Les ressorts des inégalités femmes

Transcription

Les ressorts des inégalités femmes
Les ressorts des inégalités femmes-hommes,
points de vue du Sud
Infocycle, CTB
23 janvier 2016
Aurélie Leroy
Chargée d’étude au
Centre tricontinental (CETRI)
Plan
 Creusement des écarts entre femmes et hommes
 Ressorts des inégalités femmes-hommes
 Crises économiques, inégalités et « féminisation de la survie »
 Economie mondialisée et nouvelle division internationale du travail
 Délocalisation de la production et féminisation du salariat
 Migrations internationales du travail
 « Les femmes » dans le « développement »
 Intégration des femmes au projet de modernisation
 Genre et développement
 Local Feminism
 Les luttes des femmes dans le Sud
1. Ecarts entre femmes et hommes
 Sur la mesure des inégalités
 Données difficilement quantifiables
 Données trompeuses (ex: Female Labour Market Index)
 Neutralité des mesures et privilèges des hommes
 Multiplication d’indicateurs pour mesurer le progrès en matière d’égalité
 Indice sexospécifique de développement humain, Indice de participation des
femmes à la vie économique et politique
 <1990, « promotion de l’égalité homme-femme » : objectif des gouvernements,
des agences de développement, des ONG (OMD)
 Avancées et limites
Avancées
 Mettre en exergue la prégnance
des inégalités
 Quasi parité de sexe dans
l’éducation pour l’enseignement
primaire (mais…femmes
représentent encore 2/3 pop.
analphabète)
 Sous-représentation des femmes
dans l’emploi salarié
 Les femmes contrôlent 20% des
terres (><contribuent +50% de la
production alimentaire mondiale)
 22% des députés des parlements
nationaux
 35% des femmes au niveau mondial
subissent des violences physiques ou
sexuelles
-> Sur-représentation des femmes parmi
les populations les plus pauvres et
marginalisées (70%)
Limites
 Indicateurs ne reflètent pas le
caractère multidimensionnel de
l’empowerment
 Facette individuelle (capacité de
se prendre en charge éco.)
 Empowerment est intégré à la
lutte contre la pauvreté (santé,
nutrition, microéconomie,
éducation…)
 Pas remise en cause des rapports
de pouvoir et de domination
femmes/hommes
 Efficacité (un moyen et une fin)
 Ne disent rien sur les moyens et
processus qui constituent
l’émancipation
« L’Empowerment fait référence au
pouvoir qu’un individu peut avoir sur
sa propre vie, mais aussi au sein d’un
groupe dans une vision collective de
gestion et de transformation de la
société et de l’action politique »
 Besoins Pratiques et les Intérêts Stratégiques
 Caroline Moser (1993) ou encore Maxine Molyneux (1994)
 Deux domaines où les processus d’empowerment sont perceptibles
BP
IS
Liés aux besoins de base quotidien
-> meilleur accès et contrôle des ressources
Position sociale et politique désavantagée,
transformation des relations de genre et des
comportements
-> changement dans les relations de pouvoir
2. Ressorts des inégalités femmes/hommes
2.a. Crises économiques, inégalités et « féminisation de la
survie »
 Transformations majeures des pays du Sud
 aggravation des inégalités de genre
 Services sociaux
 Intensification de la charge de travail des femmes : rôle d’ « amortisseur »
(ville/campagne)
2.b.Economie mondialisée et nouvelle division du travail
 Déréglementation du marché du travail et ouverture de l’économie
 Délocalisation des entreprises transnationales dans les pays du Sud (< mi
1970…) dans des domaines de production intensifs en main d’œuvre
 Stratégie d’embauche féminine (zones franches et au-delà)
 Effets pour les entreprises
 Effets pour les femmes
 Débat sur l’ émancipation par l’emploi (+ et -)
 Migrations internationales de travail
 Effets pour l’Etat
 Effets sur les femmes, sur les familles
 Débat sur la portée émancipatrice des migrations
Nombre de zones franches par pays en 2008 (Source : Bost F., 2011, p. 250)
Une zone franche (en anglais free zone) est une zone géographique d'un pays présentant des avantages fiscaux afin
d'attirer l'investissement et de développer l'activité économique1.
