d`où vient la supériorité des enfants coréens en mathématiques

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d`où vient la supériorité des enfants coréens en mathématiques
D'OÙ VIENT LA SUPÉRIORITÉ DES ENFANTS CORÉENS EN
MATHÉMATIQUES ?
Hee Yean Cho et al.
Armand Colin | Carrefours de l'éducation
2008/2 - n° 26
pages 185 à 200
ISSN 1262-3490
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-carrefours-de-l-education-2008-2-page-185.htm
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Pour citer cet article :
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Cho Hee Yean et al., « D'où vient la supériorité des enfants coréens en mathématiques ? »,
Carrefours de l'éducation, 2008/2 n° 26, p. 185-200. DOI : 10.3917/cdle.026.0185
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D
s Hee Yean Cho, Annick Weil-Barais
[email protected]
[email protected]
epuis plus de quarante ans, les évaluations internationales ont établi une supériorité systématique des
élèves asiatiques par rapport aux élèves occidentaux
en ce qui concerne les performances en mathématiques. Ceci a donné lieu à toute une série de travaux
visant à comprendre l’origine de ces différences.
Le fait que, d’une part, il n’y a pas de lien entre les
dépenses des pays en matière d’éducation et le score
global moyen en mathématiques, et que, d’autre part, les élèves des pays
d’Amérique du nord d’origine asiatique ont des performances supérieures
aux élèves d’origine européenne a conduit à rechercher des explications
concernant l’origine des différences du côté de facteurs culturels. Plusieurs
pistes ont jusqu’alors été explorées : linguistiques et éducatives.
Au plan linguistique, plusieurs auteurs ont relevé que le système de
désignation des nombres des langues asiatiques était régulier contrairement à l’anglais et au français, ce qui facilite la compréhension du système
décimal (Miura, Okamoto, Kim, Steere et Fayol, 1993 ; Miura, Okamoto,
Kim, Chang, Steere et Fayol, 1994 ; Suk-Han Ho et Fuson, 1998). Fuson
et ses collaborateurs (1997) ont réalisé une étude apportant la preuve de
l’avantage de la suite régulière des mots-nombres dans les langues de l’est
asiatique. Cette étude concerne des enfants hispanophones des quartiers
défavorisés de Detroit (Etats-Unis). Ils ont comparé l’enseignement de deux
suites verbales numériques : la suite conventionnelle dans les langues d’apprentissages du calcul et cette même suite régularisée « à l’asiatique ». Fuson
et al. ont choisi une classe où l’enseignement mathématique se faisait en
américain et une autre en espagnol, les langues maternelles des enfants. Par
exemple, pour le nombre 53, les élèves apprennent à le dire « cinq dix et trois
uns » dans leur langue maternelle : « five tens and three ones » en américain et
« cinco dieces y tres unos » en espagnol. Les résultats sont très intéressants car,
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n Dossier 2. Psychisme, culture et apprentissage. International
D’où vient la supériorité
des enfants coréens
en mathématiques ?
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International
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en fin d’année, les élèves ayant participé à l’expérimentation étaient même parfois
supérieurs à ceux des élèves asiatiques. Rappelons qu’en France, au xviiie siècle,
Condorcet avait formulé une proposition semblable à celle de Fuson (1997) dans
son dernier ouvrage, Moyens d’apprendre à compter sûrement et avec facilité, publié
après sa mort, en 1799, par sa femme. Cette proposition a été reprise récemment
par Brissiaud, Clerc et Ouzoulias (2001).
Au plan éducatif, de nombreux déterminants ont été étudiés : les programmes
scolaires (Stigler, Lee, Lucker et Stevenson, 1982 ; Stevenson, Azuma et Hakuta,
1986), le volume horaire consacré à l’apprentissage des mathématiques à l’école
(Stevenson et al. 1986 ; Fischer, 2002) ou à la maison (Chen et Stevenson, 1989),
les activités demandées aux élèves (Perry, VanderStoep et Yu, 1993), les formes
d’organisation du travail scolaire (Stigler, Lee et Stevenson, 1987), le style du maître
(Stigler, Lee et Stevenson, 1987), les représentations et valeurs sociales concernant
les connaissances et la réussite en mathématiques (Stevenson, Lee, Chen, Stigler,
Lee, Hsu, et Kitamura, 1990 ; Stevenson, Cheng et Lee, 1993), le rôle des parents
(Crystal et Stevenson, 1991 ; Geary, 1996 ; Holloway et al., 1986 ; Huntsinger et al.,
2000 ; Stevenson et Stigler, 1992). Les recherches citées sont loin d’être exhaustives
mais elles tendent, dans leur ensemble, à établir que, tendanciellement, les parents
asiatiques sont plus exigeants à l’égard de l’apprentissage des mathématiques
de leurs enfants que les parents nord-américains et que les enfants eux-mêmes
y consacrent plus de temps ; leur conception de la réussite et de l’échec diffère
également : par exemple, les parents japonais étudiés par Stevenson, Cheng et Lee
(1993) expliquent les mauvais résultats plutôt par un manque d’effort alors que
les parents américains le rapportent plutôt à un manque de capacités. Ces différences entraînent des stratégies éducatives très différentes. Les parents japonais
sont enclins à faire un effort pour les élèves faibles, alors que les parents américains
seront plutôt enclins à réorienter leur enfant s’il échoue en mathématiques. À ces
différences s’ajoutent des différences de fonctionnement pédagogique en classe
de mathématiques : dans les pays asiatiques étudiés, des activités plus concrètes
réalisées en groupe, davantage d’interventions informatives de la part des maîtres
jouant un rôle de leaders, alors qu’en Amérique du Nord, les formes individuelles
de travail sont privilégiées, accompagnées d’un plus grand effacement du maître.
