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Centre patronal de santé et sécurité du travail du Québec 1 Révisé en septembre 2011
Un avis du BEM qui change le diagnostic initial et ses effets sur la décision d’admissibilité de la lésion. Quand le diagnostic n’est plus le même que celui ayant fait l’objet de la décision initiale, la CSST doit analyser à nouveau le lien de causalité entre ce nouveau diagnostic et l’événement. Mais est‐ce que la décision d’admissibilité de la lésion est remise en cause pour autant ? La position de la CSST n’est pas claire et la jurisprudence est partagée. Or cela peut avoir un impact très concret sur votre gestion de dossier. Imaginons un premier scénario ƒ
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Un travailleur de votre entreprise, M. Malchanceux, fait parvenir à la CSST une réclamation dans le cadre de laquelle il décrit les éléments factuels et lui demande de reconnaître qu’il a subi un accident du travail. L’attestation médicale initiale jointe à sa demande indique le diagnostic d’entorse lombaire. La CSST rend une première décision (également appelée « décision initiale »). Elle déclare que le travailleur a subi une lésion professionnelle sur la base du diagnostic d’une entorse lombaire.1 Dans un deuxième temps, la CSST indique que le diagnostic d’entorse lombaire est en relation avec l’événement.2 Vous, en tant qu’employeur, avez demandé une révision administrative sur l’admissibilité, car vous êtes en désaccord. Selon votre enquête et analyse, vous avez des témoignages que l’événement n’est pas survenu au travail. Les conclusions de la décision rendue par la CSST, à la suite de votre demande de révision, sont : rejet de votre demande et maintient de la décision initiale. Vous avez donc décidé de contester, devant la Commission des lésions professionnelles, l’admissibilité de cette réclamation. Vous êtes donc dans l’attente d’une audition. Pendant ce temps, M. Malchanceux est toujours en arrêt de travail et subit d’autres examens. À la suite des résultats, son médecin traitant inscrit, sur un rapport évolutif, un nouveau diagnostic, à savoir une hernie discale L4‐L5. Sans plus attendre, vous demandez à votre médecin de procéder à une expertise. Selon lui, le travailleur ne souffre pas d’hernie discale. 1
Cela représente une décision sur l’admissibilité. La CSST indique si elle accepte la réclamation (dans ce cas, elle reconnaît l’existence d’une lésion professionnelle) ou si elle la refuse (ce qui signifie qu’elle arrive à la conclusion qu’il y a absence de lésion professionnelle).
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En d’autres termes, la CSST reconnaît que les faits accidentels relatés par M. Malchanceux sont la cause de son entorse lombaire.
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Conseil : lorsque vous recevez un papier médical avec un nouveau diagnostic, il est de bon aloi de demander, à la CSST, de rendre immédiatement une décision quant à la relation entre la blessure et le fait accidentel. Le diagnostic initial est modifié par le BEM ƒ
Comme le prévoit la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP), un désaccord sur un élément médical, notamment le diagnostic, contraint la CSST à soumettre le litige à un membre du Bureau d’évaluation médicale (BEM). Ce dernier est en accord avec le diagnostic d’hernie discale. Ce qui signifie que cet avis du BEM vient modifier 3
le diagnostic initial qui était l’entorse lombaire. Selon l’article 224.1 de la LATMP, la CSST est liée par le diagnostic retenu par le BEM. ƒ Cet article de loi indique aussi que suivant l’avis du BEM, la CSST doit rendre une « décision en conséquence ». Qu’est‐ce que cela signifie ? Dès que le diagnostic n’est plus le même que celui ayant servi à la CSST lors de sa décision initiale (il s’agissait d’une entorse lombaire), il est clair, tant pour la CSST que pour les juges de la CLP, que la CSST doit analyser à nouveau le lien de causalité entre ce nouveau diagnostic (hernie discale L4‐L5) et les faits accidentels. Cependant, LA GRANDE QUESTION EST : en cas de changement de diagnostic ou de non‐
