Le développement de l`arbitrage en matière de propriété intellectuelle
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Le développement de l`arbitrage en matière de propriété intellectuelle
CONTENTIEUX & ARBITRAGE PAROLES D’EXPERTS Le développement de l’arbitrage en matière de propriété intellectuelle La protection des droits de propriété intellectuelle connaît une mutation rapide dans le contexte d’internationalisation des échanges et de relations contractuelles. L’arbitrage et les questions d’arbitrabilité sont au centre des débats pour fournir aux entreprises des outils opérationnels de sécurisation et de valorisation de leurs droits. Les réformes récentes et la pratique contentieuse internationale incitent les justiciables à se tourner vers les arbitres pour optimiser la représentation de leurs intérêts. SUR LES AUTEURS Benoît Le Bars, cofondateur et associé de Lazareff Le Bars, représente ses clients sur toutes les questions liées à l’arbitrage international, à la médiation et aux modes alternatifs de règlement des conflits. Il est régulièrement nommé président de tribunaux arbitraux, arbitre unique ou co-arbitre dans le cadre de nombreux arbitrages internationaux. Simon Christiaën, associé de Lazareff Le Bars, est docteur en droit et spécialiste en droit de la propriété intellectuelle. Il est un expert du contentieux des brevets d’invention et de la propriété intellectuelle en général et intervient tant devant les juridictions judiciaires et arbitrales que les agences étatiques et les organisations intergouvernementales. Benoît Le Bars, cofondateur et associé Simon Christiaën, associé L es droits de propriété intellectuelle tellectuelle qui génère l’essentiel des redeviennent de plus en plus souvent cours depuis plusieurs années. On ne les clés du succès des projets de croissance. compte plus les décisions rendues en Dans un environnement internationalisé, matière de contrats de licence de brevets les modes de protection traditionnels de ces sous l’égide de la Chambre de commerce droits (brevets, dessins et modèles, droits internationale (CCI) ou du centre d’ard’auteur et marques) par le juge national bitrage de l’Organisation mondiale de ont tendance à s’avérer la propriété intellecinadéquats. Aussi, de tuelle (OMPI). Mais le « CONFRONTÉES À CES nombreuse s société s contentieux arbitral de DERNIERS, LES SOCIÉTÉS NE s’approprient l’arbitrage la nullité, la déchéance PEUVENT PLUS SE CONTENTER pour résoudre leurs dif(marques), la titulaD’UNE PROTECTION PAR UN JUGE NATIONAL DONT ficultés et s’aligner sur rité et la contrefaçon LES POUVOIRS SONT les pratiques de leurs commencent aussi à se NÉCESSAIREMENT LIMITÉS concurrents à l’étranger, développer, ce qui est PAR DES FRONTIÈRES souvent défendus par des tout à fait nouveau et ÉTATIQUES » spécialistes de l’arbitrage remarquable s’agissant, en matière de propriété notamment, de cette intellectuelle. Procédure dernière compte tenu privée, souple, rapide et confidentielle de la persistance de certains obstacles par excellence, dont la légitimité repose techniques et psychologiques. sur le consentement et des principes proJusqu’en 1971, la jurisprudence francéduraux forts, l’arbitrage se révèle partiçaise déduisait de la compétence excluculièrement adapté, notamment dans un sive des tribunaux de grande instance environnement international hautement l’exclusion absolue du recours à l’arbiconcurrentiel. trage. Les choses ont évolué avec la loi du 17 mai 2011, le Code de la propriété L’exploitation contractuelle génère intellectuelle retenant la compétence exl’essentiel des arbitrages internationaux clusive d’un tribunal de grande instance Plus précisément, c’est l’exploitation pour les actions civiles ayant effet en contractuelle des droits de propriété inFrance tout en précisant que ces dispo- 26 COLLECTION GUIDE-ANNUAIRE 2015 I DÉCIDEURS : STRATÉGIE FINANCE DROIT sitions « ne font pas obstacle au recours à l’arbitrage, dans les conditions prévues aux articles 2059 et 2060 du Code civil. ». Aujourd’hui, sont arbitrables les conflits intéressant l’opposabilité des droits et leur déchéance, mais uniquement inter partes (seule l’annulation judiciaire d’un brevet ou d’une marque, par exemple, a un effet erga omnes), leur titularité et leur exploitation contractuelle. Peuvent aussi être arbitrables des litiges relatifs aux inventions de salariés et créations d’employés, à la revendication de propriété d’une invention et, surtout, à la contrefaçon en tant que délit civil. En revanche, sont exclus de l’arbitrage les litiges sur l’éviction, la saisie-contrefaçon et la contrefaçon en tant que délit pénal (prérogative de puissance publique). L’arbitrabilité de la contrefaçon a des très forts avantages L’arbitrabilité de la contrefaçon en tant que délit civil est également