DE n¡ 42 - Astrees
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DE n° 42 6/12/05 18:43 Page a3 Développements Numéro 42 / décembre 2005 La seconde partie de carrière Jean-Marie BERGÈRE Claudine BOUNHOL Alain DUPEYRON Pascale GUSTINFAVIER Sommaire Michel LEBELLE p. 2 Jean LE GAC Benoît LEPLEY p. 6 Le renversement démographique : (papy) boom ou changement durable ? CIC : seconde moitié de carrière et reconversion Yannick MOREAU p. 8 Christian PIN Paul SANTELMANN p. 10 Isabelle TARTYBRIAND p. 12 p. 15 p. 17 p. 18 p. 20 p. 22 p. 23 p. 25 p. 29 p. 31 SEB : réinventer la gestion prospective des ressources humaines par les âges France 3 : moderniser avec les seniors Siemens : la politique de gestion de tous les âges Seniors en PME : ouvrir le champ des possibles De l’analyse à la gouvernance des savoirs L’engagement social et associatif en fin de carrière Déplacer l’effort de formation vers les quadragénaires et plus ? La majorité des cadres ne souhaite pas travailler au-delà de 60 ans Des mesures ciblées pour le retour à l’emploi des seniors Bonnes pratiques en Europe Le cumul emploi-retraite Travail, je t’aime. Travail, je te hais. L’entreprise au cœur des équilibres locaux DE n° 42 6/12/05 18:43 Page 1 Numéro 42 - décembre 2005 NÉCESSITÉ FAIT-ELLE TOUJOURS LOI ? D epuis le printemps 2003, nous avons accueilli et animé un groupe de travail sur “l’emploi et l’employabilité des seniors”. Notre intention de départ était d’expérimenter, de mettre en œuvre et de tirer des leçons, des pratiques innovantes susceptibles d’entraîner l’adhésion des salariés et des directions confrontés à une obligation nouvelle : mettre fin aux départs anticipés en retraite et bientôt retarder encore l’âge de départ pour que chacun ait travaillé assez longtemps pour bénéficier d’une retraite à taux plein. Malgré la motivation des participants, il a été difficile de mener de véritables expérimentations. Nous avons néanmoins toujours travaillé à partir de témoignages de responsables d’entreprises, d’études de cas concrets, de réflexions de praticiens. Ce numéro de Développements se fait l’écho de ce travail collectif. Il ne livre pas de recettes. Il fait le tour des questions multiples que le renversement démographique pose aux entreprises. Il aborde dans leur diversité et leur complémentarité les actions qu’il convient de combiner: mobilité, formation, orientation, coopération entre générations, ergonomie, temps partagé, tutorat, consulting, lutte contre les idées reçues et les clichés, etc. Que tous ceux qui ont contribué à nos échanges et à cette publication en soient chaleureusement remerciés. Deux questions plus globales se sont régulièrement invitées – explicitement ou non – dans nos débats. Je les résumerais ainsi. Comment sortir de cette contradiction entre une nécessité, travailler plus longtemps, et ce que tout le XXe siècle a considéré comme un progrès, travailler moins. Que tous les chiffres, allongement de l’espérance de vie, faible natalité, équilibre des régimes de retraite par répartition, poids déjà considérable des cotisations et impôts, suggèrent la même réponse, allonger la durée de vie au travail, ne dit rien des forces sociales qui vont porter les changements nécessaires. Au mot réforme, le mot progrès a toujours été associé. Progrès au moins pour une partie des acteurs, qui se font alors les porteparole et les défenseurs des changements. L’enthousiasme et le consensus des experts et de leurs calculettes ne suffisent pas pour passer de 36,5 % à 50 % des 55/64 ans au travail en France. Sur ce sujet comme sur d’autres, on ne peut s’exonérer de la mise en débat, du dialogue notamment entre les partenaires sociaux. On ne peut pas plus s’exonérer de l’adhésion réelle des salariés à ces changements qui les concernent. C’est là que vient la deuxième question. Le travail est-il une souffrance ou un bonheur ? Est-il asservissement ou libération ? La question n’est pas théorique. C’est en fonction des conditions organisationnelles, matérielles, psychiques, en fonction de la reconnaissance reçue, que chacun apporte une réponse à cette question. Et là, force est de constater que beaucoup d’entreprises ne parviennent plus à convaincre leurs salariés. Il y a comme une perte du désir. D’où peut-être ce sentiment de morosité, j’allais dire de débandade. Et cela ne concerne pas que les seniors ! Face à cette démotivation, là où elle existe, il ne suffit pas de souhaiter bon courage aux directeurs de ressources humaines. Les directions générales doivent monter en première ligne. JEAN-MARIE BERGÈRE [email protected] 1 DE n° 42 6/12/05 18:43 Page 2 Développements Le renversement démographique: (papy) boom ou changement durable? Un groupe de travail a réuni à Développement et Emploi une dizaine de grandes entreprises confrontées à l’allongement de la vie au travail, souvent synonyme de démotivation, d’usure et de pénibilité. Une vie professionnelle qui pourrait se dérouler en deux mi-temps, avec pendant l’arrêt de jeu une analyse du passé et une réflexion sur la stratégie à adopter. Formation, mobilité, reconnaissance des compétences, entretiens professionnels, aménagement du temps de travail, équipes projet… Les outils et démarches à mobiliser existent d’ores et déjà. Le principal obstacle à leur utilisation réside sans doute dans les représentations que chacun se fait de l’âge. U ne dizaine de grandes entreprises françaises se sont retrouvées de juin 2003 à juin 2005 dans le cadre de Développement et Emploi. La réforme des retraites venait d’être votée. Le débat sur les conséquences du papy boom, du choc démographique, du renversement démographique – les termes les plus couramment utilisés vont évoluer sur la période – se déplace. Il était question de l’équilibre des régimes de retraite par répartition. Il est maintenant question des conséquences sur l’emploi. C’est ainsi que notre groupe s’intitulera “emploi et employabilité des seniors”. Le fait que les questions soulevées trouvent leur origine en dehors de l’entreprise, voire en dehors des habituelles contraintes économiques, va peser lourd dans les débats.Aucun des acteurs de l’entreprise ne souhaite véritablement prolonger la durée de vie professionnelle, aucun ne souhaite faire évoluer l’âge moyen des salariés, même si aucun ne souhaite non plus que les prélèvements “retraite” augmentent. S’il y a un souhait, c’est plutôt celui du rajeunissement des troupes. Le consensus sur la gestion de l’emploi par l’âge existe bien. Nous nous trouvons donc dans une situation paradoxale, celle d’une réforme qu’aucun des acteurs de l’entreprise ne souhaite, qui ne semble pas leur apporter les bénéfices qui motiveraient une “mobilisation réformatrice” et l’énergie qui va avec. Comme ces acteurs ne manquent pas par ailleurs de sujet de débats ou de controverses plus urgents, ou en tout cas à effet plus immédiat, tout semble inciter à repousser la question à plus tard. Et pourtant, si la démographie (nata- LA GESTION DES ÂGES EN lité, pyramide des âges et espérance de vie) suit d’autres logiques que celles du monde économique, elle est un des paramètres incontournables des stratégies macro-économiques et des stratégies d’entreprise. Les courbes démographiques se prolongent (malheureusement pour chacun d’entre nous !) inexorablement et arithmétiquement. En revanche les conséquences de la prolongation de ces courbes et d’un changement massif des équilibres démographiques ne s’en déduisent pas mécaniquement. La réflexion est encore à mener au plan macro-économique: est-ce une opportunité, celle qui annonce la fin du chômage, est-ce un risque, celui d’un déclin économique qui rendra encore plus difficile la résolution des problèmes d’emploi? Cette interrogation est apparue en filigrane dans nos débats. Notre ambition était néanmoins plutôt d’ordre micro-économique. Les témoignages, les études, nos 3D La CFDT-Cadres a organisé un colloque “Vers une gestion des âges en 3D, Durable, Dynamique, Diversifiée - Analyse et prospective” • Le 3 décembre 2004, s'est déroulée la première partie de ce colloque intitulée “Analyse de la situation actuelle de l'emploi pour les cadres”. Les questions abordées ont été : - Quels sont les traits caractéristiques du modèle social à l'œuvre en France ? - Comment peut-on qualifier la situation particulière des cadres au travail, au regard de l’âge ? • La deuxième journée s’est déroulée le 19 avril 2005, sur les thèmes suivants : - Comment garantir les conditions d'accès à un emploi durable et un travail de qualité aux deux extrémités de l'échelle des âges ? - Comment améliorer les conditions de travail des cadres en emploi, pour un investissement professionnel de long terme ? Les actes du colloque peuvent être téléchargés sur http://www.cadresplus.net/actualites 2 DE n° 42 6/12/05 18:43 Page 3 Numéro 42 - décembre 2005 réflexions et propositions ont porté sur les conséquences de la démographie dans les entreprises. C’est déjà beaucoup. Au total, c’est bien la capacité des entreprises à se projeter dans l’avenir et à intégrer des éléments nouveaux de leur environnement qui est posée. Les contraintes habituelles (l’humeur des consommateurs, la concurrence, les technologies, les revendications des salariés ou l’inflation réglementaire et législative…) ont véritablement créé chez elles une propension à traiter les problèmes de façon très réactive, dans l’urgence.Anticiper, en particulier sur les questions d’emploi, ne va pas de soi.Vous comprendrez que les membres du groupe avaient fort à faire! Les lieux d’échanges, comme ceux que Développement et Emploi propose, servent aussi à conforter les convictions et la détermination de ceux qui, vaille que vaille, portent dans les entreprises les exigences du moyen terme. Une méthode Un mot sur la méthode de travail. Douze réunions ont permis d’entendre témoignages, réflexions, études menées au sein des entreprises ou études plus générales (INSEE, Ernst & Young, CEGOS). Nous avions au départ l’ambition de conduire de véritables expérimentations dans les entreprises volontaires. Les thèmes retenus permettaient de balayer assez largement les champs d’action possibles: formation, mobilité, coopération intergénérationnelle, pénibilité, rapport productivité/ coût, rôle des groupements d’employeurs. Malheureusement, faute de moyens, mais aussi probablement faute de maturité de ces questions dans les entreprises, notre groupe a dû se concentrer sur l’analyse collective des cas présentés et sur l’élaboration de pistes de propositions testées sur des petites échelles. Elles impliquaient plutôt des personnes très qualifiées, alors même que notre ambition est toujours restée de promouvoir des solutions pratiques et équitables, valables pour tous les salariés, quel que soit leur secteur ou leur métier. Des comparaisons ont été faites avec les pratiques européennes, grâce à nos rencontres avec la Fondation de Dublin et grâce à l’aide de la DARES. Nous reviendrons sur ce point. Un article de ce numéro y est consacré. Les autres articles illustrent les autres points évoqués. Des problèmes conjoncturels et des mutations fondamentales Au départ, la motivation la plus pressante pour les participants les pousse à chercher une réponse à la fin programmée des départs anticipés en retraite (en tout cas à la fin des aides publiques faites pour favoriser ces départs!). On l’a dit plus haut, ces départs anticipés font l’objet d’un large consensus. Pour reprendre l’expression d’un participant:“partir vers 57, 58 ans est devenu une perspective réaliste”. Les salariés mi-résignés, miheureux ont pris leur parti de ces fins de carrière “avant l’âge”. S’ils ne croient plus trop à l’argument selon lequel cela donnerait du travail aux jeunes, le travail pédagogique et les dispositifs institutionnels pour les convaincre de partir ont porté leurs fruits. Ils ne voient plus ces départs comme une “mise à la casse” de salariés devenus inutiles, ou aux compétences obsolètes. C’est devenu un droit, en tout cas un “quasi-droit”. 3 Les responsables dans l’entreprise, à tous les niveaux, se sont habitués à gérer par catégories d’âges. C’est en particulier une facilité pour éviter de se poser les difficiles questions de l’usure au travail (et donc des “réformes ergonomiques”) ou de la motivation au travail en fin de carrière. Certes ces départs coûtent cher à l’entreprise et à la collectivité, mais comment refuser à un salarié démotivé, et qui veut partir parce que “ses camarades de promotion sont tous déjà en retraite”, son billet pour “une retraite méritée”. Les choix lors des procédures de licenciements collectifs renforcent évidemment fortement cette tendance. Le premier travail, avant même de parler “bonnes pratiques”, c’est de convaincre la hiérarchie autant que les salariés. Dur, dur. À cette première question, celle de la motivation au travail, s’ajoute rapidement une autre question liée elle aussi à la conjoncture démographique très proche. Même en retenant plus longtemps les salariés au travail, et quel que soit finalement l’âge réel des départs, les années qui viennent vont voir une augmentation massive des départs. On va passer, en France, de 400000 départs environ par an à 750000. Sur ce point, les pyramides des âges peuvent cacher l’essentiel. Il faut chercher la vérité dans chaque service, dans chaque métier, sur chaque site de production. Par exemple, dans la même entreprise, les dates des recrutements correspondent à des créations de produits nouveaux, à l’introduction d’une technologie nouvelle, elles diffèrent d’un site à l’autre. Ces différences se retrouvent à la sortie. Départs massifs, signifient recrutements importants. Il y a là des effets de seuil. Dans un service de DE n° 42 6/12/05 18:43 Page 4 Développements LE GROUPE DE TRAVAIL Ont participé régulièrement au groupe de recherche : Jean Marie BERGÈRE, Développement et Emploi Laurent BUTLER, EDF-Gaz de France Daniel COLINET, Air France Christian COUTIN, Groupe SEB Geneviève DECISIER, Conseil d’Orientation des Retraites Michel DESURMONT, FFGE Hélène GARNER, DARES François GUÉRIN, ANACT Pascale GUSTIN-FAVIER, Lyonnaise de banque CIC Olivier KUDLIKOWSKI, Air France Jean LE GAC, Siemens Benoit LEPLEY, ARACT Ile-de-France Christian PIN, Ex-DRH du Groupe SEB et Président du Conseil d’Orientation d’ARAVIS Georges SCHRAM, EADS Développement Isabelle TARTY-BRIAND, Chargée d’études Dominique THIERRY,Vice-président de Développement et Emploi Frédérique TRIMOUILLE, DARES Un grand merci à tous ceux qui, en témoignant, ont nourri le groupe de leurs connaissances et de leurs expériences : Alain DUPEYRON, France 3 Iris TEPLITZKY, Calor Patrick AUBERT, INSEE Michel LEBELLE,Thales Paul SANTELMANN, AFPA Les représentants de Ernst et Young, de la CEGOS 40 personnes, remplacer une personne par an ne nécessite aucune démarche sophistiquée. Cela passe tout seul. Remplacer la moitié des effectifs en quatre ou cinq ans, est tout à fait différent. Le risque de perte de savoir-faire, les difficultés de recrutement et d’intégration seront sans commune mesure. La disparition des réseaux informels de circulation des informations peut être fatale. La transmission des connaissances et de la culture professionnelle nécessitera des démarches formalisées, des moyens. On ne pourra rien faire sans avoir anticipé. Les outils existent, ils devront être adaptés à ce nouveau contexte. Cela demande du temps. À vrai dire cette question des départs importants, et concentrés sur quelques années, est rarement posée. La perte de savoir-faire est peu redoutée. Faut-il penser que les entreprises entendent en profiter pour diminuer les effectifs, pour produire ailleurs? Elles entendent en tout cas garder les mains libres pour le faire si cela leur paraît dans leur intérêt.Au mieux, elles misent sur leur capacité à réagir vite, le moment venu. Enfin d’autres questions sont rapidement apparues. Au-delà de la crise à passer, du “boom” lié aux naissances nombreuses après 1945, ce sont les équilibres démographiques du XXe siècle qui sont remis en cause. En particulier, pour la première fois, à cause d’une natalité bien inférieure au “taux de renouvellement”, c’est la population qui risque de diminuer (même si la France est moins touchée que d’autres pays européens). Cette stagnation, cette baisse prévisible du nombre d’entrées de jeunes sur le marché du travail, alliée à l’augmentation des départs et à l’allongement considérable (et bienvenu!) de l’espérance de vie modifie complètement les rapports entre population active et population totale. Sauf bien sûr à prolonger la vie professionnelle… Pour les entreprises, cela se traduit par la perspective très durable d’une population au travail en moyenne plus âgée qu’aujourd’hui. Les problèmes de la pénibilité, de l’usure au travail prendront forcément d’autres proportions. 