L`expressionisme allemand
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L`expressionisme allemand
L’expressionnisme allemand : Le Cabinet du Docteur Caligari. Courant artistique pluridisciplinaire austro-germanique du début du vingtième siècle, l'expressionnisme se caractérise, le plus vulgairement soit-il, par une recherche esthétique sur des formes et des lignes brutes, acérées et violentes. Cherchant à déstabiliser les tendances de l'époque portées par l'impressionnisme français, il représente la vision onirique et fantasmée du réel de ses auteurs tout en n'en restant pas moins un art figuratif. Apparu par effet de contamination des autres arts dans le cinéma à l'orée des années 10, le courant n'est cependant pas un mouvement théorique ou une école mais davantage une réflexion esthétique et thématique sur la spécificité du médium. Historiquement apparut en 1913 avec L'Etudiant de Prague de Stellan Rye et Paul Wegener, prospérant pendant deux décennies jusqu'au Testament du Docteur Mabuse de Fritz Lang, le film emblématique du genre n'en reste pas moins Le Cabinet du Docteur Caligari de Robert Wiene sorti en 1919 et devenu l'icône cinématographique du courant. Sous l'influence de l'avant-gardisme présent dans les arts plastiques, la littérature et le théâtre, le film constitue à lui seul un manifeste de l'expressionnisme où le romantisme et l'angoisse côtoient la folie et l'horreur dans un récit empreint de littérature fantastique tandis que d'autres cinéastes puiseront quant à eux dans le folklore des légendes germaniques et juives. Travaillant sur une esthétique de la déformation, tronquant les perspectives, le cinéaste, plus artisan que réalisateur, emprunte au théâtre un certain nombre de codes qui laissent dubitatifs les critiques de l'époque. La sur-expression du jeu, l'exagération des contrastes, le recours aux masques et le manque de liberté criant de la caméra donnent le sentiment d'un théâtre filmé rappelant les travaux de Meliès et du cinéma primitif alors que l' art est encore jeune et contraint d'expérimenter de nouvelles choses. Moins le film de Wiene que celui de toute une équipe, Le Cabinet du Docteur Caligari est avant tout un bestiaire de têtes pensantes sur ce que deviendra le cinéma germanique de l'époque. Scénarisé par l'auteur tchèque Hans Janowitz et le scénariste autrichien Carl Meyer, qui signera par la suite les plus grands chefs-d’œuvre de Murnau (on y reviendra dans les prochaines semaines), l'histoire annonce avec un sous-texte édifiant les prochaines tragédies politiques et la montée du nazisme. Au travers du thème de l'hypnose, de la manipulation et de la folie, les auteurs préfigurent la manipulation des esprits que Hitler instaura à une échelle vertigineuse et que Siegfried Kracaeur historien, sociologue et critique, décryptera dans son ouvrage de Caligari à Hitler. Narrant l'histoire de César, patient d'un hôpital psychiatrique transformé en psychopathe par la manipulation qu'exerce sur lui Caligari, le film est un monument du cinéma d'épouvante étant, même sans le savoir, le premier thriller de l'histoire bénéficiant d'un twist final. Emmené par la volonté du producteur Erich Pommer de faire de Caligari une œuvre collective et essentiellement plastique, la création des décors du film échoue ainsi au groupe de peintres expressionnistes Der Sturm (La Tempête) porté par Herman Warm, Walter Rohrig et Walter Reiman. Proposant pour décor d'immenses peintures aux perspectives faussées, aux angles et aux courbes confuses, aux fenêtres et aux portes obliques, leurs travaux donne corps à la folie et la bizarrerie du script de Mayer et de la confusion mentale que cherche à produire l'histoire. Opprimant et étouffant, les décors provoquent alors une influence certaine sur le jeu même des comédiens. Rappelant le travail scénique du théâtre, l'univers visuel du film contamine alors Conrad Veidt qui joue un César proche du pantin trouvant son inspiration dans les théâtres de