Souvenirs Militaires

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Souvenirs Militaires
HIPPOLYTE D’ESPINCHAL
Souvenirs Militaires
179 2-1 81 4
PUBLIES
F
r é d é r ic
M A SSO N
PAR
et
F
TOME
r a n ç o is
BOYER
I
PARIS
SOCIÉTÉ
d ’ÉDITIONS
LITTÉRAIRES ET ARTISTIQUES
L ibrairie P aul Ollendorff
50,
c h a u s s é e
d’a n t i n ,
1 901
5o
Biblioteka Jagiellońska
1001069641
1 0 0 1 0 6 9 6 4 1
Souvenirs Militaires
17 9 2 - 1 8 1 4
HIPPOLYTE D ’ESPINCHAL
Souvenirs Militaires
1792-1814
PUBLIÉS
F
r é d é r ic
M A SSO N
PAR
et
F
TOME
r a n ç o is
BOYER
I
PARIS
SOCIÉTÉ D’ÉDITIONS LITTÉRAIRES ET ARTISTIQUES
L ibrairie Paul Ollendorjf
50,
c h a u s s é e
d’a n t i n ,
1 901
5o
IL
A
ETE
TIRE
A
PART
T r o is e xe m p la ires su r papier du Japon
T r e iz e
—
—
—
NUMEROTES
31bf. iagieil.
2008 D
de H ollande
AYANT-PROPOS
Il a, depuis douze ans, été publié bien des volum es
de m ém oires et de souvenirs sur la période des
grandes guerres. Bien que, dans presque tous, se
rencontrent des détails intéressants et qu’il n ’en soit
guère de négligeable, on peut trouver parfois cette
abondance excessive et regretter que les éditeurs
n ’aient pas exercé une critique plus sévère sur les
docum ents qu’ils livrent au public. Il peut ne pas suf­
fire que ces documents soient m atériellem ent authen­
tiques, c’est-à-dire qu’on ait en m ains les manuscrits
autographes de l ’auteur. Encore faut-il qu’ils soient
originaux, qu’ils ne soient pas un développem ent
ou m êm e sim plem ent une copie, additionnée d ’anec­
dotes invérifiables, de quelque ouvrage populaire tel
que Victoires et Conquêtes. Davantage encore faut-il
qu’ils soient sincères et ne présentent pas de telles
invraisem blances qu’au lieu de grandir nos soldats,
VIII
AVANT-PROPOS.
il en résulte contre eux un préjugé. Sans doute, ne
peut-on exiger que la véracité des m ém orialistes soit
absolue. A distance, les faits grossissent, et toujours
les acteurs, si m édiocre qu’ait été le rôle qui leur a
été distribué, sont enclins à s ’attribuer tout le succès
qu’a eu la pièce. Point de com parse, ayant joué avec
Talma, qui ne tire vanité des applaudissem ents. De
m êm e est-il des m isères; les pires qui aient été souf­
fertes sont toujours celles qu’on a éprouvées soim êm e. Il y a donc un partage nécessaire à opérer
entre ce qui est de la réalité et ce qui a été superposé
par l ’im agination ou m êm e la m ém oire. Cela est vrai
surtout pour les souvenirs écrits longtem ps après les
événem ents où une confusion peut s’établir, dans
l ’esprit de l ’auteur, entre ce qui lui est arrivé à luim êm e, ce qu’il a conté com m e lui étant arrivé et ce
qui est arrivé à ses voisins. Mais encore là est-il un
fond de vérité. M alheureusem ent, certains font pis :
c’est de toutes pièces et com me un sinistre roman
d’aventures qu’ils forgent leur récit. Pour le rendre
intéressant, ils y entassent des détails qui, m atérielle­
m ent, se contredisent ; ils s’attribuent à eux-m êm es
des aventures qui suffiraient à quelques m illiers
d’hom m es ; leur véracité n ’est point soutenable ; leur
bonne foi n ’est pas m êm e adm issible ; leurs prétendus
m ém oires sont des contes tels qu ’à la veillée, les gro­
gnards en faisaient pour étonner les conscrits. Seule­
m ent, au lieu d ’être dits, ils sont écrits. Ils dem eurent
alors et, la lettre m oulée exerçant toujours son pres­
tige, la m anie s’étant répandue partout du tém oi­
AVANT-PROPOS.
IX
gnage inédit, les voici qui passent à la presse et se
répandent sur le monde. Ils n ’y portent point — je le
dis çi regret — une bonne renom m ée pour nos soldats.
Ils les rendent suspects, les convainquent m êm e de
hâblerie, et ailleurs, — non sans raison — on nous
trouve assez sols de prendre pour argent comptant
ce qui n ’est, qu’on passe le mot, que des blagues de
cham brée.
Pour que des m ém oires m éritent d’être publiés, il
faut qu’ils présentent ces trois qualités : authenticité
m atérielle, origin alité, véracité. 11 n ’en faut pas
demander plu s: tout individu qui a écrit sur sa
propre vie a cédé à l ’une de ces préoccupations : lebesoin d ’occuper son oisiveté, le désir de se.disculper,
la volonté d’établir qu’il a été m éconnu. Très souvent,
ayant com m encé pour se distraire, ayant eu pour
objet, en se racontant, d’em ployer les heures de la
retraite, il tourne à se glorifier, à soutenir une thèse,
à prouver qu’il ne s ’est jam ais trompé, que, s’il n ’a
pas été avancé com m e sa vanité le demandait, c’est
q u ’on était jaloux de son m érite. Il a tout prévu,
tout indiqué, tout deviné, tout fait: on l ’a dépouillé
de ses idées et il revendique sa gloire. Cela n ’est
point dangereux : dès qu’il apparaît, le délire des
persécutions ou le délire des grandeurs avertit le lec­
teur un peu perspicace ; à la dixièm e page, on est
fixé. Mais c ’est souvent à la dixièm e page d’un troi­
sièm e ou d’un quatrième volum e. Latent d’abord,
peut-être inexistant, à coup sûr inconscient, le délire
ne s’est développé qu’au courant du récit, par u nn atu -
X
AVANT-PROPOS.
rel désir qu’a eu l ’auteur de corser son rôle et de lui
donner plus d’am pleur, par un retour qu’il a fait sur
sa fortune, sur l ’injustice du sort. D’ailleurs ne se
donne-t-il pas d’abord cette excuse qu’il n ’écrit que
pour lui-m êm e et pour les sien s? Si la postérité a
connaissance de son vrai m érite, tant m ieux pour
elle ! Il a com m encé en ajoutant des vétilles à la
vérité : bientôt, le délire m onte, il envahit les pages,
il obscurcit les faits les plus clairs; il n ’y en a plus
que pour lui, et le lecteur ferm e avec tristesse ces
volum es où, au début, il avait trouvé de la sincérité,
de la gaieté, un ferm e et joli récit d ’actions ignorées,
où il ne trouve plus qu’envie, vanité, m ensonges, un
style fatigué, bruyant et lâche, — pis que tout, l ’ennui.
Sans doute, cette décroissance tient à une cause
m alheureusem ent fort hum aine. Un hom m e com ­
mence d’écrire ses m ém oires, étant encore en pleine
activité d’esprit. Il vien t de quitter le service, le tra­
vail qu’il fait lui est nouveau et lui plaît ; des temps
d ’enfance et de jeun esse, les souvenirs lui arrivent'en
foule, alertes et joyeux com m e l'Espérance. Les jours
passent. Le travail se fait plus lourd; les événe­
m ents, m ieux connus des historiens, se rendent plus
difficiles à conter. La position de l ’auteur a grandi et
il a pris des responsabilités. On l ’a attaqué et il
riposte. La polém ique n ’a d ’intérôt que pour lu i, mais
elle en a tant! Sa m ém oire s ’affaiblit, mais l ’aigreur
s ’y m êle et la décrépitude arrive. Faut-il chercher
plus loin?
L’historien ne devrait accepter com me tém oignages
AVANT-PROPOS.
xï
portant charge que les journaux personnels, écrits
sous le coup des événem ents, qui en fournissent une
notion nette, précise et vue; en seconde lign e, les
m ém oires rédigés postérieurem ent, mais d ’après un
journal original tenu quotidiennem ent. Les m ém oires
qui n ’ont pas cette base nécessaire ne devraient être
i'cçus qu’avec m éfiance. V ainem ent cherche-t-on à y
suppléer en s’aidant des feu illes publiques com m e
d’un m em ento chronologique sur qui l ’on brode. Les
feuilles publiques présentent toujours de l ’officieux et
du conventionnel qui obscurcit le spectacle. A un
mot, à une phrase, involontairem ent copiée ou repro­
duite, le point de départ apparaît, tout le développe­
m ent suit, et ce développem ent devient suspect. Sans
doute, doit-on préférer à tout le journal personnel au
jour le jour, m ais il se faut encore contenter lorsqu’il
a servi à rédiger des m ém oires. Outre qu’il a offert à
l ’auteur le m em ento le plus précieux, il l ’a rappelé
constam m ent à la réalité, l ’a contraint
la précision,
l ’a gardé contre les vanités excessives, et, lorsque la
fatigue est venue, il a pourtant m aintenu l ’intérêt;
mêm e si l ’auteur a quelque peu brodé, son travail
garde une autorité et peut servir l ’histoire.
Tel est le cas des m ém oires que nous publions.
Leur authenticité m atérielle n ’a pas besoin d’être
dém ontrée : à la mort du comte Ilippolyte d’Espinchal, le m anuscrit original et autographe qu’il avait
laissé a été déposé à la Bibliothèque m unicipale de
Clermont-Ferrand et nous devons à M. le maire la
gracieuse autorisation de les imprimer, tâche qui
XII
AVANT-PROPOS.
nous a été rendue facile par l ’extrêm e obligeance du
Bibliothécaire de la V ille, le savant M. Vim ont.
Leur authenticité morale n’est pas m oins certaine :
à chaque instant, l ’auteur fait allusion à son journal
dont il envoie des extraits à son père ou à son frère.
L’itinéraire est suivi avec une précision absolue;
pas un gîte n ’est om is. Pour les personnes, des listes,
dressées avec un soin particulier expliquent com m ent,
pourquoi, en q uelles circonstances, le comte d’Espinchal les a connues et fréquentées. Barem cnt un docu­
m ent personnel a présenté de telles garanties de véra­
cité et de sincérité.
Ces m ém oires se suffisent à eux-m êm es. Des notes
brèves n ’eussent rien appris au lecteur instruit; déve­
loppées en vue d’enseigner l ’histoire de la Révolution
et de l ’Empire au lecteur qui n ’en a pas connaissance,
elles eussent pris un tour odieux et inutile de pédan­
tism e. Nous nous som m es bornés à revoir soigneuse­
m ent le texte sur les. m anuscrits originaux, à rétablir
du m ieux possible les nom s des lieu x et des person­
nages et à redresser çà et là quelques phrases que
M. d’Espinchal eût lui-m êm e corrigées à l ’im pression.
Pour la clarté du récit, nous l ’avons divisé en cha­
pitres et nous avons rejeté en appendices les listes de
nom s qui se trouvaient dans le texte. A cela se borne
notre rôle d’éditeurs. Il y a vin gt ans, quand j ’avais
vu pour la prem ière fois ces m anuscrits, j ’avais été
frappé de leur originalité et de leur intérêt. J’ai donc
été heureux de saisir l ’occasion de les publier de con­
cert avec M. François Boyer, de Volvic, si com pétent
AVANT-PROPOS.
XIII
en tout ce qui touche à l ’histoire d’Auvergne. Peut-être,
son érudition locale se fû t-elle utilem ent em ployée
ici à des notes généalogiques, mais j ’estim e que les
notes doivent être bannies lorsqu’il s’agit, com m e ici,
d’un docum ent personnel où la responsabilité entière
du tém oignage doit être laissée au narrateur.
Bien que les anecdotes de m œurs m ilitaires et
civiles, si curieuses et si abondantes, fassent l ’intérêt
principal de ces m ém oires, l ’histoire pourtant, la p e ­
tite histoire, com m e on dit, celle des institutions et
des m ilieux, des sociétés et des m œurs, pourra en
tirer profit. Sur l ’ém igration et la vie de certains des
princes de la Maison de France, il y a ici du nouveau :
à côté des Souvenirs de Norvins récem m ent'édités par
M. de Lansac de Laborie, les souvenirs de d’Espinchal
apportent une contribution importante à la chronique
des Gendarmes d’ordonnance ; les annales du 5° Hus­
sards se trouveront singulièrem ent docum entées par
les détails recueillis par celui qui en fut six ans le capi­
taine adjudant-major ; m êm e certains points de la
campagne de 1809 seront éclaircis; le voyage à Naples
montre en un jour neu f la cour de Murât; le voyage
à travers l ’Espagne qui term ine le premier volum e
est singulièrem ent instructif; m ais c’est surtout au
séjour de l ’auteur à l ’Armée d’Italie et auprès du prince
Eugène qu’il faudra s’attacher. Ce sont là les parties
les plus intéressantes, et je n ’en sais point d’analogues
en notre littérature m ilitaire. Les am ateurs de détails
précis sur les uniform es, ceux qui prennent intérêt à
la vie fam ilière de l ’armée trouveront d’am ples satis­
xi V
AVANT-PROPOS.
factions. Rarement, l ’on en fournit une im pression
aussi ju ste, précise et vraie. Quant aux bonnes for­
tunes de l ’auteur, je ne saurais dire s’il y a ajouté,
m ais, com m e de ses duels, on n ’a rien à retrancher :
sans les uns et les autres, le tableau eût été incom plet.
L’accent de sincérité est d’ailleurs pareil; et si,, poul­
ie détail des cam pagnes, la véracité de l ’auteur est
établie, ne doit-il pas bénéficier du préjugé pour
ses autres aventures. Au reste, qu’on prenne, dans la
série des souvenirs m ilitaires, ceux de Parquin et de
Combe, qui sem blent le plus intim em ent se rappro­
cher de ceux-ci, n ’est-ce pas le m êm e courant d’idées,
la m êm e suite d ’anecdotes et ne sont-cepas les mêm es
hom m es? Parquin et Combe viennent de la bour­
geoisie, d’Espinchal de la noblesse; peu importe.
Cavaliers légers tous trois, ils portent à ce qu’ils
content une façon qui est de m étier et d’âme, com me
de Brack, com m e Marbot, com m e Curély; m ais si,
pour le style et la hauteur d’esprit, d’Espinchal est
inférieur à de Brack, s’il n ’a point cette alacrité qu’on
aju stem en t admirée en Marbot, il est plus précis que
celu i-ci, pénètre davantage au détail; et, par ses liai­
sons et le monde qu’il fréquente, l ’emporte sur tous.
Combe seul pourrait lu i être comparé, m ais c’est
encore à un étage social inférieur, durant une période
bien plus courte et m ieux connue. J’ai dit ailleurs où
le cavalier léger puisait ces dons d’observation1 et je
n ’y veu x point revenir. Toutefois, com m e il est ici un
1, Cavaliers de Napoléon, p. 309.
AVANT-PROPOS.
xV
élém ent particulier que l ’auteur tien t de sa naissance
et de son éducation, il convient d’indiquer d’où vient
M. d’Espinchal et com m e il s’est formé.
Quatrième fils de Joseph-Thom as, com te d’Espin­
chal, m estre de camp de dragons, et de Louise-Gabrielle
de Gaucourt, Hippolyte d’Espinchal, né le 30 août 1777,
tenait de son père, qui a laissé des m ém oires si intéres­
sa n ts1, une curiosité d’esprit qui s’exerçait sur toutes
choses, m ais sur la société d ’abord, le com te d’Espin­
chal étant, sous Louis XVI, l ’hom m e qui la connais­
sait le m ieux et la savait le plus parfaitement. S’étant
retiré jeune du service pour lequel il avait peu de goût,
il avait ses entrées en tous lieu x, m ais fréquentait
de préférence à Chantilly et à l ’hôtel de Condé, chez
Mme du Barry et dans les m aisons où il pouvait satis­
faire à la fois sa passion du monde et son goût aux
anecdotes. Il sem ble qu’il fût m édiocrem ent à la Cour
et qu’il ne comptât point parmi les favoris. Ce n ’était
pas au m oins que sa maison ne fût bonne, sa noblesse
ancienne et ses alliances telles que, pour se faire bien
venir, il pût se réclamer d ’une Isabeau de Polignac
qui, en 1638, avait épousé son grand-oncle FrançoisGabriel d’Espinchal, baron de Dunières. Aussi, en
ém igration, se rattacha-t-il à ces Polignac; m ais en
France, il était plus volontiers à Paris qu’à V ersailles
et y trouvait plus d’agrément. Au m oins, n ’était-cc pas
par goût d’opposition, bien que son aïeul, Charles1. Nous ,en avons publié nous-m êm e divers fragments dans la
tievue de P aris et nous com ptons en donner prochainement une
édition complète;
XVI
AVANT-PROPOS.
Gaspard, eût été, aux Grands Jours d’Auvergne, con­
damné à mort par contum ace, à la suite d ’aventures
que Fléchier a longuem ent contées ; mais ce CharlesGaspard, passé en Bavière, où l ’Electeur l ’avait fait
colonel général et capitaine de ses gardes, lieutenant
général de ses arm ées, capitaine d’un régim ent de
600 cuirassiers et com m andant en chef de ses troupes,
eût eu m auvaise grâce à tenir rancune à Louis XIV
qui, après le m ariage du grand Dauphin, l ’avait réin­
tégré dans ses b iens, titres et grades et fait maréchal
de ses camps et arm ées. Son cinquièm e descendant
ne voyait dans cette histoire qu’un titre d’honneur,
établissant com m e sa m aison avait été puissante et
com m e les hauts barons de jadis savaient m aintenir
leurs droits.
Et, en effet, depuis Charles VIII, dont A ntoine d’Espinchal fut cham bellan, il n ’avait pas m anqué dans
la fam ille de vaillants hom m es de guerre, — tel Jean,
baron des Fernes, mort lieutenant général des arm ées
navales et des galères de France; — mais plutôt que
d ’aller à la Cour et d’y chercher des grâces, les d’Espinchal s’étaient m aintenus ferm es en leur pays d’Au­
vergne où ils avaient les plus belles terres et des
baronnies presque indépendantes. Ce fut seulem ent
le petit-fils de Charlcs-Gaspard, Thomas, qui y vint,
aux Gardes du corps, dont il fut exem pt en 1732,
brigadier en 1745, enseigne en 1750, lieutenant en
1752; il se trouva par suite lieutenant général en 1762»
et obtint* entre autres grâces, le gouvernem ent de
Salces en Roussillon. Il échangea le titre de baron
AVANT-PROPOS.
xvii
que portaient ses ancêtres, contre celui de m arquis,
sans pourtant qu’il y eût érection régulière en mar­
quisat de ses baronnies de D unières-lès-Joyeuse, d’Espinchal et Massiac et de ses seigneuries de SaintMarcellin, du Vernet, de Saint-Prix et de V iellespesse.
Désormais, ses descendants furent fixés en Cour où
son fils fut page du Roi, puis m estre de camp d’un
régim ent de cavalerie de son nom et brigadier des
arm ées et où son petit-fils, Joseph-Thom as, eût pu, s ’il
avait em ployé à s’y pousser la dixièm e partie de l ’ac­
tivité qu’il porta à connaître tout Paris, parvenir a u i
plus hautes dignités. Les alliances, presque toutes
auvergnates et de m aisons égales, étaient Chavagnac,
Montmorin, d’Albon, de Lévis, de P olig n a c,d ela Roue,
d’Apchon, de Léotoing,* de la Tour de Rochebrune,
de Laizer, de Froulay-Tessé.
Par les Gaucourt, dont était sa mère, Ilippolyte ou
Hypolite tenait à une m aison plus illu stre encore,
puisque, dès le xm° siècle, elle joua dans l ’histoire un
rôle important, fournit, au début du xv°, un grand fau­
connier de France, plus tard un grand maître d’hôtel
de France, un gouverneur de Paris, et toute une suite
de lieutenants du Roi en Rerry. De là une n ouvelle
série d’alliances qui le m ettaient en cousinage avec la
plus haute noblesse de Cour. Cela, com m e on verra,
n ’est pas sans jouer un rôle dans son histoire et si,
dans des notes, on avait dû relever les allusions qu’il
y fait et expliquer les parentés, on eût dû fournir un
nouveau supplém ent au Père Anselm e.
Que, né ainsi, élevé ainsi, soldat à treize ans de
XVIII
AVANT-PROPOS.
l’Armée de Condé, Hippolyte d’Espinchal ait été pris,
com m e il fut, par le sen tim ent national, qu’il ait
poussé ju sq u ’à l ’adoration sa passion pour l ’Empereur,
qu’il ait porté à le servir cette ardeur dont tém oignent
ses blessures, ses faits d ’arm es, l ’aigle d’or de la
L égion et la Couronne de fer, libre à quelques-uns
de s’en étonner; pour nous, c ’est une des belles
affirmations de l ’œuvre entreprise et accom plie : la
réconciliation des Français dans la gloire, leur
com m union en la Patrie qu ’incarne l’Empereur. A
tous, paysans et bourgeois, ouvriers et gentilshom m es,
Napoléon a ouvert les m êm es portes ; il a sonné
l ’appel et le bon sang n ’a point m enti pour y répondre.
Ils ont tressailli, ces jeun es gen s, à la vieille fan­
fare entendue, au choc des sabres, aux lointains
roulem ents des canons ; ils se sont élancés, et Lui,
alors, les pétrissant de sa petite m ain aux doigts
d’acier, les a m êlés dans le rang, les a confondus
dans la victoire; il a tissé de ces fils d’or, de laine,
de lin et de soie, « la bonne étoffe du peuple de
France », l ’étoffe brillante et solide, soyeuse aux
regards et chaude au corps, qui, trouée par des balles,
m ontre, en sa trame brisée, de quoi payer tous les
rois, parer toutes les fem m es et couvrir tous les
peuples.
Je ne saurais rien ajouter aux am ples détails que
le com te d ’Espinchal donne sur lui-m êm e. Il com­
manda pour le Roi, en mai, ju in et ju illet 1813, des
volontaires chasseurs-royaux d’Henri IV, et prit sa
retraite en 1836 com m e colonel de cavalerie. Il est
XIX
AVANT-PROPOS.
m ort le 18 mars 18641 à Clermont-Ferrand. Officier
d e l à Légion du 19 ju illet 1809, il avait reçu la croix
de Commandeur des m ains de l ’Em pereur Napo­
léon III en ju illet 1862.
F. M.
1. Du 18 mars 1864, acte de décès de M. Ilippolyte marquis d’Espin­
chal, chevalier de Saint-Louis et de l ’ordre de Malte, Commandeur
de la Légion d’honneur et du Mérite militaire de Bavière, membre
de la Couronne de fer, chevalier de la Fidélité de Bade, lieutenantcolonel de cavalerie en retraite, âgé de 86 ans, habitant de Clermont,
veuf de dame Marie-Catherine-Geneviève de Montorcier, fils légitime
de défunts Joseph Thomas, comte d’Espinchal, lieutenant général en
retraite et de dame Gabrielle de Gaucourt, décédé le 18 mars à 1 h. 1/2
du soir, place d’Espagne, 10.
SOUVENIRS MILITAIRES
DU COMTE HIPPOLYTE D’ESPINCHAL
I
L’ É M I G R A T I O N
—
L’A R M É E
DE C O N D É
Mon père, le c o m te d ’E s p in c h a l, m a ré c h a l de c a m p ,
é m ig r a a u m o is de ju il le t 1789, p e u de j o u r s ap rè s la prise
de la Bastille, cha rgé p a r Mgr le p r in c e de Condé, d o n t il
éta it tr è s affectionné, de c o n d u ire sa fille, la p r in c e sse
L ouise de B o urb on-C on dé, à B ruxelles, où, peu de j o u r s
ap rè s, se tr o u v a i t r é u n ie to u t e la fam ille de ce p rince .
H enri, m o n frère ain é, v int à T u rin avec m a m è re , ap p e lé e
p a r S. A. R. la c o m te s s e d ’A rtois. P e u ap rè s, to u s les
p r in c e s de la Maison se t r o u v è r e n t r é u n i s e n celte ville
d ’où m o n père, Mgr le d u c d ’E n g h ie n et m o n frè re p a r ­
ti r e n t p o u r faire u n vo y ag e en S u isse q u i d u r a d e u x m ois.
L o rs de la r é u n io n , à Coblentz, des é m ig r é s v e n a n t
jo in d r e S. A. R. M onsieur et Mgr le c o m te d ’A rtois, ce f u t
le c o m te d ’E sp in c h al qui o rg an isa la coalition d ’A uvergne
c o m p o s é e d ’à p eu p r è s 400 g e n t ils h o m m e s de celte p r o ­
vin c e, to u s m o n té s e t é q u ip é s à le u rs fra is et f o rm a n t
q u a t r e s u p e r b e s c o m pagnie s.
Alexis, m o n se c o n d frère, élève de p r e m i è r e classe
1
2
SOUVENIRS
MILITAIRES.
d a n s la m a r i n e , se r e n d it a u p r è s de m o n p è r e à Coblentz,
a u s s itô t so n r e t o u r de S uisse , et ce f u t e n 1792 q u ’il m e
f itv e n ir de P a r is p r è s de lui. Ce f u t s u r t o u t en 1790 et 1791
q u e l’ém ig ratio n p r i t .pne activité qui s ’é te n d it du b o u t du
r o y a u m e à l ’a u t r e et qu e se f o r m è r e n t d ifférents co rp s qui
fin iren t p a r se c o n s titu e r e n tr o is c o r p s d ’a r m é e p o u r être
j o in ts a u x tr o u p e s .au trich ien n e s et p r u s s ie n n e s , f o rte s de
80000 c o m b a tt a n ts , q u i e n t r è r e n t en c a m p a g n e , au m o is
d ’a o û t 1792. Le p r e m i e r de ces co rp s, so u s les o r d re s de
le c o m te d ’A rtois, était fort de 8000 h o m m e s d 'in fa n ­
te rie et de S 000 chevaux e t dev a it o p é r e r s u r le c e n tr e de
la F r a n c e ; le se c o n d , c o m m a n d é p a r le p rin c e de Condé,
placé s u r la ligne d u R hin, éta it de 5 000 c o m b a tta n ts , et le
tr o is iè m e , dirigé p a r le d u c de B o u rb o n , de 4 000 ; e n tout,
23000 h o m m e s , e n g r a n d e p a rtie n oble s.
Cette c a m p a g n e, q u i s e m b la it devoir offrir les p lu s h e u ­
r e u x r é s u lt a ts p a r l’in v a s io n des t r o u p e s é tra n g è r e s , se
b o r n a à l ’o cc u p atio n de q u e l q u e s villes de 'F ran c e, d o n t
o n fut b ie n tô t c h a ssé p a r su ite d ’u n e re tr a ite h o n te u s e qui
d é ta c h a la P r u s s e de la coalition et a m e n a la d iss o lu tio n
de l ’a r m é e des p rin c e s français. L es ém ig rés se tr o u v è r e n t
d a n s la p lu s g ra n d e d é tre s s e , e r r a n t en E u ro p e sa n s t r o u ­
v e r n i s y m p a th ie s ni se c o u rs, et reje tés d es p a y s où ils
c h e r c h a i e n t u n asile. C e p e n d a n t l ’A u trich e , s o u te n u e p a r
les s u b sid e s de l ’A n g le te rre , c o n t in u a la g u e r r e , e t le
p r in c e de Condé, a y a n t o b te n u de l ’e m p e r e u r d ’A llem agne
la c o n s erv atio n de so n co rp s et l ’a u to ris a tio n de l’a u g m e n ­
t e r de to u s les ém ig ré s qui v o u d r a ie n t s e rv ir s o u s ses
d r a p e a u x , se tr o u v a b ie n tô t à la tê te de 6 796 c o m b a t­
t a n t s d o n t 4 836 c h a s s e u r s à pied et cavaliers n o b le s et
3360 h o m m e s de différentes a r m e s , f o rm a n t d e u x ré g i­
m e n ts d ’infanterie et tro is de cav alerie, p lu s d ouze pièces
d ’artillerie. Dans ce c o r p s d ’a r m é e , placé to u jo u r s à l’avant-
L ’A R M É E
DE
CONDÉ.
-
17 9 4 .
3
ga rd e des A u tr ic h ie n s et s ’y c o u v r a n t de gloire, se t r o u ­
v a ie n t le du c de B o u r b o n , so n fils le d u c d 'E n g h ie n et
n o m b r e de g é n é r a u x et de colon els c o m m a n d a n t des c o m ­
p a g n ie s n o b le s.
Ce fut d an s l’été de 1794 q u e m o n frè re Alexis et m o i
f û m e s e nvoyé s p a r m o n p è r e à l ’A rm ée de Condé et placés
d a n s le c o r p s n o b le des C hevaliers de la c o u r o n n e , s u p e rb e
r é g im e n t de cavalerie (j’avais alors q u a to rz e a n s ); H enri,
n o tr e aîné, était officier d a n s les h u s s a r d s de Choiseul à
la so ld e de l ’A n g leterre .
L ’a r m é e , q u i alo rs s ’était c o n s id é r a b l e m e n t a u g m e n té e
m a lg ré les p e r te s q u ’elle avait su b ie s d a n s n o m b r e de
c o m b a ts sa n g la n ts , se t r o u v a i t forte de 12500 c o m b a tt a n ts
e t d e v in t u n p u i s s a n t ap p u i a u x t r o u p e s a u trie h ie n n n o s
qu e le u rs m a u v a is e s d isp o s itio n s e x p o s è r e n t p lu s i e u r s
fois à se voir a n é a n t i r p a r les s a v a n te s m a n œ u v r e s du
g én é ral M oreau. N o ta m m e n t, d a n s la c a m p a g n e de 1795,
au sa n g la n t c o m b a t de B iberach où les Chevaliers de la
c o u r o n n e e u r e n t 6 tu é s et 15 b le ssés , a u n o m b r e d es q u e ls
j e fus, elle p r o té g e a la re tr a i te d u g é n é ra l a u t r i c h ie n co m te
de la T our, d o n t le co rp s se tro u v a it g r a v e m e n t c o m p r o ­
m i s ; elle c o n t r i b u a au ssi p u i s s a m m e n t à p ro té g e r n p tr e
r e tr a i te s u r Munich p a r p lu s i e u r s b rilla n ts c o m b a ts s o u ­
t e n u s avec a c h a r n e m e n t p a r les C h a sse u rs n o bles de l ’avantgard e d u d u c d ’E n g h ie n qui p a y a it si n o b le m e n t de sa p e r ­
s o n n e et c o u r u t p l u s i e u r s fois les p lu s g r a n d s d a n g e r s
en s ’e x p o s a n t c o m m e un s im p le soldat.
Ce f u t à c e tte m ê m e é p o q u e q u e l’a r m é e a p p r it avec
t r is te s s e et in d ig n a tio n la te n ta tiv e d ’a s s a s s in a t s u r la p e r ­
so n n e du roi, d a n s la p e tite ville de Dillingen, p r è s d u Da­
n u b e , alo rs q u ’il venait de q u itt e r l ’a r m é e p r è s de la q u elle
il é ta it v e n u p a s s e r u n e h u ita in e de jo u r s . Cet h o rrib le
a t te n ta t e u t lieu vers les dix h e u r e s d u so ir : le r o i s ’était
4
SOUVENIRS MILITAIRES.
m is à la f e n ê tre de so n a p p a r t e m e n t p o u r j o u i r d ’u n b e a u
c la ir de lu n e , u n c o u p de c a r a b in e p a r ti t d ’u n e a rc ad e voi­
sine, et la balle v in t le f ra p p e r a u s o m m e t de la tête. Àu
m o u v e m e n t q u e fait le roi t o u t c o u v e rt de sa n g , le d u e de
F le u r y le c r o y a n t m o r t e l l e m e n t ble ssé a p p e lle d u s e c o u r s ;
a u s s itô t a r r iv e n t le d u c de G ra m o n t et le c o m te d ’Avaray,
m a is le p rin c e le u r d it t r a n q u i l l e m e n t : « R a s s u r e z -v o u s ,
m e s a m is , ce n ’e s t r ie n d u t o u t ; v o u s voyez b ie n q u e j e
su is r e s té d e b o u t. » Q u o iq u e le c o u p fût à la tê te , la plaie
f u t t r o u v é e p ro fo n d e , m a is n ’offrant a u c u n d an g e r. Q u a n t
a u m is é r a b le qu i avait c o m m is le c r im e , il tr o u v a le m o y e n
d e s ’é c h a p p e r, m a lg r é les r e c h e r c h e s les p lu s activ e s et
sa n s q u ’o n d é c o u v rit le m o tif d ’u n p are il a tte n t a t. P e u de
jo u r s a p r è s ce f u n e s te é v é n e m e n t, l ’A rm ée de Condé e u t à
s o u te n ir u n te rr ib le c o m b a t a u village d ’O b erk a m la c h o ù les
C h a s s e u rs n o b le s d é p l o y è r e n t u n c o u r a g e s u r h u m a i n co n tre
des fo rc es p r e s q u e se x tu p le s, sa n s q u e les A u tric h ie n s,
p a r l ’in e p tie de le u r s chefs, v i n s s e n t le u r p o r t e r se c o u rs.
Le b a ta illo n d u m a r q u i s d u G oulet, m a r é c h a l de c a m p ,
q u i y p e r d it la vie, e u t 101 c h a s s e u r s n o b le s tu é s et p lu s de
200 b le ssé s ; et, ce n e f u t q u e p a r d e u x ch a rg es r é ité ré e s
des Chevaliers de la c o u r o n n e q u e le r e s te de ce m a lh e u r e u x
b ataillon p u t s o r tir d u g u ê p ie r d a n s leq u el il éta it to m b é .
Il n e se p a s sa it g u è r e de j o u r s sa n s q u e l ’A rm ée de Condé
e û t à s o u te n ir d e s c o m b ats d ’a u t a n t p lu s sa n g la n ts q u e les
p r is o n n ie r s , q u ’o n a u r a it p u lu i faire, é ta ie n t d e s tin é s à
u n e m o r t o r d o n n é e p a r le s lois ré v o lu tio n n a ir e s . 11 faut
c e p e n d a n t d ire, p o u r r e n d r e h o m m a g e à l ’h o n n e u r de l ’a r ­
m é e française, e t n o t a m m e n t au g é n é ra l F e rin o , q u e g ran d
n o m b r e de p r is o n n ie r s f u r e n t s o u s t r a its à la b a rb a rie d u
r e p r é s e n t a n t d u p eu p le, e n le u r p r o c u r a n t les m o y e n s de
r e v e n ir p a r m i n o u s .
Les succès de Bonaparte en Italie, et ceux obtenus par
L ’A R M| É E
DE C O N D É .
— 17 9 7 .
fi
M oreau qui n ’était p lu s q u ’à v in g t-e in q lie u es de Vienne,
d é t e r m i n è r e n t l ' e m p e r e u r d ’A u tric h e à faire d es p r o p o s i­
tio n s de paix qu i f u r e n t p r é c é d é e s d ’u n a rm istic e sig n é à
L éob e n e n t r e B o n a p a rte e t l’a r c h id u c C harles, d o n t u n e des
c o n d itio n s était le lic e n c ie m e n t de l ’A rm é e de Condé. Cet
é v é n e m e n t, q u i allait pla c e r u n e q u a n tité d ’é m ig r é s d a n s
l ’état le p lu s dép lo ra b le, fut h e u r e u s e m e n t p a r a ly s é p a r le
b o n v o u lo ir de l ’e m p e r e u r P au l Ier q u i envo ya so n aide de
ca m p , le p rin c e G orstchakof, a u p r in c e de Condé p o u r lui
p r o p o s e r de c o n d u ire so n a r m é e en W o lh y n ie et q u ’il la
p r e n d r a it à so n se rv ic e, avec to u s les av a n ta g e s qu e m é r i ­
ta it sa nob le et b rilla n te c o n d u ite : ce lte offre f u t acceptée
avec u n e v éritable r e c o n n a i s s a n c e ; le p r in c e e n d o n n a
c o n n a is s a n c e à l ’a r m é e , p a r u n o rd re d u j o u r d a n s leq u el
il laissait à ch a c u n la faculté d ’agir ainsi q u ’il l’e n t e n d r a it ;
c e t é v é n e m e n t qui allait p o r te r si loin les C o n d é en s fut
p lu s o u m o in s bien ap pré cié p a r les g e n t ils h o m m e s qui ne
p o u v a ie n t s ’é lo ig n e r s a n s r e g r e ts des rives de la p a t r i e ;
aussi, p lu s i e u r s p r é f é r è r e n t r e s te r e n A llem agne, se r é s e r ­
v a n t de r e jo in d re l ’a r m é e p lu s t a r d ; d ’a u tre s , a u n o m b r e
d e s q u e ls é ta it m o n frè re Alexis, v o u lu r e n t te n te r de r e n t r e r
en F ra n c e p o u r a lle r d a n s la V e n d é e , o u tâ c h e r de sa u v er
le u r s b ie ns n o n v e n d u s . C e p e n d a n t m o n frère, qui savait
m o n p è r e en c o r r e s p o n d a n c e avec le p rin c e , c r u t devoir
lu i faire p a r t de sa d é t e r m in a tio n e t o b tin t de lu i u n e a u ­
d ie n ce d o n t j e vais r a p p e le r te x tu e lle m e n t to u s les détails.
I n tr o d u i t se u l d a n s l’a p p a r t e m e n t d u p rin c e : « B onjour,
Alexis, lui dit-il avec b o n té . Quelle grave affaire avez-vous
à m e c o m m u n iq u e r ?
— M o nseigneur, elle e s t grave en effet, r é p o n d it A lexis;
m a is l ’am itié d o n t vous daignez h o n o r e r m o n p è r e m ’e n ­
h a r d it à v o u s d e m a n d e r c o n s e il s u r la m a r c h e q u e je dois
su iv re , dan s l ’i n te n tio n q u e j ’ai de r e n t r e r en F ra n c e , afin
SOUVENIRS
6
MILITAIRES.
d ’e n t r e p r e n d r e de le s o r tir , ainsi q u e m a m è r e , de la
c r u e lle p o s itio n où ils se tr o u v e n t. Cette f u n este p e n s é e
m e p o u r s u i t j o u r et n u it, e t je la gardais c o m m e u n v e r
r o n g e u r t a n t q u e j ’étais so u s d e s d r a p e a u x q u e l’h o n n e u r
m e p r e s c r i v a it de su iv re. Mais, a u j o u r d ’h u i que l ’a r m é e va
c h e r c h e r u n asile en R ussie et q u e la paix se m b le a s s u ­
rée , j e m e dois to u t à m o n p è re , car ce n ’est p a s d a n s ce
p a y s lo in ta in q u e j e p o u r ra is lui ê tre u tile.
— Mais, m a l h e u r e u x en fa n t, c ’e s t la m o r t qu e t u vas
c h e r c h e r ; elle e s t in é vita ble avec le stig m a te d o n t e s t m a r ­
q u é to n f ro n t et les e x e m p le s te rr ib le s q u e n o u s av ons
c h a q u e jo u r !
— Cette m o r t, M o nse igneur, j e l ’affronte d e p u is p l u s d ’u n e
a n n é e , p o u r d e s r a is o n s b ie n m o in s p u is s a n te s , et la P r o ­
v idence, en c e tte c i rc o n sta n c e , sera, j ’e s p ère, m a p r o te c ­
trice, ca r elle n ’a b a n d o n n e r a p a s u n fds q u i fait so n devoir.
— V o tre p è r e e t v o tre m è r e n e s o n t pas, c o m m e vous le
su p p o s e z , d é n u é s de r e s s o u r c e s ; j ’ai de f o rte s r a iso n s
p o u r v o u s affirm er q u 'ils o n t de n o m b r e u x a m is qui ne
les a b a n d o n n e r o n t ja m a is. Il fa u t g a g n e r d u t e m p s , l ’ave­
n i r e s t g ro s d ’é v é n e m e n ts , et qui s a it a t t e n d r e e s t s û r d ’a r ­
river. Au r e s te , v o u s êtes bie n j e u n e p o u r u n e s e m b la b le
e n tr e p r i s e , ca r il f a u d r a it u n e e x trê m e p r u d e n c e et u n e
g r a n d e r é s e r v e p o u r sa v o ir i n s p i r e r la confiance a u x p e r ­
so n n e s avec le s q u e lle s v o u s e s p é re z p o u v o ir vous m e ttr e en
r a p p o r t, s u r t o u t d a n s u n m o m e n t où la m é fian ce e s t u n e
n é c e s sité . Et p u is, en o u tr e de cela, vos m o y e n s p é c u n ia ire s
d o iv e n t ê tre tr o p faibles p o u r e n t r e p r e n d r e u n p a r e il voyage,
q u i n e p e u t q u ’e n t r a în e r à de g r a n d e s d é p e n s e s ; v o tre
p r o je t e s t lo u a b le et fait l’éloge de votre c œ u r , m a is je
vou s engage à l ’a j o u r n e r à u n t e m p s m e ille u r.
— j ’a u ra i l’h o n n e u r d ’o b s e rv e r à M o n se ig n e u r q u ’en
p r e n a n t la lib e r té de lui d e m a n d e r d es co n s eils, il n ’était
AUDIENCE
DU P R I N C E
DE
CONDÉ.
— 1797.
7
q u e s tio n q u e de savoir la m a n iè r e d ’e x é c u t e r m o n p r o je t
im m u a b le , en ra c in é d a n s m o n c œ u r, et d a n s le q u e l il fa u t
q u e je su c c o m b e , o u q u e m o n p è r e en r e s s e n te les effets.
L ’in fo rtu n e d o n n e de l ’âge et de la p r u d e n c e ; c ’e s t a p r è s
avoir m û r e m e n t réfléchi s u r la s itu a tio n c r itiq u e d an s
laqu elle j e po u v ais m e t r o u v e r q u e j ’ai acq u is la conv iction
de p o u v o ir s u r m o n t e r les o b sta c le s qui se p r é s e n te r a i e n t.
« L es difficultés d u p as sa g e des f ro n tiè r e s v a in c u e s, j ’a r ­
r iv e à L yon où se tr o u v e l ’h o n n ê te r é g is s e u r d es b ie n s de
m o n p è re , d o n t la p ro b ité , la délic a te sse et la fidélité n e
se s o n t ja m a i s d é m e n tie s . Alors, n o u s avisons e n s e m b le
a u x m o y e n s de r e n t r e r d a n s la jo u is s a n c e d ’u n e te r r e situ ée
e n tre les d e u x villes de S ain t-E tie n n e e t de M o n tb riso n ,
qui n ’e s t q u e
s e q u e s tr é e , e t n o u s
allons e n s u ite en
A u v erg n e chez d e u x re s p e c ta b le s d é p o s ita ire s de la vais­
selle de m o n p è re , s o u s t r a ite et enfouie d a n s u n e ca ch e tte
in tro u v a b le lo rs de la v e n te de so n c h â te a u de Massiac. Q uan t
à m e s facultés p é c u n ia ire s p o u r faire le voyage, b ie n
q u ’elles n e so ie n t tr è s c o n s id érab les, p o s s e s s e u r s e n tre
m o n frè re et m o i d ’u n e s o m m e de 760 francs, je lui e n laisse
q u a tre c e n ts , et le re s te m e suffit p o u r a rr iv e r à L yon. »
Le prin ce , a p rè s l’av oir éc outé avec la p lu s g ra n d e
a tte n t io n , lui dit de la m a n i è r e la p lu s bienveillante :
« J e vois q u ’il se ra it in u tile d ’e n t r e p r e n d r e de v ou s
d é t o u r n e r d ’u n e d é t e r m in a tio n aussi a b so lu e. Eh b ie n ! m o n
enfant, je v e u x m ’a s so c ie r à ce p ieu x p è le rin a g e e n v ous fai­
s a n t p o r t e u r d ’u n e le ttr e indéchiffrable p o u r to u t a u tre
q u e m o n c o r r e s p o n d a n t de L yon, d an s la q u e lle je lu i p r e s ­
crira i d ’ê tre vo tre guide d an s la c o n d u ite q u e v o u s au re z
à te n ir et de v ou s d o n n e r l’a r g e n t qui p o u r r a it v ous ê tre n é ­
ce ssa ire. M a in te n an t, p r u d e n c e et d isc ré tio n , s u r t o u t ne
r ie n faire q u i p u is s e la is s e r s o u p ç o n n e r votre p r o je t, ex­
ce p té à la p r in c e s s e de Monaco à qui vous devez ce tte c o n ­
8
SOUVENIRS
MILITAIRES.
fiance ta n t p o u r l’a m itié d o n t elle h o n o r e vo tre p è re , que
p o u r les b o n té s q u ’elle a to u jo u r s eu e s p o u r vous et votre
frère. A dieu, A lex is; suivez
d o n c le s
im p r e s s io n s
de
vo tre c œ u r , et à la g a rd e de Dieu. »
Mon frè re , p r o f o n d é m e n t é m u de ta n t de b o n té , se p r é ­
cipita, e n la m o u il la n t de ses la r m e s re c o n n a is s a n te s , s u r
la m a in de cet e x c ellen t p rin c e , qui lui d it avec u n so u rire
d ’an g e : « Soyez tr a n q u ille s u r v o tr e je u n e f r è re ; la p r in ­
c e sse et m o i a u r o n t soin de lui. »
L’e n t r e v u e q u ’Alexis e u t avec la p rin c e s s e de Monaco ne
fut p as m o i n s t o u c h a n te ; elle fit t o u t ce q u ’elle p u t p o u r
le d é t o u r n e r de so n p ro je t ; m a is, l o r s q u ’elle v it so n inflexi­
bilité, elle lui dit : « V o tre e n t ê t e m e n t ém a n e d ’u n si h o n o ­
rab le m o tif, q u e je ne veux p lu s le c o m b a ttre . » P u is , lui
fa is a n t signe de l ’a t t e n d r e u n m o m e n t, elle p a s s a d a n s un
ca b in e t, et r e v e n a n t p e u ap rè s : « Tenez, Alexis, lui dit-elle
en lui m e t t a n t vin g t-c in q lo uis d a n s la m a in , voilà p o u r
v o s frais de voyage, p r é c a u tio n to u jo u r s utile. » Mon
frère, le c œ u r gonflé p a r la r e c o n n a iss a n c e de ta n t de b ie n ­
faits, ne p u t r e m e r c ie r c e tte b o n n e p r in c e s s e q u ’avec des
la r m e s d a n s les y e u x et se retira .
L e l e n d e m a i n d e c e t t e to u c h a n te en tre v u e , m o n f r è r e r e ç u t
la le ttre p r o m is e , q u ’il m it dans un b âton c r e u x avec lequel
il devait v oy ager; p u is, fit to u te s ses d isp o s itio n s de c o n ­
c e r t avec son am i, E d m o n d D alesm e, qui voulait aussi r e n ­
t r e r e n F ra n c e . L e u r plan co n s ista it à se d iriger s u r L yon, en
p a s s a n t p a r la F ra n c h e -C o m té , où, d an s u n e n d r o it d o n t
ils avaien t l ’in d ic a tio n , dev a it se tr o u v e r u n in dividu qui,
m o y e n n a n t sa laire , d evait le u r faire f r a n c h ir la frontière.
C e p e n d a n t Alexis, to u jo u r s a n i m é d ’u n e te n d r e s s e fi­
liale, v in t d é p o s e r e n tre les m a in s d u p a y e u r de l’a r m é e les
v in g t-c in q lou is de la p rin c e s s e , en le p r i a n t de les faire
p a s s e r à so n p è r e à H am bo urg .
ALEXIS
RENTRE
EN
FRANCE.
— 17 9 7 .
9
N otre s é p aratio n fu t des p lu s d o u lo u r e u s e s . Je ne po u v ais
m e d é ta c h e r de ce frè re ch éri, l ’a p pui, le p r o t e c t e u r de m o n
je u n e âge, e t d o n t la so llicitu d e é ta it te lle q u e, n o m b r e de
fois, il se j e t a a u - d e v a n t des c o u p s q u i p o u v a ie n t m ’a t ­
te in d r e , n o t a m m e n t u n j o u r où, b le ssé d ’un coup de sa b re ,
il se p r é c ip ita a u - d e v a n t de m o n a d v e r s a ir e q u ’il r e n v e rs a
d ’un coup de p isto let. L o rs q u e je le vis p a r tir, u n affreux
p r e s s e n t i m e n t m ’a v e rtit q u e je n e devais p lu s le revoir,
h é la s ! Il ne se réa lisa q u e trop, ainsi q u ’on le v e r r a ...
Au m o m e n t d u d é p a r t p o u r la R ussie, l ’a r m é e avait
e n c o re u n effectif de 10000 h o m m e s , m a lg ré les n o m ­
b r e u x et sa n g la n ts c o m b a ts q u ’elle avait livrés d a n s ce tte
d e r n iè re c a m p a g n e , m a is c o n t in u e l le m e n t renforc ée par
d e s é m ig r é s qui n ’a v a ie n t p a s d ’a u t r e s m o y e n s d ’existence,
et d e s d é s e r t e u r s fra n ça is qui a r r iv è r e n t en assez g ran d
n o m b r e , a t tir é s p a r la solde et u n é q u i p e m e n t d o n t la R é p u ­
bliq u e était f o rt avare à ce tte époque.
Le r e c e n s e m e n t des p e r s o n n e s qui s ’a t ta c h è r e n t à la for­
tu n e d u p rin c e de Condé se m o n ta it à 6000 et q u e lq u e s ,
qui f u re n t p a rta g é e s e n tro is colonnes, savoir : la p r e m iè r e ,
f o rm é e des officiers a y a n t c o n s e r v é le u r s c h e v a u x ; la s e ­
c o n d e , c o m p o s é e des éq u ip a g e s de l ’a r m é e et de q u e lq u e s
pièces d ’a rlillerie a p p a r te n a n t p a r ti c u liè r e m e n t au p rin c e ,
les a u t r e s a y a n t été re m is e s à l’A utriche, ainsi q u e to u s les
c h e v au x d e l à ca valerie; et la tro is iè m e , d o n t j e faisais p a r ­
tie, e m b a r q u é e s u r des r a d e a u x p o u r su iv re le c o u r s d u
D an ube j u s q u ’à K re m s, où ces tro is c o l o n n e s r é u n ie s
d u r e n t finir le u r tr a j e t j u s q u e s u r les b o r d s d u Bug. A la
ville de H ru b iesz o w , où n ous fîm e s n o tre e n tré e s u r le te r­
rito ire m o s c o v ite a p rè s av o ir p a r c o u r u 500 lieues, l’a rm é e
f u t a u s sitô t s u b d iv isée dan s différents q u a r ti e r s , r é o r g a ­
n is é e , et d u t q u i t t e r la co c a rd e bla n ch e .
N otre e n tré e d a n s la V o lhynie r e s s e m b la it à u n e tr o u p e
10
SOUVENIRS
MILITAIRES.
de v o y a g e u rs v e n a n t p o u r y f o n d e r q u e l q u e colonie et
n ’a y a n t de m ilita ire qu e l ’h a b it, grâc e au x a d m in is t ra tio n s
a u t ric h ie n n e s q u i n o u s a v a ie n t r e ti ré n o s a r m e s .
N o us f û m e s c a n to n n é s d a n s différentes p e tite s villes, en
a t te n d a n t la no u v elle o rg a n isa tio n de l ’a r m é e d o n t s’o c c u ­
p a i t a lo rs M6r le p rin c e de Condé, de c o n c e rt avec des c o m ­
m is s a ir e s r u s s e s env o y é s à c e t effet p a r l ’e m p e r e u r P aul.
P e n d a n t ce t e m p s de
b ie n q u e m a l d a n s les
chez les ju if s b o u r g e o is
n o u s pro fitèren t, avec
re p o s, n o u s n o u s é ta b lîm e s ta n t
m a is o n s e n f u m é e s de p a y s a n s et
de ce p a y s , e t p lu s i e u r s d ’e n tre
r e c o n n a is s a n c e , d u b ie n v eillan t
accu e il offert p a r les s e ig n e u r s p o lo n a is qui s ’e m p r e s ­
sè r e n t d ’a u t a n t p lu s d ’a d o u c ir n o tre exil q u ’ils avaient euxm ê m e s à r e g r e t t e r u n e p atrie.
Ce f u t d a n s le c o u r a n t de février 1798 q u e l ’a r m é e r e ç u t
sa n o u v e lle f o r m a tio n , et q u e l ’on s ’o c c u p a de lui faire
e n d o s s e r l ’u n if o r m e ru s s e , r id ic u le copie de celu i des
P r u s s i e n s , l ’e m p e r e u r a y a n t la m a n ie d ’im i te r ce tte n a tio n
d o n t il s ’était en goué.
Organisation de l ’armée de Condé et répartition
de ses cantonnements dans les districts ainsi qu’il suit :
le p rin ce de C ondé, avec son q u artier g é n éra l, l ’a r tille r ie ,
le g é n ie e t le s d ifféren tes a d m in istr a tio n s, à D ubnow ,
avec
1100 h o m m es
Le R ég im en t n ob le à p ied , à W lod zin iew .
..
1400
—
La C avalerie n o b le , à Locatze et H orod lo.
..
1190
—
G renadiers de B ourbon , à L u s z k o w ...........
1075
—
D ragons d'E n ghien , à L u s z k o w ....................
800
—
F u siliers d’H oh en loh e, à K o v e l ....................
1000
D épôt et h ô p ita l à K ovel
700
—
T o t a l ...............
7265
Les h u ssard s r u sses de B ow er attach és
corps de C on d é....................................................
au
2100
T otal Gén éra l .
..
hom m es
—
9365 h om m es
L ’A R M É E
DE
CONDÉ
EN
RUSSIE.
— 1798.
Il
Les d istric ts d a n s le sq u e ls l ’a r m é e était r é p a rti e se
c o m p o s e n t de p e tite s villes et de villages, h a b ité s , ces p r e ­
m iè r e s p a r d e s ju ifs, et les a u t r e s , d es m a is o n s é p a rse s,
b â tie s en te rre et e n bois, o c c u p ée s p a r des p a y s a n s sales,
m a lp r o p r e s e t t o u t à fait a b ru tis. P lu s ie u r s de n o s c a m a ­
ra d e s f u r e n t obligés d ’y r e s t e r f a u te de m o y e n s p é c u ­
n ia ir e s ; d ’a u tre s se c o n s tr u i s ir e n t de p e tite s m a is o n s e n
r o n d in s de b o u le a u x g a rn is de m o u s s e et d o u b lé s en
p la n c h e s, ce qui les r e n d a it tr è s h a b ita b le s e t d ’u n effet
assez p itto re s q u e . Logé avec u n de m e s c a m a ra d e s , n o m m é
D alesm e, d o n t le frè re éta it p a r ti avec Alexis p o u r r e n t r e r
e n F ra n c e , n o u s o b tîn m e s d ’u n j u if chez qui le s o r t n o u s
avait pla cé s, et m o y e n n a n t u n e légère r é tr ib u ti o n , u n e
c h a m b r e à d e u x lits, qu e n o u s a p p r o p r iâ m e s p a r de f o rte s
ab lu tio n s, et, a u m o y e n d ’a c h a t de m a te la s , de c o u v e r ­
t u r e s et de d raps, n o u s finîm es p a r av o ir u n gîte assez
c o n v e n a b le ; n o u s y a j o u tâ m e s q u e l q u e s u s te n s ile s de c u i­
sine, s o u s la d ir e c tio n d ’u n e ju iv e , d o n t le ta le n t d e m a n ­
d ait q u e lq u e s d é v e lo p p e m e n ts , m a is en fin q u i n o u s fai­
sa it vivre.
La p etite ville d ’H orodlo, ch ef-lieu d u d istric t d an s
le q u e l élait l ’e s c a d r o n d o n t j e faisais p artie, é ta it h a b ité e
p a r n o tr e état-m a jor, m o in s le chef, M. le c o m te d ’Astorg,
m a ré c h a l de c a m p , qui o cc upait u n a p p a r t e m e n t d a n s un
m a g nifiq ue ch â te a u d o m in a n t la ville et a p p a r t e n a n t au
co m te Stroynovvsky, se ig n e u r de l’e n d ro it. Bientôt, a d m is
d a n s l ’in té r ie u r de. ce tte fam ille h o s p ita liè r e , je n e ta rd a i
p a s à en d e v e n ir le c o m m e n s a l le p lu s a s s id u p a r la b ie n ­
veillance avec laqu elle j ’étais r e ç u , e t d e u x m o is ne
s ’é ta ie n t p o in t é c o u lé s q u e la je u n e
Valérie, fille du
c o m te , p a r ta g e a it avec to u te la c a n d e u r de so n âge le s s e n ­
ti m e n t s q u ’elle m ’avait in s p iré s et d o n t sa m è r e n e p a r a is ­
s a ie n t n u l l e m e n t in q u iè te . Mais q u e lle n e fu t p a s m a s u r ­
12
SOUVENIRS
MILITAIRES.
p ris e l o r s q u ’u n j o u r , je r e ç u s u n e le ttre de Grim aldi, u n de
m e s a m is p a r ti c u lie r s et aide de c a m p d u p r in c e de
C ondé, q u i m e m a n d a it q u ’on avait p r is d e s r e n s e ig n e m e n ts
p r è s de S. A. S. p o u r sa voir qu elle était m a fa m ille ;
la ré p o n s e avait été d es p lu s fav orables e t j ’e n eus b ie n tô t
des p r e u v e s in c o n te s ta b le s p a r le s m a n i è r e s en g a g ea n te s
e t les so in s avec le squ els j ’étais accueilli p a r l a c o m te s s e .
C’e s t ici le m o ti f de d ire la ca u se qu i p o u v a it m e la isse r
e n tre v o ir u n b o n h e u r a u q u e l je n ’eu s se ja m a i s p e n s é p r é ­
t e n d r e , m o n a t t a c h e m e n t p o u r V alérie é ta n t l ’im p r e s s io n
d ’u n p r e m i e r s e n t i m e n t s a n s a u c u n e a r r iè re -p e n s é e . La
c o m te s s e , âgée de cin q u a n te -c in q an s, joig n a it, à u n e g ran d e
illu s tr a tio n , u n e f o rtu n e si c o n s id é ra b le q u ’elle ne se c r u t
p as les ca p a c ité s n é c e s s a ir e s p o u r la r é g ir e n d e v e n a n t
v eu v e , ce qui la d é t e r m in a à é p o u s e r e n s e c o n d e s n o ce s so n
in t e n d a n t , p e t it n o b le sa n s fo rtu n e , m a is d ’u n p h y s iq u e
sé d u is a n t, d ’u n e s p r it tin, délié, e t q u i p a r v in t à c a p tiv e r
l ’e s p r it de sa m a îtr e s s e , d o n t il p a r ta g e a la co uche, avec
l ’a s s e n t i m e n t de l ’e m p e r e u r qui lui d o n n a le tit r e de
c o m te , d es dign ités, des g r a n d s c o r d o n s e t le c o m b la de
f av e u rs d a n s l ’in te n tio n de s ’en faire u n e c r é a tu r e dévouée
dan s ce p a y s o ù il n ’en avait g u è r e . De ce se c o n d m a ria g e
é ta it a d v e n u e u n e fille d u n o m de V alérie, âgée a lo rs de
seize a n s, jo lie , g r a c ie u se , a y a n t r e ç u l ’éd uc atio n la p lu s
s o ig n é e ; les a ttr a its de ce tte je u n e p e r s o n n e , ses ta le n ts
r e m a r q u a b le s , so n c a r a c tè r e a i m a n t et p a s s io n n é , j o in t s à
l ’in tim ité d o n t je jo u is s a is p r è s d ’elle, n e t a r d è r e n t pas à
faire n a îtr e d a n s n o s j e u n e s c œ u r s d e s s e n tim e n ts sans
a u t r e calcul de m a p a r t q u e celui de c a ptive r la te n d r e s s e
de ce tte a d o r a b le fille, i g n o r a n t m ô m e alo rs q u e le p ère
avait m a n if e s té l ’in te n tio n de m a r i e r sa fille à u n é tra n g e r ,
n ’a y a n t é p r o u v é qu e de b a s s e s ja lo u s ie s de la p a r t de ses
c o m p a tr io te s , e n v ie u x de sa f o r tu n e , m é c o n t e n t s d es
P R E M IÈ R E S A M O U R S. — 1798.
13
fav e u rs de l ’e m p e r e u r p e u s y m p a th iq u e à la n a tio n p o lo ­
naise, e t d o n t le c o m te é ta it r e g a rd é c o m m e u n e c r é a tu r e
dévouée.
Ce f u t à ces h e u r e u s e s c irc o n s ta n c e s , q u e je d u s la p r o ­
m e s s e d ’o b te n ir la m a in de V alé rie, m a is à la c o n d itio n
d ’a tte n d r e d e u x a n s, é p r e u v e effrayante p o u r u n a v e n ir
qu i m e p a ra issa it s a n s fin et p e n d a n t lequel p o u v a ie n t
s u r g ir t a n t d ’é v é n e m e n ts .
Cette n o uvelle fut, à m o n g ra n d r e g re t, b ie n tô t c o n n u e
de m e s ca m a ra d e s , et je c ra ig n is q u e cela n e n u is ît à m e s
in té r ê ts . C e pend a nt il e û t été difficile q u ’il e n fût a u t r e m e n t ,
e n v o y a n t la m a n iè r e d o n t j ’étais ac cueilli d a n s la famille
d u c o m te , et les so in s q u ’il m ’é ta it p e r m i s de r e n d r e à sa
fille.
Je fis p a r t a u s s itô t à m o n p è r e de l ’h e u r e u x a v e n ir q u i
m ’était r é s e r v é ; d éjà p r é v e n u p a r la p r in c e s s e de Monaco
des r e n s e ig n e m e n ts p r is a u p r è s de M o n se ig n eu r, il s ’e m ­
p r e s s a d ’é c r ire a u c o m te S t r o y n o w s k y en le r e m e r c ia n t
de se s b o n n e s d isp o s itio n s à m o n égard, et m ’a d r e s s a u n e
r è g le de c o n d u ite q u e je m e pro p o sai de suivre av e u g lé ­
m e n t . C e p e n d a n t, au m ilieu de c e t a p e rç u de b o n h e u r d o n t
j ’ap p ré cia is t o u t le prix, la m a r c h e des é v é n e m e n ts c o n ­
c e r n a n t l ’a r m é e su iv a it s o n c o u r s . Déjà, n o u s étio n s
hab illé s, a r m é s , l ’in fan terie s ’exerçait, e t d e s c h e v a u x d u
Don a v a ie n t été a m e n é s p o u r la cavalerie, avec to u te s le u r s
a llu re s sau v ag e s q u e n o u s p a r v în m e s à v ain cre n o n sa n s
b e a u c o u p de difficultés e t p lu s i e u r s ac c id e n ts. Enfin, n o u s
r e p r e n io n s n o s h a b itu d e s m ilita ire s sa n s que m e s v isites
a u c h â te a u e n souffrissent, l o r s q u ’u n j o u r l’on m ’a p p o r ta
u n e le ttr e au m o m e n t où n o u s é tio n s à ta b le, et q u e je
r e c o n n u s ê t re de m o n p ère . A u ssitô t libre, je m ’e m p re s s a i
d ’aller d a n s le p a r c p o u r e n faire la le ctu re, e t fu t frappé
comme d’un c o u p de foudre en a p p r e n a n t la mort de mon
14
SOUVENIRS
MILITAIRES.
f r è r e b ie n -a im é , fu sillé à L y o n c o m m e é m ig ré . A ce tte
affreuse n ouvelle, je to m b a i évanoui, et ce n e fut q u e lon g ­
t e m p s ap rè s, m o n a b s e n c e a y a n t d o n n é de l ’in q u ié tu d e ,
q u ’on m e tr o u v a é t e n d u p a r te r r e sa n s c o n n a is s a n c e , c o u ­
v e r t de sa ng p a r u n e b le s s u r e q u e je m ’étais faite à la tête
en to m b a n t s u r u n e so u c h e d ’a r b r e , t e n a n t d a n s m e s m ains
c ris p é e s la fatale le ttr e q u i m ’a n n o n ç a i t ce tte alfreu se
c a ta s tr o p h e .
T r a n s p o r té a u c h â te a u et m is d a n s u n lit, u n m é d e c in
v in t a u s s itô t m e d o n n e r les so in s les p lu s e m p r e s s é s ;
c e p e n d a n t p lu s d ’u n e h e u r e se p a s s a av a n t q u e j e r e p r is s e
c o n n a issa n c e , et tr o is a tta q u e s de n e r f s d es p lu s violentes
e u r e n t lieu p e n d a n t la n u it, a u x q u e lle s s u c c é d a u n e fièvre
t r è s forte, a c c o m p a g n é e de délire. Enfin, au b o u t de cinq
j o u r s , le m é d e c in d o n n a es p o ir de m e sa u ver, d éc la ra n t
to u te f o is q u ’il f a u d r a it d u te m p s et de la p a tie n c e , u n e
r e c h u te p o u v a n t ê tre tr è s d a n g e r e u se .
C om blé d es s o in s les p lu s a tte n tifs p a r les h a b ita n ts d u
c h â te a u e t m e s c a m a ra d e s , le d o c t e u r p a ra issa it to u t à
fait r a s s u r é s u r m o n état, l o r s q u ’u n j o u r le c o m te d ’A storg
v in t m ’a n n o n c e r le d é p a r t forcé d u c o m te S troynow skyavec sa f e m m e et sa fille, p o u r aller s u r les b o r d s d u Bug
chez le p r in c e L u b o m ir s k y , afin de fuir la p e s te qui ven a it
de se d é c la re r d a n s n o s e n v iro n s d ’u n e m a n iè r e assez vio ­
l e n t e ; u n c o r d o n sa n ita ire avait été a u s s itô t établi, ce qui
n ’av a it p o in t e m p ê c h é la m o r t de p lu s i e u r s p a y s a n s du
distric t.
Cette f u n e s te no u v elle m e fut c o nfirm é e p a r la c o m te s s e
et sa fille q u i v i n r e n t m e faire le u r s a d i e u x ; le s o ir de
le u r d é p a rt, la fièvre r e p r i t avec u n e n o u v e lle in te n sité,
q u e le d o c t e u r p a r v in t p o u r t a n t à s u r m o n te r , d a n s l ’e s p é ­
r a n c e o ù j ’étais de la p e r m i s s io n q u ’on m ’avait ac c o rd é e
d ’aller les jo i n d r e a u s s itô t q u e m e s forces le p e r m e t -
P A U L I" G R A N D M A IT R E
DE L ’O R D R E DE M ALTE.
15
t r a ie n t. Cette m a l h e u r e u s e p e s t e qu i d u r a p lu s d ’u n m o is,
s a n s q u ’on ait pu d é c o u v r ir la c a u s e de son a p p a r itio n , fut
c o n c e n t r é e d a n s so n fo y er grâce a u x s o in s vigilants du
p rin c e de Condé, e t p a s u n in d iv id u de l ’a r m é e n ’en fut
a t te i n t; a u s si disait-on, e n p a r la n t de cette é p id é m ie , q u e
les P o lo n a is en m o u r a i e n t e t q u e les F ra n ç a is s ’e n m o ­
q u aien t. Deux m o is a p r è s , le calm e rétabli, et de r e t o u r à
H o rodlo, les b r u its p r e s q u e c e r ta in s q u e la R u ssie allait
p r e n d r e p a r t à u n e n o uv elle g u e r r e c o n tre la F ra n ce , les
p r é p a ra tifs s ’en firent avec la p lu s g ra n d e activité e t u n e
v é ritab le sa tisfac tio n de la p a r t d e s C ond éen s l o r s q u ’u n
o r d r e d u j o u r l e u r a p p r it ce tte n ouvelle en a n n o n ç a n t q u ’au
p r in te m p s ils r e v e r r a ie n t les b o r d s du Rhin.
A ce tte m ê m e é p o q u e a rriv a u n é v é n e m e n t d es p lu s
e x tra o rd in a ir e s , d o n t l ’h is to ire g a r d e ra so u v e n ir, ce f u t
l ’a b d ic a tio n d u g ran d m a îtr e de Malte, F e r d in a n d de H om p e s c h , e n f av e u r d u czar P au l qui, à c e t effet, o r d o n n a à
t o u s les m e m b r e s de l’O rdre qui se t r o u v a i e n t à l ’a r m é e de
se r é u n i r à la ville de L okatschi, p o u r r e c e v o ir l ’a d h é sio n
de ceux qui v o u d r a ie n t le r e c o n n a îtr e . Cette a s s e m b lé e fut
n o m b r e u s e et f o rt ag itée ; c e p e n d a n t la g r a n d e m a jo rité d e s
ch evaliers, d u n o m b r e d e s q u e ls je fus, a d h é r è r e n t à celte
re c o n n a is s a n c e e n a p p r e n a n t la d éc isio n de L ouis XVIII à
cet ég a rd . Cette o p é r a tio n t e r m in é e , n o u s r e ç û m e s l ’o r d re
de r e t o u r n e r d a n s n o s c a n to n n e m e n t s resp e ctifs. N otre
d é p a r t fixé à s e p t h e u r e s d u m a tin , c h a c u n avait fait la
veille ses a d ieu x et se s p r é p a ra tifs, e n a t te n d a n t l ’o r d re
d ésig n é p o u r se m e t t r e en r o u te , lo r s q u e , à la p o in te d u
jo u r , u n b r u i t ép o u v a n ta b le se fait e n t e n d r e , avec a c c o m ­
p a g n e m e n t de c o u p s de fusils et de p isto le ts j o in t s à d es
c ris e t d e s h u r l e m e n t s é p o u v a n ta b le s. S a u te r à bas de
m o n lit, m e v êtir, p r e n d r e m o n sa b re , et a c c o u r ir s u r le
lie u d u tu m u l te , f u t l’affaire d ’u n in s ta n t. La place, c o m ­
16
SOUVENIRS
MILITAIRES.
p l è t e m e n t e n t o u r é e p a r m e s c a m a ra d e s
et un
g ran d
n o m b r e d ’h a b ita n ts, r e p r é s e n t a i t u n e a r è n e au m ilie u de
la q u e lle se t r o u v a i e n t u n e q u a r a n ta in e de lo u p s accu lés
les u n s a u x a u tre s , fa isa n t face de to u s c ô tés, m a is t é m o i ­
g n a n t p lu s d e c r a in te q u e d ’au dace. Ce spe cta cle é tra n g e,
qui e û t offert les p lu s g r a n d s d a n g e r s si ces a n i m a u x
a v a ie n t e u a u t a n t de c o u r a g e que de voracité, d u r a it
d e p u i s un q u a r t d ’h e u r e ; q u e l q u e s c o u p s de feu en a va ie nt
a b a ttu tr o is et b le ssé p lu s ie u r s , d o n t les cris m ’a v a ie n t
réveillé. Mais il s ’ag issa it de les d é t r u i r e to u s, et, p o u r cela,
il fallait u n e p r o m p t e d éc isio n , de l ’e n t e n te e t s u r t o u t de
la p r u d e n c e , afin d ’é v ite r de s ’e n t r e - t o u c h e r d ’u n tra v e rs
de la p la ce à l ’a u t r e ; c h a c u n d o n n a it so n avis, rie n n e se
te rm in a it, et les lo u p s au m ilie u de l ’e n c e in te s e m b la ie n t
r é s ig n é s a u s o r t qui les a tten d a it.
Enfin, q u a t r e p elo to n s, fo rm é s des p e r s o n n e s a y a n t des
a r m e s à feu, se p l a c è r e n t c o n t r a i r e m e n t aux ang les d e la
p la ce et, à u n signal d o n n é , u n e d é c h a r g e g é n é r a le e u t
l ie u ; tr e iz e de ces a n i m a u x t o m b è r e n t , les b le ssé s h u r ­
l a ie n t d ’u n e m a n iè r e affreu se en se sa u v an t, ainsi q u e le
r e s te d u tr o u p e a u , p a r les o u v e r tu r e s de la p lace, p o u r s u i ­
vis de to u s c ô té s; s e p t to m b è r e n t e n c o re , tu é s à c o u p s de
sa b re , ou a s s o m m é s , et le r e s te g ag n a la c a m p a g n e . Les
vic tim e s, a u n o m b r e de v in g t-tro is, f u r e n t e x p o s ée s s u r la
place a u m il ie u de la jo ie et de l ’h ila r ité g é n é ra le et livrées
e n s u ite au x p a y s a n s q u i les e m p o r t è r e n t p o u r les d é s h a ­
b ille r et e n faire d es f o u r r u r e s . C ette c h a sse s u r p r e n a n t e
et in a tte n d u e t e r m in é e , n o u s p a r t î m e s c h a c u n p o u r n o s
c a n t o n n e m e n t s où n o u s p o r tâ m e s la n o u v e lle de ce fait
i n té r e s s a n t m a is n u l l e m e n t s u r p r e n a n t p o u r les h a b ita n ts ,
qui o n t s o u v e n t l ’h a b i tu d e de s e m b la b le s visites, lo rsq u e
l ’h iv e r e s t a u s si rig o u re u x q u e c e lu i d o n t n o u s é tio n s p a r ­
tagé?,
II
PRÈS DU DUC DE BERRY — LA CAMPAGNE DE 1 7 9 9
P e u de j o u r s a p r è s c e t é v é n e m e n t, u n n ouv el ord re d u
j o u r a n n o n ç a q u e la g u e r r e éta it d é c id é m e n t d éc la ré e et
que l ’A rm ée de Condé ferait p a r tie d u c o n tin g e n t de la
R u s s ie ; il faisait au s si c o n n a îtr e l ’arrivée de MKr le d u c de
B e rry v e n a n t p r e n d r e le c o m m a n d e m e n t de la cavalerie
noble.
Malson m ilitaire de S . A . Jt. M°'' le duc du B erry .
Le c o m te df, Damas-C rux , lie u t e n a n t g é n é ra l, p r e m i e r g e n til­
hom m e.
Le m a r q u is d e Montagnac, p r e m i e r é c u y e r.
Le co m te d e D a m a s , m aréch al de cam p , p rem ier aid e de cam p.
Le com te d e M o i N t s o r e a u , m aréch al de cam p, p r e m ie r aid e de
cam p.
Le ch ev a lier d e L a J a r r e , c o lo n e l, p rem ier aid e de cam p.
Le m a r q u is de S o u r d i s , c o l o n e l , p r e m i e r a id e d e c a m p .
A u guste d e La F e r r o n .n ays *, o rd on n an ce p erm a n en te.
H ippolyte d ’E s p i . n c h a l , ord on n an ce p erm a n en te.
Le d octeu r A my, p r e m ie r m é d e c in . .
M6*' le d u c de B e rr y avait a lo rs vin g t a n s ; petit, d ’une
ligure ag ré able , le c a r a c tè r e vif, u n p e u e m p o r t é , le c œ u r
1. Le même qui plus tard fut ministre des Affaires étrangères et
ambassadeur en Russie, mort en 1843.
18
SOUVENIRS
MILITAIRES,
ex c ellent, trè s c o u ra g eu x , d ’u n e g r a n d e gén é ro sité , a i m a n t
b e a u c o u p les a rts, s u r t o u t la m u s i q u e , et j o u a n t de la flûte
d ’u n e m a n iè r e assez r e m a r q u a b le ,
p a r l a n t l’anglais et
l ’ita lie n avec la p lu s g ra n d e facilité, m a is p a s s io n n é s u r ­
to u t p o u r l ’é t a t m ilitaire. La fave ur in sig n e d o n t n o u s
v e n io n s d ’ê tre h o n o r é s , A u g u ste et m oi, éta it d ’a u t a n t p lu s
flatteuse, q u e n o tr e service c o n s is ta it à n e ja m a i s q u itte r
le p r in c e , à m a n g e r à sa ta b le , à l ’a c c o m p a g n e r p a r to u t , et
à ê tre enfin p r è s d e lui les r e p r é s e n t a n t s de la Cavalerie
n o b le d o n t n o u s p o r tio n s l’u n if o rm e .
Le q u a r t i e r g é n é r a l de S. A. R. était à L o k atsch i, d istan t
d ’H orodlo de cinq lie u e s , où, p a r su ite de l ’e x trê m e bo n té
du p r in c e , il m ’était p e r m i s d ’a lle r q u e lq u e fo is lo r s q u ’il
e u t c o n n a is s a n c e de m e s r a p p o r ts avec la fam ille S tr o y ­
n o w s k y . T ous les se ig n e u r s p o lo n a is de la c o n t ré e s ’e m ­
p r e s s è r e n t de ven ir lui p r é s e n t e r le u r s h o m m a g e s , en le
p r ia n t de v o u lo ir b ie n les h o n o r e r de sa p r é s e n c e ; au s si
é ta ie n t- c e d es fêtes c o n tin u e lle s , où n o u s f û m e s à m ê m e
d ’a p p r é c ie r le lu xe, la m ag n ifice n ce des s ta ro s te s et la
g râ c e a u s s i b ie n qu e la b e a u té des P o lo n ais es.
D ans les p r e m i e r s jo u r s de d é c e m b re , M onseigneur,
a y a n t r e ç u u n e le ttre d u p r in c e de Condé, p a r ti t a u s s i­
tô t p o u r D u b n o w , ac c o m p a g n é de MM. de N antouillet,
S o u rd is , A u guste d e la F e r r o n n a y s et m o i ; nos équip ages
c o n s is ta ie n t d a n s tr o is tr a în e a u x c o u v e rts, c o n d u its c h a ­
c u n p a r tro is p e tits c h e v a u x de front, r e la y é s to u te s les
d e u x h e u r e s et m a r c h a n t avec la vélocité la p lu s s u r p r e ­
n a n t e . D u b n o w , ca p ita le de la V olhyn ie, e s t u n e ville c o n ­
s id é ra b le r e n f e r m a n t u n ancien ch â te a u , alo rs la résid e n c e
d u p r in c e de Condé et de la p r in c e s s e de Monaco, d ans
le q u e l n o u s tro u v â m e s le d u c d ’E nghien a r r iv a n t d e p u is
la veille de S a in t- P é te r s b o u r g . Les q u a tre jo u r s q u e n o u s
p a s s â m e s à D u b n o w fu re n t e m p lo y é s , le m a tin , d an s des
V O YA G E A D U B N O W . -
1199.
19
co u rse s, et, les so iré e s, chez la p r in c e s s e q u i d aig n a m e
faire l ’accu e il le p lu s g ra c ie u x et m e d o n n a d e s n ouvelles
r é c e n te s de m o n p è r e avec qui elle éta it en c o r r e s p o n ­
danc e. N otre r e to u r à L o k atsch i, fut m a r q u é p a r u n évé­
n e m e n t d o n t les s u ite s p o u v a ie n t d e v e n ir des p lu s d é s a s ­
tr e u s e s à A u gu ste , ainsi q u ’à m o i, s a n s le s e c o u r s de la
P ro v id e n c e qui n o u s tir a d ’u n d a n g e r im m in e n t .
Le d é p a r t avait été fixé p o u r six h e u r e s d u m a tin , afin
d ’a r r iv e r à L o k a ts c h i av a n t la n u i t ; m a is, r e ta rd é s p a r tr o is
t r a î n e a u x qui d e v a ie n t m a r c h e r avec n o u s, p o r t e u r s de
s o m m e s d ’a r g e n t c o n s id érab les,
nous ne pûm es nous
m e t t r e en r o u te q u ’à h u it h e u r e s , p a r u n e g elée de 28 d e ­
g r é s : le t e m p s était clair et p u r , le tra în a g e facile, ce qui
r e n d a it ra p id e la m a r c h e de n o s six tr a în e a u x en file, les
u n s d e r r iè r e les a u t r e s : celui d u p r in c e e n tê te, La F e r r o n n a y s et m o i, to u t à fait d e r n ie rs , s u iv a n t ceux q u i p o r ­
ta ie n t l ’a rg e n t. N ous m a r c h â m e s ainsi, av e c u n e vitesse
ex tra o rd in a ir e , j u s q u ’à d e u x h e u r e s ap rè s m idi, où n o u s
tr o u v â m e s d a n s u n village les c he v aux d u tr o is iè m e relai
qu i n o u s a tte n d a ie n t, n ’a y a n t é p ro u v é d 'a u tr e s d é s a g r é ­
m e n t s q u ’u n froid e x c essif d o n t il n o u s était im p o s sib le de
n o u s g ara n ti?, les tr a în e a u x é ta n t o u v e rts p a r d ev a nt, sans
a u c u n e p o ssib ilité de les fe r m e r . Vers les q u a t r e h e u r e s ,
le ciel s ’o b s c u r c it p r e s q u e s u b i t e m e n t ; u n e neig e c o m ­
pac te to m b a avec u n e telle violence q u e la te r r e s ’e n tr o u v a
c o u v e rte e n p e u d ’in s t a n ts à plus d ’u n p ie d d ’é p a is s e u r :
c’é ta it u n de ces o u r a g a n s q u e les h a b i ta n t s d é s ig n e n t sous
le n o m de « rafales de la m o r t » p a r les sin istr e s q u ’ils
o c c a s io n n e n t l o r s q u ’on y e s t exposé. C e p e n d a n t n o u s m a r ­
ch io n s to u jo u r s, faute de gîte p o u r n o u s a b r ite r , s e rr é s
les u n s d e r r iè r e les a u t r e s , sa n s n o u s p e r d r e de vu e dans
la cra in te de n o u s ég a re r s u r ce lin c eu l blan c sa n s fin,
sa n s c o n tra ste , r e c o u v r a n t des fossés, d e s préc ip ice s ina*
aO
SOUVENIRS
MILITAIRES.
p e r ç u s , des r u is s e a u x , d e s riv iè re s, des lacs gelés s u r
le sq u e ls n o u s p a s s io n s r a p i d e m e n t avec la c o n tin u elle in ­
q u ié tu d e de n o u s e n g lo u tir d a n s q u e lq u e fo n d riè r e d o n t
il e û t été p r e s q u e im p o s sib le de p o u v o ir so r tir . A ce tte
s itu a tio n critiq u e se jo ig n a it l’affreux d é s a g r é m e n t d ’être
obligé à t o u t i n s t a n t de r e j e t e r la n e ig e q u i s ’en gou ffra it
d an s n o s v o itu r e s et pouvait finir p a r n o u s étouffer. E n
o u tr e l ’o b s c u rité arriv ait, ne la issa n t à n o s c o n d u c te u r s
d ’a u t r e s m o y e n s p o u r c o n d u ire le u rs c h e v au x q u e de les
a b a n d o n n e r p r e s q u e a u h a s a r d sa n s p o u v o ir p ré c is e r ,
p o u r a rriv e r à L o k atsch i, le tr a j e t q u e n o u s a vions e n c o r e à
p a r c o u r ir ; a u ssi, é tio n s - n o u s , c h a c u n d a n s n o s tra în e a u x ,
liv ré s à la p lu s g r a n d e anxiété, l o r s q u e to u t à co u p les
c h e v a u x q u i n o u s c o n d u is a ie n t, La F e r r o n n a y s et m oi, se
p e lo to n n e n t , s ’e n f o n c e n t d a n s la neige, en f a isa n t c u l b u te r
n o tr e tr a î n e a u d a n s u n trou. Relevés p r e s q u e a u s s itô t,
m a is d a n s le p lu s g r a n d e m b a r r a s , n ’a y a n t de se c o u r s
à a t te n d r e q u e de n o s six b ras, ce
n e fut q u ’à force
d ’efforts, de travail, q u e n o u s p a r v în m e s à n o u s m e t t r e
en é ta t de m a r c h e r . Mais, ce te m p s p e r d u p o u v a it d e v e n ir
f u n e ste : les tra în e a u x qui n o u s p r é c é d a ie n t, i g n o r a n t n o t r e
d é s a s tr e , c o n t in u a ie n t le u r m a r c h e rap id e , n o u s la issa n t
d a n s u n e s itu atio n d 'a u ta n t p lu s c ritiq u e q u e, la neige
c o n t in u a n t de to m b e r avec la m ê m e violence, le tr aîn ag e
se tr o u v a it a u s s itô t co u v e rt, et il n o u s d e v e n a it i m p o s ­
sible de su iv re d ’u n e m a n iè r e ex a c te la m a r c h e du convoi,
im p o s s ib ilité à la q u e lle se jo ig n a it la c ra in te de n o u s
en g lo u tir d a n s q u e l q u e p ré c ip ic e , et p e u t - ê t r e a u s si de
r e n c o n t r e r d e s lo u p s, d o n t n o u s e n t e n d io n s les h u r l e ­
m e n t s d a n s le lo in ta in . C e p en d a n t, le te m p s s’écoulait.
La n u i t arrivait, s o m b r e , o b s c u re , n ’a y a n t d ’a u t r e clarté
qu e la r é v e r b é r a tio n de la n e ig e , t r o m p e u s e lu m iè r e , qui
p o u v a it n o u s é g a r e r ; le froid g ag n a it n o s m e m b r e s pen-
V O Y A G E A D U B N O W . — 1799.
21
d a n t cette in d é c is io n ; il fallait d onc s o r tir de ce tte cruelle
e t p é n ib le situ atio n , car, r e s t e r en p lace, c ’était u n e m o r t
in é vita ble ; m a r c h e r a u h a s a r d offrait au ssi de g ra n d s
d a n g e rs, m a is, a u m o in s , il y avait c h a n ce de salut, et n o u s
l ’a d o p t â m e s p r o m e t t a n t a u j u i f qu i n o u s c o n d u is a it u n e
b o n n e r é c o m p e n s e en a r r iv a n t en ville. S tim u lé p a r cet
ap p â t, il r e p r it c o u ra g e , n o u s engagea à a t te n d r e q u e l­
q u e s in s ta n ts p e n d a n t q u ’il ir a it r e c o n n a îtr e la r o u te , et
s ’éloigna. U n q u a r t d ’h e u r e s ’é c o u la en vain e atte n te , p u is
u n a u tre ; enfin, tr a n s i s de froid, n e sa c h a n t à quoi a t tr i­
b u e r c e tte lo n g u e a b s e n c e qui, à c h a q u e in s t a n t, d eve nait
p lu s d a n g e r e u s e , n o u s a p p e lâ m e s à g r a n d s cris et finîm es
p a r d é c h a r g e r n o s pisto lets, afin q u e le b r u i t p û t n o u s
faire re c o n n a îtr e , dan s le cas o ù ce m a l h e u r e u x se se ra it
égaré.
C ep en d a n t, n e le v o y a n t p o in t a rr iv e r , n o u s p r îm e s la
d é t e r m in a tio n de p a rtir, c o n v e n a n t de c o n d u ire les c h e ­
vaux t o u r à t o u r afin de n o u s réc h au ffe r dans nos f o u rru re s.
A u g u ste se plaça le p r e m i e r s u r le p e tit siège de bois d u
c o n d u c te u r , a ju sta se s r ê n e s et la n ç a l'es'chevaux avec u n e
effrayante ra p id ité , se confiant à le u r in stin ct, n o tr e
seul e s p o ir de salut, e t p r o té g é s p a r ce lte g r a n d e m a sse
de n e ig e qui s u p p o r ta i t n o tr e tr a în e a u en n o u s é c la ir a n t
de so n reflet. Deux fois, n o u s c h a n g e â m e s de place sans
p e r d r e ni co u ra g e, ni gaieté, la issa n t parfois souffler
q u e lq u e s in s t a n ts n o s chevaux, et r e p r e n a n t n o tr e c o u rse
éc h e v e lé e et fa n ta s tiq u e , b o n d is s a n t c o m m e u n navire
s u r les vagues e n c o u r r o u x , f ra n c h is s a n t des fossés et des
obsta cles in a p e r ç u s , m a is a lla n t to u jo u r s , t o u jo u r s , sa n s
p ré v o ir n i le te rm e , ni le r é s u lta t de ce voyage in c e r ta in
et périlleu x . Enfin, s u r les dix h e u r e s , la neig e cessa, le
ciel s ’éc la irc it et n o u s a p e r ç û m e s au loin u n g rand n o m b r e
de feu x s ’a g ita n t d a n s to u s les s e n s ; p r é s u m a n t a u s s itô t
22
SOUVENIRS
MILITAIRES.
q u ’on était à n o t r e r e c h e r c h e , n o u s r e d o u b lâ m e s l ’a r ­
d e u r de n o s p e tits c h e v a u x qui s e m b la ie n t p a r ta g e r n o tr e
e sp o ir, et, n o u s d ir ig e a n t s u r ce p o in t, n o u s n o u s t r o u ­
v â m e s a u b o u t d ’u n q u a r t d ’h e u r e au m ilie u d ’u n e t r e n ­
ta in e de p a y s a n s , p o r t a n t des to r c h e s de b o is ré s in e u x ,
q u e le p r in c e a v a it e n v o y é s à n o tr e d é c o u v e rte , l o r s q u ’il
s ’a p e r ç u t, e n a r r iv a n t à la ville, q u e n o u s n ’é tio n s p a s là,
et fo rt in q u ie t s u r n o t r e sort. Les q u a t r e h e u r e s de r e ta rd
s u r le convoi, u n e n u î t o b sc u rc ie p a r l a neig e in c e s s a n te , le
d é c h a î n e m e n t des v e n ts, u n lac, u n e r iv iè r e q u ’il fallait
tr a v e r s e r et les c o m b le s d an s le s q u e ls n o u s p ouv io n s
d isp a ra ître , av a ie n t fait d ire aux h a b i ta n t s q u e n o tr e sa lu t
d é p e n d a it de n o tr e c o n d u c te u r s ’o r ie n t a n t s u r q u e lq u e s
g r a n d s a r b r e s d o n t il d evait a v o ir c o n n a is s a n c e ; m a is,
l o r s q u ’ils n o u s v ir e n t s a n s lui, et qu e n o u s e x p liq u â m e s
ce q u i s ’é ta it p a s s é , les ju if s p o u s s è r e n t d es cris de d é tre sse ,
c o n s id é r a n t la p e r te de l e u r core lig io n n a ire c o m m e in é ­
vitable. En effet, dès la p o in te d u j o u r , o n f u t à la r e c h e r c h e
de ce m a l h e u r e u x q u e l ’o n tr o u v a m o r t, e n fo n c é j u s q u ’aux
é p a u le s d a n s la neige d o n t il n ’avait p u so r tir , e t n o u s n e
p a r v în m e s à faire c e s s e r l e s c ris l a m e n t a b le s de sa famille
q u ’a u m o y e n d ’u n e s o m m e de 50 ro u b le s a r g e n t (250 fr.)
de d é d o m m a g e m e n t d o n t l ’effet e s t to u jo u r s im m a n q u a b le
s u r la rac e ju d a ï q u e de ce pays.
Au r e ste , cet ép isode, qui p r o d u is it u n e assez vive i m ­
p r e s s i o n s u r nos ca m a ra d e s , n ’e n lit a u c u n e d a n s le p ay s
où ces a c c id e n ts s o n t tr è s f r é q u e n ts , s u r t o u t d a n s les
h iv e rs rig o u re u x c o m m e celui de ce tte a n n é e ; car, tro is
j o u r s a p r è s n o tr e é v é n e m e n t, u n tr a î n e a u , c o n t e n a n t d eu x
fe m m e s , u n e nfa nt e t le c o n d u c te u r , f u t e n g lo u ti d a n s un
c o m b le p r o fo n d d o n t o n ne les r e tira , ainsi q u e les c h e ­
vaux, q u e p lu s ie u r s j o u r s a p r è s . Bien q u e les hiv e rs
f u s s e n t o r d in a i r e m e n t tr è s froids en P o lo g n e , ce tte a n n é e
ENTRÉE
EN
CAMPAGNE.
-
1799.
23
l u t r e m a r q u a b l e p a r u n degré d ’in te n s it é tel q u ’on n ’en
avait p a s v u d e p u is lo n g te m p s , ce q u i n é c e s s ita la s u s p e n ­
sion des exe rcic es m ilita ire s p e n d a n t q u e l q u e te m p s ,
m a is n o n d e s c o u r s e s en tra în e a u x , et des fêtes d o n n é e s
p a r les s e ig n e u r s p o lo n a is ; celle offerte à M«r le d u c de
B e rry p a r le c o m te S tro y n o w sk y , où se t r o u v a i e n t r é u n ie s
p lu s de c in q u a n te j e u n e s f e m m e s , v e n u e s de tr è s loin et
r iv a lisa n t de b e a u té et d ’élégance, f u t d ’u n e r ic h e s s e et
d ’u n e pro d ig alité in c ro y a b les . Le p r in c e , avec sa b o n té
h a b itu e lle , d aigna s ’o c c u p e r de m e s in té r ê ts avec c ha le u r,
m a is n e p u t o b te n ir la r é d u c tio n des d e u x a n n é e s fixées
p o u r m o n u n i o n avec Valérie ; ce tte p e r s is ta n c e m e s e m ­
blait ê tre d ’u n m a u v a is au g u re , s a c h a n t q u e la c o m te s s e
avait c o n lra c té so n p r e m i e r m a ria g e à q u ato rz e ans, et
s u r t o u t p e n s a n t q u e la g u e r r e allait n o u s é lo ig n e r l’u n de
l ’a u t r e e t q u e d e u x ans p o u v a ie n t a m e n e r b ie n des c h a n ­
g e m e n ts .
C e p en d a n t, m e s visites o b te n a ie n t t o u jo u r s le m ê m e
accueil, e t m e s s e r m e n ts d ’u n a m o u r c o n s ta n t étaie n t
p ay é s d ’u n r e t o u r b ie n fait p o u r m e d o n n e r de l’es p é ra n c e .
Ainsi se p a s s a to u t l ’hiv er. Mais, a u r e t o u r d u p r in te m p s ,
les p ré p a ra tif s du d é p a r t de l ’a r m é e p o u r l’A llem agne ne
la is s è re n t p lu s a u c u n d o u te s u r la g u e r r e , e t n o u s n o u s
fu ssio n s m i s e n m a r c h e d a n s le c o u r a n t d ’avril, si la
fo n te des n eig es n ’avait p a s r e n d u les c h e m in s im p r a ti­
cables, a u s s i bie n q u ’u n e alte rc a tio n s u r v e n u e e n t r e la
R u s sie et la Bavière; t o u s ces o b sta c le s levés, l ’A rm ée de
Condé d u t q u itt e r ses q u a r ti e r s le 2 ju i l l e t 1799, p o u r se
d irig e r s u r le R hin e n tr a v e r s a n t la Galicie et la Silésie,
f o r m a n t tro is 'colonnes : la p r e m i è r e a y a n t à sa tê te le
p r in c e de Condé, avec so n q u a r ti e r g éné ral, l ’I n fa n terie
no b le , les h u s s a r d s r u s s e s de B a u e r; la se c o n d e so u s les
o r d r e s d u d u c de Berry, se c o m p o s a n t de la Cavalerie noble,
24
SOUVENIRS
MILITAIRES.
d u r é g i m e n t d ’in fa n te rie D u r a n d e t d e l ’artillerie, e t l a t r o i ­
s iè m e c o m m a n d é e p a r le d u c d ’E n g h ie n , f o rm é e de son r é g i­
m e n t de d ra g o n s, de B o u r b o n in fa n te rie , et de l ’h ô p ita l.
D eux j o u r s av a n t ce d é p a r t, M o n se ig n e u r m ’envoy a à
H o rodlo p r è s d u c o m te d ’A sto rg p o u r lu i p o r t e r l ’o r d re
de se r e n d r e à L ok atsch i avec son e s c a d ro n . Mon arriv ée
fu t le s u je t de la jo ie u n iv e rs e lle p a r l’idée de se r a p p r o ­
c h e r de la m è r e p atrie et l ’e s p o ir q u e c e tte n o u v e lle c a m ­
pagne a u r a it d ’h e u r e u x r é s u lt a ts .
V e rs les onze h e u r e s d u soir, r e ti r é d a n s l 'a p p a r t e m e n t
q u ’o n m ’avait d o n n é a u ch â te a u , j e rêvais a u m o y e n de
p o u v o ir faire m e s a d ie u x à Valérie, lo r s q u e j e vis e n t r e r
c l a n d e s t i n e m e n t la j e u n e Nazitka, sa s œ u r de lait et sa
f e m m e de c h a m b r e . « Bonsoir, m e dit-elle, venez vite co n ­
so le r m a m a îtr e s s e q u e le c h a g r in de vo tre d é p a r t afflige
c r u e lle m e n t. — Mais, ré p o n d is-je , est-ce de sa p a r t q u e
v o u s venez m e c h e r c h e r ? e t sa m è re , si elle m e s u r p re n a it,
n ’au rait-elle pas lieu d ’é tre m é c o n t e n t e ? — Sa m è re , m e
d it avec finesse c e tte c h a r m a n t e fille, elle d o r t d ’u n b o n
s o m m e et n e se réveille j a m a i s av a n t le jo u r . — E h bien!
lu i d is-je en l ’e m b r a s s a n t, reçois ce b a i s e r p o u r ta b o n n e
no u v elle. — Ah! fit-elle en s o u r ia n t, si m a m a ître ss e le
savait. » P u is, je la su iv is; m a is en e n t r a n t d a n s cette
c h a m b r e v irg in a le o ù j e n ’avais j a m a i s p é n é tr é , quelle fut
m a s u r p ris e , m e c r o y a n t a t te n d u , de voir V alérie à m oitié
déshab illée , a ssise s u r u n divan, la tê te a p p u y é e s u r
u n e m a in , e t l ’a u tre te n a n t u n m o u c h o ir qui m e p r o u v a it
q u ’il se rv a it à e s s u y e r ses la r m e s ; m a p ré se n c e , qui lui fit
é c h a p p e r u n p e tit cri d ’effroi, m e m o n t r a q u ’elle n e m ’a t­
t e n d a it pas, et q u e sa s œ u r de lait avait v oulu lui m é ­
n a g e r ce tte s u r p r i s e d a n s la c ro y a n c e de lui ê tre agré ab le ,
ce q u ’elle a v o u a to u t a u s s itô t en se r e ti r a n t e t m e d is a n t :
« U ne d e m i- h e u r e , et pas p lu s. »
ENTRÉE
EN
CAMPAGNE.
— 1 79 9 .
25
Valérie co n fu se , t r o u b lé e , m a is c e r ta in e q u e j'é ta is
é t r a n g e r à ce d élit : « Eh b ie n ! je n e p u is v ous en v o u lo ir
de l ’é lo u r d e r i e de Nazitka, m e dit-elle, e n m e t e n d a n t la
m a in , m a is il f a u t vous r e ti r e r , c a r ce tte im p r u d e n c e p o u r ­
ra it n o u s d e v e n ir fatale; m a is, croyez q u e la p r o m e s s e de
m e s p a r e n ts , d ’a c co rd avec m o n cœ u r, s e ra to u jo u r s p r é ­
se n te à m a p e n s é e , et v o tre r e t o u r le p lu s h e u r e u x m o ­
m e n t de m a vie. » P u is , se lev ant, elle f u t c h e r c h e r d a n s u n
p e t it coffret u n a n n e a u q u ’elle m it à m o n doigt : « Voilà,
m e d it-e lle, ce q u e je v o u s d e s tin a is d e p u is lo n g te m p s ,
vou s y verrez n o s d e u x n o m s ré u n is. M ainten ant, adieu,
Ilip p o ly te ! s é p a r o n s - n o u s et e s p é r o n s dan s u n a ve nir q u e
j e ne cesserai de d é s ire r , et d o n t la réalité se ra le plu s
h e u r e u x j o u r de m a vie! »
P r o f o n d é m e n t é m u de ces d o u c e s p a r o le s a u x q u e lle s
était jo in te l ’ex p re ssio n de ses beaux y e u x b le u s lim p id e s
de c a n d e u r et do naïv eté , j e p r e ssa i V alérie s u r m o n c œ u r
e t la q u ittai, e m p o rta n t d a n s m o n â m e u n s o u v e n ir de
b o n h e u r ineffaçable.
