Texte A - Finis ton sandwich

Transcription

Texte A - Finis ton sandwich
DOCUMENTS COMPLEMENTAIRES
Corpus :
Texte A : Victor Hugo, Ruy Blas, 1838, acte III, scène 4
Texte B : Alfred de Musset, Lorenzaccio, 1834, acte III, scène 3
Texte C : Victor Hugo, Hernani, 1830, acte III, scène 4
Question sur corpus : D’après les textes A, B, et C, quelles sont les caractéristiques du héros
romantique ?
Texte A : Victor Hugo, Ruy Blas, 1838, acte III, scène 4 (Utilisez votre édition de l’œuvre)
Texte B : Alfred de Musset, Lorenzaccio, 1834, acte III, scène 3, extrait.
Dans la ville de Florence, gouvernée en 1537 par le duc Alexandre de Médicis, les rivalités entre factions sont féroces, en
particulier entre les Salviati, fidèles au duc, et les Strozzi, favorables à la République. Après le meurtre de Julien Salviati par
les deux fils Strozzi, ceux-ci sont arrêtés sur ordre du duc Alexandre, afin de comparaître devant le tribunal. Philippe Strozzi,
leur père, désespéré, demande alors à Lorenzo de Médicis de délivrer Florence d’Alexandre. Lorenzo évoque alors son
destin empreint de pureté (lorsqu’il était jeune) et de vice (depuis qu’il s’est infiltré dans l’entourage d’Alexandre de
Médicis). Lorenzo (Lorenzaccio) décide alors de tuer le duc, bien qu’il ne soit pas persuadé que son acte permettra aux
républicains de libérer Florence de la tyrannie… La scène se déroule dans la rue.
LORENZO — Tu me demandes pourquoi je tue Alexandre ? Veux-tu donc que je m’empoisonne, ou que je
saute dans l’Arno1 ? Veux-tu donc que je sois un spectre, et qu’en frappant sur ce squelette… (Il se frappe la
poitrine.) Il n’en sorte aucun son ? Si je suis l’ombre de moi-même, veux-tu donc que je rompe le seul fil qui
rattache aujourd’hui mon cœur à quelques fibres de mon cœur d’autrefois ! Songes-tu que ce meurtre, c’est
tout ce qui me reste de ma vertu ? Songes-tu que je glisse depuis deux ans sur un rocher taillé à pic, et que ce
meurtre est le seul brin d’herbe où j’aie pu cramponner mes ongles ? Crois-tu donc que je n’aie plus
d’orgueil, parce que je n’ai plus de honte, et veux-tu que je laisse mourir en silence l’énigme de ma vie ? Oui,
cela est certain, si je pouvais revenir à la vertu, si mon apprentissage du vice pouvait s’évanouir, j’épargnerais
peut-être ce conducteur de bœufs - mais j’aime le vin, le jeu et les filles, comprends-tu cela ? Si tu honores
en moi quelque chose, toi qui me parles, c’est mon meurtre que tu honores, peut-être justement parce que tu
ne le ferais pas. Voilà assez longtemps, vois-tu, que les républicains me couvrent de boue et d’infamie ; voilà
assez longtemps que les oreilles me tintent, et que l’exécration des hommes empoisonne le pain que je
mâche. J’en ai assez de me voir conspué par les lâches sans nom, qui m’accablent d’injures pour se dispenser
de m’assommer, comme ils le devraient. J’en ai assez d’entendre brailler en plein vent le bavardage humain ;
il faut que le monde sache un peu qui je suis, et qui il est. Dieu merci, c’est peut-être demain que je tue
Alexandre ; dans deux jours j’aurai fini. Ceux qui tournent autour de moi avec des yeux louches, comme
autour d’une curiosité monstrueuse apportée d’Amérique, pourront satisfaire leur gosier, et vider leur sac à
paroles. Que les hommes me comprennent ou non, qu’ils agissent ou n’agissent pas, j’aurai dit tout ce que
j’ai à dire ; je leur ferai tailler leurs plumes2, si je ne leur fais pas nettoyer leurs piques, et l’Humanité gardera
sur sa joue le soufflet de mon épée marqué en traits de sang. Qu’ils m’appellent comme ils voudront, Brutus
ou Erostrate3, il ne me plaît pas qu’ils m’oublient. Ma vie entière est au bout de ma dague, et que la
Providence retourne ou non la tête en m’entendant frapper, je jette la nature humaine à pile ou face sur la
tombe d’Alexandre : dans deux jours, les hommes comparaîtront devant le tribunal de ma volonté.
1
Arno : fleuve qui coule à Florence
Je leur ferai tailler leurs plumes : je les obligerai à écrire pour chercher des justifications à mon acte.
3
Brutus : fils adoptif de Jules César, à l’origine, avec d’autres personnes, de son assassinat.
Erostrate : jeune Grec qui, en 356 av. J.-C., alluma intentionnellement l’incendie qui détruisit le temple d’Artémis à Ephèse, une des sept
merveilles du monde antique. Il affirma qu’il avait commis cet acte car c’était le seul moyen d’accéder à une gloire immortelle.