reconnaissance du diagnostic posé par le médecin traitant, est‐ce que la décision qui suit l’avis du BEM peut remettre en question la décision d’admissibilité rendue initialement ? Il n’y a pas de réponse simple !4 ƒ D’une part, dans un tel cas, les politiques de la CSST sont imprécises. Il est seulement mentionné qu’il ne s’agit pas d’une reconsidération. Dans les faits, parfois, certaines parties apprennent fortuitement de la bouche de l’agent d’indemnisation qu’elles auraient dû comprendre que l’admissibilité avait été remise en cause ou, au contraire, qu’elles n’auraient pas dû tenir pour acquis que l’admissibilité avait changé ! À ce sujet, certains jugements de la CLP reprochent à la Commission de ne pas toujours s’exprimer clairement lors de la rédaction de ses décisions, à savoir si elle a revu ou non l’admissibilité de la lésion professionnelle. ƒ D’autre part, la jurisprudence est partagée5. Selon le courant jurisprudentiel auquel le juge de la CLP adhère, certains vous diront que la décision de la CSST, faisant suite à l'avis du 3
Notez que la jurisprudence insiste sur le fait que le diagnostic initial soit modifié et non uniquement précisé par le BEM. Si le diagnostic du médecin traitant, qui avait servi de prémisse à la décision initiale, était une tendinite à l’épaule et que celui du BEM une tendinite du sus‐épineux, il ne s’agit que d’une précision quant au siège de l’inflammation.
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Rheault et Autobus Robo inc. et CSST [2008] QCCLP 1792 (26 mars 2008), J.A Tremblay.
Vous trouverez des références jurisprudentielles en consultant le Mémento sur le site de la Commission des lésions professionnelles : http://www2.clp.gouv.qc.ca.
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BEM, remplace la décision initiale d'admissibilité (la théorie du remplacement omplet)6 et d’autres, que l’aspect de l’admissibilité n’est pas touché (la théorie du remplacement partiel). Cette ambiguïté peut s’avérer un véritable casse‐tête pour vous qui ne savez pas si la CSST remet en cause ou non l’admissibilité et qui ignorez pour quel courant jurisprudentiel le décideur de la CLP est favorable. Nous verrons ci‐dessous, à l’aide d’exemples concrets, tout l’impact que cela peut avoir car, parfois, vous pourriez perdre l’exercice de certains droits. Selon la théorie du remplacement complet Revenons au cas de M. Malchanceux. Vous recevez donc la nouvelle décision de la CSST rendue conformément à l’article 224.1 de la LATMP. La CSST se dit liée par le diagnostic d’hernie discale et reconnaît qu’il y a une relation causale entre ce nouveau diagnostic et l’événement. Elle ne mentionne rien d’autre. Vous décidez de ne pas contester cette décision en vous fiant que vous avez déjà une contestation pendante qui porte sur l’admissibilité. ƒ Sachez que si le juge est favorable à la théorie du remplacement complet, il conclura que la dernière décision a remplacé la décision initiale et que votre demande de contestation est devenue caduque (en d’autres mots inutile), puisqu’elle repose sur un diagnostic qui n’existe plus. De plus, comme dans d’autres affaires similaires basées sur ce courant jurisprudentiel, vous pourriez vous faire dire qu’il est maintenant trop tard pour contester tant l’admissibilité que la relation causale entre l’hernie discale et l’événement. Il est intéressant de noter que cette conséquence juridique qui peut découler de l’application de la théorie du remplacement complet a été évaluée dans une décision récente. Considérant l’ensemble des circonstances, la juge administrative Marlène Auclair a décidé de ne pas appliquer la théorie du remplacement complet dans l’affaire Leclair et Inter‐Val 1175 inc.7. Cette approche ayant pour conséquence de faire perdre un droit à une partie. Il appert que retenir cette « théorie du remplacement » signifie que la décision consécutive à l’avis du BEM, concernant de nouveaux diagnostics, remplace la décision initiale d’admissibilité qui, dès lors n’existe plus. Si la décision ayant donné lieu à la contestation (qui est en attente d’être entendue devant la CLP) n’existe plus, forcément ce recours devient sans objet. En d’autres termes, la contestation, par le fait même, n’existe plus également. Pour quiconque, qui est non‐
initié aux rouages de la CSST, il peut être difficile de comprendre qu’il faut soumettre une nouvelle contestation sur un aspect ayant déjà été contesté, à défaut de quoi, le tribunal 6
Certains qualifient ce courant jurisprudentiel de majoritaire. Cependant, nous avons pris connaissance d’une multitude de décisions et nous soumettons respectueusement que nous avons des réserves à qualifier ce courant de majoritaire. Selon nous, des décisions récentes démontrent que la position des décideurs de la CLP est encore très partagée entre la théorie du remplacement complet et celle du remplacement partiel. Il appert que la volonté de ne pas faire perdre de droits aux parties et le contexte factuel priment lors de l’évaluation des litiges qui sont soumis à la CLP.