4 L’image de l’entreprise, invariablement jeune et dynamique, devra être modifiée. Le management devra évoluer. La valorisation de la diversité est une première réponse à cette exigence. Quand on lit les résultats des enquêtes selon lesquels les plus de cinquante ans ressentent fortement des discriminations à leur égard, on mesure le chemin qui reste à parcourir. Des solutions Les réflexions et pistes de solutions vont porter sur l’ensemble des questions soulevées: durée de la vie professionnelle, motivation en fin de carrière, ergonomie, santé, transmission des connaissances et savoir-faire, formation, coopération entre salariés d’âges différents. Ces préconisations peuvent être organisées autour de deux questions distinctes : comment les parcours professionnels peuvent-ils se penser dans ce contexte nouveau, et comment organiser les fins de carrière pour que l’entreprise, comme le salarié, y trouve son compte? Sur le premier volet, les contributions convergent vers l’idée d’une deuxième partie de carrière, voire d’une seconde carrière. Au fond la courbe de vie professionnelle avec ses trois phases habituelles: intégration, maturité et “seniorité” ne semble plus représenter ni la réalité ni les aspirations des salariés. Il faut peut-être lui substituer l’image d’un match qui se joue en deux mi-temps.En dehors du fait que cela permet de se représenter “l’après travail” comme une “troisième mi-temps” festive et joyeuse, cela permet d’insister sur une idée récurrente dans nos échanges: l’allongement de la vie professionnelle suppose la modification des DE n° 42 6/12/05 18:43 Page 5 Numéro 42 - décembre 2005 comportements à tous les âges de la vie professionnelle, un management des âges. À quarante-cinq ans se jouent la deuxième mi-temps et aussi la fin du match. Formation et développement des compétences, élargissement des aires de mobilité, réorientation… Tout est encore possible lorsqu’il reste une vingtaine d’années à travailler. Les entretiens de mi-carrière,une réflexion très ouverte sur les orientations possibles, une formation longue sont des investissements “rentables”. On ne prend pas sa respiration de la même façon pour courir, mettons de 25 à 58 ans, ou pour courir de 22 à 65 ans ou plus. Bien sûr ces “ruptures”, changements de direction et bifurcations ne peuvent être imposés brutalement. L’image d’un match en deux temps (ou trois ou quatre…), avec, pendant l’arrêt de jeu, l’analyse de la période passée et une réflexion sur la stratégie à venir, nous paraît en tout cas bien plus favorable que le maintien de la fiction d’une courbe continue et douce de la vie professionnelle. Plus favorable également que l’acceptation d’une représentation chaotique, sans “aucun sens” de ce parcours professionnel. Il n’en reste pas moins vrai que,même en deux parties, le match a une fin. Le risque de considérer, à partir d’un certain temps, qu’il est joué (gagné ou perdu) et qu’il n’y a plus qu’à attendre la fin, existe bel et bien. Démotivation des salariés, marginalisation, management indifférent à ceux qui vivent les dernières années de leur activité de salariés semblent bien être le lot quotidien dans la majorité des entreprises. Les réponses doivent là aussi être imaginatives. Les expériences de contribution de “seniors” à des groupes projet, dont ils ne sont pas forcément les leaders, les expériences de partage du temps entre une responsabilité opérationnelle et des missions plus transversales, les expériences de “consulting interne” apportent des exemples très stimulants. Bien sûr elles se déroulent souvent à petite échelle, plutôt avec des cadres et des personnes très qualifiés. Réussies, elles ont un effet d’entraînement. La condition de leur généralisation semble plus reposer sur l’implication des managers à tous les niveaux que sur des impossibilités intrinsèquement liées aux salariés. Les solutions organisationnelles ne sont peut-être pas simples à mettre en œuvre. Pourtant elles offrent à la fois la possibilité de profiter pleinement de l’expérience, de la connaissance des réseaux et cultures particulières des plus anciens, et la possibilité de donner des signes concrets de reconnaissance et de valorisation à des salariés contributifs. C’est une marque de respect appréciée de tous les salariés, quel que soit leur âge. La coopération entre les différentes générations Le tutorat est souvent présenté comme la solution à cette double exigence: transmettre l’expérience et donner le sentiment aux salariés qu’ils sont toujours utiles. S’il n’est pas bien accompagné, il peut décevoir les espoirs mis en lui. La transmission unilatérale ou paternaliste ne peut plus convenir. Dans la production des savoir-faire comme des normes et des valeurs de l’entreprise, la coopération entre les différentes générations est plus riche, plus adaptée à une économie où l’innovation est si importante. Cette coopération permet l’intégration réussie, adaptée, des changements technologiques ou organisationnels. Elle donne un cadre 5 favorable à l’invention de nouvelles modalités d’exercice de l’autorité,efficaces et acceptées. Au fond, les participants ne revendiquent pas qu’on accorde à l’âge un mérite en soi, personne n’a demandé un retour de “l’avancement automatique à l’ancienneté”. En revanche, tous sont convaincus que, contrairement à l’idée répandue, l’âge n’entraîne pas en soi de handicap. En particulier les nouvelles technologies de l’information ne sont plus affaire de génération. C’est ainsi qu’il faut comprendre l’exigence toujours répétée qu’il n’y ait pas de mesures spécifiques, jugées dévalorisantes, voire “stigmatisantes”. Les limites à cette exigence viennent de travaux physiquement pénibles et de l’usure réelle qu’ils entraînent (mais n’est-il pas souvent possible de les rendre moins pénibles comme l’intégration des femmes au travail l’a montré?). On peut également s’interroger sur les mesures qui favoriseraient le retour dans l’emploi pour des salariés licenciés. Il y a là une réelle discrimination. Les exemples de coopérations, sans esprit de bizutage comme sans paternalisme, montrent la richesse de cette coopération. L’âge n’est plus le critère qui permet de définir la contribution que chacun va apporter. Et chacun du coup apporte le meilleur de luimême. On sait que c’est toujours beaucoup! Les différents outils et démarches à mobiliser semblent bien déjà exister: formation, mobilité, reconnaissance des compétences, entretiens professionnels, aménagement des temps de travail, équipes projets, consulting interne, etc. Ils doivent être adaptés quelquefois, mais surtout il faut cesser d’exclure les seniors lorsque ces outils sont utilisés. Les raisons souvent invoquées: difficultés d’adap- DE n° 42 6/12/05 18:43 Page 6 Développements tation, inutilité des investissements sur des personnes qui vont partir (alors qu’elles ont encore plusieurs années à travailler) ne résistent pas à l’analyse. Elles sont plus le reflet des représentations d’une société marquée par l’entrée en scène de la jeunesse comme “âge idéal” que le reflet de la réalité. Si, après quarante-cinq ans, les perspectives de partir en formation, de se voir offrir de nouvelles opportunités, d’être considéré pour ce qu’on apporte et pas seulement pour ce qu’on coûte, disparaissent, le “sentiment de fin de vie professionnelle” pour reprendre l’expression de J-M de Peretti et Eléonor Marbot, risque fort de continuer à envahir la vie des entreprises et des salariés de plus en plus nombreux à avoir dépassé le cap de la “mi temps professionnelle”. Il n’y a pas à chercher, en France ou à l’étranger, de pratiques tout à fait extraordinaires, jamais vues, révolutionnaires. Le principal obstacle réside probablement dans les représentations que chacun se fait de l’âge. Face à ça, les membres du groupe n’ont pas cessé d’insister sur la nécessité de “mettre en scène” les discussions sur ce sujet. Cette organisation des débats peut elle-même être imaginative. Les discussions au Comité d’entreprise, les négociations avec les organisations syndicales peuvent être utilement complétées par des actions de communication ou pourquoi pas par des représentations théâtrales (les POUR ALLER PLUS LOIN • ANACT : www.anact.fr • Conseil d’Orientation des Retraites : www.cor-retraites.fr exemples existent!). Les chartes de mobilité, les accords sur le management des âges, la valorisation des améliorations ergonomiques ne sont pas secondaires. Ils s’attaquent à cet écueil majeur: l’idée que chacun se fait, consciemment ou inconsciemment, de l’âge. Au moment où les négociations sur ce point entre les partenaires sociaux au niveau national semblent s’enliser, les négociations sur le management des âges sont peut-être à mener dans chacune des entreprises. Pour le plus grand profit de tous: salariés, entreprises et collectivité. JEAN-MARIE BERGÈRE Directeur général de Développement et Emploi [email protected] CHRISTIAN PIN Ex DRH du groupe SEB, Président du Conseil d’Orientation d’ARAVIS [email protected] CIC: seconde moitié de carrière et reconversion “Parce que le monde bouge”… le groupe CIC, constitué de 6 pôles régionaux et de 25 000 collaborateurs, fait évoluer son organisation et ses outils, sa stratégie commerciale et sa culture. Faire la Banque de demain avec les salariés d’aujourd’hui, pour la majorité dans leur “seconde moitié de carrière”. F in 2002, les plus de 50 ans représentaient dans le groupe CIC, 30 % des effectifs, ils devraient en représenter plus de 40 % fin 2006 et plus de 50 % en 2010. Les dispositifs de cessation anticipée d’activité s’achevant en 2006, l’allongement de la vie professionnelle va se faire sur un fond de redéploiement des emplois des ser- vices centraux (personnel souvent faiblement mobile et à forte ancienneté) vers le réseau commercial. Une enquête auprès des plus de 45 ans Face à ce contexte, le choix s’est porté, préalablement à toute décision d’actions ou de mesures spéci- 6 fiques, sur le lancement en 2003, d’un questionnaire auprès d’un échantillon représentatif d’environ 300 salariés du groupe de plus de 45 ans, dans le respect d’une garantie absolue de confidentialité. Une cinquantaine d’entretiens approfondis ont complété plus qualitativement l’enquête. Et les résultats ont bousculé quelques idées reçues. D’abord un taux de retour important, de plus de 90 % dans certaines banques du groupe. Puis une majorité de collaborateurs satisfaits dans leur poste actuel même si des DE n° 42 6/12/05 18:43 Page 7 Numéro 42 - décembre 2005 regrets sont exprimés sur les possibilités d’évolution de salaire. Loin des clichés souvent véhiculés, les collaborateurs ciblés se sont bien adaptés aux nouveaux applicatifs et outils informatiques. Ils se montrent confiants dans leur capacité d’adaptation aux changements dans leurs savoir-faire et dans leurs compétences techniques. Aucun problème inter-générationnel n’est remonté, en dépit d’une faible population tampon entre les jeunes et les “seniors”. En revanche, une forte proportion de collaborateurs témoignent de difficulté à s’adapter aux rythmes et charges de travail et ont peu confiance en leur capacité de résistance au stress. Les changements dans le Groupe sont vécus autant comme des opportunités que des contraintes. Beaucoup d’attentes sont exprimées vis-à-vis de l’entreprise : une soif de reconnaissance, un besoin de visibilité et de sécurité face à l’avenir, des craintes de mobilité géographique forcée, un besoin de formation plus adaptée (modes d’apprentissage) et SURTOUT, la volonté d’être gérés comme des “salariés normaux”. D’où début 2004, face aux résultats de l’enquête, l’enjeu pour les banques du groupe de trouver des solutions qui s’adressent à l’ensemble de la population, d’imaginer de vrais parcours professionnels à 45-50 ans et même à 55 ans. Et le lancement, à ce moment-là, d’un chantier de travail commun entre les banques du groupe sur la reconversion professionnelle qui constitue un excellent terrain d’expérimentation. Un dispositif d’accompagnement de la reconversion Depuis 1998, année de privatisation, le groupe Crédit Mutuel/CIC se construit selon deux principes : la décentralisation et la responsabilisation au niveau de l’unité de base (l’agence bancaire au cœur du système) et la recherche d’économies d’échelle autour de pôles régionaux couvrant au moins 10 millions d’habitants. Ce rééquilibrage passe par une politique Ressources Humaines fondée sur la capacité d’adaptation des hommes et sur un engagement fort : “un emploi à valeur ajoutée pour tous sous réserve de formation et de mobilité fonctionnelle et/ou géographique”. Le dispositif d’accompagnement développé en commun pour l’ensemble du groupe, est opérationnel * La situation de reconversion implique que la décision de changement d’emploi généralement s’impose au salarié. Elle se distingue de l’adaptation par le fait que le salarié n’a pratiquement jamais changé d’emploi ou d’environnement de travail. 7 depuis fin 2004 pour toute personne du groupe en situation de changement d’emploi assimilée à une reconversion. Dorénavant, les mobilités au sein du groupe sont possibles y compris pour les collaborateurs en reconversion*. La formation de tous les Gestionnaires Ressources Humaines du groupe et des managers qui accompagnent les collaborateurs, y est aussi importante que le parcours de reconversion proprement dit. Le salarié concerné, quel que soit son âge, au gré des différentes étapes du processus, s’approprie la démarche, se prépare au changement, découvre les possibilités offertes puis l’emploi choisi, et enfin s’y forme avant une affectation définitive qui sera suivie dans le temps. Dans un tel dispositif, les entretiens de carrière et les outils d’aide à l’orientation professionnelle occupent évidemment une place essentielle. Un pas est surtout franchi vers la prise de conscience d’une évolution professionnelle continue des collaborateurs, c’est un processus permanent. L’âge n’y a pas d’importance, seul le mouvement insufflé compte. PASCALE GUSTIN-FAVIER Gestionnaire Ressources Humaines CIC-Lyonnaise de Banque [email protected] DE n° 42 6/12/05 18:43 Page 8 Développements SEB: réinventer la gestion prospective des ressources humaines par les âges Dans le groupe SEB, confronté à la compétition mondiale au plus haut niveau, trente pour cent des salariés ont plus de cinquante ans. Le départ à la retraite se fait désormais au plus tôt à soixante ans. La politique de ressources humaines a dû intégrer cette nouvelle donne. Elle met en place des entretiens à mi-carrière pour les cadres et explore d’autres voies. Dans l’usine Calor de Pont-Évêque, un plan global de gestion prévisionnelle a été mis en place. Une ergonome a été recrutée. L e Groupe SEB, comme beaucoup d’entreprises, est confronté au vieillissement de ses salariés. Il doit à la fois intégrer l’allongement de la durée d’activité, la prise en compte de la santé, des aptitudes, de la motivation et des aspirations des seniors, faire face aux mutations technologiques, économiques, organisationnelles et anticiper la transmission des savoirs et savoir-faire collectifs. 30 % des salariés ont plus de cinquante ans. Chez les cadres, ce chiffre est de 27 %, dont la moitié ont plus de 55 ans, et 25 parmi eux atteignent ou dépassent les soixante ans. C’est une situation nouvelle liée à la fin progressive des cessations anticipées, dispositifs publics de type pré-retraite FNE, ou départs par consentement mutuel et transaction. La courbe démographique permet d’anticiper un accroissement sensible des sexagénaires en 2008-2009 (de 10 à 40 nouveaux par an). Le nouveau dispositif des retraites conduit de plus en plus de salariés, en particulier des cadres, à ne pouvoir envisager un départ qu’après 62/63 ans, et des pots de départ pour des collaborateurs ayant atteint l’âge “normal” de la liquidation des droits sont de nouveau une réalité banale. La nature et l’organisation du travail a conduit ces dernières années à un fort accroissement de la pression du travail, de la charge mentale et du stress entraînant usure, fatigabilité, en corollaire avec le déclin (supposé… qu’en est-il dans la réalité ?) de certaines aptitudes pour les seniors. Comment gérer ces paradoxes et résoudre ces contradictions dans une entreprise confrontée à la compétition mondiale au plus haut niveau ? D’abord reconnaître qu’il y a là un vrai enjeu, collectif. Donc dépasser le traitement au cas par cas pour trouver des solutions individuelles satisfaisantes pour les deux parties. C’est-à-dire intégrer les données nouvelles que sont le vieillissement croissant, les aspirations personnelles des salariés en fin d’activité professionnelle, les besoins liés aux déficits démographiques à venir sur le marché de l’emploi, les carrières souvent incomplètes des femmes… Ensuite entériner et inscrire clairement dans la politique R. H. que la cessation normale d’activité et donc le départ en retraite se fait au mieux à soixante ans. Ces nouvelles donnes ont conduit l’entreprise, une fois cette position prise, à un double choix: - le problème est collectif (à échelle “industrielle”), mais réclame des solutions personnalisées et diversifiées; - la G. R. H. ne doit pas se concentrer sur les collaborateurs âgés (au risque de les marginaliser), mais bien 8 développer une gestion des âges tout au long de la vie de travail. Des entretiens à mi-carrière En conséquence, la mesure novatrice de base est la mise en place d’entretiens à mi-carrière proposés systématiquement aux cadres (et plus tard à tous les membres de l’encadrement, techniciens et employés qualifiés ; en effet, le problème se pose d’une toute autre manière pour les personnels de production, en particulier ouvriers). Cet entretien s’adresse à tous les volontaires qui éprouvent le besoin de faire un point en profondeur sur leurs compétences, leurs souhaits et