L’ensemble des études réalisées jusqu’alors concerne essentiellement des enfants
d’âge scolaire (niveau collège et lycée). L’étude de Huntsinger et al. (2000) qui
compare l’évolution des performances d’enfants nord-américains d’origines européenne et chinoise entre 5 et 9 ans constitue une exception. La supériorité initiale
des enfants d’origine chinoise se maintient au cours du développement, alors même
qu’ils fréquentent le même type d’école. Ceci attesterait de l’importance du rôle
de la famille et de sa culture de référence. On peut légitimement penser que c’est
à un âge très précoce que se construit le rapport de l’enfant avec les connaissances
mathématiques, au sein même de sa famille. Cette idée est fondée à la fois sur les
conceptions vygotskiennes du développement qui attribuent aux adultes un rôle
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majeur, à travers les médiations sociales dont l’enfant bénéficie dans le cadre des
interactions langagières et sur le modèle écosystémique proposé par Bronfenbrenner
(1993) qui fait jouer au micro-système composé des personnes qui entretiennent
des relations immédiates avec l’enfant un rôle fondamental, notamment en invitant
ou empêchant l’engagement dans des interactions soutenues, progressivement plus
complexes, avec et dans l’environnement immédiat.
L’enjeu de l’étude présentée est de mettre en évidence des différences quant
à la manière dont les parents de deux pays très contrastés du point de vue des
performances en mathématiques des élèves, engagent les jeunes enfants dans des
activités numériques. Il s’agit de la France et de la Corée. Cette étude a été conduite
à l’occasion de la réalisation d’une thèse en sciences de l’éducation, en France, par
un chercheur de nationalité coréenne (Cho, 2007). Il s’agit d’une étude exploratoire
concernant des enfants d’âge préscolaire, tous scolarisés dans une école maternelle
française, dont l’âge s’étale entre 3 et 5 ans. L’ampleur de la classe d’âge s’explique par
le fait que, faute d’études antérieures, il était impossible de situer a priori la période
la plus intéressante à considérer pour mettre en évidence des différences.
Nous présenterons tout d’abord quelques aspects qui différencient ces deux pays.
Dans un second temps, l’étude sera décrite et discutée.
La Corée et la France : deux pays contrastés
Nous relèverons trois aspects qui différencient ces deux pays du point de vue
des connaissances mathématiques : les performances scolaires en mathématiques,
le système linguistique de désignation des nombres et les modalités de l’éducation
à l’âge pré-scolaire.
Les performances en mathématiques
La consultation des résultats des évaluations internationales concernant les élèves
de collège montre que les élèves coréens se situent dans le peloton de tête des pays
impliqués, ce qui n’est pas le cas des élèves français qui se situent dans la zone
moyenne. Les données concernant les deux pays aux deux enquêtes internationales
de référence (TIMSS et PISA) sont récapitulées dans le tableau 1. La France n’a
participé à l’enquête TIMSS qu’en 1995. La Corée se maintient à la seconde place
dans les deux enquêtes postérieures à 1995.
. International Association for the Evaluation of Educational Achievement (IEA), Trends in International Mathematics and Science Study (TIMSS), 1995, 1999, and 2003, http://timss.bc.edu/
. L’enquête internationale PISA organisée en trois vagues respectivement – 2000, 2003 et 2006 – est
un projet mené conjointement par l’Unesco et l’OCDE visant à évaluer les acquis des élèves de 15 ans,
des pays membres et de certains autres pays.
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International
TIMS 1995 – grades 4 et 8
Corée
Scores
607
France
577
2
e
Rangs
Scores moyens
PISA 2003
Corée
France
538
492
542
511
13
20
3
16e
e
e
sur 41 pays
sur 41 pays
495
466
e
sur 40 pays
sur 40 pays
500
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Concernant les très jeunes enfants, on dispose de peu de données comparatives
entre la France et la Corée, notamment pour ce qui concerne la connaissance des
nombres et des opérations. Song et Ginsbourg (1987) ont comparé les performances d’élèves coréens et américains, âgés de 4 à 8 ans, au TEMA (Test of Early
Mathematical Ability). Dans la tranche d’âge supérieure (7 et 8 ans), les élèves
coréens se sont avérés supérieurs aux Américains, ce qui n’est pas le cas pour
les plus jeunes. Miura, Kim, Chang et Okamoto (1988) ont comparé des enfants
coréens d’âge préscolaire, à des enfants japonais, taiwanais et américains en utilisant une épreuve permettant de cerner la conception du nombre des enfants :
représenter les nombres 11, 13, 28, 30 et 42 avec des cubes unités et des barres
de dix unités. Les enfants américains privilégient les constructions avec des cubes
unités, correspondant à une représentation du nombre par comptage un par un,
alors que les enfants asiatiques privilégient les représentations par groupes (par
exemple, pour 42, 4 barres et 2 cubes unités ou 3 barres et 12 cubes unités). Ceci
traduit une meilleure compréhension du système numérique, au plan conceptuel.
