Souvenirs Militaires
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Souvenirs Militaires
HIPPOLYTE D’ESPINCHAL Souvenirs Militaires 179 2-1 81 4 PUBLIES F r é d é r ic M A SSO N PAR et F TOME r a n ç o is BOYER I PARIS SOCIÉTÉ d ’ÉDITIONS LITTÉRAIRES ET ARTISTIQUES L ibrairie P aul Ollendorff 50, c h a u s s é e d’a n t i n , 1 901 5o Biblioteka Jagiellońska 1001069641 1 0 0 1 0 6 9 6 4 1 Souvenirs Militaires 17 9 2 - 1 8 1 4 HIPPOLYTE D ’ESPINCHAL Souvenirs Militaires 1792-1814 PUBLIÉS F r é d é r ic M A SSO N PAR et F TOME r a n ç o is BOYER I PARIS SOCIÉTÉ D’ÉDITIONS LITTÉRAIRES ET ARTISTIQUES L ibrairie Paul Ollendorjf 50, c h a u s s é e d’a n t i n , 1 901 5o IL A ETE TIRE A PART T r o is e xe m p la ires su r papier du Japon T r e iz e — — — NUMEROTES 31bf. iagieil. 2008 D de H ollande AYANT-PROPOS Il a, depuis douze ans, été publié bien des volum es de m ém oires et de souvenirs sur la période des grandes guerres. Bien que, dans presque tous, se rencontrent des détails intéressants et qu’il n ’en soit guère de négligeable, on peut trouver parfois cette abondance excessive et regretter que les éditeurs n ’aient pas exercé une critique plus sévère sur les docum ents qu’ils livrent au public. Il peut ne pas suf fire que ces documents soient m atériellem ent authen tiques, c’est-à-dire qu’on ait en m ains les manuscrits autographes de l ’auteur. Encore faut-il qu’ils soient originaux, qu’ils ne soient pas un développem ent ou m êm e sim plem ent une copie, additionnée d ’anec dotes invérifiables, de quelque ouvrage populaire tel que Victoires et Conquêtes. Davantage encore faut-il qu’ils soient sincères et ne présentent pas de telles invraisem blances qu’au lieu de grandir nos soldats, VIII AVANT-PROPOS. il en résulte contre eux un préjugé. Sans doute, ne peut-on exiger que la véracité des m ém orialistes soit absolue. A distance, les faits grossissent, et toujours les acteurs, si m édiocre qu’ait été le rôle qui leur a été distribué, sont enclins à s ’attribuer tout le succès qu’a eu la pièce. Point de com parse, ayant joué avec Talma, qui ne tire vanité des applaudissem ents. De m êm e est-il des m isères; les pires qui aient été souf fertes sont toujours celles qu’on a éprouvées soim êm e. Il y a donc un partage nécessaire à opérer entre ce qui est de la réalité et ce qui a été superposé par l ’im agination ou m êm e la m ém oire. Cela est vrai surtout pour les souvenirs écrits longtem ps après les événem ents où une confusion peut s’établir, dans l ’esprit de l ’auteur, entre ce qui lui est arrivé à luim êm e, ce qu’il a conté com m e lui étant arrivé et ce qui est arrivé à ses voisins. Mais encore là est-il un fond de vérité. M alheureusem ent, certains font pis : c’est de toutes pièces et com me un sinistre roman d’aventures qu’ils forgent leur récit. Pour le rendre intéressant, ils y entassent des détails qui, m atérielle m ent, se contredisent ; ils s’attribuent à eux-m êm es des aventures qui suffiraient à quelques m illiers d’hom m es ; leur véracité n ’est point soutenable ; leur bonne foi n ’est pas m êm e adm issible ; leurs prétendus m ém oires sont des contes tels qu ’à la veillée, les gro gnards en faisaient pour étonner les conscrits. Seule m ent, au lieu d ’être dits, ils sont écrits. Ils dem eurent alors et, la lettre m oulée exerçant toujours son pres tige, la m anie s’étant répandue partout du tém oi AVANT-PROPOS. IX gnage inédit, les voici qui passent à la presse et se répandent sur le monde. Ils n ’y portent point — je le dis çi regret — une bonne renom m ée pour nos soldats. Ils les rendent suspects, les convainquent m êm e de hâblerie, et ailleurs, — non sans raison — on nous trouve assez sols de prendre pour argent comptant ce qui n ’est, qu’on passe le mot, que des blagues de cham brée. Pour que des m ém oires m éritent d’être publiés, il faut qu’ils présentent ces trois qualités : authenticité m atérielle, origin alité, véracité. 11 n ’en faut pas demander plu s: tout individu qui a écrit sur sa propre vie a cédé à l ’une de ces préoccupations : lebesoin d ’occuper son oisiveté, le désir de se.disculper, la volonté d’établir qu’il a été m éconnu. Très souvent, ayant com m encé pour se distraire, ayant eu pour objet, en se racontant, d’em ployer les heures de la retraite, il tourne à se glorifier, à soutenir une thèse, à prouver qu’il ne s ’est jam ais trompé, que, s’il n ’a pas été avancé com m e sa vanité le demandait, c’est q u ’on était jaloux de son m érite. Il a tout prévu, tout indiqué, tout deviné, tout fait: on l ’a dépouillé de ses idées et il revendique sa gloire. Cela n ’est point dangereux : dès qu’il apparaît, le délire des persécutions ou le délire des grandeurs avertit le lec teur un peu perspicace ; à la dixièm e page, on est fixé. Mais c ’est souvent à la dixièm e page d’un troi sièm e ou d’un quatrième volum e. Latent d’abord, peut-être inexistant, à coup sûr inconscient, le délire ne s’est développé qu’au courant du récit, par u nn atu - X AVANT-PROPOS. rel désir qu’a eu l ’auteur de corser son rôle et de lui donner plus d’am pleur, par un retour qu’il a fait sur sa fortune, sur l ’injustice du sort. D’ailleurs ne se donne-t-il pas d’abord cette excuse qu’il n ’écrit que pour lui-m êm e et pour les sien s? Si la postérité a connaissance de son vrai m érite, tant m ieux pour elle ! Il a com m encé en ajoutant des vétilles à la vérité : bientôt, le délire m onte, il envahit les pages, il obscurcit les faits les plus clairs; il n ’y en a plus que pour lui, et le lecteur ferm e avec tristesse ces volum es où, au début, il avait trouvé de la sincérité, de la gaieté, un ferm e et joli récit d ’actions ignorées, où il ne trouve plus qu’envie, vanité, m ensonges, un style fatigué, bruyant et lâche, — pis que tout, l ’ennui. Sans doute, cette décroissance tient à une cause m alheureusem ent fort hum aine. Un hom m e com mence d’écrire ses m ém oires, étant encore en pleine activité d’esprit. Il vien t de quitter le service, le tra vail qu’il fait lui est nouveau et lui plaît ; des temps d ’enfance et de jeun esse, les souvenirs lui arrivent'en foule, alertes et joyeux com m e l'Espérance. Les jours passent. Le travail se fait plus lourd; les événe m ents, m ieux connus des historiens, se rendent plus difficiles à conter. La position de l ’auteur a grandi et il a pris des responsabilités. On l ’a attaqué et il riposte. La polém ique n ’a d ’intérôt que pour lu i, mais elle en a tant! Sa m ém oire s ’affaiblit, mais l ’aigreur s ’y m êle et la décrépitude arrive. Faut-il chercher plus loin? L’historien ne devrait accepter com me tém oignages AVANT-PROPOS. xï portant charge que les journaux personnels, écrits sous le coup des événem ents, qui en fournissent une notion nette, précise et vue; en seconde lign e, les m ém oires rédigés postérieurem ent, mais d ’après un journal original tenu quotidiennem ent. Les m ém oires qui n ’ont pas cette base nécessaire ne devraient être i'cçus qu’avec m éfiance. V ainem ent cherche-t-on à y suppléer en s’aidant des feu illes publiques com m e d’un m em ento chronologique sur qui l ’on brode. Les feuilles publiques présentent toujours de l ’officieux et du conventionnel qui obscurcit le spectacle. A un mot, à une phrase, involontairem ent copiée ou repro duite, le point de départ apparaît, tout le développe m ent suit, et ce développem ent devient suspect. Sans doute, doit-on préférer à tout le journal personnel au jour le jour, m ais il se faut encore contenter lorsqu’il a servi à rédiger des m ém oires. Outre qu’il a offert à l ’auteur le m em ento le plus précieux, il l ’a rappelé constam m ent à la réalité, l ’a contraint la précision, l ’a gardé contre les vanités excessives, et, lorsque la fatigue est venue, il a pourtant m aintenu l ’intérêt; mêm e si l ’auteur a quelque peu brodé, son travail garde une autorité et peut servir l ’histoire. Tel est le cas des m ém oires que nous publions. Leur authenticité m atérielle n ’a pas besoin d’être dém ontrée : à la mort du comte Ilippolyte d’Espinchal, le m anuscrit original et autographe qu’il avait laissé a été déposé à la Bibliothèque m unicipale de Clermont-Ferrand et nous devons à M. le maire la gracieuse autorisation de les imprimer, tâche qui XII AVANT-PROPOS. nous a été rendue facile par l ’extrêm e obligeance du Bibliothécaire de la V ille, le savant M. Vim ont. Leur authenticité morale n’est pas m oins certaine : à chaque instant, l ’auteur fait allusion à son journal dont il envoie des extraits à son père ou à son frère. L’itinéraire est suivi avec une précision absolue; pas un gîte n ’est om is. Pour les personnes, des listes, dressées avec un soin particulier expliquent com m ent, pourquoi, en q uelles circonstances, le comte d’Espinchal les a connues et fréquentées. Barem cnt un docu m ent personnel a présenté de telles garanties de véra cité et de sincérité. Ces m ém oires se suffisent à eux-m êm es. Des notes brèves n ’eussent rien appris au lecteur instruit; déve loppées en vue d’enseigner l ’histoire de la Révolution et de l ’Empire au lecteur qui n ’en a pas connaissance, elles eussent pris un tour odieux et inutile de pédan tism e. Nous nous som m es bornés à revoir soigneuse m ent le texte sur les. m anuscrits originaux, à rétablir du m ieux possible les nom s des lieu x et des person nages et à redresser çà et là quelques phrases que M. d’Espinchal eût lui-m êm e corrigées à l ’im pression. Pour la clarté du récit, nous l ’avons divisé en cha pitres et nous avons rejeté en appendices les listes de nom s qui se trouvaient dans le texte. A cela se borne notre rôle d’éditeurs. Il y a vin gt ans, quand j ’avais vu pour la prem ière fois ces m anuscrits, j ’avais été frappé de leur originalité et de leur intérêt. J’ai donc été heureux de saisir l ’occasion de les publier de con cert avec M. François Boyer, de Volvic, si com pétent AVANT-PROPOS. XIII en tout ce qui touche à l ’histoire d’Auvergne. Peut-être, son érudition locale se fû t-elle utilem ent em ployée ici à des notes généalogiques, mais j ’estim e que les notes doivent être bannies lorsqu’il s’agit, com m e ici, d’un docum ent personnel où la responsabilité entière du tém oignage doit être laissée au narrateur. Bien que les anecdotes de m œurs m ilitaires et civiles, si curieuses et si abondantes, fassent l ’intérêt principal de ces m ém oires, l ’histoire pourtant, la p e tite histoire, com m e on dit, celle des institutions et des m ilieux, des sociétés et des m œurs, pourra en tirer profit. Sur l ’ém igration et la vie de certains des princes de la Maison de France, il y a ici du nouveau : à côté des Souvenirs de Norvins récem m ent'édités par M. de Lansac de Laborie, les souvenirs de d’Espinchal apportent une contribution importante à la chronique des Gendarmes d’ordonnance ; les annales du 5° Hus sards se trouveront singulièrem ent docum entées par les détails recueillis par celui qui en fut six ans le capi taine adjudant-major ; m êm e certains points de la campagne de 1809 seront éclaircis; le voyage à Naples montre en un jour neu f la cour de Murât; le voyage à travers l ’Espagne qui term ine le premier volum e est singulièrem ent instructif; m ais c’est surtout au séjour de l ’auteur à l ’Armée d’Italie et auprès du prince Eugène qu’il faudra s’attacher. Ce sont là les parties les plus intéressantes, et je n ’en sais point d’analogues en notre littérature m ilitaire. Les am ateurs de détails précis sur les uniform es, ceux qui prennent intérêt à la vie fam ilière de l ’armée trouveront d’am ples satis xi V AVANT-PROPOS. factions. Rarement, l ’on en fournit une im pression aussi ju ste, précise et vraie. Quant aux bonnes for tunes de l ’auteur, je ne saurais dire s’il y a ajouté, m ais, com m e de ses duels, on n ’a rien à retrancher : sans les uns et les autres, le tableau eût été incom plet. L’accent de sincérité est d’ailleurs pareil; et si,, poul ie détail des cam pagnes, la véracité de l ’auteur est établie, ne doit-il pas bénéficier du préjugé pour ses autres aventures. Au reste, qu’on prenne, dans la série des souvenirs m ilitaires, ceux de Parquin et de Combe, qui sem blent le plus intim em ent se rappro cher de ceux-ci, n ’est-ce pas le m êm e courant d’idées, la m êm e suite d ’anecdotes et ne sont-cepas les mêm es hom m es? Parquin et Combe viennent de la bour geoisie, d’Espinchal de la noblesse; peu importe. Cavaliers légers tous trois, ils portent à ce qu’ils content une façon qui est de m étier et d’âme, com me de Brack, com m e Marbot, com m e Curély; m ais si, pour le style et la hauteur d’esprit, d’Espinchal est inférieur à de Brack, s’il n ’a point cette alacrité qu’on aju stem en t admirée en Marbot, il est plus précis que celu i-ci, pénètre davantage au détail; et, par ses liai sons et le monde qu’il fréquente, l ’emporte sur tous. Combe seul pourrait lu i être comparé, m ais c’est encore à un étage social inférieur, durant une période bien plus courte et m ieux connue. J’ai dit ailleurs où le cavalier léger puisait ces dons d’observation1 et je n ’y veu x point revenir. Toutefois, com m e il est ici un 1, Cavaliers de Napoléon, p. 309. AVANT-PROPOS. xV élém ent particulier que l ’auteur tien t de sa naissance et de son éducation, il convient d’indiquer d’où vient M. d’Espinchal et com m e il s’est formé. Quatrième fils de Joseph-Thom as, com te d’Espin chal, m estre de camp de dragons, et de Louise-Gabrielle de Gaucourt, Hippolyte d’Espinchal, né le 30 août 1777, tenait de son père, qui a laissé des m ém oires si intéres sa n ts1, une curiosité d’esprit qui s’exerçait sur toutes choses, m ais sur la société d ’abord, le com te d’Espin chal étant, sous Louis XVI, l ’hom m e qui la connais sait le m ieux et la savait le plus parfaitement. S’étant retiré jeune du service pour lequel il avait peu de goût, il avait ses entrées en tous lieu x, m ais fréquentait de préférence à Chantilly et à l ’hôtel de Condé, chez Mme du Barry et dans les m aisons où il pouvait satis faire à la fois sa passion du monde et son goût aux anecdotes. Il sem ble qu’il fût m édiocrem ent à la Cour et qu’il ne comptât point parmi les favoris. Ce n ’était pas au m oins que sa maison ne fût bonne, sa noblesse ancienne et ses alliances telles que, pour se faire bien venir, il pût se réclamer d ’une Isabeau de Polignac qui, en 1638, avait épousé son grand-oncle FrançoisGabriel d’Espinchal, baron de Dunières. Aussi, en ém igration, se rattacha-t-il à ces Polignac; m ais en France, il était plus volontiers à Paris qu’à V ersailles et y trouvait plus d’agrément. Au m oins, n ’était-cc pas par goût d’opposition, bien que son aïeul, Charles1. Nous ,en avons publié nous-m êm e divers fragments dans la tievue de P aris et nous com ptons en donner prochainement une édition complète; XVI AVANT-PROPOS. Gaspard, eût été, aux Grands Jours d’Auvergne, con damné à mort par contum ace, à la suite d ’aventures que Fléchier a longuem ent contées ; mais ce CharlesGaspard, passé en Bavière, où l ’Electeur l ’avait fait colonel général et capitaine de ses gardes, lieutenant général de ses arm ées, capitaine d’un régim ent de 600 cuirassiers et com m andant en chef de ses troupes, eût eu m auvaise grâce à tenir rancune à Louis XIV qui, après le m ariage du grand Dauphin, l ’avait réin tégré dans ses b iens, titres et grades et fait maréchal de ses camps et arm ées. Son cinquièm e descendant ne voyait dans cette histoire qu’un titre d’honneur, établissant com m e sa m aison avait été puissante et com m e les hauts barons de jadis savaient m aintenir leurs droits. Et, en effet, depuis Charles VIII, dont A ntoine d’Espinchal fut cham bellan, il n ’avait pas m anqué dans la fam ille de vaillants hom m es de guerre, — tel Jean, baron des Fernes, mort lieutenant général des arm ées navales et des galères de France; — mais plutôt que d ’aller à la Cour et d’y chercher des grâces, les d’Espinchal s’étaient m aintenus ferm es en leur pays d’Au vergne où ils avaient les plus belles terres et des baronnies presque indépendantes. Ce fut seulem ent le petit-fils de Charlcs-Gaspard, Thomas, qui y vint, aux Gardes du corps, dont il fut exem pt en 1732, brigadier en 1745, enseigne en 1750, lieutenant en 1752; il se trouva par suite lieutenant général en 1762» et obtint* entre autres grâces, le gouvernem ent de Salces en Roussillon. Il échangea le titre de baron AVANT-PROPOS. xvii que portaient ses ancêtres, contre celui de m arquis, sans pourtant qu’il y eût érection régulière en mar quisat de ses baronnies de D unières-lès-Joyeuse, d’Espinchal et Massiac et de ses seigneuries de SaintMarcellin, du Vernet, de Saint-Prix et de V iellespesse. Désormais, ses descendants furent fixés en Cour où son fils fut page du Roi, puis m estre de camp d’un régim ent de cavalerie de son nom et brigadier des arm ées et où son petit-fils, Joseph-Thom as, eût pu, s ’il avait em ployé à s’y pousser la dixièm e partie de l ’ac tivité qu’il porta à connaître tout Paris, parvenir a u i plus hautes dignités. Les alliances, presque toutes auvergnates et de m aisons égales, étaient Chavagnac, Montmorin, d’Albon, de Lévis, de P olig n a c,d ela Roue, d’Apchon, de Léotoing,* de la Tour de Rochebrune, de Laizer, de Froulay-Tessé. Par les Gaucourt, dont était sa mère, Ilippolyte ou Hypolite tenait à une m aison plus illu stre encore, puisque, dès le xm° siècle, elle joua dans l ’histoire un rôle important, fournit, au début du xv°, un grand fau connier de France, plus tard un grand maître d’hôtel de France, un gouverneur de Paris, et toute une suite de lieutenants du Roi en Rerry. De là une n ouvelle série d’alliances qui le m ettaient en cousinage avec la plus haute noblesse de Cour. Cela, com m e on verra, n ’est pas sans jouer un rôle dans son histoire et si, dans des notes, on avait dû relever les allusions qu’il y fait et expliquer les parentés, on eût dû fournir un nouveau supplém ent au Père Anselm e. Que, né ainsi, élevé ainsi, soldat à treize ans de XVIII AVANT-PROPOS. l’Armée de Condé, Hippolyte d’Espinchal ait été pris, com m e il fut, par le sen tim ent national, qu’il ait poussé ju sq u ’à l ’adoration sa passion pour l ’Empereur, qu’il ait porté à le servir cette ardeur dont tém oignent ses blessures, ses faits d ’arm es, l ’aigle d’or de la L égion et la Couronne de fer, libre à quelques-uns de s’en étonner; pour nous, c ’est une des belles affirmations de l ’œuvre entreprise et accom plie : la réconciliation des Français dans la gloire, leur com m union en la Patrie qu ’incarne l’Empereur. A tous, paysans et bourgeois, ouvriers et gentilshom m es, Napoléon a ouvert les m êm es portes ; il a sonné l ’appel et le bon sang n ’a point m enti pour y répondre. Ils ont tressailli, ces jeun es gen s, à la vieille fan fare entendue, au choc des sabres, aux lointains roulem ents des canons ; ils se sont élancés, et Lui, alors, les pétrissant de sa petite m ain aux doigts d’acier, les a m êlés dans le rang, les a confondus dans la victoire; il a tissé de ces fils d’or, de laine, de lin et de soie, « la bonne étoffe du peuple de France », l ’étoffe brillante et solide, soyeuse aux regards et chaude au corps, qui, trouée par des balles, m ontre, en sa trame brisée, de quoi payer tous les rois, parer toutes les fem m es et couvrir tous les peuples. Je ne saurais rien ajouter aux am ples détails que le com te d ’Espinchal donne sur lui-m êm e. Il com manda pour le Roi, en mai, ju in et ju illet 1813, des volontaires chasseurs-royaux d’Henri IV, et prit sa retraite en 1836 com m e colonel de cavalerie. Il est XIX AVANT-PROPOS. m ort le 18 mars 18641 à Clermont-Ferrand. Officier d e l à Légion du 19 ju illet 1809, il avait reçu la croix de Commandeur des m ains de l ’Em pereur Napo léon III en ju illet 1862. F. M. 1. Du 18 mars 1864, acte de décès de M. Ilippolyte marquis d’Espin chal, chevalier de Saint-Louis et de l ’ordre de Malte, Commandeur de la Légion d’honneur et du Mérite militaire de Bavière, membre de la Couronne de fer, chevalier de la Fidélité de Bade, lieutenantcolonel de cavalerie en retraite, âgé de 86 ans, habitant de Clermont, veuf de dame Marie-Catherine-Geneviève de Montorcier, fils légitime de défunts Joseph Thomas, comte d’Espinchal, lieutenant général en retraite et de dame Gabrielle de Gaucourt, décédé le 18 mars à 1 h. 1/2 du soir, place d’Espagne, 10. SOUVENIRS MILITAIRES DU COMTE HIPPOLYTE D’ESPINCHAL I L’ É M I G R A T I O N — L’A R M É E DE C O N D É Mon père, le c o m te d ’E s p in c h a l, m a ré c h a l de c a m p , é m ig r a a u m o is de ju il le t 1789, p e u de j o u r s ap rè s la prise de la Bastille, cha rgé p a r Mgr le p r in c e de Condé, d o n t il éta it tr è s affectionné, de c o n d u ire sa fille, la p r in c e sse L ouise de B o urb on-C on dé, à B ruxelles, où, peu de j o u r s ap rè s, se tr o u v a i t r é u n ie to u t e la fam ille de ce p rince . H enri, m o n frère ain é, v int à T u rin avec m a m è re , ap p e lé e p a r S. A. R. la c o m te s s e d ’A rtois. P e u ap rè s, to u s les p r in c e s de la Maison se t r o u v è r e n t r é u n i s e n celte ville d ’où m o n père, Mgr le d u c d ’E n g h ie n et m o n frè re p a r ti r e n t p o u r faire u n vo y ag e en S u isse q u i d u r a d e u x m ois. L o rs de la r é u n io n , à Coblentz, des é m ig r é s v e n a n t jo in d r e S. A. R. M onsieur et Mgr le c o m te d ’A rtois, ce f u t le c o m te d ’E sp in c h al qui o rg an isa la coalition d ’A uvergne c o m p o s é e d ’à p eu p r è s 400 g e n t ils h o m m e s de celte p r o vin c e, to u s m o n té s e t é q u ip é s à le u rs fra is et f o rm a n t q u a t r e s u p e r b e s c o m pagnie s. Alexis, m o n se c o n d frère, élève de p r e m i è r e classe 1 2 SOUVENIRS MILITAIRES. d a n s la m a r i n e , se r e n d it a u p r è s de m o n p è r e à Coblentz, a u s s itô t so n r e t o u r de S uisse , et ce f u t e n 1792 q u ’il m e f itv e n ir de P a r is p r è s de lui. Ce f u t s u r t o u t en 1790 et 1791 q u e l’ém ig ratio n p r i t .pne activité qui s ’é te n d it du b o u t du r o y a u m e à l ’a u t r e et qu e se f o r m è r e n t d ifférents co rp s qui fin iren t p a r se c o n s titu e r e n tr o is c o r p s d ’a r m é e p o u r être j o in ts a u x tr o u p e s .au trich ien n e s et p r u s s ie n n e s , f o rte s de 80000 c o m b a tt a n ts , q u i e n t r è r e n t en c a m p a g n e , au m o is d ’a o û t 1792. Le p r e m i e r de ces co rp s, so u s les o r d re s de le c o m te d ’A rtois, était fort de 8000 h o m m e s d 'in fa n te rie et de S 000 chevaux e t dev a it o p é r e r s u r le c e n tr e de la F r a n c e ; le se c o n d , c o m m a n d é p a r le p rin c e de Condé, placé s u r la ligne d u R hin, éta it de 5 000 c o m b a tta n ts , et le tr o is iè m e , dirigé p a r le d u c de B o u rb o n , de 4 000 ; e n tout, 23000 h o m m e s , e n g r a n d e p a rtie n oble s. Cette c a m p a g n e, q u i s e m b la it devoir offrir les p lu s h e u r e u x r é s u lt a ts p a r l’in v a s io n des t r o u p e s é tra n g è r e s , se b o r n a à l ’o cc u p atio n de q u e l q u e s villes de 'F ran c e, d o n t o n fut b ie n tô t c h a ssé p a r su ite d ’u n e re tr a ite h o n te u s e qui d é ta c h a la P r u s s e de la coalition et a m e n a la d iss o lu tio n de l ’a r m é e des p rin c e s français. L es ém ig rés se tr o u v è r e n t d a n s la p lu s g ra n d e d é tre s s e , e r r a n t en E u ro p e sa n s t r o u v e r n i s y m p a th ie s ni se c o u rs, et reje tés d es p a y s où ils c h e r c h a i e n t u n asile. C e p e n d a n t l ’A u trich e , s o u te n u e p a r les s u b sid e s de l ’A n g le te rre , c o n t in u a la g u e r r e , e t le p r in c e de Condé, a y a n t o b te n u de l ’e m p e r e u r d ’A llem agne la c o n s erv atio n de so n co rp s et l ’a u to ris a tio n de l’a u g m e n t e r de to u s les ém ig ré s qui v o u d r a ie n t s e rv ir s o u s ses d r a p e a u x , se tr o u v a b ie n tô t à la tê te de 6 796 c o m b a t t a n t s d o n t 4 836 c h a s s e u r s à pied et cavaliers n o b le s et 3360 h o m m e s de différentes a r m e s , f o rm a n t d e u x ré g i m e n ts d ’infanterie et tro is de cav alerie, p lu s d ouze pièces d ’artillerie. Dans ce c o r p s d ’a r m é e , placé to u jo u r s à l’avant- L ’A R M É E DE CONDÉ. - 17 9 4 . 3 ga rd e des A u tr ic h ie n s et s ’y c o u v r a n t de gloire, se t r o u v a ie n t le du c de B o u r b o n , so n fils le d u c d 'E n g h ie n et n o m b r e de g é n é r a u x et de colon els c o m m a n d a n t des c o m p a g n ie s n o b le s. Ce fut d an s l’été de 1794 q u e m o n frè re Alexis et m o i f û m e s e nvoyé s p a r m o n p è r e à l ’A rm ée de Condé et placés d a n s le c o r p s n o b le des C hevaliers de la c o u r o n n e , s u p e rb e r é g im e n t de cavalerie (j’avais alors q u a to rz e a n s ); H enri, n o tr e aîné, était officier d a n s les h u s s a r d s de Choiseul à la so ld e de l ’A n g leterre . L ’a r m é e , q u i alo rs s ’était c o n s id é r a b l e m e n t a u g m e n té e m a lg ré les p e r te s q u ’elle avait su b ie s d a n s n o m b r e de c o m b a ts sa n g la n ts , se t r o u v a i t forte de 12500 c o m b a tt a n ts e t d e v in t u n p u i s s a n t ap p u i a u x t r o u p e s a u trie h ie n n n o s qu e le u rs m a u v a is e s d isp o s itio n s e x p o s è r e n t p lu s i e u r s fois à se voir a n é a n t i r p a r les s a v a n te s m a n œ u v r e s du g én é ral M oreau. N o ta m m e n t, d a n s la c a m p a g n e de 1795, au sa n g la n t c o m b a t de B iberach où les Chevaliers de la c o u r o n n e e u r e n t 6 tu é s et 15 b le ssés , a u n o m b r e d es q u e ls j e fus, elle p r o té g e a la re tr a i te d u g é n é ra l a u t r i c h ie n co m te de la T our, d o n t le co rp s se tro u v a it g r a v e m e n t c o m p r o m i s ; elle c o n t r i b u a au ssi p u i s s a m m e n t à p ro té g e r n p tr e r e tr a i te s u r Munich p a r p lu s i e u r s b rilla n ts c o m b a ts s o u t e n u s avec a c h a r n e m e n t p a r les C h a sse u rs n o bles de l ’avantgard e d u d u c d ’E n g h ie n qui p a y a it si n o b le m e n t de sa p e r s o n n e et c o u r u t p l u s i e u r s fois les p lu s g r a n d s d a n g e r s en s ’e x p o s a n t c o m m e un s im p le soldat. Ce f u t à c e tte m ê m e é p o q u e q u e l’a r m é e a p p r it avec t r is te s s e et in d ig n a tio n la te n ta tiv e d ’a s s a s s in a t s u r la p e r so n n e du roi, d a n s la p e tite ville de Dillingen, p r è s d u Da n u b e , alo rs q u ’il venait de q u itt e r l ’a r m é e p r è s de la q u elle il é ta it v e n u p a s s e r u n e h u ita in e de jo u r s . Cet h o rrib le a t te n ta t e u t lieu vers les dix h e u r e s d u so ir : le r o i s ’était 4 SOUVENIRS MILITAIRES. m is à la f e n ê tre de so n a p p a r t e m e n t p o u r j o u i r d ’u n b e a u c la ir de lu n e , u n c o u p de c a r a b in e p a r ti t d ’u n e a rc ad e voi sine, et la balle v in t le f ra p p e r a u s o m m e t de la tête. Àu m o u v e m e n t q u e fait le roi t o u t c o u v e rt de sa n g , le d u e de F le u r y le c r o y a n t m o r t e l l e m e n t ble ssé a p p e lle d u s e c o u r s ; a u s s itô t a r r iv e n t le d u c de G ra m o n t et le c o m te d ’Avaray, m a is le p rin c e le u r d it t r a n q u i l l e m e n t : « R a s s u r e z -v o u s , m e s a m is , ce n ’e s t r ie n d u t o u t ; v o u s voyez b ie n q u e j e su is r e s té d e b o u t. » Q u o iq u e le c o u p fût à la tê te , la plaie f u t t r o u v é e p ro fo n d e , m a is n ’offrant a u c u n d an g e r. Q u a n t a u m is é r a b le qu i avait c o m m is le c r im e , il tr o u v a le m o y e n d e s ’é c h a p p e r, m a lg r é les r e c h e r c h e s les p lu s activ e s et sa n s q u ’o n d é c o u v rit le m o tif d ’u n p are il a tte n t a t. P e u de jo u r s a p r è s ce f u n e s te é v é n e m e n t, l ’A rm ée de Condé e u t à s o u te n ir u n te rr ib le c o m b a t a u village d ’O b erk a m la c h o ù les C h a s s e u rs n o b le s d é p l o y è r e n t u n c o u r a g e s u r h u m a i n co n tre des fo rc es p r e s q u e se x tu p le s, sa n s q u e les A u tric h ie n s, p a r l ’in e p tie de le u r s chefs, v i n s s e n t le u r p o r t e r se c o u rs. Le b a ta illo n d u m a r q u i s d u G oulet, m a r é c h a l de c a m p , q u i y p e r d it la vie, e u t 101 c h a s s e u r s n o b le s tu é s et p lu s de 200 b le ssé s ; et, ce n e f u t q u e p a r d e u x ch a rg es r é ité ré e s des Chevaliers de la c o u r o n n e q u e le r e s te de ce m a lh e u r e u x b ataillon p u t s o r tir d u g u ê p ie r d a n s leq u el il éta it to m b é . Il n e se p a s sa it g u è r e de j o u r s sa n s q u e l ’A rm ée de Condé e û t à s o u te n ir d e s c o m b ats d ’a u t a n t p lu s sa n g la n ts q u e les p r is o n n ie r s , q u ’o n a u r a it p u lu i faire, é ta ie n t d e s tin é s à u n e m o r t o r d o n n é e p a r le s lois ré v o lu tio n n a ir e s . 11 faut c e p e n d a n t d ire, p o u r r e n d r e h o m m a g e à l ’h o n n e u r de l ’a r m é e française, e t n o t a m m e n t au g é n é ra l F e rin o , q u e g ran d n o m b r e de p r is o n n ie r s f u r e n t s o u s t r a its à la b a rb a rie d u r e p r é s e n t a n t d u p eu p le, e n le u r p r o c u r a n t les m o y e n s de r e v e n ir p a r m i n o u s . Les succès de Bonaparte en Italie, et ceux obtenus par L ’A R M| É E DE C O N D É . — 17 9 7 . fi M oreau qui n ’était p lu s q u ’à v in g t-e in q lie u es de Vienne, d é t e r m i n è r e n t l ' e m p e r e u r d ’A u tric h e à faire d es p r o p o s i tio n s de paix qu i f u r e n t p r é c é d é e s d ’u n a rm istic e sig n é à L éob e n e n t r e B o n a p a rte e t l’a r c h id u c C harles, d o n t u n e des c o n d itio n s était le lic e n c ie m e n t de l ’A rm é e de Condé. Cet é v é n e m e n t, q u i allait pla c e r u n e q u a n tité d ’é m ig r é s d a n s l ’état le p lu s dép lo ra b le, fut h e u r e u s e m e n t p a r a ly s é p a r le b o n v o u lo ir de l ’e m p e r e u r P au l Ier q u i envo ya so n aide de ca m p , le p rin c e G orstchakof, a u p r in c e de Condé p o u r lui p r o p o s e r de c o n d u ire so n a r m é e en W o lh y n ie et q u ’il la p r e n d r a it à so n se rv ic e, avec to u s les av a n ta g e s qu e m é r i ta it sa nob le et b rilla n te c o n d u ite : ce lte offre f u t acceptée avec u n e v éritable r e c o n n a i s s a n c e ; le p r in c e e n d o n n a c o n n a is s a n c e à l ’a r m é e , p a r u n o rd re d u j o u r d a n s leq u el il laissait à ch a c u n la faculté d ’agir ainsi q u ’il l’e n t e n d r a it ; c e t é v é n e m e n t qui allait p o r te r si loin les C o n d é en s fut p lu s o u m o in s bien ap pré cié p a r les g e n t ils h o m m e s qui ne p o u v a ie n t s ’é lo ig n e r s a n s r e g r e ts des rives de la p a t r i e ; aussi, p lu s i e u r s p r é f é r è r e n t r e s te r e n A llem agne, se r é s e r v a n t de r e jo in d re l ’a r m é e p lu s t a r d ; d ’a u tre s , a u n o m b r e d e s q u e ls é ta it m o n frè re Alexis, v o u lu r e n t te n te r de r e n t r e r en F ra n c e p o u r a lle r d a n s la V e n d é e , o u tâ c h e r de sa u v er le u r s b ie ns n o n v e n d u s . C e p e n d a n t m o n frère, qui savait m o n p è r e en c o r r e s p o n d a n c e avec le p rin c e , c r u t devoir lu i faire p a r t de sa d é t e r m in a tio n e t o b tin t de lu i u n e a u d ie n ce d o n t j e vais r a p p e le r te x tu e lle m e n t to u s les détails. I n tr o d u i t se u l d a n s l’a p p a r t e m e n t d u p rin c e : « B onjour, Alexis, lui dit-il avec b o n té . Quelle grave affaire avez-vous à m e c o m m u n iq u e r ? — M o nseigneur, elle e s t grave en effet, r é p o n d it A lexis; m a is l ’am itié d o n t vous daignez h o n o r e r m o n p è r e m ’e n h a r d it à v o u s d e m a n d e r c o n s e il s u r la m a r c h e q u e je dois su iv re , dan s l ’i n te n tio n q u e j ’ai de r e n t r e r en F ra n c e , afin SOUVENIRS 6 MILITAIRES. d ’e n t r e p r e n d r e de le s o r tir , ainsi q u e m a m è r e , de la c r u e lle p o s itio n où ils se tr o u v e n t. Cette f u n este p e n s é e m e p o u r s u i t j o u r et n u it, e t je la gardais c o m m e u n v e r r o n g e u r t a n t q u e j ’étais so u s d e s d r a p e a u x q u e l’h o n n e u r m e p r e s c r i v a it de su iv re. Mais, a u j o u r d ’h u i que l ’a r m é e va c h e r c h e r u n asile en R ussie et q u e la paix se m b le a s s u rée , j e m e dois to u t à m o n p è re , car ce n ’est p a s d a n s ce p a y s lo in ta in q u e j e p o u r ra is lui ê tre u tile. — Mais, m a l h e u r e u x en fa n t, c ’e s t la m o r t qu e t u vas c h e r c h e r ; elle e s t in é vita ble avec le stig m a te d o n t e s t m a r q u é to n f ro n t et les e x e m p le s te rr ib le s q u e n o u s av ons c h a q u e jo u r ! — Cette m o r t, M o nse igneur, j e l ’affronte d e p u is p l u s d ’u n e a n n é e , p o u r d e s r a is o n s b ie n m o in s p u is s a n te s , et la P r o v idence, en c e tte c i rc o n sta n c e , sera, j ’e s p ère, m a p r o te c trice, ca r elle n ’a b a n d o n n e r a p a s u n fds q u i fait so n devoir. — V o tre p è r e e t v o tre m è r e n e s o n t pas, c o m m e vous le su p p o s e z , d é n u é s de r e s s o u r c e s ; j ’ai de f o rte s r a iso n s p o u r v o u s affirm er q u 'ils o n t de n o m b r e u x a m is qui ne les a b a n d o n n e r o n t ja m a is. Il fa u t g a g n e r d u t e m p s , l ’ave n i r e s t g ro s d ’é v é n e m e n ts , et qui s a it a t t e n d r e e s t s û r d ’a r river. Au r e s te , v o u s êtes bie n j e u n e p o u r u n e s e m b la b le e n tr e p r i s e , ca r il f a u d r a it u n e e x trê m e p r u d e n c e et u n e g r a n d e r é s e r v e p o u r sa v o ir i n s p i r e r la confiance a u x p e r so n n e s avec le s q u e lle s v o u s e s p é re z p o u v o ir vous m e ttr e en r a p p o r t, s u r t o u t d a n s u n m o m e n t où la m é fian ce e s t u n e n é c e s sité . Et p u is, en o u tr e de cela, vos m o y e n s p é c u n ia ire s d o iv e n t ê tre tr o p faibles p o u r e n t r e p r e n d r e u n p a r e il voyage, q u i n e p e u t q u ’e n t r a în e r à de g r a n d e s d é p e n s e s ; v o tre p r o je t e s t lo u a b le et fait l’éloge de votre c œ u r , m a is je vou s engage à l ’a j o u r n e r à u n t e m p s m e ille u r. — j ’a u ra i l’h o n n e u r d ’o b s e rv e r à M o n se ig n e u r q u ’en p r e n a n t la lib e r té de lui d e m a n d e r d es co n s eils, il n ’était AUDIENCE DU P R I N C E DE CONDÉ. — 1797. 7 q u e s tio n q u e de savoir la m a n iè r e d ’e x é c u t e r m o n p r o je t im m u a b le , en ra c in é d a n s m o n c œ u r, et d a n s le q u e l il fa u t q u e je su c c o m b e , o u q u e m o n p è r e en r e s s e n te les effets. L ’in fo rtu n e d o n n e de l ’âge et de la p r u d e n c e ; c ’e s t a p r è s avoir m û r e m e n t réfléchi s u r la s itu a tio n c r itiq u e d an s laqu elle j e po u v ais m e t r o u v e r q u e j ’ai acq u is la conv iction de p o u v o ir s u r m o n t e r les o b sta c le s qui se p r é s e n te r a i e n t. « L es difficultés d u p as sa g e des f ro n tiè r e s v a in c u e s, j ’a r r iv e à L yon où se tr o u v e l ’h o n n ê te r é g is s e u r d es b ie n s de m o n p è re , d o n t la p ro b ité , la délic a te sse et la fidélité n e se s o n t ja m a i s d é m e n tie s . Alors, n o u s avisons e n s e m b le a u x m o y e n s de r e n t r e r d a n s la jo u is s a n c e d ’u n e te r r e situ ée e n tre les d e u x villes de S ain t-E tie n n e e t de M o n tb riso n , qui n ’e s t q u e s e q u e s tr é e , e t n o u s allons e n s u ite en A u v erg n e chez d e u x re s p e c ta b le s d é p o s ita ire s de la vais selle de m o n p è re , s o u s t r a ite et enfouie d a n s u n e ca ch e tte in tro u v a b le lo rs de la v e n te de so n c h â te a u de Massiac. Q uan t à m e s facultés p é c u n ia ire s p o u r faire le voyage, b ie n q u ’elles n e so ie n t tr è s c o n s id érab les, p o s s e s s e u r s e n tre m o n frè re et m o i d ’u n e s o m m e de 760 francs, je lui e n laisse q u a tre c e n ts , et le re s te m e suffit p o u r a rr iv e r à L yon. » Le prin ce , a p rè s l’av oir éc outé avec la p lu s g ra n d e a tte n t io n , lui dit de la m a n i è r e la p lu s bienveillante : « J e vois q u ’il se ra it in u tile d ’e n t r e p r e n d r e de v ou s d é t o u r n e r d ’u n e d é t e r m in a tio n aussi a b so lu e. Eh b ie n ! m o n enfant, je v e u x m ’a s so c ie r à ce p ieu x p è le rin a g e e n v ous fai s a n t p o r t e u r d ’u n e le ttr e indéchiffrable p o u r to u t a u tre q u e m o n c o r r e s p o n d a n t de L yon, d an s la q u e lle je lu i p r e s crira i d ’ê tre vo tre guide d an s la c o n d u ite q u e v o u s au re z à te n ir et de v ou s d o n n e r l’a r g e n t qui p o u r r a it v ous ê tre n é ce ssa ire. M a in te n an t, p r u d e n c e et d isc ré tio n , s u r t o u t ne r ie n faire q u i p u is s e la is s e r s o u p ç o n n e r votre p r o je t, ex ce p té à la p r in c e s s e de Monaco à qui vous devez ce tte c o n 8 SOUVENIRS MILITAIRES. fiance ta n t p o u r l’a m itié d o n t elle h o n o r e vo tre p è re , que p o u r les b o n té s q u ’elle a to u jo u r s eu e s p o u r vous et votre frère. A dieu, A lex is; suivez d o n c le s im p r e s s io n s de vo tre c œ u r , et à la g a rd e de Dieu. » Mon frè re , p r o f o n d é m e n t é m u de ta n t de b o n té , se p r é cipita, e n la m o u il la n t de ses la r m e s re c o n n a is s a n te s , s u r la m a in de cet e x c ellen t p rin c e , qui lui d it avec u n so u rire d ’an g e : « Soyez tr a n q u ille s u r v o tr e je u n e f r è re ; la p r in c e sse et m o i a u r o n t soin de lui. » L’e n t r e v u e q u ’Alexis e u t avec la p rin c e s s e de Monaco ne fut p as m o i n s t o u c h a n te ; elle fit t o u t ce q u ’elle p u t p o u r le d é t o u r n e r de so n p ro je t ; m a is, l o r s q u ’elle v it so n inflexi bilité, elle lui dit : « V o tre e n t ê t e m e n t ém a n e d ’u n si h o n o rab le m o tif, q u e je ne veux p lu s le c o m b a ttre . » P u is , lui fa is a n t signe de l ’a t t e n d r e u n m o m e n t, elle p a s s a d a n s un ca b in e t, et r e v e n a n t p e u ap rè s : « Tenez, Alexis, lui dit-elle en lui m e t t a n t vin g t-c in q lo uis d a n s la m a in , voilà p o u r v o s frais de voyage, p r é c a u tio n to u jo u r s utile. » Mon frère, le c œ u r gonflé p a r la r e c o n n a iss a n c e de ta n t de b ie n faits, ne p u t r e m e r c ie r c e tte b o n n e p r in c e s s e q u ’avec des la r m e s d a n s les y e u x et se retira . L e l e n d e m a i n d e c e t t e to u c h a n te en tre v u e , m o n f r è r e r e ç u t la le ttre p r o m is e , q u ’il m it dans un b âton c r e u x avec lequel il devait v oy ager; p u is, fit to u te s ses d isp o s itio n s de c o n c e r t avec son am i, E d m o n d D alesm e, qui voulait aussi r e n t r e r e n F ra n c e . L e u r plan co n s ista it à se d iriger s u r L yon, en p a s s a n t p a r la F ra n c h e -C o m té , où, d an s u n e n d r o it d o n t ils avaien t l ’in d ic a tio n , dev a it se tr o u v e r u n in dividu qui, m o y e n n a n t sa laire , d evait le u r faire f r a n c h ir la frontière. C e p e n d a n t Alexis, to u jo u r s a n i m é d ’u n e te n d r e s s e fi liale, v in t d é p o s e r e n tre les m a in s d u p a y e u r de l’a r m é e les v in g t-c in q lou is de la p rin c e s s e , en le p r i a n t de les faire p a s s e r à so n p è r e à H am bo urg . ALEXIS RENTRE EN FRANCE. — 17 9 7 . 9 N otre s é p aratio n fu t des p lu s d o u lo u r e u s e s . Je ne po u v ais m e d é ta c h e r de ce frè re ch éri, l ’a p pui, le p r o t e c t e u r de m o n je u n e âge, e t d o n t la so llicitu d e é ta it te lle q u e, n o m b r e de fois, il se j e t a a u - d e v a n t des c o u p s q u i p o u v a ie n t m ’a t te in d r e , n o t a m m e n t u n j o u r où, b le ssé d ’un coup de sa b re , il se p r é c ip ita a u - d e v a n t de m o n a d v e r s a ir e q u ’il r e n v e rs a d ’un coup de p isto let. L o rs q u e je le vis p a r tir, u n affreux p r e s s e n t i m e n t m ’a v e rtit q u e je n e devais p lu s le revoir, h é la s ! Il ne se réa lisa q u e trop, ainsi q u ’on le v e r r a ... Au m o m e n t d u d é p a r t p o u r la R ussie, l ’a r m é e avait e n c o re u n effectif de 10000 h o m m e s , m a lg ré les n o m b r e u x et sa n g la n ts c o m b a ts q u ’elle avait livrés d a n s ce tte d e r n iè re c a m p a g n e , m a is c o n t in u e l le m e n t renforc ée par d e s é m ig r é s qui n ’a v a ie n t p a s d ’a u t r e s m o y e n s d ’existence, et d e s d é s e r t e u r s fra n ça is qui a r r iv è r e n t en assez g ran d n o m b r e , a t tir é s p a r la solde et u n é q u i p e m e n t d o n t la R é p u bliq u e était f o rt avare à ce tte époque. Le r e c e n s e m e n t des p e r s o n n e s qui s ’a t ta c h è r e n t à la for tu n e d u p rin c e de Condé se m o n ta it à 6000 et q u e lq u e s , qui f u re n t p a rta g é e s e n tro is colonnes, savoir : la p r e m iè r e , f o rm é e des officiers a y a n t c o n s e r v é le u r s c h e v a u x ; la s e c o n d e , c o m p o s é e des éq u ip a g e s de l ’a r m é e et de q u e lq u e s pièces d ’a rlillerie a p p a r te n a n t p a r ti c u liè r e m e n t au p rin c e , les a u t r e s a y a n t été re m is e s à l’A utriche, ainsi q u e to u s les c h e v au x d e l à ca valerie; et la tro is iè m e , d o n t j e faisais p a r tie, e m b a r q u é e s u r des r a d e a u x p o u r su iv re le c o u r s d u D an ube j u s q u ’à K re m s, où ces tro is c o l o n n e s r é u n ie s d u r e n t finir le u r tr a j e t j u s q u e s u r les b o r d s d u Bug. A la ville de H ru b iesz o w , où n ous fîm e s n o tre e n tré e s u r le te r rito ire m o s c o v ite a p rè s av o ir p a r c o u r u 500 lieues, l’a rm é e f u t a u s sitô t s u b d iv isée dan s différents q u a r ti e r s , r é o r g a n is é e , et d u t q u i t t e r la co c a rd e bla n ch e . N otre e n tré e d a n s la V o lhynie r e s s e m b la it à u n e tr o u p e 10 SOUVENIRS MILITAIRES. de v o y a g e u rs v e n a n t p o u r y f o n d e r q u e l q u e colonie et n ’a y a n t de m ilita ire qu e l ’h a b it, grâc e au x a d m in is t ra tio n s a u t ric h ie n n e s q u i n o u s a v a ie n t r e ti ré n o s a r m e s . N o us f û m e s c a n to n n é s d a n s différentes p e tite s villes, en a t te n d a n t la no u v elle o rg a n isa tio n de l ’a r m é e d o n t s’o c c u p a i t a lo rs M6r le p rin c e de Condé, de c o n c e rt avec des c o m m is s a ir e s r u s s e s env o y é s à c e t effet p a r l ’e m p e r e u r P aul. P e n d a n t ce t e m p s de b ie n q u e m a l d a n s les chez les ju if s b o u r g e o is n o u s pro fitèren t, avec re p o s, n o u s n o u s é ta b lîm e s ta n t m a is o n s e n f u m é e s de p a y s a n s et de ce p a y s , e t p lu s i e u r s d ’e n tre r e c o n n a is s a n c e , d u b ie n v eillan t accu e il offert p a r les s e ig n e u r s p o lo n a is qui s ’e m p r e s sè r e n t d ’a u t a n t p lu s d ’a d o u c ir n o tre exil q u ’ils avaient euxm ê m e s à r e g r e t t e r u n e p atrie. Ce f u t d a n s le c o u r a n t de février 1798 q u e l ’a r m é e r e ç u t sa n o u v e lle f o r m a tio n , et q u e l ’on s ’o c c u p a de lui faire e n d o s s e r l ’u n if o r m e ru s s e , r id ic u le copie de celu i des P r u s s i e n s , l ’e m p e r e u r a y a n t la m a n ie d ’im i te r ce tte n a tio n d o n t il s ’était en goué. Organisation de l ’armée de Condé et répartition de ses cantonnements dans les districts ainsi qu’il suit : le p rin ce de C ondé, avec son q u artier g é n éra l, l ’a r tille r ie , le g é n ie e t le s d ifféren tes a d m in istr a tio n s, à D ubnow , avec 1100 h o m m es Le R ég im en t n ob le à p ied , à W lod zin iew . .. 1400 — La C avalerie n o b le , à Locatze et H orod lo. .. 1190 — G renadiers de B ourbon , à L u s z k o w ........... 1075 — D ragons d'E n ghien , à L u s z k o w .................... 800 — F u siliers d’H oh en loh e, à K o v e l .................... 1000 D épôt et h ô p ita l à K ovel 700 — T o t a l ............... 7265 Les h u ssard s r u sses de B ow er attach és corps de C on d é.................................................... au 2100 T otal Gén éra l . .. hom m es — 9365 h om m es L ’A R M É E DE CONDÉ EN RUSSIE. — 1798. Il Les d istric ts d a n s le sq u e ls l ’a r m é e était r é p a rti e se c o m p o s e n t de p e tite s villes et de villages, h a b ité s , ces p r e m iè r e s p a r d e s ju ifs, et les a u t r e s , d es m a is o n s é p a rse s, b â tie s en te rre et e n bois, o c c u p ée s p a r des p a y s a n s sales, m a lp r o p r e s e t t o u t à fait a b ru tis. P lu s ie u r s de n o s c a m a ra d e s f u r e n t obligés d ’y r e s t e r f a u te de m o y e n s p é c u n ia ir e s ; d ’a u tre s se c o n s tr u i s ir e n t de p e tite s m a is o n s e n r o n d in s de b o u le a u x g a rn is de m o u s s e et d o u b lé s en p la n c h e s, ce qui les r e n d a it tr è s h a b ita b le s e t d ’u n effet assez p itto re s q u e . Logé avec u n de m e s c a m a ra d e s , n o m m é D alesm e, d o n t le frè re éta it p a r ti avec Alexis p o u r r e n t r e r e n F ra n c e , n o u s o b tîn m e s d ’u n j u if chez qui le s o r t n o u s avait pla cé s, et m o y e n n a n t u n e légère r é tr ib u ti o n , u n e c h a m b r e à d e u x lits, qu e n o u s a p p r o p r iâ m e s p a r de f o rte s ab lu tio n s, et, a u m o y e n d ’a c h a t de m a te la s , de c o u v e r t u r e s et de d raps, n o u s finîm es p a r av o ir u n gîte assez c o n v e n a b le ; n o u s y a j o u tâ m e s q u e l q u e s u s te n s ile s de c u i sine, s o u s la d ir e c tio n d ’u n e ju iv e , d o n t le ta le n t d e m a n d ait q u e lq u e s d é v e lo p p e m e n ts , m a is en fin q u i n o u s fai sa it vivre. La p etite ville d ’H orodlo, ch ef-lieu d u d istric t d an s le q u e l élait l ’e s c a d r o n d o n t j e faisais p artie, é ta it h a b ité e p a r n o tr e état-m a jor, m o in s le chef, M. le c o m te d ’Astorg, m a ré c h a l de c a m p , qui o cc upait u n a p p a r t e m e n t d a n s un m a g nifiq ue ch â te a u d o m in a n t la ville et a p p a r t e n a n t au co m te Stroynovvsky, se ig n e u r de l’e n d ro it. Bientôt, a d m is d a n s l ’in té r ie u r de. ce tte fam ille h o s p ita liè r e , je n e ta rd a i p a s à en d e v e n ir le c o m m e n s a l le p lu s a s s id u p a r la b ie n veillance avec laqu elle j ’étais r e ç u , e t d e u x m o is ne s ’é ta ie n t p o in t é c o u lé s q u e la je u n e Valérie, fille du c o m te , p a r ta g e a it avec to u te la c a n d e u r de so n âge le s s e n ti m e n t s q u ’elle m ’avait in s p iré s et d o n t sa m è r e n e p a r a is s a ie n t n u l l e m e n t in q u iè te . Mais q u e lle n e fu t p a s m a s u r 12 SOUVENIRS MILITAIRES. p ris e l o r s q u ’u n j o u r , je r e ç u s u n e le ttre de Grim aldi, u n de m e s a m is p a r ti c u lie r s et aide de c a m p d u p r in c e de C ondé, q u i m e m a n d a it q u ’on avait p r is d e s r e n s e ig n e m e n ts p r è s de S. A. S. p o u r sa voir qu elle était m a fa m ille ; la ré p o n s e avait été d es p lu s fav orables e t j ’e n eus b ie n tô t des p r e u v e s in c o n te s ta b le s p a r le s m a n i è r e s en g a g ea n te s e t les so in s avec le squ els j ’étais accueilli p a r l a c o m te s s e . C’e s t ici le m o ti f de d ire la ca u se qu i p o u v a it m e la isse r e n tre v o ir u n b o n h e u r a u q u e l je n ’eu s se ja m a i s p e n s é p r é t e n d r e , m o n a t t a c h e m e n t p o u r V alérie é ta n t l ’im p r e s s io n d ’u n p r e m i e r s e n t i m e n t s a n s a u c u n e a r r iè re -p e n s é e . La c o m te s s e , âgée de cin q u a n te -c in q an s, joig n a it, à u n e g ran d e illu s tr a tio n , u n e f o rtu n e si c o n s id é ra b le q u ’elle ne se c r u t p as les ca p a c ité s n é c e s s a ir e s p o u r la r é g ir e n d e v e n a n t v eu v e , ce qui la d é t e r m in a à é p o u s e r e n s e c o n d e s n o ce s so n in t e n d a n t , p e t it n o b le sa n s fo rtu n e , m a is d ’u n p h y s iq u e sé d u is a n t, d ’u n e s p r it tin, délié, e t q u i p a r v in t à c a p tiv e r l ’e s p r it de sa m a îtr e s s e , d o n t il p a r ta g e a la co uche, avec l ’a s s e n t i m e n t de l ’e m p e r e u r qui lui d o n n a le tit r e de c o m te , d es dign ités, des g r a n d s c o r d o n s e t le c o m b la de f av e u rs d a n s l ’in te n tio n de s ’en faire u n e c r é a tu r e dévouée dan s ce p a y s o ù il n ’en avait g u è r e . De ce se c o n d m a ria g e é ta it a d v e n u e u n e fille d u n o m de V alérie, âgée a lo rs de seize a n s, jo lie , g r a c ie u se , a y a n t r e ç u l ’éd uc atio n la p lu s s o ig n é e ; les a ttr a its de ce tte je u n e p e r s o n n e , ses ta le n ts r e m a r q u a b le s , so n c a r a c tè r e a i m a n t et p a s s io n n é , j o in t s à l ’in tim ité d o n t je jo u is s a is p r è s d ’elle, n e t a r d è r e n t pas à faire n a îtr e d a n s n o s j e u n e s c œ u r s d e s s e n tim e n ts sans a u t r e calcul de m a p a r t q u e celui de c a ptive r la te n d r e s s e de ce tte a d o r a b le fille, i g n o r a n t m ô m e alo rs q u e le p ère avait m a n if e s té l ’in te n tio n de m a r i e r sa fille à u n é tra n g e r , n ’a y a n t é p r o u v é qu e de b a s s e s ja lo u s ie s de la p a r t de ses c o m p a tr io te s , e n v ie u x de sa f o r tu n e , m é c o n t e n t s d es P R E M IÈ R E S A M O U R S. — 1798. 13 fav e u rs de l ’e m p e r e u r p e u s y m p a th iq u e à la n a tio n p o lo naise, e t d o n t le c o m te é ta it r e g a rd é c o m m e u n e c r é a tu r e dévouée. Ce f u t à ces h e u r e u s e s c irc o n s ta n c e s , q u e je d u s la p r o m e s s e d ’o b te n ir la m a in de V alé rie, m a is à la c o n d itio n d ’a tte n d r e d e u x a n s, é p r e u v e effrayante p o u r u n a v e n ir qu i m e p a ra issa it s a n s fin et p e n d a n t lequel p o u v a ie n t s u r g ir t a n t d ’é v é n e m e n ts . Cette n o uvelle fut, à m o n g ra n d r e g re t, b ie n tô t c o n n u e de m e s ca m a ra d e s , et je c ra ig n is q u e cela n e n u is ît à m e s in té r ê ts . C e pend a nt il e û t été difficile q u ’il e n fût a u t r e m e n t , e n v o y a n t la m a n iè r e d o n t j ’étais ac cueilli d a n s la famille d u c o m te , et les so in s q u ’il m ’é ta it p e r m i s de r e n d r e à sa fille. Je fis p a r t a u s s itô t à m o n p è r e de l ’h e u r e u x a v e n ir q u i m ’était r é s e r v é ; d éjà p r é v e n u p a r la p r in c e s s e de Monaco des r e n s e ig n e m e n ts p r is a u p r è s de M o n se ig n eu r, il s ’e m p r e s s a d ’é c r ire a u c o m te S t r o y n o w s k y en le r e m e r c ia n t de se s b o n n e s d isp o s itio n s à m o n égard, et m ’a d r e s s a u n e r è g le de c o n d u ite q u e je m e pro p o sai de suivre av e u g lé m e n t . C e p e n d a n t, au m ilieu de c e t a p e rç u de b o n h e u r d o n t j ’ap p ré cia is t o u t le prix, la m a r c h e des é v é n e m e n ts c o n c e r n a n t l ’a r m é e su iv a it s o n c o u r s . Déjà, n o u s étio n s hab illé s, a r m é s , l ’in fan terie s ’exerçait, e t d e s c h e v a u x d u Don a v a ie n t été a m e n é s p o u r la cavalerie, avec to u te s le u r s a llu re s sau v ag e s q u e n o u s p a r v în m e s à v ain cre n o n sa n s b e a u c o u p de difficultés e t p lu s i e u r s ac c id e n ts. Enfin, n o u s r e p r e n io n s n o s h a b itu d e s m ilita ire s sa n s que m e s v isites a u c h â te a u e n souffrissent, l o r s q u ’u n j o u r l’on m ’a p p o r ta u n e le ttr e au m o m e n t où n o u s é tio n s à ta b le, et q u e je r e c o n n u s ê t re de m o n p ère . A u ssitô t libre, je m ’e m p re s s a i d ’aller d a n s le p a r c p o u r e n faire la le ctu re, e t fu t frappé comme d’un c o u p de foudre en a p p r e n a n t la mort de mon 14 SOUVENIRS MILITAIRES. f r è r e b ie n -a im é , fu sillé à L y o n c o m m e é m ig ré . A ce tte affreuse n ouvelle, je to m b a i évanoui, et ce n e fut q u e lon g t e m p s ap rè s, m o n a b s e n c e a y a n t d o n n é de l ’in q u ié tu d e , q u ’on m e tr o u v a é t e n d u p a r te r r e sa n s c o n n a is s a n c e , c o u v e r t de sa ng p a r u n e b le s s u r e q u e je m ’étais faite à la tête en to m b a n t s u r u n e so u c h e d ’a r b r e , t e n a n t d a n s m e s m ains c ris p é e s la fatale le ttr e q u i m ’a n n o n ç a i t ce tte alfreu se c a ta s tr o p h e . T r a n s p o r té a u c h â te a u et m is d a n s u n lit, u n m é d e c in v in t a u s s itô t m e d o n n e r les so in s les p lu s e m p r e s s é s ; c e p e n d a n t p lu s d ’u n e h e u r e se p a s s a av a n t q u e j e r e p r is s e c o n n a issa n c e , et tr o is a tta q u e s de n e r f s d es p lu s violentes e u r e n t lieu p e n d a n t la n u it, a u x q u e lle s s u c c é d a u n e fièvre t r è s forte, a c c o m p a g n é e de délire. Enfin, au b o u t de cinq j o u r s , le m é d e c in d o n n a es p o ir de m e sa u ver, d éc la ra n t to u te f o is q u ’il f a u d r a it d u te m p s et de la p a tie n c e , u n e r e c h u te p o u v a n t ê tre tr è s d a n g e r e u se . C om blé d es s o in s les p lu s a tte n tifs p a r les h a b ita n ts d u c h â te a u e t m e s c a m a ra d e s , le d o c t e u r p a ra issa it to u t à fait r a s s u r é s u r m o n état, l o r s q u ’u n j o u r le c o m te d ’A storg v in t m ’a n n o n c e r le d é p a r t forcé d u c o m te S troynow skyavec sa f e m m e et sa fille, p o u r aller s u r les b o r d s d u Bug chez le p r in c e L u b o m ir s k y , afin de fuir la p e s te qui ven a it de se d é c la re r d a n s n o s e n v iro n s d ’u n e m a n iè r e assez vio l e n t e ; u n c o r d o n sa n ita ire avait été a u s s itô t établi, ce qui n ’av a it p o in t e m p ê c h é la m o r t de p lu s i e u r s p a y s a n s du distric t. Cette f u n e s te no u v elle m e fut c o nfirm é e p a r la c o m te s s e et sa fille q u i v i n r e n t m e faire le u r s a d i e u x ; le s o ir de le u r d é p a rt, la fièvre r e p r i t avec u n e n o u v e lle in te n sité, q u e le d o c t e u r p a r v in t p o u r t a n t à s u r m o n te r , d a n s l ’e s p é r a n c e o ù j ’étais de la p e r m i s s io n q u ’on m ’avait ac c o rd é e d ’aller les jo i n d r e a u s s itô t q u e m e s forces le p e r m e t - P A U L I" G R A N D M A IT R E DE L ’O R D R E DE M ALTE. 15 t r a ie n t. Cette m a l h e u r e u s e p e s t e qu i d u r a p lu s d ’u n m o is, s a n s q u ’on ait pu d é c o u v r ir la c a u s e de son a p p a r itio n , fut c o n c e n t r é e d a n s so n fo y er grâce a u x s o in s vigilants du p rin c e de Condé, e t p a s u n in d iv id u de l ’a r m é e n ’en fut a t te i n t; a u s si disait-on, e n p a r la n t de cette é p id é m ie , q u e les P o lo n a is en m o u r a i e n t e t q u e les F ra n ç a is s ’e n m o q u aien t. Deux m o is a p r è s , le calm e rétabli, et de r e t o u r à H o rodlo, les b r u its p r e s q u e c e r ta in s q u e la R u ssie allait p r e n d r e p a r t à u n e n o uv elle g u e r r e c o n tre la F ra n ce , les p r é p a ra tifs s ’en firent avec la p lu s g ra n d e activité e t u n e v é ritab le sa tisfac tio n de la p a r t d e s C ond éen s l o r s q u ’u n o r d r e d u j o u r l e u r a p p r it ce tte n ouvelle en a n n o n ç a n t q u ’au p r in te m p s ils r e v e r r a ie n t les b o r d s du Rhin. A ce tte m ê m e é p o q u e a rriv a u n é v é n e m e n t d es p lu s e x tra o rd in a ir e s , d o n t l ’h is to ire g a r d e ra so u v e n ir, ce f u t l ’a b d ic a tio n d u g ran d m a îtr e de Malte, F e r d in a n d de H om p e s c h , e n f av e u r d u czar P au l qui, à c e t effet, o r d o n n a à t o u s les m e m b r e s de l’O rdre qui se t r o u v a i e n t à l ’a r m é e de se r é u n i r à la ville de L okatschi, p o u r r e c e v o ir l ’a d h é sio n de ceux qui v o u d r a ie n t le r e c o n n a îtr e . Cette a s s e m b lé e fut n o m b r e u s e et f o rt ag itée ; c e p e n d a n t la g r a n d e m a jo rité d e s ch evaliers, d u n o m b r e d e s q u e ls je fus, a d h é r è r e n t à celte re c o n n a is s a n c e e n a p p r e n a n t la d éc isio n de L ouis XVIII à cet ég a rd . Cette o p é r a tio n t e r m in é e , n o u s r e ç û m e s l ’o r d re de r e t o u r n e r d a n s n o s c a n to n n e m e n t s resp e ctifs. N otre d é p a r t fixé à s e p t h e u r e s d u m a tin , c h a c u n avait fait la veille ses a d ieu x et se s p r é p a ra tifs, e n a t te n d a n t l ’o r d re d ésig n é p o u r se m e t t r e en r o u te , lo r s q u e , à la p o in te d u jo u r , u n b r u i t ép o u v a n ta b le se fait e n t e n d r e , avec a c c o m p a g n e m e n t de c o u p s de fusils et de p isto le ts j o in t s à d es c ris e t d e s h u r l e m e n t s é p o u v a n ta b le s. S a u te r à bas de m o n lit, m e v êtir, p r e n d r e m o n sa b re , et a c c o u r ir s u r le lie u d u tu m u l te , f u t l’affaire d ’u n in s ta n t. La place, c o m 16 SOUVENIRS MILITAIRES. p l è t e m e n t e n t o u r é e p a r m e s c a m a ra d e s et un g ran d n o m b r e d ’h a b ita n ts, r e p r é s e n t a i t u n e a r è n e au m ilie u de la q u e lle se t r o u v a i e n t u n e q u a r a n ta in e de lo u p s accu lés les u n s a u x a u tre s , fa isa n t face de to u s c ô tés, m a is t é m o i g n a n t p lu s d e c r a in te q u e d ’au dace. Ce spe cta cle é tra n g e, qui e û t offert les p lu s g r a n d s d a n g e r s si ces a n i m a u x a v a ie n t e u a u t a n t de c o u r a g e que de voracité, d u r a it d e p u i s un q u a r t d ’h e u r e ; q u e l q u e s c o u p s de feu en a va ie nt a b a ttu tr o is et b le ssé p lu s ie u r s , d o n t les cris m ’a v a ie n t réveillé. Mais il s ’ag issa it de les d é t r u i r e to u s, et, p o u r cela, il fallait u n e p r o m p t e d éc isio n , de l ’e n t e n te e t s u r t o u t de la p r u d e n c e , afin d ’é v ite r de s ’e n t r e - t o u c h e r d ’u n tra v e rs de la p la ce à l ’a u t r e ; c h a c u n d o n n a it so n avis, rie n n e se te rm in a it, et les lo u p s au m ilie u de l ’e n c e in te s e m b la ie n t r é s ig n é s a u s o r t qui les a tten d a it. Enfin, q u a t r e p elo to n s, fo rm é s des p e r s o n n e s a y a n t des a r m e s à feu, se p l a c è r e n t c o n t r a i r e m e n t aux ang les d e la p la ce et, à u n signal d o n n é , u n e d é c h a r g e g é n é r a le e u t l ie u ; tr e iz e de ces a n i m a u x t o m b è r e n t , les b le ssé s h u r l a ie n t d ’u n e m a n iè r e affreu se en se sa u v an t, ainsi q u e le r e s te d u tr o u p e a u , p a r les o u v e r tu r e s de la p lace, p o u r s u i vis de to u s c ô té s; s e p t to m b è r e n t e n c o re , tu é s à c o u p s de sa b re , ou a s s o m m é s , et le r e s te g ag n a la c a m p a g n e . Les vic tim e s, a u n o m b r e de v in g t-tro is, f u r e n t e x p o s ée s s u r la place a u m il ie u de la jo ie et de l ’h ila r ité g é n é ra le et livrées e n s u ite au x p a y s a n s q u i les e m p o r t è r e n t p o u r les d é s h a b ille r et e n faire d es f o u r r u r e s . C ette c h a sse s u r p r e n a n t e et in a tte n d u e t e r m in é e , n o u s p a r t î m e s c h a c u n p o u r n o s c a n t o n n e m e n t s où n o u s p o r tâ m e s la n o u v e lle de ce fait i n té r e s s a n t m a is n u l l e m e n t s u r p r e n a n t p o u r les h a b ita n ts , qui o n t s o u v e n t l ’h a b i tu d e de s e m b la b le s visites, lo rsq u e l ’h iv e r e s t a u s si rig o u re u x q u e c e lu i d o n t n o u s é tio n s p a r tagé?, II PRÈS DU DUC DE BERRY — LA CAMPAGNE DE 1 7 9 9 P e u de j o u r s a p r è s c e t é v é n e m e n t, u n n ouv el ord re d u j o u r a n n o n ç a q u e la g u e r r e éta it d é c id é m e n t d éc la ré e et que l ’A rm ée de Condé ferait p a r tie d u c o n tin g e n t de la R u s s ie ; il faisait au s si c o n n a îtr e l ’arrivée de MKr le d u c de B e rry v e n a n t p r e n d r e le c o m m a n d e m e n t de la cavalerie noble. Malson m ilitaire de S . A . Jt. M°'' le duc du B erry . Le c o m te df, Damas-C rux , lie u t e n a n t g é n é ra l, p r e m i e r g e n til hom m e. Le m a r q u is d e Montagnac, p r e m i e r é c u y e r. Le co m te d e D a m a s , m aréch al de cam p , p rem ier aid e de cam p. Le com te d e M o i N t s o r e a u , m aréch al de cam p, p r e m ie r aid e de cam p. Le ch ev a lier d e L a J a r r e , c o lo n e l, p rem ier aid e de cam p. Le m a r q u is de S o u r d i s , c o l o n e l , p r e m i e r a id e d e c a m p . A u guste d e La F e r r o n .n ays *, o rd on n an ce p erm a n en te. H ippolyte d ’E s p i . n c h a l , ord on n an ce p erm a n en te. Le d octeu r A my, p r e m ie r m é d e c in . . M6*' le d u c de B e rr y avait a lo rs vin g t a n s ; petit, d ’une ligure ag ré able , le c a r a c tè r e vif, u n p e u e m p o r t é , le c œ u r 1. Le même qui plus tard fut ministre des Affaires étrangères et ambassadeur en Russie, mort en 1843. 18 SOUVENIRS MILITAIRES, ex c ellent, trè s c o u ra g eu x , d ’u n e g r a n d e gén é ro sité , a i m a n t b e a u c o u p les a rts, s u r t o u t la m u s i q u e , et j o u a n t de la flûte d ’u n e m a n iè r e assez r e m a r q u a b le , p a r l a n t l’anglais et l ’ita lie n avec la p lu s g ra n d e facilité, m a is p a s s io n n é s u r to u t p o u r l ’é t a t m ilitaire. La fave ur in sig n e d o n t n o u s v e n io n s d ’ê tre h o n o r é s , A u g u ste et m oi, éta it d ’a u t a n t p lu s flatteuse, q u e n o tr e service c o n s is ta it à n e ja m a i s q u itte r le p r in c e , à m a n g e r à sa ta b le , à l ’a c c o m p a g n e r p a r to u t , et à ê tre enfin p r è s d e lui les r e p r é s e n t a n t s de la Cavalerie n o b le d o n t n o u s p o r tio n s l’u n if o rm e . Le q u a r t i e r g é n é r a l de S. A. R. était à L o k atsch i, d istan t d ’H orodlo de cinq lie u e s , où, p a r su ite de l ’e x trê m e bo n té du p r in c e , il m ’était p e r m i s d ’a lle r q u e lq u e fo is lo r s q u ’il e u t c o n n a is s a n c e de m e s r a p p o r ts avec la fam ille S tr o y n o w s k y . T ous les se ig n e u r s p o lo n a is de la c o n t ré e s ’e m p r e s s è r e n t de ven ir lui p r é s e n t e r le u r s h o m m a g e s , en le p r ia n t de v o u lo ir b ie n les h o n o r e r de sa p r é s e n c e ; au s si é ta ie n t- c e d es fêtes c o n tin u e lle s , où n o u s f û m e s à m ê m e d ’a p p r é c ie r le lu xe, la m ag n ifice n ce des s ta ro s te s et la g râ c e a u s s i b ie n qu e la b e a u té des P o lo n ais es. D ans les p r e m i e r s jo u r s de d é c e m b re , M onseigneur, a y a n t r e ç u u n e le ttre d u p r in c e de Condé, p a r ti t a u s s i tô t p o u r D u b n o w , ac c o m p a g n é de MM. de N antouillet, S o u rd is , A u guste d e la F e r r o n n a y s et m o i ; nos équip ages c o n s is ta ie n t d a n s tr o is tr a în e a u x c o u v e rts, c o n d u its c h a c u n p a r tro is p e tits c h e v a u x de front, r e la y é s to u te s les d e u x h e u r e s et m a r c h a n t avec la vélocité la p lu s s u r p r e n a n t e . D u b n o w , ca p ita le de la V olhyn ie, e s t u n e ville c o n s id é ra b le r e n f e r m a n t u n ancien ch â te a u , alo rs la résid e n c e d u p r in c e de Condé et de la p r in c e s s e de Monaco, d ans le q u e l n o u s tro u v â m e s le d u c d ’E nghien a r r iv a n t d e p u is la veille de S a in t- P é te r s b o u r g . Les q u a tre jo u r s q u e n o u s p a s s â m e s à D u b n o w fu re n t e m p lo y é s , le m a tin , d an s des V O YA G E A D U B N O W . - 1199. 19 co u rse s, et, les so iré e s, chez la p r in c e s s e q u i d aig n a m e faire l ’accu e il le p lu s g ra c ie u x et m e d o n n a d e s n ouvelles r é c e n te s de m o n p è r e avec qui elle éta it en c o r r e s p o n danc e. N otre r e to u r à L o k atsch i, fut m a r q u é p a r u n évé n e m e n t d o n t les s u ite s p o u v a ie n t d e v e n ir des p lu s d é s a s tr e u s e s à A u gu ste , ainsi q u ’à m o i, s a n s le s e c o u r s de la P ro v id e n c e qui n o u s tir a d ’u n d a n g e r im m in e n t . Le d é p a r t avait été fixé p o u r six h e u r e s d u m a tin , afin d ’a r r iv e r à L o k a ts c h i av a n t la n u i t ; m a is, r e ta rd é s p a r tr o is t r a î n e a u x qui d e v a ie n t m a r c h e r avec n o u s, p o r t e u r s de s o m m e s d ’a r g e n t c o n s id érab les, nous ne pûm es nous m e t t r e en r o u te q u ’à h u it h e u r e s , p a r u n e g elée de 28 d e g r é s : le t e m p s était clair et p u r , le tra în a g e facile, ce qui r e n d a it ra p id e la m a r c h e de n o s six tr a în e a u x en file, les u n s d e r r iè r e les a u t r e s : celui d u p r in c e e n tê te, La F e r r o n n a y s et m o i, to u t à fait d e r n ie rs , s u iv a n t ceux q u i p o r ta ie n t l ’a rg e n t. N ous m a r c h â m e s ainsi, av e c u n e vitesse ex tra o rd in a ir e , j u s q u ’à d e u x h e u r e s ap rè s m idi, où n o u s tr o u v â m e s d a n s u n village les c he v aux d u tr o is iè m e relai qu i n o u s a tte n d a ie n t, n ’a y a n t é p ro u v é d 'a u tr e s d é s a g r é m e n t s q u ’u n froid e x c essif d o n t il n o u s était im p o s sib le de n o u s g ara n ti?, les tr a în e a u x é ta n t o u v e rts p a r d ev a nt, sans a u c u n e p o ssib ilité de les fe r m e r . Vers les q u a t r e h e u r e s , le ciel s ’o b s c u r c it p r e s q u e s u b i t e m e n t ; u n e neig e c o m pac te to m b a avec u n e telle violence q u e la te r r e s ’e n tr o u v a c o u v e rte e n p e u d ’in s t a n ts à plus d ’u n p ie d d ’é p a is s e u r : c’é ta it u n de ces o u r a g a n s q u e les h a b i ta n t s d é s ig n e n t sous le n o m de « rafales de la m o r t » p a r les sin istr e s q u ’ils o c c a s io n n e n t l o r s q u ’on y e s t exposé. C e p e n d a n t n o u s m a r ch io n s to u jo u r s, faute de gîte p o u r n o u s a b r ite r , s e rr é s les u n s d e r r iè r e les a u t r e s , sa n s n o u s p e r d r e de vu e dans la cra in te de n o u s ég a re r s u r ce lin c eu l blan c sa n s fin, sa n s c o n tra ste , r e c o u v r a n t des fossés, d e s préc ip ice s ina* aO SOUVENIRS MILITAIRES. p e r ç u s , des r u is s e a u x , d e s riv iè re s, des lacs gelés s u r le sq u e ls n o u s p a s s io n s r a p i d e m e n t avec la c o n tin u elle in q u ié tu d e de n o u s e n g lo u tir d a n s q u e lq u e fo n d riè r e d o n t il e û t été p r e s q u e im p o s sib le de p o u v o ir so r tir . A ce tte s itu a tio n critiq u e se jo ig n a it l’affreux d é s a g r é m e n t d ’être obligé à t o u t i n s t a n t de r e j e t e r la n e ig e q u i s ’en gou ffra it d an s n o s v o itu r e s et pouvait finir p a r n o u s étouffer. E n o u tr e l ’o b s c u rité arriv ait, ne la issa n t à n o s c o n d u c te u r s d ’a u t r e s m o y e n s p o u r c o n d u ire le u rs c h e v au x q u e de les a b a n d o n n e r p r e s q u e a u h a s a r d sa n s p o u v o ir p ré c is e r , p o u r a rriv e r à L o k atsch i, le tr a j e t q u e n o u s a vions e n c o r e à p a r c o u r ir ; a u ssi, é tio n s - n o u s , c h a c u n d a n s n o s tra în e a u x , liv ré s à la p lu s g r a n d e anxiété, l o r s q u e to u t à co u p les c h e v a u x q u i n o u s c o n d u is a ie n t, La F e r r o n n a y s et m oi, se p e lo to n n e n t , s ’e n f o n c e n t d a n s la neige, en f a isa n t c u l b u te r n o tr e tr a î n e a u d a n s u n trou. Relevés p r e s q u e a u s s itô t, m a is d a n s le p lu s g r a n d e m b a r r a s , n ’a y a n t de se c o u r s à a t te n d r e q u e de n o s six b ras, ce n e fut q u ’à force d ’efforts, de travail, q u e n o u s p a r v în m e s à n o u s m e t t r e en é ta t de m a r c h e r . Mais, ce te m p s p e r d u p o u v a it d e v e n ir f u n e ste : les tra în e a u x qui n o u s p r é c é d a ie n t, i g n o r a n t n o t r e d é s a s tr e , c o n t in u a ie n t le u r m a r c h e rap id e , n o u s la issa n t d a n s u n e s itu atio n d 'a u ta n t p lu s c ritiq u e q u e, la neige c o n t in u a n t de to m b e r avec la m ê m e violence, le tr aîn ag e se tr o u v a it a u s s itô t co u v e rt, et il n o u s d e v e n a it i m p o s sible de su iv re d ’u n e m a n iè r e ex a c te la m a r c h e du convoi, im p o s s ib ilité à la q u e lle se jo ig n a it la c ra in te de n o u s en g lo u tir d a n s q u e l q u e p ré c ip ic e , et p e u t - ê t r e a u s si de r e n c o n t r e r d e s lo u p s, d o n t n o u s e n t e n d io n s les h u r l e m e n t s d a n s le lo in ta in . C e p en d a n t, le te m p s s’écoulait. La n u i t arrivait, s o m b r e , o b s c u re , n ’a y a n t d ’a u t r e clarté qu e la r é v e r b é r a tio n de la n e ig e , t r o m p e u s e lu m iè r e , qui p o u v a it n o u s é g a r e r ; le froid g ag n a it n o s m e m b r e s pen- V O Y A G E A D U B N O W . — 1799. 21 d a n t cette in d é c is io n ; il fallait d onc s o r tir de ce tte cruelle e t p é n ib le situ atio n , car, r e s t e r en p lace, c ’était u n e m o r t in é vita ble ; m a r c h e r a u h a s a r d offrait au ssi de g ra n d s d a n g e rs, m a is, a u m o in s , il y avait c h a n ce de salut, et n o u s l ’a d o p t â m e s p r o m e t t a n t a u j u i f qu i n o u s c o n d u is a it u n e b o n n e r é c o m p e n s e en a r r iv a n t en ville. S tim u lé p a r cet ap p â t, il r e p r it c o u ra g e , n o u s engagea à a t te n d r e q u e l q u e s in s ta n ts p e n d a n t q u ’il ir a it r e c o n n a îtr e la r o u te , et s ’éloigna. U n q u a r t d ’h e u r e s ’é c o u la en vain e atte n te , p u is u n a u tre ; enfin, tr a n s i s de froid, n e sa c h a n t à quoi a t tr i b u e r c e tte lo n g u e a b s e n c e qui, à c h a q u e in s t a n t, d eve nait p lu s d a n g e r e u s e , n o u s a p p e lâ m e s à g r a n d s cris et finîm es p a r d é c h a r g e r n o s pisto lets, afin q u e le b r u i t p û t n o u s faire re c o n n a îtr e , dan s le cas o ù ce m a l h e u r e u x se se ra it égaré. C ep en d a n t, n e le v o y a n t p o in t a rr iv e r , n o u s p r îm e s la d é t e r m in a tio n de p a rtir, c o n v e n a n t de c o n d u ire les c h e vaux t o u r à t o u r afin de n o u s réc h au ffe r dans nos f o u rru re s. A u g u ste se plaça le p r e m i e r s u r le p e tit siège de bois d u c o n d u c te u r , a ju sta se s r ê n e s et la n ç a l'es'chevaux avec u n e effrayante ra p id ité , se confiant à le u r in stin ct, n o tr e seul e s p o ir de salut, e t p r o té g é s p a r ce lte g r a n d e m a sse de n e ig e qui s u p p o r ta i t n o tr e tr a în e a u en n o u s é c la ir a n t de so n reflet. Deux fois, n o u s c h a n g e â m e s de place sans p e r d r e ni co u ra g e, ni gaieté, la issa n t parfois souffler q u e lq u e s in s t a n ts n o s chevaux, et r e p r e n a n t n o tr e c o u rse éc h e v e lé e et fa n ta s tiq u e , b o n d is s a n t c o m m e u n navire s u r les vagues e n c o u r r o u x , f ra n c h is s a n t des fossés et des obsta cles in a p e r ç u s , m a is a lla n t to u jo u r s , t o u jo u r s , sa n s p ré v o ir n i le te rm e , ni le r é s u lta t de ce voyage in c e r ta in et périlleu x . Enfin, s u r les dix h e u r e s , la neig e cessa, le ciel s ’éc la irc it et n o u s a p e r ç û m e s au loin u n g rand n o m b r e de feu x s ’a g ita n t d a n s to u s les s e n s ; p r é s u m a n t a u s s itô t 22 SOUVENIRS MILITAIRES. q u ’on était à n o t r e r e c h e r c h e , n o u s r e d o u b lâ m e s l ’a r d e u r de n o s p e tits c h e v a u x qui s e m b la ie n t p a r ta g e r n o tr e e sp o ir, et, n o u s d ir ig e a n t s u r ce p o in t, n o u s n o u s t r o u v â m e s a u b o u t d ’u n q u a r t d ’h e u r e au m ilie u d ’u n e t r e n ta in e de p a y s a n s , p o r t a n t des to r c h e s de b o is ré s in e u x , q u e le p r in c e a v a it e n v o y é s à n o tr e d é c o u v e rte , l o r s q u ’il s ’a p e r ç u t, e n a r r iv a n t à la ville, q u e n o u s n ’é tio n s p a s là, et fo rt in q u ie t s u r n o t r e sort. Les q u a t r e h e u r e s de r e ta rd s u r le convoi, u n e n u î t o b sc u rc ie p a r l a neig e in c e s s a n te , le d é c h a î n e m e n t des v e n ts, u n lac, u n e r iv iè r e q u ’il fallait tr a v e r s e r et les c o m b le s d an s le s q u e ls n o u s p ouv io n s d isp a ra ître , av a ie n t fait d ire aux h a b i ta n t s q u e n o tr e sa lu t d é p e n d a it de n o tr e c o n d u c te u r s ’o r ie n t a n t s u r q u e lq u e s g r a n d s a r b r e s d o n t il d evait a v o ir c o n n a is s a n c e ; m a is, l o r s q u ’ils n o u s v ir e n t s a n s lui, et qu e n o u s e x p liq u â m e s ce q u i s ’é ta it p a s s é , les ju if s p o u s s è r e n t d es cris de d é tre sse , c o n s id é r a n t la p e r te de l e u r core lig io n n a ire c o m m e in é vitable. En effet, dès la p o in te d u j o u r , o n f u t à la r e c h e r c h e de ce m a l h e u r e u x q u e l ’o n tr o u v a m o r t, e n fo n c é j u s q u ’aux é p a u le s d a n s la neige d o n t il n ’avait p u so r tir , e t n o u s n e p a r v în m e s à faire c e s s e r l e s c ris l a m e n t a b le s de sa famille q u ’a u m o y e n d ’u n e s o m m e de 50 ro u b le s a r g e n t (250 fr.) de d é d o m m a g e m e n t d o n t l ’effet e s t to u jo u r s im m a n q u a b le s u r la rac e ju d a ï q u e de ce pays. Au r e ste , cet ép isode, qui p r o d u is it u n e assez vive i m p r e s s i o n s u r nos ca m a ra d e s , n ’e n lit a u c u n e d a n s le p ay s où ces a c c id e n ts s o n t tr è s f r é q u e n ts , s u r t o u t d a n s les h iv e rs rig o u re u x c o m m e celui de ce tte a n n é e ; car, tro is j o u r s a p r è s n o tr e é v é n e m e n t, u n tr a î n e a u , c o n t e n a n t d eu x fe m m e s , u n e nfa nt e t le c o n d u c te u r , f u t e n g lo u ti d a n s un c o m b le p r o fo n d d o n t o n ne les r e tira , ainsi q u e les c h e vaux, q u e p lu s ie u r s j o u r s a p r è s . Bien q u e les hiv e rs f u s s e n t o r d in a i r e m e n t tr è s froids en P o lo g n e , ce tte a n n é e ENTRÉE EN CAMPAGNE. - 1799. 23 l u t r e m a r q u a b l e p a r u n degré d ’in te n s it é tel q u ’on n ’en avait p a s v u d e p u is lo n g te m p s , ce q u i n é c e s s ita la s u s p e n sion des exe rcic es m ilita ire s p e n d a n t q u e l q u e te m p s , m a is n o n d e s c o u r s e s en tra în e a u x , et des fêtes d o n n é e s p a r les s e ig n e u r s p o lo n a is ; celle offerte à M«r le d u c de B e rry p a r le c o m te S tro y n o w sk y , où se t r o u v a i e n t r é u n ie s p lu s de c in q u a n te j e u n e s f e m m e s , v e n u e s de tr è s loin et r iv a lisa n t de b e a u té et d ’élégance, f u t d ’u n e r ic h e s s e et d ’u n e pro d ig alité in c ro y a b les . Le p r in c e , avec sa b o n té h a b itu e lle , d aigna s ’o c c u p e r de m e s in té r ê ts avec c ha le u r, m a is n e p u t o b te n ir la r é d u c tio n des d e u x a n n é e s fixées p o u r m o n u n i o n avec Valérie ; ce tte p e r s is ta n c e m e s e m blait ê tre d ’u n m a u v a is au g u re , s a c h a n t q u e la c o m te s s e avait c o n lra c té so n p r e m i e r m a ria g e à q u ato rz e ans, et s u r t o u t p e n s a n t q u e la g u e r r e allait n o u s é lo ig n e r l’u n de l ’a u t r e e t q u e d e u x ans p o u v a ie n t a m e n e r b ie n des c h a n g e m e n ts . C e p en d a n t, m e s visites o b te n a ie n t t o u jo u r s le m ê m e accueil, e t m e s s e r m e n ts d ’u n a m o u r c o n s ta n t étaie n t p ay é s d ’u n r e t o u r b ie n fait p o u r m e d o n n e r de l’es p é ra n c e . Ainsi se p a s s a to u t l ’hiv er. Mais, a u r e t o u r d u p r in te m p s , les p ré p a ra tif s du d é p a r t de l ’a r m é e p o u r l’A llem agne ne la is s è re n t p lu s a u c u n d o u te s u r la g u e r r e , e t n o u s n o u s fu ssio n s m i s e n m a r c h e d a n s le c o u r a n t d ’avril, si la fo n te des n eig es n ’avait p a s r e n d u les c h e m in s im p r a ti cables, a u s s i bie n q u ’u n e alte rc a tio n s u r v e n u e e n t r e la R u s sie et la Bavière; t o u s ces o b sta c le s levés, l ’A rm ée de Condé d u t q u itt e r ses q u a r ti e r s le 2 ju i l l e t 1799, p o u r se d irig e r s u r le R hin e n tr a v e r s a n t la Galicie et la Silésie, f o r m a n t tro is 'colonnes : la p r e m i è r e a y a n t à sa tê te le p r in c e de Condé, avec so n q u a r ti e r g éné ral, l ’I n fa n terie no b le , les h u s s a r d s r u s s e s de B a u e r; la se c o n d e so u s les o r d r e s d u d u c de Berry, se c o m p o s a n t de la Cavalerie noble, 24 SOUVENIRS MILITAIRES. d u r é g i m e n t d ’in fa n te rie D u r a n d e t d e l ’artillerie, e t l a t r o i s iè m e c o m m a n d é e p a r le d u c d ’E n g h ie n , f o rm é e de son r é g i m e n t de d ra g o n s, de B o u r b o n in fa n te rie , et de l ’h ô p ita l. D eux j o u r s av a n t ce d é p a r t, M o n se ig n e u r m ’envoy a à H o rodlo p r è s d u c o m te d ’A sto rg p o u r lu i p o r t e r l ’o r d re de se r e n d r e à L ok atsch i avec son e s c a d ro n . Mon arriv ée fu t le s u je t de la jo ie u n iv e rs e lle p a r l’idée de se r a p p r o c h e r de la m è r e p atrie et l ’e s p o ir q u e c e tte n o u v e lle c a m pagne a u r a it d ’h e u r e u x r é s u lt a ts . V e rs les onze h e u r e s d u soir, r e ti r é d a n s l 'a p p a r t e m e n t q u ’o n m ’avait d o n n é a u ch â te a u , j e rêvais a u m o y e n de p o u v o ir faire m e s a d ie u x à Valérie, lo r s q u e j e vis e n t r e r c l a n d e s t i n e m e n t la j e u n e Nazitka, sa s œ u r de lait et sa f e m m e de c h a m b r e . « Bonsoir, m e dit-elle, venez vite co n so le r m a m a îtr e s s e q u e le c h a g r in de vo tre d é p a r t afflige c r u e lle m e n t. — Mais, ré p o n d is-je , est-ce de sa p a r t q u e v o u s venez m e c h e r c h e r ? e t sa m è re , si elle m e s u r p re n a it, n ’au rait-elle pas lieu d ’é tre m é c o n t e n t e ? — Sa m è re , m e d it avec finesse c e tte c h a r m a n t e fille, elle d o r t d ’u n b o n s o m m e et n e se réveille j a m a i s av a n t le jo u r . — E h bien! lu i d is-je en l ’e m b r a s s a n t, reçois ce b a i s e r p o u r ta b o n n e no u v elle. — Ah! fit-elle en s o u r ia n t, si m a m a ître ss e le savait. » P u is, je la su iv is; m a is en e n t r a n t d a n s cette c h a m b r e v irg in a le o ù j e n ’avais j a m a i s p é n é tr é , quelle fut m a s u r p ris e , m e c r o y a n t a t te n d u , de voir V alérie à m oitié déshab illée , a ssise s u r u n divan, la tê te a p p u y é e s u r u n e m a in , e t l ’a u tre te n a n t u n m o u c h o ir qui m e p r o u v a it q u ’il se rv a it à e s s u y e r ses la r m e s ; m a p ré se n c e , qui lui fit é c h a p p e r u n p e tit cri d ’effroi, m e m o n t r a q u ’elle n e m ’a t t e n d a it pas, et q u e sa s œ u r de lait avait v oulu lui m é n a g e r ce tte s u r p r i s e d a n s la c ro y a n c e de lui ê tre agré ab le , ce q u ’elle a v o u a to u t a u s s itô t en se r e ti r a n t e t m e d is a n t : « U ne d e m i- h e u r e , et pas p lu s. » ENTRÉE EN CAMPAGNE. — 1 79 9 . 25 Valérie co n fu se , t r o u b lé e , m a is c e r ta in e q u e j'é ta is é t r a n g e r à ce d élit : « Eh b ie n ! je n e p u is v ous en v o u lo ir de l ’é lo u r d e r i e de Nazitka, m e dit-elle, e n m e t e n d a n t la m a in , m a is il f a u t vous r e ti r e r , c a r ce tte im p r u d e n c e p o u r ra it n o u s d e v e n ir fatale; m a is, croyez q u e la p r o m e s s e de m e s p a r e n ts , d ’a c co rd avec m o n cœ u r, s e ra to u jo u r s p r é se n te à m a p e n s é e , et v o tre r e t o u r le p lu s h e u r e u x m o m e n t de m a vie. » P u is , se lev ant, elle f u t c h e r c h e r d a n s u n p e t it coffret u n a n n e a u q u ’elle m it à m o n doigt : « Voilà, m e d it-e lle, ce q u e je v o u s d e s tin a is d e p u is lo n g te m p s , vou s y verrez n o s d e u x n o m s ré u n is. M ainten ant, adieu, Ilip p o ly te ! s é p a r o n s - n o u s et e s p é r o n s dan s u n a ve nir q u e j e ne cesserai de d é s ire r , et d o n t la réalité se ra le plu s h e u r e u x j o u r de m a vie! » P r o f o n d é m e n t é m u de ces d o u c e s p a r o le s a u x q u e lle s était jo in te l ’ex p re ssio n de ses beaux y e u x b le u s lim p id e s de c a n d e u r et do naïv eté , j e p r e ssa i V alérie s u r m o n c œ u r e t la q u ittai, e m p o rta n t d a n s m o n â m e u n s o u v e n ir de b o n h e u r ineffaçable. La co lo n n e, so u s les o r d r e s d u du c de Berry, était entiè r e m e n t r é u n ie à L ok atsch i p o u r en p a r ti r le le n d e m a in , e t u n g r a n d d în e r avait lieu chez le p r in c e , lo r s q u e , t o u t à c o u p , les t a m b o u r s b a t ta n t le ra p p e l, les cloches d es diffé re n te s p a r o is s e s s ’é b r a n la n t v io le m m e n t s e m b le n t ê tre le p r é c u r s e u r de q u e l q u e g ran d d é s a stre ; e n effet, les cris d é c h ira n ts de la p o p u la tio n c o u r a n t çà et là fo n t b ie n tô t c o n n a îtr e q u ’un des q u a r ti e r s de la ville est en p r o ie à u n in c e n d ie ép o u v a n ta b le , q u i, o c c a s io n n é par l ’im p ré v o y a n c e d ’u n ju if, d o n t les m a g a sin s s o n t r e m p l is de b a llo ts de la ine, de c oton, p lu s i e u r s barils d ’eau-de-vie e t a u tre s m a tiè re s in fla m m ab les, fait des ravages affreux; en m o in s de d e u x h e u r e s , vingt m a is o n s , p r e s q u e to u t e s e n bois, so n t e n t i è r e m e n t c o n s u m é e s , m a lg ré les efforts de la tr o u p e SOUVENIRS 26 MILITAIRES. qui p a r v ie n t c e p e n d a n t à e m p ê c h e r l ’e n t iè r e d e s tr u c tio n de la ville. Le p rin ce , p r o f o n d é m e n t to u c h é de ce tte affreuse cata s tr o p h e q u i f ra p p a it u n si g r a n d n o m b r e d ’in fo rtu n é s, d o n n a s u r - l e - c h a m p , avec ce m o u v e m e n t si n a t u r e l de sa g é n é r o s ité , d e u x c e n ts du ca ts, ta n d is qu e les cavaliers, p o u r im i te r u n si bel e x e m p le , a b a n d o n n a i e n t q uinz e j o u r s de solde. Tels f u r e n t le s a d ie u x d e s F ra n ç a is qui e m p o r t è r e n t b é n é d ic tio n s d e s h a b i ta n t s de ce tte m a lh e u r e u s e cité. 4 ju ille t, n o u s p a s s â m e s le B ug p o u r e n t r e r d a n s P o lo g n e a u tric h ie n n e . Ne v o u la n t p a s r e tr a c e r to u te s j o u r n é e s d ’éta p e s qui é t a ie n t d e se p t à h u i t lie u es, je les Le la les ne p a r le r a i q u e d e s e n d r o it s offrant u n in té r ê t particu lie r. Le 14, n o u s e û m e s u n d o u b le s é jo u r d a n s la p etite ville de L a n ç u t o ù se tr o u v a it la s u p e r b e r é s id e n c e de la p r i n c e s s e L u b o m ir sk a , v en u e e x p rè s de V ien n e avec u n e su ite n o m b r e u s e p o u r e n faire les h o n n e u r s au x tro is p r in c e s qui y lo g è re n t s u c c e s s iv e m e n t avec le u r suite et y fu re n t s p le n d id e m e n t tr a ité s . Chasse à c o u r r e , c o m éd ie e t bal o ù f u r e n t in v ité e s p lu s de c e n t f e m m e s des en v i r o n s : telle fut la ré c e p tio n offerte a u d u c de Bcrry. Le 20, a u t r e s é jo u r à T a r n o w , jo lie ville de la Galicie, où le p r in c e et sa m a is o n c o m te T a r n o w sk i, où les j o u r n é e s n ’é ta ie n t a m a t e u r de m u s i q u e , fu re n t logés d a n s le b e a u palais d u il y e u t u n e fête su p e rb e . L orsqu e p a s t r o p fo rte s, M o nse igneur, fort d o n n a i t q u elq u e fo is d es c o n c e r ts e x é c u té s p a r lui e t p lu s i e u r s ^ a v a lie rs n o b le s p a r m i le s q u e ls se tr o u v a i e n t d e s talents r e m a r q u a b le s . Le 27, le p r in c e , v o u la n t p rofiter d u s é jo u r qui devait avoir lie u e n la p etite ville de Bochinia, p a rtit p o u r Cracovie d is t a n t de h u i t lieues, avec MM. de N an touillet, S ourdis, L a F e r r o n n a y s et moi, afin d ’aller, d a n s les e n v iro n s, visiter LES SALINES DE WIELIÇZA. — 179 9 . 27 les c é lè b re s sa lin e s de W ieliçza, où s a p r é s e n c e était a n n o n c é e p a r u n o r d re de l ’e m p e r e u r d ’A utrich e. Nous d e s c e n d îm e s d a n s de v a s te s s o u te r r a in s à u n e p r o fo n d e u r d é p l u s de six c e n ts pie d s, o ù d es m illie rs d ’h o m m e s tr a v aille n t d ep u is p lu s i e u r s siècles à l ’extraction d u sel. N ous d e s c e n d îm e s dan s les en tra ille s de la te rr e s u r de p e tits sièg es de sangle a t ta c h é s a u t o u r d ’u n e c o rd e fort g r o s s e ; cin q p e r s o n n e s p e u v e n t y d e s c e n d re à la fois. Il f aut tro is m i n u t e s p o u r arriv er a u p r e m i e r étage, il y en a tro is. Au second étage, se tro u v e u n e assez g r a n d e c h a pelle où to u t e s t e n sel, l ’au tel, les o r n e m e n ts , ainsi qu e d e u x m o in e s qui o n t l ’air de dire la m e sse . On y v oit au ssi des bas-reliefs, d es s ta tu e s te lle s q u e celles de l ’e m p e r e u r S ig ism o n d , de sa in t L ouis, d u roi de P o lo g n e A uguste, et n o m b r e d ’a u t r e s . E n a r r iv a n t au d e r n ie r étage, se t r o u v e n t d ’i m m e n s e s galeries, des salons avec d e s c o lo n n e s a r c h i te c tu r a l e s d ’u n travail ad m ira b le , des m e u b le s , des sièges, des m o n u m e n t s en to u s g e n r e s en sel cristallisé, qui p r o d u is a ie n t u n effet d ’a u t a n t p lu s m a g iq u e , q u e des m illiers de b o u g ie s s u s p e n d u e s à d es l u s t r e s de c ristau x se reflé ta ie n t s u r to d s les m u r s et les co lo n n es d ia m a n t é e s ; c e tte illu m in a tio n fé e riq u e , qui n ’a lie u ja m a i s q u e p o u r la fam ille im p é r ia le , avait été o r d o n n é e p a r l ’e m p e r e u r en f a v e u r d u d u c de Berry, ainsi q u ’u n e b rilla n te m u s i q u e , d o n t les effets e n c h a n t e u r s s o n t difficiles à décrire. E nfin, p o u r a j o u te r à to u s ces p r e s tig e s ino u ïs, t o u t à co up se p r é s e n ta , dan s n o s c o u r s e s so u te rr a in e s , s o u s ces v o û te s i m m e n s e s , un lac p r o fo n d s u r le q u e l n o u s n o u s e m b a r q u â m e s , to u jo u r s aux so n s m é lo d ie u x de la m u s iq u e , et ce fut a p r è s cinq h e u r e s de p a r c o u rs d a n s ce lieu de s u r p r is e s , d ’é t o n n e m e n t et d ’a d m ir a tio n , q u e n o u s s o r tîm e s de ce palais e n c h a n té , c ro y a n t av o ir fait u n rêve des Mille et u n e n u its . Nous f û m e s e n s u ite v isiter Cracovie, ville 28 SOUVENIRS MILITAIRES. c o n s id érab le, r e n f e r m a n t p lu s ie u r s palais, u n c h â te a u fort et u n e p o p u la tio n n o m b r e u s e . Le 30, le p r in c e et sa su ite lo g è re n t à Kalvaria, d an s le b e a u c h â te a u d u p r in c e C z arto ry sk y , s itu é s u r le h a u t d ’une m o n ta g n e où se tr o u v e a u s s i u n m a g n ifiq u e c o u v e n t de f ra n c is c a in s q u e n o u s f û m e s v isiter. Le 6 a o û t, logé en la ville de T e t s c h e n ; le c o m te de W r a rlo w itz offrit le s o ir u n bal m agnifique. Le 18, L e n to m is c h e l, o ù se tro u v e u n fort b e a u c h â te a u a p p a r t e n a n t a u c o m te W a l d e s t e i n q u i, n o n s e u l e m e n t ne l ’offrit po in t au p rin ce , m a is ne v int pas m ê m e le saluer. D ans la j o u r n é e d u 20 se p a s s a u n e sc è n e qui r e s te r a à ja m a i s gravée d a n s le c œ u r de c e u x qui en f u r e n t té m o in s et q u i p r o u v e les n o b le s s e n tim e n ts d o n t é ta it a n im é n o tre prin c e . La veille, S. A. R., p a s s a n t c o m m e d ’h a b itu d e l’insp e ctio n d u r é g i m e n t , a d r e s s a d e s r e p r o c h e s d u r s et sé v è r e s au c h e v a lie r de Y... s u r la n égligence de sa t e n u e ; celui-ci, p r o f o n d é m e n t ble ssé de m o ts q u ’il c r o y a it flétrissants, r e m i t so n s a b re d a n s le f o u rr e a u avec u n e ex p re ssio n de co lère qu e le p r in c e fit s e m b la n t de n e p a s voir, et il a p p rit d a n s la so irée q u e l’i n te n tio n d u ch e valier était de d o n n e r sa d ém issio n . Le le n d e m a in , la co lo n n e é t a n t en m arcjie, le p r in c e fit a p p e le r le che valier de Y ... et, suivi du m a r q u is de M ontagnac, e n t r a d a n s u n p e tit bois n o n loin de la r o u te , m it pied à te rr e , d is a n t a u che valier de l ’im ite r, ôta s o n h a b it, et tir a n t so n s a b re : « M onsieur, dit-il, m e voilà t o u t p r ê t à v o u s d o n n e r satisfac tio n de l ’in ju re q u e v ous croy e z av o ir r e ç u e e t q u i n ’é ta it n u lle m e n t d a n s m o n in te n tio n . » Le chevalier, on n e p e u t p lu s to u c h é de cette loyale d éc la ra tio n : « Non, M onseigneur, rep rit-il, to u t m o n sa n g e s t à vous, et j ’au ra is h o r r e u r d ’être ex p o sé à faire c o u le r le vôtre. » Le prince, v iv e m en t é m u , je t t e son a rm e , MARCHE MILITAIRE EN AUTRICHE. — 1799. 29 e m b r a s s e le ch e v alier e t r e v ie n t jo y e u x à la tê te de son r é g im e n t o ù b ie n tô t cet é v é n e m e n t, c o n n u de to u te la tr o u p e , p r o d u i s i t u n e vive im p r e s s io n et u n e a d m ir a tio n gén é rale . Le 23, n o u s c o u c h â m e s à Kollin, o ù le p r in c e v o u lu t v isiter le te rr a in s u r le q u el F ré d é ric , roi de P r u s s e , p e r d it en 1757 ce tte cé lè b re b ataille c o n tre le m a ré c h a l Daun. N ous a r r iv â m e s le 27 a o û t à P ra g u e, cette cé lè b re et a n t iq u e ville, ca pitale de la B o h ê m e , qui se p r é s e n ta de loin à nos r e g a rd s avec un e foule de c lo c h e rs et de m o n u m e n t s re m a r q u a b le s . La Cavalerie noble, d a n s u n e te n u e belle et sévère, m a r c h a n t en c o lo n n e p a r q u a t r e , était pré c é d é e d ’u n e b o n n e et s o m p t u e u s e m u s i q u e , p a r m i laquelle se faisait r e m a r q u e r un p etit nèg re , c o u v e r t d ’or, placé e n tre d eu x tim b a le s g arn ie s de c r é p in e s d ’o r de g r a n d e b ea u té , avec le s a r m e s de F ra n co en relief, b r o d é e s, disait-on, p a r l'im p é ra tr ic e de R u s s ie ; v e n a it e n s u ite le du c de Berry suivi de so n brilla n t cortèg e. A u n e lieue de la ville, se p r é s e n ta le g én é ral a u tric h ie n de Moitel, envoyé à sa r e n c o n tr e p a r l e c o m te d ’A p p o n co u rt, c o m m a n d a n t g é n é r a l e n l’a b s e n c e de l’a r c h id u c Charles, g o u v e r n e u r de la B ohêm e. N ous tr o u v â m e s , à la p r e m i è r e b a r r iè r e , les ém ig ré s fra n ça is d o m ic iliés à P ra g u e , qu i s ’é ta ie n t r é u n is p o u r p r é s e n t e r au p rin c e le u rs h o m m a g e s . A ussitôt ap rè s, n o u s r e m e tta n t en m a rc h e , c in q u a n te c o u p s de can ons s a lu è r e n t n o tr e e n tré e d a n s la ville e n h o m m a g e à la n o b le s s e fidèle; n o u s la tr a v e rs â m e s d a n s to u te sa lo n g u e u r, p r é c é d é s p a r u n d é t a c h e m e n t de h u la n s a u t r ic h ie n s q u i n o u s f ra y a it u n p assage au m ilieu de la p o p u la tio n a g g lo m é r é e d a n s les r u e s ; les fen ê tre s, les b a lc o n s, des g ra d in s s u r les places, p r in c ip a le m e n t celle du p alais im pé rial, é ta ie n t g a rn is de d a m e s ag itan t le u r s m o u c h o ir s a u m ilieu des p lu s vives 80 SOUVENIRS MILITAIRES. a c c l a m a tio n s ; m a is ce qui s u r t o u t p r o d u is a it u n e g ra n d e s e n s a ti o n , c ’é ta it de voir, d a n s n o s ran g s, d es ch evaliers de S aint-L ouis, de Saint-L azare, des c o m m a n d e u r s et g ran d n o m b r e de ch e v aliers de Malte, des h o m m e s de t o u t âge, vieux, je u n e s , et m ê m e des en fa n ts de q u in z e à seize a n s, to u s le r e g a rd fier et satisfait, sa n s m o n t r e r la m o in d re fatigue, m a lg r é u n e . r o u te de d e u x c e n ts lie u e s p ar des ch a le u rs excessives. Arrivé d e v a n t le p alais im p é ria l, m is à la disp o sitio n d u p r in c e et de sa suite, S. A. R. m it p ie d à t e r r e , afin de r e c e voir les a u t o r i té s civiles et m ilita ire s , ta n d is q u e la cava le rie n o b le c o n t in u a i t sa m a r c h e p o u r a lle r p r e n d r e ses q u a r ti e r s d a n s les fa u b o u r g s de la ville. Ce m ê m e j o u r , M o n se ig n eu r d o n n a u n g r a n d d în e r a u G rand b u rg ra v e, p r e m i e r m a g is tr a t de P ra g u e , au x offi cie rs g é n é r a u x a u tric h ie n s et français de so n co rp s et à p lu s ie u rs é m ig r é s de m a r q u e , au n o m b r e d e s q u e ls se tro u v a it Mgr de S ab ra n , év ê q u e de L aon, a n c ie n p r e m i e r a u m ô n ie r de la R e in e ; m a is , ce qui f ra p p a p lu s p a r ti c u liè r e m e n t les A lle m a n d s , c’était de voir, à ce tte m ê m e table, u n m a ré c h a l d es logis, u n b r ig a d ie r et d eux cavaliers n o b le s, h a b i tu d e c o n tra c té e p a r le p rin c e d e p u is le p r e m i e r j o u r de m a rc h e . Le le n d e m a in , la ville offrit à S. A. R. un bal m a g n ilique, à la so r tie d u spectacle, o ù il avait été obligé de p a r a îtr e p o u r sa tisfaire à l’e n t h o u s ia s m e p ublic. L ’a rriv é e d u d u c d ’E n g h ie n p r é c é d a n t sa c o lo n n e de d e u x jo u r s , q u i v in t a u s si h a b i te r le palais avec ses aid es de ca m p , fut u n n o u v e a u m o ti f de fêtes et de plai sirs. Ce b e a u m a n o ir se m b la it a p p a r t e n i r à la F ra n c e : par u n e délicate a tte n tio n de l ’e m p e r e u r d ’A utriche, to u s les valets de p ie d p a r la ie n t n o tr e la n g u e, et, de p lu s, u n c h a m bellan avait été m is à la d isp o sitio n d u p r in c e avec l ’o rd re PA SSA G E A P R A G U E . — 1T99. 31 de r e p r é s e n t e r r o y a l e m e n t so n s o u v e ra in et a lle r a u - d e v a n t de to u s se s désirs. * Le soir de ce jo u r , le p alais r e s p le n d is s a it de lu m i è r e s ; u n o r c h e s tr e n o m b r e u x , q u a n tité de d a m e s p a r é e s de le u r b rilla n t c o s tu m e e t de le u r s a t tr a its , u n e fou le d ’officiers a u tr i c h ie n s , de c a v aliers n o b le s et de p e r s o n n e s d is t in g u ée s de la ville g a r n is s a ie n t le s s o m p t u e u x sa lo n s de ce palais, d a n s le sq u e ls on d a n s a j u s q u ’à m i n u i t q u e fut servi u n sp le n d id e s o u p e r a p r è s leq u el le bal c o n tin u a j u s q u ’à cin q h e u r e s d u m a tin. D ans la jo u r n é e suiva nte , les p r in c e s v is itè r e n t p lu s i e u r s é ta b li s s e m e n ts r e m a r q u a b le s e t p a s s è r e n t la r e v u e d ’u n b e a u r é g im e n t de c h e v a u - lé g e r s a u t r i c h ie n s p a r t a n t p o u r l ’a r m é e ; p u is, de làj se r e n d i r e n t avec to u te l e u r m a iso n m ilita ire chez le c o m te d ’A p p o n c o u r t où les a t te n d a it un sple n d id e r e p a s suivi d ’u n bal m a g n iiiq u e . Ces fêtes d u r è r e n t q u a tre j o u r s , sa n s d is c o n tin u e r, lais sa n t d a n s l 'e s p r it des h a b i ta n t s u n p r o fo n d souve nir, et un s e n tim e n t de r e c o n n a is s a n c e d a n s le c œ u r des p r in c e s qui en f u r e n t l’objet. Le 30, a u m o m e n t o ù M o n se ig n eu r q u itt a it le palais p o u r a lle r se m e ttr e à la tê te de la cavalerie n o b le en b ataille h o r s de la ville, le ch a m b e lla n de l’E m p e r e u r lui p r é s e n ta d e u x s u p e r b e s c h e v a u x m a g n ifiq u e m e n t c a p a r a ç o n n é s, au n o n i de son m a îtr e , ainsi q u ’u n e le ttr e r e m p lie des tém o ig n a g es les p lu s affectueux. Le d é p a r t de la Cavalerie n o b le fut, ainsi q u e so n en tré e, sa lu é e de vin g t e t u n c o u p s de c a n o n . N ous c o n tin u â m e s n o tr e m a r c h e p a r étapes, d a n s la direc tio n des a r m é e s r u s s e et a u t r i c h ie n n e d éjà au x p r is e s avec les F ra n ç a is. N ous m îm e s h u i t jo u r s p o u r a rr iv e r à R a tisb o n n e où se trouvait u n n o m b r e c o n s id érab le d ’é m ig r é s v e n u s p o u r se jo in d r e à l ’A rm ée de C ondé; il en fut de m ê m e à A u g sb o u rg 32 SOUVENIRS MILITAIRES. où n o u s a r r iv â m e s en s e p t j o u r s ; le le n d e m a in , en n o u s d ir ig e a n t s u r le M einingen, n o u s t r a v e r s â m e s le fu n este c h a m p de b ataille d ’O b erk a m la c h , a r r o s é des flots de sang des C h a sse u rs n o b le s, le 13 a o û t 1796. Le 27 s e p te m b re , n o u s e n t e n d îm e s , en a r r iv a n t à la p etite ville de W u r s a c , u n e vive c a n o n n a d e d a n s la d irec tio n de la Suisse, ce qui n o u s p r o u v a l’a p p r o c h e d u b u t a u q u e l n o u s te n d i o n s ; e n effet, le le n d e m a in , le p r in c e , en p a s s a n t la r e v u e de la cavalerie, a n n o n ç a q u 'a v a n t p e u n o u s v e rrio n s l ’e n n e m i et p r it to u te s les d is p o s itio n s n é c e s s a ir e s à cet ég a rd . Ce m ê m e jo u r , il n o u s fit, à La F e r r o n n a y s et m oi, c a d e a u d ’u n ch eval d a n s la p en sée q u ’avec u n seul n o u s p o u r r i o n s diflic ile m en t faire le serv ice p r è s de sa p e r s o n n e , et, p a r s u r c r o ît de b o n té , il a u t o r i s a q u e n o s d eux d o m e s tiq u e s p o r ta s s e n t la livrée de sa m a is o n . Dans la n u i t du 30 s e p te m b r e , u n aide de c a m p du p rin c e de Condé a p p o r ta à M o nse ign eur la triste no u v elle de la c o m p lè t e défaite du g én é ral r u s s e , p r in c e Korzakoff, c u l b u té à Z u rich p a r l ’a r m é e d u g é n é r a l M a sséna e t c o n t r a in t de se r e t i r e r d e r r iè r e le R h in , p r è s Schaffouse. P a r su ite de ce grave é v é n e m e n t, le p rin c e de Condé d u t p r e n d r e p o sitio n avec so n a r m é e p r è s le b o u r g de B o d e m a n n et les b o r d s du lac de C o n s ta n c e , e n o c c u p a n t ce tte ville avec d e u x bataillons. B ientôt a tta q u é p a r d es forces s u p é r ie u r e s , on s ’y b a ttit avec a c h a r n e m e n t a u m o y e n d es r e n f o rts env o y é s p a r le p r in c e ; d e u x fois la ville f u t p r is e , et r e p r is e d e u x fois, et sa n s le c o u r a g e s u r h u m a i n d u d u c d ’E ng hien, u n e p a rtie de no tre in fan terie y e û t su c c o m b é , les A u tric h ie n s ne p o u v a n t p o r t e r a u c u n s e c o u r s , se v o y a n t e u x - m ê m e s d é b o r d é s d a n s le u r p o s itio n ; c e tte m a l h e u r e u s e échaulTourée, qui se t e r m i n a p a r la r u p t u r e du p o n t s u r la poin te d u lac, coû ta à n o tr e a f m é e la m o r t de 250 h o m m e s et g r a n d n o m b r e de b le s s é s ; le b ra v e géné ral de S algue, âgé de soixante- CAMPAGNE EN SUISSE. - 1799. 33 q uinz e ans, y fut t u é ; le g é n é ra l c o m te de V a ub orel b le ssé g r iè v e m e n t, q u a t r e c a p ita in e s tu é s , s e p t officiers ble ssés, et le c o m te d u Goulet, aide de cam p du p r in c e de Condé, p r is o n n ie r. Le d u c d ’E n g h ie n y e u t so n cheval tué s o u s lui e t so n c h a p e a u percé d e tro is balles. Ce fut d e u x j o u r s a p r è s ces graves é v é n e m e n ts q u ’a p p a r u t le m a r é c h a l S u w a ro w , a r r iv a n t d'Italie avec son co rp s d ’a r m é e d a n s l ’i n te n tio n d ’u n e n v a h is s e m e n t a u q u e l il f u t c o n t r a in t de r e n o n c e r e n se m e t t a n t s u r la défe n siv e p o u r rallier les tr o u p e s d u p rin c e K orzakoff et o p p o s e r u n e vive r é s is ta n c e à la m a r c h e des F ra n ç a is d o n t le s s u c c è s v en a ie n t de p o r t e r u n e g ra n d e a tte in te à n o s e s p é ra n c e s. Le p rin c e de Condé, a y a n t p r is p o sitio n n o n lo in d u village de S la h r in g e n , o r d o n n a le 8 o c to b re au du c de B erry de p o u s s e r u n e r e c o n n a is s a n c e avec sa cavalerie n o b le s u r P e t e r s h a u s e n o cc u p é p a r d eux b ataillon s fra n ça is, q u a t r e p iè ce s de c a n o n et u n r é g im e n t de d rag o n s. M o nse igneur, ap e rc e v a n t l ’e n n e m i e n p o sitio n , r é s o lu t a u s s itô t de l ’a tta q u e r , m a lg ré so n in fé rio rité et so n m a n q u e d ’infanterie. F o r m a n t sa t r o u p e s u r d eux lig n e s, se p la ça n t a u c e n tr e et en av a n t d e la p r e m i è r e , e n to u ré de sa m a is o n et b r a n d is s a n t son s a b re a u x cris de : Vive le roi ! il ch a rg e avec u n e telle furie les d r a g o n s q u i v e n a ie n t f r a n c h e m e n t a u -d e v a n t de n o u s , q u ’il les c u l b u te , les enfo nc e, les p o u r s u iv a n t p e n d a n t p lu s de dix m in u t e s , le s a b re d a n s les r e i n s , et p o rte le d é s o rd r e dan s l ’in fanterie d o n t u n b ataillo n m e t bas les a r m e s . Ce c o m b a t in sta n ta n é , d o n t le su c cè s fut d û à la fougue de l ’a tta q u e , co û ta à l’e n n e m i, o u tre so n bataillon et d e u x piè c e s de c a n o n , 48 d r a g o n s qui r e s t è r e n t s u r le lie u d u c o m b a t; n o u s e û m e s , de n o tr e côté, le che valier de R a m b u r e s tu é , onze cavaliers n o b le s b le ssé s p lu s ou m o in s g r iè v e m e n t e t cinq c h e v a u x tu é s p a r la m itra ille , p a r m i le sq u els f u t celui d ’A ug uste de La F e r r o n n a y s qui 34 SOUVENIRS MILITAIRES. e u t la tê te c o u p é e e n d eux. N ous g a r d â m e s la p o sitio n q u i v e n a it d ’être en levé e, r e n f o r c é s p e u a p r è s p a r d e u x b ataillo n s de c h a s s e u r s n o b le s a r r iv a n t au p a s de c o u r se n o u s s a c h a n t a u x p r is e s . Dans la soirée, M onseigneur, visité p a r l e p rin c e de Condé, en r e ç u t to u s les éloges q u ’il m é r i tait, lu i o b s e rv a n t p o u r t a n t que, en v o y é s i m p le m e n t en r e c o n n a is s a n c e à q u a t r e lie u es de l’a r m é e , il avait été p lu s h e u r e u x q u e sage. « Ma foi, M o n se ig n eu r, dit le duc de B e rry, l ’o c c a s io n éta it t r o p b elle p o u r ne p a s la saisir, e t m e s b raves cavaliers n o b le s n e m e l’a u r a i e n t p as p a r d o n n é . » Le p rin c e , lui p r e n a n t la m a in e n so u ria n t, lui r é p o n d it avec g râc e : « C’e s t u n e r é p o n s e à la H enri IV, on n e d o it j a m a i s e n a t te n d r e d ’a u t r e s de son digne petit-fils, » et il r e t o u r n a d a n s so n ca m p a p r è s av o ir d o n n é ses i n s t r u c tions. Q uelques jo u r s a p r è s ces é v é n e m e n ts , l ’A rm ée de C ondé fit sa jo n c tio n avec les R u s s e s afin d ’agir de c o n c e r t; la C avalerie n o b le placée à L an g e n h ag e n , M o n se ig n eu r p r o fita de sa p ro x im ité avec le m a ré c h a l S u w a ro w , qui était à L in d a u , p o u r lui faire u n e v isite a c c o m p a g n é s e u l e m e n t du ■colonel de S o u rd is , de m o i et d ’u n v a le t de pied. N ous le tr o u v â m e s , b ie n q u ’il f û t p r é v e n u , dan s l ’a c c o u t r e m e n t le p lu s g r o te s q u e , r e s s e m b l a n t p lu tô t à u n p a y s a n q u ’à u n g én é ral en chef, affectant u n e originalité d o n t il savait avoir la r é p u ta tio n e t m ê la n t à se s m a n iè r e s b r u s q u e s b ea u c o u p de b o n h o m ie . Dès q u ’il a p e r ç u t le p r in c e , il se leva, le sa lu a r e s p e c t u e u s e m e n t , le p r it p a r la tê te et le b aisa s u r le front, le fit a s s e o ir dans u n fau te u il et r e s ta d e b o u t. Cette sc èn e se p a s s a en n o tr e p r é s e n c e ; n o u s n o u s r e ti r â m e s en su ite avec le s officiers r u s s e s qui é ta ie n t d a n s le salon, p o u r la is s e r seuls les d e u x i ll u s tr e s p e r s o n n a g e s . Dans le long e n t r e tie n q u ’ils e u r e n t et d o n t le p rin c e v o u lu t b ie n n o u s t e n d r e c o m p te , le m a ré c h a l s’e x p rim a d 'u n e m a n iè r e tr è s é n e r g iq u e s u r la c o n d u ite d u c a b in e t a u tric h ie n e t des LE DUC DE BERRY ET SUWAROW. — 1 79 9 . 35 g é n é r a u x j a lo u x d ’ôtre so u s se s o rd re s, e n t ra v a n t ses p r o j e t s e t n e lu i d o n n a n t a u c u n e a s sis ta n c e . « Cette co n d u ite e s t d ’a u t a n t p lu s inexplicable, ajouta-t-il a u prince, q u e l’e m p e r e u r d ’A u trich e , té m o in de to u t ce qu e j ’ai fait en Italie, n e p o u v a it d o u te r d es s u c c è s qui m ’a t te n d a ie n t ici : e t qu elle n ’a p a s été m a s u r p r i s e et m o n m é c o n t e n t e m e n t en a r r iv a n t e n S u isse d ’a p p r e n d r e q u e c ’est à l ’in a ctio n im p a r d o n n a b le des A u tr ic h ie n s q u e le p rin c e K orzakolf a d û les r e v e r s q u ’il a e s s u y é s à Z urich ! » L o rs q u e le p r in c e q u itta S u w a ro w , celui-ci lu i d it : « M onseign eur, c ’e s t le ca b in e t de Y ienne qui n ’a pas v o u lu q u e je v o us c o n d u is is s e à P a r i s ; p u iss e -t-il u n j o u r r e s s e n t i r les effets de ce tte c o n d u ite in iq u e et d éloy ale , a u s s i v ais-je d e m a n d e r à m o n m a îtr e q u ’il ra p p e lle ses tr o u p e s ! » P e u de jo u r s a p r è s ce tte e n tre v u e , l ’a r c h id u c Charles, in fo rm é d u p r o je t de r e tr a i te du m a ré c h a l, lui en v o y a un aide de ca m p p o u r l’e n g a g e r à u n e c o n f é re n c e s u r u n plan de défense. « Dites à S. A. I. l’A rc hiduc , r é p o n d it S u w a ro w , q u e je ne c o n n a is p as la défensive, je n e sais q u ’a tta q u e r. J ’irai e n av a n t q u a n d b o n m e se m b le ra , et alo rs je n ’irai p a s en S uisse . Je m a rc h e r a i, selon m e s o r d re s, d ir e c te m e n t s u r la P ra n ch e -C o m té ; dites-lui q u ’à V ienne j e serai à ses pie d s, m a is q u ’ici je suis au m o in s son égal, il e s t feld -m a ré ch a l, je le su is a u s s i; il e s t a u se rv ic e d’u n g r a n d e m p e r e u r , m o i de m ê m e ; il est j e u n e , e t m oi j e suis vieux. J ’ai ac quis de l ’e x p é rie n c e à force de v ictoires, et je n ’ai ni conseils, ni avis à p r e n d r e de qui q u e ce soit, j e n ’en p r e n d s q ue.de D ieu e t de m o n épée. » L’o n d o it p e n s e r q u ’a p r è s u n e s e m b la b le r é p o n s e , le m a ré c h a l a g ira it à sa g u is e ; au ssi, f o rt m é c o n te n t d es g é n é r a u x a u tric h ie n s e t d a n s l’a t t e n t e d ’u n e r é p o n s e de so n so u v e ra in , il p r it la ré so lu tio n d ’é ta b lir se s t r o u p e s d a n s 36 SOUVENIRS MILITAIRES. des q u a r ti e r s d ’hiver, la is s a n t aux A u tric h ie n s la s u r v e il la n ce de la lig n e d u R hin. Il fut a v e c so n a r m é e dan s les e n v iro n s d ’A u g sb o u rg et plaça le p r in c e de Condé avec ses tr o u p e s à L a n d s b e r g s u r le Tech, où n o u s a r r iv â m e s le 7 n o v e m b r e ; ce f u t q u e l q u e s j o u r s a p r è s notre' arriv ée d a n s n o s q u a r ti e r s q u e d u r e n t c e s s e r to u te s les illusio ns de m o n b o n h e u r à v e n ir, e n a p p r e n a n t par u n e le ttr e le m a ria g e de V alérie avec le c o m te T a r n o w s k y , u n des plus g r a n d s e t r ic h e s s e ig n e u r s de la Galicie. Cette n o u v e lle m ’affligea d ’a b o r d b e a u c o u p , e n v o y a n t m e s e s p é r a n c e s si b r u s q u e m e n t d é ç u e s , m a is c o m m e , à dix -n eu f ans, les im p r e s s i o n s s o n t a u s si p a s s a g è re s qu e vives, je n e ta rd a i p o in t à m e liv r e r a u x d is t ra c tio n s de m o n âge, et à j o u ir d ’u n p r é s e n t d o n t je savais a p p r é c ie r t o u t le prix. L’h iv e r se p a s s a r u d e et sé v è re p o u r m e s p a u v r e s c a m a r a d e s ca n to n n é s d a n s de mauvais, villages, ta n d is q u e M o nse ign eur, a llan t tr è s s o u v e n t a u q u a r ti e r g én é ral du p r in c e de Condé à Linz, c h a r m a n t e ville s u r le s b o rd s d u D an u b e , n o u s e m m e n a i t avec lui p o u r j o u ir d es fêtes sp le n d id e s qui s ’y d o n n a ie n t. Ce f u t v e r s la tin de ce tte é p o q u e q u e l’o n c o n n u t la d éc isio n de l 'e m p e r e u r P aul à l ’égard de l ’A u tric h e , do n t il p a r a is s a it si m é c o n te n t q u ’il o r d o n n a le r e t o u r de ses tr o u p e s e n R ussie. A ussitôt le p r i n t e m p s r e v e n u , il v o u lu t bien, q u o iq u e à r e g r e t, la is s e r l ’A rm ée de Condé c o m m e so n c o n tin g e n t d a n s la lu tte qui allait s ’o u v rir, m ais soldé e p a r l ’A ngleterre. I II PROJET DE M A R I A G E D U VOYAGE A NAPLES ET DUC DE B ERRY A PALERME Au m ilieu de to u t e s ces c irc o n s ta n c e s , u n é v é n e m e n t to u t à fait im p r é v u m e fit q u itt e r l ’a r m é e et a b a n d o n n e r m e s n o m b r e u x am is, d o n t j e d u s m e s é p a r e r avec r e g re t, m a is p o u r u n a v e nir au s si flatteur q u ’agréab le. Le m ariage de M*r le d u c de B erry avec u n e p r in c e s s e de Naples avait é té a r r ê té p e n d a n t l’hiver, e t S. A. 1t., d ev a n t se r e n d r e à P a le r m e à cet effet, daigna m ’a d m e t t r e a u n o m b r e des p e r s o n n e s qui d ev a ie n t l ’a c c o m p a g n e r : ce f u r e n t MM. le c o m te É tie n n e de D am as, le m a r q u i s de S ourdis, le c h e v a lie r de la J a r r e et m oi, ainsi q u e le d o c t e u r Amy, so n m é d e c in , e t Delleville, son p r e m i e r valet de c h a m b r e , p lu s d e u x valets de pied, le r e s te d e s éq u ip a g e s d eva nt suivre à p e tite s jo u r n é e s . Ce fut le ‘23 m a r s 1S00 q u e n o u s q u itt â m e s l ’a r m é e p o u r n o u s r e n d r e d ’a b o r d à M unich; n o s é q u ip a g e s c o n s ista ien t en u n e b e r lin e c o n d u ite p a r q u a tre che v au x de p o ste o c c u p é e p a r le prin ce, le c o m te de D amas, le che valier de la J a r r e et le d o c t e u r A my, suivie d ’u n e calèche d a n s la q u elle se tr o u v a ie n t le m a r q u i s de S o u rd is , m oi et Delleville, p u is j e s d e u x valets de pie d s u r le siège. % V 38 SOUVENIRS MILITAIRES. N otre s é jo u r à M unich, q u i n e f u t q u e de tr o is jo u r s , m e p r o c u r a le b o n h e u r indic ib le d ’y tr o u v e r m a m è r e établie d a n s u n e ra v is s a n te p etite m a is o n t e n a n t a u palais é le c to r a l q u e l ’É le c te u r av ait fait m e u b l e r e t a r r a n g e r p o u r elle avec u n e r e c h e r c h e e x trê m e ; ce tte in sig n e faveur p r o v e n a it de la lia iso n in tim e qui existait, ava n t la R é v olu tio n, e n tre le p rin c e Max des D eu x -P o n ts (depuis é le c te u r et roi de Bavière), alo rs colonel d 'u n r é g im e n t d ’in f a n te r ie de so n n o m , e t m o n p è re , colo nel de D a u p h in -d ra g o n s, tous d e u x e n g a r n is o n à B e sançon ; c e tte in ti m ité é t a it telle, qu e le p rin c e , e n v e n a n t à P aris, lo g e ait to u jo u r s d a n s l ’hôtel q u e p o s s é d a it m o n p ère d a n s la r u e des M a thurins. N otre c o u r t s é jo u r à M unich fut m a r q u é p a r u n s u p e r b e gala suivi d ’u n m a gn ifiq ue c o n c e r t offert p a r l’É le c te u r, et u n e soirée chez m a m è re , h o n o r é e de la p r é s e n c e d u prince, o ù se tr o u v è r e n t r é u n is g r a n d n o m b r e d ’é m ig r é s réfugiés à M unich. Le le n d e m a in , n o u s p a r tîm e s p o u r K lag e n fu rth , r é s id e n c e de S. A. R. M adame la c o m te s s e d ’A rtois, do n t le b o n h e u r de vo ir so n fils q u ’elle e s p é r a it g a rd e r trois s e m a i n e s fut tr o u b l é p a r u n e lè ttr e ar r iv a n t d ’E d im b o u r g d a n s la q u elle son p ère lui p re sc riv a it de v e n ir p r è s de lui a v a n t d ’a lle r e n S icile; c e t in c id e n t d é r a n g e a n t n o tr e vo y ag e , le p rin c e fit a u s s itô t p a r ti r le c o m te de D am as p o u r V ienne, afin d ’en in f o r m e r la r e in e de N aples qui s ’y t r o u vait, e t se m il en r o u te p o u r l ’É co sse avec MM. de S ourdis et de la J a r r e ; le d o c t e u r A m y e u t la m is sio n d e se r e n d r e av e c les éq u ip a g e s à Naples, o ù dev a it av o ir lie u n o tr e ré u n io n , ta n d is q u e je r e s te r a is , la p r in c e s s e a y a n t p a r u n e e x trê m e b o n té té m o ig n é le d é s ir de m e g a r d e r h u i t j o u r s p r è s d ’elle. Cette f a v e u r in sig n e m e m it à m ê m e de bie n a p p r é c ie r le s é m in e n t e s q u a lité s de c e lte excellente p r i n c e sse , ch é rie d e to u te la p o p u la tio n e t la p r o v id e n c e des m a lh e u r e u x . A TRIESTE, AVEC M E S D A M E S . — 18 0 0. 39 La veille de m o n d é p a r t p o u r T rieste, S. A. R. d aig n a m e d o n n e r u n e le ttr e de r e c o m m a n d a tio n te lle m e n t b ie n v e il la n te p o u r se s ta n te s , M esdam es de F ra n ce , q u ’elles v o u lu r e n t im i t e r la b o n n e r é c e p tio n q u e m ’avait faite le u r niè ce , en m ’offrant u n gîte d a n s la p etite m a iso n q u ’elles o c c u p a ie n t, où j e fus c o m b lé de so in s et d ’a tte n tio n s, n o t a m m e n t p a r Mmc la d u c h e s s e de N a rb o n n e -L a ra , la d am e d ’h o n n e u r et l ’am ie de c œ u r de M adam e Adélaïde. Les six j o u r s q u e j e passai s o u s ce to it ro y al h o sp ita lie r o n t laissé dan s m o n e s p r it u n s o u v e n ir ineffaçable e t dan s m o n c œ u r u n e im p r e s s io n p ro fo n d e de r e c o n n a is s a n c e . Ces d eux p r in c e s s e s , ta n te s de L ouis XVI, n é e s en 1732 et 33, a v a ie n t p a r c o n s é q u e n t s o ix a n te - s e p te t s o ix a n te - h u ita n s lo r s q u e j ’e u s l'h o n n e u r d ’ê tre a d m is p r è s d ’elles. D epuis lo n g te m p s h a b itu é e s à m e n e r u n e vie s im p le e t r e tiré e , elles h a b ita ie n t, au m o m e n t des tr o u b le s ré v o lu tio n n a ir e s , le c h â te a u de Bellevue p r è s de V ersailles, q u ’elles d u r e n t a b a n d o n n e r n on s a n s d an g e r, p o u r éviter la m o r t, e t v in r e n t se r éfu g ier à T rie ste avec des ca pitau x assez c o n s id é ra b le s q u ’elles p a r v in r e n t à faire s o r tir de F ra n c e . 11 était im p o s sible d ’avoir p lu s de grâce, de b o n té , d ’in d u lg e n c e et u n e r é s ig n a tio n r e lig ie u se p lu s d o u c e q u e ces d e u x r e s p e c tables filles d e L ouis XV. Le p r e m i e r j o u r de m o n a d m is s io n d a n s ce s a n c tu a ire de la v ertu , assez e m b a r r a s s é de m a p o s itio n m a lg r é la b ie n v eillan c e q u ’on m e té m o ig n a it, je n e savais tr o p quelle c o n t e n a n c e te n ir , m a is b ie n tô t, e n h a r d i p a r de d o u c e s p aro le s, p r o v o q u é de q u e s tio n s s u r l’A rm ée de Condé, la vie d es c a m p s , les c o m b a ts où j ’avais as sisté et s u r t o u t les d étails q u ’o n d é s ir a it av o ir s u r la vie priv ée d u d u c de B e rry, je fus r e n d u b ie n tô t à m a n a t u r e , e t m o n b a v a r dage ain si qu e les é to u r d e r i e s de m o n âge s e m b la ie n t t e l l e m e n t a m u s e r ces e x c e lle n te s p r in c e s s e s q u ’elles p r o 40 SOUVENIRS MILITAIRES. lo n g e a ie n t q u e lq u e f o is l e u r s h a b i tu d e s . s o ir é e s au-de là de le u rs Ce f u t p e n d a n t ce c o u r t et h e u r e u x s é jo u r à T rieste que j ’e u s la s a tisfa c tio n d ’y r e n c o n t r e r le c o m te de P o n tg ib a u d , g e n t i l h o m m e de la p r o v in c e d ’A u v e rg n e , é m ig ré , a n c ie n a m i de m o n p ère , s o u s les o r d r e s d u q u e l il avait fait l ’in s i gnifia n te c a m p a g n e de 1792; n e t r o u v a n t e n s u ite d ’a u tre r e s s o u r c e p o u r n e p a s m o u r i r de faim q u e de p r e n d r e u n état, il e n t r e p r i t celui de c o l p o r t e u r avec u n fo n d s de q u e l q u e s c e n ts fra n c s, d e r n iè r e s b rib e s d e q u a r a n te mille livres de r e n t e s q u e lui a v a ie n t en levées les lois r é v o lu t i o n n a ir e s . Mais, ava n t d ’e m b r a s s e r cette m o d e s te ca rriè re , m e t t a n t d a n s sa p o c h e so n n o m , ses titre s , ses q u a lité s e t ses p r é t e n t i o n s , p o u r ne g a r d e r q u e la n o b le s s e de ses s e n tim e n ts , il s ’o c c u p a d u soin de se b a p t is e r e n h o m m e m o d e s te , et ce fu t e n é p o u s s e t a n t son h a b i t q u ’il e u t l’idée de s ’a p p e le r L a b ro sse , d é n o m in a t io n s o u s laq u elle il p a r vint, a p r è s avoir c o m m e n c é p a r p o r t e r la balle, à a c q u é r ir p a r sa p e r s é v é r a n c e , so n in te llig en c e et sa lo y a u té u n c r é d it tel, q u ’e n m o i n s de h u i t a n n é e s il f u t à m ê m e de f o n d e r u n e m a is o n de c o m m e r c e dan s laq u elle l ’a n c ie n c o lo n e l f ra n ç a is p r i t p o u r c o m m is des officiers é m ig r é s de s o n r é g im e n t, qui, e n o u tr e de l e u r tr a ite m e n t, e u r e n t p a r t d a n s les bénéfices. B ie n tô t la p r o s p é r ité de la m a is o n de c o m m e r c e L a b r o s s e e t Cie, d e T rie ste , f u t im m e n s e , colos sa le ; le s affaires se faisa ie n t p a r m illio n s, sa’ sig n a tu re r e c h e r c h é e à la b o u r s e de V ien n e , H a m b o u r g , F ra n cfo rt, B e rlin e t a u t r e s capitales d u Nord et d u Midi. Ce f u t d o n c à ce tte ép o q u e que, m e tr o u v a n t à T rieste, j e m ’e m p re s s a i d ’aller r e n d r e visite à ce digne c o m p a t r i o t e ; sa r é c e p tio n f u t r e m p l ie de b ie n v eillan c e, de b onté e t s u r t o u t d ’offres de se rv ic es,"faites avec u n e délica te sse q u i p r o u v a it le p la isir q u ’il a u r a it ép ro u v é à m ’o b lig e r; je A T R 1E S T E . — M. DE PONTGIBAUD. — 1800. 41 lui en té m o ig n a i to u te m a r e c o n n a is s a n c e en lui faisant c o n n a îtr e l ’h'eureuse p o sitio n dan s laquelle je m e tro u v a is. C ond u it a u m ilie u de sa fam ille, d a n s u n e c h a r m a n te c a m p a g n e q u ’il p o s s é d a it n o n loin de la ville, j ’y p assai v in g t- q u a tre h e u r e s en fêtes et en p la isirs ; là se r e tr o u v a it le g e n t ilh o m m e fra n ça is, l ’h o m m e de cour avec ses go û ts, ses h a b itu d e s e t ses m a n iè r e s exqu ises, q u e je n e p ouvais m e la s s e r d ’a d m ir e r en p e n s a n t a u j o u r o ù il avait p r is le n o m de L ab ro sse . Ce f u t a u s si chez lui que je fis la r e n c o n tr e d u c o m te H u b e r t de B o sredo nt, u n de m e s c a m a ra d e s d ’enfance, d o n t l ’in te n tio n é ta it d ’aller à N aples p o u r y p r e n d r e du s e rv ic e ; l o r s q u ’il a p p r it que j e devais m ’y r e n d r e , il m e p r o p o s a de faire en s e m b le , p é d e s tr e m e n t, ce voyage j u s q u ’à R om e, ce q u e j ’acceptai avec d ’a u t a n t p lu s de p la isir q u e ce tr a j e t était c o u rt, agréab le, s u r t o u t .à ce tte é p o q u e de l ’a n n é e o ù la t e m p é r a tu r e de l ’Italie est d o u ce , s e re in e , les r o u te s m agnifiques, jo ig n a n t à cela u n g e n r e d ’exercice p e u fatigant p o u r des j a m b e s de dix -n eu f an s e t la satisfaction d ’ex p lo re r u n m a gn ifiq ue p a y s av e c g aieté e t insouciance. Cette d é t e r m in a tio n p rise, je re sta i e n c o r e deux jo u r s à T rieste, a p r è s le s q u e ls , e x p r im a n t a u x r e sp e cta b le s p r i n ce sse s to u s les s e n tim e n ts de re c o n n a iss a n c e d o n t m o n c œ u r était p r o f o n d é m e n t p é n é tr é , j e les q u ittai e m p o r t a n t le so u v e n ir in a lté ra b le des b o n té s d o n t elles a v a ie n t d aign é m ’h o n o r e r . Le d é b u t de n o tr e voyage se fit s u r u n trab a cc o lo , b â t im e n t de tr a n s p o r t, s u r le q u e l n o u s tr a v e r sâ m e s l ’A driatiq ue p o u r d é b a r q u e r à A ncône o ù nous f û m e s sa lu és p a r u n e salve de q u in z e co ups de canon p a r tis de la f o rte resse , à la su ite d e s q u e ls n o u s vîm es d é b o u c h e r d a n s la r u e p rin c ip a le u n e n o m b r e u s e et m a gn ifiqu e p r o c e ssio n c o m p o s é e de p lu s ie u r s c o n f r é r ie s r e lig ie u s e s , de p r ê tr e s r e v ê tu s de c h a p es d ’or, de j e u n e s 42 SOUVENIRS MILITAIRES. filles b elles c o m m e d e s a n g e s et b la n c h e s c o m m e d es lis ; u n co rp s de m u s i c ie n s faisa n t e n t e n d r e des s o n s m é lo d ie u x m ê lé s au c h a n t d es vie rg e s. Un dais en or, g a rn i de c r é p in e s en p a ille tte s, o r n é de q u a t r e Ilots de p lu m e s b la n c h e s agitées p a r u n e b r ise lé g ère, so u s le q u el rep o sa it, é t e n d u s u r u n lit de d ra p d ’or, u n év ê q u e béatifié r e v ê tu de to u s ses o r n e m e n ts , les m a in s j o in t e s s u r l ’esto m a c , la figure d é c o u v e r te d a n s un e p arfaite c o n s e rv a tio n , et s u r sa tê te u n e m i t r e r e s p le n d is s a n te de p ie rr e r ie s de la p lu s g ra n d e b e a u té ; ven a it e n s u ite l ’év ê q u e d ’A ncône suivi de so n clergé, les a u t o r i té s civiles e t m ilita ire s , le s tr o u p e s p a p a le s, et enfin la p o p u la tio n de la ville et des c a m p a g n e s e n v iro n n a n te s , in v o q u a n t là p r o te c tio n d u sa in t d o n t on c é lé b ra it la béatification. Tel f u t le s p e cta cle s u p e r b e offert à n o s r e g a rd s en m e t t a n t le pie d s u r les E tats pontificaux. Le le n d e m a in , p o u r le d é b u t de n o tr e voyage p é d e s tr e , n o u s v în m e s c o u c h e r à L o re lto o ù n o u s a t te n d a ie n t des s u r p r i s e s b ie n s u p é r ie u r e s à celles de la veille. Cette p etite ville fut érig é e en é v ê ch é e n 1586, p a r Sixte-Quint qui y fit c o n s tr u i r e u n palais m ag n ifiq u e d o n t m o u s n e p û m e s o b te n ir, p a u v r e s pè.lerins q u e n o u s é tio n s , la p e r m i s s io n d ’a d m i r e r l ’in té r ie u r , bien q u e so n p o s s e s s e u r en fût a b s e n t, m a is, e n r e v a n c h e , n o u s v isitâ m e s la sa in te cha pelle dan s laqu elle les Italiens p r é t e n d e n t q u e J é s u s - C h r is t s ’e s t in c a r n é ; ils d i s e n t a u s s i q u ’elle a été tr a n s p o r té e p a r les an ge s, de la P a le s tin e en D alm atie, et, de là, d a n s u n p e tit bo is n o n lo in de la ville, d ’o ù ils s o n t v e n u s la p o s e r a u m ilie u de la ca th é d ra le . Cette c h a p elle, placée c o m m e u n e b oîte s u r u n e ta ble, e s t u n m o n u m e n t c o m p le t s a n s fon dation, a y a n t ses m u r s , sa to itu re e t ses p o r t e s ; d a n s so n in t é r i e u r est u n p o u r t o u r e n m a r b r e p o u r s ’ag e n o u ille r o u s ’a s se o ir . Ce lie u saint, f r é q u e n té p a r u n n o m b r e i n A PIED EN ITALIE. — 1 800. 