La cartographie des risques, un outil de management des

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La cartographie des risques, un outil de management des
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MÉTHODE
La cartographie des risques,
un outil de management des risques
en établissement de santé
M. Moulaire
Centre Hospitalier – Aubenas
I Marc Moulaire – Ingénieur sécurité – Gestionnaire des risques – Centre Hospitalier d’Aubenas – 07200 Aubenas
E-mail : [email protected]
L
a cartographie est un mode de représentation et
de hiérarchisation des risques d’une organisation
(1). C’est une composante essentielle du processus
de gestion des risques (2). Son objectif est de disposer d’un état des lieux global des vulnérabilités pour
l’ensemble des champs d’activité (3). La cartographie
des risques serait actuellement utilisée par 60 % des
grandes entreprises comme outil de gouvernance (4).
Dans une étude commandée par la Direction de l’hospitalisation et de l’organisation des soins (DHOS) pour
établir un modèle de gestion des risques en établissement de santé, un cabinet de consultants a préconisé une étude prédictive des risques sur la base de
l’analyse des processus, complétée d’une identifica-
Résumé
La cartographie des risques est la représentation graphique des
risques d’une organisation. Les grandes entreprises l’utilisent couramment alors que le monde de la santé en fait un usage encore
limité. Or la cartographie procure les informations de base nécessaires à la gestion des risques. Après un recensement général des
risques, ceux-ci sont évalués, hiérarchisés et représentés graphiquement en cartes. Trois questions se posent pour la mise en
œuvre en milieu hospitalier : quels risques choisir, quelles caractéristiques retenir, quelle représentation adopter ? Au centre hospitalier d’Aubenas, cette démarche a dans un premier temps été
appliquée aux risques professionnels puis étendue à la globalité
des risques de l’établissement. Au total, dix-sept familles de risques ont été identifiées. Les critères de gravité et de fréquence
d’occurrence ont été retenus, complétés par un critère de sécurité qui mesure l’efficacité dans la maîtrise du risque. Pour chaque
risque, la différence entre la criticité (fréquence x gravité) et la
sécurité (ou niveau de maîtrise) alerte sur des vulnérabilités plus
ou moins marquées. Ces différents éléments fournissent des pistes pour prioriser des actions d’amélioration dans le cadre d’un
programme global.
Mots-clés : Gestion du Risque – Hôpital – Méthode.
RISQUES & QUALITÉ • 2007 - VOLUME IV - N°4
tion des dangers potentiels sur les données rétrospectives fournies d’une part par le signalement interne
des événements indésirables, et d’autre part par les
données mises à disposition par les Agences ou organismes externes (Centre de coordination de la lutte
contre les infections nosocomiales (CCLIN), Agence
française de sécurité sanitaire des produits de santé
(AFSSAPS), assureurs, etc.) (5).
La démarche de cartographie est primordiale car elle
suscite le recensement général des risques, leur évaluation et leur hiérarchisation. Elle offre des représentations simples et didactiques, donnant une vision
d’ensemble aux décideurs pour orienter leurs choix
stratégiques d’action. Les cartes sont ensuite utilisées
Abstract
Risk mapping: a risk management tool in hospitals
Risk mapping is a graphical representation of the risks of an organization. Big companies commonly use it whereas the healthcare world
uses it in a restricted way. The mapping provides basic information
that is necessary for risk management. After a global risk inventory,
the risks are assessed, prioritized and graphically represented in the
form of maps. Three issues arise for the implementation in hospitals:
which risks should be chosen, which characteristics should be retained, which representation should be adopted? In the Aubenas hospital, France, this procedure was firstly applied to professional risks
and then spread to all of the hospital’s risks. In total, 17 risk families
were identified. The severity and occurrence frequency criteria were
retained, completed by a safety criterion that measures the risk control
effectiveness. For each risk, the difference between the criticality (frequency x severity) and the safety (or control level) provides information about more or less pronounced vulnerabilities. These various
elements provide directions for prioritizing improvement actions in
the framework of a global programme.
