Génétique et amélioration animales au service de l`élevage

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Génétique et amélioration animales au service de l`élevage
Dès le milieu du 20e S, la génétique des populations, l’insémination
artificielle, le contrôle laitier, intègrent le monde de l’élevage, via les
associations d’éleveurs. Début 80, les augmentations de productions
dépassent toutes les attentes, les quotas laitiers sont instaurés. Les
performances individuelles et des caractères de type qualitatifs intègrent les
programmes de sélection.
Comment le généticien répond-t-il aujourd’hui aux attentes des éleveurs ?
Quels systèmes d’évaluation met-il en place ?
Génétique et amélioration animales
au service de l’élevage
Gengler N.1,2, Croquet C.1,2, Gillon A.2, Mayeres P.2,3, Vanderick S.2
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Fonds National de la Recherche Scientifique,
Rue d’Egmont 5, 1000 Bruxelles.
Unité de Zootechnie, Faculté universitaire des Sciences agronomiques,
Passage des Déportés, 2, 5030 Gembloux
3
Association Wallonne de l’Elevage,
Chemin du Tersoit, 32, 5590 Ciney
La génétique et l’amélioration animales sont des domaines peu connus du grand public.
Elles se situent au carrefour de l’élevage, de la génétique, de la statistique, de l'économie,
de l’informatique, voire de la politique et du commerce international. L’importance du
facteur animal dans tout processus de production est évidente. Le rôle que doit jouer
l’amélioration animale dans ce contexte est d’adapter les animaux à travers la sélection
afin de garantir une production économique et écologique de produits sains et de qualité
nutritionnelle élevée et ceci dans des conditions correctes de bien-être animal. Cette
adaptation est permanente car inscrite dans leurs gènes et l’amélioration du potentiel
génétique est cumulative à travers les générations. L’objectif du présent document est de
donner un aperçu succinct des développements des 25 dernières années, des avancées
récentes en génétique et amélioration animales avec l’exemple particulier de la sélection
laitière en Wallonie et des perspectives à moyen et long termes.
1. Développement de l’amélioration animale durant les 25 dernières années
Entre 1980 et 1995, l’élevage a connu une évolution fulgurante avec quelques tendances
bien affirmées de spécialisation et d’intensification. Certains développements sociétaux,
politiques et économiques, tels que les quotas laitiers ou les diverses réformes de la
politique agricole commune, ont joué un rôle important dans cette évolution. Ces
développements se traduisirent surtout au niveau des objectifs de sélection qui sont les
éléments moteurs de tout effort de sélection. Un deuxième facteur guidant l’évolution de la
génétique animale a été le développement des méthodologies et des moyens mis en œuvre.
Un autre élément souvent oublié a été le changement de mentalité sur le terrain qui n'est
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certes pas encore terminé, en particulier dans certaines spéculations, mais qui s’opère avec
une nouvelle génération d’éleveurs plus avertis sur le monde, les attentes des
consommateurs et les possibilités technologiques. Un dernier facteur de la sélection
animale est l’apparition de sociétés de sélection suite à l’émergence d’une mondialisation
de la sélection.
Afin de mieux refléter tous ces développements, il faut distinguer des différences suivant
les aspects méthodologiques, les espèces et les spéculations impliquées.
1.1. Développements méthodologiques
De nombreux développements algorithmiques et méthodologiques ont permis de faire
évoluer la génétique et l’amélioration animales. Un des plus important fut la généralisation
de l’estimation du potentiel génétique des animaux (mâles et femelles) avec des modèles
statistiques non biaisés basés sur des comparaisons équitables des animaux. On parle de
meilleure prédiction linéaire non biaisée souvent désignée sous l’acronyme anglais BLUP
(Best linear unbiased prediction) associée à un modèle animal. Un autre développement
majeur fut la généralisation de l’utilisation d’index de sélection de type global ou
économique. Ceux-ci ont éliminé l’utilisation de seuil de sélection indépendant génétiques,
voir phénotypiques, en traduisant la meilleure prédiction d’un objectif de sélection
économique. Associé à ce dernier de plus en plus de réflexions socio-économiques se sont
ajoutées impliquant des questions liées à la santé et au bien-être. Dans ce contexte,
l'exemple de la santé du pis des vaches laitières, caractère qui a des implications diverses
pour l’animal, le producteur, la qualité du produit et le consommateur, peut être cité.