3. Les « femmes du Sud » dans « le
développement »
 L’intégration des femmes au projet de modernisation
 Genre et développement
 Le Local Feminism
3.a. L’intégration des femmes au projet de
modernisation
 Émergence d’un sujet « femmes du Sud »
 Contexte
 Ester Boserup (1919-1999)
La femme face au développement économique (1983), Paris, PUF.
(première édition en anglais en 1970)
- « question des femmes » dans les sociétés « en développement »
- objet: impact de la colonisation et du processus de modernisation sur la
population féminine des pays « sous-développés »
- rupture avec les représentations précédentes
* femmes pauvres, invisibilité, rôle reproductif, mères, approche « social welfare »
->femmes victimes, nécessitant une intervention ext. pour participer au développement
“
« Le développement économique et social entraîne inévitablement la désintégration
de la répartition du travail entre les deux sexes, telle que la tradition l’a établie
dans le village. Avec la modernisation de l’agriculture et la migration vers les
villes, un nouveau modèle du travail productif, en fonction des sexes, apparaît pour
le meilleur et pour le pire. Il y a cependant un danger manifeste : au cours de cette
transition, les femmes seront dépossédées de leurs fonctions productrices et, de ce
fait, tout le processus de développement en sera retardé. Le degré de gravité de ce
danger dépend des coutumes, dont la variété est très large, et d’autres conditions
pré‐existantes dans différentes parties du monde sous‐développé ».
Constat de Boserup
Dégradation du statut des femmes sous la colonisation et dans les processus de développement plus
contemporains
Introduction de procédés agricoles modernes -> division sexuelle du travail
Reproduction du schéma dominant européen par l’administration coloniale qui s’est adressée aux
hommes
Politiques de modernisation n’ont pas fourni aux femmes un accès aux emplois dans l’industrie ->
marginalisées/infériorisées dans le développement -> frein émancipation
Solutions de Boserup
inspirées de l’expérience occidentale d’industrialisation
libérer les femmes du cycle reproductif et assurer leur indépendance sur le marché du travail
”
 Women in Development (WID)
 < années 1970 : « ère post-Boserup » (référence)
 Reflet des préoccupations féministes comme courant intellectuel
 Contexte: stratégie d’industrialisation des pays du Sud (exportation + emploi fém.)
 Représentation des femmes et interprétation de leur infériorisation
 Favorable à l’incorporation des femmes dans le processus d’industrialisation via
l’emploi salarié
 émancipation des femmes par l’emploi
 Mise en avant du potentiel de productivité des femmes
 Approche efficacité
 Critiques internes au WID:
 instrumentalisation par élite industrielle des rapports de genre inégaux (hétérogénéité maind’œuvre féminine + « sauvegarde » du travail reproductif)
 « féminisation des conditions de travail »
 Critiques de l’approche WID
 Peu mise en cause du système de domination masculine ou des mécanismes de la
hiérarchisation sexuelle
 Peu d’intérêt/dévalorisation pour les « obligations familiales » des femmes du Sud
(<deb. 1980: économie de subsistance et travail domestique )
 Pas remise en cause des structures de pouvoir (marché) qui (re)produisent des
différences et de la hiérarchisation
 Egalité des sexes est fonctionnelle/utilitariste par rapport à l’objectif global de la
croissance
3.b. Gender and Development (GAD)
 Début 1980 – …
 Le « genre » dans la littérature féministe (>< « sexe ») a eu des répercussions
sur la pensée problématisant les femmes dans le développement
 Le « genre » devient l’analyseur du développement
 Transfert d’une réflexion « femmes » à une analyse des « rapports sociaux entre
hommes et femmes » + mécanismes qui contribuent à établir la subordination
des femmes
 L’approche GAD intègre un questionnement sur le rôle des rapports de pouvoir
entre hommes et femmes dans le développement
ex: Etat, famille, marché sont des dispositifs producteurs de différence et de hiérarchisation. GAD
étudient les interactions des hommes / femmes en leur sein, l’instrumentalisation de ces dispositifs, etc.