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2011 QCCLP 1386, M. Auclair
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pourrait conclure qu’implicitement la partie y a renoncé. Me Auclair indique, tout comme la juge Nadeau dans l’affaire Gnek et Cheminées Sécurité International8, s’il doit en être ainsi, « il faudrait que la CSST l’exprime clairement dans sa décision pour que les parties sachent réellement à quoi s’en tenir quant à leurs droits de contestation ». Comment réagir pour éviter un tel dénouement ? Sachant qu’il n’y a pas unanimité parmi les juges de la CLP, demandez à la CSST d’exprimer clairement la portée de sa décision quant à l’admissibilité de la lésion professionnelle pour que vous sachiez réellement à quoi vous en tenir quant à votre droit de contestation sur cet aspect9. Ou, si la réponse de la CSST tarde ou demeure imprécise, vous pouvez opter pour la prudence en contestant la décision rendue en vertu de l’article 224.1 de la LATMP tant au niveau de l’admissibilité de la lésion qu’au niveau médical (ex. : diagnostic, date de consolidation, etc.). Scénario 2 Reprenons le cas de M. Malchanceux en apportant les changements suivants. ƒ Supposons que vous n’ayez pas contesté la décision initiale. Cependant, vous avez contesté celle rendue par la CSST à la suite de l’avis du BEM. Selon la théorie du remplacement complet, même si vous avez omis de contester, en temps opportun, la décision initiale portant sur l’admissibilité de la réclamation, il ne serait pas trop tard pour le faire, sous forme de requête préliminaire. En effet, vous pourriez demander, à la CLP, de se prononcer sur la question. Encore faut‐il que le juge décideur devant vous soit favorable à cette école de pensée ! Attention au revers de la médaille. Vous vous dites, finalement, ce courant jurisprudentiel a du bon ! Dans cette situation, vous auriez raison ! Toutefois, n’oubliez pas que ce droit de contester a posteriori est aussi valable pour le travailleur. Donc, advenant un refus initial à reconnaître l’admissibilité d’une réclamation, ce refus pourrait être remis en question tant que le diagnostic n’est pas définitif… Or un diagnostic est souvent évolutif… Scénario 3 Comme dans la première mise en situation, supposons que vous ayez contesté la décision initiale de la CSST quant à l’admissibilité, mais ajoutons ceci. ƒ Au cours de l’évolution du dossier, imaginons que le BEM ne soit pas d’accord avec le médecin traitant en rejetant tant l’entorse lombaire que l’hernie discale. Le BEM pose plutôt un tout autre diagnostic, à savoir que M. Malchanceux souffre d’un dérangement mécanique intervertébral au niveau L4‐L5. 8
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2010 QCCLP 672 (26 janvier 2010), L. Nadeau.
Serres du St‐Laurent inc. et Mathieu, 324083‐05‐0707, (18 février 2008), L. Boudreault; Chamreun Gnek et Chemise Sécurité International [2010] QCCLP 672 (26 janvier 2010), L. Nadeau; Leclair et Inter‐Val 1175 inc. QCCLP 1386, M. Auclair.
