« Au Festival de Cannes,
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« Au Festival de Cannes,
« Les mémoires de la guerre d’Algérie : lecture historique » « Colonisation et décolonisation » (Premières L-ES) « La République face à la question coloniale » (Première S) (Terminales L-ES-S) Ce corpus est composé de deux critiques du film de Mohammed Lahkdar Hamina, Chronique des années de Braise, Palme d’or à Cannes en 1975. Le film a aussi été sélectionné au titre des meilleurs films étrangers aux Oscars en 1976. Le premier texte, paru dans L’Humanité, quotidien communiste (fondé en 1904) perpétue la vision du PCF à l’égard des guerres coloniales ou de libération et salue la sortie d’un film qui restitue aux Algériens une partie de leur histoire. Le second texte, tiré de Valeurs actuelles, émane d’un hebdomadaire fondé en 1966, qui se positionne résolument à droite et ravale vigoureusement le film au rang de « mensonge » et d’entreprise de falsification de l’Histoire. CONSIGNES de travail : montrez : - en quoi ces deux documents attestent qu’en France, treize ans après la guerre d’Algérie, les mémoires sur le conflit sont encore vives et antagonistes ? - en quoi les auteurs, qu’ils soient favorables ou réticents à l’égard de l’indépendance algérienne, conservent et portent chacun un regard colonial sur l’Algérie, hérité de l’entre-deux-guerres ? Document 1 Critique parue dans L’Humanité du 13 mai 1975 « Au Festival de Cannes, de notre envoyé spécial François MAURIN ‘’Chronique des années de braise’’, de Lahkdar Hamina et Tewfik fares, marque l’entrée de l’Algérie dans la compétition officielle, dix ans après l’accession à l’indépendance. C’est une sorte d’immense fresque réalisée avec des moyens considérables (énormes même si on songe au budget moyen d’un film algérien actuel, au budget global consacré par année à la production algérienne), des centaines de figurants, faisant appel à de nombreuses reconstitutions en costumes, à la couleur et à la stéréophonie. (…) L’aboutissement d’un long trajet ‘’Ce film dont le récit commence en 1939 et se termine le 11 novembre 1954, avertit l’auteur, n’a pas la prétention de raconter toute l’histoire de l’Algérie. A travers des repères historiques, il essaie d’expliquer que le 1er novembre 1954 (date du déclenchement de la révolution algérienne, n’est pas un accident de l’histoire, mais l’aboutissement d’un long trajet entrepris par le peuple algérien… ‘’. Partant de ce postulat, dont Patrick MOUGENET www.cinema-et-histoire.fr l’évidence ne saurait être contestée, l’auteur entreprend de brosser une vaste fresque mettant largement à contribution la photogénie du Sud algérien, la beauté des couleurs, le chatoiement des costumes, la splendeur des chevaux, les mouvements de foules et d’appareils, rythmés par un montage faisant alterner temps forts et de repos, tandis qu’un personnage mi-fou mi-prophète (et interprété par Lahkdar Hamina luimême), commente les événements sous forme de paraboles. L’eau (l’absence de l’eau, la lutte pour l’eau, d’abord entre les paysans algériens eux-mêmes, puis entre les paysans algériens et le colonialisme) est ici utilisée comme symbole, non seulement au premier degré comme source de vie, mais aussi dans une interprétation plus large comme signe d’avenir, de résurrection à l’échelle de la nation prenant en main sa destinée, culturellement, économiquement. Le danger d’une telle démarche – qui n’a pas été totalement évitéétait de tomber dans le défaut d’une certaine imagerie négligeant les nuances du réel, la complexité des rapports à tous les niveaux entre les ‘’bons’’ et les ‘’méchants’’ (étant bien entendu comme c’est dit dans le film que cette frontière ne se situe pas seulement entre colonisateurs et colonisés) à une imagerie ‘’sulpicienne’’ des prémices de la révolte et du développement de cette dernière. Sans doute faut-il accuser davantage, dans ce domaine, la forme même du film. La recherche des effets esthétiques auxquels celle-ci donne lieu que la conception globale parfaitement justifiée dans l’essence qui fut à son origine (sic). L’erreur semble-til en l’occurrence, est d’avoir eu recours à toute une série de signes suffisamment étiquetés dans le cinéma mondial (principalement américain et soviétique) pour priver l’œuvre de la spécificité qu’on pourrait en attendre. Cela dit, ‘’Chronique des années de braise’’ constitue l’hommage indispensable rendu à la lutte, à la personnalité du peuple algérien, au terme de cette décennie d’indépendance » Document 2 Critique parue dans Valeurs actuelles du 24 novembre1975 « CHRONIQUE DES ANNEES DE BRAISE Film de Lakhdar-Hamina . L’Algérie indépendante souffre du complexe des pays neufs : il lui manque un passé, une tradition, une culture, en un mot une histoire. A défaut une légende. Car les légendes sont une nécessité primordiale pour ces nations naissantes, parfois artificielles, qui se cherchent