Key-words: Risk Management – Hospitals – Methods.
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LA CARTOGRAPHIE DES RISQUES, UN OUTIL DE MANAGEMENT DES RISQUES EN ÉTABLISSEMENT DE SANTÉ
pour suivre l’efficacité des stratégies mises en œuvre
et forment enfin un outil très pertinent de communication sur l’état des lieux.
La notion de cartographie de risques est cependant
absente des principes méthodologiques de la gestion
des risques publiés par l’Anaes en 2003 (6), ainsi que
des recommandations de la DHOS de 2004 (7). De
même, on relève cette absence dans le manuel d’accréditation V2 (8) et dans son guide d’aide à la cotation (9), bien que l’identification a priori des risques
soit abordée au critère 14b, en citant l’inventaire des
risques professionnels du document unique, et au critère 45a.
Après présentation de la méthode, son utilisation au
centre hospitalier d’Aubenas est présentée.
Méthode de production
de la cartographie
Première étape opérationnelle :
recenser les risques et les classer
Dans l’entreprise, l’objectif principal de la gestion des
risques est d’assurer la continuité et l’écoulement de
la production. L’analyse porte sur les risques d’image,
les risques liés aux relations humaines et sociales, les
risques aux personnes, aux biens, à l’environnement,
les risques d’atteinte à l’intégrité des informations et
aux pratiques de l’entreprise, les risques techniques
empêchant la production, et enfin les risques financiers (2).
Typologies des risques
Les classifications de risques, ou typologies, sont soit
bâties sur les causes : naturelles, humaines, techniques, économiques, environnementales, soit bâties
sur les conséquences : pertes d’exploitation, atteintes aux personnes, dommages aux biens, perte d’informations, engagement de responsabilité, sanctions
légales et pertes d’image (2).
S’ouvre alors un vaste débat sur la typologie des risques hospitaliers. On peut facilement identifier les
grandes catégories : risques pour les personnes (en
dissociant les patients ou les personnes hébergées, le
personnel, les visiteurs, les intervenants extérieurs),
risques pour les biens, risques pour l’environnement,
risques socio-économiques. Par contre, la recherche
du détail expose au risque d’oubli ou au contraire de
redondance. On trouve dans la littérature plusieurs
exemples :
• les recommandations de l’Anaes sur la gestion des
risques (6) différencient les risques spécifiques aux
activités médicales et de soins (risques iatrogènes,
nosocomiaux et organisationnels), les risques techniques et logistiques (incendie, pollution, rupture d’approvisionnement, panne notamment informatique),
les risques sociaux (grève, départ de personne-clé,
accident du travail, fraude et faute, risque d’image) ;
• les recommandations de la DHOS (7) distinguent les
risques liés à la prise en charge du patient (iatrogénie,
infections nosocomiales, coordination, identification,
information) et les risques de la vie hospitalière (professionnels, sociaux, alimentaires, transports, technique, environnement, système d’information, malveillance, risques financiers) ;
• le guide WEKA sur la gestion des risques (3) propose huit classes pour la cartographie des risques :
santé/sécurité du patient, santé/sécurité du personnel,
biens/environnement, social/managérial, données/
informations/savoir-faire, responsabilité, réputation,
et finance/comptabilité ;
• la SHAM, principal assureur des établissements de
santé en responsabilité civile, classe les risques en trois
familles : dispositifs médicaux et produits de santé, vie
hospitalière, et causes médicales (10) ;
• le ministère de la santé a recensé les textes réglementaires relatifs à la sécurité sanitaire dans les établissements de santé (11) selon sept chapitres pouvant
servir de trame : sécurité d’utilisation des produits de
santé et vigilances, gestion du risque infectieux, activité de soins, sécurité des personnes et des locaux,
sécurité alimentaire, fluides, gestion des déchets.