La co lo n n e, so u s les o r d r e s d u du c de Berry, était entiè­
r e m e n t r é u n ie à L ok atsch i p o u r en p a r ti r le le n d e m a in , e t
u n g r a n d d în e r avait lieu chez le p r in c e , lo r s q u e , t o u t à
c o u p , les t a m b o u r s b a t ta n t le ra p p e l, les cloches d es diffé­
re n te s p a r o is s e s s ’é b r a n la n t v io le m m e n t s e m b le n t ê tre le
p r é c u r s e u r de q u e l q u e g ran d d é s a stre ; e n effet, les cris d é ­
c h ira n ts de la p o p u la tio n c o u r a n t çà et là fo n t b ie n tô t
c o n n a îtr e q u ’un des q u a r ti e r s de la ville est en p r o ie à u n
in c e n d ie ép o u v a n ta b le , q u i, o c c a s io n n é par l ’im p ré v o y a n c e
d ’u n ju if, d o n t les m a g a sin s s o n t r e m p l is de b a llo ts de
la ine, de c oton, p lu s i e u r s barils d ’eau-de-vie e t a u tre s
m a tiè re s in fla m m ab les, fait des ravages affreux; en m o in s
de d e u x h e u r e s , vingt m a is o n s , p r e s q u e to u t e s e n bois,
so n t e n t i è r e m e n t c o n s u m é e s , m a lg ré les efforts de la tr o u p e
SOUVENIRS
26
MILITAIRES.
qui p a r v ie n t c e p e n d a n t à e m p ê c h e r l ’e n t iè r e d e s tr u c tio n
de la ville.
Le p rin ce , p r o f o n d é m e n t to u c h é de ce tte affreuse cata­
s tr o p h e q u i f ra p p a it u n si g r a n d n o m b r e d ’in fo rtu n é s,
d o n n a s u r - l e - c h a m p , avec ce m o u v e m e n t si n a t u r e l de sa
g é n é r o s ité , d e u x c e n ts du ca ts, ta n d is qu e les cavaliers,
p o u r im i te r u n si bel e x e m p le , a b a n d o n n a i e n t q uinz e
j o u r s de solde.
Tels f u r e n t le s a d ie u x d e s F ra n ç a is qui e m p o r t è r e n t
b é n é d ic tio n s d e s h a b i ta n t s de ce tte m a lh e u r e u s e cité.
4 ju ille t, n o u s p a s s â m e s le B ug p o u r e n t r e r d a n s
P o lo g n e a u tric h ie n n e . Ne v o u la n t p a s r e tr a c e r to u te s
j o u r n é e s d ’éta p e s qui é t a ie n t d e se p t à h u i t lie u es, je
les
Le
la
les
ne
p a r le r a i q u e d e s e n d r o it s offrant u n in té r ê t particu lie r.
Le 14, n o u s e û m e s u n d o u b le s é jo u r d a n s la p etite
ville de L a n ç u t o ù se tr o u v a it la s u p e r b e r é s id e n c e de la
p r i n c e s s e L u b o m ir sk a , v en u e e x p rè s de V ien n e avec u n e
su ite n o m b r e u s e p o u r e n faire les h o n n e u r s au x tro is
p r in c e s qui y lo g è re n t s u c c e s s iv e m e n t avec le u r suite et
y fu re n t s p le n d id e m e n t tr a ité s . Chasse à c o u r r e , c o m éd ie
e t bal o ù f u r e n t in v ité e s p lu s de c e n t f e m m e s des en v i­
r o n s : telle fut la ré c e p tio n offerte a u d u c de Bcrry.
Le 20, a u t r e s é jo u r à T a r n o w , jo lie ville de la Galicie, où
le p r in c e et sa m a is o n
c o m te T a r n o w sk i, où
les j o u r n é e s n ’é ta ie n t
a m a t e u r de m u s i q u e ,
fu re n t logés d a n s le b e a u palais d u
il y e u t u n e fête su p e rb e . L orsqu e
p a s t r o p fo rte s, M o nse igneur, fort
d o n n a i t q u elq u e fo is d es c o n c e r ts
e x é c u té s p a r lui e t p lu s i e u r s ^ a v a lie rs n o b le s p a r m i le s­
q u e ls se tr o u v a i e n t d e s talents r e m a r q u a b le s .
Le 27, le p r in c e , v o u la n t p rofiter d u s é jo u r qui devait
avoir lie u e n la p etite ville de Bochinia, p a rtit p o u r Cracovie
d is t a n t de h u i t lieues, avec MM. de N an touillet, S ourdis,
L a F e r r o n n a y s et moi, afin d ’aller, d a n s les e n v iro n s, visiter
LES
SALINES
DE
WIELIÇZA.
— 179 9 .
27
les c é lè b re s sa lin e s de W ieliçza, où s a p r é s e n c e était
a n n o n c é e p a r u n o r d re de l ’e m p e r e u r d ’A utrich e. Nous
d e s c e n d îm e s d a n s de v a s te s s o u te r r a in s à u n e p r o fo n d e u r
d é p l u s de six c e n ts pie d s, o ù d es m illie rs d ’h o m m e s tr a ­
v aille n t d ep u is p lu s i e u r s siècles à l ’extraction d u sel.
N ous d e s c e n d îm e s dan s les en tra ille s de la te rr e s u r de
p e tits sièg es de sangle a t ta c h é s a u t o u r d ’u n e c o rd e fort
g r o s s e ; cin q p e r s o n n e s p e u v e n t y d e s c e n d re à la fois. Il
f aut tro is m i n u t e s p o u r arriv er a u p r e m i e r étage, il y en
a tro is. Au second étage, se tro u v e u n e assez g r a n d e c h a ­
pelle où to u t e s t e n sel, l ’au tel, les o r n e m e n ts , ainsi qu e
d e u x m o in e s qui o n t l ’air de dire la m e sse . On y v oit au ssi
des bas-reliefs, d es s ta tu e s te lle s q u e celles de l ’e m p e r e u r
S ig ism o n d , de sa in t L ouis, d u roi de P o lo g n e A uguste, et
n o m b r e d ’a u t r e s . E n a r r iv a n t au d e r n ie r étage, se t r o u v e n t
d ’i m m e n s e s galeries, des salons avec d e s c o lo n n e s a r c h i­
te c tu r a l e s d ’u n travail ad m ira b le , des m e u b le s , des sièges,
des m o n u m e n t s en to u s g e n r e s en sel cristallisé, qui p r o ­
d u is a ie n t u n effet d ’a u t a n t p lu s m a g iq u e , q u e des m illiers
de b o u g ie s s u s p e n d u e s à d es l u s t r e s de c ristau x se reflé­
ta ie n t s u r to d s les m u r s et les co lo n n es d ia m a n t é e s ;
c e tte illu m in a tio n fé e riq u e , qui n ’a lie u ja m a i s q u e p o u r la
fam ille im p é r ia le , avait été o r d o n n é e p a r l ’e m p e r e u r en
f a v e u r d u d u c de Berry, ainsi q u ’u n e b rilla n te m u s i q u e ,
d o n t les effets e n c h a n t e u r s s o n t difficiles à décrire.
E nfin, p o u r a j o u te r à to u s ces p r e s tig e s ino u ïs, t o u t à
co up se p r é s e n ta , dan s n o s c o u r s e s so u te rr a in e s , s o u s ces
v o û te s i m m e n s e s , un lac p r o fo n d s u r le q u e l n o u s n o u s
e m b a r q u â m e s , to u jo u r s aux so n s m é lo d ie u x de la m u s iq u e ,
et ce fut a p r è s cinq h e u r e s de p a r c o u rs d a n s ce lieu de s u r ­
p r is e s , d ’é t o n n e m e n t et d ’a d m ir a tio n , q u e n o u s s o r tîm e s
de ce palais e n c h a n té , c ro y a n t av o ir fait u n rêve des Mille
et u n e n u its . Nous f û m e s e n s u ite v isiter Cracovie, ville
28
SOUVENIRS
MILITAIRES.
c o n s id érab le, r e n f e r m a n t p lu s ie u r s palais, u n c h â te a u fort
et u n e p o p u la tio n n o m b r e u s e .
Le 30, le p r in c e et sa su ite lo g è re n t à Kalvaria, d an s le
b e a u c h â te a u d u p r in c e C z arto ry sk y , s itu é s u r le h a u t d ’une
m o n ta g n e où se tr o u v e a u s s i u n m a g n ifiq u e c o u v e n t de
f ra n c is c a in s q u e n o u s f û m e s v isiter.
Le 6 a o û t, logé en la ville de T e t s c h e n ; le c o m te de
W r a rlo w itz offrit le s o ir u n bal m agnifique.
Le 18, L e n to m is c h e l, o ù se tro u v e u n fort b e a u c h â te a u
a p p a r t e n a n t a u c o m te W a l d e s t e i n q u i, n o n s e u l e m e n t ne
l ’offrit po in t au p rin ce , m a is ne v int pas m ê m e le saluer.
D ans la j o u r n é e d u 20 se p a s s a u n e sc è n e qui r e s te r a à
ja m a i s gravée d a n s le c œ u r de c e u x qui en f u r e n t té m o in s
et q u i p r o u v e les n o b le s s e n tim e n ts d o n t é ta it a n im é n o tre
prin c e .
La veille, S. A. R., p a s s a n t c o m m e d ’h a b itu d e l’insp e ctio n
d u r é g i m e n t , a d r e s s a d e s r e p r o c h e s d u r s et sé v è r e s au
c h e v a lie r de Y... s u r la n égligence de sa t e n u e ; celui-ci,
p r o f o n d é m e n t ble ssé de m o ts q u ’il c r o y a it flétrissants,
r e m i t so n s a b re d a n s le f o u rr e a u avec u n e ex p re ssio n de
co lère qu e le p r in c e fit s e m b la n t de n e p a s voir, et il a p p rit
d a n s la so irée q u e l’i n te n tio n d u ch e valier était de d o n n e r
sa d ém issio n . Le le n d e m a in , la co lo n n e é t a n t en m arcjie,
le p r in c e fit a p p e le r le che valier de Y ... et, suivi du m a r ­
q u is de M ontagnac, e n t r a d a n s u n p e tit bois n o n loin de la
r o u te , m it pied à te rr e , d is a n t a u che valier de l ’im ite r, ôta
s o n h a b it, et tir a n t so n s a b re : « M onsieur, dit-il, m e voilà
t o u t p r ê t à v o u s d o n n e r satisfac tio n de l ’in ju re q u e v ous
croy e z av o ir r e ç u e e t q u i n ’é ta it n u lle m e n t d a n s m o n
in te n tio n . » Le chevalier, on n e p e u t p lu s to u c h é de cette
loyale d éc la ra tio n : « Non, M onseigneur, rep rit-il, to u t m o n
sa n g e s t à vous, et j ’au ra is h o r r e u r d ’être ex p o sé à faire
c o u le r le vôtre. » Le prince, v iv e m en t é m u , je t t e son a rm e ,
MARCHE
MILITAIRE
EN
AUTRICHE.
— 1799.
29
e m b r a s s e le ch e v alier e t r e v ie n t jo y e u x à la tê te de son
r é g im e n t o ù b ie n tô t cet é v é n e m e n t, c o n n u de to u te la
tr o u p e , p r o d u i s i t u n e vive im p r e s s io n et u n e a d m ir a tio n
gén é rale .
Le 23, n o u s c o u c h â m e s à Kollin, o ù le p r in c e v o u lu t
v isiter le te rr a in s u r le q u el F ré d é ric , roi de P r u s s e , p e r d it
en 1757 ce tte cé lè b re b ataille c o n tre le m a ré c h a l Daun.
N ous a r r iv â m e s le 27 a o û t à P ra g u e, cette cé lè b re et a n t iq u e
ville, ca pitale de la B o h ê m e , qui se p r é s e n ta de loin à nos
r e g a rd s avec un e foule de c lo c h e rs et de m o n u m e n t s
re m a r q u a b le s . La Cavalerie noble, d a n s u n e te n u e belle et
sévère, m a r c h a n t en c o lo n n e p a r q u a t r e , était pré c é d é e
d ’u n e b o n n e et s o m p t u e u s e m u s i q u e , p a r m i laquelle se
faisait r e m a r q u e r un p etit nèg re , c o u v e r t d ’or, placé e n tre
d eu x tim b a le s g arn ie s de c r é p in e s d ’o r de g r a n d e b ea u té ,
avec le s a r m e s de F ra n co en relief, b r o d é e s, disait-on, p a r
l'im p é ra tr ic e de R u s s ie ; v e n a it e n s u ite le du c de Berry
suivi de so n brilla n t cortèg e.
A u n e lieue de la ville, se p r é s e n ta le g én é ral a u tric h ie n
de Moitel, envoyé à sa r e n c o n tr e p a r l e c o m te d ’A p p o n co u rt,
c o m m a n d a n t g é n é r a l e n l’a b s e n c e de l’a r c h id u c Charles,
g o u v e r n e u r de la B ohêm e.
N ous tr o u v â m e s , à la p r e m i è r e b a r r iè r e , les ém ig ré s
fra n ça is d o m ic iliés à P ra g u e , qu i s ’é ta ie n t r é u n is p o u r
p r é s e n t e r au p rin c e le u rs h o m m a g e s . A ussitôt ap rè s, n o u s
r e m e tta n t en m a rc h e , c in q u a n te c o u p s de can ons s a lu è r e n t
n o tr e e n tré e d a n s la ville e n h o m m a g e à la n o b le s s e fidèle;
n o u s la tr a v e rs â m e s d a n s to u te sa lo n g u e u r, p r é c é d é s p a r
u n d é t a c h e m e n t de h u la n s a u t r ic h ie n s q u i n o u s f ra y a it u n
p assage au m ilieu de la p o p u la tio n a g g lo m é r é e d a n s les
r u e s ; les fen ê tre s, les b a lc o n s, des g ra d in s s u r les places,
p r in c ip a le m e n t celle du p alais im pé rial, é ta ie n t g a rn is de
d a m e s ag itan t le u r s m o u c h o ir s a u m ilieu des p lu s vives
80
SOUVENIRS MILITAIRES.
a c c l a m a tio n s ; m a is ce qui s u r t o u t p r o d u is a it u n e g ra n d e
s e n s a ti o n , c ’é ta it de voir, d a n s n o s ran g s, d es ch evaliers de
S aint-L ouis, de Saint-L azare, des c o m m a n d e u r s et g ran d
n o m b r e de ch e v aliers de Malte, des h o m m e s de t o u t âge,
vieux, je u n e s , et m ê m e des en fa n ts de q u in z e à seize a n s,
to u s le r e g a rd fier et satisfait, sa n s m o n t r e r la m o in d re
fatigue, m a lg r é u n e . r o u te de d e u x c e n ts lie u e s p ar des
ch a le u rs excessives.
Arrivé d e v a n t le p alais im p é ria l, m is à la disp o sitio n d u
p r in c e et de sa suite, S. A. R. m it p ie d à t e r r e , afin de r e c e ­
voir les a u t o r i té s civiles et m ilita ire s , ta n d is q u e la cava­
le rie n o b le c o n t in u a i t sa m a r c h e p o u r a lle r p r e n d r e ses
q u a r ti e r s d a n s les fa u b o u r g s de la ville.
Ce m ê m e j o u r , M o n se ig n eu r d o n n a u n g r a n d d în e r a u
G rand b u rg ra v e, p r e m i e r m a g is tr a t de P ra g u e , au x offi­
cie rs g é n é r a u x a u tric h ie n s et français de so n co rp s et à p lu ­
s ie u rs é m ig r é s de m a r q u e , au n o m b r e d e s q u e ls se tro u v a it
Mgr de S ab ra n , év ê q u e de L aon, a n c ie n p r e m i e r a u m ô n ie r
de la R e in e ; m a is , ce qui f ra p p a p lu s p a r ti c u liè r e m e n t les
A lle m a n d s , c’était de voir, à ce tte m ê m e table, u n m a ré c h a l
d es logis, u n b r ig a d ie r et d eux cavaliers n o b le s, h a b i­
tu d e c o n tra c té e p a r le p rin c e d e p u is le p r e m i e r j o u r de
m a rc h e .
Le le n d e m a in , la ville offrit à S. A. R. un bal m a g n ilique, à la so r tie d u spectacle, o ù il avait été obligé de
p a r a îtr e p o u r sa tisfaire à l’e n t h o u s ia s m e p ublic.
L ’a rriv é e d u d u c d ’E n g h ie n p r é c é d a n t sa c o lo n n e de
d e u x jo u r s , q u i v in t a u s si h a b i te r le palais avec ses
aid es de ca m p , fut u n n o u v e a u m o ti f de fêtes et de plai­
sirs. Ce b e a u m a n o ir se m b la it a p p a r t e n i r à la F ra n c e : par
u n e délicate a tte n tio n de l ’e m p e r e u r d ’A utriche, to u s les
valets de p ie d p a r la ie n t n o tr e la n g u e, et, de p lu s, u n c h a m ­
bellan avait été m is à la d isp o sitio n d u p r in c e avec l ’o rd re
PA SSA G E
A P R A G U E . — 1T99.
31
de r e p r é s e n t e r r o y a l e m e n t so n s o u v e ra in et a lle r a u - d e v a n t
de to u s se s désirs.
* Le soir de ce jo u r , le p alais r e s p le n d is s a it de lu m i è r e s ;
u n o r c h e s tr e n o m b r e u x , q u a n tité de d a m e s p a r é e s de le u r
b rilla n t c o s tu m e e t de le u r s a t tr a its , u n e fou le d ’officiers
a u tr i c h ie n s , de c a v aliers n o b le s et de p e r s o n n e s d is t in ­
g u ée s de la ville g a r n is s a ie n t le s s o m p t u e u x sa lo n s de ce
palais, d a n s le sq u e ls on d a n s a j u s q u ’à m i n u i t q u e fut servi
u n sp le n d id e s o u p e r a p r è s leq u el le bal c o n tin u a j u s q u ’à
cin q h e u r e s d u m a tin.
D ans la jo u r n é e suiva nte , les p r in c e s v is itè r e n t p lu s i e u r s
é ta b li s s e m e n ts r e m a r q u a b le s e t p a s s è r e n t la r e v u e d ’u n
b e a u r é g im e n t de c h e v a u - lé g e r s a u t r i c h ie n s p a r t a n t p o u r
l ’a r m é e ; p u is, de làj se r e n d i r e n t avec to u te l e u r m a iso n
m ilita ire chez le c o m te d ’A p p o n c o u r t où les a t te n d a it un
sple n d id e r e p a s suivi d ’u n bal m a g n iiiq u e .
Ces fêtes d u r è r e n t q u a tre j o u r s , sa n s d is c o n tin u e r, lais­
sa n t d a n s l 'e s p r it des h a b i ta n t s u n p r o fo n d souve nir, et un
s e n tim e n t de r e c o n n a is s a n c e d a n s le c œ u r des p r in c e s qui
en f u r e n t l’objet.
Le 30, a u m o m e n t o ù M o n se ig n eu r q u itt a it le palais
p o u r a lle r se m e ttr e à la tê te de la cavalerie n o b le en
b ataille h o r s de la ville, le ch a m b e lla n de l’E m p e r e u r lui
p r é s e n ta d e u x s u p e r b e s c h e v a u x m a g n ifiq u e m e n t c a p a r a ­
ç o n n é s, au n o n i de son m a îtr e , ainsi q u ’u n e le ttr e r e m p lie
des tém o ig n a g es les p lu s affectueux.
Le d é p a r t de la Cavalerie n o b le fut, ainsi q u e so n en tré e,
sa lu é e de vin g t e t u n c o u p s de c a n o n . N ous c o n tin u â m e s
n o tr e m a r c h e p a r étapes, d a n s la direc tio n des a r m é e s
r u s s e et a u t r i c h ie n n e d éjà au x p r is e s avec les F ra n ç a is.
N ous m îm e s h u i t jo u r s p o u r a rr iv e r à R a tisb o n n e où se
trouvait u n n o m b r e c o n s id érab le d ’é m ig r é s v e n u s p o u r se
jo in d r e à l ’A rm ée de C ondé; il en fut de m ê m e à A u g sb o u rg
32
SOUVENIRS
MILITAIRES.
où n o u s a r r iv â m e s en s e p t j o u r s ; le le n d e m a in , en n o u s
d ir ig e a n t s u r le M einingen, n o u s t r a v e r s â m e s le fu n este
c h a m p de b ataille d ’O b erk a m la c h , a r r o s é des flots de sang
des C h a sse u rs n o b le s, le 13 a o û t 1796.
Le 27 s e p te m b re , n o u s e n t e n d îm e s , en a r r iv a n t à la p etite
ville de W u r s a c , u n e vive c a n o n n a d e d a n s la d irec tio n de la
Suisse, ce qui n o u s p r o u v a l’a p p r o c h e d u b u t a u q u e l n o u s
te n d i o n s ; e n effet, le le n d e m a in , le p r in c e , en p a s s a n t la
r e v u e de la cavalerie, a n n o n ç a q u 'a v a n t p e u n o u s v e rrio n s
l ’e n n e m i et p r it to u te s les d is p o s itio n s n é c e s s a ir e s à cet
ég a rd . Ce m ê m e jo u r , il n o u s fit, à La F e r r o n n a y s et m oi,
c a d e a u d ’u n ch eval d a n s la p en sée q u ’avec u n seul n o u s
p o u r r i o n s diflic ile m en t faire le serv ice p r è s de sa p e r s o n n e ,
et, p a r s u r c r o ît de b o n té , il a u t o r i s a q u e n o s d eux d o m e s ­
tiq u e s p o r ta s s e n t la livrée de sa m a is o n . Dans la n u i t du
30 s e p te m b r e , u n aide de c a m p du p rin c e de Condé a p p o r ta
à M o nse ign eur la triste no u v elle de la c o m p lè t e défaite du
g én é ral r u s s e , p r in c e Korzakoff, c u l b u té à Z u rich p a r l ’a r ­
m é e d u g é n é r a l M a sséna e t c o n t r a in t de se r e t i r e r d e r r iè r e
le R h in , p r è s Schaffouse. P a r su ite de ce grave é v é n e ­
m e n t, le p rin c e de Condé d u t p r e n d r e p o sitio n avec so n
a r m é e p r è s le b o u r g de B o d e m a n n et les b o r d s du lac de
C o n s ta n c e , e n o c c u p a n t ce tte ville avec d e u x bataillons.
B ientôt a tta q u é p a r d es forces s u p é r ie u r e s , on s ’y b a ttit avec
a c h a r n e m e n t a u m o y e n d es r e n f o rts env o y é s p a r le p r in c e ;
d e u x fois la ville f u t p r is e , et r e p r is e d e u x fois, et sa n s le
c o u r a g e s u r h u m a i n d u d u c d ’E ng hien, u n e p a rtie de no tre
in fan terie y e û t su c c o m b é , les A u tric h ie n s ne p o u v a n t
p o r t e r a u c u n s e c o u r s , se v o y a n t e u x - m ê m e s d é b o r d é s
d a n s le u r p o s itio n ; c e tte m a l h e u r e u s e échaulTourée, qui se
t e r m i n a p a r la r u p t u r e du p o n t s u r la poin te d u lac, coû ta
à n o tr e a f m é e la m o r t de 250 h o m m e s et g r a n d n o m b r e
de b le s s é s ; le b ra v e géné ral de S algue, âgé de soixante-
CAMPAGNE
EN
SUISSE.
-
1799.
33
q uinz e ans, y fut t u é ; le g é n é ra l c o m te de V a ub orel b le ssé
g r iè v e m e n t, q u a t r e c a p ita in e s tu é s , s e p t officiers ble ssés,
et le c o m te d u Goulet, aide de cam p du p r in c e de Condé,
p r is o n n ie r. Le d u c d ’E n g h ie n y e u t so n cheval tué s o u s lui
e t so n c h a p e a u percé d e tro is balles. Ce fut d e u x j o u r s a p r è s
ces graves é v é n e m e n ts q u ’a p p a r u t le m a r é c h a l S u w a ro w ,
a r r iv a n t d'Italie avec son co rp s d ’a r m é e d a n s l ’i n te n tio n
d ’u n e n v a h is s e m e n t a u q u e l il f u t c o n t r a in t de r e n o n c e r
e n se m e t t a n t s u r la défe n siv e p o u r rallier les tr o u p e s
d u p rin c e K orzakoff et o p p o s e r u n e vive r é s is ta n c e à la
m a r c h e des F ra n ç a is d o n t le s s u c c è s v en a ie n t de p o r t e r
u n e g ra n d e a tte in te à n o s e s p é ra n c e s. Le p rin c e de Condé,
a y a n t p r is p o sitio n n o n lo in d u village de S la h r in g e n ,
o r d o n n a le 8 o c to b re au du c de B erry de p o u s s e r u n e
r e c o n n a is s a n c e avec sa cavalerie n o b le s u r P e t e r s h a u s e n
o cc u p é p a r d eux b ataillon s fra n ça is, q u a t r e p iè ce s de
c a n o n et u n r é g im e n t de d rag o n s. M o nse igneur, ap e rc e v a n t
l ’e n n e m i e n p o sitio n , r é s o lu t a u s s itô t de l ’a tta q u e r , m a lg ré
so n in fé rio rité et so n m a n q u e d ’infanterie. F o r m a n t sa
t r o u p e s u r d eux lig n e s, se p la ça n t a u c e n tr e et en av a n t
d e la p r e m i è r e , e n to u ré de sa m a is o n et b r a n d is s a n t son
s a b re a u x cris de : Vive le roi ! il ch a rg e avec u n e telle furie
les d r a g o n s q u i v e n a ie n t f r a n c h e m e n t a u -d e v a n t de n o u s ,
q u ’il les c u l b u te , les enfo nc e, les p o u r s u iv a n t p e n d a n t
p lu s de dix m in u t e s , le s a b re d a n s les r e i n s , et p o rte le
d é s o rd r e dan s l ’in fanterie d o n t u n b ataillo n m e t bas les
a r m e s . Ce c o m b a t in sta n ta n é , d o n t le su c cè s fut d û à la
fougue de l ’a tta q u e , co û ta à l’e n n e m i, o u tre so n bataillon
et d e u x piè c e s de c a n o n , 48 d r a g o n s qui r e s t è r e n t s u r le
lie u d u c o m b a t; n o u s e û m e s , de n o tr e côté, le che valier
de R a m b u r e s tu é , onze cavaliers n o b le s b le ssé s p lu s ou
m o in s g r iè v e m e n t e t cinq c h e v a u x tu é s p a r la m itra ille ,
p a r m i le sq u els f u t celui d ’A ug uste de La F e r r o n n a y s qui
34
SOUVENIRS
MILITAIRES.
e u t la tê te c o u p é e e n d eux. N ous g a r d â m e s la p o sitio n
q u i v e n a it d ’être en levé e, r e n f o r c é s p e u a p r è s p a r d e u x
b ataillo n s de c h a s s e u r s n o b le s a r r iv a n t au p a s de c o u r se
n o u s s a c h a n t a u x p r is e s . Dans la soirée, M onseigneur, visité
p a r l e p rin c e de Condé, en r e ç u t to u s les éloges q u ’il m é r i ­
tait, lu i o b s e rv a n t p o u r t a n t que, en v o y é s i m p le m e n t en
r e c o n n a is s a n c e à q u a t r e lie u es de l’a r m é e , il avait été p lu s
h e u r e u x q u e sage. « Ma foi, M o n se ig n eu r, dit le duc de
B e rry, l ’o c c a s io n éta it t r o p b elle p o u r ne p a s la saisir, e t
m e s b raves cavaliers n o b le s n e m e l’a u r a i e n t p as p a r ­
d o n n é . » Le p rin c e , lui p r e n a n t la m a in e n so u ria n t, lui
r é p o n d it avec g râc e : « C’e s t u n e r é p o n s e à la H enri IV, on
n e d o it j a m a i s e n a t te n d r e d ’a u t r e s de son digne petit-fils, »
et il r e t o u r n a d a n s so n ca m p a p r è s av o ir d o n n é ses i n s t r u c ­
tions. Q uelques jo u r s a p r è s ces é v é n e m e n ts , l ’A rm ée de
C ondé fit sa jo n c tio n avec les R u s s e s afin d ’agir de c o n c e r t;
la C avalerie n o b le placée à L an g e n h ag e n , M o n se ig n eu r p r o ­
fita de sa p ro x im ité avec le m a ré c h a l S u w a ro w , qui était à
L in d a u , p o u r lui faire u n e v isite a c c o m p a g n é s e u l e m e n t du
■colonel de S o u rd is , de m o i et d ’u n v a le t de pied. N ous le
tr o u v â m e s , b ie n q u ’il f û t p r é v e n u , dan s l ’a c c o u t r e m e n t le
p lu s g r o te s q u e , r e s s e m b l a n t p lu tô t à u n p a y s a n q u ’à u n
g én é ral en chef, affectant u n e originalité d o n t il savait avoir
la r é p u ta tio n e t m ê la n t à se s m a n iè r e s b r u s q u e s b ea u c o u p
de b o n h o m ie . Dès q u ’il a p e r ç u t le p r in c e , il se leva, le sa lu a
r e s p e c t u e u s e m e n t , le p r it p a r la tê te et le b aisa s u r le front,
le fit a s s e o ir dans u n fau te u il et r e s ta d e b o u t. Cette sc èn e
se p a s s a en n o tr e p r é s e n c e ; n o u s n o u s r e ti r â m e s en su ite
avec le s officiers r u s s e s qui é ta ie n t d a n s le salon, p o u r
la is s e r seuls les d e u x i ll u s tr e s p e r s o n n a g e s . Dans le long
e n t r e tie n q u ’ils e u r e n t et d o n t le p rin c e v o u lu t b ie n n o u s
t e n d r e c o m p te , le m a ré c h a l s’e x p rim a d 'u n e m a n iè r e tr è s
é n e r g iq u e s u r la c o n d u ite d u c a b in e t a u tric h ie n e t des
LE
DUC
DE
BERRY
ET
SUWAROW.
— 1 79 9 .
35
g é n é r a u x j a lo u x d ’ôtre so u s se s o rd re s, e n t ra v a n t ses p r o ­
j e t s e t n e lu i d o n n a n t a u c u n e a s sis ta n c e . « Cette co n d u ite
e s t d ’a u t a n t p lu s inexplicable, ajouta-t-il a u prince, q u e
l’e m p e r e u r d ’A u trich e , té m o in de to u t ce qu e j ’ai fait en
Italie, n e p o u v a it d o u te r d es s u c c è s qui m ’a t te n d a ie n t ici :
e t qu elle n ’a p a s été m a s u r p r i s e et m o n m é c o n t e n t e m e n t
en a r r iv a n t e n S u isse d ’a p p r e n d r e q u e c ’est à l ’in a ctio n
im p a r d o n n a b le des A u tr ic h ie n s q u e le p rin c e K orzakolf
a d û les r e v e r s q u ’il a e s s u y é s à Z urich ! » L o rs q u e le
p r in c e q u itta S u w a ro w , celui-ci lu i d it : « M onseign eur,
c ’e s t le ca b in e t de Y ienne qui n ’a pas v o u lu q u e je v o us
c o n d u is is s e à P a r i s ; p u iss e -t-il u n j o u r r e s s e n t i r les effets
de ce tte c o n d u ite in iq u e et d éloy ale , a u s s i v ais-je d e m a n ­
d e r à m o n m a îtr e q u ’il ra p p e lle ses tr o u p e s ! »
P e u de jo u r s a p r è s ce tte e n tre v u e , l ’a r c h id u c Charles,
in fo rm é d u p r o je t de r e tr a i te du m a ré c h a l, lui en v o y a un
aide de ca m p p o u r l’e n g a g e r à u n e c o n f é re n c e s u r u n plan
de défense.
« Dites à S. A. I. l’A rc hiduc , r é p o n d it S u w a ro w , q u e je
ne c o n n a is p as la défensive, je n e sais q u ’a tta q u e r. J ’irai
e n av a n t q u a n d b o n m e se m b le ra , et alo rs je n ’irai p a s en
S uisse . Je m a rc h e r a i, selon m e s o r d re s, d ir e c te m e n t s u r la
P ra n ch e -C o m té ; dites-lui q u ’à V ienne j e serai à ses pie d s,
m a is q u ’ici je suis au m o in s son égal, il e s t feld -m a ré ch a l,
je le su is a u s s i; il e s t a u se rv ic e d’u n g r a n d e m p e r e u r ,
m o i de m ê m e ; il est j e u n e , e t m oi j e suis vieux. J ’ai ac quis
de l ’e x p é rie n c e à force de v ictoires, et je n ’ai ni conseils,
ni avis à p r e n d r e de qui q u e ce soit, j e n ’en p r e n d s q ue.de
D ieu e t de m o n épée. »
L’o n d o it p e n s e r q u ’a p r è s u n e s e m b la b le r é p o n s e , le
m a ré c h a l a g ira it à sa g u is e ; au ssi, f o rt m é c o n te n t d es g é n é ­
r a u x a u tric h ie n s e t d a n s l’a t t e n t e d ’u n e r é p o n s e de so n
so u v e ra in , il p r it la ré so lu tio n d ’é ta b lir se s t r o u p e s d a n s
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SOUVENIRS
MILITAIRES.
des q u a r ti e r s d ’hiver, la is s a n t aux A u tric h ie n s la s u r v e il­
la n ce de la lig n e d u R hin. Il fut a v e c so n a r m é e dan s les
e n v iro n s d ’A u g sb o u rg et plaça le p r in c e de Condé avec ses
tr o u p e s à L a n d s b e r g s u r le Tech, où n o u s a r r iv â m e s le
7 n o v e m b r e ; ce f u t q u e l q u e s j o u r s a p r è s notre' arriv ée
d a n s n o s q u a r ti e r s q u e d u r e n t c e s s e r to u te s les illusio ns
de m o n b o n h e u r à v e n ir, e n a p p r e n a n t par u n e le ttr e le
m a ria g e de V alérie avec le c o m te T a r n o w s k y , u n des plus
g r a n d s e t r ic h e s s e ig n e u r s de la Galicie. Cette n o u v e lle
m ’affligea d ’a b o r d b e a u c o u p , e n v o y a n t m e s e s p é r a n c e s si
b r u s q u e m e n t d é ç u e s , m a is c o m m e , à dix -n eu f ans, les
im p r e s s i o n s s o n t a u s si p a s s a g è re s qu e vives, je n e ta rd a i
p o in t à m e liv r e r a u x d is t ra c tio n s de m o n âge, et à j o u ir
d ’u n p r é s e n t d o n t je savais a p p r é c ie r t o u t le prix. L’h iv e r
se p a s s a r u d e et sé v è re p o u r m e s p a u v r e s c a m a r a d e s ca n ­
to n n é s d a n s de mauvais, villages, ta n d is q u e M o nse ign eur,
a llan t tr è s s o u v e n t a u q u a r ti e r g én é ral du p r in c e de Condé
à Linz, c h a r m a n t e ville s u r le s b o rd s d u D an u b e , n o u s
e m m e n a i t avec lui p o u r j o u ir d es fêtes sp le n d id e s qui s ’y
d o n n a ie n t.
Ce f u t v e r s la tin de ce tte é p o q u e q u e l’o n c o n n u t la
d éc isio n de l 'e m p e r e u r P aul à l ’égard de l ’A u tric h e , do n t
il p a r a is s a it si m é c o n te n t q u ’il o r d o n n a le r e t o u r de ses
tr o u p e s e n R ussie. A ussitôt le p r i n t e m p s r e v e n u , il v o u lu t
bien, q u o iq u e à r e g r e t, la is s e r l ’A rm ée de Condé c o m m e
so n c o n tin g e n t d a n s la lu tte qui allait s ’o u v rir, m ais
soldé e p a r l ’A ngleterre.
I II
PROJET
DE M A R I A G E D U
VOYAGE
A NAPLES
ET
DUC
DE
B ERRY
A PALERME
Au m ilieu de to u t e s ces c irc o n s ta n c e s , u n é v é n e m e n t
to u t à fait im p r é v u m e fit q u itt e r l ’a r m é e et a b a n d o n n e r
m e s n o m b r e u x am is, d o n t j e d u s m e s é p a r e r avec r e g re t,
m a is p o u r u n a v e nir au s si flatteur q u ’agréab le. Le m ariage
de M*r le d u c de B erry avec u n e p r in c e s s e de Naples avait
é té a r r ê té p e n d a n t l’hiver, e t S. A. 1t., d ev a n t se r e n d r e à
P a le r m e à cet effet, daigna m ’a d m e t t r e a u n o m b r e des
p e r s o n n e s qui d ev a ie n t l ’a c c o m p a g n e r : ce f u r e n t MM. le
c o m te É tie n n e de D am as, le m a r q u i s de S ourdis, le c h e v a ­
lie r de la J a r r e et m oi, ainsi q u e le d o c t e u r Amy, so n
m é d e c in , e t Delleville, son p r e m i e r valet de c h a m b r e , p lu s
d e u x valets de pied, le r e s te d e s éq u ip a g e s d eva nt suivre
à p e tite s jo u r n é e s .
Ce fut le ‘23 m a r s 1S00 q u e n o u s q u itt â m e s l ’a r m é e p o u r
n o u s r e n d r e d ’a b o r d à M unich; n o s é q u ip a g e s c o n s ista ien t
en u n e b e r lin e c o n d u ite p a r q u a tre che v au x de p o ste
o c c u p é e p a r le prin ce, le c o m te de D amas, le che valier de
la J a r r e et le d o c t e u r A my, suivie d ’u n e calèche d a n s
la q u elle se tr o u v a ie n t le m a r q u i s de S o u rd is , m oi et
Delleville, p u is j e s d e u x valets de pie d s u r le siège.
%
V
38
SOUVENIRS
MILITAIRES.
N otre s é jo u r à M unich, q u i n e f u t q u e de tr o is jo u r s , m e
p r o c u r a le b o n h e u r indic ib le d ’y tr o u v e r m a m è r e établie
d a n s u n e ra v is s a n te p etite m a is o n t e n a n t a u palais é le c ­
to r a l q u e l ’É le c te u r av ait fait m e u b l e r e t a r r a n g e r p o u r
elle avec u n e r e c h e r c h e e x trê m e ; ce tte in sig n e faveur p r o ­
v e n a it de la lia iso n in tim e qui existait, ava n t la R é v olu tio n,
e n tre le p rin c e Max des D eu x -P o n ts (depuis é le c te u r et
roi de Bavière), alo rs colonel d 'u n r é g im e n t d ’in f a n te r ie de
so n n o m , e t m o n p è re , colo nel de D a u p h in -d ra g o n s, tous
d e u x e n g a r n is o n à B e sançon ; c e tte in ti m ité é t a it telle, qu e
le p rin c e , e n v e n a n t à P aris, lo g e ait to u jo u r s d a n s l ’hôtel
q u e p o s s é d a it m o n p ère d a n s la r u e des M a thurins.
N otre c o u r t s é jo u r à M unich fut m a r q u é p a r u n s u p e r b e
gala suivi d ’u n m a gn ifiq ue c o n c e r t offert p a r l’É le c te u r, et
u n e soirée chez m a m è re , h o n o r é e de la p r é s e n c e d u prince,
o ù se tr o u v è r e n t r é u n is g r a n d n o m b r e d ’é m ig r é s réfugiés
à M unich. Le le n d e m a in , n o u s p a r tîm e s p o u r K lag e n fu rth ,
r é s id e n c e de S. A. R. M adame la c o m te s s e d ’A rtois, do n t
le b o n h e u r de vo ir so n fils q u ’elle e s p é r a it g a rd e r trois
s e m a i n e s fut tr o u b l é p a r u n e lè ttr e ar r iv a n t d ’E d im b o u r g
d a n s la q u elle son p ère lui p re sc riv a it de v e n ir p r è s de lui
a v a n t d ’a lle r e n S icile; c e t in c id e n t d é r a n g e a n t n o tr e
vo y ag e , le p rin c e fit a u s s itô t p a r ti r le c o m te de D am as p o u r
V ienne, afin d ’en in f o r m e r la r e in e de N aples qui s ’y t r o u ­
vait, e t se m il en r o u te p o u r l ’É co sse avec MM. de S ourdis
et de la J a r r e ; le d o c t e u r A m y e u t la m is sio n d e se r e n d r e
av e c les éq u ip a g e s à Naples, o ù dev a it av o ir lie u n o tr e
ré u n io n , ta n d is q u e je r e s te r a is , la p r in c e s s e a y a n t p a r u n e
e x trê m e b o n té té m o ig n é le d é s ir de m e g a r d e r h u i t j o u r s
p r è s d ’elle. Cette f a v e u r in sig n e m e m it à m ê m e de bie n
a p p r é c ie r le s é m in e n t e s q u a lité s de c e lte excellente p r i n ­
c e sse , ch é rie d e to u te la p o p u la tio n e t la p r o v id e n c e des
m a lh e u r e u x .
A TRIESTE,
AVEC
M E S D A M E S . — 18 0 0.
39
La veille de m o n d é p a r t p o u r T rieste, S. A. R. d aig n a m e
d o n n e r u n e le ttr e de r e c o m m a n d a tio n te lle m e n t b ie n v e il­
la n te p o u r se s ta n te s , M esdam es de F ra n ce , q u ’elles v o u ­
lu r e n t im i t e r la b o n n e r é c e p tio n q u e m ’avait faite le u r
niè ce , en m ’offrant u n gîte d a n s la p etite m a iso n q u ’elles
o c c u p a ie n t, où j e fus c o m b lé de so in s et d ’a tte n tio n s,
n o t a m m e n t p a r Mmc la d u c h e s s e de N a rb o n n e -L a ra , la
d am e d ’h o n n e u r et l ’am ie de c œ u r de M adam e Adélaïde.
Les six j o u r s q u e j e passai s o u s ce to it ro y al h o sp ita lie r
o n t laissé dan s m o n e s p r it u n s o u v e n ir ineffaçable e t dan s
m o n c œ u r u n e im p r e s s io n p ro fo n d e de r e c o n n a is s a n c e .
Ces d eux p r in c e s s e s , ta n te s de L ouis XVI, n é e s en 1732 et
33, a v a ie n t p a r c o n s é q u e n t s o ix a n te - s e p te t s o ix a n te - h u ita n s
lo r s q u e j ’e u s l'h o n n e u r d ’ê tre a d m is p r è s d ’elles. D epuis
lo n g te m p s h a b itu é e s à m e n e r u n e vie s im p le e t r e tiré e ,
elles h a b ita ie n t, au m o m e n t des tr o u b le s ré v o lu tio n n a ir e s ,
le c h â te a u de Bellevue p r è s de V ersailles, q u ’elles d u r e n t
a b a n d o n n e r n on s a n s d an g e r, p o u r éviter la m o r t, e t v in r e n t
se r éfu g ier à T rie ste avec des ca pitau x assez c o n s id é ra b le s
q u ’elles p a r v in r e n t à faire s o r tir de F ra n c e . 11 était im p o s ­
sible d ’avoir p lu s de grâce, de b o n té , d ’in d u lg e n c e et u n e
r é s ig n a tio n r e lig ie u se p lu s d o u c e q u e ces d e u x r e s p e c ­
tables filles d e L ouis XV.
Le p r e m i e r j o u r de m o n a d m is s io n d a n s ce s a n c tu a ire
de la v ertu , assez e m b a r r a s s é de m a p o s itio n m a lg r é la
b ie n v eillan c e q u ’on m e té m o ig n a it, je n e savais tr o p quelle
c o n t e n a n c e te n ir , m a is b ie n tô t, e n h a r d i p a r de d o u c e s
p aro le s, p r o v o q u é de q u e s tio n s s u r l’A rm ée de Condé, la
vie d es c a m p s , les c o m b a ts où j ’avais as sisté et s u r t o u t les
d étails q u ’o n d é s ir a it av o ir s u r la vie priv ée d u d u c de
B e rry, je fus r e n d u b ie n tô t à m a n a t u r e , e t m o n b a v a r ­
dage ain si qu e les é to u r d e r i e s de m o n âge s e m b la ie n t
t e l l e m e n t a m u s e r ces e x c e lle n te s p r in c e s s e s q u ’elles p r o ­
40
SOUVENIRS
MILITAIRES.
lo n g e a ie n t q u e lq u e f o is l e u r s
h a b i tu d e s .
s o ir é e s au-de là
de le u rs
Ce f u t p e n d a n t ce c o u r t et h e u r e u x s é jo u r à T rieste que
j ’e u s la s a tisfa c tio n d ’y r e n c o n t r e r le c o m te de P o n tg ib a u d ,
g e n t i l h o m m e de la p r o v in c e d ’A u v e rg n e , é m ig ré , a n c ie n
a m i de m o n p ère , s o u s les o r d r e s d u q u e l il avait fait l ’in s i­
gnifia n te c a m p a g n e de 1792; n e t r o u v a n t e n s u ite d ’a u tre
r e s s o u r c e p o u r n e p a s m o u r i r de faim q u e de p r e n d r e u n
état, il e n t r e p r i t celui de c o l p o r t e u r avec u n fo n d s de
q u e l q u e s c e n ts fra n c s, d e r n iè r e s b rib e s d e q u a r a n te mille
livres de r e n t e s q u e lui a v a ie n t en levées les lois r é v o lu ­
t i o n n a ir e s . Mais, ava n t d ’e m b r a s s e r cette m o d e s te ca rriè re ,
m e t t a n t d a n s sa p o c h e so n n o m , ses titre s , ses q u a lité s
e t ses p r é t e n t i o n s , p o u r ne g a r d e r q u e la n o b le s s e de ses
s e n tim e n ts , il s ’o c c u p a d u soin de se b a p t is e r e n h o m m e
m o d e s te , et ce fu t e n é p o u s s e t a n t son h a b i t q u ’il e u t l’idée
de s ’a p p e le r L a b ro sse , d é n o m in a t io n s o u s laq u elle il p a r ­
vint, a p r è s avoir c o m m e n c é p a r p o r t e r la balle, à a c q u é r ir
p a r sa p e r s é v é r a n c e , so n in te llig en c e et sa lo y a u té u n
c r é d it tel, q u ’e n m o i n s de h u i t a n n é e s il f u t à m ê m e de
f o n d e r u n e m a is o n de c o m m e r c e dan s laq u elle l ’a n c ie n
c o lo n e l f ra n ç a is p r i t p o u r c o m m is des officiers é m ig r é s de
s o n r é g im e n t, qui, e n o u tr e de l e u r tr a ite m e n t, e u r e n t p a r t
d a n s les bénéfices. B ie n tô t la p r o s p é r ité de la m a is o n de
c o m m e r c e L a b r o s s e e t Cie, d e T rie ste , f u t im m e n s e , colos­
sa le ; le s affaires se faisa ie n t p a r m illio n s, sa’ sig n a tu re
r e c h e r c h é e à la b o u r s e de V ien n e , H a m b o u r g , F ra n cfo rt,
B e rlin e t a u t r e s capitales d u Nord et d u Midi.
Ce f u t d o n c à ce tte ép o q u e que, m e tr o u v a n t à T rieste,
j e m ’e m p re s s a i d ’aller r e n d r e visite à ce digne c o m p a ­
t r i o t e ; sa r é c e p tio n f u t r e m p l ie de b ie n v eillan c e, de b onté
e t s u r t o u t d ’offres de se rv ic es,"faites avec u n e délica te sse
q u i p r o u v a it le p la isir q u ’il a u r a it ép ro u v é à m ’o b lig e r; je
A
T R 1E S T E .
—
M.
DE
PONTGIBAUD.
—
1800.
41
lui en té m o ig n a i to u te m a r e c o n n a is s a n c e en lui faisant
c o n n a îtr e l ’h'eureuse p o sitio n dan s laquelle je m e tro u v a is.
C ond u it a u m ilie u de sa fam ille, d a n s u n e c h a r m a n te
c a m p a g n e q u ’il p o s s é d a it n o n loin de la ville, j ’y p assai
v in g t- q u a tre h e u r e s en fêtes et en p la isirs ; là se
r e tr o u v a it le g e n t ilh o m m e fra n ça is, l ’h o m m e de
cour
avec ses go û ts, ses h a b itu d e s e t ses m a n iè r e s exqu ises,
q u e je n e p ouvais m e la s s e r d ’a d m ir e r en p e n s a n t a u j o u r
o ù il avait p r is le n o m de L ab ro sse . Ce f u t a u s si chez lui
que je fis la r e n c o n tr e d u c o m te H u b e r t de B o sredo nt, u n
de m e s c a m a ra d e s d ’enfance, d o n t l ’in te n tio n é ta it d ’aller
à N aples p o u r y p r e n d r e du s e rv ic e ; l o r s q u ’il a p p r it que
j e devais m ’y r e n d r e , il m e p r o p o s a de faire en s e m b le ,
p é d e s tr e m e n t, ce voyage j u s q u ’à R om e, ce q u e j ’acceptai
avec d ’a u t a n t p lu s de p la isir q u e ce tr a j e t était c o u rt,
agréab le, s u r t o u t .à ce tte é p o q u e de l ’a n n é e o ù la t e m p é ­
r a tu r e de l ’Italie est d o u ce , s e re in e , les r o u te s m agnifiques,
jo ig n a n t à cela u n g e n r e d ’exercice p e u fatigant p o u r des
j a m b e s de dix -n eu f an s e t la satisfaction d ’ex p lo re r u n
m a gn ifiq ue p a y s av e c g aieté e t insouciance.
Cette d é t e r m in a tio n p rise, je re sta i e n c o r e deux jo u r s à
T rieste, a p r è s le s q u e ls , e x p r im a n t a u x r e sp e cta b le s p r i n ­
ce sse s to u s les s e n tim e n ts de re c o n n a iss a n c e d o n t m o n
c œ u r était p r o f o n d é m e n t p é n é tr é , j e les q u ittai e m p o r t a n t
le so u v e n ir in a lté ra b le des b o n té s d o n t elles a v a ie n t
d aign é m ’h o n o r e r . Le d é b u t de n o tr e voyage se fit s u r u n
trab a cc o lo , b â t im e n t de tr a n s p o r t, s u r le q u e l n o u s tr a v e r ­
sâ m e s l ’A driatiq ue p o u r d é b a r q u e r à A ncône o ù nous
f û m e s sa lu és p a r u n e salve de q u in z e co ups de canon
p a r tis de la f o rte resse , à la su ite d e s q u e ls n o u s vîm es
d é b o u c h e r d a n s la r u e p rin c ip a le u n e n o m b r e u s e et
m a gn ifiqu e p r o c e ssio n c o m p o s é e de p lu s ie u r s c o n f r é r ie s
r e lig ie u s e s , de p r ê tr e s r e v ê tu s de c h a p es d ’or, de j e u n e s
42
SOUVENIRS
MILITAIRES.
filles b elles c o m m e d e s a n g e s et b la n c h e s c o m m e d es lis ;
u n co rp s de m u s i c ie n s faisa n t e n t e n d r e des s o n s m é lo ­
d ie u x m ê lé s au c h a n t d es vie rg e s. Un dais en or, g a rn i de
c r é p in e s en p a ille tte s, o r n é de q u a t r e Ilots de p lu m e s
b la n c h e s agitées p a r u n e b r ise lé g ère, so u s le q u el rep o sa it,
é t e n d u s u r u n lit de d ra p d ’or, u n év ê q u e béatifié r e v ê tu
de to u s ses o r n e m e n ts , les m a in s j o in t e s s u r l ’esto m a c , la
figure d é c o u v e r te d a n s un e p arfaite c o n s e rv a tio n , et s u r
sa tê te u n e m i t r e r e s p le n d is s a n te de p ie rr e r ie s de la p lu s
g ra n d e b e a u té ; ven a it e n s u ite l ’év ê q u e d ’A ncône suivi de
so n clergé, les a u t o r i té s civiles e t m ilita ire s , le s tr o u p e s
p a p a le s, et enfin la p o p u la tio n de la ville et des c a m p a g n e s
e n v iro n n a n te s , in v o q u a n t là p r o te c tio n d u sa in t d o n t on
c é lé b ra it la béatification.
Tel f u t le s p e cta cle s u p e r b e offert à n o s r e g a rd s en
m e t t a n t le pie d s u r les E tats pontificaux.
Le le n d e m a in , p o u r le d é b u t de n o tr e voyage p é d e s tr e ,
n o u s v în m e s c o u c h e r à L o re lto o ù n o u s a t te n d a ie n t des
s u r p r i s e s b ie n s u p é r ie u r e s à celles de la veille. Cette p etite
ville fut érig é e en é v ê ch é e n 1586, p a r Sixte-Quint qui y fit
c o n s tr u i r e u n palais m ag n ifiq u e d o n t m o u s n e p û m e s o b te ­
n ir, p a u v r e s pè.lerins q u e n o u s é tio n s , la p e r m i s s io n d ’a d ­
m i r e r l ’in té r ie u r , bien q u e so n p o s s e s s e u r en fût a b s e n t,
m a is, e n r e v a n c h e , n o u s v isitâ m e s la sa in te cha pelle dan s
laqu elle les Italiens p r é t e n d e n t q u e J é s u s - C h r is t s ’e s t in ­
c a r n é ; ils d i s e n t a u s s i q u ’elle a été tr a n s p o r té e p a r les
an ge s, de la P a le s tin e en D alm atie, et, de là, d a n s u n p e tit
bo is n o n lo in de la ville, d ’o ù ils s o n t v e n u s la p o s e r a u
m ilie u de la ca th é d ra le . Cette c h a p elle, placée c o m m e u n e
b oîte s u r u n e ta ble, e s t u n m o n u m e n t c o m p le t s a n s fon­
dation, a y a n t ses m u r s , sa to itu re e t ses p o r t e s ; d a n s so n
in t é r i e u r est u n p o u r t o u r e n m a r b r e p o u r s ’ag e n o u ille r o u
s ’a s se o ir . Ce lie u saint, f r é q u e n té p a r u n n o m b r e i n ­
A PIED
EN
ITALIE.
— 1 800.
43
c r o y a b le de p è le r in s , avait été, disait-on, visité p a r u n
g é n é r a l fra n ça is q u i e n a v a it s o u s t r a it d es r ic h e s s e s
im m e n s e s p r o v e n a n t de p r é s e n ts , d ’ex-voto e t de d ép ô ts
p r é c ie u x q u ’o n y a p p o r ta it d e p u is d e u x siè c le s ; o n citait
e n t r e a u t r e s u n e la m p e e n ric h ie de d ia m a n t s et de p ie r r e s
p r é c ie u s e s , e s tim é e p lu s d ’u n m illio n , q u e n o u s v îm e s
re m p la c é e p a r u n e en cuivre.
E n q u itt a n t L ore tto n o u s f û m e s d é j e u n e r à M acerata et
c o u c h e r à V alc im a ro, p e tit b o u r g f o rt a g r é a b le m e n t situé,
d ’o ù n o u s p a r t î m e s p o u r aller à F oligno, jo lie p e tite ville
ornée
de
tr o is
b elles
églises
e t d e u x b ea u x p alais.
Spo leto, o ù n o u s f û m e s e n s u ite , e s t u n p a y s c h a r m a n t
b aig n é p a r la rivière de L essin o qu i fait de ce tte c o n tré e
u n e v é ritab le oasis, des fleurs p a r to u t , de l ’o m b r a g e à
c h a q u e pas, u n e r o u t e e n allée do j a r d i n p la n té e d ’a r b r e s
fru itie rs, b ie n sa b lée et b o rd é e p a r u n r u is s e a u lim p id e, ce
qu i d e v ie n t p o u r le p ié to n u n e p r o m e n a d e d e lux e.
Nervi, qu i devint au s si n o tr e gîte n o c t u r n e , p o ssè d e p r è s de
ses m u r s u n e fo n tain e qui, dit-on, n e d o n n e de l ’ea u que
lo r s q u e l ’a n n é e su iv a n te d o it ê tre sté rile , c ’e s t p o u r cela
q u ’on la n o m m e la « fo n ta in e de fam in e ». M a lh e u re u s e ­
m e n t p o u r les h a b ita n ts , n o u s p û m e s n o u s y d é s a lté r e r ,
m a is l’a s p e c t e n c h a n t e u r d u p a y s n o u s d o n n a l ’e s p o ir que,
ce tte fois, elle p o u r r a i t faillir d a n s ses p r é v isio n s.
Nos d e u x d e r n i è r e s c o u c h é e s, av a n t d ’a r r iv e r à Rom e,
f u r e n t B o rg h etto e t B o rg h ettaio , p e tits b o u r g s où, p o u r se
c r o ir e b ie n c h o y é , il fallait av o ir n o tr e âge, c a r n o u s m a n ­
g e â m e s p o u r vivre et q u ’en fait de r e p o s u n e b o tte de
paille v a u t u n lit de p l u m e s ; m a is, ce qui n o u s p a r u t i n s u p ­
p o rtab le, ce f u t d ’être obligés de p a y e r en g r a n d s s e ig n e u rs
a p r è s avoir été tr a ité s c o m m e d es v a -n u -p ie d s . Enfin,
ap r è s h u i t j o u r s de m a r c h e p a r u n t e m p s r a v is s a n t, au
m ilie u d ’u n e v é g é ta tio n de la p lu s im m e n s e ric h e s s e , p a r ­
44
SOUVENIRS
MILITAIRES.
c o u r a n t u n pay s e n c h a n t e u r avec la jo ie d a n s le c œ u r et
.a force d a n s les j a m b e s , n o u s a tte ig n îm e s les S e p t Collines
si r e n o m m é e s d ’où l ’o n d éc o u v re la capitale de la c h r é ­
tie n té , ses d ô m e s d o r é s , ses p alais f a s tu e u x et l ’église de
S a in t- P ie r r e , c e tte m e rv e ille d u m o n d e , qui c e p e n d a n t ne
p e u t o b s c u r c ir les g ig a n te s q u e s m o n u m e n t s d u p eu p le roi
d o n t la p o s té rité j o u i r a c o m m e n o us.
Dès le l e n d e m a in de m o n arriv ée à R o m e, je fu s chez
M. T orlonia, riche b a n q u ie r , p r è s d u q u e l j ’étais a c créd ité
c o m m e é t a n t c h a r g é de f o u r n ir à Msr le d u c de B e rry to u s
les f o n d s d o n t il a u r a i t b e s o in ; il e n avait re ç u , q u e lq u e s
j o u r s av a n t, u n e le ttr e d a té e d ’E d im b o u r g d a n s la q u e lle il
le c h a r g e a i t de m e dire q u e, s o n arriv é e à N aples é t a n t u n
p e u r e ta r d é e , il m ’a u to ris a it à r e s t e r u n e q u in z ain e de jours"
à R o m e . Cet h e u r e u x in c id e n t m e fut o n n e p e u t plus
a g r é a b le , bie n qu e je r e g r e tt a s s e de la is s e r p a r ti r seul m o n
c o m p a g n o n de voyage q u i était p r e s s é de se r e n d r e à Naples.
T rès e m p r e s s é
de p ro fite r de ce tte lib e rté d ’a c tio n
qui m ’était a c c o rd é e , j e fus d ’a b o r d faire u n e visite à
M. le c o m te d u L uc de V intim ille, é m ig ré fra n ça is et alors
c h e f d ’é ta t- m a jo r de l ’a r m é e n a p o lita in e , qui était à R o m e ;
la le ttr e d o n t j ’étais p o r t e u r lui faisait co n n a ître m a p o s i­
tio n : j ’e u s l ’ac cu e il le p lu s e m p r e s s é et, p r é s e n té p a r lui
dans
les n o m b r e u s e s so c iétés de R om e, j ’y fus ad m is
d ’u n e m a n iè r e d ’a u t a n t p lu s favorable q u e m o n p è r e y avait
la issé de fort b o n s s o u v e n irs p e n d a n t le s é jo u r de p l u ­
s ie u r s m o is q u ’il y avait fait u n an av a n t la Révolution,
a ttir é p a r se s r e la tio n s in tim e s avec le c a rd in a l de B ernis,
alo rs a m b a s s a d e u r de F rance.
Mon s é jo u r à R om e fut d o n c d es p lu s a g r é a b le s , m e s
j o u r n é e s se p a s s a n t e n c o u r s e s d es p lu s in té r e s s a n te s et
m e s so iré e s d a n s u n m o n d e d ’élite, au m ilie u de f e m m e s
a d m ir a b le s de b e a u té , p o u r q u i le p la isir, les fêtes et la
ROME.
— NAPLES.
— 1800.
45
jo ie é ta ie n t l ’o b je t de to u te s le u rs p e n s é e s ; a u ssi, les q uinz e
j o u r s p a s s é s à R o m e o n t été te l l e m e n t rem p lis de c h a r m e s
e t de b o n h e u r q u ’ils r e s t e r o n t t o u j o u r s d a n s m o n s o u ­
v e n ir c o m m e une des é p o q u e s le s p lu s h e u r e u s e s de m o n
j e u n e âge.
La veille de m o n d é p a rt, j ’assistai à la re v u e des so ld a ts
n apo lita in^ , bien e m p a n a c h é s , van tard s e t m a n g e u r s de
m a c a ro n i ; le s p e cta cle éta it b e a u , a n im é : l ’a r m é e , d a n s
u n e te n u e s u p e rb e , se m b la it ê tre d an s u n e exaltation belli­
q u e u s e capable de t o u t s u r m o n t e r ; elle fit q u e lq u e s
m a n œ u v r e s avec assez d ’e n s e m b le , défila et r e n t r a d a n s
ses q u a r ti e r s respectifs, to u jo u r s avec la conscie n ce la p lu s
p arfaite de so n in d o m p ta b le c o u r a g e d o n t elle d é s ira it,
disait-elle, d o n n e r des p r e u v e s au x F ra n ç a is...
Le tr a j e t de Civita-V ecchia à N aples, q u ’o n m ’avait dit
être tr è s c o u rt, se p r o lo n g e a b e a u c o u p p a r s u ite des v e n ts
c o n tra ire s, n o u s f o rç a n t de c o u r ir d e s b o r d é e s a u x q u e lle s
se jo ig n a ie n t d es b o u r r a s q u e s é p o u v a n ta b le s ; les v ag u e s,
e n e n v a h issa n t n o tr e p e tit b â t im e n t de c o m m e r c e , le fai­
s a ie n t b a l lo tte r c o m m e u n e coqu ille de noix ; a u s si, ne
tardai-je p as à m e r e p e n t i r de ce tte c o u r s e m a ritim e , s u r ­
to u t en m e s e n t a n t suffoqué p a r l’o d e u r d u g o u d r o n , et
saisi p a r les v o m is s e m e n ts c o n tin u e ls q u i n e t a r d è r e n t
p o in t à m e t r a n s f o r m e r en u n c o r p s in e r t e , sans forces,
sa n s co u ra g e, pas m ê m e celui de m e la is s e r c o u le r au
fond de la m e r p o u r en finir avec les d o u le u rs d o n t j ’étais
accablé. Enfin, n o u s a tte ig n îm e s P o u zzo les où, grâce à
D ieu, le capita in e a y a n t u n e affaire à ré g le r n o u s r e s tâ m e s
v in g t-q u a tre h e u r e s . Cette p etite ville e s t si h e u r e u s e m e n t
s itu é e , sa t e m p é r a t u r e est si d o u ce p a r les b rise s de la m e r ,
e t ses e n v iro n s s o n t te lle m e n t a g r é a b le s et p i tt o r e s q u e s ,
q u ’elle e s t e n v iro n n é e de g r a c ie u s e s villas e n t r e m ê l é e s de
n o m b r e u x et b e a u x r e s te s de m o n u m e n t s a n tiq u e s . Rieq
46
SOUVENIRS
MILITAIRES.
n ’e s t m ag n ifiq u e et s u b lim e c o m m e la vue p rise de la
m e r, en d é c o u v r a n t N aples v e n a n t b a i g n e r se s p ie d s d an s
u n im m e n s e circ u it, e t d e s s in a n t e n a m p h i t h é â t r e , s u r le
p e n c h a n t de p lu s i e u r s c o llin e s, ses p alais, Ses m a is o n s et
de n o m b r e u x m o n u m e n t s . Ce ta b lea u , qu i n ’a p e u t -ê tr e
r ie n de c o m p a r a b le a u m o n d e , m e fit u n e te lle i m p r e s s io n
qu e j e vis p r e s q u e av e c c h a g r in l ’i n s t a n t d e n o t r e d é b a r ­
q u e m e n t p r è s le C h â te au -N e uf.
E n to u r é a u s s itô t p a r u n e m u l t i t u d e de lazzaroni d é g u e ­
n illés, a y a n t c h a c u n la p r é te n tio n de m ’e n t r a î n e r d a n s u n
h ô te l de p r é d il e c t io n , j e vis le m o m e n t o ù m e s bagages
d is p e r s é s d a n s p lu s i e u r s m a in s c o u r r a ie n t la c h a n c e de ne
p lu s r e n t r e r d a n s le s m ie n n e s . Cet i n s t a n t du d é b a r q u e ­
m e n t e s t u n e v é r it a b le t y r a n n i e p o u r les é tra n g e r s ^ La
police n ’y m e t t a n t a u c u n o bsta cle, il en r é s u lt e s o u v e n t
des s o u s t r a c ti o n s d ’effets p e r d u s s a n s r e s s o u r c e : grave
in c o n v é n ie n t d o n t j ’e u s s e in f a illib le m e n t été v ic tim e sans
l ’oblig e an c e d ’u n h o n n ê t e citad in qui, p r e n a n t e n p itié m a
p o sitio n c r itiq u e , p a r v in t à r é ta b lir l’o rd re d an s la d is p e r ­
sion de m e s b agages e t v o u lu t bien m ’a c c o m p a g n e r j u s ­
q u ’à l ’hô te l d ’A n g le te rre , vis-à-vis la villa Réale, lieu i n ­
d iq u é p o u r le d é b a r q u e m e n t de M o nse igneur, dan s le q u el
je tro u v a i le ch e v a lie r de la J a r r e , le d o c t e u r A m y et le
f o u rg o n , a p p r e n a n t, e n m ê m e te m p s , la trè s p ro c h a in e
a rrivée d u p rin c e d o n t o n avait r e ç u d es n o u v elles .
P e u d ’h e u r e s a p rè s m o n arriv ée , j e fus chez le c o m te
R o g e r de D am as, lie u te n a n t g én é ral c o m m a n d a n t la cava­
le rie de l’a r m é e n a p o lita in e , j e le tr o u v a i e n convalescence
d ’u n c o u p d ’ép é e r e ç u en p le in e p o itr in e de so n am i le
chevalier de Saxe, é m ig ré a u s s i, et alo rs lie u te n a n t g é ­
n é r a l c o m m a n d a n t l ’in fan terie n a p o lita in e, le q u el, f o rt
m é c o n t e n t de c e r ta in e s p r iv a u té s p r is e s .en sa p r é s e n c e
p a r sa m a îtr e s s e , la p r in c e s s e de H esse, e n avait s u r -le -
EX
SICILE.
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— 1 800.
c h a m p tiré sa tis f a c tio n ; ce tte m a l h e u r e u s e affaire força la
p r in c e s s e d ’a lle r e n Sicile, p a r l’e s c la n d re d o n t elle fut
l ’o b je t, e t l ’a t ta c h e m e n t des d eux a m is n ’en é p r o u v a a u c u n
r e f r o i d is s e m e n t d an s la suite.
J ’étais à ÎN'aples d e p u is six jo u r s , f o rt o cc u p é de l ’e x p lo ­
r a ti o n de c e tte belle cité, l o r s q u ’u n m a tin , je vis e n t r e r
d a n s m a c h a m b r e u n de m e s co u s in s, le m a r q u i s de S a in tClair, v e n a n t de H a m b o u r g et p o r te u r d ’u n e le ttr e de m o n
p è r e qui m e r e c o m m a n d a it fort c h a l e u r e u s e m e n t de faire
e n sa fave ur t o u t ce q u e je p o u r r a is p o u r lu i ê t re utile
d a n s le d é s ir q u ’il avait d ’e n t r e r a u service de N aples. Le
s u r le n d e m a in , à l ’a r r iv é e d u c o m te fitienne de D am a s p r é ­
c é d a n t de q u a r a n te - h u it h e u r e s M o n se ig n e u r d o n t l ’i n te n ­
tion était de n e r e s t e r q u ’u n jo u r , j e fus c h a rg é de faire
l ’e m b a r q u e m e n t des é q u ip ag e s s u r u n e frégate v en u e
e x p rè s p o u r le tr a n s p o r te r à P a le r m e .
L o rs q u e le p r in c e arriva, je lui p r é s e n ta i m o n c o u s in ;
l ’a s p e c t de ce c h a r m a n t j e u n e h o m m e , âgé de v in g t- tr o is
a n s, a y a n t d e s m a n iè r e s p arfaites, lui f u t o n n e p e u t p lus
favo rable e t M o n se ig n eu r, t o u jo u r s d isposé à faire des
h e u r e u x , l ’ac cueillit de la m a n iè r e la p lu s g r a c ie u se et lui
dit : « P u is q u e le h a s a r d v o u s a si b ie n servi, j e v ous e m ­
m è n e avec m o i e t v o u s p r é s e n te r a i a u roi. »
Ce fut d an s la j o u r n é e d u 11 j u i n q u e n o u s le v â m e s
l ’a n c r e p a r u n t e m p s s u p e r b e , u n e b r is e fra îch e e t active,'
l o n g e a n t la côte
de P o rlic i,
R ésine,
C a ste lla m are et
S o re n to , la is s a n t d is p a ra îtr e à n o s y è u x l ’île de Gaprée.
F a v o risé s p a r le v e n t, n o u s g a g n â m e s b ie n tô t la h a u te
m e r , ta n d is q u ’assis s u r le gaillard d ’av a n t, j ’a d m ira is la
c o q u e tte rie avec la q u elle lilait n o tr e g r a c ie u se et légère
frégate, lo r s q u e p e u à p eu , la la m e se faisant s e n tir, n o u s
é p r o u v â m e s d ’assez vio lentes oscilla tio n s qui ne m e firent
q u e tr o p p r e s s e n tir la p r o c h a in e a rr iv é e d e s m a u x qu e je
48
SOUVEiNIRS
MILITAIRES.
r e d o u ta is t a n t ; e n effet, je n e ta rd a i p o in t à ê tre atte in t de
ce m a u d i t m a l d e m e r , m a l p h y s iq u e et m o r a l q u i priv e
de la faculté, de la v o lo n té m ê m e de se m o u v o ir et qui ôte
j u s q u ’à la force et la p o ssib ilité de s ’ir r i t e r co n tre la s o u f ­
fra n ce . Enfin, j ’é p ro u v a is u n tel d é g o û t de to u t, u n e
ab s e n c e de s e n t i m e n t si c o m p lè te qu e ce p a u v r e S ain t Clair,
placé p r è s de m oi s u r u n m a te la s de d o u le u r , r e g r e tt a n t
p r e s q u e la fav e u r q u ’il avait o b te n u e , ne m ’in s p i ra it au c u n e
pitié, m a lg r é les c o n v u ls io n s qui s e m b la ie n t p r é s a g e r sa
fin pro ch a in e.
Cet é ta t de p r o s tr a ti o n fut tel q u e je vis avec indifférence
la ch a sse d o n n é e à d e u x b â t im e n ts p ir a t e s qui n e d u r e n t
l e u r sa lu t q u ’à l ’a p p r o c h e d es côtes, n o n to u te fois sans
a v o ir r e ç u p lu s i e u r s b o u le ts d a n s le u rs ag rè s. C e p en d a n t
le s e n t i m e n t m e r e v in t en a p p r o c h a n t de P a le rm e , et les
d e u x ou tr o is b o r d é e s qu e n o u s f û m e s obligés de c o u rir
p o u r e n t r e r d a n s le p o r t s u ffire n t p o u r m e r é ta b lir c o m ­
p lè te m e n t.
En d é b a r q u a n t, le d u c de B e rry f u t salué p a r p lu s ie u r s
salves d 'a rtille rie et c o n d u it d a n s le palais qui lui avait
été p ré p a ré p o u r lu i et sa ' s uite. P e u ap rè s, r e ç u p a r
S. M. d o n t l’accueil f u t d e s p lu s g rac ieux, il d în a a u palais
r o y al, y p a s sa la s o ir é e e t n o u s p r é s e n ta le le n d e m a in .
Le roi avait alo rs q u a r a n te - n e u f a n s, u n p h y s iq u e fo rt
p e u s é d u is a n t, avec l ’a s p e c t d ’u n a lb in o s aux y e u x ro u g es,
la figure b la fa rd e et les c h e v e u x d ’u n b lo n d fade. Q u an t
au m o ral, t o u t e n r e s t a n t d a n s u n e d isc rè te r é se rv e , on
p e u t d ire q u e c ’é ta it le ty p e d u la zzarone a i m a n t p a s s io n ­
n é m e n t la p ê c h e , la issa n t g o u v e r n e r ses É tats p a r so n
ép o u s e ( s œ u r de l ’in f o rtu n é e M arie-A ntoinetle), âgée de
q u a r a n te - c i n q a n s, d ’u n c a ractère ferm e, violent, ay a n t
p o u r co n s eiller in tim e le m in i s tr e A cton, fils d ’un m é d e ­
cin de B e san ç o n , qui jo ig n a it à son em plo i celui de favori
LA
COUR
DE
SICILE.
— 1 800.
49
de c e tte ’ prin c e sse , e n ce m o m e n t à V ienne p r è s de so n
frère, l’e m p e r e u r d ’A llem agne. Les e n fa n ts d u ro i é ta ie n t
a u n o m b r e de dix, d o n t tro is p rin c e s. La p r in c e s s e MarieAinélie, destiné e à Mgr le d u c de B e rrÿ, avait a lo rs dixh u i t a n s, u n e t o u r n u r e assez agréable, n ’offrant c e p e n d a n t
r ie n de sa illa nt s u r t o u t dan s u n p a y s o ù les b e a u té s a b o n ­
d e n t ; du r e s te , ses m a n iè r e s d o u ce s, p olies et tim id e s se
r e s s e n ta ie n t de l’é tiq u e tte assez g u in d é e de la Cour, en co n ­
traste avec les m œ u r s assez r e lâ c h é e s de la Sicile. Aussi,
les h e u r e s q u e n o u s é tio n s obligés de p a s s e r p r e s q u e to u s
les so irs à la Cour, é ta ie n t- e lle s f o rt p e u réc ré ativ es,
n ’é ta ie n t les e x c e n tric ité s du roi qui, parfois, faisait diver­
sion p a r des h is to ire s assez g rav e le u se s et p a r l’a b a n d o n de
ses m a n iè r e s bie n p eu so u v e ra in e s . M o n se ig n eu r d în a it au
P alais to u s le s j o u r s à 3 h e u r e s ; n o u s n o u s y r e n d io n s
e n s u ite j u s q u ’à 9 h e u r e s , et, lib re s a p r è s de n o s actio ns,
n o u s allions d a n s les a s s e m b l é e s n o m b r e u s e s de la ville
o ù se tr o u v a ie n t q u a n tité de f e m m e s g ra c ie u se s, é lég a n tes,
t o u jo u r s o c c u p é e s de d an s e, de m u s i q u e e t d u p a s s e - te m p s
h a b itu e l de ce t a n t doux p a y s ... ta n d is q u e les m a r i s , les
o n c le s et les f rè re s se liv ra ie n t avec u n e v é rita b le frénésie
au x j e u x de h a s a rd d o n t ils s o n t fana tiq ues. Aussi, n ’étaitil p as de so irée s a n s des c h a n c e s de p e r le o u de gain
é n o r m e s , ta n t en d u c a ts d ’o r ru is s e la n t s u r les tables, qu'on
d e tte s c o n tra c té e s d o n t le chiffre q u e lq u e fo is était ef­
f ra y a n t. Le p rin c e se levait to u s les m a tin s à q u a tre h e u r e s ,
et, suivi de S o u rd is et de m o i, n o u s e x p lo rio n s la ville
e t les e n v iro n s j u s q u ’a u m o m e n t d u d é j e u n e r, ap rè s le ­
quel, r e n d u s à la lib e rté , n o u s é tio n s m a îtr e s de n o s a c ­
tio n s , m a is s o u v e n t c o n tra in ts de r e s te r e n f e rm é s, alin
d ’éviter les c h a le u rs africa in e s d o n t l’in te n s ité était telle
q u ’il y avait d a n g e r à la isse r les a n i m a u x d e h o r s d a n s le
m ilie u du jo u r . P a le rm e , placée s u r les b o r d s de la m e r,
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SOUVENIRS
MILITAIRES.
av e c u n p o r t assez sp a cie u x , e s t u n e ville c o q u e tte et c h a r ­
m a n te , r e n f e r m a n t g r a n d n o m b r e de p a la is e n m a rb r e .
Elle e s t p a r ta g é e e n q u a tre q u a r ti e r s à p eu p r è s égaux, d o n t
les r u e s larges, b ie n p e r c é e s , b o r d é e s de t r o tto i r s , a b o u ­
t i s s e n t à q u a t r e p o r te s d ’u n e belle a r c h ite c tu r e . Dans son
i n t é r i e u r se tr o u v e n t d e s pla c e s, p lu s p e tite s q u e celles d u
c e n tre , q u i s o n t d é c o ré e s p a r des o b é lisq u e s, d e s f o n ta in e s ,
e t des édifices p u b lic s tr è s r e m a r q u a b le s . La M arine, p r o ­
m e n a d e p u b liq u e , est u n e m ag n ifiq u e c h a u s s é e qui s ’éten d
le lo n g de la côte, a b o u t is s a n t a u j a r d i n d e s p la n te s ; u n e
a u tre , n o m m é e la F lo ra , d élicieu x e n d r o it où la n o m b r e u s e
fam ille d es o r a n g e rs e t u n e m u lt itu d e d ’a u t r e s a r b r e s et a r ­
b u s te s o d o r a n ts ex h a le n t le u r p a rfu m , est le ren d e z -v o u s
d es b e a u té s de la ville et des in tr ig u e s a m o u r e u s e s ; il était
ja d is celui q u e l ’I n q u is itio n c o u v ra it de ses b û c h e r s .
La p o p u la tio n de P a le r m e e s t d ’en v iro n 200000 h a b i ta n t s
qui s e m b l e n t être d a n s u n e p e r p é tu e lle activité, ex c epté
p e n d a n t les h e u r e s de la sie ste en été, les c h a le u rs en fai­
sa n t u n e obligatio n. L a n o b le sse , e n Sicile, e s t tr è s c o n s id é ­
r a b le : elle p o ssè d e p r e s q u e les d e u x tie r s d es p r o p r ié té s
f o n ciè re s, n o n o b s t a n t ses d r o its se ig n e u r ia u x q u i so n t
trè s é t e n d u s et d ’u n g r a n d r a p p o r t ; on y c o m p te c e n t
v in g t p rin c e s, q u a tre -v in g ts du cs, d es c o m te s , d es m a rq u is
e t d e s b a r o n s sa n s fin, to u s d é p lo y a n t assez g é n é r a le m e n t
u n tr è s g r a n d luxe d ’h a b ita tio n s, d ’é q u ip a g e s et de fas­
t u e u s e s r é c e p tio n s ; ta n d is q u e, de le u r côté, les f e m m e s
o n t u n g o û t t r è s p r o n o n c é p o u r la p a r u r e et se m e t t e n t
avec a u t a n t de r e c h e r c h e que d ’élégance ; elles a i m e n t la
r e p r é s e n ta t io n , les fêtes, le s p la isirs e t s u r t o u t les in trig u e s
de c œ u r , le u r p a s s e - te m p s h a b i tu e l ; a u s s i les é t ra n g e rs
r e g a r d e n t- i ls P a le rm e c o m m e l ’E ld o rad o de l'E u ro pe.
P e u de jo u r s a p r è s l ’arriv ée d u p rin c e , il y e u t à la co u r
g ran d cercle, suivi d ’u n c o n c e r t ; les salons é ta ie n t é t in ­
LÀ
COUR
DE
SICILE.
— 18 0 0 .
ce la n ts de lu m iè r e s d o n t les reflets p r é s e n t a i e n t u n coup
d ’œil m agnifique, em b elli p a r le c o s tu m e des h o m m e s et
l’éléga nce des f e m m e s ; m a is, a u m ilie u de to u te s ces sp le n ­
d e u r s , de ce tte p o m p e m a je s tu e u s e , r é g n a ie n t u n e gêne,
u n e fro id e u r, e t s u r t o u t u n en n u i qui d o m in a it l ’a s s e m b l é e ;
les je u n e s fe m m e s p a r ti c u liè r e m e n t, en d e h o r s d e le u rs
h a b itu d e s , s e m b la ie n t de jolis p etits o ise au x en cage, a t te n ­
d a n t i m p a t i e m m e n t l ’i n s t a n t de p o u v o ir p r e n d r e le u r
e s s o r ; aussi, dès que le roi, les p r in c e s et les p rin c e s s e s
r e n t r è r e n t d a n s l e u r i n té r ie u r a p r è s ce m o n o to n e c o n ­
c e r t q u i dura, p lu s de tro is h e u r e s , ce f u t u n to h u - b o h u
général,
v a ie n t
u n e co nfu sion,
que
le
devoir,
un
e n c o m b r e m e n t qu i p r o u ­
l’é tiq u e tte
et
les c o n v e n a n c e s
a v a ie n t p u seuls r é u n i r au ssi s é r i e u s e m e n t u n m o n d e ne
rê v a n t q u e d is tra c tio n s , fêtes et p la isirs. L’o n d o it p e n s e r
q u ’il n ’é t a it pas u n g r a n d s e ig n e u r qui ne r e c h e r c h â t
l’h o n n e u r de re c e v o ir le prin ce d a n s so n p alais : au s si
é ta ie n t- c e to u s les so irs d es fêtes sp le n d id e s, au x q u e lle s
les officiers de sa m a is o n p r e n a ie n t p a r t et q u i n o u s m e t ­
ta ie n t e n r a p p o r t avec to u t ce q u ’il y avait de p lu s d i s ­
tin g u é , n o t a m m e n t le b aro n de T alley ran d , a m b a s s a d e u r de
F ra n c e à Naples a u m o m e n t de la R évolution, le q u e l s ’était
re tiré avec sa fem m e e t ses e nfa nts à P a le rm e , o ù il jo u is s a it
de la p lu s g r a n d e c o n s id é r a tio n . J e voyais a u ssi, d a n s la
p lu s g ra n d e in tim ité , le c o m te M ussin P u sch k in -B ru ce ,
j e u n e h o m m e de vin g t-tro is a n s, très g r a n d s e ig n e u r et
a m b a s s a d e u r de R ussie, d e v a n t ce tte h a u t e p o sitio n à son
p è r e , f e ld -m a ré ch a l d e l ’e m p i r e e t d a n s l a p l u s g ran d e faveur
p r è s l ’e m p e r e u r P a u l Ier. A dm is, p a r l’e n t re m is e d u co m te,
chez u n e de se s c o m p a trio te s d ’u n âge av ancé, j ’e n fus
accueilli avec ta n t de b ie n v e illa n c e q u ’il était p e u de jo u r s
sa n s que je n e v insse la v is i te r ; so n esp rit, ses q ualités,
les é v é n e m e n ts e x tra o rd in a ir e s d o n t sa vie avait été se m ée ,
52
SOUVENIRS
MILITAIRES.
so n orig in a lité , son lu x e et ses réc its, q u ’elle a n im a it p a r sa
gaieté, attir a ie n t chez ce tte aim ab le se x ag é n aire u n cercle
nom breux.
L a c o m te s s e S c a w ro n sk y , a p p a r te n a n t à u n e des p lu s
g r a n d e s et des p lu s ric h e s fam illes de R u ssie, a v a it été
u n e des favorites de C a therine, e t d a n s sa co n fidence la
p lu s in tim e ; alors q u e ce tte p r in c e s s e v o u lu t s ’e m p a r e r du
tr ô n e , elle y c o n t r i b u a p u i s s a m m e n t p a r son d é v o u e m e n t,
ses in tr ig u e s e t so n c o u ra g e é to n n a n t.
La c o m te s s e , je u n e veuve alors, d ’u n e b e a u té r e m a r ­
q u ab le, e n t h o u s ia s te a m ie , d ’u n c a ra c tè re e n t r e p r e n a n t et
h a r d i, v o y a n t q u e lq u e in d é cision p a r m i les p a r tis a n s de Ca­
t h e r i n e , m o n te à cheval, se r e n d d a n s u n des q u a r ti e r s
o c c u p é s p a r les tr o u p e s q u ’elle exalte p a r ses c h a le u r e u s e s
p a ro le s et sa b e a u té , les e n tra în e et d é t e r m in e la c o n ­
s p ir a tio n d o n t le s u c c è s m i t la c o u r o n n e s u r la tête de la
p r in c e s s e d o n t la r e c o n n a is s a n c e d u r a to u te sa vie.
P lu s ta rd , la c o m te s s e , affaiblie p a r l ’âge et u n e s a n t é
d é la b r é e , à laqu elle se jo ig n a it le chagrin d ’avoir p e r d u son
a u g u s te am ie, vint c h e r c h e r u n r efu g e so u s le ciel b ie n ­
fa isa n t de la Sicile, fit, à P a le rm e , l ’a c q u is itio n d ’u n palais,
e t t i n t u n e m a is o n e n r a p p o r t avec so n im m e n s e f o rtu n e
d o n t u n e p a rtie était c o n s ac ré e à faire d e s h e u r e u x .
Ce f u t d a n s so n sa lo n q u e j e fus t é m o in d ’u n e a l te r c a ­
tion a ssez vive e n tre sir A rth u r Paget, m in i s tr e d ’A ngle­
te r r e , et m o n c o u s in C h a rles de Saint-Clair, n o u v e l le m e n t
p r o m u a u grad e de c o m m a n d a n t d ’un e c o m p ag n ie de la
Garde royale. U ne in a d v e r ta n c e insign ifiante en f u t le p r é ­
t e x t e r a ja lo u s ie d u r e p r é s e n ta n t de la G ra n d e-B retag n e le
m otif, et la ca u se , u n e belle et c o q u e tte p r in c e sse v o u ­
la n t r o m p r e d e s lie n s q u i lui p e s a ie n t e n faveur du je u n e
F ra n ç a is d o n t elle était éprise.
Sir A rth u r, se t r o u v a n t offensé p a r u n cou p de c o u d e
LA
COUR
DE
SICILE.
— AMOURS
ET
DUELS.
53
in v o lo n taire d o n t S ain t-C lair s ’excusa a u s s itô t, lui r e p a r ti t
avec h a u t e u r : « Il p ara ît, M o nsieur, qu e v o u s avez p e u
l ’h a b itu d e des salons. — V ous êtes d a n s l ’e r r e u r , r ép liq u a
c e lu i-c i; n o n s e u le m e n t j e co n n a is les u sa g e s d u m o n d e ,
m a is je sais a u ssi r e m e t t r e à sa p la ce celu i q u i s ’e n écarte, et
j ’ose e s p é r e r que votre q ualité ne v o u s d is p e n s e r a p a s de
m ’a c c o r d e r l ’h o n n e u r d ’u n e sa tisfa c tio n q u e je m e crois
d a n s le cas d ’exiger. — F o r t bien, r é p o n d it sir A rth u r,
j ’aurai d em ain l ’h o n n e u r d ’être à vos o r d re s. » T ous ces
m o ts , dits à voix b a s s e et sans e m p o r t e m e n t ,
fu re n t
c e p e n d a n t e n te n d u s et c i r c u lè r e n t b ie n tô t d an s le salon et
y p r o d u is ir e n t u n e c e rta in e se n sa tio n .
Dès le le n d e m a in , de g r a n d m a tin , je m e r e n d i s chez
S aint-C lair où arriv a p e u a p r è s le v ic o m te d ’A rcam bal,
é m ig r é français^ m a jo r des C hevau-légers de la Garde
ro y a le , v e n a n t c o m m e té m o in et très c o n tra rié ainsi q u e
m o i de ce tte m a lh e u r e u s e r e n c o n tr e , d o n t les s u ite s ne
p o u v a ie n t ê tre q u e f o rt d é s a g ré a b le s p o u r u n ém ig ré
a u q u e l il n e s e ra it c e r ta in e m e n t t e n u a u c u n c o m p te de
l ’in su lte q u ’il avait r e ç u e ; la p o sitio n d u m a jo r était aussi
critiq u e , m a is il m i t de côté to u te c o n s id é r a tio n en se
d é v o u a n t à l ’am itié . C e p enda nt, m o n c o u s in , p a r f a ite m e n t
r ésig n é à s u b ir to u te s les c o n s é q u e n c e s de la positio n ,
d é s ira it voir a r r iv e r l ’in s ta n t de sa venge anc e, d û t-il p e r d r e
sa place et ê tre c o n tra in t de s o r tir d u r o y a u m e . Enfin, s u r
le s six h e u r e s , p a r u t sir A rth u r, a c c o m p a g n é de ses
d e u x té m o in s : « M o nsieur, d it-il à Saint-C lair, je v ie n s m e
m e ttr e à v o tre d is p o s itio n p o u r l ’h e u r e et le c hoix des
a r m e s ; m a is, avant, je v ou s e x p r im e r a i to u s m e s r e g r e ts
de m ’ê tre servi d ’une e x p r e ssio n q u e v o u s ne m é rite z pas. »
A ces m o ts , Saint-Clair, dev in an t le m o tif g é n é r e u x de son
a d v e rsaire, l u i t e n d i t la m a in , et ainsi se te r m i n a cette affaire
d e la m a n iè r e la p lu s h o n o ra b le p o u r l e s deux an ta g o n is te s,
54
SOUVENIRS
MILITAIRES.
J ’e n fu s r e n d r e c o m p te a u s s itô t à M o n se ig n eu r qui,
d a n s s a c o n s ta n te b o n té , i n s t r u i t de la c o n d u ite de C harles,
se p r o p o s a it d ’a lle r chez le roi afin de l’in f o r m e r de ce qui
s ’était p a s s é et p a r a l y s e r les fâ c h e u x effets qu e devait p r o ­
d u ir e u n e affaire d ’h o n n e u r e n tre u n officier de sa gard e
et le r e p r é s e n t a n t d ’u n e c o u r é tra n g è re .
Le le n d e m a in , sir A rth u r, t o u jo u r s n o b le d a n s ses s e n ti­
m e n t s et v o u la n t q u e sa r é p a r a tio n fût éclatan te, d o n n a
u n g r a n d d în e r p e n d a n t le q u e l il té m o ig n a to u te son
e s tim e à Saint-C lair de la façon la p l u s délicate.
L ’a b s e n c e de la r e in e , t o u jo u r s à V ien n e , m e t t a i t du
r e ta r d d a n s la c o n c lu s io n d u m a ria g e , au ssi bie n que le
m a u v a is vouloir d u m in i s tr e A cton, c r é a tu r e v e n d u e à
l ’A n g le te r re ; n o u s en p r e n i o n s fo rt g a i e m e n t n o tr e p arti
au m ilie u des fêtes et des p la is ir s d o n t j 'u s a i s avec to u te
l ’a r d e u r de m e s d ix - n e u f a n s , lo r s q u e M o n se ig n eu r ob tin t
d u roi l’a u to ris a tio n de faire q u e l q u e s e x c u r s io n s d an s
l’i n t é r i e u r ; à c e t effet, d es d é t a c h e m e n ts de tr o u p e s f u r e n t
pla cé s p o u r q u ’il p u t voyag er avec s é c u r ité et p a r e r à l’in­
c o n v é n ie n t de r e n c o n t r e r des b a n d its, assez n o m b r e u x d a n s
le pays. La s u ite d u p r in c e se c o m p o s a it de M. de S o u rd is,
m o i, u n officier n a p o lita in p a r la n t f o rt b ie n n o ir e la ng ue,
d e u x valets et u n e e sp èc e d e l a z z a r o n e c o n n u p a r so n i n te l­
lig e n ce , sa b r a v o u r e et sa fidélité.
N o us f û m e s d ’a b o r d à M essine, ville c é lè b r e p a r so n
a n tiq u ité , sa g r a n d e u r , son o p u le n ce e t les d é s a s tr e s
é p o u v a n ta b le s d o n t elle avait été fra p p é e p a r le t r e m b l e ­
m e n t de te r r e q u i e u t lie u en 1783
Cette m a lh e u r e u s e
cité, qui, à c e tte é p o q u e , r e n f e r m a i t p lu s de 100 000
â m e s , n ’en c o m p ta i t p lu s q u e la m o itié, s ’o c c u p a n t d ep u is
s e p t a n s à r e c o n s t r u i r e la ville s u r u n plan r é g u li e r ; de
t o u s cô tés, se tr o u v a i e n t d es c o lo n n e s , des p ila str e s tr o n ­
q u é s , d e s v estige s d ’a n tiq u ité , d e s palais c o u c h é s s u r le
VOYAGE
EN
SICILE.
— 1 800.
35
sol d o n t o n tâ c h a it de r a s s e m b l e r le s d é b r is c o n s e r v é s ;
enfin, c ’é ta it e n c o r e le chaos à côté d ’u n e r e n a is s a n c e
d o n t on p a r a is s a it s ’o c c u p e r a c tiv e m e n t. Déjà, la ville,
p o sé e en a m p h ith é â tr e au p ie d d es m o n ta g n e s qui s ’é t e n ­
d e n t s u r to u te la Sicile, offrait u n a s p e c t c h a r m a n t, ta n d is
q u ’à ses p ie d s se p r e s s e n t e n b o u ill o n n a n t les eaux d u
d é tro it, ja d is C h a ry b d e et Scylla qui r e m p l is s a ie n t d ’effroi
les n a v ig a te u rs .
N o us v isitâ m e s la citad elle où se t r o u v e n t p lu s i e u r s forts
et d es b a t te r ie s à fleur d ’eau p o u r d é f e n d re l’e n tré e d u p o r t,
u n d e s p lu s b e a u x de la M é d ite rran é e. La c a th é d ra le , qu i
f u t b âtie p a r le r o i R oger, avait é c h a p p é m ir a c u le u s e m e n t
a u d é s a s tr e ; elle e s t d é c o r é e de ving t-six c o lo n n e s an tiq u e s ,
en g r a n it é g y p tie n , f o r m a n t u n a s s e m b la g e o n n e p e u t p lu s
b iz a rre à côté dès o r n e m e n ts g o th iq u e s du x ie siècle. Notre
s é jo u r à Messine, qui n e fut q u e de q u a r a n te - h u it h e u r e s , ne
n o u s p e r m i t pas de suivre d a n s to u s ses détails la r e n a i s ­
sa n c e de ce tte ville qui se ra u n e d e s p lu s belles de l ’Italie.
N o us n o u s d irig e â m e s s u r Catane p a r u n e s u it e de m o n ­
t a g n e s d ’orig in e v o lc a n iq u e d o n t le s feux d o iv e n t être
é te in ts d ep u is b ie n d es siè c le s ; p u is n o u s p a s s â m e s au
p ie d d ’u n r o c h e r q u ’on dit ê tre de d e u x m ille pie d s au-des­
su s de la m e r , s u r le q u e l s ’.est fondé u n a s se m b la g e de
c o u v e n ts q u ’o n app e lle T ao rm in i, et, s u r un pic e n c o re
p lu s h a u t, e s t u n e a g g lo m é r a tio n d ’h a b ita n ts f o rm a n t
e n s e m b l e u n e p o p u la tio n de 2 400 â m e s , p e u t - ê tr e les plus
r a p p r o c h é s du ciel q u ’o n p u is s e c o n n a îtr e .
Catane, où n o u s a rriv â m e s a p r è s u n e assez lo n g u e fatigue,
e s t u n e f o rt jolie ville s u r le b o rd de la m e r , avec u n p o r t
p r o té g é p a r d es p r o lo n g e m e n ts de lave qui e n d é f e n d e n t
l ’e n t r é e ; o n y r e m a r q u e le s r e s te s d ’u n th é â tre e t d ’u n
a m p h ith é â tr e , qui p r o u v e n t de qu elle im p o r ta n c e était
Catane so u s la d o m in a tio n g r e c q u e et r o m a in e .
SOUVENIRS
56
MILITAIRES.
Ce f u t d a n s c e tte ville q u e n o u s finies n o s p r é p a ra tifs
p o u r aller v isiter l’E tn a d is ta n t de 28 m ille s ; n o u s
a r r iv â m e s d ’a b o r d à Nicolosi, m a u v a is village délabré,
r e p a ire de b a n d its, où n o u s t r o u v â m e s u n d é t a c h e m e n t
qui e n avait s u r p r i s six d a n s u n e m a u v a is e m a is o n , qu ali­
fiée d ’h ô te lle rie , o ù n o u s n o u s é ta b lîm e s p o u r p a s s e r la
n u i t ; ces m is é r a b le s , a r m é s de lon g s s ty le ts et d ’espingoles
c h a r g é e s j u s q u ’à la g u e u le , e s p é r a ie n t p r o b a b le m e n t l ’a r ­
riv ée d e q u e lq u e s confiants v o y a g e u rs ; ils f u r e n t ch a rg és
de c h a în e s e t c o n d u i ts d a n s les p r is o n s de la ville.
Dès la p o in te d u jo u r , n o u s c o m m e n ç â m e s n o tr e m a r c h e
à tr a v e r s u n e c o n t r é e c o u v e r te de te r r e n o ir â tre et in f e r ­
tile ; p u is, n o u s g a g n â m e s le pied d e s m o n ta g n e s p o u r a r r i­
v e r d a n s la r é g io n d es la v e s; là, se tr o u v a i e n t q u e lq u e s
c h ê n e s é c h a p p é s à la d e s tr u c tio n q u ’elles tr a î n e n t avec
elles ou qui o n t tr o u v é à g e r m e r e t c r o ît re d a n s les fis­
su r e s , e t qui s o n t loin d ’offrir l’a s p e c t de ces b ea u x a rb r e s
de l ’E tn a d o n t p a r le n t p lu s i e u r s v o y a g e u r s qui o n t la m a ­
n ie d u m e rv e ille u x d a n s u n r é c it b o u rso u flé o u d ’a u tre s
d o n t l ’e x c u r s io n s ’e s t p r o b a b l e m e n t faite d a n s le u r cabi­
n e t. Cette p a r ti e d u tra je t, qui se fait s u r des laves g lis­
sa n te s , e s t assez d a n g e r e u s e p a r les a s p é rité s, les c o n to u rs
aigus et les ra p id e s in c lin a iso n s q u ’il faut p a rc o u rir, sans
a u t r e m o y e n de se p r é s e r v e r d e s c h u t e s q u e la sa gesse
et la s û r e t é de l ’a llu re r é g u liè r e des m u le ts qui finissent
l e u r c o u r s e a u s o m m e t d ’u n e m o n ta g n e où se tro u v e u n e
c a b an e c o n n u e so u s la d é n o m in a t io n de M a i s o n d e s
A n g la is ,
c o n s tr u i te
apparem m ent
pour
le
repos
de
q u e lq u e in su laire.
C’e s t à p a r t i r de c e t en d ro it, a p r è s u n c o u r t r e p o s , q u e
d e v a it c o m m e n c e r v é r it a b le m e n t n o t r e e n t r e p r i s e fati­
g a n te et p é r ille u s e p a r l ’a s c e n s io n q u ’o n a pp e lle du g ran d
ô n e ; m a is, l’a r d e u r et la g aieté d u p rin c e , j o in t e s à Ja
ASCENSION
DE
L’E T N A .
— 1 800.
s é ré n ité d u t e m p s e t la confiance q u e n o u s avio ns d a n s
n o s g u id e s, n e firent q u ’a u g m e n t e r n o s d é s irs d ’a r r iv e r au
b u t, et n o u s n o u s m îm e s en m a rc h e . N ous fû m e s à p e u
p r è s u n e d e m i - h e u r e av a n t d ’a tte i n d r e u n c r e u x assez
é te n d u , p r a ti q u é d a n s le s e n s p e r p e n d ic u la ir e de la m o n ­
tag ne, d o n t le fond était occ u p é p a r p lu s i e u r s o u v e r tu r e s
d ’où s ’é c h a p p a it u n e é p a isse fu m é e , cha rgée d ’u n e o d e u r
in s u p p o r ta b le de soufre.