motivations dans la perspective de la deuxième partie de carrière. Il est mené de façon ouverte et confidentielle par une personne dédiée (et spécialisée) de la DRH. Le vrai enjeu, c’est la suite qu’on peut y donner, à la fois quel engagement possible de l’entreprise, et les plans d’action qu’on peut mettre en œuvre, surtout s’il y a souhait, réaliste et validé, d’évolution ou de changement importants. Expérimenter et réussir des solutions qui concilient des projets professionnels contributeurs aux besoins de l’entreprise, donc en phase avec ses orientations, et les aspirations personnelles: comment? Des voies prometteuses ont été ouvertes et expérimentées ces dernières années, sans que cette problématique en soit forcément au cœur explicitement et donc définie comme objectif de “meilleure gestion des seniors”. DE n° 42 6/12/05 18:43 Page 9 Numéro 42 - décembre 2005 Le Groupe Seb a mis en place il y a quelques années un système d’information intégré et homogène, reposant sur le déploiement mondial de processus communs et d’un progiciel informatique novateur. Pour préparer et mettre en place ce dispositif complexe remettant beaucoup de choses en cause et nécessitant un travail d’adaptation et d’appropriation considérable, sur plusieurs années, la solution d’une équipe de consultants travaillant avec les structures internes de toutes les filiales et fonctions concernées n’a pas été retenue. C’est donc une importante équipe pluridisciplinaire interne, constituée de volontaires arrivant soit des fonctions couvertes (achats, contrôle de gestion, administration des ventes, logistique…), soit des services informatiques (études et programmation) qui a été recrutée, regroupée et mise en place opérationnellement : le “Center Of Expertise” (C. O. E.), constitué de six cellules spécialisées, représentant une cinquantaine de personnes. La plupart des volontaires pour ce job temporaire, prévu pour durer 3 à 4 ans, ont été des jeunes cadres ou techniciens intéressés à donner une plus-value et un intérêt évidents à leur carrière. Mais quatre ou cinq seniors confirmés se sont présentés pour cette mission longue passant par un nouveau métier “d’expert fonctionnel systèmes d’information SAP”. Ce qui paraissait une difficulté à gérer (quel débouché pour eux après trois ans, à quelques années de la retraite ? quelle faisabilité d’apprentissages intensifs ? quelle cohabitation avec des jeunes de trente ans de moyenne d’âge ?) s’est révélé un atout considérable et un grand succès. L’entreprise en a tiré de riches enseignements validés à l’épreuve des faits. Le bilan très positif a été fait à la fois par les responsables du C. O. E., par les intéressés eux-mêmes et par les plus jeunes. Les responsables du C.O.E. ont apprécié l’apport d’expérience terrain indispensable, le rôle régulateur au plan humain, leadership de certains s’imposant par leurs compétences fonctionnelles et ne cherchant pas à imposer leur pouvoir car dégagés d’ambitions de carrière. VIEILLISSEMENT, SANTÉ ET GESTION DES ÂGES LA DÉMARCHE DE CALOR POUR LE PERSONNEL DE PRODUCTION La population ouvrière de l’usine Calor de Pont-Évêque, dans l’Isère, en grande majorité féminine, a une ancienneté moyenne supérieure à 20 ans. 29 % des opératrices avaient plus de 50 ans en 2003, ce chiffre sera de 33 % en 2006. Le nombre des inaptitudes et des maladies professionnelles de type T. M. S. a sensiblement augmenté. “Nous avons décidé depuis plusieurs années de mettre en place un plan global de gestion prévisionnelle, sur plusieurs fronts”, déclare Iris Teplitzky, la DRH. Une ergonome a été embauchée, des moyens et une démarche ont été mis en place. - La base de l’approche repose sur une méthodologie systématique et complète métiers/compétences. Les compétences requises sont déclinées dans des fiches par métier, à aujourd’hui et dans trois ans. - L’évaluation ergonomique des postes et l’impact sur les compétences à acquérir permet de visualiser par le salarié la progression par rapport au niveau à atteindre. Ces deux processus permettent d’élaborer un plan de formation et un plan dit “de fragilité”. - Les managers assurent le suivi régulier des personnes par le biais des fiches postes et ergonomie. Des points de rencontre régulier, entretiens avec les salariés, comme travail d’équipe pluridisciplinaire (hiérarchie, R. H., ergonome), contribuent à animer la méthode et à associer les collaborateurs aux actions. - La prospective d’évolution des métiers, et la consolidation des bilans, avec les écarts constatés et les objectifs fixés donnent une vision collective (y compris les " pertes métiers "). La réduction des écarts constatés passe par des actions de GRH : recrutement, cursus, mobilité, ergonomie et aménagement des postes, entretien d’évaluation et d’orientation, formation… La gestion des âges ne se concentre pas sur les “fins de carrière” mais concerne tous les salariés, toutes les étapes d’évolution, chacun étant appelé à demeurer actif plus longtemps. Anticiper à trois ans l’évolution des métiers, les besoins en formation, l’adaptation au travail (et du travail), mais aussi prévenir la démotivation souvent liée à un fléchissement ponctuel ou non des capacités physiques et cognitives, impliquer les salariés dans une démarche qui les concerne au premier chef, c’est ne pas subir la fatalité du vieillissement. Un groupe de travail “gestion des âges” inter sociétés du Groupe Seb a été constitué, animé par la DRH de Calor. Il a comme objectif l’échange des bonnes pratiques d’anticipation et de prévention et la généralisation des solutions efficaces. 9 DE n° 42 6/12/05 18:43 Page 10 Développements Les cadres concernés ont trouvé une forte stimulation intellectuelle, de nouveaux challenges, un job fonctionnel et relationnel (rôle pédagogique) les soulageant du poids et du stress d’une fonction hiérarchique plus ou moins bien vécue. Quant aux plus jeunes, ils ont apprécié la sécurité et la sérénité apportées par les “papys” quelquefois tuteurs malgré eux, ne leur faisant pas d‘ombre et se révélant être autres que des “vieux cons verrouillant le système pour que rien ne change” !!! Cette mise en lumière de l’intérêt d’un fonctionnement inter-générationnel, surtout dans l’élaboration et la transmission de savoir-faire pointus et stratégiques devant se déployer dans l’entreprise, a été confirmé dans d’autres situations récentes : - des cadres-relais volontaires ont été détachés en mission de 18 mois dans le cadre d’un plan dit “Rebond” de restructuration, mise en place de nouvelles organisations à partir de l’élaboration de nouveaux processus de travail ; - des groupes de travail par domaines stratégiques et l’appel à de nombreuses expertises ont fonctionné avec les mêmes ressorts pour le Projet d’entreprise CAP + 5 en cours depuis son lancement en 2002 ; - une petite équipe de “knowledge management” a été mise en place, à la lumière de ces expériences. Des reconversions réussies, des rôles d’expertise valorisants, des doubles fonctions mixtes opérationnelles plus fonctionnelles (sur des projets transversaux par exemple), des missions d’étude qui ne soient pas des leurres (prospective sur des projets de nouvelles activités, par exemple sur des services complémentaires de nouveaux produits), du tutorat d’envergure, un rôle pédagogique dans des actions de changement (exemple de modules de formation-action aux outils de gestion “Sebeco” lors de l’intégration des équipes Moulinex en 20022003)… les pistes sont nombreuses. Une condition de réussite, c’est l’imagination certes, mais surtout la volonté de faire. Les pratiques de GRH doivent être renouvelées à la lumière de cet enrichissement d’une gestion intelligente de tous les âges dans l’entreprise. Et puis il existe une autre voie, complémentaire, celle de l’engagement social et associatif, du bénévolat de fin de carrière, et les orientations de mécénat social et sociétal du Groupe SEB favorisent ces démarches nouvelles (voir article sur le sujet dans cette revue). CHRISTIAN PIN Ex DRH du groupe SEB, Président du Conseil d’Orientation d’ARAVIS [email protected] France 3: moderniser avec les seniors Dans le cadre du programme européen EQUAL, le projet “Moderniser avec les seniors” a réuni trois acteurs du secteur audiovisuel, France 3, l’Institut National de l’Audiovisuel et Arte. Pour favoriser l’acquisition des compétences tout au long de la vie, ces entreprises ont développé de nouvelles modalités pédagogiques de formation, associées à des outils innovants. objectif était de faire bénéficier les quinquas de parcours de formation individualisés, répondant aux besoins émanant de leurs pratiques professionnelles et de leur permettre un apprentissage à leur rythme tenant compte L’ de leurs contraintes professionnelles. Différentes initiatives-pilotes ont été menées dans ce sens, avec l’appui méthodologique de l’un des partenaires du projet, Algora, spécialisé sur les aspects de formation ouverte et à distance (FOAD). 10 Les Ateliers Multimédia En 2003, une première initiative a été conduite par France 3 au bénéfice d’une dizaine de salariés quinquas travaillant sur les sites Internet régionaux de l’entreprise. Basé sur un dispositif de formation innovant, l’objectif était d’anticiper le changement de logiciel du site d’information Internet à destination du public et d’accompagner les salariés quinquas concernés dans leur apprentissage, afin qu’ils ne soient pas en dif- DE n° 42 6/12/05 18:43 Page 11 Numéro 42 - décembre 2005 ficulté d’adaptation face à cette nouvelle technologie. Le dispositif ainsi construit, baptisé “Ateliers Multimédia”, s’est basé sur un dispositif modulaire, par ateliers de travail, alliant des rencontres en face à face - permettant un apport théorique, des échanges, réflexions et productions collectives - et des travaux à distance, permettant à chacun d’avancer à son propre rythme. Chaque atelier a permis de trouver une solution à une problématique métier rencontrée en situation de travail, et de produire tout en se formant. Le dispositif ainsi construit alternait des situations de travail et de formation permettant d’apprendre et de construire des solutions innovantes par la pratique, d’apprendre à innover en commun, d’utiliser les NTIC comme outils de formation, de valoriser les seniors quant à leur capacité à développer des compétences et à les transmettre. Contrairement à ce qui aurait pu être craint, aucun frein lié aux nouvelles technologies n’a été rencontré. Par ailleurs, le fait de participer à l’expérimentation d’un dispositif innovant a été une source de fierté et de motivation. De plus, l’outil utilisé pendant la phase de formation à distance a permis de créer un espace commun coopératif, de produire des projets éditoriaux transversaux et de rompre l’isolement en nourrissant la réflexion de chacun grâce à l’interaction en direct ou en différé avec ses collègues. D’autre part, l’aspect novateur des ateliers applicables à la production, loin de susciter des appréhensions a été un réel élément de motivation de formation. Ainsi, étant isolés et se sentant non reconnus dans leur travail, les stagiaires ont trouvé lors des ateliers, la possibilité d’unir leurs efforts de façon inter-régionale avec leurs pairs. Ce point a été un élément de motivation important et de ciment de l’équipe (esprit de groupe face à l’adversité) sur lesquels les formateursanimateurs ont pu s’appuyer. Enfin, la transversalité fonctionnelle (journalistes et personnels de la communication parfois en “opposition historique”) a été grandement appréciée pour aider à la construction d’un projet éditorial complet. La formation en ligne En 2004, une seconde initiative a été menée, en poursuivant dans la voie engagée de la formation à distance. Une vingtaine de salariés quadras et quinquas essentiellement, de la filière administrative, a eu la possibilité de se former sur le logiciel Excel, à la fois sur le poste de travail mais aussi dans une salle dédiée à la formation. Durant plusieurs semaines, les salariés ont pu avancer à leur rythme, selon leurs propres contraintes, avec la possibilité de revenir en permanence sur des éléments qui ne semblaient pas tout à fait maîtrisés, tout en mettant en application de manière quasi simultanée leurs apports. Ainsi a été évitée l’épreuve redoutée du jugement par les stagiaires plus jeunes, lors des stages traditionnels (“ils nous retardent”, “ils ne comprennent rien”…) qui généraient par la suite des frustrations (“le formateur allait trop vite”, “je dérangeais en posant des questions”…). Cette initiative, comme la précédente, montre que contrairement aux idées reçues, les salariés ciblés par le projet portent un intérêt certain à ces nouvelles modalités de formation et s’y adaptent parfaitement. Il semble même que la plupart d’entre eux ait 11 une préférence pour cette modalité souple et flexible en adéquation à leurs besoins et contraintes professionnelles et/ou personnelles. Parallèlement, une troisième initiative a été menée dans ce sens au bénéfice des salariés quadras de la filière technique afin de leur permettre d’accéder à des contenus théoriques en ligne (contenus du BTS audiovisuel développés en ligne sur une plateforme de formation dédiée). Les salariés volontaires ont pu remettre à niveau leurs connaissances théoriques dans le domaine de l’audiovisuel. Deux modules ont ainsi été mis à disposition d’une dizaine d’opérateurs prise de son, dans le cadre d’un cursus de formation visant à améliorer la qualité sonore des reportages. La formation des DRH et des managers Enfin par le biais de la formation, nous avons souhaité sensibiliser l’encadrement et les DRH des entreprises partenaires, au thème du management de la diversité des âges, à travers la mise en place d’une conférence portant sur le thème de l’inter-générationnel, et en créant un atelier de formation spécifique. En effet,il est apparu que ces deux populations n’étaient pas au fait des évolutions démographiques et sociologiques majeures qui vont les impacter très rapidement et qu’elles n’ont, par conséquent, mis en œuvre que peu ou pas d’actions d’anticipation. L’objectif de ces ateliers était de les faire bénéficier d’un apport théorique sur le sujet (le passage d’une gestion par l’âge à une gestion de tous les âges, les leviers de motivation des différentes populations par grande classes d’âges…), pour ensuite échan- DE n° 42 6/12/05 18:43 Page 12 Développements ger, partager et créer ensemble des solutions qui leur sont propres et qui correspondent aux situations et contraintes auxquelles ils font face chaque jour. Le premier atelier, destiné aux DRH, visait à susciter des prises de conscience au regard des évolutions démographiques et sociologiques en cours et à décider d’actions concrètes à mettre en œuvre. Le second atelier, destiné aux managers de proximité, a eu pour objectif de leur permettre de mieux manager chaque collaborateur, quel que soit son âge, et de favoriser la coopération entre les différentes générations. L’objectif visé était que chaque manager puisse adapter son mode de management aux nouveaux rapports au travail des différentes générations. Cela consiste à leur permettre de repérer leurs points d’appui, leurs points de vigilance et leurs axes de progrès dans leur métier au quotidien, de déterminer les implications de ces analyses en matière de management individuel et collectif pour demain, de s’approprier des outils et méthodes permettant de personnaliser les règles du jeu du travail au quotidien et de favoriser la coopération entre des générations et des profils différents au sein d’une équipe. En conclusion, cette initiative a renforcé les innovations en matière de RH en repoussant la pression/facilité s’exerçant en faveur de transactions et de départs anticipés… Ce projet, initié au bénéfice d’une population ciblée, a été l’occasion d’interroger l’ensemble des pratiques des entreprises partenaires en matière de gestion et de développement des RH. Ainsi, pour faire suite aux initiativespilotes mises en œuvre dans le cadre du projet, une réflexion a été menée sur les modalités d’extension - voire de généralisation de celles qui auront été jugées concluantes. Cela a été aussi l’occasion de toiletter quelques outils dédiés à la GRH et d’en inventer de nouveaux, en parti- culier en matière de formation professionnelle. Mais cela a aussi été le déclencheur d’actions concrètes venant légitimer le discours de lutte contre les discriminations.Autrement dit, il s’est agi de promouvoir le développement social en garantissant l’égalité des chances tant en interne qu’en l’externe. En interne, le projet a fait apparaître la nécessité de valoriser l’expérience professionnelle pour lutter contre les représentations erronées et les inégalités en relation avec l’âge, le genre, le handicap, dans une logique favorisant le lien social. En externe il a été/est question de lutter contre la xénophobie et le racisme en menant une action d’intégration positive pour que France Télévisions soit mieux représentative de la diversité des composantes de la société française. ALAIN DUPEYRON Directeur de la formation de France 3 [email protected] Siemens : la politique de gestion de tous les âges Une nouvelle politique de gestion des ressources humaines a vu le jour dans les années 2003/2004. S’appuyant sur des travaux