admise au moins sur le plan théorique. L’action en contrefaçon des droits de propriété intellectuelle est généralement (et quasi systématiquement en matière de brevets) précédée d’une saisie-contrefaçon, nécessaire à la preuve du délit. Les procédures arbitrales prévoient des modes de preuve (par exemple témoi- Par Benoît Le Bars, cofondateur et associé, et Simon Christiaën, associé. Lazareff Le Bars LES POINTS CLÉS L’arbitrabilité étendue des droits de propriété intellectuelle modifie la physionomie de leur protection. Face à une internationalisation croissante d’accords contractuels, l’arbitrage devient l’outil de protection par-delà les frontières. La confidentialité des procédures d’arbitrage de contrefaçon peut aussi contribuer à protéger une réputation voire générer des relations d’affaires. Les modes de preuves disponibles en arbitrage international libèrent des contraintes des procédures nationales et permettent d’accélérer la recherche de solutions opérationnelles. gnage ou expertise) qui peuvent s’avérer tout aussi efficaces et ne nécessitent pas la saisine d’un tribunal étatique. La riposte quasi systématique du présumé contrefacteur devant les juges français consiste à solliciter l’annulation du droit de propriété industrielle (particulièrement en matière de brevets) ou l’inexistence du droit de propriété littéraire et artistique. DOMAINES JURIDIQUES DES MÉDIATIONS ET DES ARBITRAGES DE L’OMPI Marques 15% Brevets 35% Nouvelles Technologies Télécommunications 22% Autres 19% Droits d’auteur 9% SECTEURS DE L’INDUSTRIE DES MÉDIATIONS ET DES ARBITRAGES DE L’OMPI Sciences de la vie 15% Article de luxe 5% Chimie 2% Nouvelles Technologies Télécommunications 32% Mécanique 14% Autre 21% Divertissement 11% Or, l’arbitre peut seulement constater la nullité sans la prononcer, celle-ci n’ayant d’effet qu’inter partes. Cette particularité plaide particulièrement en faveur de l’arbitrage. Les risques d’annulation totale ou partielle des droits de propriété industrielle sont, en effet, très dissuasifs pour le plaignant qui envisage une action judiciaire alors que la nullité du titre invoqué, si elle est admise dans une sentence arbitrale, ne peut avoir d’effet qu’entre les parties, le titre demeurant opposable aux tiers. Quant au poursuivi en contrefaçon, les tiers ignoreront sa condamnation du fait de la confidentialité de l’arbitrage. Si le contexte de la contrefaçon laisse souvent peu de place au dialogue, de nombreuses actions en contrefaçon ont pour fondement la violation d’un contrat de licence contenant une clause compromissoire. Dans ce contexte, l’arbitrage offre de nombreux avantages qui peuvent pousser des parties à soustraire leur litige au juge étatique : – un cadre favorisant discussion et conciliation des parties pour préserver leur collaboration sur des projets futurs ou existants ; – le choix d’arbitres ayant les compétences requises pour le traitement de dossiers particulièrement techniques ; – un regroupement du contentieux au sein d’une instance unique évitant le fractionnement du litige entre différents ordres juridiques ; – la neutralité de l’instance arbitrale pour une meilleure confiance des parties dans la procédure ; – la possibilité de faire appel à des experts qualifiés pour le litige (notamment en matière de brevets) ; – un large éventail de preuves (témoignages, affidavits…) ; – une procédure souvent beaucoup plus rapide que les juridictions de compétence exclusive surchargées ; – l’assistance et l’expérience des centres d’arbitrage (CCI, OMPI) ; – une garantie de confidentialité du litige et de la sentence (hors recours) ; – les risques d’annulation ou de non-reconnaissance des droits invoqués sont inexistants et la remise en cause de la validité ou de l’exploitation d’un titre n’a d’effet qu’inter partes ; – un mode de résolution efficace du fait de la limitation des voies de recours. Le recours à l’arbitrage apparaît donc bien comme une excellente solution pour régler les litiges mettant en œuvre des droits de propriété intellectuelle. Des travaux sont en cours auprès des rédacteurs de l’accord organisant la juridiction unifiée du très attendu brevet dit unitaire, pour tenter d’étendre le champ de l’arbitrabilité. Les débats suscités par les droits de propriété intellectuelle révèlent les enjeux mondiaux qu’ils représentent pour les entreprises contemporaines. Confrontées à ces derniers, les sociétés ne peuvent plus se contenter d’une protection par un juge national dont les pouvoirs sont nécessairement limités par des frontières étatiques. L’ère du contrat, du règlement international des litiges relatifs à l’exploitation des droits, a indéniablement sonnée. De notre capacité d’évoluer dépendra notre potentiel de croissance. COLLECTION GUIDE-ANNUAIRE 2015 I DÉCIDEURS : STRATÉGIE FINANCE DROIT 27