc aucune restriction
en cas de changement d’employeur5.
La position des gestionnaires des
régimes complémentaires était
encore plus restrictive, toute reprise
d’activité entraînant une suspension
de la retraite complémentaire.
1981-2001 : remises
en cause impossibles
À de rares exceptions près concernant des professions ou des zones
géographiques pour lesquelles des
pénuries d’emploi pouvaient apparaître, les vingt années qui suivent
sont caractérisées par une stabilité
remarquable. Tant que le consensus
sur le retrait précoce d’activité des
seniors demeurait, l’attachement à des
règles strictes sur le cumul prévalait. Il
était partagé par les partenaires
sociaux et par une opinion dont
toutes les enquêtes montraient la réticence à des évolutions. Le rapport
demandé à M. Balmary par la
ministre des affaires sociales6 traduit la
difficulté à faire évoluer la réglementation dans un tel contexte.
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Développements
La préparation de la loi
de 2003 et la loi de 2003
Ce consensus a été fragilisé par la
montée des questions autour
de l’emploi des seniors et une évolution sans vrai débat social:
• Le rapport Boulanger
La remise en cause progressive des
mesures d’âge qui était cependant
effectuée, le nouveau contexte
démographique qui se rapprochait et
les prises de position très fermes du
Conseil d’Orientation des Retraites
sur l’emploi des seniors ont cependant conduit à des interrogations.
M. Jean-Marc Boulanger, chargé par
la présidente du Conseil d’Orientation des Retraites de présenter à ce
Conseil une analyse et des propositions, présenta des orientations nouvelles. Il n’était pas question de
supprimer la réglementation sur le
cumul mais d’élargir les possibilités
de cumul, sur le fondement de l’idée
qu’effectuée dans certaines conditions, la reprise d’une activité par un
retraité ne nuisait pas nécessairement
ni à l’équilibre des régimes de retraite
ni à l’emploi.
M. Boulanger proposait le maintien
de la règle selon laquelle, dans les
régimes de base, la reprise d’une activité chez un autre employeur ne
devait être soumise à aucune restriction et le réexamen de la règle
(7) qui se traduisaient, par exemple, pour un
fonctionnaire d’État par une quasi impossibilité
de reprendre une activité rémunérée par l’État.
(8) “Retraites : les réformes en France et à
l'étranger ; le droit à l'information des assurés”,
La Documentation française, Paris 2004
(www.cor-retraites.fr)
(9) “Vieillissement et politiques de l’emploi,
France”, OCDE, 2005.
(10) “Les seniors et l’emploi en France”, Conseil
d’analyse économique, octobre 2005.
contraire posée par les régimes complémentaires. Il estimait, en effet, que
la reprise d’un emploi chez un autre
employeur ne se ferait que de
manière limitée lorsqu’une proposition attractive serait présentée et qu’il
y aurait une pénurie d’emplois dans
le secteur.
Il proposait, en outre, que le cumul
soit limité en cas de reprise d’une
activité chez le même employeur
mais, au lieu de fixer la limite de
cumul uniquement par rapport au
salaire en valeur absolue, il estimait
plus juste et moins malthusien de la
fixer par rapport au salaire antérieur.
Il proposait un chiffre allant de 15 à
20 % du salaire antérieur et, en cas de
dépassement, un écrêtement et non
une suspension de la pension.
• La loi du 21 août 2003 portant
réforme des retraites
La loi de 2003 a fait évoluer dans des
sens très différents les secteurs public
et privé. La situation dans le secteur
public était rendue complexe par la
coexistence des règles générales rappelées ci-dessus et de règles propres
au régime des pensions civiles et
militaires de retraite. Les gestionnaires
du secteur public souhaitèrent
“s’émanciper” des règles retenues
pour le secteur privé7, et évoluer vers
des orientations se situant dans la
ligne du rapport Boulanger.
Les partenaires sociaux ont été réticents à une telle solution dans le secteur privé. L’accent fut donc mis sur
un rapprochement avec les régimes
complémentaires. La distinction faite
selon que l’emploi était ou non repris
chez le même employeur fut abandonnée, (sauf en ce qui concerne
l’obligation, importante, d’un délai de
six mois entre la liquidation de la
retraite et la reprise de l’activité). Une
limite de cumul jusqu’au salaire anté-
30
rieur fut posée pour toutes les
reprises d’emploi, quel que soit l’employeur. Cette règle, adoptée au
bénéfice de la simplification et de
l’assouplissement mis en avant par le
Gouvernement, fut l’objet de très
peu de discussions. Le rapport du
Conseil d’orientation des retraites de
20048 note qu’il n’y a pas vraiment
de libéralisation pour le secteur privé
et des interrogations sont apparues
sur une restriction touchant plus largement les activités des salariés percevant antérieurement de faibles
revenus.
• 2005 : des propositions de
déréglementation tenant mal compte
des différentes formes de transition
emploi-retraite, et du coût pour
les régimes sociaux
L’opinion demeure très réservée sur
la question du cumul emploi-retraite.