Une des plus importantes évolutions de la sélection animale a été le développement de
biotechnologies permettant la disponibilité d’informations moléculaires en sélection
animale. Avec les progrès enregistrés en génétique moléculaire depuis une vingtaine
d'années dans l’étude de l’ADN, il est maintenant possible d’analyser le patrimoine
génétique des animaux. Des études essaient de relier des différences moléculaires entre
animaux avec leurs phénotypes. Si on dispose du gène ou locus particulier on parle de
QTL/ETL (quantitative ou economical trait loci), dans beaucoup de cas, la terminologie de
« marqueurs moléculaires » ou « marqueurs génétiques » est plutôt utilisée: le gène
d’intérêt n’étant pas connu précisément mais seulement marqué. Ces recherches ont déjà
donné des résultats intéressants et importants en ce qui concerne des caractères simples tels
que des maladies génétiques. En ce qui concerne des caractères quantitatifs, certains
résultats actuels sont encourageants. Malgré ceci, il n’existe pas encore une stratégie
clairement établie montrant comment utiliser d’une façon correcte et non biaisée de
l’information moléculaire lors de la détermination du potentiel génétique et de la sélection
des géniteurs.
1.2. Bovins laitiers
La sélection des bovins laitiers est traditionnellement à la pointe du progrès en génétique et
amélioration animales. Plusieurs raisons expliquent ce phénomène. La première est que le
contrôle des performances laitières est ancien et bien établi, donc des données permettant
une sélection efficace existent en quantité. Ainsi, nous disposons en Wallonie d’environ 30
années de contrôles laitiers utiles et disponibles pour nos évaluations. La deuxième est que
l’utilisation de l’insémination artificielle est répandue, ce qui permet de disséminer
facilement le fruit de la sélection constituant le progrès génétique. La dernière raison est
que la sélection laitière s’effectue depuis au moins quarante années dans un climat
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international favorable à des échanges scientifiques, techniques voire commerciaux
permanents, ce qui a stimulé une grande dynamique dans l’évolution de la sélection. Dans
le chapitre suivant nous allons mettre ceci dans le contexte des évolutions récentes de
l’amélioration génétique des bovins laitiers wallons.
Du point de vue contrôle des performances laitières, un des objectifs majeurs a toujours été
un suivi des animaux afin de donner au producteur des outils de gestion. Tout
naturellement, les performances laitières ont été enregistrées, mais aussi les taux de
matières grasses, puis de protéines. Ceci a été rapidement élargi vers des caractères de
disposition et de facilité de traite. Des caractères de santé et de bien-être tel que la facilité
de vêlage et de qualité hygiénique du lait et de santé du pis se sont également ajoutés.
Certains pays nordiques sont même allés plus loin dans cette direction en enregistrant
divers types de maladies tels que les mammites et des maladies métaboliques. D’autres
informations annexes découlent des éléments enregistrés par le contrôle laitier telles que la
fertilité et la longévité des animaux. En dernier lieu il faut citer l’utilisation massive, dans
certaines régions du monde (dont la Wallonie), de la classification objective des animaux
appelée classification linéaire. Celle-ci est un moteur important dans le suivi de la
morphologie et joue un rôle déterminant dans la gestion raisonnée des accouplements. Un
organisme international appelé ICAR (International Committee for Animal Recording)
facilite les échanges techniques et veille à une standardisation des méthodes.
Cette richesse d’informations a permis à la sélection des bovins laitiers d’opérer une
réorganisation majeure dans les dernières 15 années, en passant d’une sélection ayant pour
but unique d’augmenter la production vers une sélection ayant un objectif plus équilibré.
Dans le chapitre suivant, nous allons mettre ceci dans le contexte des évolutions récentes
de l’amélioration génétique des bovins laitiers wallons.
Un dernier élément, qui a été jusqu’à présent un stimulant pour la sélection bovine, est
l’ouverture internationale de celle-ci avec une situation de concurrence saine dans laquelle
il y a un échange objectif et scientifique. Ceci est le mérite particulier de l’existence
d’INTERBULL un organisme qui permet des comparaisons équitables entre géniteurs de
différents pays. Ceci a aussi permis à la sélection des bovins laitiers de rester au niveau des
éleveurs et de structure d’élevages proches de ceux-ci contrairement à d’autres
spéculations.
1.3. Bovins viandeux
La sélection des bovins viandeux ne peut pas se baser sur une si riche tradition de contrôle
des performances. Ce contrôle est rarement lié à un souhait de gestion, mais est plutôt vu
comme une nécessité de testage des géniteurs. Ce fait, limite dans beaucoup de situations
la quantité et le type de données disponibles. Un exemple concret est l’engraissement des
taurillons qui est rarement suivi, or il s’agit de l’activité génératrice de revenu la plus
importante pour la filière production de viande.