43 c r o y a b le de p è le r in s , avait été, disait-on, visité p a r u n g é n é r a l fra n ça is q u i e n a v a it s o u s t r a it d es r ic h e s s e s im m e n s e s p r o v e n a n t de p r é s e n ts , d ’ex-voto e t de d ép ô ts p r é c ie u x q u ’o n y a p p o r ta it d e p u is d e u x siè c le s ; o n citait e n t r e a u t r e s u n e la m p e e n ric h ie de d ia m a n t s et de p ie r r e s p r é c ie u s e s , e s tim é e p lu s d ’u n m illio n , q u e n o u s v îm e s re m p la c é e p a r u n e en cuivre. E n q u itt a n t L ore tto n o u s f û m e s d é j e u n e r à M acerata et c o u c h e r à V alc im a ro, p e tit b o u r g f o rt a g r é a b le m e n t situé, d ’o ù n o u s p a r t î m e s p o u r aller à F oligno, jo lie p e tite ville ornée de tr o is b elles églises e t d e u x b ea u x p alais. Spo leto, o ù n o u s f û m e s e n s u ite , e s t u n p a y s c h a r m a n t b aig n é p a r la rivière de L essin o qu i fait de ce tte c o n tré e u n e v é ritab le oasis, des fleurs p a r to u t , de l ’o m b r a g e à c h a q u e pas, u n e r o u t e e n allée do j a r d i n p la n té e d ’a r b r e s fru itie rs, b ie n sa b lée et b o rd é e p a r u n r u is s e a u lim p id e, ce qu i d e v ie n t p o u r le p ié to n u n e p r o m e n a d e d e lux e. Nervi, qu i devint au s si n o tr e gîte n o c t u r n e , p o ssè d e p r è s de ses m u r s u n e fo n tain e qui, dit-on, n e d o n n e de l ’ea u que lo r s q u e l ’a n n é e su iv a n te d o it ê tre sté rile , c ’e s t p o u r cela q u ’on la n o m m e la « fo n ta in e de fam in e ». M a lh e u re u s e m e n t p o u r les h a b ita n ts , n o u s p û m e s n o u s y d é s a lté r e r , m a is l’a s p e c t e n c h a n t e u r d u p a y s n o u s d o n n a l ’e s p o ir que, ce tte fois, elle p o u r r a i t faillir d a n s ses p r é v isio n s. Nos d e u x d e r n i è r e s c o u c h é e s, av a n t d ’a r r iv e r à Rom e, f u r e n t B o rg h etto e t B o rg h ettaio , p e tits b o u r g s où, p o u r se c r o ir e b ie n c h o y é , il fallait av o ir n o tr e âge, c a r n o u s m a n g e â m e s p o u r vivre et q u ’en fait de r e p o s u n e b o tte de paille v a u t u n lit de p l u m e s ; m a is, ce qui n o u s p a r u t i n s u p p o rtab le, ce f u t d ’être obligés de p a y e r en g r a n d s s e ig n e u rs a p r è s avoir été tr a ité s c o m m e d es v a -n u -p ie d s . Enfin, ap r è s h u i t j o u r s de m a r c h e p a r u n t e m p s r a v is s a n t, au m ilie u d ’u n e v é g é ta tio n de la p lu s im m e n s e ric h e s s e , p a r 44 SOUVENIRS MILITAIRES. c o u r a n t u n pay s e n c h a n t e u r avec la jo ie d a n s le c œ u r et .a force d a n s les j a m b e s , n o u s a tte ig n îm e s les S e p t Collines si r e n o m m é e s d ’où l ’o n d éc o u v re la capitale de la c h r é tie n té , ses d ô m e s d o r é s , ses p alais f a s tu e u x et l ’église de S a in t- P ie r r e , c e tte m e rv e ille d u m o n d e , qui c e p e n d a n t ne p e u t o b s c u r c ir les g ig a n te s q u e s m o n u m e n t s d u p eu p le roi d o n t la p o s té rité j o u i r a c o m m e n o us. Dès le l e n d e m a in de m o n arriv ée à R o m e, je fu s chez M. T orlonia, riche b a n q u ie r , p r è s d u q u e l j ’étais a c créd ité c o m m e é t a n t c h a r g é de f o u r n ir à Msr le d u c de B e rry to u s les f o n d s d o n t il a u r a i t b e s o in ; il e n avait re ç u , q u e lq u e s j o u r s av a n t, u n e le ttr e d a té e d ’E d im b o u r g d a n s la q u e lle il le c h a r g e a i t de m e dire q u e, s o n arriv é e à N aples é t a n t u n p e u r e ta r d é e , il m ’a u to ris a it à r e s t e r u n e q u in z ain e de jours" à R o m e . Cet h e u r e u x in c id e n t m e fut o n n e p e u t plus a g r é a b le , bie n qu e je r e g r e tt a s s e de la is s e r p a r ti r seul m o n c o m p a g n o n de voyage q u i était p r e s s é de se r e n d r e à Naples. T rès e m p r e s s é de p ro fite r de ce tte lib e rté d ’a c tio n qui m ’était a c c o rd é e , j e fus d ’a b o r d faire u n e visite à M. le c o m te d u L uc de V intim ille, é m ig ré fra n ça is et alors c h e f d ’é ta t- m a jo r de l ’a r m é e n a p o lita in e , qui était à R o m e ; la le ttr e d o n t j ’étais p o r t e u r lui faisait co n n a ître m a p o s i tio n : j ’e u s l ’ac cu e il le p lu s e m p r e s s é et, p r é s e n té p a r lui dans les n o m b r e u s e s so c iétés de R om e, j ’y fus ad m is d ’u n e m a n iè r e d ’a u t a n t p lu s favorable q u e m o n p è r e y avait la issé de fort b o n s s o u v e n irs p e n d a n t le s é jo u r de p l u s ie u r s m o is q u ’il y avait fait u n an av a n t la Révolution, a ttir é p a r se s r e la tio n s in tim e s avec le c a rd in a l de B ernis, alo rs a m b a s s a d e u r de F rance. Mon s é jo u r à R om e fut d o n c d es p lu s a g r é a b le s , m e s j o u r n é e s se p a s s a n t e n c o u r s e s d es p lu s in té r e s s a n te s et m e s so iré e s d a n s u n m o n d e d ’élite, au m ilie u de f e m m e s a d m ir a b le s de b e a u té , p o u r q u i le p la isir, les fêtes et la ROME. — NAPLES. — 1800. 45 jo ie é ta ie n t l ’o b je t de to u te s le u rs p e n s é e s ; a u ssi, les q uinz e j o u r s p a s s é s à R o m e o n t été te l l e m e n t rem p lis de c h a r m e s e t de b o n h e u r q u ’ils r e s t e r o n t t o u j o u r s d a n s m o n s o u v e n ir c o m m e une des é p o q u e s le s p lu s h e u r e u s e s de m o n j e u n e âge. La veille de m o n d é p a rt, j ’assistai à la re v u e des so ld a ts n apo lita in^ , bien e m p a n a c h é s , van tard s e t m a n g e u r s de m a c a ro n i ; le s p e cta cle éta it b e a u , a n im é : l ’a r m é e , d a n s u n e te n u e s u p e rb e , se m b la it ê tre d an s u n e exaltation belli q u e u s e capable de t o u t s u r m o n t e r ; elle fit q u e lq u e s m a n œ u v r e s avec assez d ’e n s e m b le , défila et r e n t r a d a n s ses q u a r ti e r s respectifs, to u jo u r s avec la conscie n ce la p lu s p arfaite de so n in d o m p ta b le c o u r a g e d o n t elle d é s ira it, disait-elle, d o n n e r des p r e u v e s au x F ra n ç a is... Le tr a j e t de Civita-V ecchia à N aples, q u ’o n m ’avait dit être tr è s c o u rt, se p r o lo n g e a b e a u c o u p p a r s u ite des v e n ts c o n tra ire s, n o u s f o rç a n t de c o u r ir d e s b o r d é e s a u x q u e lle s se jo ig n a ie n t d es b o u r r a s q u e s é p o u v a n ta b le s ; les v ag u e s, e n e n v a h issa n t n o tr e p e tit b â t im e n t de c o m m e r c e , le fai s a ie n t b a l lo tte r c o m m e u n e coqu ille de noix ; a u s si, ne tardai-je p as à m e r e p e n t i r de ce tte c o u r s e m a ritim e , s u r to u t en m e s e n t a n t suffoqué p a r l’o d e u r d u g o u d r o n , et saisi p a r les v o m is s e m e n ts c o n tin u e ls q u i n e t a r d è r e n t p o in t à m e t r a n s f o r m e r en u n c o r p s in e r t e , sans forces, sa n s co u ra g e, pas m ê m e celui de m e la is s e r c o u le r au fond de la m e r p o u r en finir avec les d o u le u rs d o n t j ’étais accablé. Enfin, n o u s a tte ig n îm e s P o u zzo les où, grâce à D ieu, le capita in e a y a n t u n e affaire à ré g le r n o u s r e s tâ m e s v in g t-q u a tre h e u r e s . Cette p etite ville e s t si h e u r e u s e m e n t s itu é e , sa t e m p é r a t u r e est si d o u ce p a r les b rise s de la m e r , e t ses e n v iro n s s o n t te lle m e n t a g r é a b le s et p i tt o r e s q u e s , q u ’elle e s t e n v iro n n é e de g r a c ie u s e s villas e n t r e m ê l é e s de n o m b r e u x et b e a u x r e s te s de m o n u m e n t s a n tiq u e s . Rieq 46 SOUVENIRS MILITAIRES. n ’e s t m ag n ifiq u e et s u b lim e c o m m e la vue p rise de la m e r, en d é c o u v r a n t N aples v e n a n t b a i g n e r se s p ie d s d an s u n im m e n s e circ u it, e t d e s s in a n t e n a m p h i t h é â t r e , s u r le p e n c h a n t de p lu s i e u r s c o llin e s, ses p alais, Ses m a is o n s et de n o m b r e u x m o n u m e n t s . Ce ta b lea u , qu i n ’a p e u t -ê tr e r ie n de c o m p a r a b le a u m o n d e , m e fit u n e te lle i m p r e s s io n qu e j e vis p r e s q u e av e c c h a g r in l ’i n s t a n t d e n o t r e d é b a r q u e m e n t p r è s le C h â te au -N e uf. E n to u r é a u s s itô t p a r u n e m u l t i t u d e de lazzaroni d é g u e n illés, a y a n t c h a c u n la p r é te n tio n de m ’e n t r a î n e r d a n s u n h ô te l de p r é d il e c t io n , j e vis le m o m e n t o ù m e s bagages d is p e r s é s d a n s p lu s i e u r s m a in s c o u r r a ie n t la c h a n c e de ne p lu s r e n t r e r d a n s le s m ie n n e s . Cet i n s t a n t du d é b a r q u e m e n t e s t u n e v é r it a b le t y r a n n i e p o u r les é tra n g e r s ^ La police n ’y m e t t a n t a u c u n o bsta cle, il en r é s u lt e s o u v e n t des s o u s t r a c ti o n s d ’effets p e r d u s s a n s r e s s o u r c e : grave in c o n v é n ie n t d o n t j ’e u s s e in f a illib le m e n t été v ic tim e sans l ’oblig e an c e d ’u n h o n n ê t e citad in qui, p r e n a n t e n p itié m a p o sitio n c r itiq u e , p a r v in t à r é ta b lir l’o rd re d an s la d is p e r sion de m e s b agages e t v o u lu t bien m ’a c c o m p a g n e r j u s q u ’à l ’hô te l d ’A n g le te rre , vis-à-vis la villa Réale, lieu i n d iq u é p o u r le d é b a r q u e m e n t de M o nse igneur, dan s le q u el je tro u v a i le ch e v a lie r de la J a r r e , le d o c t e u r A m y et le f o u rg o n , a p p r e n a n t, e n m ê m e te m p s , la trè s p ro c h a in e a rrivée d u p rin c e d o n t o n avait r e ç u d es n o u v elles . P e u d ’h e u r e s a p rè s m o n arriv ée , j e fus chez le c o m te R o g e r de D am as, lie u te n a n t g én é ral c o m m a n d a n t la cava le rie de l’a r m é e n a p o lita in e , j e le tr o u v a i e n convalescence d ’u n c o u p d ’ép é e r e ç u en p le in e p o itr in e de so n am i le chevalier de Saxe, é m ig ré a u s s i, et alo rs lie u te n a n t g é n é r a l c o m m a n d a n t l ’in fan terie n a p o lita in e, le q u el, f o rt m é c o n t e n t de c e r ta in e s p r iv a u té s p r is e s .en sa p r é s e n c e p a r sa m a îtr e s s e , la p r in c e s s e de H esse, e n avait s u r -le - EX SICILE. 47 — 1 800. c h a m p tiré sa tis f a c tio n ; ce tte m a l h e u r e u s e affaire força la p r in c e s s e d ’a lle r e n Sicile, p a r l’e s c la n d re d o n t elle fut l ’o b je t, e t l ’a t ta c h e m e n t des d eux a m is n ’en é p r o u v a a u c u n r e f r o i d is s e m e n t d an s la suite. J ’étais à ÎN'aples d e p u is six jo u r s , f o rt o cc u p é de l ’e x p lo r a ti o n de c e tte belle cité, l o r s q u ’u n m a tin , je vis e n t r e r d a n s m a c h a m b r e u n de m e s co u s in s, le m a r q u i s de S a in tClair, v e n a n t de H a m b o u r g et p o r te u r d ’u n e le ttr e de m o n p è r e qui m e r e c o m m a n d a it fort c h a l e u r e u s e m e n t de faire e n sa fave ur t o u t ce q u e je p o u r r a is p o u r lu i ê t re utile d a n s le d é s ir q u ’il avait d ’e n t r e r a u service de N aples. Le s u r le n d e m a in , à l ’a r r iv é e d u c o m te fitienne de D am a s p r é c é d a n t de q u a r a n te - h u it h e u r e s M o n se ig n e u r d o n t l ’i n te n tion était de n e r e s t e r q u ’u n jo u r , j e fus c h a rg é de faire l ’e m b a r q u e m e n t des é q u ip ag e s s u r u n e frégate v en u e e x p rè s p o u r le tr a n s p o r te r à P a le r m e . L o rs q u e le p r in c e arriva, je lui p r é s e n ta i m o n c o u s in ; l ’a s p e c t de ce c h a r m a n t j e u n e h o m m e , âgé de v in g t- tr o is a n s, a y a n t d e s m a n iè r e s p arfaites, lui f u t o n n e p e u t p lus favo rable e t M o n se ig n eu r, t o u jo u r s d isposé à faire des h e u r e u x , l ’ac cueillit de la m a n iè r e la p lu s g r a c ie u se et lui dit : « P u is q u e le h a s a r d v o u s a si b ie n servi, j e v ous e m m è n e avec m o i e t v o u s p r é s e n te r a i a u roi. » Ce fut d an s la j o u r n é e d u 11 j u i n q u e n o u s le v â m e s l ’a n c r e p a r u n t e m p s s u p e r b e , u n e b r is e fra îch e e t active,' l o n g e a n t la côte de P o rlic i, R ésine, C a ste lla m are et S o re n to , la is s a n t d is p a ra îtr e à n o s y è u x l ’île de Gaprée. F a v o risé s p a r le v e n t, n o u s g a g n â m e s b ie n tô t la h a u te m e r , ta n d is q u ’assis s u r le gaillard d ’av a n t, j ’a d m ira is la c o q u e tte rie avec la q u elle lilait n o tr e g r a c ie u se et légère frégate, lo r s q u e p e u à p eu , la la m e se faisant s e n tir, n o u s é p r o u v â m e s d ’assez vio lentes oscilla tio n s qui ne m e firent q u e tr o p p r e s s e n tir la p r o c h a in e a rr iv é e d e s m a u x qu e je 48 SOUVEiNIRS MILITAIRES. r e d o u ta is t a n t ; e n effet, je n e ta rd a i p o in t à ê tre atte in t de ce m a u d i t m a l d e m e r , m a l p h y s iq u e et m o r a l q u i priv e de la faculté, de la v o lo n té m ê m e de se m o u v o ir et qui ôte j u s q u ’à la force et la p o ssib ilité de s ’ir r i t e r co n tre la s o u f fra n ce . Enfin, j ’é p ro u v a is u n tel d é g o û t de to u t, u n e ab s e n c e de s e n t i m e n t si c o m p lè te qu e ce p a u v r e S ain t Clair, placé p r è s de m oi s u r u n m a te la s de d o u le u r , r e g r e tt a n t p r e s q u e la fav e u r q u ’il avait o b te n u e , ne m ’in s p i ra it au c u n e pitié, m a lg r é les c o n v u ls io n s qui s e m b la ie n t p r é s a g e r sa fin pro ch a in e. Cet é ta t de p r o s tr a ti o n fut tel q u e je vis avec indifférence la ch a sse d o n n é e à d e u x b â t im e n ts p ir a t e s qui n e d u r e n t l e u r sa lu t q u ’à l ’a p p r o c h e d es côtes, n o n to u te fois sans a v o ir r e ç u p lu s i e u r s b o u le ts d a n s le u rs ag rè s. C e p en d a n t le s e n t i m e n t m e r e v in t en a p p r o c h a n t de P a le rm e , et les d e u x ou tr o is b o r d é e s qu e n o u s f û m e s obligés de c o u rir p o u r e n t r e r d a n s le p o r t s u ffire n t p o u r m e r é ta b lir c o m p lè te m e n t. En d é b a r q u a n t, le d u c de B e rry f u t salué p a r p lu s ie u r s salves d 'a rtille rie et c o n d u it d a n s le palais qui lui avait été p ré p a ré p o u r lu i et sa ' s uite. P e u ap rè s, r e ç u p a r S. M. d o n t l’accueil f u t d e s p lu s g rac ieux, il d în a a u palais r o y al, y p a s sa la s o ir é e e t n o u s p r é s e n ta le le n d e m a in . Le roi avait alo rs q u a r a n te - n e u f a n s, u n p h y s iq u e fo rt p e u s é d u is a n t, avec l ’a s p e c t d ’u n a lb in o s aux y e u x ro u g es, la figure b la fa rd e et les c h e v e u x d ’u n b lo n d fade. Q u an t au m o ral, t o u t e n r e s t a n t d a n s u n e d isc rè te r é se rv e , on p e u t d ire q u e c ’é ta it le ty p e d u la zzarone a i m a n t p a s s io n n é m e n t la p ê c h e , la issa n t g o u v e r n e r ses É tats p a r so n ép o u s e ( s œ u r de l ’in f o rtu n é e M arie-A ntoinetle), âgée de q u a r a n te - c i n q a n s, d ’u n c a ractère ferm e, violent, ay a n t p o u r co n s eiller in tim e le m in i s tr e A cton, fils d ’un m é d e cin de B e san ç o n , qui jo ig n a it à son em plo i celui de favori LA COUR DE SICILE. — 1 800. 49 de c e tte ’ prin c e sse , e n ce m o m e n t à V ienne p r è s de so n frère, l’e m p e r e u r d ’A llem agne. Les e n fa n ts d u ro i é ta ie n t a u n o m b r e de dix, d o n t tro is p rin c e s. La p r in c e s s e MarieAinélie, destiné e à Mgr le d u c de B e rrÿ, avait a lo rs dixh u i t a n s, u n e t o u r n u r e assez agréable, n ’offrant c e p e n d a n t r ie n de sa illa nt s u r t o u t dan s u n p a y s o ù les b e a u té s a b o n d e n t ; du r e s te , ses m a n iè r e s d o u ce s, p olies et tim id e s se r e s s e n ta ie n t de l’é tiq u e tte assez g u in d é e de la Cour, en co n traste avec les m œ u r s assez r e lâ c h é e s de la Sicile. Aussi, les h e u r e s q u e n o u s é tio n s obligés de p a s s e r p r e s q u e to u s les so irs à la Cour, é ta ie n t- e lle s f o rt p e u réc ré ativ es, n ’é ta ie n t les e x c e n tric ité s du roi qui, parfois, faisait diver sion p a r des h is to ire s assez g rav e le u se s et p a r l’a b a n d o n de ses m a n iè r e s bie n p eu so u v e ra in e s . M o n se ig n eu r d în a it au P alais to u s le s j o u r s à 3 h e u r e s ; n o u s n o u s y r e n d io n s e n s u ite j u s q u ’à 9 h e u r e s , et, lib re s a p r è s de n o s actio ns, n o u s allions d a n s les a s s e m b l é e s n o m b r e u s e s de la ville o ù se tr o u v a ie n t q u a n tité de f e m m e s g ra c ie u se s, é lég a n tes, t o u jo u r s o c c u p é e s de d an s e, de m u s i q u e e t d u p a s s e - te m p s h a b itu e l de ce t a n t doux p a y s ... ta n d is q u e les m a r i s , les o n c le s et les f rè re s se liv ra ie n t avec u n e v é rita b le frénésie au x j e u x de h a s a rd d o n t ils s o n t fana tiq ues. Aussi, n ’étaitil p as de so irée s a n s des c h a n c e s de p e r le o u de gain é n o r m e s , ta n t en d u c a ts d ’o r ru is s e la n t s u r les tables, qu'on d e tte s c o n tra c té e s d o n t le chiffre q u e lq u e fo is était ef f ra y a n t. Le p rin c e se levait to u s les m a tin s à q u a tre h e u r e s , et, suivi de S o u rd is et de m o i, n o u s e x p lo rio n s la ville e t les e n v iro n s j u s q u ’a u m o m e n t d u d é j e u n e r, ap rè s le quel, r e n d u s à la lib e rté , n o u s é tio n s m a îtr e s de n o s a c tio n s , m a is s o u v e n t c o n tra in ts de r e s te r e n f e rm é s, alin d ’éviter les c h a le u rs africa in e s d o n t l’in te n s ité était telle q u ’il y avait d a n g e r à la isse r les a n i m a u x d e h o r s d a n s le m ilie u du jo u r . P a le rm e , placée s u r les b o r d s de la m e r, 30 SOUVENIRS MILITAIRES. av e c u n p o r t assez sp a cie u x , e s t u n e ville c o q u e tte et c h a r m a n te , r e n f e r m a n t g r a n d n o m b r e de p a la is e n m a rb r e . Elle e s t p a r ta g é e e n q u a tre q u a r ti e r s à p eu p r è s égaux, d o n t les r u e s larges, b ie n p e r c é e s , b o r d é e s de t r o tto i r s , a b o u t i s s e n t à q u a t r e p o r te s d ’u n e belle a r c h ite c tu r e . Dans son i n t é r i e u r se tr o u v e n t d e s pla c e s, p lu s p e tite s q u e celles d u c e n tre , q u i s o n t d é c o ré e s p a r des o b é lisq u e s, d e s f o n ta in e s , e t des édifices p u b lic s tr è s r e m a r q u a b le s . La M arine, p r o m e n a d e p u b liq u e , est u n e m ag n ifiq u e c h a u s s é e qui s ’éten d le lo n g de la côte, a b o u t is s a n t a u j a r d i n d e s p la n te s ; u n e a u tre , n o m m é e la F lo ra , d élicieu x e n d r o it où la n o m b r e u s e fam ille d es o r a n g e rs e t u n e m u lt itu d e d ’a u t r e s a r b r e s et a r b u s te s o d o r a n ts ex h a le n t le u r p a rfu m , est le ren d e z -v o u s d es b e a u té s de la ville et des in tr ig u e s a m o u r e u s e s ; il était ja d is celui q u e l ’I n q u is itio n c o u v ra it de ses b û c h e r s . La p o p u la tio n de P a le r m e e s t d ’en v iro n 200000 h a b i ta n t s qui s e m b l e n t être d a n s u n e p e r p é tu e lle activité, ex c epté p e n d a n t les h e u r e s de la sie ste en été, les c h a le u rs en fai sa n t u n e obligatio n. L a n o b le sse , e n Sicile, e s t tr è s c o n s id é r a b le : elle p o ssè d e p r e s q u e les d e u x tie r s d es p r o p r ié té s f o n ciè re s, n o n o b s t a n t ses d r o its se ig n e u r ia u x q u i so n t trè s é t e n d u s et d ’u n g r a n d r a p p o r t ; on y c o m p te c e n t v in g t p rin c e s, q u a tre -v in g ts du cs, d es c o m te s , d es m a rq u is e t d e s b a r o n s sa n s fin, to u s d é p lo y a n t assez g é n é r a le m e n t u n tr è s g r a n d luxe d ’h a b ita tio n s, d ’é q u ip a g e s et de fas t u e u s e s r é c e p tio n s ; ta n d is q u e, de le u r côté, les f e m m e s o n t u n g o û t t r è s p r o n o n c é p o u r la p a r u r e et se m e t t e n t avec a u t a n t de r e c h e r c h e que d ’élégance ; elles a i m e n t la r e p r é s e n ta t io n , les fêtes, le s p la isirs e t s u r t o u t les in trig u e s de c œ u r , le u r p a s s e - te m p s h a b i tu e l ; a u s s i les é t ra n g e rs r e g a r d e n t- i ls P a le rm e c o m m e l ’E ld o rad o de l'E u ro pe. P e u de jo u r s a p r è s l ’arriv ée d u p rin c e , il y e u t à la co u r g ran d cercle, suivi d ’u n c o n c e r t ; les salons é ta ie n t é t in LÀ COUR DE SICILE. — 18 0 0 . ce la n ts de lu m iè r e s d o n t les reflets p r é s e n t a i e n t u n coup d ’œil m agnifique, em b elli p a r le c o s tu m e des h o m m e s et l’éléga nce des f e m m e s ; m a is, a u m ilie u de to u te s ces sp le n d e u r s , de ce tte p o m p e m a je s tu e u s e , r é g n a ie n t u n e gêne, u n e fro id e u r, e t s u r t o u t u n en n u i qui d o m in a it l ’a s s e m b l é e ; les je u n e s fe m m e s p a r ti c u liè r e m e n t, en d e h o r s d e le u rs h a b itu d e s , s e m b la ie n t de jolis p etits o ise au x en cage, a t te n d a n t i m p a t i e m m e n t l ’i n s t a n t de p o u v o ir p r e n d r e le u r e s s o r ; aussi, dès que le roi, les p r in c e s et les p rin c e s s e s r e n t r è r e n t d a n s l e u r i n té r ie u r a p r è s ce m o n o to n e c o n c e r t q u i dura, p lu s de tro is h e u r e s , ce f u t u n to h u - b o h u général, v a ie n t u n e co nfu sion, que le devoir, un e n c o m b r e m e n t qu i p r o u l’é tiq u e tte et les c o n v e n a n c e s a v a ie n t p u seuls r é u n i r au ssi s é r i e u s e m e n t u n m o n d e ne rê v a n t q u e d is tra c tio n s , fêtes et p la isirs. L’o n d o it p e n s e r q u ’il n ’é t a it pas u n g r a n d s e ig n e u r qui ne r e c h e r c h â t l’h o n n e u r de re c e v o ir le prin ce d a n s so n p alais : au s si é ta ie n t- c e to u s les so irs d es fêtes sp le n d id e s, au x q u e lle s les officiers de sa m a is o n p r e n a ie n t p a r t et q u i n o u s m e t ta ie n t e n r a p p o r t avec to u t ce q u ’il y avait de p lu s d i s tin g u é , n o t a m m e n t le b aro n de T alley ran d , a m b a s s a d e u r de F ra n c e à Naples a u m o m e n t de la R évolution, le q u e l s ’était re tiré avec sa fem m e e t ses e nfa nts à P a le rm e , o ù il jo u is s a it de la p lu s g r a n d e c o n s id é r a tio n . J e voyais a u ssi, d a n s la p lu s g ra n d e in tim ité , le c o m te M ussin P u sch k in -B ru ce , j e u n e h o m m e de vin g t-tro is a n s, très g r a n d s e ig n e u r et a m b a s s a d e u r de R ussie, d e v a n t ce tte h a u t e p o sitio n à son p è r e , f e ld -m a ré ch a l d e l ’e m p i r e e t d a n s l a p l u s g ran d e faveur p r è s l ’e m p e r e u r P a u l Ier. A dm is, p a r l’e n t re m is e d u co m te, chez u n e de se s c o m p a trio te s d ’u n âge av ancé, j ’e n fus accueilli avec ta n t de b ie n v e illa n c e q u ’il était p e u de jo u r s sa n s que je n e v insse la v is i te r ; so n esp rit, ses q ualités, les é v é n e m e n ts e x tra o rd in a ir e s d o n t sa vie avait été se m ée , 52 SOUVENIRS MILITAIRES. so n orig in a lité , son lu x e et ses réc its, q u ’elle a n im a it p a r sa gaieté, attir a ie n t chez ce tte aim ab le se x ag é n aire u n cercle nom breux. L a c o m te s s e S c a w ro n sk y , a p p a r te n a n t à u n e des p lu s g r a n d e s et des p lu s ric h e s fam illes de R u ssie, a v a it été u n e des favorites de C a therine, e t d a n s sa co n fidence la p lu s in tim e ; alors q u e ce tte p r in c e s s e v o u lu t s ’e m p a r e r du tr ô n e , elle y c o n t r i b u a p u i s s a m m e n t p a r son d é v o u e m e n t, ses in tr ig u e s e t so n c o u ra g e é to n n a n t. La c o m te s s e , je u n e veuve alors, d ’u n e b e a u té r e m a r q u ab le, e n t h o u s ia s te a m ie , d ’u n c a ra c tè re e n t r e p r e n a n t et h a r d i, v o y a n t q u e lq u e in d é cision p a r m i les p a r tis a n s de Ca t h e r i n e , m o n te à cheval, se r e n d d a n s u n des q u a r ti e r s o c c u p é s p a r les tr o u p e s q u ’elle exalte p a r ses c h a le u r e u s e s p a ro le s et sa b e a u té , les e n tra în e et d é t e r m in e la c o n s p ir a tio n d o n t le s u c c è s m i t la c o u r o n n e s u r la tête de la p r in c e s s e d o n t la r e c o n n a is s a n c e d u r a to u te sa vie. P lu s ta rd , la c o m te s s e , affaiblie p a r l ’âge et u n e s a n t é d é la b r é e , à laqu elle se jo ig n a it le chagrin d ’avoir p e r d u son a u g u s te am ie, vint c h e r c h e r u n r efu g e so u s le ciel b ie n fa isa n t de la Sicile, fit, à P a le rm e , l ’a c q u is itio n d ’u n palais, e t t i n t u n e m a is o n e n r a p p o r t avec so n im m e n s e f o rtu n e d o n t u n e p a rtie était c o n s ac ré e à faire d e s h e u r e u x . Ce f u t d a n s so n sa lo n q u e j e fus t é m o in d ’u n e a l te r c a tion a ssez vive e n tre sir A rth u r Paget, m in i s tr e d ’A ngle te r r e , et m o n c o u s in C h a rles de Saint-Clair, n o u v e l le m e n t p r o m u a u grad e de c o m m a n d a n t d ’un e c o m p ag n ie de la Garde royale. U ne in a d v e r ta n c e insign ifiante en f u t le p r é t e x t e r a ja lo u s ie d u r e p r é s e n ta n t de la G ra n d e-B retag n e le m otif, et la ca u se , u n e belle et c o q u e tte p r in c e sse v o u la n t r o m p r e d e s lie n s q u i lui p e s a ie n t e n faveur du je u n e F ra n ç a is d o n t elle était éprise. Sir A rth u r, se t r o u v a n t offensé p a r u n cou p de c o u d e LA COUR DE SICILE. — AMOURS ET DUELS. 53 in v o lo n taire d o n t S ain t-C lair s ’excusa a u s s itô t, lui r e p a r ti t avec h a u t e u r : « Il p ara ît, M o nsieur, qu e v o u s avez p e u l ’h a b itu d e des salons. — V ous êtes d a n s l ’e r r e u r , r ép liq u a c e lu i-c i; n o n s e u le m e n t j e co n n a is les u sa g e s d u m o n d e , m a is je sais a u ssi r e m e t t r e à sa p la ce celu i q u i s ’e n écarte, et j ’ose e s p é r e r que votre q ualité ne v o u s d is p e n s e r a p a s de m ’a c c o r d e r l ’h o n n e u r d ’u n e sa tisfa c tio n q u e je m e crois d a n s le cas d ’exiger. — F o r t bien, r é p o n d it sir A rth u r, j ’aurai d em ain l ’h o n n e u r d ’être à vos o r d re s. » T ous ces m o ts , dits à voix b a s s e et sans e m p o r t e m e n t , fu re n t c e p e n d a n t e n te n d u s et c i r c u lè r e n t b ie n tô t d an s le salon et y p r o d u is ir e n t u n e c e rta in e se n sa tio n . Dès le le n d e m a in , de g r a n d m a tin , je m e r e n d i s chez S aint-C lair où arriv a p e u a p r è s le v ic o m te d ’A rcam bal, é m ig r é français^ m a jo r des C hevau-légers de la Garde ro y a le , v e n a n t c o m m e té m o in et très c o n tra rié ainsi q u e m o i de ce tte m a lh e u r e u s e r e n c o n tr e , d o n t les s u ite s ne p o u v a ie n t ê tre q u e f o rt d é s a g ré a b le s p o u r u n ém ig ré a u q u e l il n e s e ra it c e r ta in e m e n t t e n u a u c u n c o m p te de l ’in su lte q u ’il avait r e ç u e ; la p o sitio n d u m a jo r était aussi critiq u e , m a is il m i t de côté to u te c o n s id é r a tio n en se d é v o u a n t à l ’am itié . C e p enda nt, m o n c o u s in , p a r f a ite m e n t r ésig n é à s u b ir to u te s les c o n s é q u e n c e s de la positio n , d é s ira it voir a r r iv e r l ’in s ta n t de sa venge anc e, d û t-il p e r d r e sa place et ê tre c o n tra in t de s o r tir d u r o y a u m e . Enfin, s u r le s six h e u r e s , p a r u t sir A rth u r, a c c o m p a g n é de ses d e u x té m o in s : « M o nsieur, d it-il à Saint-C lair, je v ie n s m e m e ttr e à v o tre d is p o s itio n p o u r l ’h e u r e et le c hoix des a r m e s ; m a is, avant, je v ou s e x p r im e r a i to u s m e s r e g r e ts de m ’ê tre servi d ’une e x p r e ssio n q u e v o u s ne m é rite z pas. » A ces m o ts , Saint-Clair, dev in an t le m o tif g é n é r e u x de son a d v e rsaire, l u i t e n d i t la m a in , et ainsi se te r m i n a cette affaire d e la m a n iè r e la p lu s h o n o ra b le p o u r l e s deux an ta g o n is te s, 54 SOUVENIRS MILITAIRES. J ’e n fu s r e n d r e c o m p te a u s s itô t à M o n se ig n eu r qui, d a n s s a c o n s ta n te b o n té , i n s t r u i t de la c o n d u ite de C harles, se p r o p o s a it d ’a lle r chez le roi afin de l’in f o r m e r de ce qui s ’était p a s s é et p a r a l y s e r les fâ c h e u x effets qu e devait p r o d u ir e u n e affaire d ’h o n n e u r e n tre u n officier de sa gard e et le r e p r é s e n t a n t d ’u n e c o u r é tra n g è re . Le le n d e m a in , sir A rth u r, t o u jo u r s n o b le d a n s ses s e n ti m e n t s et v o u la n t q u e sa r é p a r a tio n fût éclatan te, d o n n a u n g r a n d d în e r p e n d a n t le q u e l il té m o ig n a to u te son e s tim e à Saint-C lair de la façon la p l u s délicate. L ’a b s e n c e de la r e in e , t o u jo u r s à V ien n e , m e t t a i t du r e ta r d d a n s la c o n c lu s io n d u m a ria g e , au ssi bie n que le m a u v a is vouloir d u m in i s tr e A cton, c r é a tu r e v e n d u e à l ’A n g le te r re ; n o u s en p r e n i o n s fo rt g a i e m e n t n o tr e p arti au m ilie u des fêtes et des p la is ir s d o n t j 'u s a i s avec to u te l ’a r d e u r de m e s d ix - n e u f a n s , lo r s q u e M o n se ig n eu r ob tin t d u roi l’a u to ris a tio n de faire q u e l q u e s e x c u r s io n s d an s l’i n t é r i e u r ; à c e t effet, d es d é t a c h e m e n ts de tr o u p e s f u r e n t pla cé s p o u r q u ’il p u t voyag er avec s é c u r ité et p a r e r à l’in c o n v é n ie n t de r e n c o n t r e r des b a n d its, assez n o m b r e u x d a n s le pays. La s u ite d u p r in c e se c o m p o s a it de M. de S o u rd is, m o i, u n officier n a p o lita in p a r la n t f o rt b ie n n o ir e la ng ue, d e u x valets et u n e e sp èc e d e l a z z a r o n e c o n n u p a r so n i n te l lig e n ce , sa b r a v o u r e et sa fidélité. N o us f û m e s d ’a b o r d à M essine, ville c é lè b r e p a r so n a n tiq u ité , sa g r a n d e u r , son o p u le n ce e t les d é s a s tr e s é p o u v a n ta b le s d o n t elle avait été fra p p é e p a r le t r e m b l e m e n t de te r r e q u i e u t lie u en 1783 Cette m a lh e u r e u s e cité, qui, à c e tte é p o q u e , r e n f e r m a i t p lu s de 100 000 â m e s , n ’en c o m p ta i t p lu s q u e la m o itié, s ’o c c u p a n t d ep u is s e p t a n s à r e c o n s t r u i r e la ville s u r u n plan r é g u li e r ; de t o u s cô tés, se tr o u v a i e n t d es c o lo n n e s , des p ila str e s tr o n q u é s , d e s v estige s d ’a n tiq u ité , d e s palais c o u c h é s s u r le VOYAGE EN SICILE. — 1 800. 35 sol d o n t o n tâ c h a it de r a s s e m b l e r le s d é b r is c o n s e r v é s ; enfin, c ’é ta it e n c o r e le chaos à côté d ’u n e r e n a is s a n c e d o n t on p a r a is s a it s ’o c c u p e r a c tiv e m e n t. Déjà, la ville, p o sé e en a m p h ith é â tr e au p ie d d es m o n ta g n e s qui s ’é t e n d e n t s u r to u te la Sicile, offrait u n a s p e c t c h a r m a n t, ta n d is q u ’à ses p ie d s se p r e s s e n t e n b o u ill o n n a n t les eaux d u d é tro it, ja d is C h a ry b d e et Scylla qui r e m p l is s a ie n t d ’effroi les n a v ig a te u rs . N o us v isitâ m e s la citad elle où se t r o u v e n t p lu s i e u r s forts et d es b a t te r ie s à fleur d ’eau p o u r d é f e n d re l’e n tré e d u p o r t, u n d e s p lu s b e a u x de la M é d ite rran é e. La c a th é d ra le , qu i f u t b âtie p a r le r o i R oger, avait é c h a p p é m ir a c u le u s e m e n t a u d é s a s tr e ; elle e s t d é c o r é e de ving t-six c o lo n n e s an tiq u e s , en g r a n it é g y p tie n , f o r m a n t u n a s s e m b la g e o n n e p e u t p lu s b iz a rre à côté dès o r n e m e n ts g o th iq u e s du x ie siècle. Notre s é jo u r à Messine, qui n e fut q u e de q u a r a n te - h u it h e u r e s , ne n o u s p e r m i t pas de suivre d a n s to u s ses détails la r e n a i s sa n c e de ce tte ville qui se ra u n e d e s p lu s belles de l ’Italie. N o us n o u s d irig e â m e s s u r Catane p a r u n e s u it e de m o n t a g n e s d ’orig in e v o lc a n iq u e d o n t le s feux d o iv e n t être é te in ts d ep u is b ie n d es siè c le s ; p u is n o u s p a s s â m e s au p ie d d ’u n r o c h e r q u ’on dit ê tre de d e u x m ille pie d s au-des su s de la m e r , s u r le q u e l s ’.est fondé u n a s se m b la g e de c o u v e n ts q u ’o n app e lle T ao rm in i, et, s u r un pic e n c o re p lu s h a u t, e s t u n e a g g lo m é r a tio n d ’h a b ita n ts f o rm a n t e n s e m b l e u n e p o p u la tio n de 2 400 â m e s , p e u t - ê tr e les plus r a p p r o c h é s du ciel q u ’o n p u is s e c o n n a îtr e . Catane, où n o u s a rriv â m e s a p r è s u n e assez lo n g u e fatigue, e s t u n e f o rt jolie ville s u r le b o rd de la m e r , avec u n p o r t p r o té g é p a r d es p r o lo n g e m e n ts de lave qui e n d é f e n d e n t l ’e n t r é e ; o n y r e m a r q u e le s r e s te s d ’u n th é â tre e t d ’u n a m p h ith é â tr e , qui p r o u v e n t de qu elle im p o r ta n c e était Catane so u s la d o m in a tio n g r e c q u e et r o m a in e . SOUVENIRS 56 MILITAIRES. Ce f u t d a n s c e tte ville q u e n o u s finies n o s p r é p a ra tifs p o u r aller v isiter l’E tn a d is ta n t de 28 m ille s ; n o u s a r r iv â m e s d ’a b o r d à Nicolosi, m a u v a is village délabré, r e p a ire de b a n d its, où n o u s t r o u v â m e s u n d é t a c h e m e n t qui e n avait s u r p r i s six d a n s u n e m a u v a is e m a is o n , qu ali fiée d ’h ô te lle rie , o ù n o u s n o u s é ta b lîm e s p o u r p a s s e r la n u i t ; ces m is é r a b le s , a r m é s de lon g s s ty le ts et d ’espingoles c h a r g é e s j u s q u ’à la g u e u le , e s p é r a ie n t p r o b a b le m e n t l ’a r riv ée d e q u e lq u e s confiants v o y a g e u rs ; ils f u r e n t ch a rg és de c h a în e s e t c o n d u i ts d a n s les p r is o n s de la ville. Dès la p o in te d u jo u r , n o u s c o m m e n ç â m e s n o tr e m a r c h e à tr a v e r s u n e c o n t r é e c o u v e r te de te r r e n o ir â tre et in f e r tile ; p u is, n o u s g a g n â m e s le pied d e s m o n ta g n e s p o u r a r r i v e r d a n s la r é g io n d es la v e s; là, se tr o u v a i e n t q u e lq u e s c h ê n e s é c h a p p é s à la d e s tr u c tio n q u ’elles tr a î n e n t avec elles ou qui o n t tr o u v é à g e r m e r e t c r o ît re d a n s les fis su r e s , e t qui s o n t loin d ’offrir l’a s p e c t de ces b ea u x a rb r e s de l ’E tn a d o n t p a r le n t p lu s i e u r s v o y a g e u r s qui o n t la m a n ie d u m e rv e ille u x d a n s u n r é c it b o u rso u flé o u d ’a u tre s d o n t l ’e x c u r s io n s ’e s t p r o b a b l e m e n t faite d a n s le u r cabi n e t. Cette p a r ti e d u tra je t, qui se fait s u r des laves g lis sa n te s , e s t assez d a n g e r e u s e p a r les a s p é rité s, les c o n to u rs aigus et les ra p id e s in c lin a iso n s q u ’il faut p a rc o u rir, sans a u t r e m o y e n de se p r é s e r v e r d e s c h u t e s q u e la sa gesse et la s û r e t é de l ’a llu re r é g u liè r e des m u le ts qui finissent l e u r c o u r s e a u s o m m e t d ’u n e m o n ta g n e où se tro u v e u n e c a b an e c o n n u e so u s la d é n o m in a t io n de M a i s o n d e s A n g la is , c o n s tr u i te apparem m ent pour le repos de q u e lq u e in su laire. C’e s t à p a r t i r de c e t en d ro it, a p r è s u n c o u r t r e p o s , q u e d e v a it c o m m e n c e r v é r it a b le m e n t n o t r e e n t r e p r i s e fati g a n te et p é r ille u s e p a r l ’a s c e n s io n q u ’o n a pp e lle du g ran d ô n e ; m a is, l’a r d e u r et la g aieté d u p rin c e , j o in t e s à Ja ASCENSION DE L’E T N A . — 1 800. s é ré n ité d u t e m p s e t la confiance q u e n o u s avio ns d a n s n o s g u id e s, n e firent q u ’a u g m e n t e r n o s d é s irs d ’a r r iv e r au b u t, et n o u s n o u s m îm e s en m a rc h e . N ous fû m e s à p e u p r è s u n e d e m i - h e u r e av a n t d ’a tte i n d r e u n c r e u x assez é te n d u , p r a ti q u é d a n s le s e n s p e r p e n d ic u la ir e de la m o n tag ne, d o n t le fond était occ u p é p a r p lu s i e u r s o u v e r tu r e s d ’où s ’é c h a p p a it u n e é p a isse fu m é e , cha rgée d ’u n e o d e u r in s u p p o r ta b le de soufre. N ous c o n t in u â m e s de m o n t e r p a r u n e in c lin a iso n p lu s ra p id e et à c h a q u e i n s t a n t p lu s d a n g e r e u s e , forcés de n o u s a r r ê t e r p o u r r e p r e n d r e h a le in e et t o u r n e r le d o s à la f u m é e qui p arfo is n ous enveloppait. Enfin, ap rè s u n e h e u r e de fatigue, g ra v is s a n t t o u j o u r s au m ilie u d ’u n b r o u illa rd qui s ’é ta it s u b it e m e n t déc la ré et n o u s laissait d a n s u n e in q u ié ta n te in c e r titu d e s u r la d istanc e qui n o u s sé p a ra it d u s o m m e t, n o u s f û m e s to u t à c o u p fort a g r é a b le m e n t s u r p ris l o r s q u ’u n c ou p de v en t, d iss ip a n t la f u m é e et le b r o u illa rd , n o s deux g uides s ’é c r iè r e n t q u e n o u s t o u c h io n s a u b u t de n o s efforts; en effet, r e d o u b la n t d ’a r d e u r , n o u s a tte ig n îm e s b ie n tô t le p o in t c u l m in a n t de la m o n ta g n e , n o u s tr o u v a n t alors à 10000 p ie d s a u - d e s s u s de la m e r. A p ein e e û m e s - n o u s le te m p s de r e s t e r q u e lq u e s m i n u t e s s u r c e t im m e n s e o b se rv a to ire , p r o m e n a n t nos re g a rd s s u r ce c ra tè r e d ’u n e d e m i- lie u e de d ia m è tre et d ’u n e p r o f o n d e u r de p lu s ie u r s c e n ta in es de p ie d s, d ’où s ’é c h a p p a it u n e é p a isse fu m é e s o r ta n t d ’u n e b o u c h e q u i s e m b la it ê t re so u s n o s pie d s, ta n d is q u e ' d ’a u t r e s e n f o u r n is s a ie n t s u r d es p o in ts d iffé ren ts; n o u s n e v îm e s c e p e n d a n t ni flam m es, ni m a tiè re s in c a n d e sc e n te s , m a is n o u s e n t e n d î m e s u n b r u it c o n tin u p areil à celui qu e p r o d u it l ’eau en ébullition. Ce spe cta cle im p o s a n t fut to u t à coup tr o u b lé p a r le r e t o u r d u n u ag e qui s e m b la it n o u s avoir ac c o rd é u n e fav e u r assez lo n g u e et d o n t l ’a p p r o c h e n o u s 88 SOUVENIRS MILITAIRES. força de n o u s p r é c ip ite r p lu tô t q u e de d e s c e n d r e , et en c o re f û m e s - n o u s a t te in ts e t p r e s q u e suffo qués p a r la fum ée, b ie n q u e douze m i n u t e s n o u s e u s s e n t suffi p o u r p a r c o u rir la d ista n c e q u e n o u s avions m is p r è s de d e u x h e u r e s à p a r c o u r ir . N ous r e v î n m e s p a s s e r la n u i t à n o tr e m is é r a b le gîte de N icolosi, tr è s satisfaits d ’u n e a u s si c u r ie u s e e x c u r sion, et, en m o n p a r tic u lie r , b ie n ce rtain d ’e n c o n s e r v e r u n p r o fo n d s o u v e n ir. Le le n d e m a in , de r e t o u r à Catane, n o u s e n p a r tîm e s p r e s q u e a u s s itô t p o u r aller à S y ra cu se , d a n s l’e spoir d ’y tr o u v e r q u e l q u e s s o u v e n irs de so n a n tiq u e c é lé b rité ; m ais p a s u n m o n u m e n t n ’y e s t conservé, et n ’é ta ie n t les c a ta c o m b e s qui s o n t e n t iè r e s e t p r ê te s à r e c e v o ir de n o u v e a u x h ô te s et la fo n tain e ta n t c é lé b ré e so u s le n o m d ’A ré th u se , d o n t l’e a u e s t j o u r n e l l e m e n t tr o u b lé e p a r des f e m m e s o c c u p é e s à la v er du linge, on c h e r c h e r a i t v a i n e m e n t l ’e m p l a c e m e n t d e s m a g n ifice n ce s q u ’elle r e n f e r m a it. Le S y ra c u s e d ’a u j o u r d ’h u i e s t assez bie n bâti, p e u p o p u le u x , so n p o r t m a g n ifiq u e est d é s e r t et so n c o m m e r c e p r e s q u e nul. N ous q u i t t â m e s c e tte ville avec le r e g r e t de n ’avoir à citer d ’elle q u e so n n o m p o m p e u x q u ’elle p o r te , c o m m e le b eau c h i e n q u ’o n a p p e lle César. N o us tr o u v â m e s , e n r e n t r a n t à P a le rm e , la popula tio n f o rt en tr a i n d e s p r é p a ra tif s de sa fête p a tro n a le q u ’elle cé lè b re d a n s le m o is de ju i l l e t avec u n e p o m p e e x t r a o r d i n a ire e t d o n t la ca u se m é rite d ’ê tre r a p p o r té e av a n t d ’e n r e tr a c e r les détails. Au c o m m e n c e m e n t d u xn° siècle, vivait u n e j e u n e p r i n ce sse du n o m de Rosalie, n iè c e d u roi G uillaum e, le bon p r in c e de la rac e n o r m a n d e des H auteville qui ré g n a s u r la Sicile. Rosalie, d o n t la b e a u té était m e rv e ille u s e , p r it en d é g o û t la vie et les p a s s io n s d u m o n d e , et se r e ti r a non lo in d e P a le r m e s u r le m o n t Pellegrino. E n ce te m p s , où EN SICILE. - 1 80 0 . 59 le s g u e r r e s civiles et des c r im e s de to u te s s o r te s in fes ta ie n t l’île, ce tte r é s o lu tio n c o u r a g e u s e de la je u n e p r i n c e sse la sauva de la c o r r u p t i o n ; sa p iété confiante et sa fierté la d é f e n d ir e n t d es o u trag e s. C e p en d a n t, d a n s le c o u r s de l ’a n 1159, elle d is p a r u t to u t à c o u p , il fut i m p o s sible de d é c o u v r ir de quelle m a n i è r e ; o n n e r e tr o u v a ni s o n corps, ni ses v ê t e m e n ts ; avait-elle p éri d ’u n e m o r t v io le n te ? avait-elle e n t r e p r i s u n lo n g p è le rin a g e ? s ’était-elle o u v e r t u n e to m b e in a cc essib le? On n e s u t p as r é s o u d r e ces d o u te s. La foi p o p u la ir e f u t q u ’elle avait été en le v é e a u ciel e n r é c o m p e n s e de sa v e r tu . Mais, cin q siècles ap rè s, il arriv a q u e, p e n d a n t u n e p e s te te rrib le qui rav a g ea P a le r m e , u n h o m m e , r e n o m m é p a r s a p ié té, e u t u n e visio n : il r a p p o r ta q u ’il lu i avait parti ê t r e tr a n s p o r t é d a n s la ca v ern e du m o n t P e lle g rin o , q u ’il y avait v u le s o s s e n je n ts de Rosalie ép a r s e t s a n s s é p u ltu r e et q u ’u n e voix d ’e n h a u t lui avait dit q u e, si ces r e s te s de la sa in te é t a ie n t p o r té s tr o is fois a u t o u r des m u r a ille s de la ville, la c o n ta g io n c e s s e r a it su rle -c h a m p . Ces p a r o le s é m u r e n t les h a b i t a n t s ; o n en voya u n e d é p u t a ti o n s u r la m o n ta g n e , les o s s e m e n t s f u r e n t d é c o u v e r ts à la pla ce in d iq u é e , on fit le s tro is p r o c e s s io n s et la Sicile fut d é liv rée de la p este. D ans le u r r e c o n n a is s a n c e , les h a b i ta n t s de P a le r m e éle v è r e n t la b elle p r in c e s s e R osalie au r a n g de le u r sainte tu té la ir e ; ses os f u r e n t m a g n if iq u e m e n t e n f e rm é s d a n s u n r e liq u a ir e d ’a r g e n t d ’un travail p r é c ie u x et orn é de p i e r r e ries, p u is d é p o s é s dan s la vieille c a th é d ra le de la ville. La g r o tte n e fut pas n o n p lu s n é g lig é e ; on c o n s tr u i s it u n bel escalier, appe lé la Scala, qui s ’élève de t e r r a s s e en t e r r a s s e à tra v e rs les e s c a r p e m e n t s e t les p r é c ip ic e s de la m o n ta g n e . Enfin, on b â tit l ’église, et, à côté, u n p r e s b y tè r e p o u r les p r ê tr e s v o u és a u c u l te de la s a in te ; de cet 60 SOUVENIRS MILITAIRES. e n d r o it l ’on j o u i t de l ’u n e des p lu s b elles p e rsp e c tiv e s du m o n d e . P r e s q u e a u p ie d de la m o n ta g n e , s ’é t e n d e n t l ’é lé g a n te P a le r m e e t ses f a u b o u r g s , la Bagaria et il Colle, avec le u rs villas, ric h e s, g r a c ie u s e s e t le u rs v e r ts o m b rag e s. Du côté de la m e r , on d é c o u v r e les îles Lipari g r a c ie u s e m e n t d é c o u p é e s s u r le ciel, e t le cône to u jo u r s f u m a n t de S tro m b o li e t V ulcano. C’e s t d a n s le s eaux de S tro m b o li q u e l ’am ir a l ü u q u e s n e livra aux H ollandais, c o m m a n d é s p a r B u y te r , le 8 ja n v i e r 1676, u n c o m b a t naval d a n s le q u e l c e s d e r n ie r s f u r e n t c o m p l è t e m e n t b a ttu s. Mais, re v e n o n s à la p a t r o n n e d es P a le rm ita in s q u i o n t c o n s e rv é p o u r sa in te R osalie la p lu s vive g r a ti tu d e e t c é lè b re n t sa fête a u m o is de ju il le t avec u n e n t h o u s ia s m e , u n lu x e d’illu m i n a t io n s et de d i v e r t i s s e m e n t s si a n i m é s q u ’on a u r a it pein e à t r o u v e r en d ’a u t r e s p a y s d e s c é r é m o n ie s au s si écla tan tes. Les p la isirs d u r e n t c in q j o u r s sa n s d is c o n tin u e r. Dès le p r e m i e r , la c h â s s e de la b i e n h e u r e u s e sa in te , sa lu ée p a r des c a n o n n a d e s et des artifices, a p p a r a ît s u r u n c h a r tr a în é p a r q u a t r e m u le s et re m p li de m u s i c i e n s ; so n s o m m e t a tte in t le faîte d e s p lu s h a u t e s m a is o n s . Il p a r c o u r t la p rin c ip a le r u e de la ville au m ilie u d ’un im m e n s e c o n c o u r s d u p e u p le . P e n d a n t les cinq j o u r s , il se p r o m è n e , il passe et r e p a s s e e n p r o v o q u a n t les a c c l a m a tio n s ; mais c e tte p r o m e n a d e e s t e n t r e m ê l é e de c o u rse s de che v au x , m o n té s p a r d e s jo c k e y s ou lib re s : c ’e s t u n d es spe cta cle s le s p lu s a g ré a b le s a u x h a b ita n ts de P a le rm e . Les illu m i n a t io n s e t les fe u x d ’artifice q u i o n t te r m in é c h a q u e j o u r n é e s o n t s u r p a s s é s , le so ir de la q u a t r i è m e , p a r l ’illu m in a tion de la m a gnifique c a th é d ra le placée s o u s la p r o te c tio n de la s a in te ; on y c o m p te cin q c e n ts lu s t r e s c h a r g é s de bo u g ie s. L ’in té r ie u r de ce vaste édifice p r é s e n te u n sp e c ta c le m a g iq u e : d es franges, d e s g u ir la n d e s de p a p ie r, d u c a r to n a r g e n té , d e s p e tits m iro irs, fo n t to u s les frais de EN SICILE. — 1 800. 61 ce tte d é c o r a tio n ; m a is l e u r e n s e m b le e s t d isp o s é si a r ti s t i q u e m e n t q u e l ’im a g in a tio n se cro irait v o lo n tie r s t r a n s p o r té e d a n s u n p a la is de féerie. Celte a r c h ite c tu r e sa n s o m b r e , éclairée de to u te s p a r ts , p a r a ît c o m m e d ia p h an e . L es lu m iè r e s , reflétées s u r d es la m e s d ’arg e n t, r e s s e m b le n t à a u t a n t d ’étoiles é tin c e la n te s , et, e n to ut, c ’e s t u n e c larté si b rilla n te e t si é b lo u is s a n te q u e les s e n s e n s o n t éto n n é s e t b ie n tô t fatigués, a u p o in t de n ’y p o u v o ir te n ir u n e d e m i- h e u r e . Le c in q u iè m e j o u r e s t te r m i n é p a r u n e long ue p r o c e s s io n dan s la q u elle c h a q u e c o n f r é r ie p o r te le sa in t q u ’elle r e c o n n a ît p o u r son p a tro n s u r u n e e s tra d e dorée e t enjolivée avec to u s les s o in s im a g in a b le s : c ’est à qui m a r c h e r a le p lu s vite, et p i r o u e t t e r a le p lu s r a p id e m e n t , e n faisant d e s c o n t r e - m a r c h e s et é v o lu tio n s sa n s n o m b r e , au m il ie u des f e m m e s et des e n f a n ts qui d a n s e n t a u t o u r de l ’e s tra d e . Enfin, le c h a r de sainte Rosalie, qui c h e m in e p lu s g r a v e m e n t, im p o s e à la jo ie e t au t u m u l te , fait a g e n o u ille r le p e u p le et te r m i n e la fête. P e u de j o u r s a p r è s ces fêtes, il n e s ’en fallut g u è r e qu e j e te r m in a s s e m a c a rriè re a v e n tu r e u s e de la m a n iè r e la p lu s e x tra o rd in a ire . Au n o m b r e d es s e n s u a li té s qui a b o n d e n t e n ce pay s, le p la isir des b a in s de m e r e s t un de ce ux qui offrent le plus de c h a r m e , a u s si bie n sous le r a p p o r t de la sa n té q u e p a r l’a g r é m e n t q u ’o n é p ro u v e à p a r a ly s e r les h o r r ib l e s c h a le u rs d o n tp a r f o is l’on e s t a c ca b lé s o u s ce clim a t b rû lan t. Or d onc, é ta n t u n jour, e n m e r à u n e lie u e de d ista n c e avec le c o m te M ussin P u s c h k in et so n se c r é ta ir e , le b a r o n de L eckam , n o u s e û m e s la fantaisie de n o u s liv re r au p la isir de la n a ta tio n , e x e rcic e q u e je p r a tiq u a is avec u n véritab le suGcès. A u ssitô t d é s h a b illé s, n o u s n o u s la n ç â m e s à p lu s i e u r s r e p r is e s la tê te la p r e m i è r e dan s l ’im m e n s i té , p o u r r e v e n i r e n s u ite s u r la surface des o n d e s j o u i r des d o u x éb a ts 62 SOUVENIRS MILITAIRES. p r o v o q u é s p a r la c h a le u r d u jo u r . D epuis p r è s d ’u n e d em ih e u r e , n o u s jo u is s io n s de cet e x e rcic e sa lu ta ire , lo r s q u e n o s m a r i n ie r s , d o n t n o u s é tio n s a ssez éloignés, c r iè r e n t : « S i g n o r i , p e s c e c a n e , p e s c e c a n e ! » u n r e q u in ! et, n a v i g u a n t v iv e m e n t p o u r n o u s re jo in d re , ils n o u s engag eaient de la voix à n o u s d ir ig e r v e r s la b a r q u e ; en effet, cet avis effrayant n o u s fa is a n t voir d a n s le lo in ta in le d o s du cé ta c é d o m in a n t le s v a g u e s et c in g la n t s u r n o u s avec ra p id ité , n o u s n a g e â m e s avec d ’a u t a n t p lu s de vivacité q u e le d a n g e r d e v e n a it é v i d e n t; m a is, b ie n tô t, la p e u r s ’e m p a r a n t de m o i, le s forces m e m a n q u è r e n t e t j ’étais s u r le p o in t de c o u l e r à fond o u de d e v e n ir la p ro ie dè ce te rrib le e n n e m i, l o r s q u ’u n d es m a te lo ts se j e t a à l a m e r, m e s o u ti n t et m e fit e n t r e r d a n s la b a r q u e au m o m e n t o ù m e s d eux c o m p a g n o n s v e n a ie n t de s ’y réfugier. C e p en d a n t, le r e q u in , p o u r s u i v a n t sa c o u r se avec u n e vélocité qu e r ie n n e s e m b la it p o u v o ir a r r ê te r , p a s s a à q u e lq u e s to is e s de n o tr e e m b a r c a tio n c o m m e u n e flèche, se d ir ig e a n t s u r le p o r t avec u n e e s p èc e d ’a ttr a c tio n i r r é sis tib le et v int m a lg r é lui s ’é c h o u e r s u r le sable sa n s p o u vo ir s’e n d égag er. Le roi, p r é v e n u do cet' in c id e n t e t f o rt a m a t e u r de la p êc h e, a rriv a a u s s itô t s u r la plage et h a r p o n n a lu i- m ê m e le r e q u in aux y e u x de la foule a s s e m b lé e . L o rs q u e n o u s ar r iv â m e s , il éta it é t e n d u s u r la g rè v e so u s la gard e d ’un p o ste , j u s q u ’à ce q u ’o n v în t le c h e r c h e r p o u r le t r a n s p o r te r a u p alais; il é ta it j e u n e , e t n ’avait p as p lu s de vingt p ie d s de lo n g u e u r , m e s u r e p lu s q u e suffisante p o u r av a le r u n c h r é tie n de m a taille. Au r e s te , p lu s i e u r s a u t r e s a va ie nt été sig n a lé s le s j o u r s p r é c é d e n t s , sa n s savoir à qu el m o ti f a t t r i b u e r le u r p r é s e n c e , f o rt r a r e d a n s ces parages. D a n s to u t état de ca u se , m o n effroi n ’e n f u t p as m o in s t r è s v io le n t et, s a n s le d é v o u e m e n t de ce brave m a r i n q u e je DÉPART DU D U C DE BERRY. — 1S00. 63 r é c o m p e n s a i la rg e m e n t, il e s t é v id e n t q u ’u n de m e s m e m b r e s o u m a p e r s o n n e p o u v a it ê tre b r o y é fort le s te m e n t p a r la m â c h o ir e de cet avide a n im a l et, d a n s le cas de so n dédain , c o u l e r a u fond de la m e r p o u r e n n o u r r i r d ’a u tre s . L ’on a r a is o n de d ir e q u ’u n d a n g e r p a s s é p e r d n o n s e u l e m e n t b e a u c o u p de sa gravité, m a is q u ’il d e v i e n t a u s si p a r fois u n s u je t de p la isa n terie : ain si en fut-il de m o n a v e n tu r e , d o n t c h a c u n g losait à m e s d é p e n s , voire m ê m e p lu sie u r s m a ris q u i n e se d o u ta ie n t g u è r e c o m b ie n il m ’e û t été facile de m e ttr e le s r ie u r s de m o n côté. U ne le ttr e d u p rin c e de Condé a n n o n ç a n t la p r o c h a in e r u p t u r e de l’a r m is tic e , M o nse ign eur s ’e m p r e s s a d ’e n d o n n e r c o n n a is s a n c e a u roi e t de lui e x p r im e r l ’in te n tio n o ù il était d ’a lle r r e p r e n d r e so n c o m m a n d e m e n t à l ’a r m é e . Sa Majesté, a p p r é c ia n t le j u s t e d é s ir d u p r in c e , l’a u to ris a à p a r ti r e t il fut décidé q u e le chev alier de la J a r r e , m o i et les é q u i p a g e s, n o u s a t te n d r io n s les o r d re s qui d e v a ie n t n o u s p r e s crire ce q u e n o u s avions à faire. Le p r in c e s’e m b a r q u a , le 12 s e p te m b r e , a c c o m p a g n é de MM. de S o u rd is et de Da m a s et de son v a le t de c h a m b r e , p o u r N aples, d ’o ù il d evait a u s s itô t se r e n d r e à S alzbourg, p r è s le p r in c e de Condé. P e n d a n t les quinze jo u r s q u e n o u s r e s t â m e s e n c o re à P a le r m e a p r è s le d é p a r t d u p r in c e , s u r v i n r e n t p lu sie u r s é v é n e m e n ts q u e fit n a ître la r u p t u r e de l ’a r m is tic e , n o t a m m e n t l’o c c u p a t io n de N aples p a r u n e division ru s s e , e t l’o r d re a u c o m te Mussin P u sc lik in d ’aller y r é s id e r p r è s de la r e in e d o n t on a t te n d a it la p r é s e n c e à to u t in stan t, ce qui avait au ssi n é c e s s ité l'en v o i d ’u n r é g im e n t d ’in fa n te rie de la Garde royale, d a n s leq uel C ha rles de Saint-Clair é ta it cap itaine. Dans ce m ê m e t e m p s , le ch e v alier de la J a r r e r e ç u t u n e le ttre du d u c de B e rr y qui lui m a n d a it q u e so n e s p é ra n c e d ’u n io n avec la p r in c e s s e Marie é t a n t à p e u p r è s 64 SOUVENIRS MILITAIRES. d é tru ite , n o u s e u s s io n s à q u i t t e r P a le r m e d a n s le p lu s b r e f délai et à a t te n d r e à N aples de n o u v e lle s i n s t r u c tio n s s u r la m a r c h e q u e n o u s a u r io n s à su iv re . N ous p r îm e s a u s s itô t n o s d is p o s itio n s de d é p a rt, e t o b tîn m e s u n e a u d ie n ce d u roi d o n t la r é c e p tio n f u t r e m p l ie de b ie nveil la n ce , n o u s faisa n t e n t re v o ir q u ’il ne cé d ait q u ’à u n e force m a je u r e , m a is av e c l ’e s p o ir de la s u r m o n t e r p lu s t a r d ; p u is, s ’e n q u é r a n t avec b o n té de n o s p r o je ts et de n o tr e situ a tio n financière, S. M. d it a u ch e v a lie r de la J a rr e q u ’il r e c e v ra it d a n s la so ir é e u n e l e t t r e p o u r le d u c de B e rr y et u n b o n de six ce n ts d u c a ts p o u r n o s d é p e n s e s , ainsi q u ’u n o r d r e d ’e m b a r q u e m e n t s u r la fré g ate q u i d evait t r a n s p o r t e r l ’a m b a s s a d e u r de R u s sie . C ette c irc o n s ta n c e m e fut d ’a u t a n t p lu s a g ré ab le , q u e m a lia iso n avec le co m te P u sc h k in n e p o u r r a it q u e s ’e n r e s s e r r e r d avantage. Mon d é p a r t de P a le rm e n e se fit p a s sa n s r e g r e ts , a p r è s u n s é jo u r d e q u a t r e m o is p a s s é de la m a n iè r e la p lu s a g r é a b le s o u s ce ciel ra d ie u x , d a n s u n p a y s e n c h a n t e u r et a u m ilie u d es a g r é m e n ts de to u s g e n r e s si j u s t e m e n t a p p r é c ié s à m o n âge. Mais l ’e s p o ir de re v o ir b ie n tô t m o n a u g u s te p a t r o n m o d é r a u n p e u m a d o u le u r en m e s é p a r a n t de p e r s o n n e s d es b o n té s d e s q u e lle s il n e devait b ie n tô t m e r e s t e r q u e le s o u v e n ir , n o t a m m e n t la grac ieu se e t m ig n o n n e d u c h e s s e de S o rie n to , d o n t les c a p ric e s avaien t t a n t de c h a r m e s q u e s ’y s o u m e t t r e é ta it u n b o n h e u r , la m a r q u i s e Aceto p lu s c o n s ta n t e e n a m itié q u ’en a m o u r , la b elle, altiè re e t s u p e r b e p r in c e s s e de Hesse, a s s e r v is s e n t t o u t à ses d é s irs , s u r t o u t e n a m o u r , d o n t elle était u n e des p lu s a r d e n te s p r ê t r e s s e s ; ce fut a u s si avec un v éritable c h a g r in qu e je m e s é p a ra i de c e lte b o n n e e t re sp e c ta b le c o m te s s e .S c aw ro n sk y q u i avait été p o u r m oi si parfaite, et m e tr a i ta it c o m m e si j ’avais été so n enfant. LICEN CIEM ENT DU DE LA M A I S O N D UC DE BERRY. — S É J O U R A NAPLES Q uinze j o u r s a p r è s n o tr e a r r iv é e à N aples, u n e le ttre d u d u c de B e rr y n o u s a n n o n ç a la d é s a s tr e u s e bataille de I lo h e n l in d e n , d a n s la q u elle l'a r m é e de Condé, qui y avait si l a r g e m e n t p a y é s o n d é v o u e m e n t, v e n a it d ’ê tre licenciée c o m m e u n e des c o n d itio n s e x ig ée s d a n s le n o u v e l a r m i s tice ac co rd é à l ’A u triche. Le p rin ce e x p r im a it so n in d i gnation s u r ce tte lâ c h e té d u c a b in e t a u tric h ie n et s o n d é s e s p o ir s u r l’a ve nir r é s e r v é à ses b rav e s c o m p a g n o n s d ’a r m e s . Il a n n o n ç a it so n p r o c h a in d é p a r t p o u r E d im b o u rg , où r é s id a it so n p è r e , et, n ’e m m e n a n t avec lu i qu e Delleville so n v alet de c h a m b r e , il p re s c riv a it a u ch e v a lie r de la J a r r e de v e n d re to u s ses équip ag e s, de p a y e r et r e n v o y e r se s d o m e s tiq u e s , de m e r e m e t t r e d e u x c e n ts d u c a ts, r e g r e t t a n t q u e sa p o sitio n n e lui p e r m î t pas de m ’a p p e le r p r è s de lui, et d ’a lle r de sa p e r s o n n e p r è s de M adam e la c o m te s s e d ’A rtois. Ces tr is te s n o u v e lle s , b ie n faites p o u r m ’affliger, p u is q u e j e voyais s’é v a n o u ir m e s e s p é r a n c e s e t q u e j ’étais livré bie n je u n e à m o i- m ê m e , f u r e n t p a r a ly sé es p a r l ’am itié q u i v in t offrir des c o m p e n s a tio n s à m o n j u s t e cha grin. SOUVENIRS 66 MILITAIRES. Le c o m te M ussin P u s c h k in m e p r o p o sa , avec l ’effusion la p lu s d élica te , de r o m p r e sa s o litu d e e n v e n a n t h a b ite r avec lui, j u s q u ’à ce qu e m o n p è r e m ’e û t fait co n n a ître ses in te n tio n s . Il y m i t u n e p e r s is ta n c e si affec tueuse q u ’il s e m b la it o b te n ir u n e faveur lo r s q u e je lui té m o ig n a i to u te m a r e c o n n a is s a n c e de ce tte p r e u v e d ’affection si sin c ère. J e d ev ins d onc so n c o m m e n s a l, le c o m p a g n o n de ses jo ie s et de se s p la is ir s , et a d m is à p a r ta g e r to u s les a g r é m e n ts de sa h a u t e p o sitio n . Le c o m te M ussin P u s c h k in , ain si q u e je l ’ai dit, avait à p e i n e v in g t- q u a tr e a n s, jo u is s a it d ’u n e f o r t u n e tr è s c o n s id é ra b le , et était m a rié à u n e r ic h e h é r it iè r e d u n o m de B ruce, d e s c e n d a n te d es rois d ’Ë c o ss e ; la c o n d u ite p lu s q u e lé g è re de sa j e u n e et b elle é p o u s e l ’avait forcé de s ’en sé p a re r. N o m m é a m b a s s a d e u r à N aples, p a r u n e fave ur to u te spéciale, il te n a it u n e m a is o n d es p lu s sp le n d id e s et se tr o u v a it, dan s le s s itu a tio n s p r é s e n te s , a p p e lé à j o u e r u n rô le de la p lu s h a u t e im p o r ta n c e ; au ssi l ’e m p e r e u r lui avait-il a d jo in t u n p r e m i e r s e c r é ta ir e d ’a m b a s s a d e d ’u n m é r i te s u p é r ie u r . P e u de te m p s a p r è s n o tr e arriv é e à Naples, la r e in e vint y r é s id e r , ce qui n é c e s s ita la v e n u e d ’u n r é g im e n t de la G arde ro y ale , d a n s le q u e l, à m a g ra n d e satisfac tio n , se tr o u v a it m o n c o u sin , C harles de Saint-Clair. Mais, ava n t de r e tr a c e r la no u v elle vie à laquelle j ’étais a p p e lé , il f a u t que j ’e s q u is s e le p o r tr a it de m o n am i, au p h y s iq u e c o m m e a u m o ra l, et le m o n t r e r d a n s to u t e sa s p le n d e u r v é r ita b le m e n t prin cière. Le c o m te M ussin P u s c h k in é ta it de taille m o y e n n e , u n p e u tro p r e p le t p o u r so n â g e ; il avait u n e figure nob le et d is tin g u é e , d e s y e u x r e m p l is d ’e x p re ssio n et u n so u r ir e c h a r m a n t ; m a is, ce qui le d é p a r a it u n p e u , était u n e t u m e u r A N A P L E S , AVEC LE COMTE M U S S I N PUSCI I KI N. 6T assez forte a u b r a s g au c h e, p a r ta n t d u c o u d e j u s q u ’a u p o i gn et, q u i n é c e s s ita it de f r é q u e n ts b a in s d e m e r. Son é d u c atio n , des p lu s soigné es, avait été faite p a r M. de la H aye, ém ig ré, h o m m e d ’u n m é rite s u p é r i e u r q u i n e le q u itt a it ja m a is , et a u q u e l il d evait de p a r le r le français, l ’anglais, l ’ita lie n e t l ’a lle m a n d de la m a n iè r e la p lu s d istin g u é e ; il avait b e a u c o u p d ’e s p r it n a tu re l, de la gaieté, de la fra n chise e t u n e g é n é r o s ité q u i to u r n a i t en p r o fu s io n : o n e n j u g e r a p lu s f a c ile m e n t l o r s q u e l ’o n c o n n a î tr a l ’é ta t de sa m a iso n , p e u t - ê tr e a u s si exigé p a r son so u v e ra in . Le c o m te P u s c h k in avait, de s o n fait, 200000 r o u b le s de r e v e n u (ayant a b a n d o n n é à sa f e m m e ce q u i lui a p p a r te . n a i t ) e t d e t r a i te m e n t, c o m m e a m b a s s a d e u r , 375 000 r o u b le s . Il lo g e ait e n face de la m a g n ifiq u e p r o m e n a d e de la Villa Réal, a y a n t v u e s u r la m e r ; s a m a is o n se c o m p o s a i t de M. d e la Haye, u n s e c r é ta ir e p a rtic u lie r, u n a u m ô n ie r , u n m é d e c in , u n i n t e n d a n t e t u n e fe m m e do c h a rg e a y a n t u n e ta b le p a r ti c u liè r e ; à la s ie n n e , n ’était q u e m o i, et p r e s q u e to u s les j o u r s se p t o u h u i t invités, n o n c o m p ris le s g r a n d s galas de r i g u e u r ; p uis, v e n a ie n t d e u x v alets de c h a m b r e , d e u x h u is s ie r s , u n c h a s s e u r , q u a tre laquais, u n c u isin ie r, d e u x aides, trois o u q u a t r e m a r m ito n s , d e u x c o c h e r s , d e u x g r o o m s e t tr o is p a le f re n ie rs , f o r m a n t u n e tr o is iè m e et q u a triè m e table ; d a n s l’éc u rie, se tro u v a ie n t q u a tre c h e v au x de v o itu r e e t tr o is de selle. T elles é ta ie n t le s d é p e n s e s jo u r n a l iè r e s , n o n c o m p ris les galas, les so i r é e s, les sp e cta cle s, la to ilette, les a c h a ts de fantaisie et, p a r - d e s s u s to u t cela, u n e m a îtr e s s e d o n t les d é p e n s e s dev a ie n t av o ir q u e lq u e valeur. A ussi, p e n s a i-je qu e 575000 r o u b le s n e d e v a ie n t p as suffire à lu xe s e m b la b le e t qu e les ca p ita u x d ev a ie n t ê tre u n p e u e n ta m é s , ce qui se m b la it é m o u v o ir t r è s p e u le c h e r a m b a s s a d e u r . 68 SOUVENIRS MILITAIRES. La p r é s e n c e de la rein e , u n e paix m o m e n ta n é e et l ’envoi de M. A lq u ie r, m in i s tr e de F ra n c e à N aples, fu re n t le m otif de fêtes b r illa n te s a u x q u e lle s a s s is tè r e n t p lu s ie u r s F ra n ç a is v e n u s d u q u a r ti e r g én é ral de M u râ t o c c u p a n t MilanU n j o u r , q u e le c o m te P u s c h k in d o n n a it u n g r a n d d în e r a u q u e l a s s is ta ie n t d es F ra n ç a is e t d es Anglais q u i a v a ie nt fait tr a n s p o r t e r des c h e v a u x p u r sa n g d o n t q u e lq u e s - u n s a v a ie n t été v e n d u s u n p r ix e x o r b ita n t, il f u t q u e s tio n d ’o r g a n ise r u n e c o u r s e , dan s la q u elle le co m te P u sc h k in , p o s s e s s e u r d ’u n m ag n ifiq u e cheval b arb e , p r o p o s a u n défi c o n tre le s c h e v au x d es in su la ire s , d ’où s ’e n s u iv it a u s sitôt l ’o rg a n is a tio n de la dite c o u r s e , sp e c ta c le to u t à fait n o u v e a u p o u r le s N ap o litain s. U n t e r r a i n v aste et uni, situ é s u r les b o r d s de la m e r , fu t le lie u d ésig n é p o u r d é c id e r la lu tte ; le j o u r en fut fixé a u i m a r s , s u r les dix h e u r e s d u m a t i n . Les c o n d itio n s, é c rite s et sig n é es p a r le s p arties, i n d iq u a ie n t q u e les c o u r e u r s , au n o m b r e de h u it, d é p o s e r a ie n t c h a c u n vin g t d u c a ts d ’o r p o u r le prix d u v a i n q u e u r , n o n o b s t a n t les p a r is de tr a v e rs e q u i, n é c e s s a i r e m e n t , d e v a ie n t av o ir l i e u ; e n o u tr e , le g ag n a n t se ra it e x e m p t de to u s le s frais de la c o u r s e . Chaq ue cavalier p o u v a it m o n t e r u n cheval à so n choix et les h u i t c o n c u r r e n t s d ev a ie n t c o u r ir e u x - m ê m e s . Le c o s tu m e de r ig u e u r c o n s is ta it d a n s u n e v este r o n d e e n soie de c o u le u r s d iffé ren te s, c u lo tte de p e a u de d aim , b o tte s à r e t r o u s s i s j a u n e avec d e s é p e r o n s de m ê m e d i m e n sion, c a s q u e tte e n v e l o u rs de la m ê m e c o u le u r q u e la v este, e t u n fo u et s e m b la b le ; les selles et h a r n a c h e m e n ts a u choix des c o u r e u r s . Dans le p a r c o u r s de la c o u r s e qui dev a it ê tre de tr o is m illes, il éta it de rigueur, de c o n t o u r n e r tro is p o te a u x pla cé s à d e s d ista n c e s in é g a le s; m a is le c o u r e u r qui d é p a s s e ra it les b o r n e s p la n té e s d u cô té de la m e r d e v a it ê tre déc la ré h o r s de c o u r s e . La fin du COURSES DE CHEVAUX. — 18 01 . 69 p a r c o u r s dev a it f o u r n ir u n m ille e n ligne droite, au b o u t d u q u e l d e s ju g e s , placés p r è s de d e u x g ra n d s p o te a u x o rn é s de b a n d e r o le s r o u g es, d é s ig n e r a ie n t v a i n q u e u r le cheval qui, le p r e m i e r , a u r a it enlevé avec son p o itrail u n r u b a n l é g è r e m e n t a tta c h é en tra v e rs . P o u r g a g n e r la co u rse , il fallait a r r iv e r d e u x fois p r e m i e r ; ainsi, la lu tte p o u v a it se r e n o u v e le r e n t r o i s r e p rise s, m a is, à la d e r n iè re , il n e p o u v ait p lu s y avoir q u e d e u x c o n c u r r e n ts . Ces c o n v e n tio n s ir r é v o c a b le m e n t a r r ê té e s , n o u s e û m e s h u i t j o u r s p o u r n o u s p r é p a re r, p e n d a n t le sq u e ls de n o m b r e u x paris s ’é t a b li r e n t : l ’a m b a s s a d e u r de R ussie, e n t r e a u t r e s , engagea 500 lo u is avec le je u n e lo r d W h i tw o r t h qui p r é t e n d a i t av o ir le p r e m i e r c o u r e u r de l’A n g le terre . P a r m i les h u i t c o u r e u r s , se tro u v a ie n t le je u n e lord avec tro is de se s c o m p a tr io te s , le c h e f d ’e s c a d ro n B e a u m o n t, aide de c a m p de M urât, MM. de L ivron et H am e lin , e m p lo y é s d a n s les a d m in is t r a tio n s de l ’a r m é e fra n ça ise, to u s tr o is e n m is s io n â Naples, a y a n t fait l ’ac q u isitio n , c h è r e m e n t payé e, de che v au x de race, et m oi, enfin, avec le fam e ux cheval b a r b e d u c o m te P u s c h k in , q u e j ’ex e rçais to u s les m a tin s , p e n d a n t d e u x h e u r e s , s u r le t e r r a i n o ù d ev a it se faire la c o u rse , ce qui faillit m e d e v e n ir f u n e ste . L ’a n n o n c e de cette c o u rse , b ie n tô t c o n n u e d a n s Naples, p ro v o q u a l ’im p a tie n c e d ’u n e p artie d es h a b i ta n t s f o rt d é s ire u x de j o u i r d ’u n sp e c ta c le n o u v e a u p o u r eux. Le j o u r de la lu tte arrivé, p lu s de tr o is c e n ts v o itu r e s et u n e g ra n d e p a r tie de la p o p u la tio n e n c o m b r a ie n t le s a l e n to u r s d u t e r r a i n s u r le q u e l n o u s d e v io n s c o u rir. Au p o in t d ’a r r iv é e , se t r o u vaien t d e u x p a villon s é l é g a m m e n t d é c o r é s , d e s tin é s à des p e r s o n n a g e s m a r q u a n ts et à d e s f e m m e s b rilla n te s d e to ilettes, de b e a u té et de sa tisfa c tio n à l ’a s p e c t d ’u n spe cta cle qu i s e m b la it le u r p r é s a g e r des é m o tio n s n o u 70 SOUVENIRS MILITAIRES. velles. Non loin de ce s pavillons si a g r é a b le m e n t g a r n is , se tro u v ait u n é c h a f a u d s u r le q u e l é ta it la m u s i q u e de la Gardo r o y a le , p u is , çà et là, q u e l q u e s t r o u p e s à cheval afin de m a i n t e n i r l ’o r d r e et e m p ê c h e r l ’in v a sio n d u te rr a in s u r le q u e l d e v a it se faire la cou rse . L es c o u r e u r s , pla cé s s u r u n e se u le ligne a u fond de l ’a r è n e , s ’é l a n ç è r e n t a u signal de l ’explo sio n d ’u n e boîte. B ientôt, m o n cheval d é p a s s a n t t o u s les a u t r e s n ’avait p lu s q u e le p a r c o u r s d e la ligne dro ite , lo r s q u e , to u t à c o u p , faisa n t u n éc art, il c h e r c h e à se d irig e r s u r la g auch e v e r s u n e p e t ite m a is o n p r è s la q u elle il se r e p o s a it to u s le s j o u r s lo r s q u e je ven a is l ’e x e r c e r et où j e lui faisais m a n g e r l’avoine. C e p e n d a n t la c o u r s e c o n tin u a it, m e s a n ta g o n is te s g a g n a ie n t du te r r a i n , tr o is m ’a va ie nt d ép a ssé , les a u t r e s s u r le p o in t de le faire, ta n d is q u e m o n cheval, in é b r a n la b l e d a n s sa v o lo n té , se ca brait, ru ait, se d é b a tta it en c h e r c h a n t à m ’e m p o r t e r [vers ce tte m a u d ite m a is o n ; enfin, v i o l e m m e n t p iq u é p a r m e s é p e r o n s , cou pé p a r m o n fouet, v ain cu p a r m a colère, il se lance c o m m e u n e balle, r a t t r a p e les c o u r e u r s , e n d é p a s s e p lu s ie u r s , m a is, a y a n t tr o p p e u d e c h e m in à p a r c o u r i r p o u r re g a g n e r le te m p s p e r d u , arrive s e u le m e n t le tro isiè m e , ta n d is q u e le ch e v al de lo r d W h i t w o r t h enlèv e le r u b a n , suivi de p r è s p a r Livro n . U ne d e m i - h e u r e f u t ac c o rd é e p o u r faire souffler les ch e v au x , a p r è s laquelle n o u s p a r tî m e s s e u l e m e n t cinq : le c h e f d ’e s c a d r o n B e a u m o n t, H a m e lin et u n Anglais s ’é ta n t r e ti r é s . P r é v o y a n t u n e no u v elle lu tte à la h a u t e u r de c e tte m a i s o n fatale, j e m a i n t i n s m o n cheval à u n e tr è s p e t ite d istan c e e n a r r iè r e d es c o u r e u r s et, bien s u r m e s g a rd e s, lo r s q u e n o u s a r r iv â m e s à la h a u t e u r de ce lieu d ’i n q u ié tu d e , lui e n f o n ç a n t les é p e r o n s d a n s le v e n tre , il fit u n b o n d e n a v a n t de p lu s de d o u ze pie d s, se la n ça c o m m e l ’éc lair et e m p o r t a le r u b a n d ’u n e l o n g u e u r de COURSES DE CHEVAUX. — 1801. 71 cheval s u r c e lu i d u lo rd , ta n d is q u e celui de M. M ennerin g , r ic h e n é g o c ia n t, qui su iv a it de p r è s , s ’abat, ro u le s u r son c a v alier e t lui b ris e la clavicule. Cet é v é n e m e n t p r o d u isit u n m o m e n t de tr o u b le et de c o n f u s io n ; le b le s s é tr a n s p o r t é d a n s u n pavillon fut livré au x so in s d ’u n m é d e cin. L es s p e c ta te u r s et les ju g e s d é c id è r e n t q u e la d e r n iè r e c o u r s e a u r a it lieu e n t r e le lo r d et m oi. Alors, se fire nt de n o u v e a u x p aris, le c o m te P u s c h k in d o u b la le sien, le p r in c e d élia Cattolica, c o m m a n d a n t la Garde ro y a le , et le gén é ral r u s s e B a ra sd in p a r i è r e n t 600 d u c a ts c o n tre l ’a m b a s s a d e u r d ’A n g le te r re ; L ivron e t H a m e lin e n g a g è r e n t c h a c u n 1 000 fran cs p o u r le b a rb e co n tre M. Loch, c onsu l an glais ; n o m b r e d ’a u t r e s s o u ti n r e n t le u r c ro y a n c e de le u r b o u r s e , ta n d is q u e, d a n s les pavillons, p lu s i e u r s d a m e s au ssi p a r ia ie n t d es s o m m e s assez c o n s id é r a b le s . Le je u n e lo r d , s ti m u lé p a r sa conviction et p e u t - ê tr e p lu s e n c o re p a r so n a m o u r - p r o p r e , a u r a it en g a g é sa f o r tu n e ; q u a n t à m oi, bien conva inc u de la s u p é rio rité de m o n cheval, m a lg ré l ’a s s u ra n c e de m o n a d v e rsa ire qui s e m b la it n e p as d o u te r un i n s t a n t de s o n s u c cè s, je n ’étais c e p e n d a n t pas s a n s in q u ié tu d e s u r la r e s p o n s a b ilité m o r a le d es s o m m e s é n o r m e s e n g a g ée s e n m a fav eur, r e d o u ta n t s u r t o u t l ’écueil de la m a iso n , o ù le m o in d r e t e m p s d ’a r r ê t p o u v a it d e v e n ir u n e p e r te p r e s q u e c e r ta in e ; au ssi, m e s p a r i e u r s m ’acca b la ien t-ils de l e u r s conseils, m ’e n g a g e a n t à b ie n m e t e n i r s u r m e s g a r d e s ; d ’a u t r e s v o u la ie n t que j e p a rtisse à to u te c o u r s e dès le d é b u t afin d ’avoir le te m p s de v ain cre m o n cheval av ant d ’ê tre j o i n t ; m ais, b ie n déc id é dan s m o n p r o je t de g a r d e r le p lu s p o ssib le la d ro ite de m o n a d v e rsaire, j e p r o m is de faire p o u r le m ie u x , et m e m e t t a n t e n selle, n o u s f û m e s to u s d e u x a t te n d r e le signal d u d é p a rt, ay a n t d a n s m o n for in té r ie u r la c o n s c ie n c e d u m é r i te de m o n b e a u b a r b e q u e 72 SOUVENIRS MILITAIRES. je flattais de la m a in , c o m m e p o u r lui faire c o m p r e n d r e l’e s p é r a n c e q u e je m e tta is en lui. E nfin, le signal e s t d o n n é , n o u s p a r to n s , e t c o m m e si n o u s n o u s é tio n s d o n n é le m o t, galo p an t à la h a u t e u r l ’u n de l ’a u tre , a y a n t p lu tô t l ’air de faire u n e é v o lu tio n de m a n è g e q u ’u n e c o u r s e , m ais, en a r r iv a n t p r è s de la m a is o n , m o n cheval s e n t a n t la p r e s s i o n de m e s ja m b e s , d e v in a n t m a p e n s é e ou c o n s e r v a n t s o u v e n ir des d eux lu tte s d a n s le s q u e lle s il avait s u c c o m b é , m e g agne la m a in , p a rt c o m m e u n e flèche, la is s a n t d e r r iè r e lui so n rival et e m p o r t e le r u b a n a u x a p p l a u d is s e m e n ts de la foule et aux cris d e : « V i v a a l p i c c o l o F r a n c e s e ! » Ce t r io m p h e de m o n cheval, d o n t la v élocité avait q u e l q u e c h o s e de fa n ta s tiq u e , m e v a lu t l ’o v ation la p lu s flatteu se de la p a r t des d a m e s d e s p av illo n s et s u r t o u t de m e s p a r ie u r s ; m a is, tr e m p é de s u e u r , accablé de fatigue e t v iv e m e n t i m p r e s s io n n é , je m ’e m p r e s s a i de m o n t e r d a n s la v o itu r e d u c o m te P u s c h k i n qui n o u s t r a n s p o r t a à Naples. Le le n d e m a in , je fus m is e n p o s s e s s io n de la s o u s c r i p tio n de la p o u le se m o n t a n t à 160 d u c a ts, y c o m p ris m a m is e q u e je n 'a v a is p a s b a la n c é de r i s q u e r dan s la p e r s u a s i o n o ù j ’élais d u r é s u lt a t. Q u a n t a u je u n e lo rd W h i tw o r t h , il s ’e m p r e s s a de v e n ir p a y e r à l ’a m b a s s a d e u r de R ussie le m o n t a n t de so n pari e t o b tin t, n o n sa n s p e in e , q u ’il lui c é d â t la p o s s e s s io n de s o n v a i n q u e u r au prix de 1 000 d u c a ts, ce qui fait q u ’il en c o û t a 36 000 fra n c s au lo r d p o u r ê t re b ie n c o n v a in c u q u e le chev al q u ’il m o n ta it n ’é ta it p a s le m e i l l e u r c o u r e u r de l ’E u ro p e , ainsi q u 'il en av ait e u la c r o y a n c e j u s q u ’a l o r s ; a u reste , so n im m e n s e f o r tu n e p o u vait lui p e r m e t t r e ce. p e tit ca price , et m a in te t e n a n t, m a îtr e d u barb e , il po u v ait e s p é r e r de se r é c u p é r e r a u x c o u r s e s d ’A n g le te r re . Il n e fut q u e s tio n p e n d a n t q u e l q u e s j o u r s q u e de cet CHARLES DE SAINT-CLAIR. — 1 80 1 . 73 é v é n e m e n t d a n s le q u e l p lu s i e u r s b o u r s e s f u r e n t é b r é chées, car il y avait e u p lu s de 5 000 d u c a ts d ’e n g a g é s ; m ais, ce qui m e chagrina,-ce f u t de v o ir s o r tir d e s é c u r ie s d u c o m te ce b o n et b r illa n t b a r b e , m a m o n t u r e de p r é d i le ctio n et p o u r leq u el j ’avais u n e affection réelle. N aples est u n e ville où les p a s sio n s s o n t a u s si vives qu e la te m p é r a t u r e y est b r û la n t e ; aussi, p o u rra is - je r e tr a c e r g r a n d n o m b r e de ta b le a u x de m œ u r s t o u t à fait i n h é r e n ts a u pay s, m a is je m e b o r n e r a i en ce m o m e n t à p a r le r d ’u n é v é n e m e n t e x tra o rd in a ir e qui offrait à l'Italie le spectacle si s o u v e n t r e n o u v e lé e n R u s sie p a r la g r a n d e C a th e rin e s u r le choix d ’u n favori. Ce fu t à m o n c h e r c o u sin, Charles de S aint Clair, q u ’a dvint la f av e u r insigne de sa tisfa ire les p a s sio n s d ’u n e re in e de c in q u a n te ans. S an s e n t r e r dans les d é ta ils de ce tte in trig u e , où je m e tro u v a is j o u e r u n rôle tr è s se c o n d a ire , j e dirai q u ’en trè s p e u de t e m p s , Charles f u t fait officier s u p é r i e u r des Gardes d u Corps, é c u y e r de la rein e , p uis g o u v e r n e u r du p rin c e h é r é d ita ire et enfin, p lu s ta rd , m in i s tr e de la G u erre , et qu e, d an s le p a r c o u r s de ces différentes faveurs, il é c h a p p a d e u x ou trois fois à différentes tentativ es d ’as sass in at, d o n t u n j o u r je m a n q u a i m o i- m ê m è d e tre v ic tim e . Ce fut au m il ie u de to u te s ces p é r ip é tie s qui d u r è r e n t p lu s ie u r s m o is q u ’on a p p r it la no u v elle de la m o r t tra g iq u e de l ’e m p e r e u r P a u l 1er et q u ’e u t lie u le rapp e l d u c o m te M ussin P u s c h k in d o n t j e d u s m e s é p a r e r avec u n v éritab le c ha grin. H e u r e u s e m e n t , q u e lq u e te m p s a p r è s , a r r iv è r e n t à N aples Achille de D a m p ie rre , j e u n e a d ju d a n t g én é ral, et Louis de T a l le y ra n d -P é rig o rd , m o n p a r e n t, cha rgé par son o n c le e t m o n p è r e de m e r a m è n e r a P aris. J ’avais ap p ré c ié l’h e u r e u s e c irc o n s ta n c e q u i m e d o n n a i t d eu x n o u v e a u x am is : a u s s i n o tr e in tim ité f u t p r o m p t e et rap id e avec d ’a u t a n t p lu s de ra iso n q u ’elle fut c i m e n t é e et fondée s u r l’é g a 74 SOUVENIRS MILITAIRES. lité de n o tr e âge, de n o s c o n d itio n s sociales, e t l ’in te n tio n où n o u s é tio n s de r e v o ir et fo u le r e n s e m b le le sol de la p atrie. Achille de D a m p ie r re , fils d u m a r q u i s tu é à Y alenciennes, c o m m a n d a n t u n e division fra n ç a ise lo rs d u siège de cette ville en 1792, é ta it âgé de v in g t ans, avec u n p h y s iq u e d ’u n e r e m a r q u a b le b e a u té , e t était p a r v e n u si j e u n e a u g ra d e d ’a d j u d a n t g é n é r a l à la su ite de p lu s ie u r s actio n s d ’é c la t q u i lui m é r i t è r e n t c e tte faveu r. L ouis, fils d u co m te A rc h a m b a u d de P é r ig o r d , frè re de M«r de T alley ran d , ex é v ê q u e d ’A u tu n , alo rs m in i s tr e d es R e la tio n s e x té rie u re s, é ta it p a r c o n s é q u e n t s o n n e v e u ; il avait d ix - n e u f an s, une figure c h a r m a n te , u n e t o u r n u r e a g r é a b le et était lie u te n a n t de C h a s s e u rs à cheval, g ra d e q u ’il avait a c q u is p a r so n c o u ra g e . Ces d e u x j e u n e s h o m m e s , fort liés, v o u la n t p r o fiter de la paix m o m e n t a n é e qui avait lieu, v e n a ie n t d ’o b te n i r u n congé de tro is m o is p o u r a lle r e n Italie. Ce f u t à cette occ asio n , q u e Mer de T alley ran d , p r o c h e p a r e n t de m o n p è r e d o n t il a v a it p ro té g é la r e n t r é e de l ’ém ig ra tio n , d é s ir a n t e n c o r e lui ê tre ag ré a b le , c h a r g e a so n n e v e u de m e r a m e n e r avec lui, et, à cet effet, il en avait é c r it à M. A lquier, m in i s tr e de F ra n c e à Naples. L ’ap p a ritio n de ces d e u x b r illa n ts officiers qu e je m is e n r a p p o r t avec SaintClair fut accueillie p a r la société de la m a n iè r e la p lu s flat t e u s e , m a lg ré ce r ta in e s ja lo u s ie s , n o t a m m e n t des officiers n a p o lita in s, d o n t la p r e u v e n e t a r d a tre. L o uis, avec sa jo lie fig u re - e t sa p r e m i è r e b o n n e f o r tu n e d ’u n les côtes qu e lui fit a d m i n i s t r e r u n p as à se faire c o n n a î so n é to u rd e rie , pay a coup de s ty le t dan s m a ri ja lo u x , e t p e r d it d a n s u n e soirée q u e l q u e s c e n ta in e s de d u c a ts au p h a r a o n , j e u q u e les N apolitains p r o fe s s e n t avec u n e r a r e perfection. Q u a n t à D a m p ie r re ; d o n t le s p a s s io n s n ’é ta ie n t p a s m o in s vives et qui jo ig n a it à so n b e a u p h y s iq u e la p é tu lan c e de so n âge, il e u t a u th é â t r e Del F o n d o u n e q u e re lle avec u n ACHILLE DE D A M P 1 E R R E . — 1801. 15 officier n a polita in, qui p r o d u i s i t d a n s N aples u n e assez vive s e n s a ti o n e t n é c e s s ita F rance. Achille, e n q u itt a n t p o u r aller se p r o m e n e r a u r e c o m m a n d é e à so n voisin , l ’in te r v e n tio n d u m in i s tr e de sa place p e n d a n t u n e n tr'a c te foyer, l ’avait, n o n s e u le m e n t m a is e n c o r e m a r q u é e de son gant, sig n e ir ré f ra g a b le de sa p r o p r ié té e t de so n d r o it, l o r s q u ’u n officier d ’artillerie , au x fo rm e s g ro s s iè re s et c o n n u p o u r u n fer ra ille u r , s ’e m p a r a de sa place, et sa n s t e n ir c o m p te des o b se rv a tio n s q u i lu i f u r e n t faites, la n ça le g a n t d a n s le p a r te r r e e n d is a n t q u e , si on v o u la it la place, on v ie n d ra it la c h e r c h e r et q u ’alo rs il v e r r a it ce q u ’il a u r a it à faire. Cette g r o s s iè re in ju r e a m u s a d ’a b o rd q u e lq u e s s p e c ta te u r s , m a is la sc è n e c h a n g e a b ie n tô t de face p a r la p r é s e n c e de D a m p ie r re , in f o rm é de ce qui s ’é ta it pa s sé . Se r e d r e s s a n t de t o u t e sa h a u te et b elle taille,, ag itan t sa c h e v e lu re n o ir e b o u c lé e , d a r d a n t ses g r a n d s y e u x s u r les s p e c ta te u r s et é t e n d a n t la m a in avec u n g este im p é r ie u x , p lu s p a r ti c u liè r e m e n t dan s la d ire c tio n d ’un g ro u p e d ’offi c iers n a p o lita in s q u i s e m b la ie n t s o u r ir e avec iro n ie : « M essieurs, dit-il, d ’u n e voix claire, s o n o re et d a n s l ’italien le p lu s p u r , si l'in s u lt e q u e v o tre c a m a ra d e v ie n t de m e faire e s t l’e x p r e s s io n de vos s e n tim e n ts à l ’égard de l ’u n i f o rm e q u e j e p o r te , r e g a rd e z le g a n t q u i v ie n t d ’ôtre je té c o m m e u n défi q u e je vous fais a u n o m d e s F ra n ç a is qui so n t à N aples ; si elle m ’e s t p e rso n n e lle , je m e cha rge d ’a r r a c h e r l ’é p a u le tte à u n h o m m e in d ig n e de la p o r t e r et soyez bie n c e r ta in s q u e d e m a in v o u s n e l ’au re z p lu s p o u r c a m a ra d e . » Au m o m e n t o ù Achille t e r m i n a i t so n a llo c u tio n d ’u n e m a n iè r e si é n e r g iq u e et éc o u té e d a n s le p lu s g r a n d silence, le r id e a u s ’é ta n t levé, la pièce c o n t in u a s a n s t r o u b le . C e p en d a n t, le m a r q u i s de M alespino, s e ig n e u r n a p o lita in , v in t fort o b l ig e a m m e n t lui offrir u n e place d a n s sa loge : 76 SOUVENIRS MILITAIRES. « Merci, M onsieur, lui dit-il, je r e s te r a i d e r r iè r e cet h o m m e afin d ’a s s is te r à s e s .d e rn ie r s m o m e n t s d ’in so le n c e . » L e le n d e m a in , e u t lie u la r e n c o n t r e ; le N apo litain, espèc e de b ravo q u e sa r é p u t a t i o n de s p a d a s s in r e n d a it assez r e d o u ta b le , c o m p ta i t se b a t tr e à l ’é p é e ; m a is le c h e f d ’e s c a d ro n B e a u m o n t et le c a p ita in e de d r a g o n s de S p a rre , té m o in s de D a m p ie r re , a y a n t le c hoix des a r m e s , p r i r e n t d e s p is to le ts, e t les d e u x c o m b a tt a n ts pla c é s à v in gt-cinq pas de d ista n c e p o u v a i e n t m a r c h e r j u s q u ’à dix p a s l’u n s u r l ’a u tre . Achille v in t d r o it au b u t , e s s u y a le p r e m i e r feu de son e n n e m i e t lu i dit en le v isa n t : « V ous êtes m o r t! » En effet, il to m b a la tê te f ra p p é e d ’u n e b a lle , se d é b a ttit q u e lq u e s s e c o n d e s , se r a id i t et expira. Cette affaire e u t u n g ran d r e t e n t i s s e m e n t dan s la ville; m a is le m in i s tr e de F ra n c e s ’e x p r im a si é n e r g iq u e m e n t s u r la m a n i è r e d o n t u n officier de sa n a tio n avait été p u b liq u e m e n t in s u lté et la sa tisfac tion q u ’il en a tte n d a it, q u e d e u x officiers g é n é r a u x n a p o lita in s v in r e n t, au n o m de l ’a r m é e , d é s a v o u e r h a u t e m e n t la c o n d u ite de l e u r officier, d o n t la p u n itio n , d ir e n t-ils , e û t été ex e m p la ire, si l’a d j u d a n t géné ral D a m p ie r re n e s ’e n était cha rgé en le tu a n t. Ce fut p e u de j o u r s a p r è s c e t é v é n e m e n t q u ’e u t lieu un fait q u e les Italien s p r é t e n d a i e n t n e p o u v o ir so r tir q u e du c e rv e a u d ’u n F ra n ç a is et s u r le q u e l le M o n i t e u r de P aris de l’é p o q u e et le J o u r n a l d e s D é b a ts o n t fo u rn i les détails le s p lu s circ o n sta n cié s. - Il n e s ’ag issait de rie n m o in s , a p r è s avoir fait l’a s ce n sio n d u V ésuve , q u e de d e s c e n d re d a n s so n in té r ie u r , p a r la r a i so n q u ’u n re p o s de se p t a n s sa n s la m o in d r e fu m é e p o u v ait la is s e r l ’e s p o ir d ’y p a r v e n ir s a n s d an g e r. Ce f u r e n t MM. Biot, D eyeux et M énageot, m e m b r e s de l ’I n stitu t, ay a n t fait p a r tie de l’e x p é d itio n d ’Ë g y p te et alo rs à N aples, qui e u r e n t l ’idée de c e tte e n t re p ri s e , à la q u elle v o u lu r e n t ASCENSION AU VÉSUVE. — 18 0 1. 77 s ’a d jo in d r e Achille de D am p ierre , L ouis de P é r ig o r d et m o i, e t d o n t l’e x é cu tio n fut d éc idé e d a n s le salon et e n p r é s e n c e de M. A lqu ier, m in i s tr e de F ra n c e , et de l ’a m ir a l YillaretJo y e u s e , c o m m a n d a n t u n e esca dre fra n ç a ise d a n s le golfe de Naples, le q u e l v o u lu t y c o o p é r e r e n faisa n t tr a n s p o r te r s u r le p o in t c u l m in a n t d u V ésuve u n e a n c r e et des câ ble s p o u r s e rv ir e n cas de n é c e s s ité : id é e assez originale qui m e tta it le d e r n ie r c a c h e t à n o tr e a v e n tu r e u s e e x c u rsio n . N ous q u itt â m e s N aples à m i n u i t p a r u n te m p s calm e et s u p e rb e , é c la iré s p a r u n e lu n e q u e les e n t h o u s ia s te s de la belle n a t u r e m e tte n t a u - d e s s u s d u soleil n é b u l e u x de L o n d re s, et, la is s a n t n o s v o itu r e s à P o rtici, n o u s y p r îm e s u n cic e ro n e , avec p r o m e s s e de dix d u c a ts s ’il n o u s c o n d u is a it à b o n n e fin. N ous g a g n â m e s le village de T o rre d e l Greco, lie u o ù c o m m e n c e l ’a s c e n s io n q u e n o u s c o m m e n ç â m e s d o u c e m e n t, afin de c o n s e r v e r to u te s n o s facultés d a n s le lo n g et fatig an t t r a j e t que n o u s avions à p a r c o u rir . N otre p r e m i e r r e p o s se fit à l’e rm ita g e S an-Salvador, lieu h a b ité p a r un pieux cé n o b ite , ou p r é t e n d u tel, qui n o u s p r é s e n ta u n g ro s r e g is tre s u r le q u e l n o u s in sc riv îm e s n o s n o m s à la su ite d 'u n e i m m e n s e n o m e n c la tu r e p lu s ou m o in s illu stre et de q u an tité d ’im p r o v is a tio n s assez g é n é r a l e m e n t in s ig n ifia n te s ; n o u s c r û m e s c e p e n d a n t d evoir y c o n s ta t e r le b u t o ù n o u s te n d io n s . Ce p au v re e r m i te j o i gnait, a u x a t tr ib u tio n s de so n m in i s tè r e , u n g e n re d ’i n d u s tr ie assez lu c ra tiv e , r e la tiv e m e n t à sa p o sitio n , e t a u q u e l n o u s n o u s e m p r e s s â m e s de p a r ti c ip e r en b u v a n t de son v in q u ’il p r é te n d a it ê t re du L ac rim a Cristi et e n lui p r e n a n t q u e lq u e s o b je ts en m o s a ïq u e de lave assez jo lis qu e n o u s p a y â m e s si g é n é r e u s e m e n t , q u ’il n o u s p r o m i t les p lu s a r d e n te s p r iè r e s p o u r le s u c c è s de n o tre e n t re p ris e d o n t il se m b la it ê tre f o rt effrayé. ^ La m o n té e d e p u is l ’e rm ita g e j u s q u ’a u s o m m e t d u m o n t 18 S OUVE NIR S MILITAIRES. V ésu v e d e v e n a n t tr è s r a p id e , n o u s r a le n tîm e s n o tr e m a r c h e afin de p a s n o u s esso uffler in u tile m e n t, et ce fut s e u l e m e n t a p rè s d e u x h e u r e s d ’a s c e n s io n q u e n o u s a r r i v â m e s a u q u a r t de la tâ ch e q u e n o u s n o u s étio n s im p o s ée . Le j o u r c o m m e n ç a n t à p a r a îtr e , n o u s p û m e s liv r e r n o s p e n s é e s a u m ag n ifiq u e s p e c ta c le q u i s ’offrait à n o s y eux, et n o u s a b a n d o n n e r a u x e n c h a n t e m e n ts de ce ciel s p le n dide, de c e tte m e r a z u rée, o ù s e m b l e n t d e s c e n d re des flots de lave n o ir c ie e n tre des rives de fru its e t de fleurs, et n o u s la is s a n t d a n s l ’e n i v r e m e n t de to u te s les f e r m e n t a ti o n s de l a n a t u r e ; p u is, r e g a r d a n t a u loin, n o u s v îm e s N aples, b la n c h e et g ra c ie u s e c o m m e u n e j e u n e fille, son golfe p a r s e m é d ’îles s u r le s q u e l le s le soleil, c o m m e n ç a n t à d ard e r, reflétait ses r a y o n s c o m m e u n k a léid o s co p e. Cette extase c o n te m p la tiv e d u r a p r è s d 'u n e h e u r e d a n s l ’a t te n te des o b je ts m i s à n o tr e d isp o s itio n p a r l ’am iral et q u e n o u s d is p o s â m e s au ssi b ie n q u e p o ssib le, m a is sa n s offrir a u c u n e u tilité , d u m o in s n o u s le c ro y io n s. L ’a n c r e fut en fo n c ée p r o f o n d é m e n t d a n s la lave, la is s a n t s u s p e n d u à son a n n e a u u n câble qui se d é r o u la d a n s la p e n t e in té r ie u r e d u goufre d o n t on p o u v a it vo ir le fond. Sa f o rm e é t a n t celle d ’u n cône r e n v e rs é et sa b o u c h e a y a n t u n e o u v e r tu r e de 5 600 p ie ds de c i rc o n fé re n c e . Ces d isp o s itio n s n ’ava ie n t, à bie n p r e n d r e , d ’a u t r e o b je t q u e de c o n s ta t e r q u e des F ra n ç a is a va ie nt je té l ’a n c r e s u r le V ésuve, le co rd a g e p o u v a n t à p e in e a tte in d re u n p r e m i e r p la te a u s u r le q u el il fallait a r r iv e r p o u r d e s c e n d r e a u fo n d de l ’ab îm e. C e p e n d a n t elle s e rv it à p r é s e r v e r Achille de D a m p ie r re d ’u n e m o r t ce rtain e d a n s la p ré c ip ita tio n q u ’il m i t à v o uloir m a r c h e r le p r e m i e r ; déjà, il avait faiL u n e quin z ain e de p a s , lo r s q u e to u t à c ou p la lave de c e t e n d r o it, a u s si fine q u e la c e n d re, ne p o u v a n t le s o u te n ir , il se s e n tit c o u le r sa n s p o u v o ir o p p o s e r de r é s is t a n c e ; m a is, h e u r e u s e m e n t , m u n i d ’u n sa b re q u ’il te nait ASCENSION AU VÉSUVE. — 1801. 79 à la m a in et d o n t le f o u rr e a u é ta it e n cuivre, il e u t l’h e u r e u s e idée de l ’e n f o n c e r j u s q u ’à la garde , ce qui lui p r o c u r a u n m o m e n t d ’a r r ê t d o n t il p rofita p o u r s a is ir le c o r dage de l’a u t r e m ain, ce qui n o u s d o n n a la faculté de le h is s e r j u s q u ’à n o u s , s a n s quo i il e û t in fa illib le m e n t péri. Cette p r e m i è r e é p r e u v e n o u s a y a n t d o n n é de la p r u d e n c e , n o u s e û m e s r e c o u r s à l’in te llig en c e de n o tr e cic e ro n e qui, a p rè s n o u s avoir fait p a r c o u r ir u n e p a rtie d u p o u r t o u r du cra tè re , tr o u v a u n e n d r o it p ro p ic e à la d es c e n te , où n o u s le s u iv îm es les u n s d e r r iè r e les a u t r e s à d e u x p as de d is tan ce, m a r c h a n t o b li q u e m e n t et tr è s l e n t e m e n t de m a n iè re à s e n tir la lave afferm ie s o u s n o s pie d s. N ous a r r iv â m e s ainsi s u r u n p la te a u f o r m a n t u n e e s p èc e de galerie, où n o tr e g u id e n o u s a p p r it q u e le g én é ral Villo t avait p e r d u son c h a p e a u en levé p a r u n co u p d e ven t, sa n s c h e r c h e r à le r a tt r a p e r , ni v o u lo ir a lle r p lu s loin ; il n o u s dit au ssi q u ’u n Anglais, fatigué de la vie, s ’était p r é cipité l ’a n n é e p r é c é d e n te de cet e n d r o it m ô m e d an s l ’i m m e n s ité . N otre p r o je t n ’é t a n t d ’im i te r ni l ’u n ni l ’a u tre , n o u s n o u s r e m î m e s en m a r c h e , t o u j o u r s d a n s le m ô m e ord re , e t avec u n silence q u i avait q u e lq u e c h o s e do s o le n ne l, c o n t in u a n t ain si n o tr e p r o c e s s io n n o n sa n s un e c e r taine é m o tio n . N o us p a r v în m e s enfin a u fond de l ’e n t o n n o i r d u c ra tè r e a p r è s d e u x h e u r e s d ’un e a tte n tio n s o u te n u e et u n e a n goisse q u i d im in u a it e n a p p r o c h a n t d u b u t ; a u ssi, n o tre joie éclata lo r s q u e n o u s l ’e û m e s a tte in t et q u e n o u s p û m e s n o u s livrer à l ’e x p lo ra tio n de ce lieu où n u l av a n t n o u s n ’avait p é n é tr é e t que p r o b a b le m e n t a u c u n a u t r e n e v e r rait. F ie rs de n o tr e c o n q u ê te et v o u la n t e n j o u i r a u s si bie n q u ’e n faire profiter la science, n o u s p a r c o u r û m e s u n e p etite pla in e de ISO to is es d ’é te n d u e , d an s la q u e lle , à la s u r p ris e de n o s c o m p a g n o n s les n a t u ra lis te s , se t r o u 80 SOUVENIRS MILITAIRES. vait u n e v égétation de q u e lq u e s p la n te s h e rb a c é e s p r è s d ’un p e tit r u is s e a u de so u fre liquid e; ils s ’e n s ’e m p a r è r e n t avec e m p r e s s e m e n t. Çà et là, d a n s la plaine, se r e n c o n t r a i e n t p lu s i e u r s c re v a s s e s de dix à douze p ie d s de lo n g u e u r s u r q u a tre à cinq de large que n o u s n o u s a m u s â m e s à fra n c h ir , t o u t en p e n s a n t q u e s o u s n o s p ie d s se t r o u v ait la f o u rn a ise d o n t la m o in d r e v a p e u r n o u s e û t infailli b l e m e n t a s p h y x ié s ; enfin, le m o i n d r e o b je t, le p lu s p e tit a n im a lc u le n o u s o cc upait, m a is n o u s e û m e s lieu de d o u te r de la c u lb u te de l’Anglais d o n t n o u s avait e n t r e t e n u s le c ice rone , à m o in s q u e, p a r u n de ces h a s a r d s e x t ra o rd i n aire s, il n ’ait e u l ’a d r e s s e de s ’e n f o u r n e r j u s t e m e n t p a r u n e d es cre v a sse s, car de l ’in s u la ir e il n ’y av ait a u c u n ves tige , p a s p l u s q u e d u c h a p e a u d u g éné ral. Au reste, n o u s jo u is s io n s avec u n e telle in s o u c ia n c e de n o tr e p o sition v r a im e n t e x tra o rd in a ir e q u e M. M énageot, o u v r a n t son a lb u m et p r e n a n t u n cra y o n , fit u n c r o q u is de n o tr e r é u n io n d a n s ce lieu so litaire , où n o tr e g u id e é ta it r e p r é s e n té t e n d a n t la m a in p o u r r ec ev o ir le s a la ire qui lui avait été p r o m is (croquis qui, p e u de j o u r s ap rè s, se rv it à faire un ta b le a u placé dan s un des sa lo n s de l’a m b a s s a d e de France). N otre s é jo u r d a n s cet e n d r o it à ciel o u v e r t fut de tro is q u a r ts d ’h e u r e , a p r è s le s q u e l s n o u s r e c o m m e n ç â m e s n o tr e n o u velle a s c e n s io n , to u jo u r s c o m m e u n e p r o c e ssio n de c a p u cin s de ca rtes d o n t s ’a m u s e n t les e nfa nts, m a is avec p lu s d ’a s s u r a n c e e t d ’agilité q u ’e n d e s c e n d a n t, le sol n o u s é ta n t p lu s fa m ilie r et la c r a in te s ’é ta n t é v a n o u ie d ’u n e c h u t e d a n g e r e u s e , ce q u i n o u s fit r e g a r d e r n o tr e r e t o u r c o m m e u n enfantillage a u p r è s de ce q u e n o u s v e n io n s de faire. L ’e rm ite , p r è s d u q u e l n o u s n o u s r e p o s â m e s u n m o m e n t, s e m b la it d o u te r de n o tr e e x c u rsio n ; c e p e n d a n t, ap rè s l ’av o ir c o nv a inc u, il n o u s p r ia de le c o n s ta t e r s u r s o n r e g istre , ce q u e n o u s fîm es e n le s ig n a n t, MALADIE DE S A I N T - C L A I R . — 1 802. 81 N o u s a rriv â m e s h a r a s s é s de fatigue à P o rtici où n o u s r e jo ig n îm e s n o s v o itu re s, q u i n o u s t r a n s p o r t è r e n t a u s s i tô t à N aples ap rè s u n e a b s e n c e s e u l e m e n t de n e u f h e u r e s , m a is to u jo u r s avec u n e a gitation d ’e s p rit qui dev a it c o n t r i b u e r à la fa tig u e d o n t n o u s étio n s a c c a b lé s ; car, à bien p r e n d r e , n o u s n ’a vions p a r c o u r u q u e 4 397 m è tr e s , p r o m e n a d e fort o r d in a i r e s u r u n te rr a in plat. La h a u t e u r d u Mont V ésuve est d e 1198 m è tr e s , le p a r c o u r s p o u r d e s c e n d re 667 m è tr e s , d e s c e n te e t m o n t é e dan s l ’in t é r i e u r 1334 m è tr e s , d es c e n te d u p o in t c u l m in a n t à l ’e x té r ie u r 1 198 m è t r e s ; to ta l égal : 4397 m è tr e s . N otre ex p lo ra tio n d e v in t le s u je t d es c o n v e rsa tio n s de to u t e la ville et d es réflexions des jo u r n a u x de N aples qui t a x è r e n t de folie u n e e n t r e p r i s e q u ’on cro y a it im p o s sib le , ta n d is qu e p lu s ie u r s g az ettes de F ra n ce en p a r l è r e n t c o m m e d ’u n fait i n té r e s s a n t s o u s to u s les ra p p o r ts . Au re s te , les N apo litains ne c o n s id è r e n t le Mont Vésuve q u e c o m m e u n voisin q u ’ils o n t to u jo u r s le t e m p s de voir e t q u ’à b ie n p r e n d r e ils n ’a p e rç o iv e n t qu e de le u r s fen ê tre s. P e u de jo u r s a p r è s n o t r e e x c u r s io n , e u t lieu a u th é â tr e S aint-C harles u n m a g n ifiq u e bal m a s q u é a u q u e l a s s is ta la R eine, t o u te la Cour et les p e r s o n n e s m a r q u a n te s de la ville. A ce tte fête sp le n d id e , s u c c é d è r e n t p o u r m oi les in q u ié tu d e s les p lu s v io le n te s re la tiv e m e n t à C harles de S ain t-C lair qui to m b a g r a v e m e n t m a lad e et f u t a tta q u é p a r u n e p e tite vérole de la p lu s m a u v a is e n a t u r e ; je p r is a u s s itô t la d é t e r m in a tio n de r e s te r p r è s d u m a la d e afin de v e ille r au x s o in s in c e s s a n ts d o n t il avait b e s o in e t q u e lui a s s u r a it m o n a tta c h e m e n t. La R eine, en a p p r e n a n t cette f â c h e u s e nouvelle, d o n n a des m a r q u e s de la p lu s vive in q u ié tu d e et envoya s u r-le -c h a m p son m é d e c in avec l ’in jo n c tio n d'e su iv r e m i n u t i e u s e m e n t to u s les s y m p t ô m e s de la m a la d ie et de lui en r e n d r e u n c o m p te exact; o u tr e cela, 6 82 _ SOUVENIRS MILITAIRES. v e n a it de P ortici, r é g u li è r e m e n t to u s les soirs, la p r in c e sse M athilde Balbini, j e u n e veuve de v in g t- tr o is a n s, élevée s o u s les y e u x de la re in e et sa confidente la p lu s in tim e , c h a rg é e p a r elle de p o u r v o ir à to u t ce q u i p o u r r a i t ê tre n é c e s s a ir e à l’a m é lio ra tio n d u c h e r m a la d e . E lle f u t pffrayée d es rav a g es de l ’é r u p ti o n et n e p o u v a it r e v e n ir de sa s u r p r i s e d a n s ce q u ’elle a p p e la it m o n d é v o u e m e n t ; m ais, loin de v o u lo ir r e h a u s s e r le m é r i te de m a c o n d u ite , je lui a p p r is qu e j ’avais été in o c u lé t r è s enfant, e t q u e , n e l ’eusséje p o in t été, je m e s e ra is t o u jo u r s livré a u x soins qu e j e dev a is à m o n p a r e n t e t à l ’am itié. P e n d a n t p lu s i e u r s j o u r s , on cra ig n it p o u r ses y eu x, m a is sa c o n s titu t io n et les s o in s d u m é d e c in p a r v i n r e n t à éloi g n e r to u t d a n g e r, et b ie n tô t a p r è s n o u s e û m e s l ’a s s u r a n c e q u ’u n e p a r f a ite g u é r is o n n e s e ra it p lu s q u ’u n e affaire de t e m p s ; j ’e n fus d ’a u t a n t p lu s satisfait q u e to u s les jo u r s r a p p r o c h a ie n t l'é p o q u e de m o n d é p a rt, les tr o is m o is de congé a c c o rd é s à m e s c o m p a g n o n s de voyage é t a n t p r è s d ’ex p ire r. T o u t e n é p r o u v a n t u n b o n h e u r réel à l’idée de m e r e t r o u v er b ie n tô t a u sein de m a fa m ille et de r e n t r e r d a n s ce tte p a trie q u e j ’avais q u itt é e si en fa n t, je n ’e n r e s s e n ta is pas m o in s u n c h a g r in p r o fo n d de q u itt e r u n p a y s o ù j e n ’avais j a m a i s cessé d e t r o u v e r b o n h e u r , p la isirs et affections, si bie n a p p r é c ié s à m o n âge, et d o n t il n ’allait p lu s m e r e s te r q u e des s o u v e n irs ineffaçables. L ’avanl-veille de m o n d é p a rt, je fu s faire m e s a d ie u x à C ha rles de Saint-Clair, r e ti r é d a n s u n e c h a r m a n te villa, d on de la R eine, où il finissait so n c o m p le t r é ta b lis s e m e n t. N otre s é p a r a t i o n f u t des p lu s d o u lo u r e u s e s : lui, disait-il, p a rc e q u e j ’étais s o n m e i l l e u r am i et le m o t e u r de sa b r illa n te fo rtu n e , e t m oi, p a r le p r e s s e n t i m e n t q u e j ’avais dè n e p lu s le revoir.. H élas 1 il n e s ’e s t q u e tr o p réalisé : MATHILDE. — 1802. 83 Charles, c o m b lé de fa v e u rs, e s t m o r t à N aples en 1814, é ta n t m in i s tr e de la G uerre d u r o i F e r d in a n d . Mes visites d ’a d ie u x f u r e n t n o m b r e u s e s , e m p o r t a n t d a n s m o n c œ u r d e s s o u v e n irs de r e c o n n a is s a n c e de to u s g e n r e s , m ais n o t a m m e n t en q u itt a n t la belle et r a v iss a n te Mathilde avec, q u i m a liaison avait été de si c o u r te d u r é e et à la q u elle je v e u x r e n d r e ici u n d e r n ie r h o m m a g e e n r e tr a ç a n t sp n p o rtra it. M athilde, d o n t la m è r e o c c u p a it u n e place à la C our, avait été élevée so u s les-yeux de la R e ine qu i la ch é r is s a it co m m e so n e n f a n t e t q u i l ’avait m a rié e à u n des p lu s g r a n d s s e i g n e u r s du r o y a u m e , m o r t as sa ss in é p a r des b r ig a n d s en a llan t à R o m e y r e m p l i r u n e m is sio n d ip lo m a tiq u e . Cette j e u n e p e r s o n n e avait vingt-trois an s lo r s q u e je la c o n n u s ; elle jo ig n a it à u n e p h y s io n o m ie tr è s sp iritu e lle , d o n t le j e u était d ’u n e e x trê m e m obilité , u n e figure céleste, des y e u x a u x q u e ls la n a t u r e et l ’a m o u r s e m b la ie n t avoir attac h é je ne sais q u el p o u v o ir m a g iq u e , des b ea u x c h e v eux c h â ta in foncé p r e s q u e n o irs, avec u n e p e a u é b lo u is s a n te ; sa b o u c h e , e n t r ’o uv erte p a r le so u r ir e , m o n t r a i t u n e r a n g é e de p e rle s fines; sa taille r e s s e m b la it à u n e tige de lis p a r sa g r a c ie u s e té ; ses m a in s et ses p ie d s é ta ie n t d ’u n e p e t ite s s e ad m ira b le . T o u t cela e n faisait u n objet e n c h a n t e u r , s u r to u t avec la so u p le s s e et la flexibilité de so n e sprit d o n t elle faisait e x a c t e m e n t ce q u ’elle voulait, le p lia n t à to u s le s to n s avec la p lu s g r a n d e facilité ; il était im p o s sib le de la c o n n a îtr e u n p e u sa n s l’a i m e r b e a u c o u p . A cet e s p rit infini, elle jo ig n a it u n e â m e sen sib le , h u m a in e , bie n fa isa n te et parfois de la p lu s g r a n d e é n e rg ie ; q u a n t à son c œ u r, il était, je crois, tr è s d é p e n d a n t de sa tê te, et s o u v e n t échauffé p a r le feu de so n im a g in a tio n e x t r ê m e m e n t exaltée et de s e n s t r è s im p r e s s io n n a b le s . P o u r lui plaire, ce n ’était p as son c œ u r q u ’il fallait, p o u r 84 SOUVENIRS MILITAIRES. ain si dire saisir, ni f ra p p e r le p r e m i e r , c ’était sa tê te qu i faisait t o u t et, c o m p o s a n t son idole à sa m a n iè r e , le r e n d ait d igne de son c œ u r. On do it p e n s e r q u e la c o n s ta n c e n e p o u v a it p as être sa v e r tu , m a is , au m o in s , la fidélité était son m é r i t e ; il lui é ta it im p o s s ib le d ’a i m e r lo n g te m p s , m a is , t o u t le te m p s q u ’elle aim a it, c ’était de b o n n e foi et u n i q u e m e n t . L ’a r d e u r de ses s e n s , sa b e a u té , ses s é d u c ti o n s , ses t a le n ts divers e n f a isa ie n t u n e f e m m e in c o m p a r a b l e d o n t la p o s s e s s io n é ta it u n b ie n d ’a u t a n t p lu s p r é c ie u x q u ’il fallait c r a in d re à c h a q u e i n s t a n t de le vo ir s ’éc h ap p e r. II .e s t p r o b a b le q u e m o n b o n h e u r n ’e û t pas d u r é tr è s lo n g te m p s , m a is , d a n s n o t r e s é p aratio n forcée, j 'e m p o r t a i s du m o in s la c o n s o la n te p e n s é e q u e les r e g r e ts de ce tte f e m m e ad o ra b le d evaient ê t re sin c ères . y RETOUR EN FRANCE Ce f u t le 4 m a i 1802 qu e n o u s q u itt â m e s Naples, L ouis de P é r ig o rd et m oi, dan s u n e ex c e lle n te calèche, p r é c é d é s p a r so n v a le t d e c h a m b r e e n c o u r r ie r p o u r faire p r é p a r e r les c h e v a u x , et de co m p a g n ie avec A chille de D am p ierre a y a n t so n v alet de c h a m b r e p r è s de lui dan s sa chaise de p o ste . Le p r e m i e r j o u r de n o tr e d é p a r t, ac cablés de fa tigue p a r la c h a le u r étou ffante de la j o u r n é e , n o u s ne p û m e s r é s is te r , en a r r iv a n t à Gaëte, au p la isir de n o u s é b a ttr e u n m o m e n t d a n s la m e r, afin d ’y c h e r c h e r u n e fraî c h e u r et u n d é l a s s e m e n t d o n t n o u s avions le p lu s g rand b e s o in ; ce b ain , to u t b ie n fa isa n t q u ’il fût, n ’en d e v in t pas m o in s tr è s p r é ju d ic ia b le à D am p ierre , ainsi q u e je le dirai p lu s ta rd. C’e s t d a n s le c h â te a u f o rt de Gaëte qu e s o n t d ép o s é s les r e s te s du m a lh e u r e u x c o n n é ta b le de B o u rb o n , cet illu s tr e p r o s c r it, c o n d u it p a r sa fatale d es tin é e à tir e r le glaive c o n tre so n roi et sa cc ag er R o m e s o u s les r e m p a r t s de la q u elle il tr o u v a la m o rt, le 6 m a i 1527, à l ’âge de t r e n t e - h u i t ans. En q u itt a n t Gaëte, n o u s e n t r â m e s d a n s les Marais Pontin s d ’où s ’e x h a le n t les v a p e u r s m a lf a is a n te s q u i r e n d e n t 86 SOUVENIRS MILITAIRES. ce p a y s a u s si d a n g e r e u x q u e d ésag réa b le. On n ’y r e n c o n tre q u e q u e l q u e s villages d o n t les in f o r t u n é s h a b ita n ts , pâles, livides, r e s s e m b l e n t à des fan tô m es. E n q u i t t a n t la voie A p p ien n e , n o u s d é c o u v r îm e s la p etite ville de P ip e r n o , p a t r i e de la v ailla n te Camille r e in e des V o ls q u e s ... Ce fut, en a r r iv a n t à T erracin e, q u e D a m p i e r r e s ’a p e r ç u t c o m b ie n lui c o û ta it c h e r le bain de m e r de Gaëte p a r la p e r t e d ’u n p e tit é tu i c o n t e n a n t v ingt-c inq p iè c e s d ’or, p r o b a b l e m e n t é c h a p p é de se s v ê t e m e n ts s u r la grève. L es d is ta n c e s q u e n o u s avions p a r c o u r u e s et le t e m p s q u ’il e û t fallu p e r d r e p o u r des r e c h e r c h e s in c e rta in e s lu i firent a b a n d o n n e r so n p r é c ie u x étui. C e p enda nt, p o u r l ’a c q u it de sa. c o n s c ie n c e , en a r r iv a n t à R om e il p ria M. A rtaud, c o n s u l fra n ça is, de faire d e s d é m a r c h e s à cet é g a r d e t n o u s c o n t in u â m e s n o tr e r o u te e n n o u s a r r ê ta n t à M onte-F iascone p o u r y r e n d r e v isite a u c a rdinal Maury, titu la ire de cet év ê c h é , qui n o u s r e ç u t avec d ’a u t a n t p lu s d ’e m p r e s s e m e n t q u ’il avait été s o u v e n t e n r a p p o r t avec M. de T a lle y r a n d et m o n p ère , lo r s d e s É ta ts G énéraux et, q u ’ava n t c e tte é p o q u e , il avait été i n s t i t u t e u r d u je u n e m a r q u i s de G au c o u rt, frè re de m a m è re . L a cé lé b rité d u p r é la t, so n e s p rit v if et e n jo u é , j o i n t à se s vives in sta n c e s p o u r n o u s g a r d e r u n e j o u r n é e d an s son palais ju c h é s u r le p o in t c u l m in a n t d ’u n e m o n ta g n e , n o u s firent r e g r e t t e r de ne p o u v o ir y r e s t e r que. le te m p s de m a n g e r u n e o m e le tte et bo ire de so n délicieux v in d ’Orvieto d o n t il e n c o m b r a n o s v o itu r e s avec d ’a u t r e s co m estibles. Le tr o is iè m e j o u r , n o u s a r r iv â m e s à Milan, où n o u s fîm es u n e h a lte de d e u x h e u r e s , m o n c o u s in a y a n t d es d é p ê c h e s à r e m e t t r e au gén é ral en c h e f M urât et à e n rec ev o ir d ’a u t r e s p o u r P a r is , ce qui m e p e r m i t de faire q u e l q u e s c o u r s e s d a n s c e tte b elle capitale. Le t r a j e t de Milan q u e n o u s p a r c o u r û m e s avec la p lu s g r a n d e rap id ité se fit à trav e rs u n p a y s riche, m a is m o n o to n e . ARRIVÉE A PARIS. — 1802. 81 En a r r iv a n t à N ovare, ville assez forte, n o u s fû m e s s u r le p o in t d ’y faire u n s é jo u r forcé, to u s les c h e v a u x de ce tte ville a y a n t été m is e n r é q u is i tio n p o u r d es t r a n s p o r t s s u r Milan. Mais le c o m m is s a ir e des g u e r r e s ch a rg é de ce tte s u rv eillan c e, a p p r e n a n t q u ’un des v o y a g e u r s r e te n u s é ta it n e v e u d u m in is tr e des R e lations e x té r ie u r e s e t de p lu s ch a rg é de d ép ê c h e s, fit a u s s itô t d é te le r les chevaux de d e u x fo u rg o n s qu i n o u s c o n d u i s ir e n t à V erceil d ’où n o u s f û m e s à T u rin , o ù n o u s ne r e s tâ m e s q u e le te m p s de faire u n b o n r e p a s afin de g a g n e r le M ont-Cenis le p lu s tô t p o s sible. N ous e û m e s le d é s a g r é m e n t de voir d é m o n t e r nos v o itu r e s p o u r e n effectuer le p a s s a g e ; ces difficultés s u r m o n té e s , n o u s g a g n â m e s C h a m b é ry , L y o n o ù n o u s n o u s d é l a s s â m e s tr o is h e u r e s en p r e n a n t u n bain et e n faisant u n e x c e lle n t re p a s p e n d a n t q u ’o n r é p a r a i t q u e l q u e s avaries s u r v e n u e s à n o s v o iture s. Enfin, ap rè s se p t jo u r s de m a r c h e d ep u is n o tr e d é p a r t de N aples, n o u s f îm e s 400 lie u e s assez r a p id e m e n t p o u r a r r i v e r à P a ris, o ù j ’e u s le b o n h e u r indicible de re c e v o ir les c a re sse s d ’u n b o n p ère , d ’u n e t e n d r e m è re et d ’u n frère ch éri, t o u t e n d é p l o r a n t la p e r te ir ré p a r a b l e de celui qui n e c e s se ra ja m a i s d ’ê tre p r é s e n t à m a p e n s é e . A ce tte é p o q u e de m a r e n tr é e en F ra n c e , les sa tu rn a le s r é v o lu t io n n a ir e s a v a ie n t d i s p a r u ; le D irectoire n ’e x ista it p lu s, et B o n a p arte , en s ’e m p a r a n t d u p o u v o ir co nsu laire * avait r é ta b li le cu lte relig ieu x , fait la paix de Lunéville, p r o té g é la r e n tr é e des é m ig r é s a u x q u e ls o n r e n d a it le u rs b ie n s n o n v e n d u s ; enfin, la F i a n c e avait r e p r is u n e a t ti tu d e fière, im p o s a n te , et to u t cela p a r l ’é n e r g iq u e volonté d ’u n je u n e g én é ral à p e in e âgé de tr e n t e ans, q u i s ’était déjà ac q u is u n e glo ire im m o rte lle . A ussi, P a r is , se r e s s e n t a n t de to u s ces b ienfaits, était d a n s u n e e s p è c e de d élire t e n a n t d u vertige p a r le b es o in d ’effacer les s o u v e n irs de 88 S O U V E N I R S MI L I T A I R E S . ses j o u r s n é f a s te s ; les spe cta cle s é t a ie n t p le in s, les fêtes se su c c c é d a ie n t, la joie et le b o n h e u r s e m b la ie n L a p p a r te n ir à to u s. L ancé d a n s le g r a n d m o n d e p a r les n o m b r e u s e s c o n n a is sa n ce s de m o n p è re , je p a s sa is m e s j o u r n é e s a u m ilie u d e s s o m m ité s d u te m p s , e t dan s des so irée s e n c o m b r é e s de f e m m e s r e m a r q u a b le s p a r le u r b e a u té : e n tre a u tre s , ch e z Mme Tallien qui r é u n is s a it u n e société d ’élite et chez la belle R é c a m ie r d o n t les b als s o m p t u e u x a t t i r a i e n t to u t ce q u ’il y avait de m ie u x d a n s P a r is . A u m ilie u de cette a n i m a t io n de p la is ir e t de b o n h e u r , m o n p è r e p o u r s u iv a it avec p e r s é v é r a n c e sa r e n tr é e e n p o s s e s s io n d ’u n e p r o - 1 p r ié té c o n s id é r a b le q u ’il avait d an s le d é p a r t e m e n t de la Loire, la q u e lle , v en d u e n a t io n a l e m e n t et n o n p ay é e, avait fait r e t o u r à l’É tat. Cette affaire, q u i d u r a p lu s d ’une a n n é e, se te r m i n a f o rt h e u r e u s e m e n t , grâce à de n o m b r e u s e s p r o te c tio n s ; alors, m o n p è re , la is s a n t m o n frè re à P aris p o u r y su iv re d ifférentes affaires, m ’e m m e n a avec lui. N o u s f û m e s d ’a b o rd à L y o n , p u is à M o n tb riso n , o ù il f u t r é in t é g r é d a n s s a te r r e de S aint-M arcellin qui consistait, o u tr e ses d ro its f éo d a u x av a n t la R évolution, d a n s u n c h â te a u avec u n b e a u p arc , a u m il ie u d u q u e l se tr o u v a it u n e p a p e te rie , q u a t r e d o m a in e s d ’u n e g ra n d e éte n d u e a y a n t c h a c u n u n étan g , d e u x m o u li n s , d e u x fo u rs à c h a u x et une fo rê t c o n s id é r a b le p a rta g é e p a r u n vaste é ta n g ; plus, a u m il ie u de la p e t ite ville, u n e h a u t e t o u r féodale d a n s sa p a r f a ite c o n s erv atio n . Cette r e s titu tio n , d o n t l ’a d m in is t r a tio n m e fut confiée, valait de 15 à 1 6 0 0 0 fra n cs de r e v e n u s ; n o u s y r e s tâ m e s d e u x m o is p o u r m e t t r e en tr a in les r é p a ra tio n s q u ’il fallait y fa ir e ; puis, n o u s p a r tî m e s p o u r le Cantal, a p p e lé s p a r p lu s i e u r s a c q u é r e u r s a y a n t la louable in te n tio n de vouloir tr a i te r s u r le u rs ac h a ts n a tio n a u x . Massiac, chef-lieu 4e c a n to n s u r la r o u te de C le r m o n t à SÉJOUR EN AUVERGNE. — 1 803. 89 S aint-F lour, e s t situé dan s u n c h a r m a n t vallon a rro sé p a r la r iv iè re d ’A lagnon. Cette p etite ville était d o m in é e jadis p a r u n b e a u c h â te a u féodal d u x n e siècle q u i f u t d é t r u i t en 1666 lo rs des G ra n d s-Jo u rs , a p r è s la c o n d a m n a tio n à m o r t de G aspard, m a r q u i s d ’E spinchal, p o u r u n d u el célèbre et p lu s i e u r s a u t r e s m éfaits. G aspard évita ce c h â tim e n t sévère en se r é f u g ia n t en Bavière où il devint b ie n tô t g é n é ra lis s im e des a r m é e s b avaroises, et il ob tin t, p a r l’e n t r e m is e de so n co u s in le m a r é c h a l de Villars, d e s le ttr e s de grâce d é liv ré e s le 6 o c to b re 1678 p o u r avoir c o n trib u é au m a ria g e d u D a u p h in avec u n e p r in c e s s e de Bavière. L o u is XIV jo ig n it à ce tte clé m e n c e la r e s titu tio n d e s b ie n s qui avaient été confisqués, la r é in té g r a tio n au grad e de l i e u te n a n t gén éral, la te r r e de Massiac érigée e n c o m té et enfin le don de so n p o r tra it e n ric h i de d ia m a n ts . (Tous ces faits s o n t co n s ta té s d a n s de v o lu m in e u x p a r c h e m in s re v ê tu s du sc e a u ro y al q u e p o ssè d e la fam ille.) U n n o u v e a u c h â teau fu t c o n s tr u i t p a r G aspard d 'E s p in c h a l au pied des vestiges de l’anc ie n, e t ce tte b elle s e ig n eu rie , a y a n t h u it c lo c h e rs avec h a u t e e t b a s se ju s tic e , qu i fut v en d u e révolu ti o n n a i r e m e n t en 1792, v alait 22 000 livres de re n te s , n o n c o m p ris les dîm es, les ce n s et les p e r s iè r e s . L o rs q u e n o u s a r r iv â m e s à Massiac, u n e p a r tie de la p o p u la tio n v in t u n e lieue a u -d e v a n t de m o n p è re et, le soir, il y e u t des feux de jo ie p o u r c é lé b re r son r e to u r . T rois j o u r s ap rè s, u n m a ré c h a l- fe rr a n t, a c q u é r e u r du ch â te a u , des j a r dins et de v astes pra irie s, ep fit la r e s ti tu tio n à u n prix trè s m o d é ré , m a is c e p e n d a n t tr è s s u p é r ie u r à ce q u ’il avait payé e n a s s ig n a t s ; d e u x m o u lin s , u n d o m a in e , u n e vaste é t e n d u e de bois, la c a s e rn e de g e n d a r m e r ie , f u r e n t r e n d u s de m ô m e p a r u n n o m m é Gazart, h o n n ê t e c u ltiv a te u r . Le sie u r A ltaroche r e m i t a u s si u n e c h a r m a n te p r o p rié té n o m m é e l ’E rm ita ge ; u n a u tre p articu lie r, M. C h a p u t, p r o p o s a de 90 SOUVENIRS MILITAIRES. r e m b o u r s e r e n a r g e n t la v a le u r d ’u n b e a u d o m a in e , défal ca tio n faite de ce q u ’il av ait p a y é en a s s ig n a t s ; m a is une c h o s e p lu s r e m a r q u a b l e enc ore, ce f u t u n e c o m m u n e e n tiè r e d o n t les h a b i ta n t s av a ie n t en p e r s i è r e u n e g r a n d e é t e n d u e de bois, qui c o n s e n ti re n t, p a r - d e v a n t n o ta ir e , à p a y e r c o m m e ja d is , en s u p p r i m a n t les d r o its s e ig n e u r ia u x ; p l u s ie u rs a u t r e s p e r s o n n e s m o in s c o n s c ie n c ie u s e s g a r d è re n t ce q u ’elles a va ie nt a c h eté e n a s s ig n a ts ; m a is, e n r é s u m é , m o n p è r e r é c u p é r a u n e assez g ra n d e p a r ti e de la spoliatio n r é v o lu t io n n a ir e , e t p a r s u r c r o ît de b o n h e u r , M. M essonn ie r , b a n q u i e r de C lerm o n t, d o n t il avait été ja d is le p r o te c t e u r , le c r é d ita d ’u n e s o m m e de 80 000 f ra n c s au m o y e n d e s q u e ls il t e r m i n a s u r - l e - c h a m p to u s ses a r r a n g e m e n t s d ’u n e m a n iè r e to u t à fait in a tte n d u e qui p r o u v a l’es tim e e t l ’affection q u ’o n lui avait c o n s e r v é e s . D’a u t r e p a r t, le p r é f e t d u Cantal f u t a u t o ris é p a r le g o u v e r n e m e n t à r e s tit u e r u n e b ib lio th è q u e de cinq m ille v o lu m e s et u n e belle galerie de ta b le a u x de fam ille d é p o s é s à S ain t-F lo u r. T o u s ces h e u r e u x r é s u lt a ts t e r m in é s , je laissai m o n p è r e à Massiac avec le fidèle s e r v it e u r q u i l'avait c o n s t a m m e n t suivi d u r a n t l’é m ig ra tio n , d a n s l ’in te n tio n de r e m e t t r e so n c h â te a u en état de l ’h a b i t e r ; je r e to u r n a i à S aint-M arcellin p o u r y r é g u la r i s e r l ’a d m in is tra tio n de ce tte p r o p rié té , r e s t a u r e r le c h â te a u q u i e n avait g r a n d b e s o in et faire u n e v e n te des b o is q u e , fort h e u r e u s e m e n t, l ’É ta t avait la is s é s d a n s u n e c o n s e r v a tio n si p arfaite qu e j ’en fis c o u p e r u n e p r e m i è r e fois p o u r 18 700 fra n c s avec la faculté d ’en r e t i r e r à p e u p r è s 6 000 l ’a n n é e suiva n te , av a n t de r é g u la r i s e r les c o u p e s ; ces o c c u p a tio n s n e m ’e m p ê c h è r e n t pas de v o isin e r d a n s le pays. Ce fut d ’a bord, à u n e lie u e de distance, a u m ag n ifiq u e m a n o ir de S u ry , a p p a r t e n a n t ja d is à la fam ille de S o u rd is , d o n t le p r o p r i é ta ire, M. J o r d a n , h o n n ê t e in d u s trie l et re sp e c ta b le m illio n SÉJOUR EN AUVERGNE. — 1803. 91 n a i r e , m e r e ç u t avec a u t a n t d ’e m p r e s s e m e n t q u e de b ie n veillance. N on loin de cet asile p r o s p è r e , se tro u v a it l ’h a b ita tio n d u b a r o n de Rostaing, a n tiq u e d e m e u r e au x t o u r s cré nelé es, e n to u ré e de fossés p ro fo n d s q u e l’on tra v e rsa it s u r u n p o n t s u s p e n d u t o u jo u r s p r ê t à s ’élever au m o y e n de c h a în e s de fer, le cas éc héa nt. Le c h â te lain , vieille gloire de n o s g u e r r e s , q u e q u atre v in gt-dix ans n ’avaient p o in t e n c o r e co u rb é , s e m b la it au c o n tra ir e se r a j e u n i r a u x r é c its des h a u t s faits d ’a r m e s de n o tr e j e u n e F ra n ce . Sa n o b le figure était sillo n n ée p a r u n a d m ir a b le c o up de sa b re , c a c h e t c o n s ta n t de sa p r é se n c e d a n s le s r a n g s des f a m e u s e s p h a la n g e s de F o n te n o y o ù les F ra n ç a is b a t tir e n t si p o lim e n t n o s é te r n e ls e n n e m is . Ce v é n é ra b le g u e r r ie r m e fit u n e r é c e p tio n d ’a u t a n t p lu s aim a b le q u ’il n e p o u v a it oub lie r, disait-il, l ’é p o q u e o ù il faisait p a rtie de la d iv ision so u s les o r d re s de m o n a ïe u l; a u ssi, fut-il p o u r m o i d ’u n e b o n té p a rfa ite et m e garda-t-il tro is j o u r s s o u s so n toit h o sp ita lie r. J e fus de chez lui à Châtel, s u p e r b e p r o p rié té s u r les b o r d s d e la L oire o ù se tr o u v a it ré u n ie la fam ille de S aint-D idier d o n t je re ç u s l ’accueil le p lu s e m p re ssé , p u is a u c h â te a u de Cuzieux, situ é s u r u n e h a u t e u r d o m in a n t la Loire, h a b ité p a r le c h â te lain , s a g ra c ie u s e é p o u s e e t la s œ u r de son m a ri, j e u n e p e rs o n n e m a rié e d e p u is p e u , r é u n i s s a n t a u p h y s iq u e le p lu s s é d u isa n t, de l ’e s p rit, des ta le n ts, les grâc es, la folie et l’enfa n tilla g e de ses dix h u i t ans. A ces no u v elles c o n n a issa n c e s, q u i m e p r o m e t ta ie n t u n avenir ag ré able , se jo ig n i r e n t celles de M o n tb riso n e n tre le p ré fe t et M. Chevalier, r e c e v e u r g éné ral, m arié à la s œ u r d u g é n é ra l Savary, q u i e u t l ’o bligeance de m ’offrir u n gîte l o r s q u e je v ie n d ra is e n ville. Il était u n e a u t r e c o u r s e q u i m ’offrait u n vif in té r ê t, p u i s q u ’il s ’a g i s sa it de m e r e n d r e à l ’in vitation d ’u n M. Delisle de T hiol- 92 SOUVENIRS MILITAIRES. lière, dev e n u p r o p r ié ta ir e d ’u n b ie n ja d is a p p a r te n a n t à m o n g r a n d -p è re qui le v e n d i t p e n d a n t la g u e r r e 'd e SeptA n s p o u r p o u r v o ir a u x d é p e n s e s de son c o m m a n d e m e n t, (car, à ce tte é p o q u e , les g e n t ils h o m m e s faisa ie n t la g u e r r e à le u rs d ép e n s) et p a y e r u n e p a r ti e de la lé g itim e de la m a r q u i s e de Laizer, d em o ise lle d ’E sp in c h al. Le Y e r n e t, placé s u r u n e h a u t e u r d o m in a n t la Loire et à égale d istan c e de M o n tb riso n et de S a in t- Ë tie n n e , éta it u n fief d ’un re v e n u c o n s id é ra b le d o n t l ’h a b ita tio n , sa n s être r e m a rq u a b le , offrait c e p e n d a n t to u t e s les u tilité s et m ê m e les a g r é m e n ts d ’u n m a n o i r c o n f o r ta b le ; m ais, ce q u i m ’était d ’u n in té r ê t réel, c ’était d ’y r e tr o u v e r des s o u ve n irs de famille d o n t je devais a p p r é c ie r to u t le prix. On y v o y a it u n e t o u r féodale d ’u n e m a j e s t u e u s e g r a n d e u r a t t e s t a n t so n a n tiq u ité , r e n f e r m a n t , dans u n e vaste salle, u n e assez g ra n d e q u a n t ité de vieilles a r m u r e s d o n t c e rtai n e m e n t q u elques-uneS a va ie nt d û r e c o u v r ir m e s an c ê tre s, et, à en j u g e r p a r le u r p o id s e t la lo n g u e u r des glaives, il fallait, p o u r po u v o ir s ’en servir, q u ’ils f u s s e n t d ’u n e force pro d ig ie u se et d ’u n p h y s i q u e b ie n d is p r o p o r tio n n é à celui de le u rs d e s c e n d a n ts . Cette salle était au s si c o u v e r te des é c u s s o n s a r m o r ié s de n o tr e fam ille a u t o u r d e s q u e ls o n lis ait : F o r t i s e t V e l o x , ainsi q u ’on le voit d a n s la Salle d es Croisés à V ersailles. T rois ta b le a u x e n f u m é s , d o n t to u t le m é rite c o n s is ta it d a n s le u r a n tiq u ité et la p e r s é v é r a n c e avec laquelle ils é ta ie n t r e sté s a c cro ch é s à le u r pla ce p rim itiv e , s e m b la ie n t placés dan s ce tte salle c o m m e so u v e n irs h is to riq u e s et d estin é s à n ’en ja m a i s sortir. S u r le p r e m i e r é ta it in s c ritle n o m d ’A n to in e ll, b a r o n d ’E sp in c h al, ch e v alier d e s O rdres d u Roi, c o n s e ille r d ’É ta t, c h a m b e lla n de Charles VIII en 1487, c o m m a n d a n t c o n tre le s Anglais 1» b a n et a r r iè r e - b a n de la n o b le s s e e n 1489. L a s e c o n d e toile r e p r é s e n ta i t Isabeau VOYAGE A LYON. — -1803. 