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À la suite de cet avis du BEM, la CSST statue qu’il n’y a pas de relation entre ce nouveau diagnostic et l’événement. ƒ Tout heureux du résultat, vous vous empressez à vous désister de votre contestation en vous disant qu’elle est devenue inutile, compte tenu que la dernière décision de la CSST remplace la décision initiale. Or la CSST a écrit qu’il n’y a pas de lien causal. Petite mise en garde : ne commettez pas cette erreur stratégique10 et attendez minimalement que les délais de demande de révision soient écoulés, car n’oubliez pas que le travailleur peut contester ultimement jusqu’à la CLP ! Puis, cette dernière pourrait ne pas retenir le diagnostic posé par le BEM et conclure que le travailleur a subi une hernie discale, et ce, à la suite de sa lésion professionnelle11. Or vous vous êtes désisté de votre requête en contestation. Tout comme dans le premier scénario, la CLP pourrait vous dire que vos délais sont écoulés pour contester tant l’admissibilité que la relation causale. Dans une telle situation, encore une fois, il serait sage de demander à la CSST d’exprimer clairement la portée de sa décision quant à l’admissibilité pour que vous sachiez à quoi vous en tenir. Selon la théorie du remplacement partiel L’autre courant jurisprudentiel veut qu’une décision rendue par la CSST, selon l'article 224.1, ne puisse pas remettre en question une décision d'admissibilité antérieure ayant déjà produit des effets juridiques. Seuls les aspects médicaux et la relation causale seront remplacés par ceux découlant de la décision de la CSST donnant suite à l'avis du BEM.12 Cette même interprétation a été retenue dans l’affaire Cie de Volailles Maxi ltée et Lavallée13. Il appert que la décision d’admissibilité initiale concluait que la travailleuse avait été victime d’une lésion professionnelle, car une relation causale entre le diagnostic de tendinite à l’épaule (blessure) et l’événement était reconnue. Cette décision n’a pas été contestée. Or, après un an de suivi, d’examens médicaux de toute sorte et d’expertises, le diagnostic retenu par le BEM est une tendinopathie calcifiante de la coiffe des rotateurs avec capsulite secondaire. Dans sa décision, rendue suite à l’avis du BEM, la CSST se repositionne quant à l’admissibilité de la lésion professionnelle. Elle reconnaît une relation entre l’événement et le nouveau diagnostic. Cette fois, l’employeur conteste cette décision devant la CLP. D’entrée de jeu, la juge administrative Sonia Sylvestre mentionne que la contestation présentée devant elle ne permet pas à l’employeur de remettre en cause la trame factuelle déjà reconnue, il y a un an, comme un événement imprévu et soudain. Seule la relation médicale causale entre le nouveau diagnostic de tendinopathie calcifiée compliquée d’une capsulite et les circonstances de l’événement accidentel sera débattue. Finalement, la CLP arrive à la conclusion qu’un lien causal existe ce qui l’amène à réitérer la présence d’une lésion professionnelle. 10
Lemieux et CHUM pavillon Mailloux [2010] QCCLP 5050 (8 juillet 2010), R. Daniel.
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Léonard et Ville de Terrebonne [2008] QCCLP 4865 (20 août 2008), D. Besse.
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Abmast inc. et Éric Bossé [2009] QCCLP 8748 (18 décembre 2009), M. Watkins.
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2010 QCCLP 6098, S. Sylvestre.
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Ainsi, si vous vous retrouvez avec M. Malchanceux devant un juge de la CLP favorable à ce courant jurisprudentiel, votre contestation à l'encontre de la décision d'admissibilité ne deviendra pas caduque et vous serez entendu sur cet aspect. Toutefois, vous et le travailleur devrez exercer vos droits de contestation à l'étape de la décision initiale et dans les délais opportuns. Nous n’avons pas fait le tour du sujet de manière exhaustive14, mais notre objectif est que la prochaine fois que vous aurez, entre les mains, une décision de la CSST rendue à la suite du BEM, avant de la glisser automatiquement dans votre dossier, ayez le réflexe de l’étudier de plus près et de demander, au besoin, un avis juridique. 14
Pour en connaître davantage sur ce sujet : NOËL, Sylviane. Procédure d'évaluation médicale en matière de lésions professionnelles : effets d'une décision de la CSST rendue en conséquence d'un avis du Bureau d'évaluation médicale, 25 mars 2004; DRAPEAU, Murielle. Admissibilité au régime d’indemnisation de la LATMP : tant que le diagnostic n’est o
pas définitif, la décision d’admissibilité ne l’est pas, mai 2008, volume 10, n 5.