N ous c o n t in u â m e s de m o n t e r p a r u n e in c lin a iso n p lu s
ra p id e et à c h a q u e i n s t a n t p lu s d a n g e r e u s e ,
forcés de
n o u s a r r ê t e r p o u r r e p r e n d r e h a le in e et t o u r n e r le d o s à la
f u m é e qui p arfo is n ous enveloppait. Enfin, ap rè s u n e h e u r e
de fatigue, g ra v is s a n t t o u j o u r s au m ilie u d ’u n b r o u illa rd
qui s ’é ta it s u b it e m e n t déc la ré et n o u s laissait d a n s u n e
in q u ié ta n te in c e r titu d e s u r la d istanc e qui n o u s sé p a ra it
d u s o m m e t, n o u s f û m e s to u t à c o u p fort a g r é a b le m e n t
s u r p ris l o r s q u ’u n c ou p de v en t, d iss ip a n t la f u m é e et le
b r o u illa rd , n o s deux g uides s ’é c r iè r e n t q u e n o u s t o u c h io n s
a u b u t de n o s efforts; en effet, r e d o u b la n t d ’a r d e u r , n o u s
a tte ig n îm e s b ie n tô t le p o in t c u l m in a n t de la m o n ta g n e ,
n o u s tr o u v a n t alors à 10000 p ie d s a u - d e s s u s de la m e r.
A p ein e e û m e s - n o u s le te m p s de r e s t e r q u e lq u e s m i ­
n u t e s s u r c e t im m e n s e o b se rv a to ire , p r o m e n a n t nos
re g a rd s s u r ce c ra tè r e d ’u n e d e m i- lie u e de d ia m è tre et
d ’u n e p r o f o n d e u r de p lu s ie u r s c e n ta in es de p ie d s, d ’où
s ’é c h a p p a it u n e é p a isse fu m é e s o r ta n t d ’u n e b o u c h e q u i
s e m b la it ê t re so u s n o s pie d s, ta n d is q u e ' d ’a u t r e s e n f o u r­
n is s a ie n t s u r d es p o in ts d iffé ren ts; n o u s n e v îm e s c e p e n ­
d a n t ni flam m es, ni m a tiè re s in c a n d e sc e n te s , m a is n o u s
e n t e n d î m e s u n b r u it c o n tin u p areil à celui qu e p r o d u it
l ’eau en ébullition. Ce spe cta cle im p o s a n t fut to u t à coup
tr o u b lé p a r le r e t o u r d u n u ag e qui s e m b la it n o u s avoir
ac c o rd é u n e fav e u r assez lo n g u e et d o n t l ’a p p r o c h e n o u s
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SOUVENIRS
MILITAIRES.
força de n o u s p r é c ip ite r p lu tô t q u e de d e s c e n d r e , et en c o re
f û m e s - n o u s a t te in ts e t p r e s q u e suffo qués p a r la fum ée,
b ie n q u e douze m i n u t e s n o u s e u s s e n t suffi p o u r p a r c o u rir
la d ista n c e q u e n o u s avions m is p r è s de d e u x h e u r e s à
p a r c o u r ir . N ous r e v î n m e s p a s s e r la n u i t à n o tr e m is é r a b le
gîte de N icolosi, tr è s satisfaits d ’u n e a u s si c u r ie u s e e x c u r ­
sion, et, en m o n p a r tic u lie r , b ie n ce rtain d ’e n c o n s e r v e r
u n p r o fo n d s o u v e n ir.
Le le n d e m a in , de r e t o u r à Catane, n o u s e n p a r tîm e s
p r e s q u e a u s s itô t p o u r aller à S y ra cu se , d a n s l’e spoir d ’y
tr o u v e r q u e l q u e s s o u v e n irs de so n a n tiq u e c é lé b rité ; m ais
p a s u n m o n u m e n t n ’y e s t conservé, et n ’é ta ie n t les c a ta ­
c o m b e s qui s o n t e n t iè r e s e t p r ê te s à r e c e v o ir de n o u v e a u x
h ô te s et la fo n tain e ta n t c é lé b ré e so u s le n o m d ’A ré th u se ,
d o n t l’e a u e s t j o u r n e l l e m e n t tr o u b lé e p a r des f e m m e s
o c c u p é e s à la v er du linge, on c h e r c h e r a i t v a i n e m e n t l ’e m ­
p l a c e m e n t d e s m a g n ifice n ce s q u ’elle r e n f e r m a it. Le S y ra­
c u s e d ’a u j o u r d ’h u i e s t assez bie n bâti, p e u p o p u le u x , so n
p o r t m a g n ifiq u e est d é s e r t et so n c o m m e r c e p r e s q u e nul.
N ous q u i t t â m e s c e tte ville avec le r e g r e t de n ’avoir à citer
d ’elle q u e so n n o m p o m p e u x q u ’elle p o r te , c o m m e le b eau
c h i e n q u ’o n a p p e lle César.
N o us tr o u v â m e s , e n r e n t r a n t à P a le rm e , la popula tio n
f o rt en tr a i n d e s p r é p a ra tif s de sa fête p a tro n a le q u ’elle
cé lè b re d a n s le m o is de ju i l l e t avec u n e p o m p e e x t r a o r d i­
n a ire e t d o n t la ca u se m é rite d ’ê tre r a p p o r té e av a n t d ’e n
r e tr a c e r les détails.
Au c o m m e n c e m e n t d u xn° siècle, vivait u n e j e u n e p r i n ­
ce sse du n o m de Rosalie, n iè c e d u roi G uillaum e, le bon
p r in c e de la rac e n o r m a n d e des H auteville qui ré g n a s u r
la Sicile. Rosalie, d o n t la b e a u té était m e rv e ille u s e , p r it en
d é g o û t la vie et les p a s s io n s d u m o n d e , et se r e ti r a non
lo in d e P a le r m e s u r le m o n t Pellegrino. E n ce te m p s , où
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le s g u e r r e s civiles et des c r im e s de to u te s s o r te s in fes­
ta ie n t l’île, ce tte r é s o lu tio n c o u r a g e u s e de la je u n e p r i n ­
c e sse la sauva de la c o r r u p t i o n ; sa p iété confiante et sa
fierté la d é f e n d ir e n t d es o u trag e s. C e p en d a n t, d a n s le
c o u r s de l ’a n 1159, elle d is p a r u t to u t à c o u p , il fut i m p o s ­
sible de d é c o u v r ir de quelle m a n i è r e ; o n n e r e tr o u v a ni
s o n corps, ni ses v ê t e m e n ts ; avait-elle p éri d ’u n e m o r t v io ­
le n te ? avait-elle e n t r e p r i s u n lo n g p è le rin a g e ? s ’était-elle
o u v e r t u n e to m b e in a cc essib le? On n e s u t p as r é s o u d r e
ces d o u te s.
La foi p o p u la ir e f u t q u ’elle avait été en le v é e a u ciel e n
r é c o m p e n s e de sa v e r tu . Mais, cin q siècles ap rè s, il arriv a
q u e, p e n d a n t u n e p e s te te rrib le qui rav a g ea P a le r m e , u n
h o m m e , r e n o m m é p a r s a p ié té, e u t u n e visio n : il r a p p o r ta
q u ’il lu i avait parti ê t r e tr a n s p o r t é d a n s la ca v ern e du
m o n t P e lle g rin o , q u ’il y avait v u le s o s s e n je n ts de Rosalie
ép a r s e t s a n s s é p u ltu r e et q u ’u n e voix d ’e n h a u t lui avait
dit q u e, si ces r e s te s de la sa in te é t a ie n t p o r té s tr o is fois
a u t o u r des m u r a ille s de la ville, la c o n ta g io n c e s s e r a it su rle -c h a m p . Ces p a r o le s é m u r e n t les h a b i t a n t s ; o n en voya
u n e d é p u t a ti o n s u r la m o n ta g n e , les o s s e m e n t s f u r e n t
d é c o u v e r ts à la pla ce in d iq u é e , on fit le s tro is p r o c e s s io n s
et la Sicile fut d é liv rée de la p este.
D ans le u r r e c o n n a is s a n c e , les h a b i ta n t s de P a le r m e éle­
v è r e n t la b elle p r in c e s s e R osalie au r a n g de le u r sainte
tu té la ir e ; ses os f u r e n t m a g n if iq u e m e n t e n f e rm é s d a n s u n
r e liq u a ir e d ’a r g e n t d ’un travail p r é c ie u x et orn é de p i e r r e ­
ries, p u is d é p o s é s dan s la vieille c a th é d ra le de la ville.
La g r o tte n e fut pas n o n p lu s n é g lig é e ; on c o n s tr u i s it u n
bel escalier, appe lé la Scala, qui s ’élève de t e r r a s s e en
t e r r a s s e à tra v e rs les e s c a r p e m e n t s e t les p r é c ip ic e s de
la m o n ta g n e . Enfin, on b â tit l ’église, et, à côté, u n p r e s b y ­
tè r e p o u r les p r ê tr e s v o u és a u c u l te de la s a in te ; de cet
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SOUVENIRS
MILITAIRES.
e n d r o it l ’on j o u i t de l ’u n e des p lu s b elles p e rsp e c tiv e s du
m o n d e . P r e s q u e a u p ie d de la m o n ta g n e , s ’é t e n d e n t l ’é lé ­
g a n te P a le r m e e t ses f a u b o u r g s , la Bagaria et il Colle,
avec le u rs villas, ric h e s, g r a c ie u s e s e t le u rs v e r ts o m b rag e s.
Du côté de la m e r , on d é c o u v r e les îles Lipari g r a c ie u s e ­
m e n t d é c o u p é e s s u r le ciel, e t le cône to u jo u r s f u m a n t de
S tro m b o li e t V ulcano. C’e s t d a n s le s eaux de S tro m b o li
q u e l ’am ir a l ü u q u e s n e livra aux H ollandais, c o m m a n d é s
p a r B u y te r , le 8 ja n v i e r 1676, u n c o m b a t naval d a n s le q u e l
c e s d e r n ie r s f u r e n t c o m p l è t e m e n t b a ttu s. Mais, re v e n o n s
à la p a t r o n n e d es P a le rm ita in s q u i o n t c o n s e rv é p o u r
sa in te R osalie la p lu s vive g r a ti tu d e e t c é lè b re n t sa fête
a u m o is de ju il le t avec u n e n t h o u s ia s m e , u n lu x e d’illu m i­
n a t io n s et de d i v e r t i s s e m e n t s si a n i m é s q u ’on a u r a it pein e
à t r o u v e r en d ’a u t r e s p a y s d e s c é r é m o n ie s au s si écla tan tes.
Les p la isirs d u r e n t c in q j o u r s sa n s d is c o n tin u e r. Dès
le p r e m i e r , la c h â s s e de la b i e n h e u r e u s e sa in te , sa lu ée
p a r des c a n o n n a d e s et des artifices, a p p a r a ît s u r u n c h a r
tr a în é p a r q u a t r e m u le s et re m p li de m u s i c i e n s ; so n s o m ­
m e t a tte in t le faîte d e s p lu s h a u t e s m a is o n s . Il p a r c o u r t
la p rin c ip a le r u e de la ville au m ilie u d ’un im m e n s e c o n ­
c o u r s d u p e u p le . P e n d a n t les cinq j o u r s , il se p r o m è n e ,
il passe et r e p a s s e e n p r o v o q u a n t les a c c l a m a tio n s ; mais
c e tte p r o m e n a d e e s t e n t r e m ê l é e de c o u rse s de che v au x ,
m o n té s p a r d e s jo c k e y s ou lib re s : c ’e s t u n d es spe cta cle s
le s p lu s a g ré a b le s a u x h a b ita n ts de P a le rm e . Les illu m i­
n a t io n s e t les fe u x d ’artifice q u i o n t te r m in é c h a q u e j o u r ­
n é e s o n t s u r p a s s é s , le so ir de la q u a t r i è m e , p a r l ’illu m in a ­
tion de la m a gnifique c a th é d ra le placée s o u s la p r o te c tio n
de la s a in te ; on y c o m p te cin q c e n ts lu s t r e s c h a r g é s de
bo u g ie s. L ’in té r ie u r de ce vaste édifice p r é s e n te u n sp e c ­
ta c le m a g iq u e : d es franges, d e s g u ir la n d e s de p a p ie r, d u
c a r to n a r g e n té , d e s p e tits m iro irs, fo n t to u s les frais de
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ce tte d é c o r a tio n ; m a is l e u r e n s e m b le e s t d isp o s é si a r ti s ­
t i q u e m e n t q u e l ’im a g in a tio n se cro irait v o lo n tie r s t r a n s ­
p o r té e d a n s u n p a la is de féerie. Celte a r c h ite c tu r e sa n s
o m b r e , éclairée de to u te s p a r ts , p a r a ît c o m m e d ia p h an e .
L es lu m iè r e s , reflétées s u r d es la m e s d ’arg e n t, r e s s e m b le n t
à a u t a n t d ’étoiles é tin c e la n te s , et, e n to ut, c ’e s t u n e c larté
si b rilla n te e t si é b lo u is s a n te q u e les s e n s e n s o n t éto n n é s
e t b ie n tô t fatigués, a u p o in t de n ’y p o u v o ir te n ir u n e
d e m i- h e u r e . Le c in q u iè m e j o u r e s t te r m i n é p a r u n e long ue
p r o c e s s io n dan s la q u elle c h a q u e c o n f r é r ie p o r te le sa in t
q u ’elle r e c o n n a ît p o u r son p a tro n s u r u n e e s tra d e dorée
e t enjolivée avec to u s les s o in s im a g in a b le s : c ’est à qui
m a r c h e r a le p lu s vite, et p i r o u e t t e r a le p lu s r a p id e m e n t ,
e n faisant d e s c o n t r e - m a r c h e s et é v o lu tio n s sa n s n o m b r e ,
au m il ie u des f e m m e s et des e n f a n ts qui d a n s e n t a u t o u r
de l ’e s tra d e . Enfin, le c h a r de sainte Rosalie, qui c h e m in e
p lu s g r a v e m e n t, im p o s e à la jo ie e t au t u m u l te , fait a g e­
n o u ille r le p e u p le et te r m i n e la fête.
P e u de j o u r s a p r è s ces fêtes, il n e s ’en fallut g u è r e
qu e j e te r m in a s s e m a c a rriè re a v e n tu r e u s e de la m a n iè r e
la p lu s e x tra o rd in a ire .
Au n o m b r e d es s e n s u a li té s qui a b o n d e n t e n ce pay s, le
p la isir des b a in s de m e r e s t un de ce ux qui offrent le plus
de c h a r m e , a u s si bie n sous le r a p p o r t de la sa n té q u e p a r
l’a g r é m e n t q u ’o n é p ro u v e à p a r a ly s e r les h o r r ib l e s c h a le u rs
d o n tp a r f o is l’on e s t a c ca b lé s o u s ce clim a t b rû lan t. Or d onc,
é ta n t u n jour, e n m e r à u n e lie u e de d ista n c e avec le c o m te
M ussin P u s c h k in et so n se c r é ta ir e , le b a r o n de L eckam ,
n o u s e û m e s la fantaisie de n o u s liv re r au p la isir de la n a ­
ta tio n , e x e rcic e q u e je p r a tiq u a is avec u n véritab le suGcès.
A u ssitô t d é s h a b illé s, n o u s n o u s la n ç â m e s à p lu s i e u r s
r e p r is e s la tê te la p r e m i è r e dan s l ’im m e n s i té , p o u r r e v e ­
n i r e n s u ite s u r la surface des o n d e s j o u i r des d o u x éb a ts
62
SOUVENIRS
MILITAIRES.
p r o v o q u é s p a r la c h a le u r d u jo u r . D epuis p r è s d ’u n e d em ih e u r e , n o u s jo u is s io n s de cet e x e rcic e sa lu ta ire , lo r s q u e
n o s m a r i n ie r s , d o n t n o u s é tio n s a ssez éloignés, c r iè r e n t :
« S i g n o r i , p e s c e c a n e , p e s c e c a n e ! » u n r e q u in ! et, n a v i­
g u a n t v iv e m e n t p o u r n o u s re jo in d re , ils n o u s engag eaient
de la voix à n o u s d ir ig e r v e r s la b a r q u e ; en effet, cet
avis effrayant n o u s fa is a n t voir d a n s le lo in ta in le d o s du
cé ta c é d o m in a n t le s v a g u e s et c in g la n t s u r n o u s avec
ra p id ité , n o u s n a g e â m e s avec d ’a u t a n t p lu s de vivacité
q u e le d a n g e r d e v e n a it é v i d e n t; m a is, b ie n tô t, la p e u r s ’e m ­
p a r a n t de m o i, le s forces m e m a n q u è r e n t e t j ’étais s u r le
p o in t de c o u l e r à fond o u de d e v e n ir la p ro ie dè ce te rrib le
e n n e m i, l o r s q u ’u n d es m a te lo ts se j e t a à l a m e r, m e s o u ti n t
et m e fit e n t r e r d a n s la b a r q u e au m o m e n t o ù m e s d eux
c o m p a g n o n s v e n a ie n t de s ’y réfugier.
C e p en d a n t, le r e q u in , p o u r s u i v a n t sa c o u r se avec u n e
vélocité qu e r ie n n e s e m b la it p o u v o ir a r r ê te r , p a s s a à
q u e lq u e s to is e s de n o tr e e m b a r c a tio n c o m m e u n e flèche,
se d ir ig e a n t s u r le p o r t avec u n e e s p èc e d ’a ttr a c tio n i r r é ­
sis tib le et v int m a lg r é lui s ’é c h o u e r s u r le sable sa n s p o u ­
vo ir s’e n d égag er.
Le roi, p r é v e n u do cet' in c id e n t e t f o rt a m a t e u r de la
p êc h e, a rriv a a u s s itô t s u r la plage et h a r p o n n a lu i- m ê m e
le r e q u in aux y e u x de la foule a s s e m b lé e . L o rs q u e n o u s
ar r iv â m e s , il éta it é t e n d u s u r la g rè v e so u s la gard e d ’un
p o ste , j u s q u ’à ce q u ’o n v în t le c h e r c h e r p o u r le t r a n s p o r ­
te r a u p alais; il é ta it j e u n e , e t n ’avait p as p lu s de vingt
p ie d s de lo n g u e u r , m e s u r e p lu s q u e suffisante p o u r av a le r
u n c h r é tie n de m a taille. Au r e s te , p lu s i e u r s a u t r e s a va ie nt
été sig n a lé s le s j o u r s p r é c é d e n t s , sa n s savoir à qu el
m o ti f a t t r i b u e r le u r p r é s e n c e , f o rt r a r e d a n s ces parages.
D a n s to u t état de ca u se , m o n effroi n ’e n f u t p as m o in s
t r è s v io le n t et, s a n s le d é v o u e m e n t de ce brave m a r i n q u e je
DÉPART
DU D U C
DE
BERRY.
— 1S00.
63
r é c o m p e n s a i la rg e m e n t, il e s t é v id e n t q u ’u n de m e s m e m ­
b r e s o u m a p e r s o n n e p o u v a it ê tre b r o y é fort le s te m e n t
p a r la m â c h o ir e de cet avide a n im a l et, d a n s le cas de so n
dédain , c o u l e r a u fond de la m e r p o u r e n n o u r r i r d ’a u tre s .
L ’on a r a is o n de d ir e q u ’u n d a n g e r p a s s é p e r d n o n s e u ­
l e m e n t b e a u c o u p de sa gravité, m a is q u ’il d e v i e n t a u s si p a r ­
fois u n s u je t de p la isa n terie : ain si en fut-il de m o n a v e n ­
tu r e , d o n t c h a c u n g losait à m e s d é p e n s , voire m ê m e
p lu sie u r s m a ris q u i n e se d o u ta ie n t g u è r e c o m b ie n il
m ’e û t été facile de m e ttr e le s r ie u r s de m o n côté.
U ne le ttr e d u p rin c e de Condé a n n o n ç a n t la p r o c h a in e
r u p t u r e de l’a r m is tic e , M o nse ign eur s ’e m p r e s s a d ’e n d o n n e r
c o n n a is s a n c e a u roi e t de lui e x p r im e r l ’in te n tio n o ù il était
d ’a lle r r e p r e n d r e so n c o m m a n d e m e n t à l ’a r m é e . Sa Majesté,
a p p r é c ia n t le j u s t e d é s ir d u p r in c e , l’a u to ris a à p a r ti r e t il
fut décidé q u e le chev alier de la J a r r e , m o i et les é q u i ­
p a g e s, n o u s a t te n d r io n s les o r d re s qui d e v a ie n t n o u s p r e s ­
crire ce q u e n o u s avions à faire. Le p r in c e s’e m b a r q u a , le
12 s e p te m b r e , a c c o m p a g n é de MM. de S o u rd is et de Da­
m a s et de son v a le t de c h a m b r e , p o u r N aples, d ’o ù il d evait
a u s s itô t se r e n d r e à S alzbourg, p r è s le p r in c e de Condé.
P e n d a n t les quinze jo u r s q u e n o u s r e s t â m e s e n c o re à
P a le r m e a p r è s le d é p a r t d u p r in c e , s u r v i n r e n t p lu sie u r s
é v é n e m e n ts q u e fit n a ître la r u p t u r e de l ’a r m is tic e ,
n o t a m m e n t l’o c c u p a t io n de N aples p a r u n e division ru s s e ,
e t l’o r d re a u c o m te Mussin P u sc lik in d ’aller y r é s id e r p r è s
de la r e in e d o n t on a t te n d a it la p r é s e n c e à to u t in stan t, ce
qui avait au ssi n é c e s s ité l'en v o i d ’u n r é g im e n t d ’in fa n te ­
rie de la Garde royale, d a n s leq uel C ha rles de Saint-Clair
é ta it cap itaine.
Dans ce m ê m e t e m p s , le ch e v alier de la J a r r e r e ç u t
u n e le ttre du d u c de B e rr y qui lui m a n d a it q u e so n e s p é ­
ra n c e d ’u n io n avec la p r in c e s s e Marie é t a n t à p e u p r è s
64
SOUVENIRS
MILITAIRES.
d é tru ite , n o u s e u s s io n s à q u i t t e r P a le r m e d a n s le p lu s
b r e f délai et à a t te n d r e à N aples de n o u v e lle s i n s t r u c tio n s
s u r la m a r c h e q u e n o u s a u r io n s à su iv re . N ous p r îm e s
a u s s itô t n o s d is p o s itio n s de d é p a rt, e t o b tîn m e s u n e a u ­
d ie n ce d u roi d o n t la r é c e p tio n f u t r e m p l ie de b ie nveil­
la n ce , n o u s faisa n t e n t re v o ir q u ’il ne cé d ait q u ’à u n e force
m a je u r e , m a is av e c l ’e s p o ir de la s u r m o n t e r p lu s t a r d ;
p u is, s ’e n q u é r a n t avec b o n té de n o s p r o je ts et de n o tr e
situ a tio n financière, S. M. d it a u ch e v a lie r de la J a rr e q u ’il
r e c e v ra it d a n s la so ir é e u n e l e t t r e p o u r le d u c de B e rr y et
u n b o n de six ce n ts d u c a ts p o u r n o s d é p e n s e s , ainsi q u ’u n
o r d r e d ’e m b a r q u e m e n t s u r la fré g ate q u i d evait t r a n s p o r ­
t e r l ’a m b a s s a d e u r de R u s sie . C ette c irc o n s ta n c e m e fut
d ’a u t a n t p lu s a g ré ab le , q u e m a lia iso n avec le co m te P u sc h k in n e p o u r r a it q u e s ’e n r e s s e r r e r d avantage.
Mon d é p a r t de P a le rm e n e se fit p a s sa n s r e g r e ts , a p r è s
u n s é jo u r d e q u a t r e m o is p a s s é de la m a n iè r e la p lu s
a g r é a b le s o u s ce ciel ra d ie u x , d a n s u n p a y s e n c h a n t e u r et
a u m ilie u d es a g r é m e n ts de to u s g e n r e s si j u s t e m e n t
a p p r é c ié s à m o n âge. Mais l ’e s p o ir de re v o ir b ie n tô t m o n
a u g u s te p a t r o n m o d é r a u n p e u m a d o u le u r en m e s é p a ­
r a n t de p e r s o n n e s d es b o n té s d e s q u e lle s il n e devait b ie n ­
tô t m e r e s t e r q u e le s o u v e n ir , n o t a m m e n t la grac ieu se
e t m ig n o n n e d u c h e s s e de S o rie n to , d o n t les c a p ric e s avaien t
t a n t de c h a r m e s q u e s ’y s o u m e t t r e é ta it u n b o n h e u r , la
m a r q u i s e Aceto p lu s c o n s ta n t e e n a m itié q u ’en a m o u r , la
b elle, altiè re e t s u p e r b e p r in c e s s e de Hesse, a s s e r v is s e n t
t o u t à ses d é s irs , s u r t o u t e n a m o u r , d o n t elle était u n e des
p lu s a r d e n te s p r ê t r e s s e s ; ce fut a u s si avec un v éritable
c h a g r in qu e je m e s é p a ra i de c e lte b o n n e e t re sp e c ta b le
c o m te s s e .S c aw ro n sk y q u i avait été p o u r m oi si parfaite,
et m e tr a i ta it c o m m e si j ’avais été so n enfant.
LICEN CIEM ENT
DU
DE LA M A I S O N
D UC DE BERRY. — S É J O U R
A NAPLES
Q uinze j o u r s a p r è s n o tr e a r r iv é e à N aples, u n e le ttre
d u d u c de B e rr y n o u s a n n o n ç a la d é s a s tr e u s e bataille
de I lo h e n l in d e n , d a n s la q u elle l'a r m é e de Condé, qui y avait
si l a r g e m e n t p a y é s o n d é v o u e m e n t, v e n a it d ’ê tre licenciée
c o m m e u n e des c o n d itio n s e x ig ée s d a n s le n o u v e l a r m i s ­
tice ac co rd é à l ’A u triche. Le p rin ce e x p r im a it so n in d i­
gnation s u r ce tte lâ c h e té d u c a b in e t a u tric h ie n et s o n
d é s e s p o ir s u r l’a ve nir r é s e r v é à ses b rav e s c o m p a g n o n s
d ’a r m e s . Il a n n o n ç a it so n p r o c h a in d é p a r t p o u r E d im b o u rg ,
où r é s id a it so n p è r e , et, n ’e m m e n a n t avec lu i qu e Delleville
so n v alet de c h a m b r e , il p re s c riv a it a u ch e v a lie r de la
J a r r e de v e n d re to u s ses équip ag e s, de p a y e r et r e n v o y e r
se s d o m e s tiq u e s , de m e r e m e t t r e d e u x c e n ts d u c a ts,
r e g r e t t a n t q u e sa p o sitio n n e lui p e r m î t pas de m ’a p p e le r
p r è s de lui, et d ’a lle r de sa p e r s o n n e p r è s de M adam e la
c o m te s s e d ’A rtois. Ces tr is te s n o u v e lle s , b ie n faites p o u r
m ’affliger, p u is q u e j e voyais s’é v a n o u ir m e s e s p é r a n c e s
e t q u e j ’étais livré bie n je u n e à m o i- m ê m e , f u r e n t p a r a ly ­
sé es p a r l ’am itié q u i v in t offrir des c o m p e n s a tio n s à m o n
j u s t e cha grin.
SOUVENIRS
66
MILITAIRES.
Le c o m te M ussin P u s c h k in m e p r o p o sa , avec l ’effusion la
p lu s d élica te , de r o m p r e sa s o litu d e e n v e n a n t h a b ite r
avec lui, j u s q u ’à ce qu e m o n p è r e m ’e û t fait co n n a ître ses
in te n tio n s . Il y m i t u n e p e r s is ta n c e si affec tueuse q u ’il
s e m b la it o b te n ir u n e faveur lo r s q u e je lui té m o ig n a i to u te
m a r e c o n n a is s a n c e de ce tte p r e u v e d ’affection si sin c ère.
J e d ev ins d onc so n c o m m e n s a l, le c o m p a g n o n de ses jo ie s
et de se s p la is ir s , et a d m is à p a r ta g e r to u s les a g r é m e n ts
de sa h a u t e p o sitio n .
Le c o m te M ussin P u s c h k in , ain si q u e je l ’ai dit, avait à
p e i n e v in g t- q u a tr e a n s, jo u is s a it d ’u n e f o r t u n e tr è s c o n ­
s id é ra b le , et était m a rié à u n e r ic h e h é r it iè r e d u n o m de
B ruce, d e s c e n d a n te d es rois d ’Ë c o ss e ; la c o n d u ite p lu s q u e
lé g è re de sa j e u n e et b elle é p o u s e l ’avait forcé de s ’en
sé p a re r.
N o m m é a m b a s s a d e u r à N aples, p a r u n e fave ur to u te
spéciale, il te n a it u n e m a is o n d es p lu s sp le n d id e s et se
tr o u v a it, dan s le s s itu a tio n s p r é s e n te s , a p p e lé à j o u e r u n
rô le de la p lu s h a u t e im p o r ta n c e ; au ssi l ’e m p e r e u r lui
avait-il a d jo in t u n p r e m i e r s e c r é ta ir e d ’a m b a s s a d e d ’u n
m é r i te s u p é r ie u r .
P e u de te m p s a p r è s n o tr e arriv é e à Naples, la r e in e
vint y r é s id e r , ce qui n é c e s s ita la v e n u e d ’u n r é g im e n t de
la G arde ro y ale , d a n s le q u e l, à m a g ra n d e satisfac tio n , se
tr o u v a it m o n c o u sin , C harles de Saint-Clair. Mais, ava n t de
r e tr a c e r la no u v elle vie à laquelle j ’étais a p p e lé , il f a u t que
j ’e s q u is s e le p o r tr a it de m o n am i, au p h y s iq u e c o m m e a u
m o ra l, et le m o n t r e r d a n s to u t e sa s p le n d e u r v é r ita b le ­
m e n t prin cière.
Le c o m te M ussin P u s c h k in é ta it de taille m o y e n n e , u n
p e u tro p r e p le t p o u r so n â g e ; il avait u n e figure nob le et
d is tin g u é e , d e s y e u x r e m p l is d ’e x p re ssio n et u n so u r ir e
c h a r m a n t ; m a is, ce qui le d é p a r a it u n p e u , était u n e t u m e u r
A N A P L E S , AVEC LE COMTE M U S S I N PUSCI I KI N.
6T
assez forte a u b r a s g au c h e, p a r ta n t d u c o u d e j u s q u ’a u p o i­
gn et, q u i n é c e s s ita it de f r é q u e n ts b a in s d e m e r.
Son é d u c atio n , des p lu s soigné es, avait été faite p a r
M. de la H aye, ém ig ré, h o m m e d ’u n m é rite s u p é r i e u r q u i
n e le q u itt a it ja m a is , et a u q u e l il d evait de p a r le r le
français, l ’anglais, l ’ita lie n e t l ’a lle m a n d de la m a n iè r e la
p lu s d istin g u é e ; il avait b e a u c o u p d ’e s p r it n a tu re l, de la
gaieté, de la fra n chise e t u n e g é n é r o s ité q u i to u r n a i t en
p r o fu s io n : o n e n j u g e r a p lu s f a c ile m e n t l o r s q u e l ’o n c o n ­
n a î tr a l ’é ta t de sa m a iso n , p e u t - ê tr e a u s si exigé p a r son
so u v e ra in .
Le c o m te P u s c h k in avait, de s o n fait, 200000 r o u b le s de
r e v e n u (ayant a b a n d o n n é à sa f e m m e ce q u i lui a p p a r te .
n a i t ) e t d e t r a i te m e n t, c o m m e a m b a s s a d e u r , 375 000 r o u b le s .
Il lo g e ait e n face de la m a g n ifiq u e p r o m e n a d e de la Villa
Réal, a y a n t v u e s u r la m e r ; s a m a is o n se c o m p o s a i t de
M. d e la Haye, u n s e c r é ta ir e p a rtic u lie r, u n a u m ô n ie r ,
u n m é d e c in , u n i n t e n d a n t e t u n e fe m m e do c h a rg e a y a n t
u n e ta b le p a r ti c u liè r e ; à la s ie n n e , n ’était q u e m o i, et
p r e s q u e to u s les j o u r s se p t o u h u i t invités, n o n c o m p ris
le s g r a n d s galas de r i g u e u r ; p uis, v e n a ie n t d e u x v alets de
c h a m b r e , d e u x h u is s ie r s , u n c h a s s e u r , q u a tre laquais, u n
c u isin ie r, d e u x aides, trois o u q u a t r e m a r m ito n s , d e u x
c o c h e r s , d e u x g r o o m s e t tr o is p a le f re n ie rs , f o r m a n t u n e
tr o is iè m e et q u a triè m e table ; d a n s l’éc u rie, se tro u v a ie n t
q u a tre c h e v au x de v o itu r e e t tr o is de selle. T elles é ta ie n t
le s d é p e n s e s jo u r n a l iè r e s , n o n c o m p ris les galas, les so i­
r é e s, les sp e cta cle s, la to ilette, les a c h a ts de fantaisie et,
p a r - d e s s u s to u t cela, u n e m a îtr e s s e d o n t les d é p e n s e s
dev a ie n t av o ir q u e lq u e valeur. A ussi, p e n s a i-je qu e
575000 r o u b le s n e d e v a ie n t p as suffire à lu xe s e m b la b le
e t qu e les ca p ita u x d ev a ie n t ê tre u n p e u e n ta m é s , ce qui
se m b la it é m o u v o ir t r è s p e u le c h e r a m b a s s a d e u r .
68
SOUVENIRS
MILITAIRES.
La p r é s e n c e de la rein e , u n e paix m o m e n ta n é e et l ’envoi
de M. A lq u ie r, m in i s tr e de F ra n c e à N aples, fu re n t le m otif
de fêtes b r illa n te s a u x q u e lle s a s s is tè r e n t p lu s ie u r s F ra n ç a is
v e n u s d u q u a r ti e r g én é ral de M u râ t o c c u p a n t MilanU n j o u r , q u e le c o m te P u s c h k in d o n n a it u n g r a n d d în e r
a u q u e l a s s is ta ie n t d es F ra n ç a is e t d es Anglais q u i a v a ie nt
fait tr a n s p o r t e r des c h e v a u x p u r sa n g d o n t q u e lq u e s - u n s
a v a ie n t été v e n d u s u n p r ix e x o r b ita n t, il f u t q u e s tio n
d ’o r g a n ise r u n e c o u r s e , dan s la q u elle le co m te P u sc h k in ,
p o s s e s s e u r d ’u n m ag n ifiq u e cheval b arb e , p r o p o s a u n défi
c o n tre le s c h e v au x d es in su la ire s , d ’où s ’e n s u iv it a u s ­
sitôt l ’o rg a n is a tio n de la dite c o u r s e , sp e c ta c le to u t à fait
n o u v e a u p o u r le s N ap o litain s. U n t e r r a i n v aste et uni,
situ é s u r les b o r d s de la m e r , fu t le lie u d ésig n é p o u r
d é c id e r la lu tte ; le j o u r en fut fixé a u i m a r s , s u r les
dix h e u r e s d u m a t i n . Les c o n d itio n s, é c rite s et sig n é es p a r
le s p arties, i n d iq u a ie n t q u e les c o u r e u r s , au n o m b r e de
h u it, d é p o s e r a ie n t c h a c u n vin g t d u c a ts d ’o r p o u r le prix d u
v a i n q u e u r , n o n o b s t a n t les p a r is de tr a v e rs e q u i, n é c e s s a i­
r e m e n t , d e v a ie n t av o ir l i e u ; e n o u tr e , le g ag n a n t se ra it
e x e m p t de to u s le s frais de la c o u r s e .
Chaq ue cavalier p o u v a it m o n t e r u n cheval à so n choix
et les h u i t c o n c u r r e n t s d ev a ie n t c o u r ir e u x - m ê m e s .
Le c o s tu m e de r ig u e u r c o n s is ta it d a n s u n e v este r o n d e
e n soie de c o u le u r s d iffé ren te s, c u lo tte de p e a u de d aim ,
b o tte s à r e t r o u s s i s j a u n e avec d e s é p e r o n s de m ê m e d i m e n ­
sion, c a s q u e tte e n v e l o u rs de la m ê m e c o u le u r q u e la
v este, e t u n fo u et s e m b la b le ; les selles et h a r n a c h e m e n ts
a u choix des c o u r e u r s . Dans le p a r c o u r s de la c o u r s e qui
dev a it ê tre de tr o is m illes, il éta it de rigueur, de c o n ­
t o u r n e r tro is p o te a u x pla cé s à d e s d ista n c e s in é g a le s;
m a is le c o u r e u r qui d é p a s s e ra it les b o r n e s p la n té e s d u cô té
de la m e r d e v a it ê tre déc la ré h o r s de c o u r s e . La fin du
COURSES
DE
CHEVAUX.
— 18 01 .
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p a r c o u r s dev a it f o u r n ir u n m ille e n ligne droite, au b o u t
d u q u e l d e s ju g e s , placés p r è s de d e u x g ra n d s p o te a u x o rn é s
de b a n d e r o le s r o u g es, d é s ig n e r a ie n t v a i n q u e u r le cheval
qui, le p r e m i e r , a u r a it enlevé avec son p o itrail u n r u b a n
l é g è r e m e n t a tta c h é en tra v e rs .
P o u r g a g n e r la co u rse , il fallait a r r iv e r d e u x fois p r e ­
m i e r ; ainsi, la lu tte p o u v a it se r e n o u v e le r e n t r o i s r e p rise s,
m a is, à la d e r n iè re , il n e p o u v ait p lu s y avoir q u e d e u x
c o n c u r r e n ts . Ces c o n v e n tio n s ir r é v o c a b le m e n t a r r ê té e s ,
n o u s e û m e s h u i t j o u r s p o u r n o u s p r é p a re r, p e n d a n t le sq u e ls
de n o m b r e u x paris s ’é t a b li r e n t : l ’a m b a s s a d e u r de R ussie,
e n t r e a u t r e s , engagea 500 lo u is avec le je u n e lo r d W h i tw o r t h qui p r é t e n d a i t av o ir le p r e m i e r c o u r e u r de l’A n g le­
terre .
P a r m i les h u i t c o u r e u r s , se tro u v a ie n t le je u n e lord
avec tro is de se s c o m p a tr io te s , le c h e f d ’e s c a d ro n B e a u m o n t,
aide de c a m p de M urât, MM. de L ivron et H am e lin , e m p lo y é s
d a n s les a d m in is t r a tio n s de l ’a r m é e fra n ça ise, to u s tr o is
e n m is s io n â Naples, a y a n t fait l ’ac q u isitio n , c h è r e m e n t
payé e, de che v au x de race, et m oi, enfin, avec le fam e ux
cheval b a r b e d u c o m te P u s c h k in , q u e j ’ex e rçais to u s les
m a tin s , p e n d a n t d e u x h e u r e s , s u r le t e r r a i n o ù d ev a it se
faire la c o u rse , ce qui faillit m e d e v e n ir f u n e ste . L ’a n n o n c e
de cette c o u rse , b ie n tô t c o n n u e d a n s Naples, p ro v o q u a
l ’im p a tie n c e d ’u n e p artie d es h a b i ta n t s f o rt d é s ire u x de
j o u i r d ’u n sp e c ta c le n o u v e a u p o u r eux. Le j o u r de la lu tte
arrivé, p lu s de tr o is c e n ts v o itu r e s et u n e g ra n d e p a r tie de
la p o p u la tio n e n c o m b r a ie n t le s a l e n to u r s d u t e r r a i n s u r
le q u e l n o u s d e v io n s c o u rir. Au p o in t d ’a r r iv é e , se t r o u ­
vaien t d e u x p a villon s é l é g a m m e n t d é c o r é s ,
d e s tin é s à
des p e r s o n n a g e s m a r q u a n ts et à d e s f e m m e s b rilla n te s
d e to ilettes, de b e a u té et de sa tisfa c tio n à l ’a s p e c t d ’u n
spe cta cle qu i s e m b la it le u r p r é s a g e r des é m o tio n s n o u ­
70
SOUVENIRS
MILITAIRES.
velles. Non loin de ce s pavillons si a g r é a b le m e n t g a r n is ,
se tro u v ait u n é c h a f a u d s u r le q u e l é ta it la m u s i q u e de la
Gardo r o y a le , p u is , çà et là, q u e l q u e s t r o u p e s à cheval afin
de m a i n t e n i r l ’o r d r e et e m p ê c h e r l ’in v a sio n d u te rr a in s u r
le q u e l d e v a it se faire la cou rse . L es c o u r e u r s , pla cé s s u r
u n e se u le ligne a u fond de l ’a r è n e , s ’é l a n ç è r e n t a u signal
de l ’explo sio n d ’u n e boîte.
B ientôt, m o n cheval d é p a s s a n t t o u s les a u t r e s n ’avait
p lu s q u e le p a r c o u r s d e la ligne dro ite , lo r s q u e , to u t à
c o u p , faisa n t u n éc art, il c h e r c h e à se d irig e r s u r la g auch e
v e r s u n e p e t ite m a is o n p r è s la q u elle il se r e p o s a it to u s
le s j o u r s lo r s q u e je ven a is l ’e x e r c e r et où j e lui faisais
m a n g e r l’avoine. C e p e n d a n t la c o u r s e c o n tin u a it, m e s
a n ta g o n is te s g a g n a ie n t du te r r a i n , tr o is m ’a va ie nt d ép a ssé ,
les a u t r e s s u r le p o in t de le faire, ta n d is q u e m o n cheval,
in é b r a n la b l e d a n s sa v o lo n té , se ca brait, ru ait, se d é b a tta it
en c h e r c h a n t à m ’e m p o r t e r [vers ce tte m a u d ite m a is o n ;
enfin, v i o l e m m e n t p iq u é p a r m e s é p e r o n s , cou pé p a r m o n
fouet, v ain cu p a r m a colère, il se lance c o m m e u n e balle,
r a t t r a p e les c o u r e u r s , e n d é p a s s e p lu s ie u r s , m a is, a y a n t
tr o p p e u d e c h e m in à p a r c o u r i r p o u r re g a g n e r le te m p s
p e r d u , arrive s e u le m e n t le tro isiè m e , ta n d is q u e le ch e v al
de lo r d W h i t w o r t h enlèv e le r u b a n , suivi de p r è s p a r Livro n . U ne d e m i - h e u r e f u t ac c o rd é e p o u r faire souffler les
ch e v au x , a p r è s laquelle n o u s p a r tî m e s s e u l e m e n t cinq :
le c h e f d ’e s c a d r o n B e a u m o n t, H a m e lin et u n Anglais
s ’é ta n t r e ti r é s . P r é v o y a n t u n e no u v elle lu tte à la h a u t e u r
de c e tte m a i s o n fatale, j e m a i n t i n s m o n cheval à u n e tr è s
p e t ite d istan c e e n a r r iè r e d es c o u r e u r s et, bien s u r m e s
g a rd e s, lo r s q u e n o u s a r r iv â m e s à la h a u t e u r de ce lieu
d ’i n q u ié tu d e , lui e n f o n ç a n t les é p e r o n s d a n s le v e n tre , il
fit u n b o n d e n a v a n t de p lu s de d o u ze pie d s, se la n ça
c o m m e l ’éc lair et e m p o r t a le r u b a n d ’u n e l o n g u e u r de
COURSES
DE
CHEVAUX.
— 1801.
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cheval s u r c e lu i d u lo rd , ta n d is q u e celui de M. M ennerin g , r ic h e n é g o c ia n t, qui su iv a it de p r è s , s ’abat, ro u le s u r
son c a v alier e t lui b ris e la clavicule. Cet é v é n e m e n t p r o ­
d u isit u n m o m e n t de tr o u b le et de c o n f u s io n ; le b le s s é
tr a n s p o r t é d a n s u n pavillon fut livré au x so in s d ’u n m é d e ­
cin. L es s p e c ta te u r s et les ju g e s d é c id è r e n t q u e la d e r ­
n iè r e c o u r s e a u r a it lieu e n t r e le lo r d et m oi. Alors, se fire nt
de n o u v e a u x p aris, le c o m te P u s c h k in d o u b la le sien, le
p r in c e d élia Cattolica, c o m m a n d a n t la Garde ro y a le , et le
gén é ral r u s s e B a ra sd in p a r i è r e n t 600 d u c a ts c o n tre l ’a m ­
b a s s a d e u r d ’A n g le te r re ; L ivron e t H a m e lin e n g a g è r e n t
c h a c u n 1 000 fran cs p o u r le b a rb e co n tre M. Loch, c onsu l
an glais ; n o m b r e d ’a u t r e s s o u ti n r e n t le u r c ro y a n c e de le u r
b o u r s e , ta n d is q u e, d a n s les pavillons, p lu s i e u r s d a m e s
au ssi p a r ia ie n t d es s o m m e s assez c o n s id é r a b le s .
Le je u n e lo r d , s ti m u lé p a r sa conviction et p e u t - ê tr e
p lu s e n c o re p a r so n a m o u r - p r o p r e , a u r a it en g a g é sa
f o r tu n e ; q u a n t à m oi, bien conva inc u de la s u p é rio rité de
m o n cheval, m a lg ré l ’a s s u ra n c e de m o n a d v e rsa ire qui
s e m b la it n e p as d o u te r un i n s t a n t de s o n s u c cè s, je n ’étais
c e p e n d a n t pas s a n s in q u ié tu d e s u r la r e s p o n s a b ilité
m o r a le d es s o m m e s é n o r m e s e n g a g ée s e n m a fav eur,
r e d o u ta n t s u r t o u t l ’écueil de la m a iso n , o ù le m o in d r e
t e m p s d ’a r r ê t p o u v a it d e v e n ir u n e p e r te p r e s q u e c e r ta in e ;
au ssi, m e s p a r i e u r s m ’acca b la ien t-ils de l e u r s conseils,
m ’e n g a g e a n t à b ie n m e t e n i r s u r m e s g a r d e s ; d ’a u t r e s
v o u la ie n t que j e p a rtisse à to u te c o u r s e dès le d é b u t afin
d ’avoir le te m p s de v ain cre m o n cheval av ant d ’ê tre j o i n t ;
m ais, b ie n déc id é dan s m o n p r o je t de g a r d e r le p lu s
p o ssib le la d ro ite de m o n a d v e rsaire, j e p r o m is de faire
p o u r le m ie u x , et m e m e t t a n t e n selle, n o u s f û m e s to u s
d e u x a t te n d r e le signal d u d é p a rt, ay a n t d a n s m o n for
in té r ie u r la c o n s c ie n c e d u m é r i te de m o n b e a u b a r b e q u e
72
SOUVENIRS
MILITAIRES.
je flattais de la m a in , c o m m e p o u r lui faire c o m p r e n d r e
l’e s p é r a n c e q u e je m e tta is en lui.
E nfin, le signal e s t d o n n é , n o u s p a r to n s , e t c o m m e si
n o u s n o u s é tio n s d o n n é le m o t, galo p an t à la h a u t e u r
l ’u n de l ’a u tre , a y a n t p lu tô t l ’air de faire u n e é v o lu tio n de
m a n è g e q u ’u n e c o u r s e , m ais, en a r r iv a n t p r è s de la
m a is o n , m o n cheval s e n t a n t la p r e s s i o n de m e s ja m b e s ,
d e v in a n t m a p e n s é e ou c o n s e r v a n t s o u v e n ir des d eux lu tte s
d a n s le s q u e lle s il avait s u c c o m b é , m e g agne la m a in , p a rt
c o m m e u n e flèche, la is s a n t d e r r iè r e lui so n rival et e m ­
p o r t e le r u b a n a u x a p p l a u d is s e m e n ts de la foule et aux
cris d e : « V i v a a l p i c c o l o F r a n c e s e ! »
Ce t r io m p h e de m o n cheval, d o n t la v élocité avait
q u e l q u e c h o s e de
fa n ta s tiq u e , m e v a lu t
l ’o v ation
la
p lu s flatteu se de la p a r t des d a m e s d e s p av illo n s et s u r ­
t o u t de m e s p a r ie u r s ; m a is, tr e m p é de s u e u r , accablé de
fatigue e t v iv e m e n t i m p r e s s io n n é , je m ’e m p r e s s a i de
m o n t e r d a n s la v o itu r e d u c o m te P u s c h k i n qui n o u s t r a n s ­
p o r t a à Naples. Le le n d e m a in , je fus m is e n p o s s e s s io n
de la s o u s c r i p tio n de la p o u le se m o n t a n t à 160 d u c a ts, y
c o m p ris m a m is e q u e je n 'a v a is p a s b a la n c é de r i s q u e r dan s
la p e r s u a s i o n o ù j ’élais d u r é s u lt a t. Q u a n t a u je u n e lo rd
W h i tw o r t h , il s ’e m p r e s s a de v e n ir p a y e r à l ’a m b a s s a d e u r
de R ussie le m o n t a n t de so n pari e t o b tin t, n o n sa n s p e in e ,
q u ’il lui c é d â t la p o s s e s s io n de s o n v a i n q u e u r au prix de
1 000 d u c a ts, ce qui fait q u ’il en c o û t a 36 000 fra n c s au
lo r d p o u r ê t re b ie n c o n v a in c u q u e le chev al q u ’il m o n ta it
n ’é ta it p a s le m e i l l e u r c o u r e u r de l ’E u ro p e , ainsi q u 'il en
av ait e u la c r o y a n c e j u s q u ’a l o r s ; a u reste , so n im m e n s e
f o r tu n e p o u vait lui p e r m e t t r e ce. p e tit ca price , et m a in te t e n a n t, m a îtr e d u barb e , il po u v ait e s p é r e r de se r é c u p é r e r
a u x c o u r s e s d ’A n g le te r re .
Il n e fut q u e s tio n p e n d a n t q u e l q u e s j o u r s q u e de cet
CHARLES
DE
SAINT-CLAIR.
— 1 80 1 .
73
é v é n e m e n t d a n s le q u e l p lu s i e u r s b o u r s e s f u r e n t é b r é ­
chées, car il y avait e u p lu s de 5 000 d u c a ts d ’e n g a g é s ;
m ais, ce qui m e chagrina,-ce f u t de v o ir s o r tir d e s é c u r ie s
d u c o m te ce b o n et b r illa n t b a r b e , m a m o n t u r e de p r é d i ­
le ctio n et p o u r leq u el j ’avais u n e affection réelle.
N aples est u n e ville où les p a s sio n s s o n t a u s si vives
qu e la te m p é r a t u r e y est b r û la n t e ; aussi, p o u rra is - je r e tr a ­
c e r g r a n d n o m b r e de ta b le a u x de m œ u r s t o u t à fait i n h é ­
r e n ts a u pay s, m a is je m e b o r n e r a i en ce m o m e n t à p a r le r
d ’u n é v é n e m e n t e x tra o rd in a ir e qui offrait à l'Italie le
spectacle si s o u v e n t r e n o u v e lé e n R u s sie p a r la g r a n d e
C a th e rin e s u r le choix d ’u n favori. Ce fu t à m o n c h e r c o u ­
sin, Charles de S aint Clair, q u ’a dvint la f av e u r insigne
de sa tisfa ire les p a s sio n s d ’u n e re in e de c in q u a n te ans.
S an s e n t r e r dans les d é ta ils de ce tte in trig u e , où je m e
tro u v a is j o u e r u n rôle tr è s se c o n d a ire , j e dirai q u ’en trè s
p e u de t e m p s , Charles f u t fait officier s u p é r i e u r des Gardes
d u Corps, é c u y e r de la rein e , p uis g o u v e r n e u r du p rin c e
h é r é d ita ire et enfin, p lu s ta rd , m in i s tr e de la G u erre , et
qu e, d an s le p a r c o u r s de ces différentes faveurs, il é c h a p p a
d e u x ou trois fois à différentes tentativ es d ’as sass in at,
d o n t u n j o u r je m a n q u a i m o i- m ê m è d e tre v ic tim e . Ce fut
au m il ie u de to u te s ces p é r ip é tie s qui d u r è r e n t p lu s ie u r s
m o is q u ’on a p p r it la no u v elle de la m o r t tra g iq u e de l ’e m ­
p e r e u r P a u l 1er et q u ’e u t lie u le rapp e l d u c o m te M ussin
P u s c h k in d o n t j e d u s m e s é p a r e r avec u n v éritab le c ha grin.
H e u r e u s e m e n t , q u e lq u e te m p s a p r è s , a r r iv è r e n t à
N aples Achille de D a m p ie rre , j e u n e a d ju d a n t g én é ral, et
Louis de T a l le y ra n d -P é rig o rd , m o n p a r e n t, cha rgé par son
o n c le e t m o n p è r e de m e r a m è n e r a P aris. J ’avais ap p ré c ié
l’h e u r e u s e c irc o n s ta n c e q u i m e d o n n a i t d eu x n o u v e a u x
am is : a u s s i n o tr e in tim ité f u t p r o m p t e et rap id e avec d ’a u ­
t a n t p lu s de ra iso n q u ’elle fut c i m e n t é e et fondée s u r l’é g a­
74
SOUVENIRS
MILITAIRES.
lité de n o tr e âge, de n o s c o n d itio n s sociales, e t l ’in te n tio n où
n o u s é tio n s de r e v o ir et fo u le r e n s e m b le le sol de la p atrie.
Achille de D a m p ie r re , fils d u m a r q u i s tu é à Y alenciennes,
c o m m a n d a n t u n e division fra n ç a ise lo rs d u siège de cette
ville en 1792, é ta it âgé de v in g t ans, avec u n p h y s iq u e
d ’u n e r e m a r q u a b le b e a u té , e t était p a r v e n u si j e u n e a u
g ra d e d ’a d j u d a n t g é n é r a l à la su ite de p lu s ie u r s actio n s
d ’é c la t q u i lui m é r i t è r e n t c e tte faveu r. L ouis, fils d u co m te
A rc h a m b a u d de P é r ig o r d , frè re de M«r de T alley ran d , ex­
é v ê q u e d ’A u tu n , alo rs m in i s tr e d es R e la tio n s e x té rie u re s,
é ta it p a r c o n s é q u e n t s o n n e v e u ; il avait d ix - n e u f an s, une
figure c h a r m a n te , u n e t o u r n u r e a g r é a b le et était lie u te n a n t
de C h a s s e u rs à cheval, g ra d e q u ’il avait a c q u is p a r so n
c o u ra g e . Ces d e u x j e u n e s h o m m e s , fort liés, v o u la n t p r o ­
fiter de la paix m o m e n t a n é e qui avait lieu, v e n a ie n t d ’o b te ­
n i r u n congé de tro is m o is p o u r a lle r e n Italie. Ce f u t à
cette occ asio n , q u e Mer de T alley ran d , p r o c h e p a r e n t de
m o n p è r e d o n t il a v a it p ro té g é la r e n t r é e de l ’ém ig ra tio n ,
d é s ir a n t e n c o r e lui ê tre ag ré a b le , c h a r g e a so n n e v e u de
m e r a m e n e r avec lui, et, à cet effet, il en avait é c r it à
M. A lquier, m in i s tr e de F ra n c e à Naples. L ’ap p a ritio n de
ces d e u x b r illa n ts officiers qu e je m is e n r a p p o r t avec SaintClair fut accueillie p a r la société de la m a n iè r e la p lu s flat­
t e u s e , m a lg ré ce r ta in e s ja lo u s ie s , n o t a m m e n t des officiers
n a p o lita in s, d o n t la p r e u v e n e t a r d a
tre. L o uis, avec sa jo lie fig u re - e t
sa p r e m i è r e b o n n e f o r tu n e d ’u n
les côtes qu e lui fit a d m i n i s t r e r u n
p as à se faire c o n n a î­
so n é to u rd e rie , pay a
coup de s ty le t dan s
m a ri ja lo u x , e t p e r d it
d a n s u n e soirée q u e l q u e s c e n ta in e s de d u c a ts au p h a r a o n ,
j e u q u e les N apolitains p r o fe s s e n t avec u n e r a r e perfection.
Q u a n t à D a m p ie r re ; d o n t le s p a s s io n s n ’é ta ie n t p a s m o in s
vives et qui jo ig n a it à so n b e a u p h y s iq u e la p é tu lan c e de
so n âge, il e u t a u th é â t r e Del F o n d o u n e q u e re lle avec u n
ACHILLE
DE D A M P 1 E R R E .
— 1801.
15
officier n a polita in, qui p r o d u i s i t d a n s N aples u n e assez
vive s e n s a ti o n e t n é c e s s ita
F rance. Achille, e n q u itt a n t
p o u r aller se p r o m e n e r a u
r e c o m m a n d é e à so n voisin ,
l ’in te r v e n tio n d u m in i s tr e de
sa place p e n d a n t u n e n tr'a c te
foyer, l ’avait, n o n s e u le m e n t
m a is e n c o r e m a r q u é e de son
gant, sig n e ir ré f ra g a b le de sa p r o p r ié té e t de so n d r o it,
l o r s q u ’u n officier d ’artillerie , au x fo rm e s g ro s s iè re s et
c o n n u p o u r u n fer ra ille u r , s ’e m p a r a de sa place, et sa n s
t e n ir c o m p te des o b se rv a tio n s q u i lu i f u r e n t faites, la n ça
le g a n t d a n s le p a r te r r e e n d is a n t q u e , si on v o u la it la
place, on v ie n d ra it la c h e r c h e r et q u ’alo rs il v e r r a it ce q u ’il
a u r a it à faire. Cette g r o s s iè re in ju r e a m u s a d ’a b o rd q u e lq u e s
s p e c ta te u r s , m a is la sc è n e c h a n g e a b ie n tô t de face p a r la
p r é s e n c e de D a m p ie r re , in f o rm é de ce qui s ’é ta it pa s sé . Se
r e d r e s s a n t de t o u t e sa h a u te et b elle taille,, ag itan t sa c h e ­
v e lu re n o ir e b o u c lé e , d a r d a n t ses g r a n d s y e u x s u r les
s p e c ta te u r s et é t e n d a n t la m a in avec u n g este im p é r ie u x ,
p lu s p a r ti c u liè r e m e n t dan s la d ire c tio n d ’un g ro u p e d ’offi­
c iers n a p o lita in s q u i s e m b la ie n t s o u r ir e avec iro n ie :
« M essieurs, dit-il, d ’u n e voix claire, s o n o re et d a n s l ’italien
le p lu s p u r , si l'in s u lt e q u e v o tre c a m a ra d e v ie n t de m e
faire e s t l’e x p r e s s io n de vos s e n tim e n ts à l ’égard de l ’u n i ­
f o rm e q u e j e p o r te , r e g a rd e z le g a n t q u i v ie n t d ’ôtre je té
c o m m e u n défi q u e je vous fais a u n o m d e s F ra n ç a is qui
so n t à N aples ; si elle m ’e s t p e rso n n e lle , je m e cha rge
d ’a r r a c h e r l ’é p a u le tte à u n h o m m e in d ig n e de la p o r t e r et
soyez bie n c e r ta in s q u e d e m a in v o u s n e l ’au re z p lu s p o u r
c a m a ra d e . »
Au m o m e n t o ù Achille t e r m i n a i t so n a llo c u tio n d ’u n e
m a n iè r e si é n e r g iq u e et éc o u té e d a n s le p lu s g r a n d silence,
le r id e a u s ’é ta n t levé, la pièce c o n t in u a s a n s t r o u b le .
C e p en d a n t, le m a r q u i s de M alespino, s e ig n e u r n a p o lita in ,
v in t fort o b l ig e a m m e n t lui offrir u n e place d a n s sa loge :
76
SOUVENIRS
MILITAIRES.
« Merci, M onsieur, lui dit-il, je r e s te r a i d e r r iè r e cet h o m m e
afin d ’a s s is te r à s e s .d e rn ie r s m o m e n t s d ’in so le n c e . » L e le n ­
d e m a in , e u t lie u la r e n c o n t r e ; le N apo litain, espèc e de
b ravo q u e sa r é p u t a t i o n de s p a d a s s in r e n d a it assez r e d o u ­
ta b le , c o m p ta i t se b a t tr e à l ’é p é e ; m a is le c h e f d ’e s c a d ro n
B e a u m o n t et le c a p ita in e de d r a g o n s de S p a rre , té m o in s
de D a m p ie r re , a y a n t le c hoix des a r m e s , p r i r e n t d e s p is ­
to le ts, e t les d e u x c o m b a tt a n ts pla c é s à v in gt-cinq pas de
d ista n c e p o u v a i e n t m a r c h e r j u s q u ’à dix p a s l’u n s u r l ’a u tre .
Achille v in t d r o it au b u t , e s s u y a le p r e m i e r feu de son
e n n e m i e t lu i dit en le v isa n t : « V ous êtes m o r t! » En effet,
il to m b a la tê te f ra p p é e d ’u n e b a lle , se d é b a ttit q u e lq u e s
s e c o n d e s , se r a id i t et expira.
Cette affaire e u t u n g ran d r e t e n t i s s e m e n t dan s la ville;
m a is le m in i s tr e de F ra n c e s ’e x p r im a si é n e r g iq u e m e n t
s u r la m a n i è r e d o n t u n officier de sa n a tio n avait été
p u b liq u e m e n t in s u lté et la sa tisfac tion q u ’il en a tte n d a it,
q u e d e u x officiers g é n é r a u x n a p o lita in s v in r e n t, au n o m de
l ’a r m é e , d é s a v o u e r h a u t e m e n t la c o n d u ite de l e u r officier,
d o n t la p u n itio n , d ir e n t-ils , e û t été ex e m p la ire, si l’a d j u ­
d a n t géné ral D a m p ie r re n e s ’e n était cha rgé en le tu a n t.
Ce fut p e u de j o u r s a p r è s c e t é v é n e m e n t q u ’e u t lieu un
fait q u e les Italien s p r é t e n d a i e n t n e p o u v o ir so r tir q u e du
c e rv e a u d ’u n F ra n ç a is et s u r le q u e l le M o n i t e u r de P aris
de l’é p o q u e et le J o u r n a l d e s D é b a ts o n t fo u rn i les détails
le s p lu s circ o n sta n cié s.
- Il n e s ’ag issait de rie n m o in s , a p r è s avoir fait l’a s ce n sio n
d u V ésuve , q u e de d e s c e n d re d a n s so n in té r ie u r , p a r la r a i­
so n q u ’u n re p o s de se p t a n s sa n s la m o in d r e fu m é e p o u v ait
la is s e r l ’e s p o ir d ’y p a r v e n ir s a n s d an g e r. Ce f u r e n t
MM. Biot, D eyeux et M énageot, m e m b r e s de l ’I n stitu t,
ay a n t fait p a r tie de l’e x p é d itio n d ’Ë g y p te et alo rs à N aples,
qui e u r e n t l ’idée de c e tte e n t re p ri s e , à la q u elle v o u lu r e n t
ASCENSION
AU
VÉSUVE.
—
18 0 1.
77
s ’a d jo in d r e Achille de D am p ierre , L ouis de P é r ig o r d et m o i,
e t d o n t l’e x é cu tio n fut d éc idé e d a n s le salon et e n p r é s e n c e
de M. A lqu ier, m in i s tr e de F ra n c e , et de l ’a m ir a l YillaretJo y e u s e , c o m m a n d a n t u n e esca dre fra n ç a ise d a n s le golfe
de Naples, le q u e l v o u lu t y c o o p é r e r e n faisa n t tr a n s p o r te r
s u r le p o in t c u l m in a n t d u V ésuve u n e a n c r e et des câ ble s
p o u r s e rv ir e n cas de n é c e s s ité : id é e assez originale qui
m e tta it le d e r n ie r c a c h e t à n o tr e a v e n tu r e u s e e x c u rsio n .
N ous q u itt â m e s N aples à m i n u i t p a r u n te m p s calm e et
s u p e rb e , é c la iré s p a r u n e lu n e q u e les e n t h o u s ia s te s de la
belle n a t u r e m e tte n t a u - d e s s u s d u soleil n é b u l e u x de
L o n d re s, et, la is s a n t n o s v o itu r e s à P o rtici, n o u s y p r îm e s
u n cic e ro n e , avec p r o m e s s e de dix d u c a ts s ’il n o u s c o n ­
d u is a it à b o n n e fin. N ous g a g n â m e s le village de T o rre
d e l Greco, lie u o ù c o m m e n c e l ’a s c e n s io n q u e n o u s c o m ­
m e n ç â m e s d o u c e m e n t, afin de c o n s e r v e r to u te s n o s facultés
d a n s le lo n g et fatig an t t r a j e t que n o u s avions à p a r c o u rir .
N otre p r e m i e r r e p o s se fit à l’e rm ita g e S an-Salvador, lieu
h a b ité p a r un pieux cé n o b ite , ou p r é t e n d u tel, qui n o u s
p r é s e n ta u n g ro s r e g is tre s u r le q u e l n o u s in sc riv îm e s n o s
n o m s à la su ite d 'u n e i m m e n s e n o m e n c la tu r e p lu s ou
m o in s illu stre et de q u an tité d ’im p r o v is a tio n s assez g é n é ­
r a l e m e n t in s ig n ifia n te s ; n o u s c r û m e s c e p e n d a n t d evoir y
c o n s ta t e r le b u t o ù n o u s te n d io n s . Ce p au v re e r m i te j o i ­
gnait, a u x a t tr ib u tio n s de so n m in i s tè r e , u n g e n re d ’i n d u s ­
tr ie assez lu c ra tiv e , r e la tiv e m e n t à sa p o sitio n , e t a u q u e l
n o u s n o u s e m p r e s s â m e s de p a r ti c ip e r en b u v a n t de son
v in q u ’il p r é te n d a it ê t re du L ac rim a Cristi et e n lui p r e ­
n a n t q u e lq u e s o b je ts en m o s a ïq u e de lave assez jo lis qu e
n o u s p a y â m e s si g é n é r e u s e m e n t , q u ’il n o u s p r o m i t les p lu s
a r d e n te s p r iè r e s p o u r le s u c c è s de n o tre e n t re p ris e d o n t
il se m b la it ê tre f o rt effrayé.
^
La m o n té e d e p u is l ’e rm ita g e j u s q u ’a u s o m m e t d u m o n t
18
S OUVE NIR S MILITAIRES.
V ésu v e d e v e n a n t tr è s r a p id e , n o u s r a le n tîm e s n o tr e
m a r c h e afin de p a s n o u s esso uffler in u tile m e n t, et ce fut
s e u l e m e n t a p rè s d e u x h e u r e s d ’a s c e n s io n q u e n o u s a r r i­
v â m e s a u q u a r t de la tâ ch e q u e n o u s n o u s étio n s im p o s ée .
Le j o u r c o m m e n ç a n t à p a r a îtr e , n o u s p û m e s liv r e r n o s
p e n s é e s a u m ag n ifiq u e s p e c ta c le q u i s ’offrait à n o s y eux,
et n o u s a b a n d o n n e r a u x e n c h a n t e m e n ts de ce ciel s p le n ­
dide, de c e tte m e r a z u rée, o ù s e m b l e n t d e s c e n d re des flots
de lave n o ir c ie e n tre des rives de fru its e t de fleurs, et n o u s
la is s a n t d a n s l ’e n i v r e m e n t de to u te s les f e r m e n t a ti o n s de
l a n a t u r e ; p u is, r e g a r d a n t a u loin, n o u s v îm e s N aples,
b la n c h e et g ra c ie u s e c o m m e u n e j e u n e fille, son golfe p a r ­
s e m é d ’îles s u r le s q u e l le s le soleil, c o m m e n ç a n t à d ard e r,
reflétait ses r a y o n s c o m m e u n k a léid o s co p e. Cette extase
c o n te m p la tiv e d u r a p r è s d 'u n e h e u r e d a n s l ’a t te n te des
o b je ts m i s à n o tr e d isp o s itio n p a r l ’am iral et q u e n o u s
d is p o s â m e s au ssi b ie n q u e p o ssib le, m a is sa n s offrir a u c u n e
u tilité , d u m o in s n o u s le c ro y io n s. L ’a n c r e fut en fo n c ée
p r o f o n d é m e n t d a n s la lave, la is s a n t s u s p e n d u à son a n n e a u
u n câble qui se d é r o u la d a n s la p e n t e in té r ie u r e d u goufre
d o n t on p o u v a it vo ir le fond. Sa f o rm e é t a n t celle d ’u n cône
r e n v e rs é et sa b o u c h e a y a n t u n e o u v e r tu r e de 5 600 p ie ds
de c i rc o n fé re n c e . Ces d isp o s itio n s n ’ava ie n t, à bie n p r e n d r e ,
d ’a u t r e o b je t q u e de c o n s ta t e r q u e des F ra n ç a is a va ie nt je té
l ’a n c r e s u r le V ésuve, le co rd a g e p o u v a n t à p e in e a tte in d re
u n p r e m i e r p la te a u s u r le q u el il fallait a r r iv e r p o u r d e s ­
c e n d r e a u fo n d de l ’ab îm e. C e p e n d a n t elle s e rv it à p r é ­
s e r v e r Achille de D a m p ie r re d ’u n e m o r t ce rtain e d a n s la
p ré c ip ita tio n q u ’il m i t à v o uloir m a r c h e r le p r e m i e r ; déjà,
il avait faiL u n e quin z ain e de p a s , lo r s q u e to u t à c ou p la
lave de c e t e n d r o it, a u s si fine q u e la c e n d re, ne p o u v a n t le
s o u te n ir , il se s e n tit c o u le r sa n s p o u v o ir o p p o s e r de r é s is ­
t a n c e ; m a is, h e u r e u s e m e n t , m u n i d ’u n sa b re q u ’il te nait
ASCENSION
AU
VÉSUVE.
— 1801.
79
à la m a in et d o n t le f o u rr e a u é ta it e n cuivre, il e u t l’h e u ­
r e u s e idée de l ’e n f o n c e r j u s q u ’à la garde , ce qui lui p r o ­
c u r a u n m o m e n t d ’a r r ê t d o n t il p rofita p o u r s a is ir le c o r ­
dage de l’a u t r e m ain, ce qui n o u s d o n n a la faculté de le
h is s e r j u s q u ’à n o u s , s a n s quo i il e û t in fa illib le m e n t péri.
Cette p r e m i è r e é p r e u v e n o u s a y a n t d o n n é de la p r u d e n c e ,
n o u s e û m e s r e c o u r s à l’in te llig en c e de n o tr e cic e ro n e qui,
a p rè s n o u s avoir fait p a r c o u r ir u n e p a rtie d u p o u r t o u r du
cra tè re , tr o u v a u n e n d r o it p ro p ic e à la d es c e n te , où n o u s
le s u iv îm es les u n s d e r r iè r e les a u t r e s à d e u x p as de d is ­
tan ce, m a r c h a n t o b li q u e m e n t et tr è s l e n t e m e n t de m a ­
n iè re à s e n tir la lave afferm ie s o u s n o s pie d s.
N ous a r r iv â m e s ainsi s u r u n p la te a u f o r m a n t u n e e s p èc e
de galerie, où n o tr e g u id e n o u s a p p r it q u e le g én é ral Villo t avait p e r d u son c h a p e a u en levé p a r u n co u p d e ven t,
sa n s c h e r c h e r à le r a tt r a p e r , ni v o u lo ir a lle r p lu s loin ; il
n o u s dit au ssi q u ’u n Anglais, fatigué de la vie, s ’était p r é ­
cipité l ’a n n é e p r é c é d e n te de cet e n d r o it m ô m e d an s l ’i m ­
m e n s ité . N otre p r o je t n ’é t a n t d ’im i te r ni l ’u n ni l ’a u tre ,
n o u s n o u s r e m î m e s en m a r c h e , t o u j o u r s d a n s le m ô m e
ord re , e t avec u n silence q u i avait q u e lq u e c h o s e do s o le n ­
ne l, c o n t in u a n t ain si n o tr e p r o c e s s io n n o n sa n s un e c e r ­
taine é m o tio n .
N o us p a r v în m e s enfin a u fond de l ’e n t o n n o i r d u c ra tè r e
a p r è s d e u x h e u r e s d ’un e a tte n tio n s o u te n u e et u n e a n ­
goisse q u i d im in u a it e n a p p r o c h a n t d u b u t ; a u ssi, n o tre
joie éclata lo r s q u e n o u s l ’e û m e s a tte in t et q u e n o u s p û m e s
n o u s livrer à l ’e x p lo ra tio n de ce lieu où n u l av a n t n o u s
n ’avait p é n é tr é e t que p r o b a b le m e n t a u c u n a u t r e n e v e r­
rait. F ie rs de n o tr e c o n q u ê te et v o u la n t e n j o u i r a u s si
bie n q u ’e n faire profiter la science, n o u s p a r c o u r û m e s
u n e p etite pla in e de ISO to is es d ’é te n d u e , d an s la q u e lle , à
la s u r p ris e de n o s c o m p a g n o n s les n a t u ra lis te s , se t r o u ­
80
SOUVENIRS
MILITAIRES.
vait u n e v égétation de q u e lq u e s p la n te s h e rb a c é e s p r è s
d ’un p e tit r u is s e a u de so u fre liquid e; ils s ’e n s ’e m p a r è r e n t
avec e m p r e s s e m e n t. Çà et là, d a n s la plaine, se r e n c o n ­
t r a i e n t p lu s i e u r s c re v a s s e s de dix à douze p ie d s de lo n ­
g u e u r s u r q u a tre à cinq de large que n o u s n o u s a m u s â m e s
à fra n c h ir , t o u t en p e n s a n t q u e s o u s n o s p ie d s se t r o u ­
v ait la f o u rn a ise d o n t la m o in d r e v a p e u r n o u s e û t infailli­
b l e m e n t a s p h y x ié s ; enfin, le m o i n d r e o b je t, le p lu s p e tit
a n im a lc u le n o u s o cc upait, m a is n o u s e û m e s lieu de d o u te r
de la c u lb u te de l’Anglais d o n t n o u s avait e n t r e t e n u s le
c ice rone , à m o in s q u e, p a r u n de ces h a s a r d s e x t ra o rd i­
n aire s, il n ’ait e u l ’a d r e s s e de s ’e n f o u r n e r j u s t e m e n t p a r
u n e d es cre v a sse s, car de l ’in s u la ir e il n ’y av ait a u c u n ves­
tige , p a s p l u s q u e d u c h a p e a u d u g éné ral. Au reste, n o u s
jo u is s io n s avec u n e telle in s o u c ia n c e de n o tr e p o sition
v r a im e n t e x tra o rd in a ir e q u e M. M énageot, o u v r a n t son
a lb u m et p r e n a n t u n cra y o n , fit u n c r o q u is de n o tr e r é u ­
n io n d a n s ce lieu so litaire , où n o tr e g u id e é ta it r e p r é s e n té
t e n d a n t la m a in p o u r r ec ev o ir le s a la ire qui lui avait été
p r o m is (croquis qui, p e u de j o u r s ap rè s, se rv it à faire un
ta b le a u placé dan s un des sa lo n s de l’a m b a s s a d e de France).
N otre s é jo u r d a n s cet e n d r o it à ciel o u v e r t fut de tro is q u a r ts
d ’h e u r e , a p r è s le s q u e l s n o u s r e c o m m e n ç â m e s n o tr e n o u ­
velle a s c e n s io n , to u jo u r s c o m m e u n e p r o c e ssio n de c a p u ­
cin s de ca rtes d o n t s ’a m u s e n t les e nfa nts, m a is avec p lu s
d ’a s s u r a n c e e t d ’agilité q u ’e n d e s c e n d a n t, le sol n o u s é ta n t
p lu s fa m ilie r et la c r a in te s ’é ta n t é v a n o u ie d ’u n e c h u t e
d a n g e r e u s e , ce q u i n o u s fit r e g a r d e r n o tr e r e t o u r c o m m e
u n enfantillage a u p r è s de ce q u e n o u s v e n io n s de faire.
L ’e rm ite , p r è s d u q u e l n o u s n o u s r e p o s â m e s u n m o m e n t,
s e m b la it d o u te r de n o tr e e x c u rsio n ; c e p e n d a n t, ap rè s l ’av o ir
c o nv a inc u, il n o u s p r ia de le c o n s ta t e r s u r s o n r e g istre , ce
q u e n o u s fîm es e n le s ig n a n t,
MALADIE
DE S A I N T - C L A I R .
— 1 802.
81
N o u s a rriv â m e s h a r a s s é s de fatigue à P o rtici où n o u s
r e jo ig n îm e s n o s v o itu re s, q u i n o u s t r a n s p o r t è r e n t a u s s i­
tô t à N aples ap rè s u n e a b s e n c e s e u l e m e n t de n e u f h e u r e s ,
m a is to u jo u r s avec u n e a gitation d ’e s p rit qui dev a it c o n ­
t r i b u e r à la fa tig u e d o n t n o u s étio n s a c c a b lé s ; car, à bien
p r e n d r e , n o u s n ’a vions p a r c o u r u q u e 4 397 m è tr e s , p r o ­
m e n a d e fort o r d in a i r e s u r u n te rr a in plat. La h a u t e u r d u
Mont V ésuve est d e 1198 m è tr e s , le p a r c o u r s p o u r d e s ­
c e n d re 667 m è tr e s , d e s c e n te e t m o n t é e dan s l ’in t é r i e u r
1334 m è tr e s , d es c e n te d u p o in t c u l m in a n t à l ’e x té r ie u r
1 198 m è t r e s ; to ta l égal : 4397 m è tr e s .
N otre ex p lo ra tio n d e v in t le s u je t d es c o n v e rsa tio n s de
to u t e la ville et d es réflexions des jo u r n a u x de N aples qui
t a x è r e n t de folie u n e e n t r e p r i s e q u ’on cro y a it im p o s sib le ,
ta n d is qu e p lu s ie u r s g az ettes de F ra n ce en p a r l è r e n t c o m m e
d ’u n fait i n té r e s s a n t s o u s to u s les ra p p o r ts .
Au re s te , les N apo litains ne c o n s id è r e n t le Mont Vésuve
q u e c o m m e u n voisin q u ’ils o n t to u jo u r s le t e m p s de voir
e t q u ’à b ie n p r e n d r e ils n ’a p e rç o iv e n t qu e de le u r s fen ê tre s.
P e u de jo u r s a p r è s n o t r e e x c u r s io n , e u t lieu a u th é â tr e
S aint-C harles u n m a g n ifiq u e bal m a s q u é a u q u e l a s s is ta la
R eine, t o u te la Cour et les p e r s o n n e s m a r q u a n te s de la
ville. A ce tte fête sp le n d id e , s u c c é d è r e n t p o u r m oi les
in q u ié tu d e s les p lu s v io le n te s re la tiv e m e n t à C harles de
S ain t-C lair qui to m b a g r a v e m e n t m a lad e et f u t a tta q u é p a r
u n e p e tite vérole de la p lu s m a u v a is e n a t u r e ; je p r is a u s ­
s itô t la d é t e r m in a tio n de r e s te r p r è s d u m a la d e afin de
v e ille r au x s o in s in c e s s a n ts d o n t il avait b e s o in e t q u e lui
a s s u r a it m o n a tta c h e m e n t. La R eine, en a p p r e n a n t cette
f â c h e u s e nouvelle, d o n n a des m a r q u e s de la p lu s vive
in q u ié tu d e et envoya s u r-le -c h a m p son m é d e c in avec l ’in ­
jo n c tio n d'e su iv r e m i n u t i e u s e m e n t to u s les s y m p t ô m e s de
la m a la d ie et de lui en r e n d r e u n c o m p te exact; o u tr e cela,
6
82
_ SOUVENIRS
MILITAIRES.
v e n a it de P ortici, r é g u li è r e m e n t to u s les soirs, la p r in c e sse
M athilde Balbini, j e u n e veuve de v in g t- tr o is a n s, élevée
s o u s les y e u x de la re in e et sa confidente la p lu s in tim e ,
c h a rg é e p a r elle de p o u r v o ir à to u t ce q u i p o u r r a i t ê tre
n é c e s s a ir e à l’a m é lio ra tio n d u c h e r m a la d e . E lle f u t
pffrayée d es rav a g es de l ’é r u p ti o n et n e p o u v a it r e v e n ir de
sa s u r p r i s e d a n s ce q u ’elle a p p e la it m o n d é v o u e m e n t ; m ais,
loin de v o u lo ir r e h a u s s e r le m é r i te de m a c o n d u ite , je lui
a p p r is qu e j ’avais été in o c u lé t r è s enfant, e t q u e , n e l ’eusséje p o in t été, je m e s e ra is t o u jo u r s livré a u x soins qu e j e
dev a is à m o n p a r e n t e t à l ’am itié.
P e n d a n t p lu s i e u r s j o u r s , on cra ig n it p o u r ses y eu x, m a is
sa c o n s titu t io n et les s o in s d u m é d e c in p a r v i n r e n t à éloi­
g n e r to u t d a n g e r, et b ie n tô t a p r è s n o u s e û m e s l ’a s s u r a n c e
q u ’u n e p a r f a ite g u é r is o n n e s e ra it p lu s q u ’u n e affaire de
t e m p s ; j ’e n fus d ’a u t a n t p lu s satisfait q u e to u s les jo u r s
r a p p r o c h a ie n t l'é p o q u e de m o n d é p a rt, les tr o is m o is de
congé a c c o rd é s à m e s c o m p a g n o n s de voyage é t a n t p r è s
d ’ex p ire r.
T o u t e n é p r o u v a n t u n b o n h e u r réel à l’idée de m e r e t r o u ­
v er b ie n tô t a u sein de m a fa m ille et de r e n t r e r d a n s ce tte
p a trie q u e j ’avais q u itt é e si en fa n t, je n ’e n r e s s e n ta is pas
m o in s u n c h a g r in p r o fo n d de q u itt e r u n p a y s o ù j e n ’avais
j a m a i s cessé d e t r o u v e r b o n h e u r , p la isirs et affections, si
bie n a p p r é c ié s à m o n âge, et d o n t il n ’allait p lu s m e r e s te r
q u e des s o u v e n irs ineffaçables.
L ’avanl-veille de m o n d é p a rt, je fu s faire m e s a d ie u x à
C ha rles de Saint-Clair, r e ti r é d a n s u n e c h a r m a n te villa, d on
de la R eine, où il finissait so n c o m p le t r é ta b lis s e m e n t.
N otre s é p a r a t i o n f u t des p lu s d o u lo u r e u s e s : lui, disait-il,
p a rc e q u e j ’étais s o n m e i l l e u r am i et le m o t e u r de sa
b r illa n te fo rtu n e , e t m oi, p a r le p r e s s e n t i m e n t q u e j ’avais
dè n e p lu s le revoir.. H élas 1 il n e s ’e s t q u e tr o p réalisé :
MATHILDE.
— 1802.
83
Charles, c o m b lé de fa v e u rs, e s t m o r t à N aples en 1814,
é ta n t m in i s tr e de la G uerre d u r o i F e r d in a n d . Mes visites
d ’a d ie u x f u r e n t n o m b r e u s e s , e m p o r t a n t d a n s m o n c œ u r
d e s s o u v e n irs de r e c o n n a is s a n c e de to u s g e n r e s , m ais
n o t a m m e n t en q u itt a n t la belle et r a v iss a n te Mathilde avec,
q u i m a liaison avait été de si c o u r te d u r é e et à la q u elle je
v e u x r e n d r e ici u n d e r n ie r h o m m a g e e n r e tr a ç a n t sp n
p o rtra it.
M athilde, d o n t la m è r e o c c u p a it u n e place à la C our, avait
été élevée so u s les-yeux de la R e ine qu i la ch é r is s a it co m m e
so n e n f a n t e t q u i l ’avait m a rié e à u n des p lu s g r a n d s s e i­
g n e u r s du r o y a u m e , m o r t as sa ss in é p a r des b r ig a n d s en
a llan t à R o m e y r e m p l i r u n e m is sio n d ip lo m a tiq u e .
Cette j e u n e p e r s o n n e avait vingt-trois an s lo r s q u e je la
c o n n u s ; elle jo ig n a it à u n e p h y s io n o m ie tr è s sp iritu e lle ,
d o n t le j e u était d ’u n e e x trê m e m obilité , u n e figure céleste,
des y e u x a u x q u e ls la n a t u r e et l ’a m o u r s e m b la ie n t avoir
attac h é je ne sais q u el p o u v o ir m a g iq u e , des b ea u x c h e ­
v eux c h â ta in foncé p r e s q u e n o irs, avec u n e p e a u é b lo u is­
s a n te ; sa b o u c h e , e n t r ’o uv erte p a r le so u r ir e , m o n t r a i t
u n e r a n g é e de p e rle s fines; sa taille r e s s e m b la it à u n e tige
de lis p a r sa g r a c ie u s e té ; ses m a in s et ses p ie d s é ta ie n t
d ’u n e p e t ite s s e ad m ira b le . T o u t cela e n faisait u n objet
e n c h a n t e u r , s u r to u t avec la so u p le s s e et la flexibilité de so n
e sprit d o n t elle faisait e x a c t e m e n t ce q u ’elle voulait, le
p lia n t à to u s le s to n s avec la p lu s g r a n d e facilité ; il était
im p o s sib le de la c o n n a îtr e u n p e u sa n s l’a i m e r b e a u c o u p .
A cet e s p rit infini, elle jo ig n a it u n e â m e sen sib le , h u ­
m a in e , bie n fa isa n te et parfois de la p lu s g r a n d e é n e rg ie ;
q u a n t à son c œ u r, il était, je crois, tr è s d é p e n d a n t de sa
tê te, et s o u v e n t échauffé p a r le feu de so n im a g in a tio n
e x t r ê m e m e n t exaltée et de s e n s t r è s im p r e s s io n n a b le s .
P o u r lui plaire, ce n ’était p as son c œ u r q u ’il fallait, p o u r
84
SOUVENIRS
MILITAIRES.
ain si dire saisir, ni f ra p p e r le p r e m i e r , c ’était sa tê te qu i
faisait t o u t et, c o m p o s a n t son idole à sa m a n iè r e , le r e n ­
d ait d igne de son c œ u r.
On do it p e n s e r q u e la c o n s ta n c e n e p o u v a it p as être sa
v e r tu , m a is , au m o in s , la fidélité était son m é r i t e ; il lui
é ta it im p o s s ib le d ’a i m e r lo n g te m p s , m a is , t o u t le te m p s
q u ’elle aim a it, c ’était de b o n n e foi et u n i q u e m e n t .
L ’a r d e u r de ses s e n s , sa b e a u té , ses s é d u c ti o n s , ses
t a le n ts divers e n f a isa ie n t u n e f e m m e in c o m p a r a b l e d o n t
la p o s s e s s io n é ta it u n b ie n d ’a u t a n t p lu s p r é c ie u x q u ’il
fallait c r a in d re à c h a q u e i n s t a n t de le vo ir s ’éc h ap p e r.
II .e s t p r o b a b le q u e m o n b o n h e u r n ’e û t pas d u r é tr è s
lo n g te m p s , m a is , d a n s n o t r e s é p aratio n forcée, j 'e m p o r t a i s
du m o in s la c o n s o la n te p e n s é e q u e les r e g r e ts de ce tte
f e m m e ad o ra b le d evaient ê t re sin c ères .
y
RETOUR
EN
FRANCE
Ce f u t le 4 m a i 1802 qu e n o u s q u itt â m e s Naples, L ouis
de P é r ig o rd et m oi, dan s u n e ex c e lle n te calèche, p r é c é d é s
p a r so n v a le t d e c h a m b r e e n c o u r r ie r p o u r faire p r é p a r e r
les c h e v a u x , et de co m p a g n ie avec A chille de D am p ierre
a y a n t so n v alet de c h a m b r e p r è s de lui dan s sa chaise
de p o ste . Le p r e m i e r j o u r de n o tr e d é p a r t, ac cablés de fa­
tigue p a r la c h a le u r étou ffante de la j o u r n é e , n o u s ne
p û m e s r é s is te r , en a r r iv a n t à Gaëte, au p la isir de n o u s
é b a ttr e u n m o m e n t d a n s la m e r, afin d ’y c h e r c h e r u n e fraî­
c h e u r et u n d é l a s s e m e n t d o n t n o u s avions le p lu s g rand
b e s o in ; ce b ain , to u t b ie n fa isa n t q u ’il fût, n ’en d e v in t pas
m o in s tr è s p r é ju d ic ia b le à D am p ierre , ainsi q u e je le dirai
p lu s ta rd.
C’e s t d a n s le c h â te a u f o rt de Gaëte qu e s o n t d ép o s é s
les r e s te s du m a lh e u r e u x c o n n é ta b le de B o u rb o n , cet
illu s tr e p r o s c r it, c o n d u it p a r sa fatale d es tin é e à tir e r le
glaive c o n tre so n roi et sa cc ag er R o m e s o u s les r e m p a r t s
de la q u elle il tr o u v a la m o rt, le 6 m a i 1527, à l ’âge de
t r e n t e - h u i t ans.
En q u itt a n t Gaëte, n o u s e n t r â m e s d a n s les Marais Pontin s d ’où s ’e x h a le n t les v a p e u r s m a lf a is a n te s q u i r e n d e n t
86
SOUVENIRS
MILITAIRES.
ce p a y s a u s si d a n g e r e u x q u e d ésag réa b le. On n ’y r e n ­
c o n tre q u e q u e l q u e s villages d o n t les in f o r t u n é s h a b ita n ts ,
pâles, livides, r e s s e m b l e n t à des fan tô m es.
E n q u i t t a n t la voie A p p ien n e , n o u s d é c o u v r îm e s la p etite
ville de P ip e r n o , p a t r i e de la v ailla n te Camille r e in e des
V o ls q u e s ... Ce fut, en a r r iv a n t à T erracin e, q u e D a m p i e r r e
s ’a p e r ç u t c o m b ie n lui c o û ta it c h e r le bain de m e r de
Gaëte p a r la p e r t e d ’u n p e tit é tu i c o n t e n a n t v ingt-c inq
p iè c e s d ’or, p r o b a b l e m e n t é c h a p p é de se s v ê t e m e n ts s u r la
grève. L es d is ta n c e s q u e n o u s avions p a r c o u r u e s et le
t e m p s q u ’il e û t fallu p e r d r e p o u r des r e c h e r c h e s in c e rta in e s
lu i firent a b a n d o n n e r so n p r é c ie u x étui. C e p enda nt, p o u r
l ’a c q u it de sa. c o n s c ie n c e , en a r r iv a n t à R om e il p ria
M. A rtaud, c o n s u l fra n ça is, de faire d e s d é m a r c h e s à cet
é g a r d e t n o u s c o n t in u â m e s n o tr e r o u te e n n o u s a r r ê ta n t à
M onte-F iascone p o u r y r e n d r e v isite a u c a rdinal Maury,
titu la ire de cet év ê c h é , qui n o u s r e ç u t avec d ’a u t a n t p lu s
d ’e m p r e s s e m e n t q u ’il avait été s o u v e n t e n r a p p o r t avec
M. de T a lle y r a n d et m o n p ère , lo r s d e s É ta ts G énéraux et,
q u ’ava n t c e tte é p o q u e , il avait été i n s t i t u t e u r d u je u n e
m a r q u i s de G au c o u rt, frè re de m a m è re . L a cé lé b rité d u
p r é la t, so n e s p rit v if et e n jo u é , j o i n t à se s vives in sta n c e s
p o u r n o u s g a r d e r u n e j o u r n é e d an s son palais ju c h é s u r le
p o in t c u l m in a n t d ’u n e m o n ta g n e , n o u s firent r e g r e t t e r de ne
p o u v o ir y r e s t e r que. le te m p s de m a n g e r u n e o m e le tte et
bo ire de so n délicieux v in d ’Orvieto d o n t il e n c o m b r a n o s
v o itu r e s avec d ’a u t r e s co m estibles. Le tr o is iè m e j o u r , n o u s
a r r iv â m e s à Milan, où n o u s fîm es u n e h a lte de d e u x h e u r e s ,
m o n c o u s in a y a n t d es d é p ê c h e s à r e m e t t r e au gén é ral en
c h e f M urât et à e n rec ev o ir d ’a u t r e s p o u r P a r is , ce qui m e
p e r m i t de faire q u e l q u e s c o u r s e s d a n s c e tte b elle capitale.
Le t r a j e t de Milan q u e n o u s p a r c o u r û m e s avec la p lu s
g r a n d e rap id ité se fit à trav e rs u n p a y s riche, m a is m o n o to n e .
ARRIVÉE
A PARIS.
— 1802.
81
En a r r iv a n t à N ovare, ville assez forte, n o u s fû m e s s u r le
p o in t d ’y faire u n s é jo u r forcé, to u s les c h e v a u x de ce tte
ville a y a n t été m is e n r é q u is i tio n p o u r d es t r a n s p o r t s s u r
Milan. Mais le c o m m is s a ir e des g u e r r e s ch a rg é de ce tte
s u rv eillan c e, a p p r e n a n t q u ’un des v o y a g e u r s r e te n u s é ta it
n e v e u d u m in is tr e des R e lations e x té r ie u r e s e t de p lu s
ch a rg é de d ép ê c h e s, fit a u s s itô t d é te le r les chevaux de
d e u x fo u rg o n s qu i n o u s c o n d u i s ir e n t à V erceil d ’où n o u s
f û m e s à T u rin , o ù n o u s ne r e s tâ m e s q u e le te m p s de faire
u n b o n r e p a s afin de g a g n e r le M ont-Cenis le p lu s tô t p o s­
sible. N ous e û m e s le d é s a g r é m e n t de voir d é m o n t e r nos
v o itu r e s p o u r e n effectuer le p a s s a g e ; ces difficultés s u r ­
m o n té e s , n o u s g a g n â m e s C h a m b é ry , L y o n o ù n o u s n o u s
d é l a s s â m e s tr o is h e u r e s en p r e n a n t u n bain et e n faisant u n
e x c e lle n t re p a s p e n d a n t q u ’o n r é p a r a i t q u e l q u e s avaries
s u r v e n u e s à n o s v o iture s.
Enfin, ap rè s se p t jo u r s de m a r c h e d ep u is n o tr e d é p a r t de
N aples, n o u s f îm e s 400 lie u e s assez r a p id e m e n t p o u r a r r i­
v e r à P a ris, o ù j ’e u s le b o n h e u r indicible de re c e v o ir les
c a re sse s d ’u n b o n p ère , d ’u n e t e n d r e m è re et d ’u n frère
ch éri, t o u t e n d é p l o r a n t la p e r te ir ré p a r a b l e de celui qui
n e c e s se ra ja m a i s d ’ê tre p r é s e n t à m a p e n s é e .
A ce tte é p o q u e de m a r e n tr é e en F ra n c e , les sa tu rn a le s
r é v o lu t io n n a ir e s a v a ie n t d i s p a r u ; le D irectoire n ’e x ista it
p lu s, et B o n a p arte , en s ’e m p a r a n t d u p o u v o ir co nsu laire *
avait r é ta b li le cu lte relig ieu x , fait la paix de Lunéville,
p r o té g é la r e n tr é e des é m ig r é s a u x q u e ls o n r e n d a it le u rs
b ie n s n o n v e n d u s ; enfin, la F i a n c e avait r e p r is u n e a t ti­
tu d e fière, im p o s a n te , et to u t cela p a r l ’é n e r g iq u e volonté
d ’u n je u n e g én é ral à p e in e âgé de tr e n t e ans, q u i s ’était
déjà ac q u is u n e glo ire im m o rte lle . A ussi, P a r is , se r e s s e n ­
t a n t de to u s ces b ienfaits, était d a n s u n e e s p è c e de d élire
t e n a n t d u vertige p a r le b es o in d ’effacer les s o u v e n irs de
88
S O U V E N I R S MI L I T A I R E S .
ses j o u r s n é f a s te s ; les spe cta cle s é t a ie n t p le in s, les fêtes
se su c c c é d a ie n t, la joie et le b o n h e u r s e m b la ie n L a p p a r te n ir à to u s.
L ancé d a n s le g r a n d m o n d e p a r les n o m b r e u s e s c o n n a is ­
sa n ce s de m o n p è re , je p a s sa is m e s j o u r n é e s a u m ilie u
d e s s o m m ité s d u te m p s , e t dan s des so irée s e n c o m b r é e s
de f e m m e s r e m a r q u a b le s p a r le u r b e a u té : e n tre a u tre s ,
ch e z Mme Tallien qui r é u n is s a it u n e société d ’élite et chez
la belle R é c a m ie r d o n t les b als s o m p t u e u x a t t i r a i e n t to u t
ce q u ’il y avait de m ie u x d a n s P a r is . A u m ilie u de cette
a n i m a t io n de p la is ir e t de b o n h e u r , m o n p è r e p o u r s u iv a it
avec p e r s é v é r a n c e sa r e n tr é e e n p o s s e s s io n d ’u n e p r o - 1
p r ié té c o n s id é r a b le q u ’il avait d an s le d é p a r t e m e n t de la
Loire, la q u e lle , v en d u e n a t io n a l e m e n t et n o n p ay é e, avait
fait r e t o u r à l’É tat. Cette affaire, q u i d u r a p lu s d ’une a n n é e,
se te r m i n a f o rt h e u r e u s e m e n t , grâce à de n o m b r e u s e s
p r o te c tio n s ; alors, m o n p è re , la is s a n t m o n frè re à P aris
p o u r y su iv re d ifférentes affaires, m ’e m m e n a avec lui.
N o u s f û m e s d ’a b o rd à L y o n , p u is à M o n tb riso n , o ù il f u t
r é in t é g r é d a n s s a te r r e de S aint-M arcellin qui consistait,
o u tr e ses d ro its f éo d a u x av a n t la R évolution, d a n s u n c h â ­
te a u avec u n b e a u p arc , a u m il ie u d u q u e l se tr o u v a it u n e
p a p e te rie , q u a t r e d o m a in e s d ’u n e g ra n d e éte n d u e a y a n t
c h a c u n u n étan g , d e u x m o u li n s , d e u x fo u rs à c h a u x et une
fo rê t c o n s id é r a b le p a rta g é e p a r u n vaste é ta n g ; plus, a u
m il ie u de la p e t ite ville, u n e h a u t e t o u r féodale d a n s sa
p a r f a ite c o n s erv atio n . Cette r e s titu tio n , d o n t l ’a d m in is t r a ­
tio n m e fut confiée, valait de 15 à 1 6 0 0 0 fra n cs de r e v e n u s ;
n o u s y r e s tâ m e s d e u x m o is p o u r m e t t r e en tr a in les r é p a ­
ra tio n s q u ’il fallait y fa ir e ; puis, n o u s p a r tî m e s p o u r le
Cantal, a p p e lé s p a r p lu s i e u r s a c q u é r e u r s a y a n t la louable
in te n tio n de vouloir tr a i te r s u r le u rs ac h a ts n a tio n a u x .
Massiac, chef-lieu 4e c a n to n s u r la r o u te de C le r m o n t à
SÉJOUR
EN
AUVERGNE.
— 1 803.
89
S aint-F lour, e s t situé dan s u n c h a r m a n t vallon a rro sé p a r la
r iv iè re d ’A lagnon. Cette p etite ville était d o m in é e jadis p a r
u n b e a u c h â te a u féodal d u x n e siècle q u i f u t d é t r u i t en
1666 lo rs des G ra n d s-Jo u rs , a p r è s la c o n d a m n a tio n à m o r t
de G aspard, m a r q u i s d ’E spinchal, p o u r u n d u el célèbre
et p lu s i e u r s a u t r e s m éfaits. G aspard évita ce c h â tim e n t
sévère en se r é f u g ia n t en Bavière où il devint b ie n tô t g é n é ­
ra lis s im e des a r m é e s b avaroises, et il ob tin t, p a r l’e n t r e ­
m is e de so n co u s in le m a r é c h a l de Villars, d e s le ttr e s de
grâce d é liv ré e s le 6 o c to b re 1678 p o u r avoir c o n trib u é au
m a ria g e d u D a u p h in avec u n e p r in c e s s e
de Bavière.
L o u is XIV jo ig n it à ce tte clé m e n c e la r e s titu tio n d e s b ie n s
qui avaient été confisqués, la r é in té g r a tio n au grad e de
l i e u te n a n t gén éral, la te r r e de Massiac érigée e n c o m té et
enfin le don de so n p o r tra it e n ric h i de d ia m a n ts . (Tous ces
faits s o n t co n s ta té s d a n s de v o lu m in e u x p a r c h e m in s re v ê tu s
du sc e a u ro y al q u e p o ssè d e la fam ille.) U n n o u v e a u c h â ­
teau fu t c o n s tr u i t p a r G aspard d 'E s p in c h a l au pied des
vestiges de l’anc ie n, e t ce tte b elle s e ig n eu rie , a y a n t h u it
c lo c h e rs avec h a u t e e t b a s se ju s tic e , qu i fut v en d u e révolu ti o n n a i r e m e n t en 1792, v alait 22 000 livres de re n te s ,
n o n c o m p ris les dîm es, les ce n s et les p e r s iè r e s .