Approche par processus
Une autre approche pour identifier les risques avant
de les cartographier procède de l’approche processus
(12). Un recensement détaillé des différents processus
de production, des processus supports, et des processus de management d’une organisation, donne une
trame pour identifier les risques liés à chaque processus élémentaire. La cartographie des risques découle
alors naturellement de la cartographie des processus.
On relèvera par exemple :
• parmi les processus de prise en charge : les risques
infectieux, les risques anesthésiques, les risques opératoires…
• parmi les processus médico-techniques : les risques
d’exposition aux rayonnements, les risques d’erreur
d’identification de patient, la contre-indication médicamenteuse…
• parmi les processus logistiques : la toxi-infection
alimentaire, la contamination par contact avec les
déchets infectieux, la panne informatique, l’incendie, les risques électriques…
• parmi les processus de management : les risques
sociaux, la perte de personnes ressources, la rétention
d’informations…
Deuxième étape : choisir une méthode
d’évaluation pour quantifier le risque
Là encore, la littérature offre de multiples exemples.
Les critères « gravité » et « fréquence » bénéficient
d’un certain consensus (1) bien que la fréquence s’apprécie soit comme un taux d’événements indésirables
rapporté à un nombre total de mises en œuvre (13),
soit comme une fréquence (ou une probabilité) d’exposition au risque calculée par la durée d’exposition
RISQUES & QUALITÉ • 2007 - VOLUME IV - N°4
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LA CARTOGRAPHIE DES RISQUES, UN OUTIL DE MANAGEMENT DES RISQUES EN ÉTABLISSEMENT DE SANTÉ
Troisième étape : représenter graphiquement
les risques et leur évaluation
Les différents risques sont présentés sur des graphiques avec des positions ou des dimensions représentatives des critères d’évaluation. C’est la mise en cartes ou « mapping ». La représentation classique est
un graphique à deux axes, « fréquence » (ou probabilité, ou vraisemblance) et « gravité » dans lequel
des points représenteront chacun des risques retenus
(Figure 1 et figure 2 (15)). Mais on peut également
choisir d’autres axes, comme par exemple « criticité » (fréquence x gravité) et « coût de maîtrise ». On
remarquera que la SHAM présente le même type de
graphe où fréquence et gravité sont calculées sur des
sinistres réels (Figure 3 (16)). Chaque risque peut être
représenté par un point ou par un nuage de points
dans de tels graphiques si l’on veut tenir compte des
différents couples possibles de paramètres fréquence/
gravité par exemple. Plus précisément, la répartition
statistique de la criticité de chaque risque peut être
représentée avec des rectangles imbriqués de plus
en plus clairs aux extrémités exprimant la dispersion
autour d’une médiane (Figure 4).
Le diagramme en radar ou diagramme de Kiviat est
également couramment utilisé ; cet outil permet une
bonne visualisation du risque global
La cartographie peut être thématique en présentant
sur le graphique un seul risque mais avec une répartition par services ou globale en choisissant de repré-
RISQUES & QUALITÉ • 2007 - VOLUME IV - N°4
Figure 1 - Matrice de criticité.
Gravité
catastrophique
Risque non
acceptable
majeure
trés grave
significative
Risque
acceptable
mineure
le
le
ble
lle
ine
yab roba
ne obab
rta
n
e
c
o
r
p
i
p
e
u
cas
pe
squ
oc
pre
Probabilité
ro
inc
Figure 2 - Cartographie de risques.
5
RISQUE
INACCEPTABLE
GxP = 12
GxP = 6
4
Gravité
rapportée à la durée totale d’activité. Cette mesure de
l’aléa devient plus subjective quand on appréhende
des événements indésirables non encore produits ; on
se place alors sur des échelles de vraisemblance à partir de jugements d’experts (14).