d’experts et sur le dialogue social, cette démarche a permis de dégager des principes pour la mise en place d’une gestion de tous les âges, d’assurer le déploiement du dispositif grâce à des outils responsabilisants et de gérer la transition grâce à un accord de cessation progressive d’activité. ne nouvelle politique de gestion des ressources humaines a vu le jour dans les années 2003/2004. Elle a fait l’objet d’une réflexion interne au sein du Comité des Res- U sources Humaines Siemens, qui regroupe trois fois par an l’ensemble des DRH de toutes les unités Siemens en France. Dominique Thierry, ex-délégué général de Développement et Emploi, Dominique 12 Balmary ex-délégué à l’Emploi du Ministère du Travail et de l’Emploi et des responsables de l’UIMM ont participé à cette réflexion interne. Mais cette démarche a fait également l’objet d’un dialogue social DE n° 42 6/12/05 18:43 Page 13 Numéro 42 - décembre 2005 dans le cadre de l’Instance Française du Dialogue social Siemens (IFD), comité mis en place en 2000 qui regroupe les principaux comités d’entreprise français et une représentation des cinq syndicats de salariés représentatifs désignés au sein de Siemens par leurs fédérations respectives. Cette réflexion s’est appuyée sur des recherches réalisées nationalement, elle a dégagé des principes de gestion Siemens de mise en place d’une gestion des âges, un processus de ressources humaines grâce à des outils responsabilisant et une cessation progressive d’activité transitoire. Principes pour la mise en place d’une gestion de tous les âges Une réflexion globale sur tous les âges Le choc démographique génère un bouleversement de la politique de gestion des âges lequel impose la nécessité de rompre avec la culture de mise à l’écart des salariés âgés. Il faut intégrer les seniors au business : il ne s’agit plus de gérer de manière défensive les travailleurs âgés, mais d’énoncer des stratégies offensives pour les secondes parties de carrière, afin de maintenir leurs capacités. Il faut éviter l’effet stigmatisation des seniors par une réflexion isolée qui irait à l’encontre du but recherché, et les intégrer à une démarche globale. Raisonner âge, c’est aussi s’occuper des plus jeunes et examiner ce qu’ils deviendront aux âges avancés pour adapter les trajectoires en fonction des besoins futurs. Il faut travailler sur tous les âges de manière différenciée en engageant un plan d’action bien connecté à la stratégie de l’entreprise et développer une Gestion des Ressources Humaines destinée à accompagner les salariés tout au long de la vie professionnelle. Une gestion des âges fondée sur le maintien de l’employabilité et le développement des compétences Le maintien de l’employabilité passe par le développement de la gestion prévisionnelle des compétences. Le développement des évolutions technologiques, exige d’anticiper la raréfaction des compétences liée à l’évolution des technologies, de favoriser leur transmission, mais aussi de préserver, maintenir et développer les compétences des salariés. La logique compétence est une démarche partagée et responsabilisante. L’entreprise doit préserver, tout au long de la vie, la capacité et la volonté d’un travailleur à suivre les adaptations de son emploi et réciproquement chaque salarié est acteur de sa trajectoire professionnelle. Les freins susceptibles d’entraver cette évolution Il existe des freins culturels à la revalorisation des seniors : nos pratiques sont trop souvent sous-tendues par une perception négative des seniors considérés comme inadaptables et contre-productifs. Cela exige de défendre l’idée que le vieillissement est un atout et de mettre en avant la mixisation des équipes pour faciliter la coopération intergénérationnelle et la prise en compte de l’expérience. Mais il faut aussi sensibiliser les collaborateurs au fait que le départ anticipé n’est plus un avantage acquis. 13 Déployer le dispositif, mais maintenir l’employabilité L’employabilité traduit la capacité d’un individu de développer et de maintenir ses compétences afin d’obtenir et de conserver un emploi dans l’entreprise, mais aussi sur le marché du travail, tout au long de sa vie active. L’employabilité procède d’une vision plus large qui dépasse le cadre unique de l’entreprise, dès lors que cette dernière ne peut plus garantir l’emploi ni s’engager pour toute une carrière. Un salarié “employable” est susceptible d’être mobile à la fois en interne et lorsque cela n’est pas possible en externe, dans la mesure où des compétences entretenues et renouvelées faciliteront son reclassement sur le marché de l’emploi. Le maintien de l’employabilité devient ainsi l’un des axes d’une politique socialement responsable. L’employabilité responsabilise également les salariés dans le développement de leur carrière, chaque salarié est acteur de sa trajectoire professionnelle et doit se former tout au long de la vie. Afin de renforcer l’employabilité, Siemens a pour rôle de proposer aux salariés tout au long de leur carrière les moyens de se former à l’aide de perspectives professionnelles claires et lisibles. Le déploiement d’un tel dispositif nécessite la mise en place d’outils destinés à identifier les écarts de compétence, à anticiper l’évolution du contenu des métiers et à mieux maîtriser les qualifications nécessaires à l’entreprise, et ce pour construire des parcours professionnels motivants adaptés à chaque âge. DE n° 42 6/12/05 18:43 Page 14 Développements Ce dispositif se décline autour de trois axes : 1. L’ARTICULATION DU SYSTÈME Ces parcours professionnels assurent la motivation à tous les âges au travers d’une redynamisation des carrières. D’ÉVALUATION ET DE LA POLITIQUE DE FORMATION 3. UNE GESTION DES CARRIÈRES Le système d’évaluation annuel désormais basé sur les compétences, couple l’entretien d’évaluation avec le recueil des besoins de formation en liaison avec les perspectives d’emploi et les souhaits de mobilité des salariés. L’entretien annuel d’évaluation de la performance garantit ainsi une meilleure connaissance des collaborateurs, de leurs compétences, aspirations et potentiels. Le plan de formation s’articule autour de l’évaluation des besoins stratégiques définis dans le Business Plan et de l’identification des besoins individuels. Un budget spécifique est réservé aux salariés considérés comme ayant des problèmes d’employabilité (fixé à 0,2 %). Des comités carrières sont maintenant réalisés chaque année pour tous les salariés avec un focus sur les salariés ayant plus de 7 ans dans leur poste, plus de 15 ans d’ancienneté et les plus de 45 ans. Il permet d’identifier les compétences clés, les personnes à risques… Chaque manager est dorénavant plus impliqué sur le devenir de ses salariés. 2. DANS UNE PERSPECTIVE DE MOBILITÉ INTERNE/EXTERNE Il s’agit de rendre les salariés plus mobiles en interne et lorsque ce n’est plus possible de faciliter le reclassement externe sur le marché de l’emploi. Une mobilité interne est favorisée par une bourse des emplois disponible sur l’ensemble du groupe (Hermes). La mobilité est une co-responsabilité de l’entreprise et des collaborateurs, qui a été reconnue dans une “charte de mobilité” du groupe Siemens France. Gérer la transition Un accord à durée déterminée de cessation progressive d’activité… L’approche de la gestion des âges entre dans une phase transitoire. La nécessité de renouveler une pyramide des âges inadaptée, de préparer l’avenir obligent à recourir à des départs de fin de carrière anticipés. Un accord cadre du groupe Siemens a été négocié en juin 2005. Il fait l’objet de négociation dans chaque entreprise pour la mise en place d’un dispositif de cession d’activité programmée pour les salariés dont la volonté est de prendre leur retraite de façon progressive et concertée. Cet accord permet au salarié de préparer sa retraite, deux ans avant que celle-ci soit effective, par un dispositif responsabilisant pour l’entreprise et le salarié, sans être à la 14 charge de la collectivité (aucun passage par la “case” Assedic). … dont la logique diffère radicalement de celle du passé Cet accord, qui vise à répondre à l’attente légitime d’une partie du personnel de cesser leur activité avant l’âge légal de départ à la retraite, a pour ambition de permettre aux salariés volontaire de Siemens en France : • de cesser leur activité par anticipation, grâce à un programme de Cessation Progressive d’Activité ; • de bénéficier d’un dispositif transitoire entre l’activité qu’ils exercent au sein de leur entité et la retraite ; • de leur assurer un revenu dit de remplacement jusqu’à ce qu’ils puissent prétendre à la liquidation d’une retraite à taux plein auprès de la Sécurité Sociale et d’une retraite complémentaire AGIRC/ARRCO. Il facilite ainsi la planification des recrutements, la transmission des savoir-faire par le biais de tutorat. Cet accord n’est qu’un dispositif transitoire de gestion de la fin de carrière des seniors. Le préambule de l’accord indique clairement qu’il ne s’inscrit pas dans le schéma bien connu de mise à l’écart des seniors, mais accompagne la mise en place progressive d’une politique de gestion des âges. Au terme de cette transition, le départ en retraite constituera le mode normal de cessation d’activité. JEAN LE GAC Directeur des Affaires Sociales Siemens France [email protected] DE n° 42 6/12/05 18:43 Page 15 Numéro 42 - décembre 2005 Seniors en PME: ouvrir le champ des possibles Si l’emploi des seniors occupe une place croissante dans le débat social, s’il commence à prendre corps (sous forme d’accords) dans quelques grandes entreprises, force est de constater que la très grande majorité des petites et moyennes entreprises semblent aussi dubitatives que démunies face au choc démographique annoncé et à ses conséquences sur l’emploi. P our autant, les PME sont et seront soumises d’une part à des départs en nombre des “papy boomers” entraînant des difficultés telles que la perte de savoir-faire. D’autre part, elles seront confrontées aux impératifs d’allongement des parcours professionnels pouvant engendrer davantage de pénibilité, de la lassitude, une inadaptation des postes de travail, des tensions intergénérationnelles, des problèmes de mobilité… Il s’agit pour l’ANACT et le réseau des ARACT d’inviter ces entreprises à ne pas rester passives et de les accompagner dans des démarches d’anticipation et de prévention des impacts du vieillissement au travail afin de maintenir leurs performances. Sortir des logiques de la “bricole”… L’étude de l’ARACT Ile-deFrance, de l’ARETE et de la CGPME 91, menée en 2004 auprès d’une douzaine de PME, montre que “si la Gestion des âges n’est pas identifiée comme une problématique prioritaire, elle est néanmoins présente, intégrée dans des approches de gestion de ressources humaines peu formalisées, fortement individualisées et effectuées au cas par cas”. La gestion des âges n’est pas une question nouvelle pour bon nombre de petites entre- prises, mais elles n’en mesurent peut-être pas assez l’acuité. D’une manière générale, les petites entreprises se caractérisent par une plus faible présence de seniors. Lorsqu’ils sont en activité dans les PME, ils ont souvent vieilli avec l’entreprise. Ils représentent une ressource essentielle par leur expérience, leurs savoir-faire et la confiance accordée par leur patron. Lorsque l’avancée en âge d’un ou plusieurs salariés “reconnus” équivaut à l’émergence d’inaptitudes nécessitant de revoir le poste de travail, le collectif de travail fait souvent preuve de solidarité, de débrouillardise et de souplesse pour les maintenir en activité. Il existerait donc des marges de manœuvre, malgré les faiblesses déclarées de moyens. Reste que ces solutions organisationnelles, dépendantes fortement des modes de management, sont généralement synonymes d’actions curatives de court terme et individualisées. Par ailleurs, on ne peut occulter les nombreuses pratiques d’exclusion naturalisée pour les salariés vieillissants. Ils partent d’eux-mêmes ou sont invités à partir, principalement aux motifs qu’ils développeraient des inaptitudes ne permettant plus de suivre les rythmes ni de s’adapter aux changements technologiques et organisationnels. Les chefs d’entreprise estiment communément avoir une bonne connaissance de leurs salariés du fait EXEMPLE 1 Dans cette PME du textile, plus d’un salarié sur deux a plus de 45 ans. La plupart ont une très forte ancienneté (25 ans et plus). L’accroissement de la pression du marché et des exigences des clients a entraîné restructuration et intensification du travail qui se répercutent sur la santé des salariés. Les futurs nombreux départs à la retraite posent un problème de perte de savoir-faire d’une population fortement expérimentée, accentué par les difficultés de recrutement pour des métiers peu attractifs. La démarche engagée a consisté à: - Mettre en place une gestion prévisionnelle des âges : repérage à moyen et long termes des futurs départs et états des lieux des ressources humaines internes pouvant les suppléer, - Redéfinir les tâches attribuées aux personnes ayant développé des TMS et la prévention de ces risques, - Développer des passerelles entre métiers, et une harmonisation de certaines activités, - Améliorer l’attractivité interne : déploiement d’une dynamique professionnelle, redéfinition du système de classification, développement de la politique de formation, - Améliorer l’attractivité externe : création de partenariat avec les établissements scolaires, intégration structurée des nouveaux recrutés. 15 DE n° 42 6/12/05 18:43 Page 16 Développements de la proximité inhérente à la taille de leur structure. Néanmoins ils ont peu d’éléments pour une gestion prévisionnelle de leur personnel. Ils ne possèdent pas d’indicateurs précis sur leur pyramide des âges, pas plus que de données relatives à la santé. … et engager des actions d’anticipation Il existe cependant des exemples d’actions engagées montrant des capacités d’anticipation des PME sur des problématiques liées à la gestion des âges. Ces actions peuvent être menées à l’échelle d’une entreprise (voir encadrés “exemples 1 et 2”). Elles commencent également à émerger au niveau interentreprises. Si les solutions de l’exemple 1 peuvent paraître relativement basiques pour un professionnel des ressources humaines aguerri, elles illustrent toutefois le besoin d’objectiver les données sociales afin de modifier les représentations (notamment des dirigeants). Cet exemple souligne aussi qu’une demande sur la perte de compétences et la faible attractivité peut impliquer de reposer la problématique sous l’angle de la santé, de la prévention des usures professionnelles et des conditions d’exercice du travail. Le second exemple développe davantage un mode de régulation qui renvoie au volontarisme des acteurs, en particulier du dirigeant, EXEMPLE 2 Dans une entreprise de mécanique spécialisée d’une cinquantaine de salariés, le travail se fait toujours à façon et nécessite au moins cinq années d’expérience sur le terrain. Son dirigeant a demandé à l’ARACT de réfléchir à la transmission des savoirs dans la perspective à moyen terme de départs importants à la retraite. Il est repéré également une forte inadéquation entre les profils des jeunes candidats et les exigences des postes. L’action a consisté à mettre en place un système de tutorat Afin de garantir son efficacité, la démarche s’inscrivait dans la durée (action pluriannuelle) pour bien anticiper les départs des anciens tout en favorisant l’intégration des jeunes. Il a fallu organiser le travail en binôme. Enfin, les nouvelles compétences des tuteurs (suivi d’un stage de formation pédagogique) ont été reconnues financièrement (augmentation des salaires). Cette action a permis de remotiver les tuteurs par la reconnaissance de leurs savoirs et la possibilité de les transmettre avant de cesser leur activité. à inscrire sa démarche comme un ressort stratégique essentiel à la survie de son entreprise. Néanmoins, les chefs de petites entreprises se déclarent souvent dépourvus de moyens d’action : possibilités limitées de mobilité interne (fonctionnelle et hiérarchique), difficulté pour envoyer un salarié en formation, pour adapter les postes… De plus, l’accroissement des contraintes de marché engendrerait une intensification des charges de travail, limiterait le nombre de postes “doux” et surtout ne permettrait pas de se projeter dans l’avenir et donc d’offrir des perspectives d’évolution professionnelle aux salariés vieillissants. Ces difficultés à rechercher des solutions singulières, combinées au phénomène de masse que constitue le vieillissement de la population 16 active, invitent à trouver des solutions collectives au niveau professionnel et/ou territorial. Des secteurs tels que le bâtiment ou l’agriculture, confrontés à des pénuries de main-d’œuvre et des problèmes de gestion de fins de carrière, se sont déjà engagés dans ces dynamiques. Aujourd’hui, ces exemples se multiplient (encore timidement), par exemple, dans les métiers du logement social ou du secteur sanitaire et social. Des initiatives sont également amorcées au niveau territorial (région, bassin d’emploi) afin de sensibiliser les entreprises et d’améliorer l’employabilité de seniors en PMEPMI. BENOÎT LEPLEY Chargé de mission ARACT Ile-de-France [email