93 de P olignac, MUe de Chalançon, m a rié e à F ra n ç o is d ’E spinchal, am ira l et m in i s tr e de la Marine, et le tr o is iè m e in d i q u a i t C harles-G aspard m a r q u i s d ’E sp in c h al, né en 1619 (m arié à H élène de Levi), si cé lè b re d a n s le p ro c è s des G ra n d s - J o u rs ; il était p e i n t d ans le c o s tu m e de lie u te n a n t g én é ral de l ’ép o q u e avec le g ran d c o r d o n r o u g e s u r sa c u ira s s e et u n e a m p le p e r r u q u e c o u v ra n t u n e figure r e m a r q u a b l e m e n t b elle; m a l h e u r e u s e m e n t , le p assag e des v o lo n ta ir e s a u v e r g n a ts , a lla n t faire le siège de L yon, avait a ttiré à m o n a n c ê tre p lu s i e u r s cou ps de sa b re s e t de b a ïo n n e tt e s qui av a ie n t à p e u p r è s d é c h iq u e té ce beau tab leau . D ans la to u r , se tro u v a it au ssi u n e p r is o n b a s se et h u m i d e o ù le j o u r se m b la it p é n é t r e r avec r e g r e t ; à la m u r a i lle , éta it scellée u n e forte ch a îne de fer, o x y d ée p a r la r o u ille et un c a rcan articu lé , s o u v e n irs de ces te m p s où la loi d u p lu s f o rt était sans ré p liq u e . A p rè s tro is j o u r s p as sés so u s ce toit h o sp italier, j e trou vai, e n a r r iv a n t à S aint-M arcellin, u n ex p rè s p o r t e u r d ’u n e le ttr e de m o n p è r e qu i en c o n te n a it u n e a u t r e avec la q u e lle j e devais m e p r é s e n t e r à L yo n, chez M. de la C..., ex -c o n se ille r a u P a r le m e n t. Mais, q u elle n e f u t p as m a s u r p r i s e en a p p r e n a n t q u ’il n e s ’ag issait de r ie n m o in s q u e d ’u n m a ria g e , p r o je té p a r c o r r e s p o n d a n c e a u x d é p e n s de m a liberté q u e j e n ’avais n u l l e m e n t en vie de p e r d r e ; c e p e n d a n t, dan s l ’obligation où j ’étais de p o r t e r m a le ttr e , je m e p r é s e n ta i chez M. de la C... d o n t je r e ç u s l ’accueil le p lu s affable, a u m ilie u d u q u e l j e d istin guai p o u r t a n t les m a n iè r e s u n p e u e m p e s é e s et fro id e s d 'u n a n c ie n p r e m i e r p ré sid e n t. Sa fille, Mllc E u g én ie, c o m p ta it dix -h u it p r in te m p s , u n p h y siq u e s é d u is a n t et u n e é d u c a tio n trè s soign é e. Cette p r e m iè r e e n tre v u e , to u te de p o litesse et d ’ég a rd s, fu t suivie de de d eux a u tre s . A la d e r n iè re , me tr o u v a n t se u l avec 94 SOUVENIRS MILITAIRES. M. d e la G... : « 11 faut, m o n je u n e am i, m e dit-il, q u e n o u s p a rlio n s d e l ’u n io n p r o je té e e n t r e vo tre p è r e e t m o i; v o u s c r o y a n t b ie n d igne d ’a p p r é c ie r ce q u e j e p u is v o u s offrir et, sa n s e n t r e r d a n s le s d étails d ’in té r ê ts qui n e d o ive nt r e g a rd e r q u e les p è r e s , je v o u s dirai s e u l e m e n t q u e m a fille e n t r e r a en j o u is s a n c e , le j o u r d e so n m a ria g e , d ’u n re v e n u n e t de 6 000 francs, m e r é s e r v a n t l ’a d m in is tra tio n d es b ie n s q u e sa m è r e avait en m o u r a n t , et ex igea nt d ’u n e m a n iè r e fo rm e lle d ’h a b i te r avec m o i, s a n s tou te fo is m ’o p p o s e r au x e x c u r s io n s de famille. Un a u tre p o in t s u r le q u e l il fa u t a u s s i s ’e n t e n d r e , c ’e s t l ’in te n tio n bien a r r ê té e q u e m o n g e n d r e s ’a b s tie n n e de r e m p l i r a u c u n e fo n ctio n m ilita ire o u a d m in is tra tiv e d a n s le g o u v e r n e m e n t, ay a n t, à c e t ég a rd , u n e o p inion in v a ria b le m e n t fixe q u i ne t r a n s i g e r a ja m a i s avec la fidélité q u e je conserve a u x B o u rb o n s. M aintenant, m o n am i, si m e s c o n d itio n s v ous c o n v i e n n e n t, j e v o u s a u to ris e à e m p lo y e r to u s vos m o y e n s de sé d u c tio n p r è s de m a fille, ca r elle m ’e s t te l l e m e n t c h è r e q u e j e n e m e t t r a i a u c u n o b s ta c le à so n choix, b ie n c on va inc u q u ’il s e ra digne d ’elle et de so n p è re . » T outes ces c o n d itio n s, p o sé es d ’u n e m a n iè r e si positive, m e p a r u r e n t de n a t u r e à faire réfléchir, m ais, sa n s rien la is s e r voir à M. de la C..., j e le r e m e r c ia i de s o n b o n v o u lo ir à m o n égard, le p r é v e n a n t q u e j ’allais e n in f o rm e r m o n p è re , et n o u s n o u s q u itt â m e s d a n s le s m e ille u rs t e r m e s , la is s a n t d a n s la p en sée de ce d ig n e m a g is tr a t q u ’il ven a it de s e r r e r la m a in à son g en d re . P e u t- ê t r e e n eût-il été ainsi, s a n s u n de ces é v é n e m e n ts q u i s u r g is s e n t q u e l quefo is e n d e h o r s de to u te prév isio n , c h a n g e n t les p r o je ts les m i e u x c o n ç u s et c u l b u t e n t t o u te u n e d e s tin é e . Ce m ê m e jo u r , fatalité o u b o n h e u r , c ’e s t ce q u e la suite des t e m p s d evait p r o u v e r , j e d eva is a s s is te r à la p r e m i è r e r e p r é s e n ta tio n d ’u n e p iè ce re m p lie d ’esp rit, d o n t l ’a u t e u r , F r a n VOYAGE A LYON. — 18 0 3 . 95 çois de B ausset, u n de m e s a m is p a r tic u lie r s , m ’avait fait e n t e n d r e la le ctu re. La salle était c o m b le ; m a is, avant le lever d u r id e a u , il é t a it facile de s ’ape rcev o ir des m a u v a is e s d isp o s itio n s d u p a r te r r e . Bientôt, on e n tre en sc ène , et les sifflets se font e n te n d r e d u m il ie u d ’un g r o u p e placé j u s t e m e n t a u d e s s o u s de la loge o ù j ’étais avec p lu s i e u r s p e r s o n n e s de c o n n a is s a n c e ; in d ig n é s d ’u n pro cé d é si g ro s s ie r q u ’a u c u n m o tif n e p o u v a it ju stifie r, p r e s q u e to u s les sp e c ta te u r s d es loges se lèv en t s p o n t a n é m e n t e n c r ia n t : « A la p o r te ! à la p o r te , les sifflets ! » Ce fut alors u n e co n fu sio n ép o u v a n ta b le , le p a r te r r e s e m b la it u n e m e r agitée p a r les o n d u la tio n s violentes de ces h o m m e s se h e u r ta n t, se b o u s c u la n t en t o u s se n s p o u r a rriv e r a u g ro u p e m e n a ç a n t qui c o n tin u a it d é f a ir e e n t e n d r e les so n s aigus e t p e r ç a n ts de le u r s clefs forées. Les a c te u rs , en q u itt a n t la scène, a v a ie n t fait b a isse r le r id e a u , et le tu m u l t e ne faisant qu e s ’a c cro ître , la police c r u t d evoir in te r v e n ir en r e q u é r a n t la force a r m é e ; mais, avant son arriv é e , la loge d a n s laqu elle je m e tro u v ais é ta n t d e v e n u e le p o in t de m ire de to u s le s p e r t u r b a t e u r s , il s ’e n suivit des p aro le s offensantes, d es m e n a c e s e t enfin des voies de fait; tr o is d ’e n t r e n o u s , d a n s u n p a r o x y s m e de co lè re , s a u t è r e n t d a n s le p a r te r r e c h e r c h a n t à sa isir un je u n e h o m m e qui s e m b la it dirig e r la c a b a le ; b ie n tô t, la lutte d e v in t é p o u v a n ta b le et le sa n g n ’e û t p as ta rd é à c o u le r sans la p r é s e n c e d e la tr o u p e q u i fit év a c u e r la salle. H u it p e r s o n n e s fu re n t a r r ê té e s e t c o n d u ite s au co rp s de g a r d e , a u n o m b r e d e s q u e lle s se tr o u v a i e n t le je u n e h o m m e avec q u a tre des s ie n s, m e s d e u x co m p a g n o n s et m oi. In te r r o g é p a r l e c o m m is s a ir e de police, je désignai d ’u n e m a n iè r e é n e r g iq u e e t in s u lta n te le m o t e u r d u sc a n d a le qui ven a it d ’avoir lieu, et p e u d ’in s t a n ts ap rè s, ré c la m é s p a r 96 SOUVENIRS MILITAIRES. d es p e r s o n n e s h o n o ra b le s, n o n s f û m e s im m é d i a t e m e n t m is en lib e r té to u s tro is. Le le n d e m a in , tr o is j e u n e s h o m m e s se p r é s e n t è r e n t chez m o i a u m o m e n t o ù j ’allais s o r t i r p o u r m e r e n d r e p r è s de m a p r é te n d u e . <> M onsieur, m e dit l ’u n d ’eux, q u e je r e c o n n u s a u s s itô t p o u r le c h e f d u tr o u b le de la veille, je viens v o u s d e m a n d e r sa tisfac tio n p o u r avoir p o r té la m a in s u r m o i e t te n u des p ro p o s o u tr a g e a n ts s u r m o n c o m p te ; des m o tifs p a r t i c u lie rs, d o n t il e s t in u tile de v o u s e n t r e te n i r , m ’o n t engagé à faire to m b e r la pièce, sa n s m ’o c c u p e r de son p lu s ou m o in s de m é r i t e ; m a is l ’in su lte q u e v o u s m ’avez faite d e m a n d e u n e r é p a r a tio n l ’ép é e à la m a in , et j e viens vous la c h e rc h e r. — M o nsieur, ré p o n d is - je , votre inqualifiable c o n d u ite ne m é r i t a i t de m a p a r t qu e d u m é p ris et j ’eu sse gardé le silence a u m ilie u de vos sifflets e t des v o cifé ra tions de vos a c o lyte s, si vous n ’eussiez p e r s o n n e l l e m e n t insulté la loge d a n s laq u elle j ’étais. J e suis, au re s te , d ’a u t a n t p lu s d isposé à v ous satisfaire q u e l ’a u t e u r c o n tre le q u e l vos p ro cé d és o n t été si m a lv e illa n ts e s t m o n am i, e t je ne d o u te pas q u ’il n e v o u s d o n n e a u s si d e s m a r q u e s de sa r e c o n n a is sa nce . » Ces q u e l q u e s m o t s é c h an g é s, j e lui ai d e m a n d é so n n o m ; il se fit c o n n a îtr e p o u r le fils d ’u n h o n o r a b le n é g o cia n t de la ville ; n o u s c o n v î n m e s de n o u s r e n c o n tr e r , à cinq h e u r e s d u soir, d a n s u n e p e tite sa u laie, s u r les b o r d s d u R hône . A u s s it ô t en p r é s e n c e , c h a c u n avec n o s d e u x té m o in s , n o u s m î m e s h a b its b as, e t b ie n tô t a p r è s , n o s fers se c r o is è r e n t e n é c h a n g e a n t q u e l q u e s fein tes suivies d ’u n e a tta q u e vive e t p r o m p t e q u i se t e r m i n a p a r u n c o up d r o it d o n t j ’e u s s e in f a illib le m e n t p e r c é de p a r t e n pa^t m o n ad v e rsa ire , sa n s la b o ucle de sa b rete lle q u i brisa la DUEL A LYON. — 1803. 01 p o in te de m o n é p é e . Les t é m o in s v o u l u r e n t d ’a b o r d p r o fiter de ce tte c irc o n sta n c e p o u r faire c e s s e r le c o m b a t; m a is, tro p a n i m é s to u s d e u x p o u r y c o n s e n ti r , il fut c o n v e n u qu e l’on c a s s e ra it l’a r m e de m o n a n t a g o n is te à la m ê m e lo n g u e u r q u e la m i e n n e e t q u ’on les effilerait s u r u n e p ie rre . Cette o p é r a tio n te r m in é e , n o u s c r o is â m e s le fer de n o u v e a u et, e n p e u d ’in s ta n ts , j ’eu s le b r a s p e r c é en d e u x e n d r o its, et d ’u n e m a n iè r e si p ro fo n d e e t si d o u lo u r e u s e , q u e m o n a r m e m ’é c h a p p a d e l à m a in e t q u e j e p e r d i s c o n n a is s a n c e ; c e p e n d a n t, de l ’ea u , q u e l ’o n fut c h e r c h e r dan s u n c h a p e a u , m e ré ta b lit a u s sitô t. « Allons, dis-je à m o n a d v e rsa ire , r e c o m m e n ç o n s ; p e u t - ê tr e se ra i-je p lu s ad ro it. — Non, M onsieur, rép ondit-il, b ie n loin de satisfaire à v o tre c o u ra g e u x désir, veuillez a c c u e illir l ’av eu de m e s t o r ts et m ’a c c o r d e r v o tre es tim e , ca r j ’ai le c œ u r m e ille u r q u e la tê te et suis v r a im e n t d é s e s p é r é de t o u t ce qu i s ’est p a s sé . » J e lu i te n d is la m a in et to u t f u t oublié. Mon bras f o r t e m e n t p r e s s é p a r u n m o u c h o ir , on m ’a c c o m p a g n a à m o n h ô te l o ù b ie n tô t u n c h i r u r g ie n v in t m e d o n n e r des s o in s ; il tr o u v a la b le s s u r e assez m a u v a is e p a r le d é c h ir e m e n t de l ’a r m e m a l effilée, c r a ig n a n t m ô m e q u e les n e r f s n e f u s s e n t a t ta q u é s. La fièvre m e p r it p e n d a n t la n u i t et d u r a cin q j o u r s ; enfin, j ’e u s la co n s o la n te sa tisfa c tio n de n ’ê tre pas e s tro p ié, m a is il m e fut i n t e r d i t de m e s e rv ir de m a m a in av a n t u n e p arfaite g u é r is o n . Ce brave j e u n e h o m m e n o n s e u l e m e n t p a s s a it u n e p artie de se s j o u r n é e s p r è s de m oi, m a is il f u t au ssi chez F ra n ç o is de B a u s s e t lui faire ses ex c u se s, en lui a v o u a n t q u e sa m a îtr e s s e , fo rt c o u r r o u c é e de n ’avoir p as le p r e m i e r r ô le q u ’elle d é s ira it d a n s sa p ièce, av ait exigé de lui de la faire to m b e r . « V o u s pouvez, ajo u tat-il g a ie m e n t, faire j o u e r vo tre c o m é d ie en to u te a s s u ra n c e , car, fût-e lle d é te sta b le , ce qu e je n e p e n s e p a s d ’a p r è s ce q u e j ’e n ai e n t e n d u dire, j e v o us p r o m e t s u n s u c c è s ébou1 98 SOUVENIRS MILITAIRES. riffant, d u s s é -je m e b a ttr e u n e s e c o n d e fois, ce q u e je ferais de g r a n d c œ u r p o u r la faire r é u s s i r . » Cet évé ne m e n t, q u i e u t u n c e r ta in r e t e n t i s s e m e n t d a n s la ville, p a r v in t a u x o re ille s de M. de la C*** qui m ’éc rivit u n p e tit b ille t assez froid, d a n s le q u e l il m ’engageait, a u s s itô t ap rè s m a g u é r is o n , à r e t o u r n e r p r è s de m o n p ère . Ce congé d é finitif v in t f o rt à p r o p o s m e s o u la g e r d ’u n fa r d e a u d o n t il m e ta r d a it d ’ô tre (jébarrassé, n e m e s e n ta n t p a s en c ore la v o c a tio n d u m a ria g e assez r o b u s t e p o u r en c o u r ir les c h a n c e s f o rt a v e n tu r e u s e s . Ma b le s s u r e avait suivi u n e m a r c h e d e s p lu s r a s s u r a n t e s , g râ c e au x so in s a t te n tifs de to u s les in s ta n ts de la p a r t d ’u n e r a v iss a n te j e u n e f e m m e d o n t j e m e voyais avec u n d o u lo u r e u x é m o i c o n t r a in t de m e s é p a r e r ; elle, p o u r a lle r r e jo i n d r e s o n m a ri e n Italie, e t m o i, p o u r r e t o u r n e r tr i s t e m e n t e n F orez où m a p r é s e n c e était n é c e s s a ir e ; m ais, ce q u i v in t e n c o r e c o m p liq u e r c e lle fâ c h e u s e situ atio n , ce f u t u n e le ttr e de m o n p è r e b ie n -a im é , t o u jo u r s p o u r ses e n fa n ts l ’a m i le p lu s vrai, le p lu s t e n d r e et s u r t o u t le p lu s in d u lg e n t, qui, a y a n t a p p r is p a r M. de la C*** m o n i n c a r ta d e e t ses r é s u lt a ts , m e m a n d a i t q u ’il allait a rr iv e r afin de j u g e r p a r l u i - m ê m e si m o n é t a t é ta it a u s si grave q u ’il avait lie u de le s u p p o s e r , p u is q u e j ’étais d e p u is cinq s e m a in e s sa n s lui av o ir éc rit. Sa le ttr e to u c h a n te de sollici tu d e , loin de b lâ m e r m a c o n d u ite , p u i s q u ’il s ’agissait d ’u n e affaire d ’h o n n e u r , n ’é ta it e m p r e in te q u e de ses i n q u ié tu d e s ; il n e c o n c e v a it p as, avec la r é p u ta tio n d ’e s c r im e q u e j ’avais d a n s le s salles d ’a r m e s de P a ris, c o m m e n t je m ’é ta is si m a l a d r o i t e m e n t la issé to u c h e r p a r u n L y o n n ais. Je m ’e m p re s s a i de r a s s u r e r ce b o n p è r e e n lui a n n o n ç a n t m a c o m p lè te g u é r is o n , m o n d é p a r t p o u r le F orez et m a p r o c h a in e a r r iv é e p r è s de lui. Mais, d é m e n ta n t, e n m ê m ç te m p s , de la m a n iè r e la p lu s fo rm e lle q u ’u n e f e m m e ait SÉJOUR A LYON. - 1 804. 99 été ca u se de ce duel, ain si q u e l’avait m a n d é M. de laC***, j e lui d o n n a i to u s les d étails d e c e tte fâcheuse affaire en lui a v o u a n t to u te fo is q u ’u n e c i r c o n s ta n c e p r o v id e n tie lle m ’avait fait r e n c o n t r e r , d a n s l’h ô te l d u N ord o ù j e logeais, u n a n g e de b o n té q u i n ’avait p a s p e u c o n trib u é à m o n r é t a b lis se m e n t.» Mme A m élie Balabio, lui d isais-je, e s t le type de la b e a u té ita lie n n e ; c’e s t u n e je u n e f e m m e de v in g t-tro is ans, fille d ’u n r ic h e b a n q u i e r de Milan, é p o u s e d ’u n g é n é ral de b rig ad e ita lie n atta c h é à l’é t a t - m a j o r de B o n a p a rte et l’a y a n t a c co m p ag n é à P a ris avec sa f e m m e . Q u elq u e te m p s a p r è s , il r e ç u t l ’o r d re de se r e n d r e s u r - le - c h a m p à T u r i n p o u r y p r e n d r e le c o m m a n d e m e n t de ce tte g a r n is o n ; m a is sa j e u n e fille, c h a r m a n t b o u to n de r o s e de cin q ans, é t a n t in d is p o sé e , sa m è re fut oblig ée d ’a t te n d r e s a g u é r is o n , p o u r p a r tir. U n m a tin , é ta n t à m a f e n ê tre , je vis e n t r e r dans la c o u r de m o n h ôtel, u n f o rt é lég a n t coupé atte lé de tr o is c h e v au x de p o s te d ’où d e s c e n d ir e n t u n e je u n e f e m m e et u n e b o n n e t e n a n t u n e nfa n t d a n s ses b ras. L ’h e u r e d u d în e r v en u e , u n h e u r e u x h a s a r d m ’a y a n t p la cé à la table d ’h ô te p r è s de c e tte j e u n e é t ra n g è r e , j e m ’e m p re s s a i de r e n d r e à s a fille de ces p e tits s o in s d o n t u n e m è r e e s t t o u jo u r s to u c h é e ; n o tr e c o n n a issa n c e f u t d onc b ie n tô t faite; le le n d e m a in , m o n b r a s fut a c ce p té p o u r q u e lq u e s co u rse s d ’a c h a t s ; puis, l ’e n f a n t a y a n t eu d a n s la s o iré e u n accès de fièvre, je fus a u s sitô t c h e r c h e r le d o c te u r P etit, cé lè b re m é d e c in de L yon. Cette a t te n t io n m e p e r m i t des a s s id u i té s p r è s de la j e u n e m è r e r e c o n n a is s a n te , d ’o ù s ’e n s u iv it u n e confiance p lu s in tim e e t l ’ave u des s e n tim e n ts q u e m ’in s p ira it c e tte c h a r m a n t e et d é lic ie u s e f e m m e qui m e p a y a q u e lq u e s j o u r s d e s soin s les plus t e n d r e s lo r s q u e j ’eu s la m a la d re s se de re c e v o ir u n co up d ’ép ée. » B ien c e r ta in qu e m a le ttr e , en r a s s u r a n t m o n p è r e et e n lu i a n n o n ç a n t m o n ' p r o c h a i n r e t o u r près de lui, l ’e m p ê c h e r a it de 100 SOUVENIRS MILITAIRES. faire u n voy age inutile, j ’ac c o m p a g n a i la belle Am élie j u s q u ’à C h a m b é ry , f a isa n t suivre m o n c a b r io le t dan s le q u e l f u t placée la f e m m e de c h a m b r e , et ainsi se t e r m i n a c e t h e u r e u x ép iso d e d o n t le so u v e n ir dev ait ê tre ineffaçable. VI P RÉSENT AT I ON A L’ EMPEREUR FORMATI ON DES GENDARMES D’ ORDONNANCE Mon s é jo u r à Saint-M arcellin n e fut q u e le te m p s n é c e s sa ire a u x o c c u p a tio n s de l ’a d m in is tra tio n d o n t j ’étais charg é, et, l o r s q u e t o u t f u t b ie n réglé et te r m in é , j e m e r e n d is à Massiac où j e tr o u v a i m o n p è re , h e u r e u x d ’ê tre a b rité so u s le to it de ses a n c ê t r e s q u ’il avait c r u ne re v o ir ja m a is . Je r e s ta i tr o is m o is p r è s de lui p o u r e n s u ite r e t r o u v e r P a ris d a n s to u t e la s p le n d e u r de la c ré atio n de l ’E m p ir e , avec ces a c ce sso ires o ù c h a c u n c h e r c h a it à e n o b te n ir u n e p art. C’était u n e effervescence, u n d élire, p o u s s é s aux d e r n iè re s lim ite s : les fêtes p u b liq u e s , les bals, les so irée s, se su c c é d a i e n t sa n s c e sse et, a u m ilie u de cé to u r b illo n g én é ral, a p p a r a is s a it le m o b ile de t a n t de c h o s e s, ce je u n e e t b r il la n t g u e r r ie r , r e c o u v e r t d u m a n te a u im p é r ia l et ro y al, et sa cré p a r les m a in s d u S a in t- P è r e , se r e h a u s s a n t d ’u n e gloire sa n s p are ille q u i allait s ’a u g m e n te r p a r de n o u v e a u x c o m b a ts c o n tre le s v a in s efforts de la P r u s s e et la R ussie ré u n ie s . N ap o lé o n fit p o u r t a n t t o u t ce q u ’il p u t p o u r évi te r c e tte nouvelle g u e r r e , n o n q u ’il la r e d o u tâ t, m a is la fo rfan terie Me la P r u s s e le fo rç a à a c c e p te r u n défi q u e ce tte p u is s a n c e devait p a y e r si ch e r. L ’E m p e r e u r , d o n t la 102 SOUVENIRS MILITAIRES. p r u d e n c e égalait le c o u ra g e , v o y a n t se s p r o p o s itio n s r e p o u s s é e s , se m i t a u s s itô t en m e s u r e d ’agir efficacement. De n o u v e a u x co rp s f u r e n t f o rm é s e t l ’appel q u ’il lit d an s les h a u t e s classes de la société f u t accueilli avec u n v é r i ta b le e n t h o u s ia s m e , car c h a c u n voula it a u s si a c q u é r ir sa p a r t de gloire. Mais il f a u t c e p e n d a n t r e m o n t e r q u e lq u e s m o is a v a n t ces grave s é v é n e m e n ts , c ’es t-à-dire à l ’é p o q u e de la c o n s titu t io n d d l’E m p i r e e t de la f o rm a tio n d ’u n e c o u r im p é r ia le d o n t la s p le n d e u r dev a it r é p o n d r e à celui qui en é ta it l ’objet. En c o n s é q u e n c e , des g r a n d s dig n i ta ir e s d e l ’E m p ire f u r e n t n o m m é s , d es m in i s tr e s pris p a r m i .d e s h o m m e s é m in e n ts , des m a r é c h a u x c h o isis d a n s le s g é n é r a u x les p lu s il l u s t r e s ; puis, v in r e n t le s Maisons de l ’E m p e r e u r et de l’I m p é r a t r ic e q u i fu re n t c o m p o s é e s de c h a m b e lla n s , d ’é c u y e r s , de p ré fe ls d u palais, d ’i n tr o d u c te u rs d ’a m b a s s a d e u r s , de pages, etc. ; ces d ifférents e m p lo is f u r e n t assez g é n é r a le m e n t d o n n é s à l ’a n c ie n n e n o b le sse qu e N ap o lé o n a c c u e illa it avec e m p r e s s e m e n t, et le f a u b o u r g S a in t-G e rm a in , e n tre a u tre s , n ’y fit p as faute. Q u a n t a m o n frè re e t à m o i, p e u ja lo u x de p o r t e r l’h a b it b ro d é, m a is c e p e n d a n t f o r t d é s i r e u x de n e p a s r e s t e r s a n s r i e n faire, n o u s o b tîn m e s d ’ê t re p r é s e n t é s à l ’E m p e re u r, p a r l ’e n t r e m i s e de l’im p é r a tr ic e J o s é p h in e q u i c o n s erv ait à n o tr e m è r e le s o u v e n ir d e s r e la tio n s in ti m e s q u i ava ie n t existé e n t r e elles ava n t la R évolu tion. Cette difficulté v ain cue, le j o u r et l ’h e u r e de n o t r e a d m is s io n n ous a y a n t été d é s ig n é s, s u r v in t l'e m b a r r a s du c o s tu m e p u is q u e , p o u r être in tr o d u it d a n s le c a b in e t im p é ria l, il fallait ê tre en u n if o rm e , si l’on é ta it m ilita ire , ou p o r te r u n c o s tu m e ana lo g u e à l ’em p lo i q u ’o n r e m p lis s a it, o u enfin l ’h a b i t à la fra n ça ise, et ce fut celui q u e n o u s a d o p t â m e s ; p o u r a t te i n d r e ce b u t, n o u s e û m e s r e c o u r s a u co s- ' tu m i e r B a b in , q u i, m o y e n n a n t u n e h o n n ê t e r é tr ib u ti o n , PRÉSENTATION A L ’E M P E R E U R . — 1 805. 103 n o u s f o u r n it avec u n e p ersp ic ac ité r e m a r q u a b le d e u x v ête m e n t s a n a lo g u e s à la circ o n sta n ce . Celui de m o n frè re était c o u l e u r m a r r o n avec des b o u to n s d ’a c ie r à p o in te de d ia m a n t, u n e v e s te en satin bla n c à fleurs, g a r n ie de d eu x p e tite s p o c h e s à p a tte s , u n e culotte de soie n o ir e , bas de soie blan cs et b o u c le s au x s o u li e r s ; p o u r o r n e m e n t , j a b o t e t m a n c h e t t e s de d en telle, c h a p e a u à p lu m e s n o ir e s avec u n e g an s e d ’é p é e e n a c ie r à f o u r r e a u d e galu chat. Mon c o s tu m e était à p e u p r è s le m ê m e q u a n t a u x ac c e s so ires, s e u le m e n t, n ’a y a n t p u m e p r o c u r e r u n h a b it de c o u l e u r foncée, j ’avais été obligé d ’en p r e n d r e u n b le u clair fort te n d r e , avec des b o u to n s r e p r é s e n t a n t différents in s e c te s e t u n e v e s te à r a m a g e s d u m e ille u r effet. Il ne fallut r ie n m o in s qu e la s o le n n ité d u lie u d a n s le q u el n o u s étio n s in tr o d u it s p o u r g a r d e r n o t r e s é rie u x s u r cet a c c o u t r e m e n t b a r o q u e , s u r t o u t en v o y a n t le s o u r ir e s a rd o n iq u e des officiers de service so u s les r e g a rd s d e s q u e ls n o u s f û m e s obligés de p a s s e r . L ’E m p e r e u r , d e b o u t p r è s d ’u n e ch e m in é e , n o u s fixa u n m o m e n t avec u n e e s p èc e de s u r p r is e , d a n s laq u elle je c r u s v o ir e r r e r s u r se s lè v re s u n p e tit m o u v e m e n t c o n v u lsif q u ’il r é p r i m a a u s s itô t et q u e j ’a t tr ib u a i à n o tr e c o s tu m e ; p u is, n o u s a d r e s s a n t la p a ro le : « V o u s portez, n o u s dit-il, u n n o m m ilita ire e t v ous êtes, m ’a - t- o n dit, p e tits-n ev e u x d u cé lè b re m a ré c h a l de V illars; il fa u t faire c o m m e vos p è r e s . — C’est n o tr e v œ u le p lu s a rd e n t, Sire, r é p o n d it m o n frère. — C’est t r è s b ie n , je c o m p te s u r v o tre fidélité et votre d é v o u e m e n t. — Oui, Sire, to u jo u r s , » d îm e s - n o u s e n s e m b l e et d ’in s p ira tio n ; pu is, s ’a p p r o c h a n t d ’u n e tr o is iè m e p e r s o n n e qui avait a u s si o b te n u l ’h o n n e u r de la p r é s e n ta t io n et q u i p o r ta it u n co s t u m e m ilita ire fort é lé g a n t : « V o u s ête s, lui d it-il, le fils d u du c d e C hoiseul qu i c o m m a n d a it u n r é g im e n t de h u s s a rd s dan s l’é m ig r a tio n . — Oui, S ire, r é p o n d it le je u n e 104 SOUVENIRS MILITAIRES. Ë tie n n e . — Quel âge a v e z-v o u s ? — D ix-huit an s, r e p r itil. — Mais, c o m m e n t se fait-il qu e v ou s ayez la croix de la L é g io n d ’h o n n e u r . — P a rc e q u e j e l ’ai m é rité e , S ire, e n s a u v a n t la vie a u m a r é c h a l A u g e r e a u d o n t je su is offi c ier d es g uide s. — C’est vrai, je m e le r ap p e lle m a i n t e n a n t ; c o n tin u e z de m ê m e e t v o tre a v e n ir e s t a s s u ré . » N ap o lé o n n o u s fit u n signe g r a c ie u x de la tê te , et n o u s n o u s r e ti r â m e s a p r è s ce tte c o u r te et b rè v e a u d ie n c e , p o u r ê tre c o n d u i ts , m o n frè re et m o i, p a r le c o m te de Béarn, chez l ’im p é r a tr ic e J o s é p h in e où n o u s a t te n d a it u n e r é c e p tio n d ’u n g e n r e t o u t différent. Cette ex c e lle n te p r in c e sse , ca u se de n o tr e p r é s e n ta t io n à l ’E m p e r e u r s u r le conseil q u ’elle e n avait d o n n é à m a m è re , n e p u t r e te n ir u n rire in e x tin g u ib le à n o tr e a p p r o c h e , et, lo r s q u e n o u s b a is s â m e s la tê te p o u r la sa lu er, M e sdam e s de la R o c h efo u ca u ld , de M ontm o r e n c y et de T u r e n n e im i t a n t cet ex e m p le , ce fu t des t r é p i g n e m e n ts , d e s e x c la m a tio n s q u i m e firent q u i t t e r le sé rie u x d o n t j ’éta is m a la d e d e p u is m o n e n t r é e a u p alais ; tandis q u e m o n frè re , c o n s e r v a n t u n c a lm e e t u n flegm e i m p e r tu r b a b l e s , m ’e û t fait éc la ter si j ’avais eu le m a lh e u r de le re g a rd e r. « C o m m e n t, dit l ’I m p é r a t r ic e en r ia n t au x la rm e s, N a p o lé o n a p u v o u s r e g a r d e r de sa n g -fro id ? — Hélas, M adam e, dit m o n f r è r e en s ’in c lin a n t m o d e s te m e n t, je crois q u e Sa M ajesté n ’en p e n s a it p as m o in s . » Enfin, ap rè s u n e d e m i - h e u r e d ’u n e ju b il a ti o n d o n t n o u s fîm e s les frais, l ’I m p é r a tric e , n o u s p a r l a n t d e m a m è re d a n s les te r m e s les p lu s affec tueu x, n o u s c o n g é d ia en n o u s e n g a g e a n t à aller d é j e u n e r le le n d e m a in chez s o n fils, le p r in c e E u g èn e , n o tr e a m i d ’en fance, p o u r lui r e n d r e c o m p te de n o tr e m a tin é e, et n o u s n o u s r e ti r â m e s f o rt e m p r e s s é s d ’a b a n d o n n e r n o tr e espèc e de m a s c a ra d e . T rois j o u r s a p r è s ce tte so le n n e lle ré c e p tio n , invités a u bal de la Cour, m o n f rè re p e u s o u c ie u x de se m e t t r e u n e BAL se co n d e fois en AUX TUILERIES. r e p r é s e n ta t io n 103 — 1 806. m ’e n la issa tous les honneurs. Ce fu t e n c o re B abin qui se c h a r g e a de m a toilette, m a is c e tte fois, p lu s h e u r e u x d a n s le c hoix de m o n c o s tu m e , j ’o b tin s l ’hab it à larges b a s q u e s d ’u n b rilla n t m a rq u is , to u t r e s p le n d is s a n t des c o u l é u r s les p lu s vives, o rn é de b o u to n s e n stra s im ita n t à s ’y m é p r e n d r e les p r o d u its de G olconde, avec u n e v este e n b r o c a r t d ’or, p lu s u n c h a p e a u à p lu m e s b la n c h e s d o n t la g anse était é b lo u issa n te p a r le reflet de ses feux. Ainsi vêtu , a y a n t la co n s c ie n c e p a r f a ite m e n t tr a n q u i lle s u r la f o rm e et l ’élégance de m a t e n u e , j ’e n tra i h a r d i m e n t d a n s les s o m p t u e u x salons d u palais im périal, s p le n d id e m e n t d é c o ré s, é tin c e la n ts de lu m i è r e s qui fa isa ie n t r e s s o r t i r les m a gnifiques u n if o rm e s de la Garde, le s b r o d e r ie s des officiers de la Maison et les r a v is s a n te s to ile tte s des d a m e s de la Cour, r u is s e la n t e s dç p ie rr e r ie s et de d ia m a n ts, a u m ilieu d e s q u e lle s, à m a g ran d e satisfactio n, se t r o u v a i e n t q u a n tité d ’h o m m e s d o n t le co s t u m e était a u s s i é q u iv o q u e q u e le mien. L ’E m p e r e u r e n u n if o r m e des C h a sse u rs de sa gard e était assis d a n s son fauteuil e n or, placé s u r u n e estra d e, a y a n t à sa g a u c h e l’im p é r a tr ic e J o s é p h in e , d a n s la p a r u r e la plus é b lo u is s a n te , avec u n d ia d è m e et u n e riv iè re d ’u n p rix in e stim ab le . Cette soirée c o m m e n ç a p a r u n e s y m p h o nie, ex é cu tée p a r les p r e m i e r s artistes de la capitale, qui se te r m in a a u b o u t de vingt m in u t e s p o u r faire place au x différents q u a d r ille s f o rm é s d a n s les sa lo n s p a r c o u r u s p a r L e u r s M ajestés qui se r e t i r è r e n t e n s u ite , la issa n t la fôte dan s u n e a n i m a tio n qu i d u r a j u s q u ’a u jo u r . Si le rid ic u le de m o n c o s tu m e m ’e m p ê c h a , ainsi q u e m e s collègues, de p a r tic ip e r a u p la isir de la danse, n o u s n o u s e n d é d o m m a g eâ m e s a m p l e m e n t p a r u n s o m p t u e u x re p a s d ig n e en to u t p o in t de l ’h ô te ill u s tr e au n o m d u q u e l il était offert. Mais, 10:6 SOUVENIRS MILITAIRES. h élas ! de q u e lle a m e r t u m e il devait ê tre suivi ! Le s o u v e n i r de l ’affreux d é b o ire q u i m ’était r é s e rv é e s t u n p e s a n t c a u c h e m a r d o n t j e c h e r c h e e n v a in à m e d é b a r ra s s e r , lo r s q u e le so u v e n ir s ’e n p r é s e n t e à m a m é m o ir e , p o u r m e r a p p e le r m o n a m o u r - p r o p r e froissé, m o n org u eil h u m ilié e t la d é c e p tio n la p lu s c o m p lè te . L a v o itu r e dans la q u elle j e m ’étais p r é la s s é p o u r a l le r a u x T uileries a p p a r te n a it à m o n p a r e n t le c o m te d ’A ulnay, q u i a v a it j o i n t à c e tte o b li g e a n c e ce lle de m e p r ê t e r d es m a n c h e t t e s e t u n m a g n i fique j a b o t de d e n t e ll e ; m a is , p a r u n e in a d v e r ta n c e to u t à fait e n d e h o r s de ses in te n tio n s , n ’ay a n t pas d o n n é l ’o rd re a u c o c h e r de v e n i r m e c h e r c h e r , celui-ci, a p rè s m ’avoir d é p o s é au x p o r t e s d u palais, c r o y a n t sa tâ c h e te rm in é e , av ait été tr a n q u i l l e m e n t se c o u c h e r , ce qui fit q u ’e n m e r e t i r a n t à q u a tre h e u r e s d u m a t i n avec la confiance d u p r o p r ié t a ir e p o s s é d a n t u n éq u ip a g e , j e m e tr o u v a i se u l, isolé d a n s la c o u r d u palais, s a n s ab ri, n i v ê t e m e n t p o u r m e g a r a n tir d ’u n e p lu ie fine e t p e r ç a n te , e t sans la r e s s o u r c e d ’u n fiacre d o n t j ’e u s s e v o lo n tie r s p a y é la v a l e u r p o u r c a c h e r m a h o n te e t m a c o n f u s io n . C e p en d a n t, a r m é d ’u n s o m b r e d é s e s p o ir , e n f o n ç a n t m o n c h a p e a u à p l u m e b la n c h e j u s q u ’a u x o reilles en le c o u v r a n t d e m o n m o u c h o i r p o u r c a c h e r m a figure, je m ’é la n c e d a n s le g u ic h et, p a s s a n t so u s le feu des q u o lib e ts de la garde , et, g a g n a n t le P ont-R oyal, je le t r a v e r s e c o m m e u n c h a t a u q u e l o n vient de c o u p e r la q u eu e . Là, m ’a tte n d a it u n e no u v elle in f o rtu n e . Le fac tio n n a ire d e s C h a s s e u rs de la Garde p r è s le q u e l j e p a s sa is , f o rt s u r p r i s à l ’a s p e c t de m o n a c c o u t r e m e n t b iz arre , m ’invite p o l i m e n t à m e la isse r in s p e c t e r p a r le c h e f d u p o s te a u q u e l j e d u s faire le ré c it de m a triste a v e n tu r e , a u m il ie u des lazzis et d es r ir e s i m m o d é r é s d e s C h a sse u rs. Enfin, r e n d u à la lib e rté , j e p r is m a c o u r s e le lo n g d u q u ai avec la r a p i dité d ’u n c e r f p o u r s u iv i p a r u n e m e u t e a c h a r n é e , e t l o r s q u e GUERRE A V E C LA PRUSSE. — 1 806. 101 j ’a tteig n is m o n g îte de la r u e de C ourty, j ’étais h a l e ta n t, h a r a s s é de fatigue, de h o n te , s u a n t c o m m e u n forçat, c r o tté c o m m e u n b a r b e t et fa isa n t le s e r m e n t q u e ce j o u r s e ra it le d e r n ie r de m a vie s o u s le c o s t u m e d ’h a b i t de c o u r à la fra n ça ise. J ’e u s e n c o re , o u tr e le d é s a g r é m e n t de ce fâc h eu x d éb o ire , celui de p a y e r u n assez fort d é d o m m a g e m e n t a u c o s tu m ie r B abin qui voulait m e c o n t ra in d r e à g a r d e r c e tte d é fro q u e de m a r q u i s , é v i d e m m e n t f o rt e n d o m m a g é e m a lg ré les a b lu tio n s que je lui avais fait su b ir. C ependant, a u m ilie u de to u t e s ces fête s et de l ’a n i m a tio n de la capitale, l ’E m p e r e u r su iv a it d ’u n œil a t te n tif les d é m a r c h e s h o s ti le s de la P r u s s e et se m e t t a i t e n m e s u r e de lui p o r t e r d es c o u p s s û r s et t e r r i b l e s ; p lu s i e u r s n o u v e a u x co rp s s ’o r g a n is è r e n t avec ra p id ité : la Garde i m p é r ia le f u t a u g m e n té e d ’u n m agnifique r é g im e n t de d rag o n s, et l ’in fan terie, de p lu s ie u r s b ataillo ns, s o u s la d é n o m in a t io n de ’vélites e t de fusilie rs. La ville de P a r is f o rm a de n o m b r e u x ré g im e n ts p r is d a n s so n s e in ; le c o m te de la T o u r d ’A uverg ne e t le p r in c e d ’I s e m b o u r g r e ç u r e n t l ’a u t o r i s a tio n de f o r m e r d e u x c o r p s d o n t les officiers d e v a ie n t être p r is p a r m i les é m ig r é s et d a n s la h a u t e société. D ans ce m ô m e te m p s , m o n frè re é ta n t à Massiac, je m ’ad jo ig n is C harles de M ontulé et F e r n a n d d ’A lbuq u e r q u e , a m i p a r tic u lie r d u g én é ral D uroc, p o u r o b te n ir, p a r so n e n t r e m i s e , la faculté de c r é e r d eux ou tro is esca d r o n s d e p a rtisa n s. N ous r e ç û m e s , à cet effet, l ’o r d r e de n o u s r e n d r e à Saint-C loud le 15 o cto b re , à h u i t h e u r e s d u m a tin . Mais, lo r s q u e n o u s y a rriv â m e s, n o u s a p p r îm e s p a r le valet de c h a m b r e d u m a ré c h a l, c h a rg é de n o u s r e m e ttr e u n e le ttr e p o u r le m in is tr e de la G uerre, q u e l ’E m p e r e u r et so n m a îtr e é ta ie n t s u b i t e m e n t p a r ti s p o u r l ’a r m é e a p rè s l ’a r r iv é e d ’u n c o u r r ie r . A la le c tu r e de la le ttre d o n t n o u s é tio n s p o r t e u r s , le 108 SOUVENIRS MILITAIRES. d u c de F e ltr e n o u s fît a u s s itô t d é liv re r l ’o r d r e de n o u s r e n d r e à M ayence, p r è s d u m a ré c h a l K e lle r m a n n , et nous d it q u ’il re c e v r a it d e s i n s t r u c tio n s à n o tr e égard. En effet, lo r s q u e n o u s n o u s p r é s e n t â m e s a u d u c de V alm y , n o u s en r e ç û m e s le m e ille u r accu e il et il n o u s a p p r it q u e , c h a rg é p a r l’E m p e r e u r de l’o r g a n isa tio n d u n o u v e a u c o r p s de cavalerie so u s la d é n o m in a t io n de G e n d a rm e s d ’o r d o n n a n c e s de l’E m p e r e u r , n o u s lui étio n s r e c o m m a n d é s d ’u n e m a n iè r e spéciale. La f o rm a tio n de ce c o r p s d ’élite , to u t à fait e n d e h o r s de ce qui avait été fait j u s q u ’alors, e u t un r e t e n t i s s e m e n t qu i fut accueilli d a n s to u te la F ra n ce , et je vais e n d o n n e r to u s les détails afin q u ’on p u is s e ê tre à m ê m e de bie n a p p r é c ie r le b u t de ce tte in stitu tio n , b u t qui m a l h e u r e u s e m e n t n e p u t ê tre a t te i n t, des c i rc o n sta n c e s m a j e u r e s é ta n t v e n u e s y m e t t r e obsta cle. Mais, d an s la co u r te d u r é e de sa g lo rie u se e x iste n ce, on p e u t c o n s ta te r, a u m i n i s t è r e de la G u erre , la q u a n tité de g é n é r a u x , de c o lo n e ls e t d ’officiers s u p é r ie u r s so rtis d e s r a n g s des G en d a r m e s d ’o rd o n n a n c e de l ’E m p e r e u r . La ville de M ayence, d é s ig n é e à l’é p o q u e d u 20 o cto b re 1806 p o u r la f o rm a tio n des G e n d a rm e s d ’o r d o n n a n c e , é ta it a lo rs o c c u p é e p a r l ’im p é r a tr ic e J o s é p h in e et u n e p a rtie de sa cour, afin d ’être p lu s r a p p r o c h é e d e s g ra n d s é v é n e m e n ts qui d ev a ie n t s u r g ir d a n s ce tte n o uvelle lu tte d o n t l ’E m p e r e u r v e n a it de p r e n d r e l ’initiative. Le m a ré c h a l K e lle r m a n n , d o n t les in s t r u c tio n s é ta ie n t p r é c is e s à l ’égard d e s G e n d a rm e s d ’o r d o n n a n c e , y m it u n zèle p r o p o r ti o n n é a u d é s ir de N ap o lé o n , a p p u y é p a r l’e m p r e s s e m e n t d ’u n e j e u n e s s e a r d e n te , arriv é e de to u te s les p a r tie s de la F ra n ce , e t d e u x m o is n e s ’é ta ie n t p as é c o u lé s q u ’u n e c o m p a g n ie forte de c e n t c in q u a n te h o m m e s était p rê te à se m o n t r e r à l ’e n n e m i, et était b ie n tô t suivie d ’u n e se co n d e . ' Les G e n d a rm e s d ’o r d o n n a n c e d ev a ie n t le u r e x is te n c e à LES GENDARMES D ’O R D O N N A N C E . — 1 806. 109 u n d é c r e t im p é r ia l daté de Saint-Cloud le 1er octob re 1806, d o n t voici les d isp o s itio n s p rin c ip a le s : « T out s u je t de l ’E m p ir e p e u t faire partie d es G e n d a rm e s d ’o r d o n n a n c e à c o n d itio n de v e r s e r, à son arrivée a u co rps, u n e s o m m e de 1 900 fra n cs et de p r o u v e r q u ’il r ec ev ra de sa famille u n e p e n s io n de 600 francs, ce qui, j o in t à la solde de la Garde im p é r ia le , p e u t le faire vivre c o n v e n a b le m e n t. L ’u n if o rm e s e ra u n h a b i t v e r t de c h a s s e u r à c h e val av e c a ig u ille tte et trèfle e n a rg e n t, p a n t a lo n v e rt galonné, sc h ak o garn i en a r g e n t avec p l u m e t b l a n c ; p o u r a r m e s : le sa b re d e m i- c o u r b e , p etite c a r a b in e et pisto let, h a r n a c h e m e n t d u cheval à la h u s s a r d e . La d istin c tio n des officiers c o n s is te r a d a n s la la r g e u r d es galons, l’é p a u le tte et l ’aiguillette en to r s a d e de la Garde im p é ria le et de m ê m e a u schako, avec la p l u m e b la n c h e flottante. « Ce c orps, p a r so n in stitu tio n , fera p a rtie de la Garde im p é ria le et jo u i r a des m ê m e s avan tages. A l ’a r m é e et p a r t o u t o ù l’E m p e r e u r a u r a u n e es c o rte , les G en d a rm es d ’o r d o n n a n c e a u r o n t u n officier et u n n o m b r e égal aux C h a sse u rs de la garde . « Il y a u r a t o u j o u r s p r è s de l’E m p e r e u r , u n officier de s e r vice qui s ’y ti e n d r a d u r a n t q u a r a n te - h u it h e u r e s , et qui r e m p l ir a le s fo n c tio n s d ’officier d ’o r d o n n a n c e . « T ous les G e n d a rm e s d ’o r d o n n a n c e p e u v e n t, a p r è s u n e c a m p a g n e , e n t r e r s o u s - lie u te n a n ts d a n s u n r é g im e n t de cavalerie, et le s officiers avec u n grad e s u p é r ie u r . » Il était im p o s s ib le , d ’a p r è s ce q u ’o n v ie n t de lire, de d o u te r d es in te n tio n s de l ’E m p e r e u r à l’é g a r d des G en d a r m e s d ’o r d o n n a n c e ; a u s s i p lu s i e u r s g é n é r a u x de division en avaient-ils sollicité le c o m m a n d e m e n t, m a is N apoléon e n avait, j u s q u ’à nouvel o r d re , laissé la d ire c tio n i m m é diate a u m a ré c h a l B e ssiè re s e t avait n o m m é c a p ita in e c o m m a n d a n t le g é n é ra l de b rigade c o m te de M o n tm o re n c y . 110 SOUVENIRS MILITAIRES. Mais, e n m ê m e te m p s , Sa Majesté, v o u la n t q u e ce corps m é r i t â t la d is t in c t io n d o n t il était h o n o r é , avait o rd o n n é a u m a r é c h a l K e lle r m a n n , q u ’a u s s itô t u n e c o m p a g n ie c o m p l è te m e n t o rg an isé e, elle se ra it d ir ig é e en face de l ’e n n e m i afin de r e c e v o ir s o n b a p t ê m e ava n t de faire le service a u q u e l ce c o r p s é ta it appelé. Ainsi q u ’il a été d it déjà, M ayence éta it le lieu où se faisait l ’o r g a n is a tio n d e s G e n d a rm e s d ’o r d o n n a n c e so u s la su rv e illa n c e im m é d ia te d u m a r é c h a l K e lle r m a n n , c h a rg é en o u tr e d ’in s p e c t e r et d irig e r à l e u r p a s sa g e les tr o u p e s a l la n t jo in d r e les d ilîé re n ts co rp s d ’arm ée. L a p r é s e n c e e n c e tte ville de l ’im p é r a tr ic e J o s é p h in e ne c o n t r i b u a p as p e u à s ti m u le r l ’a r d e u r d e s j e u n e s gen s qui s ’e m p r e s s a ie n t d ’a c c o u r ir à l’app e l qui le u r était fait, et s u r to u t p a r l’in t é r ê t q u e S. M. v o u la it bie n y p r e n d r e en a c c u e illa n t d a n s se s sa lo n s, n o n s e u le m e n t le s officiers, m a is b o n n o m b r e de g e n d a r m e s d ’o rd o n n a n c e q u e le u r n o m et le u r é d u c a tio n r e n d a ie n t dignes de c e t h o n n e u r . L es p e r s o n n e s c o m p o s a n t la c o u r de l ’I m p é r a tric e étaien t le j e u n e p rin c e N apoléon, âgé de q u a t r e a n s , sa m è re la r e in e de H ollande, la p r in c e s s e S té p h a n ie de Bade, n iè c e de l’Im p é r a tric e , Mme de la R o c h efo u ca u ld , dam e d ’h o n n e u r , Mme d ’A rb e rg et sa fille, M esdam es de M o n tm o r e n c y , d e M o rtem art, de T u r e n n e et de Bouillé, la m a r é c h a le B e rn a d o tte , p r in c e s s e de P o n te-C o rv o , la m a ré c h a le L a n n e s, la m a r é c h a le D uroc, Mmo de Broc n ée A ug uié, Mlles de B o u r jo ly e t Cochelet, Mm0 de S aint-H ilaire, p r e m iè r e f e m m e de c h a m b r e , M. de T a lle y r a n d , p rin c e de B é név e nt, M. d ’Harville, che v alier d ’h o n n e u r , le g én é ral O rd e n er, p r e m i e r é c u y e r , les c h a m b e lla n s de B éarn et D u m a n o ir, les p ag e s de Castille, X ain lra ille s, de M arescot e t Duval de B e aulieu , et M. D esc h am p s, s e c ré ta ire > d e s c o m m a n d e m e n ts . SÉJOUR A MAYENCE. - 1 806. ni Il y avait, to u s les so ir s , r é u n i o n d a n s les sa lons de l ’I m p é ra tric e q u i faisait r é g u l i è r e m e n t sa p a rtie de w h ist, a p rè s la q u elle S. M. avait l’h a b itu d e de tir e r les c a rte s, tan dis q u e , d a n s u n g r a n d salon, on dansait, on jo u a it des ch a ra d e s e t q u elq uefois d es c o m é d ie s ; alo rs, c ’é ta ie n t des jo ie s , des tr é p i g n e m e n ts , d es cris q u i s o u v e n t n é c e s s ita ie n t la p r é se n c e de l ’I m p é r a tric e p o u r r é c la m e r u n p e u m o i n s de b r u i t ; on ce ssa it u n m o m e n t p o u r r e c o m m e n c e r de p lu s belle, et to u s le s jo u r s il e n était ainsi. Un soir, l ’I m p é r a tric e , qui m e c o m b la it de b o n té s e n s o u venir de son a n c ie n n e liaison avec m a m è r e , à qui je devais m o n grad e et de qu i p lu s ta r d m o n frère o b tin t la m ê m e faveur, u n soir, dis-je, S. M., a p r è s avoir te r m in é son w h is t m e dit, en m e m o n t r a n t u n fauteuil : « H ippolyte, m e t tez-vous là, je vais tir e r les c a r te s » ; p u is, ap rè s les avoir bien m ê lé e s et m e le s avoir fait c o u p e r p lu s ie u r s fois, les é t e n d a n t s u r la ta b le, elle s ’é c rie t o u t à co u p : « G rande n ouv elle! Victoire in c ro y a b le ! — Ce n ’e s t p o in t é to n n a n t, d is-je ; si M adam e v oit u n c o m b a t o ù e s t l ’E m p e r e u r , il e s t é v id e n t q u ’il d oit y avoir u n e victoire. » P u is , r e c o m m e n ç a n t son je u : « E n c o r e u n e v ictoire, » dit-elle, et, m ê la n t les ca rtes : « C’e s t si b e a u , ajo u ta-t-elle, q u ’il fa u t s ’e n te n ir là ; allez d a n s e r. D em a in, n o u s a u r o n s d u n o u v e a u . » U ne dem ih e u r e n e s ’était p as p as sée q u ’u n h u iss ie r, o u v r a n t les d eux b a t ta n t s de la p o r te du salon, a n n o n c e u n page de l ’E m p e r e u r . Le j e u n e d ’E sp in a y , c r o tt é j u s q u ’à l ’éc hine , p la ce s u r son c h a p e a u u n e p e tite le ttr e s a n s en v e lo p p e et, plia n t le g e n o u , la p r é s e n te à l ’Im p é r a tric e . C’était l ’a n n o n c e de la c é lè b re vic to ire d ’Iéna. « Eh b ie n ! d it S.M. e n m e re g a rd a n t, au rez-vous foi d a n s m e s c a r te s ? — Oui, Madame, r é p o n d isje , m a is e n c o re p lu s d a n s le s su c cè s de l ’E m p e r e u r . » Ce pré c ie u x chiffon de p a p ie r q u e n o u s avons to u s t e n u d a n s n o s m a in s n e r e n f e r m a i t q u e ces lig n e s p r e s q u e in d é ch if- 11-2 SOUVENIRS MILITAIRES. rab le s : « Ma c h è r e J o s é p h in e , n o u s avons j o i n t l ’a r m é e p r u s s ie n n e , elle n ’e x iste p lu s, j e m e p o r te b ie n e t te p r e s s e s u r m o n c œ u r. » P u i s , u n e sig n a tu re illisible. J e p u is affir m e r s u r l’h o n n e u r q u e to u t ce q u ’on v ie n t de lire e s t de la p lu s exacte v érité. J ’a j o u te r a i m ê m e q u e, q u e l q u e s j o u r s a p rè s, a y a n t d it à l ’I m p é r a tric e q u e ce f o rtu n é billet se ra it u n tr é s o r p o u r c e lu i qui le p o s s é d e r a it, S. M. le fit c h e r c h e r dan s l ’i n te n tio n de m e le d o n n e r et q u ’o n n e p u t le r e tr o u v e r . Il était à p e u p r è s onze h e u r e s d u s o ir lo rsq u e ce tte b o n n e n o u v elle arriva. L ’I m p é r a t r ic e d it à d ’E s p in a y de p r e n d r e des v ê t e m e n ts à u n de se s c a m a r a d e s et de ven ir d a n s e r s’il n ’é ta it pas fatig u é; p u i s , à u n e h e u r e d u m atin ; r e v ê tu de se s g r o s s e s b o tte s e t de s o n h a b it c ro tté , il r e m o n t a à cheval p o u r p o r t e r à l ’E m p e r e u r la r é p o n s e de so n a u g u s te ép o u se. T o u te s ces jo ie s , ces fêtes e t ces p la isirs é ta ie n t loin de n u ir e à l’o b je t p r in c i p a l d o n t n o u s étio n s o cc u p és . Les jo u r n é e s e n tiè r e s é ta ie n t e m p lo y é e s à l ’o rg a n is a tio n d u co rp s, à l ’in s tru c tio n , aux é q u i p e m e n ts , enfin à p r é s e n t e r d a n s le p lu s b r e f délai p ossible u n é c h an tillo n d e s Gen d a r m e s d ’o r d o n n a n c e . E n effet, la t ro c o m p a g n ie c o m p l è t e m e n t org an isé e et d a n s u n e te n u e p arfaite, le m a ré c h a l K e lle r m a n n r e ç u t u n o r d r e é m a n é d e l ’E m p e r e u r de la d ir ig e r s u r B e rlin ; e t ce f u t l e i d é c e m b r e 1806 q u e le c o m te de M o n tm o re n c y se m it en m a r c h e à la tê te de sa tr o u p e e t p a s s a le R h in, a p rè s av o ir été h o n o r é d es s o u h a its et d es a d ie u x de l ’I m p é r a tric e. Q u elq u e s j o u r s ap rè s, S. M., d a ig n a n t se r e n d r e à l ’invi ta tio n d u P rin c e p r im a t, p a r t i t p o u r F ra n c f o rt et m e fit l ’h o n n e u r de m e d é s ig n e r p o u r r e m p l i r le s fonctions d ’é c u y er. SÉJOUR A MAYENCE. — 18 0 6. 113 Dans sa voitu re se- tro u v a ie n t' les d eux p r in c e s s e s et Mme de La R o c h e f o u c a u ld , u n pag e et m o i à cheval aux d e u x p o r tiè r e s ; la suite se c o m p o s a it de d e u x v o itu r e s : d a n s l ’u n e, Mmes D uroc, de M o rtem art, de B roc et Mlle de B o u r jo ly ; dan s l’a u t r e , Mme de S aint-H ilaire, M M .d e B é a rn , d ’A rberg, D e sc h a m p s et X ain tra ille s ; p u is MM. de N orvins e t de la B é doyère e u r e n t l 'h o n n e u r d ’être invités à suivre Sa Majesté. Une d e m i-lieu e a v a n t d ’a rr iv e r à F ra n cfo rt, v in g t-c in q cavaliers d a n s u n e f o rt b elle te n u e et u n e n o m b r e u s e m u s i q u e e s c o r tè r e n t l’I m p é r a tric e , d o n t l’e n tré e se fit au b r u i t du c a n o n et au ca rillo n d e s cloche s. Le P r in c e r e ç u t S. M. au bas de so n palais, et, p e n d a n t trois jo u r s , ce ne f u r e n t q u e fêtes, galas, sp e cta cle s et bals où se d é p lo y a le p lu s g r a n d luxe. A n o tr e r e t o u r à Mayence, j e trouvai m o n frè re , arrivé de la veille p o u r p r e n d r e rang, c o m m e offi cier, d a n s la 3e com pag nie. VII E N T R É E EN C A M P A G N E — PR E M I E RS C O M B A T S La d e u x i è m e co m p a g n ie , forte de 150 h o m m e s m o n té s e t é q u ip é s d ’u n e m a n iè r e r e m a r q u a b le et s o u s les o r d re s du c o m te d’A rberg, t a p ita in e , B édoy ère et m oi, q u itt a de N orvins, Ju ig n é , La M ayence e t se s p la isirs, le 3 ja n v i e r 1807, p o u r se dirig e r s u r Berlin, avec l ’o r d r e de d é t r u i r e des b a n d e s de p a rtisa n s h e s s o is placés s u r ce tte r o u te d a n s l ’i n te n tio n d ’e n le v e r les convois et d ’a t ta q u e r le s d é t a c h e m e n ts isolés qu i se r e n d a ie n t à l’a r m é e . N ous v în m e s ce m ê m e j o u r c o u c h e r à F r a n c f o rt; le le n d e m a in , d a n s le m a u v a is village de N ô h e im ; le 5, n o u s fîm es n o tr e j o n c tio n , d a n s la p e tite ville de Giessen, avec d e u x R é g im e n ts de P a ris et q u a t r e p iè c e s d ’a rtillerie d o n t la d e s tin a tio n était le siège de Dantzig. Le 6, j e c o m m a n d a is avec iO c h e v a u x l’av a n t-g a rd e de ces tr o u p e s , n o u s d iri g e a n t s u r M arbourg, ville assez forte et le foyer de l ’i n s u r re c tio n ; lo r s q u e n o u s y a r r iv â m e s, elle était o c c u p é e p a r u n r é g im e n t italien q u i e n avait chassé l ’e n n e m i a p rè s lui av o ir tu é b e a u c o u p de m o n d e . Le 7, av a n t d ’a rr iv e r à Z w este n , n o u s f îm e s q u in z e p r is o n n ie r s qui f u r e n t fusillés en les t r o u v a n t m u n i s de p lu s i e u r s sacs e t vfusils français. Le 8, n o u s a r r iv â m e s à Cassel, belle capitale, ENTRÉE EN CAMPAGNE. — 180t. 118 s o u s les o r d re s d u g én é ral de division L ag ra n g e , qui in v ita à d în e r le s officiers de la 2° c o m p a g n ie ; n o u s y a t t e n d î m e s d e u x j o u r s le s F u silie rs de la Garde im p é riale , n o u v e a u et s u p e r b e r é g im e n t avec le q u e l n o u s devions m a r c h e r . Le 10, e n a r r iv a n t à G œ tting e n, ville c é lè b re p a r s o n u n iv e rs ité , j ’eu s u n e d is c u s s io n assez vive avec l’officier d e s F u s ilie r s de la G arde, c h a rg é de l ’é ta b li s s e m e n t de so n r é g im e n t, qui, bie n q u ’a rriv é ap rè s m o i, p r é t e n d a i t a v o ir la p r io r i té p o u r la d istrib u tio n d e s lo g e m e n ts. C ette affaire, qui p o u v a it d e v e n ir d ’u n e g r a n d e gravité e n t r e les d e u x c o r p s , se t e r m i n a p a r u n duel d a n s leq u el j e blessai l é g è r e m e n t m o n a n ta g o n is te d ’u n co u p de s a b r e s u r la t ê t e ; ce b ra v e officier r e c o n n a is s a n t n o b le m e n t ses to r ts , n o u s n o u s d o n n â m e s la m a in et, le soir, u n p u n c h r é u n i s s a n t les officiers d e s d e u x co rp s, n o u s c i m e n t â m e s u n e a m itié d o n t les p r e u v e s, ain si q u ’o n le v e rra , ne se d é m e n t i r e n t ja m a is . Le 11, n o u s p r im e s s é jo u r à la p etite ville de D u d e r s ta d t afin d ’éviter les e n c o m b r e m e n t s et la is s e r aux F u s ilie rs de la Garde u n j o u r de m a r c h e s u r n o u s . Le 13, E llerich. Le 11, n o u s t r a v e r s â m e s les m o n ta g n e s d u Ilartz p a r u n t e m p s é p o u v a n ta b le, et n ’a r r iv â m e s q u e fo rt t a r d à E lb in g e ro d ; le le n d e m a in , ap r è s avoir p a r c o u r u u n e pla in e m a g n ifiq u e, n o u s a t te i g n îm e s la ville d ’H a lb e r s ta d t, o ù l ’on voit s u r u n e place la sta tu e c o lo ssale de R oland. Le 15, la jo u r n é e é t a n t trè s forte, n o u s f îm e s u n e h alte p r è s d ’u n c o u v e n t de re li g ie u ses d is t a n t d ’u n q u a r t d ’h e u r e de la r o u t e ; ces s a in te s filles, effrayées d ’a b o r d â n o tr e aspec t, f u r e n t b ie n tô t r a s s u r é e s p a r n o s m a n i è r e s et n o u s offriren t le p e u de p ro v isio n s q u ’elles p u r e n t m e ttr e à n o tr e d isp o s itio n , q u e n o u s p a y â m e s a m p le m e n t d a n s le tro n c des p a u v re s, A n o tr e d é p a rt, l’on n o u s p r o m it force priè re s , ta n d is 116 SOUVENIRS MILITAIRES. q u ’en m o n p a r tic u lie r , j ’en faisais de b ie n s in c è r e s p o u r q u e ces vie rge s d u S e ig n e u r n ’e u s s e n t ja m a i s de p lu s f â c h e u se s v isites qu e le s n ô t r e s . .. Le soir, n o u s c o u c h â m e s à W a n z l e b e n et le le n d e m a in à Magdebourg, située s u r les b o r d s de l ’Elbe, fleuve large et p r o fo n d . Cette ville, u n e d es p lu s f o rte s p la c e s de l’A llem agn e, vive m e n t a tta q u é e p a r le m a ré c h a l Ney, à la su ite de la victoire d ’Iéna, capitula» le 8 n o v e m b r e 1805; la g a r n is o n qui d u t défiler d e v a n t le v a i n q u e u r se c o m p o s a it de 22000 h o m m e s , 20 g é n é r a u x , 800 officiers e t 2000 a r t i l l e u r s ; o n y p rit 54 d ra p e a u x , 5 é t e n d a r d s , p r è s de 800 piè c e s de c a n o n et u n i m m e n s e m a té r ie l. E n v is ita n t les forlifications de c e tte ville, et p e n s a n t a u n o m b r e de se s d é fe n s e u r s , je m e disais q u ’il fallait q u e la t e r r e u r d es P r u s s i e n s ait été p o u s s é e j u s q u ’à ses d e r n i è r e s lim ite s p o u r m e t t r e b as les a r m e s avec d ’a u s si p u is s a n ts m o y e n s de défense. Le 'séjo u r q u e n o u s fîm e s à M agdeb ourg m e p r o c u r a la sa tisfa c tio n de faire c o n n a is s a n c e avec la m a ître ss e du j e u n e p rin c e H en ri de P r u s s e , tu é à Iéna. Cette belle et r a d ie u s e p e r s o n n e , to u t en disa n t q u ’elle r e g r e tta it son a m a n t, n ’en p r o u v a it p a s m o in s ses viv es s y m p a th ie s p o u r les F ra n ç a is ... La j o u r n é e d u le n d e m a in f u t loin de r e s s e m b le r à celle de la veille; la p e t i t e ville de Z iegar, o ù n o u s a r r iv â m e s de b o n n e h e u r e , élait p long ée dan s la s t u p e u r la p lu s affreuse p a r u n e m a lad ie contag ie u se q u i faisait des ravages é p o u v a n ta b le s , ce q u i d é t e r m in a le c a p ita in e d ’A rb e rg à faire b iv o u a q u e r la tr o u p e en d e h o r s de ce tte m a l h e u r e u s e cité m a lg ré u n froid excessif. 11 fit p o r te r d es vivres et d u bois en a t t e n d a n t i m p a t i e m m e n t la p o in te d u j o u r pour n o u s é lo ig n e r de ce tte fu n e ste in fluence à laquelle, f o rt h e u r e u s e m e n t , n o u s é c h a p p â m e s to u s p o u r a lle r p r e n d r e gite à B ra n d e b o u r g , ville^ assez c o n s id é r a b le , m a is m a l b âtie, d ’o ù n o u s f û m e s d a n s le PASSAGE A BERLIN. — 1 807. m a u v a is village de Zevio avec la co n s o latio n d ’a rr iv e r le l e n d e m a i n a u lieu de n o tr e d e s tin a tio n p ro v iso ire. Le 22, n o u s finies n o tr e e n tré e à Berlin, où n o u s a tte n d a ie n t nos c a m a ra d e s de la l r° co m p a g n ie , d o n t n o s c h e v au x p a r t a g è r e n t les m a g n ifiq u e s é c u r ie s des C hevaliers-G ard es du roi de P r u s s e et n o s h o m m e s logés en ville. Mon p r e m i e r soin f u t d ’a lle r m e p r é s e n t e r chez le g é n é ra l Clarke, g o u v e r n e u r de la ville, p o u r le q u el j ’avais u n e le ttr e de l ’I m p é r a tric e , et son é t o n n e m e n t fut égal au m i e n en d isa n t q u ’e n m e r e c o m m a n d a n t d ’une m a n iè r e p a r tic u liè r e , Sa Majesté le c h a r g e a it de m e p r o c u r e r u n cheval à m o n choix. Alors, je fis co n n a ître au g én é ral les re la tio n s in tim e s q u i a va ie nt existé ja d is e n tre la famille de B e a u h a rn a is e t la m ie n n e , et q u e , p eu de j o u r s ava n t m o n d é p a rt, a y a n t e u l ’h o n n e u r d ’a c c o m p a g n e r Sa Majesté à Mayence, elle m ’avait dit, e n v o y an t m o n cheval tr è s fatigué, q u ’elle m ’e n d o n n e r a it u n , ce qu e j u s q u ’alors j ’avais c r u oub lié . L’accu e il d u g én é ral fut on n e p e u t p lu s b ienveillant, il m ’offrit place d an s son palais et à sa ta ble. Le le n d e m a in , j ’e u s le choix d ’u n m ag n ifiq u e c h e val, o u de d eux p lu s p etits d u m ê m e prix, ce q u e j ’ac ce pta i avec d ’a u t a n t p lu s d ’e m p r e s s e m e n t qu e j ’en avais laissé u n à G œ tlin g e n g r a v e m e n t m a la d e , et p r o b a b le m e n t m o rt. Le s u r le n d e m a in , le g én é ral, a llan t à C h a rlo tte n b o u rg p a s s e r e n re v u e u n e légion p o lo n a ise , m e p ro p o s a de l ’a c c o m p a g n e r, ce q u e je fis avec d ’a u t a n t p lu s de plaisir qu e cela m e p r o c u r a la satisfaction de v isiter ce tte m a g n i fique r é s id e n c e ro yale. Il m e s e ra it facile de r e tr a c e r ici t o u t ce q u ’il y a de bea u , d ’in té r e s s a n t et de c u r ie u x dans c e tte belle ville de Berlin. Mais j e laisse ces d étails aux n o m b r e u x c o m p a g n o n s de voyage qui m ’a c c o m p a g n e n t et q u i s ’en t i r e r o n t m ie u x q u e m oi, 118 SOUVENIRS MILITAIRES. « Berlin, le 25 janvier 1807. « J e vais, c h e r frè re b ien -aim é, m e t t r e m a p l u m e en r o u te p o u r r a p p r o c h e r , s ’il e s t p o ssib le , le s 143 lieues q u i n o u s s é p a r e n t, doiit t u p o u r r a s su iv re la m a r c h e p a r le jo u r n a l c i-jo in t. Mais, avant de te d o n n e r d es d étails s u r n o tr e j p o s itio n p r é s e n t e , j ’ai à r é c la m e r de toi un aveu s u r le q u e l t u a u r a is d û te faire u n cas de co n s c ie n c e a u m o m e n t de n o tr e sé p a r a tio n , et d o n t le h a s a r d m ’a fait p r e n d r e c o m m i s s a i r e . Le p r e m i e r j o u r de n o tr e m a r c h e , a r r iv a n t à F ra n c fo rt, n o u s e û m e s , N orvins, La B é do yère et m o i, l ’idée d ’a l le r offrir n o s r e s p e c t u e u x h o m m a g e s au P rin c e p r i m a t qu i avait été si b ie n v e illa n t p o u r n o u s, lo rs d u voy age de l ’I m p é r a t r ic e , et, à c e t effet, j ’envoyai m o n d o m e s tiq u e p r e n d r e m a m a lle a u f o u rg o n de la c o m p a g n ie afin de m e vêtir c o n v e n a b le m e n t. Mais, quelle n e fut pas m a su r p ris e , en l’o u v r a n t, de s e n tir u n e o d e u r de v é tiv e r m e r a p p e la n t de bien d o u x m o m e n ts , e t de t r o u v e r , to u t a u fond de m a m a lle , u n p a q u e t s o ig n e u s e m e n t e nve lo ppé , r e n f e r m a n t u n m agnifique châle de c a c h e m ir e n o ir , p lu s u n m o u c h o i r b ro d é , tr è s c o m p r o m e t t a n t p a r le chiffre et la c o u r o n n e , e t u n p e t it p a p ie r s u r le q u e l é t a it é c r it : « Moyen de se g a r a n tir d u froid ». Ce ch â le , j e l ’avais re f u s é d e u x j o u r s ava n t m o n d é p a r t, to u t e n té m o ig n a n t m a r e c o n n a is s a n c e d ’u n au ssi préc ieu x c a d ea u , m a is , p o u r q u ’il se tr o u v e d a n s m a m a lle , toi seul p e u x l ’y av o ir m is av a n t q u e j e l ’eu sse fe rm é e , e t l ’on d e v a it t ’avoir d é f e n d u de m e le d ire. J e l ’ai d o n c g a rd é et m ’e n su is servi afin de m e c o n f o r m e r à la p r e s c rip tio n de q u i de d roit, te c h a r g e a n t de d ire ce q u e je n ’oserais éc rire , m a is te r e c o m m a n d a n t u n s ile n c e a bsolu, le con\ tr a ire p o u v a n t av o ir les c o n s é q u e n c e s les p lu s g r a v e s ; PASSAGE A BERLIN. — 1801. lift q u a n t a u m o u c h o ir , je l ’ai b r û lé p o u r en c o n s e r v e r les cendres. « M aintenant, j e vais t ’e n t r e t e n i r s u r le p r é s e n t e t l ’e s p é r a n c e de l’a v e n ir ; q u a n t au pa s sé , t u y v e rra s, q u e n o u s av ons fait u n e m a r c h e assez d és ag réa b le p a r l e froid e x c e s sif q u i n ’a cessé de n o u s p o u r s u iv r e et que la m o n o to n ie de n o tr e r o u te a été tro u b lé e d e u x fois, p o u r m o i, d ’une m a n iè r e assez f â c h e u s e : la p r e m i è r e e n m e t r o u v a n t c o n tr a i n t d ’a b a n d o n n e r u n de m e s ch evaux confié à la gard e d u c o m m a n d a n t de place de G œ ttin g e n avec p e u d ’es p o ir d e le re v o ir j a m a i s , et la se c o n d e p a r u n d u el d o n t je m e su is f o rt h e u r e u s e m e n t tiré. « R e la tiv e m e n t à la le ttr e d o n t j ’étais p o r te u r p o u r le g é n é ra l Clarke, j ’ai feint d ’ig n o r e r so n c o n te n u et j e lui ai fait c o n n a ître le m o tif de la f av e u r d o n t j ’étais l’objet. Il p a r a ît q u e n o tr e s é jo u r à B erlin doit être de c o u r te d u r é e , et d ’a p r è s ce q u e je v ie ns d ’a p p r e n d re , n o u s s e r o n s dirigés s u r la P o m é r a n ie ainsi q u e les F u s ilie rs de la Garde, afin d ’y rec ev o ir n o tr e b a p t ê m e de feu av a n t d ’a p p r o c h e r de l’E m p e r e u r . Ce se ra u n b o n p r é c é d e n t d o n t n o u s s o m m e s to u s tr è s satisfaits, a y a n t l’in tim e con victio n q u e n o u s m é r i t e r o n s c e t h o n n e u r ; m a is, ce qui m e c h a g r in e b e a u c o u p , c ’est q u e la co m p a g n ie d o n t t u fais p a r tie n e soit po in t avec n o u s . Au re s te , to u t p o r te à cro ire q u e n o u s n ’en s o m m e s e n c o r e q u ’a u p r e m i e r acte d u g r a n d d r a m e qui se j o u e , et q u e le se co n d avec les b a r b a re s d u N ord n o u s p e r m e ttr a d ’y p r e n d r e p a r t ; ainsi d onc à b ie n tô t. » Le g én é ral Clarke, in f o rm é q u ’u n c o r p s c o n s id é ra b le de p a r tis a n s , s o u s les o r d re s d u m a jo r p r u s s ie n Schill, p a r c o u ra it le pay s p r o té g é p a r l’Oder, dirigea des tr o u p e s s u r les d e u x riv es de ce fleuve, e t fit p a r ti r le c o m te de M o ntm o r e n c y avec les d eu x c o m p a g n ie s de G e n d a rm e s d ’o r d o n 120 SOUVENIRS MILITAIRES. n a n c e e n Ini p r e s c r i v a n t de jo in d r e l’e n n e m i et de le p o u r su iv r e s a n s r e lâ c h e . A cet effet, n o u s q u itt â m e s B erlin le 7 fé v rie r, et n o u s v în m e s n o u s é ta b lir la n u i t à B ornau , p e tite ville d ista n te de six lie u e s de la capitale. Le le n d e m a in , n o u s a r r iv â m e s, a p r è s six h e u r e s de m a rc h e , à Neus ta d t évacué le m a tin p a r l ’e n n e m i. Le 9, n o u s fîm e s dix lie u e s p o u r a tte i n d r e la ville d e S c h w e d t situ ée s u r l ’Oder, m a is sa n s p o ssib ilité de p a s s e r s u r l’a u t r e rive, les b a r q u e s a y a n t été en le v é e s p a r l ’e n n e m i d o n t n o u s v o y io n s les feux. Q u elq u e s c o u p s de fusil f u r e n t tir é s de p a r t et d ’a u tre sa n s r é s u lt a t. Dès la p o in te du jo u r , n o u s m a r c h â m e s s u r Garz, t o u j o u r s à la p o u r s u ite de Schill se re p lia n t avec sa t r o u p e s u r la P o m é r a n i e afin de faire sa jo n c tio n avec u n co rp s p r u s s ie n . Le 11, n o u s a rriv â m e s à S tettin , ville trè s f o rte s u r l ’O der, qui c a p itu la sa n s ré sis ta n c e a p r è s la b ataille d ’Iéna, à l ’a s p e c t d u 3° e t d u 7e H u s s a rd s so u s les o r d r e s d u g é n é r a l Lasalle, bien q u e cette f o rte re sse fût d éfe n due p a r 160 pièces de c a n o n , 6 000 h o m m e s et p l u s ie u r s g é n é ra u x , effet du d é c o u r a g e m e n t p r o d u it p a r la d isp a ritio n de la g r a n d e a r m é e p r u s s ie n n e . Le g o u v e r n e u r de ce tte place était le g én é ral T h o u v e n o t, a y a n t s o u s ses o r d r e s p lu s i e u r s r é g im e n ts d ’in fanterie fra n ça is et italiens d e s tin é s à s ’e m p a r e r de la P o m é r a n i e e t de la ville de C olberg s u r les b o r d s de la m e r B altique. » Devaut Colberg, le 22 m ars 1807. « J e t ’a n n o n c e r a i avec b o n h e u r , c h e r H en ri, q u ’enfin n o s h a b its et le tr a n c h a n t de n o s s a b re s s o n t c o n n u s de l ’e n n e m i ; aussi, l ’a r d e u r, l ’e n t h o u s ia s m e et la b r av o u re de n o s j e u n e s c o m p a g n o n s font l ’a d m ir a tio n des tr o u p e s . Il s e ra it c e p e n d a n t à so u h a ite r, de le u r p a r t, u n p e u p lq s de c a lm e et de sa n g -fro id , car le co n tra ire p e u t avoir les c o n sé q u e n c e s les p lu s f âc h eu se s, ainsi q u e cela e s t déjà arrivé c o m m e t u le v e r r a s p lu s ta rd . « N otre re p o s à S te ttin d u r a it d e p u is cinq j o u r s , lo r s q u e , d a n s la n u i t du 16, le g é n é ra l r e ç u t l’avis q u e le 4° r é g i m e n t ita lie n, a tta q u é p a r des fo rc e s tr è s s u p é rie u r e s , avait été c o n tra in t, to u t e n se b a t t a n t v a illa m m e n t, de q u itt e r la p o sitio n q u ’il occupait. A ce tte nouvelle, le g én é ral fit a u s s itô t p a r ti r le s F u s ilie r s de la G arde, p lu s ie u r s piè ce s d ’a r tillerie et les G e n d a rm e s d ’o r d o n n a n c e afin de re n f o rc e r la d iv isio n du g é n é r a l T eulie. N ous e û m e s à p a r c o u r ir dix lie u e s p a r u n froid excessif, d e s c h e m in s effondrés a r r ê t a n t à t o u t i n s t a n t la m a r c h e de n o tr e artillerie. Enfin, ac c a b lé s de fatigue, n o u s a r r iv â m e s de n u i t à la p e tite ville de Maskow e n c o m b r é e de ble ssé s d u c o m b a t de la veille, qu i n o u s a p p r i r e n t q u e le gén é ral de b r ig a d e Bonfanti av ait r e p ris sa p o sitio n , m a is q u e, l ’e n n e m i s ’é ta n t c o n s i d é r a b le m e n t r e n f o rc é , il avait b e s o in d un p r o m p t se c o u rs. Ces d étails o b te n u s p ar u n c h e f de b ataillo n d u 4° italien q u i avait u n e b le s s u r e assez grav e firent s e n tir la n é c e s sité de n o u s r e m e t t r e en m a r c h e le p lu s v ite possible. C e p e n d a n t les h o m m e s et les c he vaux av a ie n t b e s o in de n o u r r i t u r e e t d ’u n p e u de repo s, n o u s q u itt â m e s Maskow à u n e h e u r e de n u it, f o rt h e u r e u s e m e n t éclairés p a r un e l u n e re s p le n d is s a n te . A cinq h e u r e s , le l i e u te n a n t Pital et le m a r é c h a l d e s logis d ’A lbignac f u r e n t d é ta c h é s s u r n o t r e d ro ite , avec v in g t-c in q g e n d a r m e s d o r d o n n a n c e , ta n d is q u e M. de M o n tm o re n c y p r e n a i t avec sa tro u p e , la tê te de la co lo n n e. N ous m a r c h â m e s ainsi d e u x h e u r e s , lo r s q u e n o u s e n t e n d îm e s d e s feux de p e lo to n tr è s r a p p r o ch é s de n o u s , in d iq u a n t que le gén é ral B o n fan ti devait être a tta q u é . A ussitôt, u n b ataillon de F u silie rs de la Garde se p o r te s u r la g au c h e au p as de c o u r s e , u n a u tre fait le m ê m e m o u v e m e n t à dro ite, les G e n d a rm e s d ’o r d o n n a n c e 122 SOUVENIRS MILITAIRES. e n c o lo n n e p a r q u a t r e p o u s s e n t de l ’a v a n t a u tr o t, ta n d is q u e le r e s te de la c o lo n n e se d év e lo p p e s u r la r o u t e avec les piè c e s e n b a t te r ie s ; to u s ces m o u v e m e n t s , faits avec a u t a n t d ’e n s e m b l e q u e de ra p id ité , d é g a g è r e n t les Italiens p a r la r e tr a i te p r é c ip ité e d es P r u s s i e n s qui la is s è r e n t u n e tr e n t a in e d ’h o m m e s s u r le te r r a i n , s a b ré s p a r l e s G en d a r m e s d ’o r d o n n a n c e . Dès ce m o m e n t, n o tr e j o n c tio n é ta it faite avec le g é n é ra l de division T eulie qui a tte n d a it n o tr e arriv ée p o u r c h a s s e r les P r u s s i e n s de la P o m é r a n i e . « N o u s p r îm e s u n r e p o s de d e u x h e u r e s , a p r è s le q u e l la div is io n se m it en m a r c h e d a n s la d ir e c tio n d e N e u g a rd te n , ville de q u a t r e à cin q m ille â m e s , s itu é e a u m ilie u d ’u n e p la in e m a r é c a g e u s e e n t o u r é e de b o is et d éfe ndue p a r u n fort q u i la d o m in a it, d a n s le q u e l se t r o u v a i t u n e g a r n is o n de d e u x m ille h o m m e s b ie n a p p r o v is io n n é s , e t d o n t les r e m p a r t s é t a ie n t g a rn is d ’artillerie . Ce p o ste é ta it d ’a u t a n t p lu s es se n tie l q u e , p la cé s u r la r o u te de Colb e r g à S te ttin , il était d e la p lu s h a u t e im p o r ta n c e de s ’en e m p a r e r a v a n t de p é n é t r e r d a n s la P o m é r a n i e d o n t c’éta it la clef, a u t r e m e n t le s c o m m u n ic a ti o n s e u s s e n t été in te r c e p té e s . L o rs q u e n o u s a r r iv â m e s e n vu e de c e tte place, le g é n é ra l Teulie, p r è s d u q u e l j ’étais de service avec q u a tre g e n d a r m e s d ’o r d o n n a n c e , d isp o s a ses t r o u p e s de m a n iè r e à e m p ê c h e r l ’a p p r o c h e de P e n n e m i d u d e h o r s ; p u is il r e c o n n u t q u e la f o rte r e s s e d o m i n a n t la ville éta it sa n s r e t r a n c h e m e n t s e x té rie u rs, m ais e n t o u r é e de fo ssés larges et p ro fo n d s, d o m in é s p a r d es ta lu s r a p id e s n o u v e lle m e n t gaz o n n é s . Des m a d r i e r s , d e s p la n c h e s , d e s a rb r e s , fu re n t a p p o r té s p o u r fra n c h ir les fossés. Deux d e m e s g e n d a r m e s d ’o rd o n n a n c e , les s ie u r s Massa et de G u erre , y travail lè r e n t avec la p lu s g ra n d e a r d e u r , m a lg ré le feu in c e s s a n t de l ’e n n e m i qui d éjà n o u s avait tu é u n e dizaine d ’h o m m e s . L o rs q u e le g é n é r a l vit u n c o m m e n c e m e n t de DEVANT COLBERG. - 18 07 . 123 p a s s a g e établi, il m e ch a rg e a d ’a lle r c h e r c h e r u n b atail lo n de F u s ilie rs de la Garde p o u r c o m m e n c e r l ’ac tio n : « A llons, m e s en fa n ts, dit le co lo n el B o y e r m a r c h a n t en tê te, j e vais v ous m o n t r e r c o m m e n t la Garde im p é ria le en lèv e d es r e tr a n c h e m e n ts . » P u is, il m i t p ie d à t e r r e ; j ’im itai so n e x e m p le ; il p a s s a le p r e m i e r suivi d u se rg e n t S fendier, e t m o i le tr o isiè m e . L a tro u p e, n o u s su iva nt, tr a v e rs e le p a s sa g e a u x cris de : « Vive l ’E m p e r e u r ! » g rav it les ta lu s avec u n e a r d e u r in dicible malgré, le feu m e u r t r i e r de l’e n n e m i q u ’il était u r g e n t d ’a b o r d e r , c a r n o u s avions d éjà b o n n o m b r e de tu é s et de b lessés. Enfin, p a r v e n u s s u r le p o i n t c u lm in a n t, le brave s e r gent, t o u jo u r s en avant, m e d i t : « Allons, m o n officier, il fa u t p a s s e r p a r ce tte e m b r a s u r e p o u r e m p ê c h e r u n se c o n d c o u p de c a n o n . » Je le su is , et, p r o m p t c o m m e l’éclair, il tu e d e u x c a n o n n ie r s avec sa b a ï o n n e tt e ; j ’en b le sse u n d ’u n c o u p de sa b re et les trois a u t r e s se r e n d e n t, n o u s la issa n t m a îtr e s de ce p o s te où a r r iv e n t a u s sitô t p lu s i e u r s h o m m e s p a r m i le sq u els, à m a g ran d e s u r p ris e , se tr o u v e m o n d o m e s tiq u e a r m é d ’u n fusil q u ’il avait r a m a s s é . Ce hrave h o m m e , a y a n t vu m o n cheval é c h a p p é lo r s q u e j ’avais m is p ie d à te rr e , l ’avait r a ttra p é , et confiant les d eux c he vaux a u tr a in d ’artillerie , s ’était élan c é à m a su ite p a r u n s e n t i m e n t de d é v o u e m e n t et éta it a rriv é au m o m e n t o ù n o u s e n t r i o n s p a r l ’e m b r a s u r e de la pièce. Du m o m e n t q u e les h a u t e u r s f u r e n t o c c u p é e s , les d é c h a r g e s de n o s h o m m e s , d o n t le n o m b r e a u g m e n ta it a t o u t in s ta n t, in s p i r è r e n t u n e telle t e r r e u r a u x P r u s s i e n s q u ’ils c h e r c h è r e n t à s ’i n tr o d u ir e d a n s l’in té r ie u r du fo rt où n o u s les p o u r s u iv îm e s la b a ï o n n e tte d a n s les reins. T o u t à coup, a p r è s avoir gravi un e s c a lie r to u r n a n t , j e m e tro u v a i à la p o rte d ’u n e vaste c h a m b r e e n c o m b r é e de ble ssé s e t de f u y a r d s ; ces d e r n ie rs , j e t a n t bas les a r m e s aux cris de nos 124 SOUVENIRS MILITAIRES. so ld a ts q u i les p o u r s u iv a ie n t. Dans ce m ê m e m o m e n t , u n e g r a n d e caisse, b a r d é e de fer, v in t à ê tre d é fo n c é e ; je m ’a p e r ç u s q u ’elle c o n t e n a it de l’a r g e n t ; je m e plaçai d e s su s et, p lo n g e a n t la m a in d e d a n s , j ’en fis la d i s t r ib u t io n a u x b rav e s qui m ’a va ie nt a c c o m p a g n é . La p r ise d u fo rt q u i a u r a it p u te n ir p lu s i e u r s j o u r s , f a u té de p iè c e s de siège, f u t d u e au x b o n n e s d is p o s itio n s d u g éné ral, à l ’éne rg ie du b ra v e co lo nel B o yer e t à l’a r d e u r de sa je u n e tr o u p e d o n t le d é b u t p r o m e t t a i t u n b r illa n t a v e n ir. Au m o m e n t où n o u s n o u s e m p a r io n s du fort, les G e n d a rm e s d ’o r d o n n a n c e f ire n t u n e c h a rg e d a n s la ville s u r 200 f a n ta ssin s r e t r a n c h é s s u r u n e pla ce , qui m i r e n t b as les a r m e s sans ti r e r u n co u p de fusil. Le r é s u l t a t de ce tte affaire fut 1075 p r is o n n ie rs (3 ou 400 é c h a p p è r e n t à la f a v e u r des bois q u ’ils ga g n è r e n t) ; 15 piè c e s de c a n o n et u n d r a p e a u t o m b è r e n t a u s si en n o tr e p o u v o ir avec u n m a té r ie l c o n s id érab le. De n o tr e côté, n o u s e û m e s 2 officiers et 17 h o m m e s tu é s et 60 ble ssé s en g r a n d e p artie p a r la m itraille. Un seul bataillo n de F u s ilie rs de la Garde avait été engagé, p e n d a n t q u e les tr o u p e s r e s ta ie n t en position to u te s p r ê te s à ag ir le cas y éc h é a n t. Le soir, la divisio n b iv o u a q u a en d e h o r s de la ville, e t le g é n é ra l T eulie, a u s si bie n q u e le colonel B oyer, e u r e n t l ’o bligeance de m e faire des c o m p lim e n ts en m e disa n t q u ’ils r e n d r a i e n t c o m p te à l ’E m p e r e u r de m a c o n d u ite . « Le le n d e m a in , o n s ’o cc u p a de d é t r u i r e c o m p lè t e m e n t le fort, et le s p iè ce s f u r e n t e n voyé es à S te ttin ain si q u e le d r a p e a u . Le 21, la divisio n se m i t en m a rc h e , a y a n t p o u r av a n t-g ard e les G e n d a rm e s d ’o r d o n n a n c e . P e u a v a n t d ’a r r i v e r à la ville de P la te n , d e u x forts p elo to n s de cavalerie fu r e n t a u s s itô t ch a rg é s p a r l’a d ju d a n t- m a jo r d ’A lb u q u e r q u e à la tê te de v in gt-cinq g e n d a r m e s d ’o rd o n n a n c e qui les m i r e n t e n d é r o u te , le s p o u r s u iv a n t à tr a v e rs la ville, t u è r e n t 4 h o in m e s e t firent 9 p r is o n n ie r s . DEVANT COLBERG. — 1 807. 125 « Le 21, la ville de T re p to w offrit p lu s de r é sis ta n c e : elle était d é f e n d u e p a r 4 b ataillo n s et 2 piè ce s de c a n o n ; le 3° r é g im e n t italien ne p a r v in t à d élo g er l ’e n n e m i q u ’a p r è s d e u x h e u r e s de c o m b at, où, de p a r t et d ’au tre , il y e u t b on n o m b r e de tu é s et de ble ssés . C ent vingt h o m m e s to m b è r e n t e n tre n o s m a in s ; le soir, les Gen d a r m e s d ’o r d o n n a n c e o c c u p è r e n t la ville et la division r e s ta d e h o r s en position. « Dans la n u i t n o u s f û m e s re n f o rc é s p a r 50 d r a g o n s a r r iv a n t de S tettin. « Le 24, en v o y é en r e c o n n a is s a n c e avec 25 g e n d a r m e s d ’o r d o n n a n c e de l’a u t r e côté de la Réga, s u r le flanc g a u c h e de l ’e n n e m i, n o u s e n t r â m e s s u b it e m e n t dan s la p e tite ville de G reiffenberg où n o u s s u r p r i m e s six cava liers et e n le v â m e s p lu s i e u r s v o itu r e s de blé e t de fourrage q u e n o u s c o n d u is îm e s à la division. Le 24 e t le 25, le s I ta lie n s se p o r t è r e n t en av a n t et la division r e s ta tr a n q u ille . Le 26, la division m a r c h a d a n s la d irec tio n de Colberg, m a is n ’ay a n t de cavalerie q u e les 250 c h e v au x des G e n d a rm e s d ’o r d o n n a n c e e t les 50 d r a g o n s , on était obligé d e r e s te in d r e d e s e x c u r s io n s d o n t les r é s u lta ts e u s s e n t été ava n ta g eu x , t a n t p o u r in q u ié te r l’e n n e m i q u e p o u r se p r o c u r e r d e s vivres et des f o u rra g e s. C e penda nt, le b u t o ù t e n d a it le g én é ral T e u lie était la p ris e de Colberg, d o n t la p o s s e s sio n l ’e û t r e n d u c o m p lè t e m e n t m a îtr e de la P o m é r a n i e : au ssi, d a n s ses r a p p o r ts à l’E m p e r e u r , il d e m a n d a it u n e artillerie de siège et u n r e n f o r t de cavalerie ; m a is, e n a t t e n d an t, il ne c e ssa it de h a r c e le r l ’e n n e m i to u jo u r s avec a v a n tage, m a is n o n sa n s des p e r te s q u ’il e û t été n é c e s s a ir e de r é p a re r. Il p r i t p o sitio n p r è s du village de N essin sé p aré p a r u n r u is s e a u d 'u n e n n e m i qui se m b la it n o u s a t te n d r e avec r é so lu tio n ; au s si étaient-ce de c o n tin u e ls tira ille m e n ts d a n s le s q u e l s n o u s e û m e s p e n d a n t la n u i t tr o is g e n d a r m e s 126 SOUVENIRS MILITAIRES. d ’o r d o n n a n c e b le s s é s e t le je u n e D ablon tu é . Le 6 m a rs , les P r u s s i e n s c r a ig n a n t d ’ê t re to u r n é s se r a p p r o c h è r e n t de Colberg. Le le n d e m a in , les G e n d a rm e s d ’o r d o n n a n c e p o u s s è r e n t u n e r e c o n n a is s a n c e s u r D eg ow ; d e u x e s c a d ro n s p la cé s e n a r r i è r e d e ce village s e m b l a i e n t n o u s a t te n d r e r é s o l u m e n t ; à l e u r a s p e c t to u t e la tr o u p e se m i t à c r ie r : « Vive l ’E m p e r e u r ! En a va nt! En avant! » Le c o m te de M o n tm o re n cy , v o y a n t q u ’il n e p o u v a it r e te n ir c e lte a r d e u r , e n t r e d a n s le village avec la l re com p ag n ie , la is s a n t la 2° en ré s e rv e , m a is à pein e y p é n è t r e - t - i l q u e, de to u s côtés, p a r te n t d e s d é c h a r g e s de l’in fa n te rie e m b u s q u é e p r è s des m a i s o n s ; cin q c h e v au x s o n t t u é s d o n t celui d u capita in e C arion de Nisas, tro is gendarm es d ’o r d o n n a n c e sont b le ssés , m a is M. de M o n tm o re n c y n ’en c o n t in u e p a s m o in s son m o u v e m e n t , ta n d is q u e la 2e c o m p a g n ie se d iv is an t en q u a t r e p e l o to n s e n tre d a n s le village, s a b re l ’in fa n te rie et la m e t dan s le p lu s g r a n d d é s o rd r e ; p uis, se r é u n is s a n t à la 1™, elle a b o r d e la cavalerie avec u n e telle f u r e u r q u e celle-ci c h e r c h e v a i n e m e n t à ré s is te r . P e n d a n t q u e l q u e s m in u t e s , ce f u t u n e m ê lé e affreuse où le c a p ita in e d ’A rberg, C h arles de la B é doyère, d ’A lb u q u e r q u e et n o s j e u n e s c o m p a g n o n s m o n t r è r e n t u n c o u r a g e r e m a r q u a b l e e t q u i finit p a r la fuite p r é c ip ité e de l ’e n n e m i, la is s a n t s u r place n e u f cavaliers t u é s e t s e p t p r i s o n n i e r s . Moins h e u r e u x q u e m e s c a m a ra d e s , m o n cheval s ’é t a n t aba ttu d a n s la cha rge, j e r e s s e n tis u n e te lle d o u le u r d a n s la c u is s e q u e je cru s u n i n s t a n t q u ’elle était c a s s é e ; lo r s q u e j e m e relevai, l ’e n n e m i avait d is p a ru , e t ce fut avec p e in e q u e je p u s r e m o n t e r à cheval. Dans ce m ê m e m o m e n t, arriv ait a u pas de c o u r s e u n e c o m p a g n ie d es F u silie rs de la G arde la n c é e p a r le c o lo n el, e n e n t e n d a n t la fusillade d u village, m a is d é s e sp é ré e d ’a rriv é e tr o p ta rd , a y a n t s e u le m e n t la co n s o la tio n d ’avoir p ris u n e q u in z ain e de f a n ta s s in s q u i fu y aie n t DEVANT COLBERG. — 18 0 7 . 127 d an s la p la in e. N o us e û m e s d a n s c e tte s e c o n d e échauffouré e le g e n d a r m e d ’o r d o n n a n c e de Gratz tu é e t se p t ble ssés . Le c o m te de M o n tm o re n c y e u t son sliako p a rta g é e n d e u x d ’u n c o u p d e s a b re et l ’h a b it d e la B édoyô re fut p e r c é d ’u n e c o u p de p o in te a u -d e s s o u s d u cœ u r. « Le g é n é ra l T eu lie, t o u t en d o n n a n t les p lu s g ra n d s éloges s u r la b r av o u re d es G e n d a rm e s d ’o r d o n n a n c e , b lâ m a le u r a r d e u r i m p r u d e n te et o b se rv a à n o tr e chef, q u ’envoyé e n r e c o n n a is s a n c e , il devait, a v a n t de s ’e n g a g e r d a n s le village, a t te n d r e l ’arriv ée de l ’in f a n te r ie . « Le 8, la d iv ision se m i t en m a r c h e dès la p o in te du j o u r et v in t p r e n d r e position s u r les h a u t e u r s de Z ern in d ’o ù l ’on d é c o u v r a it C olberg à u n e d is ta n c é de d e u x lieues. Celte ville c o n s id érab le, à 24 lieu es de Stettin, placée s u r les b o r d s de la m e r Baltique et à l ’e m b o u c h u r e d e la rivière de P e r s a n te , é ta it e n to u ré e de fortifications en bon état, d éfe n d u e s p a r u n e n o m b r e u s e artillerie et p lu s i e u r s r e t r a n c h e m e n t s n o u v e l le m e n t é ta b lis ; sa g a r n is o n , d isa ito n, était de 5 000 h o m m e s d o n t u n r é g im e n t de cavalerie. A ussi, le g é n é ra l T e u lie en a t t e n d a n t les re n f o rts q u i lui é ta ie n t a n n o n c é s se c o n te n ta de r e s s e r r e r sa p o sitio n de m a n iè r e à év iter to u t e su rp rise. « Ce m ê m e jo u r , arriv a le c h e f d ’e s c a d ro n C h o u a rd en v o y é p a r l ’E m p e r e u r avec o r d r e a u g é n é r a l d ’a t ta q u e r la ville a u s s itô t q u ’il a u r a it r e ç u les piè c e s de siège q u i d e v a ie n t a r r iv e r avec d e u x r é g im e n ts d ’in fan terie et de la ca valerie ; p u is, il lui r e m i t u n b r e v e t d ’officier de la Légion d ’h o n n e u r p o u r le colonel B oyer, et deux de lég io n n aire s, l ’u n p o u r le se rg e n t S fe n d ie r et l ’a u t r e p o u r m o i. Le l e n d e m a in , le géné ral fit m o n t e r a cheval les G end a rm es d ’o r d o n n a n c e et p r e n d r e les a r m e s aux F u silie rs de la Garde, et ce fu t e n le u r p r é s e n c e q u e n o u s r e ç û m e s les in sig n e s d o n t l'E m p e r e u r n o u s avaient h o n o rés. 128 SOUVENIRS MILITAIRES. « Le 12, le c a p ita in e d ’A rb e rg f u t envoyé en exp éd itio n av e c la 2e c o m p a g n ie , 400 h o m m e s d ’in fa n te rie e t u n obusier. N ous n o u s d ir ig e â m e s d ’a b o r d s u r Corlin, o ù n o u s e n t r â m e s de n u i t e t o ù n o u s n e r e s tâ m e s q u e le te m p s n é c e s s a ir e p o u r f r a p p e r le s r é q u is itio n s qui f u r e n t a u s s itô t d irig é es s u r la div ision. P u is, m a r c h a n t s u r Corlin, ville situ ée s u r les b o r d s de la Baltique, n o u s y a rriv â m e s si p r é c i p i t a m m e n t q u e n o u s fîm e s p r is o n n ie r s 80 fan ta s sins et 11 c a v a lie r s ; le r e s te de ce tte g a rn iso n se sauva à la f av e u r des bo is ; n o u s fîm e s de n o m b r e u s e s r é q u i sitio n s de to u te s e s p è c e s et r e v în m e s e n b a l a y a n t les b o r d s de la B altique d es t r o u p e s qui p o u v a ie n t e n tra v e r les c o m m u n ic a t io n s . D ans la n u i t d u 14, le colonel F o n ta n e lli à la tê te d u 3° r é g i m e n t ita lie n , s o u te n u p a r la l re c o m p a g n ie d e s G e n d a r m e s d ’o r d o n n a n c e , a t ta q u a u n r e t r a n c h e m e n t d o n t la défense f u t o p in iâ tre , m a is qui fut enfin enlevé à la b a ï o n n e t t e ; n o tr e cav alerie r a m a s s a 95 p r is o n n ie r s dan s la p la in e . Dans ce b rilla n t c o m b a t, l ’e n n e m i e u t 62 h o m m e s t u é s e t le 3e ita lie n en p e r d i t 16. Le 21, s u r les q u a t r e h e u r e s d u m a tin , u n p o ste de 14 g e n d a r m e s d ’o rd o n n a n c e et 25 v o ltig e u rs ita lie n s, p lacé s u r les b o r d s de la m e r à u n q u a r t de lie u e de Colberg, d a n s u n e p o s itio n très d é s a v a n ta g e u s e p o u r la cavalerie, fut s u b i t e m e n t a tta q u é p a r 200 fa n ta s s in s e t 50 d ra g o n s. Les I ta lie n s se firent j o u r à la b a ï o n n e tt e a p r è s y av o ir la is s é q u e l q u e s - u n s des le u rs . L es G e n d a rm e s d ’o rd o n n a n c e , p lu s e m b a r r a s s é s p o u r faire le u r r e tr a i te , a y a n t u n p e tit p o n t à p a s s e r q u e l ’e n n e m i o cc upait, se b a t tir e n t avec c o u r a g e d a n s le u r d é s a s tr e u s e p o s itio n . A ssaillis p a r p lu s i e u r s d é c h a r g e s à q u in z e pas, tr o is G e n d a rm e s et p lu s i e u r s c h e v au x t o m b è r e n t ; les a u t r e s , se b a t ta n t e n d é s e s p é r é s m a lg r é le u rs b le s s u r e s , f u r e n t enfin obligés de se r e n d r e , m o in s tr o is qui p ar v in r e n t à s ’é c h a p p e r e n a b a n d o n n a n t le u rs chevÉfux, ce GENDARMES APPELÉS PRÈS DE L’E M P E R E U R . 129 s o n t MM. de B rouville, D u b o u rg e t D u b o s c ; les tu é s so n t G irard, D ubois et P a p io n ; les p r is o n n ie r s , le m a ré c h a l des logis de La P la tiè re , P o in c e t, P ages, de F o rg e t, Dub o u cles, de B ussy, Conaple, V o tie r de F ro ta t, to u s griève m e n t ble ssés. Ce d é s a s tr e p o r ta le deuil d a n s le c o r p s ; u n e s o u s c rip tio n fut a u s s itô t o u v e r te p o u r e n v o y e r des se c o u r s a u x m a l h e u r e u x p r is o n n ie rs . 3 200 fra n c s f u r e n t a d r e s s é s a u g é n é r a l L o u s a r d o n , g o u v e r n e u r de Colberg, qui, en a c c u s a n t ré c e p tio n , fit dire q u e les so in s le s p lu s e m p r e s s é s s e ra ie n t p r o d ig u é s à n o s in f o r t u n é s c a m a ra d e s d o n t u n , M. de F ro ta t, é ta it m o r t de ses b l e s s u r e s d a n s la n uit. « Ce m ê m e jo u r , les F u silie rs de la Garde, r e m p l a c é s p a r u n r é g i m e n t de ligne, q u itt è r e n t la division p o u r aile" r e jo i n d r e l ’E m p e r e u r à son q u a r tie r général. « Le le n d e m a in , u n officier p o r t e u r d ’u n o r d r e d u p rin ce de N e u c h â te l p r e s c ri v it a u g é n é r a l T eulie de faire p a r ti r im m é d i a t e m e n t les G e n d a rm e s d ’o r d o n n a n c e p o u r la m ê m e d es tin a tio n . ORDRE « « « « « DU J OUR « G e n d a rm e s d ’o r d o n n a n c e , u n o r d re de S. M. l ’E m p e r e u r et Roi v ous appelle p r è s de sa p e rso n n e , liecevezen m e s félicitations e t le r e g r e t q u e j ’é p r o u v e de m e sépar e r de vous. V ous e m p o rte z l ’e s tim e des tr o u p e s q u e j ’ai l ’h o n n e u r de c o m m a n d e r . V otre h o n o r a b le co n d u ite dan s ce tte c o u r te c a m p a g n e q u e n o u s v e n o n s de faire e t les « p r e u v e s q u e v o u s y avez c o n s ta m m e n t d o n n é e s du p lu s « b rilla n t c o u ra g e , n o t a m m e n t d a n s les jo u r n é e s d u 8 et « du 19, vous s o n t u n s û r g a ra n t de l ’accueil favorable qui « v o u s a tte n d au q u a r t i e r im p é rial. Continuez, et re n d e z « vous to u jo u r s d ig n e s des b o n té s d o n t l ’E m p e r e u r vou s « h o n o r e . Il n e le s fait j a m a i s a t te n d r e à qui sait les m é ri- 130 SOUVENIRS MILITAIRES. « t e r ; v o u s en avez la p r e u v e p a r l ’e m p r e s s e m e n t q u ’il « vien t de m e t t r e à d é c o r e r u n d e vos b r a v e s officiers, e t j e « n e d o u te p a s q u e p lu s i e u r s d ’e n t r e v o u s n ’o b tie n n e n t « te te ee b ie n t ô t c e tte é c la ta n te r é c o m p e n s e . J ’apjorendrai t o u jo u r s avec p la isir vos su c cè s et j ’e s p è r e q u e v o u s c o n se rv e re z q u e lq u e s s o u v e n irs au g é n é r a l qui le p r e m i e r v o u s a g u id é s d a n s u n e c a r r iè r e qui v o u s e s t si b rilla m - « m e n t ouverte,, <e Au quartier général de Tramen, le 22 mars 1807. « Le général cle division : « T eu lie . » ee L es faits s u r le s q u e l s j e v ie n s de t ’e n tre te n ir, m o n c h e r am i, a u r a ie n t p u exiger p lu s de d é ta ils ; m a is je te n a is p r i n c i p a l e m e n t à r e l a t e r ce q u i c o n c e r n e les G e n d a rm e s d ’o r d o n n a n c e ; a u r e s te , u n r a p p o r t tr è s c irc o n s ta n c ié v ie n t d ’ôtre a d re ssé à l ’Im p é r a tric e p a r le c o m te d e M o n tm o r e n c y p o u r p r o u v e r q u e n o u s n e p o u v io n s p e r d r e le s o u v e n i r dé la p r o te c tio n d o n t S. M. avait d aigné n o u s h o n o r e r. Tu v e rra s c o m b ie n le h a s a r d m ’a été favorab le ; j ’e n ai profité, ainsi q u e l ’e û t fait t o u t a u t r e , et la r é c o m p e n s e qui en a été la su ite m e r e n d d ’a u t a n t p lu s h e u r e u x q u e to u s n o s c a m a ra d e s m ’e n o n t t é m o ig n é u n e f ra n c h e et b ie n v eillante satisfaction. « N o us a llo n s n o u s t r o u v e r m a i n t e n a n t d a n s u n e p o si tion t o u t à fait ex c e p tio n n e lle q u i exigera de n o tr e p a r t b e a u c o u p de rése rv e , ca r n o u s n e p o u v o n s d is s im u le r la ja lo u sie d o n t n o u s s e ro n s l’ob je t d e la p a r t de la G arde im p é r ia le q u i c ro ira p e u t - ê t r e v o ir e n n o u s u n c o r p s p r i vilégié, s u r t o u t p a r le g e n r e de service a u q u e l n o u s s o m m e s ap pelés. Je su is c h a r m é d ’a p p r e n d r e q u e la 3° c o m p a g n ie v a b ie n tô t n o u s r e jo i n d r e ; je h â te ce m o m e n t de t o u s m e s v œ u x . Ainsi, à b ie n tô t. » VIII EN S E R V I C E PRÈS DE L ’EMPEREUR Ce f u t le 23 m a r s q u e n o u s q u itt â m e s la division p o u r a lle r c o u c h e r à G rosscrepin, n o tr e p r e m i è r e étape. P e u d ’in sta n ts a v a n t n o tr e d é p a rt, n o u s v îm e s a r r iv e r l ’a rtillerie de siège, si a r d e m m e n t désiré e p a r le g én é ral qui la m it au s sitô t en p o sitio n d ’agir ; aussi, e n t e n d îm e s - n o u s p e n d a n t la j o u r n é e d es d é to n a tio n s c o n tin u e lle s p r o u v a n t q u e Colb e r g était v iv e m e n t a tta q u é . D eux h e u r e s a p r è s n o tr e arrivée a u g îte , u n e s c a d ro n de la n c ie rs p o lo n a is v in t le p a r ta g e r , é t a n t à la p o u r s u ite d ’u n co rp s de p a r tis a n s p r u s siens. Le le n d e m a in , n o u s c o u c h â m e s d a n s la p e tite ville de N e u s te ttin que n o u s tr o u v â m e s plo n g é e d a n s le p lu s g ran d d é s e sp o ir, a y a n t été pillée la veille p a r d e s co m p atrio te s. N o us a p p r îm e s d a n s ce tte n u i t q u e le g é n é ra l T eulie avait été tu é p a r u n b o u le t de canon . Cette m o r t n o u s affligea to u s p r o f o n d é m e n t , et, e n m o n p a r ti c u lie r , j ’en r e s s e n t i s u n e véritable d o u le u r p o u r les m a r q u e s d ’in té r ê t d o n t il venait de m e d o n n e r u n e si g r a n d e p reuve. Le g én é ral T eu lie, âgé s e u l e m e n t de t r e n t e - q u a t r e an s, jo ig n a it à u n p h y s iq u e fort agré ab le des m a n iè r e s parfaites, de g ra n d s t a le n t s m ilita ire s et u n e b ra v o u re r e m a rq u a b le . Sa sollicitude p o u r les t r o u p e s q u ’il c o m m a n d a it le fit j u s t e m e n t r e g r e tt e r . Le 25, n o u s f û m e s à S c h lo c h au , p r e 132 SOUVENIRS MILITAIRES. m iè r e ville de la P o lo g n e p r u s s ie n n e ; le le n d e m a in à la p e tite ville de K œ n ilz où se tro u v e u n c h â te a u f o rt a p p a r te n a n t au p r in c e Radzivill. Le 27, n o u s tr a v e r s â m e s u n e vaste fo rê t q u i a p lu s de 25 lie u e s de lo n g u e u r et a r r iv â m e s a u m a u v ais village de J e n k en d o rff. Le 28, à N a u e m b o u r g , p etite ville d o m in a n t le c o u r s de la V istule, e t enfin le 29, à Mar ie n w e r d e r , c h a r m a n t e ville, c a n t o n n e m e n t de fave u r qui n o u s fut assigné' d is t a n t de q u a t r e lie u es d u q u a r ti e r im p é rial de F in k e n s te in . T ro is j o u r s a p r è s , l ’E m p e r e u r v in t à M a r ie n w e r d e r p a s s e r en re v u e les G e n d a rm e s d ’o r d o n n a n c e . 11 était a c c o m p a g n é d u p rin c e Murât, d u m a r é c h a l B e ssiè re s, du c o m te de Canisy, é c u y e r, de s o n m a m e l o u k R o u s ta n e t d ’u n d é t a c h e m e n t des c h a s s e u r s de la G arde. S. M. I. té m o ig n a sa satisfaction s u r la c o n d u ite des G e n d a rm e s d ’o r d o n n a n c e et ac c o rd a s e p t cro ix de la L égion d ’h o n n e u r qu i fu re n t d o n n é e s à MM. le c o m te de M o n tm o re n c y , aux lie u te n a n ts C h a rb o n n ie r, Pitat, N orvins de M o n tb reto n , de C haret, m a ré c h a l des logis, e t au x g e n d a r m e s d ’o r d o n n a n c e : de G u erre et Massa. Le le n d e m a in , u n d é c r e t im p é rial fixa le service d e s G e n d a rm e s s o u s le c o m m a n d e m e n t im m é d ia t d u m a ré c h a l B e ssiè re s ; ce service co n s is ta it d a n s u n offi c ie r p rès de S. M. I. p e n d a n t q u a r a n te - h u it h e u r e s et u n n o m b r e égal a u x C h a sse u rs de la G arde, av e c u n officier, se rv a n t d ’e s c o r te p e n d a n t v in g t- q u a tr e h e u r e s . Le 30, les G e n d a rm e s d ’o r d o n n a n c e se r e n d i r e n t a u village de Riens e m b e r g p r è s F in k e n s t e in , p o u r la g ra n d e re v u e de la Garde im p é r ia le qui dev a it ê tre p as sée le l e n d e m a in ; ce m ê m e jo u r , u n b a n q u e t le u r fut d o n n é p a r les C h a sse u rs de la Garde et les officiers d în è r e n t chez le m a ré c h a l Bessières. Le 1er m a i, la c a v alerie et la Garde im p é ria le é ta ie n t ré u n ie s à 9 h e u r e s du m a tin d a n s u n e v aste p laine. N apo lé oç, suivi de to u te sa m a is o n m ilita ire et d ’u n a m b a s s a d e u r p e rsa n , R E V U E DE L’E M P E R E U R . — 1807. 133 / a rriv a à dix h e u r e s . Son a p p r o c h e fut saluée p a r 6 000 cava liers b r a n d is s a n t le u r s a b re avec u n e n th o u s ia s m e e t u n e exaltation p o u s s é s j u s q u ’au x d e r n iè r e s lim ite s du délire. L ’E m p e r e u r fit o u v r ir les ra n g s et m e ttr e pied à te rr e , et d e s c e n d a n t lu i- m ê m e de cheval, a c c o m p a g n é du m a ré c h a l B essières et de d e u x officiers d ’o r d o n n a n c e , p a s s a dan s to u s les ra n g s d is a n t à c h a q u e r é g im e n t de ces m o ts qui é l e c tris e n t et r e m u e n t l’âm e. L o r s q u ’il arriv a d e v a n t le fro n t des G e n d a rm e s d ’o r d o n n a n c e : « J e su is bien aise, dit-il, de v o u s avoir p r è s de m oi, c e r ta in de v o tre d é v o u e m e n t, d an s p e u de jo u r s v o u s allez voir a r r iv e r de vos c a m a ra d e s et j ’e s p è r e q u ’ils v o u s im i te r o n t. » A près ce tte lo n g u e in s p e c t io n qui d u r a p r è s de deux h e u r e s , les tr o u p e s r e m o n t è r e n t à c h e v a l; p lu s ie u r s m a n œ u v r e s f u re n t e x é c u té e s et l ’o n défila d e v a n t l ’E m p e r e u r p a r e s c a d r o n ; puis, c h a q u e r é g im e n t r e n t r a n t d a n s ses q u a r ti e r s , n o u s r e v în m e s c o u c h e r à M ariem verder. Le le n d e m a in , d an s la j o u r n é e , s u r l’o r d re d u m a ré c h a l B e ssiè re s, le c o m te de M o n tm o re n c y m e p r e s c riv it d ’a lle r en p o s te p r e s s e r la m a r c h e de la 3e c o m p a g n ie e n lui faisa n t d o u b le r le s étap e s, l’E m p e re u r d ev a n t q u itte r F in k e n s t e in , le 6, avec la Garde im p é riale , s u r l ’avis q u e les R u s s e s v e n a ie n t d ’a t t a q u e r le m a ré c h a l Ney s u r les b o r d s de la P a ssa rg e . Ce f u t à B ro m b e rg , a p r è s av oir p a r c o u r u 30 lieues, q u e je je tro u v a i les G e n d a rm e s d ’o r d o n n a n c e , c o m m a n d é s p a r le' c a p ita in e en se c o n d de S o u rd is e n l ’a b s e n c e d u du c de C hoiseul, et qu e j ’é p ro u v a i la joie d ’e m b r a s s e r m o n frère, li e u te n a n t dan s ce tte com p ag n ie . Le 3, n o u s fîm e s 14 lie u e s p o u r a t te in d re la p e tite ville de S w edt, où n o u s c o u c h â m e s. Le l e n d e m a in n o u s m a r c h â m e s dou ze h e u r e s et f û m e s sa lu é s p a r p lu s i e u r s b o u le ts inoffensifs, en p a s s a n t so u s le 134 SOUVENIRS MILITAIRES. feu de la fo rte re sse de G ra udentz o c c u p é e p a r les P r u s s i e n s , d ista n te de six lie u es de M a rie n w e r d e r où n o u s a r r iv â m e s d a n s la n uit. Le s u r le n d e m a in , 6 j u in , les G e n d a rm e s d ’o rd o n n a n c e c o m m e n c è r e n t l e u r s e rv ic e ’p rès de l ’E m p e r e u r . Juin 1807. Ce jo u r - l à , l ’E m p e r e u r "quitta F in k e n s te in à la tê te de la Garde im p é r ia le . N ous f îm e s, ce j o u r , u n e m a r c h e de 15 lie u es p o u r a rr iv e r à Salfed, p etite ville o ù co u c h a l ’E m p e r e u r , e t o ù la G arde b iv o u a q u a . Le le n d e m a in , a y a n t 14 lie u e s à faire p o u r a r r iv e r à M o h r u n g e n o ù se tr o u v a it le m a ré c h a l Ney, la Garde im p é riale b iv o u a q u a à m o itié c h e m in , ta n d is q u e l ’E m p e re u r, p r è s de qu i j ’étais officier de service, c o n t in u a n t sa m a r c h e suivi de son e s co rte, arriv a au q u a r ti e r d u m a ré c h a l Ney à dix h e u r e s d u so ir, et p r i t a u s s itô t d es d isp o s itio n s d ’a tta q u e p o u r le le n d e m a in à la p o in te d u j o u r , afin de b ie n c o n n a îtr e les fo rc es e t les p o sitio n s de l’e n n e m i. En effet, to u te la j o u r n é e d u 8 f u t e m p lo y é e e n c a n o n n a d e s et q u e lq u e s c o m b a ts q u i f o rc è r e n t les R u s se s à a b a n d o n n e r le village d e D ep p e n e t à se c o n c e n t r e r dan s u n e p o sitio n assez forte. D ans la m a tin é e du 9, les m a r é c h a u x D avout et L a n n e s se d ir ig è re n t s u r la ville de G u ttsta d t o ù se tr o u v a it l’e m p e r e u r de R u s sie avec sa g a rd e e t le c o r p s d ’a r m é e d u g é n é ra l B e n in g se n ; l ’a tta q u e et la d éfense f u r e n t d e s p lu s vives, m a is N apoléon a r r i v a n t s u r les m id i, suivi de la Garde im p é riale , l’e n n e m i fut a u s s itô t c u l b u té et c o n tra in t d ’a b a n d o n n e r la ville e t ses p o s itio n s , a p r è s avoir e s s u y é p lu s i e u r s c h a r g e s ré ité r é e s de n o tre cavalerie. Ce f u t d a n s u n de ces m o m e n t s que COMBAT DE GUTTSTADT. l ’E m p e r e u r o r d o n n a a u x charger — 180 7 . 13S G e n d a rm e s d ’o r d o n n a n c e de s u r u n e n ia s s e c o n s id é ra b le de C osaques qui ven a ie n t de c u l b u te r e t p r e s q u e a n é a n t ir le 1er de Chas s e u r s ita lie n s. N ous p a s s â m e s s o u s les y e u x de N apo lé o n , b r a n d is s a n t n o s sa b re s, a u x cris r é p é té s de : Vive l ’E m p e r e u r ! et a b o r d â m e s l ’e n n e m i avec u n e telle furie q u ’il fut e n fo n c é e n u n i n s t a n t et p o u r s u iv i avec u n a c h a r n e m e n t si p e u réfléchi q u e p as u n de n o u s n ’e n fût r e v e n u si les C h a sse u rs de la Garde n ’é ta ie n t arriv és p o u r c u l b u t e r u n r é g im e n t de h u s s a r d s a u m o m e n t o ù il allait n o u s e n v e lo p p e r. N ous e û m e s dan s ce tte éc h a u lfo u ré e d e u x g e n d a r m e s d ’o r d o n n a n c e tu é s et c in q blessés. Le soir, le m a ré c h a l B essières v in t à n o tr e biv o u a c n o u s c o m p l i m e n t e r a u n o m de l ’E m p e r e u r , m a is n o u s e n g a g e r à p lu s de p r u d e n c e ; a u r e s te , c e tte affaire e u t p o u r n o tr e c o r p s le s p lu s h e u r e u x ré s u lta ts , car, dès ce m o m e n t, d is p a r u t l ’e s p è c e de ja lo u s ie q u ’il i n s p i r a it p a r la fave ur d o n t n o u s é tio n s l ’o bjet. Ce c o m b a t de G u ttsta d t qui co û ta à l ’e n n e m i 2 000 tu é s , u n n o m b r e c o n s id é ra b le de b le ssé s et 1 500 p r is o n n ie rs , le c o n t r a ig n it à se r e ti r e r d e r r iè r e les re d o u ta b le s r e t r a n c h e m e n t s q u ’il avait éta blis e n av a n t de H e ilsb e rg , o ù l ’E m p e r e u r v in t l ’a t ta q u e r le 10. Dès le m a tin , le p rin c e Murât, m a r c h a n t à l ’a v a n t-g a rd e de l ’a r m é e avec u n e division de cavalerie, e u t p lu s ie u r s e n g a g e m e n ts tr è s vifs avec l ’e n n e m i, et finit p a r le c o n t r a i n d r e d ’a b a n d o n n e r les bois o ù il avait de f o r te s p o s i tio n s p o u r se r e p lie r dan s ses r e t r a n c h e m e n t s , en avant de la ville d é fe n d u e p a r p lu s de 60 pièces de c a n o n . Ce fut s e u le m e n t à q u a tre h e u r e s du s o ir q u e N apoléon les fit a t ta q u e r à la b a ïo n n e tte p a r n o s anc ie ns c o m p a g n o n s d ’a r m e s de la P o m é r a n i e , les b r a v e s F u s ilie rs de la Garde 136 SOUVENIRS MILITAIRES. s o u t e n u s p a r les d ivisio ns Saint-H ilaire et V erdier. La r é s is ta n c e fut te r r ib le , et ce n e fut q u ’à n e u f h e u r e s d u s o ir q u ’on p a r v i n t u n i q u e m e n t à s ’é ta b lir so u s le s for m id a b le s r e t r a n c h e m e n t s de l ’e n n e m i, d a n s l ’in te n t i o n de les a t t a q u e r le le n d e m a in . E n effet, dès la p o in te d u j o u r d u 11, le c o m b a t r e c o m m e n ç a avec u n é p o u v a n ta b le a c h a r n e m e n t ; le s R u s s e s d é fe n d a ie n t le t e r r a i n p ie d à pied, s o u t e n u s p a r le u r artillerie de p o sitio n d o n t la m itra ille faisait u n te l ravage q u ’à m id i p lu s i e u r s g é n é r a u x , g r a n d n o m b r e d ’officiers et p lu s de 4 000 h o m m e s é ta ie n t h o r s de c o m b a t. C e p e n d a n t l ’E m p e re u r, s e n ta n t la n é c e s s ité d ’en finir, la n ça d e u x ré g im e n ts du corps d ’a r m é e d u m a ré c h a l Davout, d o n t la fo u g u e u se in tr é p id ité s u r m o n t a to u s les o bsta cles, e n en le v a n t d eux r e t r a n c h e m e n t s s u r les six q u i existaient. Ce f u t d a n s ce m o m e n t , q u e le c o m te de M o n tm o re n c y r e ç u t l ’o rd re de se d ir ig e r avec les G e n d a rm e s d ’o r d o n n a n c e d a n s la d ir e c tio n de B a rt e n s t e in afin d ’éc la ire r s u r la g au c h e les m o u v e m e n t s de l ’e n n e m i e t n e j a m a i s le p e r d r e de vue. C elte m is sio n , d o n t n o u s ne c o n n û m e s t o u te l ’im p o rta n c e q u e p lu s ta rd , avait p o u r b u t de sa voir si l’e n n e m i, dans s o n m o u v e m e n t r é tr o g r a d e , se d irig e ra it s u r K œ nigsb erg, ce q u e l ’E m p e r e u r v o u la it e m p ê c h e r d a n s le b u t de s ’e m p a r e r de ce tte ville. N ous m a r c h â m e s tr o is h e u r e s au m ilie u des bois, c o n d u its p a r u n g u id e in te llig en t, s tim u lé p a r la p r o m e s s e d 'u n e r é c o m p e n s e p é c u n ia ire . V ers les six h e u r e s d u soir, n o u s tr o u v a n t à u n d e m iq u a r t de lie u e de B a rte n s te in , j e r e ç u s l’o r d re de m e p o r t e r en a v a n t avec 25 g e n d a r m e s d ’o r d o n n a n c e et j ’a p p r is e n e n t r a n t e n ville q u e 2 b ataillons r u s s e s , 3 ou 400 C o s a q u e s e t 2 piè ce s de c a n o n s y é ta ie n t r e s té s d eux j o u r s e t q u ’ils v e n a ie n t d ’e n p a r ti r p r é c ip ita m m e n t.x j’en fis p r é v e n ir a u s s itô t le c o m te de M o n tm o re n c y qui, e n s uiv a nt RAPPORT A L ’E M P E R E U R . - 1 807. 137 m o n m o u v e m e n t , m e p r e s c r i v it de c o n t in u e r m a m a r c h e , et de t â c h e r de r a m a s s e r q u e l q u e s tr a în a r d s . U ne d e m i- h e u r e ne s ’était p o in t éc oulé e q u e n o u s t r o u v â m e s u n caisso n e m b o u r b é avec u n e dou za in e de fan ta s s in s et q u e lq u e s Cosaques'; ces d e r n ie rs p r i r e n t a u s s itô t la fuite, et n o u s e m p a r a n t des a u t r e s sa n s la m o in d r e r é s is ta n c e , n o u s a p p r îm e s q u e le u r colonne se d irig e a it v ers la rivière de l’Aile, q u ’elle d e v a it p r o b a b l e m e n t avoir p a s s é e ; c o n t i n u a n t m a m a r c h e , je l ’a p e r ç u s en effet, d a n s le lo in tain , s u iv a n t u n e r o u te d a n s la d irec tio n de K œ n ig sb e rg . Nous r e s tâ m e s e n v iro n u n e h e u r e e n p o sitio n , e n t e n d a n t les d é c h a r g e s c o n tin u e lle s de l ’artillerie et de l ’in fa n te rie , in d iq u a n t q u ’on se b a tta it avec a c h a r n e m e n t v ers H eilsberg. Enfin, r e p r e n a n t n o t r e m a r c h e ; p ro té g é s p a r un m ag n ifiq u e clair d e l u n e , n o u s r e n t r â m e s v e r s l e s o n z e h e u r e s d a n s n o t r e biv o u a c, o ù j e r e ç u s l ’o r d r e d ’a lle r r e n d r e c o m p te a u m a ré c h a l B essières d u r é s u lt a t de n o tr e r e c o n n a is s a n c e . J e le tr o u v a i co u c h é s u r la p aille s o u s u n c a is s o n ; il m e dit, avec assez d ’h u m e u r de se vo ir réveillé, q u e c ’était à l ’E m p e r e u r q u e j e devais faire m o n r a p p o r t et il m e m o n tr a sa b a r a q u e à q u e lq u e s pas. J ’avoue q u e le c œ u r m e b a ttit v io le m m e n t à la p e n s é e de m e tr o u v e r , dan s ce m o d e s te gite e n p la n c h e s , e n p r é s e n c e de c e lte im m e n s e p u i s s a n c e . ’ Cette b a r a q u e im p ro v isé e , a u t o u r de laquelle c irc u la ie n t d e s g r e n a d ie r s de la Garde im p é r ia le , était pla c é e s u r u n p e t it te r t r e , n o n loin d u q u e l se tr o u v a ie n t un officier et le p o ste , se ch auffan t s ile n c ie u s e m e n t a u t o u r d ’u n g r a n d feu. N orvins, lie u te n a n t d e s g e n d a r m e s de service, s ’y tro u v ait, et u n p e u p lu s loin q u e l q u e s c h a s s e u r s de la Garde, pied à te rr e , t o u jo u r s p r ê t s à m o n t e r à cheval. La p o r te de la b a r a q u e im p é r ia le était o b s tr u é e p a r le m a m e l u k R o u s ta n co u c h é en t r a v e r s ; à m o n a p p r o c h e , il releva la tê te et m e fit signe de pa s se r. 138 SOUVENIRS MILITAIRES. L ’E m p e r e u r , é t e n d u t o u t h a b illé s u r u n m a te la s placé s u r u n e c o u c h e tte en p la n c h e s , se rele v a b r u s q u e m e n t . « Q u’est-ce q u ’il y a, dit-il? — Sire, je viens r e n d r e c o m p te à V otre Majesté d u r é s u lt a t de la re c o n n a is s a n c e q u ’elle av a it o r d o n n é de faire d a n s la d ir e c tio n de B a rte n s te in . — Eh b ie n ! avez-vous vu les R u s s e s ? » Et, en d is a n t cela, se m e t t a n t s u r son s é a n t e t p iv o ta n t s u r l u i- m ê m e en la is s a n t t o m b e r se s ja m b e s , il se lèv e, v ie n t s ’a s se o ir s u r q n fauteuil en co util, et se p la ç a n t p r è s d ’u n e p e tite table p o rtativ e s u r la q u e lle tr o u v a i e n t d e u x b o u g ie s a l lu m é e s et u n e c a rte p iq u é e d ’é p in g les à tê te r o u g e e t no ire : « V oyons, r a c o n te z - m o i v o tr e affaire, m a in te n a n t. » Ce q u e j e fis le p lu s b r i è v e m e n t p o ss ib le , et m ê m e avec assez d ’a s s u r a n c e p a r la b ie n v e illa n c e avec la q u elle l’E m p e r e u r m e p a r la it ; il p iq u a la c a rte d a n s d e u x e n d r o its. « C’est b ie n , » m e dit-il, et c o m m e j e m e r e tira is, il a jo u ta : « A v e z -v o u s m a n g é ? — P as d e p u i s d o u z e h e u r e s , S ire. — E h b ie n ! allez â m e s c a n tin e s. » J e saluai et so r tis é m u a u d e r n ie r p o in t de c e tte co u rte et h e u r e u s e e n t re v u e q u i d u r a to u t a u p lu s u n q u a r t d ’h e u r e e t d o n t le s o u v e n ir ne devait j a m a i s s ’effacer de m a m é m o ir e . L o rs q u e j ’arriv ai a u x c a n tin e s , u n v alet de p ie d c h a r g é de ce service m ’o b se rv a avec la p lu s g ran d e h o n n ê t e t é q u e l ’h e u r e in d u e n e p e r m e t t a i t pas de m e s a tisf a ire c o n v e n a b l e m e n t : il m ’offrit u n e b o u te ille de b o rd e a u x , u n p a in a y a n t u n m è t r e de lo n g u e u r e t u n fort b e a u s a u c is s o n q u e j ’ap p o rta i au biv o u a c, à la g ran d e sa tisfa c tio n de m e s c a m a ra d e s . L ’E m p e r e u r s e n ta i t tro p b ie n l ’im p o r ta n c e des succès q u ’il v e n a it d ’o b te n ir p o u r n e p a s le s p o u r s u iv r e avec la p lu s g r a n d e é n e r g ie ; a u ssi, dès la p o in te d u j o u r d u 12, il ordonna une a tta q u e g é n é r a le sur le s r e d ô u te s qui a v a ie n t r é sis té la v eille..D éjà, les tr o u p e s m a rc h a ie n t e n SUITES DU COMBAT D’H E I L S B E R G . - 1807. 139 c o lo n n e s d ’a tta q u e , l o r s q u ’on v in t a n n o n c e r q u e l’e n n e m i s ’était re tiré p e n d a n t la n u i t p o u r p a s s e r s u r la rive d roite de l ’Aile, a b a n d o n n a n t p r é c i p i t a m m e n t H eilsberg, en y la issa n t des a p p r o v is i o n n e m e n ts co n s id é ra b le s e t la ville e n c o m b r é e de ble ssés . Le p rin c e M urât f u t a u s s itô t lancé avec sa cav alerie et le c o r p s d u m a r é c h a l D av o u t d a n s la d irec tio n de K œ n ig sb e r g , afin de d é b o r d e r l ’a r m é e r u sse e t lu i c o u p e r to u te r e tr a i te s u r c e tte ville, ta n d is q u e les les m a r é c h a u x Ney, S o u lt et M ortier su iv a ie n t l ’e n n e m i de p rès, e t q u e l ’E m p e r e u r , avec sa garde, s ’é ta b lissa it à E y la u d ’où n o u s p a r tî m e s le le n d e m a i n p o u r su iv re les m o u v e m e n t s de l ’a r m é e . Le 14, N apoléon, a p p r e n a n t d a n s la m a tin é e q u e les R u s s e s é ta ie n t e n p o sitio n en av a n t de F rie d la n d et s e m b la ie n t d é c id é s n o n s e u l e m e n t à a c c e p te r le c o m b a t, m a is q u ’ils a v a ie n t m ô m e p ris l’initiative avec q u e lq u e s succès, p a r ti t a u s s itô t avec la cavalerie de la Garde im p é ria le en d o n n a n t o r d r e à l ’infan terie d ’a c c é lé re r sa m a rc h e . Bientôt, n o u s r e n c o n tr â m e s u n assez g r a n d n o m b r e de ble ssés p a r m i le s q u e ls é ta ie n t les g é n é ra u x L atour-M aubourg, C oeho rn , B run, M o uton et L acoste (ces d e u x d e r n ie rs aid es d e c a m p de l ’E m p e r e u r ) , qui lui a p p r i r e n t q u e le g é n é r a l O u d in o t avec se s g r e n a d ie r s a v a ie n t r e p o u s s é vail l a m m e n t l’a t ta q u e de tro is d iv isions et q u e le s R u s s e s op é r a ie n t u n m o u v e m e n t s u r le u r flanc g a u c h e ; l ’E m p e r e u r p r it a u s sitô t le galop, suivi de son e s c o rte , p a r c o u r a n t r a p i d e m e n t six lie u e s p o u r e n t r e r d an s u n e v aste p la in e o ù allait se liv re r u n de ces c o m b a ts d o n t le so u v e n ir d o it a p p a r te n ir à l ’h isto ire . N apoléon atteig n it u n p e tit m a m e l o n , a y a n t p r è s de lui les m a r é c h a u x B e rth ie r e t B essières, so n m a m e l u k R o u s ta n e t u n pag e ; u n p e u en a r r iè r e sa m a is o n m ilita ire et son e s c o r te ; s u r la d ro ite , en r e g a rd de la riv iè re d ’Alle, l ’a r ti l SOUVENIRS MILITAIRES. le rie de la G arde im p é riale , s o u te n u e p a r les G e n d a rm e s d ’o r d o n n a n c e e t le s C h a sse u rs à cheval ; à la g au c h e, et en ligne de b a ta ille , le s D ra g o n s de l ’I m p é r a t ric e et les L a n ciers p o lo n a is ; p u is, e n a r r iè r e , les G re n adiers à che val et la G e n d a rm e r ie d ’élite. P l u s ta rd , v ers les m id i, l’infan terie de la G arde im p é riale a rriv a n t, elle se m it en p o sitio n d a n s sa te n u e de p a r a d e : to u s ce s c o r p s f o r m a ie n t la r é s e rv e avec l ’a r d e n t d é s ir de p r e n d r e p a r t à la te r r ib le lu tte qui allait s ’engager. N a p o lé o n m i t pie d à te rr e , et, sa lu n e tte placée s u r l ’épa u le du j e u n e page, suivit avec la p lu s g r a n d e a tte n tio n les m o u v e m e n ts et le d é p l o ie m e n t d es R u s s e s ; puis, a p p e la n t s u c c e s s iv e m e n t u n officier d ’o rd o n n a n c e , il l’e n v o y a it a u g alo p p o r t e r u n o r d re v e rb a l p r e s c r i v a n t a u m a ré c h a l ou g é n é ra l les différen ts m o u v e m e n t s q u ’il d evait faire exé cu t e r a se s tr o u p e s . L ’officier n e d ev a it re v e n ir q u ’a p r è s le u r ex écu tio n . P e n d a n t p lu s i e u r s h e u r e s , il y e u t c o m m e u n e s u s p e n s io n ta cite d ’h o slilité s e n tre les d e u x a r m é e s ; le gén é ral e n ch e f B e n in g se n c r o y a n t se s p o s itio n s in e x p u g n a b le s et d a n s la p e r s u a s io n de p o u v o ir se r e ti r e r s u r K œ n igsberg, en cas d ’in su c c è s d a n s le c o m b a t q u ’il s e m b la it a c c e p te r; m a is N apo léon, av e c ce c o u p d ’œil de l ’aigle to u jo u r s s û r de sa proie, s ’é c ria en v o y a n t les d isp o s itio n s des R u s se s : « Ce j o u r est u n e é p o q u e h e u r e u s e , c ’e s t l ’a n n iv e r s a ire de Marengo. » F rie d la n d était le p o in t o ù il vou lait p o r t e r les c o u p s qui dev a ie n t lui a s s u r e r la v ictoire. Celte p e tite ville, situ ée a u m ilie u d ’u n e v aste pla in e, e s t e n tre u n r u is s e a u , d it le r u is s e a u d u M oulin, e t l’Aile q u i avait q u a t r e p o n ts s u r ce tte riv iè re s u r le s q u e ls u n e p a rtie de l ’a r m é e r u s s e avait p a s s é p o u r se d é v e lo p p e r d a n s la p la in e et q u ix pouva ient se r v ir à p r o t é g e r sa r e tr a i te en cas d ’échec. FRIEDLAND. — 1 807. 141 C’était d o n c là q u e N apoléon se p ro p o sa it de p o r te r to u t son effort, et ce f u t a u m a ré c h a l N ey q u ’il confia ce tte im p o r ta n t e m is s io n . T o u te s ses d isp o s itio n s p rises, à cinq h e u r e s d u soir, la d é c h a r g e g é n é r a le d ’u n e b a tte rie de vin g t p iè c e s de cano n é ta n t le signal de l ’a tta q a e , le m a r é chal, à la tê te de son in f a n te r ie et s o u te n u p a r la cavalerie d u g é n é r a l L a to u r-M a u b o u rg , m a r c h e a u s s itô t d a n s la d ire c tio n de F rie d la n d , b o u le v erse les p r e m i è r e s lig n e s qui lui s o n t o p p o sé e s et, fonça nt à la b a ïo n n e tte s u r la Garde im p é r ia le r u s s e en rése rv e , p é n è tr e d a n s la ville, m a lg ré le f e u de so ix a n te pièces de c a n o n . D ans ce m ê m e m o m e n t, le c e n tr e , c o m m a n d é p a r les m a r é c h a u x V ictor et O u dinot, a t ta q u a it avec la m ê m e a r d e u r ; ta n d is q u e le m a ré c h a l M ortier, p la cé à l ’e x t rê m e g au c h e , a t te n d a it au r e p o s p o u r agir. C e p en d a n t, la ville, p ris e et r e p r is e trois fois, finit p a r n o u s r e s te r et, la d e s tr u c tio n des p o n ts c o u p a n t l’a r m é e r u s s e e n d e u x , N apoléon fit p a r ti r le lie u te n a n t d es Gen d a r m e s d ’o r d o n n a n c e , Charles de la B édo yère, E u g è n e de de M o n te sq u io u , so n officier d ’o r d o n n a n c e , et u n aide de c a m p d u m a ré c h a l O ud in o t, c h a c u n p a r u n c h e m i n diffé r e n t, p o u r d ire a u m a r é c h a l M ortier de t o u r n e r l ’e n n e m i. Ce f u t La B édoy ère qui arriva, l ’aide de c a m p d u m a ré c h a l O ud in o t a y a n t été tu é ainsi qu e le cheval de M ontesquiou. Dès ce m o m e n t , les suc cè s n ’é ta ie n t p lu s d o u te u x . C e p e n d a n t les R u s s e s se b a t t i r e n t avec le c o u r a g e du d é s e s p o ir j u s q u ’à dix h e u r e s . P lu s de 15 000 c a d a v re s c o u v r a ie n t le c h a m p de bataille, 70 piè ce s de c a n o n , g ran d n o m b r e de c a isso n s , p lu s i e u r s d r a p e a u x e t q u e l q u e s m illie rs de p r i s o n n i e r s é ta ie n t les t r o p h é e s de ce lte m é m o r a b le jo u r n é e . La cavalerie r u s s e a v a it s u r t o u t fait d e s p e r te s i m m e n s e s : 25 g é n é r a u x , u n n o m b r e c o n s id é r a b le d ’offi ciers avait été faits p r is o n n ie rs , 142 SOUVENIRS MILITAIRES. Il y e u t de n o tr e côté 7 à 8000 h o m m e s tu é s o u ble ssés , p lu s i e u r s g é n é r a u x et officiers de to u s grades. L’a r m é e , h a r a s s é e de fatigue, b iv o u a q u a la n u it s u r le c h a m p de bataille, a u m ilie u des ca dav res d o n t la te r r e é ta it jo n c h é e . La v ic to ire n e f u t p a s u n m o m e n t in c e r ta in e , e t s u r 80000 F ra n ç a is d o n t se c o m p o s a it l ’a r m é e , 25 000 n ’avaient pas tir é u n c o u p de fusil. De to u te la Garde i m p é r ia le , il n ’y e u t d ’e n g a g é s q u e les j e u n e s F u s ilie rs et l ’A rtille rie ; les G e n d a rm e s d ’o r d o n n a n c e , p la cé s en a r r iè r e p o u r la s o u te n ir , e u r e n t 5 h o m m e s e t 7 c h e v a u x t u é s p a r des éclats d ’o b u s . L o rs q u e N apoléo n v in t le le n d e m a in v isite r le c h a m p de b ataille, il s ’a p p r o c h a d e s G re n a d ie rs de la Garde. « Eh b ie n ! d it-il, n o u s a v o n s e u u n e b elle jo u r n é e h ie r! — Oui, r é p o n d i t u n g ren a d ier, p o u r v o us, et le bulle tin d ira q u e n o u s y r e p r é s e n tio n s en t e n u e de p ara d e, les b r a s croisés. — A llons, tais-to i, vieux g r o g n a r d , il y en a u r a p o u r to u t te m o n d e . » Et l ’E m p e r e u r s ’en alla en s o u r ia n t. Le 15, les G e n d a rm e s d ’o r d o n n a n c e et les C h a sse u rs de la G arde f u r e n t e n v o y é s à la s u ite des R u s se s d o n t la r e tra ite se faisait e n assez g r a n d d é s o rd r e ; a u s si en r a m a s s â m e s n o u s b o n n o m b r e j u s q u ’à la P ré g e l o ù n o u s fû m e s a r r ê té s p a r la r u p t u r e d e s p o nts. Le 16, l ’E m p e r e u r en a r r iv a n t à six h e u r e s d u m a tin s u r les b o r d s de la P rë g e l, tr è s s u r p r i s q u ’o n n ’e û t p o in t e n c o r e j e t é des p o n t s et i m p a tie n t de p a s s e r s u r la rive d ro ite , m o n frè re , de service a u p r è s de sa p e r s o n n e , se la n c e dan s la r iv iè re p o u r en s o n d e r la p r o f o n d e u r ; N apo léon s ’a p e r c e v a n t alo rs q u e so n cheval n ’avait de l ’ea u q u e j u s q u ’au p o itra il, se d é t e r m in e à f r a n c h ir cet'obstacle suivi de so n esco rte, et e n t r e d a n s W e lh a u q u ’il tro u v e e n c o m b r é de blé, de f o u rr a g e , q u e l ’e n n e m i d an s sa préc ip ita tio n n ’avait p u d é tru ire . TILSIT. — 18 0 7. 143 Ce m ê m e j o u r arriv a la n o u v e lle de la r e d d itio n de K œ n igsberg , r é s u l t a t de la v ictoire de F rie d la n d . On y t r o u v a des r e s s o u r c e s im m e n s e s en s u b s i s ta n c e s et p r è s de 200 b â tim e n ts c h a rg és, v e n a n t d ’A n g le te r re ; 20000 blessés p r u s s ie n s et r u s s e s e n c o m b r a ie n t les h ô p ita u x et les m a i so n s de la ville. Le 17, N apoléon et la Garde im p é r ia le r e s t è r e n t à W e lh a u , ta n d is q u e l ’a r m é e m a n œ u v r a it s u r les flancs de l ’ennemi^ p o u r le c o n tra in d r e à u n e re tr a ite d é s a s tr e u s e dans le cas où il a u r a it v o u lu r i s q u e r u n n o u v e a u co m b at. Le 18, su iva n t t o u jo u r s les R u s se s de p rès, q u e l q u e s m illiers t o m b è r e n t e n tre n o s m a in s . Dans la j o u r n é e , a r r iv a u n p a r le m e n t a ir e envoyé p a r l ’e m p e r e u r A lexandre, d e m a n d a n t u n e s u s p e n s io n d ’a r m e s q u e Napo lé o n r e f u s a en c o n t i n u a n t sa m a r c h e s u r S k e isg e rre n où il étab lit so n q u a r t i e r géné ral e t sa garde, ta n d is que le p r in c e M urât, se d irig e a n t s u r T i l s i t a v e c sa cavalerie lé g ère, y e n t ra it au m o m e n t o ù les R u s s e s a p r è s avoir f ra n c h i le N iem en en faisaient s a u te r le p o n t. Le 19, la Garde im p é r ia le p r it p o s s e s s io n de la ville de Tilsit, ta n d is q u e le c o r p s d ’a r m é e d u m a ré c h a l D avout, en p o sitio n s u r les b o r d s du fleuve, y étab lissait de n o m b r e u s e s b a tte r ie s . Q u elq u e s c o u p s de c a n o n f u r e n t tiré s d a n s la jo u r n é e et b ie n tô t le feu c e ssa de p a r t et d ’a u tre . Les m a is o n s d e s f a u b o u r g s f u r e n t d o n n é e s à la Garde im p é riale , en a r r iè r e de laquelle s ’é ta b lire n t n o s b ivo uacs, et d es b a r a q u e s y fu re n t c o n s tr u i te s c o m m e p a r e n c h a n te m e n t . Logé avec m o n frère, La B é doyère, Norvins e t J u ig n é d a n s un e p a u v re m a iso n de p a y s a n , n o u s y tr o u v â m e s u n j e u n e Cosaque d o n t le cheval avait été tué et qui s ’é ta it caché d a n s l ’e s p o ir de se s a u v e r p lu s ta rd ; à n o tr e asp ec t, se c ro y a n t p e r d u , il se j e ta à n o s gen o u x , n o u s s u p p lia n t e n m a u v ais a l le m a n d de l’a d m e tt r e a u service de l ’u n de 144 SOUVENIRS MILITAIRES. n o u s , p r o t e s t a n t de sa r e c o n n a is s a n c e , de son zèle et sa fidélité; sa figure avait u n e e x p r e s s io n de f ra n c h is e qu i m ’i n té r e s s a t e l le m e n t q u e je le p r is en le b a p tis a n t d u n o m de Tilsit, j o in t à c e la le b esoin q u e j ’avais de d o n n e r u n c o m p a g n o n à m o n fidèle B o u rb o n n a is, p o u r c o n d u ire u n p e tit c h a r io t de p r is e a c h eté la veille à u n g r e n a d ie r de la Garde. (Ce digne et fidèle s e rv ite u r d o n t le d é v o u e m e n t ne s’e s t ja m ais, d é m e n ti se r e tr o u v e r a s o u v e n t d a n s m a vie m ilita ire .) Il m ’a rriv a , dans l ’a p rè s-m id i de ce m ê m e j o u r , u n p e t it éc h ec d ’a m o u r - p r o p r e qui fit r ir e à m e s d é p e n s . J e vena is de p r e n d r e le se rv ic e p r è s de S. M. et m e tr o u v a is seul d a n s la salle d ’a t te n te , MM. B erthipr, D u ro c , B e ssiè re s et C a u la in co u rt se p r o m e n a n t d a n s u n j a r d i n de p la in -p ie d avec le salon, l o r s q u e je vis e n t r e r un officier g én é ral d ’u n e belle et im p o s a n te t o u r n u r e , a y a n t s u r sa tê te u n c h a p e a u à p lu m e b la n c h e d o n t u n e des c o r n e s éta it f o r te m e n t é b r é ch é e p a r l e fait d ’u n e balle o u d ’u n éclat d ’o b u s : « L 'E m p e r e u r est-il d a n s so n c a b in e t, m e d i t - i l ? — Oui, m o n g é n é ra l, r é p o n d is - je ; si v ous d ésire z lu i p a r l e r , j e vais e n p r é v e n ir M. le G rand M aréchal qui e s t d a n s le ja rd in . — C’e s t i n u tile, « et m e p o u s s a n t, il o u v re la p o r te d u c a b in e t et y p é n è tr e , à m a g r a n d e s tu p é fa c tio n . Un in s t a n t a p r è s , ces m e s s i e u r s r e n tr a n t , j e r e n d s c o m p te de ce q u i v e n a it de m ’a rriv e r. « Il fallait, m e d it le m a r é c h a l B e ssiè re s d 'u n e m a n iè r e sé vère, v ous m e t t r e e n tr a v e r s de la p o r te et faire a t t e n d r e le v is i te u r ; M o n sieu r le m a is q u e l es t-il? — J e l ’ig n o re, m a r é c h a l, et n ’ai p o in t l ’h o n n e u r de le c o n n a îtr e . » D ans ce m ê m e m o m e n t, u n e voix fo rte et a n im é e se f a isa n t e n t e n d r e : « Oh ! p a r b le u , j e ne m ’é to n n e p lu s, s ’écria le p r in c e de N eu c h âte l, il n ’y avait qu e L a n n e s capable de s ’in tr o d u ir e ainsi. » E n effet, c ’était lui, qu e je voyais p o u r AU CAMP RUSSE. — 1807. la p r e m i è r e fois. Il s o r tit p e u a p r è s , c a u s a q u e l q u e s i n s ta n ts avec ces m e s s i e u r s et p a r tit. Dans la so irée , on disait q u e le m a r é c h a l L a n n e s avait e u u n e e x p lic a tio n avec l’E m p e r e u r , d an s l ’i n te n tio n de le d é t o u r n e r de l’arm istic e q u ’il vou la it ac corder, et q u ’il avait d e m a n d é le c o m m a n d e m e n t de l ’av a n t-g ard e. Ce fut d a n s la j o u r n é e d u 21 q u e le géné ral Duroc, g ran d m a ré c h a l d u P alais, p o r t a à l’e m p e r e u r A lexandre le traité d ’a rm istic e , e n a t te n d a n t les nég o c ia tio n s qui d ev ra ie n t avoir lieu p o u r c o n c lu r e la paix. Le 25, e u t lie u l ’e n t r e v u e des d e u x e m p e r e u r s s u r u n ra d e a u , établi s u r le N iém en p a r le g é n é ra l d ’artillerie Lariboisière. Cette e n t r e v u e d es d e u x p lu s p u is s a n ts p rin c e s de l ’E urope a eu tro p d e r e t e n t i s s e m e n t p o u r q u e j ’en re tr a c e ici to u te s les p a r tic u la rité s . Je r a p p e lle ra i s e u le m e n t, c o m m e u n d e s faits les p lu s e x tra o r d i n a ir e s , le s é jo u r d u Czar et du roi de P r u s s e au m ilieu de l ’a r m é e française, a y a n t c h a c u n u n b ataillo n de le u r g a r d e d a n s la ville, et n ’a y a n t d ’a u t r e ta b le q u e celle de N apoléon. La r e in e de P r u s s e , r e m a r q u a b le p a r sa b e a u té et la p a r t active q u ’elle av ait p rise d a n s ce tte g u e r r e , v int a u s si e m b e llir p a r sa p r é se n c e la r é u n io n d e s tro is m o n a r q u e s . (E lle n ’arriva qu e le 28 avec so n époux .) La paix é ta n t t o u t fait décidée, e t le tra ité définitif u n e affaire de t e m p s , d e s r a p p o r ts b ie n v e illa n ts s ’é ta b lire n t b ie n tô t e n t r e les d e u x a r m é s . N ous pro fitâm e s de ce tte h e u r e u s e c irc o n s ta n c e , m o n frè re e t m o i, p o u r o b te n ir du m a ré c h a l B essières la p e r m i s s io n de p a s s e r d a n s le ca m p des R u s s e s afin d ’y r e n c o n t r e r n o tr e c o u s in g e r m a in , le m a r q u i s de Laizer, aide de c a m p d u g é n é ra l e n ch e f le c o m te B e ning se n . L o rs q u e n o u s d é b a r q u â m e s s u r les b o r d s d u N iém en , n o u s v îm e s é c rit s u r u n p o te au : « Mes s ie u rs les officiers français s o n t invités à n e pas p é n é t r e r 146 SOUVENIRS MILITAIRES. d a n s le biv o u a c des B a sk irs, p eu p le à p e u p r è s sau v ag e , arrivé d e p u is p e u à l’a r m é e . » En effet, le j o u r o ù n o tr e av ant-garde a p p r o c h a it de Tilsit, elle r e n c o n t r a c e tte tr o u p e q u i n ’avait p o u r a r m e s q u e d e s flèches q u ’elle d é c o c h a it en f u y a n t, à la m a n iè r e des P a r t h e s ; a u ssi, ce tte m a n iè r e de c o m b a tt r e excita le rire de n o s sold a ts qui tro u v a ie n t de te ls a d v e r s a ir e s b ie n p e u r e d o u ta b le s . E n a r r iv a n t a u x p o s te s av a n cé s, j ’y tr o u v a i p a r l ’effet du plu s h e u r e u x h a s a rd le j e u n e c o m te de L evachow avec le q u e l j ’avais e u ja d is les r e la tio n s le s p lu s in tim e s à N aples. N ous n o u s e m b r a s s â m e s avec toute l ’effusion de n o tr e âge, en r a p p e la n t à n o tr e s o u v e n ir c e tte é p o q u e , si p e u éloignée, de b o n h e u r e t de plaisir. 