NOTE D`ACTUALITE / DROIT DE L`URBANISME - BRG

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NOTE D`ACTUALITE / DROIT DE L`URBANISME - BRG
 NOTE D’ACTUALITE / DROIT DE L’URBANISME (août 2013) Relative à la réforme du contentieux de l’urbanisme à la suite de l’Ordonnance du 18 juillet 2013 par Bertrand VENDÉ Avocat associé, spécialiste en droit public Cabinet d’avocats BRG SELARL BOISSONNET -­‐ RUBI -­‐ RAFFIN -­‐ GIFFO 11 rue Pierre Landais – BP 16505 -­‐ 44265 NANTES CEDEX 2 Tél : 02.40.890.070 Fax : 02.51.720.891 1 RESUME Répondant à une demande forte des professionnels du bâtiment et s’inscrivant dans le cadre des 7 ordonnances devant intervenir dans le cadre du plan d’investissement du logement, l’ordonnance n°2013-­‐638 du 18 juillet 2013 relative au contentieux de l’urbanisme entend dans son principe accélérer les projets de construction. Cette ordonnance entre en vigueur le 19 août 2013 (un mois après sa promulgation) et s’applique à l’ensemble des procédures en cours. Elle s’articule autour de deux grandes thématiques : (I). La lutte contre les recours malveillants par : (I.1). la limitation des personnes ayant un intérêt à agir, limitant de fait le nombre des requérants potentiels (I.2). la possibilité pour le titulaire du permis de construire attaqué de percevoir des dommages et intérêts versés par le requérant malveillant (I.3). l’encadrement des transactions susceptibles d’intervenir entre le requérant et le titulaire du permis (II). La régularisation des permis de construire tant : (II.1). en cours (II.2). qu’en fin d’instance. Nous aborderons successivement ces différents points, étant précisé de façon synthétique que : -­‐ La limitation de l’accès au recours est réelle, mais en l’état et sous réserve d’une interprétation plus stricte de la jurisprudence, les voisins immédiats d’un projet de construction auront toujours un intérêt à agir. Sauf à ce que le recours soit dépourvu de tout fondement ce qui en entraine le rejet immédiat (y compris avant la réforme), il paraît délicat de considérer dans cette hypothèse qu’il y a recours malveillant ouvrant droit à des dommages et intérêts. Tout au plus, cette disposition sera une menace psychologique susceptible d’être avancée pour limiter les ardeurs du voisinage. -­‐ La procédure de régularisation du permis de construire élargit, à juste à titre, les possibilités de cette pratique déjà en cours, mais l’ordonnance laisse ouverte de nombreuses interrogations quant à son fonctionnement pratique, notamment en cas d’appel. 2 I/ LA LUTTE CONTRE LES RECOURS MALVEILLANTS I.1/ LA LIMITATION DES PERSONNES AYANT UN INTERET A AGIR I.1.1. L’article 1er de l’ordonnance insère dans le code de l’urbanisme deux nouvelles dispositions : « Art. L. 600-­‐1-­‐2. -­‐ Une personne autre que l'Etat, les collectivités territoriales ou leurs groupements ou une association n'est recevable à former un recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire, de démolir ou d'aménager que si la construction, l'aménagement ou les travaux sont de nature à affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance du bien qu'elle détient ou occupe régulièrement ou pour lequel elle bénéficie d'une promesse de vente, de bail, ou d'un contrat préliminaire mentionné à l'article L. 261-­‐15 du code de la construction et de l'habitation ». « Art. L. 600-­‐1-­‐3. -­‐ Sauf pour le requérant à justifier de circonstances particulières, l'intérêt pour agir contre un permis de construire, de démolir ou d'aménager s'apprécie à la date d'affichage en mairie de la demande du pétitionnaire. » I.1.2. Le nouvel article L. 600-­‐1-­‐2 vise une limitation de l’intérêt à agir « dans l’espace ». Seuls les voisins les plus proches du projet (propriétaires, futurs acquéreurs ou locataires) paraissent être « affectés directement» dans leurs conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance de leur bien, et donc à même de former un recours. L’intérêt à agir risque donc d’être plus âprement discuté pour des personnes plus éloignées. A minima, le juge devrait se montrer plus exigeant quant à la preuve de la qualité donnant un intérêt à agir, en exigeant la production d’un titre de propriété, d’un bail, d’une promesse de vente. La simple facture EDF ne devrait plus être suffisante pour établir une occupation « régulière ». Il sera souligné au passage que l’intérêt à agir des associations n’est pas soumis à cette nouvelle exigence. I.1.3. Le nouvel article L. 600-­‐1-­‐3 introduit une limitation de l’intérêt à agir « dans le temps ». Celui-­‐ci s’appréciera à la date d’affichage du permis en mairie et non sur le terrain, ni même à la date d’introduction du recours. Cela prive de facto d’intérêt à agir les titulaires de promesses de vente signées postérieurement (et parfois fort opportunément) à la date de l’affichage, et devrait conduire les notaires à la plus grande prudence au moment de la signature de tels actes. Il sera rappelé que la limitation dans le temps existe sous une autre forme pour les associations, qui conformément à l’article L. 600-­‐1-­‐1 du code de l’urbanisme (issu de la loi du 13 juillet 2006), n’ont un intérêt à agir que si le dépôt de leurs statuts de l'association en préfecture est intervenu antérieurement à l'affichage en mairie de la demande du pétitionnaire. 