Les résultats montrent des réussites coréennes très supérieures aux réussites américaines : 98 % des élèves coréens ont réussi le test, contre 13 % des Américains.
La réussite des autres groupes d’enfants asiatiques est également élevée : 76 % des
taïwannais et 79 % des Japonais réussissent l’épreuve. Une étude postérieure de
Miura et al. (1993) a comparé, avec la même épreuve, des élèves de première année
d’école en Chine, Japon, Corée, France, Suède et Etats-Unis. Les résultats sont
semblables aux résultats antérieurs : les élèves chinois, japonais et coréens préfèrent utiliser à la fois les barres et les cubes unités ; par contre, les élèves français,
suédois et américains préfèrent utiliser les collections d’unités, suggérant qu’ils se
représentent le nombre comme un groupement d’objets comptés. Un seul élève
français sur les 23 a réussi l’épreuve alors qu’elle est réussie par 23 élèves coréens
sur 24. On relèvera cependant que les élèves français sont un peu plus jeunes que
les Coréens (6 ans 4 mois versus 7 ans 1 mois).
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Tableau 1. — Comparaison des scores en mathématiques des enquêtes internationales
TIMS et PISA, pour la Corée et la France.
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Le système linguistique de désignation des nombres
Dans les langues de l’est asiatique (le chinois, le japonais, le coréen), les suites
de mots de nombres sont régulières et structurées logiquement comparativement
aux suites non asiatiques, particulièrement les suites anglaise et française. Dans
les langues asiatiques, le statut particulier des groupes de dix est beaucoup mieux
marqué, par exemple, la transcription de la suite chinoise est la suivante :
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En Corée, deux suites de nombres coexistent. La première, qualifiée de « régulière » est tout à fait analogue à la suite chinoise ; la seconde, qualifiée « d’irrégulière », présente des irrégularités pour les noms de dizaines. Par exemple, dans
la suite régulière, où 2 se dit Ee, 3 Sam, 4 Sa, 5 Oo, 6 Yuk, 7 Tchil, 8 Pal, 9 Gu et
10 Sip, 20 se dit Ee-sip, 30 Sam-sip, 40 Sa-sip, 50 Oo-sip, etc. Puis, dans la suite
irrégulière, où 2 se dit Dool, 3 Set, 4 Net, 5 Dasot, 6 Yeosot, 7 Ilgop, 8 Yeodulp,
9 Ahop et 10 Yeol, 20 se dit Sumool, 30 Seoren, 40 Maheun, 50 Shin, 60 Yeosun,
70 Iren, etc. Les deux suites sont enseignées en première année d’école. Mais la
plupart des enfants coréens apprennent les deux types de suite avant la scolarisation.
Comme le mentionne Fischer (1990), la suite irrégulière est apprise informellement aux enfants coréens et, ensuite, la suite régulière est utilisée dès le début de
l’apprentissage en mathématiques. Certaines comptines numériques coréennes
utilisent ces deux suites pour mémoriser la correspondance entre les deux.
Selon Song et Ginsbourg (1988), aucun des jeunes coréens, sur les 23 testés ne
souffre initialement du fait de leur bilinguisme numérique et, à l’âge de 4 ans, ils
peuvent compter sans difficulté jusqu’à trente.
Les modalités de l’éducation préscolaire
La quasi-totalité des enfants de 3 à 5 ans sont scolarisés en école maternelle
aujourd’hui en France. Par contre, en Corée le projet de l’éducation gratuite en
école maternelle est en cours et le taux de scolarisation en école maternelle ne
dépasse pas 35 % pour toutes les tranches d’âge. C’est donc la famille qui, pour la
majeure partie, assure l’éducation des enfants.
En Corée, du fait du travail des femmes et du coût de la scolarisation, les familles
à enfant unique sont majoritaires et investissent beaucoup dans leur éducation.
Les mères, femmes au foyer, s’occupent entièrement de l’éducation de leur enfant.