des racines –c’est-à-dire une légitimité- audelà de l’Histoire. Celle-ci s’estompant alors au profit du mythe. Mohammed Lahkdar-Hamina, cinéaste hagiographe du jeune Etat algérien, s’est dévoué pour offrir à ses compatriotes, orphelins d’Epopée, une légende acceptable. Condenser quinze ans d’histoire (de 1939 à 1954) en une fresque de trois heures de projection et, à partir de quelques repères historiques, raconter la naissance d’une nation comme poème épique demandaient du souffle, mais surtout beaucoup d’aplomb. Lahkdar-Hamina a beau jeu d’affirmer qu’il n’a pas cherché à faire œuvre d’historien : il sait bien que la légende c’est ce qui reste finalement dans la mémoire d’un peuple quand celui-ci a tout oublié de son histoire. . . Vision partisane . A travers la vision d’un fellah chassé de sa terre par la sécheresse en 1929, l’auteur discerne les germes du soulèvement de 1954. Pour lui, la colonisation fut une sorte de fléau endémique qui engendra tous les autres comme une fatalité à laquelle le peuple mit un terme quand il déclencha le processus révolutionnaire qui le conduisit de la passivité à l’émeute et de l’émeute à la révolution, puis à l’indépendance. Ce processus s’articule autour de quelques événements jugés significatifs : ce serait l’expropriation des bonnes terres qui aurait rendu la sécheresse de 1929 si catastrophique et poussé les paysans affamés à fuir vers les villes, provoquant une épidémie de typhus. Ce serait la tentative de ’’dépersonnalisation’’ d’un peuple qui aurait, tout au contraire, provoqué un réveil de la conscience populaire, faisant souhaiter aux Algériens la victoire de Hitler pour qu’il les ’’débarrasse de la France’’ et aurait abouti à la création des premiers maquis nationalistes. On n’en finirait plus de réfuter une vision des choses aussi partisane, manichéenne et démagogique. Une telle caricature de l’œuvre de la France ramène le film à ses dimensions réelles : une histoire pleine de bruit et de fureur racontée par un fou, en l’occurrence en personnage illuminé (interprété avec complaisance par Lahkdar-Hamina lui-même) qui traverse le film en jouant les prophètes à fort bon compte. Vouloir faire une épopée de l’histoire de la rébellion . . . . Patrick MOUGENET www.cinema-et-histoire.fr algérienne relève tout simplement de la mystification même –et surtout- si cela obéit à des nécessités poétiques ou politiques. C’est l’éternelle tentation de ceux qui veulent à la fois faire l’Histoire et l’écrire –ou la réécrire quand elle n’est pas présentable. Au peuple algérien qui n’était pas très sûr d’avoir vécu une aventure héroïque et qui doutait peut-être d’avoir remporté une vraie victoire, Lahkdar-Hamina a eu l’ambition généreuse d’offrir une geste épique et grandiose. Dans l’intention de souder les morceaux épars d’une personnalité algérienne mythique et de rendre au peuple ce que la colonisation lui aurait confisqué : son âme et sa fierté. Au mépris évident de la plus élémentaire vérité historique. Faut-il rappeler le mot de Ferhat Abbas : ’’j’ai visité les mosquées et les cimetières, j’ai interrogé les vivants et les morts. Nulle part je n’ai trouvé trace de la nation algérienne’’ ? Pour en forger une, suffirait-il d’assembler quelques bribes d’histoire et de laisser faire ensuite le fabuleux lyrisme oriental, celui des conteurs intarissables qu’on rencontre sur toutes les places de marché ? Cette démarche ne fait d’ailleurs qu’obéir à une tradition militaire qui affirme la suprématie du symbole sur la réalité, celle du verbe sur le fait, du maquis sur la guerre classique et de la psalmodie incantatoire sur l’objectivité. En ce sens, le cinéma de Lahkdar-Hamina, en dépit des multiples influences européennes qu’on y décèle, est un cinéma authentiquement oriental : le mensonge. L’affabulation et la démesure ne sont pas un ornement de l’expression, mais l’expression elle-même, l’essence de l’art de la vie. . . . Poésie imprécatoire . Malgré les réticences que nous inspirent les partis pris de l’auteur, on succomberait pourtant volontiers à l’enracinement de cette poésie imprécatoire et à la réelle beauté de certaines images du Sahara, en s’efforçant d’oublier qu’elles se nourrissent d’une odieuse diatribe antifrançaise – épopée oblige !- si justement on sentait passer un véritable souffle épique : un souffle qui balaierait les petitesses de la guerre pour n’en garder que les grandeurs et qui emporterait le didactisme, la propagande ou le fanatisme dans le tourbillon d’une générosité fraternelle. Mais Mohammed Lahkdar-Hamina n’a pas transfiguré l’Histoire, il l’a seulement défigurée. Cette ’’ Iliade’’ gonflée de vent n’est qu’une manière de western dans lequel une tribu d’indiens politisés viendrait à bout d’une poignée de Blancs dégénérés au terme d’un simulacre de tournoi. Allez faire une épopée avec si peu de chose ! N’est pas John Ford qui veut. . . . . Norbert MULTEAU .