marionnettes, réduisant considérablement la frontière entre la folie et la raison. Aujourd'hui chef-d’œuvre incontesté du cinéma, l'originalité du Cabinet du Docteur Caligari semble désormais éculée. Son rapport à la folie et sa réflexion sur la réalité semblent aujourd'hui commun et classique au vu des nombreux cinéastes et films qu'il a inspiré. Il n'en reste pas moins fascinant dans ce qu'il révèle de la conjugaison des arts au service de la maestria cinématographique. Tombé dans le domaine public, le film est disponible en intégralité. http://www.youtube.com/watch?v=7h3zTvgLnOg M le Maudit. Si Robert Wiene est l'instigateur malgré lui du courant expressionniste, son plus illustre architecte n'en reste pas moins Fritz Lang. Réalisateur incontournable de l'histoire du cinéma, il est celui qui tout au long de sa carrière embrassera les genres et les styles avant même leur dénomination dans les ouvrages d'histoires du cinéma. Du film fantastique avec les Niebelungen, en passant par la science-fiction et l'anticipation avec La Femme sur la Lune et Métropolis, jusqu'au film noir avec M le Maudit, Lang utilise la mouvance de l'expressionnisme pour se constituer une filmographie aux accents politiques marquée par la lutte permanente entre le bien et le mal, les riches et les pauvres, la folie et la raison. Monument du cinéma aux résonances de la montée du fascisme, M le Maudit présente une synthèse en point d'orgue d'un mouvement cinématographique incontournable et du travail d'un cinéaste au sommet de son art. Bien éloigné des visions allégoriques qui définissent traditionnellement l'expressionnisme, M le Maudit n'en reste pas moins un film de la tendance. Marqué par ses incroyables jeux d'ombres, ses décors influencés par le théâtre et ses acteurs brechtiens, le film de Lang lisse le travail expérimental de ses congénères en le désacralisant de sa visée fantasmagorique pour y insuffler l'ombre planante du réel. Caractéristique essentielle et indissociable du film, M est la première réalisation de Fritz Lang à être parlante. Bien loin d'être un faire-valoir scénaristique destiné à mettre en valeur la nouveauté du procédé, le son dans le film représente, sinon son principal intérêt, du moins la complémentarité parfaite avec l'image. Outre la musique In the Hall of the Mountain King de Edvard Grieg qui ouvre le film et servira de leitmotiv au tueur sifflotant l'air comme un sinistre présage avant chaque meurtre, la cohabitation de l'image et du son trouve toute son importance dès les premières séquences du film. Dans une cage d'escalier, résonne le cri d'angoisse d'une mère de famille appelant sa fille, tétanisant le spectateur, insufflant la peur, l'horreur et le désespoir dans la tête du public de l'époque lorsqu'en parallèle s'empêtre dans une ligne télégraphique le ballon de baudruche que l'assassin avait acheté pour gagner la confiance de la fillette. Inspiré des figures médiatiques de Peter Kürten et Fritz Haarman, respectivement nommés « le vampire de Düsseldorf » et « le boucher de Hanovre », M le Maudit devait initialement se titrer Les Assassins sont parmi nous comme pour suggérer la monstruosité environnante de la société de l'époque. Or, pris d'une certaine méfiance à l'égard de la suggestion faite par le titre, le parti national-socialiste entama une procédure pour faire changer le titre et à juste raison. En effet, difficile de ne pas voir en M le Maudit, l'aveu d'un cinéaste germanique observant la république de Weimar tomber lentement sous les dérives historiques que l'on connaît aujourd'hui. Le film raconte la traque par la pègre de Hans Becker, dit M, le tueur de fillettes, se substituant aux forces de l'ordre comme le vrai pouvoir justicier. Lang raconte, dans une analogie certaine, l'avènement d'une police de l'ombre, calfeutrée derrière de grands imperméables et des gants de cuir, se jouant de l'autorité de l'époque pour accomplir sa propre justice ; la séquence du procès marque d'ailleurs magistralement