La gravité, ou niveau des conséquences, est évaluée
subjectivement, par avis d’expert, de faible à forte, ou
quantitativement en mesurant par exemple les pertes
financières engendrées ou encore les pertes d’exploitation en jours de production (1).
Suivant les méthodes, d’autres critères sont utilisés,
comme la détectabilité (AMDEC), l’étendue, le coût
de maîtrise, le niveau de maîtrise (14), etc.
Quant à la mesure de ces critères, la variabilité est
encore plus grande, avec des cotations en lettres, en
nombres discrets (et classiquement sur une échelle de
1 à 4), en pourcentage continu (de 0 à 100 %) ou en
note (0 à 20 par exemple).
Les évaluations sont plutôt qualitatives dans une première approche. L’appréciation est très subjective car
elle est liée au métier de l’évaluateur, à son expérience, à son tempérament. La variabilité peut être
limitée en travaillant par consensus d’un groupe hétérogène, mais le résultat n’est pas entièrement satisfaisant. Pour une meilleure évaluation du risque, il faut
pouvoir s’appuyer sur des informations quantitatives,
sur des données peu sujettes à interprétation.
Risque 1
RISQUE
TOLÉRABLE
3
Risque 2
RISQUE
ACCEPTABLE
Risque 3
2
Risque 4
Risque 5
1
Risque 6
0
0
1
2
3
4
Probabilité
Figure 3 - Cartographie des risques initiaux d’après (15).
environnement
politiques
insécurité
programmatiques
stratégiques
management
techniques
sociaux
opérationnels
système
d'information
juridiques
professionnels
financiers
commerciaux
économiques
inacceptable
tolérable
acceptable
criticité
5
224
LA CARTOGRAPHIE DES RISQUES, UN OUTIL DE MANAGEMENT DES RISQUES EN ÉTABLISSEMENT DE SANTÉ
quences) et de leur niveau de maîtrise. À partir de ces
deux paramètres, une cartographie a été réalisée pour
permettre une vision globale des risques par unité de
travail et par famille de risque (Figure 6). Cette cartographie a permis ensuite une priorisation et l’élaboration d’un plan d’actions d’amélioration (20).
Figure 4 - Représentation statistique d’un risque.
m
Risque 1
4S
6S
Risque 2
Extension à la cartographie globale
des risques
Risque 3
Fort de cette première expérience, le centre hospitalier
d’Aubenas a décidé d’étendre la démarche d’analyse
a priori à l’ensemble des risques hospitaliers. L’ambition a toutefois été limitée aux risques pour les personnes et les biens, en excluant notamment les risques socio-économiques.
Classification des risques
Pour adopter une classification des risques pertinente
et surtout facile à comprendre par les professionnels,
l’établissement s’est appuyé sur l’organisation existante en matière de gestion des risques et sur les travaux déjà réalisés :
• le risque incendie est parfaitement réglementé, il est
géré par un chargé de sécurité, assisté d’une équipe
de sécurité. Il fait l’objet de formations, d’exercices
et de contrôle. Ce risque est évalué par un indicateur
développé spécifiquement dans l’établissement (21).
• les risques professionnels sont bien définis par le
document unique et déjà exploités (cf. ci-dessus).
• le risque infectieux (dont risques liés à « eau-airsurfaces », déchets, linge, grippe aviaire) est maîtrisé
par l’équipe opérationnelle en hygiène hospitalière
et les correspondants en hygiène, il est évalué par les
enquêtes de prévalence, l’indicateur composite Icalin,
il est supervisé par le comité de lutte contre les infections nosocomiales (CLIN).
• les risques liés aux produits de santé (médicaments,
produits sanguins, dispositifs médicaux) sont parfaitement cernés grâce leurs correspondants respectifs,
leur système de déclaration et leur traçabilité.
-------1---------2--------3 --------4--------5
Criticité
senter l’ensemble des risques repérés (Figure 5). Mais
dans ce dernier cas, la représentation est en général
limitée à une vingtaine de risques « majeurs », et ne
doit pas dépasser la trentaine pour des raisons de
lisibilité (2,3,17,18).