protected] DE n° 42 6/12/05 18:43 Page 17 Numéro 42 - décembre 2005 De l’analyse à la gouvernance des savoirs Le groupe Thales a commencé à analyser les risques de perte de savoirs stratégiques liés aux futurs départs en retraite. Des expérimentations sont lancées. L a gestion stratégique du capital humain est aujourd’hui reconnue par les entreprises dans le monde entier comme un enjeu majeur de compétitivité ; 70 % des grandes entreprises la considèrent comme un élément clé de leur stratégie. Nous avons pu entrevoir auprès de Thales et de plusieurs entreprises de l’aéronautique que l’annonce de perturbation démographique a été une stimulation réelle pour que les directions des ressources humaines se posent de nouveau des questions sur leurs modalités de gestion des savoirs et des compétences. Les difficultés constatées dévoilent une insuffisance prospective dans la gestion des savoirs de chaque organisation. Le repérage des risques autour des savoirs stratégiques est une approche qui conduira notamment à clarifier les urgences, identifier, localiser, caractériser, estimer la valeur de ces savoirs, définir et justifier les actions de transmission, prioriser les typologies de savoirs à sauvegarder. Ce travail permet de répondre aux questions suivantes : quels types de savoirs doit-on capitaliser ? Qui détient ces savoirs dans l’entreprise ? À quels endroits dans l’entreprise ? Sous quelle forme ? Quels sont les enjeux et les risques associés ? C’est bien le projet validé par le DRH groupe de Thales que nous souhaitons vous présenter rapidement. Le lancement de la phase exploratoire des risques autour des savoirs stratégiques des seniors a pu voir le jour fin juin 2004 dans la pre- mière unité pilote (ATM). Il s’agissait, à ce stade des opérations, de mesurer le degré de risques effectifs autour des départs envisagés. Ainsi, ceci nous a amenés à investir les savoirs mobilisés par les experts seniors. La réalisation de l’inventaire des savoirs combinatoires mobilisés lors de situations problèmes typiques et/ou significatives, a constitué le corpus des ressources en situation que nous souhaitions identifier. Savoirs cachés Ce travail d’investigation chez Thales a permis de confirmer et de valider le périmètre d’une problématique réelle. Au-delà de cette dimension, cette action pilote au cœur de cette unité de l’entreprise, prise comme laboratoire socio organisationnel, avait comme objectif de mettre en œuvre des expérimentations adaptées en fonction de la famille professionnelle, des missions retenues comme stratégiques, du contexte et du parcours professionnel (ancienneté, réorganisation, compétences en œuvre, historique professionnel, motivation individuelle, relation aux savoirs…). Nous avons pensé les savoirs d’action en relation et construction mosaïque à partir de savoirs cachés, savoirs d’expérience, savoir-faire relationnels, savoirs contextuels, savoirs informels. Notre investigation réalisée autour d’entretiens, s’est construite à partir d’un panel de 12 experts, choisis par les managers opérationnels. Ce panel, qui ne se voulait pas exhaus- 17 tif, avait pour fonction de repérer et d’identifier les missions les plus stratégiques pour l’unité. En phase préparatoire aux entretiens, le manager opérationnel a mené des communications individuelles auprès de chaque expert. Ceci avait pour ambition dans un premier temps, de démystifier les représentations renforcées par une longue pratique managériale de mise en préretraite. D’autre part, d’expliciter les enjeux stratégiques de cette démarche portant sur l’investigation de leurs savoirs agissants. Nous avons accompagné les experts, autour d’une grille d’entretien, afin qu’ils choisissent les expériences les plus marquantes, dégagent les situations les plus stratégiques et retracent, par un exercice réflexif, leurs combinatoires de savoirs. L’enjeu étant là, de cerner les diverses typologies de savoirs mobilisés dans l’action et de caractériser le niveau de criticité s’y rattachant. Cette action continue chez Thales dans sa phase de transmission, mais cette année, c’est sur d’autres terrains pris comme pilotes que va continuer cette expérimentation réelle porteuse d’enseignements stratégiques. La période du retournement démographique va nécessiter une nouvelle gouvernance des savoirs. “À vouloir résoudre les questions de demain avec les outils d’hier, nous avons les problèmes d’aujourd’hui.” HERVÉ SERIEYX MICHEL LEBELLE Ingénieur en stratégie et ingénierie de formation d’adultes Chercheur à Paris X sur la gestion des savoirs en entreprise [email protected] DE n° 42 6/12/05 18:43 Page 18 Développements L’engagement social et associatif en fin de carrière Quelques entreprises, comme EDF/GDF, Sanofi-Aventis ou Schneider Electric incitent leurs salariés en fin de carrière à s’engager dans la vie associative. Après une première expérience réussie avec la Fondation de la deuxième chance, le groupe SEB va lancer une campagne d’information sur l’ensemble de ses sites français. E DF/GDF a signé en 1998 un accord créant l’activité partagée qui prévoit dans les deux années précédant le départ en retraite, la possibilité pour les agents de disposer d’une journée par semaine, rémunérée, pour se consacrer à une activité associative. La condition exigée pour utiliser ce dispositif est que l’engagement associatif ait un lien avec le métier de l’entreprise, par exemple favoriser le transport électrique pour des populations défavorisées. Dans le cadre de sa politique de mécénat, Sanofi-Aventis organise pour les salariés de plus de 55 ans une journée de sensibilisation au bénévolatintitulée La cessation anticipée d’activité, une opportunité pour s’engager dans le bénévolat. Un partenariat avec France Bénévolat Schneider Electrics, dans son site de l’Eure, monte un programme de trois séances d’une demi-journée en partenariat avec France-Bénévolat à destination de ses collaborateurs en fin de carrière. Information et sensibilisation collective, précèdent une séquence individualisée permettant de construire un projet personnel d’engagement associatif bénévole. IBM France s’interroge, à l’occasion de la mise en place de systèmes de départs anticipés “maison”, sur l’opportunité de proposer aux bénéficiaires potentiels une alternative “d’utilité sociale” par le biais d’activités bénévoles volontaires, avec un dispositif incitatif. Comment analyser ces actions ou projets qui émergent, encore rares mais significatifs ? Les entreprises se donnent-elles “bonne conscience” en favorisant pour les seniors autre chose que l’alternative entre le travail plus ou moins investi et l’inactivité rémunérée? Sont-elles conscientes qu’une contribution à l’enrichissement de la vie de la cité, un meilleur équilibre de vie des personnes en fin de parcours professionnel, se traduiront dans une image plus flatteuse pour elles ? Des dirigeants soucieux de la dimension éthique et sociétale cherchent-ils à concrétiser leurs convictions ? Est-on en train de réaliser que l’allongement de la vie, le vieillissement au travail, créent de nouvelles conditions et enjeux pour ces vagues de “seniors” qui sont autre chose qu’une cible de consommateurs ? Le Groupe SEB a mis en place en 2004 une Direction du Développement Durable. Elle a élaboré une politique et lancé des projets, notamment en matière de Responsabilité Sociale et Sociétale de l’Entreprise (RSE). Le Mécénat Social est centré sur une cause : la lutte contre l’exclusion (le “mieux vivre pour tous”). Un des axes retenu est celui de l’insertion professionnelle, en s’appuyant sur l’esprit d’entreprendre, une valeur-clé qui fonde la culture de l’entreprise, avec 18 la capacité d’innovation. Seb est donc partenaire de la Fondation de la Deuxième Chance et met en œuvre un soutien financier et du mécénat de compétences pour accompagner des personnes en “rebond de vie”, porteuses d’un projet de création d’activité individuelle, qui bénéficient ainsi d’un sérieux coup de pouce. Une équipe de volontaires a été constituée pour le site-relais de Lyon de la Fondation. Composée de salariés, dont des seniors en fin de carrière du Groupe Seb-Calor de la région et de récents retraités, elle se charge d’étudier les projets et d’accompagner les porteurs en parrainage. Les salariés consacrent quelques heures par mois, sur le temps de travail, à cette mission qu’ils mènent en équipes mixtes de deux ou trois, avec des retraités de l’entreprise (ainsi que d’associations de seniors comme Egée, Agir abcd…). Une deuxième équipe de salariés se met en place sur le site-relais d’Annecy avec des salariés de TefalRumilly. L’entreprise poursuit dans cette démarche volontariste plusieurs objectifs : - donner la possibilité à des salariés qui le souhaitent et ont envie d’être utiles sur le plan social de contribuer à des projets humanitaires de proximité cautionnés et appuyés par l’entreprise qui y consacre des moyens ; - permettre à des seniors de faire l’apprentissage du bénévolat (et de DE n° 42 6/12/05 18:43 Page 19 Numéro 42 - décembre 2005 préparer ainsi pour certains des activités associatives qu’ils assumeront à la retraite) ; D’ABORD RÉTICENT, - développer des pratiques d’actions inter-générations ; - fédérer des salariés et d’anciens MICHEL DÉCOUVRE UN NOUVEL UNIVERS Michel L. a bientôt 59 ans. Ingénieur logisticien dans un groupe de produits de grande consommation, il y a passé la plus grande partie de sa carrière. Service Méthodes, Fonction Organisation, Directeur d’usine, Responsable des systèmes d’information Centraux, il a connu une belle trajectoire. Il est chef de projets logistiques internationaux, au siège du Groupe, depuis pas mal d’années. Sa mission consiste à étudier des projets de logistique physique et de distribution (flux de produits, entrepôts…), à la demande et à assurer leur suivi fonctionnel lorsqu’ils sont lancés. Il vient rencontrer le DRH pour lui faire part de sa lassitude : une certaine routine, beaucoup de projets reportés ou qui ne débouchent pas, un job très fonctionnel où il souffre de l’indépendantisme de beaucoup de filiales, une rémunération qui stagne… un peu d’aigreur et surtout le désir de partir. Son épouse a pris une pré-retraite, il reste le seul de sa promotion de l’école des Arts et Métiers encore en activité professionnelle. “Place aux jeunes ! Vous allez bien me trouver une solution de départ !” Plus de FNE dans l’entreprise, pas de possibilité de départ anticipé, une transaction est hors de question, la politique est désormais de partir au mieux à 60 ans, si les trimestres sont acquis pour les droits à pension de retraite. C’est clair et net et “en plus on doit montrer l’exemple pour les cadres et au siège du Groupe”. Un projet local d’insertion de titulaires du RMI, mené à l’instigation de la mairie et en partenariat avec des entreprises de la région a débouché sur la création d’une association d’accompagnement à l’emploi. Cette structure recherche des compétences d’appoint venues de l’entreprise. Le DRH propose à Michel L. de collaborer à mi-temps avec cette association, en lui apportant tout son vécu d’homme de l’industrie. D’abord déçu et réticent, Michel finit par accepter “pour voir”. Ce sera une réussite. Détaché à temps partiel pendant un an, très bien intégré dans l’équipe de l’association qui lui reconnaît rapidement de fortes compétences et une efficacité exemplaire, il découvre le champ social, une utilité évidente à court terme, il fait preuve de grandes qualités relationnelles, et retrouve du tonus et une perspective nouvelle qui rejaillit sur ses projets logistiques.Y compris son patron qui ne le reconnaît plus. Il avouera en partant un an plus tard :“J’ai découvert cet univers de gens qui galèrent et tout ce qu’on peut faire pour eux, et j‘ai préparé mon futur de retraité actif ”. 19 salariés autour d’une ambition de responsabilité sociale, au-delà des limites de l’entreprise, là où elle est implantée ; - donner de la visibilité à son engagement vis-à-vis de l’environnement et concrétiser son image en matière de Développement Durable sur le registre social. SEB concrétise ainsi ses objectifs d’entreprise citoyenne et sa volonté de renforcer la cohésion interne, en intégrant les aspirations de ses collaborateurs qui sont incités de cette façon à s’engager et à préparer leur rôle futur. L’expérience menée en région lyonnaise depuis deux années est très concluante. Un deuxième siterelais va s’organiser sur la région d’Annecy (Seb-Tefal). Une campagne d’information va démarrer sur la quinzaine des autres sites du Groupe en France, pour sensibiliser et susciter des volontaires qui iront rejoindre les équipes locales de la Fondation, animées par d’autres entreprises partenaires (plus de quarante sites-relais dans toutes les villes, grandes ou moyennes). CHRISTIAN PIN Ex DRH du groupe SEB, Délégué de la Fondation de la deuxième chance pour le grand Lyon [email protected] DE n° 42 6/12/05 18:43 Page 20 Développements Déplacer l’effort de formation vers les quadragénaires et plus? L’accès à la formation professionnelle continue ne va pas de soi pour les plus de quarante ans. Les organismes sont peu sollicités et rares sont ceux qui ont développé une ingénierie adaptée à ce public. D’ une façon générale, en dehors des phénomènes de reconversion contraints ou non (apprendre un nouveau métier en milieu de carrière) l’engagement en formation suppose des perspectives ou des projets professionnels. La formation professionnelle continue (FPC) ne repose pas sur la supposée attirance des personnes à acquérir des connaissances en soi, non pas que le goût pour acquérir de nouveaux savoirs ne soit pas légitime ou honorable mais c’est précisément ce postulat qui entraîne la formation continue vers les plus éduqués, les plus diplômés et les plus qualifiés. La société française bute donc sur les conséquences de la prise de conscience tardive que l’accès à la FPC ne va pas de soi pour les moins qualifiés et les plus de 40 ans. Or dans une société qui vieillit mais où les personnes sont de plus en plus aptes physiquement et mentalement à maintenir une activité au-delà de 60 ans (on ne fera pas de Mick Jagger une icône d’exemplarité dans ce domaine mais quand même…) il faut s’interroger sur les mécanismes de renouvellement des savoirs durant toute la vie. Quelques constats Les objectifs de formation ne conservent leur légitimité que si ils sont de plus en plus précis au fur et à mesure que l’on évolue professionnellement. Plus les personnes avancent dans leur vie professionnelle et plus leur expérience relativise le rôle des systèmes de formation dans l’acquisition de savoirs techniques ou procéduraux. L’accélération des mutations du travail a certes mobilisé la FPC durant ces 30 dernières années mais de façon infime par rapport aux phénomènes d’auto-apprentissage, d’apprenance, d’adaptation en situation de travail, etc. Si les salariés, à tous les niveaux, se sont adaptés à la plupart des changements techniques ou procéduraux, certains ont eu plus de difficulté face aux changements organisationnels ou managériaux, précisément là où les organismes de formation sont moins préparés à intervenir. Dans un certain nombre de cas, la non-maîtrise des savoirs de base a été un obstacle à cette adaptation ce qui a révélé d’ailleurs les faiblesses de notre appareil de formation qui a séparé dans la tradition académique le traitement de savoirs de base et l’appropriation des techniques. Dans cette période marquée par le chômage de masse et de longue durée, les trajectoires professionnelles ont été déstabilisées et on ne peut pas dire que la FPC aie eu un rôle correcteur très flagrant. Pour résumer, la tendance à “sur-utiliser” la FPC avant 25 ans ou lors des périodes de chômage a affaibli le lien déjà ténu entre FPC et parcours professionnel. Or c’est ce lien qui donne à la FPC son sens et son intérêt pour les salariés. Si la FPC ne sert pas à progresser professionnellement (exercer des activités plus riches ou plus intéressantes), personne ne peut penser qu’elle peut servir à régler le problème du chômage. 