Elles leur enseignent les mathématiques, les lettres coréennes, l’anglais, etc. avec
des outils pédagogiques qu’elles trouvent souvent sur l’internet. Elles sont avides
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« – de 1 à 10 : yi (1), er (2), san (3), si (4), wu (5), liu (6), qi (7), ba (8), jiu (9), shi (10) ;
– de 11 à 19 : shi-yi (11), shi-er (12), shi-san (13), shi-si (14), shi-wu (15), shi-liu (16), shi-qi (17),
shi-ba (18), shi-jiu (19) ;
–de 20 à 99 : er-shi (20), er-shi-yi (21)…, er-shi-jiu (29), san-shi (30), si-shi (40), wu-shi (50), liu-shi
(60), qi-shi (70), ba-shi (80), jiu-shi (90)…, jiu-shi-jiu (99). » (d’après Fischer, 2002).
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International
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de conseils et participent en très grand nombre à des groupes de discussion via
l’internet. Une pratique récente est le recours aux edu-sitters qui se déclinent en
de nombreuses spécialités : play-sitter, english-sitter, book-sitter, maths-sitter, artssitter, etc. Dans leur majorité, les edu-sitters sont diplômés en éducation des jeunes
enfants. Ils dépendent d’entreprises privées, reçoivent une formation et ont des
programmes éducatifs systématiques, par exemple : activités artistiques, jeux de
rôles, contes pour enfants. Les english-sitters ou les maths-sitters sont diplômé(e)s en
anglais ou en mathématiques et proposent des activités pour pratiquer ces matières
avec les enfants, dans la vie quotidienne. Les parents peuvent choisir librement
leur edu-sitter, l’horaire et la durée. Ce système est accueilli très favorablement par
les mères coréennes, y compris les femmes au foyer (SBS, 2006). Avec ce système,
avant l’entrée à l’école élémentaire, la majorité des enfants coréens est capable de
lire, écrire, compter et calculer avec de petits nombres (addition et soustraction,
voire multiplication et division) avant d’entrer à l’école élémentaire.
La comparaison des programmes scolaires de l’école maternelle, des contenus et
des exercices proposés dans les ouvrages montre une très grande similitude entre
la France et la Corée, ce qui s’explique par le fait que l’école maternelle française a
constitué, pour la Corée, la source d’inspiration majeure (Cho, 2007). Toutefois,
on relève que les quantités numériques proposées aux enfants coréens sont plus
grandes que pour les enfants français. Une première approche des probabilités est
proposée en Corée, ce qui n’est pas le cas pour la France.
Si l’on prend en compte les différents éléments rapportés, il apparaît que la
supériorité des performances des enfants coréens est associée à l’usage d’un système
de dénomination des nombres transparent par rapport au système décimal, un
investissement important des familles dans les apprentissages des enfants et, enfin,
des exigences plus importantes en matière de connaissance des nombres. On peut
donc s’attendre à ce que les parents coréens soient plus enclins à proposer des
activités mathématiques aux enfants que les parents français. C’est ce que l’étude
rapportée ci-après a cherché à établir.
Comparaison de dyades parent-enfant
dans un contexte de jeu : le jeu de la marchande
Nous avons choisi de proposer une situation de jeu de façon à permettre l’expression de conduites spontanées. Il s’agit du « jeu de la marchande », une situation
déjà utilisée par Gauvain et Rogoff (1989). Le jeu réfère à une activité familière
aux deux pays comparés : l’achat et la vente de produits. Un tel jeu est susceptible
de susciter des activités mathématiques à caractère pragmatique : constitution de
collections homogènes d’objets, dénombrement des objets disponibles, détermination des prix, comparaison de quantités ou de prix, étiquetage des produits,
établissement de facture, etc. Bien entendu, ce jeu est également propice à d’autres
activités comme les jeux de rôle ou toute autre activité symbolique. La diversité
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des activités que ce jeu autorise permet de cerner les investissements privilégiés
qu’en font les dyades.
Nous supposons que les parents coréens sont davantage enclins à suggérer des
activités numériques à l’âge préscolaire (comptage, dénombrement, comparaison
de quantités ou de prix, calcul, étiquetage, etc.) que les parents français, qu’ils
valorisent spontanément les connaissances numériques manifestées par les enfants
et qu’ils ont des attentes supérieures au plan de ces connaissances.
Les dyades retenues pour la comparaison présentent, autant que faire se peut,
des caractéristiques comparables au plan sociologique, ce qui va être précisé
ci-après.
Le matériel mis à la disposition des dyades permet de concevoir un rayon de
friandises disposées sur des étagères et de jouer à la marchande ou au marchand.
Il comprend : une étagère comprenant deux niveaux (L37, P30, H15 cm) ; six
boîtes contenant des friandises différentes (5 bonbons jaunes en banane tagada,
6 bonbons rouges en fraise tagada, 10 carambars de trois couleurs différentes
– rose, orange, rouge – 5 sucettes bleues, 7 chewing-gums roses, 4 kinders (oeufs en
chocolat) ; des étiquettes vierges autocollantes pour noter le contenu des boîtes ;
six jeux d’étiquettes indiquant le prix, proposant des représentations figuratives,
analogiques et numériques -ils sont inspirés des types de notation spontanée
répertoriés par Sinclair (1988) ; des sacs en papier pour mettre les bonbons ; des
feuilles de papier blanc pour noter les articles achetés par le client ; des feutres de
différentes couleurs.