2
Texte C : Victor Hugo, Hernani, 1830, acte III, scène 4
Hernani est un noble qui a été banni. Il est amoureux de Doña Sol, qui, également amoureuse, veut fuir avec lui, et échapper
au mariage avec son oncle, le duc Don Ruy Gomez. Hernani tente de la repousser en lui peignant la condition de banni.
[…] HERNANI
Hélas ! J’ai blasphémé ! Si j’étais à ta place,
Doña Sol, j’en aurais assez, je serais lasse
De ce fou furieux, de ce sombre insensé
Qui ne sait caresser qu’après qu’il a blessé.
Je lui dirais : Va-t’en! — Repousse-moi, repousse!
Et je te bénirai, car tu fus bonne et douce,
Car tu m’as supporté trop longtemps, car je suis
Mauvais, je noircirais tes jours avec mes nuits!
Car c’en est trop enfin, ton âme est belle et haute
Et pure, et si je suis méchant, est-ce ta faute?
Epouse le vieux duc! Il est bon, noble, il a
Par sa mère Olmedo, par son père Alcala.
Encore un coup, sois riche avec lui, sois heureuse!
Moi, sais-tu ce que peut cette main généreuse
T’offrir de magnifique ? Une dot de douleurs.
Tu pourras y choisir ou du sang ou des pleurs.
L’exil, les fers, la mort, l’effroi qui m’environne,
C’est là ton collier d’or, c’est ta belle couronne,
Et jamais à l’épouse un époux plein d’orgueil
N’offrit plus riche écrin de misère et de deuil!
Épouse le vieillard, te dis-je! Il te mérite!
Eh! Qui jamais croira que ma tête proscrite
Aille avec ton front pur ? Qui, nous voyant tous
deux,
Toi, calme et belle, moi, violent, hasardeux,
Toi, paisible et croissant comme une fleur à l’ombre,
Moi, heurté dans l’orage à des écueils sans nombre,
Qui dira que nos sorts suivent la même loi ?
Non. Dieu qui fait tout bien ne te fit pas pour moi.
Je n’ai nul droit d’en haut sur toi, je me résigne !
J’ai ton cœur, c’est un vol ! Je le rends au plus digne.
Jamais à nos amours le ciel n’a consenti.
Si j’ai dit que c’était ton destin, j’ai menti!
D’ailleurs, vengeance, amour, adieu ! Mon jour
s’achève.
Je m’en vais, inutile, avec mon double rêve,
Honteux de n’avoir pu ni punir, ni charmer,
Qu’on m’ait fait pour haïr, moi qui n’ai su qu’aimer!
Pardonne-moi ! Fuis-moi ! Ce sont mes deux
prières.
Ne les rejette pas, car ce sont les dernières!
Tu vis, et je suis mort. Je ne vois pas pourquoi
Tu te ferais murer dans ma tombe avec moi !
DOÑA SOL
Ingrat!
HERNANI
Monts d’Aragon! Galice! Estramadoure! —
Oh! je porte malheur à tout ce qui m’entoure! —
J’ai pris vos meilleurs fils; pour mes droits, sans
remords
Je les ai fait combattre, et voilà qu’ils sont morts!
C’étaient les plus vaillants de la vaillante Espagne!
Ils sont morts! Ils sont tous tombés dans la
montagne,
Tous sur le dos couchés, en braves, devant Dieu,
Et si leurs yeux s’ouvraient, ils verraient le ciel bleu !
Doña Sol, prends le duc, prends l’enfer, prends le
roi !
C’est bien. Tout ce qui n’est pas moi vaut mieux que
moi !
Je n’ai plus un ami qui de moi se souvienne,
Tout me quitte, il est temps qu’à la fin ton tour
vienne,
Car je dois être seul. Fuis ma contagion.
Ne te fais pas d’aimer une religion!
Voilà ce que je fais de tout ce qui m’épouse !
Est-ce une destinée à te rendre jalouse?
Oh ! par pitié pour toi, fuis ! — Tu me crois peutêtre
Un homme comme sont tous les autres, un être
Intelligent, qui court droit au but qu’il rêva.
Détrompe-toi. Je suis une force qui va !
Agent aveugle et sourd de mystères funèbres !
Une âme de malheur faite avec des ténèbres !
Où vais-je ? Je ne sais. Mais je me sens poussé
D’un souffle impétueux, d’un destin insensé.
Je descends, je descends, et jamais ne m’arrête.
Si parfois, haletant, j’ose tourner la tête,
Une voix me dit : Marche! et l’abîme est profond,
Et de flamme ou de sang je le vois rouge au fond!
Cependant, à l’entour de ma course farouche,
Tout se brise, tout meurt. Malheur à qui me touche!
Oh! Fuis! Détourne-toi de mon chemin fatal.
Hélas! Sans le vouloir, je te ferais du mal !
DOÑA SOL
Grand Dieu!
HERNANI
C’est un démon redoutable, te dis-je,
Que le mien. Mon bonheur, voilà le seul prodige
Qui lui soit impossible. Et toi, c’est le bonheur!
Tu n’es donc pas pour moi, cherche un autre
seigneur!
Va, si jamais le ciel à mon sort qu’il renie
Souriait.., n’y crois pas! Ce serait ironie. […]