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ANALYSE 2012
Somalie : à qui profite
le crime ?
Publiée avec le soutien de la Fédération Wallonie-Bruxelles
Pax Christi Wallonie-Bruxelles
Somalie : à qui profite le crime ?
La Somalie a tout pour être prospère : un sous-sol riche, une position plus
qu’avantageuse sur les routes commerciales et la population la plus homogène
d’Afrique. Pourtant, quand on parle de Somalie aujourd’hui, ce n’est que pour évoquer
les innombrables catastrophes qui la frappent : guerre civile, piraterie, famines et
pollution, etc. Cette situation n’est malheureusement par pour déplaire à tout le monde.
Située dans la Corne de l'Afrique, la Somalie partage ses frontières avec Djibouti, le Kenya et
l'Éthiopie. Une partie de ses côtes longe l'Océan Indien. Le pays, d'une superficie totale de
638 000 km² compte 11,5millions d'habitants. La capitale Mogadiscio est située sur la côte
sud. Sa population est l’une des plus homogènes des États d’Afrique. Elle est constituée de
Somalis à plus de 98% et d'une minorité bantoue représentant un peu moins de 2%. Les
Somaliens partagent la même langue, la même culture et la même religion. Ils sont regroupés
en six clans : les Issak (16%) et les Dir (8%) au nord, les Darod (33%) au centre, les Hawiyé
entre les deux fleuves, les Rahaweyn et les Dighil au centre et au Sud. L’Islam sunnite est la
religion dominante de l’État somalien. L'agriculture et l'élevage constituent les principales
activités de 65% de la population. Le pays recèle également des ressources naturelles
(uranium, bauxite, cuivre, sel, fer et hydrocarbures) qui sont pour la plupart inexploitées.
Malgré l'uniformité impressionnante - par rapport au reste de l'Afrique - qui caractérise sa
population, la Somalie est en proie à des conflits claniques qui divisent l'ensemble de son
territoire. Le Somaliland au nord-ouest a proclamé son indépendance en 1991, le Puntland au
nord-est s'est déclaré autonome depuis 1998. Le pays ainsi plongé dans une guerre civile
depuis plus de 20 ans est caractérisé par l'absence de Gouvernement, de Parlement et
d’institutions qui font de la Somalie l’État le plus défaillant au monde.
Ce pays qui avait tout pour réussir - position géographique avantageuse, minerais,
hydrocarbures et population homogène - et devenir un acteur majeur, sinon le plus puissant de
la région, se retrouve dans le chaos. Cette paralysie semble pourtant bénéficier à certains
acteurs régionaux mais surtout internationaux qui tirent profit de l’enlisement de la question
somalienne afin de laisser leurs intérêts (politiques, stratégiques, financiers) perdurer.
Européens, Américains, Kenyans, Éthiopiens ou Djiboutiens, tous profitent du chaos.
Profiter de la guerre ...
Les intérêts européens sont multiples en Somalie. La question de la piraterie maritime a
conduit à l’explosion des assurances pour les bateaux marchands (primes d’assurances,
rançons, …). C’est un marché qui rapporte 4 milliards de dollars au secteur des assurances
dont les prix ont été multipliés par 20 depuis les premières attaques des pirates et qui est
ensuite monté en flèche en 2008. C'est la City londonienne qui abrite les principales
compagnies d’assurance, parmi lesquelles Delta Lloyd, prenant en charge des bateaux
marchands navigants dans l’Océan Indien et le Golfe d’Aden. Aucune n'a intérêt à ce que la
piraterie ne cesse, pour autant qu'elle reste maîtrisée. Il ne serait pas surprenant qu'elles usent
de stratégies pour que cette situation se pérennise.
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La piraterie a tout naturellement conduit à une prolifération des sociétés militaires privées
chargées de la protection des navires qui croisent au large de la Somalie. Ces sociétés
prospères ne tueront pas non plus la nouvelle poule aux œufs d'or.