11 n o u s a p p r it qu il était lu i- m ê m e a u s s i a id e de c a m p d u g é n é r a l en c h e f et, p a r c o n s é q u e n t, c a m a ra d e d e n o tr e c o u s in e t q u a u s s itô t a p r è s av o ir r e m p li la m is sio n d o n t il éta it c h a rg é, il irait le p r é v e n ir de n o t r e p r é s e n c e . 11 r e v in t u n e d e m i- h e u r e a p r è s e n n o u s a n n o n ç a n t q u e Laizer, r e te n u p a r so n s e r vice, n e p o u r r a it n o u s v o ir q u e le le n d e m a in , et n o u s n o u s sé p a r â m e s a p r è s av o ir r e ç u d u c o m te de L evachow la p r o m e s s e de sa visite à Tilsit. Ainsi q u ’il avait été co n v e n u , je m e r e n d is a u ca m p r u s s e , m a is se u l, m o n frè re é t a n t de service. Mon co u s in a t te n d a it s u r le b o r d d u N ié m e n , e t ce fut avec u n e m u tu e lle sa tisfa c tio n q u e n o u s n o u s r e tr o u v â m e s a p r è s u n e s é p a r a tio n de p lu s i e u r s an n é e s . L o rs q u e l ’A rm é e de Condé q u itta la P o lo g n e p o u r aller s u r le s b o r d s d u R hin, M aurice de Laizer, q u i e n faisait partie, e n t r a au service de R u s sie p a r la p r o te c tio n de L ouis XVIII qui o b tin t de le faire a d m e tt r e , bien q u e fort je u n e , d a n s l ’é t a t- m a jo r de l’a r m é e , et, avec ce p u is s a n t a p p u i, sa b o n n e c o n d u ite e t s o n in s t r u c tio n , i| a v a n ça r a p i d e m e n t. L o rs q u e n o u s n o u s r e tr o u v â m e s , il était capi TILSIT. — 18 07. 147 ta in e aide de c a m p d u g é n é r a l e n c h e f B e n in g se n et d é c o ré de p lu s i e u r s croix ; so n c h e f a u q u e l il m e p r é s e n t a m e fit u n accu e il b ie n v eillan t et m ’en g a g ea à d é j e u n e r . Mais l o r s q u ’il c o n n u t m a p o sitio n m ilita ire , il ne f u t so r te de q u e s tio n s q u ’il n e m e fît s u r l ’E m p e r e u r e t n o s g é n é ra u x . E n q u itt a n t le c o m te B e n in g se n , m o n c o u s in m e p r o m e n a d a n s le c a m p e t m e c o n d u isit p r è s d u c h e f d e s C osaqu es Jlo v a ïsk y ; ce j e u n e lie u te n a n t g éné ral, d ’un e t o u r n u r e tr è s distin g u ée , p a r la n t le fra n ça is avec la p lu s g r a n d e p u r e té , f u t d ’u n e a m a b ilité p a r f a ite ; il fit m a n œ u v r e r d e v a n t m o i u n p eloto n de C osaques et m ’offrit e n le q u it ta n t u n b e a u y a ta g a n que j ’avais a d m ir é . Le le n d e m a in , j e lui envo yai u n tr è s joli fusil de c h a sse q u e , fort h e u r e u s e m e n t, j e p u s m e p r o c u r e r . Le 26, les d e u x e m p e r e u r s m o n t è r e n t à cheval p o u r p a s s e r e n re v u e la G arde im p é r ia le d o n t l ’air m a rtia l et la m ag n ifiq u e te n u e s e m b la ie n t p r o d u ir e u n e vive im p r e s s io n s u r l’a u to c ra te . En a r r iv a n t s u r le f r o n t d es G e n d a rm e s d ’o r d o n n a n c e , s u r p r i s de voir u n e t r o u p e to u te g a lo n n é e e n a rg e n t, il d e m a n d a ce q u e c ’é ta it : « Ce co rp s, lui r é p o n d it l ’E m p e r e u r , est c o m p o s é d e s m e il le u r e s fam illes de F ra n ce , ce qui d o it vou s d o n n e r u n e idée de l ’e s p r ih n a tio n a l d e n o tr e p a y s . » A lex a n d re s ’a r r ê t a q u e lq u e s in s t a n ts d e v a n t les G en d a rm es d ’o r d o n n a n c e e n l e u r a d r e s s a n t d e s c o m p lim e n ts ila tte u rs s u r le u r d é v o u e m e n t et le u r m a g n ifiq u e t e n u e . Le 28, l’E m p e r e u r ac c o m p a g n é du Czar, d u roi de P r u s s e et d u g r a n d - d u c C o n stan tin , fit m a n œ u v r e r le co rp s d u m a r é c h a l Davout. Le 30, e u t lieu le b a n q u e t m o n s t r e d o n n é p a r la Garde im p é r ia le à la g a rd e r u s s e e t p r u s s i e n n e ; les G e n d a rm e s d o r d o n n a n c e f u r e n t ch a rg é s de f e s to y e r les C hevaliers g ard e s cavalerie. r u s s e s , m ag n ifiq u e co rp s d ’élite de 148 SOUVENIRS MILITAIRES. Le 1er ju ille t, les G e n d a rm e s d ’o r d o n n a n c e et la cav alerie de la G arde im p é r ia le q u itt è r e n t T ilsit p o u r se r e n d r e à K œ n ig s b e r g e t p a r c o u ru r e n t- c e tte d istanc e de 34 lieues e n tr o is j o u r s , ta n d is q u e N apo lé on, avec so n in fan terie, r e s ta it à T ilsit p o u r y s ig n e r le traité de paix, le 9 de ce m ê m e m ois. Ils a r r iv è r e n t le l e n d e m a in d a n s la n u i t à K œ n ig sb e rg , t o u t e n c o m b r é p a r p lu s i e u r s a d m in is t r a tio n s e t q u a n t ité d ’e m p lo y é s q u e le d u c de Rovigo, g o u v e r n e u r de la ville, ü t é v a c u e r p o u r faire p lace au q u a r ti e r g é n é r a l et à la Garde im p é ria le . Grâce à ce tte m e s u r e , n o u s f û m e s logés, m o n frè re et m o i, d a n s u n fo rt bel h ô te l a p p a r te n a n t a u c o m te de L eh n d o rff qui, p a r u n e c o ïn c id e n c e d es p lu s h e u r e u s e s , avait b e a u c o u p v u m o n p è r e à P a ris a v a n t la R é v o lu tio n ; a u ssi, il n ’e s t s o r te de p r é v e n a n c e s d o n t n o u s no f û m e s l ’o b je t p a r c e tte a im a b le e t n o m b r e u s e fam ille, au m ilie u de la q u elle n o u s p a s s â m e s q u inz e jo u r s , d o n t le so u v e n ir n e d e v a it ja m a i s s ’effacer de m a m é m o ire . N ous tr o u v â m e s e n ville la 4° c o m p ag n ie des G e n d a rm e s d ’o rd o n n a n c e , forte de 100 chevaux, c o m m a n d é e p a r le p r in c e de Monaco, arrivée d e p u is tro is jo u r s et t r è s affligée de n ’a v o ir p a s p a r ta g é n o s tr a v a u x ; elle v e n a it de rec evoir l ’o r d r e d ’a lle r r e jo i n d re la 5° à Berlin, ce qu i s e m b la it co n firm e r les b r u i t s fâc h eu x de n o tr e dislo ca tio n , p o u r sa tis faire à la j a lo u s ie q u e n o u s in s p i r io n s d a n s l ’idée du s o r t b r illa n t q u i n o u s é ta it r é s e rv é . Je fus chez le p r in c e de N eufchâtel d o n t la b ie n v e illa n c e m ’était a s s u r é e et q u i m e c o n firm a c e tte tr is te n o u v e lle , e n m ’a j o u ta n t q u e l’E m p e r e u r r é c o m p e n s e r a it d i g n e m e n t le d é v o u e m e n t e t la c o n d u ite h o n o r a b le de n o tr e c o r p s ; p u is il m 'e n g a g e a à m e t r o u v e r le l e n d e m a in d a n s le sa lo n de réc e p tio n o ù to u s le s officiers de la Garde a v a ie n t le d r o it de se p r é s e n te r . C ette r e c o m m a n d a tio n m e s e m b la it |de tr o p £ o n a u g u r e p o u r y m a n q u e r . L o rsq u e j ’e n tra i d an s la salle, u n e g ra n d e ADJUDANT-MAJOR AU 5" H U S S A R D S . — 1 807. 119 p a r tie de la Maison m ilita ire de l ’E m p e r e u r s ’y tro u v ait, ain si q u e p lu s i e u r s g é n é r a u x , c o lo n els e t q u e l q u e s officiers de la G arde de to u s g r a d e s ; p u is, a rriv a l ’E m p e r e u r a c c o m p a g n é d u p rin c e de N eufchâtel. Il se p r o m e n a d o u c e m e n t, en a d r e s s a n t q u e lq u e s p a r o le s b ie n v e illa n te s au x u n s e t au x a u t r e s ; l o r s q u ’il s ’a p p r o c h a de m o i, le c œ u r m e b a ttit p lu s f o rt que d a n s la b a r a q u e de Ile ils b e r g ; il m e fixa u n m o m e n t , et j e c r u s a p e r c e v o ir u n léger s o u r ir e lo r s q u e le p r in c e m e d i t : « S. M. v o u s a n o m m é a d j u d a n t - m a j o r au 5e r é g i m e n t de H u ssa rd s. — Oui, oui, h u s s a r d s », d it l ’E m p e r e u r e n s ’é lo ig n a n t ; ce qui m e valut, l o r s q u ’il lu t p arti, force c o m p lim e n ts e t de p o ig n é e s de m a in , e n t r e a u tre s de m o n cousin, E d m o n d de T a lle y ra n d de P é r ig o rd , ca p i ta in e au 5e H u s s a rd s , le q u e l, v e n a n t d ’ê tre n o m m é aid e de c a m p d u p rin c e de N eufchâtel, m e fit c a d e a u de se s u n i f o rm e s et é q u i p e m e n t s , p r é s e n t d ’a u t a n t p lu s p r é c ie u x q u ’é t a n t de la m ê m e taille, j ’étais re v ê tu le l e n d e m a in de la m ag n ifiq u e p e lisse , b la n c h e et or, d u n o u v e a u c o r p s a u q u e l j e v e n a is d ’a p p a r te n ir . Le 12 ju ille t, le m a r é c h a l B e ssiè re s fit m o n t e r à cheval les G e n d a rm e s d ’o r d o n n a n c e p o u r le u r a n n o n c e r a u n o m de S. M. l ’E m p e r e u r q u ’ils é ta ie n t licenciés, m a is q u e S. M., v o u la n t d o n n e r p r e u v e de sa satisfaction de la b r illa n te c o n d u ite q u ’ils a v a ie n t te n u e d e p u is l e u r in s titu tio n , les c o n s e rv a it to u s d a n s l ’a rm é e . E n effet, p a r u t le l e n d e m a in le travail qui avait été fait à cet égard. Le g é n é ra l c o m te de M o n tm o re n c y fut a tta c h é à la Mai s o n m ilita ire de l ’E m p e r e u r et fait g o u v e r n e u r de R a m b o u ille t; to u s les officiers p a s s è r e n t d a n s la ligne avec u n grad e s u p é r ie u r , et les G e n d a rm e s d ’o r d o n n a n c e f u re n t pla c é s s o u s - lie u te n a n ts d a n s les d ifférents r é g im e n ts de cavalerie. Q uant à c e u x d e la 4° et 5° c o m p a g n ie s qui ISO SOUVENIRS MILITAIRES. n ’av a ie n t pas fait la c a m p a g n e , ils d u r e n t faire p a r tie des V élites à c h e v al de la G arde im p é ria le , e t a u b o u t d ’u n a n p a s s e r officiers. Ainsi fut d is s o u s ce c o r p s d ’élite, d o n t le d é b u t fut si b rilla n t et d o n t l’a v e n ir éta it a s s u r é si la paix n ’était pbs v e n u e d é t r u i r e se s e s p é r a n c e s . IX AU 5° H U S S A R D S Le 13 ju il le t , la Garde im p é r ia le se m it en m a r c h e p o u r r e n t r e r e n F ra n c e , et, d a n s la m ô m e jo u r n é e , l ’E m p e r e u r p a r t i t p o u r P aris, ta n d is q u e les officiers n o u v e l le m e n t p r o m u s é ta ie n t dirig é s s u r les co rp s a u x q u e ls ils a p p a r te n a ie n t. Q u a n t à m o n frè re et à m oi, n o u s n e q u itt â m e s K œ n ig s b e r g q u e cinq j o u r s ap rè s, e m p o r t a n t d a n s n o s c œ u r s u n r e c o n n a is s a n t s o u v e n ir de la d o u c e e t b ie n v eil la n te h o s p ita lité d o n t n o u s a v io n s été l’ob je t au m ilie u d e ’ la b e lle et n o m b r e u s e fam ille de L e h n d o rff p e n d a n t seize j o u r s . N o tre s é p a r a tio n r e s s e m b la it au d é p a r t d ’e n fa n ts q u itt a n t le to it p a t e r n e l p o u r faire u n voyage de lon g c o u rs, p a r les s o in s et les a tte n t io n s d o n t n o u s étions e n to u ré s. S a c h a n t q u e n o u s allions p a r c o u r ir u n p a y s r u in é p a r la g u e r r e e t e n c o r e o cc u p é p a r de n o m b r e u s e s tr o u p e s , l ’on r e m p l i t m o n p e t it f o u rg o n d e p ro v isio n s de to u te s e sp èc es q u e , v a in e m e n t, n o u s vo u lio n s r e fu se r. Ce fut le 18 j u il le t q u e n o u s q u itt â m e s ce to it h o sp ita lie r, a y a n t p o u r c o m p a g n o n s de voyage N aucaze, de M ontravel et C harles de M o ntulé, d e v a n t n o u s s é p a r e r to u s les q u a t r e à M arienw erd e r p o u r n o u s d irig e r ch a c u n s u r n o s c o r p s resp e ctifs. N otre r é u n i o n se c o m p o s a it de q u a t r e m a îtr e s , cinq 132 SOUVENIRS MILITAIRES! d o m e s tiq u e s e t q u a to rz e c h e v au x , c h a c u n de n o u s e n a y a n t tr o is , e t m o n fou rg on é t a n t a tte lé de d eux p e tits che v au x p olon a is c o n d u i ts p a r u n j e u n e g a rç o n . C o n tra in t de lais s e r à l ’h ô p ita l m o n brave e t fidèle B o u rb o n n a is av e c u n e fièvre ty p h o ïd e q u i m e la issa it p e u d ’e s p o ir d e le rev o ir j a m a i s , ce fut d o n c s u r m o n c o s a q u e T ilsit q u e d u t se r e p o r t e r t o u te m a co n fia n ce ; a u r e s te je n ’avais q u ’à m e l o u e r d e sa c o n d u ite e t de so n in te llig en c e. La r o u te qu e n o u s a v io n s à su iv re se tr o u v a n t e n c o m b r é e p a r d e u x c o r p s d ’a r m é e , d o n t l’u n é ta it d irig é s u r l ’E spagne ta n d is q u e l ’a u tre allait p r e n d r e s e s q u a r t i e r s en P o lo g n e et e n Silésie, n o u s a d o p t â m e s la d é t e r m in a tio n d ’a b a n d o n n e r c h a q u e so ir les lie u x d ’é ta p e et de tâ c h e r de r e n c o n t r e r q u e l q u e h a b ita tio n éloignée de la r o u te p o u r y p a s s e r la n uit. Le p r e m i e r j o u r , ce f u t a p r è s avoir fait h u i t lie u es q u e n o u s tr o u v â m e s , à u n e d e m i- lie u e d a n s le s te r r e s , le c h â te a u de P h o r e n où l’i n te n d a n t , en l ’ab sen c e de so n m a ître , n o u s r e ç u t avec les d é m o n s t r a t i o n s les p lu s b ien veillantes, b ie n q u e p e u t - ê tr e elles ne f u s s e n t p a s t r è s sin c è re s . Il e s t vrai c e p e n d a n t q u ’il r e f u s a le m o n t a n t d e s d é p e n s e s q u e n o u s a v io n s faites, en cela se c o n f o r m a n t, disait-il, a u x o r d r e s de son m a îtr e . Le le n d e m a in , p a r c o u r a n t u n m ag n ifiq u e pay s en su i v a n t les b o r d s d u Frichs-Haff, n o u s f îm e s q uinz e lie u e s p o u r a t te in d re le s u p e r b e c h â te a u de T olknit, avec l’in te n t i o n d ’y faire u n s é jo u r, afin de r e p o s e r n o s c he v aux de ce tte forte j o u r n é e . A p e i n e é t io n s - n o u s établis q u ’u n sous-o fficier d e s G u id e s du p r in c e de N euc h âte l y arriva p o u r faire le lo g e m e n t de s a tr o u p e , avec la p r é te n tio n de n o u s e n faire d é g u e r p i r ; m a is, r é s o lu s à j o u i r de n o tr e d r o it de p r io rité , m a lg r é les m e n a c e s d u so u s-o ffic ie r se d is a n t p o r t e u r d ’u n o r d re , ROUTE EN ALLEMAGNE. — 1807. 183 n o u s lu i signifiâm es q u e ce se ra it avec ses chefs q u e n o u s a u r io n s à n o u s e n te n d r e . Le s e ig n e u r c h â te la in de ce bea u m a n o ir tr e m b la it de to u s se s m e m b r e s à l’idée d ’ètre t é m o in d ’u n e rixe sa n g lan te, et n e f u t r a s s u r é , à l ’a p p r o c h e des G uides, q u ’au m o m e n t où il e n t e n d it le c a p ita in e b lâ m e r s é v è r e m e n t la c o n d u ite d u sous-officier. Il r é s u lt a de ce p e tit in c id e n t q u e n o u s p a s s â m e s fo rt g a ie m e n t n o t r e s é jo u r e t q u e n o tr e h ô te e n fit les h o n n e u r s de la m a n iè r e la p lu s affable et avec u n e r e c h e r c h e de lu x e d o n t, e n le q u itta n t, n o u s lui té m o ig n â m e s to u te n o tr e re c o n n a is s a n c e . N ous a b a n d o n n â m e s n o n s a n s r e g r e t l’a g ré ab le s é jo u r de T olknit en y la is s a n t les G uides qu i d ev a ie n t a t t e n d r e les éq u ip a g e s du p rin c e de N eufchàtel. Q uan t au p rin c e , l ’E m p e r e u r l’avait e m m e n é avec lu i. A près h u i t h e u r e s d e m a rc h e , n o u s a r r iv â m e s à Elbing; m a is ce tte ville r e g o r g e a n t de tr o u p e s , n o u s d û m e s faire e n c o r e u n e lie u e d a n s le s te r r e s afin d ’a tte i n d r e u n e f erm e d a n s laqu elle n o u s tr o u v â m e s , fort h e u r e u s e m e n t, d u fo u rrag e p o u r n o s c h e v a u x e t o ù les p r o v isio n s de m o n fo u rg o n n o u s é v itè r e n t de m o u r i r de faim . Le le n d e m a in , p lu s h e u r e u x q u e la veille, n o u s t r o u v â m e s d a n s la jo lie ville de M a rie n b o u rg l’officier p a y e u r du 5e H u s s a r d s qui p a rv in t, n o n s a n s p e in e , à n o u s lo g e r d a n s u n e a u b e r g e a u m o m e n t où u n d é t a c h e m e n t de d r a g o n s en so rtait. D eux jo u r s a p r è s , n o u s e n t r â m e s à Marienw e r d e r où n a g u è re , av a n t la c a m p a g n e , n o u s étions r e s té s d eux m o is . Ce fut a p r è s u n r e p o s de cin q j o u r s qu e n o u s d û m e s n o u s q u itt e r p o u r p r e n d r e c h a c u n là direc tio n de n o s co rp s r e sp e c tifs : m o n frère s u r Berlin; et m oi vers les f ro n tiè r e s de la P o lo g n e . Cette s é p aratio n n o u s fut d ’a u t a n t p lu s p é nible q u e , n ’a p p a r te n a n t p as au m ê m e c o r p s d ’a r m é e , il était p r é s u m a b le q u e n o u s s e r i o n s l o n g te m p s sa n s n o u s voir, 154 SOUVENIRS MILITAIRES. Ce fut le 28 ju il le t q u e c h a c u n de n o u s , is o lé m e n t et f o rt tr i s t e m e n t , su ivit sa r o u te ; la m i e n n e se fit p e n d a n t trois jo u r s d ’u n e m a n i è r e assez d és ag réa b le, le p a y s a y a n t été c o m p l è t e m e n t d év a sté p a r la g u e r r e ; c ’est ainsi q u e j ’a r r i vai à T h o r n , assez b elle ville situ ée s u r la V islule .et tr è s fortifiée p a r l ’E m p e r e u r . Cette p a r tie de la P o lo g n e , q u ’il m e fallut p a r c o u r ir d a n s u n e l o n g u e u r de 42 lieues, offrait u n e arid ité d é s e s p é r a n te ; c o u p é e p a r d e s bois de sâ p in s, elle était p e u p lé e de lo in e n lo in p a r de chétifs villages, q u e lq u e s p e t its b o u r g s so u s la d o m in a tio n u s u r a ir e d es ju ifs. J e fus e n c o r e tr o p h e u r e u x d ’avoir r e c o u rs à eu x , ce q u i m e p e r m i t d ’a r r iv e r s a n s e n c o m b r e , ap rè s se p t j o u r s d ’u n e m a r c h e fatig an te , à la p e tite ville de Vill e m b o u r g où je tr o u v a i le g é n é ra l Pajol d o n t la b rig ad e se c o m p o s a i t d e s 5° et 7 ° h u s s a r d s ; sa r é c e p t i o n r e m p lie de b ie n v e illa n c e fut a c c o m p a g n é e d ’u n e inv itation à p a s s e r l a j o u r n é e p r è s de lui. Le le n d e m a in , 7 ao û t, doit ê tre c o m p té c o m m e u n des j o u r s h e u r e u x de m a c a r r i è r e m ilita ire , p a r la m a n iè re a ffe c t u e u s e d o n t j e fus a d m is à faire p a r tie de ce tte n o uvelle fam ille de b rav e s, et, p a r u n e c irc o n s ta n c e n o n m o in s favorable, il fallut q u e, ce m ê m e j o u r de m o n arriv é e , le r é g im e n t d is s é m in é dan s se s c a n to n n e m e n t s d û t se t r o u v e r r é u n i p o u r u n e re v u e d u c o m m is s a ir e d es g u e rre s. Le c olonel, p r é v e n u p a r u n e le ttr e d ’av is de l’é ta t- m a jo r g é n é r a l de l ’a r m é e , m ’ac c u e illit d ’u n e m a n iè r e d ’a u t a n t p lu s g r a c ie u s e q u ’à ce tte le ttre d ’a n n o n c e était j o in te u n e apo stille sig n é e d u p r in c e de N euc h âte l. P r é s e n té a u co rp s d ’officiers, j e fus p e u d ’in s t a n ts a p r è s r e c o n n u d a n s m o n gra d e d ’a d j u d a n t- m a jo r s u r le fro n t d u r é g im e n t en bataille, et, le soir, u n p u n c h flam b o y an t, d o n n é p a r le colonel, m e m i t b ie n tô t e n r a p p o r t avec m e s n o u v e a u x c a m a ra d e s. P e u d e j o u r s ap rè s, j ’e n t r a i e n fon ction de m a n o u v e lle LE 5e H U S S A R D S . — 1807. 155 p o s itio n , g e n r e de service tr è s a c tif (il n ’y a d a n s la cava le rie q u e d e u x a d ju d a n ts -m a jo r s p a r r é g im e n t) et assez difficile, m a is a p p ré c ié p a r l ’E m p e r e u r qui le d isa it ê tre la p é p in iè re d e s m e ille u rs officiers. Le 5e r é g im e n t de H u s sa rd s, qui v e n a it d ’être cité p l u s ie u r s fois d a n s ce tte d e r n iè r e c a m p a g n e o ù il avait p e r d u p lu s de 300 h o m m e s , était u n d e s p lu s b ea u x r é g im e n ts de l ’a r m é e p o u r son é lég a n t et m a g n ifiq u e u n if o r m e , c o n s is t a n t d a n s u n e p elisse b la n c h e av e c galons, g anses, olives et tr e ss e en la in e j a u n e et f o u r r u r e n o ir e , d o lm a n et p a n t a lo n b le u de ciel g a rn is de g alon s, de tr e s s e s et de fra n ges e n laine j a u n e , g ile t r o u g e avec g a n s e e t g alo n s j a u n e s , c e in t u r e c r a m o isie à n œ u d e n la in e r o u g e, s a b re ta c h e fond bla n c avec u n aigle e n cu iv re , b o r d é e d ’u n la rg e galon, et, a u b a s , le n° 5 ; sa b re c o u r b é à f o u rr e a u e n cu ivre, d e u x pisto le ts e t u n e p e tite ca rab in e , co lb ac k à flam m e b la n c h e avec ju g u la ir e e n c h a în o n s d e c u iv re ; le p e tit u n if o rm e à la m a m e l o u k avec tr e s s e e n laine. Même u n if o r m e p o u r le s officiers, s e u l e m e n t la p a s s e m e n te r ie e t les o r n e m e n ts en o r et la d istin c tio n d u g ra d e s u r les m a n c h e s et le p a n t a lon. E n g r a n d e te n u e de gala, p a n ta lo n b la n c et or, le dol m a n avec c e i n t u r e et b o ttin e s de m a r o q u i n r o u g e avec de tr è s p e tits é p e r o n s . Le h a r n a c h e m e n t d u cheval co n s ista it d a n s un e selle à la h u s s a r d e , garn ie de cu iv re à l ’e x tré m ité p o s té r i e u r e , s c h a b r a q u e b le u de ciel avec galon j a u n e , p o r te - m a n te a u r o n d e n d ra p b le u de ciel avec g alo n ja u n e a u x e x tré m ité s ; p o itra il p o r t a n t u n c œ u r e n cuivre, b rid e s o r n é e s de cu iv re e t m o r s s a n s b o s s e tte . Le colonel, n o m m é D ery, était u n créole de la Marti n iq u e , âgé de t r e n t e et u n a n s ; d e s tin é a u b a r r e a u , il avait fait d ’assez b o n n e s é tu d e s , m a is la R é v o lu tio n lui o u v r a n t u n e c a r riè re p lu s a n a lo g u e à ses g o û ts, il s ’eng agea d a n s le l or r é g im e n t de C h a sse u rs, d e v in t le c a m a ra d e d e lit de 156 SOUVENIRS MILITAIRES. M urât et o b tin t assez r a p id e m e n t l ’é p a u le tte p a r p lu s i e u r s a c tio n s d ’éclat. Sa t o u r n u r e d is tin g u é e , so n é d u c a tio n et sa b r a v o u r e d é t e r m i n è r e n t M urât à le p r e n d r e p o u r aide de c a m p à s o n r e t o u r d ’E g y p te , avec le g ra d e de c h e f d ’esca d r o n , e t il le fit n o m m e r c olo nel a u 5me H u s s a rd s ap rè s la bataille d ’Ién a. S ans v o u lo ir e n t r e r d a n s la p o litiq u e , j e d irai seulenqent q u e le tr a i té de Tilsit s t i p u l a n t d e s in d e m n ité s c o n s id é r a b le s , la c ré a tio n d ’u n r o y a u m e de W e s tp h a lie p o u r J é r ô m e B o n a p a rte e t u n r e m a n i e m e n t de la P olog ne, q u a t r e c o r p s d ’a r m é e d u r e n t o c c u p e r le p a y s c o n q u is j u s q u ’à-ceque to u te s les c o n d itio n s de ce traité e u s s e n t re ç u le u r p le in e et e n tiè r e e x é c u tio n , et, à c e t effet, les t r o u p e s f u r e n t r é p a r ti e s e n P r u s s e , e n P o lo g n e , d a n s la Silésie et la Hesse. La b rig ad e d u g é n é r a l P ajo l fa isa n t p a rtie d u co rp s d ’a r m é e d u m a ré c h a l Davout, n o u s r e ç û m e s l ’o rd re de n o u s d ir ig e r s u r V arsovie où n o u s a r r iv â m e s le 23 aoû t, ap rè s av o ir t r a v e r s é u n p a y s s a b lo n n e u x , m is é r a b le et c o m p l è t e m e n t r u in é p ar la g u e r r e . Le 5meH u s sa rd s r e s ta s e u le m e n t q u a r a n t e - h u i t h e u r e s d a n s ce tte b elle capitale, a p r è s le s q u e lle s il f u t r é p a rti d a n s d es c a n to n n e m e n t s assez m a u v a is p o u r la tr o u p e , m a is où le s officiers tr o u v è r e n t u n e b ie n v e illa n te h o sp ita lité d a n s les n o m b r e u x c h â te a u x qui c o u v r a ie n t le pay s. C’e s t d a n s ce tte p a r tie d e la P o lo g n e q u ’éta it s itu é le m a j o r â t de 200 000 livres de r e n te d u m a r é c h a l D avo ut avec u n m ag n ifiq u e c h â te a u . N on loin de ce b e a u m a n o ir se t r o u v a i t la Galicie a u t r i c h ie n n e , en face de laq uelle f u r e n t établis d es p o s te s d ’o b se rv a tio n b ie n q u e n o u s n e fu ss io n s p a s en g u e r r e avec ce tte p u is sance, m a is s u r l ’avis q u e so n a r m é e se r e n f o rç a it co n s id é r a b l e m e n t s u r ses f ro n ti è r e s . A peine étais-je établi depuis quelques jours au château MISSION A BRESLAU. — 1801. 151 de Czelemtziky chez le c o m te W u r s c h o w , d o n t l ’accueil m e faisait p r é s a g e r u n s é jo u r a g ré a b le a u m ilie u de sa famille, q u e j e fus a p p e lé p r è s d u c o lo n e l afin de re c e v o ir ses i n s t r u c tio n s s u r u n e m is s io n q u e j ’a u r a is à r e m p l i r tr è s in c e s s a m m e n t. P u is , cette affaire de service t e r m in é e , il m e r e m i t le b r e v e t de chevalier de l ’o r d r e de la F id élité de Bade que- v e n a it de lui a d r e s s e r p o u r m oi le p r in c e de N eu c h âte l. Cette faveur, à la q u e lle je n e m ’a tte n d a is n u l le m e n t, m e fut e x p liq u ée p lu s ta rd . L o rs de la paix de Tilsit, des croix é t ra n g è r e s f u r e n t d o n n é e s a u x officiers de la Maison de l’E m p e r e u r et à la Garde im p é ria le : le co rp s des G e n d a rm e s d ’o r d o n n a n c e y fut n a t u r e l l e m e n t c o m p ris p o u r deu x, et je re ç u s la m ie n n e c o m m e a y a n t été d éc o ré le p r e m i e r de ce corps. L a m is s io n d o n t j e fus c h a rg é avec l ’a u to ris a tio n d u m a ré c h a l M ortier, d o n t le q u a r ti e r g én é ral était à B reslau , fut de m e r e n d r e en c e tte ville à l ’effet d ’y é tab lir, so u s m a su rv eillan c e spéciale, d es a te lie r s p o u r le r é g im e n t, y faire c o n fe c tio n n e r d es effets d ’é q u i p e m e n t, r e m e t t r e l’a r m e m e n t en état, et re c e v o ir u n e r e m o n t e assez c o n s id é r a b le d o n t n o u s a v io n s u n u r g e n t b esoin. « A m on père, « Breslau, le 13 décembre 1801. « L o rs q u e m a d e r n iè r e v o u s a n n o n ç a it n o tr e c h a n g e m e n t de p o sition, j ’ignorais, m o n père, q u el en se ra it le r é s u lta t, m a is, a u j o u r d ’h u i, j e p u is n o n s e u le m e n t vous r a s s u r e r s u r les c r a in te s q u e cela v o us ca u sa it, m a is en m ê m e te m p s vous m e ttr e à m ê m e d 'a p p r é c ie r to u s les a v a n ta g es q u e je p u is r e t i r e r de m a situ atio n p r é s e n te . Le r é g im e n t a u q u e l j ’a p p a r tie n s a b e a u c o u p souffert dans ce tte d e r n iè re c a m pagne, ay a n t to u jo u r s form é l’avant-gard e de l ’a r m é e avec 158 SOUVENIRS MILITAIRES. le 7° H u s s a rd s c o m m a n d é p a r E d o u a r d Colbert, m o n c a m a r a d e de p e n s io n ; ces p e r te s v o n t ê t re p r o m p t e m e n t r é p a r é e s a u m o y e n de la c o n s c r ip tio n e t de belles r e m o n t e s f o u r n ie s p a r le M e k lem bou rg . « Le p o s te d ’a d j u d a n t- m a jo r q u e j ’o cc u p e (il n ’y en a q u e d e u x d a n s la cavalerie) d e m a n d e de l ’activité, de l ’inte lli g enc e et d e l ’in s t r u c tio n m ilita ire ; ce tte d e r n iè r e qualité la isse b e a u c o u p à d é s ire r , m a is , avec u n b o n v o u lo ir, l ’aide de la th é o rie jo in t e à la p r a tiq u e , je su is c e r ta in d ’être av a n t p e u p a r f a it e m e n t a u c o u r a n t ; m a is le difficile de m o n e m p lo i, c’e s t de sa voir c o n s e r v e r la confiance d u colonel et l’a m itié d e s officiers avec le s q u e ls il fa u t être à ch a q u e in s t a n t d a n s d e s r a p p o r t s de serv ice p lu s ou m o in s agré able s. J u s q u ’à p r é s e n t, je n ’ai r i e n à d é s ire r à c e t égard, m e s n o u v e a u x c a m a r a d e s a y a n t v u s a n s ja lo u sie la p la ce de f a v e u r q u e j ’ai o b t e n u e ; a u s si ferai-je to u t m o n p o ssib le p o u r m e m a i n t e n i r d a n s ces b o n n e s d isp o s itio n s. E n ce m o m e n t j e s u is c h a rg é ici, à B reslau, d ’u n e m is sio n assez im p o r t a n t e qui d e m a n d e r a u n e g r a n d e s u r v e illa n c e ; j ’ai d û établir différents ateliers p o u r le r é g im e n t, ta n t p o u r la c o n fe ctio n d e s é q u ip e m e n ts et la r é p a ra tio n d e l ’a r m e in e n t, e t je d o is a u s si re c e v o ir so u s m a re s p o n s a b ilité u n e r e m o n t e c o n s id é r a b le d o n t n o u s a v o n s u n b e s o in u rg e n t. « B reslau e s t u n e f o rt b e lle ville, capitale de la Silésie p r u s s ie n n e , o c c u p é e p a r le m a ré c h a l M ortier, qui y a son q u a r t i e r g é n é ra l, de n o m b r e u s e s a d m in is t r a tio n s e t p l u s ie u r s g é n é r a u x d e s q u e ls j ’ai r e ç u u n accu e il bienveillant,, e n tre a u t r e s les g é n é r a u x S u c h e t et B ecker, ce d e r n ie r a y a n t d e s r a p p o r ts avec l’A uverg ne p a r son m a riag e avec la s œ u r de Desaix, le h é r o s de Marengo. B reslau étail a v a n t ce lte d e r n iè re g u e r r e la place la p lu s forte de la S ilé s ie ; ce f u t le co rp s d ’a r m é e de J é r ô m e B o n a p arte c o m p o s é de S axons, de W u r te m b e r g e o is , de Bavarois et q u e l q u e s co rp s d 'a r SÉJOUR A BRESLAU. — 1807. 139 m é e fra n ça is q u i e n firent le sièg e; la d éfe nse d es P r u s s i e n s f u t vive; la place, e n to u ré e de fortifications g a rn ie s de 200 b o u c h e s à fe u et 6000 h o m m e s d ’in fan terie, r é s is ta assez lo n g te m p s , m a is finit p a r c a p itu le r le 5 ja n v ie r 1807, ce qui e n t r a în a la s o u m i s s io n de to u te la S ilésie et la c o m p lè te d e s tru c tio n d e s fortifications qu i f u r e n t e n t i è r e m e n t r a s é e s . La ville, s itu é e s u r l ’O der, est g ra n d e , ric h e , c o m m e r ç a n t e et tr è s p o p u le u s e ; la h a u t e so c iété y e s t tr è s n o m b r e u s e et fort a c c u e illa n te : a u s s i se passe-t-il p e u de jo u r s qui n e s o ie n t e m p lo y é s e n c o n c e r ts , b als ou soirées, d a n s le s q u e ls les officiers fra n ça is s o n t a d m is avec le p lu s g r a n d e m p r e s s e m e n t. C’e s t d a n s ces ce rcle s, p eu p lés de f e m m e s c h a r m a n t e s , q u e j e te r m i n e assez r é g u li è r e m e n t m e s jo u r n é e s et j ’y tr o u v e d ’a m p le s d é d o m m a g e m e n t s à m e s e n n u y e u x trav a u x . Mais, ce q u ’il y a de p lu s r e m a r q u ab le, c ’e s t u n club f é m in in , offrant to u s les a g r é m e n ts im a g in a b le s, d a n s le q u e l les p a tro n n e s s e s m e t t e n t a u ta n t de grâce qu e d ’im p o r ta n c e d a n s le u rs f o n c tio n s, s ’o c c u p a n t sa n s c e s s e d ’ê tre a g ré a b le s à to u t le m o n d e . A dmis, p a r l ’in te r v e n tio n de m o n h ô te , d a n s ce ce rcle o ù v ie n n e n t au ssi p lu s i e u r s g é n é r a u x e t officiers de l ’é t a t- m a jo r du m a ré c h a l, j ’y ai tro u v é d e u x F ra n ç a is e s : l ’u n e e s t la f e m m e d’u n g én é ral de division, l ’a u t r e la b a r o n n e d ’A... q u i j o u i t ici de la m ê m e r é p u t a t i o n de b e a u té q u ’à P aris, son m a ri o c c u p a n t u n e d e s p r e m i è r e s p la c e s a d m i n i s t r a tives d u p ay s co n q u is. P lu s ie u r s salles é l é g a m m e n t m e u b lé es se rv e n t, les u n e s p o u r les je u x de c o m m e r c e des d a m e s e t d e s h o m m e s d ’u n c e rta in âge; u n e a u tre , a u m ilie u de laqu elle se tr o u v e u n e v aste table r o n d e , e s t c o u v erte d ’a l b u m s , de d e s sin s, de g r a v u r e s e t de q u a n t ité de jo lie s co rb e ille s r e n f e r m a n t différents o u v r a g e s à p e in e c o m m e n c é s p o u r ne finir p e u t-ê tr e j a m a i s ; p u is, v ie n t la salle de c o n c e r t, o ù l ’on e n te n d de la m u s i q u e parfaite, et 160 SOUVENIRS MILITAIRES. enfin celle o ù l ’on d a n s e , p r e s q u e t o u j o u r s la m ie u x garnie e t la p lu s h a b i té e . Y o us devez p e n s e r t o u t ce q u e p e u t offrir d ’ag ré ab le u n e se m b la b le r é u n io n c o m p o s é e de f e m m e s c h a r m a n te s , g r a c ie u s e s , a im a b le s , où r é g n e n t la jo ie , le plaisir, la d an s e et les j e u x u n is a u m e ille u r ton, s a n s en e x c lu re c e r ta in e s in tr ig u e s de c œ u r su ivies de d o u c e s liaisons q u ’on refu se r a r e m e n t au x v a i n q u e u r s .. . «À ces détails, qui v o us p r o u v e r o n t q u ’on p e u t allie r les p la is ir s aux affaires, e s t v e n u se jo i n d r e u n in c id e n t de la p lu s h a u t e gravité e t d a n s le q u e l je m e su is tr o u v é j o u e r u n rôle à la v érité f o rt s e c o n d a ire , m a is q u i f u t s u r le p o in t de t r o u b l e r la b o n n e h a r m o n i e q u i r é g n a it e n tre n o u s et les h a b ita n ts . Déjà p lu s i e u r s d u e ls a va ie n t e u lie u avec d es officiers p r u s s i e n s s a n s em p lo i, to u jo u r s p r o v o q u é s p a r c e s d e r n ie rs , lo r s q u e le 2 d é c e m b re , le m a r é ch a l M ortier, v o u la n t c é lé b r e r l’a n n iv e r s a ire d u sa cre de N apo léon, d o n n a u n bal m ag n ifiq u e où fu re n t invitée s to u te s les p e r s o n n e s m a r q u a n t e s de la ville. Il faut c ro ire q u e , d a n s ce n o m b r e , p eu d ’h o m m e s y v in r e n t p a r affection, m a is, d u m o in s , ils s ’y c o n d u i s ir e n t à peu p r è s to u s de la m a n iè r e la plus c o n v e n ab le. C e p e n d a n t u n ex-colonel p r u s s ie n , c a u s a n t avec tr o is p e r s o n n e s , e n a llem an d , tin t d e s p r o p o s si in ju r ie u x s u r l ’E m p e r e u r q u e le capita in e d ’a r tille rie G ourgaud , avec le q u e l j e m e tro u v ais, qui les e n t e n d it et q u i p a rla it p a r f a it e m e n t ce tte la n g u e , lui dit : « M o nsieur, si v o u s n ’étiez p as ici, j e v o u s d o n n e r a is u n e « p a ire de soufflets, e t si v o u s avez u n r e s te d ’h o n n e u r , je « v o u s engage à les c o n s id é r e r c o m m e les a y a n t r e ç u s . — « P a rfa ite m e n t, r é p o n d le colonel, e t j'e s p è r e d e m a in v ou s « m e ttr e h o r s d ’é ta t d ’en p arle r. » T o u t ceci se p a s sa it d ’une m a n iè r e si fro id e m e n t c a lm e q u e nu l, ex c e p té les té m o in s, n e p ouvait se d o u te r q u ’a u m il ie u de la m u s i q u e , des d a n s e s et de la jo ie , se p r é p a r a it u n h o r rib le d ra m e . UN DU EL DE G O U RG AUD . - 180*. 161 « Q uan t à G ourgau d, d ’u n c a r a c tè r e ch e v a le re sq u e , d ’u n e b r a v o u r e r e m a r q u a b le e t avec l ’in so u c ia n ce de se s vingttr o is a n s, il m e s e rr a la m a in en m e d o n n a n t r e n d e z - v o u s chez lu i p o u r le le n d e m a in m a tin à 6 h e u r e s et s ’en fut d a n s e r c o m m e si de rie n n ’était. S e u le m e n t , il m e d it b a s a l ’oreille, e n m e q u i t t a n t , de tâ c h e r de voir le colonel p o u r lui d e m a n d e r q u e lle a r m e il c h o is is s a it; j e n e ta rd a i p o in t à le jo i n d r e e t il m e d it : « Le p isto le t, c ’e s t p lu s tô t fait ; » n o u s n o u s q u itt â m e s f r o i d e m e n t . C e p en d a n t, a p p r é c ia n t to u te la gravité de ce tte affaire, dan s la q u e lle il fallait u n e v ic tim e p a r la m a n i è r e d o n t elle était en gagée, m a r e s p o n sa bilité de té m o in m e ca u s a it u n e te lle anx iété q u e j ’avais c o m p lè t e m e n t o u b lié la d a n s e u s e q u i m ’avait ac c o rd é la valse q u ’o n jo u a i t en ce m o m e n t , lo r s q u e le g én é ral S u c h e t s ’e n a p e r c e v a n t : « Eh b ie n ! m e dit-il, la p r in c e s s e Czer« niskovva v o u s a t te n d i m p a t i e m m e n t e t v o tre négligence « p o u r r a i t v o u s faire p e r d r e ses faveurs, ca r vous savez « « « « q u ’elle est ex ig ea n te et ja lo u s e . — C’e s t vrai, m o n géné ral, rép o n d is-je , je vais lui faire m e s ex c u se s et la p r i e r de m e la is s e r lib r e u n m o m e n t , a y a n t à v o u s e n t r e te n i r s u r u n e chose fo rt i m p o r ta n te et d a n s la c r a in te d ’en « p e r d r e l ’o cc as io n . — Mais c ’est d onc bien grave ? — Exces« siv e m e n t. — E h bie n ! allez v ous dég a g er de votre m ie u x « « le « e t venez m e tro u v ez dan s le ca b in e t d u m a ré c h a l, n o u s y s e r o n s seuls. » En effet, la c h o s e se fit ainsi, et j ’in fo rm a i g én é ral de to u t ce qui s ’était p a s sé : « C’e s t vrai q u e c ’e s t tr è s grave, m e dit-il, ce colon el est le c o u s in g er- « m a in d u g én é ral T auzin qui a été tu é en d é fe n d a n t Bres« lau, il j o u i t ici d ’u n e g ra n d e c o n s id é r a tio n , m a is ce « n ’éta it p o in t u n e r a is o n p o u r in ju r ie r l ’E m p e r e u r . J ’ap« p r o u v e f o rt la c o n d u ite d u c a p ita in e G o urgaud p o u r « le q u e l je f o rm e d e s vœ ux b ie n s in c è r e s ; v o u s avez bie n « fait de m ’in s t r u ir e de ce tte affaire et j e m e c h a rg e d ’a r- m SOUVENIRS MILITAIRES. « r a n g e r cela avec le m a r é c h a l; s e u l e m e n t tâ che z q u ’on « n ’e n p a r le p as d a n s le bal. » J e p u s l ’e n a s s u r e r , et n o u s r e n t r â m e s d a n s le salon, m o i a y a n t la co n s c ie n c e d e ce q u e je v e n a is de faire d a n s l ’in té r ê t de m o n c a m a ra d e . P e u a p rè s, j e r e n tr a i chez m o i fort im p r e s s io n n é p a r ce qu i de vait se p a s s e r d a n s q u e l q u e s h e u r e s . « Dès la p o in te d u j o u r d u 2 d é c e m b re , u n p e tit billet d u c o m m a n d a n t d ’a r tille rie F le u r io t m e p r é v e n a it q u ’il v ie n d r a it d a n s la m a tin é e m e p r e n d r e avec u n e v o itu re . En effet, a u coup de s e p t h e u r e s n o u s p a r tî m e s , G ourgaud, le c o m m a n d a n t, u n c h i r u r g ie n - m a jo r et m oi, e m p o r t a n t u n e boîte de p isto le ts et u n e épée de c o m b a t. V ingt m i n u t e s a p r è s n o u s é tio n s s u r le te r r a i n choisi, o ù a r r iv è r e n t, p r e s q u e e n m ô m e te m p s , le co lo nel T auzin avec se s d eux té m o in s . « M essieu rs, dit ce p r e m i e r , d a n s le fra n ça is le « p lu s c o r r e c t, il e s t in u tile, j e p e n s e , d ’e n t r e r en expli« « « « ca tio n s s u r le m o ti f qui n o u s c o n d u it ici; j ’ai r e ç u l ’in s u ite la p lu s grav e q u ’o n p u is s e faire à u n m ilita ire , je v eu x d o n c e n tir e r ven g e an c e v ou s la issa n t le soin d ’en r é g le r les co nditions. » A près ces p aro le s, les p isto le ts visités f u re n t c h a rg és, d eux ép é es p la n té e s à tro is p a s de d is ta n c e et les d e u x a n ta g o n is te s placés à q u in z e p as avec la faculté d e m a r c h e r et ti r e r à volon té, a p r è s tro is c o u p s f ra p p és dan s les m a in s . « G o u rg a u d m ’av ait c h a rg é de dire q u ’il c o n s e n ta it à r ec ev o ir le p r e m i e r feu et d e m a n d a it q u ’a p r è s les q u a tre c o u p s tiré s s a n s r é s u lta t, on se b a t tit à l ’é p é e ; le colonel r e f u s a n o b l e m e n t la p r e m i è r e p r o p o s itio n et a c c e p ta la se co n d e . C ette affaire ainsi a r r ê té e avec le p lu s g r a n d c a lm e , le b a r o n d e F r e tz in g e n fu t c h a rg é de d o n n e r le signal. D eux c o u p s p a r t i r e n t en m ô m e te m p s et le colonel frappé en ple in e p o itr in e s ’affaissa e n d isa n t. « J e suis « m o r t. » N ous n o u s e m p r e s s â m e s to u s a u t o u r de lui ; n o tr e SÉJOUR A RRESLAU. — 18 0 7 . *63 m é d e c in lui d o n n a les p r e m i e r s so in s et on le t r a n s p o r t a d a n s sa v o itu r e . A ussitôt r e n t r é en ville, j e fus r e n d r e c o m p te a u g én é ral S u c h e t d u r é s u l t a t d u c o m b a t; il e n in f o rm a s u r - l e - c h a m p M. le m a r é c h a l M ortier. P e n d a n t d e u x jo u r s , o n e s p é r a s a u v e r le b le ssé, m a is il s u r v i n t u n e h é m o rr a g ie avec u n r e d o u b l e m e n t de fièvre q u i e m p o r t a le m a l h e u r e u x colonel. « Cette affaire m i t u n p e u de froid d a n s la société. Gourgaud f u t envo yé en m is s io n , les P r u s s i e n s r e t i n r e n t le u r la n g u e , et c o m m e de to u te cho se, on n ’y p e n s a p l u s 1. « J e m e s u is la issé e n t r a î n e r à c et é p iso d e, m o n p è r e , e n v o u s d o n n a n t q u e l q u e s d étails s u r m o n s é jo u r à B re s la u ; il faut m e p a r d o n n e r ce b ava rdage qui, a u fait, doit ê tre p o u r v o u s d ’u n bie n faible i n té r ê t; m a is il e n e s t p arfo is de la p lu m e et de la p e n s é e c o m m e d ’u n e p a rtie de ch a sse d o n t s o u v e n t le b u t e s t d é t o u r n é , m a is a u q u e l on r e v ie n t ; e t c ’e s t au ssi ce q u e je vais faire en v o u s p a r la n t de m o n frère. V ous savez q u e n o u s s o m m e s s é p a r é s e t d é jà b ie n é loign és l’u n de l ’a u t r e sa n s savoir q u a n d e t c o m m e n t n o u s p o u r r o n s n o u s rev o ir, n ’a y a n t d ’a u tre co n s o la tio n q u e celle de n o u s éc rire . Sa d e r n iè r e le ttr e m ’a fort affligé e n m ’a n n o n ç a n t la m o r t de m o n b ra v e e t fidèle B o u r b o n n a is q u e j ’avais été c o n t r a in t de la isse r à l ’h ô p ita l d e K œ n ig sb erg a tta q u é d ’u n espèce de t y p h u s qui laissait p e u d ’es p o ir de le sa uver, et j e v o u s jo in s ici le f aire-p art q u ’il v ie n t de m ’a d r e s s e r s u r le déc ès de ce fidèle s e r v it e u r : « On n e r ev ien t ja m a is du rivage d es m orts. Tu sau ras, m on a m i, q u ’ap rès de vains efforts, Ton p re m ie r écu y er, de g lo r ie u se m é m o ir e, A te rm in é se s jo u r s, p o in t au sein de la g lo ir e , t. C’est ce même Gourgaud qui devint plus tard premier officier d’ordonnance de Napoléon, le suivit à Sainte-Hélène, revint en France 164 SOUVENIRS MILITAIRES. Mais dans c er ta in sé jo u r , dans cet en d ro it fatal Que pour tr a n c h e r enfin n o u s n o m m o n s h ôp ital. J’ign ore m a in te n a n t si la p om p e fun èb re A dû rép on d re en to u t à c e t h o m m e c é lè b r e ; Mais je crain s q u ’un c e r c u e il sim p le m e n t fabriqué Ne c o n tien n e au jou rd ’h u i ce corp s in a n im é . Je le sen s, j e le v o is, c ette n o u v elle affreuse D evra fa ire à ton cœ u r u n e p la ie d o u lo u reu se. Mais en fin , m on am i, ce grand h o m m e n ’e st plus ! B orne d on c te s c h a g rin s, le s regrets su perflus, A ccorde te s b ie n fa its au su cc e sse u r m o d e ste , L’h ab itan t du N ié m en , au ssi brave que le s te , Que B o u rb o n n a is 1 form a, qu e lu i-m ê m e il c h o isit, Qu’il se p lu t à d r e sse r e n d irig ea n t T ils it2. M aintenant qu e j ’ai su co m p a tir à tes p e in e s, P e r m e ts que dans ton se in j e verse a u ssi le s m ie n n e s. Tu sa is c o m b ien l ’a m o u r a, su r m on con fid en t, De p o u v o ir e t d ’a ttra its? Tu co n n a is son p en c h a n t? H élas! Il payera ch e r tou s se s p la isirs fa c iles, Ces g r o ssie rs r en d e z-v o u s de filles in h a b ile s. L’E sculap e en ce jo u r veu t tr a ite r m on ga illa rd C om m e le fut ja d is l ’a m o u r e u x A b eilard . Tu com p ren d s son e ffr o i! » « J e suis s u r p r i s q u e m o n frè re n e v o u s ait p o i n t d o n n é d e s d étails s u r s o n colonel, c a r cela v o u s e û t r a p p e lé q u e jo rs de n o t r e é m ig r a tio n à D u sse ldorf, il é ta it avec d ’Avar a y et Le P e lle tie r de M orfontaine, u n de m e s a m is in tim e s ; p lu s âgé que m o i de d e u x o u tr o is a n s, s o n p h y s iq u e a g ré a b le et ses ta le n ts r e m a r q u a b l e s c o m m e m u s i c ie n et après son décès, en 1830 fut fait lieutenant général, aide de'cam p de Louis-Philippe et est mort pair de France. 1. C’est ce brave serviteur qui, à l’affaire de Neutgarden en Poméra nie, vint combattre près de moi, ainsi que je l ’ai écrit dans le temps. 2. Tilsit est le Cosaque prisonnier auquel je donnai ce nom en le prenant à m on service et dont la fidélité, ainsi qu’on le verra, n’a eu de terme que le jour où il eut, près de m oi, la tête emportée par un boulet de canon. SÉJOUR A BRESLAU. — 1 80 7 . 165 p e in tr e le fa isa ie n t fort r e c h e r c h e r d a n s la société. P lu s ta rd , l o r s q u e le s F ra n ç a is v i n r e n t s u r les b o r d s d u R hin, a lo rs que, m a lg r é m e s q u a to rz e a n s, v ous m ’envoyiez à l ’A r m é e de Condé, m o n h o m o n y m e H ippo lyte de P iré , d o n t le p è r e était r e n tr é en F ra n c e , se m it d a n s u n e b a r q u e , tr a v e r s a le fleuve e t f u t s ’e n g a g e r dan s u n r é g im e n t de h u s sa rd s , o ù s a b r illa n te c o n d u ite le fit p r o m p t e m e n t n o m m e r officier. P lu s ta rd , il v in t à P a r is o ù sa r é p u ta tio n de b ra v o u r e , so n s u p e r b e p h y s iq u e j o i n t s à ses ta le n ts , lui m é r i t è r e n t le s f a v e u rs d ’u n e fe m m e r e m a r q u a b le p a r sa b e a u té e t d o n t la p o sitio n la m it à m ê m e de faire o b te n ir de l ’a v a n c e m e n t à so n p r o té g é . De P i r é d e v in t c h e f d ’esca d ro n , aid e de c a m p d u p r in c e de N eu c h âte l, et, fait colonel de c h a s s e u r s à cheval d a n s la c a m p a g n e de Tilsit, il e û t d é s ir é m ’av o ir d a n s son r é g i m e n t ; m a is a y a n t été désigné s p é c ia le m e n t p a r l ’E m p e r e u r a u g ra d e d ’a d ju d a n t- m a jo r au 5e r é g i m e n t de H u s s a rd s , il d u t r e n o n c e r p o u r le m o m e n t à ses b o n n e s d isp o s itio n s à m o n égard, lo rsq u e , le h a s a r d p la ç a n t m o n frè re s o u s ses o r d r e s , il lu i fit l’a c c u e ille plus e m p r e s s é et m ’éc riv it q u ’il avait s o u v e n t à la p e n s é e le so u v e n ir de n o s j e u n e s a n n é e s e t c o m b ie n il se ra it h e u r e u x de tr o u v e r l ’o cc as io n de m ’en d o n n e r d es p reu v e s. « A dieu, m o n p è r e ; à b ie n tô t. » « Landsberg, 28 décembre 1807. « L a date de c e lte le ttre , c h e r frère, d o it te faire p e n s e r qu e B reslau n ’e s t plu s p o u r m o l q u ’u n s o u v e n ir, p u i s q u ’en ce m o m e n t j ’en su is éloigné de p lu s de 60 lie u es. C epen d a n t m e s i m p r e s s io n s s o n t e n c o re tr o p vives p o u r n e pas t ’e n r e tr a c e r u n e p a rtie , la issa n t de côté celles d o n t il e s t in u tile de t ’e n t r e t e n i r e t qui a p p a r t i e n n e n t à l ’âge des p a s sio n s. T u sais que le m o ti f de m o n sé jo u r d a n s cette 166 SOUVENIRS MILITAIRES. ville, qui a été de tr o is m o is , co n s is ta it d an s la m is s io n d o n t j ’étais c h a r g é ; j e l ’ai r e m p l i e c o n s c ie n c ie u s e m e n t, s u r t o u t p a r l ’envoi de 132 c h e v a u x e t le r e f u s de 18 que vainem ent v o u la it m ’i m p o s e r un m a jo r , ch a rg é des r e m o n t e s d o n t je v e u x o u b lie r le n o m . Il n e m e r e s ta it d o n c p lu s q u ’à r e jo i n d re le 5e H u s s a rd s , lo r s q u e je r e ç u s u n e l e t t r e f o rt aim a b le d u c o lo n el, m ’a n n o n ç a n t le pro ch a in d é p a r t d u r é g im e n t e t so n p a s sa g e p a r B reslau , et m ’a u t o r i s a n t à l ’y a t t e n d r e ; d éjà m ê m e , je faisais m e s a d ie u x de d e v o ir et de s e n tim e n t, lo r s q u e ce tte n o u v e lle m ’a r r iv a et c ’e s t à c e tte c irc o n s ta n c e q u e je d ois d ’av o ir été té m o in et a c te u r d ’u n é v é n e m e n t d o n t le so u v e n ir n e s ’effacera j a m a i s do m a m é m o i r e et qu e j e vais te r a c o n te r d a n s to u s se s d étails et la v é rité la p lu s exacte. Mais, avant, j e c o m m e n c e r a i p a r te r e n d r e c o m p te d ’u n d é j e u n e r p e u m o r a l a u q u e l j ’a s sista is, d o n n é p a r le c o lo n el de d r a g o n s L a m o th e . Il y avait les g é n é r a u x F o u rn ie r, L ah o u ss aie , A u g u ste Colb e r t e t Pajol, le c olonel L a fe rriè re -L é v ê q u e d u 3° H u s sa rd s, p u is l ’a d j u d a n t - m a j o r d u C o ë tlo sq u e t avec p are il n o m b r e de b e a u té s p r u s s i e n n e s et p o lo n a is e s . Un in c id e n t v in t t r o u b le r m o m e n t a n é m e n t n o tr e gaieté b r u y a n te , p o u r faire place à u n sp e cta cle qui m ’e û t s e m b lé in v ra ise m b la b le , si j e n ’e n n ’avais été té m o in , e t p o u r lequel j e fus lo in de p a r ta g e r l ’a d m ir a tio n de p lu s i e u r s convives. On é ta it a u d e s s e r t; le vin de C h a m p a g n e co u lait à flots et le s t ê te s c o m m e n ç a i e n t à s’échauffer, l o r s q u e p a r u t u n drag o n d ’o r d o n n a n c e , p o r t e u r d ’u n pli p o u r le g é n é r a l F o u r n i e r - d o n t il d e m a n d a it u n re ç u . « C 'est* juste, m o n g a rç o n , lui d it le « g éné ral, j e vais t ’e n d o n n e r u n qui n e s ’effacera p a s , » et, lui r e m e t t a n t l’e n v e lo p p e à la m a in : « T iens, p la ce -to i au « b o u t de la salle, le b ras te n d u , si tu n ’as p a s p e u r . — J e « n e co n n a is .pas cë m o t- là », r é p o n d it le d r a g o n e n se m e t t a n t e n p o sitio n s a n s t é m o i g n e r la m o i n d r e é m o tio n . LE COLONEL DO. . . — 1807. 167 « Alors, le g én é ral, p r e n a n t u n d es p isto le ts d u colonel L a m o th e , vise, p e r c e l ’e n v e lo p p e d ’u n e b alle et d o n n e 40 fra n c s à l’o rd o n n a n c e . Celui-ci e n s o u r ia n t se m i t en p o s itio n de n o u v e a u en a j o u t a n t : « Mon g é n é ra l, si v o u s « v oule z y m e t t r e vo tre p a r a p h e , j e s u is t o u t p r ê t. » F o rt h e u r e u s e m e n t ce tte é p r e u v e n e se r e n o u v e la pas, et le d ra g o n se r e ti r a a p r è s av o ir avalé d ’u n tr a it u n e boute ille de vin. « J ’a v o u e q u ’il n e m e f u t pas p o ssib le de p a r ta g e r l ’h i la rité p r e s q u e g é n é ra le ; ce tte sc è n e p r o d u is a it s u r m oi u n e p é n ib le é m o tio n , et j ’a d m ir a i b e a u c o u p p lu s le c o u ra g e u x sang-froid d u drag o n q u e l ’a d r e s s e du g én é ral. Le s u r l e n d e m a in , le c h e f de b a ta illo n D o..., a tta c h é à l ’é tat-m a jo r g én é ral, v e n a n t d ’ê tre n o m m é colonel d ’in f a n te r ie avec i n j o n c tio n de p a r ti r s u r - l e - c h a m p p o u r l ’E sp a g n e o ù se t r o u v ait so n r é g im e n t, v o u lu t in a u g u r e r sa n o m in a tio n p a r u n p u n c h a u q u e l f u re n t in v ité s p lu s i e u r s g é n é r a u x et a u t r e s officiers de to u s g r a d e s , d o n t j e faisais p artie. U ne sé an c e de ce g e n r e n e p o u v a it g u è r e avoir p o u r a c c e sso ire s q u e le p u n c h , la pipe et le je u , au s si il e n f u t a i n s i; u n e b o îte r e m p lie de dés se rv it d ’a r m e s a u x c o m b a tt a n ts e t la lu tte c o m m e n ç a . P e n d a n t q u e lq u e te m p s , le s ch a n ce s f u re n t assez égales ; m a is enfin elles t o u r n è r e n t d ’u n e m a n iè re te lle m e n t favorab le a u n o u v e a u colon el q u ’en p e u d ’in s ta n ts il e u t devant lui u n e m a s s e d ’or et d ’a r g e n t c o n sidérable. « J ’allais m e re tire r, lo r s q u e Charles d u C o ë tlosque t, s ’a p p r o c h a n t de moi, exigea la p r o m e s s e q u e n o u s s o r ti r io n s e n s e m b le . P e u à p e u , to u t le m o n d e s ’étant, écoulé, n o u s r e s tâ m e s se u ls avec l ’h e u r e u x a m p h y tr io n . « Mon« s ie u r le colonel, » lui dil m o n c a m a ra d e en p r e n a n t négli g e m m e n t s u r la ta b le les tro is dés, c a u s e de n o s d é s a stre s c o m m u n s , « il e s t m in u i t m o in s u n q u a r t, v o u s v o u d re z 168 SOUVENIRS MILITAIRES. « bien , j ’e s p è re , n o u s d o n n e r n o tr e re v a n c h e ju s q ir ’a u « m o m e n t o ù l ’h e u r e so n n e ra . — Q u ’à ce la ne tie n n e , lui « r é p o n d it celui-ci, car je su is v é r it a b le m e n t h o n te u x de « m o n b o n h e u r . » J e déclarai ne v o u lo ir p lu s jo u e r , t r o u v a n t m a p e r te de d o u ze Frédérics d ’o r p lu s q u e suffisante p o u r m a b o u r s e . « Sois tr a n q u ille , — m e d it Charles, avec « le p lu s g ran d sang-froid, — j ’en ai p e r d u quinze co m p ta n t, « j ’en dois t r e n t e - s e p t et to u t cela s’a r r a n g e ra . M onsieur le « c o lo n e l m e fera u n e d é c la ra tio n éc rite dan s laquelle il « s ti p u le r a n ’av o ir r ie n à m e r é c la m e r e t e n o u tr e n o u s « r e s t i t u e r a l ’a r g e n t c o m p t a n t q u e n o u s avons p e r d u . » « J e cro y a is q u e le p u n c h avait t o u r n é la ce rv elle à m o n c a m a ra d e ; m a is celui-ci, avec le m ê m e c a lm e : « N’est-ce « pas, M o nsieur le colonel, lui dit-il, q u ’a v a n t'le co u p de « m i n u i t v o u s aurez sa tisfait a u d é s ir q u e je vie n s d ’ex« p r im e r . — J e n e p u is concevoir, r e p a r ti t le colonel, la « signification d ’u n e m a u v a is e p la is a n te r ie ; je la tr o u v e « m ê m e a u s s i d é p la c é e q u ’i m p e r tin e n t e et, n ’é ta it la dis« ta n c e d e s g ra d e s q u i existe e n tre n o u s , j e v o u s d e m a n « d era is s u r - l e - c h a m p la satisfaction de votre in so le n c e . » « S tu p é fa it de t o u t ce q u e j ’e n t e n d a is sa n s y r ie n c o m p r e n d r e , sin o n q u ’u n orag e te rr ib le et sa n g la n t était s u r le p o in t d ’é c la te r , j e n e ta rd a i p o in t à ê tre i n s t r u i t de ce d o n t il s ’agissait. « M o n sieu r le colonel, lui d it C harles, le g r a d e n ’e s t p o u r « r i e n d a n s to u t e ce tte affaire ; je r e s p e c te ra is vos épa u« le tte s , si v o u s e n étiez d ig n e ; m a is u n e c h o s e -certaine « c’e s t q u e H ip poly te et m oi, q u i ne s o m m e s q u e capitain es, « n o u s avons le d r o it de v o u s faire b a isse r les yeux. Ce« p e n d a n t, c o m m e h o m m e , je su is t o u t p r ê t à v o u s d o n « n e r satisfaction de l’in su lte qu e v ous croyez avoir r e ç u e « de m o i; m a is, en ce m o m e n t, il v ous reste s e u le m e n t « cinq m i n u t e s p o u r e x é c u t e r m e s v o lonté s, et je v o u s LE COLONEL DO. . . - 1807. 169 « d é c la re q u e , ce te m p s p assé, c ’e s t e n t r e les m a in s de « M. le m a ré c h a l que s e r o n t déposés les d é s p ip é s avec « le s q u e ls v o u s avez e s c r o q u é n o tr e a rg e n t. » « Le c o lo n e l, p âle, t r e m b la n t de colère, d a n s u n p a r o x y s m e effrayant, se lève b r u s q u e m e n t , s ’e m p a r e d ’u n p istolet, fait feu s u r m o n a m i et le m a n q u e . S a u ta n t a u s s itô t s u r m o n s a b re p o u r en p e r c e r ce m is é r a b le , j ’allais m e j e t e r s u r lui, lo r s q u e d e u x sold a ts de p la n to n , attir é s p a r la d é to n a tio n e n t r e n t d a n s la c h a m b r e : « Retirez-vo us, d it le « colonel, je n e v o u s ai p o in t a p p e lé s ; » p u is, r e p r e n a n t son sang-froid : « M essieurs, n o u s dit-il, j ’ai failli ê tre u n « as sass in , j e su is à votre d isp o s itio n , m a is u n se m b la b le « so u p ç o n m ’avait e x a s p é r é ; recevez m e s ex c u se s s u r cet « affreux e m p o r t e m e n t. — Non, M onsieur, lui r ép o n d is-je ; « le fait e s t vrai o u faux, e t la r é p a r a tio n doit ê t re écla« « « « ta n te ; n o u s allons s u r -l e - c h a m p e n v o y e r c h e r c h e r p lu s ie u r s d e s p e r s o n n e s qui o n t p a s sé la so irée ici et les dés s e r o n t b risé s e n p r é s e n c e de n o u s t o u s ; voyez si vous y c o n s e n te z ? — N on, r e p r it avec f u r e u r cet ig noble « p e r s o n n a g e , p ren e z to u t l ’o r et l ’a r g e n t q u i e s t s u r la « « « « « ta b le e t j e m ’eng age à ne ja m a i s r i e n r é c l a m e r de ce qui m ’e s t dû, m a is r e n d e z - m o i les dés et q u e c e tte affaire s o it oubliée, car, d e q u e l q u e m a n i è r e q u ’elle to u r n e , le r é s u lt a t e n s e ra it t o u j o u r s affreux p o u r m oi. — Im p o ssiblo, lui dit Charles qui n ’avait p as b o u g é de d e s s u s sa « ch aise et c o n s e r v a it u n c a lm e im p e r tu r b a b le , il m e f a u t « votre d é c la ra tio n p a r é c rit, ou j e v o us d é s h o n o r e à la « face de t o u te l’a r m é e ain si q u e v o u s le m é rite z . » « Cette te rr ib le sc èn e s e m b la it n e p o u v o ir se te r m in e r , l o r s q u ’il m e s u r v in t u n e idée p o u r t â c h e r d ’a r r a n g e r cette é p o u v a n ta b le affaire. « J e p ro p o sa i q u e le colon el r e c o n n û t p a r écrit, de la m a n iè r e la p lu s sim p le, q u ’il avait r e ç u de Charles l ’a r g e n t no SOUVENIRS MILITAIRES. q u e celui-ci devait, p u is q u ’à l ’in s t a n t, n o u s n o u s e m p a r e r io n s de to u t e s les s o m m e s g a g n é e s p o u r les d o n n e r a u n e p a u v re fam ille française, établie en ville d e p u is p lu s i e u r s a n n é e s ; q u e le s d és s e r a ie n t b r is é s et j e té s a u feu sa n s e x a m e n et q u ’à ce p rix n o u s n o u s e n g a g io n s à g a r d e r le silence. « Le b ille t f u t é c r it d ’u n e m a in t r e m b l a n t e ; Charles en fit f r o id e m e n t la l e c tu r e , le p lia c o m m e s ’il v o u la it le c o n se rv e r, p u is le livra a u x fla m m e s avec les dés. N ous e m p o r t â m e s 3 465 fra n c s p r o d u its de l ’e s c r o q u e r ie , p o u r e n faire l ’usage décidé, s a n s m ê m e e n d is tra ir e n o tr e p e r te , et, en q u itt a n t c e t h o m m e m é p risa b le , n o u s lu i signifiâmes de ne ja m a i s n o u s p a r l e r si l’o ccasion de n o u s r e n c o n t r e r se p r é s e n ta it. « Ainsi se t e r m i n a c e tte d é g o û ta n te et ig n o b le affaire. « A la p o in te d u j o u r , le colonel p a r tit p o u r la Catalogne, e m p o r t a n t n o tr e m é p r i s et le r e g r e t de sa v o ir d e s braves c o m m a n d é s p a r u n c h e f a u s si in d ig n e *. « T ro is j o u r s a p r è s c e t é v é n e m e n t, le r é g im e n t a rriv a à B reslau q u e n o u s q u itt â m e s le s u r le n d e m a in . N otre m a r c h e , qui a d u r é h u i t j o u r s p a r u n froid excessif, n ’a pas la issé q u e d ’ê tre tr è s fatigante, le r é g i m e n t é t a n t to u s les 1. Pour on finir sur ce sujet, je dirai qu e.le colonel D ...* maître d’armes avant la Révolution, fut destitué sous l’Empire pour malver sations, et lors de la Restauration se présentait comme une victim e ; il devint maréchal de camp, puis lieutenant général avec une répu tation militaire fort équivoque et ayant acquis une espèce de célé brité politique qui s’est éteinte pour faire place au m épris général... Quant à m on ami, sa carrière fut brillante et honorablement ac quise; la Restauration le trouva colonel de hussards ; il devint lieute nant général dans la garde royale, directeur du personnel au m inis tère de la Guerre; donna sa dém ission à la Révolution de Juillet et vint comme Cincinnatus labourer ses champs et mourir en emportant le souvenir et les regrets denses compagnons d’armes. * (Il s’agit ici du général Donnadieu.) P . M. QUARTIER D’ H I V E R A LANDSBERG. — 1 8 0 7 - 1 808. 171 j o u r s d é ta c h é d a n s les villages, m o in s le chef-lieu, h a b i t u e l l e m e n t o cc u p é p a r l ’é t a t- m a jo r et la co m p a g n ie d ’élite. C’e s t ainsi q u e n o u s avons atte in t L a n d sb e r g , f o rt jolie ville d e la P r u s s e , s itu é e s u r la W a r th a , très p o p u le u s e , c o m m e r ç a n te et h a b i té e p a r des fam illes c o n s id é r a b le s d o n t n o u s r e ç û m e s le m e ille u r accueil. Logé chez le b o u r g m e s t r e de l ’e n d ro it, ce d ig n e m a g is tr a t m ’a offert, avec t o u te so r te d ’a m é n ité , u n b o n g îte, u n e table a p p é tis s a n te to u jo u r s g a rn ie d ’ex c ellen ts vins, et p a r - d e s s u s t o u s ces av a n ta g es, la société de sa famille p a r m i la q u elle sé t r o u vait u n e c h a r m a n t e et aim ab le p e r s o n n e , p a r la n t p a r f a ite m e n t le fra n ça is, t r è s b o n n e m u s i c ie n n e et d ’u n c a r a c tè r e p e u faro u ch e . Cet a p e r ç u d o it te p r o u v e r q u e n o u s s o m m e s d e s tin é s à p a s s e r u n ag ré ab le q u a r ti e r d ’hiver, si tou tefois l ’on v e u t b ie n n o u s y la isse r, fa isa n t d e s v œ u x b ie n s in c è r e s p o u r q u e t o n gîte soit a u s s i c o n f o r ta b le q u e celui d o n t j e su is e n p o s s e s s io n en ce m o m e n t. « A dieu d o nc, c h e r f r è r e ; ne m e la isse p lu s la n g u ir si l o n g te m p s à m e d o n n e r de te s n o u v elles , et q u e l le s q u e so ie n t te s d istra c tio n s, fais-y trêve u n m o m e n t e n fav eur de t o n m e ille u r am i. » « A C h a r l e s cle la B é d o y è r e à M i la n . « J e n e p u is t ’e x p r im e r , m o n am i, t o u t le p la isir q u e m ’a fait é p r o u v e r ta b o n n e et a im a b le m is siv e . Ce so u v e n ir de ta p a r t é ta it la m e ille u r e p r e u v e de to n c o n s ta n t a t ta c h e m e n t p a y é d ’u n r e t o u r b ie n s in c è r e ; j ’e u s s e p r is m ê m e ce tte initiative, m a is a y a n t a p p r is q u e tu avais q u itt é le l l ° C h a s s e u r s s a n s c o n n a îtr e ta n o u velle d e s tin a tio n , j ’a t t e n dais fort im p a t i e m m e n t q u e tu m ’e n in f o rm a sse s. « Te v oilà d o n c aide de c a m p d u p r in c e E u g è n e ; t u n e po u v a is c e r te s avoir u n m e i l l e u r p a t r o n , t a n t p a r sa h a u t e p o s it io n et ses ta le n ts m ilita ire s q u e p a r ses q u a lité s p e r SOUVENIRS 172 MILITAIRES. s o n n e lle s q u e j e p u is d ’a u t a n t m i e u x a p p r é c ie r q u ’il n ’a p o in t o u b lié l ’in tim ité qui ex ista it e n t r e n o s d e u x fam illes a v a n t la R é v o lu tio n et les p r e m i è r e s i m p r e s s io n s de n o tr e enfance. « T o u t ce q u e tu m e dis s u r la c o u r de la Vice-reine, son e n t o u ra g e , c e tte belle ville de Milan et les fête s qui s ’y d o n n e n t, e s t re m p li d ’i n t é r ê t et n e fait q u ’a u g m e n t e r m a sa tis f a c tio n de te v o ir pla cé d a n s u n e s p h è r e si a n a lo g u e à to n c a r a c tè r e : a u s si j e n e d o u te n u l l e m e n t de te s su c cè s et d u b r illa n t a v e n ir q u i t ’e s t rése rv é . « Il p ara ît, a u r e s te , q u e la f o rtu n e s o u r i t a u x G e n d a rm e s d ’o r d o n n a n c e , en v o y a n t le c o m te de M o n tm o re n c y atta c h é à la M aison m ilita ire de l ’E m p e re u r, D’A rb e rg c h a m b e lla n , Carion de N isas colonel de d ra g o n s, S o u rd is c h e f d ’e s c a d r o n des m a m e l u k s , d ’A lb u q u e r q u e aide de c a m p d u m a ré ch ai L an n e s, De V ence a tta c h é à M urât, d ’A re m b e rg officier d ’o rd o n n a n c e de l ’E m p e r e u r , d ’A lbignac c olon el aide de c a m p d u r o i d e W e s tp h a lie , N orv in s de M o n tb r e to n q u i a q u itté le sa b re et e s t m a i n t e n a n t m a g is tr a t, e t ta n t d ’a u t r e s p lu s ou m o in s a v a n ta g e u s e m e n t placés. Q u a n t à m o i, j ’ai cru devoir, q u o iq u e b ie n à r e g r e t, r e m e r c i e r le g é n é ra l S u c h e t de l ’h o n n e u r q u ’il m e faisait e n m e p r o p o s a n t d ’ê tre son aide de c a m p , lu i o b je c ta n t q u e là m a n iè r e spéciale d o n t l ’E m p e r e u r m ’avait n o m m é si p u b liq u e m e n t a d j u d a n t- m a jo r a u 5° r é g i m e n t de H u s s a rd s m ’im p o s a it le d ev o ir d ’e n r e m p l i r l’em p lo i. C’est a u s s i ce q u e je fais av e c zèle e t e n t r a in e m e n t, ce d o n t m o n c o lo n e l p a r a it satisfait p a r les m a r q u e s de b ie n v e illa n c e d o n t j e s u is l ’objet. Ce p o s te , c o m m e tu sais, d e m a n d e b e a u c o u p d ’activité et u n e ce r ta in e r é s e r v e ; j u s q u ’à p r é s e n t, j ’ai lieu de cro ire avoir r é u s s i p a r l’affection q u e m e té m o ig n e n t m e s ca m a ra d e s. « La ville q u e n o u s o c c u p o n s e n ce m o m e n t e s t si bien h a b ité e , q u e les fêtes s ’y s u c c è d e n t, m a lg r é les c h a rg es QUARTIER D'HIVER A L ANDS BE RG. — 1801-1808. 113 im p o s é e s au p a y s qui n e doit ê tre évacué q u ’a p r è s le p a y e m e n t in té g ral d es s u b s i d e s de g u e r r e : il e s t vrai de dire q u e l ’E m p e r e u r , p a r u n e d éc isio n b ie nveillante, v ie n t d ’o r d o n n e r q u e t o u t ce qui s e ra it fo urni e n n a t u r e ou en a rg e n t c o m p te r a i t en défalcation. E n c o n s é q u e n c e de ce tte d éc i sion, des états b ie n en règ le, visés p a r les chefs de co rp s et a p p r o u v é s p a r u n c o m m is s a ir e d e s g u e r r e s , d e v e n a ie n t les p iè c e s c o m p ta b le s des a u t o r i té s civiles du pays. Une a u tre d éc isio n n o n m o in s im p o r ta n te , qui p r o u v e c o m b ie n l ’E m p e r e u r s ’o cc u p e d u b ie n -ê tr e de ses tro u p e s, c ’é s t la g ra ti fication ac c o rd é e à c h a q u e grad é p e n d a n t to u t le te m p s que n o u s s é jo u r n e r o n s en P r u s s e (to u jo u rs e n défalcation de ce qu e d o it p a y e r ce tte p u iss an ce ), ce qui d o u b le nos a p p o i n t e m e n t s et n o u s p e r m e t de vivre d ’u n e m a n iè r e t o u t à fait lu x u e u s e e t p ro fitable au c o m m e r c e d u pays. « J e p o u r r a is te d o n n e r q u e l q u e s d étails s u r u n e fête q u e les officiers d u r é g i m e n t o n t d o n n é e a u x d a m e s de la ville et q u i a d u r é q u a r a n t e - h u i t h e u r e s ; m a is j e c r a in d rais de ta p a r t u n s o u r ir e d é d a ig n e u x e n p e n s a n t q u e t u es a u m il ie u d ’u n e p o p u la tio n o ù les p a s s io n s so n t t o u j o u r s e n éb u llitio n e t le p la isir de to u s .les in sta n ts. Mais, j e p r é f è r e te d o n n e r u n e id é e des jo u is s a n c e s re fu s é e s a u x d o u c e u r s d u clim a t de l ’Italie et d o n t n o u s u s o n s a m p l e m e n t : ce s o n t les c o u r s e s e n tra în e a u x , la c h a sse aux lo u p s e t a u x sa n g lie rs q u e n o u s faisons en g r a n d s s e i g n e u r s , c’est-à-dire avec d es m e u te s s u p e rb e s e t l ’assista n c e d es p a y s a n s. « Le r é s u lt a t d e n o t r e d e r n iè re e x c u r s io n a été deux sa n g lie rs, tro is lo u p s, u n r e n a rd et d e u x lièvres. Cette belle jo u r n é e , dirigée p a r le j e u n e c o m te de M ohlendorff, s ’est te r m i n é e p a r u n b a n q u e t v r a im e n t royal, offert d a n s sa belle ré sid e n c e , où se tr o u v a i e n t r é u n ie s b o n n o m b r e de f e m m e s r e m a r q u a b le s p a r le u r b e a u té , le u r élég a n ce et s u r t o u t 174 SOUVENIRS MILITAIRES. l e u r s g r a c ie u s e s m a n iè r e s , ce qu i p ro u v e q u e ch a q u e p ay s a ses spé cia lité s e t q u e t o u t gît d a n s la m a n iè r e de les a p p r é c ie r. « C ertes, l o r s q u e n o u s c o m b a tt io n s les a r m é e s p r u s s ie n n e s , p r é te n d u e s in v in c ib le s, n o u s étio n s loin de p r é v o ir d ’au ssi h e u r e u x r é s u lt a ts , bie n q u e la victoire n o u s f û t a s s u r é e p a r le g é n ie qu i n o u s g u id a it; m a is, tr o u v e r chez le v ain cu l ’a m é n it é et to u t e s les d o u c e u r s de l’h o sp italité, c ’e s t u n e s u r a b o n d a n c e de v e r tu s q u i fait l ’éloge d es P r u s sie n s, si to u te f o is la cra in te n ’e n e s t p as le m o b ile . Au r e ste , qu o i q u ’il e n soit, le m ie u x e s t de j o u i r d u p r é s e n t sa n s s’o c c u p e r de l ’avenir, et, à c e t égard, n o u s p o u v o n s n o u s flatter de r e m p l i r d i g n e m e n t ce tte m issio n . « Ton a m i de c œ u r . » Le c o lo n e l Dery, cité p o u r p lu s i e u r s a c tio n s d ’éclat, j o u is s a it à l ’a r m é e d ’u n e b r illa n te r é p u ta tio n et jo ig n a it à c e la u n e v é rita b le p as sio n p o u r so n r é g i m e n t , avec u n d é s i n t é r e s s e m e n t et u n e lo y a u té p e u c o m m u n e . F ie r de la r é p u ta tio n q u ’il avait a c q u ise d a n s ce tte d e r n iè re c a m p a g n e , il n ’avait q u ’u n b u t, q u ’u n e p e n s é e de to u s les in s t a n ts : c ’é ta it de faire d u 5e H u s s a rd s le p lu s b e a u co rp s de l ’a r m é e , b ie n q u ’il e n fût d éjà le p lu s é lég a n t p a r so n b r illa n t u n if o r m e , et, à cet effet, il voulait e m p lo y e r les 40 000 fra n c s d o n t l ’a v a it gratifié l’E m p e r e u r , et y jo in d r e a u s si le s é c o n o m ie s c o n s ié r a b le s q u ’il é ta it p a r v e n u à r é a lis e r p e n d a n t la c a m p a g n e , où les r é q u is itio n s s ’é ta ie n t faites d a n s l ’a r m é e d ’u n e m a n iè r e p e u m o rale. D epuis la paix, d es o r d r e s tr è s sévères a v a ie n t fait c e s s e r ces profits illicites d o n t p lu s i e u r s g é n é r a u x avaien t la r g e m e n t profité. L’E m p e re u r, ainsi q u e je l’ai dit, avait, s u r les s u b s id e s de g u e r r e , ac co rd é u n s u p p l é m e n t de solde au x officiers, m a is MISSION A BERLIN. — 18 0 8 . 175 a u s s i d é t e r m in é des gratifications au x r é g im e n ts qui avaient le p lu s souffert. De ce n o m b r e éta it la b rig a d e du g én é ral P ajo l qui f u t d és ig n é e p o u r 80 000 f r a n c s ; d éjà le 7e H u s s a rd s avait lo u c h é so n i n d e m n ité , lo r s q u e le c olonel D ery r é c la m a celle de son r é g im e n t ; o n ne lui envoya q u ’u n b o n de “25 000 francs. S u rp r is de ce m é c o m p t e , il re f u s a de r e c e v o ir ce tte s o m m e , et, s a n s avoir égard à ses j u s t e s r é c la m a tio n s , d e u x m ois s ’é c o u lè re n t s a n s e n t e n d r e p a r le r de r ie n ; p u is, s u r v in t n o tr e d é p a r t p o u r q u itt e r le co rp s d ’a rm é e d o n t n o u s faisions p a rtie . Ce f u t alors q u e le colon el p r it la d é t e r m in a tio n de m ’e n v o y e r à Berlin, p r è s de M. D aru, tr é s o r i e r g én é ral de l ’a r m é e . J ’en r e ç u s u n accu e il d ’a u t a n t m e ille u r q u ’av a n t m o n e n tré e a u service, lo r s q u e j ’étais à P aris, j ’allais f o rt a s s id û m e n t au x s o ir é e s d a n s a n te s q u e d o n n a it son é p o u se. E n p r e n a n t le c tu r e de la le ttr e d u c olonel, j e m ’a p e r ç u s n o n s e u le m e n t de sa s u r p r i s e , m a is a u s s i de son m é c o n te n t e m e n t . . « Avez-vous, m e dit-il, le b o n de 25000 francs? — Le voilà, M onsieur, lui dis-je, en le lui p r é s e n ta n t . — V euillez m e le confier et s u r t o u t g arde z le silence s u r la grav ité de c e tte affaire; je vous a s s u r e d ’avance le p a y e m e n t in té g ral des 40000 f r a n c s ; m ais, a u p a r a v a n t, il faut q u e j ’écrive a u p a y e u r d iv is io n n aire de B res lau ; v ous r e s te rez ici j u s q u ’a u r e t o u r de sa r é p o n se . J e v ous p r é s e n te r a i au m a r é c h a l V icto r afin q u e v o u s as sistiez a u x fêtes qui d o i v e n t avoir lie u p o u r l ’a rriv é e de so n é p o u se, et j e vous p rie de v o u s r a p p e le r que, p e n d a n t v o tre sé jo u r, v o tre c o u v e rt s e r a t o u j o u r s m is à la ta b le de Mrae D aru qui se ra c h a r m é e de v o u s revoir. » E n effet, p e n d a n t le te m p s q u e je re sta i à Berlin, j ’eus au ssi l ’h o n n e u r de d în e r chez M. le m a r é c h a l et j ’assistai c o m m e t é m o in fort actif aux tr o is bals m a g n ifiq u es qui f u r e n t d o n n é s l ’u n p a r lui, u n a u tre p a r Mmo D aru et le 176 SOUVENIRS MILITAIRES. tr o is iè m e p a r le c o m te de Moltke, u n d es p lu s g r a n d s sei g n e u r s de ce pays, où se t r o u v è r e n t r é u n i e s to u t ce que B e rlin r e n f e r m a it de p e r s o n n e s le s p lu s m a r q u a n t e s de c e tte b elle capitale. Le dix iè m e j o u r , je m e r e m i s en r o u te p o u r le r é g im e n t avec les 40 000 fra n c s, et n o u s a p p r îm e s p e u a p r è s q u e le p a y e u r avait été s u s p e n d u . L o rs q u e j e fus p r e n d r e congé d u m a ré c h a l V ictor, il m ’a n n o n ç a que le 5' H u s s a r d s avait été s u r le p o in t d ’a lle r en Espagne, m a is q u e, p a r u n e n o u v e lle d isp o s itio n , il d e v a it trè s in c e s s a m m e n t r e t o u r n e r e n Silésie. Cette no u v elle a t t r i s t a b e a u co up le r é g i m e n t et p e u t - ê tr e e n c o r e d av a n ta g e les h a b i t a n t s avec le s q u e ls n o u s a vions été p e n d a n t p r è s de d e u x m o is d a n s d e s r a p p o r ts t e l l e m e n t in ti m e s q u ’il n e se p a s s a it p as de s e m a in e s a n s b als o u s o ir é e s des p lu s an im és, et q u e la Légion p o lo n a ise , q u i devait n o u s r e m p l a c e r , était loin d ’offrir les m ê m e s s y m p a th ie s . L ’avant-veille de n o tr e d é p a r t, n o u s fîm e s n o s a d ieu x à la ville en d o n n a n t u n d e r n ie r bal a u x b e a u té s q u ’elle r e n ferm ait, bien c e r ta in s q u ’il y a u r a it q u e l q u e s la rm e s a m è r e s r é p a n d u e s e n so u v e n ir de la p elisse b la n c h e . Dès la p o in te du j o u r d u 19 fé v rie r 1808, n o s tr o m p e tte s fire nt e n t e n d r e le signal d u d é p a r t. U ne cavalcade des h a b ita n ts d e l à ville n o u s a c c o m p a g n a p e n d a n t q u a tre lieues j u s q u ’à u n e s u p e r b e v e rre rie , où n o u s tr o u v â m e s u n sp le n did e d é j e u n e r , d e r n i e r té m o ig n a g e de l ’affection q u e la b o n n e c o n d u ite d u r é g i m e n t s ’était attirée . Tel f u t le t e r m e de n o s r e la tio n s avec c e tte bien v eillan te po p u la tio n , a u m il ie u de laqu elle n o u s v e n io n s de p a s s e r d e u x m o is d ’un e m a n iè r e b ie n c e r ta in e m e n t p lu s ag ré able q u e dan s la m e ille u re g a r n iso n de F ra n ce . Le s e c o n d j o u r de n o tr e m a r c h e f u t m a r q u é p a r u n in c id e n t d o n t je cro is d ev o ir r e t r a c e r le p r in c ip e c o m m e s o u v e n ir h is to riq u e . Il e s t p e u de r é g im e n ts q u i n ’a ie n t à LE 5» H U S S A R D S . — 18 08 . t r a n s m e t t r e des a n t é c é d e n ts p lu s ou m o in s i n té r e s s a n ts q u i d e v ie n n e n t o r d in a i r e m e n t le s u je t d e s c o n v e rsa tio n s des c o r p s de g a rd e et d es biv o u a cs et, de ce tte m a n iè r e , se p e r p é tu e au s si bien q u e s ’é c rit l ’h istoire. L ’on sait, p a r ex e m p le , q u e les h u s s a r d s d a t e n t d u r è g n e de L o u is XV e t q u e les tro is p r e m i e r s r é g im e n ts f u r e n t cré és p a r les c o m te s de B e rc h e n y , de C h a m b o ra n e t le p rin c e d ’E s te rh a z y , s e i g n e u r s h o n g r o is qu i les fo r m è r e n t à le u rs frais et d o n t les h o m m e s f u r e n t p ris d a n s l e u r s s e ig n e u r ie s a u x q u e ls ils d o n n è r e n t le c o s tu m e n a tio n a l de l e u r p a y s ; p lu s ta rd , les a u t r e s fu re n t assez g é n é r a l e m e n t c o m p o s é s d ’A lsacien s et de L o rra in s. Le 5° f o rm é p e u de t e m p s av a n t la R é volution p a r le d u c de Lauzu n , p r it le n o m de so n fo n d a te u r et d u t à l ’in f o rt u n é e M arie-A ntoinette so n b r illa n t u n if o r m e q u ’il c o n s e rv a j u s q u ’à la R e sta u ra tio n . Mais, so u s l ’E m p ire, il fut o r d o n n é , a u g r a n d m é c o n t e n t e m e n t d es h u s s a r d s , de s u p p r i m e r la q u e u e et les c a d e n e tle s, coiffure à la q u elle ils te n a ie n t e s s e n ti e ll e m e n t e t d o n t o n n ’o b tin t q u e d ifficilem e n t la s u p p r e s s io n p a r la ré s is ta n c e d es co lo n e ls q u i r e g a rd a ie n t c e t o r n e m e n t c o m m e i n h é r e n t à la te n u e . Le 5° H u s s a rd s fut le d e r n ie r r é g i m e n t qui f u t c o n t r a i n t de se s o u m e t t r e . P l u s i e u r s fois, s u r le p o in t de faire e x é c u t e r c e t o r d re , le c olon el avait cé d é au c h a g rin de la t r o u p e ; m a is u n e n iè re in jo n c tio n fo rm e lle d u m in i s tr e de la G uerre n e m e t t a n t p lu s de différer d av a n ta g e, il fa llu t cé d e r n é c e s sité , e t à cet effet, je p ro p o sa i a u c o lo n el d ’e n der per à la finir to u t d ’u n c o u p sa n s la isse r aux h u s s a r d s le te m p s de la ré flexion; il a d o p t a m o n idée qui e u t u n plein su c cè s. O rdi n a i r e m e n t n o tr e m a rc h e était p a r ta g é e p a r u n e h a lte p lu s o u m o i n s lo n g u e p o u r la isse r r e p o s e r les c h e v au x et les r e s s a n g le r : ce fut ce m o m e n t- là qui f u t choisi. Le r é g im e n t, p ie d à t e r r e , la b r id e d a n s le b r a s g a u c h e , .1 O 1-18 SOUVENIRS MILITAIRES. r e ç u t le c o m m a n d e m e n t de m e t t r e le s a b re à la m a i n et de faire p a r le flanc d r o it; p u is , d a n s ce tte p o s itio n , l ’o rd re f u t d o n n é à c h a c u n de c o u p e r la q u e u e de s o n c h e f de file; c e tte e x é c u tio n se fit s p o n t a n é m e n t e t d ’u n e m a n iè r e si p r o m p t e et si in a t t e n d u e q u ’e n m o in s de q u e l q u e s m i n u te s , h u i t ce n ts q u e u e s r e s t è r e n t s u r le t e r r a i n qu e n o u s a b a n d o n n â m e s a u s s itô t s a n s la is s e r au x h u s s a r d s la faculté de faire l e u r s a d ie u x à un o r n e m e n t a u q u e l ils te n a i e n t ta n t. Le so ir ils n ’y p e n s a i e n t p lu s, et la coiffure à la T itu s d e v in t p o u r t o u jo u r s ce lle des h u s s a r d s d u r é g im e n t. Deux j o u r s ap rè s, n o u s a r r iv â m e s à la p e tite ville de G u rh a u o c c u p é e p a r le 3” H u s s a rd s , s o u s les o r d r e s d u colonel L a fe r r iè r e - L é v ê q u e . Le soir, les d e u x r é g im e n ts f r a te r n is è r e n t avec t o u t l ’a b a n d o n de frè re s d 'a r m e s h e u r e u x d e se r e n c o n tr e r . A ccaparé p a r m e s co llègu es, les d e u x a d j u d a n t s - m a j o r s et le c a p ita in e L antivy, u n de m e s am is, ils p a r v i n r e n t à m e faire d é r o g e r à m e s h a b i tu d e s e n m e faisa n t bo ire o u tr e m e s u r e , p a r s u ite d e s n o m b r e u x to a s ts a u x q u e ls il fallait r é p o n d r e et q u i fin irent p a r m e faire s u c c o m b e r . R e c o n d u it d a n s m o n gîte, d é s h a b illé et m i s d a n s u n lit, u n s o m m e il lé th a r g iq u e s ’e n s u iv it, j u s q u ’à la p o in te d u jo u r , q u i fut tr o u b lé p a r u n m o u v e m e n t sac cadé, a u pie d de m o n lit, d o n t j e n e p o u v a is m e r e n d r e c o m p t e ; in q u ie t et c o n s e r v a n t la c o n s c ie n c e de m a so irée b ac h iq u e , d a n s la q u e lle c e p e n d a n t je n ’avais p a s t o u t à fait p e r d u la ra iso n , j e s e n ta is q u e m o n lit s ’agitait p a r une ca u se e x t r a o r d i n a ir e ; alo rs, m ’e m p r e s s a n l d ’é c a r te r les r id e a u x , q u e lle s n e f u r e n t p a s m a s u r p r i s e et m a s tu p é fa c tion de v o ir u n co rp s h u m a i n s u s p e n d u à u n p ito n d a n s le p la fond , q u i se b a la n ç a it e n r a is o n d es m o u v e m e n t s que l ’a gitation d u vin m e faisait faire s u r m a co u c h e . Enfin, n e p o u v a n t p lu s d o u t e r d ’u n fait a u s si inexplicable, a llo n g e a n t la m a in j u s q u ’a u pied d u lit, j ’ac q u ie rs la co nviction B R E S L A U . — 1808. 179 q u ’u n co rp s e s t là, s u s p e n d u s a n s vie : j e crie, j ’appelle m o n h u s s a r d q u i r e c u le d ’effroi en v o y a n t m o n c o m p a g n o n de n u i t . C e p en d a n t la m a i s o n e s t b ie n tô t en l ’air et r e m p lie p a r le s v o isin s qui té m o i g n e n t le u r d o u le u r, m a is n o n le u r s u r p ris e , de ce fatal é v é n e m e n t qu i d e v ie n t a u s s itô t public. Ce m a l h e u r e u x était le p a s te u r de l ’e n d ro it, chez le q u e l je logeais. A tta q u é d ’u n e m a lad ie c h r o n iq u e , il avait te n té p lu s i e u r s fois de se d é t ru ire , m a is la surveillanc e avait j u s q u ’a lo rs m is obsta cle à se s fu n e ste s p ro jets. Il p a r a ît c o n s ta n t que, p e n d a n t la n u it, p r o fita n t d ’un m o m e n t favorable à se s d e s s e in s , il avait p e n s é q u e m a c h a m b r e é t a it le lieu le p lu s co n v e n a b le , e t p e u t - ê tr e m ô m e a y a n t été té m o in de m a r e n tr é e , avait-il j u g é q u ’il ne t r o u v era it a u c u n e o p p o sitio n de m a p a r t p u is q u e j ’étais c o m p l è t e m e n t é to u r d i p a r le v in ; ta n t e s t q u e ce m a lh e u r e u x était passé de vie à tr é p a s ; u n e c o r d e en f o r m e de n œ u d c o u la n t était a u t o u r de so n col; il avait d û m o n t e r su r m o n lit p o u r la p a s s e r d a n s le p ito n placé au plafond, et se l a issa n t p e n d r e de to u t so n po id s, il avait été étouffé au s sitô t. Je fu s su r -le - c h a m p chez le c o m m a n d a n t d é p l a c é lu i faire le réc it de c e tte f u n e s te c a t a s t r o p h e ; u n p r o c è s v e rb a l f u t d r e s s é e t l ’affaire t e r m in é e , m a is j ’e m p o rta i un so u v e n ir ineffaçable de cette lu g u b r e et te rrib le av e n t u r e . Le s u r le n d e m a in , en a r r iv a n t à B reslau, j ’a c c o m p a gnai le colon el chez le m a r é c h a l M ortier, afin de c o n n a ître les n o u v e a u x c a n to n n e m e n t s qui n o u s é t a ie n t d e s tin é s ; m a is , n e p o u v a n t n o u s y étab lir av a n t q u ’ils n e f u s s e n t év acu és p a r les t r o u p e s qui les o cc u p a ie n t, n o u s d û m e s s é jo u r n e r e n ville, fâc h e u se c i rc o n sta n c e , ainsi q u ’on va le voir, et q u ’on a u r a it p u é v ite r en n o u s faisan t r e s te r à W olh a u o ù n o u s a v io n s co u c h é la veille. Ce s é jo u r f u t m a l h e u r e u s e m e n t m a r q u é p a r u n e rixe de 180 SOUVENIRS MILITAIRES. c a b a r e t d o n t le s r é s u lt a ts f u r e n t d e s p lu s f u n e s te s et s u r le p o in t de l ’ê tre e n c o r e d av a n ta g e : q u a t r e g r e n a d ie r s f u r e n t tu é s, tro is p o r té s à l’h ô p ita l d a n s le p lu s tr is te état, ain si q u ’u n p o n to n n ie r et u n a r ti lle u r ; six h u s s a r d s f u r e n t a u s si b le ssé s trè s g r iè v e m e n t e t u n tu é . L o rs q u e j ’arrivai s u r le lie u de c e tte sc èn e d ép lo ra b le, le c o m b a t éta it p r è s de r e c o m m e n c e r avec d ’a u t a n t p lu s d ’a c h a r n e m e n t q u ’il arrivait d e s s o ld a ts de différents ré g i m e n t s et q u e p lu s de c i n q u a n te h u s s a r d s é ta ie n t ac co u ru s. Enfin, avec l ’aide de p lu s i e u r s officiers, n o u s p a r v în m e s à faire r e n t r e r c h a c u n d a n s ses q u a r ti e r s et de fortes p a tro u ille s c i r c u lè r e n t p o u r m a i n t e n i r l’o r d re et la tranq uilli té. Mais, p e n d a n t c e t é v é n e m e n t e t p a r u n e v é ritab le fatalité, il s ’en p a s sa it u n a u t r e n o n m o in s fu n este , q u i pouvait av o ir les s u ite s le s p lu s d é s a s tr e u s e s . U n officier de d r a g o n s, j o u a n t au billard avec le l i e u te n a n t P ie r r e , de la c o m pagnie d ’élite d u 5° H u s sa rd s, lui a y a n t te n u u n p ro p o s in s u l ta n t s u r la d is c u s s io n d ’u n c oup, ce lu i-ci en exigea s u r - le - c h a m p u n e satisfaction d a n s le café m ê m e oii la d isp u te avait eu lieu. L’officier d e d ra g o n s, perc é d e p a r t en p a r t d ’u n c o u p de p o in te , ex p ira s u r - l e - c h a m p ; q u a tre de ses c a m a ra d e s v o u l u r e n t le ven g e r e t défiè re n t les offi ciers d u r é g im e n t : les sa b re s f u r e n t a u s s itô t tir é s e t les a d v e r s a ir e s se p l a c è r e n t vis-à-vis les u n s d e s a u t r e s en tra v e rs du b illa rd , d é jà m ê m e ils se p o r ta i e n t des co ups qui n ’e u s s e n t p a s ta r d é à d e v e n ir fu n e ste s, l o r s q u ’un d é t a c h e m e n t d ’in fan terie q u ’o n avait été c h e r c h e r , vint sé p a r e r les c o m b a t t a n t s ; p r e s q u e en m ê m e t e m p s , l e g én é ral L a h o u s s a ie et les c o lo n els Dery et L a m o lh e qui se p r o m e n a i e n t s u r la p lace, in f o rm é s de ce tr iste et m a l h e u r e u x é v é n e m e n t, se tr a n s p o r t è r e n t a u s s itô t au café où le u r p r é s e n c e p r o d u is it le m e ille u r effet. Des e x p lica tio n s e u r e n t lie u à la s u ite d e s q u e lle s les of L ’A B B É DE B O M B E L L E S . — 18 0 8 . 181 ficiers de d ra g o n s e u x - m ê m e s f u r e n t obligés de r e c o n n a îtr e q u e le u r in f o rtu n é c a m a ra d e avait été l ’a g re s s e u r . La paix f u t faite et l ’on e m p o r t a le c o r p s s a n g la n t et ina n im é de ce m a lh e u r e u x j e u n e h o m m e q u i s ’é ta it a ttiré c e tte te rr ib le p u n itio n . Dans la n u i t m ê rp e , p a r t i t le r é g im e n t afin d ’é v ite r de n o u v e lle s collisions. « Grosstrelitz, 20 mars. « Si v o u s voulez b ie n , m o n p ère , j e t e r u n c oup d ’œil s u r la c a rte de P ru s s e , v o u s y verrez, p a r la date de m a le ttr e , q u e n o u s avons q u itt é n o tr e ag ré ab le s é jo u r de L a n d s b e r g p o u r n o u s e n f o n c e r d a n s la Silésie où vie n t de m ’a r r iv e r u n e 'ave nture in c ro y a b le, b iz a r re et v r a im e n t e x t r a o r d i n a ir e e t dan s laquelle, ce qui va v o u s s u r p r e n d r e , v o u s v o u s ête s tr o u v é j o u e r le rôle p rincipal. v« P e u de j o u r s a p r è s n o tr e a rriv é e d a n s n o s n o u v e a u x q u a r tie r s , envoyé p a r le colonel p o u r i n s p e c t e r les c a n to n m e n ts , je m e tro u v ai logé chez le c u r é d ’O berg lo g a u . Ce d ig n e p a s t e u r en a p p r e n a n t m o n n o m s’e m p r e s s a de m e faire l ’ac cu e il le p lu s cordial et m e d e m a n d a si j ’étais p a r e n t o u fils du c o m te d ’E spinchal, ja d is c olonel de d ragons. S u r m a r é p o n s e affirm ative : « Soyez le b ie n v e n u , m e ditil; vo tre p r é s e n c e ici m e c a u s e d ’a u t a n t p lu s de satisfac tio n q u e je conserve à vo tre p è r e l ’affection la plus vraie, et v o u s - m ê m e , ne m ’ête s p o in t é tra n g e r, ca r j e vois bie n qu e c’est de v o u s d o n t u n de m e s e n f a n ts , qui p a ra ît v ous ê tre f o rt a tta c h é , m e p arla it dan s p lu s ie u r s de ses le ttre s, n o t a m m e n t la d e rn iè re d a té e de B erlin. » « F o r t in trig u é de ce q u e j ’e n te n d a is, m e s o reilles et m e s y e u x n ’y p o u v a ie n t r i e n c o m p r e n d r e , et ce tte p e r plexité e û t p u d u r e r , si le b o n c u r é n e s ’était e m p r e s s é de 182 SOUVENIRS MILITAIRES. m e d o n n e r la clé de c e tte énigm e. « Je suis, m e dit-il, le m a r q u i s de B o m belles. É levé avec v o tre p è r e au collège d ’H a r c o u r t, n o u s c o n t r a c tâ m e s , d ès c e tte é p o q u e , u n e de ces lia iso n s d ’en fa n ce q u i p o u v a it d ’a u t a n t m o in s s ’effacer q u ’il existait e n tre n o s fam illes les r e la tio n s les p lu s in tim e s . « N o u s a v o n s été faits, colonels le m ô m e j o u r , en n o u s m a r i a n t, et, a u m o m e n t de la R évolution, j ’étais a m b a s s a d e u r à V enise. J e d o n n a i m a d é m is s io n e t m e re tira i à Berlin avec m a fam ille, s o u s la p r o te c tio n du ro i d o n t les b o n té s e t les é g a rd s n e se s o n t ja m a i s d é m e n tis . J e s u p p o r ta i avec r é sig n a tio n la p e r te d ’u n e f o rtu n e c o n s id é r a b le ; m a is la m o r t de m a f e m m e , qui m e f u t e n le v é e p r e s q u e s u b ite m e n t, m e f u t u n c o u p d ’a u t a n t p lu s affreux, q u e je re s ta is avec tro is g a r ç o n s et u n e tille, sa n s a u c u n a ve nir p o u r m e s m a l h e u r e u x e n fa n ts. La re ligion vint à m on se c o u r s : j ’e n t r a i d a n s les o r d r e s , et la c u r e où j e su is m e fut d o n n é e p a r le roi q u i d aig n a y a j o u t e r u n e p e n s io n de 6 000 francs. Mes e n fa n ts s o n t a u j o u r d ’h u i a u service d ’A u trich e . Louis, l ’aîné q u e v o u s avez v u à B erlin chargé d ’affaires de ce tte c o u r, s’e s t tro u v é en r a p p o r t avec N apo léon qu i lui a d o n n é des m a r q u e s n o n é q u iv o q u e s de son es tim e , en lui p r o p o s a n t p o u r m o i u n év êch é en F rance, ce q u e j e n ’ai p a s cru d ev oir a c c e p te r, p r é f é r a n t finir m e s j o u r s a u m ilie u d e c e tte p o p u la tio n r e c o n n a is s a n te d u p eu jle b ie n qu e j ’ai p u lui faire. « M aintenan t, m o n en fant, a jo u ta ce r e s p e c ta b le p a s te u r , l o r s q u e v o u s éc rire z à v o tre p è r e , dite s-lu i q u e so n vieil a m i n e l ’o u b lie r a ja m a i s et q u ’il v ie n t d ’é p r o u v e r en ce j o u r u n v é ritab le b o n h e u r . » « Cette r e n c o n tr e , a u s s i im p ré v u e q u ’e x t r a o rd in a ir e , et les d étails q u e j e v o u s e n d o n n e v o us c a u s e r o n t c e rta in e m e n t u n bie n g r a n d é t o n n e m e n t, m a is ce q u ’il y a de v ra i L ’A B B É DE BOMBELLES. — 1 808. 183 m e n t in té r e s s a n t, c ’e s t de v o ir la gaieté, l ’am ab ilité , l ’e s p rit et la d ouce p iété d u b o n c u r é qu i j o u i t d a n s ce tte c o n tré e de la p lu s g r a n d e co n sid ératio n . « C o ntra int de q u itt e r ce to it h o sp ita lie r a p r è s u n e r é s i d en c e de tro is j o u r s , je n e v o u lu s pa£ m e s é p a r e r de votre digne et re s p e c ta b le a m i sans a s s is te r a u x p r iè r e s q u ’il a d r e s s e a u d i s p e n s a t e u r de to u te chose. Cet h o m m a g e q u i m e f u t in s p iré p a r le sp e c ta c le de ses v e r tu s m ’a ttira de sa p a r t u n s o u r ir e b ie n v eillan t, lo r s q u ’il m ’a p e r ç u t d an s l ’église, a p r è s avoir te r m in é le sa in t sacrifice de la m e sse , et, au m o m e n t où je p r is congé de lui, v o u la n t lui b a is e r la m a in , il m e s e rr a c o n tre sa p o itr in e e n m e d o n n a n t sa b é n é d ic tio n c o m m e il l’e û t fait p o u r s o n fils. « Il m e s e ra it difficile de v o u s d ire le te m p s q u e n o u s s o m m e s d e s tin é s à p a s s e r d a n s ce p a y s ; ce q u ’il y a de c e rtain , c’e s t'q u e l’A u trich e a u g m e n t a n t son a r m é e e t s e m b la n t faire des p ré p a ra tif s qui n ’o n t r i e n de bie n v eillan t p o u r n o u s , il p o u r r a i t fort b ie n a r r iv e r q u ’un e n o uvelle lu tte s ’engageât. Du m o in s ce tte p e n s é e e s t assez g é n é rale p a r m i nos g ro s b o n n e t s ; s u r t o u t p o u r q u e l ’E m p e r e u r la isse des forces a u s s i im p o s a n te s e n P ru s s e , il faut croire q u ’il n ’ait p as u n e foi b ie n r o b u s te d an s la paix faite avec l ’e m p e r e u r d ’A u trich e . Q u a n t à m o i, j e s e ra is c h a r m é de v o ir r o m p r e la m o n o to n ie de n o tr e vie tr a n q u ille . « Adieu, m o n p è r e ; à b ie n tô t. » P r è s de d e u x m o is s ’é ta ie n t écou lés d a n s la vie m o n o to n e d es c a n to n n e m e n t s , lo r s q u e le colonel Dery, ré c la m a n t vai n e m e n t des effets d ’h a b ille m e n t et d ’é q u i p e m e n t d ’ab so lu e n é c e s sité , fut in f o rm é c o n fid e n tie lle m e n t de la m a u v aise a d m in is tra tio n d u d é p ô t établi à N am u r. Il v int en p a r le r au m a ré c h a l M ortier qui é c rivit a u s s itô t a u m in i s tr e de la 184 SOUVENIRS MILITAIRES. G u erre p o u r so llic ite r l ’a u to ri s a ti o n d ’e n v o y e r u n officier avec u n e m is s io n spé cia le à cet égard. L a r é p o n s e n e se fit p o in t a t te n d r e , et ce f u t s u r m o i q u e le colo n el daigna j e t e r les y e u x p o u r m e n e r à b o n n e fin ce tte im p o r ta n te et délicate affaire, à laqu elle se jo ig n it celle de faire c o n f e c t i o n n e r à Metz to u te s les p a s s e m e n te r ie s n é c e s s a ir e s au x officiers. Ce fu t le l or m a i que j e q u itta i le r é g im e n t p o u r m e r e n d r e d ’a b o r d à B reslau, où le p a y e u r g éné ral, en v e r tu de l ’o rd re d o n t j ’étais p o r t e u r , s o ld a m e s frais de p o s te p o u r l'aller et le r e to u r . J e fu s e n s u ite chez le m a ré c h a l M ortier q u i m e r e m i t u n v o lu m i n e u x p a q u e t p o u r le p rin c e de N euc hâte l, m ’a j o u ta n t q u ’il n ’était pas tr è s p r e s s é , ce qui m e fit p r é s u m e r qu e le service m ilita ire dev ait e n t r e r p o u r p e u de c h o s e d a n s ce tte m is s io n , s u r t o u t lo r s q u e la d u c h e s s e de T ré vise m ’en fit u n e r e c o m m a n d a tio n p a r ti cu lière. Il e n r é s u lt a ce la d ’a v a n ta g e u x p o u r m o i q u ’u n o r d re m e fut r e m is p o u r faire f o u r n ir d e s chev aux de r é q u i sition j u s q u e s u r les b o r d s d u R hin, ce q u i m e fit m e t t r e en p o ch e le s frais de p o ste d e s tin é s à u n . e m p l o i p lu s ag ré ab le . En a r r iv a n t à Berlin, u n h e u r e u x h a s a r d m e fit a c h e t e r à tr è s b o n c o m p te u n e p e tite c a lè ch e légère et solide, v e n d u e à l ’e n c a n à la m o r t d ’u n f o u rn is s e u r , et p a r su ite de ce m ê m e b o n h e u r je r e n c o n tr a i u n de m e s a n c ie n s c a m a ra d e s des G e n d a rm e s d ’o r d o n n a n c e , le c a p i ta in e Montulé, du 2° C h a sse u rs, se r e n d a n t à Liège, à qui j ’offris u n e place. Cette c i r c o n s ta n c e était d ’a u t a n t p lu s s in g u liè r e q u e n o u s avions q u itté e n s e m b l e la F ra n c e , en 1806, p o u r p r e n d r e d u service. S u r le sièg e de la v o ilu r e , se tr o u v a it m o n h u s s a r d de confiance, c h a rg é de faire f o u r n ir les c h e v a u x et activer l e u r co u rse . Six jo u r s a p r è s av o ir q u itté Berlin, n o u s a r r iv â m e s à LE DÉPÔT. — 1808. 188 Mayence, et, le 2 j u in , j ’étais r e n d u à N a m u r où m a p r é s e n c e to u t à fait in a tte n d u e e t l ’o r d re im p é r a tif d o n t j ’étais p o r te u r f u re n t tr è s p é n ib le s au m a jo r c o m m a n d a n t le dépôt. Nous f û m e s c e p e n d a n t d ’accord en p e u d’in sta n ts, bie n q u e les t e r m e s de la m is s io n d u m in is tr e de la G uerre m ’a ie n t p la cé d a n s u n e p o sitio n ex c e p tio n n e lle ; m a is ce b ra v e e t digne officier, p e u ac tif p a r s u ite de ses n o m b r e u s e s b le s s u r e s et so u v e n t m alade, n ’avait c e p e n d a n t rie n de p l u s à c œ u r q u e de p r o u v e r sa sollicitu d e p o u r les in té r ê ts d u r é g im e n t. Il n ’e n f u t pas de m ê m e d u capitaine d ’h a b ille m e n t, et les d o u te s d u colonel n ’é ta ie n t que trop bien f o n d é s ; il avait a b u s é de la confiance et de la b o n n e foi d u m a jo r, car je tr o u v a i un g r a n d d é s o rd r e et u n défi cit c o n s id é ra b le d a n s les m a g a sin s, et ses livres é ta ie n t t e n u s avec u n e n ég lig en c e cou p a b le , q u i n e p r o u v a it que tr o p d ila p id a tio n o u in c u rie im p a r d o n n a b le . C ependan t, la r é p u g n a n c e qu e j ’avais à d é n o n c e r u n c a m a ra d e m e fit a d o p te r le pla n d u m a jo r, q u i lu i- m ê m e p o u v a it se t r o u v e r c o m p r o m is p a r so n m a n q u e de s u rv eillan c e. Il m ’e n gagea sa p a ro le q u ’il m e ferait livrer les effets d ’habilletn e n t e t d ’é q u i p e m e n t qui d e v a ie n t ê tre tr a n s p o r té s a u r é g im e n t, d a n s d e u x m o is , à l ’ép o q u e de m o n r e t o u r de Metz et de P aris où j ’avais d es affaires à t e r m in e r . T ou t en m e r e n d a n t à cette p r o m e s s e , je n e p u s d is s im u le r l ’obli g a tio n o ù j ’étais de faire u n r a p p o r t a u colonel, p r o m e t ta n t c e p e n d a n t de le p r é s e n t e r s o u s le j o u r le m o in s défa v o r a b le ; m a is j ’exigeai im p é r a tiv e m e n t l'é ta t réel d es m a g a s in s a u m o m e n t de m o n arriv ée a u dépôt, m e r é s e r v a n t de le d é t ru i re si to u t ce q u e je devais r ec ev o ir à m o n r e t o u r m ’était livré et si la te n u e d es livres était en règle. 186 SOUVENIRS MILITAIRES. « Namur, 5 juin 1808. « Mon colonel, « J e n e v o u s d o n n e r a i p a s l ’ilin é r a ir e de m a ro u te , la m a n iè r e d o n t je voyageais n e m e la issa n t g u è r e le te m p s d e faire d e s o b s e rv a tio n s ; j e v o u s dirai s e u le m e n t, q u e, g râ c e au x a v a n ta g e s r é s u lt a n t de la g u e r r e , je m e suis tr o u v é av o ir fait 235 lie u es, tra în é , a lim e n té , co u c h é , sa n s a u t r e s d é b o u r s é s q u e q u e lq u e m e n u e m o n n a ie a u x p o s til lo n s p o u r p r e s s e r l ’ac tio n de le u rs c he v aux et au x se rv a n te s d es gîtes où je rec evais l ’h o sp ita lité . « Gela p r o u v e les p r o g r è s de la c iv ilis a tio n q u i place c h a c u n à la h a u t e u r d e s circ o n sta n c e s. « Mon e n tré e à N a m u r s ’est faite le 2 de ce m o is , à la p o in te d u jo u r . Une h e u r e après, m o n a p p a r itio n s u b ite et si p e u p r é v u e p a r le m a jo r p r o d u is it l ’effet d ’u n e b o m b e a u m il ie u d ’u n bivouac, s u r t o u t lo r s q u ’il p r i t c o n n a issa n ce d u r e s c r i t d o n t j ’étais p o r te u r . « J ’ai r é s is té c o m m e de j u s t e à ses p r e s s a n te s sollicita tio n s d ’a c c e p te r u n a p p a r t e m e n t chez lui, m a is il m ’a fallu p o u r cela u n e g r a n d e force de c a r a c tè r e d o n t v o us a p p r é cierez, j ’e s p è r e , t o u t le m é r i te lo r s q u e v o u s sa u re z que j ’avais d e v a n t m o i u n e f em m e c h a r m a n te , tièd e e n c o re de la c h a le u r du lit q u ’elle v e n a it de q u itt e r , coiffée d ’u n m a d r a s c o q u e tte m e n t posé, d ’u n e to u r n u r e le s te et dégagée, e n v e lo p p é e d ’u n e ro b e de c h a m b r e in d is c r è te qui se m b la it p r o v o q u e r les p lu s vifs d é s irs . M a inte n ant, jo ig n e z à cette s é d u is a n te d é s in v o ltu r e , u n r e g a rd c h a r m a n t, vif, m u tin , u n e b o u c h e r a v iss a n te a p p u y a n t avec les p lu s vives in s ta n c e s l ’offre de s o n m a ri. Eh b ie n ! m o n colonel, to u te s ces s é d u c tio n s se s o n t é v a n o u ie s d e v a n t le devoir, b ie n q u e la r é p o n s e de m e s re g a rd s d é m e n tî t celle de m e s LE DÉPÔT. — 1 808. 187 paro le s. Mais, t o u jo u r s f e r m e d an s m o n r e fu s et s u r m o n t a n t les effets de m o n a d m ir a tio n , j e p riai le m a jo r de m e faire c o n d u i r e i n c o n tin e n t d a n s les m a g a s in s du r é g im e n t. « J e ne p u is v o u s d is s im u le r q u e l’o rd re a u r a it p u y ê t re m i e u x établi, et les c o n fe ctio n s des différents ob je ts è n p lu s g r a n d e q u a n tité . S u r m o n o b se rv a tio n a u capitaine d ’h a b ille m e n t, celui-ci m e r é p o n d it q u ’il n e c e ssa it de r é c la m e r du m in i s tr e - d ir e c te u r l ’envoi des f o u r n it u r e s a r r ié ré e s , q u ’il a t te n d a it p lu s i e u r s colis a n n o n c é s , et q u ’a u s s i tô t re ç u s , les o u v rie rs s e ra ie n t m is à l ’œ u v re de m a n iè r e à p o u v o ir m e liv r e r d a n s u n b r e f délai les d e m a n d e s faites en v o tre n o m . « L e capita in e Muller e s t ce q u e n o u s a p p e lo n s c o m m u n é m e n t u n e c u lo tte de p e a u re n f o rc é e , d o n t les m o u s t a c h e s g rise s p r o u v e n t u n e a n c ie n n e té de service fort r e s p e c ta b le ; il doit le j o u r à la c o h a b ita tio n d ’u n m a ré c h a l des logis et d ’u n e v iv a n d ière d es h u s s a r d s de L auzun. « C o m m e n t est-il p a r v e n u a u grad e q u ’il o c c u p e ? C’e s t u n e c h o s e c o m p lè t e m e n t in c o n n u e , ca r sa t o u r n u r e et ses m a n iè r e s f e ra ie n t difficilem ent r e c o n n a îtr e u n officier de h u s s a r d s , n ’était l’u n if o rm e d o n t il e s t r e v ê tu ; d u reste, fort b o n h o m m e , de m œ u r s d o u c e s e t tr a n q u ille s , a y a n t u n e fem m e d o n t les a llu r e s n e la is s e n t a u c u n d o u te s u r ses a n té c é d e n ts lo rs de so n e n tré e d a n s ce m o n d e , et p o s s é d a n t six e nfa nts de la lé gitim ité la m o in s in c o n testab le , qui g r a n d is s e n t so u s la p r o te c tio n de n o s é te n d a rd s . « L oin de m o i de v o u lo ir a c c u s e r ce vieux tr o u p i e r de d ila pida tion, c o n c u s s io n o u m a u v aise foi ; je l ’en crois i n c a pable;, m ê m e p a r sa n a t u r e ; m a is il y a n égligence et in c u rie . « L’effet q u ’a p r o d u it s u r lui la c o n n a issa n ce d es i n s t r u c tio n s d o n t vous m ’aviez cha rgé à son éga rd et qu e j ’ai c r u devoir lui faire c o n n a ître , v o u s a s s u re p o u r l ’a v e n ir u n 188 SOUyENIRS MILITAIRES. officier d ’h a b i lle m e n t m o d è le . Veuillez d o n c lui c o n s e r v e r son e m p lo i; la c r a in te de le p e r d r e était la m e ille u re leçon q u ’il p û t rec evoir, et v o u s p r e n d r e z , j ’ose l’e s p é r e r , en co n s id é ra tio n les dix a n n é e s d ’in s p e c tio n q u ’il exe rce d a n s les b o tte s et la c o u tu re . Du reste , je p u is v o u s a s s u r e r la p lu s c o m p lè te ex a ctitu d e d a n s l ’o rd re d o n t j e su is p o r t e u r : to u t e s vos c o m m a n d e s s e r o n t in t é g r a l e m e n t f o u r n ie s ; d ’a ille u rs le zèle d u brave m a jo r en e s t u n e gara n tie qui d o it v o u s r a s s u r e r , j o in t à la f erm e v o lo n té de r é p o n d r e à la confiance d o n t v ous m ’avez h o n o r é . D eux m o is e s t l’ép o q u e à la q u elle je dois re c e v o ir to u te s les liv ra iso n s qui se ro n t e s c o r té e s p a r u n d é t a c h e m e n t de vingt h u s s a r d s , m o n té s et éq u ip é s, avec le q u e l j e re jo in d ra i le r é g im e n t. D’ici là, j ’irai à Metz r e m p l ir la m is s io n d o n t v o u s m ’avez chargé, et e n s u ite à P a r is d ’o ù je r e p a r ti r a i a u s s itô t l ’avis d u m ajor. « Q u an t a u x a u t r e s d étails s u r le d ép ô t, v o u s sa u re z q u ’il y a 230 h u s s a r d s p r é s e n ts y c o m p ris les ouvriers, q u e la p r o c h a in e c o n s c r ip tio n d o it en f o u rn ir 4-15, e t q u ’ava n t u n m o is 380 c h e v a u x de r e m o n t e d o iv e n t a rr iv e r ici; ce qu i f o r m e r a u n tota l de 400 h u s s a r d s m o n té s , d e s tin é s à jo in d r e les e s c a d ro n s de g u e r r e ; ainsi v ous au re z , d a n s q u e lq u e s m ois, p lu s de 1200 p e lisse s b la n c h e s , avec le sq u elles, j ’e s p è re , n o u s f e r o n s de la b o n n e beso g n e, si, c o m m e il fa u t le cro ire, l ’occ asio n s ’e n p r é s e n te . « L ’in stru c tio n des h o m m e s n ’e s t p o in t en sou ffrance; le u r te n u e e s t p arfaite, m a is ce q ui n u i t a u b ie n du service, c ’est le s é jo u r d a n s c e tte ville de tr o is d é p ô ts de c avalerie ; car, bien qu e la ville soit g ra n d e , les q u a r t i e r s d e v ie n n e n t insuffisants lo r s q u e les r e m o n t e s a rriv en t. « A ussitôt m o n a r r iv é e à P aris, j ’a u ra i l'h o n n e u r de m e p r é s e n t e r chez le m in i s tr e de la G uerre ainsi qu e v ous m e l’avez p r e s c rit, e t j ’irai voir le c h e f d ’e s c a d ro n P e r r i n don t l’é t a t p a r a it d é s e sp é ré , ainsi que m e l ’a dit le m a jo r . J e LE DÉPÔT. — 18 08 . 183 n ’o u blierai, c o m m e vous devez le p e n s e r , a u c u n e de vos c o m m is s io n s vous p r ia n t en é c h a n g e de vouloir b ie n m e r a p p e le r au s o u v e n ir de Mmcs de S c h e in m ic h o w et de la jolie p e tite c o m te s s e T inzin, à qui je n ’o u b lie r a i pas d ’a p p o r te r u n e co llection de so u lie r s p o u r ses p e tits p ie ds m ig n o n s . « Veuillez aussi av o ir l’e x trê m e o b ligeance de dire à m o n co llègue O then in q u e je lu i r e c o m m a n d e p a r t i c u l i è r e m e n t la s u rv eillan c e de m e s che v au x , et q u ’av a n t p e u de j o u r s j e serai a u m ilie u de sa fam ille, q u ’il m e la rd e b e a u c o u p de c o n n a ître . J e vous p r ie aussi d ’a s s u r e r le gén é ral P ajo l qu e je n e m a n q u e r a i c e r ta in e m e n t p as de r e m e ttr e en m a in p r o p re la le ttre q u ’il m ’a d o n n é e p o u r sa fe m m e et q u e j e r a p p o r te r a i à E d o u a rd Golbert ses u n if o rm e s si to u te fois so n ta ille u r les a confectionnés. « S u r ce, m o n colonel, veuillez r e c e v o ir la n ouvelle a s s u ra n c e de r a t t a c h e m e n t et du d é v o u e m e n t q u e j e vous ai v oués p o u r la vie. « H ippolyte d ’E s p i n c h a l . « P . - S . — J ’oub lia is de vous d ire q u ’à m o n p assag e à Breslau j ’avais été cha rgé d ’u n p a q u e t de la d u c h e s s e de Trévise p o u r M1'10 de V isconti, fort h e u r e u s e m e n t a d r e s s é a u p rin c e de N e u c h â te l .avec la griffe d u m a ré c h a l, ce qui a in s p iré le r e s p e c t de la d o u a n e . » H uit j o u r s a p rè s le d é p a r t de m a le ttr e , j ’arrivai à Metz o ù je passai cinq jo u r s à faire les c o m m a n d e s r ela tiv e s à la b r illa n te te n u e d es ofliciers, qui d u r e n t m ’ôtre liv ré e s d a n s u n te m p s p r e s c r i t; p u is je m ’e m p re s s a i d ’aller r e n d r e visite au g én é ral S c h w a rtz a u q u e l avait su c c é d é le colonel Dery, et, bien qu e n ’a y a n t p a s l ’h o n n e u r d ’ê tre c o n n u de lui, j ’en r e ç u s l ’accueil le p lu s e m p r e s s é et il m ’e n t r e tin t 190 SOUVENIRS MILITAIRES. f o rt lo n g te m p s s u r le r é g i m e n t q u ’il avait c o m m a n d é p e n d a n t c in q ans. P e u de j o u r s a p r è s , j ’étais à Nancy, r e ç u d a n s la fam ille de m o n c a m a ra d e c o m m e si j ’en eu s se fait p artie, m a is, n e p o u v a n t y r e s t e r q u e q u a r a n te - h u it h e u r e s , j e p ris l ’e n g a g e m e n t d ’y r e v e n ir e n p a r t a n t p o u r l’Alle m agne. J e fis le v o y a g e p o u r P a r is avec d ’a u t a n t p l u s d ’a g r é m e n t q u ’a y a n t fait la c o n n a is s a n c e d u D1 l i s s i e r (de Nancy), h o m m e f o rt i n s t r u i t et aim able, il v o u lu t bien, des affaires l ’a p p e la n t d a n s la capitale, a c c e p te r une place d a n s m a calèche. X S É J O U R A PARIS Le 25 j u in , je m ’e m p re ssa i e n a r r iv a n t à P a ris d ’a lle r s u r p r e n d r e m a m è r e d o n t les c a resse s, la satisfac tio n et la jo ie ne p o u v a ie n t être c o m p a r é e s q u ’a u b o n h e u r d o n t j ’étais enivré en la p r e s s a n t s u r m o n c œ u r. Au p laisir de ce tte visite s u c c é d a p o u r elle la satisfac tio n d ’a p p r e n d r e que, selon to u te a p p a re n c e , je p o u r r a is j o u i r du b o n h e u r de la v o ir q u e l q u e te m p s . Le le n d e m a in , le p rin c e de Neu ch âtel, e n r e c e v a n t l e p a q u e t d o n t j ’étais p o r te u r , m ’engagea à d in e r et m e fit c o n d u ire d a n s l ’a p p a r te m e n t de M1»'® de V isconti p o u r qui était ce colis, s o u v e n ir de la d u c h e s s e de Trévise, q u ’elle r e ç u t avec la p lu s g ra n d e satisfaction. C’e s t d'e ce tte é p o q u e q u e d a t e n t m e s rela tio n s in tim e s avec ce tte aim able f e m m e , r e m a r q u a b le p a r s a b e a u té et les q u a lité s qui la f a isa ie n t c h é r ir de to u s ce ux qui l’a p p r o c h a ie n t. La m a rq u i s e de V isconti a p p a r te n a it à u n e d e s p r e m i è r e s fam illes de l ’Italie. B c rth ie r en d ev in t é p e r d u m e n t a m o u r e u x lors de la p r e m i è r e ca m p a g n e d ’Italie, e t cette liaison n e s ’e s t étein te q u ’à la m o r t d u prin ce . L o rs q u e j e la vis p o u r la p r e m i è r e fois, elle avait trentesix a n s, m a is sou p o r t m a je s tu e u x , sa t o u r n u r e n o b le et 192 SOUVENIRS MILITAIRES. é lég a n te et sa figure c h a r m a n te lu i faisa ie n t é c lip s e r les f e m m e s les p lu s je u n e s et les plus fraîch es. C’était le ty p e de la b e a u té r o m a in e , u n ie à la grâce française, jo ig n a n t à ce la les q u alité s du c œ u r et u n e o rigin alité d ’e s p r it q u i a c q u é r a i t u n c h a r m e to u t p a r ti c u lie r p a r l ’a c c e n t italien d o n t elle n ’a ja m a i s p u se défaire. L ’E m p e re u r l’affectionnait b e a u c o u p et p r e n a it p la isir à c a u s e r avec elle. Mmo de V iscon ti a e u des a m a n ts et b e a u c o u p d ’am is, j ’ai été assez h e u r e u x p o u r être de ces d e r n ie rs . P lu s ta rd , u n e p a ra ly sie la priv a de la p a rtie g au c h e du c o r p s , m a is, h e u r e u s e m e n t , la tê te et le c œ u r n e s ’én r e s s e n t i r e n t 'p o i n t ; to u jo u r s gaie, aim able, elle faisait le c h a r m e de la soc iété n o m b r e u s e et c h o isie qui r e m p l is s a it so n salon, et le j o u r de sa m o r t, arriv ée à ses soixanteseize a n s, fut u n d e u il g é n é r a l p o u r ses am is. P e u de j o u r s a p r è s m o n arriv ée à P aris, lis a n t u n J o u r n a l d e l ’E m p i r e en d é j e u n a n t au café T o rto n i, q u e lle ne fut p a s m a su r p ris e de voir m a n o m in a tio n de ch e v a lie r d u Mérite m ilita ire de Bavière. Le c o m te de Lacépède, g rand c h a n c e lie r de la Légion d ’h o n n e u r , chez le q u e l je m e ren d is a u s sitô t, m e confirm a ce tte fave ur avec l'a u to ris a tio n de l ’E m p e r e u r et e u t l ’o b lig e an c e de m ’e n faire e x p é d ie r surle-çliam p le b re v e t. Le roi de Bavière (M ax im ilie n -Jo sep h ), c olonel d ’in fa n te rie française av a n t la R évolution, so u s le n o m de p rin c e Max des D eu x -P o n ts, était l ’a m i p a r tic u lie r de m o n p è r e avec le q u el il n ’avait j a m a i s cessé de c o r r e s p o n d r e et a u qu el il avait d o n n é dés m a r q u e s n on é q u iv o q u es de so n a t ta c h e m e n t en p lu s i e u r s c i rc o n sta n c e s. L o r s q u ’il a p p r it q u e m o n frè re et m o i é tio n s au service, il s ’e m p r e s s a , p o u r d o n n e r à m o n p è r e u n e n o u v e lle p r e u v e de so n alîeclion, de n o u s h o n o r e r to u s d e u x de so n o rd re m ilitaire. SÉJOUR A PARIS. — 1 808. « Paris, 14 juillet. « V ou s serez b ie n s u r p ris , m o n p è re , en a p p r e n a n t que je s u is à P aris, r ie n n ’e s t p o u r t a n t p lu s c e r ta in ; m a is ce qui affaiblit la satisfaction de m e tr o u v e r dan s la capitale, c’e s t l’im p o s sib ilité où je su is d’aller v o u s voir. J ’en ai v a i n e m e n t sollicité la p e r m i s s io n p r è s du m i n i s t r e de la G u e r re ; il m ’a r é p o n d u q u ’é t a n t d a n s le cas de rec ev o ir d ’u n m o m e n t à l ’a u tre u n o r d re s u b it de d é p a r t p u is q u e je n e devais la fav e ur de m o n s é jo u r q u ’à la to lé r a n c e d u p rin c e de N eucliâtel, je n e q u itte r a is d o n c P a r is q u e p o u r a ller à Metz e t N am ur, m a m is sio n é ta n t spéciale. Cette c o n tra rié té m ’e s t d ’a u t a n t p lu s p é n ib le q u e, p r o b a b le m e n t, de lo n g te m p s , je n e tr o u v e r a i u n e c irc o n sta n c e a u s s i favo rable. Ma m is sio n , q u i n ’a d ’a u t r e b u t que les affaires d u r é g im e n t, p r é s e n ta i t u n côté qui m e d o n n a it u n c a u c h e m a r de to u s les in s ta n ts , é t a n t p o r te u r de s o m m e s c o n s id érab les en b illets d u T ré so r p o u r effectuer les p a y e m e n ts q u e je dois fa ire ; m a is h e u r e u s e m e n t q u e M. R é c a m ie r m ’en a s ou lagé a u m o y e n d ’u n e le ttr e de cré dit. « Mon arriv é e ici a été m a r q u é e p a r u i n é v é n e m e n t to u t à fait in a tte n d u et do n t, je p e n s e , v ous aurez été p r é v e n u av a n t m oi p a r le roi de Bavière lu i- m ê m e , p u is q u e c ’e s t à l ’affection q u ’il v o u s p o r te q u e j e m e tr o u v e ê tre décoré de son o r d re m ilita ire . Cette d e r n iè re faveur, jo in te à celles d o n t je su is co m b lé d e p u is si p eu de te m p s , m e fait s u p p o se r q u ’e n v e n a n t a u m o n d e , n o u s s o m m e s so u s l ’influence d ’u n e b o n n e o u m a u v ais e étoile, e t q u ’à c e t effet je p o u r rais bien avoir fixé la p r e m iè r e , s u r t o u t e n p e n s a n t q u ’il y a v in g t m o is j ’étais u n p a u v re garç o n b a tta n t le pavé, c o u r a n t les c h â te a u x et les b als, lis a n t d e s r o m a n s , in u tile à m o i- m ê m e ainsi q u ’au x a u tre s et q u e, d ep u is ce tte 13 <134 SOUVENIRS MILITAIRES. é p o q u e , a d m is d a n s la g r a n d e famille m ilita ire , je m e t r o u v e a u j o u r d ’h u i avec u n grad e h o n o r a b le et tro is croix à m a b o u to n n iè r e . C’est, fa u t-il l’avouer, u n b o n h e u r a u q u e l j ’eu s se r e f u s é de c ro ire d u c h iro m a n c ie n le p lu s savant, e n v o y a n t s u r t o u t a u t o u r de m o i t a n t de b ra v e s et d ig nes m ilita ire s p o u r s u iv is p a r u n e influence c o n tra ir e . « V ous devez bie n p e n s e r que, t o u t e n e m p lo y a n t u n e p a r tie de m o n te m p s a u x affaires, j ’en r é s e r v e u n e a u t r e a u p la isir d o n t je n e s u is p a s e n c o r e to u t à fait assez r a s sasié p o u r m ’e n p r iv e r ; a u s si v ais-je b e a u c o u p d a n s le m o n d e ; m a is ce qui m ’a m u s e , c ’e s t la su r p ris e d ’a n c ie n n es c o n n a is s a n c e s e n v o y a n t m a figure o m b r a g é e d ’u n e paire de m o u s t a c h e s e t m o n co rp s r e v ê tu d ’u n e p e lisse écla ta n te de b la n c h e u r , t o u t e r e s p le n d is s a n te d ’or et em b ellie p a r tr o is d é c o ra tio n s : elles n e se d o u te n t n u l l e m e n t qu e j ’ai p a r c o u r u u n e p a rtie de l ’A llemagne avec de v aleu reu x c o m p a g n o n s e t q u e les b alles et la m itra ille m e s o n t au ssi fa m iliè re s q u ’u n e p a rtie de billard. Il y a p e u de jo u r s , m e t r o u v a n t invité à d în e r chez l ’a r c h ic h a n c e lie r C am bacérès, e n c o m p a g n ie d ’u n e q u a r a n ta in e de p e r s o n n e s , j e m e tro u v a i placé à la g a u c h e d u c a rd in a l Maury, a u j o u r d ’hu i a rc h ev êq u e de P a r is , qui m e fit to u te so rte de p r é v e n a n c e s , en se r a p p e la n t la c o u r te visite q u e j e lui avais r e n d u e à M onte-F iascone, e n c o m p a g n ie de L ouis de P é rig o rd et Achille de D a m p ie r re . Il p a r u t s u r p r i s et m e fit c o m p lim e n t s u r m a p o s itio n ; m a is j e p u is dire a u s si de m o n côté que si m o n c o s tu m e to u t b rod é d ’o r c o n t r a s ta it s in g u liè r e m e n t avec la so u ta n e vio le tte d u card in al, ses m a n i è r e s b e a u c o u p plus cavalières q u e les m ie n n e s p r o d u is a ie n t le m ê m e effet. J ’étais s u r to u t ém erveillé de la c o m p la isa n c e de l ’e s to m a c de S on É m in e n c e et de la d e x té r ité avec la q u elle il e n g lo u tis s a it les vins de to u te s esp è c e s, m e t t a n t u n e SOIRÉE A L’ O P É R A . — 1 808. 195 g ra n d e p e r s é v é r a n c e à v o u lo ir q u e je l ’im ita s s e , et tr o u v a n t f o rt p la isa n t q u ’u n c a pita ine de h u s s a r d s r e n d ît les a r m e s à so n i n te m p é r a n c e . S ’a p e r c e v a n t de m on ' a d m ir a tio n p o u r ses é m in e n t e s q u a lité s, il m e d it av e c n ég lig e n c e : « V ous trouv ez, n ’est-c e p as, q u e j ’ai b o n a p p é tit et sais faire h o n n e u r au s u c c u le n t re p a s de l ’A rc h ic h a n c e lie r? — Ma foi oui, M o n se ig n e u r », lui r é p liq u a i- je , en r i a n t ; il m e r é p o n dit : « Un b on re p a s r é jo u i t le cœ u r, et r a p p e le z -v o u s to u j o u r s q u e l ’h o m m e ra ssa sié v a u t m ie u x q u e celui qui e s t à j e u n . » Cette se n te n c e , qui m ’e n p r o m e t ta it d ’a u tre s d u m ê m e g e n re si l ’on ne se fût p as levé de ta b le e n ce m o m e n t , m e fit p e n s e r c o m b ie n il é ta it d o m m a g e q u e le p r é la t ait a d o p té le service d es b u r e tt e s au lieu d ’u n b o n n e t de g r e n a d ie r si a n a lo g u e à ses goûts. « En s o r ta n t de chez C am ba cérè s, j e f u s a l ’O péra (à ce tte é p o q u e les officiers allaient a u x g r a n d s sp e c ta c le s assez s o u v e n t e n u n if o rm e ) , e t u n e a v e n tu r e assez plaisa n te m ’y a tte n d a it. C’était u n e r e p r é s e n ta t io n e x tra o rd in a ir e ; to u te s les loges é ta ie n t g arn ie s d e s p lu s jo lie s f e m m e s de .P a ris , to u te s c o u v e rte s de p ie r r e r ie s e t de fleurs. Placé à l’av a n t-sc è n e , je p a rc o u ra is du r e g a r d ce ta b le a u m a g iq u e, lo r s q u e m e s y e u x s ’a r r ê t è r e n t s u r u n e des loges des p r e m iè r e s de côté o ù se t r o u v a i e n t d e u x j e u n e s f e m m e s de la to u r n u r e la p lu s gra c ie u se et d ’u n e élégance r e m a rq u a b le , a c c o m p a g n é e s de d e u x cavaliers. Ma p e r s é v é r a n c e à les fixer a ttir a le u rs re g a rd s e t j e m ’a p e r ç u s , avec u n e v éritable satisfaction , q u e les lo rg n e tte s de ces d a m e s e n t r a ie n t en p o u r p a r le r s avec la m ie n n e , sa n s p e n s e r q u e m o n c o s tu m e p o u v ait bien être le m o ti f d ’u n e s im p le c u rio sité. C epen d a n t le s o u r ir e q u ’o n s e m b la it m ’a d r e s s e r , j o in t au x im p r e s s i o n s p r o d u ite s p a r les s u ite s d u s u c c u le n t d în e r q u e j e v en a is de faire, m e p e r s u a d è r e n t q u e j e po uvais tâ c h e r sa n s in c o n v é n ie n t d ’e x p r im e r m o n a d m ir a tio n p o u r d e u x 196 SOUVENIRS MILITAIRES. f e m m e s c h a r m a n t e s d o n t les q u a lité s m e s e m b la ie n t u n p e u é q u iv o q u e s. « P e n d a n t l ’e n t r ’acte, les v o y a n t s e u le s, j e ne b alan ç ai p o in t à e n t r e r d a n s l e u r loge avec l ’a s s u r a n c e p r o d u ite p a r m o n h a b i t et t o u jo u r s so u s l ’in flu e n ce d e m a cro y a n ce. Mais b ie n tô t s 'e n g a g e a u n e c o n v e r s a tio n d a n s la q u e lle o n m e r é p o n d i t avec grâce et e s p rit, n ’e u s s e n t été c e r ta in s s o u r ir e s m a lic ieu x . « L e r e t o u r des d eux cavaliers d e v e n a n t le sign al de m a r e tra ite , j ’allais m e r e ti r e r , lo rsq u e la p lu s jo lie d e s d e u x d a m e s m ’en g a g ea p a r m o n n o m à r e s t e r dan s sa loge. F o r t s u r p r i s d ’ê tre si b ie n c o n n u , je c o m m e n ç a i à c ra in d re de m ’ê tre f o u rv o y é ; m a is, b ie n tô t, r a s s u r é p a r l e 'c h a r m a n t c a q u e ta g e de m e s d e u x in c o n n u e s et les f o r m e s h o n n ê t e s de c e s d e u x m e s s ie u r s , je ne ta r d a i p o in t à r e p r e n d r e m o n ap lo m b , s u r t o u t a u x p a r o le s e n c o u r a g e a n te s qui m ’é ta ie n t adressées. « Le s p e c ta c le te r m in é , a u m o m e n t o ù j e faisais m e s s a lu ta tio n s , on p r e n d m o n b r a s, et n o u s voilà d e s c e n d u s à la so rtie de l ’O péra, s a n s p o u v o ir d e v in e r le g e n r e d ’éq u i page q u e ces d a m e s p o u v a i e n t a t te n d r e ; je n ’étais pas c e p e n d a n t sa n s u n e espèc e d ’e m b a r ra s , en v o y a n t le n o m b r e de s a lu ta tio n s r e s p e c t u e u s e s a d r e s s é e s p lu s p a r t i c u l i è r e m e n t à la p e r s o n n e q u e je te n a is so u s le bras. Enfin, a p p a r a ît u n b e a u et s u p e r b e c h a s s e u r , t o u t c h a m a r r é d ’or, a n n o n ç a n t à M adam e la d u c h e s s e l ’a p p r o c h e de sa voitu re . J ’e u s s e v o lo n tie r s fait r e tr a i te e t pré fé ré c e n t fois ê tre en face de l ’e n n e m i à l’é tre in te de c e tte petite m a in a p p u y é e s u r m o n b r a s, q u i m e faisait l ’effet d ’u n joli c r a m p o n de fe r ; m o n anxiété éta it e x trê m e , m e s ja m b e s p r ê te s à s ’affaisser so u s m o i, lo r s q u e ce tte b ea u té que, dans m o n fo r in té r ie u r , j ’e n v o y a is bien loin, p r e n a n t en pitié m a p a u v r e figure, m e dit avec to u te la grâce im a g in a b le ; LA DUCHESSE D’A B R A N T È S . — 1808. 191 « J ’e s p ère, M o nsieur, q u e v o u s viendrez voir v o tr e c o lo nel g én é ral, il vous re c e v r a d e m a in avec le p lu s g rand plaisir. » P u is , m e s a lu a n t d ’u n geste grac ieu x , e lle m o n t a en v o itu re et p a r tit r a p id e m e n t . « J e v en a is f o rt é t o u r d i m e n t d ’avoir affaire à la d u c h e s s e d ’A b ra n tè s et so n am ie, la fem m e d u g é n é r a l L a lle m a n d . P étrifié de la p etite m y stifica tio n q u e j e m ’étais attirée, m a is bien déc idé à n ’e n p a s p e r d r e les fruits, le l e n d e m a in , je m e p r é s e n ta i r u e des C h a m p s-É ly sé e s, à l ’h ô te l du g o u v e r n e m e n t de P a ris : je fus d ’a b o r d in tr o d u it a u p r è s de la d u c h e s s e d ’A b ra n tè s, qui m e p la is a n ta b e a u c o u p et avec c e t e s p rit qui la d istin g u a it, s u r la m a n iè r e p n p e u cavalière d o n t je l ’avais a b o r d é e la veille, m ’en g a g e a n t à v e n ir à ses c h a r m a n te s so iré e s et à g a r d e r i e silence s u r le d é b u t de n o tr e c o n n a is s a n c e . P u is , m e c o n d u i s a n t p r è s de so n m a ri, elle m e p r é s e n t a c o m m e u n e c o n n a is s a n c e de sa m è r e : celui-ci, avec c e tte r o n d e u r e t ce tte fra n ch ise q u i lui é ta ie n t fam iliè re s, m e fit le m e ille u r accueil e t m e r e t i n t à d în e r, en m e d is a n t q u e les h u s s a r d s étaie n t t o u jo u r s les b ie n v e n u s chez lui. M a inte n ant, m e voilà lancé d a n s u n e des plus ag ré ab le s m a iso n s de P a ris, et p r è s d ’u n e f e m m e b rilla nte p a r so n e s p rit, s a b e a u té , sa h a u t e p o sitio n sociale et le bea u n o m de C o m n è n e q u ’elle tie n t de ses p è r e s . « J ’e s p é r a is a lle r p r é s e n t e r m e s r e s p e c tu e u x h o m m a g e s à l ’I m p é r a tric e , m a is m a l h e u r e u s e m e n t , elle e s t à B a y o n n e . La re in e H o rte n se a e u l ’e x t r ê m e b o n té de m ’a d m e t t r e à ses so iré e s qui fin isse n t p r e s q u e to u jo u r s p a r la danse, où, c o m m e à M ayence, j e su is un de ses valseurs. J e vais aussi chez la p r in c e s s e B o rg h èse, d o n t la b e a u té est r e m a r quable, e t qui aim e le p la isir c o m m e u n e I talien n e : au ssi ses s o ir é e s son t-elles u n p e u d éc o lle té es et d ’u n g e n re to u t à fait différent de celles chez la rein e . 