Anhtologie XIXe siècle 3 le Parnasse

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Anhtologie XIXe siècle 3 le Parnasse
Au milieu du XIXe siècle le romantisme est essoufflé et une nouvelle génération de poètes rejette le sentimentalisme
de celui-ci. Inspirés par certains poèmes de Baudelaire comme La beauté ou l’Hymne à la beauté et regroupés
autour de Leconte de Lisle, ces poètes veulent créer et promouvoir une poésie d’où le lyrisme et l’ego de l’artiste sont
absents et qui vise avant tout à la beauté de la forme. Ils prennent pour devise une expression de Théophile Gautier
dans son recueil de vers Émaux et camées : « l’art pour l’art », car pour eux la pratique de l’art ne doit avoir pour
objet que la création du beau et doit refuser toute forme d’expression personnelle comme tout engagement
idéologique. Conscients de leurs affinités, ils se regroupent et publient leurs poèmes dans une revue le Parnasse
contemporain à laquelle ils doivent leur nom de Parnassiens.
CHARLES LECONTE DE LISLE
Midi
Midi, roi des étés, épandu sur la plaine,
Tombe en nappes d'argent des hauteurs du ciel bleu.
Tout se tait. L'air flamboie et brûle sans haleine :
La terre est assoupie en sa robe de feu.
L'étendue est immense et les champs n'ont point d'ombre,
Et la source est tarie où buvaient les troupeaux ;
La lointaine forêt dont la lisière est sombre,
Dort là-bas, immobile, en un pesant repos.
Seuls, les grands blés mûris, tels qu'une mer dorée,
Se déroulent au loin dédaigneux du sommeil :
Pacifiques enfants de la terre sacrée,
Ils épuisent sans peur la coupe du soleil.
Parfois, comme un soupir de leur âme brûlante,
Du sein des épis lourds qui murmurent entre eux,
Une ondulation majestueuse et lente
S'éveille, et va mourir à l'horizon poudreux.
Non loin quelques bœufs blancs, couchés parmi les herbes,
Bavent avec lenteur sur leurs fanons épais,
Et suivent de leurs yeux languissants et superbes
Le songe intérieur qu'ils n'achèvent jamais.
Homme, si le cœur plein de joie ou d'amertume,
Tu passais vers midi dans les champs radieux,
Fuis ! La nature est vide et le soleil consume :
Rien n'est vivant ici, rien n'est triste ou joyeux.
Mais si désabusé des larmes et du rire,
Altéré de l'oubli de ce monde agité,
Tu veux, ne sachant plus pardonner ou maudire,
Goûter une suprême et morne volupté ;
Viens, le soleil te parle en lumières sublimes ;
Dans sa flamme implacable absorbe-toi sans fin ;
Et retourne à pas lents vers les cités infimes,
Le cœur trempé sept fois dans le néant divin.
Charles Leconte de Lisle (1818-1894) Poèmes antiques (1852)
L'enfance d'Héraklès
Oriôn, tout couvert de la neige du pôle,
Auprès du chien sanglant montrait sa rude épaule ;
L'ombre silencieuse au loin se déroulait.
Alkmène ayant lavé ses fils, gorgés de lait,
En un creux bouclier à la bordure haute,
Héroïque berceau, les coucha côte à côte,
Et, souriant leur dit : - Dormez, mes bien-aimés.
Beaux et pleins de santé, mes chers petits, dormez.
Que la nuit bienveillante et les heures divines
Charment d'un rêve d'or vos âmes enfantines ! Elle dit, caressa d'une légère main
L'un et l'autre enlacés dans leur couche d'airain,
Et la fit osciller, baisant leurs frais visages,
Et conjurant pour eux les sinistres présages.
Alors, le doux sommeil, en effleurant leurs yeux,
Les berça d'un repos innocent et joyeux.
Ceinte d'astres, la nuit, au milieu de sa course,
Vers l'occident plus noir poussait le char de l'ourse.
Tout se taisait, les monts, les villes et les bois,
Les cris du misérable et le souci des rois.