Les eaux somaliennes sont également connues pour être l’une des plus poissonneuses au
monde. L’absence d’État en Somalie laisse libre court aux chalutiers, principalement
espagnols, pour piller ces eaux. La surexploitation des ressources halieutiques somaliennes
cause une perte annuelle de 300 millions de dollars aux pêcheurs somaliens.
Les pêcheurs européens ne sont pas les seuls à être intéressés par les eaux somaliennes. La
mafia italienne y a en effet trouvé une destination idéale pour tous les déchets toxiques, en ce
compris nucléaires, produits par les usines du vieux continent. En effet, déverser dans ces
eaux leur coûtent 2,50 dollars la tonne tandis que le traitement en Europe des mêmes déchets
coûterait 250 dollars la tonne soit cent fois plus. La combine a été éventée suite au tsunami de
2004 qui a charrié sur les plages des centaines de containeurs scellés qui ont répandu autour
d'eux des maladies graves, malformations, cancers des nourrissons.
... et montrer ses muscles
Le Conseil de l'UE a adopté le 10 novembre 2008 une action commune concernant la mise en
place d'une opération militaire, Atalante. Elle a pour mission officielle de contribuer à la
protection des navires du Programme alimentaire mondial qui acheminent de l'aide
alimentaire aux populations déplacées de Somalie, de veiller à la protection des navires
marchands naviguant dans le golfe d'Aden et au large des côtes de Somalie, ainsi qu'à la
dissuasion, à la prévention et à la répression des actes de piraterie et des vols à main armée au
large de ces côtes.
Cette opération, qui est la première opération militaire d'envergure mise en place par l'Union
européenne elle-même, s'inscrit dans le cadre de la politique européenne de sécurité et de
défense. Elle est une occasion unique de tester l’efficacité de sa chaîne de commandement :
voir si toutes les forces navales sont capables de se concerter, coordonner et mener leurs
actions en commun…
Et également veiller à ses intérêts car 70% du trafic des produits pétroliers et une part
considérable des portes containeurs transitent par l’Océan Indien. Elle est pour cela prête à
tous types d’initiatives notamment l’élargissement de son mandat qui lui permet maintenant
d’attaquer les bases des pirates au sol. Plusieurs questions se posent quant à ces actions
concernant particulièrement les aspects juridiques et la violation de l’intégrité territoriale d’un
État…ou du moins ce qu’il en reste.
Cependant, elle a été concurrencée dans ses manœuvres par d’autres forces navales comme
l’opération de l’OTAN appelée « Ocean shield » et l’opération sous commandement
américain « TF151 ». De plus, il existe actuellement plusieurs opérations de marines
nationales individuelles de pays n’appartenant à aucune alliance et ayant des intérêts sur ce
corridor maritime comme l'Inde, la Russie ou la Chine dont c'est la première expédition
navale depuis plus de 200 ans. Les eaux somaliennes sont aujourd'hui le théâtre d'une
compétition virile où les grandes puissances, au premier rang desquelles l'Union européenne,
affichent leurs ambitions géostratégiques et leur puissance militaire.
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Un chaos organisé ?
Les intérêts des États-Unis dans ce pays relèvent d’une part de l’existence de richesses dans le
sous-sol somalien, mais également de la position stratégique qu’occupe ce territoire sur la
façade orientale de l’Afrique.
Des gisements de pétrole ont été découverts en Somalie il y a plus de deux décennies.
Cependant, les États-Unis n’en auront pas besoin avant quelques années. Leur stratégie sur le
court terme est tout autre : contrôler l’Océan Indien en empêchant la création d’un État
Somalien fort qui pourrait négocier son pétrole avec les nouvelles puissances asiatiques dont
la position en Afrique se renforce de jour en jour.
De par sa position géostratégique, la Somalie dispose de 3220 kilomètres de côtes et fait face
au Golfe arabe et au Détroit d’Ormuz, deux lieux hautement stratégiques que souhaitent
garder sous contrôle les USA et qu’ils surveillent jour et nuit.