198 SOUVENIRS MILITAIRES. « J e n e sais si vous v o u s ra p p e le z u n e c e r ta in e d u c h e sse , n o tr e co u s in e , qui m ’é c o n d u is it de chez elle lo rs de m o n e n tré e a u serv ice ; eh bien ! a u j o u r d ’hui, p a r u n r e v ir e m e n t d ’id é es, so n fils, r e v ê t u de l ’h a b it de c h a m b e lla n , té m o in de m a p o sitio n d a n s le sa lo n de sa p rin c e s s e , a c r u devoir e n in f o r m e r s a m è r e de qui j ’ai r e ç u u n billet q u e Mme de Sévigné n ’e û t pas m ie u x écrit, p o u r m e c o m p l i m e n t e r s u r m e s s u c c è s et m ’en g a g er à v e n ir r e p r e n d r e m a place à sa ta b le d o n t elle m ’a v a it ex c lu si b r u s q u e m e n t. J e m e s u is e m p r e s s é de m e r e n d r e à so n invitation, afin de m e c o n v a in c re q u e la c h è r e co u s in e sa v ait faire c o n c o r d e r sa relig io n avec l’a d o ra tio n d u vea u d ’or. Au r e s te , il en e s t à p e u p r è s de m ê m e d a n s u n e g ra n d e p artie d u F a u b o u r g S ain t-G erm a in , d o n t les n o m s h is t o r iq u e s ne d é d a ig n e n t p a s de s ’affubler d u c o s t u m e de c h a m b e lla n e t d ’é c u y e r , ce qui m e s e m b le bie n d ifférent de l ’h a b it m ilita ire , signe b ie n c e r ta in q u e l’o n s e r t sa p a trie ... Au r e s te , P aris e s t en ce m o m e n t u n lie u d ’e n t r a î n e m e n t p ar le s fêtes de to u s g e n r e s q u i se s u c c è d e n t; ce p e n d a n t, au m ilie u de ta n t de p r e s tig e , l ’h o riz o n s e m b le s ’o b sc u rc ir d a n s d e s d isc u s s io n s d ip lo m a tiq u e s avec l ’A u triche, et il n e s e ra it pas s u r p r e n a n t q u e l’E m p e re u r, p o u r les d é b ro u ille r, n e f û t obligé d ’avoir r e c o u r s au x g ra n d s m o y e n s . P o u r m a p art, fort p e u p a r tis a n de cet a s tu cieu x ca b in e t et tr è s d é s ire u x qu e n o u s n o u s m e s u r i o n s avec les A u tric h ie n s, cela m e p r o c u r e r a i t p r o b a b l e m e n t l ’occa sio n de v isite r le u r capitale. « Au m o m e n t o ù j ’allais t e r m i n e r m a le ttr e , j e reçois u n e in v itatio n à d in e r chez M. de T a lle y ra n d ; v o u s devez b ie n p e n s e r q u ’il n ’e s t n u ll e m e n t q u e s t i o n d ’affaire poli t iq u e e n tre u n a u s si g r a n d p e r s o n n a g e et un c a pita in e de h u s s a r d s ; m a is, l’a y a n t r e n c o n t r é il y a q u e lq u e s jo u r s d a n s les sa lo n s de la r e in e de H ollande, il a bie n voulu SOIRÉE A FEVDEAU. — 180 8 . 199 vaincre sa froide c a u stic ité p o u r m e d e m a n d e r de vos n o u v elles e t m ’en g a g e r à ven ir au x so iré e s de son é p o u se. « A dieu, m o n p è r e ; je v o u s e m b ra s s e b ie n te n d r e m e n t , m a is avec tr is te s s e de ne po u v o ir le faire a u t r e m e n t . » T o u jo u r s d a n s la c ra in te de rec ev o ir l ’o rd re de -partir, bien q u e m a p r é s e n c e n e fût p o in t e n c o re n é c e s sa ire à N a m u r , la p r o te c tio n d u p rin c e de N eu c h âte l m e v e n a n t en aide, j ’en u sa is c o m m e le jo u e u r r é d u it à so n d e r n ie r e n je u , s u r t o u t avec le c h a g r in de voir r o m p r e u n e douce liaison q u e m o n état p o u v a it r e n d r e p e u d u ra b le . C’e s t au m ilie u de cette perp le x ité q u e je re ç u s d u G rand ch a n c e lie r de la L égion d ’h o n n e u r l ’in v itatio n de m e r e n d r e chez lui. S on E x cellence m e r e ç u t avec sa b ie n veillance h a b itu e lle e n m e d is a n t q u ’il avait s o u m i s à l ’E m p e r e u r n o n s e u le m e n t m a d e m a n d e , m a is a u s si celle de tro is officiers dan s la m ê m e p o s itio n , p o u r ê tre a u to risé s à p o r te r la d é c o r a tio n de S a in t-Je a n de R u s sie, r e ç u e lors de n o tr e é m i g ratio n . S a Majesté, e n p r e n a n t co n n a issa n c e de n o s d ip lô m e s et p r o b a b le m e n t en ra is o n d es s y m p a th ie s qui e x ista ie n t e n tre lés d e u x c o u r s , avait a c c o r d é ce lle faveur s u r la q u e lle j ’avais fondé p e u d ’esp éran c e. Cette s itu a tio n fu t tro u b lé e p a r u n é v é n e m e n t grave en d e h o r s de to u te p rév isio n e t q ui, m a l h e u r e u s e m e n t , e u t un grand reten tissem en t. U n soir, é ta n t a u th é â tr e F e y d e a u , placé d r o it a u b a l con p o u r c a u s e r avec MU10S de la R ochefoucauld et d ’A rberg d an s u n e loge de côté, j e m e s e n tis assez v io le m m e n t p o u s s é p a r u n individu a u q u e l je n e fis d ’abord a u c u n e a tte n t io n , d a n s la p e n s é e q u ’il y avait in a d v e r ta n c e ; m a is, s u r la réc id iv e, m e t o u r n a n t vers lui p o u r savoir s ’il y avait i n te n tio n : « C e rta in e m e n t », m e d it- il ; — « Alors, r é p o n d is - je , j e s u is fâc h é de n e l ’av o ir p a s p rév u , parc e 200 SOUVENIRS MILITAIRES. q u e je v o u s e u s s e r é p o n d u de m o n p ie d d a n s le d e r r iè r e »; et, s o r ta n t d a n s le co u lo ir, j e d e m a n d a i à ce g r o s s ie r p e r son n a g e so n n o m et so n a d r e s s e , en lu i r e m e t t a n t la m ie n n e , avec p r o m e s s e de n o u s t r o u v e r le le n d e m a in m a t i n à cin q h e u r e s s u r le b o u le v a r d p o u r aller de là v id e r ce tte q u e re lle . E lleviou, qui se tr o u v a it e n ce m o m e n t p r è s de m o i et q u e je co n n a issa is, s ’e m p r e s s a de s o r t i r en m ’offrant o b lig e a m m e n t de m e s e rv ir de seco nd. Il m e dit c o n n a ître cet h o m m e , et a j o u ta - t- il : « C’e s t un m a u v a is drô le, e s p èc e de s p a d a ssin , qui a e u p lu s i e u r s affaires avec d es officiers, p r é t e n d a n t av o ir u n e an tip a th ie p o u r les m il ita ir e s ; il se n o m m e V a lc h ie r; sa f e m m e d o n t il e s t s é p a r é e s t c é lè b re p a r sa b e a u té , ses ta le n ts e t ses in tr ig u e s . J e lui ai e n t e n d u d ire, il y a q u e l q u e s in sta n ts, à u n e p e r s o n n e avec la q u elle il causait, q u e vos m o u s t a c h e s b lo n d e s, v o tr e r u b a n bariolé et vo tre a ir lui d é p la is a ie n t e t q u ’il v o u la it v ou s tâ ter. — Eh bien ! r é p o n dis-je, n o u s n o u s tâ t e r o n s d e m a in . » Et, r e n t r a n t a u bal con, je r a s s u r a i ces d a m e s e n le u r d is a n t q u ’il y avait eu m é p r i s e et q u e to u t était te rm in é . Le le n d e m a in , j ’a tte n d is v a in e m e n t s u r les b o u le v ard s j u s q u ’à n e u f h e u r e s ; fu rie u x , je m e p r é s e n te chez m o n a n ta g o n is te et j ’a p p r e n d s avec la p lu s g ra n d e s u r p ris e q u ’il est p a r ti p o u r la c a m p a g n e d ès la p o in te du j o u r , sans i n d iq u e r la date de so n r e to u r . Ne sa c h a n t q u e p e n s e r de cet h o m m e , la veille si in s o l e n t, je m e p r o m i s de lui d o n n e r u n e le ç o n si j e le r e n c o n tr a is : en effet, d e u x j o u r s ap rè s, c e tte o c c a s io n se p r é se n ta et je la saisis avec e m p r e s s e m e n t. Je sortais du café Anglais où j ’avais diné avec J u le s de Canouville, l o r s q u e j e vis p a s s e r m o n h o m m e d a n s u n tilb u ry , ay a n t u n e f e m m e à se s côtés. M’é la n ç a n t à to u te c o u rse , j ’a t te i g n is la v o itu re d a n s la r u e d u H eld e r e t a r r ê ta n t le cheval DUEL. 201 — 1808. p a r u n e saccade, j ’a d m in is tra i d a n s la figure de ce p e r s o n nage q u a t r e o u cin q c o u p s d ’u n e b a d in e q u e j ’avais à la m a in . E n to u r é a u s s itô t p a r u n e foule de m o n d e , té m o in de c e tte grav e in ju r e et q u i p ar a is s a it tr è s m a l d isposée à m o n égard, j e m ’e m p r e s s a i de lui r e n d r e c o m p te du m o ti f de m a c o n d u ite ; alo rs, les h u é e s et les lazzis a c c o m p a g n è r e n t cet h o m m e q u e je forçai de r e t o u r n e r ch e z lui, s u r le b o u le v a rd des Italiens o ù il d e m e u r a it, ta n d is q u e sa c o m p a g n e , d ’u n e p â l e u r effrayante, m ’in sp ira it c ra in te e t pitié, c a r je la voyais p r ê te à s ’é v a n o u ir, et elle se s o u te n a i t à p e i n e s u r le siège d u tilb u ry . L o rs q u e n o u s f û m e s en p ré s e n c e , a y a n t t o u jo u r s p o u r c o m p a g n o n Canouville q u i ne m ’avait p a s q u itté , je décla rai a u s ie u r V a lc h ie r q u e, s ’il ne se b a tta it p as le le n d e m a in , j ’afficherais sa lâ c h e té d a n s to u s les cafés de P a r is et les jo u r n a u x . L a r e n c o n tr e f u t fixée p o u r six h e u r e s d u rriatin, au bo is de B oulogne. D ans la j o u r n é e , le général D igeon, de l’A rtille rie de la Garde im p é riale , m e p r ê ta ses pisto le ts e t so n épée de c o m b a t. C e pend a nt, v o u la n t to u t p ré v e n ir d a n s u n é v é n e m e n t d o n t le s c h a n c e s é ta ie n t au ssi in c e r ta in e s , je p ris to u te s les d isp o s itio n s n é c e s saires r e la tiv e m e n t au x affaires d o n t j ’étais c h a rg é, que j ’avais p r é p a ré e s d ’avance le j o u r o ù d evait avoir lieu cette re n c o n tr e . Enfin, ce soin te r m in é ; je fus s u r les onze h e u r e s p r e n d r e d u p u n c h avec p lu s i e u r s de m e s c a m a r a d e s qu i e u r e n t la d isc ré tio n de n e p o in t p a r l e r de c e tte affaire q u ’ils c o n n a is s a ie n t to u s , et je r e n tr a i m e co u c h er. A cinq h e u r e s et d e m ie , j ’étais s u r le te rr a in in d iq u é pour le c o m b a t, ayant pour té m o in s Canouville et S opranzi, to u s d e u x aides de c a m p du p r in c e de Neuch âtel (le d e r n ie r, fils de la m a r q u i s e de Visconti) et m e s am is p a rtic u lie rs. N ous a t te n d î m e s p lu s de tr e n t e m i n u t e s a u delà de l ’h e u r e in d iq u é e ; déjà, je c o m m e n ç a i s à cro ire 202 SOUVENIRS MILITAIRES. q u ’il en se ra it ce tte fois c o m m e de la p r e m i è r e , lo r s q u ’u n b r u it d a n s le lo in ta in m e fît p e n s e r q u e ce p o u v a it ê tre m o n ad v e rsa ire . En effet, u n e v o itu r e à l ’e x tré m ité d ’u n e allée fut b ie n tô t p r è s de n o u s . M. Y alchier s a u ta l e s t e m e n t à te r r e ainsi q u e ses d eux té m o in s . « V ous v o u s ête s bie n fait a tte n d r e , d it S opranzi. — Cela est vrai, r é p o n d it im p e r l i n e i n m e n t m o n a d v e rsa ire , m a is soyez tr a n q u ille , j e vais r é p a r e r le t e m p s p e r d u », et, p r e n a n t ses p isto le ts pla c é s d a n s u n e b o îte : « Il faut, dit-il, que n o s a r m e s so ie n t c h a r g é e s p a r les t é m o in s », et, a ju s ta n t u n p e tit a r b r e , il tir a et m i t la balle au m ilieu : ce lte fan fa r o n n a d e f u t a p p r é c ié e ce q u ’elle m é rita it. Les p is to le ts ch a rg é s, il f u t c o n v e n u q u e n o u s s e rio n s pla c é s à v in g t p a s de d ista n c e , p o u v a n t m a r c h e r l’u n s u r l ’aut-re j u s q u ’au x d e u x ép é e s p la n té e s à cin q p as l ’u n e de l ’a u t r e , afin de n o u s e n s e rv ir a p r è s la déc h arg e de nos a r m e s , le cas éc h é a n t. A u ssitô t ces d isp o s itio n s p ris e s , n o u s n o u s m e s u r â m e s u n m o m e n t d u reg a rd , et, m a r c h a n t a u x épées., un e d o u b le d é t o n a tio n r e t e n t i t p r e s q u e e n m ê m e te m p s , e t m o n ad v ersa ire, p i r o u e t t a n t s u r l u i- m ê m e , to m b a fra p p é d ’u n e balle q u i lui f ra c a ssa la clavicule et l’épaule. N ous t r a n s p o r tâ m e s le b le ssé d a n s sa v o itu r e ; il p a ra issa it souffrir h o r r ib l e m e n t, et, le la issa n t livré au x s o in s de ses d e u x t é m o in s , n o u s r e v în m e s à P aris. T ro is h e u r e s a p r è s m a r e n tr é e , je so r ta is p o u r aller d é j e u n e r , lo r s q u e j e fus a c co s té p a r u n in d iv id u q u i m e r e m i t u n e le ttr e m e p r e s c riv a n t de m e r e n d r e s u r - l e - c h a m p au m in i s tè r e de la P olice. I n tr o d u i t p r è s d u M inistre, il v oulu t e n t e n d r e de m a b o u c h e les d étails de ce tte affaire q u ’il c o n n a is s a it au s si h ie n q u e m o i, de m ê m e qu e son r é s u lta t. Il v o u lu t bien m e p r o m e t t r e d ’en p a r le r à l’E m p e r e u r so u s le j o u r le p lu s favorable, et m 'e n g a g e a à aller RETOUR A NAMÜR. — 1 808. 203 chez le M inistre de la G uerre afin de d é t r u i r e les m a u v a is e s im p r e s s io n s q u e ce c o m b a t devait n a t u r e l l e m e n t p r o d u ire s u r so n e s p r it ; m a is, déjà in s t r u it p a r m e s d e u x té m o in s , il m e fit u n e a d m o n e s t a tio n p lu tô t p a te r n e lle qu e sévère, et m e r e n v o y a t o u t à fait tran q u ille. Ainsi se t e r m i n a ce d r a m e d o n t on parla p e n d a n t vingtq u a t r e h e u r e s d a n s les sa lo n s de P aris, et q u ’o n ou b lia a u s s itô t ap rè s. Q u a n t à m o n a n ta g o n is te , que j e c r u s m e d isp e n s e r de vo ir, j ’a p p r is q u ’il avait la clavicule b risée et c o u ra it le r is q u e d ’ê tre e s tro p ié, ce d o n t je m ’occupai fort p e u , se s a n t é c é d e n ts e t sa c o n d u ite ne d eva nt in sp ire r a u c u n in té rê t. Q uinze j o u r s s ’é c o u lè r e n t e n c o re a p r è s cet é v é n e m e n t, p e n d a n t le sq u e ls, c o n t in u a n t c e tte vie de plaisir, je la t e r m in a i p a r u n e fête d o n n é e p a r M. de T alleyrand , où to u t ce q u e le lu x e p e u t in v e n te r fut d é p lo y é avec u n e p ro fu sio n in im a g in a b le . A ce tte fête se tr o u v a ie n t les p r in c e s et les p r in c e s s e s de la F a m ille im p é r ia le , le co rp s d ip lo m a tiq u e e t t o u t ce q u e P a ris r e n f e r m a i t de p e r s o n n e s m a r q u a n te s . V in g t- q u a tre h e u r e s ap rè s, as sis m o lle m e n t d a n s m a p etite calèche, m o n h u s s a r d s u r le siège, d e u x c h e v au x de p o s te m ’e n t r a în a ie n t r a p id e m e n t dan s la d irec tio n de Metz, où je re sta i d e u x jo u r s p o u r t e r m i n e r to u te s m e s affaires, et arriv ai à N a m u r afin de r é g u la r i s e r la m ission d o n t j ’étais ch a rg é. « Namur, 24 août 1808. « Mon colonel, « Une le ttr e p r e s s a n te du m a jo r Martel m ’a y a n t fait p a r tir de P aris s u r -l e - c h a m p , j ’e s p érais en a r r iv a n t ici n ’avoir p lu s q u ’à m e m e ttr e e n r o u te p o u r le r é g im e n t. Mais bien des tr ib u la tio n s m ’é ta ie n t e n c o re r é s e r v é e s ; to u t ce q u e 204 SOUVENIRS MILITAIRES. j ’e s p é r a is t r o u v e r é t a n t loin d ’être co n fe c tio n n é , j ’e n t é m o ig n a i m a s u r p r i s e avec d ’a u t a n t p lu s de ra iso n qu e j ’avais acq u is la c o n v ictio n d a n s les b u r e a u x de l ’a d m in is t r a t io n de la G u erre , d es envois faits a u d é p ô t d u r é g im e n t d e p u is p lu s de six s e m a in e s. « Le m a j o r lu i - m ê m e , fort m é c o n t e n t de la n ég lig en c e d u c a p ita in e d ’h a b i l l e m e n t et d ’a u t r e s m é fa its de cet offi cier, s ’e s t trouvé, a in si q u ’il vous e n a in fo rm é, d a n s la n é c e s sité de le s u s p e n d r e de ses f o n c tio n s j u s q u ’à p lu s a m p le in f o rm é d e sa c o n d u ite . « Le c a p ita in e Nicolle, c h a r g é de r é p a r e r les fa u te s de so n p r é d é c e s s e u r , a m is t a n t de zèle e t d ’ac tivité qu e je p u is v ous a n n o n c e r a u j o u r d ’h u i la c o m p lè te e x é c u tio n de v o s o rd re s. Il n ’a fallu r i e n m o in s q u e la j u s t e sévérité du m a jo r p o u r o b te n ir ce r é s u lt a t, ca r, de la m a n iè r e dont cela m a r c h a it lo r s q u e je su is arrivé ici, j ’e u s s e f o rt bie n p u y p r e n d r e m o n q u a r ti e r d ’hiver. D em a in , u n d é ta c h e m e n t c o m p o s é de d e u x m a r é c h a u x d es logis, q u a t r e b rig a d ie rs et vin g t h u s s a r d s , p a r f a it e m e n t m o n té s , p a r t p o u r Mayence où il a t te n d r a l ’arriv ée d u c o nvoi q u e l ’on e m b a r q u e r a j u s q u ’à ce tte ville. Cette m a n iè r e é t a n t la p lu s éc o n o m iq u e , p u is q u e les t r a n s p o r t s en F ra n c e n e s o n t q u ’à prix d é f e n d u s, tous les o b je ts (d o n t l ’état ci-joint) s o n t bie n e m b allés et à l ’a b ri de to u te avarie, de m ê m e q u e d eu x é n o r m e s ca isses r e n f e r m a n t to u s les galons, to rs a d e s , b r o d e r ie s , f o u r r u r e , p e l le t e r ie , etc., e tc ., d e s officiers d o n t j ’e s p è r e q u e v o u s a u r e z lie u d ’ê t r e satisfait. Cette d e r n iè r e f o u r n it u r e e s t e n t i è r e m e n t p a y é e et a c q u itt é e avec to u te s le s fo rm a lité s p r e s c r i te s , et je v o u s dirai m ê m e q u e s u r v o tre a p e r ç u de d é p e n s e , il y a u r a un boni de 8 565 francs q u e je v o u s r e m e ttr a i . » J ’ai t o u t lie u d ’e s p é r e r q u e v o u s serez satisfait, a y a n t m i s le s so in s les p lu s m in u t i e u x à ce lte o p é ra tio n d a n s AU DÉPÔT. — 1 808. 205 laqu elle le b ra v e g é n é r a l S chw artz m ’a été d ’u n g r a n d se c o u rs. J e p a r tira i de N a m u r de m a n iè r e à m e tr o u v e r a u d é b a r q u e m e n t d u convoi, et, u n e fois en m a rc h e , je n e le q u itte r a i p lu s j u s q u ’au r é g im e n t. V ous po u v ez d o n c être ce rta in q u e j ’arriv erai vers les p r e m i e r s j o u r s d ’o c to b re , à m o in s d ’é v é n e m e n ts to u t à fait im p r é v u s d o n t j e m ’e m p r e s s e ra i de d o n n e r avis. « T o u te s vos c o m m is s io n s de P a ris s o n t'f a it e s , m o in s u n e d o n t l’in e x é c u tio n v ous affligera p ro fo n d é m e n t. J ’e s p é rais, c o m m e v ous le désiriez, d é t e r m i n e r le c h e f d ’e s ca d ro n P e r r in à p a r tir avec m o i ; il é ta it m ô m e co n v e n u e n tre n o u s , lors de m o n arrivée à P aris, q u ’il pro fiterait d e m a v o itu re , p e n s a n t q u e le v oyag e p a r j o u r n é e s d ’é ta p e s et le c h a n g e m e n t d ’a ir p r o d u ir a ie n t u n effet s a lu ta ire s u r sa sa n té ; m a is, d ep u is u n m o is des s y m p t ô m e s a l a r m a n t s so n t v e n u s d é tru ire ses e s p é r a n c e s ; ses m é d e c in s , q u e j ’ai c o n s u lté s av a n t de q u itt e r P aris, m ’o n t déc la ré q u e le m a la d e é ta it a r rivé a u d e r n ie r d e g ré de la p h tis ie p u lm o n a ir e et q u ’il n ’en n ’avait p as p o u r tr o is s e m a i n e s ; ce q u ’il y a d ’affreux, c ’est qu e ce m a lh e u r e u x c o n n a ît sa p o sitio n et q u ’il ne se fait a u c u n e illusio n s u r s o n é ta t. L o r s q u e j e l ’ai q u itté la veille de m o n d é p a rt, il m e d isait e n m e s e r r a n t la m a in : « Mon c h e r capitaine, v o u s p o r te r e z m o n d e r n ie r s o u v e n ir au ré g i m e n t »; et, m ’e m b r a s s a n t avec m é la n c o lie , « V ous d o n n e re z ce b a is e r au c o lo n el en lui d isa n t q u e je re g r e tte r a is m o in s la vie si je la p e r d a is en c o m b a tt a n t à ses côtés, car il e s t b ie n c r u e l p o u r u n h u s s a r d de m o u r i r d a n s son lit. » « J ’ai q u itté ce dig n e officier, n a v r é de d o u le u r, avec la t r is te conv ictio n de n e p lu s le re v o ir, et n ’ai p u r e t e n i r m e s la r m e s lo r s q u e son r e g a r d s e m b la it m ’a d r e s s e r u n é te r n e l adieu. « U ne a u tre n o uvelle q u i v o u s c a u s e ra u p e vive c o n t r a r ié té e s t relative a u r ég im en t. 2Û6 SOUVENIRS MILITAIRES. « Le j o u r o ù j e fu s chez le m in i s tr e de la G uerre p o u r p r e n d r e ses o r d re s , il m e dit q u e la b rig a d e du g é n é r a l Pajo l avait été d és ig n é e p o u r a lle r e n E s p a g n e , m a is q u ’u n e a u tre d é t e r m i n a t i o n de l ’E m p e r e u r a v a it p r e s c r i t définiti v e m e n t q u ’elle r e s te r a it e n A llem ag ne, f a isa n t p a rtie d u co rp s d ’a r m é e d u m a r é c h a l Davout. Il ajo u ta q u e l’e s c a d r o n qui se f o rm a it a u d é p ô t se ra it a m a lg a m é avec p lu s i e u r s a u t r e s p o u r f o r m e r u n r é g im e n t p ro v iso ire qui devait ê t re dirigé s u r la C atalogne, e t q u ’in c e s s a m m e n t, v o u s e n rec evriez l ’avis. « J e p r is la lib e rté d ’o b s e rv e r q u e le r é g i m e n t avait b e a u c o u p p e r d u d a n s la d e r n iè re c a m p a g n e , et q u e la s u p p r e s s i o n de c e t e s c a d ro n s e ra it tr è s p r é ju d i c ia b le au ré g i m ent : « D ites à v o tr e c olonel, m e rép o n d it-il, q u e telle est la v o lo n té de l ’E m p e r e u r ; a u reste , cet e s c a d ro n a p p a r tie n d r a to u j o u r s a u r é g im e n t, et, av a n t q u a tre o u c in q m ois, il r e c e v r a la m ê m e q u a n tité d ’h o m m e s d o n t on le priv e e n ce m o m e n t. » « J ’avais, c o m m e v o u s p en sez , p e u d ’o b s e rv a tio n s à faire a u m in i s tr e , q u i d ’a ille u rs n e m ’en la issa p a s le te m p s , car il a jo u ta : « P asse z a u b u r e a u des m o u v e m e n t s où l ’on v o u s d éliv rera u n o r d re p o u r le m a ré ch a l K e lle rm a n n , afin q u ’il v o u s la isse c o n t in u e r votre r o u t e ; a u t r e m e n t il e û t a r rê té v o tre convoi », et, m e s o u h a ita n t u n b on voyage avec u n sign e b ie n v e illa n t de la m a in , il m e to u r n a le dos. « Il m e r e s te m a i n te n a n t, m o n colonel, ap rè s v ous avoir e n t r e t e n u des in té r ê ts d u r é g im e n t, à v o u s a p p r e n d re u n e e s p èc e de g u e t-a p e n s f é m in in d a n s leq uel j ’ai failli to m b e r , ca r il n e s ’agissait rie n m o in s q u e de m e m a rie r. « Mmo Martel qui e s t u n e v é r ita b le folle, r e m p l ie d ’e s p rit et d ’o rig inalité, s ’était te lle m e n t m is ce p r o je t e n tê te, q u ’à m o n in su , et sa n s m e c o n s u lte r, elle avait, p e n d a n t m o n MARIAGE MANQUÉ. — 1 808. 207 a b s e n c e , c o m m e n c é to u te s les d é m a r c h e s p ré lim in a ire s p r è s de la b a r o n n e de la R o u v e rie, f o rt r e sp e c ta b le f e m m e de ce tte ville, p o s s é d a n t u n e f o r tu n e c o n s id é r a b le et u n e fille u n iq u e de d ix - h u it a n s, in n o c e n te e t m o d e s te , d o n t le c œ u r ca n d id e .e t la t o u r n u r e ag ré ab le é ta ie n t b ie n faits p o u r i n s p i r e r le d é s ir de lui plaire. Ce com p lo t, so rti d u ce rveau de la f e m m e d u m a jo r, a c q u é r a it d ’a u t a n t p lu s d ’a u to rité q u ’elle avait d it à la b a r o n n e chez qui, p a r p a r e n th è s e , j ’al lais to u s les soirs s a n s m e d o u te r de rie n , ê tre ch a rg ée du d é b u t des n égo ciation s. Aussi, ju g e z q u e l d u t ê tre m o n é t o n n e m e n t en a p p r e n a n t u n m a tin to u t ce q u i était fait et qui r e s ta it à faire : c ’es t-à -d ire m e d é c la re r o s te n s ib le m e n t c o m m e a s p ira n t à l ’h o n n e u r de d e v e n ir l’ép o u x de M1IeF élicie de la R ou v e rie. « Mes r e m e r c ie m e n ts f u re n t a c c o m p a g n é s d ’u n fou rire , im m o d é r é , au m ilieu d u q u e l j e fis à m o n am b a ssa d ric e s u p p o s é e d eux o b se rv a tio n s assez ju d ic ie u s e s : la p r e m i è r e , m o n m a n q u e de vocation p o u r c o n t r a c te r u n lie n lé gitim e ; la seconde, m o n p e u de f o rtu n e p a r r a p p o r t à celle q u e d evait avoir u n j o u r la j e u n e p e r s o n n e . « Cet article est p r é v u , m e r é p o n d it-e lle , la m è re raffole de v ous et la fille n ’e n est p as loin ; m a is u n e se u le co ndition vous est im p o sée, c’est de q u itte r le service et v ou s pouvez d ’a u t a n t m ie u x le faire q u e n o u s av ons la paix. — Alors, répondis-je, veuillez rec ev o ir l ’a s s u ra n c e de to u te m a re c o n n a is s a n c e s u r l ’in t é r ê t q u e v o u s avez b ie n v o u lu m e p o r te r , v o u s e n g a g ea n t à r e je te r s u r u n a u tre vos b ie nv eillan tes idées m a tr im o n ia le s : m a p e lisse est m a m a ître ss e , m o n sabre e s t m o n am i ; j ’a u ra i p o u r eu x u n e fidélité iné b ra n lab le, que les y e u x les p lu s t e n d r e s e t la ca sse tte la m ie u x g a r n ie ne s a u r a ie n t m e faire a b a n d o n n e r de sitôt. » Enfin, q u e vous dirai-je? j ’ai s o u te n u l ’a tta q u e la p lu s vive, r é s is té aux s é d u c tio n s et au x a r g u m e n ts les p lu s ca p tie ux, e t su is resté S O UV ENIR S MILITAIRES. avec m a virginité m a îtr e d n c h a m p de bataille, en m ’absten a n t de r e t o u r n e r chez la b a r o n n e , a u r is q u e de p a s s e r p o u r u n original. A ussi m e tard e -t-il de q u itt e r p r o m p t e m e n t ce tte ville, s u r t o u t en p e n s a n t q u e ce se ra p o u r m e r a p p r o c h e r de m a fam ille m ilita ire et vous r e n o u v e l e r de vive voix, m o n c o lo n el, q u e je v o u s su is d év oué à la vie, à la m o r t. » XI R E T O U R AU QUARTIERS D ’HIVER RÉGIMENT EN ALLEMAGNE^ La veille de m o n d é p a r t de N am u r, M'110 Martel, qui avait si c o m p lè t e m e n t é c h o u é d a n s se s p r o je ts de m a ria g e , o b tin t de m a p a r t u n e p lu s large co n c essio n e n m e d e m a n d a n t de p r e n d r e dan s m a vo iture, p o u r la c o n d u ire à Mayence, la p lu s g r a c ie u se s o u b r e tt e p e u t - ê tr e de to u t le d é p a r te m e n t d u M on t-T o n n erre, avec la c h a rg e de la r e m e t t r e e n tre les m a in s de sa m è r e q u i la ré c la m a it. J e m is tr o is j o u r s à faire ce c o u r t tr a j e t qu i n e d e m a n d a it p a s v in g t- q u a tre h e u r e s , et n o u s e u s s io n s m ê m e , se lo n toute a p p a r e n c e , c o n tin u é e n s e m b le n o tr e voyage indé finim ent, si les p a r e n ts , p r é v e n u s d ’av ance de son arriv ée , et p e u ja loux de la la is s e r v o y ag e r, n ’é t a ie n t v e n u s m e l’enlever, à so n g ra n d r e g r e t c o m m e au m ie n . Mon p r e m i e r soin , a p r è s ce tte s é p a ra tio n , fut d ’a lle r p r é s e n t e r m e s r e s p e c ts a u m a ré c h a l K elle rm a n n , avec d'.autant p lu s d ’e m p r e s s e m e n t qu e je ne po u v ais o u b lie r ses b o n té s lo rs de m o n e n tré e a u se rv ic e. Sa r é c e p tio n fut r e m p lie de b ie n v eillan c e; il m e r e ti n t et. m ’a n n o n ç a avoir reç u d u m in is tr e de la G uerre l ’in jo n c tio n de ne p o in t a r r ê t e r m a m a rc h e , le r é g i m e n t r e s t a n t en A lle m ag n e a u lieu d ’aller e n Espagne. u 210 SOUVENIRS MILITAIRES. L a ville é ta it e n c o m b r é e de t r o u p e s p a r l ’a r r iv é e s u c c e s sive de d e u x co rp s d ’a r m é e qui v e n a ie n t de q u itt e r la P r u s s e p o u r se r e n d r e dan s la p é n in s u le , où, disait-on, l’E m p e r e u r dev a it aller p o u r m e t t r e la c o u r o n n e de ce r o y a u m e s u r la tê te de so n frè re J o s e p h . T o u te s ces t r o u p e s p r e n a ie n t ce tte d ir e c tio n avec d ’a u t a n t p lu s de p la is ir q u ’elles d e v a ie n t tr a v e r s e r u n e p a r tie de la F ra n c e e t q u e r ie n e n c o re n ’i n d iq u a it u n e r u p t u r e avec l’A u t r i c h e . J e r e s ta i d e u x j o u r s à M ayence et à F ra n c f o rt, o ù je tr o u v a i le d é t a c h e m e n t, et m e r e n d i s le 13 s e p te m b r e îi I la n a u p o u r a s s is te r au d é b a r q u e m e n t des é q u ip a g e s et m ’o c c u p e r a u s s itô t de l ’o rg a n is a tio n d u convoi qui c o n s is ta it en d ix -h u it v o itu r e s de r é q u is i tio n s o u s l’esco rte de d e u x sous-officiers et de v in g t- n e u f h u s s a rd s . L e - d é s a g r é m e n t de ce tte m a r c h e était l ’o b lig a tio n de c h a n g e r de v o itu r e à c h a q u e é ta p e ; u n des sous-officiers avec h u i t h u s s a r d s devait p r é c é d e r n o tr e m a r c h e d ’un j o u r , p o u r faire les lo g e m e n ts et c o m m a n d e r les v o itu r e s de r é q u is i tio n n é c e s s a ir e s a u tr a n s p o r t et d e u x c h e v au x p o u r m a calèche, a y a n t a u s s i d o n n é l ’o r d re de é ta p e s l o r s q u ’il y a u r a it po ssib ilité . Le U , au q u itt e r la ville, u n e a l te r c a tio n assez vive fut de m ’y faire s é jo u rn e r . Le c o m m a n d a n t d u d o u b le r les m o m e n t de s u r le p o in t p o s te de la ga rd e b o u rg e o ise , s u r la g r a n d e p la c e de ce tte ville, ay a n t r e c o n n u , p a r m i les v o ilu r e s de ré q u is itio n , u n e q u i lui a p p a r te n a it, v o u lu t s ’o p p o s e r à so n d é p a r t bien q u ’elle eû t été d é s ig n é e p a r l ’a u to rité civile. Au m o m e n t o ù j ’arrivai s u r la place, la c o n fu sio n c o m m e n ç a i t à se m e ttr e dan s le convoi. L’officier b o u r g e o is, l ’é p é e à la m a in , à la tê te d ’une p a rtie çle so n po ste , faisait j e t e r les b a llo ts p a r te rr e , m a l g ré la ré s is ta n c e de d e u x h u s s a r d s , et d ’a u t r e s s e m b la ie n t v o u lo ir i m i te r cet exem ple. J ’o rd o n n a i a u s s itô t de c h a r g e r le p o ste et de le d é s a r m e r , VOYAGE EN ALLEMAGNE, DUEL. — 1 808. 2*11 ce qui fut fait d a n s u n t o u r de m a i n ; je fis c o n d u ire les p r is o n n ie rs , l ’officier e n tê te, d e v a n t le b o u r g m e s t r e et je d ressa i à l ’i n s t a n t u n p ro cè s-v e rb a l avec l ’in te n tio n de le faire p a r v e n ir au m a ré c h a l K e lle rm a n n , d o n t la sévérité devait faire c ra in d re au x h a b i ta n t s u n e assez vive r é p r e s sion. A ussi s ’e m p r e s s a - t - o n de m e d o n n e r la p lu s c o m p lè te satifaction, et m o n d é p a r t se fit avec o r d re et t r a n quillité d a n s la p e r s u a s io n q u e ce tte affaire était t e r m in é e . C e p e n d a n t,'d e u x h e u r e s a p r è s m o n arrivée à G elnhausen, lieu de 1 étape, je r e ç u s la visite de l’officier de la garde b o u rg e o ise . Cet h o m m e , officier au service de la P r u s s e av a n t la g u e r r e , p a r a is s a it o u tré d ’avoir été d é s a r m é en p r é s e n c e de to u te la p o p u la tio n ; so n ex a s p é ra tio n était au co m b le e t il ven a it m e d e m a n d e r sa tisfac tio n de l ’in ju r e q u ’il avait re ç u e . La m a n iè r e im p e r tin e n t e d o n t il se p r é s e n ta lui a t tir a de m a p a r t u n e a d m o n e s ta tio n sé v è re s u r la c o n d u ite q u il avait t e n u e , en p r o v o q u a n t u n e révolte qui pouvait avoir les r é s u lt a ts les p lu s fâc h eu x , et j e n e lui laissai p o in t ig n o r e r qu e j ’allais a d r e s s e r a u m a r é c h a l K e lle r m a n n m o n r a p p o r t dan s le q u el je le désig n erais c o m m e le p r o v o c a te u r des tr o u b le s qui avaient e u lieu, et q u ’il devait s ’a t te n d r e à la j u s t e p u n itio n q u ’il s ’était attirée. J e te rm in a i m e s réflexions e n a j o u ta n t q u e j ’étais to u t p r ê t a lui d o n n e r la s a tisfa c tio n q u ’il d e m a n d a it; e n effet, p e u d ’in sta n ts ap rè s, n o u s fû m e s on p r é s e n c e le sa b re à la m ain. Le c o m b a t fut p r o m p t e m e n t te r m i n é ; m o n adversaire, a n i m é p a r la colère, se d éc o u v rit si i m p r u d e m m e n t en m a t ta q u a n t q u e, d u m ê m e c oup , j e lui fis u n e fo rte entaille sui la figure et a la c u is s e ; ce lte d e r n iè re b le s s u r e large et p ro fo n d e Saignait avec u n e telle violence (pie son té m o in e t m o n so us-officier le s o u t i n r e n t a u m o m e n t où il p e r d a it c o n n a issa n ce . T r a n s p o r té d an s l’a u b e r g e où il était d e s c e n d u , u n c h i r u r g ie n a rriv a a u s s itô t; sa déc la ra tio n 212 SOUVENIRS MILITAIRES. n e fut r ie n m o in s q u e r a s s u r a n t e s u r la c ra in te d ’une h é m o r r a g i e difficile à a r r ê te r . C e pen da nt, vers le m ilieu de la n u it, le s a n g c e s s a n t de c o u le r, le b le ssé rev in t à lui et n o u s e û m e s la co n v ic tio n q u e le d a n g e r a v a it d isp a ru . En m e v o y a n t a u p r è s de so n lit, il m e te n d it la m a in en m e p r i a n t de rec ev o ir ses ex c u se s s u r la c o n d u ite in c o n sid é ré e d o n t il se r e c o n n a is s a it c o u p a b le et se tr o u v a it j u s t e m e n t p u n i. J e lu i t é m o ig n a i tous m e s r e g r e ts de ce tte m a l h e u r e u s e affaire, en d é c h ir a n t m o n ra p p o r t, et lui ex p rim ai, en le q u itta n t, t o u s les v œ u x qu e je f o rm a is p o u r so n p r o m p t r é ta b lis s e m e n t. N ous c o n t in u â m e s n o tr e r o u te sans tr o u b le , bien qu e la t r o u v a n t e n c o m b r é e p a r la m a r c h e des t r o u p e s se r e n d a n t e n Espagne. C e p en d a n t il n o u s fu t im p o s sib le de c o u c h e r à E rfu rt, ce tte ville é t a n t d a n s la p lu s g r a n d e c o m b u s tio n p a r lés p r é p a ra tif s q u ’on y faisait p o u r l’en tre vue d e s d e u x e m p e r e u r s de F ra n c e e t de R u s sie , d o n t p o u r t a n t l’ép o q u e n ’était p o in t e n c o r e fixée. Le 21, n o u s c o u c h â m e s à Leipzig, ville célèb re p a r son u n iv e rs ité , fo n d ée en 1409, et ses foires tr è s r e n o m m é e s . L o rs q u e n o u s y a r r iv â m e s, on p r é p a r a it u n a rc de tr io m p h e p o u r l ’e m p e r e u r A lex a ndre e t le roi de Saxe. Le 24, v o u la n t a lle r de m a p e r s o n n e à D resde, je p a r ti s a v a n t le j o u r afin de g a g n e r d e u x é ta p e s e t p a s s e r ce te m p s - là d a n s la b elle capitale de la Saxe. Le le n d e m a in de m o n arrivée, j e fus r e n d r e v isite à Mmo la b a r o n n e de B ourgoing, é p o u s e de l’a m b a s s a d e u r , q u e j ’avais b e a u c o u p c o n n u e à P a ris, et q u i m e fit l ’accueil le p lu s g rac ieu x . Le 29, a u m o m e n t o ù j ’allais q u itt e r la petite ville d ’IIaynau, le 7° C h a sse u rs, d a n s lequel se tro u v ait m o n frère, y e n tra it. J ’e u s la d o u ce satisfaction de l ’e m b r a s s e r et de p a s s e r q u e l q u e s h e u r e s avec lu i; il m ’a p p r it q u ’il v e n a it d ’ê t re n o m m é a d j u d a n t- m a jo r a u 3e de la m ê m e a r m e . RETOUR AU R É G I M E N T . — 1808. 213 Le 30, n o u s a r r iv â m e s à B reslau , a y a n t fait 16 lie u es dans la j o u r n é e faute de tr o u v e r gîte, p a r l 'e n c o m b r e m e n t des t r o u p e s allant p r e n d r e des q u a r ti e r s d ’hiver. Je n e pus voir le m a r é c h a l M ortier qui en était p a r ti la veille ; h e u r e u s e m e n t j ’y re n c o n tra i so n aide de c a m p ,.le c h e f d ’e s c a d ro n de M ontchoisy, a u q u e l je r e m i s u n e caisse d o n t j ’étais p o r t e u r p o u r la d u c h e s s e de Trévise. Le 3 o cto b re , p r e s s é d ’a tte in d re le t e r m e de m e s t r i b u la tio n s e t de m e v o ir soula g é de l ’e n n u y e u x fardea u d o n t j ’éta is c h a r g é , je la is s a ile convoi d e r r iè r e m o i afin de le p r é c é d e r d ’u n j o u r a u r é g i m e n t ; m a is ce tte p ré c ip ita tio n faillit m e faire é c h o u e r au p o rt. Q uatre lie u e s av a n t d ’a r r iv e r à L éo b sc h u tz , m e t r o u v a n t d an s u n c h e m in é p o u v a n ta b le p a r u n e n u i t o b s c u re , m a v o itu r e m e la issa dan s la b o u e , sans se c o u rs ni m o y e n d ’en avoir, n ’a y a n t d ’a u t r e r e s s o u r c e p o u r s o r tir de c e tte dé s a g ré a b le situ a tio n q u e de m o n t e r à poil s u r u n des c h e v a u x de trait, a c co m p ag n é d u p o s ti l lon, la issa n t m e s bagages so u s la gard e de m o n h u s s a r d . Enfin, à 10 h e u r e s d u soir, j ’arrivai chez le c olo nel d o n t le b o n accu e il m e lit o u b lie r b ie n tô t m e s fatig u es e t m e s en n u is. Des h o m m e s f u r e n t envoyés avec des c h e v au x p o u r c o n d u ire à la ville m a m a lh e u r e u s e v o itu re , c o m p lè t e m e n t d is lo q u é e e t h o r s d ’é la t de p o u v o ir s e rv ir d avantag e, ce qui m ’im p o r ta it p e u , a y a n t a tte i n t le te r m e de la m is sio n qui m ’avait été confiée. Deux jo u r s a p r è s m o n a r r iv é e a u r é g im e n t, le co lo nel, v o u la n t m e d o n n e r u n e m a r q u e n o n é q u iv o q u e de s a sa tis faction, m e fit c a d e a u d 'u n s u p e rb e cheval ara b e q u ’il te n a it d u roi de N aples. Ce cheval, b ie n q u e fort âgé p u i s q u ’il avait été a m e n é d ’É gypte, c o n s e r v a it e n c o re u n e a r d e u r et u n e force m u s c u la ir e e x tra o rd in a ir e s . Sa ro b e d ’u n g ris p o m m e lé et sa t o u r n u r e d istin g u é e e n faisaient u n a n im a l d ’u q e 214 SOUVENIRS MILITAIRES. r e m a r q u a b l e b e a u té ; m a is, c o m m e to u s les c h e v au x de cette rac e, d ’u n e a r d e u r d a n g e r e u s e l o r s q u ’il était a n im é p a r l ’o d e u r de la p o u d r e et le b r u it du c a n o n . J e fus on ne p e u t p lu s se n sib le à ce b rilla n t p r é s e n t d u colonel, qui dev enait p o u r m o i u n e n o u v e lle p r e u v e de son am itié . J e tr o u v a i le r é g im e n t établi d a n s d ’e x c e lle n ts q u a r ti e r s s u r l ’e x t rê m e f ro n tiè re de la Moravie, n o n loin de la p etite ville de R a tib o r o c c u p é e p a r les h u s s a r d s h o n g r o is de W i ttc h a y ( p r é c é d e m m e n t F e rd in a n d ) , avec le sq u e ls n o u s fra te r n is io n s j o u r n e l l e m e n t , en a t te n d a n t p r o b a b le m e n t l ’i n s t a n t p e u é lo ig n é d ’é c h a n g e r q u e l q u e s b o n s c o u p s de sa b re , les b r u its de g u e r r e e n tre la F r a n c e et l’A u trich e p r e n a n t t o u s le s j o u r s p lu s de c o n s ista n ce , s u r t o u t d ep u is la c o n c e n tra tio n d es tr o u p e s . E n a t te n d a n t cet é v é n e m e n t qui so u r ia it assez à n o s d ésirs, les p r é p a ra tif s du C ongrès se c o n t in u a i e n t et l ’o n a t te n d a it d ’u n m o m e n t à l ’a u tre l’a r r iv é e de N apoléo n, l o r s q u e n o u s r e ç û m e s l’o r d r e de q u itt e r n o s c a n to n n e m e n t s p o u r n o u s r e n d r e à E rf u r t. D ans to u te a u t r e c irc o n s ta n c e n o u s e u s sio n s v iv e m e n t r e g r e tté d e q u itt e r n o s b o n s q u a r ti e r s de L é o b sc h u tz où n o u s étio n s si bie n accu e illis p a r les sy m p a th ie s des h a b i ta n ts, m a is l’e s p o ir de n o u s r a p p r o c h e r de l ’E m p e r e u r étai u n m o t i f t r o p p u i s s a n t p o u r n e pas rec ev o ir l ’o r d re de n o tr e d é p a r t avec j o i e ; e n m o n p a r tic u lie r j ’en ép ro u v a i u n e v éritable satisfaction, car, bie n q u e je ne fu sse d a n s ge pnj'S q u e d e p u i s u n e v in g ta in e de j o u r s , j ’y avais c o n tra cté u n e liaison q u ’il m e ta r d a it de r o m p r e bie n q u ’elle fût d o u ce et ag ré a b le , m a is des c irc o n s ta n c e s p a r tic u liè r e s r e n d a ie n t la r u p t u r e n é c e s sa ire . N ous q u itt â m e s L é o b sc h u tz le 19 n o v e m b re , et a r r i vâm es six jo u r s a p r è s à Breslau, f o rm a n t l ’a rrière-g ard e d u co r p s d ’a r m é e d u m a ré c h a l Davout, les tr o u p e s fra nça ises CANTONNEMENTS EN ALLEMAGNE. — 18 0 8 . 213 d ev a n t é v a c u e r d é fin itiv em en t la Silésie en v e r tu d u tra ité de paix de Tilsit p a s s é avec la P r u s s e . La c o n c e n tra tio n d es a r m é e s d u t se faire dan s le H anovre e t l e s p a y s f o r m a n t la C o n fédé ration d u Rhin, j u s q u ’à ce q u e les d is c u s s io n s p o litiq u e s qui se tr a ita ie n t alors e n tre la F ra n c e et l ’A u tric h e , a u su je t de l’Illyrie et de la C arinthie, e u s s e n t r e ç u u n e so lu tio n , de p aix ou de g u e r r e . C o n t in u a n t n o tr e m a r c h e , n o u s a r r iv â m e s le 3 d é c e m b r e à D resde p o u r y p r e n d r e u n s é jo u r de q u a r a n t e - h u i t h e u r e s , p e n d a n t le q u e l le 5° H u s s a rd s e u t l’h o n n e u r d ’être passé e n re v u e p a r S. A. R. le p rin c e de Saxe. Le r é g im e n t, fort de 960 h u s s a r d s d a n s le u r b r illa n t c o s tu m e , la’p elisse p e n d a n te , défila s o u s les y e u x de la co u r, m a lg r é u n froid excessif. Le soir, le g é n é ra l Pajol, le colonel et so n étatm a jo r , a s s is tè r e n t a u ce rcle de la cour, o ù u n b rilla n t c o n c e r t v in t r o m p r e la m o n o to n i e et l ’é tiq u e tte a u s si bien q u e la r a i d e u r des p r in c e s et d e s p r in c e s s e s . Deux j o u r s a p rè s, n o u s a r r iv â m e s à Leipzig où, p o u r d é la s s e m e n t, n o u s p a r tic ip â m e s à u n s u p e rb e bal. Le j o u r suivant, p e u av a n t d ’a r r iv e r à W e is s e n f e ls , n o u s finies u n e h alte en d e h o r s de la p e tite ville de L utzen si cé lè b re p a r la bataille que le roi de S u èd e G u sta v e-A ld o p h e livra au x I m p é r ia u x le 18 d é c e m b r e 1633, et d a n s la q u elle il tr o u v a la m o r t. 11 était e n t e r ré , d isait-on, s u r le lieu m ê m e o ù il avait été frap pé : p lu s ie u r s p e u p lie r s f o rm a ie n t l’en c e in te d ’u n t o m b e a u fort s i m p l e placé s u r le b o r d de la ro u te . P lu s ie u r s fois, les S u éd o is av aien t te n té d ’y c o n s tr u i r e u n m a u s o lé e digne d u p lu s g r a n d h o m m e de so n siècle, m a is les c a th o liq u es, d o n t ce p r in c e voulait d é t r u i r e la religion, s ’y é ta ie n t t o u jo u r s o p p o sé s, ce qui n ’e m p ê c h e r a pas la cé lé b rité de ce m o d e s te m o n u m e n t e t d u h é r o s qui l ’occupe. Le 11, n o u s a r r iv â m e s à E rf u r t. La ville était alors o c c u pée p a r le m a ré c h a l Davout, u n é ta t-m a jo r n o m b r e u x , u n 216 SOUVENIRS MILITAIRES. tr a i n d ’a r tille rie co n sid érab le, u n r é g im e n t d ’in fan terie et u n e n u é e d ’e m p lo y é s q u i d u r e n t n o u s cé d er u n e p a r t i e des b o n s q u a r t i e r s d o n t ils s ’é t a ie n t e m p a r é s . D eux jo u r s a p rè s, a rriv a d u d é p ô t u n d é t a c h e m e n t de q u a r a n te h u s s a rd s et l ’a n n o n c e p r o c h a in e d 'u n n o u v e l e s ca d ro n . Ces d isp o s itio n s , qui é ta ie n t g é n é r a le s d a n s l ’a r m é e , n o u s c o n f irm è r e n t d a n s l ’idée q u e la g u e r r e avec l ’A u trich e p o u r r a it b ie n av o ir lie u a u p r i n t e m p s , ce q u i n o u s c o m b la de joie. J e n ’e n t re ra i p o in t d a n s le s détails d u fa m e u x congrès d ’E rf u r t, si s o u v e n t d éc rit e t qu e t o u t le m o n d e c o n n a ît; je d irai s e u le m e n t q u e N apo léon, as sisté de la p r in c e s s e S té p h a n ie de Bade, fit à l ’e m p e r e u r A lex a ndre l’accueil le p lu s am ica l et q u e to u s les s o u v e ra in s de la C onfédéra tio n a u s si b ie n q u e le roi de P r u s s e y a c c o u r u r e n t avec le p lu s g r a n d e m p r e s s e m e n t . Ce f u t le 10 ja n v ie r 1809 que n o u s q u i t t â m e s E r f u r t e m p o r t a n t d e s s o u v e n irs ineffa çables. N otre p r e m i e r gîte fut Gotha, fort jo lie p etite ville d o n t la c é lé b rité co n s iste d a n s l ’a lm a n a c h h é r a ld iq u e de to u s le s so u v e ra in s de l ’E u r o p e ; elle est la ré s id e n c e d u p rin c e de Saxe, s o u v e ra in de ce p e tit État. L ’é n u m é r a ti o n de cette p e tite c o u r n ’e s t p a s s a n s in té r ê t et m e ra p p e lle ce q u e devait ê tre celle de n o tr e h o n o ré c o u s in , le roi d ’Yvetot. A ucune c h a r g e n e m a n q u a i t à celle-ci, d e p u i s le p r e m i e r m in i s tr e j u s q u ’à l ’h u i s s i e r de la c h a m b r e à la chaîne d ’or. Le c o n tin g e n t fo u rn i à la g r a n d e n a tio n co n s is ta it en so ix a n te f a n ta s s in s et v in g t d ra g o n s, p a r tic ip a n t a l o r s à l ’occup,ation de l ’E sp a g n e , avec to u s les c o n tin g e n ts des différents p r in c e s de Saxe. Mais, ce q u i m e c a u s a u n e v é r i ta b le su r p ris e , ce fut de r e n c o n t r e r , a u m ilieu des g ra n d s de cette co u r, to u t c o u v e r t de b r o d e r ie s u n ém ig ré français, le m a r q u i s du C o ë tlo sq u e t, p è r e de m o n am i Charles, r é f u gié d a n s les É ta ts d u p r in c e de Saxe, qui lui offrit u n asile SÉJOUR A MÉININGEN. — 1809. 217 et qui, d ep u is ce tte é p o q u e , n ’avait c e ssé de lu i d o n n e r des m a r q u e s d ’u n véritab le in té r ê t. N otre s é jo u r d a n s ce tte p e tite so u v e ra in eté n e d u r a q u e v in g t- q u a tre h e u r e s e t fut m a r q u é p a r u n b e a u bal à la c o u r qui d u r a j u s q u ’a u jo u r . N ous n o u s s é p a r â m e s fort satisfaits les u n s d es a u tre s p o u r aller n o u s é ta b lir d a n s u n e p r in c ip a u té se m b la b le , chez le p r in c e de Saxe-M einingen, c a n t o n n e m e n t d ’h iv e r qui v e n a i t de n o u s ê t r e assigné. La p rin c ip a u té de Saxe-M einingen e s t u n e petite s o u v e r a in e té faisant au s si p a rtie de la G o nfédéralion, d o n t le chef-lieu e s t M einingen, situé s u r la riv iè re de la W a r e . La ville e s t jo lie , b ie n b âtie et b ie n h a b ité e ; à so n en tré e , est u n g r a n d e t v aste c h â te a u , sa n s e x té r ie u r , m a is c o m m o d e , b ie n d is trib u é , m e u b lé avec le p lu s g r a n d lu x e et se rv a n t de r é s id e n c e a u so u v e ra in d u pays. L o r s q u e n o u s y a r r iv â m e s, la c o u r se c o m p o sa it alo rs de la p r in c e s s e d o u a iriè r e r é g e n te , d ’u n j e u n e d u c âgé de n e u f a n s et des d e u x r a v iss a n te s p r in c e s s e s : A m élie, l’aînée a y a n t dix-sept ans, et la se co n d e , Ida, q u in z e , p u is u n e dam e d ’h o n n e u r , tr o is j e u n e s filles n o b le s , d e m o is e lle s de c o m p a g n ie , u n ch a m b e lla n , u n é c u y e r , u n g o u v e r n e u r p o u r le j e u n e p rin c e et u n e in s titu tr ic e f ra n ç a is e ; plus, u n p r é t e n d u m é d e c in ita lie n d é s ig n é so u s le n o m de d o c te u r , fac étie ux p e r s o n n a g e , c h a n ta n t, r ia n t au x éclats, c r é é et m is a u m o n d e p o u r j o u i r de la vie en c o m p e n s a tio n p e u t ôpre de celle de ses m a lad e s. Le p a y s éta it a d m in is t r é p a r u n c o n s e il d e ré g e n c e c o m p o sé d ’u n c o n s e ille r a u liq u e , c h a rg é de l’in t é r i e u r et d es finances, d ’u n g r a n d m a îtr e des ea ux et f o rê ts, et d ’u n g é n é r a l m in i s tr e de la g u e r r e . Le m a té rie l de l ’a r m é e se c o m p o s a it de d e u x b a ta illo n s d ’in f a n te r ie , c in q u a n te d r a g o n s et tr o is p iè c e s d ’a rtille r ie , d o n t le tiers d ev a it f o r m e r le c o n t in g e n t de la C o n féd é ration d u R h in . Une bienfaisante 218 SOUVENIRS MILITAIRES. e t sage a d m in is t r a tio n r e n d a i t ce p a y s u n des p lu s h e u r e u x de l ’A llem ag ne : il p o u v a it s e rv ir de m o d è le aux so u v e ra in s de l ’E u r o p e ; a u s s i ai-je r a r e m e n t v u u n a m o u r p lu s vrai, u n d é v o u e m e n t p lu s rée l q u e celui de ce p e u p le en v e rs l e u r s prin ce s. L’a rr iv é e d ’u n r é g i m e n t de h u s s a r d s français d a n s cet E ld o r a d o p r o d u is it d ’a b o r d u n e e s p è c e de crainte q u e n ous n e ta rd â m e s p o in t à d is s ip e r p a r la d isc ip lin e e t la b o n n e c o n d u i te de n o s h o m m e s ; il e n r é s u lt a p o u r n o u s u n bienê tre et u n a g r é m e n t q u i ne se s o n t j a m a i s d é m e n tis . La b o n n e p r in c e s s e n o u s o u v r a it ses sa lo n s avec le p lu s g r a n d e m p r e s s e m e n t , e t j e devins p r e s q u e le c o m m e n s a l d u c h â te a u ; le j e u n e p r i n c e m ’avait p ris d a n s u n e v é rita b le affection et a im a it t e l le m e n t n o s h u s s a r d s q u ’il v o u lu t p o r t * l ’u n if o r m e d u r é g im e n t. P lu s ie u r s de n o s j e u n e s officiers v e n a ie n t au x so irée s du ch â te a u qui se p a s s a ie n t en p e tits je u x , en m u s i q u e , d anse et p la isirs. Q u ant à m o n é t a b li s s e m e n t p a rtic u lie r, le s o r t m ’avait été on n e p e u t p lu s favorable : j ’étais logé chez la c o m te s s e de S chlabendorff, âg é e de q u a r a n te a n s, f e m m e d ’u n g rand m é r i te : sa b e a u té , ses ta le n ts et so n a m a b ilité ava ie n t in s p iré u n e p a s s io n p ro fo n d e à u n g r a n d s e ig n e u r p r u s s ie n q u i l ’é p o u s a et en e u t u n e fille. M a lh e u r e u s e m e n t, le c o m te de Schlabendorff, livré au x excès de to u s g e n re s, vit b ie n tô t a n é a n t i r sa f o rtu n e b r illa n te , la is s a n t p a r sa m o r t p réc o ce u n e j e u n e v euv e et u n e n f a n t e n b a s âge r é d u it s à la p lu s m o d e s te e x iste n c e . La c o m te s s e r e v in t d a n s so n p a y s n a ta l, o u b lia n t le luxe e t le s g r a n d e u r s d o n t elle avait été e n t o u r é e p e n d a n t q u e lq u e te m p s , p o u r se livrer e n t i è r e m e n t aux so in s et à l ’é d u c a tio n de sa fille. T a n t de m é r i te et de r é sig n a tio n d ev a ie n t t r o u v e r le u r r é c o m p e n s e . M. le c o n s e ille r a u liq u e SÉJOUR A MEININGEN. — 18 0 9. 219 S c h w e n d le r lui offrit sa m a in et r e n d i t à ce tte b o n n e m è r e le re p o s et le b o n h e u r . C’e s t a u m ilie u de ce tte fam ille q u e le h a s a r d m ’avait a m e n é et p e u de j o u r s n e s ’étaie n t p o in t éc o u lé s qu e j ’y étais ac cueilli avec u n a b a n d o n et u n e b ie n v eillan c e d o n t j ’étais p r o f o n d é m e n t to u c h é . À m a n d a S ch la b en d o rff était u n e d élicieu se c ré a tu r e , d o n t les seize a n s é ta ie n t p a ré s de to u t ce q u e la n a t u r e p e u t offrir de p lu s g ra c ie u x . Son in tim e liaison avec les d e u x j e u n e s p r in c e s s e s n ’avait pas p eu c o n trib u é à p e r f e c tio n n e r s o n é d u c a t io n ; elle p a rla it le français, l ’anglais e t l ’italien c o m m e sa la n g u e n a tu re lle ; p e i n t r e a g r é a b le e t e x c e lle n te m u s i c i e n n e , elle c h a n ta it avec a u t a n t de g o û t que de s e n tim e n t. Il était r a r e de voir d a n s u n âge si t e n d r e r é u n is a u t a n t de ta le n ts et de p e rfe c tio n s ; A m an d a jo ig n a it à to u t e s ces qualité s u n e â m e c a n dide, u n c œ u r vierge q u ’il e û t été affreux de tr o u b l e r : a u ssi j ’avais p o u r elle u n e te n d r e s s e f r a te r n e l le ; sa m è re avec ra is o n l ’avait pla cé e s o u s la s a u v e g a rd e de m o n h o n n e u r , j ’a u ra is c r u in d ig n e d ’e n a b u s e r , e t le j o u r o ù j ’ai d û q u itt e r ce toit h o sp ita lie r, j ’e m p o r t a i la convictio n d ’y la is s e r d es so u v e n irs d ’e s tim e et d ’am itié. V e rs la fin d u tr o is iè m e m o is de s é jo u r d a n s c e t excel le n t q u a r tie r , n o u s e û m e s l ’avis q u e n o u s devions tr è s i n c e s s a m m e n t le q u itte r. P lu s ie u r s re tr a ite s f u r e n t d o n n é e s â d ’a n c ie n s officiers, d es p r o m o tio n s s ’e n s u iv ir e n t, ainsi q u ’u n e re v u e m in u t ie u s e des h o m m e s et des chevaux e n é t a t d ’e n t r e r e n ca m p a g n e . Ainsi, p lu s d e d o u te , n p u s allions avoir la g u e r r e d o n t n o u s a c c e p tio n s to u te s les c o n s é q u e n c e s avec a u t a n t de confiance q u e de satisfaction. Le 13 m a r s , veille de n o t r e d ép a rt, je vins p r e n d r e congé de la d u c h e s s e et la r e m e r c i e r d es b o n té s d o n t elle m ’avait c o m b lé . Cette ex cellente p rin c e s s e , a p r è s m ’av o ir e x p rim é les vœ u x q u ’elle f o rm a it p o u r m o n b o n h e u r , m e p e r m i t 220 SOUVENIRS MILITAIRES. d ’e m b r a s s e r so n fils et ses d e u x fille s1 d o n t j e m e sé parais avec r e g r e t ; m a is ce fut s u r t o u t e n q u itt a n t la re s p e c ta b le f am ille d a n s la q u elle j ’avais p a s s é de si h e u r e u x j o u r s q u e j ’é p ro u v a i u n véritab le ch a g rin . Les la r m e s in n o c e n te s de la d o u ce A m a n d a e n p r é s e n c e de ses p a r e n t s p ro u v a ie n t l ’affection de s o n c œ u r et a t te s ta ie n t la sin c é r ité de m a c o n d u ite d élicate d a n s c e tte m a is o n h o sp ita liè re . Cette ex cellente m è r e , à q u i l’im a g in a tio n avait in s p iré s u r m o i u n e a r r iè r e - p e n s é e , m e dit en m e q u itt a n t c o m b ie n elle s e ra it h e u r e u s e de m ’avoir p o u r so n g e n d r e , en a j o u ta n t q u e , si ce dev a it ê tre u n rêve, elle le c o n s e r v e r a it le p lu s l o n g te m p s p o ssib le , m a is q u e , d a n s to u s les cas, elle ex igeait la p r o m e s s e q u e j e v ie n d ra is, a u m ilie u de sa fam ille, y c h e r c h e r d es so in s si j ’étais b le ssé , m ’a s s u r a n t q u e j ’y serais acueilli c o m m e l ’e n fa n t de la m a iso n . J ’e m p o r t a i d a n s m o n c œ u r u n b ie n r e c o n n a is s a n t s o u v e n ir de ta n t de b o n té , q u i n e devait j a m a i s s ’effacer de m a m é m o i r e . .L e 1 A , n o u s v în m e s c o u c h e r à la ville d ’Hildb o u r g h a u s e n , r é s id e n c e e n c o r e d ’u n a u tre p r in c e de Saxe, q u i v in t a u - d e v a n t d u r é g im e n t j u s q u ’a u x f ro n tiè r e s de ses É tats d o n t la m o d e s te é te n d u e n e lui p e r m e tta it de f o u r n i r q u e p e u d ’h o m m e s à la C onfédération. Le duc, b e a u -frè re d u roi de P r u s s e , p ar a is s a it u n e x c e lle n t h o m m e , aux m a n iè r e s f ra n c h e s et r o n d e s ; sa f o rtu n e était im m e n s e c o m m e p a r ti c u lie r , m a is b ie n c e r t a i n e m e n t il éta it u n des p lu s p etits s o u v e r a in s de l ’A lle m ag n e . S on c h â te a u , d ’u n a s p e c t r e m a r q u a b le , m e u b lé avec u n luxe e x tra o rd in a ire , était e n t o u r é d ’u n p a r c m a g n if iq u e ; m a is ce qui offrait u n g r a n d in té r ê t, c ’é ta it u n e é c u r ie d ’u n luxe I. Je ne me doutais guère, lorsque nous faisions tant de folies avec les jeunes princesses et que je les faisais valser et courir, qu’un jour l'aînée deviendrait reine d’Angleterre par son mariage avec le duc de Clarence, et la seconde, grande-duchesse de Saxe-W eimar. LES D U C H É S DE S A X E . — 1809. 221 inc o nce v able , r e n f e r m a n t b on n o m b r e de c h e v au x de prix. Le colonel e n a y a n t a d m ir é u n p lu s p a r ti c u liè r e m e n t, il le lui en v o y a , u n e h e u r e a p r è s , avec u n e le ttr e c h a r m a n te à la q u elle é ta it j o i n t e u n e p a ire de p isto le ts d ’u n fort b e a u travail q u ’il m e p ria it d ’a c c e p te r; p u is, il in v ita à d în e r l ’é t a t- m a jo r d u r é g im e n t, et le b o rd e a u x , le c h a m b e r ti n et le c h a m p a g n e c o u l è r e n t à flots. Le soir, il c o n d u is it le colonel et m oi chez so n p r e m i e r m in i s tr e , le b a r o n de B a u m b a c h . N ou s y tr o u v â m e s d eux f e m m e s fort ag ré ab le s, de la p lu s g r a n d e élégance, d o n t l ’u n e avait été et l ’a u t r e éta it la m a îtr e s s e d u p rin c e qui affectait au p e t it p ie d les m œ u r s de la R é gen c e ; il était fas tue u x , d ’u n e g é n é r o s ité e x tra o rd in a ire , s ’o c c u p a n t p eu de sa fe m m e que l ’on d isa it fo rt b elle e t q u e so n ab s e n c e n o u s priva de v o ir ; d u r e s te il éta it a d o r é de so n p e u p l e avec d ’a u t a n t p lu s de ra is o n q u e ses m a in s é t a ie n t t o u jo u r s o u v e rte s p o u r faire des la r g e s s e s ; je cro is q u e, si n o u s fu s sions r e s té s chez lui d e u x j o u r s de p lu s , il n o u s eût p e u tê tre d o n n é ses éq u ip a g e s et sa m a îtr e s s e . Le 15, n o u s r e n c o n tr â m e s d a n s la jo u r n é e le 17° d ’i n fan te rie lé g ère, avec leq u el n o u s fîm e s n o tr e e n tré e d an s la ville de C obourg, d o n t le p r in c e v in t a u - d e v a n t de n o u s , p a s s a les t r o u p e s en r e v u e , et invita l ’é ta t- m a jo r des d e u x c o r p s à d în e r avec lui. Le colonel, à la tê te de to u s se s officiers,, s ’e m p r e s s a de ia i r e u n e visite a u v ie u x et r e sp e c ta b le feld -m a ré cha l, prin ce de Cobourg, si c é lè b re d a n s le c o m m e n c e m e n t de la R évolution ; m ais, m a l h e u r e u s e m e n t, sa s a n té n e lui p e r m it pas de n o u s rec evo ir et il n o u s e n lit e x p r im e r to u s se s re g re ts . À trois h e u r e s , u n b a n q u e t s u p e rb e , d o n t la d u c h e sse m è r e fit les h o n n e u r s , n o u s fut d o n n é. Il y avait à ce sp le n did e re p a s p r e s q u e to u s les m e m b r e s de la fam ille et u n e 222 SOUVENIRS MILITAIRES. p a r tie de la c o u r : le j e u n e d u c r é g n a n t, fort bel h o m m e , d ’u n e figure ag ré ab le , m a is a u x m a n iè r e s fro id e s et p e u c o m m u n ic a ti v e s , so n se c o n d frère, tr è s b e a u g a rç o n , p o r t a n t l ’u n if o r m e du r é g i m e n t q u ’il c o m m a n d a it e n Russie, e t le tro isiè m e , L éop old, f o rt j e u n e , qui f u t d e p u is l ’époux de la p r in c e s s e C ha rlotte d ’A n g leterre . P a r m i les filles de la d u c h e s s e , se tr o u v a i e n t la d u c h e s s e de W u r te m b e r g , d ’u n e figure c h a r m a n t e m ais im p o s a n te , la p r in c e s s e de L e i n in g e n p e u jo lie , la p r in c e s s e Marie, é p o u s e d u g ra n d d u c C o n s ta n tin de R u s sie, rav iss a n te de grâce e t de b ea u té , a y a n t c e p e n d a n t, d a n s l ’e x p re ssio n de sa p h y s io n o m ie , d es in d ic e s d u c h a g rin q u e lui ca u sa it son m a ri, d o n t elle avait été obligée de s ’é lo ig n e r p ar le p e u de s y m p a th ie e x ista n t e n t r e eux. Il y avait e n c o r e , d a n s ce tte n o m b r e u s e fam ille, d e u x a u t r e s s œ u r s q u e n o u s n e v îm e s pas,- d o n t l ’u n e av ait é p o u s é M. de B ouilly, ém ig ré fra n çais, c o n n u d e p u i s s o u s le n o m de c o m te de Mansfeld, g é n é r a l a u service de l ’A u trich e . A près le r e p a s , o n o r g a n is a u n bal i m p r o m p t u ; m a is la m o r g u e e t la r a i d e u r de la n o b le sse a lle m a n d e le r e n d i r e n t assez froid, et le fire n t t e r m i n e r vers les m i n u i t ; d a n s tous les cas, ce q u e je p u is a ffirm er, c ’e s t q u ’il était im p o s sib le de v a lse r avec p lu s de g râ c e et de lé g è re té q u e la p rin c e s s e Marie... L a p r in c i p a u té de C obourg, qui a seize lie u es de lo n g u e u r s u r h u i t de la rg e u r, f o u rn is sa it à la C onféd ération 400 h o m m e s de belle tr o u p e , bien é q u ip é s , qui v en a ie n t de p a r tir p o u r se jo i n d r e a u c o n tin g e n t g én é ral. La ville c a p i ta le de ce d u c h é e s t assez g r a n d e , bie n bâtie,’ situ ée s u r la riviè re de Je tz, d o m in é e p a r u n fort qu i f u t c o n s tru it, en 1507, p a r J e a n - C a s im ir de Saxe. Le p alais, d ’u n e c o n s t r u c tio n a n c ie n n e et de m a u v ais goût, placé a u c e n tr e de la ville, e s t tr è s vaste et était assez m e s q u i n e m e n t m e u b lé. LA GUERRE PROCHAINE. — 18 0 9 . 223 N ous c o n t in u â m e s n o t r e m a r c h e le le n d e m a in , p a r u n e p luie é p o u v a n ta b le et d e s c h e m in s affreux qui n o u s c o n d u is ire n t à la p e tite ville de K ro n a c h , a p p a r te n a n t à la Bavière, o ù n o u s r e s tâ m e s q u e lq u e s jo u r s et o ù n o u s a p p r îm e s q u e n o u s allio n s in c e s s a m m e n t e n t r e r en c a m p ag n e , ce q u i f u t accueilli avec u n e jo ie déliran te . P e n d a n t n o tr e s é jo u r à K rona ch, des co rp s n o m b r e u x et p lu s i e u r s b a tte r ie s d ’artillerie t r a v e r s è r e n t la ville p o u r j o i n d r e les co rp s d ’a r m é e a u x q u e ls ils a p p a r te n a ie n t . N o us f û m e s d ésig n és, avec le 7e H u s s a rd s f o r m a n t la b rig a d e d u g é n é ral Pajol, c o m m e faisa n t partie de celui d u m a ré c h a l Uavout, et d è s ce m o m e n t n o u s é t a b lî m e s n o s p o s te s m il i t a i r e m e n t afin d ’être p r ê t s à t o u t év é n e m e n t. N o us a p p r îm e s les m o u v e m e n t s q u i s ’o p é r a ie n t p a r les tr o u p e s a u t r i c h ie n n e s , d o n t la p lu s g ra n d e p artie des forces se d ir ig e a ie n t s u r la Bavière, e s p é r a n t p a r ce tte m a n œ u v r e p o r t e r s u r ce pay s le th é â tr e de la g u e r r e et n o u s c o n t ra in d r e à n o u s r e p li e r s u r le R hin , s u r t o u t avec des forces n u m é r i q u e s d ’un g r a n d tie rs p lu s co n sid érab les q u e les n ô tr e s . Mais l’a t titu d e de l'a r m é e f ra n ça ise devait b ie n tô t d é t r o m p e r l ’a r c h id u c Charles e t il ne ta r d a p o in t à d e v e n ir v ic tim e de sa fa u s s e e n tre p ris e . n Kronach, 20 mars. « J e m e h â te de vous é c rire , m o n p è re , p o u r v o u s a n n o n cer n o tr e p r o c h a in e e n tré e e n ca m p a g n e , c a r bien q u e la g u e r r e ne soit pas e n c o re déc la ré e, elle e s t inévitable et les ho stilité s s e r a ie n t d é jà m ê m e c o m m e n c é e s si l’E m p e re u r, p a r u n e ra is o n p o litiq u e , n ’e n avait la issé l ’initiativ e au x A u trich ien s. A ussi a v o n s - n ç u s r e ç u les o r d re s les p lu s p r é cis à c e t égard, c’e s t-à -d ire , q u e n o u s s o m m e s d e s tin é s à rec ev o ir les p r e m i e r s coups, qu e n o u s r e n d r o n s , je v o u s 224 SOUVENIRS MILITAIRES. a s s u re , avec u s u r e . Nos h u s s a r d s so n t d a n s les m e ille u r e s d isp o s itio n s ; il s e r a it v r a im e n t d o m m a g e d ’ê tre déç u d an s n o tr e e s p é r a n c e , c a r n o u s allo ns a u - d e v a n t de l ’e n n e m i avec u n e jo ie et u n . e n t r a î n e m e n t difficiles à d é c r ire . Les tr o u p e s a p p e lle n t de t o u s le u rs v œ u x la p r é s e n c e d u g ran d d o n n e u r de batailles, e t le j o u r de so n a r r iv é e p a r m i n o u s s e ra b ie n c e r t a i n e m e n t m a r q u é p a r u n e victoire. « E n a t te n d a n t, les d is p o s itio n s s tr a t é g iq u e s s ’e x é c u t e n t avec la p lu s g r a n d e p r é c is io n ; les r o u te s so n t sillo n n ée s p a r les t r o u p e s avec u n s e m b la n t de c o n fu s io n r e m p li d ’o rd re , et, d a n s p eu de j o u r s , c h a c u n o c c u p e r a le p o ste as sig n é p a r la v o lo nté d ’u n seul. L ’e n s e m b le d e ces m o u v e m e n t s dan s le u r e x é cu tio n offre q u e lq u e cho se de fort im p o s a n t q u i in sp ire la confiance, et s a n s n o u s s ’o c c u p e r d u n o m b r e d ’e n n e m is q u ’il n o u s f a u d r a c o m b a tt r e , il n o u s suffit d e sav oir q u e n o u s d ev o n s vain cre : c ’e s t à q u o i n o u s a llo n s trav a il le r de n o t r e m ie u x . Il p ara ît, a u r e s te , q u e la g r a n d e lutte qui va s ’o u v r ir était p r é p a r é e de lo n g u e m a in p a r le c a b i n e t a u tric h ie n a p p u y é des s u b s id e s de l'A n g leterre . « L ’e m b a r r a s p r é s u m é d a n s le q u e l la g u e r r e d ’Espagne p o u v a it av o ir m is la F ra n c e a d é t e r m i n é la r u p t u r e d ’u n e paix q u e la c a m p a g n e d ’A u ste rlitz s e m b la it devoir a s s u r e r . Les p r é p a ra tifs de l ’A u tric h e s o n t im m e n s e s , e t s ’il fa u t en c r o ir e les feuilles a l le m a n d e s , n o u s a u r o n s affaire à 350000 h o m m e s avec 800 b o u c h e s à feu, s a n s c o m p te r u n e l a n d w e h r de 250000 h o m m e s , n ’a y a n t à o p p o s e r à to u te s ces forces q u e 250000 h o m m e s , t a n t e n A llem agne q u 'e n Italie, et 18 000 e n P o lo g n e, avec u n total de 425 b o u c h e s à feu. Malgré to u t cela, n o u s s o m m e s c o n v a in c u s q u e N ap o lé o n , dès q u ’il en t r o u v e r a l’occasio n, liv r e ra b ataille et q u ’il c o n d u i r a so n a r m é e t r i o m p h a n t e à Vienne. Celte idée e s t te lle m e n t g é n é r a le p a r m i n o u s, qu e n u l n ’o se ra it a d m e t t r e le c o n tra ir e , m a lg r é la v a le u r d es t r o u p e s a u t r i LA GUERRE PROCHAINE. 225 — 18 09 . c h i e n n e s et le m é r i te in c o n te s ta b le de l ’a r c h id u c Charles, l e u r g é n é r a lis s im e , car n o u s avons p o u r n o u s le gén ie des v ic to ire s qui n e n o u s faillira pas d a n s u n e c irc o n sta n ce au ssi so le n n e lle . « V ous devez p e n s e r q u ’u n e fois les é v é n e m e n ts c o m m e n c é s , ils m a r c h e r o n t avec ra p id ité : il n o u s s e ra d onc assez difficile de c o r r e s p o n d r e ; m a is j ’en saisirai to u te s les occ asio n s, n e fût-ce q u e p o u r v ous t r a n q u i llis e r s u r m o n s o r t qui, d u r e s te , m ’in q u iè te d ’a u t a n t m o in s q u e j ’ai c o m m e to u jo u r s la p lu s g ra n d e confiance d a n s m o n étoile. « A dieu, m o n p è r e ; les b u lle tin s v o u s f e r o n t b ie n tô t c o n n a ître les s u c c è s qui n o u s a t t e n d e n t ; l ’e n t h o u s ia s m e et l ’a r d e u r de n o tr e b r illa n te a r m é e s o n t u n a u g u r e in c o n t e s ta b le q u i d oit r a s s u r e r la F ra n c e s u r d e s r é s u lt a ts q u i n o u s s e m b le n t infaillibles. » Le 22 m a r s , je r e ç u s l ’o rd re de m e r e n d r e à B a y re u th afin de m ’e n t e n d r e avec les m a g is tr a ts de cette ville p o u r le p la c e m e n t d u r é g im e n t qui dev a it y a rr iv e r le l e n d e m a in . J ’y tr o u v a i le g én é ral de division F ria n t, d o n t les tr o u p e s , q u i o c c u p a ie n t les en v iro n s, é ta ie n t s u r le p o in t de se m e ttr e en m a rc h e . M. de T o u rn o n , m o n p a r e n t , in te n d a n t g én é ral de la pro v in ce , chez qui j e fus d în e r, s ’o c c u p a it a lo rs de faire e m b a lle r ses a rc h iv es dan s la p r é s o m p t io n de l ’a p p r o c h e des A u tr ic h ie n s , c ra in te d ’a u t a n t m ie u x fondée q u e, p e u de j o u r s a p r è s n o tr e passage, u n p arti l’enleva avec to u s ses é q u ip ag e s, av a n t m ê m e le c o m m e n c e m e n t d es h ostilité s. Le 23, n o u s v în m e s p r e n d r e p o sitio n e n avant d u b o u r g de Bezenstein o c c u p é p a r le 17e lé g e r Le le n d e m a in n o u s fîm e s dix lie u es d a n s la jo u r n é e p o u r a r r iv e r à la p e tite ville de H e r s b r u c h , a y a n t suivi u n e r o u te im p ra tica b le p o u r l’a r tille rie à tra v e rs d e s bois et d es m o n ta g n e s c o u v e rtes de 15 22& SOUVENIRS MILITAIRES. neig e. D eux jo u r s ap rè s, le r é g im e n t p r it ses q u a r tie r s à H o h e n s ta d t q u e n o u s q u itt â m e s le le n d e m a in , à la p o in te d u j o u r , p o u r n o u s r e n d r e à S ulzbach, où fu re n t établis p lu s i e u r s p o s te s d ’o b se rva tion s u r la f ro n tière de la B o h ê m e , ta n d is q u e le r é g im e n t p r e n a it, d e u x lie u e s p lu s loin, ses q u a r tie r s d a n s la ville de A m b erg , où n o u s r e s t â m e s q u e l q u e s jo u r s e n a t te n d a n t qu e les A u tr ic h ie n s c o m m e n ç a s s e n t les h o stilité s. XII GUERRE CAMPAGNE D’AUTRICHE DE W A G R A M , 1 8 0 9 Ce fu t le 10 a v ril, d a n s la m a tin é e , q u e le c a p ita in e D aub e n to n , aid e de cam p d u g é n é ra l P a jo l, v in t p ré v e n ir offi c ie lle m e n t le co lo n el D ery q u e le co m te de B e lle g ard e, c o m m a n d a n t u n e d iv isio n a u tric h ie n n e , v e n a it de signifier, a u n o m de l ’e m p e re u r so n m a ître, q u ’il tr a ite r a it en e n n e m i q u ic o n q u e s ’o p p o se ra it à sa m a rc h e . L’an n o n c e de c e tte n o u v elle fu t ac cu e illie p a r le ré g im e n t aux c ris ré p é té s de : V ive l ’E m p e re u r! et, u n e h e u r e a p rè s, le s p re m ie rs co u p s de ca ra b in e de n o s h u s s a rd s f u re n t le p ré lu d e de ce g ran d d ra m e q u i d ev ait é to n n e r to u te l’E u ro p e so u s le n o m de ca m p a g n e de W a g ram . C ette ca m p a g n e fu t b ie n c e rta in e m e n t u n e d es p lu s b rilla n te s de l ’E m p ire e t N apoléon y d o n n a de n o u v e lle s p re u v e s de c e t im m e n se génie qui le p la ce a u -d e ssu s d es p lu s g ra n d s c a p ita in e s d e s te m p s a n c ie n s e t m o d e rn e s. L a tr a n q u illité in d iffé re n te avec la q u elle l ’E m p e re u r a v a it la issé l ’A u tric h e faire se s p ré p a ra tifs de g u e rre avait in s p iré u n e te lle confiance à c e tte p u iss a n c e , q u ’elle se c r u t a s s u ré e d a n s la r é u s s ite d u p ro je t q u ’elle av ait con çu de c h a sse r les F ra n ç a is d e l ’A llem agne e t de l ’Italie, e t 228 SOUVENIRS MILITAIRES. lo r s q u ’elle c r u t N apoléon e m b a rra ssé d a n s c e tte fata le g u e rre d 'E s p a g n e , elle n e b a lan ç a p o in t à ,r o m p r e u n tr a ité q u ’elle d ev a it à sa m a g n a n im ité ; m a is ce lu i-ci, tro p c la irv o y a n t p o u r se la is s e r s u r p re n d re , a tte n d it so n n o u v el e n n e m i avec c a lm e , a s s u ré q u ’il é ta it de le faire r e p e n tir de sa té m é ra ire e n tre p ris e . L’E m p e re u r fit to u te s les d é m a rc h e s p o ssib le s p o u r le m a in tie n de la paix q u ’il c ro y a it n é c e s s a ire ; m a is, lo r s q u ’il v it q u ’on a ttr ib u a it à la c ra in te ce q u i n ’é ta it q u e de la p ru d e n c e , il n ’h é s ita p lu s à a c c e p te r la lu tte q u ’on lu i p r é s e n ta it e t p ro u v a de n o u v ea u to u t ce q u ’o n p o u v a it a tte n d r e d es F ra n ç a is g u id é s p a r le g én ie, l’h o n n e u r n a tio n a l e t le d é s ir d ’a c q u é rir de la g lo ire . J e n e r e tra c e ra i d e c e tte v ic to rie u se ca m p a g n e q u e les faits de la d iv isio n de c a v a le rie lé g è re d u g é n é ra l M o n tb ru n , e t p lu s p a r tic u liè r e m e n t ce u x a u x q u e ls a p a rtic ip é le ré g i m e n t d o n t j ’avais l ’h o n n e u r de faire p a rtie en q u a lité de c a p ita in e a d ju d a n t-m a jo r, et q u i lu i o n t m é rité p lu s ie u rs fo is les élo g es e t les ré c o m p e n s e s de l ’E m p e re u r. Je la isse à u n e p lu m e p lu s sa v an te de d é c rire le s n o m b re u x e t sa n g la n ts c o m b a ts q u i o n t illu s tr é l ’a rm é e f ra n ça ise d an s c e tte c o u rte p é rio d e de q u e lq u e s m o is. Ce f u t d o n c , ain si q u e je l ’ai d it, d a n s la jo u r n é e d u 10 av ril q u e la g u e rre fu t d é n o n c é e à n o tre g én é ral p a r u n o fficier p a rle m e n ta ire e t q u ’a u s s itô t a p rè s c o m m e n c è r e n t le s h o s tilité s . A insi le g a n t é ta it je té , ra m a ssé , e t la lice o u v e rte ; il ne s ’a g issa it do n c p lu s q u e de co m b a ttre . Le 11, j ’ac co m p ag n a i le co lo n el, d è s la p o in te du jo u r , d a n s l ’in s p e c tio n d es p o s te s av a n cé s q u e j ’avais p la cé s la v e ille et q u ’il tro u v a en règ le . D ans l ’a p rè s-m id i, le lie u te n a n t K iste r, en v o y é en re c o n n a issa n c e , re n c o n tra u n d é ta c h e m e n t c o n sid é ra b le de h u la n s e t d ’in fa n te rie d e v a n t le q u e l il c r u t p r u d e n t de s e ENTRÉE EN CAMPAGNE. — 1809. J 229 r e tir e r sa n s se la isse r e n ta m e r, m a is en tir a illa n t ju s q u ’à la n u it en av a n t du village de D eblitz ’o ù u n e g r a n d ’g ard e v in t le so u te n ir. Le le n d e m a in , a p rè s a v o ir co u p é u n p o n t s u r la R ég en , n o u s fîm e s n o tre jo n c tio n avec le 7° H u ssa rd s e t le 11e C h a sse u rs fo rm a n t la b rig a d e d u g é n é ra l P ajol. N ous la is sâ m e s R a tisb o n n e à n o tr e g au c h e e t a rriv â m e s à n e u f h e u re s d u so ir au v illage de B e rc sh a u se n , o ù n o u s tro u v â m e s u n b a ta illo n d ’in fa n te rie , a p rè s a v o ir fait q u in z e lie u e s d a n s la jo u rn é e . Le le n d e m a in , n o u s jo ig n îm e s , au villag e de D asw ang, le 13e lé g e r avec le q u e l n o u s devions o p é re r. N o u s y tro u v â m e s le g é n é ra l de d iv isio n M ontb ru n , a rriv a n t d ’E sp ag n e p o u r p re n d re le c o m m a n d e m e n t d e l à d iv isio n de cav alerie lé g è re d ’av an t-g ard e, avec, p o u r aid es de ca m p , les c a p ita in e s G u in ard e t Galon, et p o u r offi c ie r d ’o rd o n n a n c e , le lie u te n a n t W a ld n e r, d u 11° C has s e u rs, b eau je u n e h o m m e d ’u n e g ran d e fam ille d ’A lsace. N ous fû m es d ’a u ta n t p lu s sa tisfa its d ’ê tre so u s le s o rd re s de ce b rav e g é n é ra l q u ’il jo u is s a it à ju s te titr e d a n s t.oute l ’a rm é e de la p lu s b rilla n te ré p u ta tio n . 11 n o u s p a s s a en re v u e e t, se m e tta n t à n o tre tê te , il se d irig e a s u r F a lz b o u rg où n o u s v în m e s c o u c h e r avec le 13° lé g er. L ogé av ec le c o lo n el chez le c u ré de l ’e n d ro it, ce b rav e e t d ig n e h o m m e d é p lo ra it les m a u x q u e la g u e rre allait e n tra în e r , m a is so u m is a u x d é c re ts de la P ro v id e n c e , il n o u s o ffrit d e b o n c œ u r sa cave, sa b a s se -c o u r e t sa c u isi n iè re . T o u s le s h a b ita n ts é ta n t B avarois, p a r c o n s é q u e n t n o s allié s, n o u s a c c u e illire n t avec e m p re s s e m e n t, n e n o u s d e m a n d a n t a u tre ch o se q u e de n e p as la isse r p é n é tr e r l ’e n n e m i d an s le u r p ay s. Mais m a lh e u re u s e m e n t il n ’en fu t p o in t a in s i p a r d es ra is o n s q u i n o u s é ta ie n t in c o n n u e s a lo rs e t q u i n e p u r e n t les g a ra n tir d ’u n e c o u rte in v a sio n ; ce fu t la n é c e s s ité où se tro u v a it l ’a rm é e fra n ç a ise de faire u n e 230 SOUVENIRS MILITAIRES. m a rc h e ré tro g ra d e afin de c o n c e n tre r ses fo rces. D ifférents d é ta c h e m e n ts en v o y é s en re c o n n a iss a n c e d ans la jo u rn é e a n n o n c è re n t la p ré s e n c e de l ’e n n e m i e t ce lle d u p rin c e F e rd in a n d d a n s la ville de B u rg le n g e n fe ld q u e n o u s occu p io n s la v eille . D ans la s o iré e , q u e lq u e s co u p s de c a ra b in e a y a n t été é c h a n g é s avec le s C h a sse u rs d u lo u p , e x c e lle n ts tir e u r s , d e u x de n o s h u s s a rd s fu re n t tu é s et, p rè s de A m b erg , n o u s e û m e s tro is h u s s a rd s tu é s e t c in q b le ssé s . Le 18, le g é n é ra l M o n tb ru n fit u n e re c o n n a is s a n c e s u r P faffen h o ffen avec le 5e H u ssa rd s. U n ré g im e n t de h u la n s en s o r tit a u s s itô t à l’a p p ro c h e d u g é n é ra l Ja c q u in o t, v e n a n t jo in d re la d iv isio n avec le I e e t le 2e de C h a s s e u rs ; c e s tr o u p e s a v a ie n t eu u n e n g a g e m e n t assez sé rie u x , la v eille, c o n tre d es fo rc e s s u p é rie u re s q u i v a in e m e n t a v a ie n t v o u lu e m p ê c h e r n o tr e jo n c tio n . T o u te s ces m a rc h e s et c o n tre m a rc h e s a v a ie n t p o u r b u t d e p ro té g e r le s m o u v e m e n ts du m a ré c h a l D avout m e n a c é p a r l ’a rc h id u c C harles q u i, avec d e s fo rc es tr è s s u p é rie u r e s , v e n a it de s ’e m p a re r de R a tisb o n n e e t e s p é ra it r e f o u le r l’a rm é e b av a ro ise de m a n iè re à e m p ê c h e r sa jo n c tio n avec n o s tro u p e s . C ette situ a tio n assez c ritiq u e d e m a n d a it u n e p ro m p te d é te rm in a tio n . S u r le s m in u it, le c h e f d ’e s c a d ro n H irn , d u 3e H u ssa rd s, fu t d é ta ch é avec c e n t ch e v au x et, dès la p o in te d u jo u r d u 19, la d iv isio n se m it en m a rc h e se d irig e a n t s u r A b en sb e rg . P eu d ’h e u re s a p rè s , en a rriv a n t s u r le s h a u te u rs de D islin g en , n o u s v îm e s d é b o u c h e r l ’e n n e m i avec d es m a sse s c o n s id é râ m e s ; la 5° c o m p a g n ie d u ré g im e n t fu t a u s s itô t la n c é e en tir a ille u r s afin de la is s e r le te m p s au 7e lé g e r de n o u s re-, jo in d re . A u ssitô t ce m o u v e m e n t e x é c u té , le g é n é ra l, m a lg ré la p o sitio n d é s a v a n ta g e u se d a n s la q u elle il se tro u v a it et l ’in fé rio rité de se s tro u p e s , n o u s fil m a n œ u v re r avec le ta le n t e t l ’in te llig e n c e q u i lu i é ta it si fa m ilie rs , afin de COMBAT D’A B E N S B E R G . — 1 809. 231 p a ra ly s e r le p lu s p o ssib le le s fo rc es c o n s id é ra b le s q u e n o u s av io n s en face de n o u s. M ais l’e n n e m i, con fian t d ans sa s u p é rio rité , fit to u te s se s d isp o s itio n s d ’a tta q u e e t c o m m e n ç a p a r n o u s e n v o y e r p lu s ie u r s b o u le ts q u i n o u s tu è re n t q u e lq u e s ch e v au x . Le 7° lé g e r, a u s s itô t a p rè s n o u s avoir re jo in ts , m a rc h a à la b a ïo n n e tte d ro it au x b a tte rie s , a b o rd a l ’e n n e m i avec ré s o lu tio n e t lu i en lev a d e u x p iè ce s, ta n d is q u ’u n e s c a d ro n du 7 °H u ssard s fo u rn is s a it u n e b elle ch a rg e. Le g é n é ra l M on tb ru n , v o y an t a lo rs q u e l’affaire a lla it d ev e n ir s é rie u se e t q u ’il fa lla it en c e tte c irc o n sta n c e fa ire p lu s q u e so n d ev o ir p o u r te n ir tê te au x fo rc es s u p é rie u r e s q u i se d é v e lo p p a ie n t d ev a n t n o u s, v in t à n o s ré g im e n ts, les p a s s a en re v u e c o m m e s u r u n ch a m p de m a n œ u v re m a l g ré la m itra ille e t le s b o u le ts, e t la n ç a le 5e H u ssa rd s à la c h a rg e s u r les h u s s a rd s [...?] fo rts de p rè s de 1200 c h e v a u x ; la m ê lé e fu t d es p lu s vives p e n d a n t q u e lq u e s in s ta n ts , m a is, to u r n é s p a r u n r é g im e n t de h u la n s , n o u s fû m es o b lig és de n o u s re p lie r s u r n o tre brav e in fa n te rie q ui r é ta b lit b ie n tô t le c o m b at p a r se s d éc h arg es m e u r tr iè r e s . U ne se c o n d e charg e q u e n o u s fim es a p p u y e r p a r le 11° C h a sse u rs fu t te rrib le ; n o s h u s s a rd s se b a tta n t avec la p lu s g ra n d e ré so lu tio n , n o u s p a rv în m e s à en fo n c e r n o s a d v e rsa ire s q u e le 7e H u ssa rd s ac h ev a de m e ttre d an s la p lu s g ra n d e d é ro u te en tu a n t b ea u co u p de m o n d e d a n s sa p o u rs u ite . Ce c o m b a t m e u rtrie r e u t le d o u b le av a n ta g e de te n ir en é c h ec u n c o rp s co n sid é ra b le qui se d irig e ai t s u r R a tisb o n n e e t de p ro té g e r la m a rc h e de flanc de la d ivision P ria n t q u i c h e rc h a it à faire sa jo n c tio n avec le m a ré c h a l D av o u t; m a is il c o û ta c h e r au x d eu x p a rtis . N o tre brave colonel y fu t g riè v e m e n t b le ssé , a in si q u e c in q officiers e t vingt-deux h u s s a rd s , d o n t n e u f r e s tè re n t s u r p la ce . De so n côté, l ’en n e m i p e r d it b e a u c o u p de m o n d e e t s u r to u t d a n s la p o u r 2 8 2 SOUVENIRS MILITAIRES. su ite d u 7e H u ssa rd s. Le g é n é ra l M o n tb ru n d ép lo y a d a n s ce b r illa n t c o m b a t u n e v a le u r et u n ta le n t q u i lu i m é ritè re n t l ’e s tim e e t l ’a d m ira tio n d e s tr o u p e s ; il e u t u n cheval tu é so u s lu i p a r u n b o u le t, et le g é n é ra l P a jo l, s a b ra n t co m m e u n sim p le h u s s a rd , r e ç u t u n e lé g è re b le s s u re au b ras. S u r les q u a tre h e u re s a p rè s m id i, n o u s p a s sâ m e s tr a n q u ille m e n t u n défilé p a r u n e p lu ie b a tta n te , a y a n t à n o tre tê te le g é n é ra l M o n tb ru n q u i v o u lu t fo rt g a la m m e n t re m p la c e r le co lo n el D ery tr a n s p o r té s u r le s d e rriè re s avec le s a u tre s b le s s é s . A la n u it to m b a n te , le g é n é ra l p r it p o sitio n avec un b a ta illo n du 7e lé g e r au village de P e y sin g , et les tr o is ré g i m e n ts de cav alerie lé g è re avec le re s te d u 7e lé g e r se p o r tè r e n t en a v a n t s u r la p e tite v ille de A bbach, où n o u s n o u s é ta b lîm e s m ilita ire m e n t e t p a s sâ m e s u n e n u it fo rt tr a n q u ille . Le 20, la div isio n r e p r it, d ès la p o in te du jo u r , la p o s itio n q u ’elle o c c u p a it la v e ille afin de te n ir en échec le c o rp s d u g én é ral K o llo w rath p e n d a n t le m o u v e m e n t du m a ré c h a l D avout s u r E ck m ü h l où il v o u la it fa ire sa jo n c tio n avec l ’a rm é e b a v a ro ise à la tê te de la q u e lle l ’E m p e re u r v e n a it d e se m e ttr e . Le p la n de l ’a rc h id u c C harles, deviné a u s s itô t p a r N apoléon, c o n s is ta it à c o u p e r n o tre a rm é e afin d ’é c ra se r d ’a b o rd le m a ré c h a l D avout e t d é tru ire e n s u ite le s e c o n d 'c o rp s ; il se c ro y a it d ’a u ta n t p lu s c e rta in de p o u v o ir e x é c u te r ce p r o je t q u e se s fo rc es é ta ie n t b e a u c o u p s u p é rie u re s a u x n ô tr e s e t q u e R a tisb o n n e av a it été o b lig é de c a p itu le r; c ’e s t p o u rq u o i l ’E m p e re u r a v a it fait d ire au g én é ral M o n tb ru n de te n ir fe rm e d a n s sa p o sitio n ta n d is q u ’il a lla it a tta q u e r l ’e n n e m i p o u r e m p ê c h e r sa jo n c tio n . T ous ces m o u v e m e n ts e x é c u té s avec u n e a d m ira b le p r é cisio n d ev a ie n t a v o ir p o u r r é s u lta t le b rilla n t c o m b a t d ’E ck m ü h l. COMBAT D’E C K M Ü I I L . — 1 80 9 . 233 Des d é s e rte u rs q u i a r r iv è r e n t à n o s p o ste s av an cés n o u s a p p rire n t q u ’a u v illage de P e y sin g n o u s av io n s c o m b a ttu l ’av a n t-g ard e d ’u n c o rp s d ’a rm é e de 30000 h o m m e s e t 40 b o u c h e s à feu, d o n t l’in te n tio n é ta it de se jo in d r e à l ’a r c h id u c ; m a is le g é n é ra l, s e n ta n t l ’im p o rta n c e d ’e n tra v e r ce m o u v e m e n t, ne c e ssa p a s de h a rc e le r l ’e n n e m i. N ous e û m e s d an s la jo u r n é e la tris te n o u v e lle que le d é ta c h e m e n t so u s le s o rd re s d u c o m m a n d a n t H irn , c h a rg é de ■ com m uniquer avec le m a ré c h a l D avout, av a it é p ro u v é de g ra n d e s p e rte s e t q u e son b rav e c h e f av a it été tu é p a r un b o u le t. C ette p e rte , n o u s fu t d ’a u ta n t p lu s se n sib le q u e l ’a b se n c e d u c o lo n e l a lla it la is s e r le ré g im e n t so u s le s o rd re s d ’u n c h e f d ’esca d ro n to u t n o u v e lle m e n t arriv é au c o rp s e t q u i, d an s le c o m b a t de P e y sin g , av a it m o n tré u n e te lle p u s illa n im ité q u e to u t le c o rp s d ’officiers l ’av ait d éc la ré u n a n im e m e n t in d ig n e de le c o m m a n d e r; le g é n é ra l P a jo l, p a rta g e a n t c e tte o p in io n , d é c la ra q u ’il c o m m a n d e ra it le ré g im e n t j u s q u ’au r e to u r du co lo n el, d o n t l ’ab sen c e n e p o u v a it ê tre lo n g u e , a y a n t fa it d ire q u ’il e s p é ra it b ie n tô t n o u s r e jo in d re , b ie n q u e fo rcé d ’av o ir le b ra s en é c h a rp e . Q u an t au c h e f d ’e s c a d ro n , il fu t a u s s itô t d irig é s u r le d é p ô t de F ra n c e , so u s p ré te x te d ’o rg a n ise r le s re n fo rts qui d ev aien t n o u s a r r iv e r ; m a is, a v a n t son d é p a rt, ce fu t u n so u s -lie u te n a n t d u ré g im e n t q u i lu i signifia, au n o m de to u s le s officiers, q u e s ’il ne q u itta it p as la p e lisse b la n c h e il s e ra it d é n o n c é à l ’E m p e re u r, e t n o u s n ’en e n te n d îm e s p lu s p a rle r. D ans la jo u r n é e d u 22, n o u s fû m e s re n fo rc é s p a r la b ri gad e d ’in fa n te rie B o u d e t; ce r e n fo rt p e rm it au g é n é ra l M o n lb ru n de te n ir en é c h ec , p a r de fau sse s a tta q u e s , le c o rp s d u g é n é ra l K o llo w rath , afin q u e l ’E m p e re u r p û t exé c u te r ses g ra n d s m o u v e m e n ts. Le 23, b a ta ille de R a tisb o n n e ! — Dès q u a tre h e u re s du 234 SOUVENIRS MILITAIRES. m a tin , la d iv isio n se m it en m o u v e m e n t en c o lo n n e s d ’a tta q u e , se d irig e a n t s u r u n e b elle p o sitio n o cc u p ée p a r l ’e n n e m i. N ous ta rd â m e s p e u à n o u s tr o u v e r e n p ré s e n c e d ’u n e ligne d e c a v alerie q u i se m b la it n o u s a tte n d re avec r é s o lu tio n , m a is, au m o m e n t de l ’a b o rd e r, elle to u r n a b rid e avec le p lu s g ra n d ca lm e p o u r p ro té g e r le ta rd if m o u v e m e n t d u g é n é ra l K o llo w ra th c h e rc h a n t à fa ire sa jo n c tio n avec l ’a r c h id u c C harles. La m issio n d u g é n é ra l M o n tb ru n a y a n t e u un p lein s u c cè s, il se d irig e a a u s s itô t s u r R a lisb o n n e d o n t n o u s a p p ro ch â m e s à u n e lie u e de d ista n c e v e rs le s n e u f h e u re s du m a tin , m a rc h a n t d a n s u n e p lain e im m e n se , en c o lo n n e s p a r e s c a d ro n ; m ais* d é c o u v ra n t b ie n tô t u n e m a sse co n si d é ra b le q u i v e n a it à n o u s avec b ea u co u p d ’o rd re e t de sa n g -fro id , n o tre b rig ad e fu t m ise a u s s itô t en ligne p a r r é g im e n t. Le g é n é ra l P a jo l, à là tê te du 5° H u ssa rd s et so u te n u p a r le 7e, c h a rg e a avec u n e v é rita b le f u re u r; p e n d a n t q u e lq u e s in s ta n ts , la m ê lée fu t d es p lu s vives et n o u s p a r v în m e s enfin à ro m p re l ’e n n e m i ; m a is n o u s fûm 'es a r r ê té s d a n s n o tre p o u rs u ite p a r la v u e d ’u n e m a sse im p o sa n te d é b o u c h a n t d a n s le fond de la p lain e, d o n t les ailes se d é p lo y a ie n t p o u r n o u s en v e lo p p e r. N ous c rû m e s u n m o m e n t a v o ir affaire à to u te la cav alerie a u tric h ie n n e ; m ais c e tte in c e rtitu d e f u t de c o u rte d u ré e : c ’é ta it N ap o léo n o p é ra n t sa jo n c tio n à la tê te de l ’a rm é e b av a ro ise. A lors, le c o m b a t d e v in t g é n é ra l d an s c e tte p la in e im m e n se o ù l ’a p p a ritio n su b ite de l ’E m p e re u r p ro d u is it u n effet é le c triq u e d an s to u te l ’a rm é e , sa lu é e p a r les p lu s vives a c c la m a tio n s e t ac co m p ag n ée d u b r u it d es ca n o n s e t d e s feu x de l ’in fa n te rie ; ce fu t a lo rs q u e c o m m e n ç a v é rita b le m e n t la ba ta ille d a n s la q u e lle n o tr e d iv isio n n ’a v a it q u e p ré lu d é , ea r n o u s avions u n g é n é ra l a u q u e l so n a rd e u r, sa b ra v o u re BATAILLE DE RATISBONNE. — 18 0 9 . 235 e t so n au d a ce ne p e r m e tta ie n t pas de r e s te r in a c tif d ans u n m o m e n t se m b la b le . L ’e n n e m i, ap p u y é à R a tis b o n n e d o n t il é tait m a ître, p r o tég é p a r le s h a u te u r s g a rn ie s de p lu s ie u r s b a tte rie s, p r é s e n ta it u n fro n t im p o s a n t, c o u v e rt p a r u n e lig n e de cava le rie d ’u n e g ra n d e é te n d u e d o n t n o u s av io n s été à m êm e d ’a p p ré c ie r la v a le u r u n e h e u re av a n t. C ep en d an t, le g é n é ra l M o n tb ru n ne b alan ç a p a s de l ’a tta q u e r, e n c o re b ien q u ’elle fû t c o n s id é ra b le m e n t re n fo rc é e , c a r il se n ta it tro p b ie n l’im p o rta n c e de ce m o u v e m e n t q u i d ev a it p ro té g e r le d é p lo ie m e n t des m a sse s de l ’E m p e re u r. Le g é n é ra l P a jo l, to u jo u rs à la tê te d u 5 °H u ssa rd s, n o u s c o n d u is it à la c h a rg e en b ra n d is s a n t so n sa b re e t a rriv a n t le p r e m ie r ; n o u s c u lb u tâ m e s to u t ce q u i offrit ré sis ta n c e , ta n d is q u ’à n o tre g a u c h e le 11e C h a sse u rs e l le 7eH u ssa rd s, g u id é s p a r le g é n é ra l M o n tb ru n , fa isa ie n t m e rv e ille . P o u r s u iv a n t sa n s relâ ch e ce lte c a v alerie en d é s o rd re , n o tre ca v a le rie n e s’a r r ê ta q u ’à u n d e m i-q u a rt de lie u e de R atisb o n n e , p lu s ie u rs d é c h a rg e s d ’a rtille rie a y a n t ra le n ti n o tre a rd e u r. (Ce fu t en ce m o m e n t q u ’il m ’a rriv a u n fait que je c ite ra i p lu s ta rd afin de n e p o in t in te rro m p re la m a rc h e de l ’ac tio n g é n é ra le .) L’E m p e re u r, v o u la n t p ro fite r de l ’e n th o u s ia sm e q u e sa p ré se n c e in s p ira it à l ’a rm é e , e t de l ’av an tage q u 'il av ait o b te n u en c o u p a n t en deu x l ’a rm é e de l ’a r c h id u c p a r les c h a rg es r é ité ré e s de la cav alerie, o rd o n n a au m a ré c h a l L an n e s d ’e n le v e r la v ille de R a tisb o n n e , m alg ré ses m u ra ille s fo rtifiées e t u n e c o n tre s c a rp e p r é s e n ta n t de g ra n d s m o y e n s de d é fe n se . Le m a ré c h a l, a y a n t c o n n a is san ce q u ’u n e b rè c h e e x ista it e n tre le s d eu x p o rte s, se m it à la tê te d ’u n b a ta illo n et, d e s c e n d a n t d a n s le fo ssé, so u s le feu m e u rtrie r de l ’e n n e m i, a b o rd a la b rè c h e , p é n é tra d ans la ville e t fit o u v rir la p o rte d ite de S tra u b in g . La tro u p e s u r p ris e e t d é m o ra lisé e p a r u n e a c tio n au ssi 236 SOUVENIRS MILITAIRES. a u d a c ie u se , m it b as ies a r m e s ; u n e n o m b re u s e a rtille rie f u t p rise ; m a is ce q u ’il y e u t de p lu s s a tisfa isa n t p o u r le m a ré c h a l, ce fu t la d é liv ra n c e d u 65e de lig n e q u i a v a it été o b lig é de c a p itu le r d a n s le s p re m ie rs é v é n e m e n ts de la ca m p a g n e, c o m m a n d é a lo rs p a r le b rav e co lo n el C outard, le q u e l c e p e n d a n t é ta it p a rv e n u à s o u s tra ire se s aigles. A insi, en p e u de jo u r s et p a r le s sa v an te s m a n œ u v re s de l ’E m p e re u r, n o u s é tio n s p a rv e n u s à r é p a re r le s d é b u ts fâ c h e u x d e ce tte c a m p a g n e, g ag n e r les b a ta ille s de T an n , d ’A b e n sb e rg e t d ’E c k m ü h l, v ain cre d a n s le s c o m b a ts de P e y s in g , d e L a n d s h u t e t de R a tisb o n n e , d é m o ra lis e r u n e a rm é e d e 180000 h o m m e s avec m o itié m o in s de forces, p re n d re 100 p iè c e s de ca n o n , 40 d ra p e a u x , 50000 p r is o n n ie rs , 3 éq u ip a g e s de p o n t, 3 000 v o itu re s a tte lé e s p o rta n t d es b ag ag es e t to u te s le s caisse s des ré g im e n ts. A insi c e tte a rm é e q u i c o m p ta it n o u s a n é a n tir se tr o u v a it ré d u ite à d é fe n d re so n te rr ito ire , m a lg ré q u e lq u e s su c cès p a s sa g e rs q u ’elle p a y a it ain si fo rt c h e r. Le s o ir de ce b r illa n t c o m b a t, la ca v alerie, h a ra ssé e de fatig u e, fu t en v o y ée d a n s d es villag es. L ’é ta t-m a jo r d u ré g im e n t, e n v e n a n t p r e n d re p o sse ssio n d e la m a iso n d u c u ré , y tfo u v a le g é n é ra l S a in t-S u lp ic e q u i n o u s p e rm it de p a s s e r la n u it avec lu i. Je fu s fo rt h e u re u x d ’y re n c o n tre r u n v é té rin a ire q u i p a n s a m o n cheval de d e u x co u p s de sa b re s u r la tê te , e t d ’y tro u v e r p o u r n o s ch e v au x d e s fo u r ra g e s e n ab o n d a n c e . L a ville de R a tisb o n n e , d o n t n o u s étio n s à u n q u a rt de lie u e , offrait u n sp e c ta c le h o rrib le e t a u ssi effra y an t p o u r la tro u p e q u e p o u r le s h a b ita n ts . Les flam m es s ’é te n d a ie n t d a n s d iffé ren ts q u a r tie r s , g a g n a n t u n e p la ce s u r la q u e lle se tro u v a it u n p a rc d ’a rtille rie a b a n d o n n é p a r les A u tric h ie n s ; on é ta it d a n s le p lu s g ra n d effroi c ra ig n a n t à to u t in s ta n t u n e ex p lo sio n q u i eût, a n é a n ti u n e p a rtie de la ville. BATAILLE DE R AT I SB O N N E . — 1809. F o rt h e u re u s e m e n t, la tr o u p e p a rv in t à é te in d re le feu ; m a is u n e a u tre c a la m ité v in t se jo in d re à ta n t d ’in q u ié tu d e s, ce fu t le p illa g e avec to u te s le s h o r r e u r s d ’u n e v ille p rise d ’a s s a u t : le s c ris des b le ssé s, c e u x d es h a b ita n ts d o n t on en fo n ç a it le s p o rte s , le d é s e sp o ir des m a lh e u re u s e s fem m es liv ré es a u x b ru ta lité s d es so ld a ts ivres, enfin u n e ép o u v a n ta b le c o n fu sio n o ffran t u n sp e cta cle affreux q u e la n u it re n d a it e n c o re p lu s h o rrib le . N ous a p p rîm e s d a n s la so iré e q u e l ’E m p e re u r av ait é té b le ssé d ’u n e b alle m o rte à la ja m b e , ce q u i n e l ’e m p ê c h a pas de m o n te r à cheval p o u r p a r c o u rir le ch a m p de b a taille. Le ré g im e n t e u t d a n s ce tte jo u r n é e d eu x officiers tu é s et c in q b le ssé s ; 74 h u s s a rd s f u re n t tu é s e t 32 b le ssé s p lu s ou m o in s g riè v e m e n t; n o s p e rte s p ro v in re n t s u r to u t des dé c h a rg es à m itra ille p r è s de la v ille. C’e s t ici le m o m e n t de r e tra c e r l ’é v é n e m e n t q u i m ’a rriv a d a n s la jo u r n é e au m o m e n t de la co n fu sio n d es c h a rg e s su c ce ssiv e s que n o u s fîm e s. P lu s ie u rs p e lo to n s de c u ira s s ie rs e t de c h e v a u -lé g e rs a u tric h ie n s , s ’é ta n t je té s avec fu re u r s u r le ré g im e n t, p a r v in r e n t à r o m p re n o tre lig n e ; je m ’en tro u v a i sé p a ré u n in s ta n t, n ’a y a n t p r è s de m o i q u e 5 à 6 h u s s a rd s , et en v e lo p p é p a r u n e tr e n ta in e de c a v aliers e n n e m is , lo rs q u e fo rt h e u r e u s e m e n t p lu s ie u r s tira ille u rs d u 7° lé g e r se r é u n is s a n t fire n t u n e d éc h arg e à b o u t p o r ta n t q u i a b a ttit p lu s ie u rs h o m m e s e t m it le s a u tre s e n fu ite ; a lo rs, fra n c h is s a n t u n ra v in suivi de m e s h u s s a rd s , n o u s a tte ig n îm e s d e u x o fficiers q u i se r e n d ir e n t a p rè s q u e lq u e s c o u p s de sa b re é c h a n g é s : u n é ta it b le ssé assez g rièv e m en t. Je m ’o cc u p ais de r a s s u r e r les d eu x p ris o n n ie rs , lo rsq u e le g é n é ra l d e d iv isio n N ..., a rr iv a n t à n o u s, o rd o n n a aux tira ille u rs d u 7° de le s fu s ille r ; m on é to n n e m e n t e t m o q 238 SOUVENIRS MILITAIRES. in d ig n a tio n p ro u v è re n t au g é n é ra l m a s u r p ris e d ’u n a u ssi affreux p ro c é d é . J e lu i o b se rv a i q u e ces p ris o n n ie rs m ’a p p a rte n a ie n t, q u e ce s e ra it m a n q u e r à to u te s le s lo is de la g u e rre de le s a s s a s s in e r a in si e t q u e l’h o n n e u r m e fai sa it u n d e v o ir de m ’y o p p o s e r; le s tir a ille u rs de le u r côté se m b la ie n t r é p u g n e r à u n e a c tio n a u s si b a rb a re ; m a is le gé n é ra l re n o u v e la im p é ra tiv e m e n t so n o rd re , re c o n n a is s a n t, d isa it-il, ces d e u x officiers p o u r l ’av o ir v iv e m e n t p o u r su iv i d a n s l’in te n tio n de le tu e r e t n ’a y a n t tro u v é so n sa lu t q u e d a n s la fu ite (il a v a it m ê m e p e rd u son ch a p e a u ) ; il m ’e n jo ig n it d e m e r e tir e r so u s p e in e d e m e fa ire sé v è re m e n t p u n ir. J ’é p ro u v a is la p lu s vive in d ig n a tio n et m o n ex a sp é ra tio n é ta it a u co m b le en p ré s e n c e d ’u n a tte n ta t a u ssi ab o m inable^que la d isc ip lin e m ’im p o sa it d é la is s e r c o m m e ttre , e t je v is e n m ’é lo ig n a n t ces d e u x m a lh e u re u x to m b e r fra p p é s d e p lu s ie u rs b a lle s. S ou s l’im p re ssio n de c e t h o rrib le év é n e m e n t, j ’en r e n d is c o m p le au g é n é ra l M o n tb ru n en en p ré s e n c e d u g é n é ra l L e b ru n , aide de cam p de l ’E m p e re u r, q u i m ’e n g a g è re n t p r u d e m m e n t au silen c e s u r u n fait q u ’ils s e n ta ie n t a u s si b ien q u e m o i ê tre u n e in fam ie, m a is la q u a lité d u p e rso n n a g e é ta it te lle q u ’ils e u s s e n t été tr è s fâch és s ’il av a it eu c o n n a issa n c e de m o n ra p p o rt. , C e p en d a n t, s u r les q u a tre h e u re s d u so ir, le c o m b a t é ta n t te rm in é , le g é n é ra l P ajo l m e fit a c c o m p a g n e r s u r le te rra in o ù c e tte affre u se sc è n e a v a it eu lie u , p a r le c a p ita in e V érig n y , so n aide de ca m p ; n o u s y tro u v â m e s ces m a lh e u re u x officiers m o u ra n ts q u e le s tir a ille u rs d u 7° lé g e r av a ie n t la is s é s sa n s le s d é p o u ille r. N ous n o u s e m p re s s â m e s de le s tr a n s p o r te r d a n s u n v aste c o u v e n t d o n t on avait fait u n e a m b u la n c e ;je les fis p a n s e r d ev a n t m oi e t j ’e u s la sa tis fa c tio n d ’e n ê tre re c o n n u ; m a is ils p u r e n t à p e in e e x p r i m e r le u r re c o n n a iss a n c e d es so in s q u e je le u r p ro d ig u a is . RECONNAISSANCE. — 1809. 239 J e le u r la issa i q u e lq u e s p iè c e s d 'o r e t le s re c o m m a n d a i au x so in s d 'u n c h iru rg ie n , le s q u itta n t avec le v if re g re t de n ’av o ir p u le u r é v ite r u n s o rt si c ru e l. Un d ’eu x , m o in s g riè v e m e n t b le ssé , m ’a p p r it q u ’il se n o m m a it le c o m te de W ra tiz la w , frè re d ’u n a id e de cam p de l ’a rc h id u c C harles, e t so n c a m a ra d e le b a ro n de F ra n k , to u s d eu x officiers au x c h e v a u -lé g e rs de K lenau. A u m o m e n t où j ’allais q u itte r ces m a lh e u re u s e s v ic tim e s un de m e s am is p a rtic u lie rs , le c a p ita in e T robrian.t, aid e de cam p d u m a ré c h a l D avout, a rriv a it p o u r o rg a n ise r l ’a m b u la n c e ; il m e p r o m it to u te sa so llic itu d e e n v e rs ces in fo rtu n é s d o n t l’u n , F ra n k , su c c o m b a q u e lq u e s jo u r s a p rè s e t l ’a u tre é c h a p p a m ira c u le u s e m e n t à la m o rt. Le 24, la d iv isio n de cav alerie lé g è re tra v e rs a R a tisb o n n e à la p o in te d u jo u r , se p o r ta n t en a v a n t, a u d elà du p o n t d u D an u b e o ù elle p r it p o sitio n en a tte n d a n t les o rd re s q u e je fus ch arg é d ’a lle r c h e rc h e r p rè s le p rin c e de N eu c h âte l. Ce fu t l’E m p e re u r lu i-m ê m e , c a u sa n t avec le p r in c e s u r u n p e tit m a m e lo n , qui m e le s d o n n a : « P a rte z s u r-le -c h a m p , m e d it-il, avec d e u x h u s s a rd s , re m o n te z la riv e d ro ite de la R égen ju s q u ’à ce q u e vous ayez d es r e n s e ig n e m e n ts p o sitifs s u r la m a rc h e de l ’e n n e m i, p o u r en d o n n e r avis au g é n é ra l M ontb ru n q u i ag ira d ’a p rè s v o tre ra p p o rt, e t s u r to u t q u ’il so it de la p lu s p a r faite e x a c titu d e . » T elles fu re n t le s e x p re ssio n s de l ’E m p e re u r. 11 les a c co m pag n a d ’u n p e tit sig n e de tê te b ie n v e illa n t, qui m e co m b la de jo ie e n m e p ro u v a n t q u ’il m ’a v a it re c o n n u . Je v in s r e n d re c o m p te au g é n é ra l de l ’o rd re d o n t j ’étais p o r te u r e t p a rtis a u s s itô t avec m e s d e u x h u s s a rd s re m o n ta n t au g alo p le s b o rd s de la R égen ju s q u ’à la h a u te u r de la v ille d e R eg en stau ff, p la cé e s u r l ’a u tre riv e, d o n t le p o n t é ta it ro m p u . D eux p e lo to n s de C h a sse u rs d u lo u p , 240 SOUVENIRS MILITAIRES. p la cé s p rè s d e s m a iso n s, n o u s s a lu è re n t de p lu s ie u rs co u p s de c a ra b in e e t p a r tir e n t; j ’en v o y ai a u s s itô t u n h u s s a rd d o n n e r avis au g é n é ra l que l’e n n e m i se r e tira it d ans la d ire c tio n de la B o h êm e e t m e fis e n v o y e r u n e b a rq u e p a r le s h a b ita n ts ; la c ra in te le s fit o b te m p é re r à m o n o rd re . P re s q u e au m ê m e m o m e n t a rriv a it le g é n é ra l avec u n e e sc o rte d e 25 h u s s a rd s , q u a tre p a s s è r e n t avec m oi d an s la b a rq u e : le b o u rg m e s tre , avec la m u n ic ip a lité e t n o m b re d ’h a b ita n ts , n o u s a tte n d a it s u r le b o rd d u fleuve avec d es d é m o n s tra tio n s c ra in tiv e s, m a is to u t p r ê ts à su b ir les c o n s é q u e n c e s d e le u r p o sitio n . Je signifiai au n o m d u g é n é ra l d e r é p a re r le p o n t, ce q u i fu t ex é cu té avec p ro m p titu d e ; p e n d a n t ce te m p s, j ’in te rro g e a is tro is fa n ta ssin s re s té s d ans u n c a b a re t et q u i se d is a ie n t d é s e r te u r s ; ils m ’a p p r ir e n t q u e l ’a rc h id u c C h arles, avec u n e p a rtie de l ’a rm é e e t b e a u co u p d ’é q u ip a g e s, se r e tir a it s u r W itte n a u , d a n s la d ire c tio n d e la B o hêm e. A u ssitô t la d iv isio n a rriv é e , le g én é ral d isp o sa la cavale rie a u b iv o u a c en a v a n t de la ville o ù v in t s ’é ta b lir le 13e lé g e r q u i av a it re m p la c é le 7e. P lu s ie u rs d é ta c h e m e n ts f u re n t à la su ite de l ’e n n e m i e t r a m a s s è re n t u n assez g ran d n o m b re de tra în a rd s e t p lu s ie u r s v o itu re s d ’équipage. Le g é n é ra l m e fit p a r tir le le n d e m a in , à la p o in te d u jo u r , p o u r faire a u p rin c e d e N eu c h â te l le r a p p o r t d es d é ta ils q u ’il av ait s u r la m a rc h e de l ’e n n e m i e t re c e v o ir les o rd re s de l ’E m p e re u r q u i ne m e fu re n t ex p éd iés q u e d a n s la j o u r n ée . Le s o ir j ’a rriv a i à K irn o ù d ev a it s ’a r r ê te r la div isio n , m a is n o tre in fa tig a b le g é n é ra l, ja lo u x de jo in d re l ’e n n e m i, l ’av a it a tte in t à N itte n a u e t av a it en lev é , m a lg ré sa vive r é s is ta n c e , u n e assez b elle p o sitio n d a n s la q u e lle l ’a rriè re -g a rd e s ’é ta it re tra n c h é e ; je m ’é tab lis p o u r la n u it d a n s le c h â te a u de K irn avec m o n o rd o n n a n c e ; u n e aim ab le b a ro n n e m ’y d o n n a l ’h o sp ita lité e t n ’o sa p a s m e re f u s e r d e c o u c h e r d an s NOUVELLE MISSION. — 1809. 241 le lit où s ’é ta it re p o sé l’a rc h id u c C harles l ’av a n t-v eille. Le 26, au m o m e n t o ù je re jo ig n a is la d iv isio n , le g é n é ra l M o n tb ru n se p o rta il s u r P ru k ; m a is l’e n n e m i é ta it te lle m e n t en fo rce p o u r p ro té g e r sa n o m b re u s e a rtille rie e t se s g ro s é q u ip a g e s, q u e le g é n é ra l fu t obligé d ’a tte n d re l’a rriv é e de so n in fa n te rie . Le so ir, n o u s tro u v â m e s la ville év acuée e t le g é n é ra l m e g ard a p rè s de lu i, a y a n t à m e d o n n e r des i n stru c tio n s s u r u n e m issio n q u e je devais re m p lir. Le 28, je m e m is en m a rc h e avec 50 c h a sse u rs d u 11°, 50 h u s s a rd s d u r é g im e n te t 120 h o m m e s d u 13° lé g er, avec l ’o rd re de n e ja m a is p e rd re l ’e n n e m i de v u e, le ta lo n n e r c o n tin u e lle m e n t, sa n s c e p e n d a n t m ’e n g a g e r tro p , p u isq u e je p o u v ais m e tro u v e r à u n e d ista n c e assez c o n s id é ra b le de la d iv isio n , b ien q u ’elle d û t a p p u y e r m e s m o u v e m e n ts. C elte h o n o ra b le m is sio n d ev a it a p p a rte n ir à u n officier s u p é rie u r, m ais le g é n é ra l, re m p li de b ie n v e illa n c e à m o n ég ard , p ro fita de la c irc o n sta n c e où le ré g im e n t é ta it san s c h e f d ’e sc a d ro n p o u r m ’en faire r e m p lir les fo n ctio n s, bien c o n v a in c u que je ré p o n d ra is de m o n m ie u x à c e tte m a rq u e de confiance. N ous n o u s d irig e â m e s d ’a b o rd s u r la p e tite ville de R œ ting, b aig n ée p a r la R égen ; deu x e s c a d ro n s de c h e v a u -lé g e rs e t à p e u p rè s 300 h o m m e s d ’in fan terie é ta ie n t au b iv o u a c en a v a n t de la v ille ; b ie n tô t so u s les a rm e s , ce tte tro u p e se m it en p o sitio n de s ’o p p o se r à n o tre e n tré e ; c e p e n d a n t les tira ille u rs se u ls s ’e n g a g è re n t p e n d a n t p lu s d ’une h e u re . E nfin, s u r le s cin q h e u re s d u so ir, l ’e n n e m i effectu an t sa r e tr a ite , n o u s le ch a rg e â m e s d an s la v ille, le h a rc e la n t p e n d a n t p r è s d ’u n e lie u e ; d e u x c h a s s e u rs e t tro is fa n ta ssin s f u re n t b le ssé s . A la n u it, n o s p o ste s é ta b lis p r è s le village d e F a lk e n s te in e t n o s v e d e tte s p la c é e s à u n e p o rté e de p isto le t, n o u s r e s tâ m e s s u r p ied , sa n s feu , p a r u n e p lu ie c o n tin u e lle . A m in u it, le lie u te n a n t P ie rre , à la tê te de dix h u s s a rd s e t 16 242 SOUVENIRS MILITAIRES. 25 fa n ta s sin s, e n le v a d eu x p o s te s e n tie rs av e c la p lu s g ran d e au d a c e e t p a r la s u r p ris e - la p lu s h a rd ie . J ’en v o y a i au g é n é ra l d e u x officiers, 23 p r is o n n ie rs , u n e c a n tin iè re et, lu i re n d a n t c o m p te de m a jo u r n é e , je le p ré v e n a is que p r o b a b le m e n t n o u s é p ro u v e rio n s de la ré s is ta n c e au p assag e de la riv iè re . Le le n d e m a in , to u s le s p o s te s re le v é s à q u a tre h e u r e s d u m a tin , n o u s n o u s m îm e s e n m a rc h e à la s u ite de l ’en n e m i q u i n e s ’a tte n d a it p as à n o u s tr o u v e r si m a tin a ls ; a u ssi ra m a s s â m e s -n o u s q u e lq u e s tra în a r d s q u i m ’a p p r ir e n t q u ’il y a v a it de la c o n fu sio n d a n s la m a rc h e d e s v o itu re s d ’éq u ip a g e s. D eux c h e v a u -lé g e rs d é s e r te u r s m ’a ffirm è re n t l’év a cu a tio n de la v ille de C ham , s u r la q u e lle n o u s n o u s p o rtâ m e s a u s s itô t; u n p o n t r o m p u fu t à l ’in s ta n t ré p a ré p a r le s h a b i ta n ts e t n o u s y ra fra îc h îm e s u n è h e u re p o u r n o u s m e ttr e à la s u ite de l ’e n n e m i d an s la d ire c tio n de F u rth et N eum a rc k , o ù n o u s l ’a tte ig n îm e s u n e lieu e en a v a n t de ce d e r n ie r e n d ro it, d a n s u n e p o sitio n m o m e n ta n é e , d e rriè re un m a ra is d ’où il n o u s en v o y a u n e g rêle de c o u p s de fusil. Q u aran te h o m m e s d u 13° lé g e r, a p p u y é s d e 25 ch e v au x , le s d é b u s q u è r e n t au p rix de d e u x h u s s a rd s e t de q u a tre fan ta ssin s. Le lie u te n a n t S c h e g lin sk y , d u 5e H u ssa rd s, tu a de sa m a in tro is c h a s s e u rs d u lo u p e t e n p r it h u it. C ette tro u p e se r e tir a n t e n d é s o rd re n o u s la issa m a ître s de 4 v o ilu re s d ’éq u ip ag e d o n t n o u s n o u s e m p a râ m e s sa n s la m o in d re ré sis ta n c e . P e u de te m p s a p rè s ce p e tit c o m b at, u n o fficier s u p é rie u r a u tric h ie n se p ré s e n ta c o m m e p a rle m e n ta ire , se d isa n t p o r te u r d ’u n e le ttre de l’a rc h id u c C h arles p o u r le g én é ral c o m m a n d a n t l’a v a n t-g a rd e ; je lui lis d ire q u ’il e û t à se r e tir e r ou q u e j ’a llais le fa ire p r is o n n ie r ; m a is, s u r de n o u v elles in sta n c e s e t sa p a ro le d ’h o n n e u r q u e so u s le pli de la le ttre d u g é n é ra l, il y en avait ENGAGEMENTS DE C A V A L E R I E . — 18 0 9 . 213 u n e p o u r l ’E m p e re u r, je ju g e a i la c h o se assez im p o rta n te , p o u r m e faire c o n d u ire l ’officier les y e u x b a n d é s. Il p a rla it p a rfa ite m e n t le fra n ça is, s ’e x p rim a n t d a n s le s m e ille u rs te rm e s . II.m e r é ité ra ce q u ’il m ’av a it fait d ire , e t a jo u ta q u ’il av a it l ’o rd re de son c h e f de r e m e ttr e à l ’E m p e re u r m ô m e u n e a u tre le ttr e p a rtic u liè re d o n t il é ta it p o r te u r et q u ’il m e m o n tra . J 'e n c o n c lu s q u e l ’a rc h id u c c ro y a it to u te l ’a rm é e à sa p o u rs u ite et q u ’il é ta it lo in de p ré v o ir le g ra n d m o u v e m e n t o p éré p a r N apoléon, m a is q u e, d an s c e tte in c e r titu d e , il v o u la it, so u s le p ré te x te d ’u n p a rle m e n ta ire , c o n n a ître la v é rité . D ans to u s les cas co m m e je n ’étais p as à l ’a v a n t-g ard e p o u r p a rle r m a is agir, je signifiai à l ’officier a u tric h ie n q u e j ’allais le faire c o n d u ire p rè s de n o tr e g én é ra l, e n l ’a s s u ra n t q u e, p u is q u ’il devait r e m e ttr e sa m is siv e à l ’E m p e re u r, il n e re v ie n d ra it p a s de si tô t, ce q u i p a ru t le c o n tra rie r b e a u c o u p . En effet, u n b rig a d ie r e t q u a tre h o m m e s l ’e s c o rtè re n t s u r les d e r r iè r e s et, a u s s itô t a p rè s ce p e tit a c c id e n t n o u s c o n tin u â m e s n o tr e m o u v e m e n t. S u r les q u a tre h e u re s a p rè s m idi, n o u s e û m e s u n n o u v e l e n g a g e m e n t avec u n e sc a d ro n de h u s s a rd s h o n g ro is e t u n e c in q u a n ta in e de tira ille u rs du lo u p ; la m ê lée fu t assez vive : u n officier h o n g ro is y fu t tu é p a r u n m a ré c h a l des lo g is d u ré g im e n t, cin q de m e s h o m m e s y f u re n t b le ssé s, a in si q u e m o n ch e v al; n o u s p o u rs u iv îm e s l ’e n n e m i j u s q u ’à u n p e tit h a m e a u à l’e n tré e d u q u e l se tro u v a it m a sq u é u n e sc a d ro n de h u la n s qui n o u s c h a rg e a avec d ’a u ta n t p lu s d ’av a n tag e q u e n o u s étio n s d é s u n is. E n to u ré p a r tro is h u la n s qui c h e rc h a ie n t à m ’e n tra în e r, je m e s e ra is diffi c ile m e n t tiré d ’affaire, sa n s le lie u le n a n t S e h e g lin sk y qui, a rriv a n t v e n tre à te rre avec le re s te de la tro u p e qui était, en ré se rv e , m e s o r tit de la m a u v a ise p o sitio n o ù je m e tro u v a is. L’e n n e m i, c ro y a n t q u ’u n e m a sse de cavalerie a lla it fo n d re s u r lu i, to u rn a b rid e, a b a n d o n n a n t se s tira ille u rs 244 SOUVENIRS MILITAIRES. d u loup q u i se r é fu g iè re n t d an s le s m a iso n s d u h a m e a u o ù n o u s le s ra m a s s â m e s to u s . A c e tte n o u v e lle éch au ffo u ré e j ’e u s d eu x h o m m e s tu é s e t tro is b le s s é s ; q u a tre h u la n s f u re n t p ris e t g riè v e m e n t b le ssé s . N os b iv o u a cs f u r e n t é ta b lis en av a n t d u village o ù n o u s p a s sâ m e s tr a n q u ille m e n t la n u it. Le 30, à p e in e le jo u r c o m m e n ç a it à p a r a îtr e , q u e deu x c o u p s de- c a ra b in e tir é s d e s v e d e tte s n o u s d o n n è r e n t l ’év eil. Un h u s s a rd v in t m ’a n n o n c e r q u e n o u s a llio n s ê tre a tta q u é s p a r u n e c o lo n n e d ’in fa n te rie q u i m a rc h a it su r n o u s . Je fis a u s s itô t m e s d isp o s itio n s n o n s e u le m e n t p o u r lu i fa ire u n e b o n n e ré c e p tio n , m a is p o u r a lle r a u - d e v a n t; d é jà d e u x p e lo to n s de c a v a le rie é ta ie n t p r ê ts à e n tr e r en c h a rg e , lo r s q u ’o n m e p ré v in t q u e c e tte c o lo n n e se c o m p o sa it de 300 A u tric h ie n s d é s e r ta n t avec a rm e s et bag ag es, le s q u e ls n o u s a p p r ir e n t q u e l ’a rc h id u c C h arles se d irig e a it s u r V ien n e avec 40000 h o m m e s, n ’a y a n t la issé p o u r n o u s te n ir tê te q u ’u n c o rp s de S ou 6 000 h o m m e s . Je d irig eai d e su ite ces d é s e r te u r s s u r le d e r r iè r e , en fa isa n t c o n n a ître a u g é n é ra l le s r e n s e ig n e m e n ts qui v e n a ie n t d ’ê tre d o n n é s e t n o u s n o u s re m îm e s en m a rc h e . S u r les m id i, je m e tro u v ai en face de tro is b a ta illo n s h o n g ro is, d eu x e s c a d ro n s d e h u la n s e t d e u x p iè c e s de ca n o n o c c u p a n t u n e b e lle p o s itio n à ch ev al s u r la g ra n d e ro u te , u n m a ra is à d ro ite e t u n b o is ta illis assez é p a is s u r la g a u c h e , p ro b a b le m e n t g a rn i de tr o u p e s ; u n e p la in e assez é te n d u e n o u s s é p a ra it sa n s q u ’il m e v în t à l ’idée de la fra n c h ir, m e tro u v a n t h o rs d ’é ta t d e p o u v o ir a tta q u e r d es fo rc es au ssi s u p é rie u r e s , m e c o n te n ta n t de la is s e r a p e rc e v o ir q u e lq u e s d é ta c h e m e n ts, to u t en n o u s te n a n t s u r la d éfe n siv e, ju s q u ’à ce q u e le g é n é ra l, q u e j ’av ais p ré v e n u , m ’e ù t envoyé des r e n fo rts ou m ’e û t fait co n n a ître se s in te n tio n s . N ous re s tâ m e s a in si en p o sitio n ju s q u ’à six h e u re s d u ENGAGEMENTS DE CAVALERIE. — 1809. 24S so ir sa n s tir e r u n co u p de c a ra b in e ; m a is a lo rs a rriv è re n t, p o u r m e re le v e r, le g é n é ra l P ajo l avec le 7° H u ssa rd s, d e u x b a ta illo n s d u 13e lé g e r e t d e u x p iè c e s de ca m p a g n e. C ette fo rc e se m it a u s s itô t e n d ev o ir d 'a tta q u e r en m e la is s a n t en ré se rv e avec m a tro u p e . U ne h e u re a p rè s , l ’e n n e m i c o m p lè te m e n t re p o u s s é , le g é n é ra l P ajo l m e d o n n a l ’o rd re de m e r e n d r e au q u a rtie r g én é ral de la d iv isio n o ù j ’a rriv a i a v a n t la n u it. Le g é n é ra l M o n tb ru n , a tte n d a n t des r e n s e ig n e m e n ts su r le s m o u v e m e n ts de l ’E m p e re u r, g ard a sa p o sitio n , ta n d is q u e le m a ré c h a l D avout e x é c u ta it u n e m a n œ u v re de flanc s u r n o tr e d ro ite p o u r d é g a g e r la riv e d ro ite d u D anube. Le 2 av ril, le g é n é ra l M o n tb ru n fit u n r a p p o r ta l’E m p e re u r s u r le s m o u v e m e n ts de sa d iv isio n e t ceu x de l ’e n n e m i, l ’in fo rm a n t q u e , p a r les in s tru c tio n s d u m a ré c h a l D avout q u 'il v e n a it de re c e v o ir, il allait m a rc h e r s u r R egen p o u r e n s u ite b a la y e r la riv e d ro ite d u D anube, la is s a n t en o b se rv a tio n u n b a ta illo n du 13e lé g e r avec le 11° C h a sse u rs. Il d e m a n d a it à la s u ite de son ra p p o r t p lu s ie u r s ré c o m p e n s e s e t m e fit v o ir q u ’il m e d é s ig n a it p o u r la cro ix d ’of ficier de la L égion d 'h o n n e u r, m e c h a rg e a n t en o u tre d ’étre le p o r te u r de se s d ép ê ch e s e t de c e lle s q u e je devais d ’a b o rd r e m e ttr e au m a ré c h a l D avout, en p a s sa n t à son q u a rtie r g é n é ra l éta b li à P a ssa w , c e tte m ô m e ville o ù h u it a n s a u p a ra v a n t, n ’a y a n t q u e seize a n s e t p auvre ém ig ré, j ’allais avec l ’A rm ée de C ondé d an s la P o lo g n e, ain si q u ’o n a p u le v o ir d a n s la p r e m iè re p a rtie de cet ou v rag e. C ette d o u b le fav e u r m e d o n n a la co n v ictio n de l ’in té r ê t q u e le g én é ral v o u la it m e p o r te r e t d o n t il ne c e ssa it de m e d o n n e r des p re u v e s d e p u is q u ’il é ta it à n o tre tê te. V oici la co pie te x tu e lle de m a m issio n , pièce jo in te â m e s b rev e ts, 246 SOUVENIRS ÉTAT-MAJOR GÉNÉRAL Armée d’Allem agne. MILITAIRES. Division de cavalerie légère. 3“ coars Il e st ordonn é à M. d’E sp in clial, c a p ita in e au 5 e H ussards, de p artir su r -le -c h a m p pou r se ren d re au gran d q u artier gén éral im p é ria l p o rteu r de d é p êch es très pressées pou r S. M. l ’E m p e reu r e t R oy. Les a u to r ités c iv ile s e t m ilita ir e s son t .in v itées à lui faire d on n er des ch e v a u x n é c e s sa ir e s e t à le p ro tég er de m a n iè re à ce q u ’il n ’éprouve au cu n retard dan s la m issio n d on t il e st chargé. — Le p r é se n t ordre lu i servira pou r aller et son retou r. A u q uartier général à Chacub, 3 m a i 1809. L o g é n é r a l d e d iv isio n , S ig n é : L. Cle M ontbrun. Je r e m is a u m a ré c h a l D avout le s d ép ê ch e s q u i le c o n c e rn a ie n t. Il m e fit le m e ille u r a c c u e il, me p ro m it d ’a p p u y e r la d e m a n d e d u g é n é ra l, m ’e n g a g ea à d é je u n e r e t, a u s s itô t a p rè s, m e d o n n a p o u r co m p a g n o n de voyage le ca p ita in e M iero slaw sk i, u n de se s a id e s de c a m p , p o r te u r a u s si d e d ép ê ch e s p o u r Sa M ajesté Im p é ria le . N ous tra v e rs â m e s la v ille de S c h a rd in g e n tiè re m e n t con su m é e e t fu m a n te e n c o re , à la s u ite d ’u n c o m b a t s a n g la n t d an s le q u e l les A u tric h ie n s a v a ie n t fait la p lu s v ig o u re u se r é s is ta n c e , en se d é fe n d a n t p lu s ie u rs h e u re s d a n s le s ru e s. N ous re n c o n trâ m e s a u s s i d a n s la jo u r n é e les d iv isio n s d ’in fa n te rie P ria n t e t M orand se d irig e a n t s u r Lintz. — E n tre m in u it e tu n e h e u re d u m a tin , il n o u s a rriv a u n e a le rte assez vive d o n t n o u s m a n q u â m e s d ’ê tre v ic tim e s : n o u s c h e m in io n s tra n q u ille m e n t s u r u n e c h a u ssé e su p e rb e , r e s s e rr é e e n tre le D anube et u n e m o n la g n e , e t n o u s n ’étio n s p lu s q u ’à u n e d e m i-lie u e de L intz, lo rs q u e , to u t à co u p , au to u r n a n t de la ro u te , n o u s fû m es tir é s d ’u n e esp èce d ’as s o u p is s e m e n t d a n s leq u el n o u s é tio n s p lo n g é s p a r u n e s e n MISSION PRES D E L ’E M P E R E U R . - 18 0 9. 247 tin e lle q u i c ria : « W e r d a? » (q u i vive?). S on c o s tu m e , sa la n g u e e t l ’in tro d u c tio n de sa c a ra b in e d a n s n o tre calèch e n e n o u s la is s è re n t a u c u n d o u te q u ’u n p e tit p o ste ty ro lie n e û t p a s sé le fleuve d an s u n e b a rq u e . M on c a m a ra d e , fo rt, v ig o u re u x e t do u é d ’u n ad m irab le sa n g -fro id , s a is it l ’a rm e p a r le c a n o n p o u r la d é to u rn e r, ta n d is q u e , sa u ta n t à b a s de la v o itu re p a r 1a, p o rtiè re o p p o sé e , je p ris l ’h o m m e à la g orge en le m e n a ç a n t de lu i p a s s e r m o n sa b re a u tra v e rs d u c o rp s s ’il p ro n o n ç a it u n m o t; to u t ce la fu t ex é cu té au ssi ra p id e m e n t q u e la p e n s é e , m a is n o tr e p o s tillo n , saisi de fra y e u r, fo u e tta se s ch ev au x n o u s la is s a n t s u r la g ra n d ’ro u te av e c la ca ra b in e q u e le so ld a t av a it ab a n d o n n é e e n n o u s éc h ap p a n t, n ’a y a n t d ’a u tre re s s o u rc e , p o u r é v ite r le s o rt q u i n o u s a tte n d a it, q u e de g ra v ir la m o n ta g n e b o rd a n t la ro u te e t de n o u s b lo ttir d an s u n tr o u p o u r a tte n d re le jo u r . Ce p e tit p o ste , q u i effectivem e n ta v a it tra v e rs é le fle u v e , se c o m p o sa it de s ix h o m m e s : il p assa a u -d e sso u s de n o u s , c h e rc h a n t à n o u s d éc o u v rir, m a is , d a n s la c ra in te d ’ê tre s u r p ris lu i-m ê m e p a r l’éveil q u e p o u v a it a v o ir d o n n é n o tre p o stillo n en a p p ro c h a n t de la v ille, il n e ta rd a p o in t à s ’e m b a rq u e r, ce q u e n o u s re c o n n û m e s p a r le b r u it d e s r a m e s ; a lo rs, m o n c o m p ag n o n de voy ag e fa isa n t feu de la c a rab in e q u ’il te n a it, n o u s sa u tâ m e s s u r la ro u te où, p eu d ’in s ta n ts a p rè s, n o u s fû m es r e jo in ts p a r u n p o ste fra n ça is a ttiré p a r le b r u it de l ’ex p lo sio n , fo rt sa tisfa its d ’en av o ir été q u itte s p o u r la p e u r. N ous tro u v â m e s n o tr e v o itu re a rrê té e au x p o rte s de la ville sa n s q u e le c o n d u c te u r e û t re n d u c o m p te de l ’év é n e m e n t, ce q u i lu i v a lu t u n e b o n n e volée de co u p s de b â to n p o u r p rix de sa fu ite e t de so n s ile n c e ; p u is, n o u s fû m es à la p o ste c h a n g e r d ’éq u ip ag e e t re p a rtîm e s a u s sitô t p o u r co n tin u e r n o tre r o u te . E n tr a v e rs a n t la ville d ’E b e rsb c rg , n o u s e û m e s u n h o rrib le sp e cta cle , p lu s de 2 000 ca d a v re s g isa ie n t 248 SOUVENIRS MILITAIRES. d a n s le s ru e s , p r e s q u e to u s b r û lé s e t rô tis p a r le feu, u n c o m b a t sa n g la n t e t te rr ib le a y a n t été liv ré l ’av an t-v eille p a r le g é n é ra l C laparède au p a ssa g e de la T ra u n , à la su ite d u q u e l s ’é ta it jo in t u n affreux in c e n d ie . N ous n o u s em p re s s â m e s de q u itte r c e t h o rrib le th é â tr e de c a rn a g e p o u r a r r iv e r au q u a r tie r im p é ria l o ù je r e m is a u s s itô t m e s d é p ê c h e s au p rin c e de N eu c h âte l. P e u de m in u te s a p rè s, il m e fit e n tre r d an s u n e c h a m b re o ù se tr o u v a it l ’E m p e re u r a s sis à cô té d ’u n e ta b le s u r laq u elle se tro u v a it u n e g ra n d e c a rte d é p lo y é e . « Eh b ie n ! m e d it-il, le g é n é ra l M o n tb ru n p ré te n d q u e l ’a rc h id u c m a rc h e en p e rs o n n e s u r la B ohèm e e t le p a rle m e n ta ire q u ’il v ie n t de m ’en v o y e r a s s u re q u ’il e s t à V ie n n e ; q u e d o is-je c r o i r e ? — J ’a u ra i l ’h o n n e u r d ’affirm er à V o tre M ajesté, ré p o n d is -je , q u e l ’a s se rtio n d u g é n é ra l e s t de la p lu s p a rfa ite e x a c titu d e , c a r je l ’ai re m placé d an s so n lit au c h â te a u de K irn, et q u e, ch a rg é de su iv re so n a rriè re -g a rd e , le s p r is o n n ie rs d isa ie n t to u s q u ’il é ta it to u jo u rs à la tê te de l ’a rm é e ; ‘— A lo rs, il v e u t jo u e r au fin, d it l’E m p e re u r, en re g a rd a n t le p rin c e de N eu c h âte l, m a is je n e s e ra i p o in t sa d u p e. C’est b ien , v o u s a tte n d rez m e s d ép ê ch e s », e t il m e fit u n sig n e de tê te m ’in d i q u a n t q u e j ’e u s s e à m e r e tire r. Le p rin c e , s o rta n t avec m o i, m e d it d ’a lle r m a n g e r av e c se s a id e s de c a m p ; p a rm i eu x , je tro u v a i E d m o n d de P é rig o rd q u i, en bon p a re n t, m ’o ffrit de p a r ta g e r so n g îte ; il m ’a p p rit q u e m o n f r è r e a v a it é té b le ssé de p lu s ie u rs c o u p s de sa b re n o n d an g e reu x e t q u e , tr a n s p o rté à A u g sb o u rg p o u r y ê tre so i g n é, le ro i d e B avière, q u i s ’y tro u v a it, l ’av ait ac cu e illi avec to u te s s o rte s de b o n té s. A la ta b le de la m a iso n d u p rin c e , se tro u v a it l’aide de c am p de l’a rc h id u c C h arles d o n t av ait p a rlé l ’E m p e re u r; se s m a n iè re s fra n c h e s, so n to n p a rfa it e t se s e x p re ssio n s re m p lie s de c o rd ia lité n o u s m ir e n t b ie n tô t e n ra p p o rt. S u r LE GÉNÉRAL MONTBRUN. — 18 09 . 249 m a d e m a n d e s ’il c o n n a issa it un je u n e officier d es ch e v au lé g ers de B lénau du n o m de W ra tiz la w : « H élas! m e ré p o n d it-il, c ’é ta it m o n frè re q u e j ’ai e u le m a lh e u r de p e rd re à R a tisb o n n e .-— R a ssu re z -v o u s, lu i ré p o n d is -je , il n ’e s t q u e b le ssé e t e n voie de g u é r is o n ; a y a n t été assez h e u re u x p o u r lu i ê tre u tile , je l ’ai re c o m m a n d é au x so in s p a rtic u lie rs de l ’a d m in is tra tio n de l’a m b u la n c e étab lie d an s u n c o u v e n t p rè s de R atisb o n n e '; si v o u s d ésire z lu i é c rire , je m ’engage à lu i faire p a rv e n ir v o tre le ttre . » Il e st facile de co n c ev o ir le b o n h e u r é p ro u v é p a r le co m te q u i c ro y a it so n frè re p e rd u . Sa re c o n n a iss a n c e é ta it au ssi ex p re ssiv e q u e b ie n se n tie , e t n o u s n o u s sé p a râ m e s le so ir, p é n é tr é s l’u n p o u r l ’a u tre d ’u n e e s tim e ré c ip ro q u e . S u r le s dix h e u r e s , je re ç u s le s d é p ê c h e s d u p rin c e de N eu c h âte l, p a rm i le sq u e lle s se tro u v a it u n e le ttr e de l ’E m p e r e u r p o u r le m a ré c h a l D avout q u i m ’a p p rit, lo rs q u e je la lu i re m is , q u e je tro u v e ra is la division de cavalerie lé g è re au biv o u ac p rè s de l ’a b b a y e de S ain R F lo réan . E n effet, je re jo ig n is le g é n é ra l M on tb ru n d an s ce m a g n i fique m o n a stè re , o ù il m ’o rd o n n a de r e s te r p rè s de lu i, p ré te n d a n t avec sa b o n té h a b itu e lle q u e m a p ré se n c e lu i é ta it n éc essaire. Il e s t v rai de d ire q u e se s d eu x a id e s de cam p n e p o u v a ie n t g u è re lu i ê tre u tile s so u s b e a u c o u p de r a p p o rts (e t q u ’à c e tte ép o q u e il n ’y av a it pas d ’éco le d ’éta t-m a jo r). L ’u n é ta it fils d ’u n e b o n n e fe rm iè re q u i av ait été la n o u rric e d u général;; fra p p é p a r la c o n s c rip tio n , il dev ait so n a v a n c e m e n t à la p ro te c tio n de so n frè re de lait qui lu i p o rta it u n v é rita b le a tta c h e m e n t, m a lg ré que so n éd u c a tio n la is s â t b e a u c o u p à d é s ire r, m a is il la re m p la ça it p a r un d é v o u e m e n t sa n s b o rn e . Le seco n d , m a ré c h a l des logis de c h a s s e u rs , avait sauvé la vie de so n co lo n el a u p rix de p lu s ie u rs b le s s u re s d o n t il av a it failli m o u rir, et, en ' re c o n n a issa n c e , le g én é ral 250 SOUVENIRS MILITAIRES. l ’av ait a s s u ré q u ’il n e se s é p a re ra it ja m a is de lu i ; c’é ta it la lo y a u té p e rso n n ifié e , la b ra v o u re in c a rn é e ; so n sa b re l ’a v a it a u s s i b ien p ro té g é q u e la re c o n n a iss a n c e de so n ch ef, m a is il é ta it p e u p ro p re à re m p lir c e rta in e s fo n ctio n s d ’aide de cam p , h o rm is ce lles d u ch a m p de b a ta ille o ù son in tré p id ité é ta it a u -d e s s u s de to u t éloge. Le g é n é ra l p a s sa la jo u r n é e d u 8 d a n s c e tte m ag n ifiq u e a b b a y e, o ù , m a lg ré la q u a n tité de tro u p e s q u i y av aien t p assé e t les c o n trib u tio n s u n p eu fo rc é e s q u ’on en avait re tiré e s , n o u s fû m e s tr a ité s de la m a n iè re la p lu s sp le n d id e . N ous v isitâ m e s cé ric h e c o u v e n t re n fe rm a n t u n e ég lise de la p lu s g ra n d e b e a u té , u n e b ib lio th è q u e s u p e rb e d an s la q u e lle se tro u v a ie n t de p ré c ie u x m a n u s c rits ; u n e g a le rie de ta b le a u x fo rt e s tim é s e t u n e p h a rm a c ie re m a rq u a b le . Ces b o n s m o in e s, en c o re to u t é m u s de ce q u ’ils v o y aien t e t a v a ie n t ép ro u v é , n o u s d ir e n t q u e le jo u r d u c o m b a t d ’E b e rsb e rg , q u in z e c h a s s e u rs a v a ie n t e m p o rté p lu s de 100000 é c u s en o r o u en p ie rre rie s . A six h e u re s d u so ir, la d iv isio n r e ç u t l ’o rd re de se p o r te r s u r M ôlk p o u r y p r e n d r e p o s itio n ; il n o u s fallu t m a rc h e r to u te la n u it au m ilieu de l ’in la n te rie se d irig e a n t s u r S a in t-P o lte n , où le s A u tric h ie n s, d isa it-o n , v o u la ie n t liv re r b a ta ille afin de d o n n e r le te m p s à l ’a rc h id u é de v e n ir d é fe n d re V ien n e . Mais l ’ac tiv ité de N apoléon e t l ’a r d e u r de n o s tr o u p e s d é jo u è re n t ce p r o je t, e t, lo rsq u e le p rin c e se p r é s e n ta , la ca p ita le é ta it au p o u v o ir d es F ra n ç a is. Le 9, le g é n é ra l M ontbrun, en v e rtu d es in s tru c tio n s p a r tic u liè re s de l ’E m p e re u r a p p re n a n t la r e tr a ite p ré c ip ité des A u tric h ie n s, m e fit p a r tir avec 25 h u s s a rd s p o u r d isp o s e r le s b iv o u a cs de sa d iv isio n d a n s la p o sitio n qui lui é ta it a ssig n é e e t é ta b lir so n q u a r tie r g é n é ra l d a n s l’ab b ay e de Molk. J e tro u v a i c e t e n d ro it e n c o m b ré p a r les éq u ip a g e s de L’A B B A Y E DE MOLT. - 1 809. 