Les conditions de l’observation
La situation a été présentée aux parents comme étant un jeu que nous testions,
sans préciser que l’étude concernait l’acquisition des connaissances mathématiques.
Les parents étaient sollicités pour donner leur avis sur l’intérêt du jeu ainsi que sur
ses aspects positifs et négatifs. Les dyades parent-enfant ont été filmées dans un lieu
laissé au libre choix des parents (domicile, parc, salle de travail, etc.). Les modalités
de contact, les consignes données ainsi que les modalités de prise de vue ont été
conçues en vue d’obtenir des conduites les plus spontanées possibles.
Déroulement de l’observation
Dans un premier temps, on donne un mode d’emploi du jeu au parent, sous une
forme écrite et nous nous assurons qu’il a bien pris connaissance du matériel et
des possibilités qu’il offre (rangement sur les étagères, étiquetage). Le jeu consiste à
concevoir un étalage avec le matériel disponible et ensuite de jouer au marchand et
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Le matériel
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International
à l’acheteur. Si après avoir lu le mode d’emploi, des choses ne sont pas claires pour
le parent, il est à même de poser des questions. Les joueurs sont incités à suivre
les quatre étapes suivantes représentées dans le diagramme : distribution des rôles,
étiquetage des boîtes, jeu de rôle, établissement d’une facture. La dernière étape
a été conçue afin de pouvoir disposer de données systématiques sur les capacités
d’écriture des enfants, dans un contexte écologique.
Un conseil est donné aux parents : si l’enfant a des difficultés, ils peuvent l’aider
mais il leur est conseillé de ne pas faire les étiquettes à sa place.
• Étiquetage des boîtes
de bonbons : contenu et prix.
Jouer librement au jeu de la marchande.
Marquer sur une feuille blanche le type de
bonbons, la quantité et le prix.
Figure 1. — Les étapes du déroulement du jeu
Enregistrement
Les séances ont été filmées à l’aide d’une caméra numérique non professionnelle,
en l’absence du chercheur afin de ne pas perturber l’activité de jeu. Le cadrage était
réalisé de manière à voir les mains et le visage du parent et de l’enfant. Un espace était
délimité au préalable de telle sorte que les participants ne sortent pas involontairement du cadre. Quand l’espace n’était pas suffisant, le cadrage se faisait en priorité
sur l’enfant. Dans certains cas, les enregistrements ne sont pas de bonne qualité,
certaines situations étant difficiles à filmer : manque de lumière (rendez-vous du soir,
à domicile), espace trop restreint empêchant de mettre la caméra sur pied, bruits
parasites (enregistrement dans un parc public), perturbations diverses (irruption
d’autres membres de la famille, sonnerie de téléphone, engins en action), etc.
Les situations du jeu observées ont une durée moyenne de 24 minutes 15
secondes (min = 16 min 30 sec ; max = 34 min 59 sec) pour les dyades coréennes
et 31 minutes 19 secondes (min = 22 min 27 sec ; max = 38 min 35 sec) pour les
dyades françaises, soit une différence de 7 minutes environ.
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• Distribution des rôles :
vendeur ou client.
• Choix des étiquettes
des prix.
D’où vient la supériorité des enfants coréens en mathématiques ?
Dyades coréennes
Dyades françaises
Temps min.
16’ 30
22’ 27
Temps max.
34’ 59
38’ 35
Moyenne
24’ 15
31’ 19
Écart-type
06’ 04
04’ 47
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La différence de durée entre les dyades françaises et coréennes est imputable à
des raisons contingentes diverses ayant affecté plus ou moins la durée de l’activité
(par exemple, trois enfants des dyades françaises vont aux toilettes, ce qui interrompt le jeu), sans que ceci ait véritablement d’incidence sur le déroulement du
jeu. De manière générale, on peut considérer que du point de vue du décours du
jeu (respect du cadre et des consignes, investissement des participants), les deux
populations sont comparables.
Modalités de prise de contact et consignes
Les participants ont été recrutés différemment : du côté des Coréens, par le biais
de l’entourage du premier auteur (Paris et la région parisienne) ; du côté français,
par l’entremise d’une école maternelle publique de la proche banlieue parisienne
(2 dyades) et de connaissances dans la région d’Angers (8 dyades). Concernant les
parents coréens les informations ont été données oralement, alors que les parents
français étaient sollicités au moyen d’un courrier transmis par les écoles où il leur
était indiqué que nous faisions une étude pour tester l’intérêt d’un jeu pour les
jeunes enfants, le jeu de la marchande. Nous mentionnions que ce jeu était conçu,
entre autres choses, pour initier les enfants à l’utilisation des étiquettes dans les
magasins, ceci pour justifier que nous leur proposions de choisir les étiquettes qui
convenaient le mieux à leur enfant.