Il existe fondamentalement deux approches complémentaires qui sont le contrôle des
performances propres, souvent en station, et le contrôle des performances en ferme. Cette
situation d’observations obtenues dans différents environnements et à différents stades de
la vie des animaux a mené la sélection des bovins viandeux à utiliser les premiers systèmes
d’évaluation génétique multi caractères liant par exemple poids à la naissance et poids au
sevrage. Associés au modèle animal, ces systèmes d’évaluation génétique ont permis de
réorienter dans certains pays la sélection. Par exemple, les Etats-Unis d’Amérique ou les
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producteurs de viande achètent des reproducteurs mâles de race pure basé sur les valeurs
d’élevages estimées pour ces géniteurs à leur sevrage.
1.4. Porcs et volailles
La sélection porcine a glissé dans les dernières décennies vers l’apparition d’opérateurs de
type industriel (maisons de sélection). La sélection, dans ces « maisons », s’opère de façon
fermée (« inhouse ») donc indépendamment de toutes celles effectuées ailleurs en
travaillant sur des noyaux de sélection constitués de souches spécialisées. Le produit
commercialisé est généralement de type porcs croisés (hybrides) associant des caractères
souhaités et exprimant une certaine hétérosis pour les caractères d’intérêt. Une
caractérisation majeure de la sélection porcine industrielle est le haut degré de
« scientification » de celle-ci, comme visible dans les tendances affirmées de sélection
impliquant des informations moléculaires. Les maisons de sélection s’intègrent souvent
dans des structures qui contrôlent verticalement la production porcine y compris
l’alimentation.
A côté de cette sélection industrielle porcine, il y a toujours une sélection plus
traditionnelle dans les mains des éleveurs qui a survécu en suivant les mêmes directions
tout en gardant une sélection ouverte. Cette ouverture se fait à des degrés variables suivant
les régions du monde. Avec les récents développements de filières de qualité différenciée,
la sélection organisée d’une façon plus traditionnelle a ainsi retrouvé un nouveau souffle.
La sélection des volailles a atteint un degré d’industrialisation qui va bien au-delà de celui
des autres spéculations. La sélection traditionnelle est relayée à une sélection qui est restée
orientée vers le concours. Même le développement de filières de qualité différenciée n’a
pas encore eu un impact important sur celle-ci. En effet, si par exemple on a besoin de
souche à croissance lente, on fait appel à des maisons de sélection.
1.5. Autres espèces
La sélection pour les autres espèces oscillent dans son organisation entre le modèle de
bovins et celui des volailles, les grandes espèces étant plus proches des premiers.
2. Description des systèmes d’évaluations génétiques utilisées en Wallonie
Dans le cadre de la régionalisation de l’agriculture en Belgique, la Wallonie développe ses
propres systèmes d’évaluation génétique et notre groupe participe activement à cet effort.
Le but de chaque système d’évaluation génétique est de permettre aux éleveurs de disposer
d’outils adaptés à leurs besoins. Des index synthétiques ont été développés. Des recherches
sont en cours concernant la fertilité et la longévité. Le but de ce chapitre est de donner une
brève synthèse des systèmes développés à la FUSAGx et utilisés en collaboration avec
l’Association Wallonne de l’Elevage
2.1. Caractères de production :
Depuis novembre 2002 les systèmes d’évaluation génétique pour les caractères de
production et de conformation sont opérationnels. Les évaluations génétiques wallonnes
pour les caractères de production (quantité de lait, matière grasse et protéine) sont basées
sur un modèle jour du test (« test-day model »). La caractéristique principale de cette
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approche est qu’elle permet d’utiliser tous les résultats individuels obtenus lors des
contrôles laitiers. La méthode utilisée en Wallonie possède certaines particularités par
rapport à celles des autres populations, ceci afin de coller au mieux à la situation des
élevages wallons :
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modélisation multi-race, ce qui correspond le mieux à la structure de nos
troupeaux.
modélisation multi-lactation (première à troisième) et multi-caractère (lait,
matière grasse, protéine).
modélisation des courbes de lactation intra-troupeau et année de vêlage avec
régression du résultat vers la courbe de lactation de la population.
modélisation et pré-correction pour des différences des courbes et de l’évolution
des lactations due à l’âge et à la race, en fonction de la composition raciale.
Les résultats (« valeurs d’élevage ») qui proviennent directement de ce calcul sont
exprimés en équivalent 305 jours de lactation et comme moyenne des trois premières
lactations. Les résultats domestiques des taureaux disposant de suffisamment de filles en
Wallonie sont envoyés à INTERBULL. En retour, INTERBULL renvoie des valeurs
d’élevage internationales pour ces taureaux et de nombreuses autres, exprimées en base
wallonne. La méthode de calcul est une analyse multi-pays (populations) appelée MACE
(Multiple Across Country Evaluation) et se laisse schématiser comme décrite dans la
Figure 1.