L o rs q u e n o u s a r r iv â m e s à Massiac, u n e p a r tie de la p o ­
p u la tio n v in t u n e lieue a u -d e v a n t de m o n p è re et, le soir, il
y e u t des feux de jo ie p o u r c é lé b re r son r e to u r . T rois j o u r s
ap rè s, u n m a ré c h a l- fe rr a n t, a c q u é r e u r du ch â te a u , des j a r ­
dins et de v astes pra irie s, ep fit la r e s ti tu tio n à u n prix trè s
m o d é ré , m a is c e p e n d a n t tr è s s u p é r ie u r à ce q u ’il avait
payé e n a s s ig n a t s ; d e u x m o u lin s , u n d o m a in e , u n e vaste
é t e n d u e de bois, la c a s e rn e de g e n d a r m e r ie , f u r e n t r e n d u s
de m ô m e p a r u n n o m m é Gazart, h o n n ê t e c u ltiv a te u r . Le
sie u r A ltaroche r e m i t a u s si u n e c h a r m a n te p r o p rié té n o m ­
m é e l ’E rm ita ge ; u n a u tre p articu lie r, M. C h a p u t, p r o p o s a de
90
SOUVENIRS MILITAIRES.
r e m b o u r s e r e n a r g e n t la v a le u r d ’u n b e a u d o m a in e , défal­
ca tio n faite de ce q u ’il av ait p a y é en a s s ig n a t s ; m a is une
c h o s e p lu s r e m a r q u a b l e enc ore, ce f u t u n e c o m m u n e e n ­
tiè r e d o n t les h a b i ta n t s av a ie n t en p e r s i è r e u n e g r a n d e é t e n ­
d u e de bois, qui c o n s e n ti re n t, p a r - d e v a n t n o ta ir e , à p a y e r
c o m m e ja d is , en s u p p r i m a n t les d r o its s e ig n e u r ia u x ; p l u ­
s ie u rs a u t r e s p e r s o n n e s m o in s c o n s c ie n c ie u s e s g a r d è re n t
ce q u ’elles a va ie nt a c h eté e n a s s ig n a ts ; m a is, e n r é s u m é ,
m o n p è r e r é c u p é r a u n e assez g ra n d e p a r ti e de la spoliatio n
r é v o lu t io n n a ir e , e t p a r s u r c r o ît de b o n h e u r , M. M essonn ie r , b a n q u i e r de C lerm o n t, d o n t il avait été ja d is le p r o ­
te c t e u r , le c r é d ita d ’u n e s o m m e de 80 000 f ra n c s au m o y e n
d e s q u e ls il t e r m i n a s u r - l e - c h a m p to u s ses a r r a n g e m e n t s
d ’u n e m a n iè r e to u t à fait in a tte n d u e qui p r o u v a l’es tim e
e t l ’affection q u ’o n lui avait c o n s e r v é e s . D’a u t r e p a r t, le
p r é f e t d u Cantal f u t a u t o ris é p a r le g o u v e r n e m e n t à r e s ­
tit u e r u n e b ib lio th è q u e de cinq m ille v o lu m e s et u n e belle
galerie de ta b le a u x de fam ille d é p o s é s à S ain t-F lo u r.
T o u s ces h e u r e u x r é s u lt a ts t e r m in é s , je laissai m o n
p è r e à Massiac avec le fidèle s e r v it e u r q u i l'avait c o n ­
s t a m m e n t suivi d u r a n t l’é m ig ra tio n , d a n s l ’in te n tio n de
r e m e t t r e so n c h â te a u en état de l ’h a b i t e r ; je r e to u r n a i à
S aint-M arcellin p o u r y r é g u la r i s e r l ’a d m in is tra tio n de
ce tte p r o p rié té , r e s t a u r e r le c h â te a u q u i e n avait g r a n d
b e s o in et faire u n e v e n te des b o is q u e , fort h e u r e u s e m e n t,
l ’É ta t avait la is s é s d a n s u n e c o n s e r v a tio n si p arfaite qu e
j ’en fis c o u p e r u n e p r e m i è r e fois p o u r 18 700 fra n c s avec
la faculté d ’en r e t i r e r à p e u p r è s 6 000 l ’a n n é e suiva n te ,
av a n t de r é g u la r i s e r les c o u p e s ; ces o c c u p a tio n s n e
m ’e m p ê c h è r e n t pas de v o isin e r d a n s le pays. Ce fut d ’a bord,
à u n e lie u e de distance, a u m ag n ifiq u e m a n o ir de S u ry ,
a p p a r t e n a n t ja d is à la fam ille de S o u rd is , d o n t le p r o p r i é ­
ta ire, M. J o r d a n , h o n n ê t e in d u s trie l et re sp e c ta b le m illio n ­
SÉJOUR
EN
AUVERGNE.
— 1803.
91
n a i r e , m e r e ç u t avec a u t a n t d ’e m p r e s s e m e n t q u e de b ie n ­
veillance. N on loin de cet asile p r o s p è r e , se tro u v a it
l ’h a b ita tio n d u b a r o n de Rostaing, a n tiq u e d e m e u r e au x
t o u r s cré nelé es, e n to u ré e de fossés p ro fo n d s q u e l’on tra­
v e rsa it s u r u n p o n t s u s p e n d u t o u jo u r s p r ê t à s ’élever au
m o y e n de c h a în e s de fer, le cas éc héa nt.
Le c h â te lain , vieille gloire de n o s g u e r r e s , q u e q u atre v in gt-dix ans n ’avaient p o in t e n c o r e co u rb é , s e m b la it au
c o n tra ir e se r a j e u n i r a u x r é c its des h a u t s faits d ’a r m e s de
n o tr e j e u n e F ra n ce . Sa n o b le figure était sillo n n ée p a r
u n a d m ir a b le c o up de sa b re , c a c h e t c o n s ta n t de sa p r é ­
se n c e d a n s le s r a n g s des f a m e u s e s p h a la n g e s de F o n te n o y o ù les F ra n ç a is b a t tir e n t si p o lim e n t n o s é te r n e ls
e n n e m is .
Ce v é n é ra b le g u e r r ie r m e
fit u n e r é c e p tio n
d ’a u t a n t p lu s aim a b le q u ’il n e p o u v a it oub lie r, disait-il,
l ’é p o q u e o ù il faisait p a rtie de la d iv ision so u s les o r d re s
de m o n a ïe u l; a u ssi, fut-il p o u r m o i d ’u n e b o n té p a rfa ite
et m e garda-t-il tro is j o u r s s o u s so n toit h o sp ita lie r. J e fus
de chez lui à Châtel, s u p e r b e p r o p rié té s u r les b o r d s d e la
L oire o ù se tr o u v a it ré u n ie la fam ille de S aint-D idier d o n t
je re ç u s l ’accueil le p lu s e m p re ssé , p u is a u c h â te a u de
Cuzieux, situ é s u r u n e h a u t e u r d o m in a n t la Loire, h a b ité
p a r le c h â te lain , s a g ra c ie u s e é p o u s e e t la s œ u r de son
m a ri, j e u n e p e rs o n n e m a rié e d e p u is p e u , r é u n i s s a n t a u
p h y s iq u e le p lu s s é d u isa n t, de l ’e s p rit, des ta le n ts, les
grâc es, la folie et l’enfa n tilla g e de ses dix h u i t ans.
A ces no u v elles c o n n a issa n c e s, q u i m e p r o m e t ta ie n t
u n avenir ag ré able , se jo ig n i r e n t celles de M o n tb riso n
e n tre le p ré fe t et M. Chevalier, r e c e v e u r g éné ral, m arié
à la s œ u r d u g é n é ra l Savary, q u i e u t l ’o bligeance de
m ’offrir u n gîte l o r s q u e je v ie n d ra is e n ville. Il était u n e
a u t r e c o u r s e q u i m ’offrait u n vif in té r ê t, p u i s q u ’il s ’a g i s ­
sa it de m e r e n d r e à l ’in vitation d ’u n M. Delisle de T hiol-
92
SOUVENIRS
MILITAIRES.
lière, dev e n u p r o p r ié ta ir e d ’u n b ie n ja d is a p p a r te n a n t à
m o n g r a n d -p è re qui le v e n d i t p e n d a n t la g u e r r e 'd e SeptA n s p o u r p o u r v o ir a u x d é p e n s e s de son c o m m a n d e m e n t,
(car, à ce tte é p o q u e , les g e n t ils h o m m e s faisa ie n t la g u e r r e
à le u rs d ép e n s) et p a y e r u n e p a r ti e de la lé g itim e de
la m a r q u i s e de Laizer, d em o ise lle d ’E sp in c h al.
Le Y e r n e t, placé s u r u n e h a u t e u r d o m in a n t la Loire et
à égale d istan c e de M o n tb riso n et de S a in t- Ë tie n n e , éta it
u n fief d ’un re v e n u c o n s id é ra b le d o n t l ’h a b ita tio n , sa n s
être r e m a rq u a b le , offrait c e p e n d a n t to u t e s les u tilité s et
m ê m e les a g r é m e n ts d ’u n m a n o i r c o n f o r ta b le ; m ais, ce
q u i m ’était d ’u n in té r ê t réel, c ’était d ’y r e tr o u v e r des s o u ­
ve n irs de famille d o n t je devais a p p r é c ie r to u t le prix. On
y v o y a it u n e t o u r féodale d ’u n e m a j e s t u e u s e g r a n d e u r
a t t e s t a n t so n a n tiq u ité , r e n f e r m a n t , dans u n e vaste salle,
u n e assez g ra n d e q u a n t ité de vieilles a r m u r e s d o n t c e rtai­
n e m e n t q u elques-uneS a va ie nt d û r e c o u v r ir m e s an c ê tre s,
et, à en j u g e r p a r le u r p o id s e t la lo n g u e u r des glaives, il
fallait, p o u r po u v o ir s ’en servir, q u ’ils f u s s e n t d ’u n e force
pro d ig ie u se et d ’u n p h y s i q u e b ie n d is p r o p o r tio n n é à celui
de le u rs d e s c e n d a n ts .
Cette salle était au s si c o u v e r te des é c u s s o n s a r m o r ié s de
n o tr e fam ille a u t o u r d e s q u e ls o n lis ait : F o r t i s e t V e l o x , ainsi
q u ’on le voit d a n s la Salle d es Croisés à V ersailles. T rois
ta b le a u x e n f u m é s , d o n t to u t le m é rite c o n s is ta it d a n s le u r
a n tiq u ité et la p e r s é v é r a n c e avec laquelle ils é ta ie n t r e sté s
a c cro ch é s à le u r pla ce p rim itiv e , s e m b la ie n t placés dan s
ce tte salle c o m m e so u v e n irs h is to riq u e s et d estin é s à n ’en
ja m a i s sortir. S u r le p r e m i e r é ta it in s c ritle n o m d ’A n to in e ll,
b a r o n d ’E sp in c h al, ch e v alier d e s O rdres d u Roi, c o n ­
s e ille r d ’É ta t, c h a m b e lla n de Charles VIII en 1487, c o m ­
m a n d a n t c o n tre le s Anglais 1» b a n et a r r iè r e - b a n de la
n o b le s s e e n 1489. L a s e c o n d e toile r e p r é s e n ta i t Isabeau
VOYAGE
A LYON.
— -1803.
93
de P olignac, MUe de Chalançon, m a rié e à F ra n ç o is d ’E spinchal, am ira l et m in i s tr e de la Marine, et le tr o is iè m e in d i­
q u a i t C harles-G aspard m a r q u i s d ’E sp in c h al, né en 1619
(m arié à H élène de Levi), si cé lè b re d a n s le p ro c è s des
G ra n d s - J o u rs ; il était p e i n t d ans le c o s tu m e de lie u te n a n t
g én é ral de l ’ép o q u e avec le g ran d c o r d o n r o u g e s u r sa
c u ira s s e et u n e a m p le p e r r u q u e c o u v ra n t u n e figure r e ­
m a r q u a b l e m e n t b elle; m a l h e u r e u s e m e n t , le p assag e des
v o lo n ta ir e s a u v e r g n a ts , a lla n t faire le siège de L yon,
avait a ttiré à m o n a n c ê tre p lu s i e u r s cou ps de sa b re s e t de
b a ïo n n e tt e s qui av a ie n t à p e u p r è s d é c h iq u e té ce beau
tab leau .
D ans la to u r , se tro u v a it au ssi u n e p r is o n b a s se et
h u m i d e o ù le j o u r se m b la it p é n é t r e r avec r e g r e t ; à la
m u r a i lle , éta it scellée u n e forte ch a îne de fer, o x y d ée p a r la
r o u ille et un c a rcan articu lé , s o u v e n irs de ces te m p s où
la loi d u p lu s f o rt était sans ré p liq u e . A p rè s tro is j o u r s
p as sés so u s ce toit h o sp italier, j e trou vai, e n a r r iv a n t à
S aint-M arcellin, u n ex p rè s p o r t e u r d ’u n e le ttr e de m o n
p è r e qu i en c o n te n a it u n e a u t r e avec la q u e lle j e devais
m e p r é s e n t e r à L yo n, chez M. de la C..., ex -c o n se ille r a u
P a r le m e n t. Mais, q u elle n e f u t p as m a s u r p r i s e en a p p r e ­
n a n t q u ’il n e s ’ag issait de r ie n m o in s q u e d ’u n m a ria g e ,
p r o je té p a r c o r r e s p o n d a n c e a u x d é p e n s de m a liberté
q u e j e n ’avais n u l l e m e n t en vie de p e r d r e ; c e p e n d a n t, dan s
l ’obligation où j ’étais de p o r t e r m a le ttr e , je m e p r é s e n ta i
chez M. de la C... d o n t je r e ç u s l ’accueil le p lu s affable,
a u m ilie u d u q u e l j e d istin guai p o u r t a n t les m a n iè r e s u n
p e u e m p e s é e s et fro id e s d 'u n a n c ie n p r e m i e r p ré sid e n t.
Sa fille, Mllc E u g én ie, c o m p ta it dix -h u it p r in te m p s , u n p h y ­
siq u e s é d u is a n t et u n e é d u c a tio n trè s soign é e. Cette p r e ­
m iè r e e n tre v u e , to u te de p o litesse et d ’ég a rd s, fu t suivie de
de d eux a u tre s . A la d e r n iè re , me tr o u v a n t se u l avec
94
SOUVENIRS
MILITAIRES.
M. d e la G... : « 11 faut, m o n je u n e am i, m e dit-il, q u e n o u s
p a rlio n s d e l ’u n io n p r o je té e e n t r e vo tre p è r e e t m o i; v o u s
c r o y a n t b ie n d igne d ’a p p r é c ie r ce q u e j e p u is v o u s offrir
et, sa n s e n t r e r d a n s le s d étails d ’in té r ê ts qui n e d o ive nt
r e g a rd e r q u e les p è r e s , je v o u s dirai s e u l e m e n t q u e m a
fille e n t r e r a en j o u is s a n c e , le j o u r d e so n m a ria g e , d ’u n
re v e n u n e t de 6 000 francs, m e r é s e r v a n t l ’a d m in is tra tio n
d es b ie n s q u e sa m è r e avait en m o u r a n t , et ex igea nt d ’u n e
m a n iè r e fo rm e lle d ’h a b i te r avec m o i, s a n s tou te fo is
m ’o p p o s e r au x e x c u r s io n s de famille. Un a u tre p o in t s u r
le q u e l il fa u t a u s s i s ’e n t e n d r e , c ’e s t l ’in te n tio n bien
a r r ê té e q u e m o n g e n d r e s ’a b s tie n n e de r e m p l i r a u c u n e
fo n ctio n m ilita ire o u a d m in is tra tiv e d a n s le g o u v e r n e ­
m e n t, ay a n t, à c e t ég a rd , u n e o p inion in v a ria b le m e n t fixe
q u i ne t r a n s i g e r a ja m a i s avec la fidélité q u e je conserve
a u x B o u rb o n s. M aintenant, m o n am i, si m e s c o n d itio n s
v ous c o n v i e n n e n t, j e v o u s a u to ris e à e m p lo y e r to u s vos
m o y e n s de sé d u c tio n p r è s de m a fille, ca r elle m ’e s t te l l e ­
m e n t c h è r e q u e j e n e m e t t r a i a u c u n o b s ta c le à so n choix,
b ie n c on va inc u q u ’il s e ra digne d ’elle et de so n p è re . »
T outes ces c o n d itio n s, p o sé es d ’u n e m a n iè r e si positive,
m e p a r u r e n t de n a t u r e à faire réfléchir, m ais, sa n s rien
la is s e r voir à M. de la C..., j e le r e m e r c ia i de s o n b o n v o u ­
lo ir à m o n égard, le p r é v e n a n t q u e j ’allais e n in f o rm e r
m o n p è re , et n o u s n o u s q u itt â m e s d a n s le s m e ille u rs
t e r m e s , la is s a n t d a n s la p en sée de ce d ig n e m a g is tr a t q u ’il
ven a it de s e r r e r la m a in à son g en d re . P e u t- ê t r e e n eût-il
été ainsi, s a n s u n de ces é v é n e m e n ts q u i s u r g is s e n t q u e l ­
quefo is e n d e h o r s de to u te prév isio n , c h a n g e n t les p r o je ts
les m i e u x c o n ç u s et c u l b u t e n t t o u te u n e d e s tin é e . Ce
m ê m e jo u r , fatalité o u b o n h e u r , c ’e s t ce q u e la suite des
t e m p s d evait p r o u v e r , j e d eva is a s s is te r à la p r e m i è r e r e p r é ­
s e n ta tio n d ’u n e p iè ce re m p lie d ’esp rit, d o n t l ’a u t e u r , F r a n ­
VOYAGE
A LYON.
— 18 0 3 .
95
çois de B ausset, u n de m e s a m is p a r tic u lie r s , m ’avait fait
e n t e n d r e la le ctu re.
La salle était c o m b le ; m a is, avant le lever d u r id e a u , il
é t a it facile de s ’ape rcev o ir des m a u v a is e s d isp o s itio n s d u
p a r te r r e . Bientôt, on e n tre en sc ène , et les sifflets se font
e n te n d r e d u m il ie u d ’un g r o u p e placé j u s t e m e n t a u d e s s o u s de la loge o ù j ’étais avec p lu s i e u r s p e r s o n n e s de
c o n n a is s a n c e ; in d ig n é s d ’u n pro cé d é si g ro s s ie r q u ’a u c u n
m o tif n e p o u v a it ju stifie r, p r e s q u e to u s les sp e c ta te u r s d es
loges se lèv en t s p o n t a n é m e n t e n c r ia n t : « A la p o r te ! à la
p o r te , les sifflets ! » Ce fut alors u n e co n fu sio n ép o u v a n ta b le ,
le p a r te r r e s e m b la it u n e m e r agitée p a r les o n d u la tio n s
violentes de ces h o m m e s se h e u r ta n t, se b o u s c u la n t en
t o u s se n s p o u r a rriv e r a u g ro u p e m e n a ç a n t qui c o n tin u a it
d é f a ir e e n t e n d r e les so n s aigus e t p e r ç a n ts de le u r s clefs
forées. Les a c te u rs , en q u itt a n t la scène, a v a ie n t fait b a isse r
le r id e a u , et le tu m u l t e ne faisant qu e s ’a c cro ître , la police
c r u t d evoir in te r v e n ir en r e q u é r a n t la force a r m é e ; mais,
avant son arriv é e , la loge d a n s laqu elle je m e tro u v ais é ta n t
d e v e n u e le p o in t de m ire de to u s le s p e r t u r b a t e u r s , il s ’e n ­
suivit des p aro le s offensantes, d es m e n a c e s e t enfin des
voies de fait; tr o is d ’e n t r e n o u s , d a n s u n p a r o x y s m e de
co lè re , s a u t è r e n t d a n s le p a r te r r e c h e r c h a n t à sa isir un
je u n e h o m m e qui s e m b la it dirig e r la c a b a le ; b ie n tô t, la
lutte d e v in t é p o u v a n ta b le et le sa n g n ’e û t p as ta rd é à
c o u le r sans la p r é s e n c e d e la tr o u p e q u i fit év a c u e r la
salle. H u it p e r s o n n e s fu re n t a r r ê té e s e t c o n d u ite s au
co rp s de g a r d e , a u n o m b r e d e s q u e lle s se tr o u v a i e n t le
je u n e h o m m e avec q u a tre des s ie n s, m e s d e u x co m p a g n o n s
et m oi.
In te r r o g é p a r l e c o m m is s a ir e de police, je désignai d ’u n e
m a n iè r e é n e r g iq u e e t in s u lta n te le m o t e u r d u sc a n d a le
qui ven a it d ’avoir lieu, et p e u d ’in s t a n ts ap rè s, ré c la m é s p a r
96
SOUVENIRS
MILITAIRES.
d es p e r s o n n e s h o n o ra b le s, n o n s f û m e s im m é d i a t e m e n t
m is en lib e r té to u s tro is.
Le le n d e m a in , tr o is j e u n e s h o m m e s se p r é s e n t è r e n t
chez m o i a u m o m e n t o ù j ’allais s o r t i r p o u r m e r e n d r e
p r è s de m a p r é te n d u e .
<> M onsieur, m e dit l ’u n d ’eux, q u e je r e c o n n u s a u s s itô t
p o u r le c h e f d u tr o u b le de la veille, je viens v o u s d e m a n d e r
sa tisfac tio n p o u r avoir p o r té la m a in s u r m o i e t te n u des
p ro p o s o u tr a g e a n ts s u r m o n c o m p te ; des m o tifs p a r t i c u ­
lie rs, d o n t il e s t in u tile de v o u s e n t r e te n i r , m ’o n t engagé
à faire to m b e r la pièce, sa n s m ’o c c u p e r de son p lu s ou
m o in s de m é r i t e ; m a is l ’in su lte q u e v o u s m ’avez faite
d e m a n d e u n e r é p a r a tio n l ’ép é e à la m a in , et j e viens vous
la c h e rc h e r.
— M o nsieur, ré p o n d is - je , votre inqualifiable c o n d u ite ne
m é r i t a i t de m a p a r t qu e d u m é p ris et j ’eu sse gardé le
silence a u m ilie u de vos sifflets e t des v o cifé ra tions de vos
a c o lyte s, si vous n ’eussiez p e r s o n n e l l e m e n t insulté la loge
d a n s laq u elle j ’étais. J e suis, au re s te , d ’a u t a n t p lu s d isposé
à v ous satisfaire q u e l ’a u t e u r c o n tre le q u e l vos p ro cé d és
o n t été si m a lv e illa n ts e s t m o n am i, e t je ne d o u te pas
q u ’il n e v o u s d o n n e a u s si d e s m a r q u e s de sa r e c o n n a is ­
sa nce . »
Ces q u e l q u e s m o t s é c h an g é s, j e lui ai d e m a n d é so n
n o m ; il se fit c o n n a îtr e p o u r le fils d ’u n h o n o r a b le n é g o ­
cia n t de la ville ; n o u s c o n v î n m e s de n o u s r e n c o n tr e r , à
cinq h e u r e s d u soir, d a n s u n e p e tite sa u laie, s u r les b o r d s
d u R hône . A u s s it ô t en p r é s e n c e , c h a c u n avec n o s d e u x
té m o in s , n o u s m î m e s h a b its b as, e t b ie n tô t a p r è s , n o s fers
se c r o is è r e n t e n é c h a n g e a n t q u e l q u e s
fein tes
suivies
d ’u n e a tta q u e vive e t p r o m p t e q u i se t e r m i n a p a r u n c o up
d r o it d o n t j ’e u s s e in f a illib le m e n t p e r c é de p a r t e n pa^t
m o n ad v e rsa ire , sa n s la b o ucle de sa b rete lle q u i brisa la
DUEL
A LYON.
— 1803.
01
p o in te de m o n é p é e . Les t é m o in s v o u l u r e n t d ’a b o r d p r o ­
fiter de ce tte c irc o n sta n c e p o u r faire c e s s e r le c o m b a t;
m a is, tro p a n i m é s to u s d e u x p o u r y c o n s e n ti r , il fut c o n ­
v e n u qu e l’on c a s s e ra it l’a r m e de m o n a n t a g o n is te à la
m ê m e lo n g u e u r q u e la m i e n n e e t q u ’on les effilerait s u r
u n e p ie rre . Cette o p é r a tio n te r m in é e , n o u s c r o is â m e s le
fer de n o u v e a u et, e n p e u d ’in s ta n ts , j ’eu s le b r a s p e r c é en
d e u x e n d r o its, et d ’u n e m a n iè r e si p ro fo n d e e t si d o u lo u ­
r e u s e , q u e m o n a r m e m ’é c h a p p a d e l à m a in e t q u e j e p e r d i s
c o n n a is s a n c e ; c e p e n d a n t, de l ’ea u , q u e l ’o n fut c h e r c h e r
dan s u n c h a p e a u , m e ré ta b lit a u s sitô t. « Allons, dis-je à
m o n a d v e rsa ire , r e c o m m e n ç o n s ; p e u t - ê tr e se ra i-je p lu s
ad ro it. — Non, M onsieur, rép ondit-il, b ie n loin de satisfaire
à v o tre c o u ra g e u x désir, veuillez a c c u e illir l ’av eu de m e s
t o r ts et m ’a c c o r d e r v o tre es tim e , ca r j ’ai le c œ u r m e ille u r
q u e la tê te et suis v r a im e n t d é s e s p é r é de t o u t ce qu i s ’est
p a s sé . » J e lu i te n d is la m a in et to u t f u t oublié. Mon bras
f o r t e m e n t p r e s s é p a r u n m o u c h o ir , on m ’a c c o m p a g n a à m o n
h ô te l o ù b ie n tô t u n c h i r u r g ie n v in t m e d o n n e r des s o in s ;
il tr o u v a la b le s s u r e assez m a u v a is e p a r le d é c h ir e m e n t de
l ’a r m e m a l effilée, c r a ig n a n t m ô m e q u e les n e r f s n e f u s s e n t
a t ta q u é s. La fièvre m e p r it p e n d a n t la n u i t et d u r a cin q
j o u r s ; enfin, j ’e u s la co n s o la n te sa tisfa c tio n de n ’ê tre pas
e s tro p ié, m a is il m e fut i n t e r d i t de m e s e rv ir de m a m a in
av a n t u n e p arfaite g u é r is o n . Ce brave j e u n e h o m m e n o n
s e u l e m e n t p a s s a it u n e p artie de se s j o u r n é e s p r è s de m oi,
m a is il f u t au ssi chez F ra n ç o is de B a u s s e t lui faire ses
ex c u se s, en lui a v o u a n t q u e sa m a îtr e s s e , fo rt c o u r r o u c é e
de n ’avoir p as le p r e m i e r r ô le q u ’elle d é s ira it d a n s sa p ièce,
av ait exigé de lui de la faire to m b e r . « V o u s pouvez, ajo u tat-il g a ie m e n t, faire j o u e r vo tre c o m é d ie en to u te a s s u ra n c e ,
car, fût-e lle d é te sta b le , ce qu e je n e p e n s e p a s d ’a p r è s ce
q u e j ’e n ai e n t e n d u dire, j e v o us p r o m e t s u n s u c c è s ébou1
98
SOUVENIRS
MILITAIRES.
riffant, d u s s é -je m e b a ttr e u n e s e c o n d e fois, ce q u e je
ferais de g r a n d c œ u r p o u r la faire r é u s s i r . » Cet évé ne­
m e n t, q u i e u t u n c e r ta in r e t e n t i s s e m e n t d a n s la ville, p a r ­
v in t a u x o re ille s de M. de la C*** qui m ’éc rivit u n p e tit
b ille t assez froid, d a n s le q u e l il m ’engageait, a u s s itô t ap rè s
m a g u é r is o n , à r e t o u r n e r p r è s de m o n p ère . Ce congé d é ­
finitif v in t f o rt à p r o p o s m e s o u la g e r d ’u n fa r d e a u d o n t
il m e ta r d a it d ’ô tre (jébarrassé, n e m e s e n ta n t p a s en c ore
la v o c a tio n d u m a ria g e assez r o b u s t e p o u r en c o u r ir les
c h a n c e s f o rt a v e n tu r e u s e s .
Ma b le s s u r e avait suivi u n e m a r c h e d e s p lu s r a s s u r a n t e s ,
g râ c e au x so in s a t te n tifs de to u s les in s ta n ts de la p a r t
d ’u n e r a v iss a n te j e u n e f e m m e d o n t j e m e voyais avec u n
d o u lo u r e u x é m o i c o n t r a in t de m e s é p a r e r ; elle, p o u r
a lle r r e jo i n d r e s o n m a ri e n Italie, e t m o i, p o u r r e t o u r n e r
tr i s t e m e n t e n F orez où m a p r é s e n c e était n é c e s s a ir e ; m ais,
ce q u i v in t e n c o r e c o m p liq u e r c e lle fâ c h e u s e situ atio n , ce
f u t u n e le ttr e de m o n p è r e b ie n -a im é , t o u jo u r s p o u r ses
e n fa n ts l ’a m i le p lu s vrai, le p lu s t e n d r e et s u r t o u t le p lu s
in d u lg e n t, qui, a y a n t a p p r is p a r M. de la C*** m o n i n c a r ­
ta d e e t ses r é s u lt a ts , m e m a n d a i t q u ’il allait a rr iv e r afin de
j u g e r p a r l u i - m ê m e si m o n é t a t é ta it a u s si grave q u ’il
avait lie u de le s u p p o s e r , p u is q u e j ’étais d e p u is cinq s e ­
m a in e s sa n s lui av o ir éc rit. Sa le ttr e to u c h a n te de sollici­
tu d e , loin de b lâ m e r m a c o n d u ite , p u i s q u ’il s ’agissait d ’u n e
affaire d ’h o n n e u r , n ’é ta it e m p r e in te q u e de ses i n q u ié ­
tu d e s ; il n e c o n c e v a it p as, avec la r é p u ta tio n d ’e s c r im e
q u e j ’avais d a n s le s salles d ’a r m e s de P a ris, c o m m e n t je
m ’é ta is si m a l a d r o i t e m e n t la issé to u c h e r p a r u n L y o n n ais.
Je m ’e m p re s s a i de r a s s u r e r ce b o n p è r e e n lui a n n o n ç a n t
m a c o m p lè te g u é r is o n , m o n d é p a r t p o u r le F orez et m a
p r o c h a in e a r r iv é e p r è s de lui. Mais, d é m e n ta n t, e n m ê m ç
te m p s , de la m a n iè r e la p lu s fo rm e lle q u ’u n e f e m m e ait
SÉJOUR
A LYON.
-
1 804.
99
été ca u se de ce duel, ain si q u e l’avait m a n d é M. de laC***,
j e lui d o n n a i to u s les d étails d e c e tte fâcheuse affaire en
lui a v o u a n t to u te fo is q u ’u n e c i r c o n s ta n c e p r o v id e n tie lle
m ’avait fait r e n c o n t r e r , d a n s l’h ô te l d u N ord o ù j e logeais,
u n a n g e de b o n té q u i n ’avait p a s p e u c o n trib u é à m o n r é t a ­
b lis se m e n t.» Mme A m élie Balabio, lui d isais-je, e s t le type de
la b e a u té ita lie n n e ; c’e s t u n e je u n e f e m m e de v in g t-tro is
ans, fille d ’u n r ic h e b a n q u i e r de Milan, é p o u s e d ’u n g é n é ­
ral de b rig ad e ita lie n atta c h é à l’é t a t - m a j o r de B o n a p a rte
et l’a y a n t a c co m p ag n é à P a ris avec sa f e m m e . Q u elq u e
te m p s a p r è s , il r e ç u t l ’o r d re de se r e n d r e s u r - le - c h a m p à
T u r i n p o u r y p r e n d r e le c o m m a n d e m e n t de ce tte g a r n is o n ;
m a is sa j e u n e fille, c h a r m a n t b o u to n de r o s e de cin q ans,
é t a n t in d is p o sé e , sa m è re fut oblig ée d ’a t te n d r e s a g u é r is o n ,
p o u r p a r tir. U n m a tin , é ta n t à m a f e n ê tre , je vis e n t r e r dans
la c o u r de m o n h ôtel, u n f o rt é lég a n t coupé atte lé de tr o is
c h e v au x de p o s te d ’où d e s c e n d ir e n t u n e je u n e f e m m e et
u n e b o n n e t e n a n t u n e nfa n t d a n s ses b ras. L ’h e u r e d u
d în e r v en u e , u n h e u r e u x h a s a r d m ’a y a n t p la cé à la table
d ’h ô te p r è s de c e tte j e u n e é t ra n g è r e , j e m ’e m p re s s a i de
r e n d r e à s a fille de ces p e tits s o in s d o n t u n e m è r e e s t t o u ­
jo u r s to u c h é e ; n o tr e c o n n a issa n c e f u t d onc b ie n tô t faite; le
le n d e m a in , m o n b r a s fut a c ce p té p o u r q u e lq u e s co u rse s
d ’a c h a t s ; puis, l ’e n f a n t a y a n t eu d a n s la s o iré e u n accès de
fièvre, je fus a u s sitô t c h e r c h e r le d o c te u r P etit, cé lè b re
m é d e c in de L yon. Cette a t te n t io n m e p e r m i t des a s s id u i­
té s p r è s de la j e u n e m è r e r e c o n n a is s a n te , d ’o ù s ’e n s u iv it
u n e confiance p lu s in tim e e t l ’ave u des s e n tim e n ts q u e
m ’in s p ira it c e tte c h a r m a n t e et d é lic ie u s e f e m m e qui m e
p a y a q u e lq u e s j o u r s d e s soin s les plus t e n d r e s lo r s q u e
j ’eu s la m a la d re s se de re c e v o ir u n co up d ’ép ée. » B ien c e r ­
ta in qu e m a le ttr e , en r a s s u r a n t m o n p è r e et e n lu i a n n o n ­
ç a n t m o n ' p r o c h a i n r e t o u r près de lui, l ’e m p ê c h e r a it de
100
SOUVENIRS
MILITAIRES.
faire u n voy age inutile, j ’ac c o m p a g n a i la belle Am élie
j u s q u ’à C h a m b é ry , f a isa n t suivre m o n c a b r io le t dan s
le q u e l f u t placée la f e m m e de c h a m b r e , et ainsi se
t e r m i n a c e t h e u r e u x ép iso d e d o n t le so u v e n ir dev ait ê tre
ineffaçable.
VI
P RÉSENT AT I ON A L’ EMPEREUR
FORMATI ON DES GENDARMES D’ ORDONNANCE
Mon s é jo u r à Saint-M arcellin n e fut q u e le te m p s n é c e s ­
sa ire a u x o c c u p a tio n s de l ’a d m in is tra tio n d o n t j ’étais charg é,
et, l o r s q u e t o u t f u t b ie n réglé et te r m in é , j e m e r e n d is à
Massiac où j e tr o u v a i m o n p è re , h e u r e u x d ’ê tre a b rité so u s
le to it de ses a n c ê t r e s q u ’il avait c r u ne re v o ir ja m a is . Je
r e s ta i tr o is m o is p r è s de lui p o u r e n s u ite r e t r o u v e r P a ris
d a n s to u t e la s p le n d e u r de la c ré atio n de l ’E m p ir e , avec ces
a c ce sso ires o ù c h a c u n c h e r c h a it à e n o b te n ir u n e p art.
C’était u n e effervescence, u n d élire, p o u s s é s aux d e r n iè re s
lim ite s : les fêtes p u b liq u e s , les bals, les so irée s, se su c c é ­
d a i e n t sa n s c e sse et, a u m ilie u de cé to u r b illo n g én é ral,
a p p a r a is s a it le m o b ile de t a n t de c h o s e s, ce je u n e e t b r il­
la n t g u e r r ie r , r e c o u v e r t d u m a n te a u im p é r ia l et ro y al, et
sa cré p a r les m a in s d u S a in t- P è r e , se r e h a u s s a n t d ’u n e
gloire sa n s p are ille q u i allait s ’a u g m e n te r p a r de n o u v e a u x
c o m b a ts c o n tre le s v a in s efforts de la P r u s s e et la R ussie
ré u n ie s . N ap o lé o n fit p o u r t a n t t o u t ce q u ’il p u t p o u r évi­
te r c e tte nouvelle g u e r r e , n o n q u ’il la r e d o u tâ t, m a is la
fo rfan terie Me la P r u s s e le fo rç a à a c c e p te r u n défi q u e
ce tte p u is s a n c e devait p a y e r si ch e r. L ’E m p e r e u r , d o n t la
102
SOUVENIRS
MILITAIRES.
p r u d e n c e égalait le c o u ra g e , v o y a n t se s p r o p o s itio n s r e ­
p o u s s é e s , se m i t a u s s itô t en m e s u r e d ’agir efficacement.
De n o u v e a u x co rp s f u r e n t f o rm é s e t l ’appel q u ’il lit d an s
les h a u t e s classes de la société f u t accueilli avec u n v é r i­
ta b le e n t h o u s ia s m e , car c h a c u n voula it a u s si a c q u é r ir sa
p a r t de gloire. Mais il f a u t c e p e n d a n t r e m o n t e r q u e lq u e s
m o is a v a n t ces grave s é v é n e m e n ts , c ’es t-à-dire à l ’é p o q u e
de la c o n s titu t io n d d l’E m p i r e e t de la f o rm a tio n d ’u n e
c o u r im p é r ia le d o n t la s p le n d e u r dev a it r é p o n d r e à celui
qui en é ta it l ’objet. En c o n s é q u e n c e , des g r a n d s dig n i­
ta ir e s d e l ’E m p ire f u r e n t n o m m é s , d es m in i s tr e s pris
p a r m i .d e s h o m m e s é m in e n ts , des m a r é c h a u x c h o isis d a n s
le s g é n é r a u x les p lu s il l u s t r e s ; puis, v in r e n t le s Maisons
de l ’E m p e r e u r et de l’I m p é r a t r ic e q u i fu re n t c o m p o s é e s de
c h a m b e lla n s , d ’é c u y e r s , de p ré fe ls d u palais, d ’i n tr o d u c ­
te u rs d ’a m b a s s a d e u r s , de pages, etc. ; ces d ifférents e m ­
p lo is f u r e n t assez g é n é r a le m e n t d o n n é s à l ’a n c ie n n e n o ­
b le sse qu e N ap o lé o n a c c u e illa it avec e m p r e s s e m e n t, et le
f a u b o u r g S a in t-G e rm a in , e n tre a u tre s , n ’y fit p as faute.
Q u a n t a m o n frè re e t à m o i, p e u ja lo u x de p o r t e r l’h a b it
b ro d é, m a is c e p e n d a n t f o r t d é s i r e u x de n e p a s r e s t e r s a n s
r i e n faire, n o u s o b tîn m e s d ’ê t re p r é s e n t é s à l ’E m p e re u r,
p a r l ’e n t r e m i s e de l’im p é r a tr ic e J o s é p h in e q u i c o n s erv ait
à n o tr e m è r e le s o u v e n ir d e s r e la tio n s in ti m e s q u i ava ie n t
existé e n t r e elles ava n t la R évolu tion. Cette difficulté
v ain cue, le j o u r et l ’h e u r e de n o t r e a d m is s io n n ous
a y a n t été d é s ig n é s, s u r v in t l'e m b a r r a s du c o s tu m e
p u is q u e , p o u r être in tr o d u it d a n s le c a b in e t im p é ria l, il
fallait ê tre en u n if o rm e , si l’on é ta it m ilita ire , ou p o r te r
u n c o s tu m e ana lo g u e à l ’em p lo i q u ’o n r e m p lis s a it, o u
enfin l ’h a b i t à la fra n ça ise, et ce fut celui q u e n o u s a d o p ­
t â m e s ; p o u r a t te i n d r e ce b u t, n o u s e û m e s r e c o u r s a u co s- '
tu m i e r B a b in , q u i, m o y e n n a n t u n e h o n n ê t e r é tr ib u ti o n ,
PRÉSENTATION
A L ’E M P E R E U R .
— 1 805.
103
n o u s f o u r n it avec u n e p ersp ic ac ité r e m a r q u a b le d e u x v ête­
m e n t s a n a lo g u e s à la circ o n sta n ce . Celui de m o n frè re était
c o u l e u r m a r r o n avec des b o u to n s d ’a c ie r à p o in te de d ia ­
m a n t, u n e v e s te en satin bla n c à fleurs, g a r n ie de d eu x
p e tite s p o c h e s à p a tte s , u n e culotte de soie n o ir e , bas de
soie blan cs et b o u c le s au x s o u li e r s ; p o u r o r n e m e n t , j a b o t
e t m a n c h e t t e s de d en telle, c h a p e a u à p lu m e s n o ir e s avec
u n e g an s e d ’é p é e e n a c ie r à f o u r r e a u d e galu chat.
Mon c o s tu m e était à p e u p r è s le m ê m e q u a n t a u x ac c e s­
so ires, s e u le m e n t, n ’a y a n t p u m e p r o c u r e r u n h a b it de
c o u l e u r foncée, j ’avais été obligé d ’en p r e n d r e u n b le u
clair fort te n d r e , avec des b o u to n s r e p r é s e n t a n t différents
in s e c te s e t u n e v e s te à r a m a g e s d u m e ille u r effet. Il ne
fallut r ie n m o in s qu e la s o le n n ité d u lie u d a n s le q u el n o u s
étio n s in tr o d u it s p o u r g a r d e r n o t r e s é rie u x s u r cet a c c o u ­
t r e m e n t b a r o q u e , s u r t o u t en v o y a n t le s o u r ir e s a rd o n iq u e
des officiers de service so u s les r e g a rd s d e s q u e ls n o u s
f û m e s obligés de p a s s e r . L ’E m p e r e u r , d e b o u t p r è s d ’u n e
ch e m in é e , n o u s fixa u n m o m e n t avec u n e e s p èc e de s u r ­
p r is e , d a n s laq u elle je c r u s v o ir e r r e r s u r se s lè v re s u n
p e tit m o u v e m e n t c o n v u lsif q u ’il r é p r i m a a u s s itô t et q u e
j ’a t tr ib u a i à n o tr e c o s tu m e ; p u is, n o u s a d r e s s a n t la p a ro le :
« V o u s portez, n o u s dit-il, u n n o m m ilita ire e t v ous êtes,
m ’a - t- o n dit, p e tits-n ev e u x d u cé lè b re m a ré c h a l de V illars;
il fa u t faire c o m m e vos p è r e s . — C’est n o tr e v œ u le p lu s
a rd e n t, Sire, r é p o n d it m o n frère. — C’est t r è s b ie n , je
c o m p te s u r v o tre fidélité et votre d é v o u e m e n t. — Oui,
Sire, to u jo u r s , » d îm e s - n o u s e n s e m b l e et d ’in s p ira tio n ;
pu is, s ’a p p r o c h a n t d ’u n e tr o is iè m e p e r s o n n e qui avait a u s si
o b te n u l ’h o n n e u r de la p r é s e n ta t io n et q u i p o r ta it u n co s­
t u m e m ilita ire fort é lé g a n t : « V o u s ête s, lui d it-il, le fils
d u du c d e C hoiseul qu i c o m m a n d a it u n r é g im e n t de h u s ­
s a rd s dan s l’é m ig r a tio n . — Oui, S ire, r é p o n d it le je u n e
104
SOUVENIRS
MILITAIRES.
Ë tie n n e . — Quel âge a v e z-v o u s ? — D ix-huit an s, r e p r itil. — Mais, c o m m e n t se fait-il qu e v ou s ayez la croix de
la L é g io n d ’h o n n e u r . — P a rc e q u e j e l ’ai m é rité e , S ire,
e n s a u v a n t la vie a u m a r é c h a l A u g e r e a u d o n t je su is offi­
c ier d es g uide s. — C’est vrai, je m e le r ap p e lle m a i n t e n a n t ;
c o n tin u e z de m ê m e e t v o tre a v e n ir e s t a s s u ré . »
N ap o lé o n n o u s fit u n signe g r a c ie u x de la tê te , et n o u s
n o u s r e ti r â m e s a p r è s ce tte c o u r te et b rè v e a u d ie n c e , p o u r
ê tre c o n d u i ts , m o n frè re et m o i, p a r le c o m te de Béarn, chez
l ’im p é r a tr ic e J o s é p h in e où n o u s a t te n d a it u n e r é c e p tio n
d ’u n g e n r e t o u t différent. Cette ex c e lle n te p r in c e sse , ca u se
de n o tr e p r é s e n ta t io n à l ’E m p e r e u r s u r le conseil q u ’elle
e n avait d o n n é à m a m è re , n e p u t r e te n ir u n rire in e x tin ­
g u ib le à n o tr e a p p r o c h e , et, lo r s q u e n o u s b a is s â m e s la tê te
p o u r la sa lu er, M e sdam e s de la R o c h efo u ca u ld , de M ontm o­
r e n c y et de T u r e n n e im i t a n t cet ex e m p le , ce fu t des t r é p i­
g n e m e n ts , d e s e x c la m a tio n s q u i m e firent q u i t t e r le sé rie u x
d o n t j ’éta is m a la d e d e p u is m o n e n t r é e a u p alais ; tandis
q u e m o n frè re , c o n s e r v a n t u n c a lm e e t u n flegm e i m p e r ­
tu r b a b l e s , m ’e û t fait éc la ter si j ’avais eu le m a lh e u r de le
re g a rd e r. « C o m m e n t, dit l ’I m p é r a t r ic e en r ia n t au x la rm e s,
N a p o lé o n a p u v o u s r e g a r d e r de sa n g -fro id ? — Hélas,
M adam e, dit m o n f r è r e en s ’in c lin a n t m o d e s te m e n t, je
crois q u e Sa M ajesté n ’en p e n s a it p as m o in s . » Enfin, ap rè s
u n e d e m i - h e u r e d ’u n e ju b il a ti o n d o n t n o u s fîm e s les frais,
l ’I m p é r a tric e , n o u s p a r l a n t d e m a m è re d a n s les te r m e s les
p lu s affec tueu x, n o u s c o n g é d ia en n o u s e n g a g e a n t à aller
d é j e u n e r le le n d e m a in chez s o n fils, le p r in c e E u g èn e ,
n o tr e a m i d ’en fance, p o u r lui r e n d r e c o m p te de n o tr e
m a tin é e, et n o u s n o u s r e ti r â m e s f o rt e m p r e s s é s d ’a b a n ­
d o n n e r n o tr e espèc e de m a s c a ra d e .
T rois j o u r s a p r è s ce tte so le n n e lle ré c e p tio n , invités a u
bal de la Cour, m o n f rè re p e u s o u c ie u x de se m e t t r e u n e
BAL
se co n d e
fois en
AUX
TUILERIES.
r e p r é s e n ta t io n
103
— 1 806.
m ’e n
la issa
tous
les
honneurs.
Ce fu t e n c o re B abin qui se c h a r g e a de m a toilette, m a is
c e tte fois, p lu s h e u r e u x d a n s le c hoix de m o n c o s tu m e ,
j ’o b tin s l ’hab it à larges b a s q u e s d ’u n b rilla n t m a rq u is , to u t
r e s p le n d is s a n t des c o u l é u r s les p lu s vives, o rn é de b o u to n s
e n stra s im ita n t à s ’y m é p r e n d r e les p r o d u its de G olconde,
avec u n e v este e n b r o c a r t d ’or, p lu s u n c h a p e a u à
p lu m e s b la n c h e s d o n t la g anse était é b lo u issa n te p a r le
reflet de ses feux. Ainsi vêtu , a y a n t la co n s c ie n c e p a r ­
f a ite m e n t tr a n q u i lle s u r la f o rm e et l ’élégance de m a
t e n u e , j ’e n tra i h a r d i m e n t d a n s les s o m p t u e u x salons d u
palais im périal, s p le n d id e m e n t d é c o ré s, é tin c e la n ts
de
lu m i è r e s qui fa isa ie n t r e s s o r t i r les m a gnifiques u n if o rm e s
de la Garde, le s b r o d e r ie s des officiers de la Maison et les
r a v is s a n te s to ile tte s des d a m e s de la Cour, r u is s e la n t e s dç
p ie rr e r ie s et de d ia m a n ts, a u m ilieu d e s q u e lle s, à m a g ran d e
satisfactio n, se t r o u v a i e n t q u a n tité d ’h o m m e s d o n t le co s­
t u m e était a u s s i é q u iv o q u e q u e le mien.
L ’E m p e r e u r e n u n if o r m e des C h a sse u rs de sa gard e
était assis d a n s son fauteuil e n or, placé s u r u n e estra d e,
a y a n t à sa g a u c h e l’im p é r a tr ic e J o s é p h in e , d a n s la p a r u r e
la plus é b lo u is s a n te , avec u n d ia d è m e et u n e riv iè re d ’u n
p rix in e stim ab le . Cette soirée c o m m e n ç a p a r u n e s y m p h o ­
nie, ex é cu tée p a r les p r e m i e r s artistes de la capitale, qui
se te r m in a a u b o u t de vingt m in u t e s p o u r faire place au x
différents q u a d r ille s f o rm é s d a n s les sa lo n s p a r c o u r u s p a r
L e u r s M ajestés qui se r e t i r è r e n t e n s u ite , la issa n t la fôte
dan s u n e a n i m a tio n qu i d u r a j u s q u ’a u jo u r . Si le rid ic u le
de m o n c o s tu m e m ’e m p ê c h a , ainsi q u e m e s collègues, de
p a r tic ip e r a u p la isir de la danse, n o u s n o u s e n d é d o m m a ­
g eâ m e s a m p l e m e n t p a r u n s o m p t u e u x re p a s d ig n e en to u t
p o in t de l ’h ô te ill u s tr e au n o m d u q u e l il était offert. Mais,
10:6
SOUVENIRS
MILITAIRES.
h élas ! de q u e lle a m e r t u m e il devait ê tre suivi ! Le s o u v e ­
n i r de l ’affreux d é b o ire q u i m ’était r é s e rv é e s t u n p e s a n t
c a u c h e m a r d o n t j e c h e r c h e e n v a in à m e d é b a r ra s s e r ,
lo r s q u e le so u v e n ir s ’e n p r é s e n t e à m a m é m o ir e , p o u r m e
r a p p e le r m o n a m o u r - p r o p r e froissé, m o n org u eil h u m ilié
e t la d é c e p tio n la p lu s c o m p lè te . L a v o itu r e dans la q u elle
j e m ’étais p r é la s s é p o u r a l le r a u x T uileries a p p a r te n a it à
m o n p a r e n t le c o m te d ’A ulnay, q u i a v a it j o i n t à c e tte o b li­
g e a n c e ce lle de m e p r ê t e r d es m a n c h e t t e s e t u n m a g n i­
fique j a b o t de d e n t e ll e ; m a is , p a r u n e in a d v e r ta n c e to u t à
fait e n d e h o r s de ses in te n tio n s , n ’ay a n t pas d o n n é l ’o rd re
a u c o c h e r de v e n i r m e c h e r c h e r , celui-ci, a p rè s m ’avoir
d é p o s é au x p o r t e s d u palais, c r o y a n t sa tâ c h e te rm in é e ,
av ait été tr a n q u i l l e m e n t se c o u c h e r , ce qui fit q u ’e n m e r e ­
t i r a n t à q u a tre h e u r e s d u m a t i n avec la confiance d u p r o ­
p r ié t a ir e p o s s é d a n t u n éq u ip a g e , j e m e tr o u v a i se u l, isolé
d a n s la c o u r d u palais, s a n s ab ri, n i v ê t e m e n t p o u r m e
g a r a n tir d ’u n e p lu ie fine e t p e r ç a n te , e t sans la r e s s o u r c e
d ’u n fiacre d o n t j ’e u s s e v o lo n tie r s p a y é la v a l e u r p o u r
c a c h e r m a h o n te e t m a c o n f u s io n . C e p en d a n t, a r m é d ’u n
s o m b r e d é s e s p o ir , e n f o n ç a n t m o n c h a p e a u à p l u m e b la n c h e
j u s q u ’a u x o reilles en le c o u v r a n t d e m o n m o u c h o i r p o u r
c a c h e r m a figure, je m ’é la n c e d a n s le g u ic h et, p a s s a n t so u s
le feu des q u o lib e ts de la garde , et, g a g n a n t le P ont-R oyal,
je le t r a v e r s e c o m m e u n c h a t a u q u e l o n vient de c o u p e r la
q u eu e . Là, m ’a tte n d a it u n e no u v elle in f o rtu n e . Le fac tio n ­
n a ire d e s C h a s s e u rs de la Garde p r è s le q u e l j e p a s sa is , f o rt
s u r p r i s à l ’a s p e c t de m o n a c c o u t r e m e n t b iz arre , m ’invite
p o l i m e n t à m e la isse r in s p e c t e r p a r le c h e f d u p o s te a u q u e l
j e d u s faire le ré c it de m a triste a v e n tu r e , a u m il ie u des
lazzis et d es r ir e s i m m o d é r é s d e s C h a sse u rs. Enfin, r e n d u
à la lib e rté , j e p r is m a c o u r s e le lo n g d u q u ai avec la r a p i­
dité d ’u n c e r f p o u r s u iv i p a r u n e m e u t e a c h a r n é e , e t l o r s q u e
GUERRE
A V E C LA
PRUSSE.
— 1 806.
101
j ’a tteig n is m o n g îte de la r u e de C ourty, j ’étais h a l e ta n t,
h a r a s s é de fatigue, de h o n te , s u a n t c o m m e u n forçat,
c r o tté c o m m e u n b a r b e t et fa isa n t le s e r m e n t q u e ce j o u r
s e ra it le d e r n ie r de m a vie s o u s le c o s t u m e d ’h a b i t de
c o u r à la fra n ça ise. J ’e u s e n c o re , o u tr e le d é s a g r é m e n t de
ce fâc h eu x d éb o ire , celui de p a y e r u n assez fort d é d o m m a ­
g e m e n t a u c o s tu m ie r B abin qui voulait m e c o n t ra in d r e à
g a r d e r c e tte d é fro q u e de m a r q u i s , é v i d e m m e n t f o rt e n d o m ­
m a g é e m a lg ré les a b lu tio n s que je lui avais fait su b ir.
C ependant, a u m ilie u de to u t e s ces fête s et de l ’a n i m a tio n
de la capitale, l ’E m p e r e u r su iv a it d ’u n œil a t te n tif les
d é m a r c h e s h o s ti le s de la P r u s s e et se m e t t a i t e n m e s u r e
de lui p o r t e r d es c o u p s s û r s et t e r r i b l e s ; p lu s i e u r s n o u ­
v e a u x co rp s s ’o r g a n is è r e n t avec ra p id ité : la Garde i m p é ­
r ia le f u t a u g m e n té e d ’u n m agnifique r é g im e n t de d rag o n s,
et l ’in fan terie, de p lu s ie u r s b ataillo ns, s o u s la d é n o m in a t io n
de ’vélites e t de fusilie rs. La ville de P a r is f o rm a de n o m ­
b r e u x ré g im e n ts p r is d a n s so n s e in ; le c o m te de la T o u r
d ’A uverg ne e t le p r in c e d ’I s e m b o u r g r e ç u r e n t l ’a u t o r i s a ­
tio n de f o r m e r d e u x c o r p s d o n t les officiers d e v a ie n t être
p r is p a r m i les é m ig r é s et d a n s la h a u t e société.
D ans ce m ô m e te m p s , m o n frè re é ta n t à Massiac, je
m ’ad jo ig n is C harles de M ontulé et F e r n a n d d ’A lbuq u e r q u e , a m i p a r tic u lie r d u g én é ral D uroc, p o u r o b te n ir,
p a r so n e n t r e m i s e , la faculté de c r é e r d eux ou tro is esca­
d r o n s d e p a rtisa n s. N ous r e ç û m e s , à cet effet, l ’o r d r e de
n o u s r e n d r e à Saint-C loud le 15 o cto b re , à h u i t h e u r e s d u
m a tin . Mais, lo r s q u e n o u s y a rriv â m e s, n o u s a p p r îm e s p a r
le valet de c h a m b r e d u m a ré c h a l, c h a rg é de n o u s r e m e ttr e
u n e le ttr e p o u r le m in is tr e de la G uerre, q u e l ’E m p e r e u r et
so n m a îtr e é ta ie n t s u b i t e m e n t p a r ti s p o u r l ’a r m é e a p rè s
l ’a r r iv é e d ’u n c o u r r ie r .
A la le c tu r e de la le ttre d o n t n o u s é tio n s p o r t e u r s , le
108
SOUVENIRS
MILITAIRES.
d u c de F e ltr e n o u s fît a u s s itô t d é liv re r l ’o r d r e de n o u s
r e n d r e à M ayence, p r è s d u m a ré c h a l K e lle r m a n n , et nous
d it q u ’il re c e v r a it d e s i n s t r u c tio n s à n o tr e égard. En effet,
lo r s q u e n o u s n o u s p r é s e n t â m e s a u d u c de V alm y , n o u s en
r e ç û m e s le m e ille u r accu e il et il n o u s a p p r it q u e , c h a rg é
p a r l’E m p e r e u r de l’o r g a n isa tio n d u n o u v e a u c o r p s de
cavalerie so u s la d é n o m in a t io n de G e n d a rm e s d ’o r d o n ­
n a n c e s de l’E m p e r e u r , n o u s lui étio n s r e c o m m a n d é s d ’u n e
m a n iè r e spéciale. La f o rm a tio n de ce c o r p s d ’élite , to u t à
fait e n d e h o r s de ce qui avait été fait j u s q u ’alors, e u t un
r e t e n t i s s e m e n t qu i fut accueilli d a n s to u te la F ra n ce , et je
vais e n d o n n e r to u s les détails afin q u ’on p u is s e ê tre à
m ê m e de bie n a p p r é c ie r le b u t de ce tte in stitu tio n , b u t qui
m a l h e u r e u s e m e n t n e p u t ê tre a t te i n t, des c i rc o n sta n c e s
m a j e u r e s é ta n t v e n u e s y m e t t r e obsta cle. Mais, d an s la
co u r te d u r é e de sa g lo rie u se e x iste n ce, on p e u t c o n s ta te r,
a u m i n i s t è r e de la G u erre , la q u a n tité de g é n é r a u x , de
c o lo n e ls e t d ’officiers s u p é r ie u r s so rtis d e s r a n g s des G en ­
d a r m e s d ’o rd o n n a n c e de l ’E m p e r e u r .
La ville de M ayence, d é s ig n é e à l’é p o q u e d u 20 o cto b re
1806 p o u r la f o rm a tio n des G e n d a rm e s d ’o r d o n n a n c e ,
é ta it a lo rs o c c u p é e p a r l ’im p é r a tr ic e J o s é p h in e et u n e
p a rtie de sa cour, afin d ’être p lu s r a p p r o c h é e d e s g ra n d s
é v é n e m e n ts qui d ev a ie n t s u r g ir d a n s ce tte n o uvelle lu tte
d o n t l ’E m p e r e u r v e n a it de p r e n d r e l ’initiative. Le m a ré c h a l
K e lle r m a n n , d o n t les in s t r u c tio n s é ta ie n t p r é c is e s à l ’égard
d e s G e n d a rm e s d ’o r d o n n a n c e , y m it u n zèle p r o p o r ti o n n é
a u d é s ir de N ap o lé o n , a p p u y é p a r l’e m p r e s s e m e n t d ’u n e
j e u n e s s e a r d e n te , arriv é e de to u te s les p a r tie s de la F ra n ce ,
e t d e u x m o is n e s ’é ta ie n t p as é c o u lé s q u ’u n e c o m p a g n ie
forte de c e n t c in q u a n te h o m m e s était p rê te à se m o n t r e r
à l ’e n n e m i, et était b ie n tô t suivie d ’u n e se co n d e .
'
Les G e n d a rm e s d ’o r d o n n a n c e d ev a ie n t le u r e x is te n c e à
LES
GENDARMES
D ’O R D O N N A N C E .
— 1 806.
109
u n d é c r e t im p é r ia l daté de Saint-Cloud le 1er octob re 1806,
d o n t voici les d isp o s itio n s p rin c ip a le s :
« T out s u je t de l ’E m p ir e p e u t faire partie d es G e n d a rm e s
d ’o r d o n n a n c e à c o n d itio n de v e r s e r, à son arrivée a u co rps,
u n e s o m m e de 1 900 fra n cs et de p r o u v e r q u ’il r ec ev ra de
sa famille u n e p e n s io n de 600 francs, ce qui, j o in t à la
solde de la Garde im p é r ia le , p e u t le faire vivre c o n v e n a b le ­
m e n t. L ’u n if o rm e s e ra u n h a b i t v e r t de c h a s s e u r à c h e ­
val av e c a ig u ille tte et trèfle e n a rg e n t, p a n t a lo n v e rt
galonné, sc h ak o garn i en a r g e n t avec p l u m e t b l a n c ; p o u r
a r m e s : le sa b re d e m i- c o u r b e , p etite c a r a b in e et pisto let,
h a r n a c h e m e n t d u cheval à la h u s s a r d e . La d istin c tio n des
officiers c o n s is te r a d a n s la la r g e u r d es galons, l’é p a u le tte
et l ’aiguillette en to r s a d e de la Garde im p é ria le et de m ê m e
a u schako, avec la p l u m e b la n c h e flottante.
« Ce c orps, p a r so n in stitu tio n , fera p a rtie de la Garde
im p é ria le et jo u i r a des m ê m e s avan tages. A l ’a r m é e et
p a r t o u t o ù l’E m p e r e u r a u r a u n e es c o rte , les G en d a rm es
d ’o r d o n n a n c e a u r o n t u n officier et u n n o m b r e égal aux
C h a sse u rs de la garde .
« Il y a u r a t o u j o u r s p r è s de l’E m p e r e u r , u n officier de s e r ­
vice qui s ’y ti e n d r a d u r a n t q u a r a n te - h u it h e u r e s , et qui
r e m p l ir a le s fo n c tio n s d ’officier d ’o r d o n n a n c e .
« T ous les G e n d a rm e s d ’o r d o n n a n c e p e u v e n t, a p r è s u n e
c a m p a g n e , e n t r e r s o u s - lie u te n a n ts d a n s u n r é g im e n t de
cavalerie, et le s officiers avec u n grad e s u p é r ie u r . »
Il était im p o s s ib le , d ’a p r è s ce q u ’o n v ie n t de lire, de
d o u te r d es in te n tio n s de l ’E m p e r e u r à l’é g a r d des G en­
d a r m e s d ’o r d o n n a n c e ; a u s s i p lu s i e u r s g é n é r a u x de division
en avaient-ils sollicité le c o m m a n d e m e n t, m a is N apoléon
e n avait, j u s q u ’à nouvel o r d re , laissé la d ire c tio n i m m é ­
diate a u m a ré c h a l B e ssiè re s e t avait n o m m é c a p ita in e
c o m m a n d a n t le g é n é ra l de b rigade c o m te de M o n tm o re n c y .
110
SOUVENIRS
MILITAIRES.
Mais, e n m ê m e te m p s , Sa Majesté, v o u la n t q u e ce corps
m é r i t â t la d is t in c t io n d o n t il était h o n o r é , avait o rd o n n é
a u m a r é c h a l K e lle r m a n n , q u ’a u s s itô t u n e c o m p a g n ie c o m ­
p l è te m e n t o rg an isé e, elle se ra it d ir ig é e en face de l ’e n n e m i
afin de r e c e v o ir s o n b a p t ê m e ava n t de faire le service
a u q u e l ce c o r p s é ta it appelé.
Ainsi q u ’il a été d it déjà, M ayence éta it le lieu où se
faisait l ’o r g a n is a tio n d e s G e n d a rm e s d ’o r d o n n a n c e so u s la
su rv e illa n c e im m é d ia te d u m a r é c h a l K e lle r m a n n , c h a rg é
en o u tr e d ’in s p e c t e r et d irig e r à l e u r p a s sa g e les tr o u p e s
a l la n t jo in d r e les d ilîé re n ts co rp s d ’arm ée.
L a p r é s e n c e e n c e tte ville de l ’im p é r a tr ic e J o s é p h in e ne
c o n t r i b u a p as p e u à s ti m u le r l ’a r d e u r d e s j e u n e s gen s qui
s ’e m p r e s s a ie n t d ’a c c o u r ir à l’app e l qui le u r était fait, et s u r ­
to u t p a r l’in t é r ê t q u e S. M. v o u la it bie n y p r e n d r e en
a c c u e illa n t d a n s se s sa lo n s, n o n s e u le m e n t le s officiers,
m a is b o n n o m b r e de g e n d a r m e s d ’o rd o n n a n c e q u e le u r
n o m et le u r é d u c a tio n r e n d a ie n t dignes de c e t h o n n e u r .
L es p e r s o n n e s c o m p o s a n t la c o u r de l ’I m p é r a tric e étaien t
le j e u n e p rin c e N apoléon, âgé de q u a t r e a n s , sa m è re
la r e in e de H ollande, la p r in c e s s e S té p h a n ie de Bade,
n iè c e de l’Im p é r a tric e , Mme de la R o c h efo u ca u ld , dam e
d ’h o n n e u r , Mme d ’A rb e rg et sa fille, M esdam es de M o n tm o ­
r e n c y , d e M o rtem art, de T u r e n n e et de Bouillé, la m a r é ­
c h a le B e rn a d o tte , p r in c e s s e de P o n te-C o rv o , la m a ré c h a le
L a n n e s, la m a r é c h a le D uroc, Mmo de Broc n ée A ug uié,
Mlles de B o u r jo ly e t Cochelet, Mm0 de S aint-H ilaire, p r e ­
m iè r e f e m m e de c h a m b r e , M. de T a lle y r a n d , p rin c e de
B é név e nt, M. d ’Harville, che v alier d ’h o n n e u r , le g én é ral
O rd e n er,
p r e m i e r é c u y e r , les c h a m b e lla n s de B éarn et
D u m a n o ir, les p ag e s de Castille, X ain lra ille s, de M arescot
e t Duval de B e aulieu , et M. D esc h am p s, s e c ré ta ire > d e s
c o m m a n d e m e n ts .
SÉJOUR
A MAYENCE.
-
1 806.
ni
Il y avait, to u s les so ir s , r é u n i o n d a n s les sa lons de l ’I m ­
p é ra tric e q u i faisait r é g u l i è r e m e n t sa p a rtie de w h ist, a p rè s
la q u elle S. M. avait l’h a b itu d e de tir e r les c a rte s, tan dis
q u e , d a n s u n g r a n d salon, on dansait, on jo u a it des ch a ra d e s
e t q u elq uefois d es c o m é d ie s ; alo rs, c ’é ta ie n t des jo ie s , des
tr é p i g n e m e n ts , d es cris q u i s o u v e n t n é c e s s ita ie n t la p r é ­
se n c e de l ’I m p é r a tric e p o u r r é c la m e r u n p e u m o i n s de
b r u i t ; on ce ssa it u n m o m e n t p o u r r e c o m m e n c e r de p lu s
belle, et to u s le s jo u r s il e n était ainsi.
Un soir, l ’I m p é r a tric e , qui m e c o m b la it de b o n té s e n s o u ­
venir de son a n c ie n n e liaison avec m a m è r e , à qui je
devais m o n grad e et de qu i p lu s ta r d m o n frère o b tin t la
m ê m e faveur, u n soir, dis-je, S. M., a p r è s avoir te r m in é son
w h is t m e dit, en m e m o n t r a n t u n fauteuil : « H ippolyte, m e t­
tez-vous là, je vais tir e r les c a r te s » ; p u is, ap rè s les avoir bien
m ê lé e s et m e le s avoir fait c o u p e r p lu s ie u r s fois, les é t e n ­
d a n t s u r la ta b le, elle s ’é c rie t o u t à co u p : « G rande n ouv elle!
Victoire in c ro y a b le ! — Ce n ’e s t p o in t é to n n a n t, d is-je ; si
M adam e v oit u n c o m b a t o ù e s t l ’E m p e r e u r , il e s t é v id e n t
q u ’il d oit y avoir u n e victoire. » P u is , r e c o m m e n ç a n t son
je u : « E n c o r e u n e v ictoire, » dit-elle, et, m ê la n t les ca rtes :
« C’e s t si b e a u , ajo u ta-t-elle, q u ’il fa u t s ’e n te n ir là ; allez
d a n s e r. D em a in, n o u s a u r o n s d u n o u v e a u . » U ne dem ih e u r e n e s ’était p as p as sée q u ’u n h u iss ie r, o u v r a n t les d eux
b a t ta n t s de la p o r te du salon, a n n o n c e u n page de l ’E m p e ­
r e u r . Le j e u n e d ’E sp in a y , c r o tt é j u s q u ’à l ’éc hine , p la ce s u r
son c h a p e a u u n e p e tite le ttr e s a n s en v e lo p p e et, plia n t le
g e n o u , la p r é s e n te à l ’Im p é r a tric e . C’était l ’a n n o n c e de la
c é lè b re vic to ire d ’Iéna. « Eh b ie n ! d it S.M. e n m e re g a rd a n t,
au rez-vous foi d a n s m e s c a r te s ? — Oui, Madame, r é p o n d isje , m a is e n c o re p lu s d a n s le s su c cè s de l ’E m p e r e u r . » Ce
pré c ie u x chiffon de p a p ie r q u e n o u s avons to u s t e n u d a n s
n o s m a in s n e r e n f e r m a i t q u e ces lig n e s p r e s q u e in d é ch if-
11-2
SOUVENIRS
MILITAIRES.
rab le s : « Ma c h è r e J o s é p h in e , n o u s avons j o i n t l ’a r m é e
p r u s s ie n n e , elle n ’e x iste p lu s, j e m e p o r te b ie n e t te p r e s s e
s u r m o n c œ u r. » P u i s , u n e sig n a tu re illisible. J e p u is affir­
m e r s u r l’h o n n e u r q u e to u t ce q u ’on v ie n t de lire e s t de la
p lu s exacte v érité. J ’a j o u te r a i m ê m e q u e, q u e l q u e s j o u r s
a p rè s, a y a n t d it à l ’I m p é r a tric e q u e ce f o rtu n é billet se ra it
u n tr é s o r p o u r c e lu i qui le p o s s é d e r a it, S. M. le fit c h e r ­
c h e r dan s l ’i n te n tio n de m e le d o n n e r et q u ’o n n e p u t le
r e tr o u v e r .
Il était à p e u p r è s onze h e u r e s d u s o ir lo rsq u e ce tte
b o n n e n o u v elle arriva. L ’I m p é r a t r ic e d it à d ’E s p in a y de
p r e n d r e des v ê t e m e n ts à u n de se s c a m a r a d e s et de ven ir
d a n s e r s’il n ’é ta it pas fatig u é; p u i s , à u n e h e u r e d u m atin ;
r e v ê tu de se s g r o s s e s b o tte s e t de s o n h a b it c ro tté , il
r e m o n t a à cheval p o u r p o r t e r à l ’E m p e r e u r la r é p o n s e de
so n a u g u s te ép o u se.
T o u te s ces jo ie s , ces fêtes e t ces p la isirs é ta ie n t loin de
n u ir e à l’o b je t p r in c i p a l d o n t n o u s étio n s o cc u p és . Les
jo u r n é e s e n tiè r e s é ta ie n t e m p lo y é e s à l ’o rg a n is a tio n d u
co rp s, à l ’in s tru c tio n , aux é q u i p e m e n ts , enfin à p r é s e n t e r
d a n s le p lu s b r e f délai p ossible u n é c h an tillo n d e s Gen­
d a r m e s d ’o r d o n n a n c e .
E n effet, la t ro c o m p a g n ie c o m p l è t e m e n t org an isé e et
d a n s u n e te n u e p arfaite, le m a ré c h a l K e lle r m a n n r e ç u t u n
o r d r e é m a n é d e l ’E m p e r e u r de la d ir ig e r s u r B e rlin ; e t ce
f u t l e i d é c e m b r e 1806 q u e le c o m te de M o n tm o re n c y se m it
en m a r c h e à la tê te de sa tr o u p e e t p a s s a le R h in, a p rè s
av o ir été h o n o r é d es s o u h a its et d es a d ie u x de l ’I m p é r a ­
tric e.
Q u elq u e s j o u r s ap rè s, S. M., d a ig n a n t se r e n d r e à l ’invi­
ta tio n d u P rin c e p r im a t, p a r t i t p o u r F ra n c f o rt et m e fit
l ’h o n n e u r de m e d é s ig n e r p o u r r e m p l i r le s fonctions
d ’é c u y er.
SÉJOUR
A MAYENCE.
— 18 0 6.
113
Dans sa voitu re se- tro u v a ie n t' les d eux p r in c e s s e s et
Mme de La R o c h e f o u c a u ld , u n pag e et m o i à cheval aux
d e u x p o r tiè r e s ; la suite se c o m p o s a it de d e u x v o itu r e s :
d a n s l ’u n e, Mmes D uroc, de M o rtem art, de B roc et Mlle de
B o u r jo ly ; dan s l’a u t r e , Mme de S aint-H ilaire, M M .d e B é a rn ,
d ’A rberg, D e sc h a m p s et X ain tra ille s ; p u is MM. de N orvins
e t de la B é doyère e u r e n t l 'h o n n e u r d ’être invités à suivre
Sa Majesté.
Une d e m i-lieu e a v a n t d ’a rr iv e r à F ra n cfo rt, v in g t-c in q
cavaliers d a n s u n e f o rt b elle te n u e et u n e n o m b r e u s e
m u s i q u e e s c o r tè r e n t l’I m p é r a tric e , d o n t l’e n tré e se fit au
b r u i t du c a n o n et au ca rillo n d e s cloche s. Le P r in c e r e ç u t
S. M. au bas de so n palais, et, p e n d a n t trois jo u r s , ce ne
f u r e n t q u e fêtes, galas, sp e cta cle s et bals où se d é p lo y a le
p lu s g r a n d luxe. A n o tr e r e t o u r à Mayence, j e trouvai m o n
frè re , arrivé de la veille p o u r p r e n d r e rang, c o m m e offi­
cier, d a n s la 3e com pag nie.
VII
E N T R É E EN C A M P A G N E — PR E M I E RS C O M B A T S
La d e u x i è m e co m p a g n ie , forte de 150 h o m m e s m o n té s
e t é q u ip é s d ’u n e m a n iè r e r e m a r q u a b le et s o u s les o r d re s
du c o m te d’A rberg, t a p ita in e ,
B édoy ère
et
m oi, q u itt a
de N orvins, Ju ig n é , La
M ayence e t
se s p la isirs, le
3 ja n v i e r 1807, p o u r se dirig e r s u r Berlin, avec l ’o r d r e de
d é t r u i r e des b a n d e s de p a rtisa n s h e s s o is placés s u r ce tte
r o u te d a n s l ’i n te n tio n d ’e n le v e r les convois et d ’a t ta q u e r
le s d é t a c h e m e n ts isolés qu i se r e n d a ie n t à l’a r m é e . N ous
v în m e s ce m ê m e j o u r c o u c h e r à F r a n c f o rt; le le n d e m a in ,
d a n s le m a u v a is village de N ô h e im ; le 5, n o u s fîm es
n o tr e j o n c tio n , d a n s la p e tite ville de Giessen, avec d e u x
R é g im e n ts de P a ris et q u a t r e p iè c e s d ’a rtillerie d o n t la
d e s tin a tio n était le siège de Dantzig. Le 6, j e c o m m a n d a is
avec iO c h e v a u x l’av a n t-g a rd e de ces tr o u p e s , n o u s d iri­
g e a n t s u r M arbourg, ville assez forte et le foyer de l ’i n s u r ­
re c tio n ; lo r s q u e n o u s y a r r iv â m e s, elle était o c c u p é e p a r
u n r é g im e n t italien q u i e n avait chassé l ’e n n e m i a p rè s
lui av o ir tu é b e a u c o u p de m o n d e . Le 7, av a n t d ’a rr iv e r
à Z w este n , n o u s f îm e s q u in z e
p r is o n n ie r s qui f u r e n t
fusillés en les t r o u v a n t m u n i s de p lu s i e u r s sacs e t vfusils
français. Le 8, n o u s a r r iv â m e s à Cassel, belle capitale,
ENTRÉE
EN
CAMPAGNE.
— 180t.
118
s o u s les o r d re s d u g én é ral de division L ag ra n g e , qui
in v ita à d în e r le s officiers de la 2° c o m p a g n ie ; n o u s y
a t t e n d î m e s d e u x j o u r s le s F u silie rs de la Garde im p é riale ,
n o u v e a u et s u p e r b e r é g im e n t avec le q u e l n o u s devions
m a r c h e r . Le 10, e n a r r iv a n t à G œ tting e n, ville c é lè b re
p a r s o n u n iv e rs ité , j ’eu s u n e d is c u s s io n assez vive
avec l’officier d e s F u s ilie r s de la G arde, c h a rg é de l ’é ta ­
b li s s e m e n t de so n r é g im e n t, qui, bie n q u ’a rriv é ap rè s
m o i, p r é t e n d a i t a v o ir la p r io r i té p o u r la d istrib u tio n d e s
lo g e m e n ts.
C ette affaire, qui p o u v a it d e v e n ir d ’u n e g r a n d e gravité
e n t r e les d e u x c o r p s , se t e r m i n a p a r u n duel d a n s leq u el
j e blessai l é g è r e m e n t m o n
a n ta g o n is te d ’u n co u p
de
s a b r e s u r la t ê t e ; ce b ra v e officier r e c o n n a is s a n t n o b le ­
m e n t ses to r ts , n o u s n o u s d o n n â m e s la m a in et, le soir,
u n p u n c h r é u n i s s a n t les officiers d e s d e u x co rp s, n o u s
c i m e n t â m e s u n e a m itié d o n t les p r e u v e s, ain si q u ’o n le
v e rra , ne se d é m e n t i r e n t ja m a is . Le 11, n o u s p r im e s
s é jo u r à la p etite ville de D u d e r s ta d t afin d ’éviter les
e n c o m b r e m e n t s et la is s e r aux F u s ilie rs de la Garde u n j o u r
de m a r c h e s u r n o u s . Le 13, E llerich. Le 11, n o u s t r a v e r ­
s â m e s les m o n ta g n e s d u Ilartz p a r u n t e m p s é p o u v a n ta b le,
et n ’a r r iv â m e s q u e fo rt t a r d à E lb in g e ro d ; le le n d e m a in ,
ap r è s avoir p a r c o u r u u n e pla in e m a g n ifiq u e, n o u s a t te i­
g n îm e s la ville d ’H a lb e r s ta d t, o ù l ’on voit s u r u n e place la
sta tu e c o lo ssale de R oland. Le 15, la jo u r n é e é t a n t trè s
forte, n o u s f îm e s u n e h alte p r è s d ’u n c o u v e n t de re li­
g ie u ses d is t a n t d ’u n q u a r t d ’h e u r e de la r o u t e ; ces
s a in te s filles, effrayées d ’a b o r d â n o tr e aspec t, f u r e n t
b ie n tô t r a s s u r é e s p a r n o s m a n i è r e s et n o u s offriren t le p e u
de p ro v isio n s q u ’elles p u r e n t m e ttr e à n o tr e d isp o s itio n ,
q u e n o u s p a y â m e s a m p le m e n t d a n s le tro n c des p a u v re s,
A n o tr e d é p a rt, l’on n o u s p r o m it force priè re s , ta n d is
116
SOUVENIRS
MILITAIRES.
q u ’en m o n p a r tic u lie r , j ’en faisais de b ie n s in c è r e s p o u r
q u e ces vie rge s d u S e ig n e u r n ’e u s s e n t ja m a i s de p lu s
f â c h e u se s v isites qu e le s n ô t r e s . .. Le soir, n o u s c o u ­
c h â m e s à W a n z l e b e n et le le n d e m a in à Magdebourg, située
s u r les b o r d s de l ’Elbe, fleuve large et p r o fo n d . Cette
ville, u n e d es p lu s f o rte s p la c e s de l’A llem agn e, vive­
m e n t a tta q u é e p a r le m a ré c h a l Ney, à la su ite de la victoire
d ’Iéna, capitula» le 8 n o v e m b r e 1805; la g a r n is o n qui d u t
défiler d e v a n t le v a i n q u e u r se c o m p o s a it de 22000 h o m m e s ,
20 g é n é r a u x , 800 officiers e t 2000 a r t i l l e u r s ; o n y p rit
54 d ra p e a u x , 5 é t e n d a r d s , p r è s de 800 piè c e s de c a n o n
et u n i m m e n s e m a té r ie l. E n v is ita n t les forlifications de
c e tte ville, et p e n s a n t a u n o m b r e de se s d é fe n s e u r s , je m e
disais q u ’il fallait q u e la t e r r e u r d es P r u s s i e n s ait été
p o u s s é e j u s q u ’à ses d e r n i è r e s lim ite s p o u r m e t t r e b as les
a r m e s avec d ’a u s si p u is s a n ts m o y e n s de défense.
Le 'séjo u r q u e n o u s fîm e s à M agdeb ourg m e p r o c u r a
la sa tisfa c tio n de faire c o n n a is s a n c e avec la m a ître ss e du
j e u n e p rin c e H en ri de P r u s s e , tu é à Iéna. Cette belle et
r a d ie u s e p e r s o n n e , to u t en disa n t q u ’elle r e g r e tta it son
a m a n t, n ’en p r o u v a it p a s m o in s ses viv es s y m p a th ie s p o u r
les F ra n ç a is ... La j o u r n é e d u le n d e m a in f u t loin de r e s ­
s e m b le r à celle de la veille; la p e t i t e ville de Z iegar, o ù
n o u s a r r iv â m e s de b o n n e h e u r e , élait p long ée dan s la
s t u p e u r la p lu s affreuse p a r u n e m a lad ie contag ie u se
q u i faisait des ravages é p o u v a n ta b le s , ce q u i d é t e r m in a le
c a p ita in e d ’A rb e rg à faire b iv o u a q u e r la tr o u p e en d e h o r s
de ce tte m a l h e u r e u s e cité m a lg ré u n froid excessif. 11 fit
p o r te r d es vivres et d u bois en a t t e n d a n t i m p a t i e m m e n t la
p o in te d u j o u r
pour
n o u s é lo ig n e r de
ce tte
fu n e ste
in fluence à laquelle, f o rt h e u r e u s e m e n t , n o u s é c h a p p â m e s
to u s p o u r a lle r p r e n d r e gite à B ra n d e b o u r g , ville^ assez
c o n s id é r a b le , m a is m a l b âtie, d ’o ù n o u s f û m e s d a n s le
PASSAGE
A BERLIN.
— 1 807.
m a u v a is village de Zevio avec la co n s o latio n d ’a rr iv e r le
l e n d e m a i n a u lieu de n o tr e d e s tin a tio n p ro v iso ire. Le 22,
n o u s finies n o tr e e n tré e à Berlin, où n o u s a tte n d a ie n t nos
c a m a ra d e s de la l r° co m p a g n ie , d o n t n o s c h e v au x p a r t a ­
g è r e n t les m a g n ifiq u e s é c u r ie s des C hevaliers-G ard es du
roi de P r u s s e et n o s h o m m e s logés en ville.
Mon p r e m i e r soin f u t d ’a lle r m e p r é s e n t e r chez le
g é n é ra l Clarke, g o u v e r n e u r de la ville, p o u r le q u el j ’avais
u n e le ttr e de l ’I m p é r a tric e , et son é t o n n e m e n t fut égal au
m i e n en d isa n t q u ’e n m e r e c o m m a n d a n t d ’une m a n iè r e
p a r tic u liè r e , Sa Majesté le c h a r g e a it de m e p r o c u r e r u n
cheval à m o n choix. Alors, je fis co n n a ître au g én é ral les
re la tio n s in tim e s q u i a va ie nt existé ja d is e n tre la famille
de B e a u h a rn a is e t la m ie n n e , et q u e , p eu de j o u r s ava n t
m o n d é p a rt, a y a n t e u l ’h o n n e u r d ’a c c o m p a g n e r Sa Majesté
à Mayence, elle m ’avait dit, e n v o y an t m o n cheval tr è s
fatigué, q u ’elle m ’e n d o n n e r a it u n , ce qu e j u s q u ’alors
j ’avais c r u oub lié . L’accu e il d u g én é ral fut on n e p e u t
p lu s b ienveillant, il m ’offrit place d an s son palais et à sa
ta ble. Le le n d e m a in , j ’e u s le choix d ’u n m ag n ifiq u e c h e ­
val, o u de d eux p lu s p etits d u m ê m e prix, ce q u e j ’ac ce pta i
avec d ’a u t a n t p lu s d ’e m p r e s s e m e n t qu e j ’en avais laissé
u n à G œ tlin g e n g r a v e m e n t m a la d e , et p r o b a b le m e n t
m o rt.
Le s u r le n d e m a in , le g én é ral, a llan t à C h a rlo tte n b o u rg
p a s s e r e n re v u e u n e légion p o lo n a ise , m e p ro p o s a de
l ’a c c o m p a g n e r, ce q u e je fis avec d ’a u t a n t p lu s de plaisir
qu e cela m e p r o c u r a la satisfaction de v isiter ce tte m a g n i­
fique r é s id e n c e ro yale. Il m e s e ra it facile de r e tr a c e r ici
t o u t ce q u ’il y a de bea u , d ’in té r e s s a n t et de c u r ie u x dans
c e tte belle ville de Berlin. Mais j e laisse ces d étails aux
n o m b r e u x c o m p a g n o n s de voyage qui m ’a c c o m p a g n e n t
et q u i s ’en t i r e r o n t m ie u x q u e m oi,
118
SOUVENIRS
MILITAIRES.
« Berlin, le 25 janvier 1807.
« J e vais, c h e r frè re b ien -aim é, m e t t r e m a p l u m e en
r o u te p o u r r a p p r o c h e r , s ’il e s t p o ssib le , le s 143 lieues
q u i n o u s s é p a r e n t, doiit t u p o u r r a s su iv re la m a r c h e p a r
le jo u r n a l c i-jo in t. Mais, avant de te d o n n e r d es d étails s u r
n o tr e j p o s itio n p r é s e n t e , j ’ai à r é c la m e r de toi un aveu
s u r le q u e l t u a u r a is d û te faire u n cas de co n s c ie n c e a u
m o m e n t de n o tr e sé p a r a tio n , et d o n t le h a s a r d m ’a fait
p r e n d r e c o m m i s s a i r e . Le p r e m i e r j o u r de n o tr e m a r c h e ,
a r r iv a n t à F ra n c fo rt, n o u s e û m e s , N orvins, La B é do yère et
m o i, l ’idée d ’a l le r offrir n o s r e s p e c t u e u x h o m m a g e s au
P rin c e p r i m a t qu i avait été si b ie n v e illa n t p o u r n o u s,
lo rs d u voy age de l ’I m p é r a t r ic e , et, à c e t effet, j ’envoyai
m o n d o m e s tiq u e p r e n d r e m a m a lle a u f o u rg o n de la
c o m p a g n ie afin de m e vêtir c o n v e n a b le m e n t. Mais, quelle
n e fut pas m a su r p ris e , en l’o u v r a n t, de s e n tir u n e o d e u r
de v é tiv e r m e r a p p e la n t de bien d o u x m o m e n ts , e t de
t r o u v e r , to u t a u fond de m a m a lle , u n p a q u e t s o ig n e u s e ­
m e n t e nve lo ppé , r e n f e r m a n t u n m agnifique châle de
c a c h e m ir e n o ir , p lu s u n m o u c h o i r b ro d é , tr è s c o m p r o ­
m e t t a n t p a r le chiffre et la c o u r o n n e , e t u n p e t it p a p ie r s u r
le q u e l é t a it é c r it : « Moyen de se g a r a n tir d u froid ». Ce
ch â le , j e l ’avais re f u s é d e u x j o u r s ava n t m o n d é p a r t, to u t
e n té m o ig n a n t m a r e c o n n a is s a n c e d ’u n au ssi préc ieu x
c a d ea u , m a is , p o u r q u ’il se tr o u v e d a n s m a m a lle , toi seul
p e u x l ’y av o ir m is av a n t q u e j e l ’eu sse fe rm é e , e t l ’on
d e v a it t ’avoir d é f e n d u de m e le d ire. J e l ’ai d o n c g a rd é et
m ’e n su is servi afin de m e c o n f o r m e r à la p r e s c rip tio n de
q u i de d roit, te c h a r g e a n t de d ire ce q u e je n ’oserais
éc rire , m a is te r e c o m m a n d a n t u n s ile n c e a bsolu, le con\
tr a ire p o u v a n t av o ir les c o n s é q u e n c e s les p lu s g r a v e s ;
PASSAGE
A BERLIN.
— 1801.
lift
q u a n t a u m o u c h o ir , je l ’ai b r û lé p o u r en c o n s e r v e r les
cendres.
« M aintenant, j e vais t ’e n t r e t e n i r s u r le p r é s e n t e t l ’e s ­
p é r a n c e de l’a v e n ir ; q u a n t au pa s sé , t u y v e rra s, q u e n o u s
av ons fait u n e m a r c h e assez d és ag réa b le p a r l e froid e x c e s ­
sif q u i n ’a cessé de n o u s p o u r s u iv r e et que la m o n o to n ie
de n o tr e r o u te a été tro u b lé e d e u x fois, p o u r m o i, d ’une
m a n iè r e assez f â c h e u s e : la p r e m i è r e e n m e t r o u v a n t c o n ­
tr a i n t d ’a b a n d o n n e r u n de m e s ch evaux confié à la gard e
d u c o m m a n d a n t de place de G œ ttin g e n avec p e u d ’es p o ir
d e le re v o ir j a m a i s , et la se c o n d e p a r u n d u el d o n t je m e
su is f o rt h e u r e u s e m e n t tiré.
« R e la tiv e m e n t à la le ttr e d o n t j ’étais p o r te u r p o u r le
g é n é ra l Clarke, j ’ai feint d ’ig n o r e r so n c o n te n u et j e lui ai
fait c o n n a ître le m o tif de la f av e u r d o n t j ’étais l’objet. Il
p a r a ît q u e n o tr e s é jo u r à B erlin doit être de c o u r te d u r é e ,
et d ’a p r è s ce q u e je v ie ns d ’a p p r e n d re , n o u s s e r o n s dirigés
s u r la P o m é r a n ie ainsi q u e les F u s ilie rs de la Garde, afin d ’y
rec ev o ir n o tr e b a p t ê m e de feu av a n t d ’a p p r o c h e r de l’E m ­
p e r e u r . Ce se ra u n b o n p r é c é d e n t d o n t n o u s s o m m e s to u s
tr è s satisfaits, a y a n t l’in tim e con victio n q u e n o u s m é r i t e ­
r o n s c e t h o n n e u r ; m a is, ce qui m e c h a g r in e b e a u c o u p , c ’est
q u e la co m p a g n ie d o n t t u fais p a r tie n e soit po in t avec
n o u s . Au re s te , to u t p o r te à cro ire q u e n o u s n ’en
s o m m e s e n c o r e q u ’a u p r e m i e r acte d u g r a n d d r a m e qui
se j o u e , et q u e le se co n d avec les b a r b a re s d u N ord n o u s
p e r m e ttr a d ’y p r e n d r e p a r t ; ainsi d onc à b ie n tô t. »
Le g én é ral Clarke, in f o rm é q u ’u n c o r p s c o n s id é ra b le de
p a r tis a n s , s o u s les o r d re s d u m a jo r p r u s s ie n Schill, p a r c o u ­
ra it le pay s p r o té g é p a r l’Oder, dirigea des tr o u p e s s u r les
d e u x riv es de ce fleuve, e t fit p a r ti r le c o m te de M o ntm o­
r e n c y avec les d eu x c o m p a g n ie s de G e n d a rm e s d ’o r d o n ­
120
SOUVENIRS
MILITAIRES.
n a n c e e n Ini p r e s c r i v a n t de jo in d r e l’e n n e m i et de le p o u r ­
su iv r e s a n s r e lâ c h e . A cet effet, n o u s q u itt â m e s B erlin le
7 fé v rie r, et n o u s v în m e s n o u s é ta b lir la n u i t à B ornau ,
p e tite ville d ista n te de six lie u e s de la capitale. Le le n d e ­
m a in , n o u s a r r iv â m e s, a p r è s six h e u r e s de m a rc h e , à Neus ta d t évacué le m a tin p a r l ’e n n e m i. Le 9, n o u s fîm e s dix
lie u e s p o u r a tte i n d r e la ville d e S c h w e d t situ ée s u r l ’Oder,
m a is sa n s p o ssib ilité de p a s s e r s u r l’a u t r e rive, les b a r q u e s
a y a n t été en le v é e s p a r l ’e n n e m i d o n t n o u s v o y io n s les feux.
Q u elq u e s c o u p s de fusil f u r e n t tir é s de p a r t et d ’a u tre
sa n s r é s u lt a t. Dès la p o in te du jo u r , n o u s m a r c h â m e s s u r
Garz, t o u j o u r s à la p o u r s u ite de Schill se re p lia n t avec sa
t r o u p e s u r la P o m é r a n i e afin de faire sa jo n c tio n avec u n
co rp s p r u s s ie n . Le 11, n o u s a rriv â m e s à S tettin , ville trè s
f o rte s u r l ’O der, qui c a p itu la sa n s ré sis ta n c e a p r è s la
b ataille d ’Iéna, à l ’a s p e c t d u 3° e t d u 7e H u s s a rd s so u s les
o r d r e s d u g é n é r a l Lasalle, bien q u e cette f o rte re sse fût
d éfe n due p a r 160 pièces de c a n o n , 6 000 h o m m e s et p l u ­
s ie u r s g é n é ra u x , effet du d é c o u r a g e m e n t p r o d u it p a r la
d isp a ritio n de la g r a n d e a r m é e p r u s s ie n n e . Le g o u v e r n e u r
de ce tte place était le g én é ral T h o u v e n o t, a y a n t s o u s ses
o r d r e s p lu s i e u r s r é g im e n ts d ’in fanterie fra n ça is et italiens
d e s tin é s à s ’e m p a r e r de la P o m é r a n i e e t de la ville de
C olberg s u r les b o r d s de la m e r B altique.
» Devaut Colberg, le 22 m ars 1807.
« J e t ’a n n o n c e r a i avec b o n h e u r , c h e r H en ri, q u ’enfin
n o s h a b its et le tr a n c h a n t de n o s s a b re s s o n t c o n n u s de
l ’e n n e m i ; aussi, l ’a r d e u r, l ’e n t h o u s ia s m e et la b r av o u re de
n o s j e u n e s c o m p a g n o n s font l ’a d m ir a tio n des tr o u p e s . Il
s e ra it c e p e n d a n t à so u h a ite r, de le u r p a r t, u n p e u p lq s de
c a lm e et de sa n g -fro id , car le co n tra ire p e u t avoir les c o n ­
sé q u e n c e s les p lu s f âc h eu se s, ainsi q u e cela e s t déjà arrivé
c o m m e t u le v e r r a s p lu s ta rd .
« N otre re p o s à S te ttin d u r a it d e p u is cinq j o u r s , lo r s q u e ,
d a n s la n u i t du 16, le g é n é ra l r e ç u t l’avis q u e le 4° r é g i­
m e n t ita lie n, a tta q u é p a r des fo rc e s tr è s s u p é rie u r e s , avait
été c o n tra in t, to u t e n se b a t t a n t v a illa m m e n t, de q u itt e r la
p o sitio n q u ’il occupait. A ce tte nouvelle, le g én é ral fit a u s ­
s itô t p a r ti r le s F u s ilie r s de la G arde, p lu s ie u r s piè ce s d ’a r ­
tillerie et les G e n d a rm e s d ’o r d o n n a n c e afin de re n f o rc e r la
d iv isio n du g é n é r a l T eulie. N ous e û m e s à p a r c o u r ir dix
lie u e s p a r u n froid excessif, d e s c h e m in s effondrés a r r ê ­
t a n t à t o u t i n s t a n t la m a r c h e de n o tr e artillerie. Enfin,
ac c a b lé s de fatigue, n o u s a r r iv â m e s de n u i t à la p e tite ville
de Maskow e n c o m b r é e de ble ssé s d u c o m b a t de la veille,
qu i n o u s a p p r i r e n t q u e le gén é ral de b r ig a d e Bonfanti
av ait r e p ris sa p o sitio n , m a is q u e, l ’e n n e m i s ’é ta n t c o n s i­
d é r a b le m e n t r e n f o rc é , il avait b e s o in d un p r o m p t se c o u rs.
Ces d étails o b te n u s p ar u n c h e f de b ataillo n d u 4° italien
q u i avait u n e b le s s u r e assez grav e firent s e n tir la n é c e s ­
sité de n o u s r e m e t t r e en m a r c h e le p lu s v ite possible.
C e p e n d a n t les h o m m e s et les c he vaux av a ie n t b e s o in de
n o u r r i t u r e e t d ’u n p e u de repo s, n o u s q u itt â m e s Maskow
à u n e h e u r e de n u it, f o rt h e u r e u s e m e n t éclairés p a r un e
l u n e re s p le n d is s a n te . A cinq h e u r e s , le l i e u te n a n t Pital
et le m a r é c h a l d e s logis d ’A lbignac f u r e n t d é ta c h é s s u r
n o t r e d ro ite , avec v in g t-c in q g e n d a r m e s d o r d o n n a n c e ,
ta n d is q u e M. de M o n tm o re n c y p r e n a i t avec sa tro u p e ,
la tê te de la co lo n n e. N ous m a r c h â m e s ainsi d e u x h e u r e s ,
lo r s q u e n o u s e n t e n d îm e s d e s feux de p e lo to n tr è s r a p p r o ­
ch é s de n o u s , in d iq u a n t que le gén é ral B o n fan ti devait
être a tta q u é . A ussitôt, u n b ataillon de F u silie rs de la Garde
se p o r te s u r la g au c h e au p as de c o u r s e , u n a u tre fait le
m ê m e m o u v e m e n t à dro ite, les G e n d a rm e s d ’o r d o n n a n c e
122
SOUVENIRS
MILITAIRES.
e n c o lo n n e p a r q u a t r e p o u s s e n t de l ’a v a n t a u tr o t, ta n d is
q u e le r e s te de la c o lo n n e se d év e lo p p e s u r la r o u t e avec
les piè c e s e n b a t te r ie s ; to u s ces m o u v e m e n t s , faits avec
a u t a n t d ’e n s e m b l e q u e de ra p id ité , d é g a g è r e n t les Italiens
p a r la r e tr a i te p r é c ip ité e d es P r u s s i e n s
qui la is s è r e n t
u n e tr e n t a in e d ’h o m m e s s u r le te r r a i n , s a b ré s p a r l e s G en­
d a r m e s d ’o r d o n n a n c e . Dès ce m o m e n t, n o tr e j o n c tio n
é ta it faite avec le g é n é ra l de division T eulie qui a tte n d a it
n o tr e arriv ée p o u r c h a s s e r les P r u s s i e n s de la P o m é r a n i e .
« N o u s p r îm e s u n r e p o s de d e u x h e u r e s , a p r è s le q u e l la
div is io n se m it en m a r c h e d a n s la d ir e c tio n d e N e u g a rd te n ,
ville de q u a t r e à cin q m ille â m e s , s itu é e a u m ilie u d ’u n e
p la in e m a r é c a g e u s e e n t o u r é e de b o is et d éfe ndue p a r u n
fort q u i la d o m in a it, d a n s le q u e l se t r o u v a i t u n e g a r ­
n is o n de d e u x m ille h o m m e s b ie n a p p r o v is io n n é s , e t d o n t
les r e m p a r t s
é t a ie n t g a rn is d ’artillerie . Ce p o ste é ta it
d ’a u t a n t p lu s es se n tie l q u e , p la cé s u r la r o u te de Colb e r g à S te ttin , il était d e la p lu s h a u t e im p o r ta n c e de s ’en
e m p a r e r a v a n t de p é n é t r e r d a n s la P o m é r a n i e d o n t
c’éta it la clef, a u t r e m e n t le s c o m m u n ic a ti o n s e u s s e n t été
in te r c e p té e s . L o rs q u e n o u s a r r iv â m e s e n vu e de c e tte place,
le g é n é ra l Teulie, p r è s d u q u e l j ’étais de service avec q u a tre
g e n d a r m e s d ’o r d o n n a n c e , d isp o s a ses t r o u p e s de m a n iè r e
à e m p ê c h e r l ’a p p r o c h e de P e n n e m i d u d e h o r s ; p u is il
r e c o n n u t q u e la f o rte r e s s e d o m i n a n t la ville éta it sa n s
r e t r a n c h e m e n t s e x té rie u rs, m ais e n t o u r é e de fo ssés larges
et p ro fo n d s, d o m in é s p a r d es ta lu s r a p id e s n o u v e lle m e n t
gaz o n n é s . Des m a d r i e r s , d e s p la n c h e s , d e s a rb r e s , fu re n t
a p p o r té s p o u r fra n c h ir les fossés. Deux d e m e s g e n d a r m e s
d ’o rd o n n a n c e , les s ie u r s Massa et de G u erre , y travail­
lè r e n t avec la p lu s g ra n d e a r d e u r , m a lg ré le feu in c e s ­
s a n t de l ’e n n e m i qui d éjà n o u s avait tu é u n e dizaine
d ’h o m m e s . L o rs q u e le g é n é r a l vit u n c o m m e n c e m e n t de
DEVANT
COLBERG.