251 p lu s ie u rs g é n é ra u x , q u a n tité d ’e m p lo y é s et de n o m b re u x p a ra s ite s su iv a n t l ’a rm é e ; je fis to u t év a c u e r e n v e r tu de l ’o rd re d o n t j ’é ta is p o r te u r e t, la is s a n t 20 h u s s a rd s avec u n lie u te n a n t en g a rd e de c e tte p o s itio n , j e v in s tro u v e r le g é n é ra l au c h â te a u de S ch w a lb o u rg o ù il d e v a it p a s s e r la jo u r n é e . Ce b e a u m a n o ir, a p p a r te n a n t au co m te T intiz, offrait u n sp e c ta c le de d é v a sta tio n é p o u v a n ta b le ; p lu s de 500 fa n ta ssin s de la div isio n M olitor s ’y é ta ie n t é tab lis, p illa n t, b o u le v e rs a n t to u t, b r is a n t e t e n fo n ç a n t p o rte s e t fe n ê tre s , en fin, sa c c a g e a n t de la m a n iè re la p lu s affreuse c e t e n d ro it n a g u è re si b e a u , s ir ic h e et si g racieu x . Ce f u t avec to u te s les p e in e s im a g in a b le s q u e le g én é ral p u t p a rv e n ir à c h a sse r ces m is é ra b le s , in d ig n e s d u n o m de F ra n ç a is. Son aide de c a m p , le c a p ita in e G u in ard , é p ro u v a n t u n e r é s is ta n c e offensive de la p a r t d ’u n g ro u p e d e ces m a lh e u re u x , en tu a u n d ’u n co u p de s a b re , e n b le s s a d eu x e t p ré c ip ita le q u a triè m e d ’u n b a lc o n à la h a u te u r de tre n te p ie d s ; ta n d is q u e, d a n s ce m ê m e m o m e n t, le g én é ral P ajo l, s u r p re n a n t u n so ld a t q u i v e n a it de v o le r u n crucifix d ’a rg e n t d a n s la c h a p e lle d u c h â te a u , le fa isa it fu siller, ce q u i d é te rm in a su r-le -c h a m p la r e tr a ite d es a u tre s . P e n d a n t la n u it, u n officier d ’o rd o n n a n c e de l ’E m p e re u r v in t c h a n g e r les p r e m iè r e s d isp o s itio n s du g é n é ra l en lui p re s c riv a n t de se p o r te r s u r M autern, rive d ro ite d u D an u b e, afin de co u v rir la g a u c h e de l'a rm é e p e n d a n t le m o u v e m e n t d u c e n tre q u i m a rc h a it s u r V ien n e. Le 10, à h u it h e u re s du m a tin , n o u s o c c u p io n s ce p o ste im p o r ta n t d ’où le d u c de Rovigo v e n a it de c h a sse r l ’e n n e m i en le c o n tra ig n a n t à p a s s e r s u r la rive g au ch o du fleuve. Le 5° H u ssa rd s fu t placé au b iv o u a c p rè s e t en av an t de la p e tite ville de F u r th ; le 7e H u ssa rd s à Ballol, le 13° lé g er à M au tern av ec l ’a r tille r ie , e t le q u a rtie r g é n é ra l d a n s la 252 SOUVENIRS MILITAIRES. m a g n ifiq u e a b b a y e de G ottveig d o m in a n t le D an u b e, d o n t elle e s t sé p a ré e p a r u n e p la in e d ’u n e lie u e de la rg e u r. L a p o s itio n de la d iv isio p a v a it le d o u b le av a n ta g e, n o n s e u le m e n t d e p ro té g e r les m o u v e m e n ts de l ’a rm é e , m a is en c o re d e m a in te n ir en face de n o u s des fo rc e s c o n s id é ra b le s d a n s la c ra in te q u e n o u s ne f ra n c h is s io n s le D anube. Ce m ê m e jo u r a rriv a de F ra n c e u n c h e f d ’e s c a d ro n avec 85 h u s s a rd s e t n o u s e û m e s a u s si des n o u v e lle s de n o tr e b ra v e co lo n el, d o n n a n t l ’e s p o ir de n o u s re jo in d re b ie n tô t av ec tro is officiers, se s c o m p ag n o n s d ’in fo rtu n e , les deux a u tre s a y a n t su c c o m b é à le u rs b le s s u re s . Le c o u v e n t de G ottveig n ’a y a n t p as été v isité p a r n o s tro u p e s , n o u s y tro u v â m e s d’a b o n d a n te s re s s o u rc e s , s u r to u t e n vin et en fo u rra g e , a m a ssé e s p o u r a p p ro v is io n n e r l ’a rm é e a u tric h ie n n e e t q u e l ’a tta q u e vive d u d u c de Rovigo av a it e m p ê c h é de faire é v a c u e r de l’a u tre côté d u fleuve. D ans la m a tin é e du 12, le g é n é ra l fit d es d é m o n s tra tio n s d ’a tta q u e p o u r p a s se r le D an u b e : p lu s ie u r s p iè c e s de ca n o n p la c é e s en face de S tein e t K re m s s u r la rive g a u c h e fire n t q u e lq u e s d é c h a rg e s su iv ie s de la s o m m a tio n de n o u s en v o y e r to u te s les b a rq u e s q u i é ta ie n t s u r c e tte riv e ; m a is, p o u r ré p o n s e , elles fu re n t en p a rtie in c en d ié es p a r le s h a b ita n ts , b u t q u e v o u la it a tte in d re le g é n é ra l, qui a p p r it d an s la so irée q u ’u n sim p le c o rp s d ’o b se rv a tio n v e n a it d ’ê tre la issé en face de n o u s, le s A u tric h ie n s co n c e n tr a n t to u te s le u rs fo rc es v is-à-v is de V ienne. Le 13, n o tre in fa n te rie lé g è re fu t rele v ée p a r la b rig ad e L eclerc q u i tira illa to u te la n u it avec l ’e n n e m i, s u r u n e a le rte q u e p ro d u is ir e n t u n e g ran d e q u a n tité de p o u tr e s et de m a d rie rs d é ta c h é s d ’u n p o n t en c o n s tru c tio n , et tro is g ra n d s b a te a u x v o g u an t s e u ls ; n o u s p a rv în m e s à e n sa isir d eu x , et l'e n n e m i s ’e m p a ra du tro isiè m e . Le 14, le g é n é ra l M o n tb ru n re ç u t l ’o rd re de se re n d re EN PARLEMENTAIRE. — 1809. 253 de sa p e rso n n e p rè s de l ’E m p e re u r, la issa n t le c o m m a n d e m e n t de sa d iv isio n au g én é ral P ajol. Le 16, le m a ré c h a l D avout v in t v isite r n o tre p o sitio n q u ’il re n fo rç a d u 15° d ’in fa n te rie e t de six p iè c e s de ca n o n , s u r l ’avis q u ’u n c o rp s de 7 à 8 000 h o m m e s v e n a it de s ’é ta b lir en face de n o u s. P e n d a n t c e tte m ê m e n u it, l ’e n n e m i fit u n d é b a rq u e m e n t v is-à-v is le s p o ste s d u 7° H u ssa rd s, au x villag es de Z w ente r d o r lî e t P isch asto ff. Le ca p ita in e B ro, q u i c o m m a n d a it c e tte ligne, re p o u s s a v iv e m e n t ce tte a tta q u e , tu a p lu sie u rs h o m m e s e t fit u n e q u in z ain e de p ris o n n ie rs . D ans ce m ê m e in s ta n t, 300 A u tric h ie n s d é b a rq u a ie n t à g au c h e, au v illag e de A rnsdorff. Un c h e f de b a ta illo n e t u n ca p ita in e d u 7° d e lig n e , o cc u p és à fra p p e r u n e ré q u is itio n de pain chez le b o u rg m e s tre , f u re n t en lev és, ain si q u ’u n aide de ca m p d u g é n é ra l L eclerc e t u n e d o u za in e d ’h o m m e s q u i le s a c c o m p a g n a ie n t. Ce m êm e jo u r n o u s a p p rîm e s q u e le g é n é ra l M o n tb ru n p r e n a it m o m e n ta n é m e n t le c o m m a n d e m e n t d ’u n e d iv isio n q u i é ta it à B ru g avec la m is sio n d ’o p é re r In jo n c tio n de l ’A rm ée d ’Italie qui é tait en m a rc h e. Le le n d e m a in , envoyé en p a rle m e n ta ire à S tc in , de l’a u tre côté du D an u b e, les o fficiers a u tric h ie n s m e r e ç u re n t avec to u te s so rte d ’é g a rd s et d ’h o n n ê te té s ; je re m is a u c o m m a n d a n t d es tro u p e s , le co m te de S alen s, u n e so m m e de 1 200 fra n cs p o u r les officiers p ris d a n s la n u it du 17. V a in e m e n t je tâ ch a i de p é n é tre r d a n s la p o sitio n des A u tric h ie n s p o u r c o n n a ître a p p ro x im a tiv e m e n t le u rs fo rc es ; ils p a ra is s a ie n t tro p b ie n s u r le u rs g ard e s, e t je d u s m e r e tire r, m a m is sio n rem p lie. D ans la so iré e , le g é n é ra l P a jo l re ç u t l ’o rd re de se d iri g e r [le le n d e m a in s u r V ien n e, avec le 11° C h a sse u rs, le 7° H u ssa rd s, d eu x e s c a d ro n s d u 3°, e t le 7" d ’in fa n te rie lé g è re , la issa n t le re ste d es tro u p e s en o b se rv a tio n s u r le 254 SOUVENIRS MILITAIRES. p o in t q u e n o u s a b a n d o n n io n s. Le 21, n o u s a rriv â m e s s u r les m id i à T u lb in g , a y a n t fait h u it lie u es. Au m o m e n t de n o tre e n tré e d an s c e t e n d ro it p e u éloigné d u D an u b e, n o u s n o u s tro u v â m e s, p a r u n e co ïn cid e n ce e x tra o rd in a ire , en face d ’u n c o r p s a u tric h ie n de 300 h o m m e s q u i, ig n o ra n t n o tre m a rc h e , v e n a it de faire u n d é b a rq u e m e n t. E n m o in s de dix m in u te s , ils f u re n t to u s en lev é s san s q u ’u n se u l p û t p a s s e r s u r l ’a u tre rive p o u r a n n o n c e r cette n o u v e lle . N ous re ç û m e s ce m ô m e jo u r des n o u v elles d ’u n e s c a d ro n d u ré g im e n t c o m m a n d é p a r le c a p ita in e M exm c r d é ta c h é , avec d ’a u tre s tro u p e s , so u s le s o rd re s du m a jo r À m eil, p o u r o p é re r en p a rtis a n s u r la rive g au c h e d u D anube. Ce c o rp s a v a it e u p lu s ie u rs affaires assez c h a u d e s , d ans l ’u n e d e s q u e lle s u n de m e s a m is p a rtic u lie rs , le lie u te n a n t L a b o rd e rie , av ait été fa it p r is o n n ie r e t g riè v e m e n t b le ssé. Le 22. — B ataille d ’E ssling. — Le I e lé g e r, d o n t la m a rc h e n e p o u v ait ê tre a u ssi ra p id e q u e la n ô tre , q u itta T u lb in g à la p e tite p o in te d u jo u r , se d irig e a n t s u r l ’ile de L obau afin de p a rtic ip e r, a in si q u e n o u s , a u c o m b a t qui d ev a it avoir lieu . Ce m o u v e m e n t que n o u s d e v io n s su iv re q u e lq u e s h e u re s a p rè s, devait n o u s c o n d u ire au village de N eusdorff s u r le D an u b e, où de n o u v ea u x o rd re s d e v a ie n t n o u s ê tre d o n n é s p o u r p a s s e r le lleuve e t e n tr e r en ligne. A rrivés à la h a u te u r de K lo sle rn e u b o u rg , o b lig és de c h a n g e r do d ire c tio n p o u r é v ite r le feu de l'a rtille rie e n n e m ie q u i fo u d ro y a it la ro u te q u e n o u s su iv io n s, n o u s g rav îm es u n e m o n ta g n e au s o m m e t de la q u e lle n o u s e û m e s le m a g n ifiq u e c o u p d ’œ il d es d eu x a rm é e s en pré^ se n ce , c o m b a tta n t avec u n a c h a rn e m e n t re m a rq u a b le . N ous su iv io n s avec an x iété les m a rc h e s e t c o n tre m a rc h e s des tro u p e s ’, le d é v e lo p p e m e n t des m a sse s d ’in fa n te rie , les BATAILLE D’E S S L I N G . — 1 809. 239 p o sitio n s p ris e s e t re p ris e s , le s c h a rg e s de ca v alerie, le s effro y ab les d é to n a tio n s de l ’a r tille r ie . E nfin, to u s le s d étails d e c e t h o rrib le d ra m e de sa n g e t de c a rn ag e o ffriren t à n o s re g a rd s , p e n d a n t les d e u x h e u re s de re p o s q u e n o u s p rîm e s, l ’a sp e c t viv an t de ce p a n o ra m a é p o u v an tab le . L ’a rm é e a u tric h ie n n e , so u s les o rd re s de l ’a rc h id u c C h arles, av ait u n total de 90000 h o m m e s avec 228 pièces de ca n o n . N apoléon n ’avait que 35000 c o m b a tta n ts en lig n e , ta n d is que le r e s te de se s tro u p e s défilait avec le n te u r et q u e la p lu s g ra n d e p a rtie de so n a rtille rie é ta it e n c o re d a n s l ’ile de L obau. Les c o lo n n e s e n n e m ie s d é b o u c h è re n t d a n s la p la in e v e rs q u a tre h e u re s d u so ir e t l ’a c tio n c o m m e n ç a p a r u n e a tta q u e v ig o u re u s e s u r la g au c h e, afin de c o u p e r les c o m m u n ic a tio n s e t in te r c e p te r le p assa g e du D anube. T ro is fois le s A u tric h ie n s e s s a y è re n t d ’e m p o rte r le vil lage d ’A sp ern e t tro is fois ils f u re n t re p o u ssé s. On se b a tta it avec a c h a rn e m e n t d a n s le s r u e s , d a n s les m a iso n s, d a n s le s g ra n g e s ; n o u s eû m e s u n ré g im e n t de cavalerie e n tiè re m e n t d é tru it. Il e s t difficile de p o u v o ir d é p e in d re u n sp e c ta c le au ssi m a je s tu e u s e m e n t affreux, d o n t les effets n o u s é ta ie n t pré s e n ts co m m e si n o u s e u s s io n s a ssisté à u n e r e p r é s e n ta tion de F ra n c o n i. N ous r e s tâ m e s ain si j u s q u ’à la n u it to m b a n te ; n o u s re d e sc e n d îm e s a lo rs la m o n ta g n e o ù force n o u s fu t de re p r e n d r e la ro u te s u r le s b o rd s du D anube. N ous fû m e s a u s s itô t sa lu és p a r p lu s ie u rs b o u le ts ; u n h u s s a rd , tr o is p a s e n a r r iè r e d u g é n é rn l, e u t le b ra s e m p o rté ; tro is c h e v a u x fu re n t tu é s ; le m a lh e u re u x p a y sa n se rv a n t de g u id e co u p é en d e u x ; to u t c e la p e n d a n t le s q u e lq u e s in s ta n ts q u e n o u s re s tâ m e s ex p o sés au x co u p s de l ’e n n e m i sa n s p o u v o ir rip o ste r. SOUVENIR S MILITAIRES. 236 E n a rriv a n t a u village de N eu sd o rff situ é to u t à fait s u r le b o rd d u fleuve, n o u s re ç û m e s d e u x d é c h a rg e s de m itra ille q u i tu è re n t c in q h o m m e s e t p lu s ie u rs ch ev au x , au n o m b re d e s q u e ls c e lu i d u g é n é ra l qui, de sa p e rso n n e , n ’e u t au c u n m al. C ette p o sitio n , in te n a b le p o u r la cavalerie, fut o cc u p ée p a r u n b a ta illo n d u 25e de lig n e q u i se ré fu g ia d a n s les m a iso n s, ta n d is qu e la c a v a le rie é ta b lis s a it se s b iv o u a cs en av a n t d u v illag e de K retzlin g , a tte n d a n t à to u t in s ta n t l ’o rd re de p a s s e r s u r la riv e g a u c h e p o u r y p re n d re sa p a r t d u co m b at. Le 23, en v o y é p a r le g é n é ra l P ajol, d ès la p o in te du jo u r , p o u r c o n n a ître le s d isp o s itio n s re la tiv e s à la d iv isio n , ce n e fu t q u ’avec la p lu s g ra n d e d ifficulté q u e je p a rv in s d a n s l ’île de L obau, a u p rè s d u m a ré c h a l D avout, d o n t l’in fa n te rie a tte n d a it le s ré p a ra tio n s d e s p o n ts p o u r p a s s e r le fleuve e t e n tr e r en lig n e . Il m ’o rd o n n a de d ire a u g én é ral de su iv re so n m o u v e m e n t et q u ’a u s s itô t le passag e effec tu é , la c a v alerie e û t à se p o r te r r a p id e m e n t s u r l'a gau ch e de l ’e n n e m i afin d ’in q u ié te r se s m o u v e m e n ts. Mais u n e fo rce m a je u re d ev a it m e ttre o b sta c le à. se s d isp o s i tio n s . P e n d a n t la n u it du 22 au 23, la div isio n S a in t-Ilila ire d u c o rp s O u d in o t, u n e p a rtie de la V ieille G arde, la seco n d e b rig a d e d es c u ira s s ie rs N an so u ly , d e u x b rig a d e s de cava le rie lé g è re , le tra in d ’a rtille rie é ta ie n t e n tré s en lig n e , ce q u i p o rta it l ’a rm é e à 48 000 c o m b a tta n ts. Dès la p o in te d u jo u r , le p rin c e C harles av ait fait ses d is p o s itio n s p o u r re n o u v e le r l ’a tta q u e de la v eille e t l ’enga g e m e n t c o m m e n ç a a u s sitô t. G ro ss-A sp e rn fu t p ris et re p ris q u a tre fois, e t E sslin g h u it, p a r le s F u s ilie rs de la G arde e t le s T ira ille u rs so u s le s o rd re s d es g é n é ra u x M outon et C urial. L’in tré p id e L an n e s, à la tè te d e tro is d iv isio n s, p e rç a le c e n tre d e l ’e n n e m i. La v ic to ire p a ra is s a it a s su ré e à BATAILLE D’E S S L I N G . 257 — 1809. 48000 h o m m e s c o n tre 90000, lo rs q u e l ’E m p e re u r a p p rit q u e le s p o n ts je té s s u r le D an u b e é ta ie n t e m p o rté s p a r des b a te a u x c h a rg é s de p ie rr e s e t la n c é s des lie s d u fleuve a u d e s su s d e L obau. D ès ce m o m e n t, l ’E m p e re u r se v o it p riv é de se s re s so u rc e s : 40000 h o m m e s, les p iè c e s d ’a rtille rie e t les m u n itio n s q u i a lla ie n t le s r e n fo rc e r s o n t a r rê té s , e t il re s te exposé à to u te la fu rie d ’u n e n n e m i q u i, v o y an t la r e tr a ite co u p é e, re c o m m e n c e le c o m b a t avec a c h a rn e m e n t. M ais l ’E m p e re u r, san s m o n tr e r la m o in d re a lté ra tio n , im p a ssib le e t avec u n ca lm e a d m ira b le , p la cé s u r u n e p e tite élév atio n d ’où il o b s e rv a it to u t avec son co u p d ’œ il d ’aigle, fait r e p lie r le m a ré ch a l L an n e s (q u i d a n s ce m o m e n t a les d eu x ja m b e s e m p o rté e s p a r le r ic o c h e t d ’u n b o u let), r é u n it to u te s ses m a sse s e t les m a in tie n t to u te la jo u r n é e d an s se s p o sitio n s, j u s q u ’à n e u f h e u re s d u s o ir q u e c e ssa c e tte lu tte sa n g la n te . Les A u tric h ie n s b iv o u a q u è re n t où ils se tro u v a ie n t, a y a n t tiré , de le u r p ro p re aveu, 40000 c o u p s de can o n . L es d eu x a rm é e s v e n a ie n t d ’ép ro u v e r d es p e rte s à p e u p rè s égales, 15 à 20 000 h o m m e s av a ie n t é té tu é s ou b le ssé s de p a r t et d ’a u tre . P a rm i les b le ssé s e n n e m is se tro u v a ie n t 4 fe ld -m a ré c h a u x , 8 g é n é ra u x , 663 o fficiers, 1 500 p r is o n n ie rs et 4 d rap e au x . N ous e û m e s à re g r e tte r 16 g é n é ra u x p a rm i le sq u e ls o n c i t a i t : d ’E spagne, S a in t-H ila ire tu é s ; L ag ran g e , P iré , b le s s é s ; u n n o m b re c o n s id é ra b le d ’offi c ie rs , p arm i le sq u e ls se tro u v a it u n de m e s a m is p a rtic u lie rs , a n c ie n officier d e s G en d a rm es d ’o rd o n n a n c e , d ’Alb u q u e rq u e , aide de cam p d u m a ré c h a l L an n e s, q u i e u t la tê te e m p o rté e p a r u n b o u le t. T o u te s les tr o u p e s q u i a tte n d a ie n t s u r le s b o rd s du fleuve l’in s ta n t de le p a s se r, f u re n t e n v o y é es, s u r les d e r riè re s , d a n s les en v iro n s de V ienne, e t n o tr e d iv isio n g ard a 17 258 SOUVENIRS MILITAIRES. sa p o sitio n . D ès l ’in s ta n t q u e le s officiers d u g én ie v ire n t les d é s a s tre s o cc a sio n n é s p a r les b a te a u x c h a rg é s de p ie rre s , ils s ’é ta ie n t o c c u p é s de le s ré p a re r, ta n d is q u e l’a rm é e c o n tin u a it à se b a ttre . Le so ir e t p e n d a n t to u te la n u it, on p a r v in t à faire é v a c u e r d ’a b o rd le s b le ssé s au n o m b re de 12000; l ’a rm é e e x é c u ta e n s u ite so n m o u v e m e n t ré tro g ra d e , e t le p assag e d u p o n t se fit avec u n o rd re a d m ira b le en p ré s e n c e de l’E m p e re u r, sa n s q u e l ’e n n e m i o sâ t y a p p o rte r le m o in d re o b sta cle. Le 24, à 4 h e u r e s d u m a tin , to u te s les tr o u p e s e t l ’a rtille rie é ta ie n t d a n s l ’île e t les p o n ts re p lié s. Ce m ô m e jo u r , u n e s c a d ro n d u ré g im e n t a y a n t été d ésig n é p o u r faire p ro v is o ire m e n t le se rv ic e de la place, je d u s m ’o c c u p e r de so n é ta b lis s e m e n t, e t ce fu t p e n d a n t ce travail q u e j ’e u s le b o n h e u r de r e n c o n tre r m o n frè re , a rriv é la veille au so ir c o m p lè te m e n t g u é ri de se s b le s s u re s e t fo rt h e u r e u x de n e s ’ê tre pas tro u v é au x deu x d é s a s tre u s e s jo u r n é e s d an s le s q u e lle s son ré g im e n t a v a it b e a u c o u p so u ffe rt. S e p t officiers a v a ie n t été tu é s e t 11 b le ssé s , e n tre a u tre s le co lo n el, d ’u n e m a n iè re e x trê m e m e n t g rav e, 95 c h a s s e u rs é ta ie n t r e s té s s u r le ch a m p de b ataille e t 120 b le ssé s p lu s ou m o in s g rièv e m en t. En r e n tr a n t le so ir a u b iv o u a c , j ’a p p ris q u e le 7e H u ssa rd s allait re jo in d re le g é n é ra l M o n tb ru n e n H o n g rie, d ’o ù il d e v a it re v e n ir in c e s s a m m e n t n o u s re jo in d re , c e tte m issio n a y a n t p o u r b u t de p ro té g e r la jo n c tio n de l ’A rm ée d ’Italie so u s les o rd re s d u p rin c e E u g èn e . Le le n d e m a in fu t u n v é rita b le jo u r de fête p o u r n o tre ré g im e n t, p a r le r e to u r de n o tr e b rav e e t d ig n e c o lo n el q u i n o u s a rriv a , n o n p a s to u t à fait g u é ri, m a is en é ta t de se m e ttre à la tê te d u c o rp s d o n t il é ta it ju s te m e n t c h é ri. Il av a it avec officiers e t h u s s a rd s , re v a n c h e . lu i se s c o m p a g n o n s fo rt d é s ire u x de d ’in fo rtu n e , p re n d re une PRÈS DE VIENNE. — 1809. 259 u Sieghaiskirchen, à une dem i-lieue de Vienne, 10 juin 1809. « J e v o u s a d re s s e , m o n p è re , le r é c it d u p r e m ie r ac te de ce g ra n d d ra m e d o n t on n e p e u t e n c o re p ré v o ir la fin et d a n s le q u e l j ’ai re m p li m o n p e tit rôle d u m ie ü x q u ’il m ’a été p o ssib le , g râc e à l ’affectio n d es g é n é ra u x M o n tb ru n e t P a jo l q u i n ’o n t c e ssé j u s q u ’à ce jo u r de m ’en d o n n e r d es m a rq u e s, en m ’e m p lo y a n t d è s q u e l ’o cc asio n s ’en p ré se n te . « L es d étails q u e vo u s lire z ne so n t p a s re la tifs à m a p o si tio n , m a is n o n sa n s in té rê t, p u is q u ’ils se r a tta c h e n t a u x faits g é n é ra u x q u i fixent en ce m o m e n t to u s les re g a rd s de l ’E u ro p e . L es co m b ats sa n g la n ts q u i se s o n t liv ré s ju s q u ’à ce jo u r so n t lo in d ’avoir te rm in é la q u e s tio n . Mais c e p e n d a n t, lo rs q u e l’o n o cc u p e la ca p ita le de l ’e m p ire avec le q u e l o n e s t en g u e rre , c ’e s t u n g ra n d a c h e m in e m e n t p o u r a rriv e r à u n h e u re u x r é s u lta t; p eu s ’en e s t fallu q u ’il ait été a tte in t le jo u r de c e tte sa n g la n te b a ta ille d ’E sslin g , où, co m m e vous le v errez , m o n ré g im e n t n ’a p u p re n d re au c u n e p a r t en ra iso n d es é v é n e m e n ts q u i o n t forcé le s c o m b a tta n ts à s u s p e n d re m o m e n ta n é m e n t la lu tte . « 11 e st in d u b ita b le q u ’elle se re n o u v e lle ra b ie n tô t et, si l’o n d o it en ju g e r p a r les p ré p a ra tifs q u i se fo n t, elle se ra te rrib le et d éc isiv e. E n a tte n d a n t ce m o m e n t, n o u s r é p a ro n s n o s d é s a s tre s o c c a sio n n é s p a r le s d é b u ts de cetto ac tiv e ca m p a g n e. « Le ré g im e n t, to u jo u rs à l ’a v a n t-g a rd e , n e la isse p as que d ’av o ir e s su y é d es p e rte s assez se n sib le s, m a is la so llic i tu d e d e n o tre co lo n el e t le s b ie n fa its de l ’E m p e re u r a u ro n t b ie n tô t ré p a ré n o s d é s a s tre s , c a r on d o it a lle r en H ongrie in c e s s a m m e n t p o u r y re c e v o ir u n e re m o n te c o n sid é ra b le , ce q u i n o u s re n d r a p ré s e n ta b le s c o m m e p o u r u n j o u r de 260 SOUVENIRS MILITAIRES. fête . L es d étails d o n t je su is c h a rg é n é c e s s ita n t m a p ré sen ce c o n tin u e lle à V ien n e, j ’ai o b te n u la p e rm issio n d ’y av o ir u n lo g e m e n t q u e le h a s a rd m ’a p ro c u ré a u s s i ag ré ab le q u e p o ssib le . « Je su is é ta b li, place N è u m a rk , chez la b a ro n n e de Z oès, e x c e lle n te fe m m e , m è re de d e u x c h a rm a n te s d e m o ise lle s, n u lle m e n t effaro u ch é es d ’av o ir p o u r p r o te c te u r u n o fficier de h u s s a rd s q u i, p a r la c o u le u r de sa p e lisse , e s t b ie n fait p o u r in s p ire r la con fian ce. A ussi le s so in s d o n t je su is l ’o b je t, m e fa isa n t p re s q u e c ro ire q u e j e fais p a rtie de la fam ille, m ’o n t d é te rm in é à faire m o n é ta b lis s e m e n t d an s c e tte h o s p ita liè re m a iso n , co m m e si je n e devais ja m a is la q u itte r. « U ne fo rt jo lie p e tite ca lè ch e a tte lé e de d e u x ch ev au x de p e u de v a le u r, p ris e a u x a v a n t-p o ste s d a n s m a p o u r su ite , a c h e té e à m e s h u s s a rd s p o u r la m o d iq u e so m m e de 110 fra n c s, v ie n t d ’y ê tre m is e en d é p ô t avec ce que j ’ai d ’a rg e n t et de v a le u rs, e t j ’ai l ’in te n tio n de les y la is s e r lo rs q u e le s h o stilité s re c o m m e n c e ro n t, ce q u i m e tr a n q u il lis e r a s u r le s o r t de m o n m o b ilie r. « Je m e d isp e n se ra i de v o u s d o n n e r d e s d étails m in u tie u x s u r v ie n n e ; il e s t si facile de se les p r o c u r e r ; le s fa u b o u rg s y s o n t s u p e rb e s , les p ro m e n a d e s a d m ira b le s e t le c h â te a u im p é ria l, p eu re m a rq u a b le , e s t, sa n s a u c u n d o u te , u n e d es p lu s v ila in e s ré s id e n c e s ro y a le s q u i e x iste n t. Le g ra n d th é â tr e , sa n s ê tre v aste, e s t p a rfa ite m e n t co u p é. U ne tro u p e ita lie n n e f o rt b o n n e a ttir e b e a u c o u p de b e a u m o n d e , q u e la p ré s e n c e des F ra n ç a is e s t lo in d ’effrayer. « D ans u n e de m e s c o u rse s, j ’ai re n c o n tré m o n frè re p a r h a s a rd e t p a r le b o n h e u r le p lu s in e s p é ré . Il é ta it a rriv é de la v eille e t g u é ri de se s b le s s u r e s ; n o u s avons p assé tro is jo u r s e n s e m b le , h e u re u x de n o u s r e v o ir a p rè s le s vives in q u ié tu d e s q u e n o u s av io n s l ’u n de l ’a n tre . 11 d o it v o u s ENTRE ESSLING ET WAGRAM. — 1809. 261 é c rire a u s s itô t q u ’il a u ra r e jo in t son m a lh e u re u x rég im en t, à p e u p rè s a n é a n ti d a n s la jo u r n é e d u 23. R ien ne p e u t d é te rm in e r e n c o re l’ép o q u e de n o tre r e n tré e en c a m p a g n e ; à l ’E m p e re u r seu l a p p a rtie n t de le sa v o ir, p u is q u e to u t e s t so u m is à sa v o lo n té avec d ’a u ta n t p lu s de ra iso n q u e l ’en n e m i se tie n t s u r la d éfe n siv e. M ais il e s t p ré su m a b le q u ’a u s s itô t te rm in é s les im m e n se s tra v a u x p o u r a s s u re r n o tr e p assag e, n o u s iro n s le c h e rc h e r d e rriè re se s fo rm i d ab les r e tra n c h e m e n ts , d ’o ù il fa u t e s p é r e r q u e n o s b a ïo n n e tte s le d é lo g e ro n t ; e n a tte n d a n t ce m o m e n t, n o u s offrons à la ca p ita le le sp e c ta c le de 200000 c o m b a tta n ts tra n q u ille m e n t en p ré se n c e les u n s d es a u tre s j u s q u ’au jo u r qui d é c id e ra d u s o r t de se s h a b ita n ts. « A d ieu , m o n p è re ; p ro b a b le m e n t le s g ra n d e s m a rio n n e tte s jo u e ro n t lo rs q u e v o u s re c e v re z c e tte le ttr e . » D ep u is la b a ta ille d ’E sslin g , les d e u x a rm é e s é ta ie n t en p ré se n c e , m a is in a c tiv e s, e t se p r é p a ra ie n t à c e tte g ran d e lu tte q u i d e v a it s u rg ir d ’u n m o m e n t à l ’a u tre e t ê tre d éc i sive, le s A u tric h ie n s é ta n t p e rs u a d é s que le u rs te rrib le s r e tra n c h e m e n ts s e ra ie n t le to m b e a u de l ’a rm é e fra n ça ise e t N ap o léo n , d an s la co n scie n ce dë son g én ie e t de se s tro u p e s , d is a n t q u ’il n ’y a v a it p lu s de D anube p o u r les F ra n çais e t a tte n d a n t l ’in s ta n t de le p ro u v e r. Ce fleuve de 400 to ises de la rg e u r av ait été d o m p té p a r le s a d m ira b le s tra v a u x d u g é n é ra l B e rtra n d ; u n lib re e t co m m o d e p a s sage é ta it a s s u ré d é s o rm a is et p r é s e n ta it u n e e n tiè re sé c u rité p o u r les o p é ra tio n s q u e l’E m p e re u r p r o je ta it s u r l ’u n e et l ’a u tre rive. U ne g ra n d e p a rtie de l’a rm é e é ta it d an s l ’île de L obau e t la cav alerie d a n s les e n v iro n s. C ette île, q u i a d eu x lie u e s de su p e rfic ie, d e v in t u n e e sp è c e de p la ce forte au m o y e n de to u s les o u v ra g e s q u i y fu re n t c o n s tru its : tro is p o n ts p a ra llè le s, de 600 p a s de lo n g u e u r e t s u r l ’u n SOUVENIRS 262 MILITAIRES. d e s q u e ls p o u v a ie n t p a s s e r tro is v o itu re s d e fro n t, lia ie n t le te rr a in de tê te à c e lu i de la rive d ro ite e t a s s u ra ie n t les, c o m m u n ic a tio n s avec V ie n n e ; c e n t v in g t p iè ce s de ca n o n en p o sitio n d é fe n d a ie n t le s re d o u te s et le s tê te s de p o n ts. U n m o is av a it suffi p o u r l ’a c h è v e m e n t de ces m a g n ifiq u es tra v a u x , et, au 1er ju ille t, l ’a rm é e é ta it fo rte de ISO 000 h o m m e s. E n fin to u t a n n o n ç a it q u e n o u s to u c h io n s au d é n o u e m e n t de ce g ra n d d ra m e . Les tr o u p e s é ta ie n t d a n s le s m e ille u re s d is p o s itio n s ; l ’e n th o u s ia s m e et l’a r d e u r é ta ie n t a rriv é s à u n p o in t d ’ex a lta tio n q u i p r o m e tta it le s p lu s h e u re u x su ccès. J ’a n n o n ç a i à m a b o n n e h ô te s s e e t à se s deu x aim ab les filles q u e, p ro b a b le m e n t, j e n e le s r e v e rr a is q u ’a p rè s les é v é n e m e n ts q u i a lla ie n t a v o ir lie u , si to u te fo is j ’e n re v e n ais, ce q ui m ’in q u ié ta it asse z p eu . Je le u r confiai m e s é q u i p ag e s, m o n a rg e n t e t ce q u e je pouvais avoir de p ré c ie u x , le u r la is s a n t u n p a q u e tc a c h e té re n f e r m a n t m e s d isp o s itio n s, l ’a d re sse d e m o n p è re et les in d ic a tio n s n é c e s sa ire s p o u r tro u v e r m o n f rè re ; p u is je m e sé p arai d e ce tte a d m ira b le fam ille d o n t les la rm e s m e p ro u v è re n t l ’a tta c h e m e n t q u ’elle m e p o rta it e t je fus re jo in d re le ré g im e n t q u i d ev a it q u itte r se s q u a r tie r s le le n d e m a in . Le 28, 40000 h o m m e s e t 100 p iè c e s de ca n o n r é u n is s u r u n v a ste te rra in en face du c h â te a u d e S c h œ n b r ü n n f u re n t p a s sé s en re v u e p a r l ’E m p e r e u r . L es A u tric h ie n s sé p a ré s de n o u s p a r le fleuve p u re n t a s s is te r à c e tte m a je s tu e u s e p a ra d e et ê tre té m o in s de l ’e n th o u s ia s m e d es tro u p e s . D ans la jo u r n é e , n o u s a p p rîm e s la jo n c tio n de l ’A rm ée d ’Ita lie à la s u ite d ’u n e v ic to ire re m p o rté e p a r le p rin c e E u g èn e à R aab. C h arles de L a b é d o y è re , so n aide de cam p, m o n a n c ie n c a m a ra d e d es G en d a rm es d ’o rd o n n a n c e , venai l d ’en a p p o rte r la n o u v e lle e t v in t m ’e m b ra s s e r. Le 29, le 5° H u ssa rd s fu t s ’é ta b lir d a n s u n su p e rb e vil W A G R A M . — 1 809. 263 lage, tr è s p rè s de l ’île de L o b au , o ù n o u s n e tro u v â m e s ni h a b ita n ts, n i re sso u rc e s. Le 30, la b rig a d e r e ç u t l ’o rd re de se p o r te r s u r E bersdorff, ta n d is q u e de n o m b re u x c o rp s d ’in fa n te rie e n tra ie n t d a n s l ’île d e L obau. Le 1er ju ille t, n o u s fû m e s re le v é s d a n s la jo u r n é e p a r le s S axons. A.u m o m e n t o ù n o u s n o u s m e ttio n s en m o u v e m e n t, le p rin c e E u g èn e, q u itta n t l’E m p e re u r p o u r a lle r re jo in d re so n c o rp s d ’a rm é e , p a s sa p rè s d u ré g im e n t e t e u t l’e x trê m e b o n té de m e faire a p p e le r en m e té m o ig n a n t la sa tisfa c tio n q u ’il é p ro u v a it de m e re v o ir, m ’a jo u rn a n t à v e n ir le v is ite r à V ienne a p rè s la b a ta ille q u i a lla it se liv re r « o ù j ’e s p è re , a jo u ta -t-il en ria n t, tu n ’a u ra s p a s la m a la d re s s e de te faire tu e r ». Le m ê m e jo u r , l ’E m p e re u r v in t fixer so n q u a r tie r g é n é ra l d a n s l ’île de L o b au a u m ilie u d e s jo y e u s e s a c c la m a tio n s de l ’a rm é e . Le 4, to u te l ’in fa n te rie e t u n e p a rtie d e la cav alerie é ta ie n t ré u n ie s d a n s l ’ile d e L o b au . A dix h e u r e s d u so ir, u n d é b a rq u e m e n t de 1500 v o lti g e u rs e u t lie u s u r la riv e g a u c h e ; à onze h e u re s , u n e te r rib le ca n o n n ad e s ’e n g a g ea s u r u n e p a rtie du f ro n t des r e tr a n c h e m e n ts a u tric h ie n s ; le feu d es b a tte rie s é ta it p a r tic u liè r e m e n t d irig é s u r E n z e rs d o rf o ù s ’a p p u y a it la g a u c h e d es r e tr a n c h e m e n ts e n n e m is . T o u s le s v e n ts se m b la ie n t d é c h a în é s, la p lu ie to m b a it p a r to r re n ts , les co u p s de c a n o n e t le s c o u p s d e to n n e rr e se su c c é d a ie n t avec u n e te lle ra p id ité q u ’il é ta it p re sq u e im p o ssib le de les d is tin g u e r : le te rr a in des île s d u D anube é ta it in o n d é . Le c o lo n el S ainte-C roix, a id e de cam p d u m a ré c h a l M asséna, à la tê te d e 2 500 h o m m e s , tr a v e rs a d a n s des b a rq u e s, en lev a à la b a ïo n n e tte E n z e rsd o rff; il y fut g riè v e m e n t b le ssé . C ette b rav e in fa n te rie , to u jo u r s au p a s de ch a rg e, s e m b la it m a rc h e r so u s u n e v o û te d ’o b u s et de b o u le ts q u i 264 SOUVENIRS MILITAIRES. p a r la n t d es d e u x riv e s se c ro is a it s u r sa tê te . N otre b r i g ad e, e n tré e d a n s l ’île à n e u f h e u re s d u so ir, fu t a ssa illie p e n d a n t u n e p a rtie de la n u it p a r le s b o u le ts et les o b u s p le u v a n t a u m ilie u de n o u s ; m a is, fo rt h e u r e u s e m e n t a b rité s p a r u n p e tit b o is e t p ro té g é s p a r l ’o b s c u rité , n o u s en fû m e s q u itte s p o u r d e u x h u s s a rd s e t c in q ch ev au x . D ans le fo nd de l ’île se tro u v a ie n t d eu x g ra n d e s b a r a q u e s e n b o is, p la c é e s au m ilie u de la G arde im p é ria le , g a ra n tie s a u ta n t q u e p o ssib le c o n tre l’effet d u b o u le t. L ’u n e é ta it o cc u p ée p a r l’E m p e re u r, l ’a u tre p a r le p rin c e de N eu ch âtel. E nvoyé à m in u it p o u r c o n n a ître l ’h e u re à la q u e lle s n o u s d ev io n s e ffe c tu e r le p a ssa g e e t la d ire c tio n q u e n o u s a u rio n s à s u iv re , je n e tro u v a i que les aid es de ca m p d u p rin c e et q u e lq u e s o fficiers v e n u s c o m m e m o i en m is sio n , fo rt o c c u p é s à jo u e r a u p a s se -d ix , p e n d a n t q u e le u r p a tro n tra v a il la it avec l ’E m p e re u r ; forcé d ’a tte n d re so n r e to u r , je v o u lu s p re n d re p a r t à ce g e n re de c o m b a t d an s leq u el je ne p o u vais é p ro u v e r de g ra n d e s p e r te s , n ’a y a n t s u r m o i q u e six n a p o lé o n s d ’o r e t q u e lq u e s p iè ce s d ’a rg e n t. L es d és m ’a rriv è re n t, et la fo rtu n e m e fu t te lle m e n t fav o rab le q u ’en p e u d ’in s ta n ts je m e vis en p o sse ssio n d ’u n e so m m e assez ro n d e ; v a in e m e n t j ’offris de q u itte r le co rn e t, m e s a d v e rsa ire s , to u s ric h e s, h a b itu é s à jo u e r g ro s je u e t e s p é r a n t se r a ttra p e r , s tim u la ie n t m o n a m o u r-p ro p re p o u r m e fo rc er à c o n tin u e r. J ’e u sse in fa illib le m e n t fini p a r su c c o m b e r lo rs q u e , fo rt h e u re u s e m e n t, o n a n n o n ç a la p ré s e n c e d u p rin c e , ce q u i m e d o n n a à p ein e le te m p s de re m p lir m a s a b re ta c h e et m o n colb ack des b én éfices q u ’on e s p é ra it m ’a rra c h e r. P e u d ’in s ta n ts a p rè s, m u n i de l ’o rd re que j ’a tte n d a is, je re v in s au b iv o u a c d u ré g im e n t, é ta la n t m o n tr é s o r au x y eu x d u co lo n el d o n t la jo ie é ta it p re s q u e a u s si g ra n d e WAGRAM. - 1 809. 265 q u e la m ie n n e ; en r é s u lta t, je m e tro u v a is av o ir gagné 14 300 fra n c s, p re sq u e to u t en o r e t en b ille ts de b a n q u e de V ien n e, n o n o b s ta n t d e s so m m e s assez c o n s id é ra b le s à c ré d it q u e je m e ra p p e la is à p e in e e t que je la issa is s u r la co n s c ie n c e de m e s d é b ite u rs. Cet h e u re u x é v é n e m e n t m e p a r u t de b o n a u g u re p o u r le le n d e m a in , m a is s e n ta n t p e u la n é c e ssité d ’a v o ir a u ta n t d ’a rg e n t d an s u n p a re il m o m e n t, j ’o b tin s d u c o lo n el la p e rm is s io n d ’e n v o y e r su r-le -c h a m p m o n h u s s a rd à V ienne p o u r r e m e ttr e m o n tr é s o r e n tre le s m a in s de m o n ex c el le n te h ô te sse . Le 5, n o u s p a s sâ m e s le p o n t à q u a tre h e u re s d u m a lin , n o n lo in d u village de M uhleiten, p ro té g é c o n tre les b o u le ts p a r u n p e tit co u d e q u e faisa it le D an u b e e n c e t e n d ro it. — Le p assag e effectué, le ré g im e n t se fo rm a en b ataille co m m e tê te de co lo n n e de la d iv isio n , et l’o rd re fu t d o n n é a u x h u s sa rd s de r o u le r le u rs m a n te a u x p o u r les p la c e r en b a n d o u liè re ; p e u d ’in s ta n ts a p rè s, a rriv a le g é n é ra l M o n tb ru n avec le 7e H u s s a rd s ; il v e n a it re p r e n d r e le c o m m a n d e m e n t de la d iv isio n . E n n o u s p a s s a n t e n rev u e , s ’a p e rc e v a n t q u e les m a n te a u x é ta ie n t en b a n d o u liè re : « A llons, b ra v e s h u s s a rd s du 5°, dit-il, m o n tre z à l ’e n n e m i to u te la b la n c h e u r de v o tre belle p e lis se , e t p la ce z-m o i vos m a n te a u x s u r le s fo n te s d es p is to le ts ; » p u is , n o u s fo rm a n t en co lo n n es p a r e sc a d ro n s, il n o u s m it en m o u v e m e n t, d é b o rd a n t l ’aile g a u c h e de l ’en n e m i e t n o u s é c a rta n t d e s re tr a n c h e m e n ts s u r le s q u e ls n o tre in fa n te rie m a rc h a it de fro n t. Ces r e d o u te s é ta ie n t d é fe n d u e s c h a c u n e p a r tr o is h a u te u r s de b a tte rie s , fo u d ro y a n t l ’in fa n te rie q u i le s a tta q u a au p a s de ch a rg e e t en en lev a d e u x su r-le -c h a m p . Une tro is iè m e offrit b e a u c o u p de ré sis ta n c e , p o r ta n t la m o r t d an s le s ra n g s de n o s b ra v e s ré g im e n ts; m a is, l ’E m p e r e u r é ta it là, d irig e a n t to u t avec u n ca lm e in c ro y a b le. 266 SOUVENIRS MILITAIRES. sa n s faire a tte n tio n a u x b o u le ts q u i to m b a ie n t a u to u r de lu i. L es re d o u te s e n n e m ie s s’é te n d a ie n t d e p u is E n z e rs d o rf j u s q u ’à E sslin g , le u r d ro ite au D anube. Le m a ré c h a l Massé n a , avec so n c o rp s d ’a rm é e , v in t re n fo rc e r ce p o in t d ’a t taq u e. M alade e t h o rs d ’é ta t de p o u v o ir m o n te r à cheval, il se faisa it c o n d u ire d a n s u n p e tite v o itu re d é c o u v e rte à la tê te d e s tr o u p e s a u x q u e lle s il savait si b ie n a s s u re r le s u c cè s, ce q u i lu i a v a it m é rité le s u rn o m d ’ « E nfan t c h é ri de la V icto ire ». La cav alerie, p e n d a n t le s vives a tta q u e s d u c e n tre , c o n tin u a it so n m o u v e m e n t en d é c riv a n t u n e c o u rb e e t a rriv a en lig n e s u r tro is d iv isio n s de p ro fo n d e u r. A m id i, p a r u n ciel m ag n ifiq u e, n o u s v îm es se d ép lo y e r la cav alerie en n e m ie , b e a u c o u p p lu s fo rte q u e la n ô tre , se p r é p a r a n t à n o u s a b o rd e r. Le g é n é ra l M on tb ru n fit a u s s itô t se s d isp o s itio n s, p la ç a n t six ré g im e n ts de fro n t s u r tro is lignes d o n t la se co n d e se co m p o sa it de d ra g o n s e t là tro isiè m e de c u ira s s ie rs , m a rc h a n t, a u -d e v a n t de l’e n n e m i, avec 12 p iè ce s d e c a n o n s u r n o s flancs. D eux e sc a d ro n s d u 3e H u ssa rd s fu re n t je té s en tira ille u rs , m a is l’e n n e m i se re p lia en b o n o rd re sa n s v o u lo ir a tte n d re n o tr e ch a rg e, e t n o u s le su iv îm es ain si p e n d a n t tro is h e u re s , n o s tira ille u rs se u ls se b a tta n t avec a c h a rn e m e n t ; p lu s ie u r s fu re n t tu é s ; le so u s -lie u te n a n t D ub ro ca, d o n t le ch e v al s ’a b a ttit, fu t p ris . — A six h e u r e s du so ir, on n ’é ta it p o in t e n c o re p a rv e n u à e n le v e r la tro isiè m e re d o u te : la m itra ille , les o b u s, le s b o u le ts e n n e m is fa isa ie n t des ravages é p o u v an tab le s, p lu s ie u rs g é n é ra u x a v a ie n t été tu é s, la r é s is ta n c e é ta it te rrib le . — P lu s ie u rs b le ssé s de la d iv isio n de cav alerie M arulaz d u c o rp s d ’a rm é e de M asséna, p a s sa n t p r è s d e n o u s, m ’a p p rire n t q u e m o n frè re a v a it été frappé p a r u n b o u le t. C ette n o u v e lle m ’é ta it d ’a u ta n t p lu s affre u se q u e , fo rcé de r e s te r à m o n p o ste , je n e p o u v ais lu i p o rte r a u c u n se c o u rs. C ep en d an t, le g é n é ra l e u t l’oblig ean ce de WAGitAM. — 1809. 267 p e r m e ttr e q u 'u n h u s s a rd a llât s u r le s lie u x p o u r sa v o ir ce q u ’il e n é ta it. Il re v in t p e u a p rè s e t m ’a p p rit q u ’en effet m o n frè re av ait eu la ja m b e fro issée p a r u n b o u le t, m ais q u ’o n l ’av a it a u s s itô t tr a n s p o r té de l ’a u tre cô té d u D anube. C ette n o u v elle m e r a s s u r a u n p eu , b ie n q u e m o n in q u ié tu d e fû t g ran d e , n e c o n n a issa n t p o in t au ju s te la g rav ité de la b le ssu re . La c o n te n a n c e fe rm e des A u tric h ie n s s u r le u r d ro ite et le c e n tre r e n d it to u t à coup d u co u ra g e à le u r gau ch e q u e n o u s av io n s p o u ssé e ju s q u ’a lo rs d e v a n t n o u s ; to u te le u r m a sse de c a v alerie, s ’é b ra n la n t ré so lu m e n t, m a rc h a s u r n o u s en c h a ssa n t n o s tira ille u rs . Le ré g im e n t re ç u t l ’o rd re de ch a rg er, ce q u e n o u s fîm es fra n c h e m e n t en ab o rd a n t u n ré g im e n t de h u s s a rd s h o n g ro is q u i c h e rc h a it à to u r n e r n o tre b a tte rie de d ro ite . La m ê lée fu t vive, a c h a rn é e , p e n d a n t q u e lq u e s in s ta n ts , n o u s b a tta n t c o rp s à c o rp s ; m a is la v aleu r, le co u ra g e e t l’a d re sse de n o s h u s s a rd s trio m p h è r e n t e t n o u s p o u rsu iv îm e s l ’e n n e m i en d é s o rd re , ta n d is qu e le s a u tre s ré g im e n ts de la d iv isio n , d é b o rd a n t la ligne e n n e m ie , la fo rç aie n t à se r e tir e r à l’a s p e c t d es d rag o n s et d es c u ira s s ie rs to u t p rê ts à c h a rg e r. N ous e û m e s d a n s cet en g a g e m e n t cin q h u s s a rd s tu é s e t 17 b le ssé s ; l’e n n e m i en .p e rd it d av an tag e, et n o u s lu i p rîm e s u n co lo n el, q u a tre offi c ie rs e t 22 h u s s a rd s . La n u it m it fin au c o m b a t à n e u f h e u re s d u s o ir; le s deu x a rm é e s r e s tè r e n t d a n s le u r p o sitio n , b ie n d éc id é es à re c o m m e n c e r le le n d e m a in . N ous étio n s ac ca b lé s de fatig u e et, p o u r com b le de d is g râ c e , fo rcés de r e s te r d a n s u n e te rr e la b o u ré e sa n s vivres, ni fo u rrag e ; s e u le m e n t to u s les h o m m e s av a ie n t u n e dem ira tio n d ’avoine q u i d ev in t la re s s o u rc e de n o s p a u v re s chev au x . N otre bivouac, placé p r è s d ’un p e tit ru is s e a u re m p li de vase e t de b o u e, é ta it le se u l o b sta cle q u i n o u s 268 SOUVENIRS MILITAIRES. s é p a râ t de l ’e n n e m i, à u n e d ista n c e d ’à p e u p rè s 400 p as, ce q u i n e m ’e m p ê c h a p a s de d o rm ir d ’u n b on so m m e en a tte n d a n t le m o m e n t d ’u n n o u v e a u c o m b a t qui, selon to u te a p p a re n c e , d evait ê tre d écisif. Nos fo rc es ré u n ie s le m a tin se m o n ta ie n t à 150000 h o m m e s e t 500 p iè ce s de ca n o n , sa n s c o m p te r l’a rm é e du p rin c e E u g è n e q u i te n a it en éc h ec l ’a rc h id u c J e a n à R aab. L ’e n n e m i é ta it u n p e u p lu s fo rt q u e n o u s en in fa n te rie , m a is sa cav alerie é ta it b e a u c o u p p lu s c o n s id é ra b le q u e la n ô tre e t o cc u p ait d es p o sitio n s q u ’il fa lla it e n le v e r, d é fe n d u e s p a r d es re tr a n c h e m e n ts c o u v e rts d ’u n e im m e n se a rtille rie . Le 6. — B ataille de W a g ra m . — N ous fû m e s ré v e illé s dès la p e tite p o in te d u jo u r p a r des c ris affreux e t u n e d éc h arg e à m itra ille d e to u te s le s b a tte rie s e n n e m ie s. Les A u tri c h ie n s, p ro té g é s p a r elles, p re n a ie n t l ’in itia tiv e du c o m b a t en m a rc h a n t en c o lo n n e s s e rré e s , la b a ïo n n e tte en av an t. Le 5° H u ssa rd s e u t à p e in e le te m p s de m o n te r à ch e v al, de se fo rm e r en b a ta ille e t se r e p lie r s u r les m a sse s de cav alerie p o u r é v ite r d ’ê tre éc ra sé p a r c e tte av alan ch e d ’h o m m e s, a u -d e v a n t de la q u e lle n o tr e in fa n te rie m a rc h a ré so lu m e n t. Le c o m b a t d e v in t te rr ib le , s u r to u t a u p rè s du v illag e de W a g ra m , p ris et V epris p lu s ie u rs fois et q u i enfin r e s ta au x F ra n ça is. La c a v alerie fo rm a n t l’e x trê m e d ro ite de l'a rm é e , m a n œ u v ra c o m m e la veille e t, en p e u d ’in s t a n ts , se tro u v a en face de ce lle de l ’e n n e m i, a p p u y é e de q u e lq u e s b a ta illo n s h o n g ro is, r e f u s a n t to u jo u rs le c o m b a t en a tte n d a n t les r é s u lta ts d u c e n tre p o u r a g ir; m a is l’E m p e re u r, se n ta n t c o m b ie n il é ta it im p o rta n t d ’e n ta m e r c e tte m a sse de ca v a le rie afin de p o u v o ir to u r n e r l’e n n e m i, en voya u n officier d ’o rd o n n a n c e au g é n é ra l M o n tb ru n avec l ’o rd re de l ’a tta q u e r e t de le v ain cre. WAGRAM. — 1 809. 269 Le te rr a in s u r le q u e l les d e u x a rm é e s é ta ie n t e n p ré se n c e av a it d eu x lie u e s d ’é te n d u e . L es tro u p e s le s p lu s r a p p ro ch é e s d u D anube n ’é ta ie n t q u ’à 200 to is e s de V ienne, de s o rte q u e la n o m b re u se p o p u la tio n de c e tte c a p ita le , co u v ra n t le s to u rs , les c lo c h e rs, les to its des m a iso n s le s p lu s élev é es e t d o m in a n t a in si to u te la p la in e d ’E n z e rsd o rf, a lla it a s s is te r au sp e c ta c le im p o s a n t e t te rr ib le qui se p r é p a ra it e t ju g e r de se s p ro p re s y e u x si le s d é fe n se u rs de la m o n a rc h ie a u tric h ie n n e é ta ie n t dignes de la cau se c o n fiée à le u r v a le u r. La g a u c h e de n o tre a rm é e a v a it été v iv e m e n t p o u ssé e p a r le p rin c e C harles, le village de G ro s-A sp e rn e m p o rté p a r l'e n n e m i, les S axons, les B avarois c u lb u té s e t m is en d é ro u te . L’a rc h id u c , p o u rsu iv a n t ce p re m ie r su c cè s, p r é c i p ite sa m a rc h e e t, d é b o rd a n t le flanc des F ra n ç a is de p lu s d ’u n e lie u e , il p o u sse d es p a rtis j u s q u ’a u p rè s d es p o n ts. L’ép o u v a n te se ré p a n d s u r les d e rriè re s e t c e tte fo u le de n o n -c o m b a tta n ts fu it en to u te h â te d an s l’île de L obau e n d is a n t q u e la b ataille e s t p e rd u e . Il é ta it alo rs n e u f h e u re s d u m a tin . L’E m p e re u r, p rév e n u de to u s ces m o u v e m e n ts, o rd o n n a au m a ré c h a l D avout de s ’e m p a re r d u village de N ieu sied el, ce q u ’il ex é cu ta sa n s b a la n c e r. — L’a rc h id u c C h arles a y a n t envoyé, p e n d a n t la n u it, o rd re à so n frè re , l ’a rc h id u c Je a n , de m a rc h e r de to u te v itesse avec so n c o rp s d ’a rm é e , afin d ’a tta q u e r n o s d e rriè re s e t é c ra s e r la d ro ite , le s A u tric h ie n s, a tte n d a n t to u jo u r s ce re n fo rt, re fu s a ie n t n o s c h a rg e s, to u t e n n o u s a ttir a n t à eu x p o u r n o u s é lo ig n e r de l ’in fa n te rie d u m a ré ch a l D avout. C’e s t a lo rs que l ’E m p e re u r, p ré v o y a n t ce m o u v e m e n t, s e n tit q u ’il ne p o u v a it a s s u re r la v ic to ire q u e p a r la d ro ite , e t q u e l ’o rd re n o u s fu t d o n n é de jo in d re l ’en n e m i e t de le fo rc e r à c o m b a ttre . V o y an t q u ’il ne p o u v a it p lu s n o u s é v ite r, to u te sa p re m iè re ligne arriv a 270 SOUVENIRS MILITAIRES. la c h a rg e s u r le 7e H u ssa rd s e t le 1er C h a sse u rs q u i tin r e n t tê te à six ré g im e n ts e t fin ire n t c e p e n d a n t p a r ê tre c u lb u té s ju s q u e s u r n o s p iè ce s. Le g é n é ra l M o n tb ru n fît a lo rs m a rc h e r le 5e H u ssa rd s e t le 11e C h a sse u rs, so u te n u s p ar la b elle d iv isio n de d ra g o n s d u g é n é ra l de P u lly . N o tre b rav e co lo n el D ery, dix p a s en a v a n t d u ré g im e n t, a g ita n t so n sa b re avec é n e rg ie : « A n o u s m a in te n a n t, h u s s a rd s d u 5°, d it-il, A llons, m e s en fa n ts ' F ra p p o n s fe rm e ! En av an t! V ive l ’E m p e re u r! » E t n o u s e n tro n s avec fu re u r d ans u n e lig n e de c u ira s s ie rs q u i fut a u s s itô t e n fo n c ée et p o u r su iv ie le sa b re d an s le s r e in s p lu s d ’u n e d e m i-lie u e . A lo rs, se p ré s e n te à n o u s u n e m a sse de g re n a d ie rs h o n g ro is fo rm a n t u n c a rré im p o s a n t, d e rriè re le q u e l v ie n n e n t se ra llie r les c u ira s s ie rs q u e n o u s p o u rsu iv io n s. Le g é n é ra l, s e n ta n t la p o s itio n c ritiq u e d a n s la q u elle n o u s é tio n s, m ’o rd o n n e à l ’in s ta n t de c h a rg e r à la tê te d u l or e s c a d ro n d o n t le c h e f v e n a it d ’ê tre g riè v e m e n t b le ssé , a p p u y a n t ce m o u v e m e n t p a r le s a u tre s e s c a d ro n s d u ré g im e n t, ta n d is q u e lu i-m ê m e , c o n d u is a n tle 11e C h a sse u rs, a b o rd e de n o u v ea u le s c u ira s s ie rs avec u n e v é rita b le fu rie . Je lance m a tro u p e s u r c e tte m a sse co m p ac te d o n t le s d e u x d e rn ie rs ra n g s fo n t p le u v o ir s u r n o u s u n e g rêle de b a lle s, ta n d is que le p re m ie r n o u s a tte n d la b a ïo n n e tte en av a n t. J e m o n ta is a lo rs l ’a ra b e d o n t le co lo n el m ’avait fait c a d e a u ; c e t a n im al, b ie n q u e vieux, a v a it u n e a rd e u r in c ro y a b le : l ’o d e u r de la p o u d re , le b r u it des a rm e s e t de l ’a rtille rie lu i d o n n a ie n t des v e rtig e s et, d e v e n a n t fo u g u eu x , a u c u n fre in n e p o u v a it le r e te n ir ; to u s m e s efforts p o u r le m a in te n ir à la tê te e t p rè s de la tro u p e f u re n t in u tile s ; en tr o is sa u ts il m e p ré c ip ite d an s le c a rré , to m b e p e rc é de p lu s de d ix co u p s de b a ïo n n e tte , m e c o u v ra n t e n p a rtie de so n c o rp s, ta n d is q u e j ’ag itais m on sa b re p o u r év iter d ’ê tre to u c h é . H e u re u se m e n t, j ’é ta is suiv i de p r è s p a r les WAGRAM. - 1809. 271 h u s s a rd s ; le u r im p u lsio n fu t te lle m e n t ra p id e et te rrib le q u ’ils e n fo n c è re n t le c a rré , et, g râce à l ’a p p u i d es esca d ro n s c o n d u its p a r le colonel, le s H o n g ro is sa b ré s im p ito y a b le m e n t f u re n t c o n tra in ts de m e ttre b as les a rm e s, ils é ta ie n t 800. Je m e relev ai co u v e rt d u sa n g de m o n p a u v re cheval, m e s h a b its p e rc é s de p lu s ie u rs c o u p s de b a ïo n n e tte , d o n t u n se u l m ’av a it fait u n e lé g è re e n ta ille à la cu isse , q u e je c o m p rim a i avec m o n m o u c h o ir. Un ch ev al m e fu t a u s s itô t a m e n é et je m e re m is en se lle. P e n d a n t ce m o u v e m e n t, le g én é ral M o n tb ru n é ta it au x p ris e s av ec la se co n d e lig n e de cav alerie e n n e m ie , à la tê te d u 7° H u ssa rd s e t d u l or C h a sse u rs so u te n u s p a r les d ra g o n s. Ce fu t a lo rs u n p ê le -m ê le ép o u v a n ta b le d ans le q u e l l ’e n n e m i, en fo n c é s u r to u s le s p o in ts , fu y a it d ans to u te s le s d ire c tio n s p o u r é c h a p p e r au tra n c h a n t de nos sa b re s, ta n d is q u e son in fa n te rie c o m m e n ç a it so n m o u v e m e n t ré tro g ra d e . L ’E m p e re u r av a it b ie n ju g é de l ’effet q u e d ev a it p ro d u ire l ’a tta q u e de sa cav alerie de d ro ite ; sa g a u c h e fu t à l ’in s ta n t d ég ag ée e t le su c c è s de la jo u r n é e a s su ré , d ’a u ta n t q u e l ’A r m é e d ’Ita lie v in t y m e ttr e la d e rn iè re m ain , en a rriv a n t s u r le ch a m p de bataille assez à te m p s p o u r y p r e n d re sa p a r t de g lo ire . Le p rin c e E u g è n e a tta q u a le c e n tre avec u n e v é rita b le fu rie ; la v ic to ire fu t d éc isiv e; to u te l ’a rm é e riv a lisa d ’a rd e u r, a u x p ris e s s u r to u s le s p o in ts , p a rto u t o b te n a n t du su c cè s. L’a rc h id u c C harles fut obligé de se r e tir e r sa n s e s p o ir de p o u v o ir re n o u v e le r le co m b at, la is s a n t 4000 tu é s, 9000 b le ssé s, 18000 p ris o n n ie rs , 40 pièces d e c a n o n , 18 d ra p e a u x e t q u a n tité de fo u rg o n s e t d ’é q u i p ag es q u i d e v in re n t la p ro ie de la cav alerie lé g ère, en fin b o n n o m b re d ’officiers g é n é ra u x tu é s e t b le ssé s. De n o tre côté n o u s e û m e s 3 000 m o rts e t p lu s de 6 000 b le s s é s ; n o u s av io n s à re g r e tte r p lu s ie u rs c o lo n e ls et 272 SOUVENIRS MILITAIRES. g é n é ra u x , e n tre a u tre s le b ra v e g é n é ra l L asalle, le p re m ie r officier d e c a v alerie lé g è re de l ’a rm é e . N ap o léo n s ’é ta it ex p o sé au m ilie u d u feu le p lu s te rr ib le ; d ès le m a tin , il av a it p a rc o u ru les d iffé ren te s lig n e s, e n c o u ra g e a n t les tr o u p e s p a r sa p ré s e n c e e t son é lo q u e n c e in c i ta n te ; les b o u le ts tu è re n t e t b le s s è r e n t p lu s ie u r s p e rs o n n e s a u to u r de lu i. Le m a ré c h a l B e ssiè re s e u t so n cheval tu é so u s lu i. S. M. fit c o m p lim e n te r su r-le -c h a m p le m a ré ch a l-D a v o u t s u r la b elle c o n d u ite de so n c o rp s d ’a rm é e q u ’il v in t v is ite r p lu s ta rd . E n a r r iv a n t à la c a v alerie lé g è re , il lu i a d re ssa le s élo g es le s p lu s fla tte u rs e t a c c o rd a n t p lu s ie u rs ré c o m p e n s e s il e n p r o m it d ’a u tre s . Je fus ap p e lé p rè s de S. M. p a r le g é n é ra l M o n tb ru n , il d aig n a m e n o m m e r officier de la L égion d ’h o n n e u r en d is a n t au p rin c e de N euchâtel d ’in s c rire le ré g im e n t p o u r d ix cro ix d o n n é e s s u r le ch a m p de b ataille ; p u is, en n o u s q u itta n t, l ’E m p e re u r a jo u ta au g é n é ra l : « Je vais v o u s e n v o y e r à la cu ré e. » L a b a ta ille de W a g ra m n e la issa pas q u e de c o û te r c h e r a u ré g im e n t, p u is q u e n o u s eû m e s, en tu é s : u n ca p ita in e , d e u x lie u te n a n ts e t 16 h u s s a rd s e t e n b le ssé s : h u it offi c ie rs e t 63 h u s s a rd s , d o n t la p lu s g ra n d e p a rtie d a n s l ’es ca d ro n q u e je c o m m a n d a is en a b o rd a n t le c a rré . A la n u it to m b a n te , n o u s é ta b lîm e s n o s b iv o u acs d a n s la p la in e , p rè s de d e u x su p e rb e s fe rm e s où n o u s tro u v â m e s fo rt h e u r e u s e m e n t d es fo u rra g e s e t de l’e a u d o n t n o s c h e v au x a v a ie n t le p lu s g ra n d b e so in , ain si q u e d ’u n p e u de re p o s. Le 7, le jo u r v in t é c la ire r le sp e c ta c le affreu x d ’u n c h a m p de b a ta ille c o u v e rt de m o rts et de m o u ra n ts ; les ré c o lte s , p rê te s à ê tre m o is so n n é e s, in c e n d ié e s e t f u m a n te s e n c o re , enfin le p re stig e d e la g lo ire fa isa n t p la c e à to u t ce q u e }a g u e rre p e u t offrir de p lu s h o rrib le . WAGRAM. LA POURSUITE. — 1 809. 213 L’E m p e re u r s o r tit de la te n te q u ’on lu i av a it d re ssé e n o n lo in de n o tr e biv o u ac, se p ro m e n a n t à p ie d , sa n s ch a p ea u , sa n s ép é e , le s m a in s d e rriè re le d os, s ’e n tre te n a n t fa m iliè re m e n t avec le s C h a sse u rs de la G arde ; sa fig u re e x p rim a it la s a tisfa c tio n e t la confiance ; ce fu t p e u d ’in s ta n ts a p rè s q u ’il e m b ra s sa M acdonald e n le c ré a n t m a ré c h a l d ’E m p ire , a in si q u e le g é n é ra l O ud in o t. S u r les dix h e u re s le g é n é ra l M o n tb ru n e u t u n e c o u rte e n tre v u e avec S. M., à la su ite de la q u elle la d ivision se m it en m a rc h e afin de p o u rs u iv re l ’e n n e m i e t l’in q u ié te r d a n s sa re tra ite su rZ n a ïm . A p rès a v o ir m a rc h é p e n d a n t six h eu re s, ra m a s s a n t q u e lq u e s tra în a r d s e t des v o itu re s de b le ssé s , n o u s j o i g n îm e s u n e a rriè re -g a rd e de 15 000 h o m m e s, co m m a n d é s p a r le g é n é ra l R o sem b e rg , q u i v e n a it de q u itte r le village de O E n -ltu p ersd o rf où n o u s fû m e s o b lig é s de p a s s e r la n u it, c o n tra in ts p a r la fatig u e de n o s ch ev au x , la p ro fo n d e o b sc u rité , et la n é c e s sité de d o n n e r le te m p s à n o tr e in fa n te rie lé g ère de n o u s re jo in d re . S u r le s n e u f h e u r e s , le g é n é ra l M o n tb ru n m e fit v e n ir p rè s de lu i; il v e n a it de re c e v o ir d e n o u v elles in s tru c tio n s et m ’a p p rit q u ’on lu i d o n n a it l’avis q u e, d a n s le b u lle tin de l ’a rm é e , en c ita n t av an ta g e u s e m e n t sa d iv isio n , on-m e c ita it au n o m b re des officiers q u i s ’é ta ie n t p lu s p a rtic u liè re m e n t d istin g u é s et q u e j ’av a is su c co m b é au m ilie u d ’u n c a rré . T rè s lla tté de ce p re m ie r p a ra g ra p h e e t fâché de l ’effet q u e p r o d u ira it le se co n d , lo rs q u e m o n p è re e t m a m è re a p p re n d ra ie n t c e tte n o uvelle q u e je n e p o u v a is d é m e n tir en ce m o m e n t, il m e p e rm it d ’en é c rire au p rin c e de N eu c h âte l p o u r faire re c tifie r c e tte e r r e u r p u is q u ’il a v a it été té m o in de la ré c o m p e n se q u i m ’av ait été a c c o rd é e , e t il m e g a rd a à so u p e r avec lu i. P u is il m e d it q u e c e tte v ic to ire av a it é té ac h e té e au p rix de p e rle s d o n t, b ien c e rta in e m e n t, les b u lle tin s d im in u e ra ie n t 274 SOUVENIRS MILITAIRES. le ch iffre. Le le n d e m a in , d an s la jo u r n é e , n o u s a tte i g n îm e s l ’e n n e m i p rè s de la ville de L ana o ù n o tr e avantg a rd e ra m a s s a q u a n tité de fa n ta ssin s e x té n u é s de fa tig u e ; m a is la co n fe c tio n d ’u n p o n t q u ’il fa llu t r é ta b lir n o u s e m p ê c h a d ’e n le v e r u n convoi c o n s id é ra b le d ’a r til le rie q u e n o u s savions p e u d is ta n t de n o u s. Le 10, le g é n é ra l M o n tb ru n , q u i av ait à c œ u r de co m b a ttre l’e n n e m i, le jo ig n it d a n s la m a tin é e p o sté u n e lie u e e n a v a n t de Z n aïm . O bligés d ’a tte n d re l’a rriv é e de n o tr e in fa n te rie p o u r le d é b u s q u e r de c e tte p o sitio n , le c o m b a t n e c o m m e n ç a q u e s u r le s m id i et f u t d ’a u ta n t p lu s o p in iâ tre , q u e l ’e n n e m i d é fe n d a it c e tte p o s itio n afin de p ro té g e r la m a rc h e de l ’e m p e r e u r F ra n ç o is, de l’im p é r a tric e , de l’a rc h id u c A n to in e et u n e s u ite de p lu s de 200 v o i tu r e s d e la c o u r e t a u tre s , en fo n c ées d a n s u n b o is a u m ilie u d ’u n c h e m in a b îm é p a r le s b o u es. C e p en d a n t, tr o is g ra n d s fo u rg o n s re m p lis d ’a rg e n te rie d e v in re n t la p ro ie de n o s h u s s a rd s , q u i se le s p a rta g è re n t avec u n e ra p id ité in c ro y a b le ; q u a tre v o itu re s lo u rd e s , m a s sives^ d e fo rm e a n tiq u e , tr è s ric h e s, c o n te n a n t dix d am es, d o n t six je u n e s e t tr è s jo lie s , to m b è r e n t e n tre n o s m a in s, a in si q u e d e u x ca lè c h e s c o n te n a n t tro is p e rs o n n a g e s âgés, en h a b its de c o u r, avec p la q u e s e t g ra n d s c o rd o n s, d ix v o i tu r e s d ’é q u ip a g e e t se ize ch e v au x des éc u rie s de l ’e m p e r e u r d ’A u tric h e ; m a is, au m ilie u de ce ric h e b u tin q u ’e û t suivi la p ris e d es fo u rg o n s si n o s g é n é ra u x n e s ’y fu s s e n t o p p o sé s, s u rv in t u n p e tit d ra m e d o n t n o u s n e p û m e s co n n a ître q u e le p re m ie r ac te . Un je u n e c a v alier d ’u n e to u r n u r e c h a rm a n te , v êtu avec la p lu s g ra n d e élégance, m o n té s u r u n cheval re m a rq u a b le m e n t beau q u ’il m a n ia it avec g râc e e t a d re sse , c h e rc h a it à fuir. U n h u s s a rd , v o u la n t l’a r r ê te r , re ç o it en p le in e p o itrin e u n co u p d e p is to le t q u i l ’ab a t. Le g én é ral P ajo l, té m o in de COMBAT DE Z N A 1 M. — 18(19. 275 c e tte a c tio n , fonce s u r le ca v alier p o u r le sa b re r, m a is u n e voix c ra in tiv e e t do u ce lu i d e m a n d e g râc e, e t il re c o n n a ît, d an s ce b rav e e t g en til c h a m p io n , u n e je u n e fe m m e de d ix -h u it à v in g t a n s, r a v is s a n te de b e a u té , d o n t il fa it sa p ris o n n iè re . C ep en d an t, s u r les d eu x h e u re s a p rè s m id i, n o tr e in fa n te rie en leva u n b e a u e t la rg e p la te a u d o m in a n t la v ille, d ’où n o u s a p e rç û m e s alo rs to u te l’a rm é e e n n e m ie d an s u n e p o sitio n s u p e rb e , a y a n t u n e a ttitu d e te lle m e n t im p o sa n te q u e n o u s fû m e s c o n tra in ts d ’a tte n d re l ’a rriv é e du co rp s d ’a rm é e s o u te n ir. d u m a ré c h a l M arm ont, d e s tin é à n o u s Il a rriv a v e rs le s q u a tre h e u r e s , e t le c o m b a t re c o m m e n ç a a u s s itô t avec le p lu s g ra n d a c h a rn e m e n t. Le 7° H u ssa rd s e t le 1er C h a sse u rs e n ta m è re n t u n e c h a rg e b rilla n te s u r u n e lig n e de h u la n s e t de c u ira s s ie rs ; m a is, ra m e n é s à le u r to u r p a r d es fo rc es im p o s a n te s, le 5° H u ssa rd s et le 11e C h a sse u rs a lla ie n t e n tre r en c h a rg e , lo rsq u e le g é n é ra l, ju g e a n t ce m o u v e m e n t im p ru d e n t, n o u s a r r ê ta to u t c o u rt. A lo rs c o m m e n ç a le fe u d es b a tte rie s q u i d u ra p rè s de d eu x h e u re s e t n o u s fit b e a u c o u p de m al p a r l’o b lig a tio n où n o u s étio n s de p ro té g e r le s m o u v e m e n ts de l ’in fa n te rie e t le je u de n o s pièces. E n p e u d ’in s ta n ts , n o u s eû m e s p lu s ie u rs h u s s a rd s et ch e v au x tu é s ; u n officier e u t la tê te e m p o rté e p a r u n b o u le t; l ’a d ju d a n t-m a jo r O th e n in , m o n co llèg u e, fu t c o u v e rt de p ie rre s p a r u n éc la t d ’o b u s qui to m b a à côté de lu i; il av a it la tê te d a n s u n é ta t affreux, m ais, h e u re u s e m e n t, sa n s d a n g e r d e m o rt. Le 111’C h a sse u rs, placé e n a rriè re de n o u s, so u ffrit e n c o re d av a n ta g e p a r le r ic o c h e t des b o u le ts qui p a s sa ie n t p a r d e s su s n o s têtes. C ette p o s itio n , b ie n q u e trè s m a u v aise, é ta it in d is p e n 216 SOUVENIRS MILITAIRES. sab le e t n o u s d û m e s la g a rd e r j u s q u ’au m o m e n t où u n b a ta il lo n fu t d élo g e r l ’e n n e m i d ’u n p e tit village to u c h a n t p re s q u e la v ille. E n fin, le feu c e ssa à la n u it to m b a n te , sa n s av o ir o b te n u d ’a u tre r é s u lta t q u e d ’a r r ê te r, avec 20 000 h o m m e s q u e n o u s é tio n s, 60 000 A u tric h ie n s, ta n d is q u e l ’E m p e re u r fa isa it m a n œ u v re r s u r le u rs d e rriè re s e t a rriv a it à n o u s avec to u te la G arde im p é ria le , d a n s l’in te n tio n d e liv re r u n e se co n d e b a ta ille . S u r les h u it h e u r e s d u so ir, d e u x officiers p a rle m e n ta ire s a rriv è re n t à n o s a v a n t-p o ste s, p o rte u rs , l ’un d ’u n e le ttre p o u r l ’E m p e re u r e t l ’a u tre d ’u n e p o u r le d u c d e R aguse, à q ui le p rin c e C h arles p ro p o s a it u n a rm is tic e ; le m a ré c h a l, p o u r to u te ré p o n s e , fit d ire q u ’il a tta q u e ra it le le n d e m a in de g ran d m a tin . E n effet, d ès q u e le jo u r .p a ru t, la cavalerie lé g è re r e p r it se s p o s itio n s d e là veille e t nos tira ille u rs r e n tr è r e n t en lig n e . N ous n o u s a p e rç û m e s q u e l ’e n n e m i s ’é ta it c o n s id é ra b le m e n t re n fo rc é d a n s ses p o sitio n s, ce q u i p o u v a it fa ire p r é s u m e r s o n in te n tio n d ’a c c e p te r le c o m b a t : il av a it sa d ro ite a p p u y é e à la ville de Z naïm , la g au c h e, p rè s d ’u n village, p ro tég é e p a r u n ravin la rg e e t p ro fo n d e t p a r d es b o is q u i lu i a s s u ra ie n t u n e tra n q u ille re tra ite , du m o in s il le c ro y a it a in s i; m a is N apoléon a v a it d éjà to u t p ré v u : p lu s ie u rs c o rp s to u rn a ie n t l ’e n n e m i p a r u n c irc u it é te n d u , c ’e s t p o u rq u o i l’a tta q u e de la veille av a it été to u t à co u p su sp e n d u e . Le 11, l’E m p e re u r a rriv a à m id i avec to u te la G arde, u n e fo rte d iv isio n d ’in fa n te rie e t p lu s ie u rs b a tte rie s ; n o u s le r e ç û m e s p a r les p lu s vives ac c la m a tio n s lo r s q u ’il p a rc o u r u t le fro n t de n o s p o ste s m alg ré le feu in c e ssa n t de l ’a r til le rie en n e m ie , ce qui n e l'e m p ê c h a p o in t d ’é tu d ie r froidem e n tla p o s itio n e t de faire des d isp o sitio n s d ’a tta q u e q ui ne la issa ie n t au c u n d o u te s u r l ’in te n tio n q u ’il av a it de liv re r le le n d e m a in u n e b ataille décisiv e. ARMISTICE DE ZNAIM. — 18 0 9 . Il d é fe n d it au x tro u p e s de tro p s ’en g a g er, v o u la n t a v a n t to u t s ’e m p a re r de to u te s les h a u te u rs d o m in a n t la ville, ce q u i fu t ex écu té en p eu d ’in s ta n ts . L es m a n œ u v re s de l’E m p e re u r fu re n t te rm in é e s d a n s la jo u r n é e avec u n e te lle p ré c isio n q u e le c o rp s d ’a rm é e du m a ré c h a l D avout e t c e lu i de M asséna av a ie n t c o m p lè te m e n t to u rn é la p o sitio n de l ’a rc h id u c C h a rles, qui n ’avait p lu s d ’a u tre s re s s o u rc e s q u e do m e ttre b as les a rm e s ou d ’a c c e p te r le c o m b a t avec les c h a n c e s le s p lu s d éfavo ra b le s. Le feu de n o s b a tte rie s c o m m e n ç a avec vio len ce, ta n d is q u e n o s tro u p e s s’é b ra n la ie n t en m a sse s u r u n fro n t é te n d u , p ro té g é e s p a r le s m o u v e m e n ts de la cav alerie lé g è re du g é n é ra l M o n tb ru n q u i a v a it reç u l ’o rd re de fra n c h ir le rav in s é p a r a n t le s d e u x a rm é e s e t de c h a rg e r s u r u n e b a t te rie d e do u ze p iè c e s q u ’il fallait e n le v e r. T o u te s ces d isp o sitio n s s ’e x é c u ta ie n t avec u n o rd re p a rfa it, co m m e s u r un c h a m p d e m a n œ u v re s, lo r s q u ’u n p a rle m e n ta ire a rriv a p rè s de l ’E m p e re u r, avec d es p ro p o sitio n s de paix e t d ’u n a rm i stic e p ro v iso ire. A u ssitô t, c o m m e p a r e n c h a n te m e n t, le fe u c e ssa s u r to u te la ligne, c h a c u n r e n tr a d an s sa p o sitio n re sp e c tiv e et les p o u rp a rle rs c o m m e n c è re n t. Le 'p rin c e de N eu c h âte l v in t à n o s p o ste s av a n cé s où il re s ta d e u x h e u re s, ta n d is q u e le g én é ral M ontbrun e t le p rin c e de L ic h ste n s te in a r r ê ta ie n t d es c o n v e n tio n s p ré p a ra to ire s . Le so ir, les deu x a rm é e s fire n t ch a c u n e u n m o u v e m e n t ré tro g ra d e , n o tre biv o u ac fu t placé le lo n g d ’u n b o is, sa n s fo u rrag e s ni au c u n m o y e n de s ’en p ro c u re r. L’E m p e re u r é ta b lit so n q u a rtie r g én é ral s u r le p la te a u en levé le m a tin , e n to u ré de sa g ard e e t de l’a rtille rie to u te p rê te à a g ir a u p r e m ie r m o m e n t; enfin, p lu s d e 100000 c o m b a tta n ts é ta ie n t en p ré se n c e s u r u n te rra in de deux lie u e s ; 27S SOUVENIRS MILITAIRES. u n e p e n s é e , u n m o t, u n g este p o u v a it les m e ttre au x p ris e s e t faire c o u le r d e s flots de sa n g . Le 12, n o u s a p p rîm e s , d an s la m a tin é e , q u ’i l y a v a itu n a r m istic e d ’u n m o is e t q u e l’a rm é e a u tric h ie n n e é v a c u e ra it s u r-le -c h a m p la ville de P re s b o u rg e t la citadelle de G ratz, le T y ro l, le V o ra rlb e rg e t le fo rt de S a c h s e n b u rg et le c e rcle de B rü n n . A cin q h e u re s , la b rig a d e re ç u t l ’o rd re de se d irig e r s u r B rü n n . Le le n d e m a in , c o n tin u a n t n o tr e m o u v e m e n t, n o u s tro u v â m e s , e n a v a n t d e la p e tite ville de R e ig e rn , d es p o ste s a u tric h ie n s n u lle m e n t in s tr u its d es é v é n e m e n ts q u i v e n a ie n t d e se p a s s e r e t d es c o n v e n tio n s faites e n tre le s deux so u v e ra in s, p a ra is s a n t n o n se u le m e n t p e u d isp o sé s à n o u s la is s e r c o n tin u e r n o tr e m a rc h e , m a is m ê m e to u t p r ê ts à ag ir c o n tre n o u s , d a n s la p e rs u a s io n q u e, N apoléon a y a n t été b a ttu , n o u s é tio n s u n c o rp s égaré. L e g é n é ra l P ajo l v o y a n t q u ’il n e ne p o u v a it d é tro m p e r le g é n é ra l a u tric h ie n m a lg ré l'a s s u ra n c e fo rm e lle q u ’il lu i d o n n a it de l ’a rm istic e co n c lu , lu i fit d ire p a r le c a p ita in e V érig n y , so n aide de ca m p , q u ’il le re n d a it re sp o n sa b le des é v é n e m e n ts et q u ’a y a n t re ç u l ’o rd re d ’o c c u p e r B rü n n su r-le -c h a m p , il allait se m e ttr e en m e s u re de l ’e x é c u te r ; en c o n sé q u e n c e , le 3e H u ssa rd s, fo rm a n t tê te de co lo n n e, se m it e n m e s u re d ’a tta q u e r, ta n d is q u e le 7° e t le 11° C h a sse u rs to u r n a ie n t la v ille. Le g é n é ra l a u tric h ie n d e m a n d a d eu x h e u re s , d a n s l’e s p o ir de sav o ir q u e lq u e 'c h o se de p o s itif p a r le re to u r d ’u n officier q u ’il avait en voyé : il lu i fu t a c co rd é u n q u a r t d ’h e u re , et, déjà, n o s tira ille u rs v e n a ie n t de c o m m e n c e r l ’a tta q u e , lo rsq u e n o u s vîm es le s A u tric h ie n s se r e tir e r san s offrir a u c u n e ré sis ta n c e . Ils v e n a ie n t p ro b a b le m e n t de co n n a ître l’e x a c titu d e des faits, e t n o u s le s su iv îm es de telle m a n iè re e t à si p e u de d ista n c e q u e n o u s e n trâ m e s d a n s la OFFICIER DE LA L ÉGI ON. — 18 0 9 . 279 ville de B rü n n a v a n t q u ’ils l’e u s s e n t c o m p lè te m e n t év a cu é e. D eux jo u r s a p rè s, l’in fa n te rie d u m a ré c h a l D avout v in t s ’y é ta b lir, e t la d iv isio n de cavalerie lé g ère p r it ses q u a rtie rs en av a n t, d a n s les e n v iro n s. Le 25, je re ç u s l ’o rd re de p r e n d r e le c o m m a n d e m e n t de la lig n e d ’o b se rv a tio n en face des A u tric h ie n s avec 100 c h e v au x , ta n d is q u e le 5° H u ssa rd s a lla it s ’é ta b lir à A uspitz e t au x e n v iro n s. Le 26, le colo n el D ery m e fit p a rv e n ir m o n b re v e t d ’offi c ie r d e la L égion d ’h o n n e u r, avec u n e le ttr e d u p rin c e de N eu c b âte l ain si c o n ç u e : « A M . d ' E s p i n c h a l ( H i p p o l y t e ), c a p i t a i n e a u 5 ° H u s s a r d s . « J ’ai l’h o n n e u r de v o u s p ré v e n ir q u e S. M. l’E m p e re u r e t Roi, s a tis fa it de v o tre c o n d u ite à la b ataille d u 6, vous a n o m m é officier de la L égion d ’h o n n e u r e t q u ’il v o u s a h o n o ra b le m e n t cité à l ’o rd re de l ’A rm ée. « C ette fla tte u se ré c o m p e n se v o u s e st si ju s te m e n t ac q u ise q u e je p ro fite de c e tte c irc o n sta n c e p o u r vous en té m o ig n e r m a sa tisfa c tio n ain si que des se n tim e n ts d is tin g u és avec le sq u e ls j ’ai l ’h o n n e u r de v o u s sa lu e r. « Le p r in c e d e N euch atel. » D eux jo u r s a p rè s , le g én é ral M o n tb ru n , to u jo u rs b o n et o b lig e a n t p o u r m oi, p e n s a n t c o m b ie n d e v a it ê tre g ra n d e m o n in q u ié tu d e s u r le s o r t de m o n frè re , m e fit re le v e r s u r la lig n e e t m ’en voya à V ienne p o r te u r de d ép ê ch e s, avec l ’a u to risa tio n d ’y r e s te r ju s q u ’à n o u v e l o rd re . Je tro u v a i m o n frè re d a n s u n village assez p rè s de la ca p ita le , m a rc h a n t à l’aide de b é q u ille s ; le b o u le t, en tu a n t so n ch ev al, lu i av a it effleu ré le m o lle t sa n s a tta q u e r les n e rfs, ce q u i n e p ré se n ta it a u c u n d an g e r, m a is p o u v a it 280 SOUVENIRS MILITAIRES. c e p e n d a n t ê tre lo n g à g u é r ir ; je le fis tr a n s p o r te r à V ienne afin d ’y re c e v o ir d e s so in s p lu s actifs q u ’à l ’a m b u la n c e d ’u n v illag e. Mon a p p a ritio n chez la b a ro n n e de Z oès fu t u n v é rita b le co u p de th é â tr e . E lle m e c ro y a it si bien m o r t q u ’elle faisait d e p u is q u e lq u e s jo u r s d es d é m a rc h e s p o u r sa v o ir o ù é ta it m o n f rè re , n e v o u la n t p o in t e n v o y e r à m o n p è re ce d o n t elle é ta it c h a rg é e a v a n t de l’a v o ir v u ; sa jo ie f u t d ’a u ta n t p lu s v iv e q u e c e tte d ig n e e t re sp e c ta b le fem m e c ro y a it n e p o u v o ir d o u te r de c e tte fata le n o u v e lle ; au m o m e n t où je to m b a is so u s m o n ch e v al, u n de m e s p a re n ts , officier au 5° H u ssa rd s (le je u n e R o b e rt de C onandre), a y a n t été b le ssé p r è s d e m o i, a v a it été tr a n s p o r té s u r le s d e rriè re s , p u is à V ien n e ; il a v a it ré p a n d u le b r u it de m a m o r t à la q u e lle m a b o n n e h ô te s s e c ro y a it d ’a u ta n t m ie u x d e v o ir a jo u te r foi, q u ’a y a n t été v o ir m o n ca m a ra d e , c e lu i-c i lu i av a it confirm é ce tte tr is te v érité. P e u de jo u r s a p rè s n o tr e a rriv é e à V ienne, m o n frè re se fit co n d u ire à S c h œ n b rü n n au m o m e n t o ù l’E m p e re u r allait p a s s e r u n e re v u e de la G arde. 11 é ta it ap p u y é c o n tre u n e b a lu s tra d e en d e h o rs d u p a la is, lo rs q u e N ap o léo n , a p e rc e v a n t u n o fficier so u te n u p a r d e u x b é q u ille s, s ’a p p ro c h a en s ’in fo rm a n t avec in té rê t de sa b le s s u re e t lu i a c co rd a a u s s itô t la cro ix . Mon frè re , e n h a rd i p a r ta n t de b ie n v e il la n c e , d e m a n d a l ’a u to risa tio n de p o r te r l’o rd re du M érite m ilita ire de B avière q u e le ro i lu i av ait d o n n é à A ugsb o u rg , ce q u i fu t a c c o rd é s u r-le -c h a m p . « S ire, a jo u ta -t-il, en re m e rc ia n t h u m b le m e n t V otre M ajesté, j ’ai u n e a u tre fav e u r à lu i d e m a n d e r; c ’e s t la ra d ia tio n définitive de m o n p è re co m p ris s u r u n e lis te d ’é m ig ré s m a in te n u s d an s la p ro s c rip tio n . » L ’E m p e re u r, d ’ab o rd s u rp ris de c e tte p e rsis ta n c e à s o lli c ite r, é c o u ta avec a tte n tio n e t b o n té en se ra p p e la n t to u t SÉJOUR A VIENNE. — 1 80 9 . 281 à co u p q u e m on frè re é ta it officier des G en d arm es d ’o r d o n n a n c e d a n s la ca m p a g n e de T ilsit. « O ui, c e rte s , je vous a c co rd e ce q u e v o u s d e m a n d e z » , d it-il, e t s e to u r n a n t vers le p rin c e de N eu ch âtel il lu i p re s c riv it d ’en faire e x p é d ie r im m é d ia te m e n t so n d é c re t im p é ria l, ce q u i f u t e x é c u té avec u n e te lle c é lé rité q u e m o n p è re r e ç u t c e tte n o u v e lle o ffic ie lle m en t a v a n t le s le ttr e s q u e n o u s lu i é c riv îm e s ce m ô m e jo u r. Ce p e tit ép iso d e fit u n e c e rta in e s e n sa tio n ; o n s ’en e n tr e tin t au q u a r tie r g é n é ra l et à V ien n e ; p lu s ta rd il fut r é p é té d a n s le J o u r n a l d e l ’E m p i r e avec des a c ce sso ires on n e p e u t p lu s fla tte u rs, m ais to u t à fait in e x a c ts. A m on père. « Vienne, 4 août 1809. « C’e st r é u n is d an s u n a p p a rte m e n t d e s p lu s co n fo r ta b le s , m o n frè re e t m oi, q u e n o u s v o u s éc riv o n s en p e r so n n e afin d e v o u s r a s s u r e r c o m p lè te m e n t s u r n o tre so rt. H en ri v o u s d o n n e ra lu i-m ê m e d e s d étails s u r ce q u i le c o n c ern e. Sa ja m b e , q u elq u e p e u m u tilé e , vous p ro u v e ra q u ’il n ’e s t p a s h e u re u x au je u de la g u e rre , ca r les tro is c o u p s d e sa b re re ç u s d ès le d é b u t de c e tte ca m p a g n e a u r a ie n t d û p a ra ître su ffisa n ts; il d o it en c o re c e tte fois-ci u n b ea u cierg e à so n p a tro n , si c ’e s t lu i q u i l’a p ré se rv é d es m a u v aises in te n tio n s de ce m a le n c o n tre u x b o u le t. « Qui sa it o ù d o iv e n t n o u s c o n d u ire le s v ic to ire s su c ce ssiv e s q u e n o u s avons re m p o rté e s ; ca r si l ’E m p e re u r co n tin u e de n o u s m e n e r ain si, il n o u s fa u d ra p eu de te m p s p o u r p a rc o u rir l ’E uro p e. Le se co n d ac te de cette g u e rre v ie n t de se te rm in e r avec u n e te lle ra p id ité q u ’à 282 SOUVENIRS MILITAIRES. p e in e a v o n s -n o u s e u le lo is ir d ’y p e n s e r, to u t cela, en m o in s de h u it jo u r s ; c ’e s t le cas de d ire c o m m e c e rta in e p rin c e s s e : c o u r t e e t b o n n e . « Mon jo u r n a l c i- jo in t v o u s fe ra c o n n a ître le s d étails d e c e tte é to n n a n te ca m p a g n e e t v o u s p ro u v e ra to u t ce q u ’o n p e u t a tte n d r e des tr o u p e s fra n ç a ise s c o n d u ite s p a r le g én ie. A ussi d o it-o n p e n s e r q u e l ’A u tric h e ne b a la n c e ra p a s à tr a n s f o r m e r le c o u rt a rm istic e q u i d o it a v o ir lie u , en u n e b elle e t b o n n e paix, p lu s d u ra b le q u e la d e rn iè re . « D ans to u s le s cas, n o u s so m m e s to u jo u r s p rê ts et je ne se ra is p a s fâché p o u r m a p a r t q u e n o u s c o n tin u a s s io n s e n c o re q u e lq u e te m p s u n je u d o n t je m e tire assez b ie n . C ette cro ix d ’or, q u e je dois au m a u v a is c a ra c tè re de m on ch e v al, e s t u n v é h ic u le q u i m e d o n n e de l ’a p p é tit, c a r ce n ’e s t q u ’au m ilie u d es p é ta ra d e s g u e rriè re s q u e l ’o n p e u t p a rv e n ir p r o m p te m e n t au b u t q u e je v o u d ra is a tte in d re . En a tte n d a n t, m e v oici de r e to u r à V ien n e , jo u is s a n t d é lic ie u se m e n t d u b o n h e u r d ’être p rè s de m o n frè re , e t m e liv ra n t a u p la is ir avec la m ê m e a r d e u r q u e j ’en m e ts à re m p lir m e s d ev o irs. « Je p o u r ra is à c e t ég a rd faire a u s si u n jo u r n a l q u i s e r v ira it à l ’é d u c a tio n de la je u n e s s e , n ’é ta it la c ra in te do p o r te r tro p de sc a n d a le à la sé v é rité de vos m œ u rs. « J ’ai é té vo ir h ie r le p rin c e E u g èn e , q u e je n ’avais e n tre v u q u ’u n m o m e n t, l ’a v a n t-v eille de n o tre e n tré e d a n s l ’île de L o b au. Sa r é c e p tio n a été d ’a u ta n t p lu s g rac ieu se q u ’il a d aig n é se ra p p e le r n o tre lia iso n d ’e n fa n ce e t j ’y ai ré p o n d u a in si q u e l ’ex ig en t a u jo u rd ’h u i n o s p o sitio n s re sp e c tiv e s, ce q u ’avec so n ta c t a d m ira b le il a u ra b ie n c e r ta in e m e n t a p p ré c ié si j ’en d o is ju g e r p a r l ’affectatio n q u ’il m e tta it à m e tr a ite r f a m iliè re m e n t; il m ’a tém o ig n é s u r to u t la sa tisfa c tio n q u ’il av a it é p ro u v é e en v o y a n t m o n SÉJOUR A VIENNE. - 1809. 283 n o m cité à l’o rd re de l ’a rm é e e t la ré c o m p e n se d o n t j ’avais été h o n o ré . Sa so llic itu d e s u r l’é ta t de m o n frè re é ta it v ra im e n t to u c h a n te : au ssi l ’ai-je q u itté p é n é tré de re c o n n a is sa n c e , m e p ro m e tta n t d ’u s e r q u e lq u e fo is de l’e m p re s s e m e n t q u ’il a m is à m ’e n g a g e r à v e n ir d é je u n e r chez lu i le m a tin . J e vois b e a u c o u p B o n d y e t C anisy, l ’u n c h a m b e lla n e t l ’a u tre é c u y e r de l ’E m p e re u r. Le p rin c e de N eu c h âte l chez qui je m e su is p ré s e n té m ’a fa it le m e ille u r a c cu e il ; ce p e n d a n t, u n p e tit d é b o ire e s t v e n u tro u b le r ta n t de sa tisfa c tio n . « P ré s e n té p a r le g é n é ra l P iré co m m e c h e f d ’e sc a d ro n au 16° de C h a sse u rs, l ’E m p e re u r a r é p o n d u q u e j ’avais été assez b rilla m m e n t ré c o m p e n sé p o u r a tte n d r e u n e a u tre o ccasio n . Ce p e tit éc h ec à m o n a m b itio n m ’a affecté u n m o m e n t, m ais j ’e s p è re le r é p a re r av an t p e u , si D ieu m e p r ê te vie. « V ien n e e s t en ce m o m e n t u n s é jo u r de p la is ir s e t de fête s. La v ic to ire se m b le n o u s av o ir fait o u v rir to u te s les p o rte s d e s p alais, e t si les b e a u té s q u ’ils r e n fe rm e n t n ’o n t p a s u n e s y m p a th ie tr è s r o b u s te p o u r le s c o n q u é ra n ts , l ’illu s io n e s t te lle m e n t co m p lète q u e n o u s p o u v o n s n o u s en c o n te n te r. « J ’ai a s sis té , il y a tro is jo u r s , à u n e m a g n ifiq u e so iré e chez la p rin c e sse P o to c k a ; c e tte b elle P o lo n aise, p a s sio n n é e p o u r les F ra n ç a is, a v a it ré u n i chez elle p lu s de 300 p e r so n n e s ; l ’élég ance d es to ile tte s , la g ra c ie u se té d es fem m es, la so m p tu o sité d u local, le luxe des d é c o rs e t u n e m u siq u e e n tra în a n te d o n n a ie n t u n e an im a tio n difficile à d é c rire à ce tte fête q ui ne s ’e s t te rm in é e q u ’à c in q h e u re s d u m a lin . P lu s ie u rs a u tre s so iré e s s o n t a n n o n c é e s, d a n s le s q u e lle s , ain si q u e v o u s devez le p e n s e r, je dois p re n d re m a b o n n e p a rt. J e v o u s jo in s ici u n é ta t ex a ct e t te x tu e l d es p e rte s faites p a r les A u trich ien s, le s 5 e t 6 ju ille t, que m ’a SOUVENIRS 284 MILITAIRES. d o n n é le co lonel L e je u n e , aide de cam p d u p rin c e de N e u c h â te l : TU ÉS. G énéraux . . 4 O fficiers. . . 120 S o l d a is . . ' . 5 5 0 7 . BLESSÉS. G én éraux. . 12 O fficiers . . 616 S old ats. . . 17490 P R IS O N N IE R S . O fficiers . . S o ld a ts. . . 511 7474 PE R T E TOTALE. G énéraux O fficiers Sold ats . 17 \ 243 30 471 C h evau x. . . . 5600 « S u r ce, m o n p è re , je v o u s e m b ra s s e d u p lu s p ro fo n d de m o n cœ u r. » Mon s é jo u r à V ien n e n e fu t p as a u ssi lo n g q u e j e l ’e s p é r a is , le co lo n el m ’a y a n t é c rit de p a s s e r l ’in sp e c tio n de 200 h u s s a rd s e t 300 ch evaux, q u i a rriv a ie n t d u g ran d d é p ô t de N am u r, e t m ’o rd o n n a n t de les c o n d u ire à A uspitz p o u r en faire la ré p a rtitio n d an s le s c o m p ag n ie s. Ce re n fo rt, si im p a tie m m e n t a tte n d u , p o r ta l ’effectif du ré g im e n t à 860 h u s sa rd s , n o n c o m p ris les b le s s é s q u i re n tr a ie n t jo u rn e lle m e n t. C ette ép o q u e f u t a u s s i c e lle de la fête de l’E m p e re u r, q u e l ’a rm é e c é lé b ra it to u jo u r s avec a u ta n t de m agnifificence q u e d ’e n tra în e m e n t, et, à c e t effet, le g é n é ra l M ont b ru n , d o n t le q u a r tie r g én é ral é ta it à A u ste rlitz , p re sc riv it à to u s le s chefs de c o rp s de s ’y r e n d re , a c co m p ag n é s d ’u n officier de c h a q u e g rad e , q u a tre sous-o fficiers e t h u it so l d ats, to u s d é c o ré s, d ésig n és p o u r fa ire p a rtie de la re p ré se n ta tio n d u 5° H u ssa rd s. Ce n e fut, p e n d a n t d e u x jo u r s , q u e b o m b a n ce et fête s, tir à la cib le, m â t de cocagne, c o u rse s à pied e t à ch e v al, pugilaj* enfin to u s le s a m u s e m e n ts a n a lo g u e s au x c irc o n sla c e n s et à la lo c alité. Les officiers fu re n t in v ité s à u n b a n q u e t v ra im e n t sp le n DINER A AUSTERLÏÏZ. — 1809. 285 d id e, p ré s id é p a r le g é n é ra l de div isio n et d o n t la c o m te sse d e M o n tb ru n , v en u e de P a ris d e p u is q u e lq u e s jo u r s , fit les h o n n e u rs , avec a u ta n t de g râc e q u e d ’a m a b ilité . Mais u n des o rn e m e n ts les p lu s re m a rq u a b le s de c e tte fête fu t la p ré se n c e d u p è re d u g é n é ra l, q u i av a it a b a n d o n n é m o m e n ta n é m e n t la c u ltu re de ses c h a m p s p o u r v e n ir jo u ir de la g lo ire e t d e s h o n n e u rs d o n t so n fils é ta it si ju s te m e n t e n to u ré . La belle figure de ce v é n é ra b le v ie illa rd a v a it u n e e x p re ssio n de b o n h e u r qui a ttira it to u s les re g a rd s et in s p ira it u n tel re s p e c t q u ’il n ’é ta it pas u n de n o u s , m a l g ré n o s m a n iè re s é to u rd ie s e t é v a p o rées, q u i n ’e û t a m b i tio n n é le b o n h e u r de re c e v o ir sa b é n é d ic tio n . Mais, au m o m e n t o ù le s n o m b re u x convives se le v è re n t p o u r lui p o r te r u n to a s t e t lu i e x p rim e r le b o n h e u r q u e n o u s ép ro u v io n s de le v o ir au m ilie u de n o u s, l’érn o tio n de ce dig n e e t re sp e c ta b le p è re fu t si vive q u ’il re to m b a s u r sa ch a ise , le s y e u x re m p lis de la rm e s ; a lo rs, so n fils, p o u r faire c e s s e r c e lte sc è n e a tte n d ris s a n te , p o rta la s a n té de l’E m p e re u r, q u i fu t ac co m p ag n é e de la d é c h a rg e de to u te s les p iè ce s d ’a r tille rie de la d iv isio n e t su iv ie d ’u n m a g n i fique feu d ’artifice. Le s u rle n d e m a in de ce tte b elle jo u rn é e , je re ç u s l ’o rd re d u g é n é ra l de p a rc o u rir la lig n e de n os a v a n t-p o ste s, e t de m e r e n d re p rè s d u g é n é ra l a u tric h ie n H ard ey , afin de lui d e m a n d e r c o m p te des d é m o n s tra tio n s h o stile s de ses tro u p e s . J ’e n fu s re ç u avec to u te s so rte s de p ré v e n a n c e s; il d o n n a p lu s ie u rs p ré te x te s au x m o u v e m e n ts* q u ’il av ait o rd o n n é s , m a is, en défin itiv e, ac q u ie sç a à to u te s les o b se rv a tio n s q u e j'é ta is ch a rg é de lu i fa ire , c o n fo rm é m e n t au x c o n v e n tio n s de l ’a rm istic e . J ’ac c e p ta i so n so u p e r q u ’il m e fit p a rta g e r avec sa c h a r m a n te é p o u se , et je le q u itta i à m in u it, m a lg ré to u te s ses in sta n c e s p o u r m e g a rd e r j u s q u ’au jo u r. 286 SOUVENIRS MILITAIRES. U ne esc o rte d e 'd ix h u s s a rd s h o n g ro is m e fu t d o n n ée j u s q u ’aux a v a n t-p o ste s fra n ça is, d ’où je m e d irig e ai s u r le q u a r tie r d u g é n é ra l M o n tb ru n p o u r lu i r e n d re c o m p te de m a m issio n . P e u d e jo u r s a p rè s, le s c o n fé re n c e s d ip lo m a tiq u e s se m b lè re n t fa ire p ré ju g e r la p ro c h a in e ru p tu re de l ’a rm istic e : les tro u p e s se c o n c e n trè re n t e t to u t p o rta it à c ro ire q u ’u n e n o u v e lle lu tte a lla it s ’en g a g er, lo rs q u e la d iv isio n r e ç u t l’o rd re de se p o rte r p rè s de la ville de G œ tting p o u r y p a s se r la re v u e de l’E m p e re u r. L ’a rriv é e de N apoléon a u m ilie u de n o u s p ro d u is it u n e n th o u s ia s m e difficile à d é c rire , s u r to u t lo r s q u ’il re n o u v ela sa sa tisfa c tio n s u r la b rilla n te c o n d u ite de la division d a n s le s jo u r n é e s des 5 e t 6 ju ille t.'Il p a ssa d an s n o s ra n g s, a c c o rd a n t n o m b re de ré c o m p e n se s. E n a rriv a n t au ré g i m e n t, il a p e rç u t u n m a ré ch a l d e s lo g is de la co m p ag n ie d ’é lite d é c o ré , à la m o u sta c h e g rise et d o n t le b ra s é ta it o rn é d e p lu s ie u rs c h e v ro n s : « Il y a lo n g te m p s q u e tu s e rs ? lu i d it l ’E m p e re u r. — Je su is de la p re m iè re ré q u is itio n et j ’ai fait to u te s les c a m p a g n es avec v o u s, m o n e m p e re u r. » L ’E m p e re u r le r e g a rd a avec a tte n tio n p e n d a n t q u e lq u e s in s ta n ts : « T u as é té d éc o ré a u c o m b a t de S ch le itz ? — Mon e m p e re u r, in te r ro m p it le m a ré c h a l des lo g is, s u f fo q u é d e jo ie , jpour l'affaire de la re d o u te , vous savez b ie n ? M ô m e m e n tq u e le p rin c e M urât v o u la it e n tre r-a v a n t m oi et q u e je lu i en ai sau v é d ’u n e b elle. » L ’E m p e re u r so u rit : « Oui, c’e st v rai, m ais tu sais b ie n a u ssi p o u rq u o i tu n ’es p as officier? » Le p a u v re m a ré ch a l d es lo g is b a issa la tête. « V o y o n s, a jo u ta l ’E m p e re u r avec b o n té , m e p ro m o ts -tu de re n o n c e r à la b o u te ille ? — Foi de h u ssa rd , m on e m p e re u r, je n e v o u s ferai p lu s de p e in e , c’e s t fini à p a rtir d ’a u jo u r d ’h u i, dit-il en se fra p p a n t la p o itrin e . — A llons, je te cro is s u r p a ro le e t je te fais s o u s -lie u te n a n t. » D eux g ro sse s REVUE DE L ’E M P E R E U R . — 18 09 . 287 la rm e s to m b a n t s u r ce tte v ieille m o u s ta c h e fu re n t la ré p o n s e de ce brav e m ilita ire . P lu s ie u rs a u tre s n o m in a tio n s e u r e n t lie u et la d e rn iè re fu t celle d u c h e f d ’e s c a d ro n M enziau, d u 11° C h a sse u rs, n o m m é co lo n el au 5° H u ssa rd s, en re m p la c e m e n t de n o tre b rav e e t d ig n e c h e f fait g é n é ra l. L ’E m p e re u r en q u itta n t le ré g im e n t fit u n sig n e de la m a in en d is a n t : « A dieu, m e s p e lisse s b la n c h e s, à b ie n tô t ! » A lors, d e fré n é tiq u e s a c c la m a tio n s et d es cris de : Vive l ’E m p e re u r ! l ’a c c o m p a g n è re n t lo n g te m p s. L a ré c o m p e n s e ju s te m e n t m é rité e q u e v e n a it d ’o b te n ir le c o lo n el D ery p ro d u is it u n e d o u lo u re u se im p re ssio n d an s le ré g im e n t d o n t il é ta it aim é e t chéri. En m o n p a rtic u lie r, j e re g re tta is en lu i n o n se u le m e n t u n b o n chef, m a is u n am i v é rita b le q u i n ’av a it ja m a is cessé de m e d o n n e r d es p re u v e s d ’u n e affection sin c è re . Le so ir, il m e m o n tra u n e le ttr e d u ro i de N aples q u i le n o m m a it son p re m ie r aide de c a m p e t c o m m a n d a n t g é n é ra l de la c a v alerie lé g è re de sa g ard e . Sa M ajesté lu i m a n d a it a u ssi q u e, si la p aix se faisait, il a c c u e ille ra it avec p la isir le s officiers de cavalerie qui v o u d ra ie n t p a s s e r à so n service, q u ’il en avait l’a u to ri sa tio n d e l ’E m p e re u r e t q u ’u n g rad e s u p é rie u r le u r se ra it a c co rd é d a n s sa g ard e . Le g é n é ra l D ery m e p ro p o sa d ’e n tr e r c h e f d ’e s c a d ro n d an s les h u s s a rd s de la G arde avec la p ro m e ss e d ’un a v a n c e m e n t ra p id e , ce d o n t je n e pou v ais d o u te r; m ais, b ie n que c e tte offre fû t assez sé d u isa n te et q u ’e lle offrît à m o n a m o u r-p ro p re la sa tisfa c tio n de rev e n ir avec des h o n n e u rs e t d e s d istin c tio n s d an s c e tte m êm e ville où n ag u è re on m ’av a it c o n n u p a u v re exilé, je ne p u s m e d é te rm in e r à q u itte r le service de F ra n ce . J e re m e rc ia i d o n c m o n b rav e co lo n el de c e tte n o u v elle m a rq u e de b ie n v e illa n c e et, p e u de jo u r s a p rè s, j ’e u s le c h a g rin de m e S ép are r de lu i en le v o y a n t p a r tir p o u r N aples. 288 SOUVENIRS MILITAIRES. Q u atre jo u r s a p rè s la re v u e de l’Iim p e re u r, n o u s a p p rîm e s avec effroi e t in d ig n a tio n q u ’o n av ait te n té de l ’a s s a s s in e r a u m o m e n t où il a lla it p a s s e r la re v u e de la G arde : to u s les d é ta ils o n t é té tro p s o u v e n t re p ro d u its p o u r q u e je les ra p p e lle . P e u a p rè s c e t é v é n e m e n t, l ’A u tric h e a y a n t ac ce p té les c o n d itio n s q u i lu i é ta ie n t im p o sées, N apoléon q u itta S c h œ n b ru n n p o u r re to u r n e r à P a r is . Le 16 n o v e m b re de n o m b re u s e s sa lv es d ’a r tille r ie a n n o n c è re n t q u e la p aix é ta it d éfin itiv em en t sig n ée, e t l’a rm é e fu t p ré v e n u e q u e l ’é v a c u a tio n de l ’A u tric h e a lla it s ’en s u iv re . L a c a v a le rie lé g è re d u m a ré c h a l D avout é ta n t c h a rg é e d e fe r m e r la m a rc h e de l’a rm é e , n o u s q u ittâ m e s n o s c a n to n n e m e n ts de la M oravie p o u r n o u s ra p p ro c h e r d e la ca p ita le e t en p ro té g e r la tr a n q u ille évacu atio n . U ne fièvre assez v io le n te m e p r it en a rriv a n t au v illage de P itz la c h où. n o u s dev io n s r e s te r q u e lq u e s jo u r s ; elle fu t p ro vo q u ée p a r u n ab c è s su rv e n u à la cu isse d ro ite , o ù j ’avais nég ligé la b le ssu re re ç u e à W a g ra m . D epuis q u e lq u e te m p s je r e s s e n ta is p a rfo is d es d o u le u rs a ig u ë s q u e j ’a t tr i b u a is à la fatigue, m ais, v ain cu p a r le m al, le c h iru rg ie n m a jo r d u ré g im e n t, c ra ig n a n t u n é p a n c h e m e n t, av ait c ru n é c e s s a ire d e fa ire u n e p ro fo n d e in c isio n p o u r a r r ê te r le m al. J ’é ta is d an s ce tte tr is te p o sitio n lo rsq u e le g én é ral M ontb ru n , tra v e rs a n t n o tr e village e t a p p re n a n t m o n in fo rtu n e , e u t la b o n té de v e n ir m e voir e t m ’a u to ris a à a lle r à V ienne p o u r y r e s te r j u s q u ’à so n év a c u a tio n , e s p é ra n t que j ’a u ra is le te m p s de m e g u é rir. Je m ’y re n d is a u s sitô t, b ie n c e rta in d ’y re c e v o ir avec e m p re s s e m e n t des so in s de c e tte e x c ellen te b a ro n n e de Z o ès; m a is, m a lh e u re u s e m e n t, elle a v a it q u itté la ville d ep u is q u e lq u e s jo u r s , e t il y av a it un tel e n c o m b re m e n t q u e je p a rv in s, n o n sa n s peine, à o b te n ir un gîte d a n s u n fau b o u rg chez le co m te de H ardegg, p è re MALADIE A VIENNE. - 180 9. 289 d u g én é ral chez le q u e l j ’avais été envoyé en m issio n au x a v a n t-p o ste s. C ette h e u re u s e c irc o n sta n c e ne c o n trib u a p as p eu au b o n accueil q u e je re ç u s de Mmode M intzastres, je u n e e t jo lie fem m e d o n t les fo n c tio n s m e fu re n t b ie n tô t c o n n u e s ; elle p a ra issa it av o ir u n p o u v o ir a b s o lu , au ssi bien s u r le cœ u r d u v ie u x c o m te q u e s u r to u te la m ai so n , et il n ’y e u t so rte d ’a tte n tio n d o n t je n e fu sse l’o b je t p e n d a n t les d o u ze jo u r s q u e je p a ssa i so u s ce to it h o s p ita lie r. tu XIII APRÈS LA C A M P A G N E . CANTONNEMENTS EN ALLEMAGNE L o rs q u e la d ivision d u g é n é ra l M o n tb ru n a rriv a p o u r te rm in e r l ’e n tiè re év a cu a tio n de V ien n e, m a plaie é ta it à p e u p r è s fe rm é e et la lièvre m ’av ait q u itté , m a is il s ’en é ta it suiv i u n e e x trê m e fa ib le sse q u i ne m e p e r m e tta it p as de m o n te r à ch ev al. F o rt h e u r e u s e m e n t, to u jo u r s p o s s e s s e u r de la p e tite c a lèch e ac h e té e à m e s h u s s a rd s , j ’o b tin s la p e r m is s io n d e v o y ag e r d ed a n s avec d es ch e v au x de ré q u is i tio n e t, p a r c o n s é q u e n t, j ’ai év ité le d é s a g ré m e n t de la c h a r re tte q u i e û t été m a se u le re sso u rc e . La d iv is io n se m it en m a rc h e p a r u n te m p s fro id et m a u v a is , p o u r a lle r p r e n d r e gîte d a n s le s en v iro n s de S a in t-P o lte n o ù n o u s n ’o b tîn m e s d ’a u tre s re s s o u rc e s que c e lle s q u e n o u s p û m e s n o u s p ro c u r e r d a n s le s m o n ta g n es, n o n s e u le m e n t à p rix d ’a rg e n t, m a is en e m p lo y a n t la v io le n ce . Le le n d e m a in , n o u s p rîm e s d es c a n to n n e m e n ts à dix lie u es de la ca p ita le , afin de p ro té g e r la m a rc h e d e s tro u p e s, les é q u ip a g e s e t le s re ta rd a ta ire s . Un d es a rtic le s d u tr a ité de p aix s tip u la n t q u e l ’e n tiè re év acu atio n de l ’A u trich e devait ê tre te rm in é e le 1er ja n v ie r 1810, il en ré s u lta que n o u s RENTRÉE EN BAVIÈRE. — 1 809. 291 re s tâ m e s v in g t-q u a tre jo u r s d an s n o s q u a r tie r s , ce q u i m e d o n n a le te m p s de m e ré ta b lir c o m p lè te m e n t et de r e p r e n d r e le c o m m a n d e m e n t de m o n esca d ro n . N ous n o u s re m îm e s en m a rc h e le 6 d é c em b re avec l ’a s s u ra n c e q u ’il ne r e s ta it d e rriè re n o u s rie n de ce q u i a p p a rte n a it à l ’a rm é e fra n ça ise. N os é ta p e s fu re n t P y rh a , K ull, B u rg sta l, A u sp ach e t S tey e r. P e u d ’in s ta n ts av a n t d ’a rriv e r au b o u rg de W e g e s te lte n , lie u d e s tin é p o u r le q u a rtie r de m o n e sc a d ro n , n e sa c h a n t à q u o i a ttr ib u e r le b r u it d es clo ch es, q u e lq u e s c o u p s de fu sil tiré s çà e t là, d es h o m m e s p o s té s s u r d es h a u te u r s e t d es c ris d o n tje ne p o u v ais a p p ré c ie r le s m o tifs, je form ai a u s s itô t m a tro u p e e n c o lo n n e s p a r p e lo to n s e t envoyai q u e lq u e s tira ille u rs en a v a n t q u i, a u s s itô t a p e rç u s p a r les h a b ita n ts , r e ç u re n t u n e d é c h arg e d ’u n e q u in z ain e de co u p s de fusil. Ne d o u ta n t p lu s q u ’il fa llû t c o n q u é r ir n o tr e g îte avec le tr a n c h a n t de n o s sa b re s , et p la c é d a n s les c o n d itio n s d ’u n e lé g itim e d é fe n se , je faisais m e s d isp o s itio n s p o u r e n tr e r d a n s c e t e n d ro it à l ’a p p u i de n o s f o rc e s ; m a is, e n a rriv a n t p rès d ’u n e v a ste p lace, q u e lle n e fu t n o tre su p rise en v o yant p r è s d e 200 fe m m e s de to u t âge, d an s le u r c o s tu m e de féte, ra n g é e s en ligne e t a c c u e illa n t avec d es c ris de jo ie l ’ap p ro c h e d u p re m ie r p e lo to n , ta n d is q u e d eu x g ro u p e s c o n sid é ra b le s d ’h o m m e s e n d im a n c h é s n o u s s a lu a ie n t p a r d es d é c h a rg e s c o n tin u e lle s e t d es h o u rra s en l ’h o n n e u r des p e lisse s b la n ch e s. B ien tô t n o u s fu t e x p liq u é e c e tte o v atio n in a tte n d u e q u i m ’av ait in d u it en e r r e u r : ces b rav e s g en s, p ré v e n u s la v eille q u ’u n e sc a d ro n de h u s s a rd s fra n ça is d ev a it p a s s e r q u a ra n te -h u it h e u re s d a n s le u r e n d ro it, e u r e n t l’id é e de tr a n s f o r m e r en faço n de p e tite g u e rre le s ré jo u issa n c e s du m a ria g e d ’u n d e s p lu s ric h e s h a b ita n ts d u p ay s, q u i, j u s te m e n t, av ait lie u le jo u r de n o tre a rriv é e . Il e s t facile de 2 9 2 SOUVENIRS MILITAIRES. co n c ev o ir la sa tisfa c tio n d es h u s s a rd s e t c o m b ie n fu t a g ré a b le n o tre s é jo u r au m ilie u d ’u n e p o p u la tio n a u s s i b ie n v e illa n te . Ce n e fu t q u e g alas, d a n s e s e t p la is irs où b ie n c e rta in e m e n t la n o ce du ric h e c u ltiv a te u r n e fu t p as la se u le c o n s o m m é e . Mais, ce q u i a jo u ta au b o n h e u r de c e t é v é n e m e n t, c ’e s t q u e, d a n s la n u it qui d ev a it p ré c é d e r n o tre d é p a rt, a rriv a a u co lo n el l ’o rd re de g a rd e r le s ca n to n n e m e n ts de so n ré g im e n t j u s q u ’au 31 d é c e m b re . Le 1erja n v ie r 1810, In d iv isio n d e .c a v a le rie lé g è re se d irig e a s u r le p a y s de S alz b o u rg , p ro v in c e b a v a ro ise ; n o u s fû m e s d ’a b o rd à S w e n sta d t, fro n tiè re d u T yrol, e t à M ondsée, c h a r m a n te p e tite ville p r è s d ’un lac s u p e rb e , o ù le ré g im e n t d u t s ’é ta b lir j u s q u ’à l ’é c o u le m e n t d u c o rp s d ’a rm é e d u m a ré chal D avout. Ce fu t de c e t e n d ro it q u e le g é n é ra l M o n tb ru n m ’a p p e la p rè s de lu i, à so n q u a r tie r g é n é ra l de W oklab ru c k , p o u r m e c h a rg e r de la ré d a c tio n d u ra p p o rt des o p é ra tio n s de sa d iv isio n p e n d a n t la d e rn iè re ca m p a g n e. Ce trav a il lo n g , m in u tie u x , s u r to u t fo rt m in u tie u x , q u i d e v a it ê tre a d re ssé au m in is tè re de la G u erre , m ’o cc u p a p lu s de d e u x m o is, rie n q u e p o u r p ré p a re r e t c la sse r le s m a té ria u x q u e les d iffé ren ts c o rp s de la d iv isio n d ev a ie n t faire p a rv e n ir. C elte fa tig a n te o cc u p a tio n f u t a d o u c ie p a r to u te s les b o n té s d u g é n é ra l e t le s re c h e rc h e s q u ’il m e tta it à m ’ê tre ag ré ab le . 11 m e d it u n jo u r q u ’il a v a it re ç u l’avis p o s itif q u e le 5e H u ssa rd s p r e n d r a it se s q u a rtie rs d ’hiver s u r les b o rd s du R h in p o u r a lle r e n s u ite te n ir g a rn iso n en F ra n c e . C ette p e rsp e c tiv e , si p e u an a lo g u e à m e s g o û ts, m e fit ré c la m e r de lu i sa p ro te c tio n , a u p rè s d u m in is tre de la G u erre , p o u r ê tre en v o y é en E spagne, se u l p ay s où n o u s fissio n s la g u e rre . 11 m e p ro m it d ’a p p u y e r m a d e m an d e , a jo u ta n t q u e lu i-m ê m e c o m p ta it ré c la m e r c e tte fa v e u r. En effet, tr o is se m a in e s a p rè s, le m in is tre lu i ré p o n d it q u e n o m b re d e d e m a n d e s se m b la b le s à la m ie n n e lu i av a ie n t QUARTIERS D’H I V E R . — 1810. 293 é té fa ite s p a r des officiers de to u s g ra d e s, m a is q u ’il a u ra it ég a rd à celle q u i m e c o n c e rn a it, e t q u e , p o u r p re u v e de son b o n v o u lo ir il m ’a u to ris e ra it à v e n ir à P a ris lo rs q u e je lu i en fe ra is la d e m a n d e , afin d ’y a tte n d re la ré a lisa tio n de m e s d é sirs. C e p en d a n t, tr è s re c o n n a is s a n t de la fav e u r q u e le g é n é ra l v e n a it d ’o b te n ir p o u r m o i, je p ris avec lu i l ’e n g a g e m e n t de ne p ro fite r de la b ie n v e illa n c e du m in is tre q u ’a p rè s l ’e n tiè re co n fe ctio n de trav ail d o n t j ’é ta is ch a rg é. A m o n père. » W oklabruck, 18 mars 1810. « V oici d o n c u n e p aix qui s e m b le ra it so lid e m e n t c im e n té e avec l ’A u tric h e p a r le m a ria g e d e l ’a rc h id u c h e sse M arie-L ouise, v e n a n t p a rta g e r la c o u c h e im p é ria le de N a p o lé o n ; c e t é v é n e m e n t n ’e s t p as le m o in s e x tra o rd in a ire de la vie de c e t h o m m e é to n n a n t, d o n t l ’allia n ce e s t re g a r dée a u jo u rd ’h u i p a r la m a iso n de L o rra in e co m m e u n v é rita b le b ie n fa it. « J ’ai vu de m e s y e u x ce fait in c ro y a b le , d o n t je p u is d ’a u ta n t m ie u x vous r e tr a c e r to u s le s d é ta ils q u e m o n r é g im e n t s’y tro u v a it a p p e lé p a r so n se rv ic e e t, g râce à l ’o b li g ea n c e d u g é n é ra l M on tb ru n p rè s d u q u e l je su is c o n s ta m m e n t re s té , rie n n e m ’e s t éc h ap p é . « La p e tite v ille de B ra u n a u , fro n tiè re d e l ’A u tric h e et de la B avière, situ é e s u r l ’In n , p rè s de la q u e lle le 5° H u s s a rd s é ta it e n q u a r tie r , fu t c h o isie p o u r la c o u rte ré sid e n c e q u e d ev a it y faire l’Im p é ra tric e , a u s s itô t a p rè s la c é ré m o n ie de sa re m ise : m a is, co m m e il n ’y av ait a u c u n e m a iso n co n v e n a b le p o u r é ta b lir le p alais, on fu t ob lig é d ’en lo u e r p lu s ie u rs a tte n a n t l ’u n e à l ’a u tre , d o n t o n p e rç a les m u ra ille s p o u r y c o n s tru ire d es p o rte s , d ’étage en étag e, a g ra n d ir a in si le s a p p a rte m e n ts e t fa c ilite r le s c o m m u n i 294 SOUVENIRS M ILITAIRES. c a tio n s ; to u t ce tra v a il f u t fait en p e u de jo u r s ; le p alais im p ro v isé et m e u b lé avec u n luxe e x tra o rd in a ir e ; la c o r b e ille e t le s p r é s e n ts de n o c e d o n t la m a g n ificen ce é ta it a d m ira b le f u re n t é ta lé s e t d isp o s é s d a n s u n des p re m ie rs sa lo n s de l ’Im p é ra tric e . « T o u t ce q u e le lu x e le m ie u x e n te n d u , le b o n g o û t e t la ric h e s s e p e u v e n t offrir d ’é lé g a n t e t de re c h e rc h é fu t d ép lo y é avec ordre.. T o u s le s v ê te m e n ts , le linge, e tc ., e tc ., a v a ie n t été fa its à P a ris d ’a p rè s le s p ro p re s m o d è le s à l’u sa g e h a b itu e l de Sa M a jesté; m a is, au m ilie u de ta n t de b e lle s c h o se s, ce q u i n o u s fra p p a le p lu s, ce fu t la p e tite s s e d u p ie d , à en ju g e r p a r le s so u lie rs qui a v a ie n t é té faits d ’a p rè s d es c h a u s s u r e s en v o y é es dé V ien n e. « A u n e p e tite lie u e de la v ille, s u r l’e x trê m e lim ite d es d e u x fro n tiè re s , d é c la ré e n e u tr e p o u r la c irc o n sta n c e , il av a it é té c o n s tru it u n e b a ra q u e en b o is, d iv isée e n tro is sa lo n s : u n d u cô té de la F ra n c e , u n a u tre d u cô té de l’A u tr ic h e , e t celu i d u m ilie u p lu s g ran d q u e les d eu x a u tre s. Ce d e r n ie r sa lo n d ev ait s e rv ir p o u r la c é ré m o n ie de r e m ise . « Du cô té de l ’A u tric h e , il av ait été élevé u n dais m a g n i fiq u e so u s le q u e l é ta it u n fa u te u il de d ra p d ’o r. v Ce trô n e fa isa it face à la p o rte d ’e n tré e de F ra n ce . D eux p o r te s la té r a le s é ta ie n t d isp o s é e s de ce m ê m e côté. S u r la d ro ite d u trô n e , étail u n e ta b le ro n d e re c o u v e rte d ’u n ta p is d ’u n e g ra n d e ric h e s s e , s u r la q u e lle d e v a ie n t se faire le s s ig n a tu re s d es p ro c è s-v e rb a u x de r e m is e . U ne vaste e n c e in te é ta it d e s tin é e , de c h a q u e côté d e l à b a ra q u e , p o u r le p la c e m e n t d es v o ilu re s d e s d eu x c o r tè g e s ; de b elles a v e n u es d ’a rb re s v e rts a v a ie n t é té p la n té e s et a b o u tis s a ie n t à la g ra n d e r o u te , ta n t d u côté de l ’A u tric h e q u e d u côté de la F ra n c e . « Le 16 m a rs au m a tin , le c o rtè g e a u tric h ie n a rriv a à Al- PASSAGE DE MARIE-LOUISE. - 1810. 295 th e im , p e tite ville à u n e lie u e de la b a ra q u e ; l ’Im p é ra tric e s ’y a r r ê ta p o u r q u itte r se s h a b its de voyage e t fa ire sa to ile tte . A m id i, elle e n tra d a n s le sa lo n a u tric h ie n suivie de so n c o rtè g e ; elle s ’y re p o s a u n in s ta n t e t v in t e n s u ite d a n s le g ra n d sa lo n , p ré c é d é e p a r le m a ître d es c é ré m o n ie s d ’A u tric h e , se p la ç a s u r so n trô n e , to u s les p e rso n n a g e s de sa c o u r à d ro ite e t à g a u c h e , se lo n le u r r a n g ; la d e rn iè re lig n e é ta n t fo rm é e p a r les p lu s b e a u x officiers de la g ard e n o b le h o n g ro ise , d o n t l ’u n ifo rm e e s t si ric h e e t si b e a u . « L ’Im p é ra tric e é ta n t d e b o u t s u r son trô n e , sa taille élev ée é ta it p a rfa ite , se s ch e v eu x é ta ie n t b lo n d s e t se s yeu x b le u s fo rt doux, son v isa g e re s p ir a it la fra îc h e u r, m a is sa p h y sio n o m ie é ta it p e u e x p re ssiv e e t fro id e. « E lle av a it u n e ro b e de b ro c a rt d ’o r, b ro c h é e de g ra n d e s fleu rs de c o u le u rs n a tu re lle s , qui p a r sa p e s a n te u r d ev ait la fa tig u e r b e a u c o u p . « Elle p o rta it, su sp e n d u à so n co u , le p o r tra it de N apo lé o n , e n ric h i de p lu s ie u rs m ag n ifiq u es s o lita ire s, q u e l’on d isa it v alo ir p lu s de 500 000 fra n cs. « La c é ré m o n ie de la re m is e se fit avec to u te s le s p r e s c rip tio n s q u ’en a v a ie n t re ç u e s le s c o m m issa ire s des d eu x n a tio n s et, a p rè s le s p ro c è s-v e rb a u x sig n é s, M arie-L ouise, ac co m p ag n é e d u p rin c e de N eu c h âte l, f u t in tro d u ite d a n s le sa lo n fra n ç a is o ù l ’a tte n d a it la re in e de N aples q u ’elle e m b ra s sa e t q u i lu i p ré s e n ta n o m in a tiv e m e n t le s d am es e t le s o fficiers de sa m a iso n ; to u te s le s fo rm a lité s re m p lie s, le p rin c e d e T ra u ttm a n s d o rff d e m a n d a à Sa M ajesté la p e rm is s io n d e lu i b a ise r la m ain en p re n a n t congé d ’elle. Le c o rtè g e a u tric h ie n v in t e n s u ite , se lo n le ra n g d es p e r so n n e s, b a ise r la m a in de la p rin c e s s e : to u s les se rv ite u rs m ê m e du ra n g le p lu s in f é r ie u r fu re n t a d m is à p o r te r à se s p ie d s l’h o m m a g e de le u r re s p e c t, de le u rs re g re ts e t de le u rs v œ u x p o u r son b o n h e u r. 296 SOUVENIRS MILITAIRES. « Les y e u x de la p rin c e s s e é ta ie n t m o u illé s de la rm e s e t elle p a ra iss a it fo rt affectée de c e tte sé p a ra tio n . A près u n m o m e n t de re p o s, l ’Im p é ra tric e m o n ta en v o itu re p o u r se r e n d r e à B ra u n a u ; la div isio n d ’in fa n te rie d u g é n é ra l F ria n t, celle de c a v alerie lé g è re d u g é n é ra l M o n tb ru n e t l ’a rtille rie , é ta ie n t en b a ta ille , p rè s de la ro u te . Sa M ajesté p a s sa au m ilie u d es lig n e s sa n s té m o ig n e r a u c u n s e n tim e n t de sa tis fac tio n , n i de b ie n v e illa n c e ; u n d é ta c h e m e n t d u b e a u 7°H uss a rd s re m p la ç a l’e s c o rte h o n g ro ise q u i l ’a c c o m p a g n a it, le g é n é ra l M o n tb ru n se p la ç a p rè s la p o rtiè re de d ro ite , u n é c u y e r de l ’E m p e re u r à celle de g a u c h e ; la p rin c e s s e fit a r r ê te r u n m o m e n t la v o itu re p o u r faire se s ad ieu x à ses c o m p a trio te s ; elle a g ita p lu s ie u r s fois son m o u c h o ir e t se r e tir a p ré c ip ita m m e n t d an s le fo n d de la v o itu re . « E n a r r iv a n t e n ville, le g é n é ra l P ajo l v in t a u -d e v a n t de l ’Im p é ra tric e , avec l ’é ta t-m a jo r de la div isio n , p o u r l'e s c o rte r ju s q u 'a u p alais ; en p a s s a n t s u r le fro n t d u 5e H u s sa rd s, f o rt de 1 000 ch e v au x , le s officiers to u t re s p le n d is sa n ts d 'o r avec la p e lisse b la n c h e p e n d a n te , le d o lm a n b le u d e ciel e t la c e in tu re c ra m o isie , l ’é te n d a rd se b a issa p o u r la s a lu e r e t tro is salves de to u te l’a rtille rie f u re n t fa ite s au m o m e n t o ù elle e n tra it d an s sa ré sid e n c e . « Le co lo n el d u ré g im e n t, à la tê te du p r e m ie r esca d ro n , v in t a u s s itô t p r e n d r e le se rv ic e au p a la is; p eu a p rè s , le p rin c e de N eu c h âte l p r é s e n ta to u s les officiers a p p a rte n a n t aux c o rp s p r é s e n ts à B rau n a u . Le so ir, il y e u t u n b a n q u e t p o u r les so u s-o fflciers e t so ld a ts d es deu x d iv isio n s et les officiers f u r e n t in v ités chez les g é n é ra u x . « L’Im p é ra tric e p a r c o u ru t en ca lè ch e les lieux o ù les ta b le s é ta ie n t é ta b lie s, e t u n e illu m in a tio n de la p lu s g ran d e b e a u té te rm in a c e tte jo u rn é e re m a rq u a b le . Le le n d em a in , l’I m p é r a tric e ve s c o rté e p a r d ifféren ts d é ta c h e m e n ts de m o n e s c a d ro n é c h e lo n n é à des d ista n c e s de 4 lie u e s , q u itta B rau- PASSAGE DE MARIE-LOUISE. — 1 81 0. 297 n a u p o u r a lle r à M unich o ù l ’a tte n d a it le ro i de B avière. . « Le co lo n el M enziau, m o i e t le lie u te n a n t V icto r O udin o t, fils du m a ré ch a l, n o u s a c c o m p a g n â m e s Sa M ajesté deux r e la is ; le co rtè g e se co m p o sa it de 83 v o itu re s o u fo u rg o n s, 454 ch e v au x de tr a it e t h u it de se lle q u i d e v a ie n t ê tre e m p lo y é s à c h a q u e re la is. « T el e st le d é ta il e x a c t de ce t é v é n e m e n t m é m o ra b le d o n t je su is c h a rm é d ’a v o ir été le té m o in p a r la place q u ’il d o it o c c u p e r u n jo u r d a n s l ’h is to ire , fo rm a n t le vœ u q u ’il n e d e v ie n n e p a s au ssi d é s a stre u x q u e l’allia n ce de c e tte in fo rtu n é e M a rie -A n to in ette, d o n t la p ré se n c e au ssi p ro m e tta it à la F ra n c e d es jo u r s de b o n h e u r et de p ro s p é r ité ... « Il p a ra ît q u e n o u s a llo n s b ie n tô t n o u s a c h e m in e r v ers le R hin p o u r aller e n su ite te n ir g a rn iso n en F ra n c e ; cette p e rsp e c tiv e , si c o n tra ire à m e s g o û ts, m ’a fait fa ire d e s d é m a rc h e s p o u r o b te n ir d ’a lle r en E sp ag n e, co m m e é ta n t le se u l lie u en ce m o m e n t o ù l’on p u is s e a ttr a p e r d es co u p s et de l’a v a n c e m e n t; si je ré u s s is d a n s m es d é s irs , ain si q u e j ’ai to u t lieu de l’e s p é re r, j ’a u ra i la d o u ce sa tisfac tio n de v o u s e m b ra s s e r av an t de p a s s e r les P y ré n é e s; ce tte idée r é jo u it m o n c œ u r e t j ’en dev an ce la p e n s é e co m m e u n e e s p é ra n c e de b o n h e u r. » Dix jo u r s a p rè s le p assag e de l ’Im p é ra tric e , la d ivision re ç u t l’o rd re de se d irig e r s u r A u g sb o u rg o ù le q u a rtie r g é n é ra l d evait s ’é ta b lir avec les tro u p e s en c a n to n n e m e n t d a n s les e n v iro n s, ta n d is q u e le 5° H u ssa rd s o c c u p e ra it l ’In v e rte l ju s q u ’à la p rise de p o sse ssio n de ce p a y s p a r la B avière à q u i le tr a ité l ’av a it co n céd é. Q uant à m o i, je d u s su iv re le g é n é ra l afin de c o n tin u e r m o n tra v a il. N ous v în m e s c o u c h e r à L a n d sh u t le 30, e t le le n d e m a in , à la p e tite ville de F re isin g , p eu d ista n te de M unich, ce q u i 298 SOUVENIRS MILITAIRES. en g a g ea le g é n é ra l à a lle r p r é s e n te r se s h o m m a g e s au roi d e B a v ière; il m ’e m m e n a avec lu i. N ous a rriv â m e s d ’assez b o n n e h e u re d a n s ce tte b elle ca p ita le q u i m ’é ta it d é jà si b ie n c o n n u e , et, le so ir m ê m e u n e a u d ie n c e d u roi fut a c c o rd é e p o u r le le n d e m a in m a tin , le g é n é ra l a y a n t eu l ’o b lig e an c e de so llic ite r p o u r m o i ce tte m ê m e faveur. I n tro d u its d an s son c a b in e t, n o u s le tro u v â m e s s e u l; sa ré c e p tio n fu t b ie n v e illa n te e t to u t à fa it fa m iliè re : a p rè s av o ir té m o ig n é au g é n é ra l M o n tb ru n to u te son a d m i ra tio n s u r sa b rilla n te c o n d u ite d a n s ce lte d e rn iè re c a m p a g n e , Sa M ajesté d aig n a m e p a rle r de m o n p ère et de l’a t ta c h e m e n t q u ’elle lu i c o n se rv a it, a tta c h e m e n t d o n t les p re u v e s n ’é ta ie n t p o in t é q u iv o q u e s, p u is q u e c’é ta it à ce s e n tim e n t q u e je devais l ’h o n n e u r d ’ê tre d é c o ré de son o rd re m ilita ire . E lle s ’in fo rm a avec le p lu s g ra n d in té r ê t de m o n frè re e t de se s b le s s u re s : « S ire, lu i d is-je , m o n c œ u r e s t a u s si re c o n n a is s a n t q u ’il y a n e u f an s, et le s o u v e n ir d es b o n té s d o n t V o tre M ajesté co m b la it m a m è re d a n s so n exil e t sa m is è re n e s ’effacera ja m a is de m o n c œ u r. » Le ro i m e d o n n a u n e p e tite ta p e s u r la jo u e avec u n s o u rire p a te rn e l e t se to u r n a n t v ers le g é n é ra l : « J ’e s p è re , lu i d it-il, q u e v o u s re s te r e z a u m o in s d e u x jo u r s et q u e m a ta b le se ra la v ô tre »; p u is m e fa isa n t u n signe qui p ro u v a it q u ’il m e c o m p re n a it d a n s c e tte in v itatio n , il a jo u ta : « C o m m e n ç o n s p a r d é je u n e r en p e tit co m ité », en se d irig a n t v ers u n e sa lle o ù le se rv ic e é ta it d r e s s é ; m a is q u e lle n e fu t p as la s u rp ris e d u g én é ral, en d é p lo y a n t sa s e rv ie tte , d ’y tro u v e r la p la q u e e t le g ra n d c o rd o n de l ’o rd re m ilita ire de B avière. Il é ta it im p o s sib le de v o ir p lu s de b o n té e t de sim p li c ité d an s le s m a n iè re s de c e t e x c e lle n t p rin c e , jo in te s à b ea u co u p de ro n d e u r e t de g aieté d a n s l ’e s p r it; il a im a it s u r to u t à ra p p e le r l ’ép o q u e o ù il é ta it en F ra n ce en q u a lité SÉJOUR A MUNICH. — 1 8 10. 299 de co lo n el (so u s le rè g n e de L ouis XVI), a lo rs p rin c e Max d es D eu x -P o nts, e t lo g e a n t to u jo u r s chez m o n p è re lo r s q u ’il v e n a it à P a ris . « Qui m ’e û t d it, lo rs q u e j ’e'tais co lo n el, q u e je d e v ie n d ra is u n jo u r so u v e ra in (m’e û t b ien s u rp ris , a jo u ta-t-il, il a fallu b ien des décès e t b ie n des é v é n e m e n ts im p ré v u s p o u r a rriv e r o ù je su is . « Il p ro fe ssa it p o u r l ’E m p e r e u r u n d é v o u e m e n t sa n s b o r n e ; il a ffec tio n n a it a u ssi p a r tic u liè r e m e n t le p rin c e E u g èn e , so n g e n d re , q u i re n d a it sa fille si h e u re u s e , e t c o n s e rv a it p o u r ses a n c ie n s am is d ’av a n t la R é v o lu tio n d es s e n tim e n ts q u i n e se so n t ja m a is d é m e n tis. E n so rta n t de ta b le , le ro i fit v en ir u n c h a m b e lla n (le co m te d e V ichy, ém ig ré français), lu i r e c o m m a n d a n t de n o u s faire v is ite r sa b elle ré sid e n c e : « S u rto u t, d it-il, n ’o u bliez p as la g alerie de ta b le a u x . » Là, j ’eu s lie u d ’é p ro u v e r u n s e n tim e n t d ’o rg u e il e t d ’a m o u r-p ro p re q u i m ’ex p liq u a la d élica te re c o m m a n d a tio n d u ro i. J e v is le p o r tra it en p ie d de m o n a rriè re -g ra n d -p è re . G asp ard d ’E sp in c h al, g é n é ra lis sim e d es a rm é e s b av aro ises, p o u r q u i le s c h ro n iq u e s d u te m p s o n t se rv i de te x te à diffé r e n ts ré c its p e u fla tte u rs, d a n s le sq u e ls le s h is to rie n s ne l’o n t pas to u jo u r s r e p ré s e n té so u s son v é rita b le jo u r , m a is a u jo u rd ’h u i on c o n n a ît la v é rité en lis a n t le s M ém oires de F lé c h ie r p a ru s en 1841 *. J ’en e x tra is le s p rin c ip a u x faits a p p u y é s de titre s irré c u s a b le s : G aspard m a rq u is d ’E sp in c h al, c o m te de M assiac, etc., e tc ., h o m m e de g ra n d e re n o m m é e , d ’u n e b rilla n te ré p u ta tio n m ilita ire e t d ’u n p h y siq u e tr è s re m a rq u a b le , a b u s a it parfo is de sa h a u te p o sitio n e t, c o m m e s e ig n e u r h a u tI. Le récit de Fléchier est justem ent en contradiction avec ce que rapporte ici l ’auteur, qui résume seulem ent les Lettres d’abolition données par Louis XIV (Cf. F l é c i i i e r , Mémoires sur les grands jo u rs tenus à C lerm ont, Paris, 1841, pages 269 et suiv. 419 et suiv.) Ed. 300 SOUVENIRS MILITAIRES. ju s tic ie r , fa isa it p e s e r s u r ses v assau x sa fu n e ste et sé v ère a u to r ité ; d ’u n e fo rc e p ro d ig ie u se , d ’u n co u rag e in d o m p ta b le , il jo ig n a it à. cela u n c a ra c tè re ira sc ib le q u e la fré q u e n ta tio n de la c o u r n ’av ait p u a d o u c ir. Mais ce qui m it le co m b le à sa c o n d u ite re p ro c h a b le ce fu t u n c o m b a t q u ’il liv ra d an s la- P lan èze, p rè s de S ain t-F lo u r, n o n lo in d u c h â te a u de C orin, et q u i p ro v o q u a c o n tre lu i u n e se n te n ce de m o rt. L es c o m b a tta n ts , au n o m b re de h u it, se r e n c o n trè re n t s u r le lie u d u ren d e z -v o u s ; G aspard av ait avec lu i so n c o u s in , le c o m te de M ontgon, e t d eu x h a b ita n ts de M assiac d ’u n e g ra n d e b ra v o u re , l ’u n n o m m é C h a rb o n n ie r, e t l ’a u tre C h a n d o ra t ; ses a n ta g o n is te s é ta ie n t le b a ro n de R o c h e fo rt S ain t-V id al, ac co m p ag n é de tro is frè re s d ’a r m e s. L a lu tte fu t te rr ib le e t sa n g la n te , c in q c o m b a tta n ts fu re n t tu é s. G asp ard d e m e u ra v a in q u e u r, m a is la v ic to ire lu i co û ta c h e r ; o u tre la c o n d a m n a tio n à m o rt q u ’il e n c o u ru t, ses b ie n s f u re n t co n fisq u é s, se s c h â te a u x de M assiac, V ern iè re s, T ag enac e t E sp in c h a l fu re n t d é m o lis; ce d e rn ie r q u i d o m in a it la ville fu t c o m p lè te m e n t ra sé , e t le s a u tre s offren t e n c o re des r u in e s d ’u n g ran d in té rê t. Le Roi fut in flex ib le d a n s sa co lère c o n tre G aspard, m a lg ré les p riè re s de sa fem m e H élèn e de L évis, de ses b e lle s co u sin e s les d u c h e s s e s d ’É ta m p e s e t de V alençay, e t de sa n o m b re u se fam ille. G aspard d ’E sp in c h al a y a n t c e p e n d a n t tro u v é m o y e n de se s o u s tra ire à ce ju g e m e n t en se ré fu g ia n t en B avière, y d ev in t g é n é ra lis sim e d es tro u p e s de l ’É le c te u r e t e u t le fu n e ste av an tag e de b a ttre le s F ra n ça is s u r les b o rd s d u L ech. P lu s ta rd , lo rsq u e la paix se fit, G aspard p a r l ’e n lre m is e d e so n c o u s in , le m a ré c h a l de V illa rs, fu t ch a rg é de n é g o c ie r le m a ria g e d u G rand D auphin avec la p rin c e s s e de SÉJOUR A MUNICH. — 1810. 301 B avière e n 1680; il e n o b tin t sa ré in té g ra tio n d an s ses b ie n s e t d a n s so n g rad e de lie u te n a n t g é n é ra l; il re ç u t en o u tre le p o rtra it de L ouis XIV, e n ric h i de d ia m a n ts, que la fam ille co n serv e c o m m e u n s o u v e n ir de la fa u te e t du p a rd o n de co u p a b le . Q uand l ’âge v in t a m o rtir le s p a s sio n s de G aspard, il c r u t n ’av o ir rie n de m ie u x à fa ire q u e d ’im ite r le d iab le q u i se fit e rm ite en d e v e n a n t v ieu x : il v é c u t d an s le r e p e n tir, e t la p é n ite n c e , la is s a n t en m o u r a n t u n n o u v el ex em p le d u p eu de cas q u ’o n d o it faire des v a n ité s e t d es g r a n d e u rs d e ce m o n d e , a tte n d a n t, d a n s u n e m o d e ste to m b e p lacée so u s la v o û te du c h œ u r de l ’ég lise S a in t-Je a n , fo ndée p a r lu i à M assiac, la v en u e d u ju g e m e n t d e rn ie r, e t la is s a n t p o u r h é r itie r u n fils, ép o u x d 'H é lè n e de M ontm orin, q u i s ’illu s tr a d a n s le s a rm e s e t d ev in t lie u te n a n t g é n é ra l. P e n d a n t le p eu de te m p s q u e n o u s re s tâ m e s à M unich, n o u s e û m e s l ’h o n n e u r d ’ê tre a d m is à la ta b le de la fam ille r o y a le ; à la su ite de ce d în e r, n o u s a s s is tâ m e s à u n m a g n ifiq u e c o n c e rt où n o u s p û m e s a d m ire r le s n o m b re u se s b e a u té s de la c o u r, et, le le n d e m a in , n o u s p a ssâ m e s u n e p a rtie de la jo u r n é e avec le ro i d a n s sa d é lic ie u se r é s i d en ce de N y m p h e m b o u rg o ù il v e n a it so u v e n t se d é la s s e r d es fa tig u e s e t de l’e n n u i de la re p r é s e n ta tio n ; le so ir, n o u s p rîm e s congé de Sa M ajesté, p é n é tré s d es b o n té s d o n t elle n o u s av a it c o m b lé s. Le ro i m e c h a rg e a d ’é c rire à m o n p è re , en d a ig n a n t a jo u te r avec b o n té que m a v isite lu i av a it fait p la isir. L o rsq u e n o u s a rriv â m e s à A u g sb o u rg , q u a r tie r g é n é ra l de la d iv isio n , n o u s y tro u v â m e s le g én é ral P ajo l qui v e n a it de re c e v o ir l ’a u to ris a tio n d ’a lle r à P a ris avec l’e sp é ra n c e d ’a v o ir u n c o m m a n d e m e n t en E sp ag n e . La ville é ta n t o cc u p ée p a r u n s u p e rb e ré g im e n t de ch e v au -lé g ers b av aro is, co m m an d é p a r le c o m te de S ey sse l, ém ig ré 302 SOUVENIRS MILITAIRES. fra n ç a is , le s ré g im e n ts de la d iv isio n f u re n t ré p a rtis d a n s d ’e x c e lle n ts v illages d es e n v iro n s o ù ils r e s tè r e n t d e u x m o is d a n s l ’a tte n te d ’a lle r s u r le s b o rd s d u R hin e t de là en F ra n c e , p o u r y te n ir g a rn iso n . Le 6 ju in , la d iv isio n se m it en m a rc h e p a s s a n t p a r U lm , G aissling, p re m iè re ville d u W u rte m b e rg , p u is S tu ttg a rd , ca p ita le de ce b e a u ro y a u m e . Le ro i h a b ita it a lo rs sa b e lle r é s id e n c e de L o u isb o u rg p rè s d e la v ille, où le g é n é ra l M o n tb ru n e s p é ra it a lle r lu i p r é s e n te r ses h o m m a g e s, m a is Sa M ajesté lu i fit té m o ig n e r le r e g r e t q u ’elle é p ro u v a it de n e p o u v o ir le rec ev o ir, é ta n t r e te n u e d a n s so n lit p a r u n v io le n t accès de g o u tte . Le 10 au m a tin , n o u s re n c o n trâ m e s e n s o r ta n t de la ville l ’a m b a s s a d e u r p e rs a n avec sa su ite n o m b re u s e a y a n t q u itté P a ris d e p u is q u e lq u e s jo u r s p o u r r e to u r n e r d an s s o n p ay s. A l ’a s p e c t d es tro u p e s , il fit a r r ê te r sa v o itu re , m it pied à te r r e p o u r les v o ir défiler. Le g én é ral lu i fit re n d re les h o n n e u r s d u s à sa h a u te p o sitio n ; il e n fu t te lle m e n t flatté q u ’il lu i o ffrit en p a r ta n t u n m a g n ifiq u e sa b re co u rb e , e n ric h i de p ie rre s fines, q u e c e lu i-c i m it a u s s itô t à sa c e in tu re . Le so ir, n o u s v în m e s c o u c h e r à la p e tite ville de F aïchig e n o ù p lu s ie u r s p a r tic u lie rs a c h e tè r e n t le s ch e v au x du g é n é ra l P ajo l, la issé s lo rs de so n d é p a rt p o u r P aris. Le le n d e m a in , en a rriv a n t à P fo rzh e im , le g é n é ra l tro u v a d es o rd re s d u m in is tr e de la G u erre c h a n g e a n t la d e s tin a tio n du 5e H u ssa rd s e t d u 11° C h a sse u rs q u i, au lieu d ’a lle r à S tra sb o u rg , d ev a ie n t se r e n d re à M anheim et e n v iro n s p o u r y p r e n d re q u a rtie r ju s q u ’à n o u v el o rd re , ta n d is q u e le 7° H u ssa rd s, le 10° et le 12° C h a sse u rs conti n u e r a ie n t le u r m a rc h e s u r F ra n c e p o u r y te n ir g a rn iso n . N ous p rîm e s s é jo u r à C a rlsru h e , ca p ita le d u g ra n d d u c h é d e B ade, e t la ré s id e n c e h a b itu e lle d u so u v e ra in CARLSIIUHE. - 1810. 