(Source INTERBULL)
Figure 1. Représentation schématique du travail d’INTERBULL
2.2. Cellules somatiques :
La Wallonie utilise en routine une évaluation génétique pour les cellules somatiques depuis
mai 2003 et des valeurs d’élevages internationales pour les taureaux sont donc disponibles
sur base wallonne.
L’approche utilisée est un modèle jour du test similaire à celui utilisé en production.
L’évaluation génétique cellules somatiques se base sur des comptages cellulaires (SCC)
transformés
sur
une
échelle
logarithmique
score
cellulaire
(SCS)
:
SCS = [ log 2 (SCC/100000)] + 3 . Le score cellulaire varie donc autour de 3. Le modèle
d’évaluation génétique est très similaire au modèle jour de test utilisé pour la production.
Deux modifications ont été effectuées :
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•
•
pas de régressions aléatoires intra-troupeaux.
introduction d’une pondération des observations par une fonction exprimant la
suspicion qu’elles soient associées à un événement de mammite.
Cette dernière modification est significative car elle permet de passer d’une évaluation
purement descriptive des cellules à une évaluation qui maximise la corrélation entre
mammites et résultats des cellules. La méthode de pondération est basée sur la
comparaison du SCS observé et du SCS attendu à chaque jour de test.
2.3. Caractères de conformation (type) :
Les évaluations génétiques wallonnes pour les caractères de conformation suivent de très
près le travail de classification fait sur le terrain. En effet, les éleveurs disposent des
valeurs d’élevage pour les 25 caractères linéaires classifiés et les 8 caractères synthétiques,
donc plus que les 19 caractères d’INTERBULL. La méthode de calcul est fort évoluée
associant approche multi-caractère et multi-lactation, présence de valeurs manquantes et
ajustement pour les différences de variances entre classificateurs, troupeaux et dans le
temps.
2.4. Index global V€G et index partiels V€L, V€T (V€C, V€P et V€M), et V€F :
Afin de permettre aux éleveurs wallons de choisir des géniteurs malgré l’existence de plus
que 30 caractères évalués, un index synthétique global appelé Valeur Economique Globale
(V€G) a été développé. Celui-ci se compose de plusieurs index synthétiques partiels
reprenant les caractères de production laitière (Valeur Economique Lait – V€L : 55% du
V€G), les caractères de morphologie fonctionnels (Valeur Economique Type fonctionnel –
V€T : 36% du V€G) et les caractères fonctionnels (Valeur Economique Fonctionnelle –
V€F : 9% du V€G) limités actuellement à la santé du pis.
3. Conclusions et perspectives d’avenir
La génétique et l’amélioration animales ont joué et jouent toujours un rôle important dans
le développement des productions animales. Aussi, grâce à une collaboration maintenant
intense entre universités et associations d’élevage, on a réussi à faire évoluer l’amélioration
génétique laitière de façon décisive en Wallonie.
Diverses perspectives s’ouvrent pour l’instant en génétique et amélioration animales, les
plus importantes sont :
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•
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•
ajout des informations moléculaires pour les évaluations et la sélection.
utilisation des possibilités informatiques,
amélioration des méthodologies de calculs en général,
diversification des caractères repris dans l’objectif de sélection, proche des
attentes des consommateurs et de la société,
meilleure intégration de la génétique dans la gestion et le management en
particulier à travers des modélisations à finalité non uniquement génétique (projet
VALLAIT),
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gestion de la biodiversité et intégration de la consanguinité dans la sélection.
Mais l’élément clé reste dans ce domaine la transmission de la connaissance et des
informations génétiques vers le terrain, voire vers le public impliqué directement ou
indirectement dans la sélection. En effet, si on veut améliorer la compréhension de ce
domaine, des efforts de communication importants sont nécessaires. Dans cette optique
nous avons établi en collaboration avec l’Association Wallonne de l’Elevage un site
Internet (http://www.elinfo.be/) qui permet, à toute personne intéressée, de trouver des
informations en français et en anglais sur les systèmes d’évaluation génétique wallons et
sur les résultats des taureaux évalués. Tous ces efforts commencent à porter leurs fruits. En
effet, on observe une acceptation croissante et une meilleure connaissance de la génétique
et de l’amélioration animales sur le terrain ce qui permettra aux éleveurs wallons de tirer
profit à court, moyen et long termes de nos recherches scientifiques.
4. Remerciements
N. Gengler qui est Chercheur qualifié et C. Croquet qui est Aspirant remercient leur
soutien de la part du FNRS. Les auteurs remercient aussi la Région Wallonne – Direction
générale de l’Agriculture pour son soutien et l’Association Wallonne de l’Elevage pour sa
contribution.
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