Les dieux dormaient, rêvant l'odeur des sacrifices ;
Mais, veillant seule, Hèra, féconde en artifices,
Suscita deux dragons écaillés, deux serpents
Horribles, aux replis azurés et rampants,
Qui devaient étouffer, messagers de sa haine,
Dans son berceau guerrier l'enfant de la thébaine.
Ils franchissent le seuil et son double pilier,
Et dardent leur œil glauque au fond du bouclier.
Iphiklès, en sursaut, à l'aspect des deux bêtes,
De la langue qui siffle et des dents toutes prêtes,
Tremble, et son jeune cœur se glace, et, pâlissant,
Dans sa terreur soudaine il jette un cri perçant,
Se débat, et veut fuir le danger qui le presse ;
Mais Héraklès, debout, dans ses langes se dresse,
S'attache aux deux serpents, rive à leurs cous visqueux
Ses doigts divins, et fait, en jouant avec eux,
Leurs globes élargis sous l'étreinte subite
Jaillir comme une braise au delà de l'orbite.
Ils fouettent en vain l'air, musculeux et gonflés,
L'enfant sacré les tient, les secoue étranglés,
Et rit en les voyant, pleins de rage et de bave,
Se tordre tout autour du bouclier concave.
Puis, il les jette morts le long des marbres blancs,
Et croise pour dormir ses petits bras sanglants.
Dors, justicier futur, dompteur des anciens crimes,
Dans l'attente et l'orgueil de tes faits magnanimes ;
Toi que les pins d'Oeta verront, bûcher sacré,
La chair vive, et l'esprit par l'angoisse épuré,
Laisser, pour être un dieu, sur la cime enflammée,
Ta cendre et ta massue et la peau de Némée !
Charles Leconte de Lisle (1818-1894) Poèmes antiques (1852)
L'Ecclésiaste
L'Ecclésiaste a dit : un chien vivant vaut mieux
Qu'un lion mort. Hormis, certes, manger et boire,
Tout n'est qu'ombre et fumée. Et le monde est très vieux,
Et le néant de vivre emplit la tombe noire.
Par les antiques nuits, à la face des cieux,
Du sommet de sa tour comme d'un promontoire,
Dans le silence, au loin laissant planer ses yeux,
Sombre, tel il songeait sur son siège d'ivoire.
Vieil amant du soleil, qui gémissait ainsi,
L'irrévocable mort est un mensonge aussi.
Heureux qui d'un seul bond s'engloutirait en elle !
Moi, toujours, à jamais, j'écoute, épouvanté,
Dans l'ivresse et l'horreur de l'immortalité,
Le long rugissement de la vie éternelle.
Charles Leconte de Lisle (1818-1894) Poèmes barbares (1862)
Le combat homérique
De même qu'au soleil l'horrible essaim des mouches
Des taureaux égorgés couvre les cuirs velus,
Un tourbillon guerrier de peuples chevelus,
Hors des nefs, s'épaissit, plein de clameurs farouches.
Tout roule et se confond, souffle rauque des bouches,
Bruit des coups, les vivants et ceux qui ne sont plus,
Chars vides, étalons cabrés, flux et reflux
Des boucliers d'airain hérissés d'éclairs louches.
Les reptiles tordus au front, les yeux ardents,
L'aboyeuse Gorgô vole et grince des dents
Par la plaine où le sang exhale ses buées.
Zeus, sur le pavé d'or, se lève, furieux,
Et voici que la troupe héroïque des dieux
Bondit dans le combat du faîte des nuées.
Charles Leconte de Lisle (1818-1894) Poèmes barbares (1862)
La genèse polynésienne
Dans le vide éternel interrompant son rêve,
L'être unique, le grand Taaroa se lève.
Il se lève, et regarde : il est seul, rien ne luit.
Il pousse un cri sauvage au milieu de la nuit :
Rien ne répond. Le temps, à peine né, s'écoule ;
Il n'entend que sa voix. Elle va, monte, roule,
Plonge dans l'ombre noire et s'enfonce au travers.
Alors, Taaroa se change en univers :
Car il est la clarté, la chaleur et le germe ;
Il est le haut sommet, il est la base ferme,
L'œuf primitif que Pô, la grande nuit, couva ;
Le monde est la coquille où vit Taaroa.