-
18 07 .
123
p a s s a g e établi, il m e ch a rg e a d ’a lle r c h e r c h e r u n b atail­
lo n de F u s ilie rs de la Garde p o u r c o m m e n c e r l ’ac tio n :
« A llons, m e s en fa n ts, dit le co lo n el B o y e r m a r c h a n t en
tê te, j e vais v ous m o n t r e r c o m m e n t la Garde im p é ria le
en lèv e d es r e tr a n c h e m e n ts . » P u is, il m i t p ie d à t e r r e ;
j ’im itai so n e x e m p le ; il p a s s a le p r e m i e r suivi d u se rg e n t
S fendier, e t m o i le tr o isiè m e . L a tro u p e, n o u s su iva nt,
tr a v e rs e le p a s sa g e a u x cris de : « Vive l ’E m p e r e u r ! »
g rav it les ta lu s avec u n e a r d e u r in dicible malgré, le feu
m e u r t r i e r de l’e n n e m i q u ’il était u r g e n t d ’a b o r d e r , c a r
n o u s avions d éjà b o n n o m b r e de tu é s et de b lessés.
Enfin, p a r v e n u s s u r le p o i n t c u lm in a n t, le brave s e r ­
gent, t o u jo u r s en avant, m e d i t : « Allons, m o n officier,
il fa u t p a s s e r p a r ce tte e m b r a s u r e p o u r e m p ê c h e r u n
se c o n d c o u p de c a n o n . » Je le su is , et, p r o m p t c o m m e
l’éclair, il tu e d e u x c a n o n n ie r s avec sa b a ï o n n e tt e ; j ’en
b le sse u n d ’u n c o u p de sa b re et les trois a u t r e s se r e n d e n t,
n o u s la issa n t m a îtr e s de ce p o s te où a r r iv e n t a u s sitô t
p lu s i e u r s h o m m e s p a r m i le sq u els, à m a g ran d e s u r p ris e ,
se tr o u v e m o n d o m e s tiq u e a r m é d ’u n fusil q u ’il avait r a ­
m a s s é . Ce hrave h o m m e , a y a n t vu m o n cheval é c h a p p é
lo r s q u e j ’avais m is p ie d à te rr e , l ’avait r a ttra p é , et confiant
les d eux c he vaux a u tr a in d ’artillerie , s ’était élan c é à m a
su ite p a r u n s e n t i m e n t de d é v o u e m e n t et éta it a rriv é au
m o m e n t o ù n o u s e n t r i o n s p a r l ’e m b r a s u r e de la pièce. Du
m o m e n t q u e les h a u t e u r s f u r e n t o c c u p é e s , les d é c h a r g e s
de n o s h o m m e s , d o n t le n o m b r e a u g m e n ta it a t o u t in s ta n t,
in s p i r è r e n t u n e telle t e r r e u r a u x P r u s s i e n s q u ’ils c h e r ­
c h è r e n t à s ’i n tr o d u ir e d a n s l’in té r ie u r du fo rt où n o u s les
p o u r s u iv îm e s la b a ï o n n e tte d a n s les reins. T o u t à coup,
a p r è s avoir gravi un e s c a lie r to u r n a n t , j e m e tro u v a i à la
p o rte d ’u n e vaste c h a m b r e e n c o m b r é e de ble ssé s e t de
f u y a r d s ; ces d e r n ie rs , j e t a n t bas les a r m e s aux cris de nos
124
SOUVENIRS
MILITAIRES.
so ld a ts q u i les p o u r s u iv a ie n t. Dans ce m ê m e m o m e n t , u n e
g r a n d e caisse, b a r d é e de fer, v in t à ê tre d é fo n c é e ; je
m ’a p e r ç u s q u ’elle c o n t e n a it de l’a r g e n t ; je m e plaçai d e s ­
su s et, p lo n g e a n t la m a in d e d a n s , j ’en fis la d i s t r ib u t io n
a u x b rav e s qui m ’a va ie nt a c c o m p a g n é . La p r ise d u fo rt q u i
a u r a it p u te n ir p lu s i e u r s j o u r s , f a u té de p iè c e s de siège,
f u t d u e au x b o n n e s d is p o s itio n s d u g éné ral, à l ’éne rg ie du
b ra v e co lo nel B o yer e t à l’a r d e u r de sa je u n e tr o u p e d o n t le
d é b u t p r o m e t t a i t u n b r illa n t a v e n ir. Au m o m e n t où n o u s
n o u s e m p a r io n s du fort, les G e n d a rm e s d ’o r d o n n a n c e
f ire n t u n e c h a rg e d a n s la ville s u r 200 f a n ta ssin s r e t r a n ­
c h é s s u r u n e pla ce , qui m i r e n t b as les a r m e s sans ti r e r u n
co u p de fusil. Le r é s u l t a t de ce tte affaire fut 1075 p r is o n ­
n ie rs (3 ou 400 é c h a p p è r e n t à la f a v e u r des bois q u ’ils ga­
g n è r e n t) ; 15 piè c e s de c a n o n et u n d r a p e a u t o m b è r e n t
a u s si en n o tr e p o u v o ir avec u n m a té r ie l c o n s id érab le. De
n o tr e côté, n o u s e û m e s 2 officiers et 17 h o m m e s tu é s et
60 ble ssé s en g r a n d e p artie p a r la m itraille. Un seul bataillo n
de F u s ilie rs de la Garde avait été engagé, p e n d a n t q u e les
tr o u p e s r e s ta ie n t en position to u te s p r ê te s à ag ir le cas y
éc h é a n t. Le soir, la divisio n b iv o u a q u a en d e h o r s de la ville,
e t le g é n é ra l T eulie, a u s si bie n q u e le colonel B oyer, e u r e n t
l ’o bligeance de m e faire des c o m p lim e n ts en m e disa n t
q u ’ils r e n d r a i e n t c o m p te à l ’E m p e r e u r de m a c o n d u ite .
« Le le n d e m a in , o n s ’o cc u p a de d é t r u i r e c o m p lè t e m e n t
le fort, et le s p iè ce s f u r e n t e n voyé es à S te ttin ain si q u e le
d r a p e a u . Le 21, la divisio n se m i t en m a rc h e , a y a n t p o u r
av a n t-g ard e les G e n d a rm e s d ’o r d o n n a n c e . P e u a v a n t d ’a r r i­
v e r à la ville de P la te n , d e u x forts p elo to n s de cavalerie
fu r e n t a u s s itô t ch a rg é s p a r l’a d ju d a n t- m a jo r d ’A lb u q u e r q u e
à la tê te de v in gt-cinq g e n d a r m e s d ’o rd o n n a n c e qui les
m i r e n t e n d é r o u te , le s p o u r s u iv a n t à tr a v e rs la ville, t u è r e n t
4 h o in m e s e t firent 9 p r is o n n ie r s .
DEVANT
COLBERG.
— 1 807.
125
« Le 21, la ville de T re p to w offrit p lu s de r é sis ta n c e :
elle était d é f e n d u e p a r 4 b ataillo n s et 2 piè ce s de c a n o n ;
le 3° r é g im e n t italien ne p a r v in t à d élo g er l ’e n n e m i
q u ’a p r è s d e u x h e u r e s de c o m b at, où, de p a r t et d ’au tre ,
il y e u t b on n o m b r e de tu é s et de ble ssés . C ent vingt
h o m m e s to m b è r e n t e n tre n o s m a in s ; le soir, les Gen­
d a r m e s d ’o r d o n n a n c e o c c u p è r e n t la ville et la division
r e s ta d e h o r s en position.
« Dans la n u i t n o u s f û m e s re n f o rc é s p a r 50 d r a g o n s
a r r iv a n t de S tettin.
« Le 24, en v o y é en r e c o n n a is s a n c e avec 25 g e n d a r m e s
d ’o r d o n n a n c e de l’a u t r e côté de la Réga, s u r le flanc
g a u c h e de l ’e n n e m i, n o u s e n t r â m e s s u b it e m e n t dan s la
p e tite ville de G reiffenberg où n o u s s u r p r i m e s six cava­
liers et e n le v â m e s p lu s i e u r s v o itu r e s de blé e t de fourrage
q u e n o u s c o n d u is îm e s à la division. Le 24 e t le 25, le s I ta ­
lie n s se p o r t è r e n t en av a n t et la division r e s ta tr a n q u ille .
Le 26, la division m a r c h a d a n s la d irec tio n de Colberg, m a is
n ’ay a n t de cavalerie q u e les 250 c h e v au x des G e n d a rm e s
d ’o r d o n n a n c e e t les 50 d r a g o n s , on était obligé d e r e s te in d r e d e s e x c u r s io n s d o n t les r é s u lta ts e u s s e n t été ava n­
ta g eu x , t a n t p o u r in q u ié te r l’e n n e m i q u e p o u r se p r o c u r e r
d e s vivres et des f o u rra g e s. C e penda nt, le b u t o ù t e n d a it
le g én é ral T e u lie était la p ris e de Colberg, d o n t la p o s s e s ­
sio n l ’e û t r e n d u c o m p lè t e m e n t m a îtr e de la P o m é r a n i e :
au ssi, d a n s ses r a p p o r ts à l’E m p e r e u r , il d e m a n d a it u n e
artillerie de siège et u n r e n f o r t de cavalerie ; m a is, e n a t t e n ­
d an t, il ne c e ssa it de h a r c e le r l ’e n n e m i to u jo u r s avec a v a n ­
tage, m a is n o n sa n s des p e r te s q u ’il e û t été n é c e s s a ir e de
r é p a re r. Il p r i t p o sitio n p r è s du village de N essin sé p aré
p a r u n r u is s e a u d 'u n e n n e m i qui se m b la it n o u s a t te n d r e
avec r é so lu tio n ; au s si étaient-ce de c o n tin u e ls tira ille m e n ts
d a n s le s q u e l s n o u s e û m e s p e n d a n t la n u i t tr o is g e n d a r m e s
126
SOUVENIRS
MILITAIRES.
d ’o r d o n n a n c e b le s s é s e t le je u n e D ablon tu é . Le 6 m a rs ,
les P r u s s i e n s c r a ig n a n t d ’ê t re to u r n é s se r a p p r o c h è r e n t de
Colberg. Le le n d e m a in , les G e n d a rm e s d ’o r d o n n a n c e p o u s ­
s è r e n t u n e r e c o n n a is s a n c e s u r D eg ow ; d e u x e s c a d ro n s
p la cé s e n a r r i è r e d e ce village s e m b l a i e n t n o u s a t te n d r e
r é s o l u m e n t ; à l e u r a s p e c t to u t e la tr o u p e se m i t à c r ie r :
« Vive l ’E m p e r e u r ! En a va nt! En avant! » Le c o m te de
M o n tm o re n cy , v o y a n t q u ’il n e p o u v a it r e te n ir c e lte a r d e u r ,
e n t r e d a n s le village avec la l re com p ag n ie , la is s a n t la 2° en
ré s e rv e , m a is à pein e y p é n è t r e - t - i l q u e, de to u s côtés,
p a r te n t d e s d é c h a r g e s de l’in fa n te rie e m b u s q u é e p r è s des
m a i s o n s ; cin q c h e v au x s o n t t u é s d o n t celui d u capita in e
C arion de
Nisas, tro is
gendarm es
d ’o r d o n n a n c e
sont
b le ssés , m a is M. de M o n tm o re n c y n ’en c o n t in u e p a s m o in s
son m o u v e m e n t , ta n d is q u e la 2e c o m p a g n ie se d iv is an t en
q u a t r e p e l o to n s e n tre d a n s le village, s a b re l ’in fa n te rie et
la m e t dan s le p lu s g r a n d d é s o rd r e ; p uis, se r é u n is s a n t à
la 1™, elle a b o r d e la cavalerie avec u n e telle f u r e u r q u e
celle-ci c h e r c h e v a i n e m e n t à ré s is te r . P e n d a n t q u e l q u e s
m in u t e s , ce f u t u n e m ê lé e affreuse où le c a p ita in e d ’A rberg,
C h arles de la B é doyère, d ’A lb u q u e r q u e et n o s j e u n e s c o m ­
p a g n o n s m o n t r è r e n t u n c o u r a g e r e m a r q u a b l e e t q u i finit
p a r la fuite p r é c ip ité e de l ’e n n e m i, la is s a n t s u r place
n e u f cavaliers t u é s e t s e p t p r i s o n n i e r s . Moins h e u r e u x q u e
m e s c a m a ra d e s , m o n cheval s ’é t a n t aba ttu d a n s la cha rge,
j e r e s s e n tis u n e te lle d o u le u r d a n s la c u is s e q u e je cru s
u n i n s t a n t q u ’elle était c a s s é e ; lo r s q u e j e m e relevai,
l ’e n n e m i avait d is p a ru , e t ce fut avec p e in e q u e je p u s
r e m o n t e r à cheval. Dans ce m ê m e m o m e n t, arriv ait a u pas
de c o u r s e u n e c o m p a g n ie d es F u silie rs de la G arde la n c é e
p a r le c o lo n el, e n e n t e n d a n t la fusillade d u village, m a is
d é s e sp é ré e d ’a rriv é e tr o p ta rd , a y a n t s e u le m e n t la co n s o la ­
tio n d ’avoir p ris u n e q u in z ain e de f a n ta s s in s q u i fu y aie n t
DEVANT
COLBERG.
— 18 0 7 .
127
d an s la p la in e. N o us e û m e s d a n s c e tte s e c o n d e échauffouré e le g e n d a r m e d ’o r d o n n a n c e de Gratz tu é e t se p t
ble ssés . Le c o m te de M o n tm o re n c y e u t son sliako p a rta g é
e n d e u x d ’u n c o u p d e s a b re et l ’h a b it d e la B édoyô re fut
p e r c é d ’u n e c o u p de p o in te a u -d e s s o u s d u cœ u r.
« Le g é n é ra l T eu lie, t o u t en d o n n a n t les p lu s g ra n d s
éloges s u r la b r av o u re d es G e n d a rm e s d ’o r d o n n a n c e , b lâ m a
le u r a r d e u r i m p r u d e n te et o b se rv a à n o tr e chef, q u ’envoyé
e n r e c o n n a is s a n c e , il devait, a v a n t de s ’e n g a g e r d a n s le
village, a t te n d r e l ’arriv ée de l ’in f a n te r ie .
« Le 8, la d iv ision se m i t en m a r c h e dès la p o in te du
j o u r et v in t p r e n d r e position s u r les h a u t e u r s de Z ern in
d ’o ù l ’on d é c o u v r a it C olberg à u n e d is ta n c é de d e u x lieues.
Celte ville c o n s id érab le, à 24 lieu es de Stettin, placée s u r
les b o r d s de la m e r Baltique et à l ’e m b o u c h u r e d e la
rivière de P e r s a n te , é ta it e n to u ré e de fortifications en bon
état, d éfe n d u e s p a r u n e n o m b r e u s e artillerie et p lu s i e u r s
r e t r a n c h e m e n t s n o u v e l le m e n t é ta b lis ; sa g a r n is o n , d isa ito n, était de 5 000 h o m m e s d o n t u n r é g im e n t de cavalerie.
A ussi, le g é n é ra l T e u lie en a t t e n d a n t les re n f o rts q u i lui
é ta ie n t a n n o n c é s se c o n te n ta de r e s s e r r e r sa p o sitio n de
m a n iè r e à év iter to u t e su rp rise.
« Ce m ê m e jo u r , arriv a le c h e f d ’e s c a d ro n C h o u a rd
en v o y é p a r l ’E m p e r e u r avec o r d r e a u g é n é r a l d ’a t ta q u e r la
ville a u s s itô t q u ’il a u r a it r e ç u les piè c e s de siège q u i
d e v a ie n t a r r iv e r avec d e u x r é g im e n ts d ’in fan terie et de la
ca valerie ; p u is, il lui r e m i t u n b r e v e t d ’officier de la Légion
d ’h o n n e u r p o u r le colonel B oyer, et deux de lég io n n aire s,
l ’u n p o u r le se rg e n t S fe n d ie r et l ’a u t r e p o u r m o i. Le l e n ­
d e m a in , le géné ral fit m o n t e r a cheval les G end a rm es d ’o r ­
d o n n a n c e et p r e n d r e les a r m e s aux F u silie rs de la Garde, et
ce fu t e n le u r p r é s e n c e q u e n o u s r e ç û m e s les in sig n e s d o n t
l'E m p e r e u r n o u s avaient h o n o rés.
128
SOUVENIRS
MILITAIRES.
« Le 12, le c a p ita in e d ’A rb e rg f u t envoyé en exp éd itio n
av e c la 2e c o m p a g n ie , 400 h o m m e s d ’in fa n te rie e t u n obusier. N ous n o u s d ir ig e â m e s d ’a b o r d s u r Corlin, o ù n o u s
e n t r â m e s de n u i t e t o ù n o u s n e r e s tâ m e s q u e le te m p s
n é c e s s a ir e p o u r f r a p p e r le s r é q u is itio n s qui f u r e n t a u s s itô t
d irig é es s u r la div ision. P u is, m a r c h a n t s u r Corlin, ville
situ ée s u r les b o r d s de la Baltique, n o u s y a rriv â m e s si
p r é c i p i t a m m e n t q u e n o u s fîm e s p r is o n n ie r s 80 fan ta s­
sins et 11 c a v a lie r s ; le r e s te de ce tte g a rn iso n se sauva
à la f av e u r des bo is ; n o u s fîm e s de n o m b r e u s e s r é q u i ­
sitio n s de to u te s e s p è c e s et r e v în m e s e n b a l a y a n t les b o r d s
de la B altique d es t r o u p e s qui p o u v a ie n t e n tra v e r les c o m ­
m u n ic a t io n s . D ans la n u i t d u 14, le colonel F o n ta n e lli à la
tê te d u 3° r é g i m e n t ita lie n , s o u te n u p a r la l re c o m p a g n ie
d e s G e n d a r m e s d ’o r d o n n a n c e , a t ta q u a u n r e t r a n c h e m e n t
d o n t la défense f u t o p in iâ tre , m a is qui fut enfin enlevé à la
b a ï o n n e t t e ; n o tr e cav alerie r a m a s s a 95 p r is o n n ie r s dan s
la p la in e . Dans ce b rilla n t c o m b a t, l ’e n n e m i e u t 62 h o m m e s
t u é s e t le 3e ita lie n en p e r d i t 16. Le 21, s u r les q u a t r e
h e u r e s d u m a tin , u n p o ste de 14 g e n d a r m e s d ’o rd o n n a n c e
et 25 v o ltig e u rs ita lie n s, p lacé s u r les b o r d s de la m e r à
u n q u a r t de lie u e de Colberg, d a n s u n e p o s itio n très d é s a ­
v a n ta g e u s e p o u r la cavalerie, fut s u b i t e m e n t a tta q u é p a r
200 fa n ta s s in s e t 50 d ra g o n s. Les I ta lie n s se firent j o u r
à la b a ï o n n e tt e a p r è s y av o ir la is s é q u e l q u e s - u n s des
le u rs . L es G e n d a rm e s d ’o rd o n n a n c e , p lu s e m b a r r a s s é s p o u r
faire le u r r e tr a i te , a y a n t u n p e tit p o n t à p a s s e r q u e l ’e n n e m i
o cc upait, se b a t tir e n t avec c o u r a g e d a n s le u r d é s a s tr e u s e
p o s itio n . A ssaillis p a r p lu s i e u r s d é c h a r g e s à q u in z e pas,
tr o is G e n d a rm e s et p lu s i e u r s c h e v au x t o m b è r e n t ; les
a u t r e s , se b a t ta n t e n d é s e s p é r é s m a lg r é le u rs b le s s u r e s ,
f u r e n t enfin obligés de se r e n d r e , m o in s tr o is qui p ar­
v in r e n t à s ’é c h a p p e r e n a b a n d o n n a n t le u rs chevÉfux, ce
GENDARMES
APPELÉS
PRÈS
DE
L’E M P E R E U R .
129
s o n t MM. de B rouville, D u b o u rg e t D u b o s c ; les tu é s so n t
G irard, D ubois et P a p io n ; les p r is o n n ie r s , le m a ré c h a l
des logis de La P la tiè re , P o in c e t, P ages, de F o rg e t, Dub o u cles, de B ussy, Conaple, V o tie r de F ro ta t, to u s griève­
m e n t ble ssés. Ce d é s a s tr e p o r ta le deuil d a n s le c o r p s ;
u n e s o u s c rip tio n fut a u s s itô t o u v e r te p o u r e n v o y e r des
se c o u r s a u x m a l h e u r e u x p r is o n n ie rs . 3 200 fra n c s f u r e n t
a d r e s s é s a u g é n é r a l L o u s a r d o n , g o u v e r n e u r de Colberg,
qui, en a c c u s a n t ré c e p tio n , fit dire q u e les so in s le s p lu s
e m p r e s s é s s e ra ie n t p r o d ig u é s à n o s in f o r t u n é s c a m a ra d e s
d o n t u n , M. de F ro ta t, é ta it m o r t de ses b l e s s u r e s d a n s
la n uit.
« Ce m ê m e jo u r , les F u silie rs de la Garde, r e m p l a c é s p a r
u n r é g i m e n t de ligne, q u itt è r e n t la division p o u r aile"
r e jo i n d r e l ’E m p e r e u r à son q u a r tie r général.
« Le le n d e m a in , u n officier p o r t e u r d ’u n o r d r e d u p rin ce
de N e u c h â te l p r e s c ri v it a u g é n é r a l T eulie de faire p a r ti r
im m é d i a t e m e n t les G e n d a rm e s d ’o r d o n n a n c e p o u r la m ê m e
d es tin a tio n .
ORDRE
«
«
«
«
«
DU J OUR
« G e n d a rm e s d ’o r d o n n a n c e , u n o r d re de S. M. l ’E m p e r e u r et Roi v ous appelle p r è s de sa p e rso n n e , liecevezen m e s félicitations e t le r e g r e t q u e j ’é p r o u v e de m e sépar e r de vous. V ous e m p o rte z l ’e s tim e des tr o u p e s q u e j ’ai
l ’h o n n e u r de c o m m a n d e r . V otre h o n o r a b le co n d u ite dan s
ce tte c o u r te c a m p a g n e q u e n o u s v e n o n s de faire e t les
« p r e u v e s q u e v o u s y avez c o n s ta m m e n t d o n n é e s du p lu s
« b rilla n t c o u ra g e , n o t a m m e n t d a n s les jo u r n é e s d u 8 et
« du 19, vous s o n t u n s û r g a ra n t de l ’accueil favorable qui
« v o u s a tte n d au q u a r t i e r im p é rial. Continuez, et re n d e z « vous to u jo u r s d ig n e s des b o n té s d o n t l ’E m p e r e u r vou s
« h o n o r e . Il n e le s fait j a m a i s a t te n d r e à qui sait les m é ri-
130
SOUVENIRS
MILITAIRES.
« t e r ; v o u s en avez la p r e u v e p a r l ’e m p r e s s e m e n t q u ’il
« vien t de m e t t r e à d é c o r e r u n d e vos b r a v e s officiers, e t j e
« n e d o u te p a s q u e p lu s i e u r s d ’e n t r e v o u s n ’o b tie n n e n t
«
te
te
ee
b ie n t ô t c e tte é c la ta n te r é c o m p e n s e . J ’apjorendrai t o u ­
jo u r s avec p la isir vos su c cè s et j ’e s p è r e q u e v o u s c o n ­
se rv e re z q u e lq u e s s o u v e n irs au g é n é r a l qui le p r e m i e r
v o u s a g u id é s d a n s u n e c a r r iè r e qui v o u s e s t si b rilla m -
« m e n t ouverte,,
<e Au quartier général de Tramen, le 22 mars 1807.
« Le général cle division :
« T eu lie . »
ee L es faits s u r le s q u e l s j e v ie n s de t ’e n tre te n ir, m o n c h e r
am i, a u r a ie n t p u exiger p lu s de d é ta ils ; m a is je te n a is
p r i n c i p a l e m e n t à r e l a t e r ce q u i c o n c e r n e les G e n d a rm e s
d ’o r d o n n a n c e ; a u r e s te , u n r a p p o r t tr è s c irc o n s ta n c ié v ie n t
d ’ôtre a d re ssé à l ’Im p é r a tric e p a r le c o m te d e M o n tm o ­
r e n c y p o u r p r o u v e r q u e n o u s n e p o u v io n s p e r d r e le s o u ­
v e n i r dé la p r o te c tio n d o n t S. M. avait d aigné n o u s h o n o ­
r e r. Tu v e rra s c o m b ie n le h a s a r d m ’a été favorab le ; j ’e n ai
profité, ainsi q u e l ’e û t fait t o u t a u t r e , et la r é c o m p e n s e qui
en a été la su ite m e r e n d d ’a u t a n t p lu s h e u r e u x q u e to u s
n o s c a m a ra d e s m ’e n o n t t é m o ig n é u n e f ra n c h e et b ie n ­
v eillante satisfaction.
« N o us a llo n s n o u s t r o u v e r m a i n t e n a n t d a n s u n e p o si­
tion t o u t à fait ex c e p tio n n e lle q u i exigera de n o tr e p a r t
b e a u c o u p de rése rv e , ca r n o u s n e p o u v o n s d is s im u le r la
ja lo u sie d o n t n o u s s e ro n s l’ob je t d e la p a r t de la G arde
im p é r ia le q u i c ro ira p e u t - ê t r e v o ir e n n o u s u n c o r p s p r i ­
vilégié, s u r t o u t p a r le g e n r e de service a u q u e l n o u s
s o m m e s ap pelés. Je su is
c h a r m é d ’a p p r e n d r e q u e
la
3° c o m p a g n ie v a b ie n tô t n o u s r e jo i n d r e ; je h â te ce m o m e n t
de t o u s m e s v œ u x . Ainsi, à b ie n tô t. »
VIII
EN S E R V I C E
PRÈS
DE
L ’EMPEREUR
Ce f u t le 23 m a r s q u e n o u s q u itt â m e s la division p o u r
a lle r c o u c h e r à G rosscrepin, n o tr e p r e m i è r e étape. P e u
d ’in sta n ts a v a n t n o tr e d é p a rt, n o u s v îm e s a r r iv e r l ’a rtillerie
de siège, si a r d e m m e n t désiré e p a r le g én é ral qui la m it
au s sitô t en p o sitio n d ’agir ; aussi, e n t e n d îm e s - n o u s p e n d a n t
la j o u r n é e d es d é to n a tio n s c o n tin u e lle s p r o u v a n t q u e Colb e r g était v iv e m e n t a tta q u é . D eux h e u r e s a p r è s n o tr e
arrivée a u g îte , u n e s c a d ro n de la n c ie rs p o lo n a is v in t le
p a r ta g e r , é t a n t à la p o u r s u ite d ’u n co rp s de p a r tis a n s p r u s ­
siens. Le le n d e m a in , n o u s c o u c h â m e s d a n s la p e tite ville de
N e u s te ttin que n o u s tr o u v â m e s plo n g é e d a n s le p lu s g ran d
d é s e sp o ir, a y a n t été pillée la veille p a r d e s co m p atrio te s.
N o us a p p r îm e s d a n s ce tte n u i t q u e le g é n é ra l T eulie avait
été tu é p a r u n b o u le t de canon . Cette m o r t n o u s affligea
to u s p r o f o n d é m e n t , et, e n m o n p a r ti c u lie r , j ’en r e s s e n t i s
u n e véritable d o u le u r p o u r les m a r q u e s d ’in té r ê t d o n t il
venait de m e d o n n e r u n e si g r a n d e p reuve.
Le g én é ral T eu lie, âgé s e u l e m e n t de t r e n t e - q u a t r e an s,
jo ig n a it à u n p h y s iq u e fort agré ab le des m a n iè r e s parfaites,
de g ra n d s t a le n t s m ilita ire s et u n e b ra v o u re r e m a rq u a b le .
Sa sollicitude p o u r les t r o u p e s q u ’il c o m m a n d a it le fit
j u s t e m e n t r e g r e tt e r . Le 25, n o u s f û m e s à S c h lo c h au , p r e ­
132
SOUVENIRS
MILITAIRES.
m iè r e ville de la P o lo g n e p r u s s ie n n e ; le le n d e m a in à la
p e tite ville de K œ n ilz où se tro u v e u n c h â te a u f o rt a p p a r te ­
n a n t au p r in c e Radzivill. Le 27, n o u s tr a v e r s â m e s u n e vaste
fo rê t q u i a p lu s de 25 lie u e s de lo n g u e u r et a r r iv â m e s a u
m a u v ais village de J e n k en d o rff. Le 28, à N a u e m b o u r g , p etite
ville d o m in a n t le c o u r s de la V istule, e t enfin le 29, à Mar ie n w e r d e r , c h a r m a n t e ville, c a n t o n n e m e n t de fave u r qui
n o u s fut assigné' d is t a n t de q u a t r e lie u es d u q u a r ti e r im p é ­
rial de F in k e n s te in .
T ro is j o u r s a p r è s , l ’E m p e r e u r v in t à M a r ie n w e r d e r p a s s e r
en re v u e les G e n d a rm e s d ’o r d o n n a n c e . 11 était a c c o m p a g n é
d u p rin c e Murât, d u m a r é c h a l B e ssiè re s, du c o m te de
Canisy, é c u y e r, de s o n m a m e l o u k R o u s ta n e t d ’u n d é t a ­
c h e m e n t des c h a s s e u r s de la G arde. S. M. I. té m o ig n a sa
satisfaction s u r la c o n d u ite des G e n d a rm e s d ’o r d o n n a n c e et
ac c o rd a s e p t cro ix de la L égion d ’h o n n e u r qu i fu re n t
d o n n é e s à MM. le c o m te de M o n tm o re n c y , aux lie u te n a n ts
C h a rb o n n ie r, Pitat, N orvins de M o n tb reto n , de C haret,
m a ré c h a l des logis, e t au x g e n d a r m e s d ’o r d o n n a n c e : de
G u erre et Massa. Le le n d e m a in , u n d é c r e t im p é rial fixa le
service d e s G e n d a rm e s s o u s le c o m m a n d e m e n t im m é d ia t
d u m a ré c h a l B e ssiè re s ; ce service co n s is ta it d a n s u n offi­
c ie r p rès de S. M. I. p e n d a n t q u a r a n te - h u it h e u r e s et u n
n o m b r e égal a u x C h a sse u rs de la G arde, av e c u n officier,
se rv a n t d ’e s c o r te p e n d a n t v in g t- q u a tr e h e u r e s . Le 30, les
G e n d a rm e s d ’o r d o n n a n c e se r e n d i r e n t a u village de Riens e m b e r g p r è s F in k e n s t e in , p o u r la g ra n d e re v u e de la Garde
im p é r ia le qui dev a it ê tre p as sée le l e n d e m a in ; ce m ê m e
jo u r , u n b a n q u e t le u r fut d o n n é p a r les C h a sse u rs de la
Garde et les officiers d în è r e n t chez le m a ré c h a l Bessières.
Le 1er m a i, la c a v alerie et la Garde im p é ria le é ta ie n t ré u n ie s
à 9 h e u r e s du m a tin d a n s u n e v aste p laine. N apo lé oç, suivi
de to u te sa m a is o n m ilita ire et d ’u n a m b a s s a d e u r p e rsa n ,
R E V U E DE L’E M P E R E U R . — 1807.
133
/
a rriv a à dix h e u r e s . Son a p p r o c h e fut saluée p a r 6 000 cava­
liers b r a n d is s a n t le u r s a b re avec u n e n th o u s ia s m e e t u n e
exaltation p o u s s é s j u s q u ’au x d e r n iè r e s lim ite s du délire.
L ’E m p e r e u r fit o u v r ir les ra n g s et m e ttr e pied à te rr e , et
d e s c e n d a n t lu i- m ê m e de cheval, a c c o m p a g n é du m a ré c h a l
B essières et de d e u x officiers d ’o r d o n n a n c e , p a s s a dan s
to u s les ra n g s d is a n t à c h a q u e r é g im e n t de ces m o ts qui
é l e c tris e n t et r e m u e n t l’âm e.
L o r s q u ’il arriv a d e v a n t le fro n t des G e n d a rm e s d ’o r d o n ­
n a n c e : « J e su is bien aise, dit-il, de v o u s avoir p r è s de m oi,
c e r ta in de v o tre d é v o u e m e n t, d an s p e u de jo u r s v o u s
allez voir a r r iv e r de vos c a m a ra d e s et j ’e s p è r e q u ’ils v o u s
im i te r o n t. »
A près ce tte lo n g u e in s p e c t io n qui d u r a p r è s de deux
h e u r e s , les tr o u p e s r e m o n t è r e n t à c h e v a l; p lu s ie u r s m a ­
n œ u v r e s f u re n t e x é c u té e s et l ’o n défila d e v a n t l ’E m p e r e u r
p a r e s c a d r o n ; puis, c h a q u e r é g im e n t r e n t r a n t d a n s ses
q u a r ti e r s , n o u s r e v în m e s c o u c h e r à M ariem verder.
Le le n d e m a in , d an s la j o u r n é e , s u r l’o r d re d u m a ré c h a l
B e ssiè re s, le c o m te de M o n tm o re n c y m e p r e s c riv it d ’a lle r
en p o s te p r e s s e r la m a r c h e de la 3e c o m p a g n ie e n lui
faisa n t d o u b le r le s étap e s, l’E m p e re u r d ev a n t q u itte r
F in k e n s t e in , le 6, avec la Garde im p é riale , s u r l ’avis q u e les
R u s s e s v e n a ie n t d ’a t t a q u e r le m a ré c h a l Ney s u r les b o r d s
de la P a ssa rg e .
Ce f u t à B ro m b e rg , a p r è s av oir p a r c o u r u 30 lieues, q u e je
je tro u v a i les G e n d a rm e s d ’o r d o n n a n c e , c o m m a n d é s p a r le'
c a p ita in e en se c o n d de S o u rd is e n l ’a b s e n c e d u du c de
C hoiseul, et qu e j ’é p ro u v a i la joie d ’e m b r a s s e r m o n frère,
li e u te n a n t dan s ce tte com p ag n ie . Le 3, n o u s fîm e s 14 lie u e s
p o u r a t te in d re la p e tite ville de S w edt, où n o u s c o u c h â m e s.
Le l e n d e m a in n o u s m a r c h â m e s dou ze h e u r e s et f û m e s sa­
lu é s p a r p lu s i e u r s b o u le ts inoffensifs, en p a s s a n t so u s le
134
SOUVENIRS
MILITAIRES.
feu de la fo rte re sse de G ra udentz o c c u p é e p a r les P r u s s i e n s ,
d ista n te de six lie u es de M a rie n w e r d e r où n o u s a r r iv â m e s
d a n s la n uit.
Le s u r le n d e m a in , 6 j u in , les G e n d a rm e s d ’o rd o n n a n c e
c o m m e n c è r e n t l e u r s e rv ic e ’p rès de l ’E m p e r e u r .
Juin 1807.
Ce jo u r - l à , l ’E m p e r e u r "quitta F in k e n s te in à la tê te de
la Garde im p é r ia le . N ous f îm e s, ce j o u r , u n e m a r c h e de
15 lie u es p o u r a rr iv e r à Salfed, p etite ville o ù co u c h a
l ’E m p e r e u r , e t o ù la G arde b iv o u a q u a .
Le le n d e m a in , a y a n t 14 lie u e s à faire p o u r a r r iv e r à
M o h r u n g e n o ù se tr o u v a it le m a ré c h a l Ney, la Garde im p é ­
riale b iv o u a q u a à m o itié c h e m in , ta n d is q u e l ’E m p e re u r,
p r è s de qu i j ’étais officier de service, c o n t in u a n t sa
m a r c h e suivi de son e s co rte, arriv a au q u a r ti e r d u
m a ré c h a l Ney à dix h e u r e s d u so ir, et p r i t a u s s itô t d es
d isp o s itio n s d ’a tta q u e p o u r le le n d e m a in à la p o in te d u
j o u r , afin de b ie n c o n n a îtr e les fo rc es e t les p o sitio n s de
l’e n n e m i.
En effet, to u te la j o u r n é e d u 8 f u t e m p lo y é e e n c a n o n ­
n a d e s et q u e lq u e s c o m b a ts q u i f o rc è r e n t les R u s se s à
a b a n d o n n e r le village d e D ep p e n e t à se c o n c e n t r e r dan s
u n e p o sitio n assez forte. D ans la m a tin é e du 9, les m a r é ­
c h a u x D avout et L a n n e s se d ir ig è re n t s u r la ville de
G u ttsta d t o ù se tr o u v a it l’e m p e r e u r de R u s sie avec sa
g a rd e e t le c o r p s d ’a r m é e d u g é n é ra l B e n in g se n ; l ’a tta q u e
et la d éfense f u r e n t d e s p lu s vives, m a is N apoléon a r r i­
v a n t s u r les m id i, suivi de la Garde im p é riale , l’e n n e m i fut
a u s s itô t c u l b u té et c o n tra in t d ’a b a n d o n n e r la ville e t ses
p o s itio n s , a p r è s avoir e s s u y é p lu s i e u r s c h a r g e s ré ité r é e s
de n o tre cavalerie. Ce f u t d a n s u n de ces m o m e n t s que
COMBAT
DE
GUTTSTADT.
l ’E m p e r e u r o r d o n n a a u x
charger
— 180 7 .
13S
G e n d a rm e s d ’o r d o n n a n c e de
s u r u n e n ia s s e c o n s id é ra b le de C osaques qui
ven a ie n t de c u l b u te r e t p r e s q u e a n é a n t ir le 1er de Chas­
s e u r s ita lie n s. N ous p a s s â m e s s o u s les y e u x de N apo­
lé o n , b r a n d is s a n t n o s sa b re s, a u x cris r é p é té s de : Vive
l ’E m p e r e u r ! et a b o r d â m e s l ’e n n e m i avec u n e telle furie
q u ’il fut e n fo n c é e n u n i n s t a n t et p o u r s u iv i avec u n
a c h a r n e m e n t si p e u réfléchi q u e p as u n de n o u s n ’e n fût
r e v e n u si les C h a sse u rs de la Garde n ’é ta ie n t arriv és p o u r
c u l b u t e r u n r é g im e n t de h u s s a r d s a u m o m e n t o ù il allait
n o u s e n v e lo p p e r. N ous e û m e s dan s ce tte éc h a u lfo u ré e
d e u x g e n d a r m e s d ’o r d o n n a n c e tu é s et c in q blessés.
Le soir, le m a ré c h a l B essières v in t à n o tr e biv o u a c n o u s
c o m p l i m e n t e r a u n o m de l ’E m p e r e u r , m a is n o u s e n g a g e r
à p lu s de p r u d e n c e ; a u r e s te , c e tte affaire e u t p o u r n o tr e
c o r p s le s p lu s h e u r e u x ré s u lta ts , car, dès ce m o m e n t,
d is p a r u t l ’e s p è c e de ja lo u s ie q u ’il i n s p i r a it p a r la fave ur
d o n t n o u s é tio n s l ’o bjet. Ce c o m b a t de G u ttsta d t qui
co û ta à l ’e n n e m i 2 000 tu é s , u n n o m b r e c o n s id é ra b le
de b le ssé s et 1 500 p r is o n n ie rs , le c o n t r a ig n it à se r e ti r e r
d e r r iè r e les re d o u ta b le s r e t r a n c h e m e n t s q u ’il avait éta­
blis e n av a n t de H e ilsb e rg , o ù l ’E m p e r e u r v in t l ’a t ta q u e r
le 10.
Dès le m a tin , le p rin c e Murât, m a r c h a n t à l ’a v a n t-g a rd e
de l ’a r m é e avec u n e division de cavalerie, e u t p lu s ie u r s
e n g a g e m e n ts tr è s vifs avec l ’e n n e m i, et finit p a r le c o n ­
t r a i n d r e d ’a b a n d o n n e r les bois o ù il avait de f o r te s p o s i­
tio n s p o u r se r e p lie r dan s ses r e t r a n c h e m e n t s , en avant
de la ville d é fe n d u e p a r p lu s de 60 pièces de c a n o n .
Ce fut s e u le m e n t à q u a tre h e u r e s du s o ir q u e N apoléon les
fit a t ta q u e r à la b a ïo n n e tte p a r n o s anc ie ns c o m p a g n o n s
d ’a r m e s de la P o m é r a n i e , les b r a v e s F u s ilie rs de la Garde
136
SOUVENIRS
MILITAIRES.
s o u t e n u s p a r les d ivisio ns Saint-H ilaire et V erdier. La
r é s is ta n c e fut te r r ib le , et ce n e fut q u ’à n e u f h e u r e s d u
s o ir q u ’on p a r v i n t u n i q u e m e n t à s ’é ta b lir so u s le s for­
m id a b le s r e t r a n c h e m e n t s de l ’e n n e m i, d a n s l ’in te n t i o n de
les a t t a q u e r le le n d e m a in . E n effet, dès la p o in te d u j o u r
d u 11, le c o m b a t r e c o m m e n ç a avec u n é p o u v a n ta b le
a c h a r n e m e n t ; le s R u s s e s d é fe n d a ie n t le t e r r a i n p ie d à
pied, s o u t e n u s p a r le u r artillerie de p o sitio n d o n t la
m itra ille faisait u n te l ravage q u ’à m id i p lu s i e u r s g é n é ­
r a u x , g r a n d n o m b r e d ’officiers et p lu s de 4 000 h o m m e s
é ta ie n t h o r s de c o m b a t. C e p e n d a n t l ’E m p e re u r, s e n ta n t
la n é c e s s ité d ’en finir, la n ça d e u x ré g im e n ts du corps
d ’a r m é e d u m a ré c h a l Davout, d o n t la fo u g u e u se in tr é ­
p id ité s u r m o n t a to u s
les o bsta cles, e n en le v a n t d eux
r e t r a n c h e m e n t s s u r les six q u i existaient. Ce f u t d a n s ce
m o m e n t , q u e le c o m te de M o n tm o re n c y r e ç u t l ’o rd re de
se d ir ig e r avec les G e n d a rm e s d ’o r d o n n a n c e d a n s la
d ir e c tio n de B a rt e n s t e in afin d ’éc la ire r s u r la g au c h e les
m o u v e m e n t s de l ’e n n e m i e t n e j a m a i s le p e r d r e de vue.
C elte m is sio n , d o n t n o u s ne c o n n û m e s t o u te l ’im p o rta n c e
q u e p lu s ta rd , avait p o u r b u t de sa voir si l’e n n e m i, dans
s o n m o u v e m e n t r é tr o g r a d e , se d irig e ra it s u r K œ nigsb erg,
ce q u e l ’E m p e r e u r v o u la it e m p ê c h e r d a n s le b u t de
s ’e m p a r e r de ce tte ville. N ous m a r c h â m e s tr o is h e u r e s au
m ilie u des bois, c o n d u its p a r u n g u id e in te llig en t, s tim u lé
p a r la p r o m e s s e d 'u n e r é c o m p e n s e p é c u n ia ire .
V ers les six h e u r e s d u soir, n o u s tr o u v a n t à u n d e m iq u a r t de lie u e de B a rte n s te in , j e r e ç u s l’o r d re de m e
p o r t e r en a v a n t avec 25 g e n d a r m e s d ’o r d o n n a n c e et
j ’a p p r is e n e n t r a n t e n ville q u e 2 b ataillons r u s s e s , 3 ou
400 C o s a q u e s e t 2 piè ce s de c a n o n s y é ta ie n t r e s té s d eux
j o u r s e t q u ’ils v e n a ie n t d ’e n p a r ti r p r é c ip ita m m e n t.x j’en fis
p r é v e n ir a u s s itô t le c o m te de M o n tm o re n c y qui, e n s uiv a nt
RAPPORT
A L ’E M P E R E U R .
-
1 807.
137
m o n m o u v e m e n t , m e p r e s c r i v it de c o n t in u e r m a m a r c h e ,
et de t â c h e r de r a m a s s e r q u e l q u e s tr a în a r d s .
U ne d e m i- h e u r e ne s ’était p o in t éc oulé e q u e n o u s t r o u ­
v â m e s u n caisso n e m b o u r b é avec u n e dou za in e de fan ta s­
s in s et q u e lq u e s Cosaques'; ces d e r n ie rs p r i r e n t a u s s itô t la
fuite, et n o u s e m p a r a n t des a u t r e s sa n s la m o in d r e r é s is ­
ta n c e , n o u s a p p r îm e s q u e le u r colonne se d irig e a it v ers la
rivière de l’Aile, q u ’elle d e v a it p r o b a b l e m e n t avoir p a s s é e ;
c o n t i n u a n t m a m a r c h e , je l ’a p e r ç u s en effet, d a n s le lo in tain ,
s u iv a n t u n e r o u te d a n s la d irec tio n de K œ n ig sb e rg . Nous
r e s tâ m e s e n v iro n u n e h e u r e e n p o sitio n , e n t e n d a n t les
d é c h a r g e s c o n tin u e lle s de l ’artillerie et de l ’in fa n te rie ,
in d iq u a n t q u ’on se b a tta it avec a c h a r n e m e n t v ers H eilsberg.
Enfin, r e p r e n a n t n o t r e m a r c h e ; p ro té g é s p a r un m ag n ifiq u e
clair d e l u n e , n o u s r e n t r â m e s v e r s l e s o n z e h e u r e s d a n s n o t r e
biv o u a c, o ù j e r e ç u s l ’o r d r e d ’a lle r r e n d r e c o m p te a u
m a ré c h a l B essières d u r é s u lt a t de n o tr e r e c o n n a is s a n c e .
J e le tr o u v a i co u c h é s u r la p aille s o u s u n c a is s o n ; il m e
dit, avec assez d ’h u m e u r de se vo ir réveillé, q u e c ’était à
l ’E m p e r e u r q u e j e devais faire m o n r a p p o r t et il m e m o n tr a
sa b a r a q u e à q u e lq u e s pas. J ’avoue q u e le c œ u r m e b a ttit
v io le m m e n t à la p e n s é e de m e tr o u v e r , dan s ce m o d e s te
gite e n p la n c h e s , e n p r é s e n c e de c e lte im m e n s e p u i s s a n c e . ’
Cette b a r a q u e im p ro v isé e , a u t o u r de laquelle c irc u la ie n t
d e s g r e n a d ie r s de la Garde im p é r ia le , était pla c é e s u r u n
p e t it te r t r e , n o n loin d u q u e l se tr o u v a ie n t un officier et le
p o ste , se ch auffan t s ile n c ie u s e m e n t a u t o u r d ’u n g r a n d
feu. N orvins, lie u te n a n t d e s g e n d a r m e s de service, s ’y
tro u v ait, et u n p e u p lu s loin q u e l q u e s c h a s s e u r s de la
Garde, pied à te rr e , t o u jo u r s p r ê t s à m o n t e r à cheval.
La p o r te de la b a r a q u e im p é r ia le était o b s tr u é e p a r le
m a m e l u k R o u s ta n co u c h é en t r a v e r s ; à m o n a p p r o c h e , il
releva la tê te et m e fit signe de pa s se r.
138
SOUVENIRS
MILITAIRES.
L ’E m p e r e u r , é t e n d u t o u t h a b illé s u r u n m a te la s placé
s u r u n e c o u c h e tte en p la n c h e s , se rele v a b r u s q u e m e n t .
« Q u’est-ce q u ’il y a, dit-il? — Sire, je viens r e n d r e c o m p te
à V otre Majesté d u r é s u lt a t de la re c o n n a is s a n c e q u ’elle
av a it o r d o n n é de faire d a n s la d ir e c tio n de B a rte n s te in .
— Eh b ie n ! avez-vous vu les R u s s e s ? » Et, en d is a n t cela,
se m e t t a n t s u r son s é a n t e t p iv o ta n t s u r l u i- m ê m e en
la is s a n t t o m b e r se s ja m b e s , il se lèv e, v ie n t s ’a s se o ir s u r
q n fauteuil en co util, et se p la ç a n t p r è s d ’u n e p e tite table
p o rtativ e s u r la q u e lle
tr o u v a i e n t d e u x b o u g ie s a l lu m é e s
et u n e c a rte p iq u é e d ’é p in g les à tê te r o u g e e t no ire :
« V oyons, r a c o n te z - m o i v o tr e affaire, m a in te n a n t. » Ce
q u e j e fis le p lu s b r i è v e m e n t p o ss ib le , et m ê m e avec assez
d ’a s s u r a n c e p a r la b ie n v e illa n c e avec la q u elle l’E m p e r e u r
m e p a r la it ; il p iq u a la c a rte d a n s d e u x e n d r o its. « C’est
b ie n , » m e dit-il, et c o m m e j e m e r e tira is, il a jo u ta :
« A v e z -v o u s m a n g é ? — P as d e p u i s d o u z e h e u r e s , S ire. —
E h b ie n ! allez â m e s c a n tin e s. »
J e saluai et so r tis é m u a u d e r n ie r p o in t de c e tte co u rte
et h e u r e u s e e n t re v u e q u i d u r a to u t a u p lu s u n q u a r t
d ’h e u r e e t d o n t le s o u v e n ir ne devait j a m a i s s ’effacer de
m a m é m o ir e . L o rs q u e j ’arriv ai a u x c a n tin e s , u n v alet de
p ie d c h a r g é de ce service m ’o b se rv a avec la p lu s g ran d e
h o n n ê t e t é q u e l ’h e u r e in d u e n e p e r m e t t a i t pas de m e
s a tisf a ire c o n v e n a b l e m e n t : il m ’offrit u n e b o u te ille de
b o rd e a u x , u n p a in a y a n t u n m è t r e de lo n g u e u r e t u n fort
b e a u s a u c is s o n q u e j ’ap p o rta i au biv o u a c, à la g ran d e
sa tisfa c tio n de m e s c a m a ra d e s .
L ’E m p e r e u r s e n ta i t tro p b ie n l ’im p o r ta n c e des succès
q u ’il v e n a it d ’o b te n ir p o u r n e p a s le s p o u r s u iv r e avec la
p lu s g r a n d e é n e r g ie ; a u ssi, dès la p o in te d u j o u r d u 12, il
ordonna
une
a tta q u e
g é n é r a le
sur
le s r e d ô u te s
qui
a v a ie n t r é sis té la v eille..D éjà, les tr o u p e s m a rc h a ie n t e n
SUITES
DU
COMBAT
D’H E I L S B E R G .
-
1807.
139
c o lo n n e s d ’a tta q u e , l o r s q u ’on v in t a n n o n c e r q u e l’e n n e m i
s ’était re tiré p e n d a n t la n u i t p o u r p a s s e r s u r la rive d roite
de l ’Aile, a b a n d o n n a n t p r é c i p i t a m m e n t H eilsberg, en y
la issa n t des a p p r o v is i o n n e m e n ts co n s id é ra b le s e t la ville
e n c o m b r é e de ble ssés . Le p rin c e M urât f u t a u s s itô t lancé
avec sa cav alerie et le c o r p s d u m a r é c h a l D av o u t d a n s la
d irec tio n de K œ n ig sb e r g , afin de d é b o r d e r l ’a r m é e r u sse
e t lu i c o u p e r to u te r e tr a i te s u r c e tte ville, ta n d is q u e les
les m a r é c h a u x Ney, S o u lt et M ortier su iv a ie n t l ’e n n e m i
de p rès, e t q u e l ’E m p e r e u r , avec sa garde, s ’é ta b lissa it à
E y la u d ’où n o u s p a r tî m e s le le n d e m a i n p o u r su iv re les
m o u v e m e n t s de l ’a r m é e .
Le 14, N apoléon, a p p r e n a n t d a n s la m a tin é e q u e les
R u s s e s é ta ie n t e n p o sitio n en av a n t de F rie d la n d et s e m ­
b la ie n t d é c id é s n o n s e u l e m e n t à a c c e p te r le c o m b a t, m a is
q u ’ils a v a ie n t m ô m e p ris l’initiative avec q u e lq u e s succès,
p a r ti t a u s s itô t avec la cavalerie de la Garde im p é ria le en
d o n n a n t o r d r e à l ’infan terie d ’a c c é lé re r sa m a rc h e . Bientôt,
n o u s r e n c o n tr â m e s u n assez g r a n d n o m b r e de ble ssés
p a r m i le s q u e ls é ta ie n t les g é n é ra u x L atour-M aubourg,
C oeho rn , B run, M o uton et L acoste (ces d e u x d e r n ie rs
aid es d e c a m p de l ’E m p e r e u r ) , qui lui a p p r i r e n t q u e le
g é n é r a l O u d in o t avec se s g r e n a d ie r s a v a ie n t r e p o u s s é vail­
l a m m e n t l’a t ta q u e de tro is d iv isions et q u e le s R u s s e s op é­
r a ie n t u n m o u v e m e n t s u r le u r flanc g a u c h e ; l ’E m p e r e u r
p r it a u s sitô t le galop, suivi de son e s c o rte , p a r c o u r a n t r a p i­
d e m e n t six lie u e s p o u r e n t r e r d an s u n e v aste p la in e o ù
allait se liv re r u n de ces c o m b a ts d o n t le so u v e n ir d o it
a p p a r te n ir à l ’h isto ire .
N apoléon atteig n it u n p e tit m a m e l o n , a y a n t p r è s de lui
les m a r é c h a u x B e rth ie r e t B essières, so n m a m e l u k R o u s ta n
e t u n pag e ; u n p e u en a r r iè r e sa m a is o n m ilita ire et son
e s c o r te ; s u r la d ro ite , en r e g a rd de la riv iè re d ’Alle, l ’a r ti l­
SOUVENIRS
MILITAIRES.
le rie de la G arde im p é riale , s o u te n u e p a r les G e n d a rm e s
d ’o r d o n n a n c e e t le s C h a sse u rs à cheval ; à la g au c h e, et en
ligne de b a ta ille , le s D ra g o n s de l ’I m p é r a t ric e et les L a n ­
ciers p o lo n a is ; p u is, e n a r r iè r e , les G re n adiers à che val et
la G e n d a rm e r ie d ’élite.
P l u s ta rd , v ers les m id i, l’infan terie de la G arde im p é riale
a rriv a n t, elle se m it en p o sitio n d a n s sa te n u e de p a r a d e :
to u s ce s c o r p s f o r m a ie n t la r é s e rv e avec l ’a r d e n t d é s ir de
p r e n d r e p a r t à la te r r ib le lu tte qui allait s ’engager. N a p o ­
lé o n m i t pie d à te rr e , et, sa lu n e tte placée s u r l ’épa u le du
j e u n e page, suivit avec la p lu s g r a n d e a tte n tio n les m o u ­
v e m e n ts et le d é p l o ie m e n t d es R u s s e s ; puis, a p p e la n t s u c ­
c e s s iv e m e n t u n officier d ’o rd o n n a n c e , il l’e n v o y a it a u
g alo p p o r t e r u n o r d re v e rb a l p r e s c r i v a n t a u m a ré c h a l ou
g é n é ra l les différen ts m o u v e m e n t s q u ’il d evait faire exé cu ­
t e r a se s tr o u p e s . L ’officier n e d ev a it re v e n ir q u ’a p r è s le u r
ex écu tio n .
P e n d a n t p lu s i e u r s h e u r e s , il y e u t c o m m e u n e s u s p e n ­
s io n ta cite d ’h o slilité s e n tre les d e u x a r m é e s ; le gén é ral
e n ch e f B e n in g se n c r o y a n t se s p o s itio n s in e x p u g n a b le s et
d a n s la p e r s u a s io n de p o u v o ir se r e ti r e r s u r K œ n igsberg,
en cas d ’in su c c è s d a n s le c o m b a t q u ’il s e m b la it a c c e p te r;
m a is N apo léon, av e c ce c o u p d ’œil de l ’aigle to u jo u r s s û r
de sa proie, s ’é c ria en v o y a n t les d isp o s itio n s des R u s se s :
« Ce j o u r est u n e é p o q u e h e u r e u s e , c ’e s t l ’a n n iv e r s a ire de
Marengo. »
F rie d la n d était le p o in t o ù il vou lait p o r t e r les c o u p s qui
dev a ie n t lui a s s u r e r la v ictoire. Celte p e tite ville, situ ée
a u m ilie u d ’u n e v aste pla in e, e s t e n tre u n r u is s e a u , d it le
r u is s e a u d u M oulin, e t l’Aile q u i avait q u a t r e p o n ts s u r ce tte
riv iè re s u r le s q u e ls u n e p a rtie de l ’a r m é e r u s s e avait
p a s s é p o u r se d é v e lo p p e r d a n s la p la in e et q u ix pouva ient
se r v ir à p r o t é g e r sa r e tr a i te en cas d ’échec.
FRIEDLAND.
— 1 807.
141
C’était d o n c là q u e N apoléon se p ro p o sa it de p o r te r to u t
son effort, et ce f u t a u m a ré c h a l N ey q u ’il confia ce tte im ­
p o r ta n t e m is s io n . T o u te s ses d isp o s itio n s p rises, à cinq
h e u r e s d u soir, la d é c h a r g e g é n é r a le d ’u n e b a tte rie de
vin g t p iè c e s de cano n é ta n t le signal de l ’a tta q a e , le m a r é ­
chal, à la tê te de son in f a n te r ie et s o u te n u p a r la cavalerie
d u g é n é r a l L a to u r-M a u b o u rg , m a r c h e a u s s itô t d a n s la
d ire c tio n de F rie d la n d , b o u le v erse les p r e m i è r e s lig n e s qui
lui s o n t o p p o sé e s et, fonça nt à la b a ïo n n e tte s u r la Garde
im p é r ia le r u s s e en rése rv e , p é n è tr e d a n s la ville, m a lg ré le
f e u de so ix a n te pièces de c a n o n .
D ans ce m ê m e m o m e n t, le c e n tr e , c o m m a n d é p a r les
m a r é c h a u x V ictor et O u dinot, a t ta q u a it avec la m ê m e
a r d e u r ; ta n d is q u e le m a ré c h a l M ortier, p la cé à l ’e x t rê m e
g au c h e , a t te n d a it au r e p o s p o u r agir.
C e p en d a n t, la ville, p ris e et r e p r is e trois fois, finit p a r
n o u s r e s te r et, la d e s tr u c tio n des p o n ts c o u p a n t l’a r m é e
r u s s e e n d e u x , N apoléon fit p a r ti r le lie u te n a n t d es Gen­
d a r m e s d ’o r d o n n a n c e , Charles de la B édo yère, E u g è n e de
de M o n te sq u io u , so n officier d ’o r d o n n a n c e , et u n aide de
c a m p d u m a ré c h a l O ud in o t, c h a c u n p a r u n c h e m i n diffé­
r e n t, p o u r d ire a u m a r é c h a l M ortier de t o u r n e r l ’e n n e m i.
Ce f u t La B édoy ère qui arriva, l ’aide de c a m p d u m a ré c h a l
O ud in o t a y a n t été tu é ainsi qu e le cheval de M ontesquiou.
Dès ce m o m e n t , les suc cè s n ’é ta ie n t p lu s d o u te u x . C e p e n ­
d a n t les R u s s e s se b a t t i r e n t avec le c o u r a g e du d é s e s p o ir
j u s q u ’à dix h e u r e s . P lu s de 15 000 c a d a v re s c o u v r a ie n t
le c h a m p de bataille, 70 piè ce s de c a n o n , g ran d n o m b r e de
c a isso n s , p lu s i e u r s d r a p e a u x e t q u e l q u e s m illie rs de
p r i s o n n i e r s é ta ie n t les t r o p h é e s
de ce lte
m é m o r a b le
jo u r n é e . La cavalerie r u s s e a v a it s u r t o u t fait d e s p e r te s
i m m e n s e s : 25 g é n é r a u x , u n n o m b r e c o n s id é r a b le d ’offi­
ciers avait été faits p r is o n n ie rs ,
142
SOUVENIRS
MILITAIRES.
Il y e u t de n o tr e côté 7 à 8000 h o m m e s tu é s o u ble ssés ,
p lu s i e u r s g é n é r a u x et officiers de to u s grades.
L’a r m é e , h a r a s s é e de fatigue, b iv o u a q u a la n u it s u r le
c h a m p de bataille, a u m ilie u des ca dav res d o n t la te r r e
é ta it jo n c h é e .
La v ic to ire n e f u t p a s u n m o m e n t in c e r ta in e , e t s u r
80000 F ra n ç a is d o n t se c o m p o s a it l ’a r m é e , 25 000 n ’avaient
pas tir é u n c o u p de fusil. De to u te la Garde i m p é r ia le , il n ’y
e u t d ’e n g a g é s q u e les j e u n e s F u s ilie rs et l ’A rtille rie ; les
G e n d a rm e s d ’o r d o n n a n c e , p la cé s en a r r iè r e p o u r la s o u te n ir ,
e u r e n t 5 h o m m e s e t 7 c h e v a u x t u é s p a r des éclats d ’o b u s .
L o rs q u e N apoléo n v in t le le n d e m a in v isite r le c h a m p de
b ataille, il s ’a p p r o c h a d e s G re n a d ie rs de la Garde. « Eh b ie n !
d it-il, n o u s a v o n s e u u n e b elle jo u r n é e h ie r! — Oui,
r é p o n d i t u n g ren a d ier, p o u r v o us, et le bulle tin d ira q u e
n o u s y r e p r é s e n tio n s en t e n u e de p ara d e, les b r a s croisés.
— A llons, tais-to i, vieux g r o g n a r d , il y en a u r a p o u r to u t
te m o n d e . » Et l ’E m p e r e u r s ’en alla en s o u r ia n t.
Le 15, les G e n d a rm e s d ’o r d o n n a n c e et les C h a sse u rs de
la G arde f u r e n t e n v o y é s à la s u ite des R u s se s d o n t la r e tra ite
se faisait e n assez g r a n d d é s o rd r e ; a u s si en r a m a s s â m e s n o u s b o n n o m b r e j u s q u ’à la P ré g e l o ù n o u s fû m e s a r r ê té s
p a r la r u p t u r e d e s p o nts.
Le 16, l ’E m p e r e u r en a r r iv a n t à six h e u r e s d u m a tin
s u r les b o r d s de la P rë g e l, tr è s s u r p r i s q u ’o n n ’e û t p o in t
e n c o r e j e t é des p o n t s et i m p a tie n t de p a s s e r s u r la rive
d ro ite , m o n frè re , de service a u p r è s de sa p e r s o n n e , se
la n c e dan s la r iv iè re p o u r en s o n d e r la p r o f o n d e u r ; N apo­
léon s ’a p e r c e v a n t alo rs q u e so n cheval n ’avait de l ’ea u q u e
j u s q u ’au p o itra il, se d é t e r m in e à f r a n c h ir cet'obstacle suivi
de so n esco rte, et e n t r e d a n s W e lh a u q u ’il tro u v e e n c o m ­
b r é de blé, de f o u rr a g e , q u e l ’e n n e m i d an s sa préc ip ita tio n
n ’avait p u d é tru ire .
TILSIT.
— 18 0 7.
143
Ce m ê m e j o u r arriv a la n o u v e lle de la r e d d itio n de
K œ n igsberg , r é s u l t a t de la v ictoire de F rie d la n d . On y
t r o u v a des r e s s o u r c e s im m e n s e s en s u b s i s ta n c e s et p r è s de
200 b â tim e n ts c h a rg és, v e n a n t d ’A n g le te r re ; 20000 blessés
p r u s s ie n s et r u s s e s e n c o m b r a ie n t les h ô p ita u x et les m a i­
so n s de la ville. Le 17, N apoléon et la Garde im p é r ia le
r e s t è r e n t à W e lh a u , ta n d is q u e l ’a r m é e m a n œ u v r a it s u r
les flancs de l ’ennemi^ p o u r le c o n tra in d r e à u n e re tr a ite
d é s a s tr e u s e dans le cas où il a u r a it v o u lu r i s q u e r u n n o u ­
v e a u co m b at. Le 18, su iva n t t o u jo u r s les R u s se s de p rès,
q u e l q u e s m illiers t o m b è r e n t e n tre n o s m a in s . Dans la
j o u r n é e , a r r iv a u n p a r le m e n t a ir e envoyé p a r l ’e m p e r e u r
A lexandre, d e m a n d a n t u n e s u s p e n s io n d ’a r m e s q u e Napo­
lé o n r e f u s a en c o n t i n u a n t sa m a r c h e s u r S k e isg e rre n où il
étab lit so n q u a r t i e r géné ral e t sa garde, ta n d is que le p r in c e
M urât, se d irig e a n t s u r T i l s i t a v e c sa cavalerie lé g ère, y
e n t ra it au m o m e n t o ù les R u s s e s a p r è s avoir f ra n c h i le
N iem en en faisaient s a u te r le p o n t.
Le 19, la Garde im p é r ia le p r it p o s s e s s io n de la ville de
Tilsit, ta n d is q u e le c o r p s d ’a r m é e d u m a ré c h a l D avout, en
p o sitio n s u r les b o r d s du fleuve, y étab lissait de n o m b r e u s e s
b a tte r ie s . Q u elq u e s c o u p s de c a n o n f u r e n t tiré s d a n s la
jo u r n é e et b ie n tô t le feu c e ssa de p a r t et d ’a u tre .
Les m a is o n s d e s f a u b o u r g s f u r e n t d o n n é e s à la Garde
im p é riale , en a r r iè r e de laquelle s ’é ta b lire n t n o s b ivo uacs,
et d es b a r a q u e s y fu re n t c o n s tr u i te s c o m m e p a r e n c h a n ­
te m e n t .
Logé avec m o n frère, La B é doyère, Norvins e t J u ig n é
d a n s un e p a u v re m a iso n de p a y s a n , n o u s y tr o u v â m e s u n
j e u n e Cosaque d o n t le cheval avait été tué et qui s ’é ta it
caché d a n s l ’e s p o ir de se s a u v e r p lu s ta rd ; à n o tr e asp ec t,
se c ro y a n t p e r d u , il se j e ta à n o s gen o u x , n o u s s u p p lia n t
e n m a u v ais a l le m a n d de l’a d m e tt r e a u service de l ’u n de
144
SOUVENIRS
MILITAIRES.
n o u s , p r o t e s t a n t de sa r e c o n n a is s a n c e , de son zèle et sa
fidélité; sa figure avait u n e e x p r e s s io n de f ra n c h is e qu i
m ’i n té r e s s a t e l le m e n t q u e je le p r is en le b a p tis a n t d u n o m
de Tilsit, j o in t à c e la le b esoin q u e j ’avais de d o n n e r u n c o m ­
p a g n o n à m o n fidèle B o u rb o n n a is, p o u r c o n d u ire u n p e tit
c h a r io t de p r is e a c h eté la veille à u n g r e n a d ie r de la Garde.
(Ce digne et fidèle s e rv ite u r d o n t le d é v o u e m e n t ne
s’e s t ja m ais, d é m e n ti se r e tr o u v e r a s o u v e n t d a n s m a vie
m ilita ire .)
Il m ’a rriv a , dans l ’a p rè s-m id i de ce m ê m e j o u r , u n p e t it
éc h ec d ’a m o u r - p r o p r e qui fit r ir e à m e s d é p e n s . J e vena is
de p r e n d r e le se rv ic e p r è s de S. M. et m e tr o u v a is seul
d a n s la salle d ’a t te n te , MM. B erthipr, D u ro c , B e ssiè re s et
C a u la in co u rt se p r o m e n a n t d a n s u n j a r d i n de p la in -p ie d
avec le salon, l o r s q u e je vis e n t r e r un officier g én é ral d ’u n e
belle et im p o s a n te t o u r n u r e , a y a n t s u r sa tê te u n c h a p e a u
à p lu m e b la n c h e d o n t u n e des c o r n e s éta it f o r te m e n t é b r é ­
ch é e p a r l e fait d ’u n e balle o u d ’u n éclat d ’o b u s : « L 'E m p e ­
r e u r est-il d a n s so n c a b in e t, m e d i t - i l ? — Oui, m o n g é n é ra l,
r é p o n d is - je ; si v ous d ésire z lu i p a r l e r , j e vais e n p r é v e n ir
M. le G rand M aréchal qui e s t d a n s le ja rd in . — C’e s t i n u ­
tile, « et m e p o u s s a n t, il o u v re la p o r te d u c a b in e t et y
p é n è tr e , à m a g r a n d e s tu p é fa c tio n . Un in s t a n t a p r è s , ces
m e s s i e u r s r e n tr a n t , j e r e n d s c o m p te de ce q u i v e n a it de
m ’a rriv e r. « Il fallait, m e d it le m a r é c h a l B e ssiè re s d 'u n e
m a n iè r e sé vère, v ous m e t t r e e n tr a v e r s de la p o r te et faire
a t t e n d r e le v is i te u r ;
M o n sieu r le
m a is q u e l es t-il? — J e l ’ig n o re,
m a r é c h a l, et n ’ai p o in t l ’h o n n e u r de le
c o n n a îtr e . » D ans ce m ê m e m o m e n t, u n e voix fo rte et a n im é e se
f a isa n t e n t e n d r e : « Oh ! p a r b le u , j e ne m ’é to n n e p lu s, s ’écria
le p r in c e de N eu c h âte l, il n ’y avait qu e L a n n e s capable de
s ’in tr o d u ir e ainsi. » E n effet, c ’était lui, qu e je voyais p o u r
AU
CAMP
RUSSE.
— 1807.
la p r e m i è r e fois. Il s o r tit p e u a p r è s , c a u s a q u e l q u e s i n s ­
ta n ts avec ces m e s s i e u r s et p a r tit. Dans la so irée , on disait
q u e le m a r é c h a l L a n n e s avait e u u n e e x p lic a tio n avec
l’E m p e r e u r , d an s l ’i n te n tio n de le d é t o u r n e r de l’arm istic e
q u ’il vou la it ac corder, et q u ’il avait d e m a n d é le c o m m a n ­
d e m e n t de l ’av a n t-g ard e.
Ce fut d a n s la j o u r n é e d u 21 q u e le géné ral Duroc, g ran d
m a ré c h a l d u P alais, p o r t a à l’e m p e r e u r A lexandre le traité
d ’a rm istic e , e n a t te n d a n t les nég o c ia tio n s qui d ev ra ie n t
avoir lieu p o u r c o n c lu r e la paix.
Le 25, e u t lie u l ’e n t r e v u e des d e u x e m p e r e u r s s u r u n
ra d e a u , établi s u r le N iém en p a r le g é n é ra l d ’artillerie Lariboisière. Cette e n t r e v u e d es d e u x p lu s p u is s a n ts p rin c e s de
l ’E urope a eu tro p d e r e t e n t i s s e m e n t p o u r q u e j ’en re tr a c e
ici to u te s les p a r tic u la rité s .
Je r a p p e lle ra i s e u le m e n t,
c o m m e u n d e s faits les p lu s e x tra o r d i n a ir e s , le s é jo u r d u
Czar et du roi de P r u s s e au m ilieu de l ’a r m é e française,
a y a n t c h a c u n u n b ataillo n de le u r g a r d e d a n s la ville, et
n ’a y a n t d ’a u t r e ta b le q u e celle de N apoléon. La r e in e de
P r u s s e , r e m a r q u a b le p a r sa b e a u té et la p a r t active q u ’elle
av ait p rise d a n s ce tte g u e r r e , v int a u s si e m b e llir p a r sa p r é ­
se n c e la r é u n io n d e s tro is m o n a r q u e s . (E lle n ’arriva qu e
le 28 avec so n époux .)
La paix é ta n t t o u t fait décidée, e t le tra ité définitif u n e
affaire de t e m p s , d e s r a p p o r ts b ie n v e illa n ts s ’é ta b lire n t
b ie n tô t e n t r e les d e u x a r m é s . N ous pro fitâm e s de ce tte
h e u r e u s e c irc o n s ta n c e , m o n frè re e t m o i, p o u r o b te n ir du
m a ré c h a l B essières la p e r m i s s io n de p a s s e r d a n s le ca m p
des R u s s e s afin d ’y r e n c o n t r e r n o tr e c o u s in g e r m a in , le
m a r q u i s de Laizer, aide de c a m p d u g é n é ra l e n ch e f le
c o m te B e ning se n . L o rs q u e n o u s d é b a r q u â m e s s u r les
b o r d s d u N iém en , n o u s v îm e s é c rit s u r u n p o te au : « Mes­
s ie u rs les officiers français s o n t invités à n e pas p é n é t r e r
146
SOUVENIRS
MILITAIRES.
d a n s le biv o u a c des B a sk irs, p eu p le à p e u p r è s sau v ag e ,
arrivé d e p u is p e u à l’a r m é e . » En effet, le j o u r o ù n o tr e
av ant-garde a p p r o c h a it de Tilsit, elle r e n c o n t r a c e tte tr o u p e
q u i n ’avait p o u r a r m e s q u e d e s flèches q u ’elle d é c o c h a it
en f u y a n t, à la m a n iè r e des P a r t h e s ; a u ssi, ce tte m a n iè r e
de c o m b a tt r e excita le rire de n o s sold a ts qui tro u v a ie n t
de te ls a d v e r s a ir e s b ie n p e u r e d o u ta b le s .
E n a r r iv a n t a u x p o s te s av a n cé s, j ’y tr o u v a i p a r l ’effet du
plu s h e u r e u x h a s a rd le j e u n e c o m te de L evachow avec
le q u e l j ’avais e u ja d is les r e la tio n s le s p lu s in tim e s à
N aples. N ous n o u s e m b r a s s â m e s avec toute l ’effusion de
n o tr e âge, en r a p p e la n t à n o tr e s o u v e n ir c e tte é p o q u e , si
p e u éloignée, de b o n h e u r e t de plaisir. 11 n o u s a p p r it qu il
était lu i- m ê m e a u s s i a id e de c a m p d u g é n é r a l en c h e f et,
p a r c o n s é q u e n t, c a m a ra d e d e n o tr e c o u s in e t q u a u s s itô t
a p r è s av o ir r e m p li la m is sio n d o n t il éta it c h a rg é, il irait
le p r é v e n ir de n o t r e p r é s e n c e . 11 r e v in t u n e d e m i- h e u r e
a p r è s e n n o u s a n n o n ç a n t q u e Laizer, r e te n u p a r so n s e r ­
vice, n e p o u r r a it n o u s v o ir q u e le le n d e m a in , et n o u s n o u s
sé p a r â m e s a p r è s av o ir r e ç u d u c o m te de L evachow la p r o ­
m e s s e de sa visite à Tilsit.
Ainsi q u ’il avait été co n v e n u , je m e r e n d is a u ca m p
r u s s e , m a is se u l, m o n frè re é t a n t de service. Mon co u s in
a t te n d a it s u r le b o r d d u N ié m e n , e t ce fut avec u n e m u ­
tu e lle sa tisfa c tio n q u e n o u s n o u s r e tr o u v â m e s a p r è s u n e
s é p a r a tio n de p lu s i e u r s an n é e s .
L o rs q u e l ’A rm é e de Condé q u itta la P o lo g n e p o u r aller
s u r le s b o r d s d u R hin, M aurice de Laizer, q u i e n faisait
partie, e n t r a au service de R u s sie p a r la p r o te c tio n de
L ouis XVIII qui o b tin t de le faire a d m e tt r e , bien q u e fort
je u n e , d a n s l ’é t a t- m a jo r de l’a r m é e , et, avec ce p u is s a n t
a p p u i, sa b o n n e c o n d u ite e t s o n in s t r u c tio n , i| a v a n ça r a p i­
d e m e n t. L o rs q u e n o u s n o u s r e tr o u v â m e s , il était capi­
TILSIT.
— 18 07.
147
ta in e aide de c a m p d u g é n é r a l e n c h e f B e n in g se n et d é c o ré
de p lu s i e u r s croix ; so n c h e f a u q u e l il m e p r é s e n t a m e fit
u n accu e il b ie n v eillan t et m ’en g a g ea à d é j e u n e r . Mais
l o r s q u ’il c o n n u t m a p o sitio n m ilita ire , il ne f u t so r te de
q u e s tio n s q u ’il n e m e fît s u r l ’E m p e r e u r e t n o s g é n é ra u x .
E n q u itt a n t le c o m te B e n in g se n , m o n c o u s in m e p r o m e n a
d a n s le c a m p e t m e c o n d u isit p r è s d u c h e f d e s C osaqu es
Jlo v a ïsk y ; ce j e u n e lie u te n a n t g éné ral, d ’un e t o u r n u r e
tr è s distin g u ée , p a r la n t le fra n ça is avec la p lu s g r a n d e
p u r e té , f u t d ’u n e a m a b ilité p a r f a ite ; il fit m a n œ u v r e r
d e v a n t m o i u n p eloto n de C osaques et m ’offrit e n le q u it­
ta n t u n b e a u y a ta g a n que j ’avais a d m ir é . Le le n d e m a in , j e
lui envo yai u n tr è s joli fusil de c h a sse q u e , fort h e u r e u s e ­
m e n t, j e p u s m e p r o c u r e r . Le 26, les d e u x e m p e r e u r s m o n ­
t è r e n t à cheval p o u r p a s s e r e n re v u e la G arde im p é r ia le
d o n t l ’air m a rtia l et la m ag n ifiq u e te n u e s e m b la ie n t p r o ­
d u ir e u n e vive im p r e s s io n s u r l’a u to c ra te . En a r r iv a n t s u r
le f r o n t d es G e n d a rm e s d ’o r d o n n a n c e , s u r p r i s de voir u n e
t r o u p e to u te g a lo n n é e e n a rg e n t, il d e m a n d a ce q u e c ’é ta it :
« Ce co rp s, lui r é p o n d it l ’E m p e r e u r , est c o m p o s é d e s m e il­
le u r e s fam illes de F ra n ce , ce qui d o it vou s d o n n e r u n e
idée de l ’e s p r ih n a tio n a l d e n o tr e p a y s . » A lex a n d re s ’a r ­
r ê t a q u e lq u e s in s t a n ts d e v a n t les G en d a rm es d ’o r d o n n a n c e
e n l e u r a d r e s s a n t d e s c o m p lim e n ts ila tte u rs s u r le u r
d é v o u e m e n t et le u r m a g n ifiq u e t e n u e .
Le 28, l’E m p e r e u r ac c o m p a g n é du Czar, d u roi de P r u s s e
et d u g r a n d - d u c C o n stan tin , fit m a n œ u v r e r le co rp s d u
m a r é c h a l Davout.
Le 30, e u t lieu le b a n q u e t m o n s t r e d o n n é p a r la
Garde im p é r ia le à la g a rd e r u s s e e t p r u s s i e n n e ; les
G e n d a rm e s d o r d o n n a n c e f u r e n t ch a rg é s de f e s to y e r les
C hevaliers g ard e s
cavalerie.
r u s s e s , m ag n ifiq u e co rp s d ’élite de
148
SOUVENIRS
MILITAIRES.
Le 1er ju ille t, les G e n d a rm e s d ’o r d o n n a n c e et la cav alerie
de la G arde im p é r ia le q u itt è r e n t T ilsit p o u r se r e n d r e à
K œ n ig s b e r g e t p a r c o u ru r e n t- c e tte d istanc e de 34 lieues
e n tr o is j o u r s , ta n d is q u e N apo lé on, avec so n in fan terie,
r e s ta it à T ilsit p o u r y s ig n e r le traité de paix, le 9 de ce
m ê m e m ois. Ils a r r iv è r e n t le l e n d e m a in d a n s la n u i t à
K œ n ig sb e rg , t o u t e n c o m b r é p a r p lu s i e u r s a d m in is t r a tio n s
e t q u a n t ité d ’e m p lo y é s q u e le d u c de Rovigo, g o u v e r n e u r
de la ville, ü t é v a c u e r p o u r faire p lace au q u a r ti e r g é n é r a l et
à la Garde im p é ria le . Grâce à ce tte m e s u r e , n o u s f û m e s
logés, m o n frè re et m o i, d a n s u n fo rt bel h ô te l a p p a r te n a n t
a u c o m te de L eh n d o rff qui, p a r u n e c o ïn c id e n c e d es p lu s
h e u r e u s e s , avait b e a u c o u p v u m o n p è r e à P a ris a v a n t la
R é v o lu tio n ; a u ssi, il n ’e s t s o r te de p r é v e n a n c e s d o n t
n o u s no f û m e s l ’o b je t p a r c e tte a im a b le e t n o m b r e u s e
fam ille, au m ilie u de la q u elle n o u s p a s s â m e s q u inz e jo u r s ,
d o n t le so u v e n ir n e d e v a it ja m a i s s ’effacer de m a m é m o ire .
N ous tr o u v â m e s e n ville la 4° c o m p ag n ie des G e n d a rm e s
d ’o rd o n n a n c e , forte de 100 chevaux, c o m m a n d é e p a r le
p r in c e de Monaco, arrivée d e p u is tro is jo u r s et t r è s affligée
de n ’a v o ir p a s p a r ta g é n o s tr a v a u x ; elle v e n a it de rec evoir
l ’o r d r e d ’a lle r r e jo i n d re la 5° à Berlin, ce qu i s e m b la it co n ­
firm e r les b r u i t s fâc h eu x de n o tr e dislo ca tio n , p o u r sa tis­
faire à la j a lo u s ie q u e n o u s in s p i r io n s d a n s l ’idée du s o r t
b r illa n t q u i n o u s é ta it r é s e rv é . Je fus chez le p r in c e de
N eufchâtel d o n t la b ie n v e illa n c e m ’était a s s u r é e et q u i m e
c o n firm a c e tte tr is te n o u v e lle , e n m ’a j o u ta n t q u e l’E m p e ­
r e u r r é c o m p e n s e r a it d i g n e m e n t le d é v o u e m e n t e t la c o n ­
d u ite h o n o r a b le de n o tr e c o r p s ; p u is il m 'e n g a g e a à m e
t r o u v e r le l e n d e m a in d a n s le sa lo n de réc e p tio n o ù to u s
le s officiers de la Garde a v a ie n t le d r o it de se p r é s e n te r .
C ette r e c o m m a n d a tio n m e s e m b la it |de tr o p £ o n a u g u r e
p o u r y m a n q u e r . L o rsq u e j ’e n tra i d an s la salle, u n e g ra n d e
ADJUDANT-MAJOR
AU
5" H U S S A R D S .
— 1 807.
119
p a r tie de la Maison m ilita ire de l ’E m p e r e u r s ’y tro u v ait,
ain si q u e p lu s i e u r s g é n é r a u x , c o lo n els e t q u e l q u e s officiers
de la G arde de to u s g r a d e s ; p u is, a rriv a l ’E m p e r e u r
a c c o m p a g n é d u p rin c e de N eufchâtel. Il se p r o m e n a d o u ­
c e m e n t, en a d r e s s a n t q u e lq u e s p a r o le s b ie n v e illa n te s au x
u n s e t au x a u t r e s ; l o r s q u ’il s ’a p p r o c h a de m o i, le c œ u r m e
b a ttit p lu s f o rt que d a n s la b a r a q u e de Ile ils b e r g ; il m e fixa
u n m o m e n t , et j e c r u s a p e r c e v o ir u n léger s o u r ir e lo r s q u e
le p r in c e m e d i t : « S. M. v o u s a n o m m é a d j u d a n t - m a j o r au
5e r é g i m e n t de H u ssa rd s. — Oui, oui, h u s s a r d s », d it l ’E m ­
p e r e u r e n s ’é lo ig n a n t ; ce qui m e valut, l o r s q u ’il lu t p arti,
force c o m p lim e n ts e t de p o ig n é e s de m a in , e n t r e a u tre s
de m o n cousin, E d m o n d de T a lle y ra n d de P é r ig o rd , ca p i­
ta in e au 5e H u s s a rd s , le q u e l, v e n a n t d ’ê tre n o m m é aid e de
c a m p d u p rin c e de N eufchâtel, m e fit c a d e a u de se s u n i ­
f o rm e s et é q u i p e m e n t s , p r é s e n t d ’a u t a n t p lu s p r é c ie u x
q u ’é t a n t de la m ê m e taille, j ’étais re v ê tu le l e n d e m a in de la
m ag n ifiq u e p e lisse , b la n c h e et or, d u n o u v e a u c o r p s a u ­
q u e l j e v e n a is d ’a p p a r te n ir .
Le
12 ju ille t,
le
m a r é c h a l B e ssiè re s fit m o n t e r à
cheval les G e n d a rm e s d ’o r d o n n a n c e p o u r le u r a n n o n c e r
a u n o m de S. M. l ’E m p e r e u r q u ’ils é ta ie n t licenciés,
m a is q u e S. M., v o u la n t d o n n e r p r e u v e de sa satisfaction
de la b r illa n te c o n d u ite q u ’ils a v a ie n t te n u e d e p u is
l e u r in s titu tio n , les c o n s e rv a it to u s d a n s l ’a rm é e . E n
effet, p a r u t le l e n d e m a in le travail qui avait été fait à cet
égard.
Le g é n é ra l c o m te de M o n tm o re n c y fut a tta c h é à la Mai­
s o n m ilita ire de l ’E m p e r e u r et fait g o u v e r n e u r de R a m ­
b o u ille t; to u s les officiers p a s s è r e n t d a n s la ligne avec u n
grad e s u p é r ie u r , et les G e n d a rm e s d ’o r d o n n a n c e f u re n t
pla c é s s o u s - lie u te n a n ts d a n s les d ifférents r é g im e n ts de
cavalerie. Q uant à c e u x d e la 4° et 5° c o m p a g n ie s qui
ISO
SOUVENIRS
MILITAIRES.
n ’av a ie n t pas fait la c a m p a g n e , ils d u r e n t faire p a r tie des
V élites à c h e v al de la G arde im p é ria le , e t a u b o u t d ’u n
a n p a s s e r officiers. Ainsi fut d is s o u s ce c o r p s d ’élite, d o n t
le d é b u t fut si b rilla n t et d o n t l’a v e n ir éta it a s s u r é si la
paix n ’était pbs v e n u e d é t r u i r e se s e s p é r a n c e s .
IX
AU
5° H U S S A R D S
Le 13 ju il le t , la Garde im p é r ia le se m it en m a r c h e p o u r
r e n t r e r e n F ra n c e , et, d a n s la m ô m e jo u r n é e , l ’E m p e r e u r
p a r t i t p o u r P aris, ta n d is q u e les officiers n o u v e l le m e n t
p r o m u s é ta ie n t dirig é s s u r les co rp s a u x q u e ls ils a p p a r ­
te n a ie n t. Q u a n t à m o n frè re et à m oi, n o u s n e q u itt â m e s
K œ n ig s b e r g q u e cinq j o u r s ap rè s, e m p o r t a n t d a n s n o s
c œ u r s u n r e c o n n a is s a n t s o u v e n ir de la d o u c e e t b ie n v eil­
la n te h o s p ita lité d o n t n o u s a v io n s été l’ob je t au m ilie u d e ’
la b e lle et n o m b r e u s e fam ille de L e h n d o rff p e n d a n t seize
j o u r s . N o tre s é p a r a tio n r e s s e m b la it au d é p a r t d ’e n fa n ts
q u itt a n t le to it p a t e r n e l p o u r faire u n voyage de lon g c o u rs,
p a r les s o in s et les a tte n t io n s d o n t n o u s étions e n to u ré s.
S a c h a n t q u e n o u s allions p a r c o u r ir u n p a y s r u in é p a r la
g u e r r e e t e n c o r e o cc u p é p a r de n o m b r e u s e s tr o u p e s , l ’on
r e m p l i t m o n p e t it f o u rg o n d e p ro v isio n s de to u te s e sp èc es
q u e , v a in e m e n t, n o u s vo u lio n s r e fu se r. Ce fut le 18 j u il le t
q u e n o u s q u itt â m e s ce to it h o sp ita lie r, a y a n t p o u r c o m p a ­
g n o n s de voyage N aucaze, de M ontravel et C harles de
M o ntulé, d e v a n t n o u s s é p a r e r to u s les q u a t r e à M arienw erd e r p o u r n o u s d irig e r ch a c u n s u r n o s c o r p s resp e ctifs.
N otre r é u n i o n se c o m p o s a it de q u a t r e m a îtr e s , cinq
132
SOUVENIRS
MILITAIRES!
d o m e s tiq u e s e t q u a to rz e c h e v au x , c h a c u n de n o u s e n a y a n t
tr o is , e t m o n fou rg on é t a n t a tte lé de d eux p e tits che v au x
p olon a is c o n d u i ts p a r u n j e u n e g a rç o n . C o n tra in t de lais­
s e r à l ’h ô p ita l m o n brave e t fidèle B o u rb o n n a is av e c u n e
fièvre ty p h o ïd e q u i m e la issa it p e u d ’e s p o ir d e le rev o ir
j a m a i s , ce fut d o n c s u r m o n c o s a q u e T ilsit q u e d u t se
r e p o r t e r t o u te m a co n fia n ce ; a u r e s te je n ’avais q u ’à m e
l o u e r d e sa c o n d u ite e t de so n in te llig en c e.
La r o u te qu e n o u s a v io n s à su iv re se tr o u v a n t e n c o m ­
b r é e p a r d e u x c o r p s d ’a r m é e , d o n t l’u n é ta it d irig é s u r
l ’E spagne ta n d is q u e l ’a u tre allait p r e n d r e s e s q u a r t i e r s en
P o lo g n e et e n Silésie, n o u s a d o p t â m e s la d é t e r m in a tio n
d ’a b a n d o n n e r c h a q u e so ir les lie u x d ’é ta p e et de tâ c h e r de
r e n c o n t r e r q u e l q u e h a b ita tio n éloignée de la r o u te p o u r
y p a s s e r la n uit.
Le p r e m i e r j o u r , ce f u t a p r è s avoir fait h u i t lie u es q u e
n o u s tr o u v â m e s , à u n e d e m i- lie u e d a n s le s te r r e s , le c h â ­
te a u de P h o r e n où l’i n te n d a n t , en l ’ab sen c e de so n m a ître ,
n o u s r e ç u t avec les d é m o n s t r a t i o n s les p lu s b ien veillantes,
b ie n q u e p e u t - ê tr e elles ne f u s s e n t p a s t r è s sin c è re s . Il e s t
vrai c e p e n d a n t q u ’il r e f u s a le m o n t a n t d e s d é p e n s e s q u e
n o u s a v io n s faites, en cela se c o n f o r m a n t, disait-il, a u x
o r d r e s de son m a îtr e .
Le le n d e m a in , p a r c o u r a n t u n m ag n ifiq u e pay s en su i­
v a n t les b o r d s d u Frichs-Haff, n o u s f îm e s q uinz e lie u e s
p o u r a t te in d re le s u p e r b e c h â te a u de T olknit, avec l’in te n ­
t i o n d ’y faire u n s é jo u r, afin de r e p o s e r n o s c he v aux de ce tte
forte j o u r n é e .
A p e i n e é t io n s - n o u s établis q u ’u n sous-o fficier d e s G u id e s
du p r in c e de N euc h âte l y arriva p o u r faire le lo g e m e n t de
s a tr o u p e , avec la p r é te n tio n de n o u s e n faire d é g u e r p i r ;
m a is, r é s o lu s à j o u i r de n o tr e d r o it de p r io rité , m a lg r é les
m e n a c e s d u so u s-o ffic ie r se d is a n t p o r t e u r d ’u n o r d re ,
ROUTE
EN
ALLEMAGNE.
— 1807.
183
n o u s lu i signifiâm es q u e ce se ra it avec ses chefs q u e n o u s
a u r io n s à n o u s e n te n d r e . Le s e ig n e u r c h â te la in de ce bea u
m a n o ir tr e m b la it de to u s se s m e m b r e s à l’idée d ’ètre t é ­
m o in d ’u n e rixe sa n g lan te, et n e f u t r a s s u r é , à l ’a p p r o c h e des
G uides, q u ’au m o m e n t où il e n t e n d it le c a p ita in e b lâ m e r
s é v è r e m e n t la c o n d u ite d u sous-officier. Il r é s u lt a de ce
p e tit in c id e n t q u e n o u s p a s s â m e s fo rt g a ie m e n t n o t r e s é jo u r
e t q u e n o tr e h ô te e n fit les h o n n e u r s de la m a n iè r e la p lu s
affable et avec u n e r e c h e r c h e de lu x e d o n t, e n le q u itta n t,
n o u s lui té m o ig n â m e s to u te n o tr e re c o n n a is s a n c e . N ous
a b a n d o n n â m e s n o n s a n s r e g r e t l’a g ré ab le s é jo u r de T olknit
en y la is s a n t les G uides qu i d ev a ie n t a t t e n d r e les éq u ip a g e s
du p rin c e de N eufchàtel. Q uan t au p rin c e , l ’E m p e r e u r
l’avait e m m e n é avec lu i. A près h u i t h e u r e s d e m a rc h e , n o u s
a r r iv â m e s à Elbing; m a is ce tte ville r e g o r g e a n t de tr o u p e s ,
n o u s d û m e s faire e n c o r e u n e lie u e d a n s le s te r r e s afin
d ’a tte i n d r e u n e f erm e d a n s laqu elle n o u s tr o u v â m e s , fort
h e u r e u s e m e n t, d u fo u rrag e p o u r n o s c h e v a u x e t o ù les p r o ­
v isio n s de m o n fo u rg o n n o u s é v itè r e n t de m o u r i r de faim .
Le le n d e m a in , p lu s h e u r e u x q u e la veille, n o u s t r o u ­
v â m e s d a n s la jo lie ville de M a rie n b o u rg l’officier p a y e u r
du 5e H u s s a r d s qui p a rv in t, n o n s a n s p e in e , à n o u s lo g e r
d a n s u n e a u b e r g e a u m o m e n t où u n d é t a c h e m e n t de d r a ­
g o n s en so rtait. D eux jo u r s a p r è s , n o u s e n t r â m e s à Marienw e r d e r où n a g u è re , av a n t la c a m p a g n e , n o u s étions r e s té s
d eux m o is .
Ce fut a p r è s u n r e p o s de cin q j o u r s qu e n o u s d û m e s
n o u s q u itt e r p o u r p r e n d r e c h a c u n là direc tio n de n o s co rp s
r e sp e c tifs : m o n frère s u r Berlin; et m oi vers les f ro n tiè r e s
de la P o lo g n e . Cette s é p aratio n n o u s fut d ’a u t a n t p lu s p é ­
nible q u e , n ’a p p a r te n a n t p as au m ê m e c o r p s d ’a r m é e , il
était p r é s u m a b le q u e n o u s s e r i o n s l o n g te m p s sa n s n o u s
voir,
154
SOUVENIRS
MILITAIRES.
Ce fut le 28 ju il le t q u e c h a c u n de n o u s , is o lé m e n t et f o rt
tr i s t e m e n t , su ivit sa r o u te ; la m i e n n e se fit p e n d a n t trois
jo u r s d ’u n e m a n i è r e assez d és ag réa b le, le p a y s a y a n t été
c o m p l è t e m e n t d év a sté p a r la g u e r r e ; c ’est ainsi q u e j ’a r r i­
vai à T h o r n , assez b elle ville situ ée s u r la V islule .et tr è s
fortifiée p a r l ’E m p e r e u r . Cette p a r tie de la P o lo g n e , q u ’il
m e fallut p a r c o u r ir d a n s u n e l o n g u e u r de 42 lieues,
offrait u n e arid ité d é s e s p é r a n te ; c o u p é e p a r d e s bois
de sâ p in s, elle était p e u p lé e de lo in e n lo in p a r de chétifs
villages, q u e lq u e s p e t its b o u r g s so u s la d o m in a tio n u s u r a ir e d es ju ifs. J e fus e n c o r e tr o p h e u r e u x d ’avoir r e c o u rs
à eu x , ce q u i m e p e r m i t d ’a r r iv e r s a n s e n c o m b r e , ap rè s
se p t j o u r s d ’u n e m a r c h e fatig an te , à la p e tite ville de Vill e m b o u r g où je tr o u v a i le g é n é ra l Pajol d o n t la b rig ad e se
c o m p o s a i t d e s 5° et 7 ° h u s s a r d s ; sa r é c e p t i o n r e m p lie de
b ie n v e illa n c e fut a c c o m p a g n é e d ’u n e inv itation à p a s s e r
l a j o u r n é e p r è s de lui.
Le le n d e m a in , 7 ao û t, doit ê tre c o m p té c o m m e u n des
j o u r s h e u r e u x de m a c a r r i è r e m ilita ire , p a r la m a n iè re a ffe c t u e u s e d o n t j e fus a d m is à faire p a r tie de ce tte n o uvelle
fam ille de b rav e s, et, p a r u n e c irc o n s ta n c e n o n m o in s
favorable, il fallut q u e, ce m ê m e j o u r de m o n arriv é e , le
r é g im e n t d is s é m in é dan s se s c a n to n n e m e n t s d û t se t r o u ­
v e r r é u n i p o u r u n e re v u e d u c o m m is s a ir e d es g u e rre s.
Le c olonel, p r é v e n u p a r u n e le ttr e d ’av is de l’é ta t- m a jo r
g é n é r a l de l ’a r m é e , m ’ac c u e illit d ’u n e m a n iè r e d ’a u t a n t
p lu s g r a c ie u s e q u ’à ce tte le ttre d ’a n n o n c e était j o in te u n e
apo stille sig n é e d u p r in c e de N euc h âte l. P r é s e n té a u co rp s
d ’officiers, j e fus p e u d ’in s t a n ts a p r è s r e c o n n u d a n s m o n
gra d e d ’a d j u d a n t- m a jo r s u r le fro n t d u r é g im e n t en bataille,
et, le soir, u n p u n c h flam b o y an t, d o n n é p a r le colonel, m e
m i t b ie n tô t e n r a p p o r t avec m e s n o u v e a u x c a m a ra d e s.
P e u d e j o u r s ap rè s, j ’e n t r a i e n fon ction de m a n o u v e lle
LE
5e H U S S A R D S .
— 1807.
155
p o s itio n , g e n r e de service tr è s a c tif (il n ’y a d a n s la cava­
le rie q u e d e u x a d ju d a n ts -m a jo r s p a r r é g im e n t) et assez
difficile, m a is a p p ré c ié p a r l ’E m p e r e u r qui le d isa it ê tre la
p é p in iè re d e s m e ille u rs officiers.