En revanche, cette question connaît
une nouvelle et vigoureuse jeunesse
dans les discussions entre partenaires
sociaux et dans les propositions de
certains rapports.
Trois rapports ont pris position pour
une suppression pure et simple des
règles de cumul: le rapport Camdessus, le rapport de l’OCDE9 et le
rapport du Conseil d’analyse économique10. Les deux premiers rapports
ne prennent aucunement en compte
les effets qu’une libéralisation totale
pourrait avoir sur les régimes de
retraite; il serait, en effet, dans ce cas
plus avantageux de liquider sa retraite
dès que la durée de cotisation serait
suffisante pour ne plus avoir de
décote que de différer le départ: l’intérêt de la surcote créée par la loi de
2003 pourrait se trouver largement
inférieur aux avantages du cumul, ce
qui aurait un coût pour les régimes.
Le troisième rapport (celui du CAE)
n’ignore pas cette question, mais
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estime que la libéralisation totale est
aujourd’hui plus importante et que la
situation financière des régimes n’est
pas telle qu’elle doive y faire
renoncer.
La négociation de l’accord national
interprofessionnel sur l’emploi des
seniors a été le moment d’un changement de prise de position
du MEDEF. Resté jusqu’ici très
prudent, le MEDEF a nettement pris
parti pour un assouplissement conséquent des règles du cumul. Le projet
d’accord reste, cependant, très mesuré
en demandant aux pouvoirs publics
“d’examiner les conditions dans lesquelles les inégalités de traitement
entre salariés engendrées par le dispositif actuel pourraient être atténuées”.
En conclusion, et à titre purement
personnel, trois observations me
paraissent pouvoir être faites.
En premier lieu, de nombreuses raisons vont dans le sens d’une certaine
libéralisation (iniquité des règles
actuelles, évolution possible des attitudes des retraités dans un contexte
où l’emploi des seniors est abordé différemment, risques de pénuries
démographiques ayant un effet
négatif sur l’emploi dans le nouveau
contexte démographique…). En
revanche, il est indispensable de
conserver une certaine réglementation. Une libéralisation totale sans plafond et sans délai entre la liquidation
de la retraite et la reprise d’un emploi
chez le même employeur comporterait des risques très réels de dumping
social et aurait un coût sans doute
excessif pour les régimes de retraite.
En second lieu, le débat actuel devrait,
depuis l’intervention de la loi de 2003,
prendre en compte le souci de
conserver leur intérêt aux trois formes
d’encouragement à poursuivre une
activité prévues par cette loi: la surcote, la retraite progressive et le cumul
emploi-retraite. La surcote encourage
la poursuite d’une activité à taux plein
avant la liquidation de la retraite. La
retraite progressive, qui, il est vrai, n’est
pas encore entrée en vigueur faute de
décret d’application, encourage à une
transition souple entre l’emploi et la
retraite, les périodes travaillées juste
après la liquidation de la retraite étant
prises en compte pour un nouveau
calcul du montant de la retraite, qui
fera l’objet d’une seconde liquidation.
Le cumul emploi-retraite, enfin,
permet de reprendre une activité à
quelque moment que ce soit, mais
sans prise en compte des nouvelles
périodes travaillées pour le calcul de la
retraite et avec des limites qui pourraient être sensiblement desserrées,
mais ne devraient pas être totalement
supprimées.
Si le débat public n’a pas atteint
aujourd’hui cette maturité, le plan
d’action concerté sur l’emploi des
seniors que prépare actuellement le
Gouvernement peut être l’occasion
de le faire progresser dans ce sens. La
retraite progressive pourrait alors
entrer en application et se révéler un
sujet de réforme au moins aussi
important que le cumul emploiretraite. Ce dénouement heureux
n’est pas certain mais paraît à portée
des décideurs.
YANNICK MOREAU
Présidente du Conseil d’Orientation
des Retraites
[email protected]
Travail, je t’aime.Travail, je te hais.
On parle beaucoup de la démotivation des seniors.
Et si avec l’âge, la motivation, loin de disparaître,
se faisait plus exigeante ? L’urgence de réaliser
son “œuvre” se fait plus pressante.
“
L
e travail c’est la santé, ne rien
faire c’est la conserver…”. En
quelques mots Henri Salvador
résume les sentiments contradictoires que nous entretenons tous
avec le travail.
Et ce n’est pas nouveau. La tradition philosophique ne lui fait pas
plus de cadeaux que la ritournelle
de la chanson populaire ! On pense
bien sûr au travail comme châtiment infligé à l’humanité pour
31
expier le pêché originel. On peut
aussi évoquer la Grèce antique où
travailler est l’apanage des esclaves.
Les hommes libres doivent y mener
une vie libérée de la contrainte du
travail pour se consacrer à la philosophie et à la vie publique. Le
monde médiéval qui considère la
vie contemplative comme supérieure à la vie active et pas seulement dans l’ordre du religieux, n’est
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Développements
pas plus favorable au travail. Il faudra
attendre le siècle des Lumières et la
révolution française pour que la
“valeur travail” s’impose contre l’oisiveté et les privilèges de la naissance.