Une limite de ces divers modes de représentations est
qu’ils ne permettent de visualiser que deux paramètres caractérisant le risque. Avec les modèles développés ci-après, trois paramètres apparaissent.
Exemple de mise en œuvre au centre
hospitalier d’Aubenas
Première application : le document unique
d’évaluation des risques professionnels
Dans une approche de la gestion globale des risques,
le centre hospitalier d’Aubenas s’est d’abord intéressé
aux risques professionnels en élaborant le document
unique prévu par le décret du 5 novembre 2001 (19).
Le document doit rassembler les preuves d’une identification globale et exhaustive des dangers pour les
travailleurs, et de l’évaluation des risques. Une démarche participative a permis une identification exhaustive des situations à risque pour chaque unité de travail, suivie d’une évaluation de leur criticité (produit
de la fréquence d’exposition par la gravité des consé-
Coût moyen par sinistre en kF
Figure 5 - Cartographie des sinistres déclarés à la SHAM de 1991 à 2000 : répartition des spécialités en fonction
de la fréquence et de la gravité des sinistres déclarés.
600
obstétrique
500
400
anesthésie/
réanimation
300
neurochirurgie
chirurgie
cardio-vasculaire
200
chirurgie uro-viscérale
100
orthopédie
médecine
urgences
chirurgie de la face
0
0
500
1000
1500
2000
2500
Nombre total de sinistres
RISQUES & QUALITÉ • 2007 - VOLUME IV - N°4
LA CARTOGRAPHIE DES RISQUES, UN OUTIL DE MANAGEMENT DES RISQUES EN ÉTABLISSEMENT DE SANTÉ
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Figure 6 - Cartographie des risques professionnels au CH d’Aubenas.
La taille des bulles est proportionnelle à la criticité du risque. La bulle est d’autant plus sombre que le risque est peu maîtrisé.
Hôpital Bellande
Hôpital Boisvignal
Bloc opératoire
Urgences
Consultations externes
Radiologie
Laboratoires
Pharmacie
Magasins transport
Blanchisserie
Ateliers sécurité
Cuisines
Service intérieur
Administrtion Secrétariat
ion
los
di
en
Inc
xp
e-e
qu
Ris
e
iqu
ctr
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Légende
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stu
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sp
es
nc
isa
Nu
Dé
nts
me
ce
pla
s
es ues
tre
qu
Au
Ris logiq
o
ch
psy
Criticité
1
9
18
Sécurité
1
2
3
• le risque électrique est l’objet d’une abondante
réglementation. Les contrôles et vérifications sont
organisés et fréquents, les responsabilités identifiées. De plus l’analyse exhaustive de ce risque est
faite périodiquement depuis plusieurs années dans
l’établissement avec un indicateur de synthèse (22).
• le risque lié aux fluides médicaux est également bien
encadré et supervisé par la commission locale de surveillance des gaz médicaux.
• le risque anesthésique fait l’objet d’un suivi spécifique par les professionnels avec un indicateur
adapté fruit d’une AMDEC (Analyse des Modes de
Défaillance, de leurs Effets et de leur Criticité).
• les risques liés aux machines (dont les ascenseurs)
et rayonnements ionisants sont bien encadrés par la
réglementation et sont évalués par vérifications externes d’organismes agréés et par un entretien régulier.
RISQUES & QUALITÉ • 2007 - VOLUME IV - N°4
• le risque alimentaire est maîtrisé par le responsable de
la restauration à l’aide de la démarche HACCP (analyse
des risques par le contrôle des points critiques).