3 I.2/ LA POSSIBILITE DE PERCEVOIR DES DOMMAGES ET INTERETS VERSES PAR LE REQUERANT MALVEILLANT I.2.1. L’article 2 § 3° de l’ordonnance insère dans le code de l’urbanisme l’article suivant : « Art. L. 600-­‐7.-­‐ Lorsque le droit de former un recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire, de démolir ou d'aménager est mis en œuvre dans des conditions qui excèdent la défense des intérêts légitimes du requérant et qui causent un préjudice excessif au bénéficiaire du permis, celui-­‐ci peut demander, par un mémoire distinct, au juge administratif saisi du recours de condamner l'auteur de celui-­‐ci à lui allouer des dommages et intérêts. La demande peut être présentée pour la première fois en appel. Lorsqu'une association régulièrement déclarée et ayant pour objet principal la protection de l'environnement au sens de l'article L. 141-­‐1 du code de l'environnement est l'auteur du recours, elle est présumée agir dans les limites de la défense de ses intérêts légitimes. » I.2.2. Présentée comme la mesure phare de de cette ordonnance, cette nouvelle disposition laisse très perplexe quant à sa mise en œuvre. Au-­‐delà du principe procédural du mémoire distinct nécessaire à la demande de dommages et intérêts, la notion de conditions excédant la défense des intérêts légitimes du requérant laisse perplexe. Il en va de même du préjudice excessif subi par le titulaire du permis. Très concrètement, le caractère abusif du recours paraît loin d’être acquis dans la situation courante du recours : -­‐ du voisin immédiat du projet qui subit une perte d’ensoleillement et une dévalorisation de la valeur de sa propriété du fait de vues plongeantes de l’immeuble à construire ; -­‐ contre un promoteur titulaire d’un permis sur un terrain pour lequel il bénéficie d’une promesse de vente sous condition suspensive d’un permis purgé de tout recours. Le préjudice excessif sera-­‐t-­‐il reconnu si le promoteur persiste dans son projet malgré le recours, suscitant indirectement une indemnité d’immobilisation des terrains. L’indemnisation du retard pris dans la commercialisation serait logique mais ne paraît pas acquise dès lors qu’elle est difficile à démontrer en particulier dans un contexte de ralentissement du marché immobilier. Ce faisant, l’octroi de dommages et intérêts paraît, en l’état actuel et sous réserve d’une interprétation stricte de la jurisprudence, être appelé à un développement limité. I.2.3. En dernier lieu, le texte prévoit un régime dérogatoire pour les associations de protection de l’environnement, ce qui paraît pour le moins contradictoire avec le principe et l’objectif affiché. 4 I.3/ L’ENCADREMENT DES TRANSACTIONS SUSCEPTIBLES D’INTERVENIR ENTRE LE REQUERANT ET LE TITULAIRE DU PERMIS I.3.1. L’article 3 de l’ordonnance insère dans le code de l’urbanisme un nouvel article : « Art. L. 600-­‐8. -­‐ Toute transaction par laquelle une personne ayant demandé au juge administratif l'annulation d'un permis de construire, de démolir ou d'aménager s'engage à se désister de ce recours en contrepartie du versement d'une somme d'argent ou de l'octroi d'un avantage en nature doit être enregistrée conformément à l'article 635 du code général des impôts. La contrepartie prévue par une transaction non enregistrée est réputée sans cause et les sommes versées ou celles qui correspondent au coût des avantages consentis sont sujettes à répétition. L'action en répétition se prescrit par cinq ans à compter du dernier versement ou de l'obtention de l'avantage en nature. Les acquéreurs successifs de biens ayant fait l'objet du permis mentionné au premier alinéa peuvent également exercer l'action en répétition prévue à l'alinéa précédent à raison du préjudice qu'ils ont subi. » Ce même article modifie également le code général des impôts dans les termes suivants : -­‐ 1° Le 1 de l'article 635 est complété par un 9° ainsi rédigé : « 9° La transaction prévoyant, en contrepartie du versement d'une somme d'argent ou de l'octroi d'un avantage en nature, le désistement du recours pour excès de pouvoir formé contre un permis de construire, de démolir ou d'aménager. » ; 2° L'article 680 est complété par un alinéa ainsi rédigé : « Les transactions mentionnées au 9° du 1 de l'article 635, qui ne sont tarifées par aucun autre article du présent code, sont exonérées de l'imposition fixe prévue au premier alinéa. » I.3.2. Les dispositions précitées visent à empêcher les recours mafieux de requérants « d’habitude » attaquant devant le juge administratif tout projet en vue d’être indemnisés de leur désistement. Il ne s’agit pas d’interdire les transactions ayant pour objet un désistement en contrepartie d’un avantage financier ou en nature (haie, rehausse de mur, etc.) mais d’en assurer la transparence. Toute transaction devra être déclarée aux services fiscaux. A défaut, les sommes perçues pourront être restituées quand bien même le désistement serait intervenu. Là encore, la limite ainsi posée est d’ordre psychologique. Gageons que la nécessité de la transparence des transactions rendra moins « gourmands » les requérants. Pour autant, le désistement négocié paraît avoir encore de beaux jours devant lui. La transaction portant sur un « non-­‐recours » notamment après un recours gracieux n’est, en toute hypothèse, pas visée. 