303 d o n t l’é p o u s e é ta it la p rin c e s s e S té p h a n ie , n iè ce de l ’im p é ra tric e J o s é p h in e . S on a b s e n c e m e p riv a de lu i p r é s e n te r m e s re sp e c tu e u x h o m m a g e s. E n a rr iv a n t à B ru ch sall, n o u s tro u v â m e s la p o p u la tio n d an s la d o u le u r e t le s la rm e s p a r la m o rt su b ite d u p rin c e é v ê q u e de S pire d o n t le s é jo u r p ro lo n g é en c e tte ville av a it é té m a rq u é p a r de c o n tin u e ls b ie n fa its. Ce d ig n e p ré la t, d ’u n âge fo rt avancé, c ra ig n a n t d ’ê tre s u r p ris p a r la m o rt, av a it fa it d e s d isp o s itio n s te s ta m e n ta ire s p a r le sq u e lle s il in s titu a it se s h é r itie r s to u s les p a u v re s de la v ille ; il av ait p lu s de 200 000 liv re s de r e n te s . Le le n d e m a in , n o u s p a rc o u rû m e s un m ag n ifiq u e p ays p o u r a r r iv e r a H eid elb erg , ville cé lè b re p a r so n u n iv e rs ité ; le c h â te a u q u i la d o m in e date de l ’an 1013; il d ev ait ê tre tr è s re m a rq u a b le et s u r to u t d 'u n e v ig o u re u se c o n s tru c tio n a en ju g e r p a r sa co n se rv a tio n q u i e s t d u p lu s g ran d in té rê t. D ans u n e d es sa lle s b a s s e s v o û té e s, se tro u v e u n fo u d re m o n s tre sa n s p a re il p o u r y fa ire le v in ; sa g ra n d e u r d é m e su ré e e s t v ra im e n t p h é n o m é n a le ; o n y d e s c e n d p a r u n e s c a lie r to u r n a n t e t, d a n s le fond, o n p o u rra it d a n s e r u n e c o n tre d a n s e de seize p e rs o n n e s . C ette cuve e x tra o rd in a ire , qui p o u r ra it c o n te n ir u n e p a rtie d u vin d u p a y s, n e s e rt ja m a is , m a is e s t p a rfa ite m e n t co n s e rv é e p a r le s h a b ita n ts , q u i là m o n tr e n t avec u n e esp èce de v an ité, c o m m e é ta n t u n iq u e d an s so n g e n re . Ce fu t le 16 ju in , q u e n o u s a rriv â m e s à M anheim , lie u de n o tre d e s tin a tio n p ro v iso ire ; le g é n é ra l M o n tb ru n e t d e u x e s c a d ro n s d u 56 H u ssa rd s y f u re n t é tab lis, ta n d is que le re s te du ré g im e n t e t le 11° C h a sse u rs o c c u p a ie n t les en v iro n s d a n s de fo rt b o n s c a n to n n e m e n ts. La b e a u té de la ville, so n h e u re u s e situ a tio n e t la ré c e p tio n b ie n v e illa n te des h a b ita n ts fu re n t d ’u n h e u re u x SOUVENIRS M ILITAIRES. a u g u re p o u r le s é jo u r q u e n o u s d ev io n s y fa ire ; n o u s ta rd â m e s p e u à n o u s co n v a in c re co m b ien é ta ie n t fon d ées nos e s p é ra n c e s, p a r l ’e m p re s s e m e n t avec le q u e l n o u s fû m e s ac cu e illis p a r la n o m b re u se so c ié té de c e tte ville, d o n t les sy m p a th ie s é ta ie n t si b ie n a c q u ise s au x F ra n ça is. U n a u tre av a n ta g e no n m o in s a p p ré c ié é ta it la p ro x im ité d e la m è re p a trie , q u e n o u s p o u v io n s a b o rd e r a u m o y en d e q u e lq u e s co u p s de ra m e s : au ssi p rim e s-n o u s fo rt g aie m e n t la d é te rm in a tio n d ’a tte n d r e p a tie m m e n t l ’o rd re q u i d ev a it n o u s faire p a s s e r s u r la rive g a u c h e d u R hin. M an h eim é ta it, au m o m e n t de la R é v o lu tio n fra n ça ise, u n e b elle e t fo rte ville d u P a la tin a t, au co n flu e n t du N ecker e t d u R h in . C o n sid érée co m m e u n p o in t s tra té g iq u e de la p lu s h a u te im p o rta n c e , le s F ra n ç a is s ’en e m p a rè re n t en 1793; re p ris e d eu x an s a p rè s p a r les A u tric h ie n s, ceux-ci en fu re n t de n o u v e a u c h a ssé s e t les fo rtificatio n s c o m p lè te m e n t d é tru ite s . M anheim fit a lo rs p a rtie d u g ra n d -d u c h é et de la co n fé d ératio n d u R h in ; c ’e s t à d a te r de cette ép o q u e q u e la v ille ré p a ra se s d é s a s tre s e t p e r d it le tr is te av an tag e d ’ê tre u n p o ste m ilita ire . E lle fu t re b â tie s u r un p lan ré g u lie r, p lu s ie u r s m o n u m e n ts re m a rq u a b le s p a r le u r a rc h ite c tu re s ’é le v è re n t ra p id e m e n t, d es h a b ita tio n s a g ré a b le s se c r é è re n t, e t le s ru e s , tiré e s au c o rd e a u , e m b e l lire n t c e tte c h a rm a n te cité, p la cé e so u s la p ro te c tio n de la g ra n d e -d u c h e sse S tép h a n ie q u i, v o u la n t y fixer sa ré sid e n c e h a b itu e lle , y fit c o n s tru ire u n b ea u p alais en d e h o rs de la ville et tr a n s f o r m e r le s fo rtific a tio n s e n u n p a rc su p e rb e , a y a n t le R hin p o u r lim ite . L’E m p e re u r, en fa isa n t de M anheim le s é jo u r de sa nièce, p ré sid a lu i-m ê m e à la c ré a tio n d e c e tte b elle ré sid e n c e o ù r e s p ir a ie n t la g ra n d e u r e t la s o m p tu o s ité ; le s a p p a rte m e n ts en é ta ie n t rav is s a n ts de fra îc h e u r e t de luxe, les m e u b le s d ’u n g o û t ex q u is, è t lo rsq u e n o u s y a rriv âm es, les h a b ita n ts a tte n d a ie n t avec SÉJOUR A MANIIEÏM. — 1810. 305 la p lu s vive im p a tie n c e la p ré s e n c e de le u r b ie n -a im é e s o u v e ra in e , r e te n u e à P a ris p a r les fêtes q u i s ’y d o n n a ie n t. Les c a se rn e s, l ’a rs e n a l, a in s i q u e le th é â tre , s o n t de fo rt b ea u x b â tim e n ts : ce d e rn ie r, s u r to u t re m a rq u a b le p a r so n g e n re d ’a rc h ite c tu re , é ta it o c c u p é p a r u n e e x c ellen te tro u p e de c o m é d ie n s e t u n o rc h e s tre p o u v a n t riv a lis e r avec le s m e ille u rs de l ’A llem ag n e. Le m u sé e S té p h a n ie e s t a u s s i u n m o n u m e n t trè s d istin g u é , jo in t au x c u rio s ité s q u ’il re n fe rm e e t s e rv a n t de c a sin o , o ù se ré u n is s a ie n t le s p e rs o n n e s le s p lu s m a r q u a n te s de la v ille ; les officiers d u ré g im e n t fu re n t p rié s de v o u lo ir bien l'h o n o re r d e le u r p ré se n c e e t p lu s ie u rs b als q u i s ’y d o n n è re n t n o u s m ir e n t to u t à fait en ra p p o rts a sse z in tim e s avec la so c ié té assez n o m b re u s e de la v ille; ta n t d ’a g ré m e n t e t de p la isir, jo in t au x c h a rm e s d ’u n e je u n e v e u v e , m e fire n t fac ilem en t o u b lie r le tra v a il m o n o to n e d o n t j ’é ta is ch a rg é et r e ta r d è r e n t l ’a u to ris a tio n q u e j ’avais d ’a lle r à P a ris. L o u ise , b a ro n n e de N o rste in , é ta it u n e je u n e veuve de v in g t-q u a tre a n s, p o s s é d a n t to u s les tré s o rs de l ’e s p rit e t d u c œ u r, m ais son â m e candide se re flé ta it d a n s ses b eau x y e u x b le u s , d o n t la c o u le u r d o u ce e t te n d re c o n tra s ta it a d m ira b le m e n t avec le n o ir de se s lo n g s cils e t de se s deux so u rc ils lé g è re m e n t a r q u é s ; son te in t é ta it n a tu re lle m e n t p âle e t l'é b è n e d es c h e v e u x q u i e n c a d ra ie n t son visage, n ’en d e v e n a it en c o re q u e p lu s foncé e t p lu s éc la ta n t. O r p h e lin e au b e rc e a u , elle fu t élevée p a r les so in s d ’u n e p a re n te q u i d év e lo p p a le s h e u r e u s e s d isp o s itio n s de sa p u p ille , e s p é ra n t q u ’un jo u r , sa b e a u té et ses ta le n ts ré p a r e r a ie n t l ’in ju s tic e du s o rt qui l ’av a it fait n a ître sa n s fo r tu n e . En effet u n vieux b a ro n , ric h e e t p u is s a n t, é p ris de ta n t de c h a rm e s, l ’é p o u s a ; m ais de c o m b ie n d e c h a g rin s e t de trib u la tio n s c e tte je u n e fille, n e p a y a -t-e lle pas le sa c ri- SOUVENIRS MILITAIRES. lice d e sa lib e rté ! U n m a ri vieux, in firm e e t ja lo u x , e s t u n e to r tu r e de to u s le s in s ta n ts ; a u s si, p e n d a n t tro is a n s q u e d u ra c e tte u n io n , L o u ise fu t g a rd e -m a la d e , sa n s q u e ses so in s a tte n tifs a ie n t p u c a lm e r le c a ra c tè re ira sc ib le de so n é g o ïste é p o u x . E nfin, le c iel, p r e n a n t en p itié ta n t d ’in fo rtu n e s , de ch a g rin s e t d ’e n n u is, la d é liv ra de c e t ê tre in u tile , d o n t la fin f u t d ’a u ta n t p lu s ex e m p la ire e t m é ri. to ire q u ’il in s titu a sa je u n e é p o u se h é ritiè r e de la p re sq u e to ta lité de sa b e lle fo rtu n e . P rè s d e d eu x a n n é e s s ’é ta ie n t éc o u lées, d e p u is c e t évé n e m e n t, lo rs q u e n o u s a rriv â m e s à M anheim ; la m a iso n de la b e lle e t ric h e v eu v e é ta it u n e d es p lu s ag ré a b le s de la v ille p a r se s ré u n io n s e t se s fê te s ; j ’a u g m e n ta i le n o m b re de se s a d o ra te u rs d o n t p lu s ie u r s en v o u la ie n t a u ta n t à sa f o rtu n e q u ’à ses c h a rm e s, e t u n de ces c a p ric e s de fem m e, p o u r q u i la n o u v e a u té e s t u n a ttr a it, fit a c c u e il lir m e s h o m m a g e s av e c u n e d o u ce b ie n v eillan c e. P lu sie u rs p o u rs u iv a n ts , s ’a p e rc e v a n t q u ’ils n ’av a ie n t rie n de m ie u x à faire q u e d e se r e tire r, r e n o n c è re n t à le u rs p r é te n tio n s ; m a is le c o m te de R o tte n th a l, m a lg ré se s c in q u a n te -q u a tre an s, sa c h e v e lu re a rg e n té e e t son p h y siq u e p e u s é d u isa n t, c r u t v a in c re les ré s o lu tio n s d ’in d é p e n d a n c e de la b a ro n n e en lu i o ffran t u n c œ u r fané, d e s m a in s rid é e s e t d es titre s d o n t elle fa is a it tr è s p e u de c a s ; il fut d o n c re p o u s s é d ans se s e s p é ra n c e s et, h u m ilié d ’u n re fu s q u e so n o rg u eil ne p o u v a it a d m e ttre , il m e so u p ç o n n a d 'ê tre u n o b sta c le à ses vues in té re s s é e s . U n m a tin , le c o m te se p ré s e n ta chez m oi avec to u te la r e c h e rc h e d ’u n d a n d y : se s h a b its é tro its e t p in c é s , sa c ra v ate a tta c h é e p a r u n e épin g le en d ia m a n t, son g ile t se rré , la j u s te s s e de se s p a n ta lo n s , fo rte m e n t c o m p ro m ise d a n s la lu tte de se s b re te lle s à l ’e n c o n tre de se s so u s-p ie d s s e m b la ie n t le m e ttre au su p p lice e t fo rm a ie n t u n c o n tra ste AMOURS. — 1 810 . 30? p iq u a n t avec son c o rp s m a ig re , d é c h a rn é e t se s jo u e s p e n d a n te s. Jo ig n ez à ce la u n e to u r n u re raid e et e m p e sé e q u i faisait d e c e t h o m m e u n e de ces c a ric a tu re s q u e B ru n e t co p iait si b ie n p o u r la sa tisfa c tio n d u p u b lic . F o rt s u r p ris d ’u n e v isite a u s si in a tte n d u e , ca r je c o n n a issa is le p e u de sy m p a th ie d u c o m te à l ’ég ard des F ra n ç a is e t de m oi p lu s p a rtic u liè re m e n t, 'je m ’e m p re ssa i to u te fo is de le re c e v o ir avec to u te s le s co n v e n an c es d u e s à son âge e t à so n r a n g ; je le p ria i d e v o u lo ir b ie n m ’e x c u se r de m e tr o u v e r d an s u n a b a n d o n de c o s tu m e p e u d é c e n t e t si o p p o sé a u sie n , avec m a ch e m ise o u v e rte , le co u n u , les ch e v eu x en d é s o rd re , — c a r je ne p o ssé d a is q u e le v ê te m e n t in d is p e n sa b le p o u r n ’ê tre p a s ce q u ’o n ap p e lle en robo de c h a m b re de p ag e — e t, v e n a n t au m o tif de sa p ré s e n c e , je lu i de m a n d ai ce q u i p o u v ait m e p r o c u r e r l’h o n n e u r de le re c e v o ir chez m o i. Le c o m te , d ’a b o rd u n p e u in te r d it p a r m a to u r n u re d é b ra illé e , m e s m a n iè re s assez c a v alières, e n tre m ê lé e s d ’ég a rd s e t d e p ré v e n a n c e s r e s s e m b la n t à de l ’iro n ie , r e s ta u n m o m e n t in d é c is, m a is re p r e n a n t a u s s itô t c e t a ir v an i te u x q ui le r e n d a it si rid ic u le : « M onsieur le ca p ita in e , m e d it-il, v o u s fré q u e n te z b e a u c o u p Mmü la b a ro n n e de N o rs te in ; l’affection q u ’e lle se m b le v o u s p o r te r p o u rra it la c o m p ro m e ttr e ; v o u s ête s tro p d élica t, je p e n se , p o u r v o u lo ir n u ir e à sa r é p u ta tio n ; je v o u s e n g a g e ra i d o n c à la vo ir m o in s so u v e n t, ce s e ra it lu i d o n n e r u n e v é rita b le m a rq u e d ’in té rê t, et j ’a jo u te ra i e n o u tre q u e ce qui m e d é te rm in e à c e tte d é m a rc h e qui p o u r ra it vo u s s u rp re n d re , c ’e s t l ’offre q u e je lu i ai faite de l ’ép o u se r. — Je c o n ç o is, M o n sieu r le c o m te , ré p o n d is -je , q u e v o u s recherchiez* la m ain de M"10 la b a ro n n e , e lle e s t assez jo lie , et sa fo rtu n e s u r to u t e s t assez c o n sid é ra b le p o u r q u ’elle p u iss e p r é te n d re à u n e g ra n d e allia n ce ; m a is vous av o u e rez q u ’e n tre 308 SOUVENIRS MILITAIRES, e lle e t v o u s, ce s e ra it offrir l’im age d u p rin te m p s à côté de l’h iv e r ; au re s te l ’h o m m a g e q u e je lu i a d re sse e s t san s a rriè re -p e n s é e d ’in té r ê t; le s e n tim e n t q u ’elle in s p ire à to u s c e u x -q u i l ’a p p ro c h e n t e s t u n ju s te tr ib u t q u e l ’on p a y e à s a b e a u té et à se s é m in e n te s q u a lité s, et je n e su is n u lle m e n t s u rp ris q u e vo u s soyez u n de se s a d o ra te u rs le s p lu s e m p re s s é s ; m a is, q u a n t au co n seil a u q u e l vos c h e v eu x g ris p e u v e n t s e rv ir d ’ex c u se , v o u s tro u v e re z bon que je n ’en tie n n e a u c u n c o m p te . » C ette ré p o n se fa ite d ’u n e m a n iè re iro n iq u e p r o d u is it s u r le co m te u n e im p re ssio n d o n t il n e p u t d is s im u le r l ’effet; sa fig u re d ev in t en c o re p lu s b lê m e q u e d ’h a b itu d e , ses lè v re s é ta ie n t tre m b la n te s , e t d 'u n e voix c o n tra c té e p a r la c o lè re : « Il m e p a ra ît, re p rit-il, q u e le s F ra n ç a is so n t a u ssi v ain s a u p rè s des f e m m e s q u e s u r u n c h a m p de b a ta ille ; je d é s ire ra is en av o ir u n e n o u v e lle p re u v e , e t v o u s p ro p o se , M on sieu r le c a p ita in e , d e n o u s r e n c o n tre r d e m a in , d e rriè re le v ie u x c h â te a u , o ù je m e r e n d ra i av e c u n seco n d e t u n e p a ire de p is to le ts ; j e v o u s p ro u v e ra i, j ’e s p è re , q u e v o tre to n suffi s a n t n e co n v ien t p o in t à u n h o m m e de m o n ra n g . — Je n e sa is, M o n sieu r le co m te, q u i de n o u s d eu x p e n s e en ce m o m e n t à c o m p ro m e ttre Mm0 la b a ro n n e , m a is v o tre c o n d u ite e s t si p e u e n ra p p o r t avec la m a tu rité de v o tre âge q u e je re fu se v o tre défi in c o n v e n a n t e t ir r é fléch i; ce p e n d a n t, si v o u s te n ez ta n t à ra p p ro c h e r le s d is ta n c e s q u e vous croyez e x is te r e n tre n o u s, il e s t u n m o y e n q u i p e u t to u t c o n c ilie r; j ’ira i ce s o ir au c a sin o , ch e rch ez u n e o cc asio n de m e m a n q u e r, je v o u s p ro te s te que je la sa isira i. — Eh b ie n ! s ’é c ria le c o m te , c ’e s t j u s q u ’à ce m o m e n t ce q u e vous avez d it de m ie u x ; v o tre p ro p o sitio n m e co n v ien t e t je l’ac cep te ; à ce so ir do n c. » Il m e sa lu a e t se r e tira . A h u it h e u re s , m e tro u v a n t d a n s le ce rcle , on p a rla it d iv e rse m e n t s u r le fu n e ste é v é n e m e n t a rriv é à DUEL A MANHEIM. — 18l ' o. 309 P a ris a u b al du p rin c e d u S ch w artz èn b erg , où u n te rr ib le in c e n d ie av ait fait p é r ir ta n t de m o n d e . « Ma foi, d it le co m te, je su is fâché q u e N ap o léo n n ’ait p a s été rô ti, cela e û t a s s u ré la tra n q u illité de l ’E u ro p e et c h a c u n e û t re p ris so n ra n g e t sa place. — M o n sieu r le c o m te , lu i d is-je , v o tre d isc o u rs , a u ssi in c o n sid é ré q u ’il e s t in ju rie u x en p ré se n c e d ’u n officier fra n ç a is, m é rite r a it u n e sé v è re c o rre c tio n q u e je m e c h a r gerais de v o u s infliger, n ’é ta it v o tre âge qui in sp ire p lu s de p itié q u e de co lère. — Si c ’e s t u n e le ço n q u e v o u s p ré te n d e z m e d o n n e r, ré p o n d v iv e m e n t le c o m te , sach ez q u e je n ’en ai ja m a is re ç u d e p e rso n n e . — On s ’en a p e rç o it fa c ile m e n t à vos m a n iè re s , r é p li q u a i-je avec u n fro id déd ain . — V os p a ro le s s o n t d es o u tra g e s q u e je n e p u is to lé r e r et d o n t je v o u s d e m a n d e sa tisfa c tio n , m u r m u r a le co m te p â lis sa n t de fu re u r. — Q u’à cela n e tie n n e , M o n sieu r, j ’a c c e p te e t vous d o n n e le ch o ix des a rm e s. » Il fu t d écid é q u e ce s e ra it le p isto le t e t q u e la r e n c o n tre a u ra it lie u le le n d em a in . F o rt h e u re u s e m e n t, il n ’y avait d a n s le salon q u e tro is ou q u a tre p e rs o n n e s , q u i s ’e n g a g è re n t à g a rd e r le silen c e s u r le s m o tifs d ’u n e p a re ille sc èn e e t des c o n s é q u e n c e s q u i p o u v a ie n t en ré s u lte r. A cin q h e u re s d u m a tin , n o u s n o u s tro u v â m e s p r è s d ’u n p e tit b o is, a u n e d e m i-lie u e d e là v ille ; j ’avais p o u r té m o in s le c h e f d ’e s c a d ro n D ro u ard e t l ’a d ju d a n t-m a jo r O th e n in ; le co m te é ta it a c co m p ag n é p a r u n m é d e c in de se s a m is e t le b a ro n de F o rz h eim , colonel b ad o is, h o m m e de m é rite et de se n s, q ui fil v a in e m e n t ce q u ’il p u t p o u r a rra n g e r ce tte affaire. Les p is to le ts c h a rg é s, n o u s fû m es p la c é s à 310 SOUVENIRS M ILITAIRES. v in g t p as de d ista n c e l ’u n de l ’a u tre , avec la fac u lté d ’en m a rc h e r dix; u n e pièce d ’a rg e n t je té e ëp l’a ir d o n n a à m o n a d v e rsa ire l’avantage de tir e r le p r e m ie r ; le c o m te ap rè s av o ir v isé q u e lq u e s in s ta n ts tir a et m e m a n q u a . D éc h ar g e a n t a u s s itô t m o n p is to le t en l ’air : « M on sieu r le c o m te , lu i d is-je , lo r s q u ’o n ré c la m e d es b ie n fa its de l ’E m p e re u r, on n e d é sire p a s sa m o rt, et je v o u s e n g a g e, lo rs q u e v o u s a u re z l ’in te n tio n de c h e rc h e r q u e re lle à u n F ra n ça is, de v o u s y p re n d re p lu s a d r o ite m e n t e t de c h o isir s u r to u t u n m o tif m o in s in c o n v e n a n t q u e ce lu i d o n t v o u s v o u s êtes se rv i. » E t le la issa n t a ssez c o n fu s de l ’is s u e de ce c o m b a t, j e m e r e tir a i avec m e s té m o in s. L e m ê m e jo u r , le co m te q u itta la ville e t je fus a u s s itô t chez le g é n é ra l M on tb ru n lu i re n d r e c o m p te de c e t év én e m e n t d o n t il v o u lu t c o n n a ître to u s les d é ta ils ; il m e p ro m it de n e d o n n e r a u c u n e su ite à c e tte affaire qui d ev in t le su je t de to u te s le s c o n v e rsa tio n s, sa n s q u ’on p û t lu i a ttr ib u e r so n v é rita b le m o tif. L a b a ro n n e , en le [devinant, in d ig n é e d es p ro c é d é s d u co m te et de se s v a n ite u s e s p ré te n tio n s , m ’a s s u ra q u ’elle n e le r e v e rr a it de sa vie et m e té m o ig n a , p a r les p lu s te n d re s d é m o n s tra tio n s , l’effroi q u e lu i c a u s a it le d a n g e r q u e j ’avais c o u ru . Ce f u t a p rè s u n sé jo u r de s e p t se m a in e s q u e le ré g i m e n t d u t q u itte r M anheim p o u r se d irig e r s u r S tra s b o u rg ; j ’e m p o rta i avec m o i la co n v ic tio n d ’en g a rd e r u n lo n g s o u v e n ir. D eux jo u r s a p rè s , n o u s a rriv â m e s à R a sta d t, célèb re d a n s le s fa ste s de n o tre R év o lu tio n p a r le C ongrès q u i s ’y tin t et l ’a s s a s s in a t d es a m b a s s a d e u rs fra n ç a is q u i y fu re n t ég o rg é s, à l’in stig a tio n des Ja c o b in s, afin de je te r e n s u ite l ’h o r re u r de ce c rim e s u r le s A llem ands. D eu x h e u re s a p rè s n o tre arriv é e en c e tte v ille, je p a rtis p o u r B ade, d is ta n t s e u le m e n t de d e u x lie u e s , o ù je savais LA GRANDE-DUCIIESSE STÉPHANIE. — 1810. 311 q u e la g ra n d e -d u c h e s s e r é s id a it d e p u is u n e h u ita in e . Sa r é c e p tio n fu t re m p lie de g râc e e t de b ie n v eillan c e ; c e tte aim ab le e t ex c ellen te p rin c e s s e daig n a se ra p p e le r le s d o u ce s e t a g ré a b le s so iré e s de M ayence, chez l’im p é ra tric e J o s é p h in e , d o n t elle d é p lo ra it le tr is te so rt. S o n A l te s s e Im p é ria le m ’engagea à p a s s e r la so iré e p rè s d ’e lle et m e fit l ’h o n n e u r de p re n d re m o n b ra s p o u r v is ite r les p ro m e n a d e s e t la fo ire q u i a v a it lie u d ans le b a s de la ville. Le s é jo u r de Bade à l ’ép o q u e de la saiso n d es b a in s e st u n e v ie d e d élice s, de fê te s e t de jo u is s a n c e s ; le s é tra n g e rs de d is tin c tio n y a c c o u re n t de to u s les co in s de l ’E u ro p e, p lu tô t p o u r s ’y a m u s e r q u e p o u r y c h e rc h e r la sa n té . L e c h â te a u , situ é s u r le s o m m e t d ’u n e m o n ta g n e, au m ilie u de la v ille, d u t ê tre c o n s tru it v e rs la fin d u xiv° siè cle. S es to u re lle s g o th iq u e s; ses p o rte s , se s fe n ê tre s en ogives p r o d u is e n t u n effet p itto re s q u e e t ag ré a b le à l’œ il e t, m a lg ré l ’a n c ie n n e té de se s c o n s tru c tio n s , la g r a n d e u r d é m e s u ré e d e s sa lle s e t la m a u v a is e d is trib u tio n d es ap p a rte m e n ts , la p rin c e s s e , q u i v ie n t assez h a b itu e lle m e n t y p a s s e r l ’ép o q u e de la sa iso n d e s b a in s, en a tiré to u t le p a rti p o ssib le . M eublés avec a u ta n t de g o û t q u e de luxe, se s v astes sa lo n s s o n t s o u v e n t re m p lis p a r les é tra n g e rs q u i s ’e m p re s s e n t de v e n ir offrir le u rs h o m m a g es à la belle e t g ra c ie u se so u v e ra in e de ce m ag n ifiq u e p ay s. Il y e u t ce m ê m e so ir a u c h â te a u u n e b rilla n te e t n o m b re u s e ré u n io n , co m p o sée en p a rtie de d a m e s r u s s e s , an g laises e t fra n ç a ise s, q u i se te rm in a p a r u n bal c h a rm a n t p e n d a n t le q u e l j ’e u s l ’h o n n e u r de d a n s e r p lu s ie u rs fois avec S on A ltesse Im p é ria le q u i e u t l ’e x trê m e b ie n v eillan c e de m e p re s c rire d e p ro lo n g e r m o n s é jo u r de v in g t-q u a tre h e u re s, afin de m e faire a d m ire r les site s ra v is s a n ts d e s e n v iro n s de Bade e t de p a rc o u rir ses b e lle s fo rê ts, e n tre te n u e s avec u n soin v ra im e n t re m a rq u a b le . 312 SOUVENIRS MILITAIRES. J e p a s sa i e n c o re la m a tin é e p rè s de la p rin c e s s e S té p h a n ie q u i e u t l ’e x trê m e b o n té de m e r e te n ir à d é je u n e r, a p rè s q u o i je p ris co n g é de Son A ltesse Im p é ria le en lu i e x p rim a n t to u te m a re c o n n a is s a n c e d u b ie n v e illa n t ac cu e il d o n t elle av a it d aig n é m ’h o n o re r. La d ista n c e à p a rc o u rir p o u r a lle r à S tra s b o u rg n ’é ta n t q u e de h u it lie u es, j ’a rriv a i a v a n t la n u it au chef-lieu d u d é p a rte m e n t d u B as-R hin, où je re jo ig n is le ré g im e n t. M on p r e m ie r so in en a rriv a n t à S tra sb o u rg fu t d ’a lle r chez le g é n é ra l M o n tb ru n q u i, la veille, av a it d irig é le 5e H u s sa rd s s u r S te n a y p o u r y te n ir g a rn iso n ; il m e fit u n e p e tite se m o n c e en tro u v a n t le tra v a il, d o n t il m ’av a it ch arg é, a u s s i p e u av a n cé , m e sig n ifia n t q u e je n e q u itte ra is la ville q u ’a p rè s le lui avoir re m is , e t a jo u ta n t, à to u te s les p iè ce s q u e j ’avais d éjà, u n e n o u v elle m a sse de p a p ie rs s u r la q u e lle j ’av a is à m ’o c c u p e r p lu s d ’un m o is ; m a is fo rt h e u re u s e m e n t il m ’a d jo ig n it u n ! so u s-o fficier d u 11e C h a sse u rs; ce je u n e h o m m e , élève de l’É cole m ilita ire de F o n ta in e b le a u a y a n t u n v é rita b le m é rite , n ’av a it p o in t été fait officier à cau se d ’u n d u e l m a lh e u re u x q u ’il av a it eu avec u n de ses c a m a ra d e s ; m a is le g é n é ra l, qui s ’in té r e s s a it à lu i, avait p ro m is q u ’il s e ra it fa it s o u s -lie u te n a n t a u s s itô t n o tre tr a vail te rm in é ; a u s si n o u s y m îm e s-n o u s avec a rd e u r. P e u d e jo u r s a p rè s, le g é n é ra l, m a n d é à P a ris p o u r y p r é s id e r la c o m m issio n de cav alerie, n o u s in sta lla d a n s so n lo g e m e n t q u ’il avait a rrê té p o u r tro is m ois e t m e la issa la su rv e illa n c e de se s éq u ip ag e s j u s q u ’à ce q u ’il les fît v e n ir à P a ris , ce q u i m e p r o c u r a l ’av a n tag e d ’ê tre s o m p tu e u s e m e n t logé san s b o u rse d é l i e r . . D éjà q u in z e jo u r s s ’é ta ie n t é c o u lé s, tra v a illa n t sans re lâ c h e d an s le d é s ir de te rm in e r le p lu s p ro m p te m e n t p o ssib le , lo rs q u e je re ç u s u n e le ttre d u g én é ral c o n te n a n t m a co m m issio n p o u r le 2° H u ssa rd s, fav e u r q u ’il a v a it ob- PASSAGE AU 2” H U S S A R D S . — 1810. 313 té n u e p o u r h u it officiers de sa d iv isio n e t q u ’il e s p é ra it p o u r lu i-m ê m e ; il m ’en g ag eait à te rm in e r m o n tra v a il le p lu s tô t p o ssib le , à le lu i p o r te r à P a ris e t m ’e n jo ig n a it au ssi de faire p a r tir se s éq u ip ag e s s u r-le -c h a m p . D ouze jo u r s a p rè s, m o n travail é ta n t te rm in é , je m e re n d is à S ten a y p o u r ré g le r to u te s le s affaires q u e je p o u vais a v o ir au ré g im e n t e t y p re n d re m e s é q u ip ag e s. Là, en p a s s a n t p a r B ar-su r-O rn ain , je m e re n d is à J e a n d ’h e u rs, s u p e rb e ré sid e n c e d u m a ré c h a l O u d in o t; j ’y tro u v ai le gé n é ra l P ajo l, so n g e n d re , e t V ictor O u d in o t q u i, en s o rta n t d ’ê tre p re m ie r page de l ’E m p e re u r, av a it été n o m m é lie u te n a n t au 5e H u ssa rd s et placé d a n s m a co m p a g n ie , je p assai tro is jo u r s d a n s ce m a g n ifiq u e m a n o ir o ù je fus accu eilli avec to u te s o rte de b ien v eillan ce. L es lie n s d ’e s tim e e t d ’a m itié q u i v o u s u n is s e n t s u r u n ch a m p d e b ataille o n t u n e fo rce q u ’o n n e p e u t ro m p re sa n s le p lu s v io le n t c h a g rin : au ssi l’in s ta n t o ù il fa llu t m e sé p a re r de m e s b rav e s ca m a ra d es fu t si d o u lo u re u x que je se ra is v o lo n tie rs re sté si j ’en e u sse eu la fa c u lté ; m a is j ’en é p ro u v a i d u m o in s la d o u ce co n so la tio n d ’e m p o rte r le s r e g r e ts d e m e s b o n s e t b rav e s com ’p ag n o n s d ’a rm e s q u i v o u lu re n t m e d o n n e r u n e d e rn iè re m a rq u e de le u r affectio n , e n m ’offrant un b a n q u e t d a n s le q u e l de n o m b re u x to a s ts f u re n t p o rté s au s o u v e n ir du p assé e t à l ’es p é ra n c e d e l ’av e n ir. En q u itta n t le b rav e e t beau 5e de H u s sa rd s, d o n t je ne m e se ra is ja m a is sé p a ré s ’il e û t c o n tin u é de faire la g u e rre , j ’eu s la co n so latio n de p a s s e r d an s u n a u tre ré g im e n t d o n t la b rilla n te r é p u ta tio n é ta it g é n é r a le m e n t ré p a n d u e d a n s l ’a rm é e . Le 2° H u ssa rd s, p a rtic u liè re m e n t d ésig n é so u s le n om de C h a m b o r c m d , jo u is s a it avec ra iso n d ’u n e re n o m m é e in c o n te s ta b le d o n t il m e ta rd a it de p re n d re m a p a rt, m a is d es c irc o n sta n c e s im p ré v u e s n e m e p e r m ire n t p as de le re jo in d re a u s s itô t q u e je l ’e u sse d é siré . XIY SÉJOUR A PARIS - VOYAGE A NAPLES RETOUR A m o n fr è r e . « Paris, 12 octobre 1810. « Me voici, c h e r am i, re v e n u à P a ris d ep u is u n e q u in zain e d e jo u r s a p rè s av o ir c o n so m m é le sacrifice de ce tte p e lisse b la n ch e , é c la ta n te d ’or, q u i p la ît ta n t aux fem m es, p o u r en p r e n d re u n e p lu s m o d e ste d a n s sa co u le u r, m ais n o n m o in s re d o u ta b le à l ’e n n e m i : le 2e H u ssa rd s e s t le c o rp s d a n s le q u e l j ’e s p è re m é rite r de l’a v a n ce m e n t en E s p ag n e . C’e s t au x b o n té s d u g é n é ra l M o n tb ru n q u e je dois d ’y être e n tré , ce q u i m ’é v ite ra l ’e n n u i de tr a în e r m on sa b re s u r le pavé d ’u n e p e tite ville de g a rn is o n ; q u a n t a l ’ép o q u e p ré c is e de m o n d é p a rt, rie n n ’e s t e n c o re d é te r m in é , a y a n t o b te n u u n congé d u m in is tre de la G uerre, d o n t je c o m p te p ro fite r d a n s p eu de jo u r s p o u r a lle r il M assiac p a s s e r u n e q u in z ain e p rè s de n o tr e b o n p è re . « T u sais de q u el travail fa stid ie u x m ’av ait ch a rg é le g é n é ra l M o n tb ru n ; j ’e n e u s se p e u t-ê tre a tte in t difficilem ent la fin sa n s l ’a s sista n c e d ’u n je u n e so u s-o ffic ic r q u i v ie n t d ’en o b te n ir la ré c o m p e n se p a r le grad e de s o u s-lie u te SÉJOUR A P A R I S . — 1810. 31S n a n t de c h a sse u rs. E h b ie n ! j e c ro y a is c e tte affaire e n tiè r e m e n t te rm in é e en re m e tta n t ce tra v a il ; m a is p as d u to u t : a p rè s l ’av o ir lu avec a tte n tio n , l ’av o ir sig n é e t y av o ir m is u n e n o te en m a fav e u r, le g é n é ra l m e le r e n d it le se c o n d jo u r p o u r le p o rte r avec u n e le ttr e à M. G érard , c h e f de la tro isiè m e d iv isio n de la G u erre , le q u e l, à m a g ra n d e s u rp ris e , m e fit des co m p lim e n ts e t m ’a p p rit q u ’il y av a it p lu s d es deu x tie rs de l ’a rm é e en a rriè re de ce tra v a il d e m a n d é ; m a is, ce q u i a jo u ta à m o n é to n n e m e n t, ce fu t de v o ir m o n a c tiv ité ré c o m p e n sé e p a r u n e g ratifi c a tio n fin an c ière on n e p e u t p lu s sa tisfa isa n te , s u r la d e m a n d e d u g é n é ra l. P e u de jo u r s a p rè s c e t h e u re u x r é s u lta t, je fis d e m a n d e r à l ’im p é ra tric e Jo sé p h in e la p e r m is sio n de lu i p r é s e n te r m e s re s p e c tu e u x h o m m a g e s, co q u i m e fu t a c co rd é a u s sitô t. « A ccu eilli avec ce tte b o n té q u i lu i e s t si h a b itu e lle , je m ’e m p re ssa i de re m e rc ie r S. M. I. de son in d u lg e n te b o n té à d é tro m p e r m a m è re s u r le b r u it de n o tre m o rt à W a g ra m ; elle d aig n a s ’in fo rm e r avec in té r ê t de m a p o sitio n , de m es esp é ra n c e s e t de m es p ro je ts , e t ne se m b la it p as a p p ro u v e r m a d é te rm in a tio n d ’a lle r en E sp ag n e , p ré te n d a n t q u e le g e n re d e g u e rre q u ’on y faisa it é tait h o rrib le . On voyait, d a n s les tra its de sa figure, u n fo n d de tr is te s s e e t de c h a g rin co n c e n tré q u ’elle n e p o u v a it ré p rim e r m a lg ré to u te s le s a s su ra n c e s q u ’elle d o n n a it d u c o n tra ire e t du b o n h e u r de la vie p riv ée q u ’elle m e n a it. U n d es e n fa n ts de la re in e H o rte n se q u i se tro u v a it p rè s d 'elle se m b la it p r e n d r e p la i sir à re g a rd e r m o n u n ifo rm e ; je d e m a n d a i la p e rm issio n de lu i b a is e r la m a in . Sa M ajesté le m it d a n s m e s b ra s en m e d is a n t de l ’e m b ra s s e r, e t je re m a rq u a i q u e ce je u n e p rin c e p o rta it au co u u n m é d a illo n e n ric h i de d ia m a n ts re n fe rm a n t le p o r tra it de M arie-L ouise. « C ette b elle so litu d e, n a g u è re e n c o m b ré e de fla tte u rs e t SOUVENIRS 316 MILITAIRES. de c o u rtis a n s , n ’offrait p lu s q u e l’im ag e d ’u n e s o u v e ra in e té d éc h u e ; la c o u r, p e u n o m b re u s e , se c o m p o sa it de Mmes d ’Arb e rg , d e T u re n n e , de L astic, de Y iel-C astel, de W a lsh S e r ra n t; la b elle Mmo G azzani e s t le c tric e de l’Im p é ra tric e e t p lu s ie u rs je u n e s p e rs o n n e s fo n t a u s si p a rtie de sa m a iso n . « P a rm i le s h o m m e s s o n t MM. de B e a u m o n t, de T u rp in , de V iel-C astel, de M ontholon, de L astic, de M onaco, P o u rta lè s e t d ’A ndlau ; l ’aim ab le e t s p iritu e l D esc h am p s est to u jo u rs , co m m e de n o tre te m p s, à M ayence, s e c ré ta ire des c o m m a n d e m e n ts, e t n o tre am i C asim ir de M o nllivaut in te n d a n t g é n é ra l. J ’a p p ris p a r ces m e s s ie u rs q u e l’E m p e r e u r v e n a it assez so u v e n t, à l ’in su de so n é p o u se , v is ite r celle q u ’il n ’e û t ja m a is d û q u itte r ; s o n a p p a ri tio n a v a it o rd in a ire m e n t lie u s a n s su ite e t to u jo u rs à l ’im p ro v iste . « L’Im p é ra tric e m ’a fait vo ir sa m a g n ifiq u e g a le rie de ta b le a u x e t so n a d m ira b le ja rd in , re n fe rm a n t le s a r b r e s e t le s fle u rs le s p lu s ra re s. A près d în e r, j ’eu s l’h o n n e u r de faire sa p a rtie de b illard , je u q u ’elle affectio n n e d ’a u ta n t m ie u x q u e so n ta le n t e s t re m a rq u a b le , m a lg ré q u ’elle ne se serve qu e d ’u n e p e tite m a sse. « Le so ir, il y e u t u n th é , o ù se tro u v a ie n t, o u tre la c o u r, p lu s ie u rs v is ite u rs de P a ris, p a rm i le sq u e ls je d is tin g u a i MM. de T alley ran d , de S ég u r, de R é m u sa t e t le duc de V icence. « E nfin, m a jo u r n é e b ien re m p lie , je p ris congé fo rt ta rd de c e tte e x c e lle n te p rin c e s s e , e m p o rta n t la p e rm is s io n de v e n ir la v o ir au ssi so u v e n t q u e je d é s ire ra is e t m e p ro m e t ta n t d ’ô tre le c o u rtisa n d u m a lh e u r. « J ’ai re v u d é jà b ea u co u p d 'a m is et co n n a issa n c e s d e p u is le p e u d e te m p s q u e je su is ic i; m a is la c ra in te de tro p r e ta rd e r m o n d é p a rt p o u r M assiac m e fait a jo u rn e r à m o n VOYAGE A MASSIAC. — 1810. 811 r e to u r c e tte vie de p la is ir e t de. b o n h e u r d o n t j e sais si b ie n a p p ré c ie r to u t le p rix . « A dieu d o n c, c h e r a m i; je t ’e m b ra s s e co m m e je t ’aim e. Il e s t p eu de jo u is s a n c e a u ssi d o u c e q u e celle de rev o ir u n b o n p è re , a p rè s u n e lo n g u e s é p a ra tio n ; les é p a n c h e m e n ts d u c œ u r e t la confian te am itié offrent u n c h a rm e q u i se ren o u v e lle à to u t in s ta n t, et le so u v e n ir de l ’ab sen c e d e v ie n t a lo rs le s u je t d u p lu s d o u x e n tre tie n . E n p r e s s a n t m o n p ère s u r m o n c œ u r, n o s la rm e s se co n fo n d ire n t d a n s un égal b o n h e u r ; j ’é ta is a u s si h e u re u x de sa jo ie , q u ’il r e s s e n ta it de p la is ir à m e v o ir p rè s de lu i, e t p e n d a n t q u e lq u e s in s ta n ts , le silen c e d e v in t l ’e x p re ssio n de n o s s e n tim e n ts. L es quinze jo u r s q u e je p a ssa i à M assiac p e u v e n t ê tre c o m p té s au n o m b re d es p lu s h e u re u x de m a vie ; ils s ’é c o u lè re n t avec u n e te lle ra p id ité q u ’au m o m e n t de m o n d é p a rt je n e m e c ro y a is a rriv é q u e de la v eille, et, si m o n s é jo u r n ’av ait p as été p lu s lo n g , j ’e m p o rta is d u m o in s la d o u ce e s p é ra n c e de le re n o u v e le r b ie n tô t en a lla n t en E sp ag n e. L o rs de m o n r e to u r , il n ’é ta it q u e s tio n à P aris q u e de fê te s, e t p a rm i le s so m m ité s sociales se fa isa ie n t re m a rq u e r les so iré e s d e la re in e de H ollande e t de la p r in c e s s e Borg h èse, tr è s su iv ies p a r d es p e rs o n n e s de la p lu s h a u te d istin c tio n e t g ran d n o m b re de je u n e s o ffic ie rs; m a is c’é ta ie n t s u r to u t les b als de la C our q u i o ffraien t u n co u p d ’œ il a d m ira b le p a r la m agnificence e t le lu x e qui y ré g n a ie n t. Ils p ré lu d a ie n t o rd in a ire m e n t p a r d e s q u a d rille s p ré s id é s p a r d es p rin c e sse s e t où p a rtic ip a ie n t les p lu s jo lie s fe m m e s de la C our et des je u n e s h o m m e s d o n t les c o s tu m e s é ta ie n t re m p lis d ’élé g a n c e ; ce lu i de la re in e H orte n se , d o n t je faisais p a rtie , é ta it de c o u le u r c h a m o is, v êtu à la F ra n ç o is 1er avec l'é p é e sa n s g ard e su sp e n d u e à u n e 818 SOUVENIRS MILITAIRES. é c h a rp e b la n c h e , la to q u e en v e lo u rs n o ir g a rn ie de p lu m e s b la n c h e s e t u n p a n ta lo n co llan t en so ie b la n c h e avec des so u lie rs à ta lo n s ro u g e s e t à b o u ffe tte s. L’E m p e re u r e t l ’Im p é ra tric e r e s ta ie n t assez h a b itu e lle m e n t u n e h e u re p e n d a n t la q u e lle ils p a rc o u ra ie n t le s d ifféren ts s a lo n s ; m a is, a u s s itô t le u r d é p a rt, la jo ie d e v e n a it p lu s expansive e t la d a n s e p lu s an im ée . L’h a b it h a b illé à la fra n ça ise é ta it de rig u e u r p o u r to u s le s h o m m e s, ex cep té ceu x fo rm a n t les q u a d rille s ; l ’E m p e re u r a v a it v o u lu d a n s le p rin c ip e q u e le s m ilita ire s fu s s e n t a in si v ê tu s d a n s le b u t de fa ire g ag n er le c o m m e rc e ; m a is la m o u sta c h e offrait u n c o n tra s te si rid ic u le avec l ’h a b it à b a s q u e , l ’épée d ’a c ie r et le ch a p ea u so u s le b ra s, q u e le s officiers o b tin r e n t de se p r é s e n te r avec le u r u n ifo rm e , la c u lo tte b la n c h e e t le s so u lie rs à b o u c le s ; le s C h a sse u rs de la G arde e t le s H u ssa rd s se u ls a v a ie n t la b o tte e n m a ro q u in de c o u le u r avec u n trè s p e tit é p e ro n en o r o u en a rg e n t à m o le tte n o n p iq u a n te . Le p rin c e de N eu c h âte l r é u n is s a it a u ssi chez lu i la C our et to u t ce q u ’il y av a it de p lu s m a rq u a n t d an s la so c ié té ; se s fê te s, q u i se re n o u v e la ie n t so u v e n t, é ta ie n t m a g n ifiq u e s. Un so ir, le c o m te S o p ran zi, fils de la b e lle m a r q u is e de V isc o n ti, aide de cam p d u p rin c e de N eu c h âte l, e t m o n am i le p lu s in tim e , m e p ro p o s a de l ’a c c o m p a g n e r à N aples où il d e v a it aller en m is sio n so u s p e u de jo u r s . 11 m e d it q u ’il é ta it a u to ris é à s ’a d jo in d re q u e lq u ’u n e t q u 'il s e ra it c h a rm é q u e ce fû t 'm oi, se faisa n t fo rt de m e faire a g ré e r p a r le p rin c e ; il m ’a jo u ta : « J e te c o n d u is, je te g ard e e t te ra m è n e à P a ris sa n s b o u rse d élier, m a is il fa u t te d é c id e r d a n s les v in g t-q u a tre h e u re s e t je m e ch a rg e de te faire re m e ttre u n o rd re d u m in is tre de la G uerre s u r la d e m a n d e d u p rin c e . » L ’id ée de r e to u r n e r à N aples, o ù n a g u è re j ’avais p assé de si h e u re u x m o m e n ts, b ie n q u e p a u v re ex ilé, m a is a ÿ a n t VOYAGE A NAPLES. — 1810. 319 a lo rs to u te l ’in so u c ia n ce de m a g ra n d e je u n e s s e , m e s o u r ia it tro p p o u r n e pas m ’e m p re s s e r de d o n n e r m o n ac q u ies-, c e rn en t de g ra n d c œ u r à S o p ra n z i. I lf u tc o n v e n u q u e n o tr c d é p a rt a u ra it lie u à h u it jo u r s de là, e t q u e n o u s g a rd e rio n s le p lu s p ro fo n d sile n c e s u r ce voyage, c e tte m issio n a y a n t u n b u t s e c re t e t confid en tiel d o n t il d e v a it m e d o n n e r c o n n a issa n c e lo rs q u e n o u s a u rio n s q u itté P a ris. N ous p a rtîm e s le 25 n o v e m b re , à la n u it to m b a n te , d an s u n e b o n n e e t co m m o d e v o itu re , a y a n t u n d o m e stiq u e s u r le siège e t u n c o u rrie r en a v a n t; h u it jo u rs a p rè s, n o u s a rriv â m e s à N aples, n e n o u s é ta n t a rrê té s q u e q u e lq u e s h e u re s à M ilan. N o tre p re m iè re v isite fu t p o u r l’a m b a ssa d e u r de F ra n ce , le q u el, p ré v e n u de n o tre a rriv é e , n o u s r e ç u t avec le p lu s g ra n d e m p re s s e m e n t e t n o u s offrit son a s sista n c e en to u te ch o se. J e m ’e m p re ssa i d ’a lle r v o ir m o n a n c ie n co lo n el d u 5° H u ssa rd s, le brav e D ery ; il jo u is s a it a u p rè s d u roi de la p lu s h a u te fa v e u r; il é ta it lie u te n a n t g é n é ra l, c o m m a n d a n t la cav alerie lé g ère de la G arde ro y a le e t s u r le p o in t de faire u n trè s g ran d m a riag e. Sa ré c e p tio n fu t celle d ’u n v é rita b le am i, m ais, au m ilie u d u p la is ir q u ’il ép ro u v a it à m e voir, je m ’a p e rç u s q u ’il c h e rc h a it à p é n é tre r le m o tif de n o tre p ré se n c e à N aples. « J ’acco m p ag n e, lu i d is-je , u n aide de c am p d u p rin c e de N eu c h âte l, p o r te u r de d ép ê ch e s p o u r l ’a m b a s s a d e u r; il m ’a p ro p o sé ce voyage o b te n u p a r fav eu r e t p o u r m on a g ré m e n t, afin de re n o u v e le r c o n n a issa n c e avec la b elle Italie e t les g ra c ie u se s N ap o litain es. » Le g én é ral fit se m b la n t d e m e c ro ire o u, d u m o in s, e u t In d isc ré tio n de n e pas m ’en d e m a n d e r d a v a n ta g e ; il m e fit to u te s ses offres de se rv ic e s, m ’e n g a g e a n t à re g a rd e r sa m a iso n co m m e la m ie n n e e t d ’en a g ir avec lu i en am i. P e u de jo u r s a p rè s, n o u s fû m e s p ré s e n té s au ro i p a r l ’a m 320 SOUVENIRS MILITAIRES. b a s s a d e u r. Sa ré c e p tio n fu t assez fro id e , c o n tra ir e m e n t à ses h a b itu d e s avec les F ra n ç a is, d o n t u n e g ra n d e p a rtie fo rm a it sa c o u r e t c o m p o sa it le s officiers s u p é rie u r s de sa g a rd e ; m a is il c r u t v o ir d a n s n o tr e p ré s e n c e u n m o tif de s u rv e illa n c e q u i le b le s s a it; n o u s sû m e s p lu s ta rd q u ’on lu i en a v a it é c rit d a n s ce se n s de P a ris. C e p en d a n t, in s tru it de to u te s n o s d é m a rc h e s q u i s e m b la ie n t n ’av o ir d ’a u tre b u t qu e le p la is ir, il ta rd a p eu à re p r e n d r e avec n o u s ses m a n iè re s fra n ch e s e t a im a b le s, ne la is s a n t é c h a p p e r a u cu n e o cc asio n de n o u s fa ire p a r tic ip e r au x fête s q u ’il d o n n a it d a n s ce p a y s de fé e rie s. Le roi de N aples, m a lg ré sa g ra n d e ré p u ta tio n de b e a u té , avait la lig u re c o m m u n e et d é p o u rv u e d ’ex p re ssio n ; il é ta it g ran d et b ien la it, affable e t b o n p o u r to u s c e u x q u i l ’a p p r o c h a ie n t; il avait le s m a n iè re s p o lie s et p a rfo is la p a ro le saccad ée e t im p é rie u se , la d é m a rc h e b ru sq u e . Il p o r ta it to u jo u rs d e s c o s tu m e s p o m p e u x o u e x tra o rd in a ire s , te n a n t d u p o lo n a is e t d u m u s u l m a n , d es étoffes r ic h e s , de c o u le u rs tr a n c h a n te s , d es fo u r r u r e s , d e s b ro d e rie s , des p e rle s e t d e s d ia m a n ts ; se s ch e v eu x to m b a ie n t en lo n g u e s b o u c le s s u r se s la rg e s é p a u le s , se s fav o ris n o irs e t é p a is e t ses y e u x é tin c e la n ts , to u t cela fo rm a it u n e n s e m b le q u i p ro v o q u a it la s u rp ris e e t d o n n a it l ’idée d ’u n c h a rla ta n . M ais, au m ilie u de se s tra v e rs , il av ait de g ra n d e s q u a lité s. Sa b ra v o u re p a s s a it to u te c ro y a n c e ; lo rs q u ’il a lla it a u feu, on se m b la it v o ir u n de ces a n c ie n s p a la d in s de l ’a n tiq u ité . Il a im a it son p e u p le avec p a s sio n , tra v a illa n t e t p e n s a n t to u jo u r s à le r e n d r e h e u reu x . M urât p a s sa sa vie à o b lig e r e t p a r c o n s é q u e n t à faire d es in g ra ts ; so n c œ u r ne fu t p o u r rie n d a n s sa c o n d u ite av ec l’E m p e re u r, m ais l a fo rc e de c a ra c tè re lu i m a n q u a ; le d ip lo m a te en lu i se tro u v a it a u -d e sso u s d u g u e r r ie r e t son ou b li d e re c o n n a iss a n c e e n v e rs so n b ie n fa ite u r e s t p e u tê tre u n e d es p rin c ip a le s ca u se s de la c h u te de l ’E m p ire. LA COUR DE NAPLES. 321 — 1811. L ’ép o q u e où je vis M urât à N aples fu t celle de sa plus b rilla n te p o s itio n : il é ta it en v iro n n é de to u s les p re stig e s de la g lo ire e t de la ro y a u té ; so n n o m se ra tta c h a it à to u s les faste s d e ce tte h is to ire m e rv e ille u se e t sa p ré s e n c e in sp ira it au x tro u p e s u n v éritab le e n tra în e m e n t e t u n e n th o u sia sm e in c ro y a b le . Sa m a is o n m ilita ire é ta it en p a rtie co m p o sée de F ra n ç a is; l ’u n d ’eu x , M. de L ivron, b rav e et in tré p id e officier, a v a it gagné se s é p a u le tte s s u r le s ro c h e rs de File de C apri p a r u n e d es p lu s b rilla n te s a c tio n s de la g u e r r e ; u n a u tre , le c o m te de La V au g u y o n , je u n e h o m m e b ea u , s u p e rb e , a y a n t le g ra d e de g é n é ra l, n ’av a it d ’a u tre m é rite q u e le s fav e u rs p a rtic u liè re s de la r e in e ; M anhôs, v é rita b le h o m m e de g u e rre , s u je t d év o u é, é ta it la te r r e u r d es C alab rais in su rg é s ; enfin p lu s ie u r s officiers, te ls q u e m o n a n c ie n c o lo n el, é ta ie n t d ig n e s de le u r h a u te fo rtu n e . La G arde ro y a le é ta it de la p lu s g ran d e b e a u té , d ’u n e te n u e b rilla n te et des p lu s é lé g a n te s, m a is il lu i m a n q u a it le feu sa c ré , b ien q u ’il y e û t p a rm i les N ap o litain s d es offi ciers d ’u n m é rite d istin g u é . La re in e C aro lin e, m o in s p a rfa ite m e n t b elle-q u e sa sœ u r la p rin c e s s e B orghèse, av a it, d an s la p h y sio n o m ie , u n e g râce, u n e m o b ilité e t u n e e x p re ssio n qui d o n n a ie n t à sa jo lie tê te c e t air v ap o re u x , si s é d u is a n t; elle é ta it d ’u n e ta ille m o y e n n e , av ait u n tr è s b e a u te in t, d e s y eu x d ’u n e g ra n d e e x p re ssio n , le n ez b ie n fa it, u n so u rire q u i la issa it v o ir u n e ra n g é e de p e rle s, les m a in s d ’u n e b la n c h e u r écla ta n te e t d ’u n e p e tite sse e x tra o rd in a ire a u ssi b ien que le s p ie d s. S on c a ra c tè re re s s e m b la it à celu i de N apoléon : elle av a it u n e g ra n d e fo rc e d ’âm e, les p a s s io n s vives, b ea u co u p de p é n é tra tio n ; m a is s u r to u t elle é ta it tr è s p o rté e à l’in trig u e , tra v a illa n t avec les m in is tre s et a b so rb é e p ar les so in s d u g o u v e rn e m e n t q u ’elle p a rta g e a it avec so n m a ri. 21 322 SOUVENIRS MILITAIRES. La re in e s ’o c c u p a it avec u n so in to u t p a rtic u lie r du d é ta il de sa m a is o n ; a im a n t le lu x e, la r e p r é s e n ta tio n e t l ’o rd re , e lle a ffec tio n n a it p a rtic u liè re m e n t le p a la is de P o rtic i, p e u d is ta n t de la c a p ita le , d o n t les a p p a rte m e n ts p o u v a ie n t p a s s e r p o u r u n ch e f-d ’œ u v re de b on go û t. C o m b ien j ’a u ra is à d ire s u r le s n o m b re u x c h a n g e m e n ts s u rv e n u s à N aples d e p u is l ’ép o q u e o ù je l’h a b ita is e t s u r to u t d es e m b e llis s e m e n ts faits avec u n e si ju d ic ie u s e en te n te ; m a is les d é ta ils en s e ra ie n t tro p lo n g s ; j ’a jo u te ra i s e u le m e n t q u e j ’é ta is en ex tase en re tro u v a n t c e t a ir e m b a u m é q u i p o rte au p la is ir e t à la v o lu p té e t d o n t j ’avais co n serv é u n si d o u x so u v e n ir d a n s m e s im p re s s io n s de je u n e s s e . Ce q u i m e fra p p a s u rto u t, ce fu t le th é â tre S ain t-C h arles car, b ie n q u ’il fû t s u p e rb e a lo rs, le ro i M urât en a v a it fait le p lu s a d m ira b le et le p lu s v a ste th é â tre p e u t-ê tre de l’E u ro p e . C’é ta it s u r to u t u n jo u r de g ala o u de g ra n d e ré c e p tio n q u ’il fallait le v o ir, ce q u i a rriv a it assez fré q u e m m e n t : il y av a it a lo rs des m illie rs de b o u g ie s, r e flétan t les lu m iè re s d a n s d es g ira n d o le s de c rista l, ce q u i, jo in t au lu x e de la salle e t au x to ile tte s ra d ie u s e s d ’une im m e n se q u a n tité de fe m m e s é tin c e la n te s de p ie rre rie s et d e d ia m a n ts, p ro d u is a it u n effet m a g iq u e. Q u an t au x a c te u rs e t à l ’o rc h e stre , le ro i le s su b v e n tio n n a it avec u n e te lle g é n é ro s ité q u e l ’o n n e v o y ait ja m a is que le s p re m ie rs su je ts d e l ’Italie. « Naples, le 5 janvier 1811. « J e v o is d ’ici, frè re , ta s u rp ris e e t to n é b a h is s e m e n t en o u v ra n t m a le ttr e . E h b ie n ! lis vite e t sa tisfa is ta c u rio sité s u r m a p ré se n c e à N aples d e p u is p rè s de six se m a in e s, lo rs q u e tu d evais m e cro ire s u r la ro u te de l’E sp ag n e ; et m a in te n a n t q u e c ’e st u n fa it b ie n c o n sta té , sa ch e do n c q u e je s u is s im p le m e n t l ’a d jo in t d ’u n am i ch a rg é d ’u n e m issio n LA COUR DE NAPLES. — 1 811. 323 se c rè te , a u q u e l j ’a b a n d o n n e c o m p lè te m e n t to u s les h o n n e u rs d u p re m ie r rô le , n ’a y a n t eu d ’a u tre in te n tio n , en v e n a n t ic i, q u e de re v o ir ce la n t d o u x p ay s, l ’o b je t de m es c o n tin u e ls s o u v e n irs . Ce b o n h e u r e s t à c h a q u e in s ta n t acco m p ag n é d es s u rp ris e s les p lu s a g ré a b le s, en r e tr o u v an t q u a n tité de je u n e s fem m es é c la ta n te s de b e a u té , n a g u è re p e tite s filles de h u it à dix a n s, d o n t je p a rta g e a is le s je u x lo rs q u e , p au v re é m ig ré , j ’étais a d m is chez le u rs p a r e n ts ; j ’en ai é té re ç u avec d ’a u ta n t p lu s d ’e m p re s s e m e n t q u ’o n m e sav ait b ie n ac cu e illi en c o u r, où le s F ra n çais d ’a u jo u rd ’h u i o n t a c q u is des sy m p a th ie s q u ’o n le u r re fu s a it ja d is. « N aples e st a u jo u rd ’h u i b ie n c e rta in e m e n t u n e d es ca p ita le s les p lu s flo rissa n te s de l ’E u ro p e , n o n se u le m e n t p a r le s fa v e u rs d o n t la n a tu re l’a co m b lée , m ais a q ssi p a r les e m b e lliss e m e n ts d u s au so u v e ra in de ce b ea u p ay s, de m ê m e qu e p a r les fêtes n o m b re u se s q u i s ’y d o n n e n t et d o n t le s b e lle s N ap o litain es ne p e u v e n t se ra s s a s ie r, le p la isir é ta n t le b u t de le u r ex iste n ce. J e p o u rra is te r e tr a c e r ici p lu s ie u rs de ces fête s d ’u n g ra n d in té rê t, m a is je m e c o n te n te r a i d e la d e rn iè re , q u i v ie n t d ’a v o ir lie u au p alais p o u r le p re m ie r de l ’an, p e n d a n t la q u e lle m ’e s t su rv e n u e u n e affaire assez d ésag réa b le d o n t, fo rt h e u r e u s e m e n t, je m e su is tiré avec av an tag e. « A d ix h e u r e s d u so ir se tro u v a ie n t ré u n ie s d a n s les sa lo n s p lu s d e q u in z e c e n ts p e rso n n e s a tte n d a n t l ’a rriv é e de la fam ille ro y a le ; elle p a ru t, p ré c é d é e de d eu x h é r a u ts d ’a rm e s q u i, en tr a v e rs a n t les sa lo n s, a n n o n ç a ie n t à h a u te voix : Sa M ajesté le Roi, Sa M ajesté la R e in e e t le P rin c e royal. « Le ro i p o rta it l ’h a b it de sa g a rd e ; la re in e é ta it v êtu e d ’un e ro b e b le u e p a rse m é e d ’o r et de b o u q u e ts ; e lle é ta it é b lo u issa n te de d ia m a n ts q u e re le v a ie n t e n c o re sa c h a r m a n te to u r n u re et sa b e a u té v ra im e n t re m a rq u a b le . 324 SOUVENIRS MILITAIRES. « L es b rilla n ts c o s tu m e s de c o u r des d a m e s de la m a i s o n de la re in e , la ric h e sse des u n ifo rm e s des aid es de ca m p , d es o fficiers d ’o rd o n n a n c e , d es d ig n ita ire s co m p o s a n t la m a iso n civile et m ilita ire d u ro i, des officiers de la G arde d o n t p lu s ie u rs p o rta ie n t l ’é c la ta n t d o lm a n b leu , le p a n ta lo n de c a sim ir b la n c b ro d é en or, le s b o tte s ro u g e s à g la n d s d ’o r, les u n ifo rm e s des e m p lo y é s su p é r ie u r s d e s d iffé ren te s a d m in is tra tio n s civ iles, enfin c e lte ric h e b ig a rru re d ’u n ifo rm e s, de c o s tu m e s re h a u s s é s d ’o r e t d ’a rg e n t, de p la q u e s, de g ra n d s c o rd o n s , de d é c o ra tio n s , to u t d o n n a it à c e tte fête u n é c la t, u n e a n im a tio n , u n e p h y sio n o m ie q u i lu i é ta it p ro p re . « L eu rs M ajestés, en e n tra n t d a n s le g ra n d sa lo n , se d iri g è re n t a u s s itô t v e rs l ’a m b a s s a d e u r de F ra n ce , à q u i elles a d r e s s è r e n t la p aro le . S on E x cellen ce av a it p rè s d ’elle to u te l’a m b a ssa d e : S o p ra n zi, re v ê tu de so n élég a n t co s tu m e d ’aid e de cam p d u p rin c e de N eu c h â te l e t m oi p o r ta n t l ’u n ifo rm e sé v è re de G h am b o ran (2e H u ssa rd s), avec le d o lm a n ca p u c in c u ira ssé d ’a rg e n t, le p a n ta lo n b le u de ciel, la c e in tu re c ra m o isie e t la b o tte ro u g e , ce q u i n ’é ta it p as sa n s éclat, le to u t re h a u ssé de la c ro ix d ’officier de la L ég io n d ’h o n n e u r et de tro is d é c o ra tio n s é tra n g è re s d o n t, b ie n c e rta in e m e n t, je n ’e u s se p a s é c h an g é la p re m iè re c o n tre a u c u n e de c es b rilla n te s en d ia m a n t qui sc in tilla ie n t d a n s la salle. « Le ro i n o u s fit u n sig n e b ie n v e illa n t de la tê te , la rein e ag ita so n é v e n ta il avec g râc e, e t n o u s ré p o n d îm e s p a r u n e p ro fo n d e s a lu ta tio n . Les d am es, g é n é ra le m e n t m is e s avec g o û t, c o u v e rte s d e p ie rre rie s , de p e rle s e t de fleu rs, o ffraien t u n co u p d ’œ il ra v iss a n t : s u r le u rs jo lie s fig u res, je u n e s et c o q u e tte s , p e rç a ie n t le p la isir, la p a ssio n et l’a m o u r. « La so m p tu o sité d es a p p a rte m e n ts é tait én ra p p o r t avec le lu x e d es p a r u r e s ; les d é c o rs e t les te n tu r e s é ta ie n t LA COUlt DE N A P L E S . — 1811. d ’u n e m ag n ificen ce to u te ro y a le ; m a is ce qui d o n n a it u n ch a rm e v ra im e n t m a g iq u e à ces sa lo n s, c’é ta it la p r o fu sio n de b elles fleu rs n a tu re lle s e x h a la n t le s p lu s suav es é m a n a tio n s. Des lu s tre s , d ’u n e ric h e sse e x tra o rd in a ire , r é p a n d a ie n t d es flots de lu m iè re s u r c e tte ra v issa n te d é c o ra tio n e t c e tte im m e n se sa lle , o ù l ’o n d a n s a it au m ilie u de tou ffes d e fleurs. « Cette fête, q u i a u r a it pu o c c u p e r u n e p la c e d a n s le r é c it d e s M i l l e e t U n e N u i t s , d u r a ju s q u ’au jo u r . J ’avais co n serv é u n e tr o p d o u ce so u v e n a n c e de c e t h e u re u x p a y s qui s y m p a th is a it si b ie n avec m e s g o û ts p o u r n e p as a p p ré c ie r le b o n h e u r de m ’y tr o u v e r ; a u s si, la n cé , a in si q u e m o n am i, d a n s ce to u rb illo n de p la is irs , n o u s en sa v o u râ m e s to u te s le s d o u c e u rs en o ffran t d es h o m m a g e s , ac cu e illis avec c e tte b o n té to u te p a rtic u liè re au x N a p o lita in e s. C e p e n d a n t u n e je u n e d u c h e sse faillit, avec sa c o q u e tte rie e t ses d ix -h u it p rin te m p s , m e tr a n s fo rm e r en h é ro s de ro m a n en m ’e n g a g e a n t à a lle r ré c la m e r son éventail p rè s de M. de Z ibin, je u n e a tta c h é à l’a m b assa d e r u s s e , a u q u e l elle l ’av a it co n fié avec la lé g èreté de so n âge. M. de Z ibin, n e v o y a n t pas sa n s d é p la is ir n i ja lo u s ie l ’in te llig e n c e qui se m b la it e x iste r e n tre n o u s, m e ré p o n d it, lo rsq u e j e lu i fis p a r t de m a m is sio n , q u ’il sa u ra it bien re n d r e lu i-m ê m e ce q u i lu i av ait é té confié, m a is q u e , si je te n a is e s se n tie lle m e n t à r e m p lir m a m is sio n , il m ’en g a g ea it à v e n ir le le n d e m a in m a tin s u r les b o rd s d u la c d ’A gnano c h e rc h e r l ’év e n ta il. C e tte ré p o n s e , faite d an s le s te rm e s les p lu s p o lis m a is si s è c h e , m e p a r u t tro p p o sitiv e p o u r y faire [aucune ré p liq u e e t je m e r e lira i e n 'a c c e p ta n t l’in v ita tio n . « Le le n d e m a in m a tin , n o u s n o u s re n c o n trâ m e s s u r le lie u in d iq u é , a y a n t p o u r té m o in s A lex a n d re T alley ran d et S o p ran zi, q u i m ’eng ag ea à fa ire au ssi b ie n que le jo u r du bo is de B oulogne o ù il é ta it m o n se c o n d , le 25 ju ille t 1808. 326 SOUVENIRS MILITAIRES. M. de Z ib in é ta il a c co m p ag n é de d e u x R u sses a tta c h é s à l ’a m b a ssa d e . « L es p ré lim in a ire s d u c o m b a t s e fire n t avec les fo rm e s les p lu s h o n n ê te s , sa n s q u ’a u c u n d es té m o in s e û t l’idée d ’a r r a n g e r c e tte affaire, q u i p r e n a it u n e e sp èc e de g rav ité e t d ’a m o u r- p r o p re n a tio n a l; il fu t c e p e n d a n t d écid é q u e l ’év e n ta il s e ra it re m is au v a in q u e u r. A lors, n o u s m îm e s h a b its bas e t c ro isâ m e s a u s s itô t le fe r de n o s é p é e s ; m o n a d v e rs a ire é ta il g a u c h e r; la lu tte fu t assez vive e t se te r m in a p a r u n e b le s s u r e assez p ro fo n d e q u ’il r e ç u t d a n s le b ra s. « Je fu s d ’a u ta n t p lu s p e in é de c e t é v é n e m e n t q u e ce je u n e h o m m e é ta it u n a im ab le g arçon q u e j ’avais la c ra in te de l ’av o ir e s tro p ié ; h e u r e u s e m e n t r a s s u r é le le n d e m a in lo r s q u e je fu s le v o ir, il m e r e ç u t avec affection, sa n s r a n c u n e , e t la p ro m e s s e d ’u n e e s tim e r é c ip ro q u e ; d u re s te , c e tte r e n c o n tre n ’e u t a u c u n e su ite , b ie n q u ’elle n e p û t r e s te r ig n o ré e , e t d eu x jo u r s a p rè s , m e v o y a n t p ro m e n e r av ec M. de Z ibin, on n ’en p a rla p lu s. « J e n e p u is te p ré c is e r l ’ép o q u e de m o n r e to u r en F ra n c e , q u i n e p e u t avoir lie u q u ’avec m o n co m p ag n o n , s o u m is lu i-m ê m e à c e rta in e s c o n s id é ra tio n s im p ré v u e s ; d a n s to u s le s cas, é c ris-m o i à P a ris afin q u e j ’y tro u v e de te s n o u v e lle s en y a rriv a n t. A dieu, c h e r a m i; so u v e n irs e t te n d re s s e s . » V ers la fin de n o tre q u a triè m e m o is de sé jo u r à N aples, S o p ran zi r e v in t u n m a tin de l ’a m b a ssa d e avec u n v o lu m i neu x p a q u e t re n fe rm a n t, m e d it-il, d es d é p ê c h e s de la p lu s h a u te im p o rta n c e , q u ’il d e v a it e m p o rte r à P a ris d a n s le p lu s b re f d élai. Je fus d ’a u ta n t p lu s c o n tra rié de c e t in c i d e n t q u e n o u s avions fo rm é le p r o je t de faire n o tre re to u r en to u r is te s et q u e cela d e v e n a it im p o s s ib le ; il fu t do n c DÉPART DE N A P L E S . — 1811. 327 d é c id é q u e n o u s p a r tirio n s le le n d e m a in d a n s la n u it, afin de p o u v o ir tr a v e rs e r de jo u r le s M arais P o n tin s , in fe s té s de b rig a n d s. N ous q u ittâ m e s N aples le 29 fé v rie r, à six h e u re s d u so ir, e m p o rta n t u n e am p le p ro v isio n de b ie n d o u x so u v e n irs ; n o u s tra v e rs â m e s c e tte d é lic ie u se C apoue, a u jo u rd ’h u i u n e b o u rg ad e fo rt la id e et trè s sale, p u is G aête la fo rte , q u i a v a it ré s is té si lo n g te m p s au x F ra n ç a is ; e n s u ite n o u s p a rc o u rû m e s les M arais P o n tin s , lieux to u jo u r s in fe c ts, m a ls a in s , re p a ire de b rig a n d s q u i, la veille, av a ie n t c o m m is u n a s sa sin a t e t, p o u r c e tte c a u se , n é c e s sité la p ré se n c e d ’u n d é ta c h e m e n t de cavalerie q u i p ro té g e a n o tre p assag e . N ous re s tâ m e s u n e h e u re se u le m e n t à R om e, q u e je c o n n a issa is si b ie n , r e g r e tta n t de ne p o u v o ir se rv ir de c ice ro n e à m on am i. N ous v o y ag io n s p a r u n te m p s su p e rb e et avec u n e e x trê m e ra p id ité , é ta n t p ré c é d é s p a r u n c o u rrie r, m a is avec le c h a g rin de n e p o u v o ir e x p lo re r ce d élicieu x p a y s. U ne d e m i-h e u re a p rè s av o ir q u itté la ville de S ien n e , n o u s tro u v a n t s u r u n e h a u te u r au to u r n a n t de la r o u te , p rè s d ’u n b o is e t d ’u n ra v in p ro fo n d , n o s re g a rd s f u re n t to u t à co u p fra p p é s p a r l ’a s p e c t d ’u n e ca lè c h e élég a n te, a b a n d o n n é e , san s chevaux, n i v o y a g e u rs; q u e lq u e s effets é p a rs, u n e m a re de sa n g e t u n lo n g p is to le t n e n o u s la is s è re n t au c u n d o u te q u ’u n c rim e h o rrib le n ’e û t été c o m m is, dep u is tr è s p e u d 'in s ta n ts , d a n s cet e n d ro it, e t m ê m e a p rè s le p assag e de n o tre c o u rrie r. N ous m îm e s p ie d à te rr e p o u r tâ c h e r de d é c o u v rir q u e lq u e o b je t d a n s la v o itu re q u i p û t d o n n e r des in d ic e s s u r les p r o p rié ta ire s ; le s p o rtiè re s é ta ie n t o u v e rte s, le s coffres en lev és, u n e c a sq u e tte ro u g e avec u n g alon d ’o r é ta it p rè s d ’u n c o u s s in e t, d a n s u n e d e s p o c h e s, se tro u v a it u n m o u c h o ir de b a tis te , im p ré g n é de l’o d e u r d ’ea u de P o rtu g a l, a y a n t u n chiffre b ro d é W avec 328 SOUVENIRS MILITAIRES. u n e c o u ro n n e ; n u l d o u te q u ’il n ’a p p a r tîn t à u n e fem m e, qui a v a it été p ré c ip ité e , ain si q u e so n c o m p ag n o n de voyage, d a n s le ra v in p ro fo n d q u e n o u s av io n s so u s le s yeu x . N ous q u ittâ m e s ce lie u d ’h o rre u r avec u n s e n tim e n t d o u lo u re u x e n p e n s a n t au s o rt affreu x de ces m a lh e u re u s e s v ic tim e s, e m p o rta n t avec n o u s to u t ce q u i p o u v a it c o n trib u e r à m e ttr e s u r le s tra c e s de cet a tte n ta t. En a rriv a n t à T av a ru e lla , n o u s a p p rîm e s à la p o ste q u ’u n e ca lè c h e se m b la b le à celle q u e n o u s d é sig n io n s av ait s im p le m e n t re la y é au m o m e n t o ù n o tre c o u r r ie r c o m m a n d a it n o s ch e v a u x ; elle é ta it occu p ée p a r u n h o m m e d ’u n e q u a ra n ta in e d ’a n n é e s ; p rè s de lu i, é ta it u n e je u n e e t jo lie fe m m e ; s u r le siège, u n d o m e stiq u e e t u n e fem m e de c h a m b re ; la v o itu re é ta it a tte lé e de tro is chevaux c o n d u its p a r le p o stillo n , d o n t le r e to u r a u ra it d û av o ir lie u d ep u is lo n g te m p s . N ous fû m e s chez le p o d e s ta t faire e t sig n e r n o tre d éc la ra tio n , e n lu i r e m e tta n t les o b je ts de conviction q u e n o u s av io n s re c u e illis. Il v o u lu t n o u s r e te n ir p o u r l’in stru c tio n de c e tte affaire, m ais le p a s s e p o rt d o n t n o u s étions, p o rte u rs é ta it tro p im p é ra tif p o u r q u ’il o sâ t n o u s g a rd e r, e t n o u s c o n tin u â m e s n o tr e r o u te s u r F lo re n c e , o ù n o u s re stâ m e s sim p le m e n t le te m p s de d é je u n e r. N ous a rriv â m e s le le n d e m a in à M ilan, o ù n o u s fû m e s je te r u n co u p d ’œ il p e n d a n t q u ’o n p ré p a ra it n o tre re p a s, e t, c o n tin u a n t n o tre ro u te p a r T u rin , C h a m b é ry et L y o n , n o u s a rriv â m e s à P a ris d a n s la m a tin é e d u 11 m a rs. Ma m è re , q u e je m ’e m p re ssa i d ’a lle r voir, m ’a n n o n ç a la p ro c h a in e arriv é e de m on frè re v e n a n t de H am bourg, o ù il é ta it en g a rn iso n , p o u r faire u n m a ria g e a v a n ta g e u x q u i s ’é ta it a rra n g é p e n d a n t m o n a b s e n c e ; il d ev ait ép o u se r M110 d e B o issie r, b e lle -sœ u r du g é n é ra l de div isio n M e rm e t; l ’E m p e re u r av a it p ro m is de sig n e r le c o n tra t de m a riag e, SÉJOUR A PARIS. — 1 811. 329 e t, p o u r cad ea u de n o ce s, il lu i a c c o rd a it la p la ce de re c e v e u r g é n é ra l de la M é d ite rran é e, d o n t la ré s id e n c e é ta it à L iv o u rn e, et q u i v a la it au m o in s 60 000 fra n c s de re v e n u . C ette n o u v elle m e co m b la de jo ie , elle a s s u ra it à m o n frè re u n e ric h e tra n q u illité et u n re p o s q u e se s b le s s u re s re n d a ie n t n é c e s sa ire . Ma m è re , p a r u n s u rc ro ît de p ré c a u tio n , av a it été chez le m in is tre de la G uerre, m u n ie d ’u n e le ttre de l ’im p é ra tric e Jo sé p h in e , p o u r o b te n ir de lu i q u ’à m o n r e to u r de N aples, je p u isse r e s te r à P a ris ju s q u ’à la c o n c lu sio n de c e tte af faire, ce q u ’il av ait ac co rd é avec b e a u c o u p de grâce. L ’h e u re u x é v é n e m e n t d u m a riag e de m o n frè re , q u e rie n n e m ’av ait fa it p re s s e n tir e t l’a u to ris a tio n du m in istre a llaien t, de n o u v e a u , m e la n c e r au m ilie u d es fêtes e t d es p la isirs q u i, à c e tte ép o q u e , é ta ie n t e n c o re d ans to u te le u r fo rc e, la n d is q u e je c o m p ta is p a r tir p o u r l ’E spagne. U ne dizain e de jo u r s a p rè s m o n r e to u r à P a ris, S o p ra n z i, e n tra n t d a n s m a c h a m b re , d é p o sa p lu s ie u r s b ille ts d u T ré s o r s u r u n e ta b le , en m e d isa n t q u ’il v e n a it de re c e v o ir 6 000 fra n c s de g ratific atio n d u p rin c e de N eu c h âte l e t q u ’il m ’en a p p o rta it la m o itié . « J e c ro y a is, lu i dis-je, q u e n o u s av io n s assez la rg e m e n t d é p e n sé les fo n d s de l ’É ta t sa n s q u ’il fû t n é c e s sa ire d ’y a jo u te r ce s u r c r o ît d ’av a n ta g e, m a is, d a n s to u s le s ca s, je n e c ro is p as d ev o ir ê tre p o u r q u e lq u e c h o se d an s c e tte m u n ific en c e, p u is q u e je n ’é ta is q u ’u n ac ce sso ire d a n s la m is sio n . — Le p rin c e m ’a c e p e n d a n t fo rm e lle m e n t d it, r e p r it m o n am i, q u e c’é ta it p o u r n o u s deu x , e t il se ra it p e u c o n te n t d ’u n re fu s. Au re s te , je t ’en g ag e à le r e m e rc ie r d e m a in à son bal. — Q u’à cela n e tie n n e , re p a rtis-je , p u is q u ’il en e s t a in si, je m e ré sig n e ,» e t tro is b illets de 1 000 fran cs m e fu re n t re m is. Je cro is m e ra p p e le r q u e le s frais de r o u te , n o tre sé jo u r à N aples et la g ratific atio n p r o d u is ir e n t u n to ta l de 18 000 330 SOUVENIRS M ILITAIRES. e t q u e lq u e e e n ts fra n c s : il e st v rai q u ’a lo rs il n ’y av a it ni m e s q u in e rie , n i p e tite s s e , to u t é ta it à la h a u te u r de l ’é p o q u e , e t, en o u tre de cela, m o n am i é ta it le fils de Mme V isc o n ti e t aide de cam p du p rin c e de N eu c h âte l. J ’a tte n d a is fo rt p a tie m m e n t, au m ilie u d es p la isirs, q u e le m a ria g e se te rm in â t, lo rsq u e m o n frè re v in t m ’a n n o n c e r q u ’il d ev a it se re n d re le le n d e m a in à n e u f h e u re s d u m atin au p a la is de S ain t-C lo u d . Mon frèr.e, en u n ifo rm e de c a p i ta in e au 3e C h a sse u rs, é ta it ac co m p ag n é de so n n o ta ire âgé de tre n te a n s, m a is p a ra is s a n t en a v o ir v in g t-tro is , v êtu en n o ir, p e tit m a n te a u de so ie et ra b a t de d e n te lle . Ils fu re n t in tr o d u its d an s le c a b in e t de l’E m p e re u r p a r le c o m te de B a u sse t, p ré fe t d u p alais. N apoléon é ta it assis p rè s d ’u n e p e tite ta b le s u r la q u e lle se tro u v a it le c o n tra t de m a riag e q u ’il a lla it s ig n e r; il en v isag e a d ’a b o rd le g a rd e -n o te s en fro n ç a n t le so u rcil p u is l’a p o s tro p h a ain si : « V o u s? n o ta ire ? .. ( P a u s e . ) V ous ê te s b ie n je u n e ! ( A u t r e A n c ie n n e m e n t, on d isa it : Un se rg e n t a u x g a rd e s fra n ç a ise s , u n c u ré e t u n n o ta ire fo n t tro is h o n n ê te s p a u s e .) g e n s !... C’e s t b ie n c h a n g é. ( P a u s e e t h u m e u r . ) A u jo u rd ’h u i les n o ta ire s fo n t des affaires, le s n o ta ire s m a n q u e n t e t les n o ta ire s r u in e n t le u rs c lie n ts! ( P a u s e r a d o u c i e . ) l \ y a ce p en d a n t d es e x c e p tio n s. » L’o n d o it ju g e r la p o sitio n du p a u v re g a rd e -n o te s q u i av a it le v isag e ru is s e la n t de s u e u r ; p u is l ’E m p e re u r se ra s s é ré n a e t d it à m on frè re : « Mais je v o u s c o n n a is, c a p i ta in e , v o u s avez été b le ssé à W a g ra m ? — O ui, sire. » Il lu i fit u n p e tit sig n e de tê te en s o u ria n t, et a jo u ta : « E t vous vo u le z-v o u s r e p o s e r? » P u is, p re n a n t la p lu m e , il tr a ç a son n o m s u r le c o n tra t de m a ria g e , e t lu i fit u n g este b ie n v e illa n t de la m a in p o u r q u ’il se r e tirâ t. U ne fois so rti, le n o ta ire p o u v ait à p e in e se so u te n ir. B a u sse t c o u r u t a p rè s m o n frè re p o u r l ’ac c o m p a g n e r chez MA IM E-l.OUISE. — 1811.' 331 l ’im p é ra tric e M arie-L ouise, q u i, se lo n l’u sa g e, d e v a it a u ssi s ig n e r a u c o n tra t. A dm is d e v a n t elle et a p rè s le s a lu t, l ’Im p é ra tric e o u v rit la b o u c h e p o u r d ire d e u x b ê tise s, l’u n e : « V o u s ê te s o f f i c ie r d a n s la G a r d e ? so n u n ifo rm e p ro u v a it le c o n tra ir e ; l ’a u tre : « V o u s a v e z f a i t la g u e r r e e n A l l e m a g n e ? » A c e tte se co n d e q u e s tio n , q u i e u t to u t lie u de s u r p re n d re m ort frè re , il ré p o n d it affirm ativ em e n t en r ic a n a n t de p itié. Le c o n tra t sig n é , ces m e s s ie u rs se re tirè re n t. A rrivé à P a ris , M. C o u rc h a n t, le n o ta ire , se m it au lit avec la fièvre. Le s u rle n d e m a in , u n d é c re t im p é ria l n o m m a it m o n f rè re re c e v e u r g é n é ra l de la M é d ite rran é e e t il r e ç u t l ’o rd re d e se r e n d re à L iv o u rn e, lie u de sa ré sid e n c e . C e tte re c e tte g é n é ra le av a it d a n s se s a ttr ib u tio n s l ’île d ’E lbe; m ais ce q u i la r e n d a it u n e des m e ille u re s de l’e m p ire , c ’e s t q u e les d o u a n e s, v e rsa n t le u rs re c e tte s d an s le s ca isse s d u re c e v e u r g é n é ra l q u i lu i-m ê m e n ’é ta it te n u de faire se s v e rs e m e n ts q u e d eu x fo is p a r an , m o n frè re se tro u v a it d a n s u n e p o s i tio n fin an c ière d es p lu s av a n ta g eu se s. Le m a riag e te rm in é , je co m p tais p a r tir p eu de jo u r s a p rè s, lo r s q u ’u n é v é n e m e n t to u t à fait im p ré v u e t q u i fit assez de b r u it d a n s P a ris m e r e tin t d e u x se m a in e s. L ’av a n t-v eille du jo u r o ù je d ev ais q u itte r P a ris , s o rta n t du café T o rto n i v ers les onze h e u r e s d u so ir, à p e in e éf a is-je d a n s m o n c a b rio le t, m o n cheval s ’e m p o rte ; u n e rê n e c a sse en c h e rc h a n t à le r e te n ir et, au m o m e n t o ù j ’e n tra is d an s la ru e d e G ra m m o n t, je c u lb u te u n m a lh e u re u x p ié to n q u i tra v e rs a it le b o u le v a rd ; u n e ro u e lu i p asse s u r la c u isse e t la lu i b rise en d eu x e n d ro its ; je c h e rc h a is il r e te n ir la fo u g u e de m o n cheval avec la se u le rê n e q u i n o u s r e s tâ t; il e n tre d an s le m a g asin d ’u n ép ic ie r, fo u la n t to u t so u s se s p ie d s; l’effroi e t le s c ris d u m a rc h a n d à c e tte 332 SOUVENIRS MILITAIRES. v isite in a tte n d u e , la tris te situ a tio n d u m a lh e u re u x q u e j ’av ais é c ra sé , a ttir e n t à l ’in s ta n t u n e foule de m o n d e , m a lg ré l’h e u re av a n cé e d a n s la n u it; le p eu p le se p ré c ip ite s u r m o n c a b rio le t q u e l ’on r e tire avec p e in e de la b o u tiq u e o ù le b ra n c a rd é ta it en g a g é ; o n té m o ig n e l ’in te n tio n de le b ris e r en v o c ifé ra n t a p rè s le s m ilita ire s q u i se c ro ie n t to u t p e r m is ; m a p o sitio n d e v e n a it à c h a q u e in s ta n t p lu s c ritiq u e , lo r s q u ’u n m o n s ie u r d éc o ré, q u e je re c o n n u s a u s s itô t p o u r u n de m e s am is p a r tic u lie r s (le c a p ita in e Montig n y d e J a u c o u rt), se p ré s e n te co m m e s ’il é ta it officier de p o lic e , e m m è n e m o n c a b rio le t avec m o n d o m e stiq u e a u q u e l il o rd o n n e de se d irig e r s u r la P ré fe c tu re de P o lice. Q u a n ta m o i, je m e re n d s a u s s itô t chez u n m a rc h a n d de m e rc e rie fa is a n t le coin d u b o u le v a rd e t de la ru e de G ram m o n t où l’on a v a it d ép o sé m a m a lh e u r e u s e v ic tim e d an s u n é ta t v ra im e n t d é p lo ra b le ; p e u d ’in s ta n ts a p rè s, se p r é s e n te le c o m m issa ire de p o lic e d u q u a r tie r avec l’in te n tio n d e m ’a r r ê te r, lo rsq u e , fo rt h e u re u s e m e n t, le c o m te Arc h a m b a u d de P é rig o rd , q u i é ta it au café T o rto n i, v ie n t s u r le s lieu x de la sc èn e , se fa it re c o n n a ître p o u r le frè re du p rin c e d e B é n é v e n t, d éc la re q u e je su is so n p a re n t e t q u ’il ré p o n d de m o i. Le p ro c è s-v e rb a l, q u i se fit a u s sitô t, m e fit c o n n a ître que le p au v re b le ssé é ta it u n je u n e p e in tre p ru s s ie n d u n o m de F ra n c k , d e m e u r a n t b o u le v a rd du T e m p le ; les p ro p rié ta ire s d u m a g a sin s ’e m p re s s è re n t de d o n n e r les p re m ie rs so in s et p r ê tè re n t des m a te la s s u r le s q u e ls fu t p la c é le b le ssé , q u e j ’ac co m p ag n a i à so n lo g is où je le confiai à u n e g ard e . Le le n d e m a in , je tro u v a i M. F ra n ck a u ssi b ie n que p o u vait le p e r m e ttr e sa tris te p o sitio n : u n c h iru rg ie n , qui le p a n s a it, d é c la ra q u ’il n ’y av a it q u ’u n e fra c tu re , m ais q u ’elle s e ra it lo n g u e à g u é rir. Le p au v re b le ssé , v o y a n t m on d é s e s AU PALA IS D E J U S T I C E . — 1 81 1. 333 p o ir, c h e rc h a it à m e tr a n q u illis e r; je lu i re m is u n b ille t de 500 fra n c s avec p ro m e ss e de p o u rv o ir à to u te s se s d é p e n se s j u s q u ’à p a rfa ite g u é riso n . D ans l ’a p rè s-m id i, tro is h o m m e s re v ê tu s de ro b e s assez sa les se p r é s e n tè r e n t p o u r v erb a lise r, ce q u ’ils fire n t avec u n zèle d ’a u ta n t p lu s to u c h a n t q u ’ils p r é s e n ta ie n t to u te s le s c irc o n sta n c e s le s p lu s ag g ra v a n te s, fa isa n t de m oi p re s q u e u n a s s a s s in ; m a is ce brav e je u n e h o m m e , lo rs q u ’on lu i p ré s e n ta c e tte pièce à sig n e r, té m o ig n a so n in d i gn atio n , d é c la ra n t a v o ir e n te n d u c rie r : « G are! » m ais q u ’e s p é ra n t av o ir le te m p s de tr a v e rs e r le b o u le v ard , le m a lh e u r q u ’il av a it ép ro u v é p ro v e n a it de so n im p ru d e n c e ; q u ’au r e s te , il se d é s is ta it de to u te p la in te e t re fu s a it fo r m e lle m e n t d e se d é c la re r p a rtie civile. Les tro is in d iv id u s, qui e s p é ra ie n t d u sc a n d a le et de l ’a r g e n t, se r e tir è r e n t assez m é c o n te n ts , en d is a n t q u e j ’étais loin d ’e n être q u itte , ce q u i m a n q u a m e s u s c ite r u n e n o u v elle affaire, san s la g a rd e -m a la d e q u i m ’a r r ê ta a u m o m e n t où j ’allais, d ’u n co u p de p ie d d a n s le d errière,- faire ro u le r les e sc a lie rs à l’im p e r tin e n t q u i m ’av ait m e n a c é . C ette affaire, d an s la q u e lle m a cu lp a b ilité in v o lo n ta ire no p o u v a it ê tre rév o q u é e en d o u te , avait eu q u e lq u e r e te n tis se m e n t, etM . D ubois, le p ré fe t de P o lice , q u i se m a in te n a it en fav eu r au m o y e n de c a n c a n s d o n t N apoléon é ta it fo rt a m a te u r, n ’av a it p as m a n q u é de r a c o n te r m o n a v e n tu r e ; a lo rs l ’E m p e re u r, d o n t la m é m o ire p o u v a it ê tre c o m p a ré e à u n d ic tio n n a ire et qui, m a lh e u re u s e m e n t d a n s c e tte c ir co n sta n c e , v o u lu t b ie n m ’h o n o re r de son so u v e n ir, o rd o n n a les p o u rs u ite s le s p lu s sé v ères, en d is a n t q u ’il sa u ra it bien m e ttre à la ra iso n to u s ces je u n e s fous d ’officiers q u i se cro y a ie n t to u t p e rm is. D éjà, il av ait m is a u x a r rê ts de rig u e u r, p o u r q uin ze jo u r s , le co lo n el L e je u n e , q u i av ait c u lb u té so u s ses y eu x u n e p e tite v o itu re de lé g u m e s ; u n e 334 SOUVENIRS MILITAIRES. a u tre fois, E d m o n d de P é rig o rd , o u tre le s a rrê ts , e u t u n e a m e n d e p é c u n ia ire assez fo rte p a rc e q u ’u n h o m m e por-r ta n t u n e h o tte d a n s la ru e de L ou v o is s ’é ta it v o lo n ta ire m e n t fait re n v e rs e r. Je re ç u s do n c u n e a s sig n a tio n à co m p a ra ître d e v a n t le trib u n a l c o rre c tio n n e l, à l ’effet de m e v o ir c o n d a m n e r p o u r u n d é lit p ré v u p a r le Gode p én al. E n a rriv a n t d a n s la v aste sa lle des P a s-p e rd u s, lie u d o n t j ’ig n o ra is e n tiè re m e n t l ’e x iste n c e , je tro u v a i p lu s ie u rs de m e s a m is, v e n u s p o u r a s s is te r a u x d é b a ts d u p ro cè s. Ils f u re n t fo rt s u rp ris d ’a p p re n d re q u e j ’avais o u b lié dé m e m u n ir d ’u n d é fe n s e u r; m a is, h e u r e u s e m e n t, j ’é ta is s u r le te r r a in le p lu s p ro p ic e à ce t é g a rd ; il s ’en p ré s e n ta p lu s ie u rs m ’a s s u ra n t to u s d ’u n su c c è s c e r ta in ; je p ris celu i d o n t la ro b e e t le b o n n e t le p lu s fan é s m e fire n t p e n s e r q u e sa lo n g u e e x p é rie n c e m e s e ra it u tile, e t je le m is au fa it d u m o tif de m a c o m p a ru tio n . A rriv é d a n s m o n u n ifo rm e de h u s s a rd , la p re m iè re c h o se q u e l’on fit e t à la q u elle je v o u lu s d ’a b o rd m ’o p p o se r ce fut de m e d é s a rm e r de m o n s a b re e t m e c o n d u ire s u r le b an c des a c c u s é s, p u is de m ’in te rro g e r s u r faits e t a r tic le s ; fo rt p e u a u c o u ra n t d u rô le q u e j ’avais à jo u e r d a n s ce g e n re d ’a u d ie n c e si n o u v e a u p o u r m o i, m e s r é p o n s e s , faites avec assez de lé g è re té e t d ’u n e e sp è c e de to n g o g u e n a rd , m ire n t en ém o i to u s le s ju g e s e t m ’a ttir è r e n t, de la p a r t d u p ré s id e n t, u n e m e rc u ria le sé v ère, u n ra p p e l à l ’o rd re e t a u re s p e c t q u e to u t c ito y e n d o it à la ju s tic e . Enfin, a p rè s u n lo n g d é b a t e n tre le c o m m issa ire im p é ria l e t m o n avocat, l ’in s tru c tio n d û m e n t in fo rm é e , les ju g e s m e d é c la rè re n t co u p a b le d u d é lit de b le s s u re s in v o lo n ta ire s p a r su ite d ’im p ru d e n c e e t m a n q u e de p ré c a u tio n ; en c o n s é q u e n c e de ce, m e c o n d a m n è re n t, en v e rtu de l ’a rtic le 320 d u Code p é n a l, à 50 fra n c s d ’a m e n d e , fra is, d é p e n s, e tc ., e tc ., e t u n m o is de p r is o n ; p u is le p ré s id e n t AU P A L A I S DE JU S T IC E . — 1811. 335 a y a n t a jo u té q u e j ’avais le d ro it d ’en a p p e le r, je m e levai v iv e m e n t en m ’é c ria n t : « Bien c e rta in e m e n t je p ro fiterai d e ce d ro it avec la co n v ic tio n in tim e d ’ê tre a b s o u s », ce q ui fit so u rire les ju g e s d o n t l ’o p in io n é ta it p e u t-ê tr e s e m b la b le à la m ie n n e. Au r e s te , b ie n q u e ce tte affaire fû t de p e u d ’im p o rta n c e e t n ’e n ta c h â t en r ie n m a ré p u ta tio n , le ju g e m e n t q u i fu t re n d u p ro d u is it u n e fâ c h e u se im p re s s io n s u r l ’a u d ito ire , le q u e l se m b la it c o n v a in c u q u e les ju g e s a v a ie n t p lu tô t ex é cu té u n o rd re q u e re m p li u n d ev o ir. J e c h a rg eai m o n v e rb e u x d é fe n se u r de faire to u t ce q u ’il c ro ira it c o n v e n ab le d a n s c e tte c irc o n sta n c e . U n peu co n fu s d u r é s u lta t de se s p ro m e s s e s , il m ’a s s u ra q u ’en a p p e l, il fe ra it m ie u x r e s s o r tir m o n in n o c e n c e (chose q u e je p o u v ais d ifficilem e n t c o m p re n d re ) et q u ’in fa illib le m e n t il ga g n e ra it sa c a u s e ; m a is, ce q u i m e fit in fin im e n t p lu s de p la is ir e t m e se m b la it p lu s ce rta in , ce fu t l ’a s su ra n c e q u ’il m e d o n n a de faire tra în e r l ’affaire p lu s de d e u x m o is, ce q u i m e co n v e n a it d ’a u ta n t m ie u x q u ’a lo rs je se ra is en E sp ag n e . J e payai donc assez g ra s s e m e n t m on avocat, en lu i so u h a ita n t so u v e n t des a u b a in e s se m b la b le s à la m ie n n e . D eux jo u r s a p rè s , je m e m is en ro u te p o u r M assiac, la is s a n t c e tte affaire to u t à fa it liv ré e au b on p la is ir d e la ju s tic e e t j ’a p p ris p lu s ta rd queM . D e sp re m e sn il, un de m es ju g e s et de m e s am is, av a it fo rte m e n t c o n trib u é à faire c a s s e r l ’a r r ê td u p r e m ie r ju g e m e n t et q u e j ’a v a isé té a c q u itté . Q u an t au m a lh e u re u x p e in tre , je lu i re m is u n b ille t do b a n q u e de 1000 fra n c s en le q u itta n t, le p ria n t de m e d o n n e r de ses n o u v e lle s e t de c o m p te r s u r m oi e n to u te circ o n sta n c e . J ’e s p é ra is p ro lo n g e r q u e lq u e te m p s m o n s é jo u r p r è s do m o n p è re , m ais u n o rd re d u m in is tr e de la G u erre fit d is p a ra ître c e tte illu sio n , e t je d u s m e m e ttre en ro u te p o u r l ’E sp ag n e, EN E S P A G N E — UN C O N V O I Ma p re m iè re jo u r n é e p o u r a r r iv e r à A u rillac se lit d an s la v o itu re de m o n p è re ; m a is, en q u itta n t c e tte ville p o u r a tte in d re M o ntauban, je n ’eu s d ’a u tre re c o u rs q u e des c h a r r e tte s , d é n o m m é e s p a ta c h e s, d é te sta b le s v é h ic u le s in v e n té s p o u r le m a lh e u r e t le to u r m e n t de l ’in fo rtu n é v o y a g e u r q u i n e p o u v a it av o ir re c o u rs à la p o ste . E nfin, a p rè s s e p t jo u r s de c a h o ts, de s o u b re s a u ts e t de so u ffran c es in to lé ra b le s, au tra v e rs d ’u n ép o u v a n ta b le p ay s qui n ’offre e n fait d e c é lé b rité q u e d es tru ffe s q u i n ’y r e s te n t p as, c o n tra in t de m e je te r to u s le s so irs s u r u n lit d a n s le q u e l il y a u r a it e u d a n g e r de c o u c h e r, enfin, d is-je , a p rè s ta n t d ’e n n u is e t de tr ib u la tio n s q u i m e faisa ie n t ja lo u s e r l ’h e u re u s e in d iffé re n c e de m o n c o saq u e , n o u s a tte ig n îm e s la jo lie v ille d e M o n ta u b a n avec d ’a u ta n t p lu s de sa tisfa c tio n q u e le p ré fe t, M. .Le P e lle tie r d ’A unay e t le s o u s-p ré fe t, M. d e S alp e rw ic k , to u s d e u x m e s p a re n ts e t m e s a m is, m e r e ç u re n t avec le p lu s g ra n d e m p re s s e m e n t e t m e g a rd è re n t q u a tre jo u r s . Un a u tre m o tif se jo ig n it à ce te m p s d ’a rrê t, ce fu t la re n c o n tre de la fam ille d u d u c de la F o rc e, Mmes de G iro n d e, de L o rd a s et la c o m te s se de B albi, d o n t je re ç u s l ’accueil le p lu s aim ab le. Je q u itta i M ontauban p o u r m e r e n d re à T o u lo u se , où j'e u s l’h e u re u s e ch an ce de BAYONNE. — 1812. 337 r e tro u v e r la belle et g ra c ie u se C oralie de la R o , que j ’av ais c o n n u e à P a ris , ce q u i m e fit p e rd re deu x fois m a place à la d ilig en ce. J e finis p o u r ta n t p a r m ’a rra c h e r de se s b ra s p o u r m e r e n d re à P au , o ù u n e h a lte de d eu x h e u re s m e p e r m it de v isite r ce c h â te a u q u i a v a it v u n a ître H en ri IV ; c’é ta it a lo rs u n h ô p ita l m ilita ire , m a is o n p o u v ait e s p é re r q u ’on lu i r e n d r a it u n jo u r so n lu s tre p rim itif. L o rsq u e j ’arriv ai à B ay o n n e, je tro u v a i la ville e n c o m b rée d e tr o u p e s e t d ’officiers iso lé s, se re n d a n t o u re v e n a n t d ’E sp a g n e ; ce p e n d a n t, p a r u n h e u re u x h a s a rd , je p a r vin s à o b te n ir u n e x c e lle n t lo g e m e n t chez M. B e rtra n d , h o n o ra b le n é g o c ia n t, q u i m ’a c c u e illit de la m a n iè re la p lu s aim ab le e n m e p r ia n t de faire p a rtie de sa q h a rm a n te fam ille ju s q u ’au m o m e n t de m o n d é p a rt d o n t l ’ép o q u e é ta it so u m ise à la fo rm a tio n d ’u n co nvoi m ilita ire , se u le m a n iè re de v o y a g e r avec s é c u rité au m ilie u d e s b an d e s n o m b re u s e s de g u é rilla s q u i in fe s ta ie n t le p ays. C elte ép o q u e de la g u e rre d ’E spagne e st, sa n s c o n tre d it, u n e des p lu s d é s a s tre u s e s q u e la P ra n c e a it e u e s à su p p o rte r, m a lg ré les n o m b re u x su c cè s de n o s tro u p e s, car il n e s ’ag is sa it p as se u le m e n t de c o m b a ttre u n e n n e m i face à face, m a is il fallait e n c o re é v ite r les e m b û c h e s, les tra h is o n s et le fan a tism e b a rb a re des p o p u la tio n s, c e n t fois p lu s te r rib le s q u e les p e rte s o cc asio n n ée s p ar la m itra ille , le s b alles e t les b o u le ts : jo ig n e z à ce la les fatig u es, les p riv a tio n s et le s m a la d ie s é p id é m iq u e s e t u n e te m p é ra tu re b rû la n te q u i p o rta ie n t le ravage d a n s les ran g s de l ’a rm é e , — g u e rre si im p o litiq u e , qui d ev ait p lu s ta rd e n tra în e r des d é s a s tre s irré p a ra b le s ! « Bayonne, 24 janvier 1812. « A rrivé en c e tte ville d ep u is p e u de jo u r s , m o n p è re , e t ig n o r a n t l ’in s ta n t où je q u itte ra i le sol fra n ç a is, p u isq u e 338 SOUVENIRS M ILITAIRES. c e la d ép e n d d u d é p a rt d ’u n co nvoi, je n e v eu x p a s ê tre p ris a u d é p o u rv u p a r u n o rd re s u b it e t je p ré fè re vous é c rire p lu tô t d e u x fois q u ’u n e , afin q u e m o n silen c e ne v o u s cause a u c u n e in q u ié tu d e . «, V ous sa u re z d ’a b o rd q u e je su is en ce m o m e n t to u t à fa it en m e s u re de faire m o n e n tré e s u r c e lte te rr e p e u h o s p ita liè re , g râ c e à l ’a c q u isitio n q u e j ’ai faite a v a n t-h ie r d ’un f o rt jo li ch e v al a n d a lo u , d ’u n a u tre fo rt et v ig o u re u x p o u r m o n co sa q u e T ilsit, q u e j ’avais la issé à M assiac p e n d a n t m e s p é ré g rin a tio n s , et d ’u n c h a r m a n t p e tit m u le t p o r ta n t d e u x c a n tin e s en h o is des Ile s, d o u b lé e s en c u ir, dev an t s e rv ir à c o n te n ir m e s effets e t m e s p r o v is io n s ; ce c o m p lé m e n t d ’éq u ip ag e e s t la d é fro q u e d u lie u te n a n t d eB o u g ain v ille, fils de l ’a m ira l, a rriv a n t d ’E spagne p a r le d e rn ie r co n v o i e t q u i, en b o n c a m a ra d e , m ’a cédé le to u t p o u r la m o d iq u e so m m e de six c e n t v in g t fra n c s : a u tre m e n t j ’e u sse été c o n tra in t de p a s s e r p a r le s m a in s de c e lte race ré p ro u v é e de D ieu e t des h o m m e s, to u jo u rs p r ê te à é c o rc h e r vifs les m a lh e u re u x c h ré tie n s fo rc é s d ’a v o ir r e c o u rs à elle. « V ous sa u re z q u e , n o n s e u le m e n t p o u r p é n é tr e r en E sp a g n e , m a is a u s si p o u r y voyager sa n s in q u ié tu d e , il n ’e s t d ’a u tre m o y e n q u e l ’ap p u i de fo rts d é ta c h e m e n ts, le s q u e ls s o n t tr è s s o u v e n t a tta q u é s p a r d es b a n d e s de g u é rilla s q u i en v e u le n t a u ta n t à la vie d e s h o m m e s q u ’à le u r b o u rs e . « A c e t effet, l ’o n a tte n d la ré u n io n de p lu s ie u rs v o itu re s d e s tin é e s au tr a n s p o r t d ’é q u ip ag e s m ilita ire s, d ’a rm e s, d ’a rg e n t, e tc ., d ’officiers iso lés e t de p e tits d é ta c h e m e n ts jo ig n a n t le u rs c o rp s re sp e c tifs p o u r en fo rm e r u n c o n voi, a u q u e l on a d jo in t d es forces im p o s a n te s e t q u e l q u efo is m ê m e d u c a n o n afin d ’en a s s u re r la tra n q u ille c irc u la tio n ; to u te s ces p ré c a u tio n s n ’a r r ê te n t c e p e n d a n t p as la fu re u r d es E spagnols, o rg a n isé s en b a n d e s e t to u jo u rs BAYONNE. — 1 812. 339 à l ’affût d ’u n m o m e n t fav o rab le p o u r a tta q u e r avec a v a n tage les co n v ois q u i le u r p a r a is s e n t h o rs d ’é ta t de p o u v o ir r é s is te r ; au ssi, faut-il m a rc h e r c o n tin u e lle m e n t s u r le qu ivive e t s ’a tte n d r e à to u t in s ta n t à se v o ir e n to u ré s p a r des b an d e s de c a n n ib a le s, se liv ra n t aux p lu s h o rrib le s ex cès lo r s q u ’ils so n t les p lu s fo rts . « Q uelle d ifférence avec ces b o n s A llem an d s q u e n o u s g ru g io n s, m o le stio n s e t d a n s les lits d e s q u e ls n o u s c o u ch io n s (pas to u jo u r s se u ls,) e t q u i, m a lg ré cela, n o u s te n d a ie n t la m ain en se s é p a ra n t de n o u s , sa n s flel, san s p e n s é e m a u v aise : ex c e lle n t p e u p le a u q u e l je p o rte u n s e n tim e n t d ’e s tim e et de re c o n n a iss a n c e p o u r le b ie n q u ’il n o u s a fa it e t le m al q u ’il p o u v a it n o u s faire. A ussi, je co m m en c e à c ro ire , co m m e d is e n t n o s '‘so ld a ts, q u e j ’ai m a n g é m o n p ain b la n c le p re m ie r. Au re ste , ad v ien n e q u e p o u rra , le s o r t en e s t je té , je v ais à la g ard e de D ieu e t de m o n sa b re , sa n s c ra in d re ni réfléc h ir s u r le s d an g e rs qui m ’a tte n d e n t, ni le s an x ié té s ca ch é es, su.r le fo n d d es ch o ses in c o n n u e s e t des é v é n e m e n ts in c e rta in s , m ’a b a n d o n n a n t à cet ég ard avec l ’in so u c ia n c e n a tu re lle à m o n c a ra c tè re . « L a v ille d e B a y o n n e n ’e s t p a s tr è s g ran d e , m a is elle e s t b ie n fo rtifiée, e n to u ré e de b eaux re m p a rts , de b a s tio n s e t de fo ssés la rg e s e t p ro fo n d s. La citad e lle , q u i co m m an d e to u t à fait le p o rt, la ca m p a g n e e t la m e r, flan q u é e de q u a tre to u rs en b on é ta t, a jo u te en c o re à l’im p o rta n c e de cette p la ce e t la m e t en p o sitio n de ré s is te r lo n g te m p s co n tre les a tta q u e s les p lu s s é rie u s e s ; elle e s t tra v e rs é e p a r l ’A dour, fleuve assez c o n s id é ra b le , qui sé p a re le q u a r tie r d es ju ifs et va se je t e r d a n s l’océan à u n q u a r t de lieu e de là. Les e n v iro n s de la ville s o n t c h a rm a n ts , m ais le lie u de p ré d ile c tio n d es h a b ita n ts e s t B iarritz, jo li b o u rg r e n o m m é p a r se s b ain s de m e r; ce d élicieu x e n d ro it est b ai 340 SOUVENIRS MILITAIRES. g n é à son p ied p a r les flots de la m e r, q u i e s t g ra n d e , b e lle e t m a je s tu e u s e , e t d o n t le s vagues en fu rie , q u a n d v ie n t l ’éq u in o x e, se b r is e n t c o n tre d es ro c h e rs de g ra n it, h a rd ie s e t m e n a ç a n te s : ce c h a rm a n t B iarritz e s t le re n d e z v o u s d es ric h e s, des b e a u té s de la ville q u i é ta le n t le u rs b rilla n te s to ile tte s et d ’u n p e u p le qui afflue to u t e n tie r s u r le riv ag e le s jo u r s de d im a n c h e o u de fê le ; le s é q u ip ag e s s ’y c ro is a n t e n to u s se n s, u n e fo u le tu m u ltu e u s e , b ru y a n te et jo y e u s e e n c o m b ra n t la ro u te , o ffren t u n ta b le a u d ’a n i m a tio n difficile à r e n c o n tr e r a ille u rs . « L e ca co let jo u e u n g ra n d rô le d an s ces jo u r s de d é lire : c ’e s t u n é q u ip a g e assez b iz a rre , fo rt en vogue p o u r l ’a m u se m e n t d es d a m e s e t tr è s u tile p o u r le tr a n s p o r t d e s v illa g eo is e t d es p ro v isio n s q u ’ils p o r te n t en ville. 11 c o n siste d a n s un ch e v al a y a n t s u r le dos u n e esp èc e de b â t au q u e l e s t ad a p té u n c o u s sin , de c h a q u e côté d u q u e l o n s ’assied de m a n iè re à m a in te n ir u n p a rfa it é q u ilib re : a u tre m e n t la c u lb u te s e ra it in faillib le , m a is sa n s au c u n d a n g e r; on v o y ag e a in si le s ja m b e s p e n d a n te s , c o m m e si l ’on é ta it s u r u n e ch a ise , et, d a n s le cas d ’un faux p a s de la p a rt d u c h e val, o n se tro u v e sim p le m e n t d e b o u t s u r ses p ie d s ; c ’e st u n sp e c ta c le tr è s a m u s a n t q u e la r e n c o n tre d ’u n e co lonne de c a co lets g a rn is de je u n e s fem m es to u jo u rs d an s la c ra in te d ’u n e c h u te in d is c rè te . « L es B a y o n n aises o n t g é n é ra le m e n t la p h y sio n o m ie ria n te , le s y e u x vifs e t a g a ç a n ts e t la to u r n u re élég an te. « Les B a sq u aises o n t d es figures vives e t p iq u a n te s , la ta ille sv e lte e t bien p ris e , la d é m a rc h e facile e t lé g è re e t u n e e sp èc e de d é s in v o ltu re re m p lie de c h a rm e . « La vie q u e je m è n e ici s e ra it assez m o n o to n e sa n s la re s s o u rc e q u ’offre la m a iso n d u brav e e t d ig n e gén éral S ol, c o m m a n d a n t la p la ce , a y a n t avec lu i sa n o m b re u se fam ille q u e je f ré q u e n te a s s id û m e n t, ain si q u e celle de BAYONNE. — 1 812. 341 M. D u tilleu l, re c e v e u r g é n é ra l, q u i, en q u a lité de co llèg u e d e m o n frè re , m ’a o u v e rt sa m a iso n e t sa b o u rse . « J ’e sp è re , d ’ici à p eu de jo u r s , m e m e ttr e en r o u te ; je vo u s p rie d o n c de m ’a d r e s s e r vos le ttr e s p o ste re s ta n te à M adrid, d ’où je m ’e m p re sse ra i de vous é c rire en v o u s d o n n a n t l’itin é ra ire de la ro u te q u e j ’a u ra i à s u iv re p o u r re jo in d re m o n ré g im e n t d o n t j ’ig n o re e n c o re la p o sitio n . « A d ieu , m o n p ère , je v o u s e m b ra sse b ie n te n d re m e n t. » Ce f u t a p rè s seize jo u r s d ’a tte n te à B ay o n n e q u ’u n co nvoi a v a n t été o rg a n isé p o u r se r e n d r e à M adrid, je m ’e m p re ssa i de m ’y a d jo in d re ; il é ta it c o m m a n d é p a r le c h e f d ’e sc a d ro n P u to n , e t se c o m p o sa it de 2000 fa n ta ssin s d u c o n tin g e n t d e s É ta ts d e S axe, d eu x p iè c e s d ’a rtille rie , u n e ce n ta in e d ’o fficiers iso lés a lla n t r e jo in d re le u rs c o rp s, u n tr é s o r s u r p lu s ie u r s v o itu re s, e t six a u tre s tr a n s p o r ta n t d es effets m ilita ire s , jo in t à cela p lu s ie u r s p a r tic u lie r s /c e q u i d ev ait n a tu re lle m e n t re n d re la m a rc h e assez le n te e t d e v e n ir fo rt g ê n a n t en cas d ’a tta q u e , s u r to u t a y a n t à tra v e rs e r p lu s ie u r s m o n ta g n e s e t d es défilés o ù l ’on p r é te n d a it q u e M ina, le p lu s re d o u té e t le p lu s cé lè b re c h e f des g u érillas, n o u s a tte n d a it : il é ta it do n c u r g e n t de m a rc h e r avec o rd re e t d ’é v ite r to u te s u rp rise . N ous tra v e rs â m e s la p e tite ville de S ain t-Je an -d e-L u z et a rriv â m e s à la n u it to m b a n te au p o n t d ’Iru n , s u r la Bidassoa, où n o u s fû m es re jo in ts p a r u n d é ta c h e m e n t v en u de la ville a u -d e v a n t de n o u s ; c’e s t à p a rtir d’Iru n , p re m ie r e n d r o it d e l’E spagne, q u e l’o n p o u v ait d ès ce m o m e n t se re g a rd e r co m m e en é ta t de g u e rre ; le s b a n d e s de g u é rilla s ne c e s sa n t d ’a tta q u e r les c o rp s iso lé s, le s officiers en m is sio n e t les c o u rrie rs ; c’est ce q u i a v a it n é c e s sité le sy stè m e d e s co n v o is afin de p o u v o ir ré s is te r à ces n o m b re u se s a tta q u e s . Des o rd re s du g én é ral Sol n o u s fire n t r e s te r u n 342 SOUVENIRS M ILITAIRES. j o u r à I ru n p o u r a tte n d re u n c o u r r ie r d u g o u v e rn e m e n t c h a rg é de d ép ê ch e s. N ous q u ittâ m e s I ru n le 4 fév rier, à q u a tre h e u re s d u m a tin , m a rc h a n t d a n s u n o rd re fixé p o u r le s jo u r s su iv a n ts afin d ’é v ite r la co n fu sio n d a n s u n e a u ssi g ra n d e q u a n tité de v o itu re s. Six c e n ts h o m m e s m a r c h a ie n t s u r le s flancs de la c o lo n n e ; p a re il n o m b re é tait en tê te , e t le r e s te de la tr o u p e à l ’a rriè re -g a rd è avec les p iè c e s d ’a r tille r ie ; q u a n t au x officiers iso lés d o n t je faisais p a rtie , d o n t u n assez g ra n d n o m b re é ta ie n t m o n té s, il le u r fu t lib re de m a rc h e r à v o lo n té , s a n s to u te fo is s ’é c a rte r do la co lo n n e, c a r on e û t c o u ru r is q u e d ’ê tre enlevé. N ous su iv io n s u n e fo rt b e lle r o u te , m a is le s m o n ta g n e s q u e n o u s a v io n s à tr a v e rs e r d o n n a ie n t à n o tr e a llu re u n e le n te u r in s u p p o rta b le . N ous a rriv â m e s a in si, a p rè s cinq h e u r e s d e m a rc h e , s u r le h a u t d ’u n e v e n t a , où se tro u v ait u n p e tit fo rtin , c o n s tru it^ to u t n o u v e lle m e n t e t o cc u p é p a r u n e tr e n ta in e de g e n d a rm e s placés d an s ce p o ste p o u r p r o té g e r la m a rc h e d es convois e t le p assag e d es d é ta c h e m e n ts ; ce p e tit fo rt, d ’u n e c o n s tru c tio n tr è s sim p le , é ta it im p re n a b le sa n s c a n o n ; en fo rm e d ’u n cô n e re n v e rsé , il n ’av ait q u ’u n e se u le e n tré e c o n s is ta n t d a n s u n e p o rte d o u b le , en c h ê n e , de p lu s de six p o u c e s d ’ép a isse u r. L ’in té rie u r é ta it p e rc é de m a n iè r e à fa ire feu de to u s cô tés ; le h a u t se rv a it de c a se rn e e t a v a it u n e p iè ce de ca n o n , ce q u i d o n n a it à c e t e n d ro it u n a s p e c t fo rm id ab le e t im p o sa n t. P lu s de 3 000 b rig a n d s é ta ie n t v e n u s a tta q u e r les g e n d a rm e s q u i s ’y tr o u v a ie n t; le u r d éfense b rilla n te av a it m is l ’e n n e m i d a n s u n e .c o m p lè te d é ro u te avec p e rte de 113 h o m m e s tu é s o u b le s s é s ; u n se u l g e n d a rm e avait été a tte in t d ’u n e balle. D u fo rtin à la ville d ’E rn a n i o ù n o u s dev io n s c o u c h e r, n o u s fû m e s a tta rd é s p a r u n e d es v o itu re s d u tr é s o r d o n t u n e ro u e é ta it c a ssé e . Le le n d e m a in , n o u s a tte ig n îm e s la jo lie ville de T oloza, où le b ataillo n d ’in fa n CONVOI EN ESPAGNE. — 1812. 343 te rie , q u i y é ta it en g a rn iso n , av ait s o u v e n t des e n g a g e m e n ts av ec les g u é r illa s ; la v eille , tro is so ld a ts a v a ie n t été tu é s a u m ilie u de la p la c e ; n o tre s é jo u r y f u t tra n q u ille , g râce à n o tre a ttitu d e im p o sa n te .. Le 7, a y a n t u n e fo rte jo u r n é e , n o u s p a rtîm e s de g ra n d m a tin avec u n re n fo rt de 50 h o m m e s de la G arde im p é ria le se re n d a n t à V itto ria.. La ro u te é ta it fo rt belle, m a is d a n g e re u se ; n o u s m a r c h io n s c o n tin u e lle m e n t e n tre d eu x m o n ta g n e s avec u n p e tite riv iè re à n o tr e g a u c h e . Ce p a ssa g e , fo rt re n o m m é p a r le s n o m b re u s e s a tta q u e s de g u érillas, av a it été té m o in , p e u de jo u r s av a n t, d ’u n e h o rrib le affaire, où u n d é ta c h e m e n t d e 40 h o m m e s, q u i s ’é ta it la issé s u rp re n d re , av ait été e n tiè r e m e n t m a s s a c ré ; en a rriv a n t s u r ce lie u de d é s a stre , n o u s e û m es le d o u lo u re u x sp e c ta c le de g ra n d n o m b re de c a d a v re s h o rrib le m e n t m u tilé s , au x q u e ls le c o m m a n d a n t fit d o n n e r la sé p u ltu re . P e n d a n t q u ’o n re m p lis s a it ce tr is te d ev o ir, n o u s re ç û m e s p lu s ie u r s d é c h a rg e s de c a rab in e sa n s p o u v o ir rip o s te r, les b rig a n d s é ta n t a b rité s au m ilie u d es ro c h e rs . P e u ap rè s ê tre s o rtis de ce d a n g e reu x défilé, n o u s tra v e r sâ m es la p e tite ville de V illa-F ran ca e t a rriv â m e s, à cin q h e u re s , à V illa-R éal, où, m e tro u v a n t lo g é chez le m a rq u is de M endoza, le se u l m e u b le q u e je re n c o n tra i d a n s la m a i so n fu t u n e v ieille se rv a n te é d e n té e , ra b o u g rie , q u i m e fit p a rc o u rir to u s le s a p p a rte m e n ts où je n e tro u v ai de rée l q u e le s q u a tre m u r s , ce tte m a lh e u re u s e cité é ta n t p a r sa p o sitio n le b u t de c o n tin u e ls c o m b a ts. D ans la so iré e , u n ca p ita in e de g re n a d ie rs , en voyé en re c o n n a is s a n c e en d e h o rs de la ville, s u r p rit d a n s u n e e m b u sc a d e u n e c e n ta in e d ’E sp ag n o ls q u i f u re n t p re s q u e to u s tu é s. Le le n d e m a in p o u r a rriv e r à M ondragone, a y a n t u n défilé dan g e reu x à p a s se r, n o tre a ttitu d e m ilita ire en im p o sa à l ’e n n e m i; n o u s a p e rç û m e s p lu s ie u rs g ro u p e s s u r le s m o n 344 SOUVENIRS M ILITAIRES. ta g n e s , m a is ils n ’o s è re n t a p p ro c h e r de la p o rté e de n o s f u s ils ; le so ir, n o u s n o u s é ta b lîm e s m ilita ire m e n t d an s la ville e t le s e n v iro n s afin d ’é v ite r to u te s u r p ris e . La m a iso n la p lu s c o n s id é ra b le de l ’e n d ro it fu t o cc u p é e p a r le c o m m a n d a n t d u convoi, M. C aillard, se c ré ta ire d ’a m b a s sad e à M adrid, le co lo n el D ard, se r e n d a n t à S égovie p o u r y p r e n d re le c o m m a n d e m e n t d u 18e D ra g o n s, e t m oi, fa isa n t d e c o n c e rt m é n a g e p lu s ou m o in s b o n , se lo n le s c irc o n s ta n c e s. N ous tro u v â m e s s u r u n e ta b le u n e p ro c la m a tio n d e M ina d é c la ra n t g u e rre à m o r t aux F ra n ç a is e t le m êm e s o r t au x E sp ag n o ls q u i, n e fa isa n t p as p a rtie de se s tro u p e s , s ’a p p ro c h e ra ie n t de d e u x lie u e s de la ville de P a m p e lu n e ; p u is , o ffran t de b rilla n te s ré c o m p e n se s aux so ld a tsfra n ç a is q u i v o u d r a ie n t s ’e n rô le r so u s ses d ra p e a u x , e tc ., etc. Le so ir, p lu s ie u r s E sp ag n o ls v in re n t a u d a c ie u se m e n t faire d e u x d é c h a rg e s s u r le p o ste p la cé en d e h o rs de la v ille, tu è r e n t u n h o m m e e t en b le s s è r e n t tro is . D ans la n u it, n o u s re ç û m e s l ’avis q u ’u n b a ta illo n en voyé de V ilto ria v ie n d ra it a u -d e v a n t de n o u s p o u r p ro té g e r n o tre m a rc h e . La r o u te p o u r a rriv e r à Y itto ria e s t fo rt belle, m a is r e s s e rr é e j u s q u ’à S alinas, où se tro u v e u n e m o n ta g n e ra p id e , d o n t la d e s c e n te d u côté de l ’E sp ag n e e s t do u ce et facile ; u n e p la in e assez é te n d u e se d éveloppe, m a is des bois é p a is, a v o is in a n t la r o u te , o ffra ie n t à l’e n n e m i la fac u lté de p o u v o ir d r e s s e r d es e m b u sc a d e s e t d ’a tta q u e r avec a v a n ta g e : c ’e s t ce q u i e u t lie u q u e lq u e s m o is a v a n t n o tre p a s sa g e ; Mina à la tê te de se s tr o u p e s et de c e lle s de L onga, a u tre c h e f d e b a n d e , a tta q u a u n co nvoi c o n s id é ra b le q u i se r e n d a it e n F ra n c e , d a n s le q u el se tr o u v a ie n t bon n o m b re de p r is o n n ie rs a n g la is e t esp ag n o ls. Le c o m b a t fu t te r r ib le ; p lu s ie u r s officiers, su p é rie u rs e t a u tre s , r e to u r n a n t e n F ra n c e , y fu re n t tu é s , ain si q u e 150 so ld a ts, d e s v o ilu re s de m a ître p illé e s e t les m a lh e u re u s e s fe m m e s q u i é ta ie n t YITTORIA. — 1 812. 345 d ed a n s, m a ssa c ré e s a p rè s avoir assouvi la b ru ta lité de ces b a r b a re s ; p re sq u e to u s les éq u ip a g e s f u re n t e n lev é s. Tous le s F ra n ç a is e u s s e n t fini p a r su c c o m b e r sa n s l ’a rriv é e de tro u p e s en v o y é es de Y itto ria p o u r le u r p o r te r se co u rs. L ’on d o it c ite r, à l ’h o n n e u r d és A nglais p riso n n ie rs, la c o n d u ite n o b le q u ’ils tin r e n t; loin de v o u lo ir p ro fite r de c e tte c irc o n sta n c e p o u r re c o u v re r le u r lib e rté , ils ra m a s s è re n t les a rm e s d es s o ld a ts tu é s , se jo ig n ire n t au x F ra n çais p o u r c o m b a ttre le s b rig a n d s et, lo rs q u e le c o m b a t fu t te rm in é , d é p o s è re n t le u rs a rm e s p o u r r e p re n d re le u r rang. C ette b elle e t h o n o ra b le c o n d u ite le u r v alu t, avec la lib e rté , l ’e s tim e q u ’ils e m p o rtè r e n t de n o s so ld a ts e t le so u v e n ir d ’u n e actio n a u ssi n o b le que c o u ra g e u se . On e s tim a it à tro is m illio n s la p e rte faite p a r ce convoi. Ce d é s a s tr e u x é v é n e m e n t a été le su je t d ’u n su p e rb e ta b le au p e in t p a r le co lo n el L e je u n e , aid e de cam p d u p rin c e do N eu c h âte l, q u i en a re n d u les é p iso d e s avec d ’a u ta n t p lu s de v érité q u ’il é tait p ré s e n t a c e tte fu n e ste e t m a lh e u re u s e su rp ris e d o n t il s ’e s t tiré p a r la m o rt de so n cheval e t la p e rte de ses éq u ip ag e s. U n fo rtin av ait été étab li d e p u is s u r le lie u de ce tris te é v é n e m e n t; ce fu t à c e t e n d ro it q u e n o u s tro u v âm es le b a ta illo n en v o y é au -d e v an t de n o u s . N otre p ré s e n c e à Y itto ria ne c o n trib u a pas p e u à a u g m e n te r l ’e n c o m b re m e n t p a r l ’a rriv é e , ce m ô m e jo u r, d ’u n convoi c o n sid é ra b le v e n a n t de C astille p o u r a lle r en F ra n c e , jo in t à cela d iffé ren ts c o rp s de la G arde im p é ria le e t u n ra s s e m b le m e n t de tro u p e s q u i d ev a ie n t in c e ssa m m e n t faire u n e ex p éd itio n c o n tre p lu s ie u rs b an d e s qui in fe sta ie n t le p ay s. Je m ’e m p re ssa i d ’a lle r r e n d r e v isite au g é n é ra l T h o u v en o t, g o u v e rn e u r de la p ro v in c e , que j ’avais c o n n u ja d is p, S te ttin c o m m a n d a n t c e tte im p o rta n te p la ce ; il m ’a n 346 SOUVENIRS MILITAIRES. n o n ç a q u e n o tr e co nvoi d ev ait s ’a u g m e n te r p o u r a lle r à M adrid e t q u ’il fa u d ra it p lu s ie u rs jo u r s p o u r sa fo rm a tio n . Le s u rle n d e m a in de n o tre a rriv é e , M. C aillard, q u i v o y a g e a it en o b s e rv a te u r, m e p ro p o s a d ’a lle r au th é â tr e , m e d o n n a n t p o u r m o tif de sé d u c tio n l ’a n n o n c e de c e tte d é lic ie u se d a n se d u b o lé ro q u e je d é s ira is v iv e m e n t c o n n a ître . N ous tro u v â m e s la sa lle assez belle, m a is de lu m iè re si p e u q u ’il fallait les y eu x de la foi p o u r y v o ir; il e s t v rai q u e le n o m b re de s p e c ta te u rs n ’é ta it p as e n c o re tr è s c o n s id é ra b le au p a r te rr e et d a n s le s c in tre s, m ais n o u s av io n s lie u d ’e s p é re r p lu s ta rd u n e c la rté p lu s vive, d u m o in s si l ’o n d ev a it en ju g e r p a r l ’a s p e c t d ’un lu s tre et de q u e lq u e s c h a n d e lle s q u i se m b la ie n t n ’a tte n d re que l ’in s ta n t de b r ille r de to u t le u r éclat. C e p en d a n t, p e u à p e u , le s fe m m e s d a n s la te n u e de r ig u e u r, avec la m a n tille e t l’év en tail, g a r n ir e n t le s lo g e s, e t le s m ilita ire s s ’e m p a r è r e n t d es g a le rie s et d u p a rte rre . La p re m iè re p iè ce , esp èc e de d ra m e h isto riq u e a u q u e l n o u s n e p û m e s rien c o m p re n d re , d u ra u n e h e u r e ; v in t e n s u ite u n p e tit o p éra , p ara d e que B obèche n ’e û t p o in t osé offrir au x h a b ita n ts d u b o u le v a rd d u T e m p le , e t enfin u n e fan fare m o n s tre fu t le sig n a l de c e tte d a n s e q u e n o u s a tte n d io n s si im p a tie m m e n t; u n c o u p le s ’av an ça so u s la fig u re d ’u n d a n s e u r e t d ’u n e d a n s e u se a rm é s to u s deu x de c a sta g n e tte s. Je n ’ai r ie n vu de p lu s tr is te e t de p lu s la m e n ta b le q u e ces d eu x g ra n d s d é b ris ; le th é â tre à 4 so ls n ’a ja m a is p o rté , s u r ses p la n c h e s v e rm o u lu e s , u n a sse m b la g e p lu s u sé , p lu s é re in té , p lu s ch au v e e t p lu s en r u in e . La p a u v re fem m e, q u i s ’é ta it p lâ tré e avec du m a u vais b la n c, avait la te in te b leu de ciel d ’u n n o y é ; le s d eu x ta c h e s ro u g e s q u ’elle av ait p la q u é e s s u r le h a u t de ses p o m m e tte s o sse u se s , p o u r ra llu m e r u n p e u se s y e u x de p o iss o n , faisaien t avec ce b leu le p lu s sin g u lie r c o n tra s te ; AU THÉÂTRE DE VITTORIA. — 1 812. 341 elle se c o u a it avec se s m a in s v e in e u se s e t d é c h a rn é e s, des c a s ta g n e tte s fêlées qui c la q u a ie n t co m m e les d en ts d ’u n h o m m e q u i a la fièvre ; de te m p s e n te m p s , p a r u n effort d é s e sp é ré elle te n d a it le s ficelles re lâ c h é e s de ses ja rr e ts e t p a rv e n a it à so u le v e r sa p a u v re v ieille ja m h e taillée en b a lu s tre , d e m a n iè re à p r o d u ire u n e p e tite c a b rio le . Q uant à l ’h o m m e , il se tr é m o u s s a it fla sq u e m e n t avec u n e p h y sio n o m ie de fo sso y e u r s ’e n te r ra n t lu i-m ê m e ; son f ro n t rid é c o m m e u n e b o tte à la h u s s a rd e , so n n ez de p e rro q u e t, se s jo u e s de ch è v re lu i d o n n a ie n t une a p p a re n c e d es p lu s fa n ta stiq u e s. T o u t le te m p s q u e la d an se d u ra , ils n e le v è re n t pas u n e fois le s y e u x l ’u n s u r l ’a u tre ; o n e û t d it q u ’ils av a ie n t p e u r de le u r la id e u r ré c ip ro q u e e t q u ’ils c ra ig n a ie n t de fo n d re en la rm e s en se v o y an t si d é c ré p its e t si fu n è b re s. L ’h o m m e s u r to u t fu y a it sa co m p ag n e co m m e u n e ara ig n é e e t se m b la it f ris s o n n e r d ’h o r r e u r to u te s le s fois q u ’u n e figure de la d a n se le fo rç ait de s ’en a p p ro c h e r. Ce b o léro m a ca b re d u ra dix m in u te s ; a p rè s q u o i, la to ile to m b a n t m it fin au su p p lic e de ces d e u x m a lh e u re u x e t au n ô tre . Le s u rle n d e m a in de c e tte esp èc e de m y stifica tio n , in tr o d u it d a n s u n e m a iso n où le s F ra n ç a is é ta ie n t fo rt b ien a c c u e illis, j ’a s sista i à u n e t e r t u l l i a (soirée d an san te ) où je fu s am p le m e n t d éd o m m ag é de la su rp ris e que j ’avais é p ro u v é e a u th é â tr e , e t je d u s re v e n ir s u r l ’im p re ssio n fâ c h e u se q u e la d an se d u b o lé ro av ait la issé e d a n s m on esp rit. Un je u n e co u p le, a im ab le e t g rac ieu x , v ê tu d an s le c o s tu m e d u p ay s, n o u s d o n n a la re p ré s e n ta tio n de ce b a i l (d an se d u pays). R ien de p lu s s é d u is a n t e t de p lu s v o lu p tu e u x q u e ce tte d an se in v e n tée p a r l ’a m o u r, n a c io n a l o ù le s a ttitu d e s e t les ag a ç a n te s p ro v o c a tio n s d es d an 348 SOUVENIRS MILITAIRES. s e u rs p r o d u is e n t u n effet e n c h a n te u r a u b r u it des c a s ta g n e tte s , d o n t le so n vif e t ra p id e a jo u te au c h a rm e de l ’a c tio n ; on se c ro y a it in itié à to u te s le s im p re ssio n s d ’u n e p assio n v io le n te , et, b ie n c e rta in e m e n t, les p e rso n n e s qui n o u s d o n n a ie n t cet a g ré a b le sp e c ta c le p o u v a ie n t p a s s e r p o u r d ’e x c e lle n ts a c te u rs o u d ev a ie n t a v o ir l ’u n p o u r l ’a u tre les s e n tim e n ts le s p lu s te n d re s . V itto ria, cap itale de la p ro v in c e d ’Alava, e s t u n e ville assez g ra n d e , m ais d o n t le s ru e s s o n t sa les e t é tro ite s, l’a rc h ite c tu r e d es b â tim e n ts m é d io c re et d ’u n g o û t m a u s s a d e ; les fe m m e s y s o n t g é n é ra le m e n t p e tite s , le te in t b ru n , les y e u x n o irs e t fo rt e x p re ssifs : elles p o r te n t s u r la tê te, avec u n e g râ c e infinie, u n e m a n tille q u ’elles sa v e n t é c a r te r av ec u n e c o q u e tte rie on ne p e u t p lu s sé d u isa n te . N ous r e s tâ m e s h u it jo u r s à V itto ria , p e n d a n t le sq u e ls s ’o rg a n isa le n o u v ea u convoi q u i d ev a it a lle r à M adrid so u s le c o m m a n d e m e n t d ’A u g u ste F o n te n ille , c h e f d ’esca d ro n a tta c h é à l ’é la t- m a jo r d u p rin c e de N eu ch âtel et m on am i p a rtic u lie r. Ce convoi, a u g m e n té de six g ro sse s v o itu re s ro u liè re s et de p lu s ie u rs é q u ip ag e s e m p o rta n t s e p t à h u it fa m ille s e s p a g n o le s, se c o m p o sa it de 2 600 h o m m e s d ’in fa n te rie , d eu x p iè c e s d ’a rtille rie , q u a tre ca isso n s, 23 la n cie rs p o lo n a is e t 30 d ra g o n s q u i fu re n t p la cé s so u s m e s o rd re s. Q u e lq u e s lie u e s a v a n t d ’a r r riv e r à M iranda, où n o u s d e v io n s c o u c h e r, n o u s fîm e s la r e n c o n tre d ’u n convoi c o n s id é ra b le , c o m p o sé p re s q u e en e n tie r de b le ssé s e t de m a la d e s se r e n d a n t en F ra n c e . Le le n d e m a in , p o u r a rriv e r à P a n c o rb o , n o u s av io n s à tr a v e rs e r u n d es p lu s d an g e reu x p assag e s de l ’E sp a g n e ; u n d é ta c h e m e n t de 600 h o m m e s, a p p u y é de d e u x pièces de ca n o n , v in t a u -d e v a n t de n o u s et p r it p o s itio n de m a n iè re à p ro té g e r n o tre m a rc h e . P eu a p rè s av o ir p assé le village de C ubo, on e n tre d a n s u n e g o rg e de m o n ta g n e s q u i se re s s e rr e en av a n ça n t e t finit p a r PANCORBO. - 319 1812. p r é s e n te r u n e m a sse im m e n se de ro c h e s p e rp e n d ic u la ire s, b o rd a n t à d ro ite la ro u te , e sc a rp é e co m m e d es falaises et, s u r la g au c h e, u n m a u v ais p o n t tra v e rs a n t le to r r e n t qui b o u illo n n e au fond d ’u n ra v in , p u is la S ie rra qui se d e s sin e au lo in , vague e t b le u â tre . C ette vue e s t sauvage et p itto re s q u e , m a is le p assa g e de P a n c o rb o l ’e m p o rte p a r l a s in g u la rité e t le g ra n d io se . L es ro c h e s n e la is s e n t p lu s q u e la p lace d u c h e m in to u t ju s te , e t l ’on a rriv e à u n e n d ro it où d eu x g ra n d e s m a sse s g r a n itiq u e s , p e n c h é e s l’u n e v ers l’a u tre , s im u le n t l ’a rc h e d ’un p o n t g ig a n te s q u e q u e l ’o n a u ra it co u p é p a r le m ilieu . Dix m ille h o m m e s s e ra ie n t fa c ile m e n t a rrê té s d an s cet é tro it g o u le t p a r le p lu s faible d é ta c h e m e n t, d ’a u ta n t q u ’il e s t im p o ssib le m ê m e de to u r n e r la p o sitio n . Ce fu t d a n s ce d a n g e re u x défilé q u e le g é n é ra l P o y , v e n a n t de P a ris p o rte u r d es d é p ê c h e s d e l ’E m p e re u r p o u r le m a ré ch a l M asséna, av ait été a tta q u é : so n e s c o rte , q u ’il c ro y a it su ffisan te , ne se c o m p o sa it q u e de 300 h o m m e s ; a ssaillis de to u s cô tés par p lu s ie u rs b a n d e s ré u n ie s e t re tra n c h é e s d a n s les ro c h e rs , ces m a lh e u r e u x y p é r ir e n t p re sq u e to u s. Le g é n é ra l, q q i é ta it d a n s sa v o itu re au m o m e n t de 1 a tta q u e , ne p arv in t a s é c h a p p e i q u 'e n se p ré c ip ita n t d a n s le to r r e n t e t en se c a c h a n t e n tre le s ro c h e rs , a y a n t de l ’e a u j u s q u ’à la c e in tu re . Il r e s ta p lu s ie u rs h e u r e s d a n s c e tte c ru e lle p o sitio n ju s q u ’à l ’a rriv é e d e s tro u p e s en v o y é es d u fo rt p o u r le tir e r de c e tte affreu se a n x ié té ; se s éq u ip a g e s fu re n t e n tiè re m e n t p illés, m ais il sa u v a le s d é p ê c h e s d o n t il é ta it p o r te u r. La p e tite ville de P a n c o rb o , placée d a n s u n e e sp èc e d ’e n to n n o ir, e st d o m in é e p a r u n e fo rte re s s e p re s q u e to u jo u r s d an s les n u a g e s; c e tte p o sitio n in e x p u g n a b le é ta it c o n tin u e lle m e n t o cc u p ée p a r q u e lq u e s co m p ag n ie s d ’in fan te rie q u ’on re le v a it assez so u v e n t. N ous c o u c h âm es d ans 830 SOUVENIRS M ILITAIRES. c e t h o rrib le e n d ro it d ’où n o u s p a rtîm e s p o u r a lle r d a n s la b o u rg a d e d e B riv iesca, à p e u p r è s a b a n d o n n é e . N o tre m a rc h e d u le n d e m a in se fit d a n s u n p a y s d é c o u v e rt, d o m in é p a r q u e lq u e s m a m e lo n s s u r le s q u e ls se fai s a ie n t a p e rc e v o ir d es m a s s e s d ’h o m m e s d o n t le s a rm e s b rilla ie n t a u re fle t d u soleil. Le c o m m a n d a n t F o n te n ille , s ’a tte n d a n t à ê tre a tta q u é d ’u n m o m e n t à l’a u tre , fit a u s s itô t se s d isp o s itio n s, ta n d is q u ’il faisait fo u ille r p a r dix la n c ie rs le village de M onasterio d a n s le q u e l n o u s d e v io n s p a s s e r ; c e tte d é m o n stra tio n , lo in d ’in tim id e r l ’e n n e m i, fu t re ç u e p a r u n e assez vive fu silla d e à la q u e lle n o u s ré p o n d îm e s en c h a rg e a n t s u r u n e m a sse de 700 à 800 h o m m e s, re tra n c h é s en a v a n t de la ro u te , ta n d is q u ’en a rriè re e t s u r les flancs d u V illage, deux m a ss e s c o m p a c te s de 1 300 à 1 800 h o m m e s p la c é s, sa n s a u c u n e d is p o s itio n m ilita ire , avec u n e c in q u a n ta in e de c a v aliers, s e m b la ie n t a tte n d re l ’in s ta n t de p o u v o ir to u r n e r le convoi. Mais n o tre ch a rg e et deu x c o u p s de ca n o n p o r tè r e n t le tr o u b le d a n s ce ra m a ssis d ’h o m m e s q u i se d é b a n d è r e n t a u s s itô t en fu y a n t d a n s la p la in e : les d rag o n s et le s la n c ie rs en tu è re n t u n e q u in z a in e , e t, ta n d is q u e le co n vo i tra v e rs a it le village avec c a lm e e t o rd re , n o u s p o u r su iv îm e s le s fu y a rd s p e n d a n t p lu s d ’u n e d e m i-h e u re , afin de lu i la is s e r le te m p s de g a g n e r le b o u rg de Q uin tan apalla, o ù n o u s d ev io n s c o u c h e r. C ette p e tite e sc a rm o u c h e e u t p o u r r é s u lta t, o u tre le s 15 h o m m e s tu é s, u n e c e n ta in e de p ris o n n ie rs fo rt m al v ê tu s e t tr è s p e u en m ilita ire s ; la c ra in te de la m o r t d o n n a it à ces figures sin is tre s q u e lq u e ch o se d ’ig n o b le ;n e p o u v a n t n o u s d é te r m in e r à m a ssa c re r fro id e m e n t ces m is é ra b le s, m a lg ré q u e c ’e û t été ju s tic e , on fit a p p liq u e r à c h a c u n v in g t c o u p s de p la t de sa b re s u r le d e r riè re . Il les r e ç u re n t, sin o n avec re c o n n a iss a n c e , du m o in s avec la sa tisfac tio n d ’en ê tre q u itte s à si b o n c o m p te ; LES GUÉRILLAS — 1812. 351 p u is, o n le u r co u p a la m o u sta c h e e t les ch ev eu x ; et ils g a g n è re n t p a y s a p rè s c e tte lé g ère ad m o n itio n . N ous a p p rîm e s, p a r d es p ris o n n ie rs , q u e le c h e f de cette b an d e se n o m m a it L onga, q u ’il devait a rriv e r avec 200 c h e v au x , u n b a ta illo n b ie n o rg an isé e t la p o p u la tio n des vil lag es v o isin s; m a is la m a rc h e d u convoi s ’é ta n t faite tro is h e u r e s p lu s tô t q u ’il n ’av a it é té p ré v e n u , il en é ta it ré s u lté qu e la fra y e u r av ait sa isi ceux-ci q u i, n e se v o y an t p as so u te n u s , n ’a v a ie n t eu rie n de m ie u x à faire que de fu ir. Le-, le n d e m a in , n o u s a rriv â m e s à B urgos, an c ie n n e ca p ita le de la V ieille C astille, où n o u s d ev io n s faire un s é jo u r de vingtq u a tre h e u re s ; c e tte v ille, g ra n d e , b e lle , situ é e d an s u n e p la in e, e s t ad o ssé e à u n e m o n ta g n e s u r le so m m e t de la q u elle se tro u v a it u n e c ita d e lle b ie n p o u rv u e e t occupée p a r u n e b o n n e g a rn iso n . La riv iè re d ’A rlançon sé p a re les fa u b o u rg s, q ui s o n t b o rd é s p a r u n e b elle p ro m e n a d e s u r la q u elle le g é n é ra l T h ié b a u t, g o u v e rn e u r de c e tte place, a v a it fait é le v e r u n m o n u m e n t en l ’h o n n e u r d u Cid et de C h im èn e. L es h a b ita n ts p a ra is s a ie n t re c o n n a is s a n ts de c e t h o m m a g e re n d u p a r u n F ra n ça is. S u r u n e v aste p la ce de la v ille se tro u v e le p a la is du r o i; au m ilie u s ’élèv e u n e s ta tu e en b ro n ze de C h arles III q u i e st g ran d e e t n e m a n q u e p as de c a ra c tè re . L a c a th é d rale e s t u n e d es p lu s b e lle s de l ’E u ro p e ; le p rin c ip a l p o rta il e s t m a g n ifiq u e, b ro d é , fo u illé e t fleu ri co m m e u n e d e n te lle ; u n e fo u le in n o m b ra b le de sa in ts, d ’a rc h a n g e s, d e ro is , de m o in e s an im e to u te c e lle a rc h ite c tu re , e t ce lte p o p u la tio n de p ie rre e s t p re sq u e a u s si n o m b re u s e q u e celle en c h a ir et en os qui o cc u p e la ville. L ’in té r ie u r de l'éd ifice e s t ad m irab le d a n s tous se s d étails ; d an s u n e des sa lle s de la sa c ristie on m e fit le v e r la tê te p o u r r e g a rd e r u n g ra n d coffre su sp e n d u à la v o û te , q u ’u n e in s c rip tio n in d iq u a it co m m e é ta n t celu i du C id; il é ta it difficile d’im a 352 .SOUVENIRS MILITAIRES. g in e r u n e m a lle p lu s ra p ié c é e e t p lu s v e rm o u lu e . C e rtes, si le m o b ilie r d u fam e u x R uy Diaz de B ivar, p lu s c o n n u so u s le n o m de Cid C am p ead o r, se re n fe rm a it d a n s c e tte m alle, il fa lla it q u ’e lle fû t p le in e de b ijo u x e t de p ie rr e r ie s p o u r q u ’u n u s u r ie r lu i a it p rê té de l’a rg e n t s u r u n p a re il gage. L ’h is to ire d it q u e ce m y s té rie u x coffre n e fu t p o in t o u v e rt e t q u ’o n le c r u t s u r p a ro le , ce q u i p ro u v e ra it q u e les ju ifs de ce te m p s é ta ie n t de p lu s facile co m p o sitio n q u e c e u x de n o s jo u r s . J ’eu s l ’a g ré a b le s u r p ris e de re tro u v e r à B u rg o s p lu s ie u rs officiers d u 5° H u ssa rd s q u i, a p rè s av o ir fait u n e cam pagne avec u n e s c a d ro n du ré g im e n t, v en a ie n t d ’ê tre in c o rp o ré s d a n s le 31e de C h a sse u rs, n o u v e lle m e n t c ré é de p lu s ie u rs e s c a d ro n s d e cav alerie lé g ère et m is so u s le s o rd re s d u c o lo n el D esm ich e ls, je u n e officier d ’u n g ra n d m é rite . N ous q u ittâ m e s B urgos, re n fo rc é s d ’u n b a ta illo n e t de 50 la n c ie rs p o lo n a is, p o u r e n tre r d an s u n p a y s a rid e e t sa b lo n n e u x , b o rd é de m o n ta g n e s , d a n s le sq u e lle s se te n a ie n t p lu s ie u rs b a n d e s n o m b r e u s e s ; n o tre g ite fu t le villag e d e C elada, b âti en p isé e t to m b a n t en ru in e , a u to u r d u q u e l n o u s n o u s é ta b lîm e s m ilita ire m e n t; p eu ap rès, a rriv a u n co n voi a lla n t en F ra n c e e t j ’e u s le b o n h e u r, de c o u rte d u ré e , d ’y re n c o n tre r le brav e e t loyal g én é ral M o n tb ru n v e n a n t d u P o rtu g a l, o ù il av a it fait u n e c o u rte a p p a ritio n e t d ’o ù il é ta it ap p elé p a r l ’E m p e re u r. Il m ’ex p rim a , avec sa fra n c h ise h a b itu e lle , le p la is ir q u ’il a v a it à m e v o ir e t le r e g r e t de n e p o u v o ir m ’e m m e n e r avec lu i ; il é ta it a c co m p ag n é de ses a id e s de cam p, d u g é n é ra l B igarré, a tta c h é au ro i J o s e p h , e t du g é n é ra l S u b e rv ie . Je m e s é p ara i de ce b ra v e et d ig n e g é n é ra l avec u n se n sib le d é p la i s ir ; il s e m b la it q u ’u n fu n e s te p re s s e n tim e n t m ’a v e rtissa it, en lu i s e rr a n t la m a in , q u e je lu i faisais d ’é te rn e ls a d ie u x : en effet, il fu t tu é , q u e lq u e s m o is a p rè s, en e n le v a n t les VALLADOLID. — 1812. 