20 L’appareil de FPC français est très peu sollicité pour anticiper des progressions professionnelles après 30 ans (obtention de savoirs permettant de compléter des acquis expérientiels insuffisants pour occuper un emploi plus qualifié). Le scénario est plutôt d’envoyer en formation des salariés qui ont acquis des compétences par l’expérience et dont on pense qu’elles ont besoin d’une consolidation académique (formalisée par un diplôme) dans ce champ de connaissances déjà acquis. Ce registre ne mobilise donc que très peu les opérateurs capables d’accélérer un processus expérientiel de montée en compétences par des contenus et des méthodes pédagogiques appropriées. Or c’est cette vocation d’accélérateur qui est la première valeur ajoutée d’un organisme de formation qualifiant (réaliser une acquisition de savoirs par des méthodes intensives et attractives). Des repères RH La mobilisation de la FPC dans la gestion des âges dans l’entreprise doit permettre cette réconciliation et se confronter à l’expérience des salariés sur ce plan. La façon dont chaque quadragénaire analyse son évolution professionnelle est une des clefs de compréhension de la façon dont la FPC peut ou non lui apparaître comme utile pour son avenir. Trois cas de figure s’imposent: • carrière stagnante • carrière ascendante • carrière déclinante Pour une DRH ou un service de formation soucieux d’instrumenter sa politique de FPC dans le champ de la gestion des mi-carrières, il faut pro- DE n° 42 6/12/05 18:43 Page 21 Numéro 42 - décembre 2005 céder à une telle investigation personnalisée et collective afin de distinguer les faits objectifs et subjectifs (le sentiment qu’éprouve le salarié, sa trajectoire réelle, son image auprès des collègues et hiérarchiques) avant d’aborder la question des objectifs de formation. Cette analyse suppose un climat de confiance fort entre la DRH et les salariés sinon mieux vaut faire appel à un conseil externe sur ce plan sachant établir le lien entre une carrière, une identité et l’expression de besoins de formation. Les objectifs de formation ambitieux et crédibles doivent comporter une part de rupture et une part de confortation des acquis dans des dosages différents selon la situation dans un schéma de ce type: carrière stagnante carrière ascendante carrière déclinante éléments de rupture éléments de confortation 50 50 30 70 70 30 Plus les personnes sont auto-dévalorisées plus elles redoutent les situations de rupture. Ce blocage nécessite une instrumentation d’amont de type: • repérage des compétences génériques (habiletés, compétences transverses, etc. qui dépassent les compétences très techniques et très spécialisées); • VAE; • bilans de compétences; • etc. Cela afin de valoriser l’expérience acquise. Mieux vaut éviter d’attendre les phases de démobilisation et de distanciation à l’égard de l’engagement professionnel pour mobiliser la formation (l’instrumentation sera plus lourde avec des résultats moins probants sauf contexte très favorable). Ce choix milite pour: • le développement des pratiques préventives en FPC; • une meilleure liaison entre formation et reconnaissance (certification); • une amélioration de la compréhension des processus d’autoformation; • une meilleure appréciation (évaluation) de la valeur ajoutée de la formation organisée et des prestataires externes. Ces préoccupations dépassent les services formation et concernent d’abord l’encadrement de proximité qui doit s’approprier le champ du développement du patrimoine de compétences et de connaissances de leurs équipes. Renforcer l’ingénierie en formation d’adultes En tout état de cause la définition de la formation dans le champ du traitement des quadragénaires qui allient une expérience et un rapport plus distant à l’égard des modèles pédagogiques scolaires, doit être plus charpentée et explicitée que s’il s’agissait de jeunes. Compte tenu du faible effort de formation français à l’égard de cette population il n’y a pas beaucoup d’organismes de formation qui ont développé une ingénierie adaptée à cette population qui devient de plus 21 en plus importante. Les repères pour légitimer un engagement en formation après 40 ans sont donc peu courants, peu explicités et ne permettent pas d’établir des signaux suffisants pour modifier le doute ambiant à l’égard de l’engagement formatif “tardif ”. Ces repères consistent à rassurer les individus sur leurs capacités cognitives mais aussi et surtout sur l’environnement de l’emploi souvent caricaturé (les gens ignorent la réalité du marché de l’emploi, l’évolution des contenus d’emplois, les zones de transférabilité des compétences, etc.). • Il y a une expérience à traduire qui doit être appréhendée comme point d’appui mais aussi comme verrou par rapport à certaines options d’évolution ou opportunités. • Il y a une instrumentation spécifique à développer sur le plan pédagogique car à 40 ans et plus, la façon d’apprendre (style d’apprentissage) s’est consolidée ou rigidifiée (il faut à ce niveau réactiver des mécanismes d’apprentissage qui ont été sousutilisés plutôt que d’enfermer les personnes dans leurs options). • Le choix d’opérateurs externes possédant un crédit et une identité forte est important. L’offre de formation en France est très tournée vers les jeunes et les formateurs ont développé des façons de faire qui passent plus mal avec des personnes expérimentées. • Les méthodes et les contenus de formation doivent être appropriés à un public MIXTE (rien de pire qu’une pédagogie pour vieillissants!). PAUL SANTELMANN Responsable de la veille prospective à l’AFPA [email protected] DE n° 42 6/12/05 18:43 Page 22 Développements 73 % des cadres ne souhaitent pas travailler au-delà de 60 ans À l’occasion des négociations interprofessionnelles sur l’emploi des salariés âgés, rendues obligatoires par la loi du 21 août 2003 portant réforme des retraites, l’Ugict-Cgt (Union générale des Ingénieurs, Cadres et Techniciens Cgt) a mené une enquête auprès des cadres et professions intermédiaires âgés de plus de 45 ans, du secteur privé et du secteur public. I l s’agissait d’approcher au plus près la réalité de ces catégories professionnelles pour en tirer des enseignements revendicatifs. Le questionnaire a été élaboré avec l’aide de l’institut de sondage Enquête & Opinion qui en a présenté les résultats. Qu’est-ce qu’un ou une senior ? Prenant appui sur la réforme des retraites, le patronat et le gouvernement les situent dans la tranche des 55/64 ans. Car si cette réforme a maintenu l’âge légal de la retraite à 60 ans, elle s’est aussi donné comme objectif de faire remonter cet âge en allongeant la durée de cotisations nécessaire pour une retraite entière et en créant un mécanisme de surcote pour les retraites liquidées après l’âge légal. À noter cependant que le vécu dans certaines entreprises, quant aux conditions de travail, à la formation QUEL EST LE POIDS DES CADRES ? Selon l’Insee, en 2003, parmi les salariés de plus de 50 ans, 20,4 % exerçaient des professions intermédiaires, 17,8 % étaient cadres et professions intellectuelles supérieures, 23,3 % étaient des femmes toutes catégories confondues. professionnelle, à la progression salariale, aux déroulements de carrière, fait que certains salariés situent les seniors à partir de 40 ans ! À partir d’un échantillon de 300 cadres et professions intermédiaires, les réponses obtenues ont permis de dégager les points forts suivants. Charge et conditions de travail Seuls 22 % des ingénieurs, cadres et techniciens supérieurs interrogés estiment que les moyens humains mis à leur disposition pour un travail de qualité sont suffisants. Pour 52 % d’entre eux la principale revendication concerne la charge de travail. Ils souhaitent une diminution de la pénibilité du travail liée notamment à la charge mentale. Un double mouvement apparaît par ailleurs: une certaine satisfaction visà-vis des horaires de travail (62 %) mais aussi une charge de travail trop lourde.Problème qui soulève de nouveau la question de l’organisation du travail, thème peu discuté (du fait de la volonté patronale) lors de la mise en œuvre de la réduction du temps de travail. Motivation et aptitude au changement Si 59 % des ingénieurs, cadres et techniciens expriment le sentiment de ne pas avoir évolué dans leur tra- 22 vail et 72 % celui de ne pas savoir à quoi ils servent dans l’entreprise. Apparente contradiction, ils sont pourtant 74 % à trouver leur travail intéressant tout en se sentant peu ou pas associés à la prise de décisions, et 83 % à se déclarer capables de travailler autrement. Ainsi se trouve battue en brèche l’idée selon laquelle les seniors seraient dans l’immobilisme ou dans le désintérêt. L’enquête le prouve sans détour, c’est bien d’une critique du sens et de l’organisation du travail dont il s’agit. Les seniors sont tout à fait disposés à se former et à s’impliquer, pour peu que les moyens leur en soient donnés. Retraite 73 % des cadres ne souhaitent pas travailler au-delà de 60 ans. Ce score atteint 83 % parmi les professions intermédiaires. Le manque d’années de cotisations et des raisons d’ordre pécuniaire sont les principales raisons évoquées pour la poursuite d’une activité salariée après cet âge. À noter que le cumul emploi/ retraite est rejeté par 68 %. La retraite à 60 ans demeure donc un repère social très fort, y compris parmi l’encadrement, sans qu’il s’agisse pour autant d’un âge “couperet”. L’ensemble des résultats de l’enquête (disponibles sur le site de l’UgictCgt : www.ugict.cgt.fr, rubrique DE n° 42 6/12/05 18:43 Page 23 Numéro 42 - décembre 2005 syndicalisme puis cadres) montrent la distance entre les propositions patronales liées à l’emploi des seniors et les revendications de ces derniers. Leur volonté affichée est de demeurer au travail dans un emploi de qualité, du début jusqu’au moment du choix de la retraite. Enfin, l’enquête a confirmé un niveau différent de perception selon la place occupée (cadres ou techniciens supérieurs). À l’image de ce qu’elle fait déjà pour les cadres, l’Ugict va donc mettre en place un “baromètre techniciens”. CLAUDINE BOUNHOL Animatrice du collectif “emploi des seniors” à l’Ugict [email protected] Des mesures ciblées pour le retour à l’emploi des seniors: plus de ghetto ou plus de justice? Bien que leur nombre augmente, les chômeurs âgés sont les oubliés des politiques de l’emploi. Peu d’entre eux bénéficient de formations. Des mesures ciblées sont-elles opportunes ? L es chômeurs “âgés” sont les oubliés des politiques de l’emploi, cinq cent mille à un million selon les sources (ANPE, BIT, recensement). Le décompte de ces chômeurs est déjà un problème à part entière. Les Dispensés de Recherche d’Emploi par exemple ne sont pas comptabilisés de la même manière, chômeurs pour certaines sources, préretraités pour d’autres… Dans tous les cas, c’est la définition des frontières entre le chômage et l’inactivité qui est en cause. Aujourd’hui, dans la plupart des débats sur le thème de l’âge et du travail on observe un large consensus sur l’idée qu’il ne faut pas traiter à part les plus “âgés” au nom des risques de stigmatisation voire de ghettoïsation. On peut s’interroger sur la pertinence ou non d’une approche du chômage qui passerait par la mise en place de dispositifs spécifiques, de mesures préférentielles, envers les seniors exclus de l’emploi. Car une fois au chômage, la probabilité de retrouver un emploi passé 50 ans est très faible. Le chômage se transforme bien souvent en chômage de longue durée diminuant d’autant plus les chances de retrouver un emploi alors même que l’on demande aux gens de travailler plus longtemps. Des chômeurs âgés de plus en plus nombreux Jusqu’à présent la politique de l’emploi n’a jamais accordé beaucoup de place à la “ré” insertion des chômeurs dits “âgés” qui vont pourtant augmenter mécaniquement en nombre dans un contexte de vieillissement démographique. Soulignons également que les diminutions récentes du nombre de cessations anticipées du travail dans les dispositifs publics connaît un corollaire qui se traduit notamment par une augmentation du nombre de chômeurs seniors1. Si des mesures ciblées existent ou ont existé pour quitter le marché 23 du travail après un certain âge et éviter le chômage, telles que les dispositifs de préretraite : ARPE, ASFNE, CATS, CAATA… il n’existe en revanche pas de mesure spécifique pour le retour à l’emploi des plus de 50 ans. Grâce à la législation, les sorties précoces sont apparues de plus en plus légitimes. L’entreprise ne se précipite pas pour embaucher des quinquas alors même qu’elle a du mal à s’en séparer. La contribution Delalande2 et la perception négative qu’en ont les employeurs ne facilitent pas la situation. Du côté des mesures dites actives, au sens où elles permettent le (1) Fin 2004, la France compte 528 000 chômeurs indemnisés de 55 ans et plus, 77 % d’entre eux sont dispensés de recherche d’emploi, soit une augmentation de 6 % par rapport à 2003 (Dares, 2005). (2) Mesure relative à l’âge qui initialement (1987) taxe l’employeur en cas de licenciement des plus de 55 ans, puis des plus de 50 ans à partir de 1992. Depuis 2003 en cas d’embauche d’un salarié âgé de plus de 45 ans, l’employeur, qui bien souvent ne le sait pas, n’a pas à verser cette contribution s’il procède ultérieurement à son licenciement. La suppression de la mesure a été annoncée… DE n° 42 6/12/05 18:43 Page 24 Développements retour à l’emploi, très peu de dispositions sont prises pour les chômeurs “âgés”. Peu d’entre eux bénéficient de formation. Les organismes de formation ne se précipitent d’ailleurs pas sur ce public. Même s’ils se présentent comme des organismes de formation pour adultes, ils forment majoritairement des jeunes adultes, plus “employables” à l’issue d’un stage. Tous les chômeurs “âgés” ne sont pas non plus demandeurs de formation ce qui nécessite il est vrai une démarche volontariste d’autant plus difficile lorsqu’on a été en rupture avec la formation pendant des années voire des décennies, ce que désormais la formation tout au long de la vie pourra à long terme normalement atténuer. Des chômeurs absents des dispositifs de réinsertion professionnelle Outre la formation, si l’on regarde la place des chômeurs “âgés” dans les mesures d’aide à l’emploi, c’est-à-dire les contrats aidés : les Contrats initiative emploi, les Contrats emploi solidarité, les Contrats emploi consolidé etc… les plus de 50 ans y ont une part modeste (depuis peu le nouveau CIE semble leur laisser un peu plus de place). D’une manière générale, ils y sont prioritaires comme tous les autres prioritaires : les jeunes, les handicapés, les bénéficiaires du RMI, de l’allocation de parents isolés, de l’allocation de solidarité, etc. C’est-à-dire parmi tous ceux qui rencontrent des difficultés. CIE, CES, CEC sont des dispositifs qui s’adressent aux plus de 50 ans au même titre que d’autres catégories d’âge ou d’autres bénéficiaires potentiels. On remarquera pourtant que des dispositifs réservés aux jeunes existent et se suivent (Contrat Emploi Jeunes, contrats de qualification, contrat d’orientation, Aide du Conseil Régional par les chèques apprentissage, le programme TRACE, les nouveaux contrats d’embauche…). De plus, il n’existe aucune structure d’accueil spécifique pour les plus “âgés” comme il peut en exister notamment pour les jeunes (Missions Locales), pour les femmes (pour lesquelles il existe des associations de soutien), etc. Les politiques d’insertion ont ainsi jusque-là procédé à des sélections de critères dans lesquels le vieillissement n’entre jamais en compte, au nom, en partie, de la “non-stigmatisation” qui ne s’est pourtant jamais posée en problème pour les plus jeunes. Les acteurs de l’insertion l’ont bien saisi, sans outils d’action, ils élaborent des catégories de chômeurs plus ou moins “employables” et pour lesquels les plus de 50 ans sont considérés le plus souvent comme hors-jeu. La tâche de réinsertion s’avère soit trop difficile, soit inutile au regard de la projection dans le temps d’une retraite plus ou moins proche, mais de plus en plus éloignée. L’ANPE est la première à entériner cet abandon de fait avec bonne conscience : “après 50 ans on ne leur demande plus rien”. (3) Voir notamment sur ce point la description qu’en fait Serge Ebersold dans le chapitre I de son ouvrage : La naissance de l’inemployable, ou l’insertion aux risques de l’exclusion, PUR, pp. 31-68, 2001. 