Ovide, L`Art d`Aimer v439-467 - LYCEE MARC BLOCH Val-de

Transcription

Ovide, L`Art d`Aimer v439-467 - LYCEE MARC BLOCH Val-de
Ovide, L’Art d’Aimer v439-467
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Introduction.
Cf introductions précédentes.
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Texte Latin
Ut leuis absumptis paulatim uiribus ignis
Ipse latet, summo canet in igne cinis,
Sed tamen extinctas admoto sulpure flammas
Inuenit, et lumen, quod fuit ante, redit :
Sic, ubi pigra situ securaque pectora torpent,
Acribus est stimulis eliciendus amor.
Fac timeat de te, tepidamque recalface mentem :
Palleat indicio criminis illa tui ;
O quater et quotiens numero conprendere non est
Felicem, de quo laesa puella dolet :
Quae, simul inuitas crimen peruenit ad aures,
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Excidit, et miserae uoxque colorque fugit.
Ille ego sim, cuius laniet furiosa capillos :
Ille ego sim, teneras cui petat ungue genas,
Quem uideat lacrimans, quem toruis spectet ocellis,
Quo sine non possit uiuere, posse uelit.
Si spatium quaeras, breue sit, quo laesa queratur,
Ne lenta uires colligat ira mora ;
Candida iamdudum cingantur colla lacertis,
Inque tuos flens est accipienda sinus.
Oscula da flenti, Veneris da gaudia flenti,
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Pax erit : hoc uno soluitur ira modo.
Cum bene saeuierit, cum certa uidebitur hostis,
Tum pete concubitus foedera, mitis erit.
Illic depositis habitat Concordia telis :
Illo, crede mihi, Gratia nata loco est.
Quae modo pugnarunt, iungunt sua rostra columbae,
Quarum blanditias uerbaque murmur habet.
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Version.
Ut Comme leuis ignis un petit feu absumptim uiribus dont les forces se
consumment paulatim peu à peu
1
Ipse latet il disparaît cinis la cendre canet blanchit summo in igne l’ensemble
du foyer sed tamen et pourtant admoto sulpure en ajoutant du soufre flammas
extinctas les flammes éteintes inuenit se rallument et lumen et la lumière quod
fuit ante qui existait auparavant redit revient : sic de même ubi quand pigra
pectora securaque les cœurs paresseux et tranquilles torpent s’endorment situ
dans ce genre de situation amor l’amour est eliquiendus doit être réveillé acribus
stimulis par des aiguillons acérés. Fac timeat de te fais en sorte qu’elle te craigne
recalface et qu’elle réchauffe tepidam mentem sont cœur tiède : palleat illa qu’elle
pâlisse indicio à l’indice criminis tui de ton infidélité ; O quater felicem Ô quatre
fois heureux et quotiens numero et (encore heureux) un nombre de fois que l’on
ne peut compter de quo celui dont puella laesa l’amie offensée dolet souffre :
quae et celle-ci simul aussitôt que crimen paruenit l’infidélité parvient ad aures
à ses oreilles inuitas malgré elle,
excidit s’évanouit, voxque colorque et la voix et les couleurs miserae de la
malheureuse fugit s’enfuient. Ille ego sim si je pouvais être celui cuius dont
furiosa laniet capillos l’hystérique arrache les cheveux : ille ego sim si je pouvais
être celui cui dont ungue les ongles petat teneras genas vont griffer les tendres
joues, quem (puissé-je être celui) qu’elle uiedeat lacrimans regarde en pleurant,
quem celui qu’elle spectet toruis ocellis observe de son petit œil torve quo sine
celui sans lequel non possit uiuere elle ne pourrait pas vivre posse uelit bien
qu’elle voudrait le pouvoir. Si quaeras si tu me demandes sptatium combien de
temps quo laesa queratur elle devra se plaindre de ton offense breue sit que cela
soit bref ne afin que ira colligat sa colère ne rassemble pas uires ses forces lenta
mora à cause d’un trop long délai ; candida colla que son cou blanc iamdudum
désormais cingantur lacertis soit entouré de tes bras, flensque et que celle qui
pleure est accipienda soit accueillie in tuos sinus sur ta poitrine, da oscula flenti
donne des baisers à celle qui pleure da Veneris gaudia donne les plaisirs de Vénus
flenti à celle qui pleure,
Pax erit et ce sera la paix : hoc uno modo par ce seul moyen ira soluitur sa
colère sera dissipée. Cum Quand bene saeuierit elle se sera bien déchaînée cum
quand uidebitur elle sera perçue hostis certa comme un ennemi avéré tum pete
alors demande foedera concubitus un traité sur l’oreiller erit mitis elle deviendra
plus douce. Illic c’est là habitat Concordia qu’habite la Concorde depositis stelis
une fois les armes déposées : illo c’est là crede mihi crois moi Gratia nata est c’est
là que le Pardon est né. Modo columbae c’est de cette manière que les colombes
quae pugnarunt qui se sont battues iungunt sua rostra rejoignent leurs becs,
quarum murmur dont le roucoulement habet blanditias uerbaque est plein de
caresses et de douces paroles.
4
4.1
Commentaire.