Les parents étaient informés qu’il s’agissait d’un jeu conçu à titre expérimental
et qu’ils seraient enregistrés afin que nous puissions étudier comment ils l’avaient
utilisé. Ils étaient informés que ces enregistrements seraient exploités de manière
anonyme et qu’ils ne seraient utilisés qu’à des fins d’étude et de recherche.
Caractéristiques des échantillons
Les Coréens sont des personnes résidant en France restant très attachées à
la culture coréenne, ce qui se traduit notamment par le fait qu’elles parlent en
coréen à leur enfant. La durée de leur séjour en France est très variable (entre 2
et 15 années) mais, quelle qu’elle soit, ils conservent des contacts très forts avec
leur pays où ils se rendent au moins une fois l’an pour la plupart d’entre eux. Les
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Tableau 2. — Durée du jeu pour chaque dyade (en minutes’ secondes) – minimum,
maxium, moyenne et écarf-type
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194
International
Dyades coréennes
Dyades françaises
Lien parental
7 mères, 1 père, 1 oncle, 1 tante
8 mères, 2 pères
Age moyen
37 ans 3 mois
(min = 35 ans, max = 45 ans)
34 ans 3 mois
(min = 31 ans, max = 39 ans)
Métier
4 mères au foyer,
2 étudiantes
(Beaux-Arts, philosophie),
3 professions libérales,
1 conseiller (assurance)
1 femme au foyer,
3 enseignantes, 1 enseignant,
1 étudiante (psychologie),
1 psychologue, 1 commerçante,
1 commerçant
Niveau d’études
Licence : 8 – Maîtrise : 1 – DEA : 1
BTS : 2 – Licence : 3 – Maîtrise : 2
– DEA : 1 – Doctorat : 2
Spécialité
Science des religions : 1,
sciences des aliments : 2,
Beaux-Arts : 3 ;
Lettres modernes : 1 ;
Musique (ténor) : 1 ;
Philosophie : 1 ;
éducation physique (taekwondo) : 1
Psychologie : 3 ;
Commerce : 3 ;
sciences de l’éducation : 1 ;
formation d’éducateur spécialisé : 1 ;
CAP enseignant : 1 ;
physique : 1
Revenu
mensuel moyen
Moins de 2000 e : 2
2000~3000 e : 2
3000~4000 e : 5
4000~5000 e : 1
Moins de 2000 e : 4
2000~3000 e : 2
3000~4000 e : 3
4000~5000 e : 1
Tableau 3. — Caractéristiques des parents
Les différences existant entre les caractéristiques des participants sont imputables
en grande partie à des différences culturelles. Dans les familles coréennes, le rôle
éducatif peut être assuré par une autre personne de la famille (oncle ou tante).
Par ailleurs, la taille de la fratrie française est plus élevée que celle de la fratrie
coréenne, ce qui est à mettre en relation avec la diminution du taux de natalité en
Corée qui touche également les familles coréennes en France, alors que le taux de
natalité en France est un des plus élevé d’Europe. On notera également une sur-
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enfants impliqués dans l’étude sont majoritairement nés en France (7 sur 10), les
trois autres enfants étant en France depuis au moins deux ans.
Les Français sont des personnes résidant, pour la plupart, dans la région d’Angers
et menant une vie urbaine, même si la résidence familiale est en milieu rural ou
péri-urbain.
On s’est arrangé pour observer des dyades coréennes et françaises comparables
sur la base de l’âge et du sexe des enfants et des caractéristiques socio-économiques
des parents. En pratique, nous avons d’abord filmé des dyades coréennes, puis
nous avons cherché des dyades françaises appariées. Comme il s’est avéré que les
dyades coréennes avaient un niveau culturel plutôt élevé, nous avons recherché
des dyades françaises similaires sur ce point. Les caractéristiques des parents et
des enfants sont indiquées dans les tableaux 3 et 4.
D’où vient la supériorité des enfants coréens en mathématiques ?
195
Niveau scolaire
Dyades coréennes
Dyades françaises
GS
2 filles, 2 garçons
2 filles, 2 garçons
MS
2 filles, 1 garçon
1 fille, 2 garçons
PS
2 filles, 1 garçon
1 fille, 2 garçons
4 ans 9 mois
(min = 3 ans 2 mois,
max = 5 ans 10 mois)
4 ans 1 mois
(min = 3 ans, max = 5
ans)
1 sœur : 4
1 frère : 4
2 frères : 1
aucun frère et sœur : 1
1 sœur : 2,
1 frère : 3
2 sœurs : 2,
2 frères : 1
1 sœur et 1 frère : 1
aucun frère et sœur : 1
Age moyen
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Taille de la fratrie
Tableau 4. — Caractéristiques des enfants coréens et français (GS : grande section de
maternelle ; MS : moyenne section ; PS : petite section)
Méthode d’analyse du corpus
Transcription
Les échanges verbaux au sein des dyades ont été transcrits, les films nous servant
à déterminer les activités pratiques conduites et le matériel utilisé. Concernant les
dyades coréennes, les propos ont été traduits en français. Lorsque les interactants se
sont exprimés en français, leurs propos sont soulignés. On trouvera un exemple de
transcription ci-dessous : il s’agit d’une dyade coréenne, un père et son fils. L’extrait
rapporté va de l’intervention 257 à 284. On relèvera que dans l’intervention 260, le
père vouvoie l’enfant comme il en est dans les rapports entre marchand et client ;
l’enfant à son tour vouvoie son parent (intervention 273). Le père intervient dans
l’activité de calcul (3+3+3+3 = 12) de l’enfant dès qu’il manifeste une difficulté
(interventions 262, 264, 266, 270, 272, 274, 278, 280, 282) et propose l’utilisation
des doigts pour calculer le prix (268, 276). Il ne donne pas directement la solution
exacte mais conduit l’enfant à trouver la solution lui-même. Il ne l’informe pas que
sa solution est fausse mais lui demande de recommencer à partir de là où l’enfant
s’est trompé (277, 280, 281, 285) fournissant un indice du caractère erroné de la
réponse (272). Le parent et l’enfant se sont exprimés entièrement en coréen.