24 Les chômeurs “âgés” absents des logiques catégorielles des politiques de l’emploi La majorité des acteurs de terrain (agents ANPE, des PLIE…) est généralement contre un traitement spécifique par âge. Pour la plupart ce serait une erreur de faire un traitement spécifique, le mélange des jeunes et des plus anciens dans les groupes de travail et de recherche d’emploi, dans les dispositifs de formation doit permettre de donner des résultats positifs en termes de redynamisation et il y aurait davantage de risques par un traitement parcellisé en fonction des genres, des âges, etc. Le débat serait ainsi clos et politiquement correct. Il se retrouve de la même manière dans de nombreux rapports, où l’on souligne que toute “mesure-vieux” (par comparaison avec les mesures jeunes), qui porterait en elle la stigmatisation de salariés en fin de carrière, déterminés à priori comme catégorie à part, est récusée par l’ensemble des organisations. Le problème, c’est que les logiques catégorielles se sont imposées depuis le milieu des années 19803, le traitement à l’insertion également, mais pas la pratique de l’insertion des plus “âgés”. Catégorisations, cloisonnements ont été fortement critiqués, pour autant ils ont bien été mis en place. Il devient alors étonnant de ne pas continuer de traiter l’insertion par ces découpages pour tous. La logique d’insertion est dominée par des perspectives catégorielles : les femmes, les handicapés, les jeunes, les personnes issues de l’immigration. Cette logique disparaît dans le traitement non catégoriel cette fois-ci des DE n° 42 6/12/05 18:43 Page 25 Numéro 42 - décembre 2005 plus “âgés” les mettant ainsi vraiment à part alors même qu’il leur est demandé de travailler plus longtemps. N’est-ce pas se voiler la face que de croire que l’on peut traiter l’insertion de la même façon, notamment par exemple pour la formation, quand on a 20 ans ou quand on en a 50? De deux choses l’une… Comment peut-on envisager des formations communes quand les rythmes d’apprentissage ne sont pas les mêmes, mais surtout quand les motivations, les ambitions ne se projettent plus dans l’avenir de la même manière ? Depuis 30 ans la politique de l’emploi en France pour lutter contre le chômage a toujours été établie par morcellement réglementaire en s’adressant aux jeunes, aux femmes, aux handicapés… mais jamais aux plus “âgés”, relégués dans le meilleurs des cas vers des dispositifs “de préretraite-chômage” (type ACA, Allocation Chômeurs Âgés, supprimée en 2002). Au regard du poids historique du traitement du chômage par catégories, pourquoi ne pas créer dans cette logique catégorielle des dispositifs spécifiques pour l’emploi des seniors ? À moins d’aborder le sujet par un traitement global de lutte contre le chômage comme au Danemark où la question de l’emploi des seniors n’est pas séparée des questions concernant les autres travailleurs. Faut-il alors renoncer aux pratiques de catégorisations qui existent en France depuis trente ans ou enfin introduire des mesures pour les chômeurs âgés pour qu’ils n’apparaissent pas comme les oubliés des politiques de l’emploi ? La mise en place ou non de dispositifs spécifiques pour les seniors en emploi au sein de l’entreprise est un autre débat… ISABELLE TARTY-BRIAND Docteur en sociologie, rattachée au GTM-CNRS (Genre-Travail et Mobilité) [email protected] Bonnes pratiques en Europe Même s’ils sont peu développés dans les entreprises françaises, il existe toute une palette d’outils de gestion des âges et d’anticipation face au vieillissement démographique : formation, plans de carrière, aménagement et personnalisation des fins de carrière, gestion des mobilités et des compétences, tutorat… Et pour répondre à la pénibilité : amélioration des conditions de travail, modulation du temps de travail, allégement et aménagement des horaires, organisation du travail spécifique, aménagement des équipements, amélioration de l’environnement et des conditions de travail résultant d’études ergonomiques, programme d’activité sportive de mise en forme des salariés… Ces différents outils, plus largement répandus en Europe du Nord sont, dans une moindre mesure, utilisés dans certaines entreprises françaises. Quels sont les obstacles à leur diffusion ? T out d’abord ces différents outils ont un coût pour l’entreprise même s’ils peuvent à moyen terme devenir béné- fiques. Mais bien plus que cela, soulignons que les pratiques des entreprises en matière de gestion des âges dépendent en partie du rôle et du poids exercés par les politiques publiques. Les principales études sur ce sujet montrent en effet que l’action publique et les instruments qu’elle a forgés modèlent considérablement 25 les stratégies des firmes dans chaque pays (Guillemard, 2003). Les pratiques des entreprises en matière de gestion des âges en Europe dépendent ainsi du rôle et du poids exercés par les politiques publiques et sont donc fonction du degré d’implication de l’État (faible au Royaume-Uni, fort en France, modulé au Danemark). Les entreprises adoptent des stratégies de gestion de l’âge plus ou moins en phase avec les orientations et les instruments proposés par les politiques publiques. Là où les configurations des politiques publiques ont multiplié les voies de sortie anticipée et où de surcroît l’État s’implique fortement dans le système de relations industrielles, les pratiques de maintien ou d’intégration du personnel vieillis- DE n° 42 6/12/05 18:43 Page 26 Développements sant dans l’entreprise se font rares1. Il semble bien qu’en France cette logique de sortie anticipée ait été poussée très loin. On comprend en partie mieux pourquoi les entreprises françaises se révèlent relativement moins engagées que les autres entreprises européennes dans des actions d’embauche, de maintien ou de réinsertion des salariés vieillissants. La succession pendant trente ans d’instruments publics fortement incitatifs à la mise à l’écart des salariés âgés et favorisant leur sortie précoce du système ont encouragé les entreprises, en particulier celles de grande taille, à trouver dans les mesures d’âge une réponse aisée aux différents problèmes auxquels elles étaient confrontées. Une des particularités qui caractérisent la France résulte de cette dimension culturelle forte en matière de fin précoce de vie active. Et on ne rompra pas aisément avec plus de 30 ans de gestion des âges par les départs anticipés aussi bien du côté des entreprises que de celui des salariés qui ne paraissent toujours pas prêts à gérer des vies professionnelles plus longues. Le sentiment de fin de vie professionnelle précoce (décrit par Eléonore Marbot et Jean-Marie Perretti2) dans une conjoncture économique plutôt défavorable, est loin d’avoir disparu. La fin récente des recours aux préretraites institutionnelles (ARPE, ASFNE, CATS, CAATA, etc.) n’est pas sans conséquences. Si les chiffres provisoires d’une étude du ministère de l’Emploi montrent que le nombre de nouvelles entrées dans les dispositifs de préretraite a chuté de 44 % entre 2003 et 2004 on constate cependant une progression importante des indemnités journalières pour arrêt maladie de longue durée versées aux 55-59 ans (Jolivet, 2003, Devillechabrolle, 2004) et surtout une augmentation du nombre de chômeurs seniors. Comme le souligne Jérôme Gautier, on assiste de ce point de vue à un véritable phénomène de vases communicants3. (1) A-M. Guillemard, L’âge de l’emploi, Les sociétés à l’épreuve du vieillissement, Armand Collin, 2003. 2) E. Marbot, J-M. Peretti, Les seniors dans l’entreprise, Village mondial, 170 p, 2004. (3) J. Gautié, “Les travailleurs âgés face à l’emploi”, Économie et Statistique, n° 368, pp. 33-42, 2004. (4) Jeunes et seniors : regards croisés sur l’entreprise. Enquête Ipsos/CGPME/Planète PME réalisée auprès des jeunes de moins de 25 ans et des actifs âgés de 45 ans et plus, mai 2005. Les jeunes sont plutôt confiants à l’égard de leur avenir professionnel qui se révèlent plus attirés par la fonction publique et les PME que par les grandes entreprises et les multinationales. www.ipsos.fr/CanalIpsos/articles/1593.asp?rubId =21 Cependant, certaines grandes entreprises françaises continuent de préférer financer des préretraites maisons, malgré une contribution spécifique pour diminuer leur attractivité depuis 2004, plutôt que d’investir dans le maintien en emploi des seniors jusqu’à un âge avancé. C’est notamment le comportement actuel de grands groupes qui ne craignent pas d’être confrontés aux pénuries de maind’œuvre annoncées. Ces grandes entreprises restent persuadées de leur attractivité supérieure à celle Les PME, victimes de comportements prédateurs des grandes entreprises ? 26 des PME dans un contexte où le taux de chômage reste élevé. À moyen terme, les PME pourraient en souffrir, victimes de comportements prédateurs de la part de grandes entreprises, à moins qu’elles ne deviennent davantage attractives aux yeux des plus jeunes. C’est d’ailleurs ce qu’une récente enquête Ipsos4 révèle. Malgré ces constats plutôt négatifs certaines entreprises anticipent tout de même le vieillissement de leur personnel, mais on peut s’étonner de voir dans un même groupe des pratiques très différentes selon le pays où l’entreprise est implantée. Grandes entreprises : une gestion nationale des ressources humaines La gestion des ressources humaines des groupes se fait en effet au niveau national et rarement au niveau transnational, comme le montre l’exemple de Siemens. Siemens Nederland a développé de son côté un programme d’activité sportive de mise en forme des salariés, ce qui est d’ailleurs encouragé par le gouvernement. Cela a permis de diminuer l’absentéisme ainsi que le nombre des cas de maladies cardio-vasculaires (ce dispositif n’a pas été réservé exclusivement aux salariés âgés). Quant à Siemens en Norvège, dès les années 1980 un programme de mobilité et de développement des ressources humaines a été mis en place. Les salariés sont invités durant tout le processus à réfléchir à leur situation professionnelle et personnelle, l’objectif étant de prendre en compte l’évolution professionnelle tout au long de la carrière. La poli- DE n° 42 6/12/05 18:43 Page 27 Numéro 42 - décembre 2005 tique de gestion du personnel a toujours été de laisser espérer aux salariés qu’ils feraient l’ensemble de leur carrière professionnelle dans l’entreprise. Chez Siemens France, indépendamment de ces pratiques, l’accent a été mis sur l’importance de l’entretien d’évaluation annuel afin de mieux anticiper les besoins en RH. L’entretien devient l’outil managerial de référence pour la préparation du plan de carrière et du plan de formation et également pour l’anticipation des actions de mobilité. S’il ressort qu’il existe bien chez Siemens au niveau international une culture d’entreprise spécifique, marquée longtemps par une cogestion de la politique sociale, il n’en demeure pas moins que les pratiques en matière de gestion des âges sont très différentes selon les pays et non coordonnées les unes aux autres. Il n’y a pas de réflexion en matière de gestion des ressources humaines commune connue à travers les frontières. On observe donc des logiques nationales (chaque société du groupe en France a déjà une autonomie de fonctionnement) mais il n’existe pas de logique transnationale en matière de gestion des âges. On retrouve cette donnée dans d’autres grands groupes tels que Thales, implanté en France, au Royaume-Uni, aux Pays-Bas, en Allemagne et dans de nombreux autres pays. Là non plus, il n’y a pas de pratiques transnationales en matière de gestion des âges. Certaines comparaisons ont certes été réalisées sur les pyramides des âges mais pour autant chaque pays a une gestion propre de ses effectifs. Il n’y a pas de réflexion commune entre les DRH des différents pays sur le sujet. L’accord AVEC, (Accord sur la Valorisation de l’Expérience et de la gestion des fins de Carrières) signé en 2001 ne concerne que la France. Comme le soulignait la responsable RH de Thales-France, mobilisée sur la gestion des âges, le licenciement d’un senior chez Thales au Royaume-Uni ne se pose pas de la même manière et avec les mêmes difficultés qu’en France. On comprend une nouvelle fois le rôle et l’impact que peuvent avoir les politiques institutionnelles. Pour le cas français, l’amendement Delalande tend à freiner le licenciement des plus “âgés”. Ces politiques peuvent rendre les pratiques françaises en décalage important par rapport à d’autres pays d’Europe. Autre exemple, celui de l’âge des départs à la retraite: malgré le recul récent de l’âge de la retraite, l’âge moyen de départ effectif reste encore beaucoup plus bas que dans les pays d’Europe du Nord. Dans ce contexte d’écart important de perception, notamment de l’âge, la transposition de pratiques en matière de gestion des âges est rendue difficile. Les entreprises qui recrutent des quinquas Le recrutement de quinquas en France est encore peu développé. L’amendement Delalande, que nous citons à nouveau et dont la suppression a été annoncée, y est peut être pour quelque chose. Comment envisager des recrutements de seniors alors qu’il est perçu comme difficile de s’en séparer5 ? Les quelques entreprises françaises qui ont recruté des seniors, principalement des commerciaux, et qui ont communiqué sur ce thème comme par exemple Grand Optical, sont celles qui se sont aper- 27 çues qu’elles valorisaient leur image auprès du grand public et donc de consommateurs potentiels. Ikea, détaillant de meubles suédois et “enseigne jeune par excellence” a réalisé une campagne de recrutement de seniors importante en Suède et en Angleterre. Cette entreprise de mobilier en kit a séduit depuis longtemps la clientèle des moins de trente ans, elle s’intéresse aujourd’hui de plus en plus aux quadras et aux quinquas de plus en plus nombreux à fréquenter ces grandes surfaces. En France, la création en février 2005 d’un nouveau magasin Ikea à l’ouest de Paris semble s’inspirer des pratiques de l’enseigne en Suède, et donne peut-être un signe de pratiques transnationales en matière de gestion des âges. Le nouveau magasin a en effet recruté une quarantaine de personnes de plus de 40 ans pour vendre ses produits. Les pratiques d’entreprises seront modifiées si les règles institutionnelles changent En guise de conclusion, il ne semble pas y avoir d’obstacle majeur à transposer des bonnes pra(5) En mars 2003, lors de la table ronde pour l’emploi, il avait été décidé que la contribution Delalande ne serait pas supprimée ; toutefois, en cas d’embauche d’un salarié âgé de plus de 45 ans, l’employeur n’a plus à verser cette contribution s’il procède ultérieurement à son licenciement. Alors que jusque-là l’exonération de la contribution Delalande ne jouait que pour les embauches au-delà de 50 ans. Nombre d’employeurs ne semblent d’ailleurs pas connaître cette disposition, pour nombre d’entre eux, l’amendement Delalande reste un obstacle institutionnel. DE n° 42 6/12/05 18:43 Page 28 Développements POUR ALLER PLUS LOIN • Un site Internet a été mis en place par la fédération de l’industrie autrichienne sur les bonnes pratiques dans différentes entreprises pour promouvoir l’emploi des travailleurs âgés : www.arbeitundalter.at • Une campagne d'information sur âge et travail est menée en Grande-Bretagne : http://www.agepositive.gov.uk • L’emploi des salariés de plus de 55 ans en Europe du Nord,Violaine Delteil, Dominique Redor (GIPMIS), étude réalisée pour le compte de la Dares, février 2003, 265 p. www.travail.gouv.fr/etudes/pdf/gipmis.pdf • Âge et conditions de travail dans l’Union Européenne, Fondation européenne pour l’amélioration des conditions de vie et de travail, Anne-Françoise Molinié, CREAPT, 2003. http://www.eurofound.eu.int/publications/files/EF02107FR.pdf tiques d’entreprises en matière de gestion des âges observées en Europe du Nord ou ailleurs. Parmi les possibilités d’actions, une bonne partie est déjà appliquée dans des entreprises françaises, même si elles sont encore trop peu nombreuses. La difficulté n’est pas dans le fait de trouver un bon exemple à suivre, mais bien davantage dans la capacité de l’entreprise à vouloir mettre en place ce type de pratiques, ce qui nécessite en France une évolution des mentalités et plus difficile, une rupture avec la logique institutionnelle prônée pendant plus de trente ans des départs anticipés. Les blocages entre partenaires sociaux sur les questions relatives à (6) Pour une approche complète se référer au rapport de V. Delteil et D. Redor, Le Rapport du GIPMIS, “L’emploi des salariés de plus de 55 ans en Europe du Nord”, étude réalisée pour le compte de la Dares, février 2003, 265 p. www.travail.gouv.fr/etudes/pdf/gipmis.pdf 28 l’emploi des seniors ne facilitent pas non plus la tâche. Enfin, rappelons que depuis le milieu des années 1990, les pays d’Europe du Nord s’inscrivent dans des démarches volontaristes pour accroître l’emploi des salariés âgés. Les différents pays répondent par des politiques très diversifiées qui portent leurs fruits : approche globale du problème du sous-emploi des plus âgés, recours à de nombreux leviers d’actions en Finlande, aux Pays-Bas, abandon des préretraites, prise en compte des conditions de travail, recours à la formation tout au long de la vie au Danemark et en Suède6… La plupart des mesures prises qui visent à promouvoir l’adaptation et le maintien des capacités de travail des salariés âgés s’inscrivent sur du long terme, ce que la France n’a jusqu’à présent pas réussi à faire. ISABELLE TARTY-BRIAND Docteur en sociologie, rattachée au GTM -CNRS (Genre-Travail et Mobilité) [email protected] DE n° 42 6/12/05 18:43 Page 29 Numéro 42 - décembre 2005 Le cumul emploi-retraite Le cumul emploi-retraite est aujourd’hui un sujet d’actualité. Il est intéressant de se demander comment nous sommes passés d’une situation dans laquelle la réglementation concernant le cumul paraissait durablement figée à une situation où les questions de transition entre l’emploi et la retraite sont principalement vues au travers de ce prisme. L’ histoire se joue en quatre étapes. La loi sur l’abaissement de l’âge de la retraite en 1981 marque l’adoption de dispositions restrictives; pendant les vingt années qui suivent, les dispositions paraissent figées du côté des organisations syndicales; mais dès lors que la question de l’emploi des seniors devient un enjeu, le sujet du cumul entre un emploi et une retraite évolue et la loi du 21 août 2003 apporte plusieurs modifications; l’importance de plus en plus grande donnée au développement de l’emploi des seniors conduit à rouvrir très rapidement le débat, avec diverses (1) “Cumul emploi retraite”, Jean-Marc Boulanger, rapport remis au Conseil d'orientation des retraites le 6 mars 2003. (Rapport en ligne sur le site du COR, www-cor-retraites.fr) (2) On rappellera que la loi de 1981 assortit la condition d’âge d’une durée de cotisation de 37,5 ans dont le non respect entraînait une décote très dissuasive de 10 % par année manquante, ce qui touchait une proportion non négligeable de femmes et atténuait le coût financier de la mesure. (3) Certaines activités ont été exclues de cette règle parce qu’elles fonctionnaient, dans certains cas, très largement avec des retraités. Ce fut le cas, par exemple, pour les activités juridictionnelles largement exercées dans certaines juridictions spécialisées par des retraités. (4) Mme Nicole Questiaux. (5) Avant 60 ans, aucune limite n’était fixée, en raison principalement de la situation des militaires dont il ne pouvait être considéré que les retraites parfois très précoces pouvaient permettre de vivre sans travailler. (6) “Le cumul emploi-retraite”, 1999, rapport présenté par M. Dominique Balmary à Mme Aubry, ministre des affaires sociales. prises de position en faveur d’une déréglementation, qui soulèvent de très nettes réticences des partenaires sociaux. Comme on le verra, le débat, devenu beaucoup plus vif, reste doublement circonscrit. Il ne donne pas lieu, pour le moment, à des prises de position politiques et il est très rarement situé dans le contexte de l’ensemble des réglementations relatives à la transition entre l’emploi et la retraite. La retraite à 60 ans et les restrictions au cumul emploi retraite Comme l’indique le rapport de M. Boulanger1, le principe qui prévaut depuis vingt ans est celui d’une limitation des possibilités de cumul d’un emploi et d’une retraite. “En abaissant à 60 ans l’âge d’accès à la retraite à taux plein2, le gouvernement était soucieux d’éviter un effet d’aubaine qui aurait pu résulter de la possibilité de jouir de la retraite cinq ans plus tôt en ayant la possibilité de continuer à travailler comme par le passé”. Cette position avait le plein accord des partenaires sociaux et doit être comprise dans un contexte où chacun s’accordait à voir dans les mesures de préretraite et l’abaissement de l’âge de la retraite des moyens directs de libérer des emplois pour les jeunes. Bien qu’elle soit contraire au droit au travail, la réglementation paraissait un moindre mal dans un contexte de fort chômage. Le principe fut donc 29 posé, pour les régimes de base, qu’il était impossible de percevoir une retraite sans rupture du contrat de travail, liquidation et absence de reprise d’une activité chez le même employeur, sauf s’il s’agissait d’activités procurant un revenu très limité3 qui fut évalué à 1/3 du SMIC. Cependant, le Gouvernement et particulièrement la ministre de la solidarité4 souhaitaient limiter les atteintes ainsi portées au droit au travail. La loi ne prévoyait donc aucune restriction en cas de changement d’employeur5. La position des gestionnaires des régimes complémentaires était encore plus restrictive, toute reprise d’activité entraînant une suspension de la retraite complémentaire. 