Il dit : - Pôles, rochers, sables, mers pleines d'îles,
Soyez ! Échappez-vous des ombres immobiles ! Il les saisit, les presse et les pousse à s'unir ;
Mais la matière est froide et n'y peut parvenir :
Tout gît muet encore au fond du gouffre énorme ;
Tout reste sourd, aveugle, immuable et sans forme.
L'être unique, aussitôt, cette source des dieux,
Roule dans sa main droite et lance les sept cieux.
L'étincelle première a jailli dans la brume,
Et l'étendue immense au même instant s'allume ;
Tout se meut, le ciel tourne, et, dans son large lit,
L'inépuisable mer s'épanche et le remplit :
L'univers est parfait du sommet à la base,
Et devant son travail le dieu reste en extase.
Charles Leconte de Lisle (1818-1894) Poèmes barbares (1862)
Le cœur de Hialmar
Une nuit claire, un vent glacé. La neige est rouge.
Mille braves sont là qui dorment sans tombeaux,
L'épée au poing, les yeux hagards. Pas un ne bouge.
Au-dessus tourne et crie un vol de noirs corbeaux.
La lune froide verse au loin sa pâle flamme.
Hialmar se soulève entre les morts sanglants,
Appuyé des deux mains au tronçon de sa lame.
La pourpre du combat ruisselle de ses flancs.
- Holà ! Quelqu'un a-t-il encore un peu d'haleine,
Parmi tant de joyeux et robustes garçons
Qui, ce matin, riaient et chantaient à voix pleine
Comme des merles dans l'épaisseur des buissons ?
Tous sont muets. Mon casque est rompu, mon armure
Est trouée, et la hache a fait sauter ses clous.
Mes yeux saignent. J'entends un immense murmure
Pareil aux hurlements de la mer ou des loups.
Viens par ici, corbeau, mon brave mangeur d'hommes !
Ouvre-moi la poitrine avec ton bec de fer.
Tu nous retrouveras demain tels que nous sommes.
Porte mon cœur tout chaud à la fille d'Ylmer.
Dans Upsal, où les Jarls boivent la bonne bière,
Et chantent, en heurtant les cruches d'or, en chœur,
À tire d'aile vole, ô rôdeur de bruyère !
Cherche ma fiancée et porte-lui mon cœur.
Au sommet de la tour que hantent les corneilles
Tu la verras debout, blanche, aux longs cheveux noirs.
Deux anneaux d'argent fin lui pendent aux oreilles,
Et ses yeux sont plus clairs que l'astre des beaux soirs.
Va, sombre messager, dis-lui bien que je l'aime,
Et que voici mon cœur. Elle reconnaîtra
Qu'il est rouge et solide et non tremblant et blême ;
Et la fille d'Ylmer, corbeau, te sourira !
Moi, je meurs. Mon esprit coule par vingt blessures.
J'ai fait mon temps. Buvez, ô loups, mon sang vermeil.
Jeune, brave, riant, libre et sans flétrissures,
Je vais m'asseoir parmi les dieux, dans le soleil !
Charles Leconte de Lisle (1818-1894) Poèmes barbares (1862)
Le rêve du jaguar
Sous les noirs acajous, les lianes en fleur,
Dans l'air lourd, immobile et saturé de mouches,
Pendent, et, s'enroulant en bas parmi les souches,
Bercent le perroquet splendide et querelleur,
L'araignée au dos jaune et les singes farouches.
C'est là que le tueur de bœufs et de chevaux,
Le long des vieux troncs morts à l'écorce moussue,
Sinistre et fatigué, revient à pas égaux.
Il va, frottant ses reins musculeux qu'il bossue ;
Et, du mufle béant par la soif alourdi,
Un souffle rauque et bref, d'une brusque secousse,
Trouble les grands lézards, chauds des feux de midi,
Dont la fuite étincelle à travers l'herbe rousse.