Si la situation somalienne connaissait un dénouement positif, les relations entre cette région
de l’Afrique et la Chine mais aussi l’Inde pourraient se développer. Ces derniers auraient ainsi
un poids conséquent dans la région en échange de leurs relations économiques avec les pays
s’étalant de l’Afrique de l’Est à l’Afrique australe. Ce projet nuirait aux intérêts américains
qui verraient leur influence sur cette façade réduite de manière considérable et le pétrole
somalien leur échapper. Le maintien du statut quo en Somalie rend tous projets non viables.
La révolution de l’Océan indien1avec de nouvelles relations économiques souhaitée par
Mandela durant sa présidence restera probablement lettre morte.
Cette stratégie a ses limites. Si le chaos peut profiter à l'Amérique, elle doit pouvoir le
maîtriser. En effet, alors que la lutte contre le terrorisme est devenue un axe de politique
majeure des américains depuis le 11 septembre 2001, des groupes terroristes ayant prêté
allégeance à Al Qaida prolifèrent en Somalie, notamment sur le territoire des Shebabs qui sont
leurs principaux ennemis dans la région. La Somalie est également connue pour abriter tous
les groupements ou personnes considérés comme terroristes pas les États-Unis en provenance
du Yémen, de l’Algérie et du Mali.
Quel avenir ?
Deux questions nous viennent à l’esprit : est ce que les USA et ses alliés ont une vision
militaire sans réelle stratégie politique à long terme ? Tandis que nous savons pertinemment
que la solution pour sortir du bourbier somalien est d’abord et avant tout politique. Ou alors
est ce que leur stratégie consiste à maintenir ce pays dans le chaos pour faire primer leurs
intérêts (au détriment des autres) ?
L’option militaire n’a jamais porté ses fruits dans ce pays. En attestent les opérations
« Restore Hope » en 1992 où les GI’s américains ont subi un cuisant revers (que les USA
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Evoquée par Nelson Mandela alors président de l’Afrique du Sud. Il avait exprimé la nécessité d’une révolution de l’Océan
indien avec de « nouvelles relations économiques ». L’idée consistait au rétablissement de la paix en Somalie pour établir de
nouvelles relations entre l’Afrique d’une part et la Chine et l’Inde d’autre part à travers l’Océan indien. Ainsi, tous les pays
s’étalant de l’Afrique de l’Est à l’Afrique australe auraient pu avoir un accès facile aux marchés asiatiques synonymes d’une
économie florissante.
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n’ont d’ailleurs jamais digéré) et les différentes interventions onusiennes et éthiopiennes qui
se sont elles aussi soldées par un échec.
Résoudre le problème de la Somalie demande une prise en compte de toutes les sensibilités, y
compris les Shebabs qui sont tous catalogués comme terroristes alors qu’il n’en est rien en
réalité. À titre comparatif, les Irlandais étaient considérés comme tels en réclamant leurs
droits. Depuis la signature de l’accord du Vendredi Saint2, ils ne le sont plus... Avoir une
Somalie indépendante, puissante étant donné l’étendue de ses ressources halieutiques, la
richesse de son sous-sol, capable de se présenter comme l’État incontournable de la région
perturberait l’échiquier politique continental et même international. Malgré le nombre de
victimes de ce conflit qui dure depuis plus de deux décades, les différents États ayant des
intérêts dans la région préfèrent le chaos à la stabilité régionale.
La Commission géopolitique
de Pax Christi Wallonie-Bruxelles
Septembre 2012
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L'accord du Vendredi Saint officiellement nommé accord de Paix pour l'Irlande du Nord est un accord signé le 10 avril
1998 par les principales forces politiques d'Irlande du Nord acceptant une solution politique pour mettre fin aux trente années
(de 1969 à 1998) de troubles sanglants qui firent 3480 morts.
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