Introduction.
Cf introductions des textes précédents. Dans cet extrait, Ovide présente les
divers moyens pouvant permettre, après la conquête si difficile, de conserver
l’amour de la femme. Selon lui, il existe l’arme ultime, imparable : la jalousie.
2
4.2
4.2.1
Raviver la Passion amoureuse.
Passion amoureuse : feu/flammes.
Il faut bien l’avouer, l’amour comparé à une flamme, cela n’a rien de bien
original. Il s’agit même d’un topos, un lieu commun fréquent dans la littérature
élégiaque ou tragique. On pourra trouver le champ lexical du feu : « ignis »,
« igne », « flammas », « lumen » (l’idée de lumière étant proche de celle du feu,
à l’époque où l’électricité n’existait pas). En revanche, là où réside l’originalité
d’Ovide, c’est dans le traitement de ce topos. En effet, d’habitude, le feu est
comparé à un brasier qui consumme/détruit tout. Or ici, il est mourant, et les
amants doivent le rallumer pour ne pas le voir périr.
On pourra noter à ce propos les qualifications de ce feu : « absumptis »,
« paulatim » (peu à peu 6= brasier ardent), il finit même « latet », il ne reste plus
que des « cinis ». Le feu est présenté comme faible, mourant, même, « extinctas »
4.2.2
La jalousie comme arme de séduction.
Mais ce feu mourant ne saurait convenir au séducteur assoiffé de conquêtes !
Comment peut-il ranimer la passion qui s’endort progressivement dans le cœur
tranquille de la femme ? « Sed tamen extinctas admoto sulpure flammas », nous
dit le poète, en utilisant au passage un chiasme. Ainsi, tout comme le feu, son
amour peut être ravivé. L’amant est sauvé ! « stimulis acribus » : il doit pour cela
faire souffrir la femme, une souffrance physique nécessaire : « est eliciendus ». On
pourra noter la gradation, la douleur physique passant à la douleur morale, avec
le vocabulaire du crime : « criminis », « crimen », « laesa », ce qui s’oppose aux
"félicitations" que le poète réserve à ceux qui suivraient ses conseils : « felicem »,
« O quatuor et quotiens numero » (hyperbole). Ainsi, le chant du poète est dans
cet extrait empreint d’amoralité.
4.3
4.3.1
Le jeu du poète et les jeux de l’amour.
La mise en scène du dépit amoureux.
« Simul », résonne comme un coup de théâtre, et insiste sur la brutalité du
« crimen », en raison de la violence de la réaction de la femme qui « excidit » et
devient instantanément une sorte de pâle fantôme. « Excidit et miserae uoxque
colorque fugit » : « miserae » placé à la coupe est mis en avant, et les deux
verbes, « excidit » et « fugit » encadrent le vers, ce qui insiste sur la fuite du
« uoxque colorque ».
Mais l’homme a presque intérêt à profiter de ce moment de calme, car bientôt
la femme bafouée se transforme en furie ! « furiosa » signifie la fureur au sens
folie furieuse, ce qui est accentué par les gestes tragiques "classiques" : « lagnet
capilos » (symbole du désespoir pendant un deuil) « ungere genas ».
Le vers 17 montre cependant que l’amant, au contraire de la femme, reste
froid et calculateur, « si spatium quaeras », il attend son heure, compte les
minutes pendant que la femme s’époumone et le griffe. Ovide fait ici preuve
d’un certain cynisme, comme le montre la fin de l’extrait : « Cum (...) tum »
("quand... alors"), dénotant presque une sorte d’algorithme, fonctionnant à tous
les coups. C’est l’heure de la réconciliation, du « foedera ».
3
4.3.2
Réconciliation : les jeux de l’amour.
La fin de l’extrait est consacrée à la réconciliation des deux amants : « concubitus », le lit commun ("con") explicite suffisament bien la manière de procéder...
Entente encore accentuée par « Concordia » : "con" ensembles, "cor" les cœurs.
Là encore, on pourra retrouver un lieu commun, celui des colombes, comparées
aux deux amoureux : « Quae modo pugnarunt iungunt sua rostra columbae »,
l’asyndète entre « pugnarunt » et « iungunt » marquant fortement l’opposition entre les deux termes (encore accentuée par le fait que les deux mots sont
presque des antonymes). Ainsi, le « murmur » des colombes est comparé au
roucoulement des amoureux de nouveau transis. Après la furie de la femme, le
« blanditias » sonne comme l’annonce d’une scène idylique...
4.4
Conclusion.
Ovide fait ici un rappel didactique, dans lequel il rappelle l’efficacité de ses
techniques, qui apparaissent comme des stratégies sans failles, pour lutter contre
l’ennemi le plus farouche qui soit. La violence de la réaction de la femme assure
en quelque sorte son attachement sincère au séducteur, qui doit veiller à rester
froid, afin de ne pas se laisser aller par l’emportement. Ainsi, le point de vue
d’Ovide est cynique, car même s’il accepte de jouer le jeu de la séduction, cela
n’est pour lui qu’une étape, que la femme doit nécessairement perdre, soumise
à ses pulsions tandis que l’homme reste maître de lui, détaché.
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