En un creux du bois sombre interdit au soleil
Il s'affaisse, allongé sur quelque roche plate ;
D'un large coup de langue il se lustre la patte ;
Il cligne ses yeux d'or hébétés de sommeil ;
Et, dans l'illusion de ses forces inertes,
Faisant mouvoir sa queue et frissonner ses flancs,
Il rêve qu'au milieu des plantations vertes,
Il enfonce d'un bond ses ongles ruisselants
Dans la chair des taureaux effarés et beuglants.
Charles Leconte de Lisle (1818-1894) Poèmes barbares (1862)
Les montreurs
Tel qu'un morne animal, meurtri, plein de poussière,
La chaîne au cou, hurlant au chaud soleil d'été,
Promène qui voudra son cœur ensanglanté
Sur ton pavé cynique, ô plèbe carnassière !
Pour mettre un feu stérile en ton œil hébété,
Pour mendier ton rire ou ta pitié grossière,
Déchire qui voudra la robe de lumière
De la pudeur divine et de la volupté.
Dans mon orgueil muet, dans ma tombe sans gloire,
Dussé-je m'engloutir pour l'éternité noire,
Je ne te vendrai pas mon ivresse ou mon mal,
Je ne livrerai pas ma vie à tes huées,
Je ne danserai pas sur ton tréteau banal
Avec tes histrions et tes prostituées.
Charles Leconte de Lisle (1818-1894) Poèmes barbares (1862)
JOSÉ-MARIA DE HEREDIA
Le satyre Marsyas a osé défier Apollon dans un concours de poésie et il perd… Pour punir l’insolence du sayre,
le dieu l’écorche vif.
Marsyas
Les pins du bois natal que charmait ton haleine
N'ont pas brûlé ta chair, ô malheureux ! Tes os
Ont dissous, et ton sang s'écoule avec les eaux
Que les monts de Phrygie épanchent vers la plaine.
Le jaloux Citharède, orgueil du ciel hellène,
De son plectre de fer a brisé tes roseaux
Qui, domptant les lions, enseignaient les oiseaux ;
Il ne reste plus rien du chanteur de Célène.
Rien qu'un lambeau sanglant qui flotte au tronc de l'if
Auquel on l'a lié pour l'écorcher tout vif.
Ô Dieu cruel ! Ô cris ! Voix lamentable et tendre !
Non, vous n'entendrez plus, sous un doigt trop savant,
La flûte soupirer aux rives du Méandre...
Car la peau du Satyre est le jouet du vent.
José Maria de Heredia (1842-1905) Les Trophées (1893)
Heredia a su faire revivre la poésie bucolique et l’esprit de Théocrite et de Virgile.
Le chevrier
Ô berger, ne suis pas dans cet âpre ravin
Les bonds capricieux de ce bouc indocile ;
Aux pentes du Ménale, où l'été nous exile,
La nuit monte trop vite et ton espoir est vain.
Restons ici, veux-tu ? J'ai des figues, du vin.
Nous attendrons le jour en ce sauvage asile.
Mais parle bas. Les Dieux sont partout, ô Mnasyle !
Hécate nous regarde avec son œil divin.
Ce trou d'ombre là-bas est l'antre où se retire
Le Démon familier des hauts lieux, le Satyre ;
Peut-être il sortira, si nous ne l'effrayons.
Entends-tu le pipeau qui chante sur ses lèvres ?
C'est lui ! Sa double corne accroche les rayons,
Et, vois, au clair de lune il fait danser mes chèvres !
José Maria de Heredia (1842-1905) Les Trophées (1893)
Heredia connaît l’art aussi de faire revivre l’antiquité romaine dans ce qu’elle a eu de plus violent :
Soir de bataille
Le choc avait été très rude. Les tribuns
Et les centurions, ralliant les cohortes
Humaient encor dans l'air où vibraient leurs voix fortes
La chaleur du carnage et ses âcres parfums.
D'un œil morne, comptant leurs compagnons défunts
Les soldats regardaient, comme des feuilles mortes,
Au loin, tourbillonner les archers de Phraortes ;
Et la sueur coulait de leurs visages bruns.