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représentation des milieux artistiques dans les familles coréennes par rapport aux
familles françaises ayant accepté de participer à l’étude. Par contre, les métiers de
l’éducation sont surreprésentés du côté français. On peut donc penser, qu’a priori,
davantage de parents français sont mieux préparés à guider les enfants dans des
activités éducatives.
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196
International
Retranscription d’une séquence de calcul de prix en utilisant les doigts (dyade
coréenne – yeo)
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Sept euros. (en posant un autre)
262. P : Eh… c’est le sept après le six ?
263. E : neuf euros… c’est dix euros.
264. P : ah bon ? c’est ça ?
265. E : trois…
266. P : On va faire encore ? vas-y.
267. E : (Il prend un chocolat)
268. P : Ce que tu as fait par les doigts avec papa… Fais par les doigts.
269. E : (il compte avec les doigts)
270. P : Alors… pour le commencement, ça ? (en lui donnant un chocolat)
271. E : C’est treize euros. (en regardant longtemps les doigts de deux mains)
272. P : Treize euros ? Je crois que c’est trop cher.
273. E : Je ne peux pas vous réduire.
274. P : Non, je ne veux pas réduire, je crois que c’est mieux que tu comptes encore…
275. E : Em ???
276. P : On va faire avec les doigts. Trois euros et (en lui donnant un chocolat) encore… (en lui
donnant encore un chocolat)
277. E : quatre euros, cinq euros, six euros ? (en comptant avec les doigts)
278. P : Six euros. Encore… (en lui donnant encore un chocolat)
279. E : sept euros, huit euros ?
280. P : à six euros… (en prenant les doigts de son fils) si on ajoute un encore ça, on ajoute trois
euros alors… neuf euros.
281. E : Neuf euros…
282. P : Et puis ça ?
283. E : dix euros, onze euros, douze euros.
284. P : Volià, ok. Bon. Je les prends. Au revoir. Alors… tu peux le noter ici ? (en indiquant la feuille
de papier)
Découpage du corpus en séquences d’activité
Pour chaque dyade, nous avons procédé à un découpage du corpus en séquences, une séquence étant caractérisée par une suite d’interventions afférentes à une
activité. Les activités que nous avons distinguées sont les suivantes : identification/
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257. E : Ici, c’est trois euros… (en lui montrant l’étiquette de la boîte de chocolats)
258. P : C’est quatre fois trois euros… On va voir ? (en renversant le sac) Trois euros… on va commencer ? Allez-y.
259. E : Em… (il touche les chocolats)
260. P : Vous ne dessinez pas ça ?
261. E : Trois euros. (en posant un chocolat devant lui) Six euros. (en posant encore un chocolat)
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dénomination (donner un nom à une catégorie d’objet), dénombrement d’objets,
calcul (addition, soustraction, multiplication.), étiquetage du contenu, étiquetage
du prix, lecture d’étiquette, comparaison de prix ou de quantités, jeu de rôle,
évaluation de l’enfant (le parent donne des indications à l’enfant sur ce qu’il a bien
ou mal fait, sur ce qu’il sait ou ne sait pas faire…).
Le découpage en séquences étant réalisé, nous avons relevé les durées de chacune
des activités. Cet indicateur temporel nous a semblé le plus à même de rendre
compte de l’importance accordée aux différentes activités par les dyades, les différences de langue rendant par ailleurs très difficile d’utiliser des indicateurs d’ordre
linguistique. De façon à pouvoir comparer les dyades, nous avons calculé les fréquences du temps passé à chaque activité. Lorsqu’il s’agit d’activités numériques, des
indicateurs plus précis sont utilisés comme la taille des quantités, les comparaisons
ou les opérations effectuées, ce que nous préciserons ultérieurement.