l'empreinte de l'expressionnisme sur le film et sonne comme une interprétation de L'Opéra de Quat'sous de Brecht. De même que pour mener à bien leur enquête les criminels du films s'allouent les services des clochards, comme le parti nazi ratissant son électorat dans les rangs des plus démunis, on constate avec effroi que la traque réussit parce que l'assassin est marqué d'un M à la craie, comme les juifs contraints d'arborer une étoile jaune quelques années plus tard. Il est d'ailleurs intéressant de noter que l'homme qui identifie M est un aveugle, comme pour souligner symboliquement l’endoctrinement dont sera finalement victime l'Allemagne deux ans plus tard. Architecte de formation, Lang a su sublimer cette première carrière avec Métropolis mais M ne s'éloigne pas de cette influence. Créée en studio, la ville sans nom du film n'en reste pas moins un personnage à part entière. Elle est tout aussi impliquée dans la traque qui s'opère autour du Maudit même si elle joue davantage un rôle d’adjuvant. La séquence de l'immeuble souligne d'ailleurs assez bien cette idée puisque la pègre est contrainte de défoncer les murs pour pouvoir se saisir de M. A la manière d'un braquage de banque, les criminels cambriolent l'immeuble, comme ils le feraient pour un coffre-fort, pour percevoir leur dû. Préfigurant les futurs films noirs américains des années quarante par son ambiance, sa mise en scène et sa dramaturgie, Lang offre avec M le Maudit un film intemporel et d'une saisissante modernité. Les cadres larges étouffant les hommes sous le poids des décors, les plans rapprochés pour accentuer le ressenti des personnages, le montage de l'image et la signification qu'en donne la bande-son, les ellipses, les non-vues et bien d'autres choses encore seront inlassablement repris jusqu'en 1951 lorsque Joseph Losey réalisera dans les décors naturels de Los Angeles une transposition pure et simple du chef-d'oeuvre de Lang sans rien dénaturé aussi bien de l'intrigue que de l'ambiance du film. En 1933, Fritz Lang signera Le Testament du Docteur Mabuse critiquant encore plus significativement la montée du nazisme en Allemagne au travers d'un récit sur la manipulation et l'endoctrinement des individus par la seule force d'un homme figurant l'autorité. Avec un sous-texte de Mein Kampf évident, le film est censuré en Allemagne mais Goebbels offre à Lang la direction du cinéma de propagande. Juif par sa mère, Lang s'exile en France et met fin à l'expressionnisme et par là-même au cinéma allemand. Friedrich Wilhelm Murnau Si Wiene est l'instigateur malgré lui de l'expressionnisme et Lang son plus grand architecte, Murnau en est indéniablement le poète, celui qui a su y insuffler toute la dimension onirique et paradoxalement mortifère que l'on a coutume de prêter au mouvement. Metteur en scène de génie, précurseur dans la sophistication des plans, Murnau est probablement le réalisateur de l'expressionnisme le plus inventif de l'époque mais également le plus sensible. Terriblement en avance sur son temps, il est celui qui, à lui seul, confère ces lettres de noblesse au cinéma allemand de l'époque en l'amenant vers la plénitude de ces moyens pourtant limités par le muet et la rigidité de la caméra. Disciple de Max Reinhardt auprès duquel il apprend la mise en scène, Murnau est un cinéaste qui très vite se placera en marge de l'expressionnisme en puisant davantage son inspiration dans le courant théâtral de son mentor : le Kammerspiel. Similaire à l'expressionnisme dans son approche de l'intériorisation et de la symbolique, il s'en distingue principalement par son aspect naturaliste et intimiste permettant une approche beaucoup plus psychologique et sociale des personnages au détriment d'une valorisation démesurée des décors et de l'action. A l'inverse de ses congénères, Murnau semble avoir véritablement quelque chose à raconter, pas simplement des sous-textes sociaux édifiants sur les bouleversements de la société dont les décors traduiraient