5 II/ LA REGULARISATION DES PERMIS DE CONSTRUIRE II.1/ LA REGULARISATION EN COURS D’INSTANCE II.1.1. L’article 2 § 2° de l’ordonnance insère dans le code de l’urbanisme un nouvel article : « Art. L. 600-­‐5-­‐1.-­‐Le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre un permis de construire, de démolir ou d'aménager, estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu'un vice entraînant l'illégalité de cet acte est susceptible d'être régularisé par un permis modificatif peut, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, surseoir à statuer jusqu'à l'expiration du délai qu'il fixe pour cette régularisation. Si un tel permis modificatif est notifié dans ce délai au juge, celui-­‐ci statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations. » ; II.1.2. Cette mesure vise à gagner du temps de procédure, en évitant un second recours contre le permis de construire de « régularisation » susceptible d’intervenir après l’annulation du permis originel. Elle devrait, en principe, réduire considérablement le champ des moyens d’annulation possibles. Nombre de moyens de forme paraissent susceptibles d’une régularisation par un permis modificatif. Cette procédure de régularisation peut certes conduire à consolider le permis évitant une annulation inutile mais elle rallongera certainement les délais de procédure. Les parties seront invitées à présenter leurs observations sur cette régularisation aux différentes étapes de la procédure (avant et après délivrance du PC modificatif). En outre, la procédure au principal est mis en suspens jusqu’à l’expiration du délai de régularisation. Par ailleurs, sa mise en œuvre pose des interrogations pratiques : -­‐ le juge est-­‐il tenu d’inviter à cette régularisation ? -­‐ que se passera-­‐t-­‐il s’il a omis de le faire ? -­‐ le délai accordé sera-­‐t-­‐il suffisant pour obtenir le PC modificatif ? -­‐ que se passera-­‐t-­‐il en cas de recours contre le PC modificatif ? -­‐ en cas d’appel contre le jugement ? A tout le moins, la mesure semble salutaire, mais sa mise en œuvre nécessairement délicate est appelée à des précisions jurisprudentielles. 6 II.2/ LA REGULARISATION EN FIN D’INSTANCE II.2.1. L’article 2 § 1° de l’ordonnance modifie l’article L. 600-­‐5 du code de l’urbanisme comme suit : « Art. L. 600-­‐5.-­‐Le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre un permis de construire, de démolir ou d'aménager, estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu'un vice n'affectant qu'une partie du projet peut être régularisé par un permis modificatif, peut limiter à cette partie la portée de l'annulation qu'il prononce et, le cas échéant, fixer le délai dans lequel le titulaire du permis pourra en demander la régularisation. » ; II.2.2. Dans la même logique de consolidation du permis initial, cette disposition permet au Tribunal, en fin d’instance, lors du prononcé du jugement de limiter la portée de l’annulation à un vice régularisable, en octroyant un délai postérieur au jugement pour le faire. Bien que cela ne soit pas précisé, ce pouvoir conféré au juge paraît être une procédure de rattrapage dans l’hypothèse où il aurait omis d’inviter à une régularisation en cours d’instance, ou bien encore, si la formation de jugement a une opinion différente du juge en charge de l’injonction. Dans tous les cas, cette disposition paraît pertinente, pour peu que le délai de régularisation soit suffisant. Il conviendra que la jurisprudence précise l’articulation entre ce délai de régularisation et le délai d’appel, voire même l’intérêt à agir d’un appelant titulaire du PC dont il a obtenu la régularisation en cours de procédure d’appel. Des ajustements paraissent donc nécessaires pour mieux cerner la portée de ce nouveau pouvoir du juge, qui s’inscrit pleinement dans la lignée de la jurisprudence CE, 11 mai 2004, association AC ! *** Il sera relevé que parallèlement à cette ordonnance, un décret est annoncé pour permettre une accélération du traitement des contentieux pour la rentrée. Enfin, il sera relevé que le recours gracieux est totalement oublié par la réforme, et ce, alors même que celui-­‐ci peut faire perdre 4 mois supplémentaires pour obtenir la purge d’un permis, sans compter l’hypothèse fréquente où il est suivi d’un recours contentieux. Me Bertrand VENDÉ Avocat Associé Spécialiste en droit public vende@brg-­‐avocats.fr 7