Plus récemment, et en particulier
dans La Condition de l’homme
moderne, c’est Hannah Arendt qui
remet l’ouvrage sur le métier. En
pleine réflexion sur les perspectives
bonnes et mauvaises que le développement de l’automatisation, de la
technique et de l’industrie en
général, offre à l’humanité, elle propose de distinguer l’action, l’œuvre
et le travail.
La première ligne de partage sépare
les activités qui concernent le
domaine public et celles qui se rapportent à la vie privée. Le domaine
de l’action est celui dans lequel l’individu se consacre aux affaires
publiques, celui des rapports entre
êtres différents et égaux, du débat sur
l’essentiel, le seul qui permet d’inscrire l’homme dans l’histoire de sa
communauté et lui permet d’accéder à la dimension morale et politique de l’existence.
L’œuvre et le travail
Le domaine privé est ensuite luimême divisé en travail et œuvre. Le
travail est l’activité de l’homme
soumis à la nécessité, aux besoins et
processus naturels. C’est une activité
sans fin puisque le besoin biologique
revient sans cesse. C’est l’activité de
l’animal laborans. L’œuvre est exactement le contraire. C’est, dans la
sphère privée de la production, l’humanité de l’homme, la liberté de
l’homme, sa créativité. Elle est
opposée ici à la soumission aux lois
de la nécessité, aux lois de la nature
biologique. Elle suppose un projet.
L’œuvre est l’activité de l’homo faber,
celle de l’artisan “seul avec son
image du futur produit” opposé au
travail du prolétaire, dépossédé de
son savoir-faire, de sa décision et sans
vision du produit auquel son activité
contribue.
Cette distinction, qui fonde l’aspiration de chacun à pouvoir dire du
produit de son activité “c’est mon
œuvre” et à le voir reconnu comme
tel, influence toujours profondément nos représentations et la satisfaction ou la fierté que nous tirons,
ou non, de notre activité professionnelle.
On peut bien sûr s’interroger sur la
pertinence de ces distinctions alors
que les conditions techniques et
sociales de la production (et de l’action politique) ont profondément
changé. Sous l’effet des critiques
contre le caractère abrutissant du
travail à la chaîne conjuguées à l’élévation du niveau moyen de formation, les organisations tentent de
donner une place aux demandes
d’autonomie, aux demandes “d’enrichissement des tâches”, et tentent
d’exercer une autorité fondée sur
une légitimité reconnue, plus près de
celle du coach que de celle du chef
préposé à l’organisation scientifique
du travail. D’autre part, la place de
plus en plus importante prise par les
emplois et les situations de service
renforce le rôle de l’initiative,
comme capacité à exercer ses responsabilités professionnelles dans des
contextes toujours nouveaux, sous
l’œil vigilant du client-roi, toujours
particulier, toujours différent. On
peut dire ainsi avec Philippe Zarifian
qu’il y a “retour du travail dans le
travailleur”, mais à la différence des
artisans, personne ne peut plus travailler seul. Au contraire, nos capacités à coopérer, à échanger des
informations au bon moment, à
32
entrer en relation avec des partenaires multiples, sont sans cesse
mobilisées.
Enfin, c’est la place du travail ellemême qui est relativisée. Le chômage de masse persistant mais aussi
le bouleversement de nos manières
même de faire société, obligent à
poser dans des termes nouveaux la
question du rôle du travail –“relatif
mais pas près de disparaître” (JeanLuc Charlot). – dans le processus
d’intégration ou d’exclusion sociale
Hannah Arendt, à partir de ses analyses, donnait une vision très critique
du monde moderne, qui tend à
transformer l’homme politique et
l’homme de métier en simples “travailleurs”, à les réduire à l’animal
laborans. Mais la réalité est plus complexe que la philosophie, et peutêtre plus souriante qu’elle. L’œuvre
et le travail ne s’excluent pas de
façon aussi radicale. Chacun vit
plutôt un mélange des deux. C’est le
dosage qui varie. En proportion et
dans le temps.
Pour relier ces réflexions au sujet de
ce numéro de Développements, et en
particulier à l’antienne de la démotivation des seniors, je veux risquer
une explication. Avec l’expérience,
avec l’âge, ce n’est pas la motivation
qui s’en va. Au contraire elle augmente, mais en se faisant plus exigeante. C’est une œuvre que chacun
veut réaliser et laisser sinon à la postérité, du moins à son entourage.
L’exigence, l’urgence, de réaliser
“son œuvre” augmentent. On ne
peut s’étonner qu’avec elles, augmente aussi la frustration de rester
encore et toujours des travailleurs
soumis quotidiennement et inexorablement à l’impérieuse et prosaïque
nécessité.
JEAN-MARIE BERGÈRE
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Développements
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