l'aliénation, mais de véritables histoires mettant en avant des personnages ordinaires et fantastiques pris au piège d'une invisible inéluctabilité qui justifie le fait de la raconter. L'amour impossible de Nosferatu pour Ellen, le pacte diabolique qui unit Faust et Méphisto, la destitution sociale d'un portier ou encore la quête amoureuse de deux paysans sont autant de récits et de fables que Murnau raconte en mettant toutes les techniques de l'époque à leur entière disposition. Dans Le Dernier des Hommes, par exemple, la caméra est perçue et présentée par ses mouvements comme un personnage à part entière, proposant en 1924 déjà une étude de la caméra subjective. Accentuant la déformation des décors, elle trouve une place narrative significative si on l'associe au regard triste et perdu du vieux portier qui, suite à son licenciement, voit son monde se transformer. Extrêmement marqué par l'expressionnisme au vu de son travail sur les éclairages, la déformation des lieux et des espaces ainsi que le jeu appuyé des comédiens, Le Dernier des Hommes est une parfaite synthèse de ce qu'est le cinéma de Murnau. Des histoires simples (dont Carl Meyer signera les plus importantes : dont Le Dernier des Hommes, Tartuffe et surtout L'Aurore) sublimées par une mise en scène sophistiquée marquée par un montage rapide et une incroyable mobilité de la caméra. Tout réside dans le fait que, pour Murnau, l'univers du film ne peut pas simplement être une donnée décorative ou même un élément narrativement neutre, il est indissociable de l'intrigue et se doit d'être filmé en conséquence. Ainsi pour l'errance marécageuse de George O'Brian dans L'Aurore, le cinéaste met au point un ingénieux système de rails au plafond et suit son personnage dans les méandres de son décor soulignant toute la noirceur et la monstruosité vers lesquelles le héros se dirige et préfigurant la future steadycam. De même, certains aspects du décor se chargent d'un film à l'autre d'être un acteur précis de l'intrigue ; ainsi la mer de Nosferatu, le lac de L'Aurore et l'eau d'une manière générale devient celle qui annonce la mort lorsqu'un navire apporte la peste ou bien qu'un homme tente de noyer sa femme. Mais plus que l'aspect formel du cinéma de Murnau, ce qui le définit principalement c'est son obsession pour des thèmes précis articulés autour d'une idée fixe. Ainsi l'art, la solitude, le romantisme et le tragique s'agencent dans un balai permanent où la paix et la nature s'opposent aux bruits et à la fureur de la ville et où l'amour semble impossible à s'accomplir autrement que dans la douleur. Nosferatu quittant sa Transylvanie pour mourir auprès de celle qu'il aime, Faust pactisant avec le diable pour mourir aux pieds de Gretchen ou encore les amants de L'Aurore contraints de dompter la ville et de faire face à l'épreuve de la mort sont autant d'exemples qui illustrent comment le cinéaste perçoit le cinéma. C'est un espace entièrement dédié à la fable, où tout s'articule selon un sens précis et une symbolique omniprésente, où les êtres, les décors et les objets sont mis au service du drame. Murnau expliquait que dans chaque élément, il y avait « du drame pour l'œil, en raison de la façon dont ils ont été placés ou photographiés. Par leur relation avec d'autres objets ou personnages, ils sont des éléments de la symphonie du film ». Cela expliquerait alors sans doute le goût prononcé du cinéaste pour les décors naturels, cherchant davantage la crédibilité du réel à la fantasmagorie produite par l'illusion cinématographique et ce malgré des fables fantastiques. La peur aurait-elle été aussi tangible si Murnau n'avait pas tournée Nosferatu en plein Carpates sur les sites même de l'histoire ? La fascination que provoque Murnau aujourd'hui dans l'histoire du cinéma est bien évidemment due à la singularité qu'il dégage par rapport à ses camarades de l'époque mais c'est aussi indéniablement en raison de la tragédie qui l'emporta en 1931. Alors âgé de 42 ans, le