353 fa m e u se s re d o u te s de la M ojaïsk. J e p e rd is en lui u n p ro te c te u r, u n am i, e t la F ra n c e u n de se s m e ille u rs e t p lu s brav e s g én é rau x . N ous c o n tin u â m e s n o tre m a rc h e p a r R o d rig o s-D u en a s, jo lie p e tite ville o ccu p ée p a r une assez fo rte g a rn iso n d o n t la p ré s e n c e av ait sau v é u n c h a r m a n t m o n u m e n t bâti d an s le g e n re m a u re s q u e avec p lu sie u rs p e tite s to u re lle s év a sé es d u m e ille u r effet; p u is n o u s a tte ig n îm e s V alladolid, g ra n d e , b ie n b âtie, re n fe rm a n t d ’assez b e a u x édifices, m a is e n tiè re m e n t d é p e u p lé e ,,ca r ce tte v ille ne c o m p ta it q u e 20 000 â m e s et p o u r ra it en c o n te n ir 200 000. C ette m êm e p ro p o rtio n e x ista it d an s to u te l’E sp ag n e , où la d é p o p u la tio n é ta it effra y an te . Du te m p s d es M aures, o n c o m p ta it 32 m illio n s d ’h a b ita n ts , ta n d is q u ’il n ’en e x iste p lu s q u e 10 à 11. S an s la p ré se n c e à V alladolid d u m a ré ch a l M arm o n t avec son c o rp s d ’a rm é e e t se s a d m in is tra tio n s , on eût b ie n c e rta in e m e n t pu fa u c h e r l ’h e rb e d a n s le s r u e s , ta n t e lle s s e m b la ie n t tris te s e t d é s e rte s d ’h a b ita n ts. Le p alais o cc u p é p a r le m a ré c h a l d a ta it d u te m p s de C h a rle s -Q u in t; on y v o y ait u n e co u r en a rc a d e s d ’u n e e x trê m e élég ance et des m é d a illo n s s c u lp té s d ’u n e ra re b e a u té ; ce p alais v e n a it d ’ê tre ré p a ré à n e u f avec so in et m e u b lé c o n v e n a b le m e n t. N ous y fû m e s, F o n te n ille e t m oi, p r é s e n te r n o s re sp e c ts au d u c de R aguse, q u i n o u s fit l ’h o n n e u r de n o u s en g a g er à d în e r avec lui, fa v e u r q u ’il a c c o rd a it ra re m e n t : h a u t, fier e t v a n ite u x , le m a ré ch a l M arm o n t d evait sa h a u te p o sitio n p lu tô t à l’affectio n q u e lu i p o rta it l ’E m p e re u r q u ’à ses q u a lité s m ilita ire s, b ien q u ’il fût tr è s in s tr u it e t d ’u n sav o ir p ro fo n d ; m a is, so it m a lh e u r o u fau te de ta c t, s u r u n c h a m p de b ataille o ù il p a y a it to u jo u rs n o b le m e n t de sa p e rso n n e , il é ta it ra re q u ’il o b tîn t de g ra n d s su c cè s e t so n m a lh e u r é ta it p ro v e r b ial d a n s l ’a rm é e . 334 SO UVE NIR S .MILITAIRES. N ous a p p rîm e s q u e le s b a n d e s de g u é rilla s (ou de b ri g an d s, c o m m e o n le s a p p e la it in d is tin c te m e n t) a u g m e n ta ie n t to u s le s jo u r s , so u d o y é e s e t a rm é e s p a r les A nglais; le u r au d ace é ta it te lle q u ’o n d isa it la ville en c o n te n ir u n g ra n d n o m b re ; m a is, co m m e ils n e c o m m e tta ie n t le u rs c rim e s q u e d a n s l ’o m b re ou lo r s q u ’ils se jo ig n a ie n t à ceu x d u d e h o rs, il é ta it difficile de p o u v o ir le s a tte in d re , à m o in s d e les c o m b a ttre s u r u n ch a m p de b ataille. T o u s le s jo u r s d e n o m b re u x a s s a s s in a ts a v a ie n t lie u d a n s la ville, p e n d a n t la n u it s u r to u t, m a lg ré les p a tro u ille s , les p o s te s m u ltip lié s e t la su rv e illa n c e de la police. P e u de j o u r s a v a n t n o tre a rriv é e , u n ch ef, d é n o n c é p a r u n esp io n , fu t sa isi d a n s u n e p o s a d a ; so n p ro c è s, sa c o n d a m n a tio n e t so n su p p lic e f u re n t l’affaire de v in g t-q u a tre h e u r e s . C’é ta it u n je u n e h o m m e de d ix -n e u f a n s, a p p a rte n a n t à u n e fam ille ric h e e t d istin g u é e de la ville ; il avait des m a n iè re s a g ré a b le s, u n e figure c h a rm a n te e t f r é q u e n ta it la m e ille u re so c ié té . L o rs q u ’on lu i lu t sa se n te n c e , il n e té m o ig n a d ’a u tre re g re t, en q u itta n t la vie, q u e ce lu i d e n ’av o ir p as fa it p é r ir p lu s de F ra n ça is, et il té m o ig n a en av o ir tu é de sa m a in p lu s de c e n t. Il fu t é c a rte lé , sa tê te p la c é e s u r u n p o te a u au m ilie u de la p la ce e t ses m e m b re s ex p o sés au x p o rte s de la ville. Cet ex em p le te rr ib le n ’e m p ê c h a p a s q u e, le jo u r m ê m e de l ’e x é cu tio n , le co lo n el de Y é rig n y , c h e f d ’é ta t-m a jo r, d eu x g e n d a rm e s e t c in q so ld a ts fu re n t tro u v é s p o ig n a rd é s p e n d a n t la n u it. L’E sp a g n o l e s t b rav e , fier, o rg u e ille u x , p e u in s tru it, n o b le d an s se s p ro c é d é s, g é n é re u x , g ra n d , p a re sse u x avec d é lic e s, d ’u n e so b rié té e x tra o rd in a ire , e n n e m i ir ré c o n c i lia b le , féro ce e t m é d ita n t u n e v en g e an c e avec to u s les d é ta ils les p lu s affreux, le calm e e t le sa n g -fro id le p lu s im p e rtu rb a b le s , d év o t j u s q u ’à l ’ex c è s e t in v o q u a n t ce D ieu OLMEIDO. — 1 812. 355 de m is é ric o rd e au m o m e n t de ses c rim e s. Tel é ta it ce p e u p le q u e n o u s avions à c o m b a ttre , q u e n o u s av o n s v ain cu e t ja m a is so u m is. N ous q u ittâ m e s Y alladolid a p rè s u n re p o s de tro is jo u r s , e m p lo y és à la ré o rg a n is a tio n d u convoi, p re s q u e d o u b lé p a r un a u tre q u i a tte n d a it n o tr e p assag e . C ette n o u v e lle co lo n n e fo rm a it u n to ta l de 62 v o itu re s de to u te esp èc e, a y a n t p o u r e s c o rte 3 000 h o m m e s d ’in fa n te rie , tro is pièces de ca n o n , 60 la n c ie rs e t 50 d rag o n s. P a rm i les p e rs o n n e s m a rq u a n te s v o y ag e an t avec n o u s, se tro u v a it la m a rq u ise de À lb ran ca e t sa c h a rm a n te fille P é p ita , le m a rq u is e t la m a rq u ise de B en d an a e t p lu s ie u rs a u tre s fem m es, d o n t le p lu s g ran d n o m b re fo rt jo lie s. N o tre p re m iè re jo u r n é e se fit à tra v e rs u n e p la in e s a b lo n n e u s e , arid e e t s o lita ire ; çà et là, q u e lq u e s ta s de dé c o m b re s d é c o rés d u n o m de villages, b rû lé s e t dév astés p a r les b rig a n d s, o ù e rra ie n t q u e lq u e s r a r e s h a b ita n ts, d é g u e n illé s e t de m in e ch étiv e. N ous g a g n â m e s ain si la p e tite v ille de V ald ésillas, p re sq u e e n tiè r e m e n t d é tru ite p a r l e feu et le pillage : à p e in e u n e v in g ta in e de m a iso n s p u re n t-e lle s n o u s offrir u n refu g e et, p o u r com b le d ’in fo r tu n e , u n o rd re d u m a ré c h a l n o u s fit r e s te r d e u x jo u r s d a n s ce lie u de d é s o la tio n , p e n d a n t q u ’il en v o y ait d es tro u p e s c o n tre p lu s ie u rs b an d e s ré u n ie s d a n s l ’in te n tio n d ’a tta q u e r le co n v o i. N ous n o u s re m îm e s en m a rc h e , to u jo u rs d a n s u n e p la in e sa n s fin q u i se m b la it u n d é s e rt, m a rc h a n t avec u n e te lle le n te u r q u e n o u s e m p lo y â m e s dix h e u re s p o u r faire cin q lie u e s ; enfin, n o u s a tte ig n îm e s O lm eido, p o in ta n t d a n s l’h o rizo n co m m e u n p h a re e t q u i se m b la it, p a r l'in fin ité de se s c lo c h e rs, d ev o ir ê tre u n e ville d u p re m ie r o r d r e ; m a is n o u s fû m es b ie n tro m p é s d a n s n o tre e sp é ra n c e . La v ille é ta it à la v é rité d ’u n e g ra n d e é te n d u e , en* 356 SOUVENIRS MILITAIRES. to u r é e d e r e m p a rts n o u v e lle m e n t re le v é s e t p e u p lé e de c o u v e n ts ,'m a is e n tiè re m e n t p riv ée d ’h a b ita n ts ; o n se m b la it e n tr e r d a n s u n e n d ro it m a u d it du ciel, d o n t le s h e rb e s p a ra site s, les v ip è re s e t le s h ib o u x s ’é ta ie n t e m p a ré s. La m a lh e u re u s e g a rn iso n , q u i g a rd a it c e tte place sq u e le tte , té m o ig n a it, p a r sa tr is te s s e e t sa m a ig re u r, d es p riv a tio n s sa n s n o m b re d o n t elle é ta it accablée. , La p ré s e n c e de n o tre convoi fu t p o u r elle u n c o u rt m o m e n t d e jo u is s a n c e a u q u e l d ev a ie n t su c c é d e r de n o u v e lle s d o u le u rs. Le le n d e m a in , a p rè s u n e h e u re de m a rc h e , n o u s q u it tâ m e s le s sa b les p o u r e n tr e r d a n s u n b o is d ’u n e g ra n d e é te n d u e q u ’il é ta it im p o rta n t d ’é c la ire r à to u t in s ta n t, de c ra in te d e su rp ris e ; n o u s tra v e rs â m e s , s u r u n assez m a u vais p o n t, la riv iè re de S a n t-E re sm a , lie u d ésig n é co m m e tr è s d a n g e re u x ; les p iè c e s f u re n t m is e s en b a tte r ie , c h a r gées à m itra ille , d e s d é ta c h e m e n ts d ’in fa n te rie en p o s i tio n et s u r les flancs d u co nvoi, le s la n c ie rs e n a v a n t-g a rd e e t le s d ra g o n s f e rm a n t la m a rc h e . S u r le s b o rd s de la riv iè re c ro iss a ie n t le b a n a n ie r, le p is ta c h ie r, d es o ra n g e rs e t d es c itro n n ie rs d o n t le s b ra n c h e s p lo y a ie n t so u s le u rs fru its d o ré s ; n o n lo in , d a n s u n e éc la irc ie assez v a s te , se tro u v a it u n c h â te a u m a u re sq u e , d a n s u n e co n se rv a tio n p a rfa ite , avec to u te s se s ric h e s s e s e t so n a rc h ite c tu r e ; u n e p e tite m o sq u é e de la fo rm e la p lu s g ra c ie u se e t la p lu s é lé g a n te , v é rita b le c h e f-d ’œ u v re de l ’a r t, to u c h a it à ce d élicieu x s é jo u r, e n to u ré e de fo rtificatio n s c u rie u s e s p a r le g ra n d io s e de le u r é p o q u e ; p u is, on a p e rc e v a it d es m a ssifs de fleurs e t d es je ts d ’ea u r e to m b a n t d a n s d es b a s s in s de m a rb r e ; ce ra v is s a n t e n d ro it, e n tre te n u avec a u ta n t de so in q u e de lu x e , a p p a rte n a it au d u c de G renade. . Un p o ste fra n ç a is y é ta it étab li avec d e u x p iè ce s de ca n o n sa n s q u ’on e û t ja m a is te n té de l ’a tta q u e r. COMBAT AVEC UNE GUERILLA. — 1812. 357 A d eu x lie u e s de c e t e n d ro it, n o u s a tte ig n îm e s C roqua, p e tite v ille o cc u p ée p a r d eu x b a ta illo n s d ’in fa n te rie lé g è re e t 50 d rag o n s, ce qui n o u s c o n tra ig n it de b iv o u a q u e r. Le pay sag e à p a r tir de C ro q u a offre u n e v a rié té de site s ag ré ab le s à l ’œ il, ce qui fo rm a it u n c o n tra s te fra p p a n t avec le s la n d e s s a b lo n n e u se s q u e n o u s v e n io n s de q u itte r . S u r le s m idi, n o u s n o u s a rrê tâ m e s c o m m e d ’h a b itu d e p o u r faire re p o s e r le s h o m m e s e t les c h e v a u x ; le s a rm e s en fais c e au x e t le s v e d e tte s p la cé s s u r le s cô tés d u convoi, j ’a p e r çu s, d a n s le lo in ta in , avec m a lu n e tte , s u r les b o rd s d ’un b o is d ’o liv iers, u n g ro u p e d ’une q u in z a in e de c a v a lie rs; u n p ro je t su rg it a u s s itô t à m a p e n s é e , j ’en d o n n a i c o n n a is sa n ce à F o n te n ille , qui m e d it : « F ais ce q u e tu vou d ras, m a is n e t ’en gage pas tro p . » J e fis v e n ir u n m a ré c h a l d es lo g is des d ra g o n s fo rm a n t l ’a rriè re -g a rd e d u convoi, je lu i o rd o n n a i de p re n d re h u it h o m m e s, de g ag n e r les bois p a r c o n to u r afin d ’a rriv e r en a rriè re du g ro u p e. « J e vois ce q u e c ’est, c o m m a n d a n t, m e dit-il, n o u s a llo n s n o u s a m u se r. » P u is, fa isa n t r e n tr e r les v ed e tte s et su iv i p a r d e u x la n c ie rs , je m e d irig e le n te m e n t s u r le b o is c o m m e v o u la n t é c la ire r le s e n v iro n s ; p eu de m o m e n ts a p rè s, u n d e s la n c ie rs m e d it q u e n o u s é tio n s to u rn é s p a r six cavaliers. « C’e s t b ie n , lu i d is -je , laissezles faire e t n ’ay o n s p a s l ’a ir de le s voir. » Au m ê m e in s ta n t, d eu x co u p s de fu sil m ’a n n o n ç a n t l ’a rriv é e d es d ra g o n s, n o u s n o u s la n ç o n s s u r le bois ; cin q p r is o n n ie rs , d o n t u n officier, v e n a ie n t d ’ê tre faits e t d é s a rm é s , ta n d is q u e le re s te J e ce tte b a n d e fu y a it en d é s o rd re . T ém o in de c e tte c h a sse à c o u rre , n o u s re v e n io n s tra n q u ille m e n t r e jo in d re le convoi, lo rsq u e l’officier, m o n ta n t u n fo rt b e a u cheval e t e s p é ra n t se sa u v er, s o rt u n p is to le t de sa p o ch e , tire s u r le d rag o n q u i é ta it p ro ch e de lu i e t le b le sse d ’u n e b alle d a n s le b ra s ; m a is, a u s s itô t en v iro n n é , je lu i fais m e ttr e 358 SOUVENIRS MILITAIRES. p ie d à te rr e e t je le fais f u s ille r à l ’in s ta n t, p u is je d o n n e 40 fra n c s au b le ssé e t m ’e m p a re du ch ev al. Le so ir, en a rriv a n t au village de S anta-M aria de la N ieba, n o u s y tro u v â m e s u n convoi c o n s id é ra b le q u i v e n a it d ’y arriv er. Il é ta it co m p o sé d u m a ré c h a l V icto r, d u c de B ellu n e, de p lu s ie u r s g é n é ra u x , d u m a jo r d ’A m b ru g eac, u n de m e s a m is, et de q u a n tité de d am es p a rm i le sq u e lle s se tro u v a it la b elle m a rq u is e de M o n te-H erm o so d o n t on d isa it le ro i J o s e p h f o r t é p ris. Ce co nvoi se re n d a it en F ra n c e . • P lu s de q u a tre lie u e s a v a n t d ’a rriv e r à S égovie, l ’on a p e rç o it c e tte ville p lacée s u r u n e h a u te u r au p ie d de la q u e lle co u le la riv iè re de S an t-E re sm a . L es fo rtificatio n s d o n t elle é ta it e n to u ré e e t u n e c ita d e lle en b o n état, a s s u r a ie n t la tr a n q u illité de ce lte ville, a u tre fo is fa m e u se à ta n t de titre s e t d ig n e e n c o re de l ’a tte n tio n des v o y a g e u rs p a r sa c a th é d ra le e t son alca za r, b âti ja d is e t h a b ité p a r le s ro is g o th s, et p a r u n a q u e d u c assez b ien c o n se rv é , o uvrage d e ce g ran d p e u p le q u i a la issé p a rto u t d es m o n u m e n ts de sa m ag n ificen ce e t de so n im m o rta lité . U ne p a rtie de l’E u ro p e tire de S égovie les m e ille u re s la in es q u e p ro d u ise l ’E s p a g n e ; il y a a u s si u n e f o rt b elle m a n u fa c tu re de glaces et p lu s ie u r s é ta b lis s e m e n ts d ’u n g ran d in té rê t. Le lo g e m e n t q u e le s o r t m e d o n n a m e fit re tro u v e r le c o n fo rta b le q u e je cro y a is é tra n g e r à l ’E spagne. La m a iso n d u m a rq u is d ’A lb in o sa, u n e d e s p lu s b elles d e la ville, p ro u vait la ric h e sse e t le g o û t de ce se ig n e u r p a r le luxe e t la m a n iè re d o n t elle é ta it te n u e : u n n o m b re u x d o m e stiq u e c o u v e rt d ’u n e liv ré e é c la ta n te , des ta p is re c o u v ra n t des e sc a lie rs en îp a rb re , d es ra m p e s en b ois d es Iles m e fire n t c ro ire u n m o m e n t q u e je v e n a is d ’ê tre tr a n s p o rté d a n s u n lu x u e u x h ô te l d u F a u b o u rg S ain t-G erm ain ou de la C hauss é e -d ’A n tin . I n tro d u it p rè s de la je u n e m a rq u is e , à q u i j ’avais fait d e SÈGOVIE. — 18 12 . 359 m a n d e r la p e rm issio n de p r é s e n te r m e s h o m m a g e s , je tro u v a i, d an s u n c h a r m a n t b o u d o ir, é te n d u e s u r de m o e l le u x c o u s s in s ,u n e g ra c ie u se p e tite m a ître ss e p a rla n t le fra n ça is avec la p lu s g ra n d e p u re té , d o n t l ’ac cu e il b ie n v e illa n t fu t acco m p ag n é de l ’in v itatio n la p lu s p re ssa n te d ’ac c e p te r sa ta b le p e n d a n t le s tro is jo u r s que je devais r e s te r chez elle ; p e u d ’in s ta n ts a p rè s, p a r u t le m a rq u is d o n t le s fo rm e s et les m a n iè re s é ta ie n t celles d ’u n g ra n d se ig n e u r h a b itu é au x u sa g es de la c o u r, affec tio n n a n t b e a u c o u p la F ra n c e o ù il av ait p a ssé sa je u n e s s e . Il d é p lo ra it c e p e n d a n t le s o rt de s o n f a i b l e e t m a lh e u re u x s o u v e ra in , q u ’u n e p o litiq u e in ju s te v e n a it de p riv e r de so n trô n e , m a is il b lâ m a it h a u te m e n t to u s le s ex cès de c e tte g u e rre q u i d ev ait e n tra în e r la ru in e d e so n p ay s. Le m a rq u is d A lb in o sa a v a it p rè s de cin^ q u a n te a n s ; so n p h y siq u e é ta it u sé p a r le lo n g s é jo u r q u ’il a v a it fait en A m ériq u e, où il p o s s é d a it de g ra n d s b ie n s. M arié en seco n d e s n o c e s, d ep u is tro is an s, à u n e je u n e S i cilie n n e, il s’o c c u p a it b ea u co u p d ’a g ric u ltu re , d ’a m é lio ra tio n s et s u r to u t de c o n s tru c tio n s p o u r le sq u e lle s il a v a it u n e v é rita b le p a ssio n q u i l ’a b s o rb a it e n tiè r e m e n t; au ssi p re n a it-il fo rt p e u de p a r t au x é v é n e m e n ts du jo u r . D a n s la s o iré e , d e u x je u n e s fem m es fo rt g ra c ie u se s ac c o m p a g n é e s d ’u n b u rle s q u e p e rso n n a g e , q u ’o n m e d it ê tre u n c h a n te u r ita lie n , v in re n t faire v isite à la m a rq u is e . On fit de la m u s iq u e , e t je fus à m ê m e d ’a d m ire r le re m a rq u a b le ta le n t de m a b elle h ô te sse , ta n t d a n s 1 ex é c u tio n de p lu s ie u rs sy m p h o n ie s q u e d a n s so n c h a n t p u r e t m é lo d ie u x . L e le n d e m a in , p lu s ie u rs d é ta c h e m e n ts de la G arde ro y ale v e n a n t de M adrid p o u r a u g m e n te r l ’e sc o rte de n o tre c o n vo i, p r o u v è re n t to u te la so llic itu d e d u roi p o u r la c o n s e r v atio n du tr é s o r q u i lu i é ta it d e s tin é . Ce fu t avec u n v é rita b le r e g r e t q u e je v is a rriv e r le m o m e n t de n o tre d é p a rt; la c h a rm a n te m a rq u ise m e p e rm it 360 SOUVENIRS MILITAIRES. de lu i b a is e r la m a in , m e d isa n t avec b o n té q u ’elle c o n s e r v e ra it so u v e n a n c e de m on c o u r t s é jo u r p rè s d ’elle et q u e se s v œ u x m ’a c c o m p a g n e ra ie n t, a jo u ta n t, en m e d o n n a n t son a d re s s e à M adrid, o ù elle p a s s a it u n e p a rtie de l’an n é e, q u ’elle é p ro u v e ra it u n e v é rita b le sa tisfa c tio n à m e r e v o ir . Je la q u itta i, p é n é tré de re c o n n a iss a n c e , avec l ’e s p o ir de r é a lis e r u n jo u r ce d é s ir q u e j ’é p ro u v a is s û r e m e n t p lu s v iv e m e n t q u ’elle. La m a u v a is e v o lo n té des v o ilu r ie rs , jo in te à la p a re sse de n o s b elles v o y ag e u se s, r e ta rd a n o tre d é p a rt de p lu sie u rs ' h e u r e s , ce qui n o u s fit a rriv e r à la n u it to m b a n te au villag e d ’O tero, o ù n o u s n e tro u v â m e s d ’a u tre re sso u rc e q u e de la p aille p o u r n o s c h e v a u x , tr is te c o m p a ra is o n avec la veille. D eux h e u re s a v a n t d ’a rriv e r s u r le s h a u te u r s du G uadarra m a , n o u s tro u v â m e s la b elle p o sa d a de S ain t-R ap h aël, ju s te m e n t re n o m m é e et d a n s la q u e lle , à p rix d ’a rg e n t, à la v é rité , on tro u v a it le m o y e n de fa ire u n a u s si b o n re p a s q u e ch e z le m e ille u r r e s ta u r a te u r de P a ris . En q u itta n t ce lie u de d é g u s ta tio n c u lin a ire , n o u s g ra v îm e s u n e m o n ta g n e e x c e s siv e m e n t ra p id e , au so m m e t de la q u e lle se tro u v e n t d e u x é n o rm e s lio n s e n g ra n it in d iq u a n t la lim ite des d e u x C astilles. La te m p é ra tu re , q u i se tro u v a it de tro is d eg ré s a u -d e s s o u s de zéro , jo in te à u n e to u rm e n te affre u se d o n t n o u s fû m es a ssa illis, d ev in t u n p u is s a n t v éhicule p o u r n o u s faire q u itte r p r o m p te m e n t c e t o b se rv a to ire de to u s les v o y a g e u rs. De c e t e n d ro it se d é ro u le au x re g a rd s u n im m e n se ta b le a u d a n s le fond d u q u e l se d éc o u v re la ca p ita le de l’E sp ag n e, à p lu s de h u it lie u e s de d ista n c e . La d e s c e n te , d u cô té de M adrid, e s t te lle m e n t ra p id e q u e le s v o i tu r e s p o u r ra ie n t a lle r to u te s se u le s si l'o n a v a it la fa c u lté de les d irig e r; le s c o n d u c te u rs é p ro u v e n t p lu s de fatigue à r e te n ir le s ch e v au x q u ’ils n ’o n t eu de p ein e à les faire g ra AGRÉABLE SURPRISE. - 1812. • 361 v ir. C e p en d a n t, n o u s a rriv â m e s d 'asse z b o n n e h e u re au village de G u a d a rra m a , a c c ro u p i au p ied de la m o n ta g n e , où se tro u v e u n e fo rt belle fo n ta in e en g r a n it; u n e v aste posad a, se u le m aison h a b ita b le , d e v in t .le gîte co m m u n des d a m e s et de p lu s ie u rs d ’e n tre n o u s, ta n d is q u e les voi tu re s , p a rq u é e s en d e h o rs, re s ta ie n t sous la su rv eillan c e des tr o u p e s au b iv o u ac. S u r le s o n z e h e u re s d u so ir, u n e a le rte , o c c a sio n n é e p a r d es ch ev au x éc h ap p é s du b iv o u ac, fit tir e r p lu s ie u r s c o u p s de c a ra b in e aux p o ste s avancés e t fu t c a u se , d an s n o tre c h a m b ré e , d ’u n p êle-m êle q u e le d é fa u t de lu m iè re p u t d ifficilem en t e m p ê c h e r; jo in t à celala c ra in te d es b rig a n d s, d o n t l’idée fa isa it b o n d ir le c œ u r de n o s je u n e s c o m p a g n e s de voyage : e lle s s e n ta ie n t la n é c e s s ité d ’avoir u n d é fe n se u r, — d ’où q u e lq u e s h e u re u se s m é p ris e s d o n t le s e c re t fu t d ’a u ta n t m ieu x g a rd é q u e le le n d e m a in , au jo u r , c h a c u n se tro u v a it, p a r u n sin g u lie r h a s a rd , p la c é c o n v e n a b le m e n t. C e p en d a n t u n o b se rv a te u r a u ra it p u fa c ile m e n t d is tin g u e r, s u r les tra its e t à la la n g u e u r de q u e lq u e s c h a rm a n ts v isages, l ’im p re ssio n q u e la fra y e u r y av a it la issé e . M a lh e u re u se m e n t ce jo u r é ta it le d e rn ie r de n o tr e ca ra v a n e et n o u s allio n s p e rd re le d ro it si doux de p ro té g e r la b e a u té ; j ’avais b ien , p a r m é g ard e, e n lev é u n c h a rm a n t p e tit m é d a illo n , m ais je n e p u s, p o u r sa tisfa ire m a c u rio s ité , p a rv e n ir à c o n n a ître la p e rso n n e à q ui il a p p a rte n a it ; la se u le ch o se q u e je re m a rq u a i, c’e s t q u e la m è re de la ra v iss a n te P é p ita en p o rta it u n se m b la b le ... Le d é s ir d ’a rriv e r au b u t de n o tre c o u rse avait d o n n é à c h a c u n u n e ac tiv ité q u i m it b ie n tô t le convoi en m o u v e m e n t. On su iv it avec g aieté u n p a y s d o n t l’a rid ité , la sé c h e re ss e e t la d é so la tio n ne p e u v e n t d o n n e r a u c u n e id é e, m ais n o u s n o u s co n so lio n s en p e n s a n t au te rm e q u e n o u s allio n s a tte in d re . On n e re n c o n tre , de G u ad a rram a à M adrid, que d u sab le 362 SOUVENIRS MILITAIRES. ja u n e , de g ro sse s p ie rre s e t u n e effra y an te s té rilité . D eux lie u e s a v a n t d ’a r r iv e r d a n s la ca p itale, o n s u it u n e espèce d ’e n c lo s r e n f e r m a n t q u e lq u e s b o is ra b o u g ris, q u alifiés d u titr e p o m p e u x de c h a sse ro y ale , e t au m ilie u d e s q u e ls on v e rra it fa c ile m e n t c o u rir u n e s o u ris. L e fleu v e d u M ançanarez n ’e s t a u tre c h o se q u ’u n p e tit ru is s e a u q u i a tte n d du ciel la fa c u lté de m o u ille r le s m o l le ts de c e lu i q u i v o u d ra it le tr a v e rs e r; enfin, p o u r d ire u n e ex acte v érité, il n ’ex iste b ie n c e rta in e m e n t p as de ca p ita le d o n t les a b o rd s s o ie n t si in g ra ts. Le ro i J o s e p h é ta it te lle m e n t in q u ie t de l ’a rriv é e du con v o i p a r le s b r u its q u ’o n av a it fa it c o u rir, q u e p lu s ie u rs d é ta c h e m e n ts de sa g ard e é ta ie n t é c h e lo n n é s j u s q u ’à une d e m i-lie u e d e la v ille, afin d ’en e x tra ire le s v o itu re s p o rta n t le tr é s o r , q u e l ’on fit e n tr e r c la n d e s tin e m e n t au p alais. La p u e r ta de H ierro , p a r la q u e lle on e n tre d ans la c a p i ta le, e s t d ’u n e b elle a rc h ite c tu r e ; elle to u c h e p re s q u e au p a la is ro y a l, v aste b â tim e n t n o n achevé, so lid e m e n t c o n s tr u it, a y a n t d es colonn es_ io n iq u es, d es p ila stre s d o riq u e s, en fin to u t ce qui c o n s titu e u n m o n u m e n t q u i s e ra it trè s re m a rq u a b le , s ’il é ta it fini r é g u liè re m e n t; m a is il e s t à c ra in d re q u e l ’a p a th ie q u i le fait r e s te r d a n s c e t é ta t d e p u is si lo n g te m p s n e se c o n tin u e à p e rp é tu ité . Madrid, 22 m ars 1812. « J ’e s p é ra is , m o n p è re , m ’e n tre te n ir avec v o u s b ea u co u p p lu s tô t e t jo in d re à m a le ttr e la re la tio n de m o n voyage d e p u is B ay o n n e, m a is u n o b sta cle in s u rm o n ta b le e s t v e n u s’o p p o s e r a ce d é s ir. Le s u rle n d e m a in de m o n a rriv é e , u n e fièvre a rd e n te , ac c o m p a g n é e de c o liq u e s in to lé ra b le s, se d éc la ra , av ec d es s y m p tô m e s te lle m e n t a la rm a n ts q u e la fa c u lté se m b la it d é s e s p é re r de p o u v o ir m e s a u v e r; le d élire s ’e s t m a in te n u p e n d a n t dix jo u r s c o n s é c u tifs, e t, sa n s la MADRID. — 1812. 868 c o n s ta n te am itié de ce b o n F o n te n ille q ui ne m a p as q u itté u n se u l in s ta n t, la su rv e illa n c e active du d o c te u r lo u r n e lD u ch a u m e, c h iru rg ie n -m a jo r de d ra g o n s, e t le s soins a t te n tifs de m e s h ô te s, j ’e u s se in fa illib le m e n t su c co m b é à la c o m p lic a tio n de m a m a lad ie, q u ’o n d it ê tre é p id ém iq u e ici en ce m o m e n t. « U ne g ra n d e faib lesse e s t le r é s u lta t de m a c o n v a le s ce n ce q ui fait to u s le s jo u r s d es p ro g rè s, e t j ’ai lie u d ’es p é r e r q u ’a u m o y e n d ’u n ré g im e sag e, jo in t à m a fo rte c o n s titu tio n , je n e ta rd e ra i p o in t à ê tre en é ta t de m e r e m e ttre en ro u te p o u r jo in d re le 2e H u ssa rd s d a n s le fond de l’A n d alo u sie , ce q u i m e p ro c u r e r a l ’av an tag e d ’av o ir p a rc o u ru to u te l’E sp a g n e d a n s sa p lu s g ra n d e lo n g u e u r. « L ’in té r ê t d o n t j ’ai été l ’o b je t p e n d a n t c e tte c ru e lle m alad ie, m ’a p é n é tré de re c o n n a iss a n c e e n v e rs p lu s ie u rs c o m p a trio te s q u i m ’o n t d o n n é des m a rq u e s de la p lu s vive so llic itu d e , n o ta m m e n t le s aid es de cam p d u m a ré ch a l Jo u rd a n , g o u v e rn e u r de M adrid, q u i lu i-m ê m e a daig n é e n v o y e r p lu s ie u rs fois chez m o i e t m ’a fait o b lig e a m m e n t offrir sa ta b le p e n d a n t le te m p s q u e je re s te r a is ici. « Le c o lo n el R a stig n a c, aid e de cam p d u ro i e t c o m m a n d a n t d es h u s s a rd s de la G arde, en d ig n e A uvergnat, e s t v en u m e p r ie r de p u is e r d a n s sa b o u rs e , q u ’il m ’a o u v e rte avec la fra n c h is e la p lu s d élica te . T ouché de c e tte ra re e t b ie n v e illa n te o b lig e an c e, j ’eu sse ac ce p té avec le m ô m e a b a n d o n q u e cela m ’é ta it offert, si m o n frè re n ’avait p o u rv u a ce so in p a r l ’a u to ris a tio n q u ’il m ’a v a it d o n n é e de tir e r s u r lu i p o u r le s so m m e s d o n t j ’a u ra is b eso in . M. B e rtra n d , de S a in t-F lo u r, a u jo u rd ’h u i p h a rm a c ie n en chef de 1 h ô p ita l m ilita ire , a jo in t au x so in s q u ’il m ’a d o n n é s 1 offre de to u s le s m é d ic a m e n ts d o n t il p o u v a it d isp o s e r e t il v ien t de m ap p o r te r , p o u r m e ré c o n fo rte r l’esto m a c, d e u x c ru c h o n s en g rè s , de m a d è re au q u in a . A insi, de ce m a l, e st ré s u lté e p o u r 364 SOUVENIRS MILITAIRES. m o i la co n v ictio n que p a r to u t où se re n c o n tre n t d es co m p a trio te s, o n e st c e rta in de tro u v e r u n a p p u i si n é c e s sa ire et si p ré c ie u x d an s l ’é lo ig n e m e n td e la p a trie . Ma p re m iè re so rtie s ’e s t faite a v a n t-h ie r ; m o d e s te m e n t a ssis s u r u n banc à la b elle p ro m e n a d e d u P ra d o , je n e pou v ais v o ir sans su p ris e ce tte q u a n tité de v o itu re s de fo rm e a n tiq u e e t dé m a u v a is g o û t, a tte lé e s de q u a tre m u le s c o n d u ite s p a r d es c o c h e rs g ro te s q u e m e n t v ê tu s , e t s u rc h a rg é e s p a r d e rriè re de p lu s ie u r s la q u a is ; l ’in té r ie u r des allées g a rn ie s de p r o m e n e u rs offrait le sp e c ta c le le p lu s b iz a rre : là, des h o m m e s, en v e lo p p é s d a n s le u r g ra n d m a n te a u e t se d ra p a n t d an s la c o n sc ie n c e de le u r im p o rta n c e , o ffraien t u n c o n tra ste assez p iq u a n t avec le s u n ifo rm e s fra n ç a is; p u is le s fem m es d an s le u r c o s tu m e n o ir a rra n g é de m a n iè re à re le v e r l ’é lé g a n c e de le u r ta ille . L es ro b e s so n t assez g é n é ra le m e n t en so ie, avec d e u x o u tro is ra n g s de fra n g es m é lan g é es de ja i s ; elles d e s s in e n t a d m ira b le m e n t le s fo rm e s p a r des m o rc e a u x de p lo m b p o sé s çà e t là au b a s d u v ê te m e n t. Une b e lle m a n tille en d e n te lle b la n c h e ou n o ire , p la c é e d é lic ie u s e m e n t s u r la tê te , la isse to u jo u rs vo ir de b ea u x y e u x n o irs, d e b e lle s lig n e s, e t va g ra c ie u s e m e n t se jo in d re s u r la ta ille , q u ’elle c o n c o u rt à d e s sin e r avec la b a s q u in e ,u n des o rn e m e n ts de la ro b e . L’é v e n ta il ( a b a n i j o ) v ie n t com p lé te r to u t le c h a rm e de c e tte te n u e e t s e rt à rec ev o ir o u à tr a n s m e ttr e avec u n e g râce infinie to u t ce q u ’il y a de m y s té rieu x d an s le u rs â m e s ; il e st q u e lq u e fo is a u s si le c o n d u c te u r e x p re s s if d es c o lè re s, d es te m p ê te s et d es o rag e s d u c œ u r. Les fe m m e s de M adrid s o n t en g é n é ra l p e tite s , pâles, re m p lie s d e g râ c e , le s y e u x p le in s d ’e x p re ssio n et de viva cité. « Le coup d ’œil d u P ra d o e s t u n e d es b elles p ro m e n a d e s de l ’E u ro p e e t elle e st o n n e p e u t p lu s a n im é e p a r l’afflu en ce é to n n a n te q u i s ’y p o rte to u s les so irs, de s e p t à dix h e u re s. MADRID. — 1812 . 363 « La P u e r ta del Sol, q u i fait face au lo g e m e n t q u e j ’oc cu p e , n ’e st p as u n e p o rte co m m e on p o u rra it l’im a g in e r, n ia is b ie n u n e façade d ’é g lise , p e in te en ro se et enjolivée d ’u n c a d ra n , éc la iré la n u it d ’u n g ra n d so le il à ra y o n s d ’or, d ’o ù lu i v ie n t le n o m de P u e r ta del Sol. D evant c e tte é g lise se tro u v e u n e assez vaste p la ce , re n d e z -v o u s d e s o isifs de la v ille, d es p o litiq u e s, d e s m é c o n te n ts e t des c o n s p ira te u rs , en v e lo p p é s de le u r m a n te a u b ie n q u ’il fasse u n e c h a le u r a tro c e , so u s le p ré te x te friv o le que ce qui d éfend d u fro id d éfend a u ssi d u c h a u d . « U n p o ste c o n s id é ra b le , p la c é avec d e u x p iè c e s d ’a rtil le rie s u r c e tte place, m a in tie n t la tra n q u illité et d issip e les ra s s e m b le m e n ts lo r s q u ’ils s o n t tro p c o n sid é ra b le s. C’e s t s u r c e tte p la c e q u ’e u r e n t lie u le s p re m ie rs é v é n e m e n ts qui d ev a ie n t e m b ra s e r to u te l’E sp ag n e , e t le ré c it en est tro p c o n n u p o u r q u e je le s r e tra c e . « Ce n ’e s t q u e p ar la su rv e illa n c e la p lu s activ e e t au m o y e n d ’u n e g a rn is o n c o n s id é ra b le , q u e l ’on m a in tie n t l’o rd re e t la tra n q u illité au m ilie u d ’u n e p o p u la tio n a u ssi n o m b re u s e q u e celle de c e tte ville. « C e p en d a n t, il fa u t d ire q u e la n o b le sse q u i s ’y tro u v e e s t en p a rtie a tta c h é e au n o u v ea u g o u v e rn e m e n t e t à la co u r. Q uant au ro i Jo s e p h , il se m b le av o ir fait u n bail avec l ’E sp ag n e d o n t on n e p e u t d é te r m in e r la d u ré e , e t ce qui se fait ici se m b le p lu tô t p ro v iso ire q u e d u ra b le ; il y a c e p e n d a n t u n É ta t c o n s titu é , d es m in is tre s , u n e g ard e ro y a le , d es tr o u p e s n a tio n a le s ; m ais, au m ilie u de to u t cela, ré g n e n t u n e in c e rtitu d e , u n e co n fu sio n e t u n e m é fiance d an s le p o u v o ir q u e n o s b a ïo n n e tte s n e p e u v e n l's u rm o n te r, e t il fa u d ra bien lo n g te m p s a v a n t q u e le p eu p le esp ag n o l p u isse s ’h a b itu e r à là n o u v e lle d y n a stie q u ’on v e u t lu i im p o ser. « Il m e fa u d ra it p lu s dé fo rc e s d a n s les ja m b e s e t plug 366 SOUVENIRS MILITAIRES. de te m p s d e v a n t m oi p o u r e x p lo re r la ville ; je re m e ttr a i d o n c ce p la is ir à u n e a u tre é p o q u e , si to u te fo is l’o cc asio n s ’en p ré s e n te , v o u la n t m e m é n a g e r la fac u lté de p a r tir avec u n con v oi qui se p ré p a re en ce m o m e n t e t d an s le q u e l j ’a u ra i l ’av a n ta g e d ’avoir p rè s de m o i u n b rig a d ie r et q u a tre h u s s a rd s d u 2°, re sté s j u s q u ’à ce j o u r p rè s d u m a ré ch al et ré c la m é s p a r le c o lo n e l, ce qui m e s e ra d ’a u ta n t p lu s ag ré a b le q u ’ils d e v ie n d ro n t m e s c o m p a g n o n s d év o u é s e t s o u la g e ro n t m o n p a u v re C osaque, c o m p lè te m e n t s u r les d e n ts , b ien que je lu i aie a d jo in t u n la n c ie r p o u r c o n d u ire le ch ev al de l ’offlcier fu sillé . « A dieu, m o n p è re , p ren e z u n e c a rte de Lopez e t suivez la ro u te q u i c o n d u it de M adrid à S é v ille ; c’e st celle q u e je vais su iv re p o u r re c o m m e n c e r m a vie n o m a d e, q u i, j ’e s p è re , se ra p ro fitab le à m a sa n té , e t je m ’e m p re s s e ra i de v o u s en faire c o n n a ître les ré s u lta ts à m o n a rriv é e en A n d alo u sie. » Le m a ré c h a l J o u rd a n , en s ’o c c u p a n t d ’u n co nvoi c o n si d éra b le p o u r l ’A n d alo u sie, m ’av ait d é sig n é au m in is tr e de la G u erre c o m m e d ev a n t en ê tre le c o m m a n d a n t s u p é r ie u r ; ca r, à c e tte ép o q u e , la q u a lité d ’officier de la L égion d ’h o n n e u r, d o n t j ’étais re v ê tu , jo u is s a it d ’u n e tr è s g ra n d e c o n s i d é r a tio n ; c e p e n d a n t, le le n d e m a in m ê m e d u d é p a rt de la le ttre d u m a ré c h a l, a rriv a de P a ris le c h e f d ’e s c a d ro n Du h a m e l, d o n t la p ré se n c e m e re lé g u a au se co n d rô le , san s p o u r cela q u e j ’en fu sse a u tre m e n t c o n tra rié , la r e s p o n s a b ilité d ’u n e m issio n se m b la b le é ta n t u n p e s a n t fard ea u , s u r to u t avec la c o n v ic tio n d ’ê tre a tta q u é s so u v e n t d a n s les p a s sa g e s d a n g e re u x q u ’il fa lla it tra v e rs e r, sa n s a u tre av an tag e q u e de g ra n d s e m b a rra s , d e s co u p s à re c e v o ir e t p a s la m o in d re g lo ire à a c q u é rir. Ce co n v o i é ta it c o m p o sé d ’u n e g ra n d e q u a n tité de voi tu r e s ro u liè re s tra n s p o r ta n t d es effets m ilita ire s p o u r DÉPART POUR SÉVILLE. — 1812. 367 l ’A rm ée du Midi, de p lu s ie u r s v o itu re s de m a ître s se r e n d a n t à S éville et d u g én é ral de d iv isio n L afon-B laniac, aid e de cam p d u roi J o se p h , a lla n t à M ançanarès p r e n d r e le c o m m a n d e m e n t de c e tte p ro v in c e ; il e u t l ’o b lig e an c e de m ’offrir sa ta b le p e n d a n t le te m p s q u e n o u s re s te rio n s e n se m b le . D ans ce convoi se tro u v a ie n t e n c o re p lu s ie u rs o fficiers iso lé s e t q u e lq u e s p e tits d é ta c h e m e n ts re jo ig n a n t le u rs d iffé ren ts co rp s. S o n esco rte se c o m p o sa it de 1 500 h o m m e s d ’in fa n te rie , d eu x p iè ce s de c a n o n , 80 la n c ie rs p o lo n a is e t h u it g e n d a rm e s so u s le c o m m a n d e m e n t d u c h e f d ’esca d ro n D uha m e l, e t m o i en seco n d . Le 26 m a rs, p re m ie r jo u r de n o tr e m a rc h e , a u c u n e in q u ié tu d e n e p o u v a n t avoir lie u p a r la q u a n tité de tro u p e s c a n to n n é e s s u r la ro u te d ’A ra n ju e z, j ’ac co m p ag n a i le g é n é ra l d a n s sa ca lè ch e j u s q u ’à c e tte ré s id e n c e ro y a le , o ù n o u s a rriv â m e s p lu s ie u r s h e u re s a v a n t le co nvoi, ce q u i m e p e r m it de la v isite r. N ous tro u v â m e s so u s l'es a rm e s u n fo rt b e a u ré g im e n t d’in fa n te rie e t q u a tre e sc a d ro n s de la G arde ro y ale , q u i a tte n d a ie n t le g én é ral p o u r lu i re n d re les h o n n e u rs m ilita ire s d u s à so n g rad e de g é n é ra l de d iv isio n de la G arde ro y ale . La ville d ’A ranjuez e s t p e u c o n s id é ra b le , fo rt jo lie , p a r fa ite m e n t b âtie et situ é e su r les b o rd s'd u Tage. Le p alais du ro i a u n e p a rfa ite sim ilitu d e avec ce lu i de F ré d é ric le G rand à P o tsd a m ; le s ja rd in s , tra v e rs é s p a r le fleuve, so n t de la p lu s g ra n d e b e a u té , p a ré s d es a rb u s te s les p lu s ra re s, de c o rb e ille s de fle u rs, de fa b riq u e s, de s ta tu e s, de cas cad es, d ’a rb re s sé c u la ire s d ’u n e im m e n se g r a n d e u r e t d ’u n e v ég é ta tio n a d m ira b le p ro d u ite p a r u n e c o n s ta n te fra îc h e u r. — Le p alais, b âti d a n s la Isla, e s t l’œ u v re de J u a n de H err e r a so u s le rè g n e de P h ilip p e II ; il e st re m a rq u a b le p a r so n a rc h ite c tu re , e t son in té r ie u r p a r la ric h e sse de ses 368 SOUVENIRS MILITAIRES. m e u b le s , a u x q u e ls p lu s de g o û t e û t d o n n é u n p rix in e s ti m a b le ; o n y voyait u n e g ra n d e q u a n tité de ta b le a u x des p lu s g ra n d s m a ître s e t u n c a b in e t f o rt c u rie u x , to u t en p o rc e la in e . A u n e d e m i-lie u e d ’A ra n ju e z, a u m ilie u des b o is, se tro u v e u n e ra v iss a n te m a iso n n o m m é e la casa del L ab rad o r, p e rfe c tio n de l ’a rt, d u g o û t e t de la m a g n ifice n ce . C ette c h a rm a n te d e m e u re , q u i, d it-o n , a c o û té p lu sie u rs m illio n s , e s t la r é u n io n de to u t ce q u e l ’im a g in a tio n p e u t in v e n te r d a n s ce g e n r e ; le ro i C harles IV, q u i en fu t le c ré a te u r, en avait confié la d ire c tio n à des a rtis te s fra n ç a is e t ita lie n s d o n t je r e g r e tte d ’avoir o u b lié les n o m s. T ous les a p p a rte m e n ts é ta ie n t te n d u s de soie o r e t a rg e n t r e p r é s e n ta n t d ifféren ts p a y s a g e s; la salle à m a n g e r, en m a rb re b la n c e t à c o lo n n e s, avec d es b a s -re lie fs et des c o r n ic h e s du m e ille u r g o û t; u n b o u d o ir o rie n ta l, e n to u ré de m o e lle u x d iv a n s en la m p a s d a m a ssé d ’u n bleu te n d re garn i de la rg e s c ré p in e s d ’o r ; u n e sa lle de b ain s en a lb â tre ; le s p o rte s d es a p p a rte m e n ts en ac a jo u m a ssif in c ru s té de m o u lu r e s en o r ; le s e sc a lie rs en m a rb re re c o u v e rts de ric h e s ta p is, le s b a lu stra d e s en o r et la m a in c o u ra n te en é b è n e ; enfin l’o n p e u t c ite r ce p e tit p alais co m m e u n e d es m e rv e ille s de l’E sp ag n e, d a n s le q u e l la rein e v en ait, disaiton, se d é la sse r d es g ra n d e u rs de la ro y a u té . En q u itta n t ce s é jo u r e n c h a n té , je cro y a is avoir fait un rêv e d es M i l l e e t u n e N u i t s . Un fo rt beau d é je u n e r offert p a r'le s officiers de la G arde ro y a le au g é n é ra l L afon-B laniac te rm in a c e tte c o u rse in té r e s s a n te , e t n o u s p a rtîm e s e n s u ite a v e c le convoi p o u r aller c o u c h e r a O cana, p e tite ville cé lè b re p a r la m é m o ra b le vic to ire d u m a ré c h a l S o u lt, re m p o rté e le 3 o c to b re 1809, vic to ire q u i c o û ta au x E sp ag n o ls 12 000 m o rts , 20 000 p r i s o n n ie rs , 30 p iè ce s de c a n o n , u n m a té rie l im m e n s e et 30 d rap e au x , VERS SÉ VILLE. — 18 1 2 . 369 N ous tra v e rs â m e s le le n d e m a in la v aste p la in e o ù s’é ta it liv ré ce b rilla n t co m b at, p o u r a lle r c o u c h e r au b o u rg de T e m b le q u e , d ésig n é co m m e é ta n t le r e p a ire de la b an d e d u M édico, q u i tro u v a p r u d e n t de n o u s c é d e r la place en se r e tir a n t d an s le s m o n ta g n e s . Le jo u r su iv a n t, n o u s a rriv â m e s m a lh e u re u s e m e n t v in g t-q u a tre h e u r e s tro p ta rd ; la veille, u n e s c a d ro n du 13° D ragons, s u rp ris p a r 1 500 b rig a n d s, av a it eu 64 d es sie n s m a ssa c ré s, le c o m m a n d a n t b le ssé e t p ris. T ous ces m a lh e u re u x , e n tiè r e m e n t d é p o u illé s, c o u v e rts d ’h o rrib le s b le s s u re s , g isa ie n t d a n s le s ru e s e t en d e h o rs d u b o u rg ; on s’e m p re s s a de le u r d o n n e r u n e s é p u ltu r e avec T ard en t d é s ir de le s v en g e r. N ous p a rc o u rû m e s , le q u a triè m e jo u r , u n e v a ste p lain e sa b lo n n e u se d é p o u illé e d ’a r b r e s , a u m ilie u de la q u e lle se tro u v e le d a n g e re u x défilé de P u e rto la p id e ; u n d es h u s sa rd s m 'a p p rit q u e, six m o is avant, ce p assag e avait été c ru e lle m e n t fu n e ste au ré g im e n t ; 80 h u s s a rd s d u 2°, placés d an s ce p o ste p o u r p ro té g e r le s m o u v e m e n ts d ’u n e co lo n n e d ’in fa n te rie , s ’é ta ie n t, à la n u it to m b a n te , e n d o rm is so u s la p ro te c tio n de 25 h o m m e s p la cé s aux av a n t-p o ste s. S u rp ris in o p in é m e n t p a r u n e m a sse c o n s id é ra b le de g u é rilla s , le c a p ita in e e t 52 h u s s a rd s fu re n t é g o rg é s; le re ste p a rv in t, n o n sa n s p e in e , à g ag n e r le v illage de V illa rru b ia , où se tro u v a it le ré g im e n t. P eu a p rè s a v o ir p a s sé ce fu n e ste défilé, n o s é c la ire u rs re c o n n u re n t u n e co lo n n e q u i s e m b la it a c tiv e r sa m a rc h e et s ’é lo ig n a n t de n o u s. Je d étac h ai a u s s itô t m e s h u s s a rd s et six la n c ie rs en les so u te n a n t avec le re s te de la c a v a le rie . ils e u re n t b ie n tô t re jo in t c e tte co lo n n e, q u i n ’é ta it a u tre q u e d es c o n tre b a n d ie rs c h a rg é s de vins e t do m a rc h a n d is e s an g la is e s, so u s l ’e s c o rte de 15 ca v aliers q u i p r ire n t la fuite e n a b a n d o n n a n t le convoi au d é ta c h e m e n t qui v in t nous 310 SOUVENIRS MILITAIRES. r e jo in d re av ec sa p ris e . P e u a p rè s ce p e tit é v é n e m e n t, n o u s tro u v â m e s u n b ea u c o u v e n t o cc u p é p a r u n p o ste de 60 d ra g o n s ; au m o m e n t de n o tre a rriv é e , 25 h o m m e s e t un o fficier m o n ta ie n t à ch ev al p o u r a lle r à la p o u r s u ite d es c o n tre b a n d ie rs q u e n o u s v e n io n s d ’e n le v e r, s u r l ’avis q u e le c o m m a n d a n t av a it eu de le u r p ré s e n c e ; a u ssi l’on d o it ju g e r d e so n d é s a p p o in te m e n t d ’a v o ir m a n q u é u n e a u ssi b e lle p rise . N ous fîm e s d a n s la so iré e n o tre e n tré e à Mança n arez au m ilie u d u c a rillo n d e s c lo c h e s e t d ’u n e salve de 11 c o u p s de ca n o n en l’h o n n e u r d u n o u v ea u g o u v e r n e u r q u i v en a it re m p la c e r le g é n é ra l T re ilh a rd , ap p elé au c o m m a n d e m e n t d ’u n e d iv isio n de d rag o n s. Le le n d e m a in de n o tre a rriv é e , u n co u p de sa n g des p lu s p lu s v io le n ts, s u rv e n u a u c o m m a n d a n t du convoi, l ’a y a n t m is d a n s l ’im p o s sib ilité de c o n tin u e r so n se rv ic e , le g é n é ra l m ’o rd o n n a de le re m p la c e r, en m e p re s c riv a n t la p lu s g ra n d e p ru d e n c e d an s m a m a rc h e , des avis q u ’il v e n a it de re c e v o ir l’in fo rm a n t q u e d es b a n d e s n o m b re u se s rô d a ie n t d a n s le p a y s q u e n o u s v en io n s de p a rc o u rir. Je q u itta i m o n p a u v re c a m a ra d e avec la tris te p ré v isio n de n e p lu s le v o ir, son é ta t a y a n t e m p iré d a n s la n u it e t le m é d e c in c o n s e rv a n t p e u d ’e s p o ir de le sa u v er. N ous n o u s m îm e s e n m a rc h e à tra v e rs un p ay s co u p é de bo is, de p la in e s e t d e m o n ta g n e s. S u r les q u a tre h e u re s d u so ir, n o s é c la ire u rs e n le v è re n t u n co nvoi de 33 v o itu re s c h a rg é e s d ’o rg e e t d e vin se d ir ig e a n t s u r A lm agro, o ù se tro u v a it le c h e f de b a n d e , El M a rq u esito , avec 1 500 à I 800 h o m m e s ; c e tte p rise d ev e n ait d ’a u ta n t p lu s p ré c ie u se q u e n o u s d e v io n s b ie n tô t e n tre r d a n s la S ierra-M o ren a, où n o u s étio n s p e u t-ê tre d e s tin é s à m a n q u e r de r e s s o u r c e s ; en c o n sé q u e n c e , je m is c e tte p ris e so u s la su rv e illa n c e im m é d ia te d ’u n d é ta c h e m e n t d ’in fa n te rie en lu i fa isa n t p re n d re ra n g d a n s la co lo n n e, p e n s a n t, d a n s m o n for in té rie u r, q u e , VALDEPENAS. — 1812. 371 b ie n c e rta in e m e n t, je n e ta rd e ra is p a s à ê tre a tta q u é p a r le M a rq u esito lo r s q u ’il s a u ra it q u e n o u s p o ssé d io n s so n co n v o i. V aldepefias, o ù n o u s a rriv â m e s le so ir, e s t u n p a y s v ig n o b le d’u n e g ra n d e é te n d u e , p r o d u is a n t des v in s tr è s re n o m m é s , m a is tr è s ca p ite u x , ce qui a ca u sé la m o rt d ’u n n o m b re in c alc u la b le d e F ra n ç a is ; ce t e n d ro it é ta it d ’a u ta n t p lu s d a n g e re u x q u e les h a b ita n ts, p a r un ra ffin e m e n t d ’a tro c e p erfid ie, s ’e m p re s s a ie n t d ’a lle r au -d e v an t des so ld a ts e t le s fa isa ie n t b o ire o u tre m e s u re , e t lo rs q u e ces m a lh e u re u x é ta ie n t p lo n g é s d an s l ’iv re ss e o u le so m m e il, ils é ta ie n t a u s s itô t égo rg és. V o u la n t é v ite r ce d a n g e r, je fis p a r q u e r le co n v o i en d e h o rs de la v ille ; m a is, m a lg ré la su rv e illa n c e la p lu s ac tiv e , b o n n o m b re de so ld a ts ta r d è r e n t p e u à r e s s e n tir les effets de c e tte b o isso n n a rc o tiq u e : a u s si, la n u it fu t-e lle p o u r m o i re m p lie d ’in q u ié tu d e e t d ’an x iété , d a n s la c ra in te c o n tin u e lle où j ’étais d ’ê tre a tta q u é e t p a r c o n s é q u e n t d an s la n é c e s sité d ’a b a n d o n n e r d es h o m m e s iv re s-m o rts ; h e u re u s e m e n t, il n ’en fu t rie n , et je vis a rriv e r le jo u r avec u n e v é rita b le sa tis fa c tio n ; m a is u n n o u v e l e m b a rra s se p ré s e n ta au m o m e n t d u d é p a rt, u n c e rta in n o m b re do so ld a ts m a n q u a n t à l ’ap p e l ; enfin, a p rè s p lu s ie u rs h e u re s e m p lo y é e s à le u r re c h e r c h e , 170 fu re n t é te n d u s s u r des c h a rre tte s o ù ils c u v è re n t le u r v in p e n d a n t q u e n o u s c h e m in io n s : d e u x h o m m e s se u le m e n t d u 46e de ligne ne p u r e n t se r e tr o u v e r ; ils é ta ie n t d e v e n u s b ie n c e rta in e m e n t v ic tim e s de le u r in te m p é ra n c e . P e u av a n t d ’a rriv e r à la p e tite ville de S anta-C ruz, u n p o n t é tro it q u ’il fa lla it p a s s e r d e v in t le s u je t d ’u n év é n e m e n t fâc h eu x d o n t m a p ru d e n c e ne p u t n o u s g a r a n tir ; u n p o ste de 45 h o m m e s, la issé en o b se rv a tio n à p e u de d is ta n c e de l ’a rriè re -g a rd e et a u q u e l j ’avais re c o m m a n d é la 372 SOUVENIRS MILITAIRES. p lu s g ran d e su rv e illa n c e , ta n d is q u e les v o itu re s p a s s a ie n t le p o n t, au lie u de se te n ir s u r le q u i-v iv e , se c o u c h a s u r le s b o rd s d ’u n p e tit b o is e t s’e n d o rm it. S u rp ris p a r u n e so ix a n ta in e de cav aliers e t 30 o u 40 fa n ta ssin s, le c o m m a n d a n t de ce p o s te e t six h o m m e s fu re n t tu é s à l ’in s ta n t ; p r é v e n u p a r les d é c h a rg e s de p lu s ie u r s c o u p s de fusil, je la n ç a i 25 la n c ie rs p o lo n a is à la p o u rs u ite d es fu y ard s, m a is ils n e p u r e n t le s a tte in d re e t n o u s c o n tin u â m e s j u s q u ’au v illage de V isillo, en a v a n t d u q u e l le co n v o i fu t é ta b li m ilita ire m e n t. L o rsq u e p a r u t le jo u r , u n n o u v el in c id e n t v in t r e ta r d e r n o tre d é p a rt : p lu s ie u rs m u le ts c o n d u is a n t lesv v o itu re s d ’o rg e e n le v é e s l’av a n t-v eille s ’é ta ie n t éc h ap p é s e t u n h o m m e a u q u e l on av ait p e rm is de m o n te r s u r u n e v o itu re a v a it é té s u r p ris au m o m e n t o ù il s ’o c c u p a it d ’e n faire év a d er d ’a u tr e s ; o n le c o n d u is it d e v a n t m o i et, fo rt e x a s p é ré de l’é v é n e m e n t de la v eille , j ’allâis le faire fu s ille r, lo rs q u e ce m is é ra b le se fît re c o n n a ître p o u r F ra n ç a is, é ta b li d a n s le p ay s d e p u is v in g t an s, où il faisa it l’é ta t de c h a u d ro n n ie r. Je m e c o n te n ta i de lu i faire a d m in is tre r v in g t co u p s de b â to n , a p p liq u é s en c o n sc ie n c e s u r le d e r riè re , b ie n co n v a in c u q u ’il é ta it en é m issa ire , m a is a y a n t ré p u g n a n c e à faire p é rir u n c o m p a trio te , b ie n q u e c ’e û t é té de to u te ju s tic e ; p u is, je le fis lie r e t je te r s u r u n e c h a r r e tte avec l ’in te n tio n de lu i r e n d re la lib e rté p lu s ta rd . N ous n o u s m îm e s en m a rc h e a p rè s c e t in c id e n t, n o u s d ir i g e a n t s u r la S ierra-M o ren a, avec la fe rm e conviction q u e n o u s n e la rd e rio n s p as à ê tr e a tta q u é s , m a is a y a n t p ris à c e t ég a rd to u te s les m e s u re s de p ru d e n c e q u e p o u v a it m e su g g é re r n o tre p o sitio n . Ce q u i m e d o n n a it u n c a u c h e m a r c o n tin u e l, c’é ta ie n t les n o m b re u s e s v o itu re s d o n t il fallait p ro té g e r la m a rc h e e t r é o a re r les a c c id e n ts p ar d e s h a lte s d a n g e re u s e s ; un VERS SÉVILLE. — 1 8 12. 373 a u tre d é s a g ré m e n t q u i n ’é ta it p as m o in d re , c ’é ta it la q u a n tité d 'o fficiers iso lé s, de to u s g ra d e s, p a rm i le sq u e ls se tro u v a ie n t u n co lo n el et deu x g é n é ra u x q u i, b ie n q u e n ’a y a n t rie n à m e c o m m a n d e r p u isq u e j ’é ta is s e u l r e s p o n sa b le, v o u la ie n t m e d o n n e r d es c o n s e ils q u i s o u v e n t re s s e m b la ie n t à d e s o r d re s ; il e s t v rai q u e je n ’en te n a is g u è re c o m p te , p ré fé ra n t m ’en te n ir à m e s in s p ira tio n s et s u r to u t m ’en e n te n d re avec les officiers so u s m e s o rd re s, d o n t le s tro u p e s a g issa ie n t avec c o u ra g e e t d é v o u e m e n t. U ne a u tre in q u ié tu d e en c o re é ta it ce lle d es v o itu re s de m a ître s re n fe rm a n t des fem m es, q u e le m o in d re év é n e m e n t ou l ’a p p ro c h e de l’e n n e m i je ta it d a n s d es fra y eu rs difficiles à v a in c re e t q u i p o u v a ie n t p o r te r la p e rtu rb a tio n d an s les m o m e n ts où il fa lla it du calm e e t d u sang-froid. E n a rriv a n t a u v illag e de la V en ta, l ’a v a n t-g a rd e de la co lo n n e d é c o u v rit h u it cav aliers s u r u n e h a u te u r, ta n d is q u ’u n d é ta c h e m e n t d ’u n e v in g ta in e de fa n ta ssin s o c c u p a it u n p o n t s u r le q u e l no u s d ev io n s p a s s e r ; m a is, ch a rg é a u s s itô t p a r u n p e lo to n de la n c ie rs s o u te n u d ’u n e co m p a g n ie d ’in fa n te rie , l ’e n n e m i se r e tir a p ré c ip ita m m e n t d a n s la m o n ta g n e en s u iv a n t to u s n o s m o u v e m e n ts, ce q u i m e m a in tin t d a n s la con v ictio n q u e n o u s ne ta rd e rio n s pas à ê tre a tta q u é s , d ès q u e les E sp a g n o ls c ro ira ie n t en av o ir tro u v é le m o m e n t fav o rab le . C’e s t p e u d ’in s ta n ts a p rè s a v o ir p a ssé ce p o n t q u ’on q u itte la p la in e p o u r g rav ir u n e ro u te s in u e u se e t tr è s ra p id e : c e tte p o s itio n , qui offrait les p lu s g ra n d s av a n ta g es d an s u n e g u e rre d éfe n siv e, av ait été ch o isie p a r l ’a rm é e e sp a g n o le en 1809 p o u r a r r ê te r la m a rc h e d es F ra n ç a is. Des b a tte rie s re d o u ta b le s a v a ie n t é té p la c é e s d a n s d es re tra n c h e m e n ts d o n t on v o y a it e n c o re les r e s te s ; m a is to u rn é s p a r la d ivision D essolles, 30 p iè ce s de can o n a v a ie n t été p ris e s et l ’e n n e m i s ’é tait r e tiré avec p ré c ip ita 374 SOUVENIRS MILITAIRES. tio n . D u so m m e t de c e tte m o n ta g n e , q u i e s t la d é lim ita tio n d e la M anche e t de l’A n d a lo u sie , o n d e sc e n d d a n s u n v allo n ric h e e t b ie n cu ltiv é , au m ilie u d u q u e l se tro u v e le village de S ain te -H é lèn e , o cc u p é p a r u n e c o lo n ie a lle m a n d e , d ans le q u e l n o u s fîm e s u n e h a lte de d eu x h e u re s : j ’y re ç u s l ’avis q u e p lu s ie u r s b a n d e s de g u é rilla s se ré u n is s a ie n t, b ie n c e rta in e m e n t d a n s l ’in te n tio n de n o u s a tta q u e r. L a g ra n d e p la in e de la M anche, q u i c o m m e n c e p r è s de T e m b le q u e , à la C oncep cio n d ’A lm u rad iel, e s t u n e des m ie u x c u ltiv é e s d ’E sp a g n e ; elle d o it ce b ie n fa it de la c u l tu r e a u x so in s p h ila n th ro p iq u e s d ’u n m in is tre q u i, v o u la n t p e u p le r le s v a llé e s a rid e s de la S ie rra -M o re n a , y a ttir a d es fam illes a lle m a n d e s e t h o lla n d a ise s qui o n t d e p u is fo rm é p lu s ie u r s c o lo n ie s flo rissa n te s d a n s u n e c o n tré e et p a rm i d es h a b ita n ts q u i ra p p e la ie n t le s sau v ag es du d é s e r t de l ’A friq u e. G râce aux so in s de ces fam illes in d u s trie u s e s , la S ierra -M o re n a offre m a in te n a n t d es villages b ie n b â tis, d o n t le te rr ito ire e s t bien cu ltiv é e t les ch e m in s p la n té s d ’a rb re s. La C aro lin a, e sp èc e de ca p ita le de ces co lo n ies o ù n o u s v în m e s c o u c h e r, re s s e m b le à u n e jo lie ville h o lla n d a ise . La p la ce d u M arché, l ’H ôtel d e v ille, l ’H ôtel du g o u v e rn e u r, le s m a n u fa c tu re s d e soie e t de la in e s ’y fo n t re m a rq u e r. L o rs q u e n o u s y p a s sâ m e s, le s b rig a n d s a v a ie n t d é v a sté p lu s ie u r s b â tim e n ts e t n e p o u v a ie n t p a rd o n n e r a u x h a b i ta n ts les m a n iè re s affables avec le sq u e lle s ils a c c u e illa ie n t le s F ra n ç a is ; ces b ra v e s g e n s, q u i a v a ie n t c o n s e rv é le s m œ u rs , le s h a b itu d e s e t la la n g u e de le u rs p è re s , n o u s r e ç u r e n t d ’a u ta n t m ie u x q u ’u n e p a rtie de m a tro u p e é ta it a lle m a n d e . Le d ig n e et re sp e c ta b le alcad e chez le q u e l je lo g e ais m e d o n n a l ’avis c o n fid e n tie l q u e , se lo n to u te a p p a r e n c e , je se ra is p ro c h a in e m e n t a tta q u é e t q u e la ré u n io n d e s b a n d e s d a n s la m o n ta g n e av ait p o u r b u t l ’e n lè v e m e n t d u co n v o i ; c e tte n o u v elle ne m e s u r p r it p a s, a y a n t d éjà LA CAROLINA. — 18 1 2 . 375 d es re n s e ig n e m e n ts p ré c is à c e t ég ard , et j ’e u s so in de m e m e ttr e en m e s u re d ’o p p o se r u n e vive ré sis ta n c e , sa n s to u te fo is en d o n n e r c o n n a issa n c e , d a n s la c ra in te q u e le s voi tu r e s de m a ître s d a n s le sq u e lle s se tro u v a ie n t u n assez g ra n d n o m b re de fe m m e s n e c a u sa sse n t du d é s o rd re d an s le convoi. La C aro lin a e s t e n to u ré e de ja rd in s c o u v e rts de fleurs, d e fru its p e n d a n t l ’é té ; d es ru isse a u x lim p id e s a rro s e n t de b e lle s p ra irie s ; d es v ig n e s, des bois d ’o liv iers, d es o ra n g e rs , d e s c a c tu s m o n s tre s e m b e llisse n t ce c h a rm a n t p a y sag e d o n t le s h a b ita n ts s e ra ie n t si h e u r e u x sa n s le fléau de la g u e rre . N ous tro u v â m e s c e tte in té re s s a n te cité ab a n d o n n é e de p u is q u e lq u e te m p s p a r la g a rn iso n fra n ça ise q u i y r e s ta it h a b itu e lle m e n t; a u s s itô t a p rè s so n év a cu a tio n , le s b r i g an d s v in re n t y d é tru ire le s r e tr a n c h e m e n ts e t y faisa ie n t d es a p p a ritio n s to u jo u rs d é s a s tre u s e s p o u r les co lo n s. D eux h e u re s a p rè s av o ir q u itté c e tte ex c ellen te p o p u la tio n , n o u s e n trâ m e s d a n s G u arro m an , a u tre eo lo n ie a lle m a n d e , d o n t les b o n s h a b ita n ts n o u s o ffrire n t d es rafraf c h iss e m e n ts . In fo rm é q u e le s deu x lie u e s q u i n o u s s é p a ra ie n t de ce t e n d r o it à B ay len , o ù n o u s d ev io n s c o u c h e r, é ta ie n t c o u p é es de co llin es e t de b o is touffus, je fis p a r tir u n d é ta c h e m e n t de 50 h o m m e s d ’in fa n te rie e t 40 ch e v au x p o u r é c la ire r le p ay s e t p re n d re p o s itio n afin de p ro té g e r n o tre m a rc h e. C onfiant d a n s ces d isp o s itio n s, n o u s q u ittâ m e s G u arro m an à d e u x h e u re s a p rè s m id i. Le co n v o i, c o m m e d ’h a b itu d e , o c c u p a it u n e é te n d u e de p rè s d ’u n q u a rt de lie u e ; en tê te , se tro u v a ie n t d e u x c o m p a g n ie s d e v o ltig e u rs m a rc h a n t 500 p as en av a n t, su iv ies d ’u n d e m i-b a ta illo n (ces tro u p e s a p p a rte n a ie n t au c o n tin g e n t de S ax e-C obourg), le s deu x pièces de c a n o n e n s u ite 376 SOUVENIRS MILITAIRES. av e c les c a isso n s . 800 h o m m e s c o m p o sé s de d iffé ren ts d é ta c h e m e n ts d es -46e, 55° e t 100° de lig n e fo rm a ie n t l ’arriè re -g a rd e , et, s u r le s flancs d u convoi, p o u r m a in te n ir l ’o rd re d a n s la m a rc h e e t é c la ire r le p ay s au b e so in , se tro u v a it le re ste de la c a v a le rie , c ’e s t-à -d ire 30 la n cie rs, 8 g e n d a rm e s e t m e s c in q h u s s a rd s , p u is u n e d iz ain e d ’offi c ie rs iso lés, le s a u tre s é ta n t p a r tis avec le d é ta c h e m e n t. S u r le s q u a tre h e u r e s , à p ein e le s dix p re m iè re s v o itu re s fu re n t-e lle s e n g a g ée s d a n s u n défilé b o rd é de b o is, q u e n o u s fû m e s s u b ite m e n t a tta q u é s p a r u n e m a sse d ’in fa n te rie et de cav alerie, p o u s s a n t d es c ris é p o u v a n ta b le s et fa isa n t d es d é c h a rg e s c o n tin u e lle s s u r le convoi. C ette a tta q u e im p ré v u e p o r ta d ’a b o rd la c o n fu sio n d an s le con v o i ; q u e lq u e s v o itu re s de m a ître s, p o u r fu ir u n d a n g e r, se je ta ie n t d a n s u n p lu s g ra n d en ré tro g ra d a n t. Mais ce q u i c a u sa it s u r to u t m o n in q u ié tu d e é ta it l’a b se n c e du d é ta c h e m e n t en v o y é en av a n t et q u i ju s te m e n t devait se tro u v e r, d ’a p rè s m es o rd re s , s u r le lie u m ê m e o ù n o u s é tio n s si ru d e m e n t p re s s é s . C ep en d an t, p o u r r é s is te r à u n e a tta q u e a u ssi vive, et s e n ta n t l ’im p o ssib ilité d e g a ra n tir p a rtie lle m e n t c h a q u e v o itu re , je fis r e p lie r les S axons avec le s d e u x p iè c e s d ’a r tille rie e t av a n ce r l ’a rriè re -g a rd e au c e n tr e ; ce m o u v e m e n t e x é c u té avec p ro m p titu d e a y a n t c o n tra in t les E sp ag n o ls à se re p lie r, deux d é c h a rg e s à m itra ille p o r tè r e n t l ’effroi p a rm i e u x ; m a is, re v e n u s de c e tte p re m iè re te r r e u r e t avec u n e sa g ac ité e x tra o rd in a ire ils se p o r tè r e n t à la g a u c h e , alin de p a ra ly s e r l ’effet des p iè ce s. J ’o rd o n n a i a u s s itô t la m a rc h e d u co n v o i, ta n d is q u e n o tr e in fa n te rie fo u rn is s a it u n feu b ie n n o u rri. C e p en d a n t, q u e lq u e s ch ev au x de tr a it a y a n t é té tu é s, la co lonne fu t b ie n tô t a r r ê té e ; la s itu a tio n dev en ait à c h a q u e in s ta n t p lu s c ritiq u e ; déjà, b o n n o m b re de m e s h o m m e s av a ie n t été fra p p é s, u n g e n d a rm e v e n a it d ’ê tre tu é à m e s c ô té s, BAYLEN. — ATTAQUE DU CONVOI. — 1812. 311 d eu x a u tre s g riè v e m e n t b le ssé s, et je p e n sa is, p o u r n e pas a jo u te r à ta n t d ’e m b a rra s l ’in c o n v é n ie n t de la n u it q u i a p p ro c h a it e t p o u v a it e n tra în e r le s p lu s affreux d é s a stre s, je p e n s a is, d is-je , à sa u v e r a u ta n t de v o itu re s q u e p o s sib le en a b a n d o n n a n t ce lle s q u i n e p o u r ra ie n t su iv re, lo rs q u e je m ’a p e rç u s d ’u n e p a n iq u e q u i v e n a it de s ’e m p a r e r to u t à c o u p d e s E sp ag n o ls. P ro fita n t a u s s itô t de ce m o u v e m e n t, sa n s sa v o ir à q u o i en a ttr ib u e r la ca u se , d eu x n o u v e lle s d é c h a rg e s à m itra ille a c h e v è re n t de les m e ttre d an s la p lu s com plète, d é ro u te e t je vis a p p a ra ître les 50 la n c ie rs a rr iv a n t à to u te b rid e et s a b ra n t im p ito y a b le m e n t c e tte c a n a ille d ans sa fu ite. D ès ce m o m e n t, le convoi é ta it sau v é e t h o rs de to u t d a n g e r; il n e s ’a g issa it p lu s q u e de ré ta b lir l ’o rd re , re le v e r le s b le ssé s, e m p o rte r n o s m o rts , d é te le r les c h e v a u x tu é s e t faire m a rc h e r la co lo n n e ta n d is q u ’u n e p a rtie de la c a v a le rie p o u r s u iv ra it le s fu y a rd s. Blbl. Jag. N ous a tte ig n îm e s enfin le s fa u b o u rg s de B aylen à la n u it to m b a n te , e t ce fu t a lo rs q u e j ’a p p ris le s c a u se s de l ’év é n e m e n t fâcheux q u i e û t p u d e v e n ir u n e fu n e ste c a ta stro p h e . Le c o m m a n d a n t, c h e rc h a n t à a tté n u e r la g rav ité de ses to rts d o n t il se n ta it to u te l’im p o rta n c e , d u t c e p e n d a n t m ’en faire co n n a ître to u s les d é ta ils; il m e d it q u ’à so n d é ta c h e m e n t, s ’é ta ie n t jo in ts u n e d iz a in e d ’officiers iso lés au n o m b re d e sq u e ls se tro u v a it le g é n é ra l de b rig a d e M orland, q u i lu i av a it o rd o n n é de p o u s s e r j u s q u ’à la ville, m a lg ré l ’o p p o si tio n q u ’il y m e tta it, p u is q u e c ’é ta it c o n tra ire à se s in s tru c tio n s , m a is q u e , vaincu p a r u n e a u to rité se m b la b le, il avait cru d ev o ir c é d e r; c e p e n d a n t, lo r s q u ’o n e n te n d it la fusillad e e t le c a n o n , fo rt in q u ie t de la fa u te q u ’il av a it c o m m ise , il v o u la it p a rtir à l'in s ta n t p o u r n o u s p o r te r se c o u rs, m ais le g é n é ra l s’y o p p o sa en se c o n te n ta n t d ’e n v o y e r tr o is la n cie rs à la d é c o u v e rte ; enfin, le c a p ita in e S u lk o w sk y ne 3T8 SOUVENIRS MILITAIRES. v o y a n t p as re v e n ir se s h o m m e s e t d é c la ra n t n e re c o n n a ître d ’a u tre a u to rité q u e la m ie n n e , q u 'il se re p e n ta it d ’avoir m é c o n n u e u n m o m e n t, s ’é ta it m is à la tê te de se s la n c ie rs p o u r n o u s p o rte r se c o u rs. — L o rsq u e n o u s a rriv â m e s, je tro u v a i le g é n é ra l M orland fo rt e m b a rra s s é ; s e n ta n t c o m b ie n a v a it été im p r u d e n t l ’a b u s de so n g rad e , il v o u lu t m ’en faire c o n n a ître le s m o tifs. « Mon g é n é ra l, lu i d is-je en l ’in te rro m p a n t, il n e m ’a p p a rtie n t p a s d ’e n tre r en ex p lic a tio n av ec v o u s, il y a tro p de d ista n c e e n tre n o u s ; c ’e st avec M. le m a ré c h a l S o u lt q u e v o u s a u re z à v o u s en ex p li q u e r, c a r v o u s devez p e n s e r q u e je lu i fe ra i un ra p p o rt ex a c t d e to u t ce q u i s ’e s t p a s sé . » Le so ir, on fit e n te r re r les m o rts e t je c h a rg e a i le ca p i ta in e du 55e de ligne de faire fo u rn ir p a r l ’alcad e des ch e v a u x p o u r r e m p la c e r c e u x q u i a v a ie n t été tu é s et faire r é p a r e r les d é g â ts s u rv e n u s au x v o itu re s . C ette éc h au ffo u ré e , q u i d u ra p rè s de d e u x h e u r e s , n o u s c o û ta d e u x offi c ie rs , u n g e n d a rm e , do u ze h o m m e s, tro is v o itu r ie rs et se p t ch ev au x tu é s , p u is q u a ra n te b le s s é s ; l’e n n e m i, de so n cô té e u t 60 h o m m e s tu é s , y c o m p ris le s b le ssé s , q u i fu re n t ac h ev é s p a r le s so ld a ts. G rand n o m b re de fu y a rd s fu re n t a u s si sa b ré s p a r la cav alerie ; m a is u n d é s a stre qui m e c a u sa u n v if c h a g rin , a y a n t é té d a n s l’im p o s sib ilité de l ’év iter, ce f u t la p e rte de c in q v o itu re s de m a ître s q u i en v o u la n t r é tr o g r a d e r s u r G u a rro m a n to m b è re n t e n tre les m a in s d es b rig a n d s : d a n s l ’u n e d ’elles se tro u v a it le g é n é ra l esp ag n o l H e rm o silla s av e c sa fe m m e et se s d eu x c h a rm a n te s filles. Le le n d e m a in à d e u x h e u re s d u m a tin , ta n d is q u e le convoi q u itta it le fa u b o u rg de B aylen p o u r e n tr e r en ville où n o u s d ev io n s sé jo u rn e r, je m e m is en m a rc h e avec 800 h o m m e s e t le s 80 ch e v au x , m e d irig e a n t d a n s le p lu s g ra n d silen c e e t avec ra p id ité s u r le village de B anos, d is BANOS. — REVANCHE. — 1812. 379 ta n t d e d e u x lie u e s , o ù je savais q u e les b rig a n d s s’é ta ie n t r e tiré s . N o tre p ré s e n c e su b ite e t im p ré v u e p r o d u is it d ’au ta n t p lu s d ’effet q u ’ils é ta ie n t lo in d ’im a g in e r q u ’u n e esc o rte de con v o i a b a n d o n n e ra it se s v o itu re s p o u r v e n ir le s a tta q u e r, s u r to u t a p rè s le c o m b a t de la v eille . L a te r r e u r q u e n o u s in s p irâ m e s en e n tra n t d a n s ce g ro s b o u rg p a r p lu s ie u r s iss u e s fu t te lle q u e l’e n n e m i n e sav ait p as s ’il d e v a it fu ir o u c o m b a ttre ; a u s si, en p e u d ’in sta n ts, p lu s de 100 h o m m e s to m b è r e n t so u s n o s s a b re s e t n o s b a ïo n n e tte s ; tro is v o itu re s f u re n t re p ris e s , m a is n o n le s d e u x a u tre s , d o n t celle d u g é n é ra l H erm o sillas, s u r .les q u e lle s n o u s ne p û m e s o b te n ir a u c u n re n se ig n e m e n t, l ’al cade affirm a n t q u ’elles n ’a v a ie n t p a s p a ru d a n s l’en d ro it. A dix h e u r e s d u m a tin , n o u s étio n s de r e to u r à B aylen avec q u a tre c h a r re tte s c h a rg é e s d ’org e e t six ch e v au x de p ris e , a y a n t d éd aig n é de fa ire des p ris o n n ie rs q u i n o u s e u s s e n t e m b a rra s s é s . E n fa is a n t c e tte p e tite ex p é d itio n , le m o tif p rin c ip a l é ta it de r e m o n te r le m o ra l de la tro u p e et de c a lm e r les in q u ié tu d e s des v o y a g e u rs s u r le s b ru its q u ’u n r a s s e m b le m e n t de S 000 h o m m e s d e v a it n o u s a tta q u e r ; q u e ces b av a rd ag es f u s s e n t v ra is ou faux, jJavais u n e m is s io n à r e m p lir d o n t r ie n ne d ev a it m e d é to u rn e r. A u ssi lo r s q u ’on m e p ro p o s a de d e m a n d e r d es re n fo rts a v a n t de m e re m e ttre en r o u te , je ré p o n d is q u e, si l ’on c ro y a it la c h o se n é c e s sa ire , o n en e n v e rra it e t d o n n ai l ’o rd re d u d é p a rt p o u r le le n d e m a in , lib re à c e u x qui n ’é ta ie n t p a s so u s m o n c o m m a n d e m e n t de faire ce q u ’ils v o u d ra ie n t. L es re n s e ig n e m e n ts o b te n u s d an s la jo u r n é e n o u s fire n t co n n a ître q u e n o u s avions eu affaire à 3000 h o m m e s com m a n d é s p a r le M arq u esito , q u i a v a it é té assez g riè v e m e n t b le s sé . Ces tr o u p e s é ta ie n t c o m p o sé e s d ’in fa n te rie et de cav alerie a y a n t des ch ev au x d ’u n e assez m a ig re en c o lu re , 380 SOUVENIRS MILITAIRES. d e s se lle s élev ées, à l ’e sp a g n o le , d ’a u tre s fra n ç a ise s de d ra g o n s e t de h u s s a rd s . L ’h a b ille m e n t e t le s a rm e s ré p o n d a ie n t à la b iz a rre v a iié té d u h a rn a c h e m e n t de ces a n im a u x : d e s c a sq u e s fra n ç a is, d e s s h a k o s d ’in fa n te rie , d es co lb ac k s, des c h a p eau x e sp a g n o ls re le v é s d ’un cô té, d es la n ce s, d es m o u s q u e ts , d e s s a b re s de d iffé re n ts m o d è le s , in d iq u a ie n t u n e tr o u p e irré g u liè re . C e p en d a n t, le u r c o stu m e av ait u n e e s p è c e d ’u n ifo rm ité : p re s q u e to u s p o r ta ie n t u n e v e s te b ru n e re le v é e p a r d es b a n d e s e t d e s re v e rs ro u g e s e t'o r n é e de p lu s ie u rs ra n g é e s de b o u to n s à la m a n iè re des v e ste s de n o s p o stillo n s . Q u a n t à l ’in fa n te rié , elle av ait p o u r a rm e s d e s fu sils a n g la is, e sp a g n o ls e t fra n ça is d o n t u n e p a rtie sa n s b a ïo n n e tte , d es sa b re s e t d e s c o u te la s de d iffé re n te s n a tio n s, p e u d e g ib e rn e s et, p re s q u e to u s , d e s c a rto u c h iè re s en fo rm e de c e in tu r e ; p o u r h a b ille m e n t, des vestes b ru n e s e t d es p a n ta lo n s de to u te s c o u le u rs, la c h a u s s u r e d a n s le p lu s m a u v ais é tat. C ette in fa n te rie n ’offrait q u e l’asp ec t d ’un ra m a s s is de p a y s a n s m a rc h a n t et se b a tta n t sa n s o rd re et d o n t le co u ra g e n ’é ta it stim u lé q u e p a r le n o m b re , l ’e sp é ra n c e du pillage e t la jo u is s a n c e d u m a ssa c re . L e b o u rg de B aylen se tr o u v a it e n to u ré d ’u n e m u ra ille c ré n e lé e , d é fe n d u e p a r u n e fo rte re s s e en b o n é ta t; ce fu t p rè s c e t e n d ro it q u ’e u t lie u la fu n e ste c a p itu la tio n d u g é n é ra l D u p o n t, le 22 ju ille t 1808. B ay len d o it u n e p a rtie de se s ric h e s s e s à l ’active c o n tre b a n d e de tab ac d o n t elle in o n d e l’E sp ag n e e t à so n g ra n d c o m m e rc e de la in e s. Le convoi se m it en m a rc h e à q u a tre h e u r e s d u m a tin , la is s a n t q u a tre officiers iso lés, le g én é ral M orland e t tro is v o itu re s de m a ître s p o u r a tte n d re u n convoi v e n a n t n e M adrid e t q u i d ev q it a r r iv e r d a n s tro is jo u r s p o u r se ARRIVÉE A ANDUJAR. — 18 1 2 . 3811 re n d re a u ssi à S éville ; je fus on n e p e u t p lu s sa tisfa it de c e tte d é te rm in a tio n de ce v ie u x g é n é ra l à q u i la r e tr a ite é ta it b e a u c o u p p lu s n é c e s sa ire q u e l’ac tiv ité e t q u i é ta it dev e n u l ’o b je t d es p la is a n te rie s d es so ld a ts d ep u is n o tr e m a lh e u re u s e affaire. L es o rd re s le s p lu s p ré c is a v a ie n t été d o n n é s p o u r q u e c h a c u n se tîn t à so n p o ste , e t to u t av ait été p ré v u afin d ’é v ite r la c o n fu sio n si l’e n n e m i se p ré s e n ta it. B ien p e r su a d é s d ’è tre a tta q u é s s u r u n te rr a in q u i av a it été si a v a n ta g eu x au x E sp ag n o ls, n o u s m a rc h io n s avec p ru d e n c e , la cav alerie e x p lo ra n t le p ay s, afin d ’é v ite r le s e m b u sc a d e s q u ’il e û t été facile de d r e s s e r à la faveur d ’u n b ro u illa rd é p a is q u i n o u s ac c o m p a g n a it d e p u is tro is h e u re s. N ous v e n io n s de fra n c h ir le défilé q u i fu t si fatal au g é n é ra l D u p o n t, lo rs q u e le s é c la ire u rs s ig n a lè re n t u n c o rp s de cav alerie et d ’in fa n te rie en b a ta ille s u r u n e h a u te u r n o n lo in de la ro u te q u ’il n o u s fa lla it su iv re . A l ’in s ta n t, to u te s le s v o itu re s f u r e n t ré u n ie s en m a sse s u r h u it de fro n t, les d eu x p iè c e s d ’a rtille rie c h a rg é e s à m itra ille en a v a n t, s o u te n u e s p a r le b a ta illo n sax o n , ta n d is qu e le s tira ille u rs se p o rta ie n t en av an t e t le s d é ta c h e m e n ts d es 46°, 55° e t 100e se p la ç a ie n t s u r le's flancs du convoi. P lu s ie u rs co u p s de ca ra b in e v e n a ie n t d ’ê tre éc h an g é s et to u t a n n o n ç a it q u ’u n c o m b a t ré g u lie r a lla it s ’en g a g er, lo rs q u e le b ro u illa rd , c o m m e n ç a n t à se d iss ip e r, n o u s p e r m it de re c o n n a ître , d a n s les tro u p e s en b a ta ille , la g a r n is o n d ’À n d u jar v en u e a u -d e v a n t de n o u s e t q u i av ait p ris p o sitio n p o u r p ro té g e r ta s o rtie d u défilé. Ces tro u p e s se c o m p o s a ie n t de 300 h o m m e s d u 55° de lig n e, 50 d ra g o n s, u n e sc a d ro n de la n c ie rs p o lo n a is e t u n ré g im e n t d ’in fan te rie e sp a g n o l; a u s s itô t n o tre jo n c tio n faite, n o u s c o n ti n u â m e s n o tre m a rc h e e t a rriv â m e s en ville à cin q h e u re s du s o ir : n o u s d û m e s y s é jo u rn e r v in g t-q u a tre h e u re s. 382 SOUVENIRS MILITAIRES. L ’ap p u i q u e n o u s av io n s tro u v é p ro v e n a it de la c o n n a is sance q u ’on a v a it eu e de n o tr e c o m b a t e t de l ’avis reç u p a r le c o m m a n d a n t de la place q u e de n o m b re u se s b an d e s rô d a ie n t d a n s le pays. La v ille d ’A n d u ja r, a g ré a b le m e n t situ é e s u r les b o rd s d u G u ad alq u iv ir, fa it u n g ra n d c o m m e rc e de p o te rie , e n tre a u tre s de vases assez c u rie u x a p p e lé s a lc a r a z a s , q u i s e rv e n t à m a in te tiir l’ea u d a n s u n e te m p é r a tu re trè s fro id e . Le su rle n d e m a in , n o u s fû m e s c o u c h e r à la p e tite ville de A ld ea-d el-R io, o ù se tro u v a it u n ré g im e n t esp ag n o l du roi Jo s e p h , c o m m a n d é p a r un I rla n d a is ; c e tte tro u p e av a it te lle m e n t le s a llu re s , le d é b ra illé e t la m a u v aise te n u e de c e u x q u e n o u s v e n io n s de c o m b a ttre les jo u r s p ré c é d e n ts, q u e b ie n c e rta in e m e n t je l ’e u sse tra ité e de la m ê m e m a n iè re , ju s q u ’à p lu s a m p le in fo rm é , si je l’avais re n c o n tré e s u r m a ro u te . Le p a y s q u e l ’o n p a r c o u rt p o u r a lle r à El C arpio e st co u p é p a r le G u ad alq u iv ir, d es c o llin e s c o u v e rte s d ’o liv iers et de v ig n e s, d e s v e rg e rs m a g n ifiq u es, des v illag e s e n to u ré s de g re n a d ie rs , de la u rie rs e t de c a c tu s é n o rm e s ; à ce ta b lea u e n c h a n te u r, se jo in t u n e v é g é ta tio n te lle que d es b ra s m o in s p a re s s e u x r e n d r a ie n t ce p ay s ce lu i de l ’E s p ag n e le p lu s p ro d u c tif. En s o rta n t d ’El C arpio n o u s tro u v â m e s u n e fo rê t de 500 000 o liv ie rs r é g u liè re m e n t p la n té s , a rro s é e au m oyen d ’u n e m a c h in e h y d ra u liq u e tira n t ses e a u x d u fleuve; c e tte m ag n ifiq u e p ro p rié té fa isa it p a rtie des im m e n se s d o m a in es du d u c d ’A lbe, u n des p lu s ric h e s p ro p rié ta ire s et d es p lu s g ra n d s s e ig n e u rs de l ’E spagne : on e s tim a it se s re v e n u s à p r è s de tr o is m illio n s ; c e tte illu s tre fam ille é ta it r e p r é se n té e p a r u n je u n e h o m m e de d ix -se p l an s q u e l’E m p e re u r a v a it fait v e n ir à P a ris. D eux h e u r e s a p rè s a v o ir q u itté c e tte te rr e de p ré d ile c tio n , on p asse le G u ad a lq u iv ir s u r le b eau CORDOUE. — 1812. 383 p o n t d ’A lcolea et l ’on e n tre , u n e d e m i-h e u re a p rè s, d a n s c e tte b elle, illu s tre et cé lè b re C ord o u e, si c h é rie des M aures, e t où à c h a q u e pas on tro u v e le s o u v e n ir de le u r g ra n d e u r 300 000 p a s sé e . âm es, Sa p o p u la tio n , e s t ré d u ite qui a u jo u rd ’h u i é ta it à a lo rs de 15 000; les sc ie n c e s, les a rts y flo rissaien t, ta n d is q u e, m a in te n a n t, q u e lq u e s c h é tiv e s écoles so n t à p e in e fré q u e n té e s p a r ce p e u p le ig n o ra n t e t p a re s s e u x qui ne sa it p e u t-ê tre p as q u e se s m u rs o n t vu n a ître le s d eu x S én èq u e , L u ca in et ta n t d ’a u tre s illu s tra tio n s . S on a d m ira b le m o sq u é e , c o n v ertie en c a th é d ra le , re n fe rm e p lu s de 1 000 c o lo n n e s de d iffé re n ts m a rb r e s ; u n e c h a p e lle o ù l ’on c o n s e rv a it le s liv re s d e la loi, a u jo u rd ’h u i so u s l ’in v o c atio n de sa in t P ie rre , e st d ’u n fini e t d ’u n e p e rfe c tio n te ls q u e le s m u rs se m b le n t ê tre g a rn is de d e n te lle s. Le c lo c h e r de c e tte c a th é d ra le , p lacé q u e lq u e s p a s en d e h o rs de l’édifice, e st au m ilieu d ’u n ja rd in d ’o ra n g e rs e t de la u rie r s ro se s e t b la n c s, co u p é p a r d e u x fo n ta in e s en m a rb re d ’u n bel effet. L’A lcazar, ce b e a u p alais d es ro is M aures, d o n t les v e s tig e s to u t p a lp ita n ts d ’in té r ê t so n t de v é rita b le s tré s o rs , e s t d ev e n u le sé jo u r d u h a ra s de c e tte b e lle ra c e de c h e vaux a n d a lo u s q u i h e u re u s e m e n t s ’e s t p ro p ag é e ju s q u ’à ce j o u r ; u n e v aste place ré g u liè re , e n to u ré e de b â tim e n ts d ’u n e b elle a rc h ite c tu re , a y a n t to u s d es b alco n s, e s t d isp o sée d e m a n iè re à p o u v o ir y d o n n e r la r e p r é s e n ta tio n des c o u rse s e t d u c o m b a t des ta u re a u x , sp e c ta c le favori des E sp agn o ls e t s u rto u t des fe m m e s à é m o tio n s vives. Le th é â tr e e s t u n édifice assez re m a rq u a b le , m a l éc la iré e t tr è s suivi p a r le s b e a u té s de la v ille, d o n t le n o m b re e st trè s c o n s id é ra b le . J ’e u s le p la isir de faire c o n n a issa n c e avec la p re m iè re d a n s e u se , c h a rm a n te b a lle rin e , avec la q u elle je d é p e n s a i q u e lq u e s d u c a ts p e n d a n t n o tre tro p c o u rt sé jo u r à C ordoue. 384 SOUVENIRS MILITAIRES. Le g é n é ra l D igeon, g o u v e rn e u r (le m ê m e q u i m e p rê ta so n ép é e et se s p is to le ts de c o m b a t lo rs de m o n d u e l à P a ris , le 18 a o û t 1808), e u t l ’oblig ean ce de m ’offrir u n gîte d a n s so n p a la is où je tro u v a i la p lu s aim ab le h o s p ita lité p e n d a n t le s tro is jo u r s q u e le convoi re s ta d an s c e tte b elle c ité. Le p ay s q u ’il fa u t p a rc o u rir en q u itta n t C ord o u e p o u r a lle r au b eau village de la C arlo tta, a u tre co lo n ie a llem an d e , e s t d ’u n e so m p tu e u s e ric h e sse , g râc e à l ’activ e in d u s trie d es co lo n s, q u i sa v e n t a p p ré c ie r les b ie n fa its d o n t la n a tu re a co m b lé c e tte b elle c o n tré e . L ’o n y vo y ait d es ch a m p s de b lé im m e n s e s , des v ig n e s b o rd é e s de h a ie s d ’alo ès d o n t les feu illes s o n t a ig u ës co m m e d es la n ce s e t d o n t les tig es m e n u e s s ’é lè v e n t p e rp e n d ic u la ir e m e n t a u s si h a u t q u e des a r b r e s ; de d ista n c e en d ista n c e , d e r r iè r e le s h a b ita tio n s, d e s v e rg e rs tou ffu s p la n té s de f ru itie rs de to u te e sp è c e , et, d a n s d es te rra in s in c u lte s , s u r les b o rd s d e s ru isse a u x , des la u rie rs ro s e s e t b la n c s. La te m p é r a tu re de ce ra v iss a n t c lim a t e s t te lle m e n t dou ce e t le ciel si clair, si se re in e t si p u r , q u ’on p e u t y d o rm ir to u te l ’an n é e en p le in a ir ; les h a b ita n ts de cet h e u re u x pays, b o n s e t p ré v e n a n ts, s ’e m p r e s s è r e n t d ’a c c u e illir la tro u p e avec les d é m o n s tra tio n s d ’u ne s y m p a th ie d ’a u ta n t p lu s n a tu re lle q u e le langage des S axons le u r ra p p e la it la m è re p a trie ; a u ssi n o s so l d a ts p a s s è re n t-ils la n u it au m ilie u de la jo ie , d u p la is ir e t de n o m b re u se s lib a tio n s. Le le n d e m a in n o u s a rriv â m e s à E cija, situ é e s u r les b o rd s d u X én il, u n e des p lu s b e lle s et d es p lu s ric h e s v illes de l ’A n d alo u sie p a r la fe rtilité de so n sol. N ous la tro u v â m e s e m c o m b ré e d e tro u p e s r e v e n a n t de B a d ajo z,o ù e lle s av aien t été p o r te r de ta rd ifs se c o u rs . Le b ra v e g é n é ra l P h ilip p o n , c h a rg é d e la d éfe n se de c e tte place im p o rta n te , av ait d i g n e m e n t rem p li ce lte m issio n ; a b a n d o n n é à lu i-m ê m e APPROCHES DE S É V 1 L L E . — 1812. 385 av e c u n e faible g a rn iso n , il a v a it r é s is té e t te n u en éc h ec u n e p a rtie d e l ’a rm é e an g laise, d e m a n d a n t d e s re n fo rts avec le s q u e ls il e û t in fa illib le m e n t sauvé ce p o ste in té r e s s a n t; m a is, r é d u it à 150 h o m m e s ta n d is q u ’il lui en a u r a it fallu 3 000, p riv é de m u n itio n s , n e re c e v a n ta u c u n m e ssa g e , a b a n d o n n é à lu i-m ê m e et sa n s e sp é ra n c e , ce n e fu t q u ’à la su ite d ’u n c in q u iè m e a s s a u t q u ’il c o n s e n tit à u n e c a p i tu la tio n d o n t il ré g la les c o n d itio n s, ta n t so n h é ro ïq u e d é fen se av ait in sp iré d ’a d m ira tio n au x a ssié g e a n ts. Il fu t co n v e n u q u ’il s o r tir a it de la place avec to u s les h o n n e u rs de la g u e rre , a rm e s e t bag ag es, deu x p iè c e s d ’a r tille rie la m è c h e allu m é e, e t d ra p e a u d ép lo y é, e t q u ’il re jo in d r a it sa n s tro u b le l ’a rm é e fra n ç a ise . A u m o m e n t o ù ce r e s te de b rav e s a b a n d o n n a it ces m u rs q u ’ils av a ie n t si v a illa m m e n t d é fe n d u s, u n e d iv isio n p a r a is s a it p o u r p o r te r des se c o u rs, j u s q u ’a lo rs v a in e m e n t d e m a n d é s. E n s o r ta n t d ’E c ija on m o n te u n e côte assez ra p id e j u s q u ’a u c h a rm a n t village de la L u isia n a, d e rn iè re colonie a lle m a n d e , q u e n o u s q u ittâ m e s a p rè s y av o ir p ris d eu x h e u re s de re p o s, p o u r su iv re u n e ro u te fatig an te e t m a u vaise q u i n o u s c o n d u isit p rè s d ’u n c h â te a u a b a n d o n n é o ù , la n u it n o u s a y a ilt s u rp ris , n o u s fû m e s o b lig és de b iv o u a q u e r : fo rt p e tit in c o n v é n ie n t d a n s u n p ay s o ù les n u its s o n t p ré fé ra b le s au x c h a le u rs d u jo u r . N ous v în m e s p r e n d r e g îte le le n d e m a in à C arm ona, placé d an s u n e s itu a tio n de s p lu s h e u re u s e s , d o m in a n t u n e p la in e im m e n se qui p o u r ra it s e rv ir de g re n ie r à l’A ndalousie, si le s h a b ita n ts , m o in s in d o le n ts , v o u la ie n t su iv re l ’ex e m p le des colonies a lle m a n d e s ; o n v o y ait to u t au plu® u n q u a rt de ces te rr e s p ro d u c tiv e s en r a p p o r t; le re s te , .abandonné à sa p ro p re v é g é ta tio n , se rv a it de p ro m e n a d e à de n o m b re u x tro u p e a u x b r o u ta n t çà et là q u e lq u e s h e rb e s p a ra site s. Des v e s tig e s 386 SOUVENIRS MILITAIRES. de fo rtific a tio n s q u i e n to u re n t la ville e t u n c h â te a u fo rt d o n t les r u in e s a tte s te n t de q u e lle im p o rta n c e é ta it c e tte p la ce lo rs q u e les M aures en f u re n t c h a ssé s p a r F e rd in a n d le C a th o liq u e a p r è s u n sièg e lo n g e t d é s a stre u x , o ffre n t à c h a q u e p a s d es tra c e s e t d e s so u v e n irs de ce p e u p le v a le u re u x q u i faillit c o n q u é r ir e t a s s e rv ir l ’E u ro p e à sa r e l i g io n ; p lu s ie u rs m o n u m e n ts y s o n t en c o re assez b ie n c o n se rv é s, e n tre a u tre s , la p o rte de S éville, qui e s t u n e d es p lu s g ra n d e s p iè c e s d ’a n tiq u ité d e to u te l ’E spagne. C a rm o n a offre e n c o re a u jo u r d ’h u i l ’a sp e c t d ’u n e ville m a u re s q u e , ta n t d a n s la c o n s tru c tio n de se s m a iso n s q u e d a n s le m é la n g e b iz a rre d u c o s tu m e e t d e s u sa g e s de ses h a b ita n ts , m a is p lu s p a r tic u liè r e m e n t p a rm i le p e u p le : le s fe m m e s s ’a s s e y e n t s u r d es n a tte s de jo n c c irc u la ire s, e t le g ra n d v o ile de la in e q u i le u r ca ch e to u te la figure e x c e p té le s y e u x , a p o u r o rig in e la p iè c e de d ra p d o n t les fe m m e s s ’e n v e lo p p e n t d a n s l ’O rien t q u a n d elles s o rte n t. C e tte jo u r n é e é ta n t l’a v a n t-d e rn iè re de m e s trib u la tio n s e t v o u la n t a lle r le le n d e m a in à S éville, m a lg ré les h u it lie u e s q u ’il fa lla it p a r c o u rir p o u r y a rriv e r, je fis p a rtir d a n s la n u it p lu s ie u rs v o itu re s c h a rg é e s d ’o rg e, de viande e t de v in so u s l ’e s c o rte de q u a tre c o m p a g n ie s d ’in fa n te rie e t 40 ch e v au x , afin d ’é ta b lir u n e h a lte le le n d e m a in , à m o i t i é ch e m in , e t p o u v o ir a rr iv e r de b o n n e h e u re . L a ro u te q u e l ’o n s u it p o u r a rriv e r à Séville e s t s u p e rb e ; e lle c o u p e u n e p la in e tr è s é te n d u e , q u i s e ra it o n n e p e u t p lu s p ro d u c tiv e si la p a re s s e e t l’a p a th ie des h a b ita n ts n ’en fa is a ie n t u n d é s e r t au m ilie u d u q u e l n o tr e co nvoi a p p a ra is s a it c o m m e u n e ca ra v a n e a lla n t à la M ecque ; c e p e n d a n t, g râc e à l ’in te llig e n c e de l ’o fficier c o m m a n d a n t le d é ta c h e m e n t, n o u s tro u v â m e s la h a lte étab lie p r è s d ’u n ru isse a u lim p id e , b o rd é de q u e lq u e s la u rie rs qui n o u s a b r itè r e n t et n o u s p e rm ire n t de faire u n d é je u n e r d ’a u ta n t p lu s gai q u e ARRIVÉE A S É V I L L E . — 1812. 387 n o u s to u c h io n s au b u t a u q u e l n o u s te n d io n s d e p u is p rè s de d eu x m o is. Mon p re m ie r soin, en a r r iv a n t d a n s c e tte b elle c a p ita le de l ’A n d alo u sie, fu t de m e so u la g e r de la d é s a g ré a b le r e s p o n sa b ilité d o n t j ’étais c h a rg é d e p u is v in g t jo u rs . J e m e p ré s e n ta i a u s s itô t d e v a n t le g é n é ra l de d iv is io n c o m te G azan, c h e f d ’é ta t-m a jo r de l ’A rm ée d u M idi, q u i m e fit c o m p lim e n t s u r la m a n iè re d o n t je m ’é ta is tiré d ’affaire, les b ru its les p lu s s in is tr e s a y a n t été ré p a n d u s à l ’ég ard du co nvoi, q u e l’on a v a it d it p re s q u e d é tru it à B ay len . Il m ’engagea à m e p r é s e n te r s u r-le -c h a m p p r è s d u m a ré c h a l S o u lt, g é n é ra l en c h e f de l ’A rm ée d u Midi et g o u v e rn e u r de l ’A n d alo u sie, m e p ré v e n a n t q u ’il m e d e m a n d e ra it u n ra p p o r t tr è s d é ta illé fa isa n t s u ite à ce lu i de m o n p ré d é c e s s e u r : je ré p o n d is au g é n é ra l q u 'a u c u n e p iè ce de ce g e n re n e m ’av ait é té re m is e , m a is q u ’a y a n t l ’h a b itu d e de te n ir u n jo u r n a l d e p u is m o n e n tré e au se rv ic e, rie n ne m e s e ra it p lu s facile q u e de s a tisfa ire M. le m a ré c h a l à cet ég ard . APPENDICES A P P E N DI CE I P E N S IO N N A T DE MM. L E M O IN E RUE DE ET L O IS E A U BERRY ( P r è s le j a r d i n B e a u jo n e t la p o r te M aillot). L o rs d e la R év o lu tio n de 1789, il e x ista it à P a ris, so u s la d ésig n atio n de : I n s t i t u t i o n d e l a j e u n e n o b le s s e , u n e p e n s io n dirig ée p a r MM. L em o in e e t L o ise au , d o n t le p rix a n n u e l é ta it de c e n t lo u is , n o n o b s ta n t le tro u s s e a u d ’e n tré e e t le s m a ître s d ’a g ré m e n ts . C ette p e n s io n d u t n a tu re lle m e n t p e r d r e sa d é n o m in a tio n p re m iè re lo rs d es tr o u b le s ré v o lu tio n n a ire s ; m a is elle c o n tin u a de se m a in te n ir j u s q u ’à la fin de l ’E m p ire de la m a n iè re la p lu s p ro s p è re e t la p lu s h o n o ra b le ; a u s s i, e n so rtit-il q u a n tité d ’élèves é m in e m m e n t re m a rq u a b le s p a r le u rs ta le n ts e t le s e m p lo is q u ’ils o n t o c c u p é s ; m a is je n e d o n n e ra i ici q u e les n o m s de m e s c o n d isc ip le s d o n t j ’é ta is 390 SOUVENIRS MILITAIRES. a lo rs u n d es p lu s je u n e s , e t r e tr a c e r a i s u r c h a c u n ce q u i e s t v e n u à m a co n n a issa n c e . Noms des Élèves. A umont (Élie d’), m ort en R u ssie e n 1804. A bàdie (H enri d ’), ém igré. A lbignac (H ector d ’), m in istr e de la Guerre en W estph alie en 1809; lie u te n a n t g én éra l (en 1819. A llonville (A n toin e d’), ém igré à l ’a rm ée de C ondé, p réfet en 1813. A lsace (P ierre d’), ém ig ré. A unay (H ector d’), d ép u té en 1829. A rtaüd (Claude), con su l à R om e en 1810. A storg (E ugène d’), lie u te n a n t g én éra l en 1846. A rcambal (C harles d’), c o lo n el au service de N ap les en 1805. A varay (L ouis d’), é m ig r é, duc e t pair de F ran ce en 1815. A rmaillé (René d’), é m ig r é, c o lo n e l d’in fa n te r ie en 1815. A uteuil (Charles d’), c o lo n el d’in fa n te r ie en 1815, aid e de cam p du p r in c e de C ondé. B alby (A rm and d e ), fils de la c o m te sse , favorite de L ouis XVIII. B arante (de), am b assad eu r en R u ssie e n 1835. B ardin (F élix d e), é m ig r é. Bartillat (A rm and d e), é m ig r é , c o lo n el d’état-m ajor, en 1828. B assompierre (Adolphe de), ém ig r é à l ’a rm ée de Condé. B eaümont (Louis de), c a p ita in e de ch asseu rs en 1812. B éarn (C harles de), ch a m b ella n de l ’E m pereu r en 1806. B éarn de B rassac (A lexandre d e), ém igré à l ’a rm ée de Condé. B eauharnais (E ugène de), v ic e -r o i d ’Italie en 1806. B elzunce (Jules de), g u illo tin é . B ernis (P ierre-F ra n ço is de), é m ig r é à l ’a rm ée de Condé, député en 1815. B éthune (M axim ilien d e), é m ig r é. B iencourt (A rm and d e), é m ig r é , p air de (France en 1820. B iron (G ontaut de), a été g u illo tin é . Blangy (E m m an u el de), é m ig r é, g e n tilh o m m e de la cham bre en 1815. Boisseulh (A u gu ste'd e), cap itain e d ’état-m ajor e n 1815. Boistel (A rm and de). PENSIONNAT LEMOINE ET LOISEAU. 391 B ombelles (L ouis de), c o n se ille r a u liq u e en A u trich e e n 1824. B onneval (Jules de), c o lo n el de dragons en 1815. Bosredon (F ran çois de), ca p ita in e au service d e N ap les en 1803. B ouflers (Elzéar de). B o u i l l e (H ippolyte d e), é m ig r é, m a réch a l de cam p en 1818. B ourmokt (C harles d e), g é n é r a l so u s l ’E m pire, m a réch a l de F ran ce en 1830. (A ntoine de), ém igré à l ’a rm ée de C ondé, préfet en 1815, d irecteu r gén éral e n 1818. B rancas (Albert de), duc e t pair en 1815. B ricquevjlle (M artin de), c o lo n e l de ca v a lerie en 1812. Canouville (E rnest de), m a réch a l des lo g is du p alais im p é ria l, B o u t h il l ie r e n 1809. C aj\ ouville (Jules de), tué c o lo n el de h u s s a r d s en 1812. Crèvecœur (L ouis d e), c o m m issa ire des g u erres de la Carde e n 1810. Crèvecœur (É lie de). Chefontatne (Edm ond de), ém igré à l ’a rm ée de Condé. C aumont de la F orce (C harles d e), adj. g é n é ra l en 1812, duc et p air en 1815. Clarac (F réd éric d e), é m ig r é, d ir ec teu r gén éral du M usée en 1824. C hambrun (L ouis de), à l ’a rm ée de C ondé, secréta ire gén éral des d ragons, 1815. C habrillan (E m m an u el de), g e n tilh o m m e de la ch am b re, 1818. Choiseul (É tien ne de), m o rt c a p ita in e en 1809. C astellane (L ouis d e), é m ig ré . Cambis (Charles d e), a u d iteu r au C on seil d’État en 1810. C aulaincourt (A uguste de), tu é g én éra l de d iv isio n en R u ssie, 1813. a r p i n (C am ille d e), ém ig ré. C havaudon (Charles de), é m ig r é. C lermont de Montoison , é m ig r é, lie u te n a n t-c o lo n e l de h u ssard s Ch en 1829. Clermont -T onnerre (de) ém ig ré, m in istr e de la G uerre en 1829; d u c et pair. C olbert (A lphonse de), c o lo n el sou s l ’E m pire, lie u te n a n t gén éral en 1830. C olbert (Édouard d e), gén éral de d iv isio n e n 1812, aid e de cam p du duc d’O rléans, 1830. 392 SOUVENIRS MILITAIRES. C olbert (A uguste de), g én éra l de b rigad e, tu é en P ortu gal en 1810. Coquebert (E m m anu el de), ém igré à l’a r m ée de Condé e n 1795. Coquebert (G ustave de), ém igré à l ’a rm ée de C ondé, m a réch a l des lo g is des G ardes, 1815. C ontades (Jules de), ém ig ré, c o lo n el au service de l ’A n gleterre, en 1796. C aumont (A uguste d e), ém ig ré, g e n tilh o m m e de la cham bre en 1815. Du T illet (E ugène), ém igré à l ’a rm ée de C ondé. D amas (G ilbert d e), é m ig r é, m o rt en P e r se , lie u te n a n t gén éral. D ampierre (A chille de), m ort à S ain t-D om in gu e en 1805, gén éral de b rigad e. D auvet (F ran çois d e), é m ig r é, g en tilh o m m e d e la ch am bre en 1815. D upeyroux (A ntoine), é m ig ré , cap itain e de v aisseau à N ap les e n 1796. D es É cotais (L o u is), é m ig ré . Du Goulet (A uguste), é m ig ré à l ’a rm ée de C ondé, c o lo n el d’in fa n terie en 1815. Du T ertre (Joseph), é m ig r é, c o lo n el d’in fa n te r ie en 1815. Du C oetlosquet (Charles), ém ig ré, c o lo n el des hu ssard s e n 1811, lie u te n a n t g én éra l en 1816. Du Martroy (A lphonse), aud iteur au C onseil d’É tat en 1810, p r é fet en 1815. E s p i n c h a l (H enri d ’), é m ig r é, r ecev eu r g én éra l en 1810, lie u te n a n t-c o lo n e l e t g e n tilh o m m e de la ch a m b re en 1827. E sp in c h a l (A lexis d’), ém igré à l ’a rm ée de C ondé, ren tré et fu sillé à Lyon en 1793. 4 E spinchal (H ippolyte d’), ém igré à l ’a rm ée de C ondé, lie u te n a n tco lo n el en 1812. E spagne (H enri d’), é m ig r é, cap itain e g én éra l e t grand d ’Es pagn e, 1809. E spagnac (L ouis d’), ém ig r é. E stampes (A uguste d’), é m ig r é, g en tilh o m m e de la ch am b re e n 1816. E stourmel (A lexandre d ’), lie u te n a n t-c o lo n e l d ’éta t-m a jo r en 1812, d ép u té en 1834. F audoas (L éonard de), lie u te n a n t gén éral en 1840. F itz - J ames (Édouard d e), é m ig r é, p rem ier g e n tilh o m m e d e C harles X, duc e t pair. PENSIONNAT LEMOINE ET LOI SE AU. 393 F lorac (Edm ond de), ém igré à l ’a rm ée de Condé en 1795. F orbin (A uguste de), c h a m b e lla n en 1809, d ir ec teu r g é n é ra l du M usée en 1825, m ort en 1853. F oucaud (A uguste de), c o lo n el de g e n d a r m e rie en 1817. F r a g u i e r (A rm and de), ém igré à l ’a rm ée de C ondé, c o lo n el de la garde n a tio n a le de P aris en 1820. F ümel (Louis de), ém igré. G alard d e Béarn (R ené), ém igré à l ’a r m ée de C ondé, 1795. G ondrecourt (Charles d e), é m ig r é, g e n tilh o m m e de la cham bre e n 1816. G rimaldi (Monaco d e), a id e d e cam p du p r in c e de Condé en 1794; m a réch a l de cam p, 1819. Guébriant (C harles de), é m ig ré . H arcourt (E m m an u el d’), ém ig ré, duc et p air, am b assad eu r en 1828. H oudetot (Frédéric d’), ém igré, pair de France en 1834. H uillier (G eorges L’), ém ig ré. J ouffroy (P a u l d e ), l it t é r a te u r . J uigné (Jacques d e), é m ig r é, c h e f d’e sca d ro n en 1810. J umilhac (Joseph de), é m ig r é ; s’est su ic id é en 1819. K aerbourt (C harles d e), c h e f d ’escad ron d ’é ta l-m a jo r en 1812. L a Borde (A u guste d e), aid e de cam p de L o u is-P h ilip p e en 1832. L a b r i f f e (H ippolyte d e), é m i g r é . L afayette (G eorges d e), lie u te n a n t de h u ssard s en 1806, dépu té en 1834. La F erronnays (A uguste d e), ém ig r é à l ’a rm ée de C ondé, m in istr e, a m b a ssa d eu r e t pair, 1819 La F erté (Ernest d e), in ten d an t d es m en u s p laisirs du roi en 1815. L amoignon (E rnest d e), tué dans la V end ée. L angeron (M ichel d e), é m ig r é, lie u te n a n t g é n é ra l en R u ssie en 1809. La R ivière (F rançois d e), é m ig r é de l ’a rm ée de C ondé, 1795. La R ochedragon (A uguste de), officier d es g ard es du corp s, 1816. La R ochedragon (Jules d e), m o rt c h e f d ’e sc a d r o n en 1804. L a r o n c i è r e (E ugène d e), cap itain e de v aisseau e n 1816. La T our d’A uvergne (G odefroy d e), é m ig r é ; c o lo n e l d ’un r é g i m e n t de son n om e n 1807. L a T our du P in (G aston d e), é m ig r é , g e n tilh o m m e de la c h a m b re en 1817. L oras (Charles de), é m ig ré . 394 SOUVENIRS MILITAIRES. L ostanges (Edmond de), émigré. L uynes (Charles de), duc et p air en 1815. L awœstine (de), lieutenant général en 1850. Macheco (Palam ède de), ém igré à l’arm ée de Condé ; m aréchal de camp et député en 181b. Maillé (Armand de), ém igré, duc et pair, prem ier gentilhom m e de la cham bre de Charles X. Marbeuf (Daniel de), colonel de chasseurs en 1812; tué en Russie, 1813. Marcillac (Pierre de), ém igré; colonel d’état-m ajor en 1816. Mesnard (Jules de), ém igré, aide de camp du duc de Berry en 1815. Madpeou (A ugustin de). Mauvoisin (É tie n n e d e), ém igré, c o lo n e l d ’in f a n te r ie en 1815. Menou (René de), ém igré, gentilhom m e de la cham bre en 1816. Mesgrigny (Louis de), cham bellan de l’E m pereur en 1810. Modène (Hippolyte de), colonel d’état-m ajor en 1815. Mole (Charles), é m ig r é, p réfet e n 1810; m in istr e et pair en 1825. Montaigü (Auguste de), officier d’ordonnance de l’E m pereur en 1809, et écuyer en 1812. Monteynard (Joseph de), é m ig ré . Montaut de B rassac (Jean), ém igré,gentilhom m e d e l à cham bre en 1815. Montcalm (Louis de), é m ig ré , colonel et gentilhom m e de la cham bre en 1815. Montesquiou (Alfred de), officier d ’ordonnance de l’Em pereur en 1807 ; tué colonel en 1809. Montesquiou (Eugène de), tué colonel de chasseurs en 1812. Morfontaine (Pelletier de), épnigré, pair de France en 1816. Mourgue (Alexandre de), ém igré, préfet en 1819. Monspey (Alexandre de), ém igré à l ’arm ée de Condé. N icolai (Scipion d e ), ém igré, gentilhom m e de la cham bre et député en 1815. N oinville (Félix de), ém igré à l’arm ée de Condé; colonel, 1815. N arbonne (A lbéric d e). O rfeuil (Edouard d ’), ém igré à l’arm ée de Condé. O’Mahoni (B arth élém y d ’), a id e de cam p du p rin ce de Condé en 1795; c o lo n e l, 1815. P inieux (Adrien de), ém igré. P olignac (Armand de), é m ig ré , aide de camp du comte d’Artois en 1792, duc et p air en 1815. PENSIONNAT P a rd a illa n t LEMOINE ET LOISEAU. (Ernest de), é m ig r é, 'g en tilh om m e de la 395 ch am bre 1815. P o n t b r il l a n (Gustave de), ém igré, gentilhom m e de la cham bre, 1816. P érigord (T a lle y r a n d d e ), ém ig r é, cap itain e aid e de cam p du p rin ce de N e u c h â te l, m ort en 1808. (Charles de), ém igré, colonel, député et gentil hom m e de la cham bre, 1815. P r a d i n e s (Albert de), ém igré à l’arm ée de Condé. P racontal P üységur (A lfred de), é m ig r é, g e n tilh o m m e de la ch am b re, 1817. (Jules de), ém igré, gentilhom m e de la cham bre, 1816. (Hippolyte de), sous-préfet en 1811. R etz (Georges de), ém igré à l’arm ée de Condé. R ochechouart (Louis de), colonel en Russie, m a réch al de camp en 1815. R adepont R a s t ig n a c R ochedragon (A n selm e d e), c h e f d’e sca d ro n en 1811, officier des gard es du corp s en 1815. R oquefeuille (Em manuel de),ém igré à l’arm ée de Condé, 1795; colonel en 1816. R oncherolles (Charles de), ém igré, gentilhom m e de la cham bre, 1816. S aint -A ignan (Louis de), am bassadeur en 1820. S aint -C hamant (Alfred de), colonel des dragons d e la Garde en 1815, et général. (Auguste de), ém igré. S aint -C hamant (Joseph de), préfet en 1819. S aint -C lair (Charles de), ém igré, m inistre de la Guerre du roi des Deux-Siciles en 1812 et 1815. S aint-H ermine (Em m anuel de), ém igré, gentilhom m e de la cham bre en 1818. S aint - S imon (Victor de), chef d’escadron en 1811; lieutenant général, duc et p air en 1835, et am bassadeur. S alverte (Auguste de), émigré à l’arm ée de Condé, écuyer du roi en 1815. S arcé (Henri de), ém igré à l’arm ée de Condé. S avoie de Carignan (Joseph de), cokrfiel de hussards W 1813, prince en 1815. S a in t-C h a m a n t S égur (P h ilip p e d e), gén éral de brigade en 1813. S e s m a is o n s en 1820. (Donatien de), é m ig ré , d é p u té en 1815, p a i r de France 39(5 SOUVENIRS MILITAIRES. S ourdeval (Victor d e), ém igré à l’arm ée d e Condé. S parre (Louis de), général de brigade en 1811, lieutenant géné ral en 1816. de B ondy (Charles de), cham bellan en 1807, pair de France en 1828. T olozan (Frédéric de), ém igré, colonel d’infanterie en 1815. T ournon (Joseph d e), préfet de Rome en 1812, préfet de Lyon en 1825. T rinqually .(François de), adjudant général en 1808. T r o b r i a n t (Em manuel de), colonel en 1812, m aréchal de camp en 1826. T urenne (Henri de), cham bellan de l’E m pereur en 1807. V alon d ’A mbrugeac (Charles de), ém igré à l’arm ée de Condé, colonel en 1812, lieutenant général en 1820. Vaüdreüil (Joseph de), ém igré, colonel de chasseurs en 1815. V ergennes (Charles), ém igré, capitaine e n 1812, gentilhom m e d e la cham bre en 1818. T aillepied V ezelay (É tie n n e d e). V ezelay (Alexandre de). APPENDI CE II O R G A N IS A T IO N AU SERVICE D E L ’A R M É E D E C O N D É LA M a is o n m i l i t a i r e d e S . A . S . RUSSIE EN 1798 M gr le p r i n c e d e C ondé. Le comte du Cayla, m aréchal de cam p. Le comte Alexandre df. D amas, m aréchal de camp. Le comte de Choiseul , m aréchal de camp. Le chevalier de Min tier , m aréchal de cam p. Le comte d’A uteuil , m aréchal de camp. A id e s de c a m p . Le comte Le comte de de F ranclin , colonel. S aint -M arsault , colonel. ARMÉE DE CONDÉ. D e T e y s s o n e t , c o lo n e l. Le c o m te d e S é v ig n a c , c o lo n e l. Le c o m t e d e P o l ig n a c , c o l o n e l . Le ch e v a lie r de S a r r o b e r t , lie u te n a n t-c o lo n e l. Le c h e v a lie r de C o u ty e, lie u te n a n t- c o lo n e l. Le c o m t e d e La C h e v a l l e r i e , l i e u t e n a n t - c o l o n e l . Le c h e v a lie r d e P o n s , lie u te n a n t- c o lo n e l. Le ch ev a lier d e P r a d t , lie u te n a n t-c o lo n e l. Le m a r q u i s d e P a l a r in , l i e u t e n a n t - c o l o n e l . Le vico m te d e B e r t h ie r , lie u te n a n t-c o lo n e l. Le c o m t e d e G r im a l d i , l i e u t e n a n t - c o l o n e l . Le c o m te du G o u le t, cap itain e. A id e s d e c a m p Le Le Le Le d e M '1'' le d u c d ’E n g h i e n . com te d e C o u r t e m a n c h e , m ajor. c o m te de S e r r a n t , m ajor. v icom te d e C h é f o n t a i n e , m ajor. c o m te de J o in v ille , m a jo r. É ta t-m a jo r général. Le baron d e La R o c h e f o u c a u l d , m a réch a l de cam p. Le p rince A m éd ée d e B r o g l ie , co lo n el. Le baron d’O rb , co lo n el. R oussel , m a jo r. B o is s e l ie r , m a j o r . Le m a r q u is de La B a s s e tiè re , cap itain e. A lexan d re d ’O rb, c a p ita in e. V il l a r s , q u a r t i e r - m a î t r e . Ma thieu , f o u r r i e r d e lo g e m e n t. D rouard , f o u r r i e r d e lo g e m e n t. D rouin , v a g u e m e s tre g é n é r a l. E ta t-m a jo r Le De Le De De Le d 'in fa n te r ie . m arq u is d e B o u t h il l ie r , lie u te n a n t gén éral. S olf. my, m a r é c h a l d e c a m p . c o m te d ’O f k e l jz e , c o lo n el. Me.n'ibus, lie u te n a n t- c o lo n e l. P l a r m a u , m ajor. ch ev a lier de L a V ille -H é lio n , ca p ita in e. 398 SOUVENIRS MILITAIRES. - D e L a ta p ie , c a p ita in e . D e F lavigny , c a p ita in e . E ta t-m a jo r de la cavalerie. Le com te d’E c q u e v illy , lie u te n a n t g én éral. D e J o b a l, m a réch a l de cam p. Le com te de M o n tb ru n , lie u te n a n t-c o lo n e l. Le co m te de V a ssay , lie u te n a n t-c o lo n e l. Le co m te de M a l le t , m ajor. Le ch ev a lier d e L a S a l l e , m a jo r. D uhamel , c a p ita in e . Génie. D e J uzancourt, m a ré c h a l d e c a m p . Le vico m te d e S a r t i g e s , lie u te n a n t-c o lo n e l. D e Saxy, m ajor. D e D amoiseau , c a p ita in e . D e Malbois , c a p ita in e . C h evalier d e C h e f f o n t a i n e , c ap itain e. De C a s t r e s , lie u te n a n t. J eaubart, lie u te n a n t. D e P ineau ,.lie u t e n a n t. Artillerie. (12 p iè c e s , 4 o b u s ie rs ). De N a d a l, m a r é c h d l d e c a m p . D e R eson , m a r é c h a l d e c a m p . D enis , c o lo n e l. D e R o th , lie u te n a n t- c o lo n e l. D e C o rn e t, m a jo r. D e V illeret , m a jo r. L e P elletier d ’A rget , m a jo r . Le c h e v a lie r de C o u r v ille , m a jo r . D e Romain, s o u s -a id e -m a jo r. D e G ra n d ru p t, s o u s - a id e -m a jo r . Le c h e v a lie r d é S a lg u e s , s o u s - a id e -m a jo r. D e S a in t-C y r, q u a r tie r - m a îtr e . ARMÉE DE CONDÉ. 399 4 com p agn ies n ob les. 4 co m p a g n ies so ld é e s. V ien n en t e n su ite le s ad m in istra tio n s. C O M P O S IT IO N EN DE L ’A R M É E DECO N D É 1 7 9 4 , 179 5 , 1 7 9 6 , 1 7 9 7 , A V A N T D ’ A L L E R EN RUSSIE C avalerie. In fan terie. In fa n te rie n o b l e .............................................. C o rp s n o b le à c h e v a l..................................... C o rp s d e s C h e v a lie rs de la C o u ro n n e . 2360 800 600 Infanterie de ligne. L ég io n R o g e r de Damas................................................... 1 300 R é g im e n t de B ardonnanche .......................................... 800 R é g im e n t de R o q u e f e u il l e .......................................... 740 600 H ohenlohe ..................' . . . . ! .................................... D amas ............................................................................. 970 R ohan ............................................................................. 750 M ontesson .................................................................... 900 S u isses, g a rd e s d u p r in c e ................... 260 Cavalerie. R é g im e n t d e D auphin ,c o m te de Vassau . R é g im e n t de F argues ..................................... C lermont-T onn erre .......................................... D’A storg , c h a s s e u r s ..................................... R o g e r de Damas, h u s s a r d s ............................ DIE cquevilly ....................................................... N oinville , c h a s s e u r s ...................................... B aschy, h u s s a r d s .............................................. 500 300 400 400 300 300 300 400 4300 8880 T o t a l g é n é r a l : 13 380 c o m b a tta n ts , n o n c o m p ris l ’a r tille r ie d o n t je n ’a i p u m e p r o c u r e r le c h iffre . SOUVENIRS 400 MILITAIRES. APP ENDI CE III G E N D A R M E S D ’O R D O N N A N C E DE A LA SA M A JE S T É AU MOMENT PAIX DE SUR DE TILSITT LEUR L ’E M P E R E U R ET LEUR DISSOLUTION AVEC DES DESTINÉE ROI RENSEIGNEMENTS ULTÉRIEURE E ta t-m a jo r. •Le c o m te de M o n tm o ren c y ’ , g é n éra l, ca p ita in e-co m m a n d a n t, d even u aide de cam p de l ’E m pereu r e t m ort en 1809. D e M o n tu lé , ca p ita in e-a d ju d a n t-m a jo r. D’A lb ü 'q u erq u e, lie u te n a n t,-a d jo in t m ajor, tué en 1809. Manhès , l ie u t e n a n t a d jo in t, d e v e n u c o lo n e l. D e S aint- P ern , lie u te n a n t- p o r te - é te n d a r d . M a r l h io u , q u a r t i e r - m a î t r e - t r é s o r i e r , m o r t . D e L a P ommerie, d e u x iè m e l i e u t e n a n t p a y e u r à l ’a r m é e . F ournier , c h ir u r g ie n m a jo r . N ..., a id e-m ajor. N ..., o ffic ie r d ’h a b ille m e n t. Capitaines. Le c o m te d e M ontm orency, p r e m iè r e c o m p a g n ie . C a rio n d e N isas*, c a p ita in e en seco n d de l a p r e m iè re co m p a g n ie, com m an d eu r de la L égion d ’h o n n e u r e t co lo n el. Le co m te d ’A r b e r g *, c h a m b e lla n de l ’E m p ereu r, d e u x iè m e c om p agn ie. Le duc d e C h o is e u l , tr o is iè m e co m p a g n ie, lie u te n a n t g én éral, pair de F ran ce, m o rt aide de cam p de L ou is-P h ilip p e. D e S oürdis , tr o is iè m e c o m p a g n ie , c a p ita in e e n se c o n d , m o r t m aré ch a l de cam p. Le p rin ce Joseph de M onaco, q u a triè m e com p agn ie. GENDARMES D ’O R D O N N A N C E . 401 Le p rin ce de Salm , c o lo n el, tué en P o rtu g a l, c in q u iè m e co m p agn ie. Lieutenants en premier. D e C harbonnière *, ad m in istra teu r à T urin en 1809. D e P ital* , c h e f d ’e s c a d ro n d e g e n d a rm e rie . D e J uigné , c h e f d ’e s c a d ro n d e c u ir a s s ie rs . De N orvins df, Montbreton *, p réfet de p o lice à R om e. A vogardo de Quinto , tu é c o lo n e l d e c u ir a s s ie rs . D e s p a r ts , c h e f d ’e s c a d ro n e n 1812. M u r â t de S i s t r i è r e s , d even u lie u te n a n t g én éral. Le p rin ce de S a v o ie -C a rig n a n , m o rt m a r éc h a l de cam p. D e F o rb in , c h e f d ’e s c a d r o n e n 1809, a q u i tt é le se rv ice . Le duc d’A re n b e rg , officier d’ord o n n a n ce de l ’E m p ereu r et c o lo n el du r ég im en t de son n o m . Lieutenants en second. D e Br ia s . D abos d e B ix a n v i l l e , tu é devant P a m p e lu n e . D ’E spinchal (H ippolyte) *, officier* 1809, c o m m a n d eu r de Ba v ièr e, lie u te n a n t-co lo n e l en 1813. De L a B é d o y è r e (Charles), g é n é ra l, aid e de cam p de l ’E m p e reu r, fu sillé en 1813. D ’E sp in c h a l (H enri), c o lo n el, g e n tilh o m m e de la C ham bre. N aucaze de M o n ra v e l, m ort c h e f d ’escad ron . De S a lu c e s de M enusie, c o lo n e l e n P ié m o n t. De R o e rg a s de S e rv ie s, a u ser v ic e de P erse. De V exce, c o lo n el des hu ssard s de la Garde e n 1813. De W alenbourg , c h e f d ’e s c a d r o n e n 1812. Maréchaux de logis chefs. D ’albignac, m o r t g é n é ra l d e d iv isio n . D e C h a r e t t e * , tu é c h e f d ’e s c a d ro n e n 1813. D e Montcloux, c h e f d ’e s c a d ro n e n 1812. D e N adaillac, c o lo n e l d e h u s s a r d s e n 1816. D e S aint -Mars (Jules), m o r t c h e f d ’e s c a d ro n . Maréchaux des logis. D ümanoir, tu é c h e f d ’e s c a d ro n . A u b rio t, tue en R u ssie, ca p ita in e. 402 SOUVENIRS MILITAIRES. De S a in t-M a rs (A bel), c a p ita in e a u 2e h u s s a rd s e n 1812. D u m a u v o ir , tu é c h e f d ’e s c a d ro n . De B u z a n c y -P a v a n t, tu é c a p ita in e e n R u ssie. D e D rée . D e Gu e r r e *, tu é c a p ita in e . Im b ert de L a P l a t i e r r e , c h e f d ’e s c a d ro n d ’é ta t-m a jo r . T hom assin, c a p ita in e d e g e n d a r m e r ie . R oyer de L a Metz , d e v e n u p ré fe t. De L a n ç a l u t , d e v e n u c h e f d ’e s c a d r o n . De B a v re , c a p ita in e t r é s o r ie r , 1812. C arpentier , d e v e n u c h e f d ’e sc a d ro n . D e P o u lly , c h e f d ’e s c a d ro n , 1815. D e C rozet . D e J o u v a n c o u r t , l ie u te n a n t- c o lo n e l e n 1830. D a ngin . S io u , c a p ita in e e n 1825. B oulangier , tu é c h e f d ’e s c a d ro n . Du B a r r a il , co lo n e l e n 1836, m ort e n A frique. L uzy de C ousan. D omergue , c o lo n e l de la n c ie r s e n 1836. De F o u lo n , lie u te n a n t-c o lo n e l de c h a s s e u r s e n 1832. P a is a n de L a M othe . De S e r e v il l e , m a jo r e n 1834. D e R ouillé . D e G riso n n y , c a p ita in e d e c h a s s e u r s e n 1816. Des F arges . D e Massa *, tu é c a p ita in e . M a r io n d e G a j a , c o lo n e l Î T é ta t-m a jo r e n 1832. D e Mir ebel , c h e f d ’e s c a d ro n . De B o r s c h g r a v e , m a j o r d e h u s s a r d s e n 1834. D e Magouet . D e Grammont, tu é . De F é n e lo n , c h e f d ’e s c a d ro n . D e S carampy , c a p ita in e . G oupil de P réfeln . D e Morel , c o lo n e l e n B elg iq u e e n 1820. G entès , c h e f d ’e s c a d r o n d ’é ta t-m a jo r . De Gasq , c o lo n e l d e g e n d a r m e r ie . D e Iîezons , c h e f d ’e sc a d ro n . D e L annoy, c o lo n e l de d ra g o n s. GENDARMES D ’O R D O N N A N C E . 403 Brigadiers. D e Q o é l e n , m a r é c h a l d e c a m p e n 1829. D e S arcus, c h e f d ’e s c a d ro n . D e B ré v e d e n t d’A lb o n , tu é . Chovet de L a C hance, m o rt. D e L a Villasse . M arion de G a .ta , c o l o n e l d ’é t a t - m a j o r e n 1830. D e M ir e b e l , c h e f d ’e s c a d r o n e n 1829. D e B e r c k h e im , D e Magonet, c a p ita in e . D e sc o u rs, fa it s o u s-lie u te n a n t en 1808. D e R oussy, f a it s o u s - lie u te n a n t e n 1808. De C outilly , f a it s o u s - lie u te n a n t e n 1808. De M o n te n d re, ca p ita in e en 1810. D e B ro s s a rd , m a réch a l de cam p e n A friq u e en 1836. C a lv i de S u rs a c , c h e f d’escad ron . L a Ch ance, m o r t . Le De De De De De F ebvre. D ietrich . S ternbach . Montigny , c a p ita in e d e c h a s s e u rs . M ontsabré, c a p i ta in e d e d r a g o n s . L’E spinasse , c o lo n e l. D e Gastebois, lie u te n a n t- c o lo n e l. Le B on des M o tte s , m o r t g é n é r a l d e d iv is io n e n 1834. D e P ré v e s a c , c a p ita in e d ’é ta t- m a jo r . De F o r g e t , tu é s o u s -lie u te n a n t. D e B ussy, c a p ita in e . C h e v a lie r de S a in t- J a c q u e s , s o u s - lie u te n a n t d e d ra g o n s. D e B o u ille , s o u s - li e u te n a n t d e h u s s a r d s . P a g e s, tu é e n P o m ér a n ie. D e G a u c o u rt, tu é . C onstantin , d e v e n u lie u te n a n t- c o lo n e l. D e Montmore, tu é . De B eaumont, c a p ita in e a u 2e h u s s a r d s e n 1812. L atour , s o u s -lie u te n a n t. D u m e s n il . De R h é d o n . D e C o rsa c , c h e f d ’e s c a d ro n e n 1830. 404 SOUVENIRS MILITAIRES. D e V e r g e n n e s , c h e f d ’e s c a d ro n e n 1813. D ’E strées , fa it s o u s - lie u te n a n t d e c h a s s e u rs . D e B ourbon , tu é en P om éran ie en 1807. D e Mancion , c o lo n e l d ’é ta t - m a jo r e n 1823. L e P rince , c a p ita in e d ’é ta t-m a jo r . C h a v e a u , c h e f d ’e s c a d ro n , s’e s t su ic id é . D e Ma lpaire , tu é . D e L aunay . D e S aint - P oncy. D e Gr a ïz , tué en P o m é r a n ie en 1807. De B e a u r e p a ir e . De C a s t e l l a n e , lie u t e n a n t d e c h a s s e u rs e n 1812. D e Montigny , c a p ita in e e n 1813. De N a v a il l e s , c h e f d ’e s c a d r o n , tu é . D e Courtivron , c a p ita in e de d ra g o n s . D ablons , tu é e n P o m ér a n ie. D’H umières, tu é s o u s - lie u te n a n t. De C o r ija y , t u é en P o m ér a n ie. D esbois , tu é . D e G oyaü, c h e f d ’e s c a d ro n . L a 5e c o m p a g n ie , q u i v e n a it de te rm in e r so n o rg a n isa tio n , é ta it s u r le p o in t de se m e ttr e en m a rc h e p o u r r e jo in d r e le c o rp s lo rs q u e le lic e n c ie m e n t e u t lie u à K œ nigsb erg . L’in s titu tio n d e s G e n d a rm e s d ’o rd o n n a n c e é ta it d e v e n u e , d ès son p rin c ip e , un o b je t de ja lo u s ie p o u r la G arde im p é ria le q ui c ro y a it voib, d a n s c e tte c ré a tio n , u n c o rp s e s s e n tie lle m e n t p riv ilég ié ; en effet, la fa v e u r d o n t il é ta it h o n o ré , so n g e n re de s e rv ic e , so n u n ifo rm e , se s d é b u ts b rilla n ts e t les g é n é ra u x les p lu s m a rq u a n ts q u i en av a ie n t so llic ité le co m m a n d e m a n t, ne faisa ie n t q u e tro p co n n a ître l ’a v e n ir de ce c o rp s, d o n t le n o m b re s ’a u g m e n ta it to u s le s jo u r s d es n o m s les p lu s m a rq u a n ts , e t il fa llu t la fin ra p id e de c e tte ca m p a g n e c o n tre les R u s se s p o u r q u e l ’E m p e re u r c r û t d ev o ir sa tisfa ire au m é c o n te n te m e n t de sa g ard e . Il le fit d ig n e m e n t. T o u s ces je u n e s g e n s p le in s de d é v o u e m e n t, de c o u ra g e e t d ’e s p é ra n c e s, f u re n t n o m m é s s o u s-lie u le - 5“ H U S S A R D S . 405 n a n ts d a n s d iffé ren ts ré g im e n ts de c a v alerie de l’a rm é e et les o fficiers e u r e n t u n g ra d e s u p é rie u r à ce lu i q u ’ils av a ie n t, ré c o m p e n se v ra im e n t ro y a le d o n t ils se s o n t to u s r e n d u s d ig n e s, p u is q u e p lu s ta rd o n en v it u n g ra n d n o m b re a rriv e r au x g ra d e s les p lu s élev és. Q u a n t à la 5e c o m p a g n ie , q u i n ’av a it pas fa it la b rilla n te c a m p a g n e de T ilsitt, le s G en d a rm es d ’o rd o n n a n c e fu re n t in c o rp o ré s d an s le s Y élites de la G arde im p é ria le e t fa its officiers l ’an n é e su iv a n te . T elle a été la c o u rte e x iste n c e de ce co rp s d o n t la c o n d u ite h o n o ra b le lu i a m é r ité d ’o c c u p e r u n e p la ce d a n s les fa s te s de la G arde im p é ria le e t q u i c o m p ta it, lo r s de sa d is lo c a tio n , 475 h o m m e s, p a rfa ite m e n t m o n té s e t é q u ip é s et d o n t le n o m b re se s e ra it c o n s id é ra b le m e n t a u g m e n té . APPENDI CE IV 5e R É G IM E N T DE H U SS A R D S EN 1807 D ery *, c o lo n e l. Martel *, m a jo r - lie u te n a n t- c o lo n e l. A n d r ie u , c a p i t a i n e , q u a r t i e r - m a î t r e - t r é s o r i e r . Capitaines. L emire *. D rouard *. N icolle *. S chAWB*. Moi fa r t *. K ister *. Chardon *. C habert *. Mexuer *. T irlemont . L arorderie Muller , h a b ille m e n t. SOUVENIRS MILITAIRES. B arrère , c h ir u r g ie n - m a jo r . V ollet , a d ju d a n t, so u s -o ffic ie r. W agnette, a id e -m a jo r. B ry Darcy , a d ju d a n t, s o u s -o ffic ie r. Lieutenants. D am *. G ougeon de la T hébaudière . S ei* dit R œ g is . Gallois *. R ichardot . SCHEGLINSKY. Chepy . Beaümont *. P ier r e *. F erquet . R obert de Ce J acob . Oudinot . R œ chel . Sous-lieutenants L a borie . Cristmance*. Geoffroy . R ivocet . D iiouard *. D esnoyers . V icq . J oyenval, o ffic ie r-p a y e u r. P ettin . Guittel . G raffant *. D uval deJ îea ü lieu . D übroca . Castelbajac . D e T hermes . G ondoin. N icolle *. Barthélémy. T erriez *. K œ l e r *. Hartmann. Muller . K aüffer . TABLE DES MATIÈRES DU TOME P R E M IE R I. L ‘ É M I G R A T I O N . — L'ARMÉE DE CONDÉ (1789-1798) Pages. L’armée de Condé (1794-1797). — Alexis d’Espinchal. — Il rentre en France. — L’Armée de Condé en Russie. — Premières Amours. — Paul I", grand-maître de Malte. — Une chasse aux Loups....................................... II. P R È S DU DUC DE B E R R Y . — LA (1799-1800) CAMPAGNE DE 1 1799 Le duc de Berry et sa m aison militaire. — Voyage à Dubnow. — Entrée en campagne. — Les Salines de W ieliçza. — Marche militaire en Autriche. — Passage à Prague. — Campagne en j-j Suisse. — Le duc de Berry et Suwarow.............................. III. PROJET VOYAGE DE A MARIAGE NAPLES ET DU A DUC DE PALERME BERRY. (1800) Voyage en Italie. — A Trieste avec Mesdames. — M. de Pontgibaud. — A pied, en Italie. — Rome. — Naples. — Arrivée en Sicile. — La Cour de Sicile. — Amours et Duels. —Voyage en Sicile. — Ascension de l’Etna, — Départ du duc de llerry. I V. LICENCIEMENT SÉJOUR DE A LA MAISON NAPLES DU DUC DE BERRY. (1801-1809) Le Duc de Berry licencie sa m aison. — A Naples, avec le comte M ussin-Puschkin. — Courses deVhevaux. — Charles de Saint- 37 408 TABLE DES MATIÈRES. Pages. Clair. — Louis de Périgord et Achille de Dampierre. — A scension au Vésuve. — Descente dans le cratère. — Maladie de Saint-Clair. — La reine Marie-Caroline. — Mathilde . . . V. R E T O U R EN FRANCE 60 (1802-1805) Départ de Naples avec Louis de Périgord. — Le Cardinal Maury. — Arrivée à Paris. •— Les Biens des émigrés. — Voyage en Auvergne. — Voyage à Lyon. — Projet de mariage. — La pièce de François de Bausset. — Duel. — Convalescence agréable..................................................................................................... VI . PRÉSENTATION FORMATION DES A GENDARMES 85 L' E NI P E R E U R. D ’O R D O N N A N C E (1806). Formation des Maisons de l ’Empereur et de l ’Impératrice. — Présentation à l ’Empereur. — Présentation à l ’Impératrice. — Bal aux Tuileries. — Guerre avec la Prusse. — Formation des Gendarmés d’ordonnance. — Séjour à Mayence. — La Cour de l’Impératrice................................................................. VI I . E N T R É E EN CAMPAGNE. - PREMIERS COMBATS (1807) Entrée en campagne. — Passage à Berlin. — Les chevaux de l ’Impératrice. — Devant Colberg. — La Légion d’honneur. — Les Gendarmes appelés près de l ’Empereur.......................... VI I I . EN SERVICE PRÈS DE L’E M P E R E U R (1807) \ Revue de l ’Empereur. — Combat de Guttstadt. —l'n rapport à l ’Empereur. — Suites du combat d’Heilsberg. — Friedland. — Tilsit. — Aü camp russe. — L’Empereur Alexandre. — Adjudant-major au 0” Hussards. .................................... I X. AU 5” H U S S A R D S 114 (1807-1808) Route en Allemagne. — Le 5” Hussards. — M ission à Breslau. — Un duel de Gourgaud. — Séjour à Breslau. — Le Colonel Do... — Quartiers d’hiver à Landsberg. — Mission à Berlin. — Les Queues coupées. — Breslau. — L’abbé de Bom belles. — Le dépôt à Namur. — Retour à P a r is................................. 151 131 TABLE DES MATIÈRES. X. PARIS SEJOUR A 409 (1808) ■ Pages. Arrivée à P aris.— Mm"Visconti. — La décoration de Bavière. — Soi rée à l ’Opéra. — La Duchesse d’Abrantès. — Soirée à Eeydeau. — Duel. — Retour à Namur. — Au Dépôt. — Mariage manqué. XI . RETOUR AU EN RÉGIMENT. ALLEMAGNE — QUARTIERS 191 D'HIVER (1808-1809) Aimable voyage. —- A travers l’Allemagne. — Duel. — Retour au régiment. — Cantonnements. — Séjour à Meiningen. — Les Cours des Princes de Saxe. — La guerre prochaine..................... 208 XI I . G U E R R E D ’A U T R I C H E . - CAMPAGNE DE WAGRAM ( 1809) Entrée en campagne. — Combat d’Abensberg. — Eckmiihl. — Ratisbonne. — Un assassinat. — Reconnaissance. — Nouvelle m ission. — Engagem ents de cavalerie. — Près de l ’Empe reur. — Le Général Montbrun. — L’Abbaye de Molk. — En Parlementaire. — Bataille d’Essling. — Près de Vienne. — Entre Essling et Wagram. — Wagram. — La poursuite. — Combat de Znaïm. — L’Armistice. — Officier de la Légion. — Séjour à Vienne. — Diner à Austerlitz. — Revue de l ’Em pereur. — Maladie à V ienne........................ 227 XIII. APRÈS CANTONNEMENTS EN LA CAMPAGNE. ALLEMAGNE (1809-1810) Rentrée en Bavière. — Quartier d’hiver. — Passage de MarieLouise. — Séjour à Munich. — Le Roi. — Carlsruhe. — Manheim. — Amours. — Duel. — La grande-duchesse Sté phanie. — Entrée au 2” H u ss a r d s.......................................................290 XIV. SÉJOUR A PARIS. — VOYAGE A NAPLES ( 1 8 1 0 - 1 3 1 I) Séjour à Paris. — A Malmaison. — Voyage à Massiac. — Mission à Naples. — La Cour de Murât. — Splendeurs de la Cour. — Duel. — Départ de N ap les.— Séjour à Paris. — Marie-Louise. — Audience de l ’Empereur et de l ’Impératrice. — En cabriolet. — Au Palais de Justice. — Cédant A r m a ..........................................314 XV. EN ESPAGNE. — UN CONVOI (ISII-I8I2) Bayonne en 1812. — Départ du Convoi. — Premières rencontres. — Vittoria. — Le théâtre de Vittoria. — Pancorbo. — Les 410 TABLÉ DES MATIÈRES. Guérillas. — Valladolid. — Olmeido. — Combat. — Ségovie.— Agréable surprise. — Madrid. — Maladie à Madrid. — Départ pour Séville. — Combats en route. — La Carolina. — Baylen. Attaque du convoi. — Banos. Revanche. — Arrivée à Andujar. — Cordoue. — Approches de Séville. — Le quartier général du Maréchal S ou lt................................................................. APPENDICES I. Pensionnat de MM. Lemoine et Loiseau. — Noms des élèves en 1789 ................................................................................................ II. Organisation de l ’Armée de Condé au service de la Russie en 1798................................................................................................. III. Gendarmes d’ordonnance de S. M. l ’Empereur et Roi au m om ent de leur dissolution à la paix de Tilsitt avec des renseignem ents sur leur destinée ultérieure........................ IV. 5* Régim ent de Hussards en 1807................................................. Paris. — T y p . Chamerot et Renouard, 19, rue des Saints-Pères. — 38088. SOCIÉTÉ D’ÉDITIONS LITTÉRAIRES ET ARTISTIQUES L IB R A IR IE 5o, PAUL C h a u ssée O LLEN D O RFF d ’A n t i n , P a r is . Collection grand in=8° carré à 7 fr. 50 le volume C o t t in (P a u l ). — Toulon et les Anglais e n 1793, ouvrage co u ro n n é p a r l’A cadém ie fra n ça ise i vol. H é r i s s o n (C o m te d ’). — Souvenirs in tim es et n otes du baron M ounier, i vol. secrétaire de Napoléon Ier L a c r o i x ( C l é m e n t d e ). — Souvenirs du com te de M ontgaillard, agen t de la Diplomatie secrète pend ant la R évolution, l ’Empire e t la R estau ration, publiés d’après des docum ents inédits . . . . . . . L a c r o ix i vol. ( C l é m e n t d e ). — M émoires diplom atiques de M ontgaillard ( 1 8 0 5 - 1 8 1 9 ) ...................................................................................................... M asson ( F r é d é r ic ). i v o l. — N apoléon et le s Fem m es (23° é d it i o n , re v u e e t a u g m e n té e ) i v o l. M a ss o n ( F r é d é r i c ) e t B ia g i (G u id o ). — N apoléon Inconnu. P apiers inédits ( i y 8 6 - i y g 3 ) accompagnés de notes sur la jeunesse de N apoléon ( i j 6 g - i y g 3 ) , p a r F r é d é r i c M a s s o n ............................. 2 v o l. M a s s o n ( F r é d é r i c ) . — Napoléon e t sa F a m ille,t. Ier ( 1 7 6 9 - 1 8 0 2 ). 1 v o l. M a ss o n ( F r é d é r i c ) . — N apoléon et sa F am ilie, t. II (1 8 0 2 - 1 8 0 5 ). i v o l. M a s s o n ( F r é d é r i c ) . — N apoléon e t sa Fam ille, t. III ( 1 8 0 5 - 1 8 0 7 ). 1 v ° l- M a ss o n ( F r é d é r i c ) . — N apoléom et sa Fam ille, t. IV ( 1 8 0 7 - 1 8 0 9 ). 1 v o l. M a s s o n ( F r é d é r i c ) . — Joséphine de B e a u h a r n a is 1 v o l. M a ss o n ( F r é d é r i c ) . — Joséphine Im pératrice e t R e in e 1 v o l. P i l s . — Journal de m arche du gren adier P ils. R e c u e illi e t a n n o té p a r 1 v o l. R a o u l d e C is te rn e s . N o m b re u se s illu s tra tio n s V i g i e r (le Comte). — Davout, M aréchal d’Empire ( 1 7 7 0 - 1 8 2 3 ), avec une in tro d u ctio n de F r é d é r i c M a ss o n , ouvrage couronné par l’A ca dém ie fra n ça ise ...................................................................................................2 vol. W o l s e l e y ( l e m a r é c h a l v ic o m te ) . — Le D éclin et la Chute de N apoléon. P o rtra it de N apoléon et cartes hors te x te Paris. — Typ. Chamerot et Renouard, 19, rue des Saints-Pères 1 — 38088. vol.