Le 5e r é g im e n t de H u s sa rd s, qui v e n a it d ’être cité p l u ­
s ie u r s fois d a n s ce tte d e r n iè r e c a m p a g n e o ù il avait p e r d u
p lu s de 300 h o m m e s , était u n d e s p lu s b ea u x r é g im e n ts de
l ’a r m é e p o u r son é lég a n t et m a g n ifiq u e u n if o r m e , c o n s is ­
t a n t d a n s u n e p elisse b la n c h e av e c galons, g anses, olives
et tr e ss e en la in e j a u n e et f o u r r u r e n o ir e , d o lm a n et p a n t a ­
lo n b le u de ciel g a rn is de g alon s, de tr e s s e s et de fra n ges e n
laine j a u n e , g ile t r o u g e avec g a n s e e t g alo n s j a u n e s , c e in ­
t u r e c r a m o isie à n œ u d e n la in e r o u g e, s a b re ta c h e fond
bla n c avec u n aigle e n cu iv re , b o r d é e d ’u n la rg e galon,
et, a u b a s , le n° 5 ; sa b re c o u r b é à f o u rr e a u e n cu ivre, d e u x
pisto le ts e t u n e p e tite ca rab in e , co lb ac k à flam m e b la n c h e
avec ju g u la ir e e n c h a în o n s d e c u iv re ; le p e tit u n if o rm e à
la m a m e l o u k avec tr e s s e e n laine. Même u n if o r m e p o u r
le s officiers, s e u l e m e n t la p a s s e m e n te r ie e t les o r n e m e n ts
en o r et la d istin c tio n d u g ra d e s u r les m a n c h e s et le p a n t a ­
lon. E n g r a n d e te n u e de gala, p a n ta lo n b la n c et or, le dol­
m a n avec c e i n t u r e et b o ttin e s de m a r o q u i n r o u g e avec de
tr è s p e tits é p e r o n s . Le h a r n a c h e m e n t d u cheval co n s ista it
d a n s un e selle à la h u s s a r d e , garn ie de cu iv re à l ’e x tré m ité
p o s té r i e u r e , s c h a b r a q u e b le u de ciel avec galon j a u n e ,
p o r te - m a n te a u r o n d e n d ra p b le u de ciel avec g alo n ja u n e
a u x e x tré m ité s ; p o itra il p o r t a n t u n c œ u r e n cuivre, b rid e s
o r n é e s de cu iv re e t m o r s s a n s b o s s e tte .
Le colonel, n o m m é D ery, était u n créole de la Marti­
n iq u e , âgé de t r e n t e et u n a n s ; d e s tin é a u b a r r e a u , il avait
fait d ’assez b o n n e s é tu d e s , m a is la R é v o lu tio n lui o u v r a n t
u n e c a r riè re p lu s a n a lo g u e à ses g o û ts, il s ’eng agea d a n s
le l or r é g im e n t de C h a sse u rs, d e v in t le c a m a ra d e d e lit de
156
SOUVENIRS
MILITAIRES.
M urât et o b tin t assez r a p id e m e n t l ’é p a u le tte p a r p lu s i e u r s
a c tio n s d ’éclat. Sa t o u r n u r e d is tin g u é e , so n é d u c a tio n et sa
b r a v o u r e d é t e r m i n è r e n t M urât à le p r e n d r e p o u r aide de
c a m p à s o n r e t o u r d ’E g y p te , avec le g ra d e de c h e f d ’esca­
d r o n , e t il le fit n o m m e r c olo nel a u 5me H u s s a rd s ap rè s
la bataille d ’Ién a.
S ans v o u lo ir e n t r e r d a n s la p o litiq u e , j e d irai seulenqent
q u e le tr a i té de Tilsit s t i p u l a n t d e s in d e m n ité s c o n s id é ­
r a b le s , la c ré a tio n d ’u n r o y a u m e de W e s tp h a lie p o u r
J é r ô m e B o n a p a rte e t u n
r e m a n i e m e n t de la P olog ne,
q u a t r e c o r p s d ’a r m é e d u r e n t o c c u p e r le p a y s
c o n q u is
j u s q u ’à-ceque to u te s les c o n d itio n s de ce traité e u s s e n t re ç u
le u r p le in e et e n tiè r e e x é c u tio n , et, à c e t effet, les t r o u p e s
f u r e n t r é p a r ti e s e n P r u s s e , e n P o lo g n e , d a n s la Silésie et
la Hesse.
La b rig ad e d u g é n é r a l P ajo l fa isa n t p a rtie d u co rp s
d ’a r m é e d u m a ré c h a l Davout, n o u s r e ç û m e s l ’o rd re de n o u s
d ir ig e r s u r V arsovie où n o u s a r r iv â m e s le 23 aoû t, ap rè s
av o ir t r a v e r s é u n p a y s s a b lo n n e u x , m is é r a b le et c o m ­
p l è t e m e n t r u in é p ar la g u e r r e . Le 5meH u s sa rd s r e s ta s e u le ­
m e n t q u a r a n t e - h u i t h e u r e s d a n s ce tte b elle capitale, a p r è s
le s q u e lle s il f u t r é p a rti d a n s d es c a n to n n e m e n t s assez
m a u v a is p o u r la tr o u p e , m a is où le s officiers tr o u v è r e n t
u n e b ie n v e illa n te h o sp ita lité d a n s les n o m b r e u x c h â te a u x
qui c o u v r a ie n t le pay s. C’e s t d a n s ce tte p a r tie d e la
P o lo g n e q u ’éta it s itu é le m a j o r â t de 200 000 livres de r e n te
d u m a r é c h a l D avo ut avec u n m ag n ifiq u e c h â te a u . N on loin
de ce b e a u m a n o ir se t r o u v a i t la Galicie a u t r i c h ie n n e , en
face de laq uelle f u r e n t établis d es p o s te s d ’o b se rv a tio n
b ie n q u e n o u s n e fu ss io n s p a s en g u e r r e avec ce tte p u is ­
sance, m a is s u r l ’avis q u e so n a r m é e se r e n f o rç a it co n s id é ­
r a b l e m e n t s u r ses f ro n ti è r e s .
A peine étais-je établi depuis quelques jours au château
MISSION
A BRESLAU.
— 1801.
151
de Czelemtziky chez le c o m te W u r s c h o w , d o n t l ’accueil m e
faisait p r é s a g e r u n s é jo u r a g ré a b le a u m ilie u de sa famille,
q u e j e fus a p p e lé p r è s d u c o lo n e l afin de re c e v o ir ses
i n s t r u c tio n s s u r u n e m is s io n q u e j ’a u r a is à r e m p l i r tr è s
in c e s s a m m e n t. P u is , cette affaire de service t e r m in é e , il m e
r e m i t le b r e v e t de chevalier de l ’o r d r e de la F id élité de
Bade que- v e n a it de lui a d r e s s e r p o u r m oi le p r in c e de
N eu c h âte l. Cette faveur, à la q u e lle je n e m ’a tte n d a is n u l­
le m e n t, m e fut e x p liq u ée p lu s ta rd .
L o rs de la paix de Tilsit, des croix é t ra n g è r e s f u r e n t
d o n n é e s a u x officiers de la Maison de l’E m p e r e u r et à la
Garde im p é ria le : le co rp s des G e n d a rm e s d ’o r d o n n a n c e y
fut n a t u r e l l e m e n t c o m p ris p o u r deu x, et je re ç u s la m ie n n e
c o m m e a y a n t été d éc o ré le p r e m i e r de ce corps.
L a m is s io n d o n t j e fus c h a rg é avec l ’a u to ris a tio n d u
m a ré c h a l M ortier, d o n t le q u a r ti e r g én é ral était à B reslau ,
fut de m e r e n d r e en c e tte ville à l ’effet d ’y é tab lir, so u s m a
su rv eillan c e spéciale, d es a te lie r s p o u r le r é g im e n t, y faire
c o n fe c tio n n e r d es effets d ’é q u i p e m e n t, r e m e t t r e l’a r m e ­
m e n t en état, et re c e v o ir u n e r e m o n t e assez c o n s id é r a b le
d o n t n o u s a v io n s u n u r g e n t b esoin.
« A m on père,
« Breslau, le 13 décembre 1801.
« L o rs q u e m a d e r n iè r e v o u s a n n o n ç a it n o tr e c h a n g e m e n t
de p o sition, j ’ignorais, m o n père, q u el en se ra it le r é s u lta t,
m a is, a u j o u r d ’h u i, j e p u is n o n s e u le m e n t vous r a s s u r e r s u r
les c r a in te s q u e cela v o us ca u sa it, m a is en m ê m e te m p s
vous m e ttr e à m ê m e d 'a p p r é c ie r to u s les a v a n ta g es q u e je
p u is r e t i r e r de m a situ atio n p r é s e n te . Le r é g im e n t a u q u e l
j ’a p p a r tie n s a b e a u c o u p souffert dans ce tte d e r n iè re c a m ­
pagne, ay a n t to u jo u r s form é l’avant-gard e de l ’a r m é e avec
158
SOUVENIRS
MILITAIRES.
le 7° H u s s a rd s c o m m a n d é p a r E d o u a r d Colbert, m o n c a m a ­
r a d e de p e n s io n ; ces p e r te s v o n t ê t re p r o m p t e m e n t r é p a ­
r é e s a u m o y e n de la c o n s c r ip tio n e t de belles r e m o n t e s
f o u r n ie s p a r le M e k lem bou rg .
« Le p o s te d ’a d j u d a n t- m a jo r q u e j ’o cc u p e (il n ’y en a q u e
d e u x d a n s la cavalerie) d e m a n d e de l ’activité, de l ’inte lli­
g enc e et d e l ’in s t r u c tio n m ilita ire ; ce tte d e r n iè r e qualité
la isse b e a u c o u p à d é s ire r , m a is , avec u n b o n v o u lo ir, l ’aide
de la th é o rie jo in t e à la p r a tiq u e , je su is c e r ta in d ’être av a n t
p e u p a r f a it e m e n t a u c o u r a n t ; m a is le difficile de m o n
e m p lo i, c’e s t de sa voir c o n s e r v e r la confiance d u colonel et
l’a m itié d e s officiers avec le s q u e ls il fa u t être à ch a q u e in s­
t a n t d a n s d e s r a p p o r t s de serv ice p lu s ou m o in s agré able s.
J u s q u ’à p r é s e n t, je n ’ai r i e n à d é s ire r à c e t égard, m e s
n o u v e a u x c a m a r a d e s a y a n t v u s a n s ja lo u sie la p la ce de
f a v e u r q u e j ’ai o b t e n u e ; a u s si ferai-je to u t m o n p o ssib le
p o u r m e m a i n t e n i r d a n s ces b o n n e s d isp o s itio n s. E n ce
m o m e n t j e s u is c h a rg é ici, à B reslau, d ’u n e m is sio n assez
im p o r t a n t e qui d e m a n d e r a u n e g r a n d e s u r v e illa n c e ; j ’ai
d û établir différents ateliers p o u r le r é g im e n t, ta n t p o u r la
c o n fe ctio n d e s é q u ip e m e n ts et la r é p a ra tio n d e l ’a r m e in e n t,
e t je d o is a u s si re c e v o ir so u s m a re s p o n s a b ilité u n e
r e m o n t e c o n s id é r a b le d o n t n o u s a v o n s u n b e s o in u rg e n t.
« B reslau e s t u n e f o rt b e lle ville, capitale de la Silésie
p r u s s ie n n e , o c c u p é e p a r le m a ré c h a l M ortier, qui y a son
q u a r t i e r g é n é ra l, de n o m b r e u s e s a d m in is t r a tio n s e t p l u ­
s ie u r s g é n é r a u x d e s q u e ls j ’ai r e ç u u n accu e il bienveillant,,
e n tre a u t r e s les g é n é r a u x S u c h e t et B ecker, ce d e r n ie r a y a n t
d e s r a p p o r ts avec l’A uverg ne p a r son m a riag e avec la s œ u r
de Desaix, le h é r o s de Marengo. B reslau étail a v a n t ce lte
d e r n iè re g u e r r e la place la p lu s forte de la S ilé s ie ; ce f u t
le co rp s d ’a r m é e de J é r ô m e B o n a p arte c o m p o s é de S axons,
de W u r te m b e r g e o is , de Bavarois et q u e l q u e s co rp s d 'a r ­
SÉJOUR
A BRESLAU.
— 1807.
139
m é e fra n ça is q u i e n firent le sièg e; la d éfe nse d es P r u s s i e n s
f u t vive; la place, e n to u ré e de fortifications g a rn ie s de
200 b o u c h e s à fe u et 6000 h o m m e s d ’in fan terie, r é s is ta
assez lo n g te m p s , m a is finit p a r c a p itu le r le 5 ja n v ie r 1807,
ce qui e n t r a în a la s o u m i s s io n de to u te la S ilésie et la c o m ­
p lè te d e s tru c tio n d e s fortifications qu i f u r e n t e n t i è r e m e n t
r a s é e s . La ville, s itu é e s u r l ’O der, est g ra n d e , ric h e , c o m ­
m e r ç a n t e et tr è s p o p u le u s e ; la h a u t e so c iété y e s t tr è s
n o m b r e u s e et fort a c c u e illa n te : a u s s i se passe-t-il p e u de
jo u r s qui n e s o ie n t e m p lo y é s e n c o n c e r ts , b als ou soirées,
d a n s le s q u e ls les officiers fra n ça is s o n t a d m is avec le
p lu s g r a n d e m p r e s s e m e n t. C’e s t d a n s ces ce rcle s, p eu p lés
de f e m m e s c h a r m a n t e s , q u e j e te r m i n e assez r é g u li è r e m e n t
m e s jo u r n é e s et j ’y tr o u v e d ’a m p le s d é d o m m a g e m e n t s à
m e s e n n u y e u x trav a u x . Mais, ce q u ’il y a de p lu s r e m a r ­
q u ab le, c ’e s t u n club f é m in in , offrant to u s les a g r é m e n ts
im a g in a b le s, d a n s le q u e l les p a tro n n e s s e s m e t t e n t a u ta n t
de grâce qu e d ’im p o r ta n c e d a n s le u rs f o n c tio n s, s ’o c c u ­
p a n t sa n s c e s s e d ’ê tre a g ré a b le s à to u t le m o n d e . A dmis,
p a r l ’in te r v e n tio n de m o n h ô te , d a n s ce ce rcle o ù v ie n n e n t
au ssi p lu s i e u r s g é n é r a u x e t officiers de l ’é t a t- m a jo r du
m a ré c h a l, j ’y ai tro u v é d e u x F ra n ç a is e s : l ’u n e e s t la
f e m m e d’u n g én é ral de division, l ’a u t r e la b a r o n n e d ’A...
q u i j o u i t ici de la m ê m e r é p u t a t i o n de b e a u té q u ’à P aris,
son m a ri o c c u p a n t u n e d e s p r e m i è r e s p la c e s a d m i n i s t r a ­
tives d u p ay s co n q u is. P lu s ie u r s salles é l é g a m m e n t m e u ­
b lé es se rv e n t, les u n e s p o u r les je u x de c o m m e r c e des
d a m e s e t d e s h o m m e s d ’u n c e rta in âge; u n e a u tre , a u
m ilie u de laqu elle se tr o u v e u n e v aste table r o n d e , e s t c o u ­
v erte d ’a l b u m s , de d e s sin s, de g r a v u r e s e t de q u a n t ité de
jo lie s co rb e ille s r e n f e r m a n t différents o u v r a g e s à p e in e
c o m m e n c é s p o u r ne finir p e u t-ê tr e j a m a i s ; p u is, v ie n t la
salle de c o n c e r t, o ù l ’on e n te n d de la m u s i q u e parfaite, et
160
SOUVENIRS
MILITAIRES.
enfin celle o ù l ’on d a n s e , p r e s q u e t o u j o u r s la m ie u x garnie
e t la p lu s h a b i té e . Y o us devez p e n s e r t o u t ce q u e p e u t
offrir d ’ag ré ab le u n e se m b la b le
r é u n io n c o m p o s é e
de
f e m m e s c h a r m a n te s , g r a c ie u s e s , a im a b le s , où r é g n e n t la
jo ie , le plaisir, la d an s e et les j e u x u n is a u m e ille u r ton,
s a n s en e x c lu re c e r ta in e s in tr ig u e s de c œ u r su ivies de
d o u c e s liaisons q u ’on refu se r a r e m e n t au x v a i n q u e u r s .. .
«À ces détails, qui v o us p r o u v e r o n t q u ’on p e u t allie r les
p la is ir s aux affaires, e s t v e n u se jo i n d r e u n in c id e n t de la
p lu s h a u t e gravité e t d a n s le q u e l je m e su is tr o u v é j o u e r
u n rôle à la v érité f o rt s e c o n d a ire , m a is q u i f u t s u r le
p o in t de t r o u b l e r la b o n n e h a r m o n i e q u i r é g n a it e n tre
n o u s et les h a b ita n ts . Déjà p lu s i e u r s d u e ls a va ie n t e u lie u
avec d es officiers p r u s s i e n s s a n s em p lo i, to u jo u r s p r o v o ­
q u é s p a r c e s d e r n ie rs , lo r s q u e le 2 d é c e m b re , le m a r é ­
ch a l M ortier, v o u la n t c é lé b r e r l’a n n iv e r s a ire d u sa cre de
N apo léon, d o n n a u n bal m ag n ifiq u e où fu re n t invitée s
to u te s les p e r s o n n e s m a r q u a n t e s de la ville. Il faut c ro ire
q u e , d a n s ce n o m b r e , p eu d ’h o m m e s y v in r e n t p a r affection,
m a is, d u m o in s , ils s ’y c o n d u i s ir e n t à peu p r è s to u s de la
m a n iè r e la plus c o n v e n ab le. C e p e n d a n t u n ex-colonel
p r u s s ie n , c a u s a n t avec tr o is p e r s o n n e s , e n a llem an d , tin t
d e s p r o p o s si in ju r ie u x s u r l ’E m p e r e u r q u e le capita in e
d ’a r tille rie G ourgaud , avec le q u e l j e m e tro u v ais, qui les
e n t e n d it et q u i p a rla it p a r f a it e m e n t ce tte la n g u e , lui dit :
« M o nsieur, si v o u s n ’étiez p as ici, j e v o u s d o n n e r a is u n e
« p a ire de soufflets, e t si v o u s avez u n r e s te d ’h o n n e u r , je
« v o u s engage à les c o n s id é r e r c o m m e les a y a n t r e ç u s . —
« P a rfa ite m e n t, r é p o n d le colonel, e t j'e s p è r e d e m a in v ou s
« m e ttr e h o r s d ’é ta t d ’en p arle r. » T o u t ceci se p a s sa it d ’une
m a n iè r e si fro id e m e n t c a lm e q u e nu l, ex c e p té les té m o in s,
n e p ouvait se d o u te r q u ’a u m il ie u de la m u s i q u e , des
d a n s e s et de la jo ie , se p r é p a r a it u n h o r rib le d ra m e .
UN DU EL DE G O U RG AUD . -
180*.
161
« Q uan t à G ourgau d, d ’u n c a r a c tè r e ch e v a le re sq u e , d ’u n e
b r a v o u r e r e m a r q u a b le e t avec l ’in so u c ia n ce de se s vingttr o is a n s, il m e s e rr a la m a in en m e d o n n a n t r e n d e z - v o u s
chez lu i p o u r le le n d e m a in m a tin à 6 h e u r e s et s ’en fut
d a n s e r c o m m e si de rie n n ’était. S e u le m e n t , il m e d it b a s a
l ’oreille, e n m e q u i t t a n t , de tâ c h e r de voir le colonel p o u r
lui d e m a n d e r q u e lle a r m e il c h o is is s a it; j e n e ta rd a i p o in t
à le jo i n d r e e t il m e d it : « Le p isto le t, c ’e s t p lu s tô t fait ; »
n o u s n o u s q u itt â m e s f r o i d e m e n t . C e p en d a n t, a p p r é c ia n t
to u te la gravité de ce tte affaire, dan s la q u e lle il fallait u n e
v ic tim e p a r la m a n i è r e d o n t elle était en gagée, m a r e s p o n ­
sa bilité de té m o in m e ca u s a it u n e te lle anx iété q u e j ’avais
c o m p lè t e m e n t o u b lié la d a n s e u s e q u i m ’avait ac c o rd é la
valse q u ’o n jo u a i t en ce m o m e n t , lo r s q u e le g én é ral S u c h e t
s ’e n a p e r c e v a n t : « Eh b ie n ! m e dit-il, la p r in c e s s e Czer« niskovva v o u s a t te n d i m p a t i e m m e n t e t v o tre négligence
« p o u r r a i t v o u s faire p e r d r e ses faveurs, ca r vous savez
«
«
«
«
q u ’elle est ex ig ea n te et ja lo u s e . — C’e s t vrai, m o n géné ral, rép o n d is-je , je vais lui faire m e s ex c u se s et la p r i e r
de m e la is s e r lib r e u n m o m e n t , a y a n t à v o u s e n t r e te n i r
s u r u n e chose fo rt i m p o r ta n te et d a n s la c r a in te d ’en
« p e r d r e l ’o cc as io n . — Mais c ’est d onc bien grave ? — Exces« siv e m e n t. — E h bie n ! allez v ous dég a g er de votre m ie u x
«
«
le
«
e t venez m e tro u v ez dan s le ca b in e t d u m a ré c h a l, n o u s y
s e r o n s seuls. » En effet, la c h o s e se fit ainsi, et j ’in fo rm a i
g én é ral de to u t ce qui s ’était p a s sé : « C’e s t vrai q u e
c ’e s t tr è s grave, m e dit-il, ce colon el est le c o u s in g er-
« m a in d u g én é ral T auzin qui a été tu é en d é fe n d a n t Bres« lau, il j o u i t ici d ’u n e g ra n d e c o n s id é r a tio n , m a is ce
« n ’éta it p o in t u n e r a is o n p o u r in ju r ie r l ’E m p e r e u r . J ’ap« p r o u v e f o rt la c o n d u ite d u c a p ita in e G o urgaud p o u r
« le q u e l je f o rm e d e s vœ ux b ie n s in c è r e s ; v o u s avez bie n
« fait de m ’in s t r u ir e de ce tte affaire et j e m e c h a rg e d ’a r-
m
SOUVENIRS
MILITAIRES.
« r a n g e r cela avec le m a r é c h a l; s e u l e m e n t tâ che z q u ’on
« n ’e n p a r le p as d a n s le bal. » J e p u s l ’e n a s s u r e r , et n o u s
r e n t r â m e s d a n s le salon, m o i a y a n t la co n s c ie n c e d e ce q u e
je v e n a is de faire d a n s l ’in té r ê t de m o n c a m a ra d e . P e u
a p rè s, j e r e n tr a i chez m o i fort im p r e s s io n n é p a r ce qu i de­
vait se p a s s e r d a n s q u e l q u e s h e u r e s .
« Dès la p o in te d u j o u r d u 2 d é c e m b re , u n p e tit billet d u
c o m m a n d a n t d ’a r tille rie F le u r io t m e p r é v e n a it q u ’il v ie n ­
d r a it d a n s la m a tin é e m e p r e n d r e avec u n e v o itu re . En
effet, a u coup de s e p t h e u r e s n o u s p a r tî m e s , G ourgaud, le
c o m m a n d a n t, u n c h i r u r g ie n - m a jo r et m oi, e m p o r t a n t u n e
boîte de p isto le ts et u n e épée de c o m b a t. V ingt m i n u t e s
a p r è s n o u s é tio n s s u r le te r r a i n choisi, o ù a r r iv è r e n t,
p r e s q u e e n m ô m e te m p s , le co lo nel T auzin avec se s d eux
té m o in s . « M essieu rs, dit ce p r e m i e r , d a n s le fra n ça is le
« p lu s c o r r e c t, il e s t in u tile, j e p e n s e , d ’e n t r e r en expli«
«
«
«
ca tio n s s u r le m o ti f qui n o u s c o n d u it ici; j ’ai r e ç u l ’in s u ite la p lu s grav e q u ’o n p u is s e faire à u n m ilita ire , je
v eu x d o n c e n tir e r ven g e an c e v ou s la issa n t le soin d ’en
r é g le r les co nditions. » A près ces p aro le s, les p isto le ts
visités f u re n t c h a rg és, d eux ép é es p la n té e s à tro is p a s de
d is ta n c e et les d e u x a n ta g o n is te s placés à q u in z e p as avec
la faculté d e m a r c h e r et ti r e r à volon té, a p r è s tro is c o u p s
f ra p p és dan s les m a in s .
« G o u rg a u d m ’av ait c h a rg é de dire q u ’il c o n s e n ta it à
r ec ev o ir le p r e m i e r feu et d e m a n d a it q u ’a p r è s les q u a tre
c o u p s tiré s s a n s r é s u lta t, on se b a t tit à l ’é p é e ; le colonel
r e f u s a n o b l e m e n t la p r e m i è r e p r o p o s itio n et a c c e p ta la
se co n d e . C ette affaire ainsi a r r ê té e avec le p lu s g r a n d
c a lm e , le b a r o n d e F r e tz in g e n fu t c h a rg é de d o n n e r le
signal. D eux c o u p s p a r t i r e n t en m ô m e te m p s et le colonel
frappé en ple in e p o itr in e s ’affaissa e n d isa n t. « J e suis
« m o r t. » N ous n o u s e m p r e s s â m e s to u s a u t o u r de lui ; n o tr e
SÉJOUR
A RRESLAU.
— 18 0 7 .
*63
m é d e c in lui d o n n a les p r e m i e r s so in s et on le t r a n s p o r t a
d a n s sa v o itu r e . A ussitôt r e n t r é en ville, j e fus r e n d r e
c o m p te a u g én é ral S u c h e t d u r é s u l t a t d u c o m b a t; il e n
in f o rm a s u r - l e - c h a m p M. le m a r é c h a l M ortier. P e n d a n t
d e u x jo u r s , o n e s p é r a s a u v e r le b le ssé, m a is il s u r v i n t u n e
h é m o rr a g ie avec u n r e d o u b l e m e n t de fièvre q u i e m p o r t a
le m a l h e u r e u x colonel.
« Cette affaire m i t u n p e u de froid d a n s la société. Gourgaud f u t envo yé en m is s io n , les P r u s s i e n s r e t i n r e n t le u r
la n g u e , et c o m m e de to u te cho se, on n ’y p e n s a p l u s 1.
« J e m e s u is la issé e n t r a î n e r à c et é p iso d e, m o n p è r e , e n
v o u s d o n n a n t q u e l q u e s d étails s u r m o n s é jo u r à B re s la u ;
il faut m e p a r d o n n e r ce b ava rdage qui, a u fait, doit ê tre
p o u r v o u s d ’u n bie n faible i n té r ê t; m a is il e n e s t p arfo is
de la p lu m e et de la p e n s é e c o m m e d ’u n e p a rtie de ch a sse
d o n t s o u v e n t le b u t e s t d é t o u r n é , m a is a u q u e l on r e v ie n t ;
e t c ’e s t au ssi ce q u e je vais faire en v o u s p a r la n t de m o n
frère. V ous savez q u e n o u s s o m m e s s é p a r é s e t d é jà b ie n
é loign és l’u n de l ’a u t r e sa n s savoir q u a n d e t c o m m e n t n o u s
p o u r r o n s n o u s rev o ir, n ’a y a n t d ’a u tre co n s o la tio n q u e celle
de n o u s éc rire . Sa d e r n iè r e le ttr e m ’a fort affligé e n m ’a n ­
n o n ç a n t la m o r t de m o n b ra v e e t fidèle B o u r b o n n a is q u e
j ’avais été c o n t r a in t de la isse r à l ’h ô p ita l d e K œ n ig sb erg
a tta q u é d ’u n espèce de t y p h u s qui laissait p e u d ’es p o ir de
le sa uver, et j e v o u s jo in s ici le f aire-p art q u ’il v ie n t de
m ’a d r e s s e r s u r le déc ès de ce fidèle s e r v it e u r :
« On n e r ev ien t ja m a is du rivage d es m orts.
Tu sau ras, m on a m i, q u ’ap rès de vains efforts,
Ton p re m ie r écu y er, de g lo r ie u se m é m o ir e,
A te rm in é se s jo u r s, p o in t au sein de la g lo ir e ,
t. C’est ce même Gourgaud qui devint plus tard premier officier
d’ordonnance de Napoléon, le suivit à Sainte-Hélène, revint en France
164
SOUVENIRS
MILITAIRES.
Mais dans c er ta in sé jo u r , dans cet en d ro it fatal
Que pour tr a n c h e r enfin n o u s n o m m o n s h ôp ital.
J’ign ore m a in te n a n t si la p om p e fun èb re
A dû rép on d re en to u t à c e t h o m m e c é lè b r e ;
Mais je crain s q u ’un c e r c u e il sim p le m e n t fabriqué
Ne c o n tien n e au jou rd ’h u i ce corp s in a n im é .
Je le sen s, j e le v o is, c ette n o u v elle affreuse
D evra fa ire à ton cœ u r u n e p la ie d o u lo u reu se.
Mais en fin , m on am i, ce grand h o m m e n ’e st plus !
B orne d on c te s c h a g rin s, le s regrets su perflus,
A ccorde te s b ie n fa its au su cc e sse u r m o d e ste ,
L’h ab itan t du N ié m en , au ssi brave que le s te ,
Que B o u rb o n n a is 1 form a, qu e lu i-m ê m e il c h o isit,
Qu’il se p lu t à d r e sse r e n d irig ea n t T ils it2.
M aintenant qu e j ’ai su co m p a tir à tes p e in e s,
P e r m e ts que dans ton se in j e verse a u ssi le s m ie n n e s.
Tu sa is c o m b ien l ’a m o u r a, su r m on con fid en t,
De p o u v o ir e t d ’a ttra its? Tu co n n a is son p en c h a n t?
H élas! Il payera ch e r tou s se s p la isirs fa c iles,
Ces g r o ssie rs r en d e z-v o u s de filles in h a b ile s.
L’E sculap e en ce jo u r veu t tr a ite r m on ga illa rd
C om m e le fut ja d is l ’a m o u r e u x A b eilard .
Tu com p ren d s son e ffr o i!
»
« J e suis s u r p r i s q u e m o n frè re n e v o u s ait p o i n t d o n n é
d e s d étails s u r s o n colonel, c a r cela v o u s e û t r a p p e lé q u e
jo rs de n o t r e é m ig r a tio n à D u sse ldorf, il é ta it avec d ’Avar a y et Le P e lle tie r de M orfontaine, u n de m e s a m is in tim e s ;
p lu s âgé que m o i de d e u x o u tr o is a n s, s o n p h y s iq u e
a g ré a b le et ses ta le n ts r e m a r q u a b l e s c o m m e m u s i c ie n et
après son décès, en 1830 fut fait lieutenant général, aide de'cam p de
Louis-Philippe et est mort pair de France.
1. C’est ce brave serviteur qui, à l’affaire de Neutgarden en Poméra­
nie, vint combattre près de moi, ainsi que je l ’ai écrit dans le temps.
2. Tilsit est le Cosaque prisonnier auquel je donnai ce nom en le
prenant à m on service et dont la fidélité, ainsi qu’on le verra, n’a eu
de terme que le jour où il eut, près de m oi, la tête emportée par un
boulet de canon.
SÉJOUR
A BRESLAU.
— 1 80 7 .
165
p e in tr e le fa isa ie n t fort r e c h e r c h e r d a n s la société. P lu s
ta rd , l o r s q u e le s F ra n ç a is v i n r e n t s u r les b o r d s d u R hin,
a lo rs que, m a lg r é m e s q u a to rz e a n s, v ous m ’envoyiez à
l ’A r m é e de Condé, m o n h o m o n y m e H ippo lyte de P iré , d o n t
le p è r e était r e n tr é en F ra n c e , se m it d a n s u n e b a r q u e , tr a ­
v e r s a le fleuve e t f u t s ’e n g a g e r dan s u n r é g im e n t de h u s ­
sa rd s , o ù s a b r illa n te c o n d u ite le fit p r o m p t e m e n t n o m m e r
officier. P lu s ta rd , il v in t à P a r is o ù sa r é p u ta tio n de
b ra v o u r e , so n s u p e r b e p h y s iq u e j o i n t s à ses ta le n ts , lui
m é r i t è r e n t le s f a v e u rs d ’u n e fe m m e r e m a r q u a b le p a r sa
b e a u té e t d o n t la p o sitio n la m it à m ê m e de faire o b te n ir
de l ’a v a n c e m e n t à so n p r o té g é . De P i r é d e v in t c h e f d ’esca­
d ro n , aid e de c a m p d u p r in c e de N eu c h âte l, et, fait colonel
de c h a s s e u r s à cheval d a n s la c a m p a g n e de Tilsit, il e û t
d é s ir é m ’av o ir d a n s son r é g i m e n t ; m a is a y a n t été désigné
s p é c ia le m e n t p a r l ’E m p e r e u r a u g ra d e d ’a d ju d a n t- m a jo r
au 5e r é g i m e n t de H u s s a rd s , il d u t r e n o n c e r p o u r le m o m e n t
à ses b o n n e s d isp o s itio n s à m o n égard, lo rsq u e , le h a s a r d
p la ç a n t m o n frè re s o u s ses o r d r e s , il lu i fit l’a c c u e ille plus
e m p r e s s é et m ’éc riv it q u ’il avait s o u v e n t à la p e n s é e le
so u v e n ir de n o s j e u n e s a n n é e s e t c o m b ie n il se ra it h e u ­
r e u x de tr o u v e r l ’o cc as io n de m ’en d o n n e r d es p reu v e s.
« A dieu, m o n p è r e ; à b ie n tô t. »
« Landsberg, 28 décembre 1807.
« L a date de c e lte le ttre , c h e r frère, d o it te faire p e n s e r
qu e B reslau n ’e s t plu s p o u r m o l q u ’u n s o u v e n ir, p u i s q u ’en
ce m o m e n t j ’en su is éloigné de p lu s de 60 lie u es. C epen­
d a n t m e s i m p r e s s io n s s o n t e n c o re tr o p vives p o u r n e pas
t ’e n r e tr a c e r u n e p a rtie , la issa n t de côté celles d o n t il e s t
in u tile de t ’e n t r e t e n i r e t qui a p p a r t i e n n e n t à l ’âge des
p a s sio n s. T u sais que le m o ti f de m o n sé jo u r d a n s cette
166
SOUVENIRS MILITAIRES.
ville, qui a été de tr o is m o is , co n s is ta it d an s la m is s io n
d o n t j ’étais c h a r g é ; j e l ’ai r e m p l i e c o n s c ie n c ie u s e m e n t,
s u r t o u t p a r l ’envoi de 132 c h e v a u x e t le r e f u s de 18 que
vainem ent
v o u la it
m ’i m p o s e r
un
m a jo r ,
ch a rg é
des
r e m o n t e s d o n t je v e u x o u b lie r le n o m . Il n e m e r e s ta it
d o n c p lu s q u ’à r e jo i n d re le 5e H u s s a rd s , lo r s q u e je r e ç u s
u n e l e t t r e f o rt aim a b le d u c o lo n el, m ’a n n o n ç a n t le pro ch a in
d é p a r t d u r é g im e n t e t so n p a s sa g e p a r B reslau , et m ’a u t o ­
r i s a n t à l ’y a t t e n d r e ; d éjà m ê m e , je faisais m e s a d ie u x de
d e v o ir et de s e n tim e n t, lo r s q u e ce tte n o u v e lle m ’a r r iv a et
c ’e s t à c e tte c irc o n s ta n c e q u e je d ois d ’av o ir été té m o in et
a c te u r d ’u n é v é n e m e n t d o n t le so u v e n ir n e s ’effacera
j a m a i s do m a m é m o i r e et qu e j e vais te r a c o n te r d a n s to u s
se s d étails et la v é rité la p lu s exacte. Mais, avant, j e c o m ­
m e n c e r a i p a r te r e n d r e c o m p te d ’u n d é j e u n e r p e u m o r a l
a u q u e l j ’a s sista is, d o n n é p a r le c o lo n el de d r a g o n s L a m o th e .
Il y avait les g é n é r a u x F o u rn ie r, L ah o u ss aie , A u g u ste Colb e r t e t Pajol, le c olonel L a fe rriè re -L é v ê q u e d u 3° H u s sa rd s,
p u is l ’a d j u d a n t - m a j o r d u C o ë tlo sq u e t avec p are il n o m b r e
de b e a u té s p r u s s i e n n e s et p o lo n a is e s . Un in c id e n t v in t
t r o u b le r m o m e n t a n é m e n t n o tr e gaieté b r u y a n te , p o u r faire
place à u n sp e cta cle qui m ’e û t s e m b lé in v ra ise m b la b le , si
j e n ’e n n ’avais été té m o in , e t p o u r lequel j e fus lo in de p a r ­
ta g e r l ’a d m ir a tio n de p lu s i e u r s convives. On é ta it a u d e s ­
s e r t; le vin de C h a m p a g n e co u lait à flots et le s t ê te s c o m ­
m e n ç a i e n t à s’échauffer, l o r s q u e p a r u t u n drag o n d ’o r d o n ­
n a n c e , p o r t e u r d ’u n pli p o u r le g é n é r a l F o u r n i e r - d o n t il
d e m a n d a it u n re ç u . « C 'est* juste, m o n g a rç o n , lui d it le
« g éné ral, j e vais t ’e n d o n n e r u n qui n e s ’effacera p a s , » et,
lui r e m e t t a n t l’e n v e lo p p e à la m a in : « T iens, p la ce -to i au
« b o u t de la salle, le b ras te n d u , si tu n ’as p a s p e u r . — J e
« n e co n n a is .pas cë m o t- là », r é p o n d it le d r a g o n e n se
m e t t a n t e n p o sitio n s a n s t é m o i g n e r la m o i n d r e é m o tio n .
LE
COLONEL
DO. . .
— 1807.
167
« Alors, le g én é ral, p r e n a n t u n d es p isto le ts d u colonel
L a m o th e , vise, p e r c e l ’e n v e lo p p e d ’u n e b alle et d o n n e
40 fra n c s à l’o rd o n n a n c e . Celui-ci e n s o u r ia n t se m i t en
p o s itio n de n o u v e a u en a j o u t a n t : « Mon g é n é ra l, si v o u s
« v oule z y m e t t r e vo tre p a r a p h e , j e s u is t o u t p r ê t. » F o rt
h e u r e u s e m e n t ce tte é p r e u v e n e se r e n o u v e la pas, et le
d ra g o n se r e ti r a a p r è s av o ir avalé d ’u n tr a it u n e boute ille
de vin.
« J ’a v o u e q u ’il n e m e f u t pas p o ssib le de p a r ta g e r l ’h i ­
la rité p r e s q u e g é n é ra le ; ce tte sc è n e p r o d u is a it s u r m oi u n e
p é n ib le é m o tio n , et j ’a d m ir a i b e a u c o u p p lu s le c o u ra g e u x
sang-froid d u drag o n q u e l ’a d r e s s e du g én é ral. Le s u r l e n ­
d e m a in , le c h e f de b a ta illo n D o..., a tta c h é à l ’é tat-m a jo r
g én é ral, v e n a n t d ’ê tre n o m m é colonel d ’in f a n te r ie avec i n ­
j o n c tio n de p a r ti r s u r - l e - c h a m p p o u r l ’E sp a g n e o ù se t r o u ­
v ait so n r é g im e n t, v o u lu t in a u g u r e r sa n o m in a tio n p a r u n
p u n c h a u q u e l f u re n t in v ité s p lu s i e u r s g é n é r a u x et a u t r e s
officiers de to u s g r a d e s , d o n t j e faisais p artie. U ne sé an c e
de ce g e n r e n e p o u v a it g u è r e avoir p o u r a c c e sso ire s
q u e le p u n c h , la pipe et le je u , au s si il e n f u t a i n s i; u n e
b o îte r e m p lie de dés se rv it d ’a r m e s a u x c o m b a tt a n ts e t la
lu tte c o m m e n ç a . P e n d a n t q u e lq u e te m p s , le s ch a n ce s
f u re n t assez égales ; m a is enfin elles t o u r n è r e n t d ’u n e m a ­
n iè re te lle m e n t favorab le a u n o u v e a u colon el q u ’en p e u
d ’in s ta n ts il e u t devant lui u n e m a s s e d ’or et d ’a r g e n t c o n ­
sidérable.
« J ’allais m e re tire r, lo r s q u e Charles d u C o ë tlosque t,
s ’a p p r o c h a n t de moi, exigea la p r o m e s s e q u e n o u s s o r ti­
r io n s e n s e m b le . P e u à p e u , to u t le m o n d e s ’étant, écoulé,
n o u s r e s tâ m e s se u ls avec l ’h e u r e u x a m p h y tr io n . « Mon« s ie u r le colonel, » lui dil m o n c a m a ra d e en p r e n a n t négli­
g e m m e n t s u r la ta b le les tro is dés, c a u s e de n o s d é s a stre s
c o m m u n s , « il e s t m in u i t m o in s u n q u a r t, v o u s v o u d re z
168
SOUVENIRS
MILITAIRES.
« bien , j ’e s p è re , n o u s d o n n e r n o tr e re v a n c h e ju s q ir ’a u
« m o m e n t o ù l ’h e u r e so n n e ra . — Q u ’à ce la ne tie n n e , lui
« r é p o n d it celui-ci, car je su is v é r it a b le m e n t h o n te u x de
« m o n b o n h e u r . » J e déclarai ne v o u lo ir p lu s jo u e r , t r o u ­
v a n t m a p e r te de d o u ze Frédérics d ’o r p lu s q u e suffisante
p o u r m a b o u r s e . « Sois tr a n q u ille , — m e d it Charles, avec
« le p lu s g ran d sang-froid, — j ’en ai p e r d u quinze co m p ta n t,
« j ’en dois t r e n t e - s e p t et to u t cela s’a r r a n g e ra . M onsieur le
« c o lo n e l m e fera u n e d é c la ra tio n éc rite dan s laquelle il
« s ti p u le r a n ’av o ir r ie n à m e r é c la m e r e t e n o u tr e n o u s
« r e s t i t u e r a l ’a r g e n t c o m p t a n t q u e n o u s avons p e r d u . »
« J e cro y a is q u e le p u n c h avait t o u r n é la ce rv elle à m o n
c a m a ra d e ; m a is celui-ci, avec le m ê m e c a lm e : « N’est-ce
« pas, M o nsieur le colonel, lui dit-il, q u ’a v a n t'le co u p de
« m i n u i t v o u s aurez sa tisfait a u d é s ir q u e je vie n s d ’ex« p r im e r . — J e n e p u is concevoir, r e p a r ti t le colonel, la
« signification d ’u n e m a u v a is e p la is a n te r ie ; je la tr o u v e
« m ê m e a u s s i d é p la c é e q u ’i m p e r tin e n t e et, n ’é ta it la dis« ta n c e d e s g ra d e s q u i existe e n tre n o u s , j e v o u s d e m a n « d era is s u r - l e - c h a m p la satisfaction de votre in so le n c e . »
« S tu p é fa it de t o u t ce q u e j ’e n t e n d a is sa n s y r ie n c o m ­
p r e n d r e , sin o n q u ’u n orag e te rr ib le et sa n g la n t était s u r
le p o in t d ’é c la te r , j e n e ta rd a i p o in t à ê tre i n s t r u i t de ce
d o n t il s ’agissait.
« M o n sieu r le colonel, lui d it C harles, le g r a d e n ’e s t p o u r
« r i e n d a n s to u t e ce tte affaire ; je r e s p e c te ra is vos épa u« le tte s , si v o u s e n étiez d ig n e ; m a is u n e c h o s e -certaine
« c’e s t q u e H ip poly te et m oi, q u i ne s o m m e s q u e capitain es,
« n o u s avons le d r o it de v o u s faire b a isse r les yeux. Ce« p e n d a n t, c o m m e h o m m e , je su is t o u t p r ê t à v o u s d o n « n e r satisfaction de l’in su lte qu e v ous croyez avoir r e ç u e
« de m o i; m a is, en ce m o m e n t, il v ous reste s e u le m e n t
« cinq m i n u t e s p o u r e x é c u t e r m e s v o lonté s, et je v o u s
LE
COLONEL
DO. . .
-
1807.
169
« d é c la re q u e , ce te m p s p assé, c ’e s t e n t r e les m a in s de
« M. le m a ré c h a l que s e r o n t déposés les d é s p ip é s avec
« le s q u e ls v o u s avez e s c r o q u é n o tr e a rg e n t. »
« Le c o lo n e l, p âle, t r e m b la n t de colère, d a n s u n p a r o x y s m e
effrayant, se lève b r u s q u e m e n t , s ’e m p a r e d ’u n p istolet,
fait feu s u r m o n a m i et le m a n q u e . S a u ta n t a u s s itô t s u r
m o n s a b re p o u r en p e r c e r ce m is é r a b le , j ’allais m e j e t e r
s u r lui, lo r s q u e d e u x sold a ts de p la n to n , attir é s p a r la d é ­
to n a tio n e n t r e n t d a n s la c h a m b r e : « Retirez-vo us, d it le
« colonel, je n e v o u s ai p o in t a p p e lé s ; » p u is, r e p r e n a n t
son sang-froid : « M essieurs, n o u s dit-il, j ’ai failli ê tre u n
« as sass in , j e su is à votre d isp o s itio n , m a is u n se m b la b le
« so u p ç o n m ’avait e x a s p é r é ; recevez m e s ex c u se s s u r cet
« affreux e m p o r t e m e n t. — Non, M onsieur, lui r ép o n d is-je ;
« le fait e s t vrai o u faux, e t la r é p a r a tio n doit ê t re écla«
«
«
«
ta n te ; n o u s allons s u r -l e - c h a m p e n v o y e r c h e r c h e r p lu s ie u r s d e s p e r s o n n e s qui o n t p a s sé la so irée ici et les
dés s e r o n t b risé s e n p r é s e n c e de n o u s t o u s ; voyez si
vous y c o n s e n te z ? — N on, r e p r it avec f u r e u r cet ig noble
« p e r s o n n a g e , p ren e z to u t l ’o r et l ’a r g e n t q u i e s t s u r la
«
«
«
«
«
ta b le e t j e m ’eng age à ne ja m a i s r i e n r é c l a m e r de ce qui
m ’e s t dû, m a is r e n d e z - m o i les dés et q u e c e tte affaire
s o it oubliée, car, d e q u e l q u e m a n i è r e q u ’elle to u r n e , le
r é s u lt a t e n s e ra it t o u j o u r s affreux p o u r m oi. — Im p o ssiblo, lui dit Charles qui n ’avait p as b o u g é de d e s s u s sa
« ch aise et c o n s e r v a it u n c a lm e im p e r tu r b a b le , il m e f a u t
« votre d é c la ra tio n p a r é c rit, ou j e v o us d é s h o n o r e à la
« face de t o u te l’a r m é e ain si q u e v o u s le m é rite z . »
« Cette te rr ib le sc èn e s e m b la it n e p o u v o ir se te r m in e r ,
l o r s q u ’il m e s u r v in t u n e idée p o u r t â c h e r d ’a r r a n g e r cette
é p o u v a n ta b le affaire.
« J e p ro p o sa i q u e le colon el r e c o n n û t p a r écrit, de la
m a n iè r e la p lu s sim p le, q u ’il avait r e ç u de Charles l ’a r g e n t
no
SOUVENIRS
MILITAIRES.
q u e celui-ci devait, p u is q u ’à l ’in s t a n t, n o u s n o u s e m p a r e ­
r io n s de to u t e s les s o m m e s g a g n é e s p o u r les d o n n e r a u n e
p a u v re fam ille française, établie en ville d e p u is p lu s i e u r s
a n n é e s ; q u e le s d és s e r a ie n t b r is é s et j e té s a u feu sa n s
e x a m e n et q u ’à ce p rix n o u s n o u s e n g a g io n s à g a r d e r le
silence.
« Le b ille t f u t é c r it d ’u n e m a in t r e m b l a n t e ; Charles en
fit f r o id e m e n t la l e c tu r e , le p lia c o m m e s ’il v o u la it le c o n ­
se rv e r, p u is le livra a u x fla m m e s avec les dés. N ous e m p o r ­
t â m e s 3 465 fra n c s p r o d u its de l ’e s c r o q u e r ie , p o u r e n faire
l ’usage décidé, s a n s m ê m e e n d is tra ir e n o tr e p e r te , et, en
q u itt a n t c e t h o m m e m é p risa b le , n o u s lu i signifiâmes de ne
ja m a i s n o u s p a r l e r si l’o ccasion de n o u s r e n c o n t r e r se
p r é s e n ta it.
« Ainsi se t e r m i n a c e tte d é g o û ta n te et ig n o b le affaire.
« A la p o in te d u j o u r , le colonel p a r tit p o u r la Catalogne,
e m p o r t a n t n o tr e m é p r i s et le r e g r e t de sa v o ir d e s braves
c o m m a n d é s p a r u n c h e f a u s si in d ig n e *.
« T ro is j o u r s a p r è s c e t é v é n e m e n t, le r é g im e n t a rriv a
à B reslau q u e n o u s q u itt â m e s le s u r le n d e m a in . N otre
m a r c h e , qui a d u r é h u i t j o u r s p a r u n froid excessif, n ’a pas
la issé q u e d ’ê tre tr è s fatigante, le r é g i m e n t é t a n t to u s les
1. Pour on finir sur ce sujet, je dirai qu e.le colonel D ...* maître
d’armes avant la Révolution, fut destitué sous l’Empire pour malver­
sations, et lors de la Restauration se présentait comme une victim e ;
il devint maréchal de camp, puis lieutenant général avec une répu­
tation militaire fort équivoque et ayant acquis une espèce de célé­
brité politique qui s’est éteinte pour faire place au m épris général...
Quant à m on ami, sa carrière fut brillante et honorablement ac­
quise; la Restauration le trouva colonel de hussards ; il devint lieute­
nant général dans la garde royale, directeur du personnel au m inis­
tère de la Guerre; donna sa dém ission à la Révolution de Juillet et
vint comme Cincinnatus labourer ses champs et mourir en emportant
le souvenir et les regrets denses compagnons d’armes.
* (Il s’agit ici du général Donnadieu.) P . M.
QUARTIER
D’ H I V E R
A LANDSBERG.
— 1 8 0 7 - 1 808.
171
j o u r s d é ta c h é d a n s les villages, m o in s le chef-lieu, h a b i t u e l ­
l e m e n t o cc u p é p a r l ’é t a t- m a jo r et la co m p a g n ie d ’élite.
C’e s t ainsi q u e n o u s avons atte in t L a n d sb e r g , f o rt jolie
ville d e la P r u s s e , s itu é e s u r la W a r th a , très p o p u le u s e ,
c o m m e r ç a n te et h a b i té e p a r des fam illes c o n s id é r a b le s
d o n t n o u s r e ç û m e s le m e ille u r accueil. Logé chez le b o u r g ­
m e s t r e de l ’e n d ro it, ce d ig n e m a g is tr a t m ’a offert, avec
t o u te so r te d ’a m é n ité , u n b o n g îte, u n e table a p p é tis s a n te
to u jo u r s g a rn ie d ’ex c ellen ts vins, et p a r - d e s s u s t o u s ces
av a n ta g es, la société de sa famille p a r m i la q u elle sé t r o u ­
vait u n e c h a r m a n t e et aim ab le p e r s o n n e , p a r la n t p a r f a ite ­
m e n t le fra n ça is, t r è s b o n n e m u s i c ie n n e et d ’u n c a r a c tè r e
p e u faro u ch e . Cet a p e r ç u d o it te p r o u v e r q u e n o u s s o m m e s
d e s tin é s à p a s s e r u n ag ré ab le q u a r ti e r d ’hiver, si tou tefois
l ’on v e u t b ie n n o u s y la isse r, fa isa n t d e s v œ u x b ie n s in ­
c è r e s p o u r q u e t o n gîte soit a u s s i c o n f o r ta b le q u e celui
d o n t j e su is e n p o s s e s s io n en ce m o m e n t.
« A dieu d o nc, c h e r f r è r e ; ne m e la isse p lu s la n g u ir si
l o n g te m p s à m e d o n n e r de te s n o u v elles , et q u e l le s q u e
so ie n t te s d istra c tio n s, fais-y trêve u n m o m e n t e n fav eur
de t o n m e ille u r am i. »
« A C h a r l e s cle la B é d o y è r e à M i la n .
« J e n e p u is t ’e x p r im e r , m o n am i, t o u t le p la isir q u e m ’a
fait é p r o u v e r ta b o n n e et a im a b le m is siv e . Ce so u v e n ir de
ta p a r t é ta it la m e ille u r e p r e u v e de to n c o n s ta n t a t ta c h e ­
m e n t p a y é d ’u n r e t o u r b ie n s in c è r e ; j ’e u s s e p r is m ê m e
ce tte initiative, m a is a y a n t a p p r is q u e tu avais q u itt é le
l l ° C h a s s e u r s s a n s c o n n a îtr e ta n o u velle d e s tin a tio n , j ’a t t e n ­
dais fort im p a t i e m m e n t q u e tu m ’e n in f o rm a sse s.
« Te v oilà d o n c aide de c a m p d u p r in c e E u g è n e ; t u n e
po u v a is c e r te s avoir u n m e i l l e u r p a t r o n , t a n t p a r sa h a u t e
p o s it io n et ses ta le n ts m ilita ire s q u e p a r ses q u a lité s p e r ­
SOUVENIRS
172
MILITAIRES.
s o n n e lle s q u e j e p u is d ’a u t a n t m i e u x a p p r é c ie r q u ’il n ’a
p o in t o u b lié l ’in tim ité qui ex ista it e n t r e n o s d e u x fam illes
a v a n t la R é v o lu tio n et les p r e m i è r e s i m p r e s s io n s de n o tr e
enfance.
« T o u t ce q u e tu m e dis s u r la c o u r de la Vice-reine, son
e n t o u ra g e , c e tte belle ville de Milan et les fête s qui s ’y
d o n n e n t, e s t re m p li d ’i n t é r ê t et n e fait q u ’a u g m e n t e r m a
sa tis f a c tio n de te v o ir pla cé d a n s u n e s p h è r e si a n a lo g u e
à to n c a r a c tè r e : a u s si j e n e d o u te n u l l e m e n t de te s su c cè s
et d u b r illa n t a v e n ir q u i t ’e s t rése rv é .
« Il p ara ît, a u r e s te , q u e la f o rtu n e s o u r i t a u x G e n d a rm e s
d ’o r d o n n a n c e , en v o y a n t le c o m te de M o n tm o re n c y atta c h é
à la M aison m ilita ire de l ’E m p e re u r, D’A rb e rg c h a m b e lla n ,
Carion de N isas colonel de d ra g o n s, S o u rd is c h e f d ’e s c a ­
d r o n des m a m e l u k s , d ’A lb u q u e r q u e aide de c a m p d u m a ré
ch ai L an n e s, De V ence a tta c h é à M urât, d ’A re m b e rg officier
d ’o rd o n n a n c e de l ’E m p e r e u r , d ’A lbignac c olon el aide de
c a m p d u r o i d e W e s tp h a lie , N orv in s de M o n tb r e to n q u i a
q u itté le sa b re et e s t m a i n t e n a n t m a g is tr a t, e t ta n t
d ’a u t r e s p lu s ou m o in s a v a n ta g e u s e m e n t placés. Q u a n t à
m o i, j ’ai cru devoir, q u o iq u e b ie n à r e g r e t, r e m e r c i e r le
g é n é ra l S u c h e t de l ’h o n n e u r q u ’il m e faisait e n m e p r o p o ­
s a n t d ’ê tre son aide de c a m p , lu i o b je c ta n t q u e là m a n iè r e
spéciale d o n t l ’E m p e r e u r m ’avait n o m m é si p u b liq u e m e n t
a d j u d a n t- m a jo r a u 5° r é g i m e n t de H u s s a rd s m ’im p o s a it le
d ev o ir d ’e n r e m p l i r l’em p lo i. C’est a u s s i ce q u e je fais av e c
zèle e t e n t r a in e m e n t, ce d o n t m o n c o lo n e l p a r a it satisfait
p a r les m a r q u e s de b ie n v e illa n c e d o n t j e s u is l ’objet. Ce
p o s te , c o m m e tu sais, d e m a n d e b e a u c o u p d ’activité et u n e
ce r ta in e r é s e r v e ; j u s q u ’à p r é s e n t, j ’ai lieu de cro ire avoir
r é u s s i p a r l’affection q u e m e té m o ig n e n t m e s ca m a ra d e s.
« La ville q u e n o u s o c c u p o n s e n ce m o m e n t e s t si bien
h a b ité e , q u e les fêtes s ’y s u c c è d e n t, m a lg r é les c h a rg es
QUARTIER
D'HIVER
A L ANDS BE RG. — 1801-1808.
113
im p o s é e s au p a y s qui n e doit ê tre évacué q u ’a p r è s le p a y e ­
m e n t in té g ral d es s u b s i d e s de g u e r r e : il e s t vrai de dire
q u e l ’E m p e r e u r , p a r u n e d éc isio n b ie nveillante, v ie n t d ’o r ­
d o n n e r q u e t o u t ce qui s e ra it fo urni e n n a t u r e ou en a rg e n t
c o m p te r a i t en défalcation. E n c o n s é q u e n c e de ce tte d éc i­
sion, des états b ie n en règ le, visés p a r les chefs de co rp s et
a p p r o u v é s p a r u n c o m m is s a ir e d e s g u e r r e s , d e v e n a ie n t les
p iè c e s c o m p ta b le s des a u t o r i té s civiles du pays. Une a u tre
d éc isio n n o n m o in s im p o r ta n te , qui p r o u v e c o m b ie n l ’E m ­
p e r e u r s ’o cc u p e d u b ie n -ê tr e de ses tro u p e s, c ’é s t la g ra ti­
fication ac c o rd é e à c h a q u e grad é p e n d a n t to u t le te m p s
que n o u s s é jo u r n e r o n s en P r u s s e (to u jo u rs e n défalcation
de ce qu e d o it p a y e r ce tte p u iss an ce ), ce qui d o u b le nos
a p p o i n t e m e n t s et n o u s p e r m e t de vivre d ’u n e m a n iè r e t o u t
à fait lu x u e u s e e t p ro fitable au c o m m e r c e d u pays.
« J e p o u r r a is te d o n n e r q u e l q u e s d étails s u r u n e fête
q u e les officiers d u r é g i m e n t o n t d o n n é e a u x d a m e s de la
ville et q u i a d u r é q u a r a n t e - h u i t h e u r e s ; m a is j e c r a in ­
d rais de ta p a r t u n s o u r ir e d é d a ig n e u x e n p e n s a n t q u e t u
es a u m il ie u d ’u n e p o p u la tio n o ù les p a s s io n s so n t t o u ­
j o u r s e n éb u llitio n e t le p la isir de to u s .les in sta n ts. Mais,
j e p r é f è r e te d o n n e r u n e id é e des jo u is s a n c e s re fu s é e s
a u x d o u c e u r s d u clim a t de l ’Italie et d o n t n o u s u s o n s a m ­
p l e m e n t : ce s o n t les c o u r s e s e n tra în e a u x , la c h a sse aux
lo u p s e t a u x sa n g lie rs q u e n o u s faisons en g r a n d s s e i­
g n e u r s , c’est-à-dire avec d es m e u te s s u p e rb e s e t l ’assista n c e
d es p a y s a n s.
« Le r é s u lt a t d e n o t r e d e r n iè re e x c u r s io n a été deux
sa n g lie rs, tro is lo u p s, u n r e n a rd et d e u x lièvres. Cette belle
jo u r n é e , dirigée p a r le j e u n e c o m te de M ohlendorff, s ’est
te r m i n é e p a r u n b a n q u e t v r a im e n t royal, offert d a n s sa belle
ré sid e n c e , où se tr o u v a i e n t r é u n ie s b o n n o m b r e de f e m m e s
r e m a r q u a b le s p a r le u r b e a u té , le u r élég a n ce et s u r t o u t
174
SOUVENIRS
MILITAIRES.
l e u r s g r a c ie u s e s m a n iè r e s , ce qu i p ro u v e q u e ch a q u e p ay s
a ses spé cia lité s e t q u e t o u t gît d a n s la m a n iè r e de les
a p p r é c ie r.
« C ertes, l o r s q u e n o u s c o m b a tt io n s les a r m é e s p r u s ­
s ie n n e s , p r é te n d u e s in v in c ib le s, n o u s étio n s loin de p r é v o ir
d ’au ssi h e u r e u x r é s u lt a ts , bie n q u e la victoire n o u s f û t
a s s u r é e p a r le g é n ie qu i n o u s g u id a it; m a is, tr o u v e r chez
le v ain cu l ’a m é n it é et to u t e s les d o u c e u r s de l’h o sp italité,
c ’e s t u n e s u r a b o n d a n c e de v e r tu s q u i fait l ’éloge d es P r u s ­
sie n s, si to u te f o is la cra in te n ’e n e s t p as le m o b ile . Au
r e ste , qu o i q u ’il e n soit, le m ie u x e s t de j o u i r d u p r é s e n t
sa n s s’o c c u p e r de l ’avenir, et, à c e t égard, n o u s p o u v o n s
n o u s flatter de r e m p l i r d i g n e m e n t ce tte m issio n .
« Ton a m i de c œ u r . »
Le c o lo n e l Dery, cité p o u r p lu s i e u r s a c tio n s d ’éclat,
j o u is s a it à l ’a r m é e d ’u n e b r illa n te r é p u ta tio n et jo ig n a it à
c e la u n e v é rita b le p as sio n p o u r so n r é g i m e n t , avec u n
d é s i n t é r e s s e m e n t et u n e lo y a u té p e u c o m m u n e .
F ie r de la r é p u ta tio n q u ’il avait a c q u ise d a n s ce tte d e r ­
n iè re c a m p a g n e , il n ’avait q u ’u n b u t, q u ’u n e p e n s é e de
to u s les in s t a n ts : c ’é ta it de faire d u 5e H u s s a rd s le p lu s b e a u
co rp s de l ’a r m é e , b ie n q u ’il e n fût d éjà le p lu s é lég a n t p a r
so n b r illa n t u n if o r m e , et, à cet effet, il voulait e m p lo y e r les
40 000 fra n c s d o n t l ’a v a it gratifié l’E m p e r e u r , et y jo in d r e
a u s si le s é c o n o m ie s c o n s ié r a b le s q u ’il é ta it p a r v e n u à
r é a lis e r p e n d a n t la c a m p a g n e , où les r é q u is itio n s s ’é ta ie n t
faites d a n s l ’a r m é e d ’u n e m a n iè r e p e u m o rale.
D epuis la paix, d es o r d r e s tr è s sévères a v a ie n t fait c e s ­
s e r ces profits illicites d o n t p lu s i e u r s g é n é r a u x avaien t la r ­
g e m e n t profité.
L’E m p e re u r, ainsi q u e je l’ai dit, avait, s u r les s u b s id e s de
g u e r r e , ac co rd é u n s u p p l é m e n t de solde au x officiers, m a is
MISSION
A BERLIN.
— 18 0 8 .
175
a u s s i d é t e r m in é des gratifications au x r é g im e n ts qui avaient
le p lu s souffert. De ce n o m b r e éta it la b rig a d e du g én é ral
P ajo l qui f u t d és ig n é e p o u r 80 000 f r a n c s ; d éjà le 7e H u s ­
s a rd s avait lo u c h é so n i n d e m n ité , lo r s q u e le c olonel D ery
r é c la m a celle de son r é g im e n t ; o n ne lui envoya q u ’u n b o n
de “25 000 francs. S u rp r is de ce m é c o m p t e , il re f u s a de r e c e ­
v o ir ce tte s o m m e , et, s a n s avoir égard à ses j u s t e s r é c la m a ­
tio n s , d e u x m ois s ’é c o u lè re n t s a n s e n t e n d r e p a r le r de r ie n ;
p u is, s u r v in t n o tr e d é p a r t p o u r q u itt e r le co rp s d ’a rm é e
d o n t n o u s faisions p a rtie . Ce f u t alors q u e le colon el p r it
la d é t e r m in a tio n de m ’e n v o y e r à Berlin, p r è s de M. D aru,
tr é s o r i e r g én é ral de l ’a r m é e . J ’en r e ç u s u n accu e il d ’a u t a n t
m e ille u r q u ’av a n t m o n e n tré e a u service, lo r s q u e j ’étais à
P aris, j ’allais f o rt a s s id û m e n t au x s o ir é e s d a n s a n te s q u e
d o n n a it son é p o u se.
E n p r e n a n t le c tu r e de la le ttr e d u c olonel, j e m ’a p e r ç u s
n o n s e u le m e n t de sa s u r p r i s e , m a is a u s s i de son m é c o n ­
te n t e m e n t . . « Avez-vous, m e dit-il, le b o n de 25000 francs?
— Le voilà, M onsieur, lui dis-je, en le lui p r é s e n ta n t . —
V euillez m e le confier et s u r t o u t g arde z le silence s u r la
grav ité de c e tte affaire; je vous a s s u r e d ’avance le p a y e ­
m e n t in té g ral des 40000 f r a n c s ; m ais, a u p a r a v a n t, il faut
q u e j ’écrive a u p a y e u r d iv is io n n aire de B res lau ; v ous r e s te ­
rez ici j u s q u ’a u r e t o u r de sa r é p o n se . J e v ous p r é s e n te r a i au
m a r é c h a l V icto r afin q u e v o u s as sistiez a u x fêtes qui d o i­
v e n t avoir lie u p o u r l ’a rriv é e de so n é p o u se, et j e vous p rie
de v o u s r a p p e le r que, p e n d a n t v o tre sé jo u r, v o tre c o u v e rt
s e r a t o u j o u r s m is à la ta b le de Mrae D aru qui se ra c h a r m é e
de v o u s revoir. »
E n effet, p e n d a n t le te m p s q u e je re sta i à Berlin, j ’eus
au ssi l ’h o n n e u r de d în e r chez M. le m a r é c h a l et j ’assistai
c o m m e t é m o in fort actif aux tr o is bals m a g n ifiq u es qui
f u r e n t d o n n é s l ’u n p a r lui, u n a u tre p a r Mmo D aru et le
176
SOUVENIRS
MILITAIRES.
tr o is iè m e p a r le c o m te de Moltke, u n d es p lu s g r a n d s sei­
g n e u r s de ce pays, où se t r o u v è r e n t r é u n i e s to u t ce que
B e rlin r e n f e r m a it de p e r s o n n e s le s p lu s m a r q u a n t e s de
c e tte b elle capitale. Le dix iè m e j o u r , je m e r e m i s en r o u te
p o u r le r é g im e n t avec les 40 000 fra n c s, et n o u s a p p r îm e s
p e u a p r è s q u e le p a y e u r avait été s u s p e n d u . L o rs q u e j e
fus p r e n d r e congé d u m a ré c h a l V ictor, il m ’a n n o n ç a que
le 5' H u s s a r d s avait été s u r le p o in t d ’a lle r en Espagne,
m a is q u e, p a r u n e n o u v e lle d isp o s itio n , il d e v a it trè s in c e s ­
s a m m e n t r e t o u r n e r e n Silésie. Cette no u v elle a t t r i s t a b e a u ­
co up le r é g i m e n t et p e u t - ê tr e e n c o r e d av a n ta g e les h a b i­
t a n t s avec le s q u e ls n o u s a vions été p e n d a n t p r è s de d e u x
m o is d a n s d e s r a p p o r ts t e l l e m e n t in ti m e s q u ’il n e se p a s s a it
p as de s e m a in e s a n s b als o u s o ir é e s des p lu s an im és, et
q u e la Légion p o lo n a ise , q u i devait n o u s r e m p l a c e r , était
loin d ’offrir les m ê m e s s y m p a th ie s .
L ’avant-veille de n o tr e d é p a r t, n o u s fîm e s n o s a d ieu x à
la ville en d o n n a n t u n d e r n ie r bal a u x b e a u té s q u ’elle r e n ­
ferm ait, bien c e r ta in s q u ’il y a u r a it q u e l q u e s la rm e s a m è r e s
r é p a n d u e s e n so u v e n ir de la p elisse b la n c h e .
Dès la p o in te du j o u r d u 19 fé v rie r 1808, n o s tr o m p e tte s
fire nt e n t e n d r e le signal d u d é p a r t. U ne cavalcade des
h a b ita n ts d e l à ville n o u s a c c o m p a g n a p e n d a n t q u a tre lieues
j u s q u ’à u n e s u p e r b e v e rre rie , où n o u s tr o u v â m e s u n sp le n ­
did e d é j e u n e r , d e r n i e r té m o ig n a g e de l ’affection q u e la
b o n n e c o n d u ite d u r é g i m e n t s ’était attirée .
Tel f u t le t e r m e de n o s r e la tio n s avec c e tte bien v eillan te
po p u la tio n , a u m il ie u de laqu elle n o u s v e n io n s de p a s s e r
d e u x m o is d ’un e m a n iè r e b ie n c e r ta in e m e n t p lu s ag ré able
q u e dan s la m e ille u re g a r n iso n de F ra n ce .
Le s e c o n d j o u r de n o tr e m a r c h e f u t m a r q u é p a r u n
in c id e n t d o n t je cro is d ev o ir r e t r a c e r le p r in c ip e c o m m e
s o u v e n ir h is to riq u e . Il e s t p e u de r é g im e n ts q u i n ’a ie n t à
LE
5» H U S S A R D S .
— 18 08 .
t r a n s m e t t r e des a n t é c é d e n ts p lu s ou m o in s i n té r e s s a n ts
q u i d e v ie n n e n t o r d in a i r e m e n t le s u je t d e s c o n v e rsa tio n s
des c o r p s de g a rd e et d es biv o u a cs et, de ce tte m a n iè r e , se
p e r p é tu e au s si bien q u e s ’é c rit l ’h istoire.
L ’on sait, p a r ex e m p le , q u e les h u s s a r d s d a t e n t d u
r è g n e de L o u is XV e t q u e les tro is p r e m i e r s r é g im e n ts
f u r e n t cré és p a r les c o m te s de B e rc h e n y , de C h a m b o ra n
e t le p rin c e d ’E s te rh a z y , s e i g n e u r s h o n g r o is qu i les fo r­
m è r e n t à le u rs frais et d o n t les h o m m e s f u r e n t p ris d a n s
l e u r s s e ig n e u r ie s a u x q u e ls ils d o n n è r e n t le c o s tu m e
n a tio n a l de l e u r p a y s ; p lu s ta rd , les a u t r e s fu re n t assez
g é n é r a l e m e n t c o m p o s é s d ’A lsacien s et de L o rra in s. Le 5°
f o rm é p e u de t e m p s av a n t la R é volution p a r le d u c de Lauzu n , p r it le n o m de so n fo n d a te u r et d u t à l ’in f o rt u n é e
M arie-A ntoinette so n b r illa n t u n if o r m e q u ’il c o n s e rv a j u s ­
q u ’à la R e sta u ra tio n . Mais, so u s l ’E m p ire, il fut o r d o n n é , a u
g r a n d m é c o n t e n t e m e n t d es h u s s a r d s , de s u p p r i m e r la
q u e u e et les c a d e n e tle s, coiffure à la q u elle ils te n a ie n t
e s s e n ti e ll e m e n t e t d o n t o n n ’o b tin t q u e d ifficilem e n t la
s u p p r e s s io n p a r la ré s is ta n c e d es co lo n e ls q u i r e g a rd a ie n t
c e t o r n e m e n t c o m m e i n h é r e n t à la te n u e . Le 5° H u s s a rd s
fut le d e r n ie r r é g i m e n t qui f u t c o n t r a i n t de se s o u m e t t r e .
P l u s i e u r s fois, s u r le p o in t de faire e x é c u t e r c e t o r d re , le
c olon el avait cé d é au c h a g rin de la t r o u p e ; m a is u n e
n iè re in jo n c tio n fo rm e lle d u m in i s tr e de la G uerre n e
m e t t a n t p lu s de différer d av a n ta g e, il fa llu t cé d e r
n é c e s sité , e t à cet effet, je p ro p o sa i a u c o lo n el d ’e n
der­
per­
à la
finir
to u t d ’u n c o u p sa n s la isse r aux h u s s a r d s le te m p s de la
ré flexion; il a d o p t a m o n idée qui e u t u n plein su c cè s. O rdi­
n a i r e m e n t n o tr e m a rc h e était p a r ta g é e p a r u n e h a lte p lu s
o u m o i n s lo n g u e p o u r la isse r r e p o s e r les c h e v au x et les
r e s s a n g le r : ce fut ce m o m e n t- là qui f u t choisi.
Le r é g im e n t, p ie d à t e r r e , la b r id e d a n s le b r a s g a u c h e ,
.1 O
1-18
SOUVENIRS
MILITAIRES.
r e ç u t le c o m m a n d e m e n t de m e t t r e le s a b re à la m a i n et
de faire p a r le flanc d r o it; p u is , d a n s ce tte p o s itio n , l ’o rd re
f u t d o n n é à c h a c u n de c o u p e r la q u e u e de s o n c h e f de
file; c e tte e x é c u tio n se fit s p o n t a n é m e n t e t d ’u n e m a n iè r e
si p r o m p t e et si in a t t e n d u e q u ’e n m o in s de q u e l q u e s m i ­
n u te s , h u i t ce n ts q u e u e s r e s t è r e n t s u r le t e r r a i n qu e n o u s
a b a n d o n n â m e s a u s s itô t s a n s la is s e r au x h u s s a r d s la faculté
de faire l e u r s a d ie u x à un o r n e m e n t a u q u e l ils te n a i e n t
ta n t. Le so ir ils n ’y p e n s a i e n t p lu s, et la coiffure à la
T itu s d e v in t p o u r t o u jo u r s ce lle des h u s s a r d s d u r é g im e n t.
Deux j o u r s ap rè s, n o u s a r r iv â m e s à la p e tite ville de
G u rh a u o c c u p é e p a r le 3” H u s s a rd s , s o u s les o r d r e s d u
colonel L a fe r r iè r e - L é v ê q u e . Le soir, les d e u x r é g im e n ts
f r a te r n is è r e n t avec t o u t l ’a b a n d o n de frè re s d 'a r m e s h e u ­
r e u x d e se r e n c o n tr e r . A ccaparé p a r m e s co llègu es, les
d e u x a d j u d a n t s - m a j o r s et le c a p ita in e L antivy, u n de m e s
am is, ils p a r v i n r e n t à m e faire d é r o g e r à m e s h a b i tu d e s
e n m e faisa n t bo ire o u tr e m e s u r e , p a r s u ite d e s n o m b r e u x
to a s ts a u x q u e ls il fallait r é p o n d r e et q u i fin irent p a r m e
faire s u c c o m b e r . R e c o n d u it d a n s m o n gîte, d é s h a b illé et
m i s d a n s u n lit, u n s o m m e il lé th a r g iq u e s ’e n s u iv it, j u s q u ’à
la p o in te d u jo u r , q u i fut tr o u b lé p a r u n m o u v e m e n t sac­
cadé, a u pie d de m o n lit, d o n t j e n e p o u v a is m e r e n d r e
c o m p t e ; in q u ie t et c o n s e r v a n t la c o n s c ie n c e de m a so irée
b ac h iq u e , d a n s la q u e lle c e p e n d a n t je n ’avais p a s t o u t à
fait p e r d u la ra iso n , j e s e n ta is q u e m o n lit s ’agitait p a r une
ca u se e x t r a o r d i n a ir e ; alo rs, m ’e m p r e s s a n l d ’é c a r te r les
r id e a u x , q u e lle s n e f u r e n t p a s m a s u r p r i s e et m a s tu p é fa c ­
tion de v o ir u n co rp s h u m a i n s u s p e n d u à u n p ito n d a n s le
p la fond , q u i se b a la n ç a it e n r a is o n d es m o u v e m e n t s que
l ’a gitation d u vin m e faisait faire s u r m a co u c h e . Enfin,
n e p o u v a n t p lu s d o u t e r d ’u n fait a u s si inexplicable, a llo n ­
g e a n t la m a in j u s q u ’a u pied d u lit, j ’ac q u ie rs la co nviction
B R E S L A U . — 1808.
179
q u ’u n co rp s e s t là, s u s p e n d u s a n s vie : j e crie, j ’appelle
m o n h u s s a r d q u i r e c u le d ’effroi en v o y a n t m o n c o m p a ­
g n o n de n u i t .
C e p en d a n t la m a i s o n e s t b ie n tô t en l ’air et r e m p lie p a r
le s v o isin s qui té m o i g n e n t le u r d o u le u r, m a is n o n le u r
s u r p ris e , de ce fatal é v é n e m e n t qu i d e v ie n t a u s s itô t public.
Ce m a l h e u r e u x était le p a s te u r de l ’e n d ro it, chez le q u e l je
logeais. A tta q u é d ’u n e m a lad ie c h r o n iq u e , il avait te n té
p lu s i e u r s fois de se d é t ru ire , m a is la surveillanc e avait
j u s q u ’a lo rs m is obsta cle à se s fu n e ste s p ro jets.
Il p a r a ît c o n s ta n t que, p e n d a n t la n u it, p r o fita n t d ’un
m o m e n t favorable à se s d e s s e in s , il avait p e n s é q u e m a
c h a m b r e é t a it le lieu le p lu s co n v e n a b le , e t p e u t - ê tr e m ô m e
a y a n t été té m o in de m a r e n tr é e , avait-il j u g é q u ’il ne t r o u ­
v era it a u c u n e o p p o sitio n de m a p a r t p u is q u e j ’étais c o m ­
p l è t e m e n t é to u r d i p a r le v in ; ta n t e s t q u e ce m a lh e u r e u x
était passé de vie à tr é p a s ; u n e c o r d e en f o r m e de n œ u d
c o u la n t était a u t o u r de so n col; il avait d û m o n t e r su r
m o n lit p o u r la p a s s e r d a n s le p ito n placé au plafond, et se
l a issa n t p e n d r e de to u t so n po id s, il avait été étouffé
au s sitô t. Je fu s su r -le - c h a m p chez le c o m m a n d a n t d é p l a c é
lu i faire le réc it de c e tte f u n e s te c a t a s t r o p h e ; u n p r o c è s v e rb a l f u t d r e s s é e t l ’affaire t e r m in é e , m a is j ’e m p o rta i
un so u v e n ir ineffaçable de cette lu g u b r e et te rrib le av e n ­
t u r e . Le s u r le n d e m a in , en a r r iv a n t à B reslau, j ’a c c o m p a ­
gnai le colon el chez le m a r é c h a l M ortier, afin de c o n n a ître
les n o u v e a u x c a n to n n e m e n t s qui n o u s é t a ie n t d e s tin é s ;
m a is , n e p o u v a n t n o u s y étab lir av a n t q u ’ils n e f u s s e n t
év acu és p a r les t r o u p e s qui les o cc u p a ie n t, n o u s d û m e s
s é jo u r n e r e n ville, fâc h e u se c i rc o n sta n c e , ainsi q u ’on va le
voir, et q u ’on a u r a it p u é v ite r en n o u s faisan t r e s te r à W olh a u o ù n o u s a v io n s co u c h é la veille.
Ce s é jo u r f u t m a l h e u r e u s e m e n t m a r q u é p a r u n e rixe de
180
SOUVENIRS
MILITAIRES.
c a b a r e t d o n t le s r é s u lt a ts f u r e n t d e s p lu s f u n e s te s et s u r
le p o in t de l ’ê tre e n c o r e d av a n ta g e : q u a t r e g r e n a d ie r s
f u r e n t tu é s, tro is p o r té s à l’h ô p ita l d a n s le p lu s tr is te état,
ain si q u ’u n p o n to n n ie r et u n a r ti lle u r ; six h u s s a r d s f u r e n t
a u s si b le ssé s trè s g r iè v e m e n t e t u n tu é .
L o rs q u e j ’arrivai s u r le lie u de c e tte sc èn e d ép lo ra b le, le
c o m b a t éta it p r è s de r e c o m m e n c e r avec d ’a u t a n t p lu s
d ’a c h a r n e m e n t q u ’il arrivait d e s s o ld a ts de différents ré g i­
m e n t s et q u e p lu s de c i n q u a n te h u s s a r d s é ta ie n t ac co u ru s.
Enfin, avec l ’aide de p lu s i e u r s officiers, n o u s p a r v în m e s à
faire r e n t r e r c h a c u n d a n s ses q u a r ti e r s et de fortes p a ­
tro u ille s c i r c u lè r e n t p o u r m a i n t e n i r l’o r d re et la tranq uilli té.
Mais, p e n d a n t c e t é v é n e m e n t e t p a r u n e v é ritab le fatalité,
il s ’en p a s sa it u n a u t r e n o n m o in s fu n este , q u i pouvait
av o ir les s u ite s le s p lu s d é s a s tr e u s e s . U n officier de d r a ­
g o n s, j o u a n t au billard avec le l i e u te n a n t P ie r r e , de la c o m ­
pagnie d ’élite d u 5° H u s sa rd s, lui a y a n t te n u u n p ro p o s
in s u l ta n t s u r la d is c u s s io n d ’u n c oup, ce lu i-ci en exigea
s u r - le - c h a m p u n e satisfaction d a n s le café m ê m e oii la
d isp u te avait eu lieu. L’officier d e d ra g o n s, perc é d e p a r t
en p a r t d ’u n c o u p de p o in te , ex p ira s u r - l e - c h a m p ; q u a tre
de ses c a m a ra d e s v o u l u r e n t le ven g e r e t défiè re n t les offi­
ciers d u r é g im e n t : les sa b re s f u r e n t a u s s itô t tir é s e t les
a d v e r s a ir e s se p l a c è r e n t vis-à-vis les u n s d e s a u t r e s en
tra v e rs du b illa rd , d é jà m ê m e ils se p o r ta i e n t des co ups
qui n ’e u s s e n t p a s ta r d é à d e v e n ir fu n e ste s, l o r s q u ’un d é t a ­
c h e m e n t d ’in fan terie q u ’o n avait été c h e r c h e r , vint sé p a­
r e r les c o m b a t t a n t s ; p r e s q u e en m ê m e t e m p s , l e g én é ral
L a h o u s s a ie et les c o lo n els Dery et L a m o lh e qui se p r o ­
m e n a i e n t s u r la p lace, in f o rm é s de ce tr iste et m a l h e u ­
r e u x é v é n e m e n t, se tr a n s p o r t è r e n t a u s s itô t au café où le u r
p r é s e n c e p r o d u is it le m e ille u r effet.
Des e x p lica tio n s e u r e n t lie u à la s u ite d e s q u e lle s les of­
L ’A B B É
DE B O M B E L L E S .
— 18 0 8 .
181
ficiers de d ra g o n s e u x - m ê m e s f u r e n t obligés de r e c o n n a îtr e
q u e le u r in f o rtu n é c a m a ra d e avait été l ’a g re s s e u r .
La paix f u t faite et l ’on e m p o r t a le c o r p s s a n g la n t et ina­
n im é de ce m a lh e u r e u x j e u n e h o m m e q u i s ’é ta it a ttiré
c e tte te rr ib le p u n itio n .
Dans la n u i t m ê rp e , p a r t i t le r é g im e n t afin d ’é v ite r de
n o u v e lle s collisions.
« Grosstrelitz, 20 mars.
« Si v o u s voulez b ie n , m o n p ère , j e t e r u n c oup d ’œil
s u r la c a rte de P ru s s e , v o u s y verrez, p a r la date de m a
le ttr e , q u e n o u s avons q u itt é n o tr e ag ré ab le s é jo u r de
L a n d s b e r g p o u r n o u s e n f o n c e r d a n s la Silésie où vie n t de
m ’a r r iv e r u n e 'ave nture in c ro y a b le, b iz a r re et v r a im e n t
e x t r a o r d i n a ir e e t dan s laquelle, ce qui va v o u s s u r p r e n d r e ,
v o u s v o u s ête s tr o u v é j o u e r le rôle p rincipal.
v« P e u de j o u r s a p r è s n o tr e a rriv é e d a n s n o s n o u v e a u x
q u a r tie r s , envoyé p a r le colonel p o u r i n s p e c t e r les c a n to n m e n ts , je m e tro u v ai logé chez le c u r é d ’O berg lo g a u . Ce
d ig n e p a s t e u r en a p p r e n a n t m o n n o m s’e m p r e s s a de m e
faire l ’ac cu e il le p lu s cordial et m e d e m a n d a si j ’étais p a ­
r e n t o u fils du c o m te d ’E spinchal, ja d is c olonel de d ragons.
S u r m a r é p o n s e affirm ative : « Soyez le b ie n v e n u , m e ditil; vo tre p r é s e n c e ici m e c a u s e d ’a u t a n t p lu s de satisfac­
tio n q u e je conserve à vo tre p è r e l ’affection la plus vraie,
et v o u s - m ê m e , ne m ’ête s p o in t é tra n g e r, ca r j e vois bie n
qu e c’est de v o u s d o n t u n de m e s e n f a n ts , qui p a ra ît v ous
ê tre f o rt a tta c h é , m e p arla it dan s p lu s ie u r s de ses le ttre s,
n o t a m m e n t la d e rn iè re d a té e de B erlin. »
« F o r t in trig u é de ce q u e j ’e n te n d a is, m e s o reilles et
m e s y e u x n ’y p o u v a ie n t r i e n c o m p r e n d r e , et ce tte p e r ­
plexité e û t p u d u r e r , si le b o n c u r é n e s ’était e m p r e s s é de
182
SOUVENIRS
MILITAIRES.
m e d o n n e r la clé de c e tte énigm e. « Je suis, m e dit-il,
le m a r q u i s de B o m belles. É levé avec v o tre p è r e au collège
d ’H a r c o u r t, n o u s c o n t r a c tâ m e s , d ès c e tte é p o q u e , u n e de
ces lia iso n s d ’en fa n ce q u i p o u v a it d ’a u t a n t m o in s s ’effacer
q u ’il existait e n tre n o s fam illes les r e la tio n s les p lu s
in tim e s .
« N o u s a v o n s été faits, colonels le m ô m e j o u r , en n o u s
m a r i a n t, et, a u m o m e n t de la R évolution, j ’étais a m b a s s a ­
d e u r à V enise. J e d o n n a i m a d é m is s io n e t m e re tira i à
Berlin avec m a fam ille, s o u s la p r o te c tio n du ro i d o n t les
b o n té s e t les é g a rd s n e se s o n t ja m a i s d é m e n tis . J e s u p ­
p o r ta i avec r é sig n a tio n la p e r te d ’u n e f o rtu n e c o n s id é r a b le ;
m a is la m o r t de m a f e m m e , qui m e f u t e n le v é e p r e s q u e
s u b ite m e n t, m e f u t u n c o u p d ’a u t a n t p lu s affreux, q u e je
re s ta is avec tro is g a r ç o n s et u n e tille, sa n s a u c u n a ve nir
p o u r m e s m a l h e u r e u x e n fa n ts. La re ligion vint à m on
se c o u r s : j ’e n t r a i d a n s les o r d r e s , et la c u r e où j e su is m e
fut d o n n é e p a r le roi q u i d aig n a y a j o u t e r u n e p e n s io n de
6 000 francs. Mes e n fa n ts s o n t a u j o u r d ’h u i a u service
d ’A u trich e . Louis, l ’aîné q u e v o u s avez v u à B erlin chargé
d ’affaires de ce tte c o u r, s’e s t tro u v é en r a p p o r t avec N apo­
léon qu i lui a d o n n é des m a r q u e s n o n é q u iv o q u e s de son
es tim e , en lui p r o p o s a n t p o u r m o i u n év êch é en F rance,
ce q u e j e n ’ai p a s cru d ev oir a c c e p te r, p r é f é r a n t finir m e s
j o u r s a u m ilie u d e c e tte p o p u la tio n r e c o n n a is s a n te d u p eu
jle b ie n qu e j ’ai p u lui faire.
« M aintenan t, m o n en fant, a jo u ta ce r e s p e c ta b le p a s ­
te u r , l o r s q u e v o u s éc rire z à v o tre p è r e , dite s-lu i q u e so n
vieil a m i n e l ’o u b lie r a ja m a i s et q u ’il v ie n t d ’é p r o u v e r en
ce j o u r u n v é ritab le b o n h e u r . »
« Cette r e n c o n tr e , a u s s i im p ré v u e q u ’e x t r a o rd in a ir e , et
les d étails q u e j e v o u s e n d o n n e v o us c a u s e r o n t c e rta in e ­
m e n t u n bie n g r a n d é t o n n e m e n t, m a is ce q u ’il y a de v ra i­
L ’A B B É
DE
BOMBELLES.
— 1 808.
183
m e n t in té r e s s a n t, c ’e s t de v o ir la gaieté, l ’am ab ilité ,
l ’e s p rit et la d ouce p iété d u b o n c u r é qu i j o u i t d a n s ce tte
c o n tré e de la p lu s g r a n d e co n sid ératio n .
« C o ntra int de q u itt e r ce to it h o sp ita lie r a p r è s u n e r é s i ­
d en c e de tro is j o u r s , je n e v o u lu s pa£ m e s é p a r e r de votre
digne et re s p e c ta b le a m i sans a s s is te r a u x p r iè r e s q u ’il
a d r e s s e a u d i s p e n s a t e u r de to u te chose. Cet h o m m a g e
q u i m e f u t in s p iré p a r le sp e c ta c le de ses v e r tu s m ’a ttira
de sa p a r t u n s o u r ir e b ie n v eillan t, lo r s q u ’il m ’a p e r ç u t d an s
l ’église, a p r è s avoir te r m in é le sa in t sacrifice de la m e sse ,
et, au m o m e n t où je p r is congé de lui, v o u la n t lui b a is e r la
m a in , il m e s e rr a c o n tre sa p o itr in e e n m e d o n n a n t sa
b é n é d ic tio n c o m m e il l’e û t fait p o u r s o n fils.
« Il m e s e ra it difficile de v o u s d ire le te m p s q u e n o u s
s o m m e s d e s tin é s à p a s s e r d a n s ce p a y s ; ce q u ’il y a de
c e rtain , c’e s t'q u e l’A u trich e a u g m e n t a n t son a r m é e e t s e m ­
b la n t faire des p ré p a ra tif s qui n ’o n t r i e n de bie n v eillan t
p o u r n o u s , il p o u r r a i t fort b ie n a r r iv e r q u ’un e n o uvelle
lu tte s ’engageât. Du m o in s ce tte p e n s é e e s t assez g é n é ­
rale p a r m i nos g ro s b o n n e t s ; s u r t o u t p o u r q u e l ’E m p e r e u r
la isse des forces a u s s i im p o s a n te s e n P ru s s e , il faut croire
q u ’il n ’ait p as u n e foi b ie n r o b u s te d an s la paix faite avec
l ’e m p e r e u r d ’A u trich e . Q u a n t à m o i, j e s e ra is c h a r m é de
v o ir r o m p r e la m o n o to n ie de n o tr e vie tr a n q u ille .
« Adieu, m o n p è r e ; à b ie n tô t. »
P r è s de d e u x m o is s ’é ta ie n t écou lés d a n s la vie m o n o to n e
d es c a n to n n e m e n t s , lo r s q u e le colonel Dery, ré c la m a n t vai­
n e m e n t des effets d ’h a b ille m e n t et d ’é q u i p e m e n t d ’ab so lu e
n é c e s sité , fut in f o rm é c o n fid e n tie lle m e n t de la m a u v aise
a d m in is tra tio n d u d é p ô t établi à N am u r. Il v int en p a r le r
au m a ré c h a l M ortier qui é c rivit a u s s itô t a u m in i s tr e de la
184
SOUVENIRS
MILITAIRES.
G u erre p o u r so llic ite r l ’a u to ri s a ti o n d ’e n v o y e r u n officier
avec u n e m is s io n spé cia le à cet égard. L a r é p o n s e n e se
fit p o in t a t te n d r e , et ce f u t s u r m o i q u e le colo n el daigna
j e t e r les y e u x p o u r m e n e r à b o n n e fin ce tte im p o r ta n te et
délicate affaire, à laqu elle se jo ig n it celle de faire c o n f e c ­
t i o n n e r à Metz to u te s les p a s s e m e n te r ie s n é c e s s a ir e s au x
officiers.
Ce fu t le l or m a i que j e q u itta i le r é g im e n t p o u r m e
r e n d r e d ’a b o r d à B reslau, où le p a y e u r g éné ral, en v e r tu de
l ’o rd re d o n t j ’étais p o r t e u r , s o ld a m e s frais de p o s te p o u r
l'aller et le r e to u r . J e fu s e n s u ite chez le m a ré c h a l M ortier
q u i m e r e m i t u n v o lu m i n e u x p a q u e t p o u r le p rin c e de
N euc hâte l, m ’a j o u ta n t q u ’il n ’était pas tr è s p r e s s é , ce qui
m e fit p r é s u m e r qu e le service m ilita ire dev ait e n t r e r p o u r
p e u de c h o s e d a n s ce tte m is s io n , s u r t o u t lo r s q u e
la
d u c h e s s e de T ré vise m ’en fit u n e r e c o m m a n d a tio n p a r ti­
cu lière. Il e n r é s u lt a ce la d ’a v a n ta g e u x p o u r m o i q u ’u n
o r d re m e fut r e m is p o u r faire f o u r n ir d e s chev aux de r é q u i­
sition j u s q u e s u r les b o r d s d u R hin, ce q u i m e fit m e t t r e
en p o ch e le s frais de p o ste d e s tin é s à u n . e m p l o i p lu s
ag ré ab le . En a r r iv a n t à Berlin, u n h e u r e u x h a s a r d m e fit
a c h e t e r à tr è s b o n c o m p te u n e p e tite c a lè ch e légère et
solide, v e n d u e à l ’e n c a n à la m o r t d ’u n f o u rn is s e u r , et
p a r su ite de ce m ê m e b o n h e u r je r e n c o n tr a i u n de m e s
a n c ie n s c a m a ra d e s des G e n d a rm e s d ’o r d o n n a n c e , le c a p i­
ta in e Montulé, du 2° C h a sse u rs, se r e n d a n t à Liège, à qui
j ’offris u n e place. Cette c i r c o n s ta n c e était d ’a u t a n t p lu s s in ­
g u liè r e q u e n o u s avions q u itté e n s e m b l e la F ra n c e , en
1806, p o u r p r e n d r e d u service.
S u r le sièg e de la v o ilu r e , se tr o u v a it m o n h u s s a r d de
confiance, c h a rg é de faire f o u r n ir les c h e v a u x et activer
l e u r co u rse .
Six jo u r s a p r è s av o ir q u itté Berlin, n o u s a r r iv â m e s à
LE
DÉPÔT.
—
1808.
188
Mayence, et, le 2 j u in , j ’étais r e n d u à N a m u r où m a p r é s e n c e
to u t à fait in a tte n d u e e t l ’o r d re im p é r a tif d o n t j ’étais p o r ­
te u r f u re n t tr è s p é n ib le s au m a jo r c o m m a n d a n t le dépôt.
Nous f û m e s c e p e n d a n t d ’accord en p e u d’in sta n ts, bie n
q u e les t e r m e s de la m is s io n d u m in is tr e de la G uerre
m ’a ie n t p la cé d a n s u n e p o sitio n ex c e p tio n n e lle ; m a is ce
b ra v e e t digne officier, p e u ac tif p a r s u ite de ses n o m ­
b r e u s e s b le s s u r e s et so u v e n t m alade, n ’avait c e p e n d a n t
rie n de p l u s à c œ u r q u e de p r o u v e r sa sollicitu d e p o u r les
in té r ê ts d u r é g im e n t. Il n ’e n f u t pas de m ê m e d u capitaine
d ’h a b ille m e n t, et les d o u te s d u colonel n ’é ta ie n t que trop
bien f o n d é s ; il avait a b u s é de la confiance et de la b o n n e
foi d u m a jo r, car je tr o u v a i un g r a n d d é s o rd r e et u n défi­
cit c o n s id é ra b le d a n s les m a g a sin s, et ses livres é ta ie n t
t e n u s avec u n e n ég lig en c e cou p a b le , q u i n e p r o u v a it que
tr o p d ila p id a tio n o u in c u rie im p a r d o n n a b le . C ependan t,
la r é p u g n a n c e qu e j ’avais à d é n o n c e r u n c a m a ra d e m e fit
a d o p te r le pla n d u m a jo r, q u i lu i- m ê m e p o u v a it se t r o u v e r
c o m p r o m is p a r so n m a n q u e de s u rv eillan c e. Il m ’e n ­
gagea sa p a ro le q u ’il m e ferait livrer les effets d ’habilletn e n t e t d ’é q u i p e m e n t qui d e v a ie n t ê tre tr a n s p o r té s a u
r é g im e n t, d a n s d e u x m o is , à l ’ép o q u e de m o n r e t o u r de
Metz et de P aris où j ’avais d es affaires à t e r m in e r . T ou t en
m e r e n d a n t à cette p r o m e s s e , je n e p u s d is s im u le r l ’obli­
g a tio n o ù j ’étais de faire u n r a p p o r t a u colonel, p r o m e t ­
ta n t c e p e n d a n t de le p r é s e n t e r s o u s le j o u r le m o in s défa­
v o r a b le ; m a is j ’exigeai im p é r a tiv e m e n t l'é ta t réel d es
m a g a s in s a u m o m e n t de m o n arriv ée a u dépôt, m e r é s e r ­
v a n t de le d é t ru i re si to u t ce q u e je devais r ec ev o ir à m o n
r e t o u r m ’était livré et si la te n u e d es livres était en
règle.
186
SOUVENIRS
MILITAIRES.
« Namur, 5 juin 1808.
« Mon colonel,
« J e n e v o u s d o n n e r a i p a s l ’ilin é r a ir e de m a ro u te , la
m a n iè r e d o n t je voyageais n e m e la issa n t g u è r e le te m p s
d e faire d e s o b s e rv a tio n s ; j e v o u s dirai s e u le m e n t, q u e,
g râ c e au x a v a n ta g e s r é s u lt a n t de la g u e r r e , je m e suis
tr o u v é av o ir fait 235 lie u es, tra în é , a lim e n té , co u c h é , sa n s
a u t r e s d é b o u r s é s q u e q u e lq u e m e n u e m o n n a ie a u x p o s til­
lo n s p o u r p r e s s e r l ’ac tio n de le u rs c he v aux et au x se rv a n te s
d es gîtes où je rec evais l ’h o sp ita lité .
« Gela p r o u v e les p r o g r è s de la c iv ilis a tio n q u i place
c h a c u n à la h a u t e u r d e s circ o n sta n c e s.
« Mon e n tré e à N a m u r s ’est faite le 2 de ce m o is , à la
p o in te d u jo u r . Une h e u r e après, m o n a p p a r itio n s u b ite et
si p e u p r é v u e p a r le m a jo r p r o d u is it l ’effet d ’u n e b o m b e
a u m il ie u d ’u n bivouac, s u r t o u t lo r s q u ’il p r i t c o n n a issa n ce
d u r e s c r i t d o n t j ’étais p o r te u r .
« J ’ai r é s is té c o m m e de j u s t e à ses p r e s s a n te s sollicita­
tio n s d ’a c c e p te r u n a p p a r t e m e n t chez lui, m a is il m ’a fallu
p o u r cela u n e g r a n d e force de c a r a c tè r e d o n t v o us a p p r é ­
cierez, j ’e s p è r e , t o u t le m é r i te lo r s q u e v o u s sa u re z que
j ’avais d e v a n t m o i u n e f em m e c h a r m a n te , tièd e e n c o re de
la c h a le u r du lit q u ’elle v e n a it de q u itt e r , coiffée d ’u n m a ­
d r a s c o q u e tte m e n t posé, d ’u n e to u r n u r e le s te et dégagée,
e n v e lo p p é e d ’u n e ro b e de c h a m b r e in d is c r è te qui se m b la it
p r o v o q u e r les p lu s vifs d é s irs . M a inte n ant, jo ig n e z à cette
s é d u is a n te d é s in v o ltu r e , u n r e g a rd c h a r m a n t, vif, m u tin ,
u n e b o u c h e r a v iss a n te a p p u y a n t avec les p lu s vives in ­
s ta n c e s l ’offre de s o n m a ri. Eh b ie n ! m o n colonel, to u te s
ces s é d u c tio n s se s o n t é v a n o u ie s d e v a n t le devoir, b ie n
q u e la r é p o n s e de m e s re g a rd s d é m e n tî t celle de m e s
LE
DÉPÔT.
— 1 808.
187
paro le s. Mais, t o u jo u r s f e r m e d an s m o n r e fu s et s u r m o n ­
t a n t les effets de m o n a d m ir a tio n , j e p riai le m a jo r de m e
faire c o n d u i r e i n c o n tin e n t d a n s les m a g a s in s du r é g im e n t.
« J e ne p u is v o u s d is s im u le r q u e l’o rd re a u r a it p u y
ê t re m i e u x établi, et les c o n fe ctio n s des différents ob je ts
è n p lu s g r a n d e q u a n tité . S u r m o n o b se rv a tio n a u capitaine
d ’h a b ille m e n t, celui-ci m e r é p o n d it q u ’il n e c e ssa it de r é c la ­
m e r du m in i s tr e - d ir e c te u r l ’envoi des f o u r n it u r e s a r r ié ­
ré e s , q u ’il a t te n d a it p lu s i e u r s colis a n n o n c é s , et q u ’a u s s i­
tô t re ç u s , les o u v rie rs s e ra ie n t m is à l ’œ u v re de m a n iè r e
à p o u v o ir m e liv r e r d a n s u n b r e f délai les d e m a n d e s
faites en v o tre n o m .