Les données comparatives globales
Comparaison des activités entre dyades coréennes et françaises
Si l’on fait ressortir uniquement ce qui relève d’activités numériques hors écriture
– puisque celle-ci était imposée par le mode d’emploi transmis – (dénombrement,
calcul, comparaison de prix), il apparaît que les dyades coréennes passent sept fois
plus de temps à des activités numériques par rapport aux dyades françaises. En
pourcentage de temps passé, cela donne 3,3 % du temps pour les dyades françaises
(min : 0 %, max : 8 %) versus 21 % du temps pour les dyades coréennes (min 2 %,
max : 35 %). Les jeux de rôle occupent 18 % du temps des dyades françaises
(minimum : 11 %, maximum 37 %), versus 14 % du temps des dyades coréennes
(min : 5 %, max 34 %).
Quantités dénombrées
Les quantités dénombrées au cours du jeu ont été comparées (tableau 5). Dans
l’ensemble, les quantités dénombrées par les dyades coréennes sont plus importantes
que celles dénombrées par les dyades françaises (la valeur médiane est de 5 pour les
dyades françaises, contre 12 pour les dyades coréennes), avec une plus forte homogénéité du côté des dyades coréennes comparativement aux dyades françaises.
Dyades françaises
Dyades coréennes
Médiane
5
12
Moyenne
6,8
11,7
Ecart-type
4,3
3,1
Tableau 5. — Quantités dénombrées dans les deux populations (françaises, coréennes)
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D’où vient la supériorité des enfants coréens en mathématiques ?
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198
International
Opérations réalisées
Dans les séquences de calcul, nous avons relevé systématiquement les opérations
réalisées. Il apparaît que, pour les dyades françaises, on n’observe quasiment pas de
tentatives d’opérations arithmétiques. Par contre, 4 des dyades coréennes (sur 10)
font les opérations arithmétiques et un enfant en GS procède à du calcul mental.
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Partant de l’idée que les parents pouvaient jouer un rôle important dans le développement des connaissances mathématiques des jeunes enfants, nous avons conçu
une situation très ouverte se présentant comme un jeu – le jeu de la marchande
– susceptible de conduire les parents à inciter les enfants à des activités numériques. Nous avons enregistré les échanges au sein de dix dyades parent-enfant
coréennes et dix dyades françaises comparables au plan socio-économiques, dans
la perspective de savoir si elles différaient quant aux activités conduites au cours du
jeu, l’hypothèse étant que les parents coréens solliciteraient davantage leur enfant,
ce qui pourrait être une piste d’explication de la supériorité des performances en
mathématiques des élèves coréens par rapport aux élèves français observée dans
les comparaisons internationales. Les données des comparaisons globales vont
dans le sens d’un investissement plus important dans les activités numériques de
la part des dyades coréennes, ce qui se traduit par une répartition temporelle des
activités différente, et par des attentes supérieures des parents quant aux quantités
à dénombrer et des opérations à effectuer. L’hypothèse de départ selon laquelle les
caractéristiques de la culture coréenne inciteraient les parents à solliciter activement le développement précoce de compétences numériques se trouve validée.
Le parent coréen se comporte comme un pédagogue, alors même que son enfant
est scolarisé à l’école maternelle française : ses exigences sont tout à fait proches
de celles des contenus de programme de l’école maternelle coréenne ; il intervient
pour aider l’enfant à dépasser ses difficultés ; il donne des feed-backs appropriés ;
certains formulent des évaluations, ce que ne font aucuns parents français observés,
bien que l’échantillon de parents français comprenne davantage d’enseignants
que l’échantillon coréen. Le parent français se contente de demander à l’enfant de
dénombrer les collections d’objets, sans nécessairement corriger la quantité indiquée
en cas d’erreur. Il incite l’enfant à des jeux de rôle qui sont l’occasion de mettre en
pratique les conventions langagières qui régissent les échanges entre les vendeurs
et les clients. Certes, il existe des différences intra-groupes assez importantes mais
elles sont moindres que les différences intergroupes.
Du fait que les enfants français sont un peu plus jeunes que les enfants coréens,
on peut se demander dans quelle mesure ceci intervient dans le comportement des
parents. À notre avis, la différence d’âge joue moins que le système de représentation
inhérent à la culture de référence du parent, mais ceci serait à vérifier. De même, on
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Conclusion
D’où vient la supériorité des enfants coréens en mathématiques ?
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peut se demander si les comportements des parents coréens ne sont pas imputables
à leur statut d’expatrié temporaire : ils stimuleraient davantage le développement
des connaissances numériques de leur enfant de peur que celui-ci pâtisse de cette
situation. Il conviendrait donc de mener une étude similaire en Corée où, cette
fois, ce serait les parents français qui seraient en situation d’expatriés.
Malgré les limites de l’étude (faiblesse de l’échantillon, biais éventuels), les
données obtenues attirent l’attention sur le rôle que joue la famille dans le développement de l’intérêt pour les mathématiques. Dans une relation sécurisante avec
la mère ou le père, les enfants coréens apprennent les bases des connaissances
mathématiques et on peut penser que ceci contribue à développer leur intérêt à
leur propos. Les bonnes performances en mathématiques des élèves coréens au
collège et au lycée pourraient ainsi avoir une origine très précoce.
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International
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