• enfin les risques de la vie hospitalière (chutes, escarres, dénutrition, fugue, suicide…), les risques médicaux, les risques naturels, les risques environnementaux (radon, plomb, amiante, insectes, pollutions…),
la violence et les malveillances font l’objet de déclarations au moyen des fiches d’événements indésirables
mises en place et exploitées collégialement depuis
plus de quatre ans, et qui alimentent une base de
données déjà conséquente. On classe dans les risques
médicaux, les soins non pertinents (dont erreur de
patient, erreur de côté à opérer, erreur de diagnostic…), les retards des soins, les erreurs dans la réalisation, le suivi clinique insuffisant, les complications
d'actes, l’absence d'information, de consentement du
patient, le non-respect du secret médical.
226
LA CARTOGRAPHIE DES RISQUES, UN OUTIL DE MANAGEMENT DES RISQUES EN ÉTABLISSEMENT DE SANTÉ
Figure 7 - Échelles de cotations.
Caractérisation des risques
Fréquence
très fréquent
quotidien
fréquent
souvent
peu fréquent
occasionnel
très peu fréquent
rare
1
une fois par jour et plus
dans l'établissement
0,75 une fois par jour et plus
dans l'établissement
0,5
une fois par jour et plus
dans l'établissement
0,25 une fois par millénaire dans l'établissement
ou une fois par an en France
0
jamais
cotation = 2/(2-log10F) avec F fréquence en jours-1
Gravité
très grave
dommage majeur
grave
dommage important
peu grave
dommage modéré
bénin
dommage mineur
1
décès
0,75 menace du pronostic vital ;
incapacité permanente
0,5
hospitalisation ou
prolongation d'hospitalisation
0,25 blessure ; dommage physique ou moral
0
inconfort tout au plus
Criticité
très critique
critique
peu critique
1
0,75
0,5
Criticité = fréquence x gravité
0,25
très peu critique
0
Sécurité
risque bien
maîtrisé
risque partiellement
maîtrisé
risque peu maîtrisé
1
suppression du risque
0,75 contrôles périodiques, exercices,
analyses a priori et actions préventives
0,5
formation, analyse des incidents,
équipement spécifiques
0,25 information, consignes, procédures
risque non maîtrisé
0
aucune précaution ni disposition
Au total, on différencie dix-sept familles de risques
qui recoupent la plupart des typologies énoncées précédemment.
Critères d’analyse
Au centre hospitalier d’Aubenas, les critères de gravité
et de fréquence d’occurrence ont été très classiquement retenus, complétés par un critère de sécurité qui
mesure l’efficacité dans la maîtrise du risque.
Dans chacune des dix-sept familles de risques, plusieurs risques élémentaires ont été évalués en fréquence et en gravité pour ne retenir que la criticité
la plus élevée représentative de la famille de risques.
Par exemple, pour le risque incendie, on compare l’incendie mortel très rare, au départ de feu beaucoup
plus fréquent mais aux conséquences limitées. Autre
exemple, on compare les infections nosocomiales
avec décès du patient aux infections qui n’occasionnent pas d’événement grave.
La mesure des indices de fréquence, gravité, criticité,
sécurité se fait sur une échelle continue de 0 à 1.
Outre la facilité de compréhension (0 correspondant
à fréquence nulle, gravité nulle, mais aussi sécurité
nulle, et 1 à fréquence maximale, gravité majeure ou
sécurité totale), ce système permet de coter également la criticité (produit de la fréquence par la gravité)
de 0 à 1. Chacune de ces échelles est subdivisée en
quatre pour retrouver les appréciations classiques de
la littérature (Figure 7).
L’indice de fréquence est calculé par une fonction
logarithmique de la fréquence réelle des événements
indésirables (voir à ce propos le commentaire de
l’échelle de vraisemblance de DESROCHES et GATECEL
(14)). Cette fréquence est soit relevée dans l’établissement quand elle y est mesurable (taux de prévalence
des infections nosocomiales, des escarres, nombre
d’accidents du travail, nombre d’incidents médicamenteux…), soit déduite de statistiques nationales
(incidents transfusionnels, accidents anesthésiques,
incendies mortels…) (Figure 8). La fonction a été
paramétrée pour obtenir les correspondances entre
indice et fréquence indiquées dans l’échelle de fréquence de la figure 7.