C'est alors qu'apparut, tout hérissé de flèches,
Rouge du flux vermeil de ses blessures fraîches,
Sous la pourpre flottante et l'airain rutilant,
Au fracas des buccins qui sonnaient leur fanfare,
Superbe, maîtrisant son cheval qui s'effare
Sur le ciel enflammé, l'Imperator sanglant.
José Maria de Heredia (1842-1905) Les Trophées (1893)
Heredia, né à Cuba, s’est plu à évoquer ses ancêtres, les Conquistadors :
Les conquérants
Comme un vol de gerfauts hors du charnier natal,
Fatigués de porter leurs misères hautaines,
De Palos de Moguer, routiers et capitaines
Partaient, ivres d'un rêve héroïque et brutal.
Ils allaient conquérir le fabuleux métal
Que Cipango mûrit dans ses mines lointaines,
Et les vents alizés inclinaient leurs antennes
Aux bords mystérieux du monde occidental.
Chaque soir, espérant des lendemains épiques,
L'azur phosphorescent de la mer des Tropiques
Enchantait leur sommeil d'un mirage doré ;
Ou penchés à l'avant des blanches caravelles,
Ils regardaient monter en un ciel ignoré
Du fond de l'océan des étoiles nouvelles.
José Maria de Heredia (1842-1905) Les Trophées (1893)
THÉODORE DE BANVILLE
Querelle
Lorsque ma soeur et moi, dans les forêts profondes,
Nous avions déchiré nos pieds sur les cailloux,
En nous baisant au front tu nous appelais fous,
Après avoir maudit nos courses vagabondes.
Puis, comme un vent d'été confond les fraîches ondes
De deux petits ruisseaux sur un lit calme et doux,
Lorsque tu nous tenais tous deux sur tes genoux
Tu mêlais en riant nos chevelures blondes.
Et pendant bien longtemps nous restions là blottis,
Heureux, et tu disais parfois : « O chers petits !
Un jour vous serez grands, et moi je serai vieille. »
Les jours se sont enfuis, d'un vol mystérieux,
Mais toujours la jeunesse éclatante et vermeille
Fleurit dans ton sourire et brille dans tes yeux.
Théodore de Banville (1823-1891)
Rue Lobineau
Cela se traîne autour du marché Saint-Germain.
Cet être fabuleux qui n'a plus rien d'humain,
Grand corps en deux ployé, tas de choses flétries
Comme les vieilles dans les antiques féeries,
Vêtu de vieux tricots, de haillons, de gilets,
Spectre laissant pourrir sur de vagues mollets
Ces vils jupons mordus par le ruisseau vorace,
Où l'on ne voit plus rien que la boue et la crasse ;
Le nez et le menton pointus ; la bouche, écrin
Vide ; sur le front noir, ces deux mèches de crin ;
Ce fouillis de lambeaux affreux, de souquenilles ;
Ces pieds entortillés dans de sales guenilles ;
Oui, tout cela, -- divine Hélène au front d'argent
Que la Lune, ta sœur, admirait en songeant !
Toi dont la jambe nue éblouissait le pâtre,
Diane ! toi Laïs ! vous Phryné, Cléopâtre !
Ève ! toi dont les fleurs géantes et les cieux
Et les fleuves, avec leur chant délicieux,
Et les lions ravis disaient l'épithalame, -Cela, tout cet amas d'horreurs, c'est une femme ?
Théodore de Banville (1823-1891), mardi 11 janvier 1887.
Hérodiade
Ses yeux sont transparents comme l'eau du Jourdain.
Elle a de lourds colliers et des pendants d'oreilles ;
Elle est plus douce à voir que le raisin des treilles,
Et la rose des bois a peur de son dédain.
Elle rit et folâtre avec un air badin,
Laissant de sa jeunesse éclater les merveilles.
Sa lèvre est écarlate, et ses dents sont pareilles
Pour la blancheur aux lys orgueilleux du jardin.
Voyez-la, voyez-la venir, la jeune reine !
Un petit page noir tient sa robe qui traîne
En flots voluptueux le long du corridor.
Sur ses doigts le rubis, le saphir, l'améthyste
Font resplendir leurs feux charmants : dans un plat d'or
Elle porte le chef sanglant de Jean-Baptiste.
Théodore de Banville (1823-1891)