LE LYCÉE LECONTE DE LISLE

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LE LYCÉE LECONTE DE LISLE
LE LYCÉE LECONTE DE LISLE
Un des fleurons du patrimoine architectural et culturel de notre chef-lieu est circonscrit à l’intérieur
du quadrilatère formé par les rues du Général de Gaulle, Jean Chatel, Monseigneur de Beaumont et
Juliette Dodu (1). Il s’agit du temple de l’enseignement secondaire que fut le Lycée Leconte de
Lisle (l’actuel Collège Bourbon). Il est intéressant de noter comment tout au long de son histoire le
Lycée a fidèlement reflété l’évolution de la société coloniale puis départementale, non seulement à
travers les différentes dénominations qui furent les siennes, mais également dans la mesure où il fut
à plusieurs reprises le siège de contradictions et de conflits, parfois violents.
Les tentatives antérieures de création d’un établissement public secondaire avaient fait long feu…
Ce n’est qu’après la restitution de La Réunion à la France par les Anglais que le gouverneur Bouvet
de Lozier intervint auprès du roi Louis XVIII pour qu’un établissement d’enseignement secondaire
puisse enfin voir le jour. Ce qui fut fait en 1819.
Bâtiment central du Lycée Leconte de Lisle.
Les grandes étapes dans la vie du Lycée Leconte de Lisle
– Le 24 décembre 1818 : Le gouverneur Milius ordonne la création pour les garçons de 9 à 14
ans du « Collège Royal de Bourbon ».
– Le 7 Janvier 1819 : le Collège s’installe dans les locaux délabrés de l’ancien Collège Bellon. Son
premier directeur est le colonel d’artillerie Josselin, Jean Maingard, dont le buste figure toujours, à
la place d’honneur, au centre de la grande cour.
– 1827: Les travaux du « Grand Lycée » commencent. 1829 : inauguration des nouveaux locaux.
– 1848: le Collège Royal devient « Lycée de l’île de La Réunion ».
– 27 novembre 1848 : première révolte au Lycée. On reproche au Proviseur Théodore Drouhet (2)
son autoritarisme.
– 18 décembre 1848 : les troubles reprennent de plus belle. Sarda Garriga ordonne la fermeture du
lycée jusqu’au 1er février 1849.
– en 1849 : le lycée prend le titre de « Lycée Colonial ».
– Le 14 juin 1853, sous le Second Empire le lycée devient le « Lycée Impérial ».
– 1866 : nouvelle révolte après la nomination du gendre de M. Drouhet comme proviseur.
– En 1873, sous la présidence de Mac Mahon l’établissement devint « Le Lycée de Saint-Denis ».
– Le 2 juin 1897 le Lycée prend le nom de « Lycée Leconte de Lisle ».
–
Le 26 février 1910: le « Grand Lycée », le réfectoire et la bibliothèque sont la proie des
flammes.
–
1913 : reconstruction des bâtiments détruits. Comme on peut le voir sur les nombreuses
photos de l’époque, le Grand Lycée comportait à l’origine quatre niveaux, le dernier étage étant
celui du dortoir des internes. Mais lorsque le bâtiment principal fut reconstruit, le troisième étage
fut supprimé par mesure de précaution.
–
1965 : le corps de bâtiment qui longe la rue Juliette Dodu est construit.
–
1968 : le second cycle doit s’installer au Butor dans des bâtiments neufs et le lycée devient
« Collège de Bourbon ». (3)
Les Proviseurs qui se sont succédé de 1818 à 1930.
Plan du Lycée Leconte de Lisle dans les années 1950-60
Dans la configuration telle qu’elle était connue dans les années 1960, le Lycée se composait de trois
bâtiments principaux alliant la pierre de taille à la maçonnerie, dénommés le Grand Lycée (qui
accueillait les classes des « grands », de la seconde à la terminale), le Moyen Lycée (salles d’études,
bibliothèque, dessin et musique) et le Petit Lycée (classes primaires et secondaires, depuis le cours
élémentaire 1ère année, ou 10ème, jusqu’à la 3ème).
Selon un rite immuable, les élèves se répartissaient dans les trois cours de récréation dédiées à
chaque cycle : la cour des « petits », de la 10ème à la 7ème, la cour des « moyens », de la 6ème à la
3ème, et la cour des « grands », ou « cour d’honneur », de la seconde à la terminale (une petite cour
était réservée aux élèves du Cours Préparatoire, la 11ème). Dans la cour des grands, chaque classe
avait son arbre attitré, au pied duquel on déposait les sacs et où l’on se rassemblait pour « casser la
blague » (4), en attendant que Bichique (5), le portier, sonne la cloche (remplacée les dernières
années par une sonnerie électrique).
Plan du Lycée Leconte de Lisle dans les années 1960.
Aux trois bâtiments principaux, venaient s’ajouter, longeant la rue Jean Chatel, le bâtiment de
l’Administration (bureaux du Proviseur et du Censeur), à main gauche quand on entrait par le
portail monumental où officiait Bichique, la maison du Proviseur (construite en 1873 et devenue en
1980 le siège du (C.A.U.E), l’infirmerie, la maison du Censeur (qui a été rasée pour céder la place à
la cantine actuelle) et la chapelle (6), qui se situait à l’arrière de l’église de l’Assomption. A noter,
pour l’anecdote que le sous-sol du Petit Lycée abritait une vaste pièce qui aurait servi de « cachot »
(7) aux élèves « récalcitrants. Cette pièce fut par la suite transformée en entrepôt et en atelier
d’activités diverses (travaux photographiques).
Jean-Claude Legros.
Notes :
(1) Anciennement (dans l’ordre) rue Dauphine, rue du Barachois, rue La Fontaine et rue du Conseil.