Pour chacune des dix-sept familles, une criticité
moyenne a ainsi été calculée, sur une échelle continue de 0 à 1. L’évaluation du paramètre de maîtrise du
risque s’est faite à l’aide du rapport d’activité annuel
de gestion des risques :
• soit à partir d’indicateurs utilisés dans l’établissement pour évaluer la sécurité électrique (21), la sécurité
incendie (22), la sécurité anesthésique, la sécurité des
gaz médicaux, la maîtrise des dispositifs médicaux ;
• soit à partir d’indicateurs nationaux (Icalin, prévalences…)
• soit par utilisation des études déjà disponibles (risques professionnels, rayonnements ionisants…) ;
• soit d’après les notes obtenues lors de la certification V2 de l’établissement (produits sanguins).
RISQUES & QUALITÉ • 2007 - VOLUME IV - N°4
LA CARTOGRAPHIE DES RISQUES, UN OUTIL DE MANAGEMENT DES RISQUES EN ÉTABLISSEMENT DE SANTÉ
Figure 8 - Indice de référence, fonction logarithmique de la fréquence réelle.
1
0,9
If : Indice de fréquence
Pour représenter l’ensemble des risques étudiés et
faire figurer le niveau de criticité et le niveau de maîtrise, un simple diagramme en bâtons est utilisé. Au
bâton représentant la criticité, on superpose pour chaque risque, la « couverture » de ce risque, c’est-à-dire
son niveau de maîtrise. Un risque parfaitement maîtrisé aurait un indice de sécurité de 1, soit 100 %,
d’où une « couverture » à 100 % de ce risque. Inversement, avec un indice de sécurité de 0, la criticité
reste entière (Figure 9).
Résultats obtenus
La figure 9 donne une image précise des risques dans
l’établissement. Deux risques se détachent quant à
leur criticité. Il s’agit du risque infectieux et des risques
de la vie hospitalière (chutes, escarres, dénutrition,
fugues, tentatives de suicide…). On n’insistera jamais
assez sur l’importance de ces risques, qui engendrent
des événements indésirables quasiment quotidiennement avec des conséquences souvent graves de prolongation d’hospitalisation, voire de décès. Ces risques trop courants ont tendance à être banalisés, et
l’intérêt d’une cartographie globale est de leur redonner leur triste importance. Souvent des gestes simples,
comme l’hygiène des mains, suffisent à diminuer les
événements indésirables, mais ils doivent être répétés
quotidiennement, et l’habitude les fait négliger.
Dans notre établissement, le risque médical dans son
ensemble vient en troisième position. Il se caractérise par une fréquence beaucoup plus faible que les
deux précédents, mais la gravité des conséquences est
plus importante. Surtout, c’est le risque médiatique
par excellence, et celui qui donne lieu au plus grand
nombre de contentieux.
Les autres risques hospitaliers suivent de près. On
remarquera que le risque « violence et malveillance »
0,8
0,7
If = 2/(2–log10F)
0,6
0,5
0,4
0,3
0,2
0,1
0
F : fréquence : 1
10-1
10-2
10-3
10-4
1 fois par semaine
1 fois par jour
affiche une des plus faibles criticité, avec une fréquence plutôt faible et peu de conséquences graves
en général, alors que c’est un des risques les plus
redoutés. Quand on parle d’insécurité, c’est souvent
ce risque qui est sous-entendu.
Pour chaque risque, la différence entre la criticité et
la sécurité (ou niveau de maîtrise) alerte sur des vulnérabilités plus ou moins marquées.