cinéaste perd la vie dans un accident de voiture alors que s'apprête à sortir son dernier film Tabou. Emporté aussi brusquement et tragiquement que ses personnages, le cinéaste disparaît à l'orée de la révolution parlante, lui qui s'en méfiait et avait érigé le muet jusqu'à sa plénitude en sollicitant la disparition quasi-complète des intertitres pour laisser simplement l'image raconter ce qu'elle a à raconter. Un genre en héritage : Au cours des dernières semaines, nous vous avons invité à faire un petit tour d'horizon de l'histoire d'un des plus importants courants cinématographiques du début du vingtième siècle. Bien évidemment, ce dernier est assez bref et relativement incomplet, mais notre ambition n'est pas de proposer un état des lieux intégral de cette mouvance artistique du septième art mais plutôt un panorama non exhaustif dont les différents articles vous aurons au moins fait découvrir les principaux protagonistes. Bien sûr, on aurait pu vous parler de Loulou de Pabst, du Cabinet aux Figures de Cires de Paul Leni ou encore du Golem (premier film expressionniste de l'histoire en vérité) de Paul Wegener mais l'ensemble aurait fait résonner un certain nombre d'échos que nous avons pris sur nous d'éviter. Evidemment, il y aurait des choses à dire, notamment sur la prestation de Louise Brook chez Pabst, par exemple, mais il nous a paru plus judicieux d'évoquer, peut être par facilité, les auteurs et les titres les plus connus de cette période cinématographique. Quoi qu'il en soit, notre dernière étape de ce voyage au cœur de l'expressionnisme vous invite aujourd'hui à se pencher sur la question de l'héritage du genre. Comment a-t-il marqué la suite de l'histoire du cinéma et quelle empreinte a-t-il laissé sur le cinéma contemporain ? Car, même si le genre paraît désuet de par son ancienneté et par le frein que peut représenter pour les plus jeunes le noir et blanc et le muet, le courant n'a pourtant eu de cesse d'influencer les plus grands cinéastes de l'histoire d'hier et d'aujourd'hui. On date traditionnellement la fin de l'expressionnisme avec la sortie du Testament du Docteur Mabuse de Lang en 1933. Non pas que le genre périclite et ressemble de moins en moins à ce qu'il était au début mais davantage parce qu'il devient la victime collatérale des grands bouleversements politiques de l'époque. L'arrivée des nazis au pouvoir fait craindre le pire aux réalisateurs, pour la plupart de confession judaïque, provoquant un exode assez important vers les Etats-Unis tandis que d'autres, négociant mal la révolution du parlant, sombrent peu à peu dans l'oubli. En découle une production cinématographique propagandiste supervisée par Goebbels qui détruit inexorablement toute la grandeur du cinéma allemand et enterre définitivement l'expressionnisme. Toutefois l'exode des réalisateurs phares de cette période vers les Etats-Unis va provoquer un bouleversement sur leur industrie cinématographique. Les travaux de Murnau et Lang dans leur réalisation américaine se présentent indéniablement comme un prolongement, voire une mutation des formes filmiques de l'expressionnisme. Les décors et les intrigues sont certes moins torturés et baroques que dans leurs premières œuvres, peut-être parce que le monde commence à se rendre compte de l'horreur que peut contenir le réel, mais la psychologie, la lumière et la mobilité de la caméra apportent un incroyable dynamisme aux réalisations de l'époque. S'ensuit donc l'émergence d'un nouveau genre cinématographique très inspiré par les recherches esthétiques et psychologiques de l'expressionnisme mais également par les écrits policiers de Dashiell Hammett et Raymond Chandler et qui va devenir le plus grand genre de l'histoire du cinéma américain : le film noir. Presque sept ans après la disparition de l'expressionnisme, le cinéma américain laisse planer son ombre sur ses productions par ses emprunts appuyés et significatifs aux particularités de son éclairage et de la noirceur avec