(2) Théodore Drouhet : Son nom est lié à l’histoire du Collège Royal, futur Lycée Leconte de
Lisle, dont il fut tour à tour élève, professeur, proviseur, avant de mener une
carrière d’administrateur et d’homme politique ( Il fut président du Conseil Général et Sénateur).
C’est un personnage hors du commun, loué par les uns, critiqué par les autres pour ses
responsabilités lors des émeutes de 1848 et de 1866. On lui reproche en particulier son autoritarisme
dans la direction du Lycée et son népotisme quand son gendre prend sa succession comme proviseur.
Buste de Théodore Drouhet dans le jardin à l’abandon du Plais Rontaunay.
(3) Transformation du Lycée Leconte de Lisle en Collège Bourbon en 1968.
En 1968 l’administration de l’Éducation Nationale décida de transformer le Lycée en collège. Ce fut
l’occasion d’une levée de boucliers des membres de l’Association des Anciens Élèves du Lycée,
avec à leur tête Jacques LOUGNON, ancien professeur, Hyppolite FOUCQUE, ancien chef de
l’Instruction Publique, le Dr LAMARQUE… Ils s’insurgeaient contre cette transformationdécapitation. Voici ce qu’écrivait alors Mr DEFOS DU RAU, ancien professeur du Lycée,
professeur à la Faculté d’Aix et auteur d’une thèse magistrale sur La Réunion.: « Toute son élite (de
La Réunion) y a été formée. Même en tenant compte des reconstructions après l’incendie, il
constitue l’un des plus vieux monuments de l’île, celui qui a procédé à l’éducation de toutes ses
générations de bacheliers. Tout ce que La Réunion compte d’érudits y a des souvenirs d’enfance
studieuse et d’initiation à la culture. Le vieux Lycée est l’élément essentiel… du patrimoine culturel
de l’île. » Le dernier mot resta cependant à l’administration qui n’avait que faire de l’attachement
des Réunionnais à leur histoire et à leur patrimoine…
Lieu d’enseignement ou bâtiment administratif ?
Il en fut tout autrement au début des années 1980 lorsque le responsable de l’Éducation Nationale à
La Réunion, Mr Boyer, jeta son dévolu sur l’ancien Lycée pour en faire son Vice-Rectorat. Il
avançait comme raison que la majorité des élèves qui le fréquentaient n’étaient pas du secteur
scolaire, ce qui était une contre-vérité. Il trouva face à lui, les anciens élèves du Lycée, les
enseignants, les associations de parents d’élèves qui, tous se regroupèrent, se constituèrent en
association et organisèrent un grand défilé, de l’établissement à la rue de la Compagnie, siège du
Vice-Rectorat. Devant les manifestations qui commençaient à prendre de l’ampleur,
l’administration préféra renoncer à son projet.
(4) « casser la blague » : discuter, bavarder
(5) Le portier était surnommé bichique : il était, en effet, fort fluet…Le bichique (Cf. Vikipédia)
désigne l’alevin de deux espèces de poissons : le cabot à tête de lièvre (Sicyopterus lagocephalus) et
le cabot à tête ronde (Cotylopus acutipinnis), tous deux de la famille des gobiidés.
(6) La chapelle : La séparation de l’église et de l’État a été votée en 1905 (différentes lois sur la
laïcisation sont antérieures), mais La Réunion a toujours eu quelque retard sur la France
métropolitaine quant à l’application des textes officiels. C’est ainsi qu’en 1950 le Lycée possédait
sa propre chapelle qui donnait dans la cour du Lycée, que tous les dimanches avait lieu la messe
pour les lycéens, les enseignants et les parents d’élèves, que s’y déroulait chaque année la première
communion solennelle des petits lycéens. En outre L’aumônier, en l’occurrence le père Mondon,
devenu évêque par la suite, officiait pour toutes les classes et il était très mal vu que l’on ne
fréquente pas les cours d’instruction religieuse. À l’époque ni l’islam, ni l’Hindouisme n’était
officiellement reconnu.
(7) Le cachot : Par l’Ordonnance du 24 décembre 1818 le gouverneur Milius précisait les
récompenses pour les bons élèves et les sanctions pouvant être appliquées aux mauvais sujets. Pour
ces derniers il précisait que les punitions « toujours proportionnées à la nature des fautes »
pouvaient être « la privation de récréations et de promenades, les réprimandes publiques, les
pensums, les annotations humiliantes en classe, enfin les arrêts, la prison, le cachot et le renvoi du
collège » (Cf ; Le Mémorial, tome 2, P. 444)… Lors de notre visite au Collège Bourbon on nous a
fait voir le cachot. Le cachot et les annotations humiliantes auraient été supprimés comme sanction
à partir de 1829 (Cf. Histoire de La Réunion. De la colonie à la région. Sous la direction de
Combeau et Maestri. P.38.Nathan 2002).
SOURCES :
– Patrimoine des communes de la Réunion, Editions Flohic, Paris, 2000.
– Mémorial de la Réunion, Australe Editions, Tome 2 (Le Cap, 1979), Tome 3 (Le Cap, 1980).
– C’était hier, JIR, Daniel Vaxelaire, n° 12 (août 2007), n° 57 (février 2010), n° 82 (août 2010).
– « Hommage à Théodore Drouhet » d’Eugène Rousse.Graphica 1995.
– Journées Européennes du Patrimoine (D.A.C.O.I. 15 & 16 septembre 2012).
– Une visite au Musécole du Collège Bourbon s’impose lors des Journées du Patrimoine.
Rappelons, en effet, que ce Musécole s’efforce de sensibiliser les élèves et le grand public au
patrimoine historique que représente cet établissement.