On note une maîtrise du risque médical très incomplète. Cela s’explique d’abord par une mauvaise
appréhension de ce risque, trop peu évalué, avec des
événements indésirables restant souvent confidentiels
CRITICITÉ
SÉCURITÉ
0,50
0,25
in
fe
ct
ie
Al
ux
im
en
Vi
ta
e
t
io
ho
Di
n
sp
sp
os
ita
iti
liè
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re
m
éd
ica
M
éd
u
ica x
Pr
od
m
en
ui
ts
ts
sa
Ri
ng
sq
u
ue
in
sm
s
éd
ica
ux
An
es
Ri
th
sq
és
ue
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sn
at
En
ur
vir
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on
s
ne
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en
t
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el
s
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sio
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Ri
sq
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of
es
sq
u
Ri
ue
s
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illa
al
ve
m
M
ac
hi
ne
nt
s
Vi
Ra
yo
ol
en
nn
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em
et
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ts
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n
Él
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ux
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tri
c
e
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ica
en
éd
In
c
sm
id
e
Flu
ité
0,00
RISQUES & QUALITÉ • 2007 - VOLUME IV - N°4
10-5
1 fois tous les 10 ans
1 fois par trimestre
Figure 9 - Exemple de cartographie globale des risques hospitaliers.
Criticité et sécurité se lisent sur une même échelle à gauche de 0 à 1. Les risques peuvent être hiérarchisés selon leur criticité
ou selon le décalage entre la criticité et la sécurité.
0,75
227
10-6
228
LA CARTOGRAPHIE DES RISQUES, UN OUTIL DE MANAGEMENT DES RISQUES EN ÉTABLISSEMENT DE SANTÉ
et très peu exploités. Les contrôles sont très difficiles
et d’ailleurs quasi inexistants, les processus de maîtrise très rarement écrits. On retrouve là l’importance
majeure du développement des recommandations de
pratique clinique (RPC) et des évaluations des pratiques professionnelles (EPP) dont l’objectif est l’amélioration des pratiques.
On note également les efforts à faire dans la maîtrise
du risque médicamenteux, avec un circuit du médicament à définir précisément et à respecter, et une
exploitation des incidents médicamenteux. Concernant le risque « machines » (ascenseurs, portes
automatiques, machines en cuisine, en blanchisserie,
outillage électro-portatif…), des progrès sont à faire
rapidement sur leur identification, puis leur maîtrise
par le développement de dispositifs de protection, et
surtout de formation du personnel.
Ces différents éléments fournissent des pistes pour
prioriser des actions d’amélioration dans le cadre d’un
programme global.
Conclusion
Notre expérience nous amène à quelques recommandations qui rejoignent les préceptes de BERWICK et
notamment : faire simple, le faire en équipe, mesurer
avec pragmatisme, simplifier la méthodologie, démarrer le plus tôt possible, diffuser et développer tous
azimuts, surtout arrêter de se plaindre (23) !
Comme c’est le cas avec tous les outils de la qualité, la tentation est grande d’en abuser. La démarche
est alors consommatrice de temps et perd considérablement de son efficacité. Plutôt qu’une profusion
de tableaux et de couleurs, il faut savoir se limiter à
deux ou trois cartes essentielles que les professionnels
pourront s’approprier facilement si leur présentation
est récurrente.
Le recensement trop exhaustif des risques n’a d’intérêt qu’intellectuel et s’avère inefficace. Il faut savoir
se limiter à une vingtaine de risques majeurs pour
éviter la dispersion.
La cartographie n’est pas une fin en soi. Elle ne procure que des outils dont la finalité est l’aide à la décision et surtout les actions d’amélioration. Il faut prendre garde de ne pas y engager toutes ses ressources,
que ce soit en compétences ou en temps.
Références bibliographiques
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22- MOULAIRE M. Elec’Indic, une méthode pour la maîtrise
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23- BERWICK DM. Lessons from developing nations on
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RISQUES & QUALITÉ • 2007 - VOLUME IV - N°4