« L e capita in e Muller e s t ce q u e n o u s a p p e lo n s c o m m u ­
n é m e n t u n e c u lo tte de p e a u re n f o rc é e , d o n t les m o u s ­
t a c h e s g rise s p r o u v e n t u n e a n c ie n n e té de service fort r e s ­
p e c ta b le ; il doit le j o u r à la c o h a b ita tio n d ’u n m a ré c h a l
des logis et d ’u n e v iv a n d ière d es h u s s a r d s de L auzun.
« C o m m e n t est-il p a r v e n u a u grad e q u ’il o c c u p e ? C’e s t
u n e c h o s e c o m p lè t e m e n t in c o n n u e , ca r sa t o u r n u r e et
ses m a n iè r e s f e ra ie n t difficilem ent r e c o n n a îtr e u n officier
de h u s s a r d s , n ’était l’u n if o rm e d o n t il e s t r e v ê tu ; d u reste,
fort b o n h o m m e , de m œ u r s d o u c e s e t tr a n q u ille s , a y a n t
u n e fem m e d o n t les a llu r e s n e la is s e n t a u c u n d o u te s u r
ses a n té c é d e n ts lo rs de so n e n tré e d a n s ce m o n d e , et p o s ­
s é d a n t six e nfa nts de la lé gitim ité la m o in s in c o n testab le ,
qui g r a n d is s e n t so u s la p r o te c tio n de n o s é te n d a rd s .
« L oin de m o i de v o u lo ir a c c u s e r ce vieux tr o u p i e r de
d ila pida tion, c o n c u s s io n o u m a u v aise foi ; je l ’en crois i n c a ­
pable;, m ê m e p a r sa n a t u r e ; m a is il y a n égligence et
in c u rie .
« L’effet q u ’a p r o d u it s u r lui la c o n n a issa n ce d es i n s t r u c ­
tio n s d o n t vous m ’aviez cha rgé à son éga rd et qu e j ’ai c r u
devoir lui faire c o n n a ître , v o u s a s s u re p o u r l ’a v e n ir u n
188
SOUyENIRS
MILITAIRES.
officier d ’h a b i lle m e n t m o d è le . Veuillez d o n c lui c o n s e r v e r
son e m p lo i; la c r a in te de le p e r d r e était la m e ille u re leçon
q u ’il p û t rec evoir, et v o u s p r e n d r e z , j ’ose l’e s p é r e r , en co n ­
s id é ra tio n les dix a n n é e s d ’in s p e c tio n q u ’il exe rce d a n s les
b o tte s et la c o u tu re . Du reste , je p u is v o u s a s s u r e r la p lu s
c o m p lè te ex a ctitu d e d a n s l ’o rd re d o n t j e su is p o r t e u r :
to u t e s vos c o m m a n d e s s e r o n t in t é g r a l e m e n t f o u r n ie s ;
d ’a ille u rs le zèle d u brave m a jo r en e s t u n e gara n tie qui
d o it v o u s r a s s u r e r , j o in t à la f erm e v o lo n té de r é p o n d r e à la
confiance d o n t v ous m ’avez h o n o r é . D eux m o is e s t l’ép o q u e
à la q u elle je dois re c e v o ir to u te s les liv ra iso n s qui se ro n t
e s c o r té e s p a r u n d é t a c h e m e n t de vingt h u s s a r d s , m o n té s et
éq u ip é s, avec le q u e l j e re jo in d ra i le r é g im e n t. D’ici là, j ’irai
à Metz r e m p l ir la m is s io n d o n t v o u s m ’avez chargé, et
e n s u ite à P a r is d ’o ù je r e p a r ti r a i a u s s itô t l ’avis d u m ajor.
« Q u an t a u x a u t r e s d étails s u r le d ép ô t, v o u s sa u re z q u ’il
y a 230 h u s s a r d s p r é s e n ts y c o m p ris les ouvriers, q u e la
p r o c h a in e c o n s c r ip tio n d o it en f o u rn ir 4-15, e t q u ’ava n t
u n m o is 380 c h e v a u x de r e m o n t e d o iv e n t a rr iv e r ici; ce
qu i f o r m e r a u n tota l de 400 h u s s a r d s m o n té s , d e s tin é s à
jo in d r e les e s c a d ro n s de g u e r r e ; ainsi v ous au re z , d a n s
q u e lq u e s m ois, p lu s
de 1200 p e lisse s b la n c h e s , avec
le sq u elles, j ’e s p è re , n o u s f e r o n s de la b o n n e beso g n e, si,
c o m m e il fa u t le cro ire, l ’occ asio n s ’e n p r é s e n te .
« L ’in stru c tio n des h o m m e s n ’e s t p o in t en sou ffrance;
le u r te n u e e s t p arfaite, m a is ce q ui n u i t a u b ie n du service,
c ’est le s é jo u r d a n s c e tte ville de tr o is d é p ô ts de c avalerie ;
car, bien qu e la ville soit g ra n d e , les q u a r t i e r s d e v ie n n e n t
insuffisants lo r s q u e les r e m o n t e s a rriv en t.
« A ussitôt m o n a r r iv é e à P aris, j ’a u ra i l'h o n n e u r de m e
p r é s e n t e r chez le m in i s tr e de la G uerre ainsi qu e v ous m e
l’avez p r e s c rit, e t j ’irai voir le c h e f d ’e s c a d ro n P e r r i n don t
l’é t a t p a r a it d é s e sp é ré , ainsi que m e l ’a dit le m a jo r . J e
LE
DÉPÔT.
— 18 08 .
183
n ’o u blierai, c o m m e vous devez le p e n s e r , a u c u n e de vos
c o m m is s io n s vous p r ia n t en é c h a n g e de vouloir b ie n m e
r a p p e le r au s o u v e n ir de Mmcs de S c h e in m ic h o w et de
la jolie p e tite c o m te s s e T inzin, à qui je n ’o u b lie r a i pas
d ’a p p o r te r u n e co llection de so u lie r s p o u r ses p e tits p ie ds
m ig n o n s .
« Veuillez aussi av o ir l’e x trê m e o b ligeance de dire à m o n
co llègue O then in q u e je lu i r e c o m m a n d e p a r t i c u l i è r e ­
m e n t la s u rv eillan c e de m e s che v au x , et q u ’av a n t p e u de
j o u r s j e serai a u m ilie u de sa fam ille, q u ’il m e la rd e b e a u ­
c o u p de c o n n a ître . J e vous p r ie aussi d ’a s s u r e r le gén é ral
P ajo l qu e je n e m a n q u e r a i c e r ta in e m e n t p as de r e m e ttr e en
m a in p r o p re la le ttre q u ’il m ’a d o n n é e p o u r sa fe m m e et
q u e j e r a p p o r te r a i à E d o u a rd Golbert ses u n if o rm e s si
to u te fois so n ta ille u r les a confectionnés.
« S u r ce, m o n colonel, veuillez r e c e v o ir la n ouvelle a s s u ­
ra n c e de r a t t a c h e m e n t et du d é v o u e m e n t q u e j e vous ai
v oués p o u r la vie.
« H ippolyte
d ’E s p i n c h a l .
« P . - S . — J ’oub lia is de vous d ire q u ’à m o n p assag e à
Breslau j ’avais été cha rgé d ’u n p a q u e t de la d u c h e s s e de
Trévise p o u r M1'10 de V isconti, fort h e u r e u s e m e n t a d r e s s é
a u p rin c e de N e u c h â te l .avec la griffe d u m a ré c h a l, ce qui a
in s p iré le r e s p e c t de la d o u a n e . »
H uit j o u r s a p rè s le d é p a r t de m a le ttr e , j ’arrivai à Metz
o ù je passai cinq jo u r s à faire les c o m m a n d e s r ela tiv e s à
la b r illa n te te n u e d es ofliciers, qui d u r e n t m ’ôtre liv ré e s
d a n s u n te m p s p r e s c r i t; p u is je m ’e m p re s s a i d ’aller r e n d r e
visite au g én é ral S c h w a rtz a u q u e l avait su c c é d é le colonel
Dery, et, bien qu e n ’a y a n t p a s l ’h o n n e u r d ’ê tre c o n n u de
lui, j ’en r e ç u s l ’accueil le p lu s e m p r e s s é et il m ’e n t r e tin t
190
SOUVENIRS
MILITAIRES.
f o rt lo n g te m p s s u r le r é g i m e n t q u ’il avait c o m m a n d é
p e n d a n t c in q ans. P e u de j o u r s a p r è s , j ’étais à Nancy, r e ç u
d a n s la fam ille de m o n c a m a ra d e c o m m e si j ’en eu s se fait
p artie, m a is, n e p o u v a n t y r e s t e r q u e q u a r a n te - h u it h e u r e s ,
j e p ris l ’e n g a g e m e n t d ’y r e v e n ir e n p a r t a n t p o u r l’Alle­
m agne.
J e fis le v o y a g e p o u r P a r is avec d ’a u t a n t p l u s d ’a g r é ­
m e n t q u ’a y a n t fait la c o n n a is s a n c e d u D1 l i s s i e r (de Nancy),
h o m m e f o rt i n s t r u i t et aim able, il v o u lu t bien, des affaires
l ’a p p e la n t d a n s la capitale, a c c e p te r une place d a n s m a
calèche.
X
S É J O U R A PARIS
Le 25 j u in , je m ’e m p re ssa i e n a r r iv a n t à P a ris d ’a lle r
s u r p r e n d r e m a m è r e d o n t les c a resse s, la satisfac tio n et
la jo ie ne p o u v a ie n t être c o m p a r é e s q u ’a u b o n h e u r d o n t
j ’étais enivré en la p r e s s a n t s u r m o n c œ u r. Au p laisir de
ce tte visite s u c c é d a p o u r elle la satisfac tio n d ’a p p r e n d r e
que, selon to u te a p p a re n c e , je p o u r r a is j o u i r du b o n h e u r
de la v o ir q u e l q u e te m p s . Le le n d e m a in , le p rin c e de Neu­
ch âtel, e n r e c e v a n t l e p a q u e t d o n t j ’étais p o r te u r , m ’engagea
à d in e r et m e fit c o n d u ire d a n s l ’a p p a r te m e n t de
M1»'® de V isconti p o u r qui était ce colis, s o u v e n ir de la
d u c h e s s e de Trévise, q u ’elle r e ç u t avec la p lu s g ra n d e
satisfaction.
C’e s t d'e ce tte é p o q u e q u e d a t e n t m e s rela tio n s in tim e s
avec ce tte aim able f e m m e , r e m a r q u a b le p a r s a b e a u té et
les q u a lité s qui la f a isa ie n t c h é r ir de to u s ce ux qui l’a p ­
p r o c h a ie n t. La m a rq u i s e de V isconti a p p a r te n a it à u n e
d e s p r e m i è r e s fam illes de l ’Italie. B c rth ie r en d ev in t é p e r ­
d u m e n t a m o u r e u x lors de la p r e m i è r e ca m p a g n e d ’Italie,
e t cette liaison n e s ’e s t étein te q u ’à la m o r t d u prin ce .
L o rs q u e j e la vis p o u r la p r e m i è r e fois, elle avait trentesix a n s, m a is sou p o r t m a je s tu e u x , sa t o u r n u r e n o b le et
192
SOUVENIRS
MILITAIRES.
é lég a n te et sa figure c h a r m a n te lu i faisa ie n t é c lip s e r les
f e m m e s les p lu s je u n e s et les plus fraîch es. C’était le ty p e
de la b e a u té r o m a in e , u n ie à la grâce française, jo ig n a n t à
ce la les q u alité s du c œ u r et u n e o rigin alité d ’e s p r it q u i
a c q u é r a i t u n c h a r m e to u t p a r ti c u lie r p a r l ’a c c e n t italien
d o n t elle n ’a ja m a i s p u se défaire.
L ’E m p e re u r l’affectionnait b e a u c o u p et p r e n a it p la isir
à c a u s e r avec elle. Mmo de V iscon ti a e u des a m a n ts et
b e a u c o u p d ’am is, j ’ai été assez h e u r e u x p o u r être de ces
d e r n ie rs .
P lu s ta rd , u n e p a ra ly sie la priv a de la p a rtie g au c h e du
c o r p s , m a is, h e u r e u s e m e n t , la tê te et le c œ u r n e s ’én
r e s s e n t i r e n t 'p o i n t ; to u jo u r s gaie, aim able, elle faisait le
c h a r m e de la soc iété n o m b r e u s e et c h o isie qui r e m p l is s a it
so n salon, et le j o u r de sa m o r t, arriv ée à ses soixanteseize a n s, fut u n d e u il g é n é r a l p o u r ses am is.
P e u de j o u r s a p r è s m o n arriv ée à P aris, lis a n t u n J o u r ­
n a l d e l ’E m p i r e en d é j e u n a n t au café T o rto n i, q u e lle ne fut
p a s m a su r p ris e de voir m a n o m in a tio n de ch e v a lie r d u
Mérite m ilita ire de Bavière. Le c o m te de Lacépède, g rand
c h a n c e lie r de la Légion d ’h o n n e u r , chez le q u e l je m e ren d is
a u s sitô t, m e confirm a ce tte fave ur avec l'a u to ris a tio n de
l ’E m p e r e u r et e u t l ’o b lig e an c e de m ’e n faire e x p é d ie r surle-çliam p le b re v e t.
Le roi de Bavière (M ax im ilie n -Jo sep h ), c olonel d ’in fa n ­
te rie française av a n t la R évolution, so u s le n o m de p rin c e
Max des D eu x -P o n ts, était l ’a m i p a r tic u lie r de m o n p è r e
avec le q u el il n ’avait j a m a i s cessé de c o r r e s p o n d r e et a u ­
qu el il avait d o n n é dés m a r q u e s n on é q u iv o q u es de so n
a t ta c h e m e n t en p lu s i e u r s c i rc o n sta n c e s. L o r s q u ’il a p p r it
q u e m o n frè re et m o i é tio n s au service, il s ’e m p r e s s a ,
p o u r d o n n e r à m o n p è r e u n e n o u v e lle p r e u v e de so n alîeclion, de n o u s h o n o r e r to u s d e u x de so n o rd re m ilitaire.
SÉJOUR
A PARIS.
— 1 808.
« Paris, 14 juillet.
« V ou s serez b ie n s u r p ris , m o n p è re , en a p p r e n a n t que
je s u is à P aris, r ie n n ’e s t p o u r t a n t p lu s c e r ta in ; m a is ce
qui affaiblit la satisfaction de m e tr o u v e r dan s la capitale,
c’e s t l’im p o s sib ilité où je su is d’aller v o u s voir. J ’en ai
v a i n e m e n t sollicité la p e r m i s s io n p r è s du m i n i s t r e de la
G u e r re ; il m ’a r é p o n d u q u ’é t a n t d a n s le cas de rec ev o ir
d ’u n m o m e n t à l ’a u tre u n o r d re s u b it de d é p a r t p u is q u e je
n e devais la fav e ur de m o n s é jo u r q u ’à la to lé r a n c e d u
p rin c e de N eucliâtel, je n e q u itte r a is d o n c P a r is q u e p o u r
a ller à Metz e t N am ur, m a m is sio n é ta n t spéciale. Cette
c o n tra rié té m ’e s t d ’a u t a n t p lu s p é n ib le q u e, p r o b a b le m e n t,
de lo n g te m p s , je n e tr o u v e r a i u n e c irc o n sta n c e a u s s i favo­
rable. Ma m is sio n , q u i n ’a d ’a u t r e b u t que les affaires d u
r é g im e n t, p r é s e n ta i t u n côté qui m e d o n n a it u n c a u c h e m a r
de to u s les in s ta n ts , é t a n t p o r te u r de s o m m e s c o n s id érab les
en b illets d u T ré so r p o u r effectuer les p a y e m e n ts q u e je
dois fa ire ; m a is h e u r e u s e m e n t q u e M. R é c a m ie r m ’en a
s ou lagé a u m o y e n d ’u n e le ttr e de cré dit.
« Mon arriv é e ici a été m a r q u é e p a r u i n é v é n e m e n t to u t
à fait in a tte n d u et do n t, je p e n s e , v ous aurez été p r é v e n u
av a n t m oi p a r le roi de Bavière lu i- m ê m e , p u is q u e c ’e s t à
l ’affection q u ’il v o u s p o r te q u e j e m e tr o u v e ê tre décoré
de son o r d re m ilita ire . Cette d e r n iè re faveur, jo in te à celles
d o n t je su is co m b lé d e p u is si p eu de te m p s , m e fait s u p p o ­
se r q u ’e n v e n a n t a u m o n d e , n o u s s o m m e s so u s l ’influence
d ’u n e b o n n e o u m a u v ais e étoile, e t q u ’à c e t effet je p o u r ­
rais bien avoir fixé la p r e m iè r e , s u r t o u t e n p e n s a n t q u ’il y
a v in g t m o is j ’étais u n p a u v re garç o n b a tta n t le pavé,
c o u r a n t les c h â te a u x et les b als, lis a n t d e s r o m a n s , in u tile
à m o i- m ê m e ainsi q u ’au x a u tre s et q u e, d ep u is ce tte
13
<134
SOUVENIRS
MILITAIRES.
é p o q u e , a d m is d a n s la g r a n d e famille m ilita ire , je m e
t r o u v e a u j o u r d ’h u i avec u n grad e h o n o r a b le et tro is
croix à m a b o u to n n iè r e . C’est, fa u t-il l’avouer, u n b o n ­
h e u r a u q u e l j ’eu s se r e f u s é de c ro ire d u c h iro m a n c ie n
le p lu s savant, e n v o y a n t s u r t o u t a u t o u r de m o i t a n t de
b ra v e s et d ig nes m ilita ire s p o u r s u iv is p a r u n e influence
c o n tra ir e .
« V ous devez bie n p e n s e r que, t o u t e n e m p lo y a n t u n e
p a r tie de m o n te m p s a u x affaires, j ’en r é s e r v e u n e a u t r e a u
p la isir d o n t je n e s u is p a s e n c o r e to u t à fait assez r a s ­
sasié p o u r m ’e n p r iv e r ; a u s si v ais-je b e a u c o u p d a n s le
m o n d e ; m a is ce qui m ’a m u s e , c ’e s t la su r p ris e d ’a n c ie n n es
c o n n a is s a n c e s e n v o y a n t m a figure o m b r a g é e d ’u n e paire
de m o u s t a c h e s e t m o n co rp s r e v ê tu d ’u n e p e lisse écla­
ta n te de b la n c h e u r , t o u t e r e s p le n d is s a n te d ’or et em b ellie
p a r tr o is d é c o ra tio n s : elles n e se d o u te n t n u l l e m e n t qu e
j ’ai p a r c o u r u u n e p a rtie de l ’A llemagne avec de v aleu reu x
c o m p a g n o n s e t q u e les b alles et la m itra ille m e s o n t au ssi
fa m iliè re s q u ’u n e p a rtie de billard. Il y a p e u de jo u r s , m e
t r o u v a n t invité à d în e r chez l ’a r c h ic h a n c e lie r C am bacérès,
e n c o m p a g n ie d ’u n e q u a r a n ta in e de p e r s o n n e s , j e m e
tro u v a i placé à la g a u c h e d u c a rd in a l Maury, a u j o u r d ’hu i
a rc h ev êq u e de P a r is , qui m e fit to u te so rte de p r é v e n a n c e s ,
en se r a p p e la n t la c o u r te visite q u e j e lui avais r e n d u e à
M onte-F iascone, e n c o m p a g n ie de L ouis de P é rig o rd et
Achille de D a m p ie r re . Il p a r u t s u r p r i s et m e fit c o m p lim e n t
s u r m a p o s itio n ; m a is j e p u is dire a u s si de m o n côté que
si m o n c o s tu m e to u t b rod é d ’o r c o n t r a s ta it s in g u liè r e m e n t
avec la so u ta n e vio le tte d u card in al, ses m a n i è r e s b e a u ­
c o u p plus cavalières q u e les m ie n n e s p r o d u is a ie n t le m ê m e
effet. J ’étais s u r to u t ém erveillé de la c o m p la isa n c e de l ’e s ­
to m a c de S on É m in e n c e et de la d e x té r ité avec la q u elle
il e n g lo u tis s a it les vins de to u te s esp è c e s, m e t t a n t u n e
SOIRÉE
A L’ O P É R A .
— 1 808.
195
g ra n d e p e r s é v é r a n c e à v o u lo ir q u e je l ’im ita s s e , et tr o u v a n t
f o rt p la isa n t q u ’u n c a pita ine de h u s s a r d s r e n d ît les a r m e s à
so n i n te m p é r a n c e . S ’a p e r c e v a n t de m on ' a d m ir a tio n p o u r
ses é m in e n t e s q u a lité s, il m e d it av e c n ég lig e n c e : « V ous
trouv ez, n ’est-c e p as, q u e j ’ai b o n a p p é tit et sais faire h o n ­
n e u r au s u c c u le n t re p a s de l ’A rc h ic h a n c e lie r? — Ma foi
oui, M o n se ig n e u r », lui r é p liq u a i- je , en r i a n t ; il m e r é p o n ­
dit : « Un b on re p a s r é jo u i t le cœ u r, et r a p p e le z -v o u s
to u j o u r s q u e l ’h o m m e ra ssa sié v a u t m ie u x q u e celui qui
e s t à j e u n . » Cette se n te n c e , qui m ’e n p r o m e t ta it d ’a u tre s
d u m ê m e g e n re si l ’on ne se fût p as levé de ta b le e n ce
m o m e n t , m e fit p e n s e r c o m b ie n il é ta it d o m m a g e q u e le
p r é la t ait a d o p té le service d es b u r e tt e s au lieu d ’u n b o n ­
n e t de g r e n a d ie r si a n a lo g u e à ses goûts.
« En s o r ta n t de chez C am ba cérè s, j e f u s a l ’O péra (à ce tte
é p o q u e les officiers allaient a u x g r a n d s sp e c ta c le s assez
s o u v e n t e n u n if o rm e ) , e t u n e a v e n tu r e assez plaisa n te
m ’y a tte n d a it. C’était u n e r e p r é s e n ta t io n e x tra o rd in a ir e ;
to u te s les loges é ta ie n t g arn ie s d e s p lu s jo lie s f e m m e s de
.P a ris , to u te s c o u v e rte s de p ie r r e r ie s e t de fleurs. Placé à
l’av a n t-sc è n e , je p a rc o u ra is du r e g a r d ce ta b le a u m a g iq u e,
lo r s q u e m e s y e u x s ’a r r ê t è r e n t s u r u n e des loges des p r e ­
m iè r e s de côté o ù se t r o u v a i e n t d e u x j e u n e s f e m m e s de
la to u r n u r e la p lu s gra c ie u se et d ’u n e élégance r e m a rq u a b le ,
a c c o m p a g n é e s de d e u x cavaliers. Ma p e r s é v é r a n c e à les fixer
a ttir a le u rs re g a rd s e t j e m ’a p e r ç u s , avec u n e v éritable
satisfaction , q u e les lo rg n e tte s de ces d a m e s e n t r a ie n t en
p o u r p a r le r s avec la m ie n n e , sa n s p e n s e r q u e m o n c o s tu m e
p o u v ait bien être le m o ti f d ’u n e s im p le c u rio sité. C epen­
d a n t le s o u r ir e q u ’o n s e m b la it m ’a d r e s s e r , j o in t au x im ­
p r e s s i o n s p r o d u ite s p a r les s u ite s d u s u c c u le n t d în e r q u e
j e v en a is de faire, m e p e r s u a d è r e n t q u e j e po uvais tâ c h e r
sa n s in c o n v é n ie n t d ’e x p r im e r m o n a d m ir a tio n p o u r d e u x
196
SOUVENIRS
MILITAIRES.
f e m m e s c h a r m a n t e s d o n t les q u a lité s m e s e m b la ie n t u n
p e u é q u iv o q u e s.
« P e n d a n t l ’e n t r ’acte, les v o y a n t s e u le s, j e ne b alan ç ai
p o in t à e n t r e r d a n s l e u r loge avec l ’a s s u r a n c e p r o d u ite p a r
m o n h a b i t et t o u jo u r s so u s l ’in flu e n ce d e m a cro y a n ce.
Mais b ie n tô t s 'e n g a g e a u n e c o n v e r s a tio n d a n s la q u e lle o n
m e r é p o n d i t avec grâce et e s p rit, n ’e u s s e n t été c e r ta in s
s o u r ir e s m a lic ieu x .
« L e r e t o u r des d eux cavaliers d e v e n a n t le sign al de m a
r e tra ite , j ’allais m e r e ti r e r , lo rsq u e la p lu s jo lie d e s d e u x
d a m e s m ’en g a g ea p a r m o n n o m à r e s t e r dan s sa loge.
F o r t s u r p r i s d ’ê tre si b ie n c o n n u , je c o m m e n ç a i à c ra in d re
de m ’ê tre f o u rv o y é ; m a is, b ie n tô t, r a s s u r é p a r l e 'c h a r m a n t
c a q u e ta g e de m e s d e u x in c o n n u e s et les f o r m e s h o n n ê t e s
de c e s d e u x m e s s ie u r s , je ne ta r d a i p o in t à r e p r e n d r e m o n
ap lo m b , s u r t o u t a u x p a r o le s e n c o u r a g e a n te s qui m ’é ta ie n t
adressées.
« Le s p e c ta c le te r m in é , a u m o m e n t o ù j e faisais m e s
s a lu ta tio n s , on p r e n d m o n b r a s, et n o u s voilà d e s c e n d u s à
la so rtie de l ’O péra, s a n s p o u v o ir d e v in e r le g e n r e d ’éq u i­
page q u e ces d a m e s p o u v a i e n t a t te n d r e ; je n ’étais pas
c e p e n d a n t sa n s u n e espèc e d ’e m b a r ra s , en v o y a n t le
n o m b r e de s a lu ta tio n s r e s p e c t u e u s e s a d r e s s é e s p lu s p a r t i ­
c u l i è r e m e n t à la p e r s o n n e q u e je te n a is so u s le bras.
Enfin, a p p a r a ît u n b e a u et s u p e r b e c h a s s e u r , t o u t c h a­
m a r r é d ’or, a n n o n ç a n t à M adam e la d u c h e s s e l ’a p p r o c h e de
sa voitu re . J ’e u s s e v o lo n tie r s fait r e tr a i te e t pré fé ré c e n t
fois ê tre en face de l ’e n n e m i à l’é tre in te de c e tte petite
m a in a p p u y é e s u r m o n b r a s, q u i m e faisait l ’effet d ’u n joli
c r a m p o n de fe r ; m o n anxiété éta it e x trê m e , m e s ja m b e s
p r ê te s à s ’affaisser so u s m o i, lo r s q u e ce tte b ea u té que, dans
m o n fo r in té r ie u r , j ’e n v o y a is bien loin, p r e n a n t en pitié
m a p a u v r e figure, m e dit avec to u te la grâce im a g in a b le ;
LA
DUCHESSE
D’A B R A N T È S .
— 1808.
191
« J ’e s p ère, M o nsieur, q u e v o u s viendrez voir v o tr e c o lo nel
g én é ral, il vous re c e v r a d e m a in avec le p lu s g rand
plaisir. » P u is , m e s a lu a n t d ’u n geste grac ieu x , e lle m o n t a
en v o itu re et p a r tit r a p id e m e n t .
« J e v en a is f o rt é t o u r d i m e n t d ’avoir affaire à la d u c h e s s e
d ’A b ra n tè s et so n am ie, la fem m e d u g é n é r a l L a lle m a n d .
P étrifié de la p etite m y stifica tio n q u e j e m ’étais attirée,
m a is bien déc idé à n ’e n p a s p e r d r e les fruits, le l e n d e ­
m a in , je m e p r é s e n ta i r u e des C h a m p s-É ly sé e s, à l ’h ô te l du
g o u v e r n e m e n t de P a ris : je fus d ’a b o r d in tr o d u it a u p r è s
de la d u c h e s s e d ’A b ra n tè s, qui m e p la is a n ta b e a u c o u p et
avec c e t e s p rit qui la d istin g u a it, s u r la m a n iè r e p n p e u
cavalière d o n t je l ’avais a b o r d é e la veille, m ’en g a g e a n t à
v e n ir à ses c h a r m a n te s so iré e s et à g a r d e r i e silence s u r le
d é b u t de n o tr e c o n n a is s a n c e . P u is , m e c o n d u i s a n t p r è s de
so n m a ri, elle m e p r é s e n t a c o m m e u n e c o n n a is s a n c e de
sa m è r e : celui-ci, avec c e tte r o n d e u r e t ce tte fra n ch ise
q u i lui é ta ie n t fam iliè re s, m e fit le m e ille u r accueil e t m e
r e t i n t à d în e r, en m e d is a n t q u e les h u s s a r d s étaie n t t o u ­
jo u r s les b ie n v e n u s chez lui. M a inte n ant, m e voilà lancé
d a n s u n e des plus ag ré ab le s m a iso n s de P a ris, et p r è s
d ’u n e f e m m e b rilla nte p a r so n e s p rit, s a b e a u té , sa h a u t e
p o sitio n sociale et le bea u n o m de C o m n è n e q u ’elle tie n t
de ses p è r e s .
« J ’e s p é r a is a lle r p r é s e n t e r m e s r e s p e c tu e u x h o m m a g e s
à l ’I m p é r a tric e , m a is m a l h e u r e u s e m e n t , elle e s t à B a y o n n e .
La re in e H o rte n se a e u l ’e x t r ê m e b o n té de m ’a d m e t t r e à
ses so iré e s qui fin isse n t p r e s q u e to u jo u r s p a r la danse,
où, c o m m e à M ayence, j e su is un de ses valseurs. J e vais
aussi chez la p r in c e s s e B o rg h èse, d o n t la b e a u té est r e m a r ­
quable, e t qui aim e le p la isir c o m m e u n e I talien n e : au ssi
ses s o ir é e s son t-elles u n p e u d éc o lle té es et d ’u n g e n re
to u t à fait différent de celles chez la rein e .
198
SOUVENIRS
MILITAIRES.
« J e n e sais si vous v o u s ra p p e le z u n e c e r ta in e d u c h e sse ,
n o tr e co u s in e , qui m ’é c o n d u is it de chez elle lo rs de m o n
e n tré e a u serv ice ; eh bien ! a u j o u r d ’hui, p a r u n r e v ir e m e n t
d ’id é es, so n fils, r e v ê t u de l ’h a b it de c h a m b e lla n , té m o in
de m a p o sitio n d a n s le sa lo n de sa p rin c e s s e , a c r u devoir
e n in f o r m e r s a m è r e de
qui j ’ai r e ç u u n
billet q u e
Mme de Sévigné n ’e û t pas m ie u x écrit, p o u r m e c o m p l i ­
m e n t e r s u r m e s s u c c è s et m ’en g a g er à v e n ir r e p r e n d r e
m a place à sa ta b le d o n t elle m ’a v a it ex c lu si b r u s q u e ­
m e n t. J e m e s u is e m p r e s s é de m e r e n d r e à so n invitation,
afin de m e c o n v a in c re q u e la c h è r e co u s in e sa v ait faire
c o n c o r d e r sa relig io n avec l’a d o ra tio n d u vea u d ’or. Au
r e s te , il en e s t à p e u p r è s de m ê m e d a n s u n e g ra n d e p artie
d u F a u b o u r g S ain t-G erm a in , d o n t les n o m s h is t o r iq u e s ne
d é d a ig n e n t p a s de s ’affubler d u c o s t u m e de c h a m b e lla n
e t d ’é c u y e r , ce qui m e s e m b le bie n d ifférent de l ’h a b it
m ilita ire , signe b ie n c e r ta in q u e l’o n s e r t sa p a trie ... Au
r e s te , P aris e s t en ce m o m e n t u n lie u d ’e n t r a î n e m e n t p ar
le s fêtes de to u s g e n r e s q u i se s u c c è d e n t; ce p e n d a n t,
au m ilie u de ta n t de p r e s tig e , l ’h o riz o n s e m b le s ’o b sc u rc ir
d a n s d e s d isc u s s io n s d ip lo m a tiq u e s avec l ’A u triche, et
il n e s e ra it pas s u r p r e n a n t q u e l’E m p e re u r, p o u r les
d é b ro u ille r, n e f û t obligé d ’avoir r e c o u r s au x g ra n d s
m o y e n s . P o u r m a p art, fort p e u p a r tis a n de cet a s tu cieu x
ca b in e t et tr è s d é s ire u x qu e n o u s n o u s m e s u r i o n s avec
les A u tric h ie n s, cela m e p r o c u r e r a i t p r o b a b l e m e n t l ’occa­
sio n de v isite r le u r capitale.
« Au m o m e n t o ù j ’allais t e r m i n e r m a le ttr e , j e reçois
u n e in v itatio n à d in e r chez M. de T a lle y ra n d ; v o u s devez
b ie n p e n s e r q u ’il n ’e s t n u ll e m e n t q u e s t i o n d ’affaire poli­
t iq u e e n tre u n a u s si g r a n d p e r s o n n a g e et un c a pita in e de
h u s s a r d s ; m a is, l’a y a n t r e n c o n t r é il y a q u e lq u e s jo u r s
d a n s les sa lo n s de la r e in e de H ollande, il a bie n voulu
SOIRÉE
A FEVDEAU.
— 180 8 .
199
vaincre sa froide c a u stic ité p o u r m e d e m a n d e r de vos
n o u v elles e t m ’en g a g e r à ven ir au x so iré e s de son é p o u se.
« A dieu, m o n p è r e ; je v o u s e m b ra s s e b ie n te n d r e m e n t ,
m a is avec tr is te s s e de ne po u v o ir le faire a u t r e m e n t . »
T o u jo u r s d a n s la c ra in te de rec ev o ir l ’o rd re de -partir,
bien q u e m a p r é s e n c e n e fût p o in t e n c o re n é c e s sa ire à
N a m u r , la p r o te c tio n d u p rin c e de N eu c h âte l m e v e n a n t
en aide, j ’en u sa is c o m m e le jo u e u r r é d u it à so n d e r n ie r
e n je u , s u r t o u t avec le c h a g r in de voir r o m p r e u n e douce
liaison q u e m o n état p o u v a it r e n d r e p e u d u ra b le . C’e s t au
m ilie u de cette perp le x ité q u e je re ç u s d u G rand ch a n c e lie r
de la L égion d ’h o n n e u r l ’in v itatio n de m e r e n d r e chez lui.
S on E x cellence m e r e ç u t avec sa b ie n veillance h a b itu e lle
e n m e d is a n t q u ’il avait s o u m i s à l ’E m p e r e u r n o n s e u le ­
m e n t m a d e m a n d e , m a is a u s si celle de tro is officiers
dan s la m ê m e p o s itio n , p o u r ê tre a u to risé s à p o r te r la d é ­
c o r a tio n de S a in t-Je a n de R u s sie, r e ç u e lors de n o tr e é m i­
g ratio n . S a Majesté, e n p r e n a n t co n n a issa n c e de n o s
d ip lô m e s et p r o b a b le m e n t en ra is o n d es s y m p a th ie s qui
e x ista ie n t e n tre lés d e u x c o u r s , avait a c c o r d é ce lle faveur
s u r la q u e lle j ’avais fondé p e u d ’esp éran c e.
Cette s itu a tio n fu t tro u b lé e p a r u n é v é n e m e n t grave en
d e h o r s de to u te p rév isio n e t q ui, m a l h e u r e u s e m e n t , e u t un
grand reten tissem en t.
U n soir, é ta n t a u th é â tr e F e y d e a u , placé d r o it a u b a l­
con p o u r c a u s e r avec MU10S de la R ochefoucauld et d ’A rberg
d an s u n e loge de côté, j e m e s e n tis assez v io le m m e n t
p o u s s é p a r u n individu a u q u e l je n e fis d ’abord a u c u n e
a tte n t io n , d a n s la p e n s é e q u ’il y avait in a d v e r ta n c e ; m a is,
s u r la réc id iv e, m e t o u r n a n t vers lui p o u r savoir s ’il y
avait i n te n tio n : « C e rta in e m e n t », m e d it- il ; — « Alors,
r é p o n d is - je , j e s u is fâc h é de n e l ’av o ir p a s p rév u , parc e
200
SOUVENIRS
MILITAIRES.
q u e je v o u s e u s s e r é p o n d u de m o n p ie d d a n s le d e r r iè r e »;
et, s o r ta n t d a n s le co u lo ir, j e d e m a n d a i à ce g r o s s ie r p e r ­
son n a g e so n n o m et so n a d r e s s e , en lu i r e m e t t a n t la
m ie n n e , avec p r o m e s s e de n o u s t r o u v e r le le n d e m a in
m a t i n à cin q h e u r e s s u r le b o u le v a r d p o u r aller de là
v id e r ce tte q u e re lle . E lleviou, qui se tr o u v a it e n ce m o ­
m e n t p r è s de m o i et q u e je co n n a issa is, s ’e m p r e s s a de
s o r t i r en m ’offrant o b lig e a m m e n t de m e s e rv ir de seco nd.
Il m e dit c o n n a ître cet h o m m e , et a j o u ta - t- il : « C’e s t un
m a u v a is drô le, e s p èc e de s p a d a ssin , qui a e u p lu s i e u r s
affaires avec d es officiers, p r é t e n d a n t av o ir u n e an tip a th ie
p o u r les m il ita ir e s ; il se n o m m e V a lc h ie r; sa f e m m e d o n t
il e s t s é p a r é e s t c é lè b re p a r sa b e a u té , ses ta le n ts e t ses
in tr ig u e s . J e lui ai e n t e n d u d ire, il y a q u e l q u e s in sta n ts, à
u n e p e r s o n n e avec la q u elle il causait, q u e vos m o u s ­
t a c h e s b lo n d e s, v o tr e r u b a n bariolé et vo tre a ir lui
d é p la is a ie n t e t q u ’il v o u la it v ou s tâ ter. — Eh bien ! r é p o n ­
dis-je, n o u s n o u s tâ t e r o n s d e m a in . » Et, r e n t r a n t a u bal­
con, je r a s s u r a i ces d a m e s e n le u r d is a n t q u ’il y avait eu
m é p r i s e et q u e to u t était te rm in é .
Le le n d e m a in , j ’a tte n d is v a in e m e n t s u r les b o u le v ard s
j u s q u ’à n e u f h e u r e s ; fu rie u x , je m e p r é s e n te chez m o n
a n ta g o n is te et j ’a p p r e n d s avec la p lu s g ra n d e s u r p ris e
q u ’il est p a r ti p o u r la c a m p a g n e d ès la p o in te du j o u r , sans
i n d iq u e r la date de so n r e to u r .
Ne sa c h a n t q u e p e n s e r de cet h o m m e , la veille si in s o ­
l e n t, je m e p r o m i s de lui d o n n e r u n e le ç o n si j e le r e n c o n ­
tr a is : en effet, d e u x j o u r s ap rè s, c e tte o c c a s io n se p r é ­
se n ta et je la saisis avec e m p r e s s e m e n t. Je sortais du
café Anglais où j ’avais diné avec J u le s de Canouville,
l o r s q u e j e vis p a s s e r m o n h o m m e d a n s u n tilb u ry , ay a n t
u n e f e m m e à se s côtés. M’é la n ç a n t à to u te c o u rse , j ’a t te i­
g n is la v o itu re d a n s la r u e d u H eld e r e t a r r ê ta n t le cheval
DUEL.
201
— 1808.
p a r u n e saccade, j ’a d m in is tra i d a n s la figure de ce p e r s o n ­
nage q u a t r e o u cin q c o u p s d ’u n e b a d in e q u e j ’avais à la
m a in . E n to u r é a u s s itô t p a r u n e foule de m o n d e , té m o in de
c e tte grav e in ju r e et q u i p ar a is s a it tr è s m a l d isposée à m o n
égard, j e m ’e m p r e s s a i de lui r e n d r e c o m p te du m o ti f de
m a c o n d u ite ; alo rs, les h u é e s et les lazzis a c c o m p a g n è r e n t
cet h o m m e q u e je forçai de r e t o u r n e r ch e z lui, s u r le b o u ­
le v a rd des Italiens o ù il d e m e u r a it, ta n d is q u e sa c o m ­
p a g n e , d ’u n e p â l e u r effrayante, m ’in sp ira it c ra in te e t pitié,
c a r je la voyais p r ê te à s ’é v a n o u ir, et elle se s o u te n a i t à
p e i n e s u r le siège d u tilb u ry .
L o rs q u e n o u s f û m e s en p ré s e n c e , a y a n t t o u jo u r s p o u r
c o m p a g n o n Canouville q u i ne m ’avait p a s q u itté , je décla­
rai a u s ie u r V a lc h ie r q u e, s ’il ne se b a tta it p as le le n d e ­
m a in , j ’afficherais sa lâ c h e té d a n s to u s les cafés de P a r is
et les jo u r n a u x . L a r e n c o n tr e f u t fixée p o u r six h e u r e s d u
rriatin, au bo is de B oulogne. D ans la j o u r n é e , le général
D igeon, de l’A rtille rie de la Garde im p é riale , m e p r ê ta ses
pisto le ts e t so n épée de c o m b a t. C e pend a nt, v o u la n t to u t
p ré v e n ir d a n s u n é v é n e m e n t d o n t le s c h a n c e s é ta ie n t
au ssi in c e r ta in e s , je p ris to u te s les d isp o s itio n s n é c e s ­
saires r e la tiv e m e n t au x affaires d o n t j ’étais c h a rg é, que
j ’avais p r é p a ré e s d ’avance le j o u r o ù d evait avoir lieu cette
re n c o n tr e . Enfin, ce soin te r m in é ; je fus s u r les onze
h e u r e s p r e n d r e d u p u n c h avec p lu s i e u r s de m e s c a m a ­
r a d e s qu i e u r e n t la d isc ré tio n de n e p o in t p a r l e r de c e tte
affaire q u ’ils c o n n a is s a ie n t to u s , et je r e n tr a i m e co u c h er.
A cinq h e u r e s et d e m ie , j ’étais s u r le te rr a in in d iq u é
pour
le
c o m b a t,
ayant
pour
té m o in s
Canouville
et
S opranzi, to u s d e u x aides de c a m p du p r in c e de Neuch âtel (le d e r n ie r, fils de la m a r q u i s e de Visconti) et m e s
am is p a rtic u lie rs. N ous a t te n d î m e s p lu s de tr e n t e m i n u t e s
a u delà de l ’h e u r e in d iq u é e ; déjà, je c o m m e n ç a i s à cro ire
202
SOUVENIRS
MILITAIRES.
q u ’il en se ra it ce tte fois c o m m e de la p r e m i è r e , lo r s ­
q u ’u n b r u it d a n s le lo in ta in m e fît p e n s e r q u e ce p o u v a it
ê tre m o n ad v e rsa ire . En effet, u n e v o itu r e à l ’e x tré m ité
d ’u n e allée fut b ie n tô t p r è s de n o u s . M. Y alchier s a u ta
l e s t e m e n t à te r r e ainsi q u e ses d eux té m o in s . « V ous v o u s
ête s bie n fait a tte n d r e , d it S opranzi. — Cela est vrai,
r é p o n d it im p e r l i n e i n m e n t m o n a d v e rsa ire , m a is soyez
tr a n q u ille , j e vais r é p a r e r le t e m p s p e r d u », et, p r e n a n t
ses p isto le ts pla c é s d a n s u n e b o îte : « Il faut, dit-il, que
n o s a r m e s so ie n t c h a r g é e s p a r les t é m o in s », et, a ju s ta n t
u n p e tit a r b r e , il tir a et m i t la balle au m ilieu : ce lte fan­
fa r o n n a d e f u t a p p r é c ié e ce q u ’elle m é rita it.
Les p is to le ts ch a rg é s, il f u t c o n v e n u q u e n o u s s e rio n s
pla c é s à v in g t p a s de d ista n c e , p o u v a n t m a r c h e r l’u n s u r
l ’aut-re j u s q u ’au x d e u x ép é e s p la n té e s à cin q p as l ’u n e de
l ’a u t r e , afin de n o u s e n s e rv ir a p r è s la déc h arg e de nos
a r m e s , le cas éc h é a n t.
A u ssitô t ces d isp o s itio n s p ris e s , n o u s n o u s m e s u r â m e s
u n m o m e n t d u reg a rd , et, m a r c h a n t a u x épées., un e d o u b le
d é t o n a tio n r e t e n t i t p r e s q u e e n m ê m e te m p s , e t m o n ad­
v ersa ire, p i r o u e t t a n t s u r l u i- m ê m e , to m b a fra p p é d ’u n e
balle q u i lui f ra c a ssa la clavicule et l’épaule. N ous t r a n s ­
p o r tâ m e s le b le ssé d a n s sa v o itu r e ; il p a ra issa it souffrir
h o r r ib l e m e n t, et, le la issa n t livré au x s o in s de ses d e u x
t é m o in s , n o u s r e v în m e s à P aris.
T ro is h e u r e s a p r è s m a r e n tr é e , je so r ta is p o u r aller d é ­
j e u n e r , lo r s q u e j e fus a c co s té p a r u n in d iv id u q u i m e r e m i t
u n e le ttr e m e p r e s c riv a n t de m e r e n d r e s u r - l e - c h a m p au
m in i s tè r e de la P olice. I n tr o d u i t p r è s d u M inistre, il
v oulu t e n t e n d r e de m a b o u c h e les d étails de ce tte affaire
q u ’il c o n n a is s a it au s si h ie n q u e m o i, de m ê m e qu e son
r é s u lta t. Il v o u lu t bien m e p r o m e t t r e d ’en p a r le r à l’E m p e­
r e u r so u s le j o u r le p lu s favorable, et m 'e n g a g e a à aller
RETOUR
A NAMÜR.
— 1 808.
203
chez le M inistre de la G uerre afin de d é t r u i r e les m a u v a is e s
im p r e s s io n s q u e ce c o m b a t devait n a t u r e l l e m e n t p r o d u ire
s u r so n e s p r it ; m a is, déjà in s t r u it p a r m e s d e u x té m o in s ,
il m e fit u n e a d m o n e s t a tio n p lu tô t p a te r n e lle qu e sévère,
et m e r e n v o y a t o u t à fait tran q u ille.
Ainsi se t e r m i n a ce d r a m e d o n t on parla p e n d a n t vingtq u a t r e h e u r e s d a n s les sa lo n s de P aris, et q u ’o n ou b lia
a u s s itô t ap rè s. Q u a n t à m o n a n ta g o n is te , que j e c r u s m e
d isp e n s e r de vo ir, j ’a p p r is q u ’il avait la clavicule b risée et
c o u ra it le r is q u e d ’ê tre e s tro p ié, ce d o n t je m ’occupai fort
p e u , se s a n t é c é d e n ts e t sa c o n d u ite ne d eva nt in sp ire r
a u c u n in té rê t.
Q uinze j o u r s s ’é c o u lè r e n t e n c o re a p r è s cet é v é n e m e n t,
p e n d a n t le sq u e ls, c o n t in u a n t c e tte vie de plaisir, je la t e r ­
m in a i p a r u n e fête d o n n é e p a r M. de T alleyrand , où to u t ce
q u e le lu x e p e u t in v e n te r fut d é p lo y é avec u n e p ro fu sio n
in im a g in a b le . A ce tte fête se tr o u v a ie n t les p r in c e s et les
p r in c e s s e s de la F a m ille im p é r ia le , le co rp s d ip lo m a tiq u e
e t t o u t ce q u e P a ris r e n f e r m a i t de p e r s o n n e s m a r q u a n te s .
V in g t- q u a tre h e u r e s ap rè s, as sis m o lle m e n t d a n s m a p etite
calèche, m o n h u s s a r d s u r le siège, d e u x c h e v au x de p o s te
m ’e n t r a în a ie n t r a p id e m e n t dan s la d irec tio n de Metz, où je
re sta i d e u x jo u r s p o u r t e r m i n e r to u te s m e s affaires, et
arriv ai à N a m u r afin de r é g u la r i s e r la m ission d o n t j ’étais
ch a rg é.
« Namur, 24 août 1808.
« Mon colonel,
« Une le ttr e p r e s s a n te du m a jo r Martel m ’a y a n t fait p a r ­
tir de P aris s u r -l e - c h a m p , j ’e s p érais en a r r iv a n t ici n ’avoir
p lu s q u ’à m e m e ttr e e n r o u te p o u r le r é g im e n t. Mais bien
des tr ib u la tio n s m ’é ta ie n t e n c o re r é s e r v é e s ; to u t ce q u e
204
SOUVENIRS
MILITAIRES.
j ’e s p é r a is t r o u v e r é t a n t loin d ’être co n fe c tio n n é , j ’e n t é ­
m o ig n a i m a s u r p r i s e avec d ’a u t a n t p lu s de ra iso n qu e
j ’avais acq u is la c o n v ictio n d a n s les b u r e a u x de l ’a d m in is ­
t r a t io n de la G u erre , d es envois faits a u d é p ô t d u r é g im e n t
d e p u is p lu s de six s e m a in e s.
« Le m a j o r lu i - m ê m e , fort m é c o n t e n t de la n ég lig en c e
d u c a p ita in e d ’h a b i l l e m e n t et d ’a u t r e s m é fa its de cet offi­
cier, s ’e s t trouvé, a in si q u ’il vous e n a in fo rm é, d a n s la
n é c e s sité de le s u s p e n d r e de ses f o n c tio n s j u s q u ’à p lu s
a m p le in f o rm é d e sa c o n d u ite .
« Le c a p ita in e Nicolle, c h a r g é de r é p a r e r les fa u te s de
so n p r é d é c e s s e u r , a m is t a n t de zèle e t d ’ac tivité qu e je
p u is v ous a n n o n c e r a u j o u r d ’h u i la c o m p lè te e x é c u tio n de
v o s o rd re s. Il n ’a fallu r i e n m o in s q u e la j u s t e sévérité du
m a jo r p o u r o b te n ir ce r é s u lt a t, ca r, de la m a n iè r e dont
cela m a r c h a it lo r s q u e je su is arrivé ici, j ’e u s s e f o rt bie n
p u y p r e n d r e m o n q u a r ti e r d ’hiver. D em a in , u n d é ta c h e ­
m e n t c o m p o s é de d e u x m a r é c h a u x d es logis, q u a t r e b rig a­
d ie rs et vin g t h u s s a r d s , p a r f a it e m e n t m o n té s , p a r t p o u r
Mayence où il a t te n d r a l ’arriv ée d u c o nvoi q u e l ’on e m b a r ­
q u e r a j u s q u ’à ce tte ville. Cette m a n iè r e é t a n t la p lu s éc o n o ­
m iq u e , p u is q u e les t r a n s p o r t s en F ra n c e n e s o n t q u ’à prix
d é f e n d u s, tous les o b je ts (d o n t l ’état ci-joint) s o n t bie n
e m b allés et à l ’a b ri de to u te avarie, de m ê m e q u e d eu x
é n o r m e s ca isses r e n f e r m a n t to u s les galons, to rs a d e s , b r o ­
d e r ie s , f o u r r u r e , p e l le t e r ie , etc., e tc ., d e s officiers d o n t
j ’e s p è r e q u e v o u s a u r e z lie u d ’ê t r e satisfait. Cette d e r n iè r e
f o u r n it u r e e s t e n t i è r e m e n t p a y é e et a c q u itt é e avec to u te s
le s fo rm a lité s p r e s c r i te s , et je v o u s dirai m ê m e q u e s u r
v o tre a p e r ç u de d é p e n s e , il y a u r a un boni de 8 565 francs
q u e je v o u s r e m e ttr a i .
» J ’ai t o u t lie u d ’e s p é r e r q u e v o u s serez satisfait, a y a n t
m i s le s so in s les p lu s m in u t i e u x à ce lte o p é ra tio n d a n s
AU
DÉPÔT.
— 1 808.
205
laqu elle le b ra v e g é n é r a l S chw artz m ’a été d ’u n g r a n d
se c o u rs. J e p a r tira i de N a m u r de m a n iè r e à m e tr o u v e r
a u d é b a r q u e m e n t d u convoi, et, u n e fois en m a rc h e , je n e
le q u itte r a i p lu s j u s q u ’au r é g im e n t. V ous po u v ez d o n c être
ce rta in q u e j ’arriv erai vers les p r e m i e r s j o u r s d ’o c to b re , à
m o in s d ’é v é n e m e n ts to u t à fait im p r é v u s d o n t j e m ’e m ­
p r e s s e ra i de d o n n e r avis.
« T o u te s vos c o m m is s io n s de P a ris s o n t'f a it e s , m o in s
u n e d o n t l’in e x é c u tio n v ous affligera p ro fo n d é m e n t. J ’e s p é ­
rais, c o m m e v ous le désiriez, d é t e r m i n e r le c h e f d ’e s ca d ro n
P e r r in à p a r tir avec m o i ; il é ta it m ô m e co n v e n u e n tre n o u s ,
lors de m o n arrivée à P aris, q u ’il pro fiterait d e m a v o itu re ,
p e n s a n t q u e le v oyag e p a r j o u r n é e s d ’é ta p e s et le c h a n g e ­
m e n t d ’a ir p r o d u ir a ie n t u n effet s a lu ta ire s u r sa sa n té ;
m a is, d ep u is u n m o is des s y m p t ô m e s a l a r m a n t s so n t v e n u s
d é tru ire ses e s p é r a n c e s ; ses m é d e c in s , q u e j ’ai c o n s u lté s
av a n t de q u itt e r P aris, m ’o n t déc la ré q u e le m a la d e é ta it a r ­
rivé a u d e r n ie r d e g ré de la p h tis ie p u lm o n a ir e et q u ’il n ’en
n ’avait p as p o u r tr o is s e m a i n e s ; ce q u ’il y a d ’affreux, c ’est
qu e ce m a lh e u r e u x c o n n a ît sa p o sitio n et q u ’il ne se fait
a u c u n e illusio n s u r s o n é ta t. L o r s q u e j e l ’ai q u itté la veille
de m o n d é p a rt, il m e d isait e n m e s e r r a n t la m a in : « Mon
c h e r capitaine, v o u s p o r te r e z m o n d e r n ie r s o u v e n ir au ré g i­
m e n t »; et, m ’e m b r a s s a n t avec m é la n c o lie , « V ous d o n ­
n e re z ce b a is e r au c o lo n el en lui d isa n t q u e je re g r e tte r a is
m o in s la vie si je la p e r d a is en c o m b a tt a n t à ses côtés, car
il e s t b ie n c r u e l p o u r u n h u s s a r d de m o u r i r d a n s son lit. »
« J ’ai q u itté ce dig n e officier, n a v r é de d o u le u r, avec la
t r is te conv ictio n de n e p lu s le re v o ir, et n ’ai p u r e t e n i r
m e s la r m e s lo r s q u e son r e g a r d s e m b la it m ’a d r e s s e r u n
é te r n e l adieu.
« U ne a u tre n o uvelle q u i v o u s c a u s e ra u p e vive c o n t r a ­
r ié té e s t relative a u r ég im en t.
2Û6
SOUVENIRS
MILITAIRES.
« Le j o u r o ù j e fu s chez le m in i s tr e de la G uerre p o u r
p r e n d r e ses o r d re s , il m e dit q u e la b rig a d e du g é n é r a l Pajo l avait été d és ig n é e p o u r a lle r e n E s p a g n e , m a is q u ’u n e
a u tre d é t e r m i n a t i o n de l ’E m p e r e u r a v a it p r e s c r i t définiti­
v e m e n t q u ’elle r e s te r a it e n A llem ag ne, f a isa n t p a rtie
d u co rp s d ’a r m é e d u m a r é c h a l Davout. Il ajo u ta q u e
l’e s c a d r o n qui se f o rm a it a u d é p ô t se ra it a m a lg a m é avec
p lu s i e u r s a u t r e s p o u r f o r m e r u n r é g im e n t p ro v iso ire qui
devait ê t re dirigé s u r la C atalogne, e t q u ’in c e s s a m m e n t,
v o u s e n rec evriez l ’avis.
« J e p r is la lib e rté d ’o b s e rv e r q u e le r é g i m e n t avait
b e a u c o u p p e r d u d a n s la d e r n iè re c a m p a g n e , et q u e la s u p ­
p r e s s i o n de c e t e s c a d ro n s e ra it tr è s p r é ju d i c ia b le au ré g i­
m ent :
« D ites à v o tr e c olonel, m e rép o n d it-il, q u e telle est la
v o lo n té de l ’E m p e r e u r ; a u reste , cet e s c a d ro n a p p a r tie n d r a
to u j o u r s a u r é g im e n t, et, av a n t q u a tre o u c in q m ois, il
r e c e v r a la m ê m e q u a n tité d ’h o m m e s d o n t on le priv e e n ce
m o m e n t. »
« J ’avais, c o m m e v o u s p en sez , p e u d ’o b s e rv a tio n s à faire
a u m in i s tr e , q u i d ’a ille u rs n e m ’en la issa p a s le te m p s , car
il a jo u ta : « P asse z a u b u r e a u des m o u v e m e n t s où l ’on
v o u s d éliv rera u n o r d re p o u r le m a ré ch a l K e lle rm a n n , afin
q u ’il v o u s la isse c o n t in u e r votre r o u t e ; a u t r e m e n t il e û t
a r rê té v o tre convoi », et, m e s o u h a ita n t u n b on voyage
avec u n sign e b ie n v e illa n t de la m a in , il m e to u r n a le dos.
« Il m e r e s te m a i n te n a n t, m o n colonel, ap rè s v ous avoir
e n t r e t e n u des in té r ê ts d u r é g im e n t, à v o u s a p p r e n d re u n e
e s p èc e de g u e t-a p e n s f é m in in d a n s leq uel j ’ai failli to m b e r ,
ca r il n e s ’agissait rie n m o in s q u e de m e m a rie r.
« Mmo Martel qui e s t u n e v é r ita b le folle, r e m p l ie d ’e s p rit
et d ’o rig inalité, s ’était te lle m e n t m is ce p r o je t e n tê te, q u ’à
m o n in su , et sa n s m e c o n s u lte r, elle avait, p e n d a n t m o n
MARIAGE
MANQUÉ.
— 1 808.
207
a b s e n c e , c o m m e n c é to u te s les d é m a r c h e s p ré lim in a ire s
p r è s de la b a r o n n e de la R o u v e rie, f o rt r e sp e c ta b le f e m m e
de ce tte ville, p o s s é d a n t u n e f o r tu n e c o n s id é r a b le et u n e
fille u n iq u e de d ix - h u it a n s, in n o c e n te e t m o d e s te , d o n t le
c œ u r ca n d id e .e t la t o u r n u r e ag ré ab le é ta ie n t b ie n faits p o u r
i n s p i r e r le d é s ir de lui plaire. Ce com p lo t, so rti d u ce rveau
de la f e m m e d u m a jo r, a c q u é r a it d ’a u t a n t p lu s d ’a u to rité
q u ’elle avait d it à la b a r o n n e chez qui, p a r p a r e n th è s e , j ’al­
lais to u s les soirs s a n s m e d o u te r de rie n , ê tre ch a rg ée du
d é b u t des n égo ciation s. Aussi, ju g e z q u e l d u t ê tre m o n
é t o n n e m e n t en a p p r e n a n t u n m a tin to u t ce q u i était fait et
qui r e s ta it à faire : c ’es t-à -d ire m e d é c la re r o s te n s ib le m e n t
c o m m e a s p ira n t
à l ’h o n n e u r
de
d e v e n ir
l’ép o u x
de
M1IeF élicie de la R ou v e rie.
« Mes r e m e r c ie m e n ts f u re n t a c c o m p a g n é s d ’u n fou rire ,
im m o d é r é , au m ilieu d u q u e l j e fis à m o n am b a ssa d ric e
s u p p o s é e d eux o b se rv a tio n s assez ju d ic ie u s e s : la p r e m i è r e ,
m o n m a n q u e de vocation p o u r c o n t r a c te r u n lie n lé gitim e ;
la seconde, m o n p e u de f o rtu n e p a r r a p p o r t à celle q u e
d evait avoir u n j o u r la j e u n e p e r s o n n e . « Cet article est
p r é v u , m e r é p o n d it-e lle , la m è re raffole de v ous et la fille
n ’e n est p as loin ; m a is u n e se u le co ndition vous est im p o ­
sée, c’est de q u itte r le service et v ou s pouvez d ’a u t a n t m ie u x
le faire q u e n o u s av ons la paix. — Alors, répondis-je,
veuillez rec ev o ir l ’a s s u ra n c e de to u te m a re c o n n a is s a n c e
s u r l ’in t é r ê t q u e v o u s avez b ie n v o u lu m e p o r te r , v o u s
e n g a g ea n t à r e je te r s u r u n a u tre vos b ie nv eillan tes idées
m a tr im o n ia le s : m a p e lisse est m a m a ître ss e , m o n sabre
e s t m o n am i ; j ’a u ra i p o u r eu x u n e fidélité iné b ra n lab le, que
les y e u x les p lu s t e n d r e s e t la ca sse tte la m ie u x g a r n ie ne
s a u r a ie n t m e faire a b a n d o n n e r de sitôt. » Enfin, q u e vous
dirai-je? j ’ai s o u te n u l ’a tta q u e la p lu s vive, r é s is té aux
s é d u c tio n s et au x a r g u m e n ts les p lu s ca p tie ux, e t su is resté
S O UV ENIR S MILITAIRES.
avec m a virginité m a îtr e d n c h a m p de bataille, en m ’absten a n t de r e t o u r n e r chez la b a r o n n e , a u r is q u e de p a s s e r
p o u r u n original. A ussi m e tard e -t-il de q u itt e r p r o m p t e ­
m e n t ce tte ville, s u r t o u t en p e n s a n t q u e ce se ra p o u r m e
r a p p r o c h e r de m a fam ille m ilita ire et vous r e n o u v e l e r de
vive voix, m o n c o lo n el, q u e je v o u s su is d év oué à la vie,
à la m o r t. »
XI
R E T O U R AU
QUARTIERS
D ’HIVER
RÉGIMENT
EN
ALLEMAGNE^
La veille de m o n d é p a r t de N am u r, M'110 Martel, qui avait
si c o m p lè t e m e n t é c h o u é d a n s se s p r o je ts de m a ria g e , o b tin t
de m a p a r t u n e p lu s large co n c essio n e n m e d e m a n d a n t de
p r e n d r e dan s m a vo iture, p o u r la c o n d u ire à Mayence,
la p lu s g r a c ie u se s o u b r e tt e p e u t - ê tr e de to u t le d é p a r te ­
m e n t d u M on t-T o n n erre, avec la c h a rg e de la r e m e t t r e e n tre
les m a in s de sa m è r e q u i la ré c la m a it. J e m is tr o is j o u r s à
faire ce c o u r t tr a j e t qu i n e d e m a n d a it p a s v in g t- q u a tre
h e u r e s , et n o u s e u s s io n s m ê m e , se lo n toute a p p a r e n c e ,
c o n tin u é e n s e m b le n o tr e voyage indé finim ent, si les
p a r e n ts , p r é v e n u s d ’av ance de son arriv ée , et p e u ja loux
de la la is s e r v o y ag e r, n ’é t a ie n t v e n u s m e l’enlever, à so n
g ra n d r e g r e t c o m m e au m ie n .
Mon p r e m i e r soin , a p r è s ce tte s é p a ra tio n , fut d ’a lle r p r é ­
s e n t e r m e s r e s p e c ts a u m a ré c h a l K elle rm a n n , avec d'.autant
p lu s d ’e m p r e s s e m e n t qu e je ne po u v ais o u b lie r ses b o n té s
lo rs de m o n e n tré e a u se rv ic e. Sa r é c e p tio n fut r e m p lie
de b ie n v eillan c e; il m e r e ti n t et. m ’a n n o n ç a avoir reç u d u
m in is tr e de la G uerre l ’in jo n c tio n de ne p o in t a r r ê t e r m a
m a rc h e , le r é g i m e n t r e s t a n t en A lle m ag n e a u lieu d ’aller
e n Espagne.
u
210
SOUVENIRS
MILITAIRES.
L a ville é ta it e n c o m b r é e de t r o u p e s p a r l ’a r r iv é e s u c c e s ­
sive de d e u x co rp s d ’a r m é e qui v e n a ie n t de q u itt e r la
P r u s s e p o u r se r e n d r e dan s la p é n in s u le , où, disait-on,
l’E m p e r e u r dev a it aller p o u r m e t t r e la c o u r o n n e de ce
r o y a u m e s u r la tê te de so n frè re J o s e p h . T o u te s ces
t r o u p e s p r e n a ie n t ce tte d ir e c tio n avec d ’a u t a n t p lu s de
p la is ir q u ’elles d e v a ie n t tr a v e r s e r u n e p a r tie de la F ra n c e
e t q u e r ie n e n c o re n ’i n d iq u a it u n e r u p t u r e avec l’A u t r i c h e .
J e r e s ta i d e u x j o u r s à M ayence et à F ra n c f o rt, o ù je
tr o u v a i le d é t a c h e m e n t, et m e r e n d i s le 13 s e p te m b r e îi
I la n a u p o u r a s s is te r au d é b a r q u e m e n t des é q u ip a g e s et
m ’o c c u p e r a u s s itô t de l ’o rg a n is a tio n d u convoi qui c o n ­
s is ta it en d ix -h u it v o itu r e s de r é q u is i tio n s o u s l’esco rte
de d e u x sous-officiers et de v in g t- n e u f h u s s a rd s .
L e - d é s a g r é m e n t de ce tte m a r c h e était l ’o b lig a tio n de
c h a n g e r de v o itu r e à c h a q u e é ta p e ; u n des sous-officiers
avec h u i t h u s s a r d s devait p r é c é d e r n o tr e m a r c h e d ’un
j o u r , p o u r faire les lo g e m e n ts et c o m m a n d e r les v o itu r e s
de r é q u is i tio n n é c e s s a ir e s a u tr a n s p o r t et d e u x c h e v au x
p o u r m a calèche, a y a n t a u s s i d o n n é l ’o r d re de
é ta p e s l o r s q u ’il y a u r a it po ssib ilité . Le U , au
q u itt e r la ville, u n e a l te r c a tio n assez vive fut
de m ’y faire s é jo u rn e r . Le c o m m a n d a n t d u
d o u b le r les
m o m e n t de
s u r le p o in t
p o s te de la
ga rd e b o u rg e o ise , s u r la g r a n d e p la c e de ce tte ville, ay a n t
r e c o n n u , p a r m i les v o ilu r e s de ré q u is itio n , u n e q u i lui
a p p a r te n a it, v o u lu t s ’o p p o s e r à so n d é p a r t bien q u ’elle eû t
été d é s ig n é e p a r l ’a u to rité civile. Au m o m e n t o ù j ’arrivai
s u r la place, la c o n fu sio n c o m m e n ç a i t à se m e ttr e dan s le
convoi. L’officier b o u r g e o is, l ’é p é e à la m a in , à la tê te d ’une
p a rtie çle so n po ste , faisait j e t e r les b a llo ts p a r te rr e , m a l­
g ré la ré s is ta n c e de d e u x h u s s a r d s , et d ’a u t r e s s e m b la ie n t
v o u lo ir i m i te r cet exem ple.
J ’o rd o n n a i a u s s itô t de c h a r g e r le p o ste et de le d é s a r m e r ,
VOYAGE
EN
ALLEMAGNE,
DUEL.
— 1 808.
2*11
ce qui fut fait d a n s u n t o u r de m a i n ; je fis c o n d u ire les
p r is o n n ie rs , l ’officier e n tê te, d e v a n t le b o u r g m e s t r e et je
d ressa i à l ’i n s t a n t u n p ro cè s-v e rb a l avec l ’in te n tio n de le
faire p a r v e n ir au m a ré c h a l K e lle rm a n n , d o n t la sévérité
devait faire c ra in d re au x h a b i ta n t s u n e assez vive r é p r e s ­
sion. A ussi s ’e m p r e s s a - t - o n de m e d o n n e r la p lu s c o m ­
p lè te satifaction, et m o n d é p a r t se fit avec o r d re et t r a n ­
quillité d a n s la p e r s u a s io n q u e ce tte affaire était t e r m in é e .
C e p e n d a n t,'d e u x h e u r e s a p r è s m o n arrivée à G elnhausen,
lieu de 1 étape, je r e ç u s la visite de l’officier de la garde
b o u rg e o ise . Cet h o m m e , officier au service de la P r u s s e
av a n t la g u e r r e , p a r a is s a it o u tré d ’avoir été d é s a r m é en
p r é s e n c e de to u te la p o p u la tio n ; so n ex a s p é ra tio n était au
co m b le e t il ven a it m e d e m a n d e r sa tisfac tio n de l ’in ju r e
q u ’il avait re ç u e . La m a n iè r e im p e r tin e n t e d o n t il se p r é ­
s e n ta lui a t tir a de m a p a r t u n e a d m o n e s ta tio n sé v è re s u r
la c o n d u ite q u il avait t e n u e , en p r o v o q u a n t u n e révolte qui
pouvait avoir les r é s u lt a ts les p lu s fâc h eu x , et j e n e lui
laissai p o in t ig n o r e r qu e j ’allais a d r e s s e r a u m a r é c h a l
K e lle r m a n n m o n r a p p o r t dan s le q u el je le désig n erais
c o m m e le p r o v o c a te u r des tr o u b le s qui avaient e u lieu, et
q u ’il devait s ’a t te n d r e à la j u s t e p u n itio n q u ’il s ’était attirée.
J e te rm in a i m e s réflexions e n a j o u ta n t q u e j ’étais to u t p r ê t
a lui d o n n e r la s a tisfa c tio n q u ’il d e m a n d a it; e n effet, p e u
d ’in sta n ts ap rè s, n o u s fû m e s on p r é s e n c e le sa b re à la m ain.
Le c o m b a t fut p r o m p t e m e n t te r m i n é ; m o n adversaire,
a n i m é p a r la colère, se d éc o u v rit si i m p r u d e m m e n t en
m a t ta q u a n t q u e, d u m ê m e c oup , j e lui fis u n e fo rte entaille
sui la figure et a la c u is s e ; ce lte d e r n iè re b le s s u r e large
et p ro fo n d e Saignait
avec u n e telle violence (pie son
té m o in e t m o n so us-officier le s o u t i n r e n t a u m o m e n t où
il p e r d a it c o n n a issa n ce . T r a n s p o r té d an s l’a u b e r g e où il
était d e s c e n d u , u n c h i r u r g ie n a rriv a a u s s itô t; sa déc la ra tio n
212
SOUVENIRS
MILITAIRES.
n e fut r ie n m o in s q u e r a s s u r a n t e s u r la c ra in te d ’une
h é m o r r a g i e difficile à a r r ê te r . C e pen da nt, vers le m ilieu de
la n u it, le s a n g c e s s a n t de c o u le r, le b le ssé rev in t à lui et
n o u s e û m e s la co n v ic tio n q u e le d a n g e r a v a it d isp a ru . En
m e v o y a n t a u p r è s de so n lit, il m e te n d it la m a in en m e
p r i a n t de rec ev o ir ses ex c u se s s u r la c o n d u ite in c o n sid é ré e
d o n t il se r e c o n n a is s a it c o u p a b le et se tr o u v a it j u s t e m e n t
p u n i. J e lu i t é m o ig n a i tous m e s r e g r e ts de ce tte m a l h e u ­
r e u s e affaire, en d é c h ir a n t m o n ra p p o r t, et lui ex p rim ai, en
le q u itta n t, t o u s les v œ u x qu e je f o rm a is p o u r so n p r o m p t
r é ta b lis s e m e n t.
N ous c o n t in u â m e s n o tr e r o u te sans tr o u b le , bien qu e
la t r o u v a n t e n c o m b r é e p a r la m a r c h e des t r o u p e s se r e n ­
d a n t e n Espagne. C e p en d a n t il n o u s fu t im p o s sib le de c o u ­
c h e r à E rfu rt, ce tte ville é t a n t d a n s la p lu s g r a n d e c o m ­
b u s tio n p a r lés p r é p a ra tif s q u ’on y faisait p o u r l’en tre vue
d e s d e u x e m p e r e u r s de F ra n c e e t de R u s sie , d o n t p o u r t a n t
l’ép o q u e n ’était p o in t e n c o r e fixée. Le 21, n o u s c o u c h â m e s
à Leipzig, ville célèb re p a r son u n iv e rs ité , fo n d ée en 1409,
et ses foires tr è s r e n o m m é e s . L o rs q u e n o u s y a r r iv â m e s,
on p r é p a r a it u n a rc de tr io m p h e p o u r l ’e m p e r e u r A lex a ndre
e t le roi de Saxe. Le 24, v o u la n t a lle r de m a p e r s o n n e à
D resde, je p a r ti s a v a n t le j o u r afin de g a g n e r d e u x é ta p e s
e t p a s s e r ce te m p s - là d a n s la b elle capitale de la Saxe.
Le le n d e m a in de m o n arrivée, j e fus r e n d r e v isite à
Mmo la b a r o n n e de B ourgoing, é p o u s e de l’a m b a s s a d e u r ,
q u e j ’avais b e a u c o u p c o n n u e à P a ris, et q u i m e fit
l ’accueil le p lu s g rac ieu x . Le 29, a u m o m e n t o ù j ’allais
q u itt e r la petite ville d ’IIaynau, le 7° C h a sse u rs, d a n s lequel
se tro u v ait m o n frère, y e n tra it. J ’e u s la d o u ce satisfaction
de l ’e m b r a s s e r et de p a s s e r q u e l q u e s h e u r e s avec lu i; il
m ’a p p r it q u ’il v e n a it d ’ê t re n o m m é a d j u d a n t- m a jo r a u 3e
de la m ê m e a r m e .
RETOUR
AU R É G I M E N T .
— 1808.
213
Le 30, n o u s a r r iv â m e s à B reslau , a y a n t fait 16 lie u es dans
la j o u r n é e faute de tr o u v e r gîte, p a r l 'e n c o m b r e m e n t des
t r o u p e s allant p r e n d r e des q u a r ti e r s d ’hiver. Je n e pus voir
le m a r é c h a l M ortier qui en était p a r ti la veille ; h e u r e u s e ­
m e n t j ’y re n c o n tra i so n aide de c a m p ,.le c h e f d ’e s c a d ro n
de M ontchoisy, a u q u e l je r e m i s u n e caisse d o n t j ’étais p o r ­
t e u r p o u r la d u c h e s s e de Trévise.
Le 3 o cto b re , p r e s s é d ’a tte in d re le t e r m e de m e s t r i b u ­
la tio n s e t de m e v o ir soula g é de l ’e n n u y e u x fardea u d o n t
j ’éta is c h a r g é , je la is s a ile convoi d e r r iè r e m o i afin de le p r é ­
c é d e r d ’u n j o u r a u r é g i m e n t ; m a is ce tte p ré c ip ita tio n faillit
m e faire é c h o u e r au p o rt. Q uatre lie u e s av a n t d ’a r r iv e r à
L éo b sc h u tz , m e t r o u v a n t d an s u n c h e m in é p o u v a n ta b le p a r
u n e n u i t o b s c u re , m a v o itu r e m e la issa dan s la b o u e , sans
se c o u rs ni m o y e n d ’en avoir, n ’a y a n t d ’a u t r e r e s s o u r c e
p o u r s o r tir de c e tte dé s a g ré a b le situ a tio n q u e de m o n t e r
à poil s u r u n des c h e v a u x de trait, a c co m p ag n é d u p o s ti l­
lon, la issa n t m e s bagages so u s la gard e de m o n h u s s a r d .
Enfin, à 10 h e u r e s d u soir, j ’arrivai chez le c olo nel d o n t
le b o n accu e il m e lit o u b lie r b ie n tô t m e s fatig u es e t m e s
en n u is.
Des h o m m e s f u r e n t envoyés avec des c h e v au x p o u r c o n ­
d u ire à la ville m a m a lh e u r e u s e v o itu re , c o m p lè t e m e n t d is­
lo q u é e e t h o r s d ’é la t de p o u v o ir s e rv ir d avantag e, ce qui
m ’im p o r ta it p e u , a y a n t a tte i n t le te r m e de la m is sio n qui
m ’avait été confiée.
Deux jo u r s a p r è s m o n a r r iv é e a u r é g im e n t, le co lo nel,
v o u la n t m e d o n n e r u n e m a r q u e n o n é q u iv o q u e de s a sa tis­
faction, m e fit c a d e a u d 'u n s u p e rb e cheval ara b e q u ’il te n a it
d u roi de N aples. Ce cheval, b ie n q u e fort âgé p u i s q u ’il avait
été a m e n é d ’É gypte, c o n s e r v a it e n c o re u n e a r d e u r et u n e
force m u s c u la ir e e x tra o rd in a ir e s . Sa ro b e d ’u n g ris p o m ­
m e lé et sa t o u r n u r e d istin g u é e e n faisaient u n a n im a l d ’u q e
214
SOUVENIRS
MILITAIRES.
r e m a r q u a b l e b e a u té ; m a is, c o m m e to u s les c h e v au x de cette
rac e, d ’u n e a r d e u r d a n g e r e u s e l o r s q u ’il était a n im é p a r
l ’o d e u r de la p o u d r e et le b r u it du c a n o n . J e fus on ne p e u t
p lu s se n sib le à ce b rilla n t p r é s e n t d u colonel, qui dev enait
p o u r m o i u n e n o u v e lle p r e u v e de son am itié .
J e tr o u v a i le r é g im e n t établi d a n s d ’e x c e lle n ts q u a r ti e r s
s u r l ’e x t rê m e f ro n tiè re de la Moravie, n o n loin de la p etite
ville de R a tib o r o c c u p é e p a r les h u s s a r d s h o n g r o is de
W i ttc h a y ( p r é c é d e m m e n t F e rd in a n d ) , avec le sq u e ls n o u s
fra te r n is io n s j o u r n e l l e m e n t , en a t te n d a n t p r o b a b le m e n t
l ’i n s t a n t p e u é lo ig n é d ’é c h a n g e r q u e l q u e s b o n s c o u p s de
sa b re , les b r u its de g u e r r e e n tre la F r a n c e et l’A u trich e
p r e n a n t t o u s le s j o u r s p lu s de c o n s ista n ce , s u r t o u t d ep u is
la c o n c e n tra tio n d es tr o u p e s . E n a t te n d a n t cet é v é n e m e n t
qui
so u r ia it assez
à
n o s d ésirs,
les
p r é p a ra tif s
du
C ongrès se c o n t in u a i e n t et l ’o n a t te n d a it d ’u n m o m e n t
à l ’a u tre l’a r r iv é e de N apoléo n, l o r s q u e n o u s r e ç û m e s
l’o r d r e de q u itt e r n o s c a n to n n e m e n t s p o u r n o u s r e n d r e à
E rf u r t.
D ans to u te a u t r e c irc o n s ta n c e n o u s e u s sio n s v iv e m e n t
r e g r e tté d e q u itt e r n o s b o n s q u a r ti e r s de L é o b sc h u tz où
n o u s étio n s si bie n accu e illis p a r les sy m p a th ie s des h a b i­
ta n ts, m a is l’e s p o ir de n o u s r a p p r o c h e r de l ’E m p e r e u r étai
u n m o t i f t r o p p u i s s a n t p o u r n e pas rec ev o ir l ’o r d re de
n o tr e d é p a r t avec j o i e ; e n m o n p a r tic u lie r j ’en ép ro u v a i
u n e v éritable satisfaction, car, bie n q u e je ne fu sse d a n s ge
pnj'S q u e d e p u i s u n e v in g ta in e de j o u r s , j ’y avais c o n tra cté
u n e liaison q u ’il m e ta r d a it de r o m p r e bie n q u ’elle fût
d o u ce et ag ré a b le , m a is des c irc o n s ta n c e s p a r tic u liè r e s
r e n d a ie n t la r u p t u r e n é c e s sa ire .
N ous q u itt â m e s L é o b sc h u tz le 19 n o v e m b re , et a r r i ­
vâm es six jo u r s a p r è s à Breslau, f o rm a n t l ’a rrière-g ard e d u
co r p s d ’a r m é e d u m a ré c h a l Davout, les tr o u p e s fra nça ises
CANTONNEMENTS
EN
ALLEMAGNE.
— 18 0 8 .
213
d ev a n t é v a c u e r d é fin itiv em en t la Silésie en v e r tu d u tra ité
de paix de Tilsit p a s s é avec la P r u s s e .
La c o n c e n tra tio n d es a r m é e s d u t se faire dan s le
H anovre e t l e s p a y s f o r m a n t la C o n fédé ration d u Rhin, j u s ­
q u ’à ce q u e les d is c u s s io n s p o litiq u e s qui se tr a ita ie n t alors
e n tre la F ra n c e et l ’A u tric h e , a u su je t de l’Illyrie et de la
C arinthie, e u s s e n t r e ç u u n e so lu tio n , de p aix ou de g u e r r e .
C o n t in u a n t n o tr e m a r c h e , n o u s a r r iv â m e s le 3 d é c e m b r e à
D resde p o u r y p r e n d r e u n s é jo u r de q u a r a n t e - h u i t h e u r e s ,
p e n d a n t le q u e l le 5° H u s s a rd s e u t l’h o n n e u r d ’être passé
e n re v u e p a r S. A. R. le p rin c e de Saxe. Le r é g im e n t, fort
de 960 h u s s a r d s d a n s le u r b r illa n t c o s tu m e , la’p elisse p e n ­
d a n te , défila s o u s les y e u x de la co u r, m a lg r é u n froid
excessif. Le soir, le g é n é ra l Pajol, le colonel et so n étatm a jo r , a s s is tè r e n t a u ce rcle de la cour, o ù u n b rilla n t
c o n c e r t v in t r o m p r e la m o n o to n i e et l ’é tiq u e tte a u s si bien
q u e la r a i d e u r des p r in c e s et d e s p r in c e s s e s . Deux j o u r s
a p rè s, n o u s a r r iv â m e s à Leipzig où, p o u r d é la s s e m e n t, n o u s
p a r tic ip â m e s à u n s u p e rb e bal. Le j o u r suivant, p e u av a n t
d ’a r r iv e r à W e is s e n f e ls , n o u s finies u n e h alte en d e h o r s de
la p e tite ville de L utzen si cé lè b re p a r la bataille que le roi
de S u èd e G u sta v e-A ld o p h e livra au x I m p é r ia u x le 18 d é ­
c e m b r e 1633, et d a n s la q u elle il tr o u v a la m o r t. 11 était
e n t e r ré , d isait-on, s u r le lieu m ê m e o ù il avait été frap pé :
p lu s ie u r s p e u p lie r s f o rm a ie n t l’en c e in te d ’u n t o m b e a u fort
s i m p l e placé s u r le b o r d de la ro u te . P lu s ie u r s fois, les
S u éd o is av aien t te n té d ’y c o n s tr u i r e u n m a u s o lé e digne
d u p lu s g r a n d h o m m e de so n siècle, m a is les c a th o liq u es,
d o n t ce p r in c e voulait d é t r u i r e la religion, s ’y é ta ie n t t o u ­
jo u r s o p p o sé s, ce qui n ’e m p ê c h e r a pas la cé lé b rité de ce
m o d e s te m o n u m e n t e t d u h é r o s qui l ’occupe.
Le 11, n o u s a r r iv â m e s à E rf u r t. La ville était alors o c c u ­
pée p a r le m a ré c h a l Davout, u n é ta t-m a jo r n o m b r e u x , u n
216
SOUVENIRS
MILITAIRES.
tr a i n d ’a r tille rie co n sid érab le, u n r é g im e n t d ’in fan terie et
u n e n u é e d ’e m p lo y é s q u i d u r e n t n o u s cé d er u n e p a r t i e des
b o n s q u a r t i e r s d o n t ils s ’é t a ie n t e m p a r é s . D eux jo u r s
a p rè s, a rriv a d u d é p ô t u n d é t a c h e m e n t de q u a r a n te h u s ­
s a rd s et l ’a n n o n c e p r o c h a in e d 'u n n o u v e l e s ca d ro n . Ces
d isp o s itio n s , qui é ta ie n t g é n é r a le s d a n s l ’a r m é e , n o u s c o n ­
f irm è r e n t d a n s l ’idée q u e la g u e r r e avec l ’A u trich e p o u r r a it
b ie n av o ir lie u a u p r i n t e m p s , ce q u i n o u s c o m b la de joie.
J e n ’e n t re ra i p o in t d a n s le s détails d u fa m e u x congrès
d ’E rf u r t, si s o u v e n t d éc rit e t qu e t o u t le m o n d e c o n n a ît;
je d irai s e u le m e n t q u e N apo léon, as sisté de la p r in c e s s e
S té p h a n ie de Bade, fit à l ’e m p e r e u r A lex a ndre l’accueil le
p lu s am ica l et q u e to u s les s o u v e ra in s de la C onfédéra­
tio n a u s si b ie n q u e le roi de P r u s s e y a c c o u r u r e n t avec le
p lu s g r a n d e m p r e s s e m e n t . Ce f u t le 10 ja n v ie r 1809 que
n o u s q u i t t â m e s E r f u r t e m p o r t a n t d e s s o u v e n irs ineffa­
çables.
N otre p r e m i e r gîte fut Gotha, fort jo lie p etite ville d o n t
la c é lé b rité co n s iste d a n s l ’a lm a n a c h h é r a ld iq u e de to u s
le s so u v e ra in s de l ’E u r o p e ; elle est la ré s id e n c e d u p rin c e
de Saxe, s o u v e ra in de ce p e tit État. L ’é n u m é r a ti o n de cette
p e tite c o u r n ’e s t p a s s a n s in té r ê t et m e ra p p e lle ce q u e
devait ê tre celle de n o tr e h o n o ré c o u s in , le roi d ’Yvetot.
A ucune c h a r g e n e m a n q u a i t à celle-ci, d e p u i s le p r e m i e r
m in i s tr e j u s q u ’à l ’h u i s s i e r de la c h a m b r e à la chaîne d ’or.
Le c o n tin g e n t fo u rn i à la g r a n d e n a tio n co n s is ta it en
so ix a n te f a n ta s s in s et v in g t d ra g o n s, p a r tic ip a n t a l o r s à
l ’occup,ation de l ’E sp a g n e , avec to u s les c o n tin g e n ts des
différents p r in c e s de Saxe. Mais, ce q u i m e c a u s a u n e v é r i­
ta b le su r p ris e , ce fut de r e n c o n t r e r , a u m ilieu des g ra n d s
de cette co u r, to u t c o u v e r t de b r o d e r ie s u n ém ig ré français,
le m a r q u i s du C o ë tlo sq u e t, p è r e de m o n am i Charles, r é f u ­
gié d a n s les É ta ts d u p r in c e de Saxe, qui lui offrit u n asile
SÉJOUR
A MÉININGEN.
— 1809.
217
et qui, d ep u is ce tte é p o q u e , n ’avait c e ssé de lu i d o n n e r des
m a r q u e s d ’u n véritab le in té r ê t. N otre s é jo u r d a n s ce tte
p e tite so u v e ra in eté n e d u r a q u e v in g t- q u a tre h e u r e s e t fut
m a r q u é p a r u n b e a u bal à la c o u r qui d u r a j u s q u ’a u jo u r .
N ous n o u s s é p a r â m e s fort satisfaits les u n s d es a u tre s p o u r
aller n o u s é ta b lir d a n s u n e p r in c ip a u té se m b la b le , chez le
p r in c e de Saxe-M einingen, c a n t o n n e m e n t d ’h iv e r qui
v e n a i t de n o u s ê t r e assigné.
La p rin c ip a u té de Saxe-M einingen e s t u n e petite s o u v e ­
r a in e té faisant au s si p a rtie de la G o nfédéralion, d o n t le
chef-lieu e s t M einingen, situé s u r la riv iè re de la W a r e . La
ville e s t jo lie , b ie n b âtie et b ie n h a b ité e ; à so n en tré e , est
u n g r a n d e t v aste c h â te a u , sa n s e x té r ie u r , m a is c o m m o d e ,
b ie n d is trib u é , m e u b lé avec le p lu s g r a n d lu x e et se rv a n t
de r é s id e n c e a u so u v e ra in d u pays.
L o r s q u e n o u s y a r r iv â m e s, la c o u r se c o m p o sa it alo rs de
la p r in c e s s e d o u a iriè r e r é g e n te , d ’u n j e u n e d u c âgé de
n e u f a n s et des d e u x r a v iss a n te s p r in c e s s e s : A m élie, l’aînée
a y a n t dix-sept ans, et la se co n d e , Ida, q u in z e , p u is u n e dam e
d ’h o n n e u r , tr o is j e u n e s filles n o b le s , d e m o is e lle s de c o m ­
p a g n ie , u n ch a m b e lla n , u n é c u y e r , u n g o u v e r n e u r p o u r
le j e u n e p rin c e et u n e in s titu tr ic e f ra n ç a is e ; plus, u n p r é ­
t e n d u m é d e c in ita lie n d é s ig n é so u s le n o m de d o c te u r ,
fac étie ux p e r s o n n a g e , c h a n ta n t, r ia n t au x éclats, c r é é et
m is a u m o n d e p o u r j o u i r de la vie en c o m p e n s a tio n p e u t ôpre de celle de ses m a lad e s.
Le p a y s éta it a d m in is t r é p a r u n c o n s e il d e ré g e n c e c o m ­
p o sé d ’u n c o n s e ille r a u liq u e , c h a rg é de l’in t é r i e u r et d es
finances, d ’u n g r a n d m a îtr e des ea ux et f o rê ts, et d ’u n g é n é ­
r a l m in i s tr e de la g u e r r e . Le m a té rie l de l ’a r m é e se c o m ­
p o s a it de d e u x b a ta illo n s d ’in f a n te r ie , c in q u a n te d r a g o n s
et tr o is p iè c e s d ’a rtille r ie , d o n t le tiers d ev a it f o r m e r le
c o n t in g e n t de la C o n féd é ration d u R h in . Une bienfaisante
218
SOUVENIRS
MILITAIRES.
e t sage a d m in is t r a tio n r e n d a i t ce p a y s u n des p lu s h e u r e u x
de l ’A llem ag ne : il p o u v a it s e rv ir de m o d è le aux so u v e ra in s
de l ’E u r o p e ; a u s s i ai-je r a r e m e n t v u u n a m o u r p lu s vrai,
u n d é v o u e m e n t p lu s rée l q u e celui de ce p e u p le en v e rs
l e u r s prin ce s.
L’a rr iv é e d ’u n r é g i m e n t de h u s s a r d s français d a n s cet
E ld o r a d o p r o d u is it d ’a b o r d u n e e s p è c e de crainte q u e n ous
n e ta rd â m e s p o in t à d is s ip e r p a r la d isc ip lin e e t la b o n n e
c o n d u i te de n o s h o m m e s ; il e n r é s u lt a p o u r n o u s u n bienê tre et u n a g r é m e n t q u i ne se s o n t j a m a i s d é m e n tis .
La b o n n e p r in c e s s e n o u s o u v r a it ses sa lo n s avec le
p lu s g r a n d e m p r e s s e m e n t , e t j e devins p r e s q u e le c o m ­
m e n s a l d u c h â te a u ; le j e u n e p r i n c e m ’avait p ris d a n s u n e
v é rita b le affection et a im a it t e l le m e n t n o s h u s s a r d s q u ’il
v o u lu t p o r t * l ’u n if o r m e d u r é g im e n t.
P lu s ie u r s de n o s j e u n e s officiers v e n a ie n t au x so irée s du
ch â te a u qui se p a s s a ie n t en p e tits je u x , en m u s i q u e , d anse
et p la isirs.
Q u ant à m o n é t a b li s s e m e n t p a rtic u lie r, le s o r t m ’avait
été on n e p e u t p lu s favorable : j ’étais logé chez la c o m te s s e
de S chlabendorff, âg é e de q u a r a n te a n s, f e m m e d ’u n g rand
m é r i te : sa b e a u té , ses ta le n ts et so n a m a b ilité ava ie n t
in s p iré u n e p a s s io n p ro fo n d e à u n g r a n d s e ig n e u r p r u s s ie n
q u i l ’é p o u s a et en e u t u n e fille. M a lh e u r e u s e m e n t, le c o m te
de Schlabendorff, livré au x excès de to u s g e n re s, vit b ie n tô t
a n é a n t i r sa f o rtu n e b r illa n te , la is s a n t p a r sa m o r t p réc o ce
u n e j e u n e v euv e et u n e n f a n t e n b a s âge r é d u it s à la p lu s
m o d e s te e x iste n c e .
La c o m te s s e r e v in t d a n s so n p a y s n a ta l, o u b lia n t le luxe
e t le s g r a n d e u r s d o n t elle avait été e n t o u r é e p e n d a n t
q u e lq u e te m p s , p o u r se livrer e n t i è r e m e n t aux so in s et à
l ’é d u c a tio n de sa fille. T a n t de m é r i te et de r é sig n a tio n
d ev a ie n t t r o u v e r le u r r é c o m p e n s e . M. le c o n s e ille r a u liq u e
SÉJOUR
A MEININGEN.
— 18 0 9.
219
S c h w e n d le r lui offrit sa m a in et r e n d i t à ce tte b o n n e m è r e
le re p o s et le b o n h e u r .
C’e s t a u m ilie u de ce tte fam ille q u e le h a s a r d m ’avait
a m e n é et p e u de j o u r s n e s ’étaie n t p o in t éc o u lé s qu e j ’y
étais ac cueilli avec u n a b a n d o n et u n e b ie n v eillan c e d o n t
j ’étais p r o f o n d é m e n t to u c h é . À m a n d a S ch la b en d o rff était
u n e d élicieu se c ré a tu r e , d o n t les seize a n s é ta ie n t p a ré s de
to u t ce q u e la n a t u r e p e u t offrir de p lu s g ra c ie u x . Son
in tim e liaison avec les d e u x j e u n e s p r in c e s s e s n ’avait pas
p eu c o n trib u é à p e r f e c tio n n e r s o n é d u c a t io n ; elle p a rla it
le français, l ’anglais e t l ’italien c o m m e sa la n g u e n a tu re lle ;
p e i n t r e a g r é a b le e t e x c e lle n te m u s i c i e n n e , elle c h a n ta it
avec a u t a n t de g o û t que de s e n tim e n t. Il était r a r e de voir
d a n s u n âge si t e n d r e r é u n is a u t a n t de ta le n ts et de p e rfe c ­
tio n s ; A m an d a jo ig n a it à to u t e s ces qualité s u n e â m e c a n ­
dide, u n c œ u r vierge q u ’il e û t été affreux de tr o u b l e r : a u ssi
j ’avais p o u r elle u n e te n d r e s s e f r a te r n e l le ; sa m è re avec
ra is o n l ’avait pla cé e s o u s la s a u v e g a rd e de m o n h o n n e u r ,
j ’a u ra is c r u in d ig n e d ’e n a b u s e r , e t le j o u r o ù j ’ai d û
q u itt e r ce toit h o sp ita lie r, j ’e m p o r t a i la convictio n d ’y
la is s e r d es so u v e n irs d ’e s tim e et d ’am itié.
V e rs la fin d u tr o is iè m e m o is de s é jo u r d a n s c e t excel­
le n t q u a r tie r , n o u s e û m e s l ’avis q u e n o u s devions tr è s
i n c e s s a m m e n t le q u itte r. P lu s ie u r s re tr a ite s f u r e n t d o n n é e s
â d ’a n c ie n s officiers, d es p r o m o tio n s s ’e n s u iv ir e n t, ainsi
q u ’u n e re v u e m in u t ie u s e des h o m m e s et des chevaux e n
é t a t d ’e n t r e r e n ca m p a g n e . Ainsi, p lu s d e d o u te , n p u s
allions avoir la g u e r r e d o n t n o u s a c c e p tio n s to u te s les
c o n s é q u e n c e s avec a u t a n t de confiance q u e de satisfaction.
Le 13 m a r s , veille de n o t r e d ép a rt, je vins p r e n d r e congé
de la d u c h e s s e et la r e m e r c i e r d es b o n té s d o n t elle m ’avait
c o m b lé . Cette ex cellente p rin c e s s e , a p r è s m ’av o ir e x p rim é
les vœ u x q u ’elle f o rm a it p o u r m o n b o n h e u r , m e p e r m i t
220
SOUVENIRS
MILITAIRES.
d ’e m b r a s s e r so n fils et ses d e u x fille s1 d o n t j e m e sé parais
avec r e g r e t ; m a is ce fut s u r t o u t e n q u itt a n t la re s p e c ta b le
f am ille d a n s la q u elle j ’avais p a s s é de si h e u r e u x j o u r s q u e
j ’é p ro u v a i u n véritab le ch a g rin . Les la r m e s in n o c e n te s de
la d o u ce A m a n d a e n p r é s e n c e de ses p a r e n t s p ro u v a ie n t
l ’affection de s o n c œ u r et a t te s ta ie n t la sin c é r ité de m a
c o n d u ite d élicate d a n s c e tte m a is o n h o sp ita liè re . Cette
ex cellente m è r e , à q u i l’im a g in a tio n avait in s p iré s u r m o i
u n e a r r iè r e - p e n s é e , m e dit en m e q u itt a n t c o m b ie n elle
s e ra it h e u r e u s e de m ’avoir p o u r so n g e n d r e , en a j o u ta n t
q u e , si ce dev a it ê tre u n rêve, elle le c o n s e r v e r a it le p lu s
l o n g te m p s p o ssib le , m a is q u e , d a n s to u s les cas, elle
ex igeait la p r o m e s s e q u e j e v ie n d ra is, a u m ilie u de sa
fam ille, y c h e r c h e r d es so in s si j ’étais b le ssé , m ’a s s u r a n t
q u e j ’y serais acueilli c o m m e l ’e n fa n t de la m a iso n .
J ’e m p o r t a i d a n s m o n c œ u r u n b ie n r e c o n n a is s a n t s o u ­
v e n ir de ta n t de b o n té , q u i n e devait j a m a i s s ’effacer de m a
m é m o i r e . .L e 1 A , n o u s v în m e s c o u c h e r à la ville d ’Hildb o u r g h a u s e n , r é s id e n c e e n c o r e d ’u n a u tre p r in c e de Saxe,
q u i v in t a u - d e v a n t d u r é g im e n t j u s q u ’a u x f ro n tiè r e s de
ses É tats d o n t la m o d e s te é te n d u e n e lui p e r m e tta it de
f o u r n i r q u e p e u d ’h o m m e s à la C onfédération. Le duc,
b e a u -frè re d u roi de P r u s s e , p ar a is s a it u n e x c e lle n t
h o m m e , aux m a n iè r e s f ra n c h e s et r o n d e s ; sa f o rtu n e était
im m e n s e c o m m e p a r ti c u lie r , m a is b ie n c e r t a i n e m e n t il
éta it u n des p lu s p etits s o u v e r a in s de l ’A lle m ag n e . S on
c h â te a u , d ’u n a s p e c t r e m a r q u a b le , m e u b lé avec u n luxe
e x tra o rd in a ire , était e n t o u r é d ’u n p a r c m a g n if iq u e ; m a is
ce qui offrait u n g r a n d in té r ê t, c ’é ta it u n e é c u r ie d ’u n luxe
I. Je ne me doutais guère, lorsque nous faisions tant de folies avec
les jeunes princesses et que je les faisais valser et courir, qu’un jour
l'aînée deviendrait reine d’Angleterre par son mariage avec le duc de
Clarence, et la seconde, grande-duchesse de Saxe-W eimar.
LES
D U C H É S DE
S A X E . — 1809.
221
inc o nce v able , r e n f e r m a n t b on n o m b r e de c h e v au x de prix.
Le colonel e n a y a n t a d m ir é u n p lu s p a r ti c u liè r e m e n t, il le
lui en v o y a , u n e h e u r e a p r è s , avec u n e le ttr e c h a r m a n te à
la q u elle é ta it j o i n t e u n e p a ire de p isto le ts d ’u n fort b e a u
travail q u ’il m e p ria it d ’a c c e p te r; p u is, il in v ita à d în e r
l ’é t a t- m a jo r d u r é g im e n t, et le b o rd e a u x , le c h a m b e r ti n et
le c h a m p a g n e c o u l è r e n t à flots.