laquelle il perçoit l'humain. Moins monstrueux que dans le cinéma allemand, l'homme reste un loup pour l'homme par sa désillusion et ses ambiguïtés qui se traduisent souvent par la subjectivité de la caméra, empruntée aux expérimentations de Murnau. Le Faucon Maltais, Assurance sur la Mort ou même La Soif du Mal sont parmi les très nombreux exemples que l'on peut citer. Dark City de Alex Proyas (1998) Orson Welles, réalisateur de La Soif du Mal justement, fait d'ailleurs partie des héritiers évidents de la tendance expressionniste. Au regard de ses réalisations comme Citizen Kane en 1941, Macbeth en 1948 ou encore Le Procès en 1962, on remarque toute l'influence que le courant allemand a eu sur son esthétique. Les éclairages aux contrastes francs et tranchés qui parsèment son œuvre et la démesure de ses décors ne laissent aucun doute sur la place qu'occupe le cinéma allemand dans les inspirations du réalisateur américain. Revoyez Citizen Kane et constatez de quelle manière Welles représente les extérieurs de Xanadu ou bien essayez de déceler le labyrinthe mental que représente l'ancienne gare d’Orsay dans Le Procès et vous verrez qu'on n'est pas si éloigné du château de Nosferatu et de la ville distordue de Caligari. La démesure des décors et leur esthétique si particulière qui sied tellement bien au courant cinématographique que nous étudions est probablement l'inspiration la plus évidente à déceler dans le cinéma contemporain. Sans pour autant parler d'héritier, même si le Dark City de Alex Proyas est clairement un film expressionniste de part son récit, ses thématiques et ses décors, le cinéma d'aujourd'hui (et par aujourd'hui j'entends post-nouvel Hollywood, aucune grande révolution n'ayant eu lieu depuis dans nos contrées) regorge d'emprunts et d'inspirations directes à l'esthétique du cinéma germanique des années 20. Que ce soit Besson et sa pseudo-Métropolis dans Le Cinquième Elément, Jeunet et son univers industrialo-portuaire aux lignes obliques et distordues caligariennes de La Cité des Enfants Perdus, Coppola et son Dracula sur lequel flotte l'ombre de Nosferatu ou Burton et sa filmographie qui se veut comme un catalogue de références, les cinéastes d'aujourd'hui piochent leurs meilleures idées d'univers dans cet immense courant cinématographique. Le dernier réalisateur cité est d'ailleurs celui qui en use le plus et qui, probablement, se rêve en héritier. Jouant en permanence le jeu des citations directes (Max Schreck l'interprète de Nosferatu donnant son nom au méchant de Batman Le Défi joué par Christopher Walken) ou indirectes (les lignes que dessinent ses décors très marqués par les travaux du collectif Der Sturm), le cinéma de Burton est au moins un excellent moyen de découvrir l'esthétique si particulière de l'expressionnisme allemand au travers du prisme de la modernité. A noter aussi qu'il existe des réflexions méta-filmiques sur le courant lui-même et sur les mythes qu'il a engendré comme, par exemple, L'Ombre du Vampire de E. Elias Merhige sortit en 2000 qui voudrait nous faire croire que Max Schreck n'était pas vraiment un comédien mais bel et bien un vampire. Un film anecdotique mais un hommage amusant. Pour ceux qui voudraient aller plus loin, parce qu'on ne peut pas parler de tout et que cette semaine on n'a pas de film à vous proposer, voici une petite liste des films sur lesquels flotte l'ombre de l'expressionnisme que vous pouvez, à loisir, compléter en commentaire. Dracula de Todd Browning (1931) La Féline de Jacques Tourneur (1942) La Nuit du Chasseur de Charles Laughton (1955) Le Septième Sceau de Ingmar Bergman (1956) La Guerre des Etoiles de George Lucas (1977) Nosferatu, Fantôme de la Nuit de Wermer Herzog (1978) Inferno de Dario Argento (1979) Blade Runner de Ridley Scott (1982) A.I : Intelligence Artificielle de Steven Spielberg (2001) Et en bonus, la trilogie de comics par Jean-Marc Lofficier et Ted McKeever : Superman's Metropolis Batman Nosferatu Wonder Woman, The Blue Amazon