Intégration des femmes dans le développement
(IFD – WID)
Genre et développement
(GED –GAD)
Contexte
1970-1980
Féminisme libéral
Industrialisation du Sud (stratégie d’exportation et
féminisation du salariat)
<1980
Fragmentation du mouvement féministe
3e vague (porte-à-faux avec modernisation)
Genre et mondialisation, PAS
Centre d’attention
Les femmes
Les relations hommes-femmes / genre
Problème de départ
L’exclusion des femmes dans le processus de
développement
L’inégalité des relations de pouvoir entre femmes et
hommes
Solution
Intégration des femmes dans le processus de
développement (émancipation via l’emploi salarié)
Transformation des relations et redistribution des pouvoirs
+ Evolution du mode de développement
Stratégies
Augmentation de la productivité des femmes
Augmentation du revenu des femmes
Renforcement des compétences des femmes au sein du
foyer
Approche efficacité (vision utilitariste)
Top-down
Reflet des préoccupations des femmes « expertes »
Renforcement du pouvoir et de l’autonomie des femmes
Approche empowerment (vision non utilitariste)
Bottom-up
Reflet des préoccupations des mouvements de femmes
du Sud
Une ambiguïté du GAD: la
féminisation de la pauvreté
« thus, the infortunate term
‘the feminisation of poverty’
has come to mean not (as
gender analysis would
suggest) that poverty is a
gendered experience, but
that the poor are mostly
women ».
 Insiste sur l’absence des femmes de la
sphère productive rémunérée comme
cause 1e de la pauvreté
 La variable économique n’est qu’une
caractéristique de la hiérarchisation des
sexes
 Genre = pauvreté
 Interventions urgentes
 Recyclage de l’approche efficacité
JACKSON C., PEARSON R. (1998),
Feminist Vision of Development,
Gender analysis and policy,
Routledge, London and NewYork.
 Pauvreté devient une caractéristique quasi
« essentielle », car non problématisée
3.c. Dépasser l’approche modernisatrice
- Les luttes des femmes du Sud  WID et GAD ne sont pas les seules positions féministes qui représentent les
femmes dans des contextes Sud
 luttes enracinées dans des « territoires de vie » (histoire nationale, problématique
locale)
 Dépoussiérer les cadres d’analyse, situations différenciées
 Mise en exergue des différences entre femmes et des identités multiples croisées
: 3e vague
: imbrication des oppressions / intersectionnalité
: pas « une » condition féminine, pas « une » oppression globale,
pas « une » voie unique vers l’émancipation
: « fin » solidarité universelle entre les femmes (ex : femmes dalits),
 Féminisme postcolonial/décolonial
: répondre à des réalités internes , pas des attentes externes
: force des mouvements de femmes du Sud
- Hétérogénéité des féminismes du Sud Dimension kaléidoscopique des mouvements de femmes du Sud
au travers du thème de l’autonomie
 Rapport au pouvoir institutionnel
 Rôle de l’Etat: nature des régimes, positionnement des gouvernements
 Stratégies des acteurs sociaux
 Mondialisation des politiques de genre et institutionnalisation des préoccupations
féministes (sur les plans politique et organisationnel)
 Avancées
 Limites
 Rapport au religieux
 Religion : un pouvoir patriarcal et oppressif -> Incompatibilité
 1980’ : poussés fondamentalismes religieux
 Marge de manœuvre réduites, stratégies féministes multiples
 Raisons d’un engagement au travers de la religion
 Les féministes islamiques
« Le Coran affirme le principe d’égalité entre tous les êtres humains: ce sont l’idéologie et
les pratiques patriarcales qui ont entravé ou subverti la mise en pratique de l’égalité entre
hommes et femmes » (M. Badran)
 Rapport aux autres mouvements sociaux
 Opportunités et risques de la construction d’alliances autour de finalités
communes
 Culture patriarcale et androcentrique
 Création d’espaces de dialogue non mixtes

« L’autonomie féministe ne signifie pas un rejet absolu des partis, des Etats, des institutions
(inter)nationales, des religions, des organisations mixtes. Elles ne condamnent pas ses adhérents à
la marginalité loin de tout lieu de pouvoir, mais défend l’idée que le combat féministe, pour
s’allier à d’autres, doit être compris comme une composante stratégique et structurante d’un
projet de société émancipateur » (Etat des résistances dans le Sud, 2015)