1981-2001 : remises en cause impossibles À de rares exceptions près concernant des professions ou des zones géographiques pour lesquelles des pénuries d’emploi pouvaient apparaître, les vingt années qui suivent sont caractérisées par une stabilité remarquable. Tant que le consensus sur le retrait précoce d’activité des seniors demeurait, l’attachement à des règles strictes sur le cumul prévalait. Il était partagé par les partenaires sociaux et par une opinion dont toutes les enquêtes montraient la réticence à des évolutions. Le rapport demandé à M. Balmary par la ministre des affaires sociales6 traduit la difficulté à faire évoluer la réglementation dans un tel contexte. DE n° 42 6/12/05 18:43 Page 30 Développements La préparation de la loi de 2003 et la loi de 2003 Ce consensus a été fragilisé par la montée des questions autour de l’emploi des seniors et une évolution sans vrai débat social: • Le rapport Boulanger La remise en cause progressive des mesures d’âge qui était cependant effectuée, le nouveau contexte démographique qui se rapprochait et les prises de position très fermes du Conseil d’Orientation des Retraites sur l’emploi des seniors ont cependant conduit à des interrogations. M. Jean-Marc Boulanger, chargé par la présidente du Conseil d’Orientation des Retraites de présenter à ce Conseil une analyse et des propositions, présenta des orientations nouvelles. Il n’était pas question de supprimer la réglementation sur le cumul mais d’élargir les possibilités de cumul, sur le fondement de l’idée qu’effectuée dans certaines conditions, la reprise d’une activité par un retraité ne nuisait pas nécessairement ni à l’équilibre des régimes de retraite ni à l’emploi. M. Boulanger proposait le maintien de la règle selon laquelle, dans les régimes de base, la reprise d’une activité chez un autre employeur ne devait être soumise à aucune restriction et le réexamen de la règle (7) qui se traduisaient, par exemple, pour un fonctionnaire d’État par une quasi impossibilité de reprendre une activité rémunérée par l’État. (8) “Retraites : les réformes en France et à l'étranger ; le droit à l'information des assurés”, La Documentation française, Paris 2004 (www.cor-retraites.fr) (9) “Vieillissement et politiques de l’emploi, France”, OCDE, 2005. (10) “Les seniors et l’emploi en France”, Conseil d’analyse économique, octobre 2005. contraire posée par les régimes complémentaires. Il estimait, en effet, que la reprise d’un emploi chez un autre employeur ne se ferait que de manière limitée lorsqu’une proposition attractive serait présentée et qu’il y aurait une pénurie d’emplois dans le secteur. Il proposait, en outre, que le cumul soit limité en cas de reprise d’une activité chez le même employeur mais, au lieu de fixer la limite de cumul uniquement par rapport au salaire en valeur absolue, il estimait plus juste et moins malthusien de la fixer par rapport au salaire antérieur. Il proposait un chiffre allant de 15 à 20 % du salaire antérieur et, en cas de dépassement, un écrêtement et non une suspension de la pension. • La loi du 21 août 2003 portant réforme des retraites La loi de 2003 a fait évoluer dans des sens très différents les secteurs public et privé. La situation dans le secteur public était rendue complexe par la coexistence des règles générales rappelées ci-dessus et de règles propres au régime des pensions civiles et militaires de retraite. Les gestionnaires du secteur public souhaitèrent “s’émanciper” des règles retenues pour le secteur privé7, et évoluer vers des orientations se situant dans la ligne du rapport Boulanger. Les partenaires sociaux ont été réticents à une telle solution dans le secteur privé. L’accent fut donc mis sur un rapprochement avec les régimes complémentaires. La distinction faite selon que l’emploi était ou non repris chez le même employeur fut abandonnée, (sauf en ce qui concerne l’obligation, importante, d’un délai de six mois entre la liquidation de la retraite et la reprise de l’activité). Une limite de cumul jusqu’au salaire anté- 30 rieur fut posée pour toutes les reprises d’emploi, quel que soit l’employeur. Cette règle, adoptée au bénéfice de la simplification et de l’assouplissement mis en avant par le Gouvernement, fut l’objet de très peu de discussions. Le rapport du Conseil d’orientation des retraites de 20048 note qu’il n’y a pas vraiment de libéralisation pour le secteur privé et des interrogations sont apparues sur une restriction touchant plus largement les activités des salariés percevant antérieurement de faibles revenus. • 2005 : des propositions de déréglementation tenant mal compte des différentes formes de transition emploi-retraite, et du coût pour les régimes sociaux L’opinion demeure très réservée sur la question du cumul emploi-retraite. En revanche, cette question connaît une nouvelle et vigoureuse jeunesse dans les discussions entre partenaires sociaux et dans les propositions de certains rapports. Trois rapports ont pris position pour une suppression pure et simple des règles de cumul: le rapport Camdessus, le rapport de l’OCDE9 et le rapport du Conseil d’analyse économique10. Les deux premiers rapports ne prennent aucunement en compte les effets qu’une libéralisation totale pourrait avoir sur les régimes de retraite; il serait, en effet, dans ce cas plus avantageux de liquider sa retraite dès que la durée de cotisation serait suffisante pour ne plus avoir de décote que de différer le départ: l’intérêt de la surcote créée par la loi de 2003 pourrait se trouver largement inférieur aux avantages du cumul, ce qui aurait un coût pour les régimes. Le troisième rapport (celui du CAE) n’ignore pas cette question, mais DE n° 42 6/12/05 18:43 Page 31 Numéro 42 - décembre 2005 estime que la libéralisation totale est aujourd’hui plus importante et que la situation financière des régimes n’est pas telle qu’elle doive y faire renoncer. La négociation de l’accord national interprofessionnel sur l’emploi des seniors a été le moment d’un changement de prise de position du MEDEF. Resté jusqu’ici très prudent, le MEDEF a nettement pris parti pour un assouplissement conséquent des règles du cumul. Le projet d’accord reste, cependant, très mesuré en demandant aux pouvoirs publics “d’examiner les conditions dans lesquelles les inégalités de traitement entre salariés engendrées par le dispositif actuel pourraient être atténuées”. En conclusion, et à titre purement personnel, trois observations me paraissent pouvoir être faites. En premier lieu, de nombreuses raisons vont dans le sens d’une certaine libéralisation (iniquité des règles actuelles, évolution possible des attitudes des retraités dans un contexte où l’emploi des seniors est abordé différemment, risques de pénuries démographiques ayant un effet négatif sur l’emploi dans le nouveau contexte démographique…). En revanche, il est indispensable de conserver une certaine réglementation. Une libéralisation totale sans plafond et sans délai entre la liquidation de la retraite et la reprise d’un emploi chez le même employeur comporterait des risques très réels de dumping social et aurait un coût sans doute excessif pour les régimes de retraite. En second lieu, le débat actuel devrait, depuis l’intervention de la loi de 2003, prendre en compte le souci de conserver leur intérêt aux trois formes d’encouragement à poursuivre une activité prévues par cette loi: la surcote, la retraite progressive et le cumul emploi-retraite. La surcote encourage la poursuite d’une activité à taux plein avant la liquidation de la retraite. La retraite progressive, qui, il est vrai, n’est pas encore entrée en vigueur faute de décret d’application, encourage à une transition souple entre l’emploi et la retraite, les périodes travaillées juste après la liquidation de la retraite étant prises en compte pour un nouveau calcul du montant de la retraite, qui fera l’objet d’une seconde liquidation. Le cumul emploi-retraite, enfin, permet de reprendre une activité à quelque moment que ce soit, mais sans prise en compte des nouvelles périodes travaillées pour le calcul de la retraite et avec des limites qui pourraient être sensiblement desserrées, mais ne devraient pas être totalement supprimées. Si le débat public n’a pas atteint aujourd’hui cette maturité, le plan d’action concerté sur l’emploi des seniors que prépare actuellement le Gouvernement peut être l’occasion de le faire progresser dans ce sens. La retraite progressive pourrait alors entrer en application et se révéler un sujet de réforme au moins aussi important que le cumul emploiretraite. Ce dénouement heureux n’est pas certain mais paraît à portée des décideurs. YANNICK MOREAU Présidente du Conseil d’Orientation des Retraites [email protected] Travail, je t’aime.Travail, je te hais. On parle beaucoup de la démotivation des seniors. Et si avec l’âge, la motivation, loin de disparaître, se faisait plus exigeante ? L’urgence de réaliser son “œuvre” se fait plus pressante. “ L e travail c’est la santé, ne rien faire c’est la conserver…”. En quelques mots Henri Salvador résume les sentiments contradictoires que nous entretenons tous avec le travail. Et ce n’est pas nouveau. La tradition philosophique ne lui fait pas plus de cadeaux que la ritournelle de la chanson populaire ! On pense bien sûr au travail comme châtiment infligé à l’humanité pour 31 expier le pêché originel. On peut aussi évoquer la Grèce antique où travailler est l’apanage des esclaves. Les hommes libres doivent y mener une vie libérée de la contrainte du travail pour se consacrer à la philosophie et à la vie publique. Le monde médiéval qui considère la vie contemplative comme supérieure à la vie active et pas seulement dans l’ordre du religieux, n’est DE n° 42 6/12/05 18:43 Page 32 Développements pas plus favorable au travail. Il faudra attendre le siècle des Lumières et la révolution française pour que la “valeur travail” s’impose contre l’oisiveté et les privilèges de la naissance. Plus récemment, et en particulier dans La Condition de l’homme moderne, c’est Hannah Arendt qui remet l’ouvrage sur le métier. En pleine réflexion sur les perspectives bonnes et mauvaises que le développement de l’automatisation, de la technique et de l’industrie en général, offre à l’humanité, elle propose de distinguer l’action, l’œuvre et le travail. La première ligne de partage sépare les activités qui concernent le domaine public et celles qui se rapportent à la vie privée. Le domaine de l’action est celui dans lequel l’individu se consacre aux affaires publiques, celui des rapports entre êtres différents et égaux, du débat sur l’essentiel, le seul qui permet d’inscrire l’homme dans l’histoire de sa communauté et lui permet d’accéder à la dimension morale et politique de l’existence. L’œuvre et le travail Le domaine privé est ensuite luimême divisé en travail et œuvre. Le travail est l’activité de l’homme soumis à la nécessité, aux besoins et processus naturels. C’est une activité sans fin puisque le besoin biologique revient sans cesse. C’est l’activité de l’animal laborans. L’œuvre est exactement le contraire. C’est, dans la sphère privée de la production, l’humanité de l’homme, la liberté de l’homme, sa créativité. Elle est opposée ici à la soumission aux lois de la nécessité, aux lois de la nature biologique. Elle suppose un projet. L’œuvre est l’activité de l’homo faber, celle de l’artisan “seul avec son image du futur produit” opposé au travail du prolétaire, dépossédé de son savoir-faire, de sa décision et sans vision du produit auquel son activité contribue. Cette distinction, qui fonde l’aspiration de chacun à pouvoir dire du produit de son activité “c’est mon œuvre” et à le voir reconnu comme tel, influence toujours profondément nos représentations et la satisfaction ou la fierté que nous tirons, ou non, de notre activité professionnelle. On peut bien sûr s’interroger sur la pertinence de ces distinctions alors que les conditions techniques et sociales de la production (et de l’action politique) ont profondément changé. Sous l’effet des critiques contre le caractère abrutissant du travail à la chaîne conjuguées à l’élévation du niveau moyen de formation, les organisations tentent de donner une place aux demandes d’autonomie, aux demandes “d’enrichissement des tâches”, et tentent d’exercer une autorité fondée sur une légitimité reconnue, plus près de celle du coach que de celle du chef préposé à l’organisation scientifique du travail. D’autre part, la place de plus en plus importante prise par les emplois et les situations de service renforce le rôle de l’initiative, comme capacité à exercer ses responsabilités professionnelles dans des contextes toujours nouveaux, sous l’œil vigilant du client-roi, toujours particulier, toujours différent. On peut dire ainsi avec Philippe Zarifian qu’il y a “retour du travail dans le travailleur”, mais à la différence des artisans, personne ne peut plus travailler seul. Au contraire, nos capacités à coopérer, à échanger des informations au bon moment, à 32 entrer en relation avec des partenaires multiples, sont sans cesse mobilisées. Enfin, c’est la place du travail ellemême qui est relativisée. Le chômage de masse persistant mais aussi le bouleversement de nos manières même de faire société, obligent à poser dans des termes nouveaux la question du rôle du travail –“relatif mais pas près de disparaître” (JeanLuc Charlot). – dans le processus d’intégration ou d’exclusion sociale Hannah Arendt, à partir de ses analyses, donnait une vision très critique du monde moderne, qui tend à transformer l’homme politique et l’homme de métier en simples “travailleurs”, à les réduire à l’animal laborans. Mais la réalité est plus complexe que la philosophie, et peutêtre plus souriante qu’elle. L’œuvre et le travail ne s’excluent pas de façon aussi radicale. Chacun vit plutôt un mélange des deux. C’est le dosage qui varie. En proportion et dans le temps. Pour relier ces réflexions au sujet de ce numéro de Développements, et en particulier à l’antienne de la démotivation des seniors, je veux risquer une explication. Avec l’expérience, avec l’âge, ce n’est pas la motivation qui s’en va. Au contraire elle augmente, mais en se faisant plus exigeante. C’est une œuvre que chacun veut réaliser et laisser sinon à la postérité, du moins à son entourage. L’exigence, l’urgence, de réaliser “son œuvre” augmentent. On ne peut s’étonner qu’avec elles, augmente aussi la frustration de rester encore et toujours des travailleurs soumis quotidiennement et inexorablement à l’impérieuse et prosaïque nécessité. JEAN-MARIE BERGÈRE DE n° 42 6/12/05 18:43 Page a2 Développements est édité par l’Association Développement et Emploi Directeur de la publication Jean-Marie Bergère Rédactrice en chef Impression Carré Saint Nicolas 10 rue Saint Nicolas 75012 Paris Tél : 01 43 46 28 28 Fax : 01 43 46 28 20 [email protected] Imprimerie Mouquet, Le Bourget www.developpementetemploi.com Sylvie Karsenty Réalisation ELSE Abonnement 4 numéros par an : 80 d