Le soir, il c o n d u is it le colonel et m oi chez so n p r e m i e r
m in i s tr e , le b a r o n de B a u m b a c h . N ou s y tr o u v â m e s d eux
f e m m e s fort ag ré ab le s, de la p lu s g r a n d e élégance, d o n t
l ’u n e avait été et l ’a u t r e éta it la m a îtr e s s e d u p rin c e qui
affectait au p e t it p ie d les m œ u r s de la R é gen c e ; il était fas­
tue u x , d ’u n e g é n é r o s ité e x tra o rd in a ire , s ’o c c u p a n t p eu de
sa fe m m e que l ’on d isa it fo rt b elle e t q u e so n ab s e n c e n o u s
priva de v o ir ; d u r e s te il éta it a d o r é de so n p e u p l e avec
d ’a u t a n t p lu s de ra is o n q u e ses m a in s é t a ie n t t o u jo u r s o u ­
v e rte s p o u r faire des la r g e s s e s ; je cro is q u e, si n o u s fu s­
sions r e s té s chez lui d e u x j o u r s de p lu s , il n o u s eût p e u tê tre d o n n é ses éq u ip a g e s et sa m a îtr e s s e .
Le 15, n o u s r e n c o n tr â m e s d a n s la jo u r n é e le 17° d ’i n ­
fan te rie lé g ère, avec leq u el n o u s fîm e s n o tr e e n tré e d an s la
ville de C obourg, d o n t le p r in c e v in t a u - d e v a n t de n o u s ,
p a s s a les t r o u p e s en r e v u e , et invita l ’é ta t- m a jo r des d e u x
c o r p s à d în e r avec lui.
Le colonel, à la tê te de to u s se s officiers,, s ’e m p r e s s a de
ia i r e u n e visite a u v ie u x et r e sp e c ta b le feld -m a ré cha l,
prin ce de Cobourg, si c é lè b re d a n s le c o m m e n c e m e n t de
la R évolution ; m ais, m a l h e u r e u s e m e n t, sa s a n té n e lui p e r ­
m it pas de n o u s rec evo ir et il n o u s e n lit e x p r im e r to u s se s
re g re ts .
À trois h e u r e s , u n b a n q u e t s u p e rb e , d o n t la d u c h e sse
m è r e fit les h o n n e u r s , n o u s fut d o n n é. Il y avait à ce sp le n ­
did e re p a s p r e s q u e to u s les m e m b r e s de la fam ille et u n e
222
SOUVENIRS
MILITAIRES.
p a r tie de la c o u r : le j e u n e d u c r é g n a n t, fort bel h o m m e ,
d ’u n e figure ag ré ab le , m a is a u x m a n iè r e s fro id e s et p e u
c o m m u n ic a ti v e s , so n se c o n d frère, tr è s b e a u g a rç o n , p o r ­
t a n t l ’u n if o r m e du r é g i m e n t q u ’il c o m m a n d a it e n Russie,
e t le tro isiè m e , L éop old, f o rt j e u n e , qui f u t d e p u is l ’époux
de la p r in c e s s e C ha rlotte d ’A n g leterre . P a r m i les filles de
la d u c h e s s e , se tr o u v a i e n t la d u c h e s s e de W u r te m b e r g ,
d ’u n e figure c h a r m a n t e m ais im p o s a n te , la p r in c e s s e de
L e i n in g e n p e u jo lie , la p r in c e s s e Marie, é p o u s e d u g ra n d d u c C o n s ta n tin de R u s sie, rav iss a n te de grâce e t de
b ea u té , a y a n t c e p e n d a n t, d a n s l ’e x p re ssio n de sa p h y s io ­
n o m ie , d es in d ic e s d u c h a g rin q u e lui ca u sa it son m a ri,
d o n t elle avait été obligée de s ’é lo ig n e r p ar le p e u de s y m ­
p a th ie e x ista n t e n t r e eux. Il y avait e n c o r e , d a n s ce tte n o m ­
b r e u s e fam ille, d e u x a u t r e s s œ u r s q u e n o u s n e v îm e s
pas,- d o n t l ’u n e av ait é p o u s é M. de B ouilly, ém ig ré fra n ­
çais, c o n n u d e p u i s s o u s le n o m de c o m te de Mansfeld,
g é n é r a l a u service de l ’A u trich e .
A près le r e p a s , o n o r g a n is a u n bal i m p r o m p t u ; m a is la
m o r g u e e t la r a i d e u r de la n o b le sse a lle m a n d e le r e n d i r e n t
assez froid, et le fire n t t e r m i n e r vers les m i n u i t ; d a n s tous
les cas, ce q u e je p u is a ffirm er, c ’e s t q u ’il était im p o s sib le
de v a lse r avec p lu s de g râ c e et de lé g è re té q u e la p rin c e s s e
Marie...
L a p r in c i p a u té de C obourg, qui a seize lie u es de lo n ­
g u e u r s u r h u i t de la rg e u r, f o u rn is sa it à la C onféd ération
400 h o m m e s de belle tr o u p e , bien é q u ip é s , qui v en a ie n t de
p a r tir p o u r se jo i n d r e a u c o n tin g e n t g én é ral. La ville c a p i­
ta le de ce d u c h é e s t assez g r a n d e , bie n bâtie,’ situ ée s u r
la riviè re de Je tz, d o m in é e p a r u n fort qu i f u t c o n s tru it, en
1507, p a r J e a n - C a s im ir de Saxe. Le p alais, d ’u n e c o n s t r u c ­
tio n a n c ie n n e et de m a u v ais goût, placé a u c e n tr e de la
ville, e s t tr è s vaste et était assez m e s q u i n e m e n t m e u b lé.
LA
GUERRE
PROCHAINE.
— 18 0 9 .
223
N ous c o n t in u â m e s n o t r e m a r c h e le le n d e m a in , p a r u n e
p luie é p o u v a n ta b le et d e s c h e m in s affreux qui n o u s c o n ­
d u is ire n t à la p e tite ville de K ro n a c h , a p p a r te n a n t à la
Bavière, o ù n o u s r e s tâ m e s q u e lq u e s jo u r s et o ù n o u s
a p p r îm e s q u e n o u s allio n s in c e s s a m m e n t e n t r e r en c a m ­
p ag n e , ce q u i f u t accueilli avec u n e jo ie déliran te . P e n d a n t
n o tr e s é jo u r à K rona ch, des co rp s n o m b r e u x et p lu s i e u r s
b a tte r ie s d ’artillerie t r a v e r s è r e n t la ville p o u r j o i n d r e les
co rp s d ’a r m é e a u x q u e ls ils a p p a r te n a ie n t . N o us f û m e s
d ésig n és, avec le 7e H u s s a rd s f o r m a n t la b rig a d e d u g é n é ­
ral Pajol, c o m m e faisa n t partie de celui d u m a ré c h a l
Uavout, et d è s ce m o m e n t n o u s é t a b lî m e s n o s p o s te s
m il i t a i r e m e n t afin d ’être p r ê t s à t o u t év é n e m e n t.
N o us a p p r îm e s les m o u v e m e n t s q u i s ’o p é r a ie n t p a r les
tr o u p e s a u t r i c h ie n n e s , d o n t la p lu s g ra n d e p artie des
forces se d ir ig e a ie n t s u r la Bavière, e s p é r a n t p a r ce tte
m a n œ u v r e p o r t e r s u r ce pay s le th é â tr e de la g u e r r e et
n o u s c o n t ra in d r e à n o u s r e p li e r s u r le R hin , s u r t o u t avec
des forces n u m é r i q u e s d ’un g r a n d tie rs p lu s co n sid érab les
q u e les n ô tr e s . Mais l’a t titu d e de l'a r m é e f ra n ça ise devait
b ie n tô t d é t r o m p e r l ’a r c h id u c Charles e t il ne ta r d a p o in t
à d e v e n ir v ic tim e de sa fa u s s e e n tre p ris e .
n Kronach, 20 mars.
« J e m e h â te de vous é c rire , m o n p è re , p o u r v o u s a n n o n ­
cer n o tr e p r o c h a in e e n tré e e n ca m p a g n e , c a r bien q u e la
g u e r r e ne soit pas e n c o re déc la ré e, elle e s t inévitable et les
ho stilité s s e r a ie n t d é jà m ê m e c o m m e n c é e s si l’E m p e re u r,
p a r u n e ra is o n p o litiq u e , n ’e n avait la issé l ’initiativ e au x
A u trich ien s. A ussi a v o n s - n ç u s r e ç u les o r d re s les p lu s p r é ­
cis à c e t égard, c’e s t-à -d ire , q u e n o u s s o m m e s d e s tin é s à
rec ev o ir les p r e m i e r s coups, qu e n o u s r e n d r o n s , je v o u s
224
SOUVENIRS
MILITAIRES.
a s s u re , avec u s u r e . Nos h u s s a r d s so n t d a n s les m e ille u r e s
d isp o s itio n s ; il s e r a it v r a im e n t d o m m a g e d ’ê tre déç u d an s
n o tr e e s p é r a n c e , c a r n o u s allo ns a u - d e v a n t de l ’e n n e m i
avec u n e jo ie et u n . e n t r a î n e m e n t difficiles à d é c r ire . Les
tr o u p e s a p p e lle n t de t o u s le u rs v œ u x la p r é s e n c e d u g ran d
d o n n e u r de batailles, e t le j o u r de so n a r r iv é e p a r m i n o u s
s e ra b ie n c e r t a i n e m e n t m a r q u é p a r u n e victoire.
« E n a t te n d a n t, les d is p o s itio n s s tr a t é g iq u e s s ’e x é c u t e n t
avec la p lu s g r a n d e p r é c is io n ; les r o u te s so n t sillo n n ée s p a r
les t r o u p e s avec u n s e m b la n t de c o n fu s io n r e m p li d ’o rd re ,
et, d a n s p eu de j o u r s , c h a c u n o c c u p e r a le p o ste as sig n é p a r
la v o lo nté d ’u n seul. L ’e n s e m b le d e ces m o u v e m e n t s dan s
le u r e x é cu tio n offre q u e lq u e cho se de fort im p o s a n t q u i in ­
sp ire la confiance, et s a n s n o u s s ’o c c u p e r d u n o m b r e d ’e n ­
n e m is q u ’il n o u s f a u d r a c o m b a tt r e , il n o u s suffit d e sav oir
q u e n o u s d ev o n s vain cre : c ’e s t à q u o i n o u s a llo n s trav a il­
le r de n o t r e m ie u x . Il p ara ît, a u r e s te , q u e la g r a n d e lutte
qui va s ’o u v r ir était p r é p a r é e de lo n g u e m a in p a r le c a b i­
n e t a u tric h ie n a p p u y é des s u b s id e s de l'A n g leterre .
« L ’e m b a r r a s p r é s u m é d a n s le q u e l la g u e r r e d ’Espagne
p o u v a it av o ir m is la F ra n c e a d é t e r m i n é la r u p t u r e d ’u n e
paix q u e la c a m p a g n e d ’A u ste rlitz s e m b la it devoir a s s u r e r .
Les p r é p a ra tifs de l ’A u tric h e s o n t im m e n s e s , e t s ’il fa u t en
c r o ir e les feuilles a l le m a n d e s , n o u s a u r o n s affaire à
350000 h o m m e s avec 800 b o u c h e s à feu, s a n s c o m p te r u n e
l a n d w e h r de 250000 h o m m e s , n ’a y a n t à o p p o s e r à to u te s
ces forces q u e 250000 h o m m e s , t a n t e n A llem agne q u 'e n
Italie, et 18 000 e n P o lo g n e, avec u n total de 425 b o u c h e s à
feu. Malgré to u t cela, n o u s s o m m e s c o n v a in c u s q u e N ap o ­
lé o n , dès q u ’il en t r o u v e r a l’occasio n, liv r e ra b ataille et
q u ’il c o n d u i r a so n a r m é e t r i o m p h a n t e à Vienne. Celte
idée e s t te lle m e n t g é n é r a le p a r m i n o u s, qu e n u l n ’o se ra it
a d m e t t r e le c o n tra ir e , m a lg r é la v a le u r d es t r o u p e s a u t r i ­
LA
GUERRE
PROCHAINE.
225
— 18 09 .
c h i e n n e s et le m é r i te in c o n te s ta b le de l ’a r c h id u c Charles,
l e u r g é n é r a lis s im e , car n o u s avons p o u r n o u s le gén ie des
v ic to ire s qui n e n o u s faillira pas d a n s u n e c irc o n sta n ce
au ssi so le n n e lle .
« V ous devez p e n s e r q u ’u n e fois les é v é n e m e n ts c o m ­
m e n c é s , ils m a r c h e r o n t avec ra p id ité : il n o u s s e ra d onc
assez difficile de c o r r e s p o n d r e ; m a is j ’en saisirai to u te s les
occ asio n s, n e fût-ce q u e p o u r v ous t r a n q u i llis e r s u r m o n
s o r t qui, d u r e s te , m ’in q u iè te d ’a u t a n t m o in s q u e j ’ai
c o m m e to u jo u r s la p lu s g ra n d e confiance d a n s m o n étoile.
« A dieu, m o n p è r e ; les b u lle tin s v o u s f e r o n t b ie n tô t
c o n n a ître les s u c c è s qui n o u s a t t e n d e n t ; l ’e n t h o u s ia s m e
et l ’a r d e u r de n o tr e b r illa n te a r m é e s o n t u n a u g u r e in c o n ­
t e s ta b le q u i d oit r a s s u r e r la F ra n c e s u r d e s r é s u lt a ts q u i
n o u s s e m b le n t infaillibles. »
Le 22 m a r s , je r e ç u s l ’o rd re de m e r e n d r e à B a y re u th
afin de m ’e n t e n d r e avec les m a g is tr a ts de cette ville p o u r
le p la c e m e n t d u r é g im e n t qui dev a it y a rr iv e r le l e n d e m a in .
J ’y tr o u v a i le g én é ral de division F ria n t, d o n t les tr o u p e s ,
q u i o c c u p a ie n t les en v iro n s, é ta ie n t s u r le p o in t de se
m e ttr e en m a rc h e . M. de T o u rn o n , m o n p a r e n t , in te n d a n t
g én é ral de la pro v in ce , chez qui j e fus d în e r, s ’o c c u p a it
a lo rs de faire e m b a lle r ses a rc h iv es dan s la p r é s o m p t io n
de l ’a p p r o c h e des A u tr ic h ie n s , c ra in te d ’a u t a n t m ie u x
fondée q u e, p e u de j o u r s a p r è s n o tr e passage, u n p arti
l’enleva avec to u s ses é q u ip ag e s, av a n t m ê m e le c o m m e n ­
c e m e n t d es h ostilité s.
Le 23, n o u s v în m e s p r e n d r e p o sitio n e n avant d u b o u r g
de Bezenstein o c c u p é p a r le 17e lé g e r Le le n d e m a in n o u s
fîm e s dix lie u es d a n s la jo u r n é e p o u r a r r iv e r à la p e tite ville
de H e r s b r u c h , a y a n t suivi u n e r o u te im p ra tica b le p o u r
l’a r tille rie à tra v e rs d e s bois et d es m o n ta g n e s c o u v e rtes de
15
22&
SOUVENIRS
MILITAIRES.
neig e. D eux jo u r s ap rè s, le r é g im e n t p r it ses q u a r tie r s à
H o h e n s ta d t q u e n o u s q u itt â m e s le le n d e m a in , à la p o in te
d u j o u r , p o u r n o u s r e n d r e à S ulzbach, où fu re n t établis
p lu s i e u r s p o s te s d ’o b se rva tion s u r la f ro n tière de la
B o h ê m e , ta n d is q u e le r é g im e n t p r e n a it, d e u x lie u e s p lu s
loin, ses q u a r tie r s d a n s la ville de A m b erg , où n o u s
r e s t â m e s q u e l q u e s jo u r s e n a t te n d a n t qu e les A u tr ic h ie n s
c o m m e n ç a s s e n t les h o stilité s.
XII
GUERRE
CAMPAGNE
D’AUTRICHE
DE W A G R A M , 1 8 0 9
Ce fu t le 10 a v ril, d a n s la m a tin é e , q u e le c a p ita in e D aub e n to n , aid e de cam p d u g é n é ra l P a jo l, v in t p ré v e n ir offi­
c ie lle m e n t le co lo n el D ery q u e le co m te de B e lle g ard e,
c o m m a n d a n t u n e d iv isio n a u tric h ie n n e , v e n a it de signifier,
a u n o m de l ’e m p e re u r so n m a ître, q u ’il tr a ite r a it en e n n e m i
q u ic o n q u e s ’o p p o se ra it à sa m a rc h e . L’an n o n c e de c e tte
n o u v elle fu t ac cu e illie p a r le ré g im e n t aux c ris ré p é té s de :
V ive l ’E m p e re u r! et, u n e h e u r e a p rè s, le s p re m ie rs co u p s
de ca ra b in e de n o s h u s s a rd s f u re n t le p ré lu d e de ce g ran d
d ra m e q u i d ev ait é to n n e r to u te l’E u ro p e so u s le n o m de
ca m p a g n e de W a g ram . C ette ca m p a g n e fu t b ie n c e rta in e ­
m e n t u n e d es p lu s b rilla n te s de l ’E m p ire e t N apoléon y
d o n n a de n o u v e lle s p re u v e s de c e t im m e n se génie qui
le p la ce a u -d e ssu s d es p lu s g ra n d s c a p ita in e s d e s te m p s
a n c ie n s e t m o d e rn e s.
L a tr a n q u illité in d iffé re n te avec la q u elle l ’E m p e re u r
a v a it la issé l ’A u tric h e faire se s p ré p a ra tifs de g u e rre avait
in s p iré u n e te lle confiance à c e tte p u iss a n c e , q u ’elle se
c r u t a s s u ré e d a n s la r é u s s ite d u p ro je t q u ’elle av ait con çu
de c h a sse r les F ra n ç a is d e l ’A llem agne e t de l ’Italie, e t
228
SOUVENIRS
MILITAIRES.
lo r s q u ’elle c r u t N apoléon e m b a rra ssé d a n s c e tte fata le
g u e rre d 'E s p a g n e , elle n e b a lan ç a p o in t à ,r o m p r e u n
tr a ité q u ’elle d ev a it à sa m a g n a n im ité ; m a is ce lu i-ci, tro p
c la irv o y a n t p o u r se la is s e r s u r p re n d re , a tte n d it so n n o u v el
e n n e m i avec c a lm e , a s s u ré q u ’il é ta it de le faire r e p e n tir
de sa té m é ra ire e n tre p ris e . L’E m p e re u r fit to u te s les
d é m a rc h e s p o ssib le s p o u r le m a in tie n de la paix q u ’il
c ro y a it n é c e s s a ire ; m a is, lo r s q u ’il v it q u ’on a ttr ib u a it à la
c ra in te ce q u i n ’é ta it q u e de la p ru d e n c e , il n ’h é s ita p lu s à
a c c e p te r la lu tte q u ’on lu i p r é s e n ta it e t p ro u v a de n o u v ea u
to u t ce q u ’o n p o u v a it a tte n d r e d es F ra n ç a is g u id é s p a r le
g én ie, l’h o n n e u r n a tio n a l e t le d é s ir d ’a c q u é rir de la g lo ire .
J e n e r e tra c e ra i d e c e tte v ic to rie u se ca m p a g n e q u e les
faits de la d iv isio n de c a v a le rie lé g è re d u g é n é ra l M o n tb ru n ,
e t p lu s p a r tic u liè r e m e n t ce u x a u x q u e ls a p a rtic ip é le ré g i­
m e n t d o n t j ’avais l ’h o n n e u r de faire p a rtie en q u a lité de
c a p ita in e a d ju d a n t-m a jo r, et q u i lu i o n t m é rité p lu ­
s ie u rs fo is les élo g es e t les ré c o m p e n s e s de l ’E m p e re u r.
Je la isse à u n e p lu m e p lu s sa v an te de d é c rire le s n o m ­
b re u x e t sa n g la n ts c o m b a ts q u i o n t illu s tr é l ’a rm é e f ra n ­
ça ise d an s c e tte c o u rte p é rio d e de q u e lq u e s m o is.
Ce f u t d o n c , ain si q u e je l ’ai d it, d a n s la jo u r n é e d u
10 av ril q u e la g u e rre fu t d é n o n c é e à n o tre g én é ral p a r
u n o fficier p a rle m e n ta ire e t q u ’a u s s itô t a p rè s c o m m e n ­
c è r e n t le s h o s tilité s . A insi le g a n t é ta it je té , ra m a ssé ,
e t la lice o u v e rte ; il ne s ’a g issa it do n c p lu s q u e de co m ­
b a ttre .
Le 11, j ’ac co m p ag n a i le co lo n el, d è s la p o in te du jo u r ,
d a n s l ’in s p e c tio n d es p o s te s av a n cé s q u e j ’avais p la cé s la
v e ille et q u ’il tro u v a en règ le .
D ans l ’a p rè s-m id i, le lie u te n a n t K iste r, en v o y é en re c o n ­
n a issa n c e , re n c o n tra u n d é ta c h e m e n t c o n sid é ra b le de
h u la n s e t d ’in fa n te rie d e v a n t le q u e l il c r u t p r u d e n t de s e
ENTRÉE
EN
CAMPAGNE.
— 1809.
J
229
r e tir e r sa n s se la isse r e n ta m e r, m a is en tir a illa n t ju s q u ’à
la n u it en av a n t du village de D eblitz ’o ù u n e g r a n d ’g ard e
v in t le so u te n ir. Le le n d e m a in , a p rè s a v o ir co u p é u n p o n t
s u r la R ég en , n o u s fîm e s n o tre jo n c tio n avec le 7° H u ssa rd s
e t le 11e C h a sse u rs fo rm a n t la b rig a d e d u g é n é ra l P ajol.
N ous la is sâ m e s R a tisb o n n e à n o tr e g au c h e e t a rriv â m e s à
n e u f h e u re s d u so ir au v illage de B e rc sh a u se n , o ù n o u s
tro u v â m e s u n b a ta illo n d ’in fa n te rie , a p rè s a v o ir fait q u in z e
lie u e s d a n s la jo u rn é e . Le le n d e m a in , n o u s jo ig n îm e s , au
villag e de D asw ang, le 13e lé g e r avec le q u e l n o u s devions
o p é re r. N o u s y tro u v â m e s le g é n é ra l de d iv isio n M ontb ru n , a rriv a n t d ’E sp ag n e p o u r p re n d re le c o m m a n d e m e n t
d e l à d iv isio n de cav alerie lé g è re d ’av an t-g ard e, avec, p o u r
aid es de ca m p , les c a p ita in e s G u in ard e t Galon, et p o u r offi­
c ie r d ’o rd o n n a n c e , le lie u te n a n t W a ld n e r, d u 11° C has­
s e u rs, b eau je u n e h o m m e d ’u n e g ran d e fam ille d ’A lsace.
N ous fû m es d ’a u ta n t p lu s sa tisfa its d ’ê tre so u s le s o rd re s
de ce b rav e g é n é ra l q u ’il jo u is s a it à ju s te titr e d a n s t.oute
l ’a rm é e de la p lu s b rilla n te ré p u ta tio n .
11 n o u s p a s s a en re v u e e t, se m e tta n t à n o tre tê te , il se
d irig e a s u r F a lz b o u rg où n o u s v în m e s c o u c h e r avec le 13°
lé g er.
L ogé av ec le c o lo n el chez le c u ré de l ’e n d ro it, ce b rav e
e t d ig n e h o m m e d é p lo ra it les m a u x q u e la g u e rre allait
e n tra în e r , m a is so u m is a u x d é c re ts de la P ro v id e n c e , il
n o u s o ffrit d e b o n c œ u r sa cave, sa b a s se -c o u r e t sa c u isi­
n iè re . T o u s le s h a b ita n ts é ta n t B avarois, p a r c o n s é q u e n t
n o s allié s, n o u s a c c u e illire n t avec e m p re s s e m e n t, n e n o u s
d e m a n d a n t a u tre ch o se q u e de n e p as la isse r p é n é tr e r
l ’e n n e m i d an s le u r p ay s. Mais m a lh e u re u s e m e n t il n ’en fu t
p o in t a in s i p a r d es ra is o n s q u i n o u s é ta ie n t in c o n n u e s a lo rs
e t q u i n e p u r e n t les g a ra n tir d ’u n e c o u rte in v a sio n ; ce fu t
la n é c e s s ité où se tro u v a it l ’a rm é e fra n ç a ise de faire u n e
230
SOUVENIRS
MILITAIRES.
m a rc h e ré tro g ra d e afin de c o n c e n tre r ses fo rces. D ifférents
d é ta c h e m e n ts en v o y é s en re c o n n a iss a n c e d ans la jo u rn é e
a n n o n c è re n t la p ré s e n c e de l ’e n n e m i e t ce lle d u p rin c e
F e rd in a n d d a n s la ville de B u rg le n g e n fe ld q u e n o u s occu ­
p io n s la v eille .
D ans la s o iré e , q u e lq u e s co u p s de c a ra b in e a y a n t été
é c h a n g é s avec le s C h a sse u rs d u lo u p , e x c e lle n ts tir e u r s ,
d e u x de n o s h u s s a rd s fu re n t tu é s et, p rè s de A m b erg , n o u s
e û m e s tro is h u s s a rd s tu é s e t c in q b le ssé s .
Le 18, le g é n é ra l M o n tb ru n fit u n e re c o n n a is s a n c e s u r
P faffen h o ffen avec le 5e H u ssa rd s. U n ré g im e n t de h u la n s
en s o r tit a u s s itô t à l’a p p ro c h e d u g é n é ra l Ja c q u in o t, v e n a n t
jo in d re la d iv isio n avec le I e e t le 2e de C h a s s e u rs ; c e s
tr o u p e s a v a ie n t eu u n e n g a g e m e n t assez sé rie u x , la v eille,
c o n tre d es fo rc e s s u p é rie u re s q u i v a in e m e n t a v a ie n t v o u lu
e m p ê c h e r n o tr e jo n c tio n . T o u te s ces m a rc h e s et c o n tre ­
m a rc h e s a v a ie n t p o u r b u t d e p ro té g e r le s m o u v e m e n ts du
m a ré c h a l D avout m e n a c é p a r l ’a rc h id u c C harles q u i, avec
d e s fo rc es tr è s s u p é rie u r e s , v e n a it de s ’e m p a re r de R a tisb o n n e e t e s p é ra it r e f o u le r l’a rm é e b av a ro ise de m a n iè re à
e m p ê c h e r sa jo n c tio n avec n o s tro u p e s . C ette situ a tio n
assez c ritiq u e d e m a n d a it u n e p ro m p te d é te rm in a tio n . S u r
le s m in u it, le c h e f d ’e s c a d ro n H irn , d u 3e H u ssa rd s, fu t d é ta ­
ch é avec c e n t ch e v au x et, dès la p o in te d u jo u r d u 19, la
d iv isio n se m it en m a rc h e se d irig e a n t s u r A b en sb e rg . P eu
d ’h e u re s a p rè s , en a rriv a n t s u r le s h a u te u rs de D islin g en ,
n o u s v îm e s d é b o u c h e r l ’e n n e m i avec d es m a sse s c o n s id é ­
râ m e s ; la 5° c o m p a g n ie d u ré g im e n t fu t a u s s itô t la n c é e en
tir a ille u r s afin de la is s e r le te m p s au 7e lé g e r de n o u s re-,
jo in d re . A u ssitô t ce m o u v e m e n t e x é c u té , le g é n é ra l, m a lg ré
la p o sitio n d é s a v a n ta g e u se d a n s la q u elle il se tro u v a it et
l ’in fé rio rité de se s tro u p e s , n o u s fil m a n œ u v re r avec le
ta le n t e t l ’in te llig e n c e q u i lu i é ta it si fa m ilie rs , afin de
COMBAT
D’A B E N S B E R G .
— 1 809.
231
p a ra ly s e r le p lu s p o ssib le le s fo rc es c o n s id é ra b le s q u e
n o u s av io n s en face de n o u s. M ais l’e n n e m i, con fian t d ans
sa s u p é rio rité , fit to u te s se s d isp o s itio n s d ’a tta q u e e t c o m ­
m e n ç a p a r n o u s e n v o y e r p lu s ie u r s b o u le ts q u i n o u s tu è re n t
q u e lq u e s ch e v au x . Le 7° lé g e r, a u s s itô t a p rè s n o u s avoir
re jo in ts , m a rc h a à la b a ïo n n e tte d ro it au x b a tte rie s , a b o rd a
l ’e n n e m i avec ré s o lu tio n e t lu i en lev a d e u x p iè ce s, ta n d is
q u ’u n e s c a d ro n du 7 °H u ssard s fo u rn is s a it u n e b elle ch a rg e.
Le g é n é ra l M on tb ru n , v o y an t a lo rs q u e l’affaire a lla it d ev e­
n ir s é rie u se e t q u ’il fa lla it en c e tte c irc o n sta n c e fa ire p lu s
q u e so n d ev o ir p o u r te n ir tê te au x fo rc es s u p é rie u r e s q u i
se d é v e lo p p a ie n t d ev a n t n o u s, v in t à n o s ré g im e n ts, les
p a s s a en re v u e c o m m e s u r u n ch a m p de m a n œ u v re m a l­
g ré la m itra ille e t le s b o u le ts, e t la n ç a le 5e H u ssa rd s à la
c h a rg e s u r les h u s s a rd s [...?] fo rts de p rè s de 1200 c h e ­
v a u x ; la m ê lé e fu t d es p lu s vives p e n d a n t q u e lq u e s in s ­
ta n ts , m a is, to u r n é s p a r u n r é g im e n t de h u la n s , n o u s
fû m es o b lig és de n o u s re p lie r s u r n o tre brav e in fa n te rie
q ui r é ta b lit b ie n tô t le c o m b at p a r se s d éc h arg es m e u r ­
tr iè r e s . U ne se c o n d e charg e q u e n o u s fim es a p p u y e r p a r
le 11° C h a sse u rs fu t te rrib le ; n o s h u s s a rd s se b a tta n t avec
la p lu s g ra n d e ré so lu tio n , n o u s p a rv în m e s à en fo n c e r n o s
a d v e rsa ire s q u e le 7e H u ssa rd s ac h ev a de m e ttre d an s la
p lu s g ra n d e d é ro u te en tu a n t b ea u co u p de m o n d e d a n s sa
p o u rs u ite .
Ce c o m b a t m e u rtrie r e u t le d o u b le av a n ta g e de te n ir en
é c h ec u n c o rp s co n sid é ra b le qui se d irig e ai t s u r R a tisb o n n e
e t de p ro té g e r la m a rc h e de flanc de la d ivision P ria n t q u i
c h e rc h a it à faire sa jo n c tio n avec le m a ré c h a l D av o u t;
m a is il c o û ta c h e r au x d eu x p a rtis . N o tre brave colonel y
fu t g riè v e m e n t b le ssé , a in si q u e c in q officiers e t vingt-deux
h u s s a rd s , d o n t n e u f r e s tè re n t s u r p la ce . De so n côté, l ’en ­
n e m i p e r d it b e a u c o u p de m o n d e e t s u r to u t d a n s la p o u r ­
2 8 2
SOUVENIRS
MILITAIRES.
su ite d u 7e H u ssa rd s. Le g é n é ra l M o n tb ru n d ép lo y a d a n s ce
b r illa n t c o m b a t u n e v a le u r et u n ta le n t q u i lu i m é ritè re n t
l ’e s tim e e t l ’a d m ira tio n d e s tr o u p e s ; il e u t u n cheval tu é
so u s lu i p a r u n b o u le t, et le g é n é ra l P a jo l, s a b ra n t co m m e
u n sim p le h u s s a rd , r e ç u t u n e lé g è re b le s s u re au b ras.
S u r les q u a tre h e u re s a p rè s m id i, n o u s p a s sâ m e s tr a n ­
q u ille m e n t u n défilé p a r u n e p lu ie b a tta n te , a y a n t à n o tre
tê te le g é n é ra l M o n tb ru n q u i v o u lu t fo rt g a la m m e n t re m ­
p la c e r le co lo n el D ery tr a n s p o r té s u r le s d e rriè re s avec le s
a u tre s b le s s é s .
A la n u it to m b a n te , le g é n é ra l p r it p o sitio n avec un
b a ta illo n du 7e lé g e r au village de P e y sin g , et les tr o is ré g i­
m e n ts de cav alerie lé g è re avec le re s te d u 7e lé g e r se p o r ­
tè r e n t en a v a n t s u r la p e tite v ille de A bbach, où n o u s n o u s
é ta b lîm e s m ilita ire m e n t e t p a s sâ m e s u n e n u it fo rt tr a n ­
q u ille . Le 20, la div isio n r e p r it, d ès la p o in te du jo u r , la
p o s itio n q u ’elle o c c u p a it la v e ille afin de te n ir en échec le
c o rp s d u g én é ral K o llo w rath p e n d a n t le m o u v e m e n t du
m a ré c h a l D avout s u r E ck m ü h l où il v o u la it fa ire sa jo n c tio n
avec l ’a rm é e b a v a ro ise à la tê te de la q u e lle l ’E m p e re u r
v e n a it d e se m e ttr e . Le p la n de l ’a rc h id u c C harles, deviné
a u s s itô t p a r N apoléon, c o n s is ta it à c o u p e r n o tre a rm é e
afin d ’é c ra se r d ’a b o rd le
m a ré c h a l D avout e t d é tru ire
e n s u ite le s e c o n d 'c o rp s ; il se c ro y a it d ’a u ta n t p lu s c e rta in
de p o u v o ir e x é c u te r ce p r o je t q u e se s fo rc es é ta ie n t b e a u ­
c o u p s u p é rie u re s a u x n ô tr e s e t q u e R a tisb o n n e av a it été
o b lig é de c a p itu le r; c ’e s t p o u rq u o i l ’E m p e re u r a v a it fait
d ire au g én é ral M o n tb ru n de te n ir fe rm e d a n s sa p o sitio n
ta n d is q u ’il a lla it a tta q u e r l ’e n n e m i p o u r e m p ê c h e r sa
jo n c tio n .
T ous ces m o u v e m e n ts e x é c u té s avec u n e a d m ira b le p r é ­
cisio n d ev a ie n t a v o ir p o u r r é s u lta t le b rilla n t c o m b a t
d ’E ck m ü h l.
COMBAT
D’E C K M Ü I I L .
— 1 80 9 .
233
Des d é s e rte u rs q u i a r r iv è r e n t à n o s p o ste s av an cés n o u s
a p p rire n t q u ’a u v illage de P e y sin g n o u s av io n s c o m b a ttu
l ’av a n t-g ard e d ’u n c o rp s d ’a rm é e de 30000 h o m m e s e t
40 b o u c h e s à feu, d o n t l’in te n tio n é ta it de se jo in d r e à l ’a r ­
c h id u c ; m a is le g é n é ra l, s e n ta n t l ’im p o rta n c e d ’e n tra v e r
ce m o u v e m e n t, ne c e ssa p a s de h a rc e le r l ’e n n e m i. N ous
e û m e s d an s la jo u r n é e la tris te n o u v e lle que le d é ta c h e ­
m e n t so u s le s o rd re s d u c o m m a n d a n t H irn , c h a rg é de
■ com m uniquer avec le m a ré c h a l D avout, av a it é p ro u v é de
g ra n d e s p e rte s e t q u e son b rav e c h e f av a it été tu é p a r un
b o u le t. C ette p e rte , n o u s fu t d ’a u ta n t p lu s se n sib le q u e
l ’a b se n c e d u c o lo n e l a lla it la is s e r le ré g im e n t so u s le s
o rd re s d ’u n c h e f d ’esca d ro n to u t n o u v e lle m e n t arriv é au
c o rp s e t q u i, d an s le c o m b a t de P e y sin g , av a it m o n tré u n e
te lle p u s illa n im ité q u e to u t le c o rp s d ’officiers l ’av ait
d éc la ré u n a n im e m e n t in d ig n e de le c o m m a n d e r; le g é n é ­
ra l P a jo l, p a rta g e a n t c e tte o p in io n , d é c la ra q u ’il c o m m a n d e ­
ra it le ré g im e n t j u s q u ’au r e to u r du co lo n el, d o n t l ’ab sen c e
n e p o u v a it ê tre lo n g u e , a y a n t fa it d ire q u ’il e s p é ra it b ie n tô t
n o u s r e jo in d re , b ie n q u e fo rcé d ’av o ir le b ra s en é c h a rp e .
Q u an t au c h e f d ’e s c a d ro n , il fu t a u s s itô t d irig é s u r le
d é p ô t de F ra n c e , so u s p ré te x te d ’o rg a n ise r le s re n fo rts qui
d ev aien t n o u s a r r iv e r ; m a is, a v a n t son d é p a rt, ce fu t u n
so u s -lie u te n a n t d u ré g im e n t q u i lu i signifia, au n o m de
to u s le s officiers, q u e s ’il ne q u itta it p as la p e lisse b la n c h e
il s e ra it d é n o n c é à l ’E m p e re u r, e t n o u s n ’en e n te n d îm e s
p lu s p a rle r.
D ans la jo u r n é e d u 22, n o u s fû m e s re n fo rc é s p a r la b ri­
gad e d ’in fa n te rie B o u d e t; ce r e n fo rt p e rm it au g é n é ra l
M o n lb ru n de te n ir en é c h ec , p a r de fau sse s a tta q u e s , le
c o rp s d u g é n é ra l K o llo w rath , afin q u e l ’E m p e re u r p û t exé­
c u te r ses g ra n d s m o u v e m e n ts.
Le 23, b a ta ille de R a tisb o n n e ! — Dès q u a tre h e u re s du
234
SOUVENIRS
MILITAIRES.
m a tin , la d iv isio n se m it en m o u v e m e n t en c o lo n n e s
d ’a tta q u e , se d irig e a n t s u r u n e b elle p o sitio n o cc u p ée p a r
l ’e n n e m i.
N ous ta rd â m e s p e u à n o u s tr o u v e r e n p ré s e n c e d ’u n e
ligne d e c a v alerie q u i se m b la it n o u s a tte n d re avec r é s o lu ­
tio n , m a is, au m o m e n t de l ’a b o rd e r, elle to u r n a b rid e avec
le p lu s g ra n d ca lm e p o u r p ro té g e r le ta rd if m o u v e m e n t d u
g é n é ra l K o llo w ra th c h e rc h a n t à fa ire sa jo n c tio n avec l ’a r­
c h id u c C harles.
La m issio n d u g é n é ra l M o n tb ru n a y a n t e u un p lein s u c ­
cè s, il se d irig e a a u s s itô t s u r R a lisb o n n e d o n t n o u s a p p ro ­
ch â m e s à u n e lie u e de d ista n c e v e rs le s n e u f h e u re s du
m a tin , m a rc h a n t d a n s u n e p lain e im m e n se , en c o lo n n e s
p a r e s c a d ro n ; m ais* d é c o u v ra n t b ie n tô t u n e m a sse co n si­
d é ra b le q u i v e n a it à n o u s avec b ea u co u p d ’o rd re e t de
sa n g -fro id , n o tre b rig ad e fu t m ise a u s s itô t en ligne p a r
r é g im e n t. Le g é n é ra l P a jo l, à là tê te du 5° H u ssa rd s et so u ­
te n u p a r le 7e, c h a rg e a avec u n e v é rita b le f u re u r; p e n d a n t
q u e lq u e s in s ta n ts , la m ê lée fu t d es p lu s vives et n o u s p a r­
v în m e s enfin à ro m p re l ’e n n e m i ; m a is n o u s fûm 'es a r r ê té s
d a n s n o tre p o u rs u ite p a r la v u e d ’u n e m a sse im p o sa n te
d é b o u c h a n t d a n s le fond de la p lain e, d o n t les ailes se d é­
p lo y a ie n t p o u r n o u s en v e lo p p e r. N ous c rû m e s u n m o m e n t
a v o ir affaire à to u te la cav alerie a u tric h ie n n e ; m ais c e tte
in c e rtitu d e f u t de c o u rte d u ré e : c ’é ta it N ap o léo n o p é ra n t
sa jo n c tio n à la tê te de l ’a rm é e b av a ro ise. A lors, le c o m b a t
d e v in t g é n é ra l d an s c e tte p la in e im m e n se o ù l ’a p p a ritio n
su b ite de l ’E m p e re u r p ro d u is it u n effet é le c triq u e d an s
to u te l ’a rm é e , sa lu é e p a r les p lu s vives a c c la m a tio n s e t
ac co m p ag n ée d u b r u it d es ca n o n s e t d e s feu x de l ’in fa n ­
te rie ; ce fu t a lo rs q u e c o m m e n ç a v é rita b le m e n t la ba­
ta ille d a n s la q u e lle n o tr e d iv isio n n ’a v a it q u e p ré lu d é ,
ea r n o u s avions u n g é n é ra l a u q u e l so n a rd e u r, sa b ra v o u re
BATAILLE
DE
RATISBONNE.
—
18 0 9 .
235
e t so n au d a ce ne p e r m e tta ie n t pas de r e s te r in a c tif d ans
u n m o m e n t se m b la b le .
L ’e n n e m i, ap p u y é à R a tis b o n n e d o n t il é tait m a ître, p r o ­
tég é p a r le s h a u te u r s g a rn ie s de p lu s ie u r s b a tte rie s, p r é ­
s e n ta it u n fro n t im p o s a n t, c o u v e rt p a r u n e lig n e de cava­
le rie d ’u n e g ra n d e é te n d u e d o n t n o u s av io n s été à m êm e
d ’a p p ré c ie r la v a le u r u n e h e u re av a n t. C ep en d an t, le g é n é ­
ra l M o n tb ru n ne b alan ç a p a s de l ’a tta q u e r, e n c o re b ien
q u ’elle fû t c o n s id é ra b le m e n t re n fo rc é e , c a r il se n ta it tro p
b ie n l’im p o rta n c e de ce m o u v e m e n t q u i d ev a it p ro té g e r le
d é p lo ie m e n t des m a sse s de l ’E m p e re u r.
Le g é n é ra l P a jo l, to u jo u rs à la tê te d u 5 °H u ssa rd s, n o u s
c o n d u is it à la c h a rg e en b ra n d is s a n t so n sa b re e t a rriv a n t
le p r e m ie r ; n o u s c u lb u tâ m e s to u t ce q u i offrit ré sis ta n c e ,
ta n d is q u ’à n o tre g a u c h e le 11e C h a sse u rs e l le 7eH u ssa rd s,
g u id é s p a r le g é n é ra l M o n tb ru n , fa isa ie n t m e rv e ille . P o u r­
s u iv a n t sa n s relâ ch e ce lte c a v alerie en d é s o rd re , n o tre ca­
v a le rie n e s’a r r ê ta q u ’à u n d e m i-q u a rt de lie u e de R atisb o n n e , p lu s ie u rs d é c h a rg e s d ’a rtille rie a y a n t ra le n ti n o tre
a rd e u r. (Ce fu t en ce m o m e n t q u ’il m ’a rriv a u n fait que je
c ite ra i p lu s ta rd afin de n e p o in t in te rro m p re la m a rc h e
de l ’ac tio n g é n é ra le .) L’E m p e re u r, v o u la n t p ro fite r de l ’e n ­
th o u s ia sm e q u e sa p ré se n c e in s p ira it à l ’a rm é e , e t de l ’av an ­
tage q u 'il av ait o b te n u en c o u p a n t en deu x l ’a rm é e de l ’a r ­
c h id u c p a r les c h a rg es r é ité ré e s de la cav alerie, o rd o n n a au
m a ré c h a l L an n e s d ’e n le v e r la v ille de R a tisb o n n e , m alg ré
ses m u ra ille s fo rtifiées e t u n e c o n tre s c a rp e p r é s e n ta n t
de g ra n d s m o y e n s de d é fe n se . Le m a ré c h a l, a y a n t c o n n a is­
san ce q u ’u n e b rè c h e e x ista it e n tre le s d eu x p o rte s, se m it
à la tê te d ’u n b a ta illo n et, d e s c e n d a n t d a n s le fo ssé, so u s le
feu m e u rtrie r de l ’e n n e m i, a b o rd a la b rè c h e , p é n é tra d ans
la ville e t fit o u v rir la p o rte d ite de S tra u b in g .
La tro u p e s u r p ris e e t d é m o ra lisé e p a r u n e a c tio n au ssi
236
SOUVENIRS
MILITAIRES.
a u d a c ie u se , m it b as ies a r m e s ; u n e n o m b re u s e a rtille rie
f u t p rise ; m a is ce q u ’il y e u t de p lu s s a tisfa isa n t p o u r le
m a ré c h a l, ce fu t la d é liv ra n c e d u 65e de lig n e q u i a v a it été
o b lig é de c a p itu le r d a n s le s p re m ie rs é v é n e m e n ts de la
ca m p a g n e, c o m m a n d é a lo rs p a r le b rav e co lo n el C outard,
le q u e l c e p e n d a n t é ta it p a rv e n u à s o u s tra ire se s aigles.
A insi, en p e u de jo u r s et p a r le s sa v an te s m a n œ u v re s de
l ’E m p e re u r, n o u s é tio n s p a rv e n u s à r é p a re r le s d é b u ts
fâ c h e u x d e ce tte c a m p a g n e, g ag n e r les b a ta ille s de T an n ,
d ’A b e n sb e rg e t d ’E c k m ü h l, v ain cre d a n s le s c o m b a ts de
P e y s in g , d e L a n d s h u t e t de R a tisb o n n e , d é m o ra lis e r u n e
a rm é e d e 180000 h o m m e s avec m o itié m o in s de forces,
p re n d re 100 p iè c e s de ca n o n , 40 d ra p e a u x , 50000 p r is o n ­
n ie rs , 3 éq u ip a g e s de p o n t, 3 000 v o itu re s a tte lé e s p o rta n t
d es b ag ag es e t to u te s le s caisse s des ré g im e n ts.
A insi c e tte a rm é e q u i c o m p ta it n o u s a n é a n tir se tr o u ­
v a it ré d u ite à d é fe n d re so n te rr ito ire , m a lg ré q u e lq u e s su c­
cès p a s sa g e rs q u ’elle p a y a it ain si fo rt c h e r.
Le s o ir de ce b r illa n t c o m b a t, la ca v alerie, h a ra ssé e de
fatig u e, fu t en v o y ée d a n s d es villag es. L ’é ta t-m a jo r d u
ré g im e n t, e n v e n a n t p r e n d re p o sse ssio n d e la m a iso n d u
c u ré , y tfo u v a le g é n é ra l S a in t-S u lp ic e q u i n o u s p e rm it de
p a s s e r la n u it avec lu i. Je fu s fo rt h e u re u x d ’y re n c o n tre r
u n v é té rin a ire q u i p a n s a m o n cheval de d e u x co u p s de
sa b re s u r la tê te , e t d ’y tro u v e r p o u r n o s ch e v au x d e s fo u r­
ra g e s e n ab o n d a n c e .
L a ville de R a tisb o n n e , d o n t n o u s étio n s à u n q u a rt de
lie u e , offrait u n sp e c ta c le h o rrib le e t a u ssi effra y an t p o u r
la tro u p e q u e p o u r le s h a b ita n ts . Les flam m es s ’é te n d a ie n t
d a n s d iffé ren ts q u a r tie r s , g a g n a n t u n e p la ce s u r la q u e lle se
tro u v a it u n p a rc d ’a rtille rie a b a n d o n n é p a r les A u tric h ie n s ;
on é ta it d a n s le p lu s g ra n d effroi c ra ig n a n t à to u t in s ta n t
u n e ex p lo sio n q u i eût, a n é a n ti u n e p a rtie de la ville.
BATAILLE
DE R AT I SB O N N E .
— 1809.
F o rt h e u re u s e m e n t, la tr o u p e p a rv in t à é te in d re le feu ;
m a is u n e a u tre c a la m ité v in t se jo in d re à ta n t d ’in q u ié tu d e s,
ce fu t le p illa g e avec to u te s le s h o r r e u r s d ’u n e v ille p rise
d ’a s s a u t : le s c ris des b le ssé s, c e u x d es h a b ita n ts d o n t on
en fo n ç a it le s p o rte s , le d é s e sp o ir des m a lh e u re u s e s
fem m es liv ré es a u x b ru ta lité s d es so ld a ts ivres, enfin u n e
ép o u v a n ta b le c o n fu sio n o ffran t u n sp e cta cle affreux q u e la
n u it re n d a it e n c o re p lu s h o rrib le .
N ous a p p rîm e s d a n s la so iré e q u e l ’E m p e re u r av ait é té
b le ssé d ’u n e b alle m o rte à la ja m b e , ce q u i n e l ’e m p ê c h a
pas de m o n te r à cheval p o u r p a r c o u rir le ch a m p de b a ­
taille.
Le ré g im e n t e u t d a n s ce tte jo u r n é e d eu x officiers tu é s et
c in q b le ssé s ; 74 h u s s a rd s f u re n t tu é s e t 32 b le ssé s p lu s ou
m o in s g riè v e m e n t; n o s p e rte s p ro v in re n t s u r to u t des dé­
c h a rg es à m itra ille p r è s de la v ille.
C’e s t ici le m o m e n t de r e tra c e r l ’é v é n e m e n t q u i m ’a rriv a
d a n s la jo u r n é e au m o m e n t de la co n fu sio n d es c h a rg e s
su c ce ssiv e s que n o u s fîm e s.
P lu s ie u rs p e lo to n s de c u ira s s ie rs e t de c h e v a u -lé g e rs
a u tric h ie n s , s ’é ta n t je té s avec fu re u r s u r le ré g im e n t, p a r­
v in r e n t à r o m p re n o tre lig n e ; je m ’en tro u v a i sé p a ré u n
in s ta n t, n ’a y a n t p r è s de m o i q u e 5 à 6 h u s s a rd s , et en v e­
lo p p é p a r u n e tr e n ta in e de c a v aliers e n n e m is , lo rs q u e
fo rt h e u r e u s e m e n t p lu s ie u r s tira ille u rs d u 7° lé g e r se r é u ­
n is s a n t fire n t u n e d éc h arg e à b o u t p o r ta n t q u i a b a ttit p lu ­
s ie u rs h o m m e s e t m it le s a u tre s e n fu ite ; a lo rs, fra n c h is ­
s a n t u n ra v in suivi de m e s h u s s a rd s , n o u s a tte ig n îm e s
d e u x o fficiers q u i se r e n d ir e n t a p rè s q u e lq u e s c o u p s de
sa b re é c h a n g é s : u n é ta it b le ssé assez g rièv e m en t.
Je m ’o cc u p ais de r a s s u r e r les d eu x p ris o n n ie rs , lo rsq u e
le g é n é ra l d e d iv isio n N ..., a rr iv a n t à n o u s, o rd o n n a aux
tira ille u rs d u 7° de le s fu s ille r ; m on é to n n e m e n t e t m o q
238
SOUVENIRS
MILITAIRES.
in d ig n a tio n p ro u v è re n t au g é n é ra l m a s u r p ris e d ’u n a u ssi
affreux p ro c é d é . J e lu i o b se rv a i q u e ces p ris o n n ie rs m ’a p ­
p a rte n a ie n t, q u e ce s e ra it m a n q u e r à to u te s le s lo is de
la g u e rre de le s a s s a s s in e r a in si e t q u e l’h o n n e u r m e fai­
sa it u n d e v o ir de m ’y o p p o s e r; le s tir a ille u rs de le u r côté
se m b la ie n t r é p u g n e r à u n e a c tio n a u s si b a rb a re ; m a is le gé­
n é ra l re n o u v e la im p é ra tiv e m e n t so n o rd re , re c o n n a is s a n t,
d isa it-il, ces d e u x officiers p o u r l ’av o ir v iv e m e n t p o u r ­
su iv i d a n s l’in te n tio n de le tu e r e t n ’a y a n t tro u v é so n sa lu t
q u e d a n s la fu ite (il a v a it m ê m e p e rd u son ch a p e a u ) ; il
m ’e n jo ig n it d e m e r e tir e r so u s p e in e d e m e fa ire sé v è re ­
m e n t p u n ir.
J ’é p ro u v a is la p lu s vive in d ig n a tio n et m o n ex a sp é ra ­
tio n é ta it a u co m b le en p ré s e n c e d ’u n a tte n ta t a u ssi ab o m inable^que la d isc ip lin e m ’im p o sa it d é la is s e r c o m m e ttre ,
e t je v is e n m ’é lo ig n a n t ces d e u x m a lh e u re u x to m b e r fra p ­
p é s d e p lu s ie u rs b a lle s. S ou s l’im p re ssio n de c e t h o rrib le
év é n e m e n t, j ’en r e n d is c o m p le au g é n é ra l M o n tb ru n en
en p ré s e n c e d u g é n é ra l L e b ru n , aide de cam p de l ’E m ­
p e re u r, q u i m ’e n g a g è re n t p r u d e m m e n t au silen c e s u r u n
fait q u ’ils s e n ta ie n t a u s si b ien q u e m o i ê tre u n e in fam ie,
m a is la q u a lité d u p e rso n n a g e é ta it te lle q u ’ils e u s s e n t été
tr è s fâch és s ’il av a it eu c o n n a issa n c e de m o n ra p p o rt.
, C e p en d a n t, s u r les q u a tre h e u re s d u so ir, le c o m b a t é ta n t
te rm in é , le g é n é ra l P ajo l m e fit a c c o m p a g n e r s u r le te rra in
o ù c e tte affre u se sc è n e a v a it eu lie u , p a r le c a p ita in e V érig n y , so n aide de ca m p ; n o u s y tro u v â m e s ces m a lh e u re u x
officiers m o u ra n ts q u e le s tir a ille u rs d u 7° lé g e r av a ie n t
la is s é s sa n s le s d é p o u ille r. N ous n o u s e m p re s s â m e s de
le s tr a n s p o r te r d a n s u n v aste c o u v e n t d o n t on avait fait
u n e a m b u la n c e ;je les fis p a n s e r d ev a n t m oi e t j ’e u s la sa ­
tis fa c tio n d ’e n ê tre re c o n n u ; m a is ils p u r e n t à p e in e e x p r i­
m e r le u r re c o n n a iss a n c e d es so in s q u e je le u r p ro d ig u a is .
RECONNAISSANCE.
— 1809.
239
J e le u r la issa i q u e lq u e s p iè c e s d 'o r e t le s re c o m m a n d a i
au x so in s d 'u n c h iru rg ie n , le s q u itta n t avec le v if re g re t
de n ’av o ir p u le u r é v ite r u n s o rt si c ru e l. Un d ’eu x , m o in s
g riè v e m e n t b le ssé , m ’a p p r it q u ’il se n o m m a it le c o m te de
W ra tiz la w , frè re d ’u n a id e de cam p de l ’a rc h id u c C harles,
e t so n c a m a ra d e le b a ro n de F ra n k , to u s d eu x officiers
au x c h e v a u -lé g e rs de K lenau.
A u m o m e n t où j ’allais q u itte r ces m a lh e u re u s e s v ic tim e s
un
de m e s
am is p a rtic u lie rs , le c a p ita in e
T robrian.t,
aid e de cam p d u m a ré c h a l D avout, a rriv a it p o u r o rg a n ise r
l ’a m b u la n c e ; il m e p r o m it to u te sa so llic itu d e e n v e rs ces
in fo rtu n é s d o n t l’u n , F ra n k , su c c o m b a q u e lq u e s jo u r s
a p rè s e t l ’a u tre é c h a p p a m ira c u le u s e m e n t à la m o rt.
Le 24, la d iv isio n de cav alerie lé g è re tra v e rs a R a tisb o n n e
à la p o in te d u jo u r , se p o r ta n t en a v a n t, a u d elà du p o n t d u
D an u b e o ù elle p r it p o sitio n en a tte n d a n t les o rd re s q u e je
fus ch arg é d ’a lle r c h e rc h e r p rè s le p rin c e de N eu c h âte l. Ce
fu t l’E m p e re u r lu i-m ê m e , c a u sa n t avec le p r in c e s u r u n
p e tit m a m e lo n , qui m e le s d o n n a :
« P a rte z s u r-le -c h a m p , m e d it-il, avec d e u x h u s s a rd s ,
re m o n te z la riv e d ro ite de la R égen ju s q u ’à ce q u e vous
ayez d es r e n s e ig n e m e n ts p o sitifs s u r la m a rc h e de l ’e n ­
n e m i, p o u r en d o n n e r avis au g é n é ra l M ontb ru n q u i ag ira
d ’a p rè s v o tre ra p p o rt, e t s u r to u t q u ’il so it de la p lu s p a r ­
faite e x a c titu d e . »
T elles fu re n t le s e x p re ssio n s de l ’E m p e re u r. 11 les a c co m ­
pag n a d ’u n p e tit sig n e de tê te b ie n v e illa n t, qui m e co m b la
de jo ie e n m e p ro u v a n t q u ’il m ’a v a it re c o n n u .
Je v in s r e n d re c o m p te au g é n é ra l de l ’o rd re d o n t j ’étais
p o r te u r e t p a rtis a u s s itô t avec m e s d e u x h u s s a rd s re m o n ­
ta n t au g alo p le s b o rd s de la R égen ju s q u ’à la h a u te u r
de la v ille d e R eg en stau ff, p la cé e s u r l ’a u tre riv e, d o n t le
p o n t é ta it ro m p u . D eux p e lo to n s de C h a sse u rs d u lo u p ,
240
SOUVENIRS
MILITAIRES.
p la cé s p rè s d e s m a iso n s, n o u s s a lu è re n t de p lu s ie u rs co u p s
de c a ra b in e e t p a r tir e n t; j ’en v o y ai a u s s itô t u n h u s s a rd
d o n n e r avis au g é n é ra l que l’e n n e m i se r e tira it d ans la
d ire c tio n de la B o h êm e e t m e fis e n v o y e r u n e b a rq u e p a r
le s h a b ita n ts ; la c ra in te le s fit o b te m p é re r à m o n o rd re .
P re s q u e au m ê m e m o m e n t a rriv a it le g é n é ra l avec u n e
e sc o rte d e 25 h u s s a rd s , q u a tre p a s s è r e n t avec m oi d an s la
b a rq u e : le b o u rg m e s tre , avec la m u n ic ip a lité e t n o m b re
d ’h a b ita n ts , n o u s a tte n d a it s u r le b o rd d u fleuve avec d es
d é m o n s tra tio n s c ra in tiv e s, m a is to u t p r ê ts à su b ir les c o n ­
s é q u e n c e s d e le u r p o sitio n . Je signifiai au n o m d u g é n é ra l
d e r é p a re r le p o n t, ce q u i fu t ex é cu té avec p ro m p titu d e ;
p e n d a n t ce te m p s, j ’in te rro g e a is tro is fa n ta ssin s re s té s d ans
u n c a b a re t et q u i se d is a ie n t d é s e r te u r s ; ils m ’a p p r ir e n t
q u e l ’a rc h id u c C h arles, avec u n e p a rtie de l ’a rm é e e t b e a u ­
co u p d ’é q u ip a g e s, se r e tir a it s u r W itte n a u , d a n s la d ire c ­
tio n d e la B o hêm e.
A u ssitô t la d iv isio n a rriv é e , le g én é ral d isp o sa la cavale­
rie a u b iv o u a c en a v a n t de la ville o ù v in t s ’é ta b lir le
13e lé g e r q u i av a it re m p la c é le 7e. P lu s ie u rs d é ta c h e m e n ts
f u re n t à la su ite de l ’e n n e m i e t r a m a s s è re n t u n assez
g ran d n o m b re de tra în a rd s e t p lu s ie u r s v o itu re s d ’équipage.
Le g é n é ra l m e fit p a r tir le le n d e m a in , à la p o in te d u jo u r ,
p o u r faire a u p rin c e d e N eu c h â te l le r a p p o r t d es d é ta ils
q u ’il av ait s u r la m a rc h e de l ’e n n e m i e t re c e v o ir les o rd re s
de l ’E m p e re u r q u i ne m e fu re n t ex p éd iés q u e d a n s la j o u r ­
n ée . Le s o ir j ’a rriv a i à K irn o ù d ev a it s ’a r r ê te r la div isio n ,
m a is n o tre in fa tig a b le g é n é ra l, ja lo u x de jo in d re l ’e n n e m i,
l ’av a it a tte in t à N itte n a u e t av a it en lev é , m a lg ré sa vive r é s is ­
ta n c e , u n e assez b elle p o sitio n d a n s la q u e lle l ’a rriè re -g a rd e
s ’é ta it re tra n c h é e ; je m ’é tab lis p o u r la n u it d a n s le c h â te a u
de K irn avec m o n o rd o n n a n c e ; u n e aim ab le b a ro n n e m ’y
d o n n a l ’h o sp ita lité e t n ’o sa p a s m e re f u s e r d e c o u c h e r d an s
NOUVELLE
MISSION.
— 1809.
241
le lit où s ’é ta it re p o sé l’a rc h id u c C harles l ’av a n t-v eille.
Le 26, au m o m e n t o ù je re jo ig n a is la d iv isio n , le g é n é ra l
M o n tb ru n se p o rta il s u r P ru k ; m a is l’e n n e m i é ta it te lle m e n t
en fo rce p o u r p ro té g e r sa n o m b re u s e a rtille rie e t se s g ro s
é q u ip a g e s, q u e le g é n é ra l fu t obligé d ’a tte n d re l’a rriv é e de
so n in fa n te rie . Le so ir, n o u s tro u v â m e s la ville év acuée e t
le g é n é ra l m e g ard a p rè s de lu i, a y a n t à m e d o n n e r des i n ­
stru c tio n s s u r u n e m issio n q u e je devais re m p lir.
Le 28, je m e m is en m a rc h e avec 50 c h a sse u rs d u 11°,
50 h u s s a rd s d u r é g im e n te t 120 h o m m e s d u 13° lé g er, avec
l ’o rd re de n e ja m a is p e rd re l ’e n n e m i de v u e, le ta lo n n e r
c o n tin u e lle m e n t, sa n s c e p e n d a n t m ’e n g a g e r tro p , p u isq u e
je p o u v ais m e tro u v e r à u n e d ista n c e assez c o n s id é ra b le
de la d iv isio n , b ien q u ’elle d û t a p p u y e r m e s m o u v e m e n ts.
C elte h o n o ra b le m is sio n d ev a it a p p a rte n ir à u n officier s u ­
p é rie u r, m ais le g é n é ra l, re m p li de b ie n v e illa n c e à m o n
ég ard , p ro fita de la c irc o n sta n c e où le ré g im e n t é ta it san s
c h e f d ’e sc a d ro n p o u r m ’en faire r e m p lir les fo n ctio n s, bien
c o n v a in c u que je ré p o n d ra is de m o n m ie u x à c e tte m a rq u e
de confiance. N ous n o u s d irig e â m e s d ’a b o rd s u r la p e tite
ville de R œ ting, b aig n ée p a r la R égen ; deu x e s c a d ro n s de
c h e v a u -lé g e rs e t à p e u p rè s 300 h o m m e s d ’in fan terie
é ta ie n t au b iv o u a c en a v a n t de la v ille ; b ie n tô t so u s les
a rm e s , ce tte tro u p e se m it en p o sitio n de s ’o p p o se r à n o tre
e n tré e ; c e p e n d a n t les tira ille u rs se u ls s ’e n g a g è re n t p e n ­
d a n t p lu s d ’une h e u re . E nfin, s u r le s cin q h e u re s d u so ir,
l ’e n n e m i effectu an t sa r e tr a ite , n o u s le ch a rg e â m e s d an s la
v ille, le h a rc e la n t p e n d a n t p r è s d ’u n e lie u e ; d e u x c h a s ­
s e u rs e t tro is fa n ta ssin s f u re n t b le ssé s . A la n u it, n o s
p o ste s é ta b lis p r è s le village d e F a lk e n s te in e t n o s v e d e tte s
p la c é e s à u n e p o rté e de p isto le t, n o u s r e s tâ m e s s u r p ied ,
sa n s feu , p a r u n e p lu ie c o n tin u e lle .
A m in u it, le lie u te n a n t P ie rre , à la tê te de dix h u s s a rd s e t
16
242
SOUVENIRS
MILITAIRES.
25 fa n ta s sin s, e n le v a d eu x p o s te s e n tie rs av e c la p lu s
g ran d e au d a c e e t p a r la s u r p ris e - la p lu s h a rd ie . J ’en v o y a i
au g é n é ra l d e u x officiers, 23 p r is o n n ie rs , u n e c a n tin iè re et,
lu i re n d a n t c o m p te de m a jo u r n é e , je le p ré v e n a is que p r o ­
b a b le m e n t n o u s é p ro u v e rio n s de la ré s is ta n c e au p assag e
de la riv iè re .
Le le n d e m a in , to u s le s p o s te s re le v é s à q u a tre h e u r e s d u
m a tin , n o u s n o u s m îm e s e n m a rc h e à la s u ite de l ’en n e m i
q u i n e s ’a tte n d a it p as à n o u s tr o u v e r si m a tin a ls ; a u ssi
ra m a s s â m e s -n o u s q u e lq u e s tra în a r d s q u i m ’a p p r ir e n t
q u ’il y a v a it de la c o n fu sio n d a n s la m a rc h e d e s v o itu re s
d ’éq u ip a g e s.
D eux c h e v a u -lé g e rs d é s e r te u r s m ’a ffirm è re n t l’év a cu a­
tio n de la v ille de C ham , s u r la q u e lle n o u s n o u s p o rtâ m e s
a u s s itô t; u n p o n t r o m p u fu t à l ’in s ta n t ré p a ré p a r le s h a b i­
ta n ts e t n o u s y ra fra îc h îm e s u n è h e u re p o u r n o u s m e ttr e à
la s u ite de l ’e n n e m i d an s la d ire c tio n de F u rth et N eum a rc k , o ù n o u s l ’a tte ig n îm e s u n e lieu e en a v a n t de ce d e r ­
n ie r e n d ro it, d a n s u n e p o sitio n m o m e n ta n é e , d e rriè re un
m a ra is d ’où il n o u s en v o y a u n e g rêle de c o u p s de fusil.
Q u aran te h o m m e s d u 13° lé g e r, a p p u y é s d e 25 ch e v au x ,
le s d é b u s q u è r e n t au p rix de d e u x h u s s a rd s e t de q u a tre
fan ta ssin s. Le lie u te n a n t S c h e g lin sk y , d u 5e H u ssa rd s, tu a
de sa m a in tro is c h a s s e u rs d u lo u p e t e n p r it h u it. C ette
tro u p e se r e tir a n t e n d é s o rd re n o u s la issa m a ître s de
4 v o ilu re s d ’éq u ip ag e d o n t n o u s n o u s e m p a râ m e s sa n s la
m o in d re ré sis ta n c e . P e u de te m p s a p rè s ce p e tit c o m b at,
u n o fficier s u p é rie u r a u tric h ie n se p ré s e n ta c o m m e p a rle ­
m e n ta ire , se d isa n t p o r te u r d ’u n e le ttre de l’a rc h id u c
C h arles p o u r le g én é ral c o m m a n d a n t l’a v a n t-g a rd e ; je lui
lis d ire q u ’il e û t à se r e tir e r ou q u e j ’a llais le fa ire p r is o n ­
n ie r ; m a is, s u r de n o u v elles in sta n c e s e t sa p a ro le d ’h o n ­
n e u r q u e so u s le pli de la le ttre d u g é n é ra l, il y en avait
ENGAGEMENTS
DE C A V A L E R I E .
— 18 0 9 .
213
u n e p o u r l ’E m p e re u r, je ju g e a i la c h o se assez im p o rta n te ,
p o u r m e faire c o n d u ire l ’officier les y e u x b a n d é s. Il p a rla it
p a rfa ite m e n t le fra n ça is, s ’e x p rim a n t d a n s le s m e ille u rs
te rm e s . II.m e r é ité ra ce q u ’il m ’av a it fait d ire , e t a jo u ta
q u ’il av a it l ’o rd re de son c h e f de r e m e ttr e à l ’E m p e re u r
m ô m e u n e a u tre le ttr e p a rtic u liè re d o n t il é ta it p o r te u r et
q u ’il m e m o n tra . J 'e n c o n c lu s q u e l ’a rc h id u c c ro y a it to u te
l ’a rm é e à sa p o u rs u ite et q u ’il é ta it lo in de p ré v o ir le g ra n d
m o u v e m e n t o p éré p a r N apoléon, m a is q u e, d an s c e tte in c e r­
titu d e , il v o u la it, so u s le p ré te x te d ’u n p a rle m e n ta ire , c o n ­
n a ître la v é rité . D ans to u s les cas co m m e je n ’étais p as à
l ’a v a n t-g ard e p o u r p a rle r m a is agir, je signifiai à l ’officier
a u tric h ie n q u e j ’allais le faire c o n d u ire p rè s de n o tr e g én é­
ra l, e n l ’a s s u ra n t q u e, p u is q u ’il devait r e m e ttr e sa m is siv e
à l ’E m p e re u r, il n e re v ie n d ra it p a s de si tô t, ce q u i p a ru t
le c o n tra rie r b e a u c o u p . En effet, u n b rig a d ie r e t q u a tre
h o m m e s l ’e s c o rtè re n t s u r les d e r r iè r e s et, a u s s itô t a p rè s
ce p e tit a c c id e n t n o u s c o n tin u â m e s n o tr e m o u v e m e n t.
S u r les q u a tre h e u re s a p rè s m idi, n o u s e û m e s u n n o u v e l
e n g a g e m e n t avec u n e sc a d ro n de h u s s a rd s h o n g ro is e t
u n e c in q u a n ta in e de tira ille u rs du lo u p ; la m ê lée fu t assez
vive : u n officier h o n g ro is y fu t tu é p a r u n m a ré c h a l des
lo g is d u ré g im e n t, cin q de m e s h o m m e s y f u re n t b le ssé s,
a in si q u e m o n ch e v al; n o u s p o u rs u iv îm e s l ’e n n e m i j u s ­
q u ’à u n p e tit h a m e a u à l’e n tré e d u q u e l se tro u v a it m a sq u é
u n e sc a d ro n de h u la n s qui n o u s c h a rg e a avec d ’a u ta n t p lu s
d ’av a n tag e q u e n o u s étio n s d é s u n is. E n to u ré p a r tro is
h u la n s qui c h e rc h a ie n t à m ’e n tra în e r, je m e s e ra is diffi­
c ile m e n t tiré d ’affaire, sa n s le lie u le n a n t S e h e g lin sk y qui,
a rriv a n t v e n tre à te rre avec le re s te de la tro u p e qui était,
en ré se rv e , m e s o r tit de la m a u v a ise p o sitio n o ù je m e
tro u v a is. L’e n n e m i, c ro y a n t q u ’u n e m a sse de cavalerie a lla it
fo n d re s u r lu i, to u rn a b rid e, a b a n d o n n a n t se s tira ille u rs
244
SOUVENIRS
MILITAIRES.
d u loup q u i se r é fu g iè re n t d an s le s m a iso n s d u h a m e a u
o ù n o u s le s ra m a s s â m e s to u s . A c e tte n o u v e lle éch au ffo u ré e j ’e u s d eu x h o m m e s tu é s e t tro is b le s s é s ; q u a tre h u la n s
f u re n t p ris e t g riè v e m e n t b le ssé s . N os b iv o u a cs f u r e n t é ta ­
b lis en av a n t d u village o ù n o u s p a s sâ m e s tr a n q u ille m e n t
la n u it.
Le 30, à p e in e le jo u r c o m m e n ç a it à p a r a îtr e , q u e deu x
c o u p s de- c a ra b in e tir é s d e s v e d e tte s n o u s d o n n è r e n t
l ’év eil. Un h u s s a rd v in t m ’a n n o n c e r q u e n o u s a llio n s ê tre
a tta q u é s p a r u n e c o lo n n e d ’in fa n te rie q u i m a rc h a it su r
n o u s . Je fis a u s s itô t m e s d isp o s itio n s n o n s e u le m e n t p o u r
lu i fa ire u n e b o n n e ré c e p tio n , m a is p o u r a lle r a u - d e v a n t;
d é jà d e u x p e lo to n s de c a v a le rie é ta ie n t p r ê ts à e n tr e r en
c h a rg e , lo r s q u ’o n m e p ré v in t q u e c e tte c o lo n n e se c o m p o ­
sa it de 300 A u tric h ie n s d é s e r ta n t avec a rm e s et bag ag es,
le s q u e ls n o u s a p p r ir e n t q u e l ’a rc h id u c C h arles se d irig e a it
s u r V ien n e avec 40000 h o m m e s, n ’a y a n t la issé p o u r n o u s
te n ir tê te q u ’u n c o rp s de S ou 6 000 h o m m e s . Je d irig eai
d e su ite ces d é s e r te u r s s u r le d e r r iè r e , en fa isa n t c o n n a ître
a u g é n é ra l le s r e n s e ig n e m e n ts qui v e n a ie n t d ’ê tre d o n n é s
e t n o u s n o u s re m îm e s en m a rc h e . S u r les m id i, je m e
tro u v ai en face de tro is b a ta illo n s h o n g ro is, d eu x e s c a ­
d ro n s d e h u la n s e t d e u x p iè c e s de ca n o n o c c u p a n t u n e
b e lle p o s itio n à ch ev al s u r la g ra n d e ro u te , u n m a ra is à
d ro ite e t u n b o is ta illis assez é p a is s u r la g a u c h e , p ro ­
b a b le m e n t g a rn i de tr o u p e s ; u n e p la in e assez é te n d u e
n o u s s é p a ra it sa n s q u ’il m e v în t à l ’idée de la fra n c h ir,
m e tro u v a n t h o rs d ’é ta t d e p o u v o ir a tta q u e r d es fo rc es au ssi
s u p é rie u r e s , m e c o n te n ta n t de la is s e r a p e rc e v o ir q u e lq u e s
d é ta c h e m e n ts, to u t en n o u s te n a n t s u r la d éfe n siv e, ju s q u ’à
ce q u e le g é n é ra l, q u e j ’av ais p ré v e n u , m ’e ù t envoyé des
r e n fo rts ou m ’e û t fait co n n a ître se s in te n tio n s .
N ous re s tâ m e s a in si en p o sitio n ju s q u ’à six h e u re s d u
ENGAGEMENTS
DE
CAVALERIE.
—
1809.
24S
so ir sa n s tir e r u n co u p de c a ra b in e ; m a is a lo rs a rriv è re n t,
p o u r m e re le v e r, le g é n é ra l P ajo l avec le 7° H u ssa rd s,
d e u x b a ta illo n s d u 13e lé g e r e t d e u x p iè c e s de ca m p a g n e.
C ette fo rc e se m it a u s s itô t e n d ev o ir d 'a tta q u e r en m e
la is s a n t en ré se rv e avec m a tro u p e .
U ne h e u re a p rè s , l ’e n n e m i c o m p lè te m e n t re p o u s s é , le
g é n é ra l P ajo l m e d o n n a l ’o rd re de m e r e n d r e au q u a rtie r
g én é ral de la d iv isio n o ù j ’a rriv a i a v a n t la n u it.
Le g é n é ra l M o n tb ru n , a tte n d a n t des r e n s e ig n e m e n ts su r
le s m o u v e m e n ts de l ’E m p e re u r, g ard a sa p o sitio n , ta n d is
q u e le m a ré c h a l D avout e x é c u ta it u n e m a n œ u v re de flanc
s u r n o tr e d ro ite p o u r d é g a g e r la riv e d ro ite d u D anube.
Le 2 av ril, le g é n é ra l M o n tb ru n fit u n r a p p o r ta l’E m p e re u r
s u r le s m o u v e m e n ts de sa d iv isio n e t ceu x de l ’e n n e m i,
l ’in fo rm a n t q u e , p a r les in s tru c tio n s d u m a ré c h a l D avout
q u 'il v e n a it de re c e v o ir, il allait m a rc h e r s u r R egen p o u r
e n s u ite b a la y e r la riv e d ro ite d u D anube, la is s a n t en
o b se rv a tio n u n b a ta illo n du 13e lé g e r avec le 11° C h a sse u rs.
Il d e m a n d a it à la s u ite de son ra p p o r t p lu s ie u r s ré c o m ­
p e n s e s e t m e fit v o ir q u ’il m e d é s ig n a it p o u r la cro ix d ’of­
ficier de la L égion d 'h o n n e u r, m e c h a rg e a n t en o u tre d ’étre
le p o r te u r de se s d ép ê ch e s e t de c e lle s q u e je devais
d ’a b o rd r e m e ttr e au m a ré c h a l D avout, en p a s sa n t à son
q u a rtie r g é n é ra l éta b li à P a ssa w , c e tte m ô m e ville o ù
h u it a n s a u p a ra v a n t, n ’a y a n t q u e seize a n s e t p auvre
ém ig ré, j ’allais avec l ’A rm ée de C ondé d an s la P o lo g n e,
ain si q u ’o n a p u le v o ir d a n s la p r e m iè re p a rtie de cet
ou v rag e. C ette d o u b le fav e u r m e d o n n a la co n v ictio n de
l ’in té r ê t q u e le g én é ral v o u la it m e p o r te r e t d o n t il ne
c e ssa it de m e d o n n e r des p re u v e s d e p u is q u ’il é ta it à n o tre
tê te.
V oici la co pie te x tu e lle de m a m issio n , pièce jo in te â
m e s b rev e ts,
246
SOUVENIRS
ÉTAT-MAJOR GÉNÉRAL
Armée d’Allem agne.
MILITAIRES.
Division de cavalerie légère.
3“ coars
Il e st ordonn é à M. d’E sp in clial, c a p ita in e au 5 e H ussards, de
p artir su r -le -c h a m p pou r se ren d re au gran d q u artier gén éral
im p é ria l p o rteu r de d é p êch es très pressées pou r S. M. l ’E m p e­
reu r e t R oy.
Les a u to r ités c iv ile s e t m ilita ir e s son t .in v itées à lui faire
d on n er des ch e v a u x n é c e s sa ir e s e t à le p ro tég er de m a n iè re à
ce q u ’il n ’éprouve au cu n retard dan s la m issio n d on t il e st chargé.
— Le p r é se n t ordre lu i servira pou r aller et son retou r.
A u q uartier général à Chacub, 3 m a i 1809.
L o g é n é r a l d e d iv isio n ,
S ig n é : L. Cle
M
ontbrun.
Je r e m is a u m a ré c h a l D avout le s d ép ê ch e s q u i le c o n ­
c e rn a ie n t. Il m e
fit le m e ille u r a c c u e il,
me
p ro m it
d ’a p p u y e r la d e m a n d e d u g é n é ra l, m ’e n g a g ea à d é je u n e r
e t, a u s s itô t a p rè s, m e d o n n a p o u r co m p a g n o n de voyage le
ca p ita in e M iero slaw sk i, u n de se s a id e s de c a m p , p o r te u r
a u s si d e d ép ê ch e s p o u r Sa M ajesté Im p é ria le .
N ous tra v e rs â m e s la v ille de S c h a rd in g e n tiè re m e n t con­
su m é e e t fu m a n te e n c o re , à la s u ite d ’u n c o m b a t s a n g la n t
d an s le q u e l les A u tric h ie n s a v a ie n t fait la p lu s v ig o u re u se
r é s is ta n c e , en se d é fe n d a n t p lu s ie u rs h e u re s d a n s le s ru e s.
N ous re n c o n trâ m e s a u s s i d a n s la jo u r n é e les d iv isio n s
d ’in fa n te rie P ria n t e t M orand se d irig e a n t s u r Lintz. —
E n tre m in u it e tu n e h e u re d u m a tin , il n o u s a rriv a u n e a le rte
assez vive d o n t n o u s m a n q u â m e s d ’ê tre v ic tim e s : n o u s
c h e m in io n s tra n q u ille m e n t s u r u n e c h a u ssé e su p e rb e ,
r e s s e rr é e e n tre le D anube et u n e m o n la g n e , e t n o u s n ’étio n s
p lu s q u ’à u n e d e m i-lie u e de L intz, lo rs q u e , to u t à co u p , au
to u r n a n t de la ro u te , n o u s fû m es tir é s d ’u n e esp èce d ’as­
s o u p is s e m e n t d a n s leq u el n o u s é tio n s p lo n g é s p a r u n e s e n ­
MISSION
PRES
D E L ’E M P E R E U R .
-
18 0 9.
247
tin e lle q u i c ria : « W e r d a? » (q u i vive?). S on c o s tu m e , sa
la n g u e e t l ’in tro d u c tio n de sa c a ra b in e d a n s n o tre calèch e
n e n o u s la is s è re n t a u c u n d o u te q u ’u n p e tit p o ste ty ro lie n
e û t p a s sé le fleuve d an s u n e b a rq u e .
M on c a m a ra d e , fo rt, v ig o u re u x e t do u é d ’u n ad m irab le
sa n g -fro id , s a is it l ’a rm e p a r le c a n o n p o u r la d é to u rn e r,
ta n d is q u e , sa u ta n t à b a s de la v o itu re p a r 1a, p o rtiè re
o p p o sé e , je p ris l ’h o m m e à la g orge en le m e n a ç a n t de lu i
p a s s e r m o n sa b re a u tra v e rs d u c o rp s s ’il p ro n o n ç a it u n
m o t; to u t ce la fu t ex é cu té au ssi ra p id e m e n t q u e la p e n s é e ,
m a is n o tr e p o s tillo n , saisi de fra y e u r, fo u e tta se s ch ev au x
n o u s la is s a n t s u r la g ra n d ’ro u te av e c la ca ra b in e q u e le
so ld a t av a it ab a n d o n n é e e n n o u s éc h ap p a n t, n ’a y a n t d ’a u tre
re s s o u rc e , p o u r é v ite r le s o rt q u i n o u s a tte n d a it, q u e de
g ra v ir la m o n ta g n e b o rd a n t la ro u te e t de n o u s b lo ttir d an s
u n tr o u p o u r a tte n d re le jo u r . Ce p e tit p o ste , q u i effectivem e n ta v a it tra v e rs é le fle u v e , se c o m p o sa it de s ix h o m m e s :
il p assa a u -d e sso u s de n o u s , c h e rc h a n t à n o u s d éc o u v rir,
m a is , d a n s la c ra in te d ’ê tre s u r p ris lu i-m ê m e p a r l’éveil
q u e p o u v a it a v o ir d o n n é n o tre p o stillo n en a p p ro c h a n t de
la v ille, il n e ta rd a p o in t à s ’e m b a rq u e r, ce q u e n o u s
re c o n n û m e s p a r le b r u it d e s r a m e s ; a lo rs, m o n c o m p ag n o n
de voy ag e fa isa n t feu de la c a rab in e q u ’il te n a it, n o u s sa u ­
tâ m e s s u r la ro u te où, p eu d ’in s ta n ts a p rè s, n o u s fû m es
r e jo in ts p a r u n p o ste fra n ça is a ttiré p a r le b r u it de l ’ex p lo ­
sio n , fo rt sa tisfa its d ’en av o ir été q u itte s p o u r la p e u r.
N ous tro u v â m e s n o tr e v o itu re a rrê té e au x p o rte s de la ville
sa n s q u e le c o n d u c te u r e û t re n d u c o m p te de l ’év é n e m e n t,
ce q u i lu i v a lu t u n e b o n n e volée de co u p s de b â to n p o u r
p rix de sa fu ite e t de so n s ile n c e ; p u is, n o u s fû m es à la
p o ste c h a n g e r d ’éq u ip ag e e t re p a rtîm e s a u s sitô t p o u r co n ­
tin u e r n o tre r o u te . E n tr a v e rs a n t la ville d ’E b e rsb c rg , n o u s
e û m e s u n h o rrib le sp e cta cle , p lu s de 2 000 ca d a v re s g isa ie n t
248
SOUVENIRS
MILITAIRES.
d a n s le s ru e s , p r e s q u e to u s b r û lé s e t rô tis p a r le feu, u n
c o m b a t sa n g la n t e t te rr ib le a y a n t été liv ré l ’av an t-v eille
p a r le g é n é ra l C laparède au p a ssa g e de la T ra u n , à la su ite
d u q u e l s ’é ta it jo in t u n affreux in c e n d ie . N ous n o u s em ­
p re s s â m e s de q u itte r c e t h o rrib le th é â tr e de c a rn a g e p o u r
a r r iv e r au q u a r tie r im p é ria l o ù je r e m is a u s s itô t m e s
d é p ê c h e s au p rin c e de N eu c h âte l. P e u de m in u te s a p rè s,
il m e fit e n tre r d an s u n e c h a m b re o ù se tr o u v a it l ’E m p e re u r
a s sis à cô té d ’u n e ta b le s u r laq u elle se tro u v a it u n e g ra n d e
c a rte d é p lo y é e . « Eh b ie n ! m e d it-il, le g é n é ra l M o n tb ru n
p ré te n d q u e l ’a rc h id u c m a rc h e en p e rs o n n e s u r la B ohèm e
e t le p a rle m e n ta ire q u ’il v ie n t de m ’en v o y e r a s s u re q u ’il
e s t à V ie n n e ; q u e d o is-je c r o i r e ? — J ’a u ra i l ’h o n n e u r
d ’affirm er à V o tre M ajesté, ré p o n d is -je , q u e l ’a s se rtio n d u
g é n é ra l e s t de la p lu s p a rfa ite e x a c titu d e , c a r je l ’ai re m ­
placé d an s so n lit au c h â te a u de K irn, et q u e, ch a rg é de
su iv re so n a rriè re -g a rd e , le s p r is o n n ie rs d isa ie n t to u s q u ’il
é ta it to u jo u rs à la tê te de l ’a rm é e ; ‘— A lo rs, il v e u t jo u e r
au fin, d it l’E m p e re u r, en re g a rd a n t le p rin c e de N eu c h âte l,
m a is je n e s e ra i p o in t sa d u p e. C’est b ien , v o u s a tte n ­
d rez m e s d ép ê ch e s », e t il m e fit u n sig n e de tê te m ’in d i­
q u a n t q u e j ’e u s s e à m e r e tire r. Le p rin c e , s o rta n t avec
m o i, m e d it d ’a lle r m a n g e r av e c se s a id e s de c a m p ;
p a rm i eu x , je tro u v a i E d m o n d de P é rig o rd q u i, en bon
p a re n t, m ’o ffrit de p a r ta g e r so n g îte ; il m ’a p p rit q u e m o n
f r è r e a v a it é té b le ssé de p lu s ie u rs c o u p s de sa b re n o n
d an g e reu x e t q u e , tr a n s p o rté à A u g sb o u rg p o u r y ê tre so i­
g n é, le ro i d e B avière, q u i s ’y tro u v a it, l ’av ait ac cu e illi avec
to u te s s o rte s de b o n té s.
A la ta b le de la m a iso n d u p rin c e , se tro u v a it l’aide de
c am p de l’a rc h id u c C h arles d o n t av ait p a rlé l ’E m p e re u r;
se s m a n iè re s fra n c h e s, so n to n p a rfa it e t se s e x p re ssio n s
re m p lie s de c o rd ia lité n o u s m ir e n t b ie n tô t e n ra p p o rt. S u r
LE
GÉNÉRAL
MONTBRUN.
— 18 09 .
249
m a d e m a n d e s ’il c o n n a issa it un je u n e officier d es ch e v au lé g ers de B lénau du n o m de W ra tiz la w : « H élas! m e
ré p o n d it-il, c ’é ta it m o n frè re q u e j ’ai e u le m a lh e u r de
p e rd re à R a tisb o n n e .-— R a ssu re z -v o u s, lu i ré p o n d is -je , il
n ’e s t q u e b le ssé e t e n voie de g u é r is o n ; a y a n t été assez
h e u re u x p o u r lu i ê tre u tile , je l ’ai re c o m m a n d é au x so in s
p a rtic u lie rs de l ’a d m in is tra tio n de l’a m b u la n c e étab lie
d an s u n c o u v e n t p rè s de R atisb o n n e '; si v o u s d ésire z lu i
é c rire , je m ’engage à lu i faire p a rv e n ir v o tre le ttre . » Il e st
facile de co n c ev o ir le b o n h e u r é p ro u v é p a r le co m te q u i
c ro y a it so n frè re p e rd u . Sa re c o n n a iss a n c e é ta it au ssi
ex p re ssiv e q u e b ie n se n tie , e t n o u s n o u s sé p a râ m e s le so ir,
p é n é tr é s l’u n p o u r l ’a u tre d ’u n e e s tim e ré c ip ro q u e .
S u r le s dix h e u r e s , je re ç u s le s d é p ê c h e s d u p rin c e de
N eu c h âte l, p a rm i le sq u e lle s se tro u v a it u n e le ttr e de l ’E m ­
p e r e u r p o u r le m a ré c h a l D avout q u i m ’a p p rit, lo rs q u e je
la lu i re m is , q u e je tro u v e ra is la division de cavalerie lé g è re
au biv o u ac p rè s de l ’a b b a y e de S ain R F lo réan .
E n effet, je re jo ig n is le g é n é ra l M on tb ru n d an s ce m a g n i­
fique m o n a stè re , o ù il m ’o rd o n n a de r e s te r p rè s de lu i, p ré ­
te n d a n t avec sa b o n té h a b itu e lle q u e m a p ré se n c e lu i
é ta it n éc essaire. Il e s t v rai de d ire q u e se s d eu x a id e s de
cam p n e p o u v a ie n t g u è re lu i ê tre u tile s so u s b e a u c o u p
de r a p p o rts (e t q u ’à c e tte ép o q u e il n ’y av a it pas d ’éco le
d ’éta t-m a jo r). L ’u n é ta it fils d ’u n e b o n n e fe rm iè re q u i av ait
été la n o u rric e d u général;; fra p p é p a r la c o n s c rip tio n , il
dev ait so n a v a n c e m e n t à la p ro te c tio n de so n frè re de lait
qui lu i p o rta it u n v é rita b le a tta c h e m e n t, m a lg ré que so n
éd u c a tio n la is s â t b e a u c o u p à d é s ire r, m a is il la re m p la ­
ça it p a r un d é v o u e m e n t sa n s b o rn e .
Le seco n d , m a ré c h a l des logis de c h a s s e u rs , avait sauvé
la vie de so n co lo n el a u p rix de p lu s ie u rs b le s s u re s d o n t
il av a it failli m o u rir, et, en ' re c o n n a issa n c e , le g én é ral
250
SOUVENIRS
MILITAIRES.
l ’av ait a s s u ré q u ’il n e se s é p a re ra it ja m a is de lu i ; c’é ta it
la lo y a u té p e rso n n ifié e , la b ra v o u re in c a rn é e ; so n sa b re
l ’a v a it a u s s i b ien p ro té g é q u e la re c o n n a iss a n c e de so n
ch ef, m a is il é ta it p e u p ro p re à re m p lir c e rta in e s fo n ctio n s
d ’aide de cam p , h o rm is ce lles d u ch a m p de b a ta ille o ù son
in tré p id ité é ta it a u -d e s s u s de to u t éloge.
Le g é n é ra l p a s sa la jo u r n é e d u 8 d a n s c e tte m ag n ifiq u e
a b b a y e, o ù , m a lg ré la q u a n tité de tro u p e s q u i y av aien t
p assé e t les c o n trib u tio n s u n p eu fo rc é e s q u ’on en avait
re tiré e s , n o u s fû m e s tr a ité s de la m a n iè re la p lu s sp le n d id e .
N ous v isitâ m e s cé ric h e c o u v e n t re n fe rm a n t u n e ég lise
de la p lu s g ra n d e b e a u té , u n e b ib lio th è q u e s u p e rb e d an s
la q u e lle se tro u v a ie n t de p ré c ie u x m a n u s c rits ; u n e g a le rie
de ta b le a u x fo rt e s tim é s e t u n e p h a rm a c ie re m a rq u a b le .
Ces b o n s m o in e s, en c o re to u t é m u s de ce q u ’ils v o y aien t
e t a v a ie n t ép ro u v é , n o u s d ir e n t q u e le jo u r d u c o m b a t
d ’E b e rsb e rg , q u in z e c h a s s e u rs a v a ie n t e m p o rté p lu s de
100000 é c u s en o r o u en p ie rre rie s .
A six h e u re s d u so ir, la d iv isio n r e ç u t l ’o rd re de se p o r te r
s u r M ôlk p o u r y p r e n d r e p o s itio n ; il n o u s fallu t m a rc h e r
to u te la n u it au m ilieu de l ’in la n te rie se d irig e a n t s u r
S a in t-P o lte n , où le s A u tric h ie n s, d isa it-o n , v o u la ie n t liv re r
b a ta ille afin de d o n n e r le te m p s à l ’a rc h id u é de v e n ir
d é fe n d re V ien n e . Mais l ’ac tiv ité de N apoléon e t l ’a r d e u r de
n o s tr o u p e s d é jo u è re n t ce p r o je t, e t, lo rsq u e le p rin c e se
p r é s e n ta , la ca p ita le é ta it au p o u v o ir d es F ra n ç a is.
Le 9, le g é n é ra l M ontbrun, en v e rtu d es in s tru c tio n s p a r­
tic u liè re s de l ’E m p e re u r a p p re n a n t la r e tr a ite p ré c ip ité des
A u tric h ie n s, m e fit p a r tir avec 25 h u s s a rd s p o u r d isp o s e r
le s b iv o u a cs de sa d iv isio n d a n s la p o sitio n qui lui é ta it
a ssig n é e e t é ta b lir so n q u a r tie r g é n é ra l d a n s l’ab b ay e de
Molk.
J e tro u v a i c e t e n d ro it e n c o m b ré p a r les éq u ip a g e s de
L’A B B A Y E
DE
MOLT.
-
1 809.
251
p lu s ie u rs g é n é ra u x , q u a n tité d ’e m p lo y é s et de n o m b re u x
p a ra s ite s su iv a n t l ’a rm é e ; je fis to u t év a c u e r e n v e r tu de
l ’o rd re d o n t j ’é ta is p o r te u r e t, la is s a n t 20 h u s s a rd s avec u n
lie u te n a n t en g a rd e de c e tte p o s itio n , j e v in s tro u v e r le
g é n é ra l au c h â te a u de S ch w a lb o u rg o ù il d e v a it p a s s e r la
jo u r n é e . Ce b e a u m a n o ir, a p p a r te n a n t au co m te T intiz,
offrait u n sp e c ta c le de d é v a sta tio n é p o u v a n ta b le ; p lu s de
500 fa n ta ssin s de la div isio n M olitor s ’y é ta ie n t é tab lis,
p illa n t, b o u le v e rs a n t to u t, b r is a n t e t e n fo n ç a n t p o rte s e t
fe n ê tre s , en fin, sa c c a g e a n t de la m a n iè re la p lu s affreuse
c e t e n d ro it n a g u è re si b e a u , s ir ic h e et si g racieu x .
Ce f u t avec to u te s les p e in e s im a g in a b le s q u e le g én é ral
p u t p a rv e n ir à c h a sse r ces m is é ra b le s , in d ig n e s d u n o m de
F ra n ç a is. Son aide de c a m p , le c a p ita in e G u in ard , é p ro u v a n t
u n e r é s is ta n c e offensive de la p a r t d ’u n g ro u p e d e ces
m a lh e u re u x , en tu a u n d ’u n co u p de s a b re , e n b le s s a d eu x
e t p ré c ip ita le q u a triè m e d ’u n b a lc o n à la h a u te u r de tre n te
p ie d s ; ta n d is q u e, d a n s ce m ê m e m o m e n t, le g én é ral P ajo l,
s u r p re n a n t u n so ld a t q u i v e n a it de v o le r u n crucifix
d ’a rg e n t d a n s la c h a p e lle d u c h â te a u , le fa isa it fu siller,
ce q u i d é te rm in a su r-le -c h a m p la r e tr a ite d es a u tre s .
P e n d a n t la n u it, u n officier d ’o rd o n n a n c e de l ’E m p e re u r
v in t c h a n g e r les p r e m iè r e s d isp o s itio n s du g é n é ra l en lui
p re s c riv a n t de se p o r te r
s u r M autern, rive d ro ite d u
D an u b e, afin de co u v rir la g a u c h e de l'a rm é e p e n d a n t le
m o u v e m e n t d u c e n tre q u i m a rc h a it s u r V ien n e.
Le 10, à h u it h e u re s du m a tin , n o u s o c c u p io n s ce p o ste
im p o r ta n t d ’où le d u c de Rovigo v e n a it de c h a sse r l ’e n n e m i
en le c o n tra ig n a n t à p a s s e r s u r la rive g au ch o du
fleuve.
Le 5° H u ssa rd s fu t placé au b iv o u a c p rè s e t en av an t de
la p e tite ville de F u r th ; le 7e H u ssa rd s à Ballol, le 13° lé g er
à M au tern av ec l ’a r tille r ie , e t le q u a rtie r g é n é ra l d a n s la
252
SOUVENIRS
MILITAIRES.
m a g n ifiq u e a b b a y e de G ottveig d o m in a n t le D an u b e, d o n t
elle e s t sé p a ré e p a r u n e p la in e d ’u n e lie u e de la rg e u r.
L a p o s itio n de la d iv isio p a v a it le d o u b le av a n ta g e, n o n
s e u le m e n t d e p ro té g e r les m o u v e m e n ts de l ’a rm é e , m a is
en c o re d e m a in te n ir en face de n o u s des fo rc e s c o n s id é ­
ra b le s d a n s la c ra in te q u e n o u s ne f ra n c h is s io n s le D anube.
Ce m ê m e jo u r a rriv a de F ra n c e u n c h e f d ’e s c a d ro n
avec 85 h u s s a rd s e t n o u s e û m e s a u s si des n o u v e lle s de
n o tr e b ra v e co lo n el, d o n n a n t l ’e s p o ir de n o u s re jo in d re
b ie n tô t av ec tro is officiers, se s c o m p ag n o n s d ’in fo rtu n e , les
deux a u tre s a y a n t su c c o m b é à le u rs b le s s u re s .
Le c o u v e n t de G ottveig n ’a y a n t p as été v isité p a r n o s
tro u p e s , n o u s y tro u v â m e s d’a b o n d a n te s re s s o u rc e s , s u r ­
to u t e n vin et en fo u rra g e , a m a ssé e s p o u r a p p ro v is io n n e r
l ’a rm é e a u tric h ie n n e e t q u e l ’a tta q u e vive d u d u c de Rovigo
av a it e m p ê c h é de faire é v a c u e r de l’a u tre côté d u fleuve.
D ans la m a tin é e du 12, le g é n é ra l fit d es d é m o n s tra tio n s
d ’a tta q u e p o u r p a s se r le D an u b e : p lu s ie u r s p iè c e s de
ca n o n p la c é e s en face de S tein e t K re m s s u r la rive
g a u c h e fire n t q u e lq u e s d é c h a rg e s su iv ie s de la s o m m a tio n
de n o u s en v o y e r to u te s les b a rq u e s q u i é ta ie n t s u r c e tte
riv e ; m a is, p o u r ré p o n s e , elles fu re n t en p a rtie in c en d ié es
p a r le s h a b ita n ts , b u t q u e v o u la it a tte in d re le g é n é ra l, qui
a p p r it d an s la so irée q u ’u n sim p le c o rp s d ’o b se rv a tio n
v e n a it d ’ê tre la issé en face de n o u s, le s A u tric h ie n s co n ­
c e n tr a n t to u te s le u rs fo rc es v is-à-v is de V ienne.
Le 13, n o tre in fa n te rie lé g è re fu t rele v ée p a r la b rig ad e
L eclerc q u i tira illa to u te la n u it avec l ’e n n e m i, s u r u n e
a le rte q u e p ro d u is ir e n t u n e g ran d e q u a n tité de p o u tr e s et
de m a d rie rs d é ta c h é s d ’u n p o n t en c o n s tru c tio n , et tro is
g ra n d s b a te a u x v o g u an t s e u ls ; n o u s p a rv în m e s à e n sa isir
d eu x , et l'e n n e m i s ’e m p a ra du tro isiè m e .
Le 14, le g é n é ra l M o n tb ru n re ç u t l ’o rd re de se re n d re
EN
PARLEMENTAIRE.
—
1809.
253
de sa p e rso n n e p rè s de l ’E m p e re u r, la issa n t le c o m m a n ­
d e m e n t de sa d iv isio n au g én é ral P ajol.
Le 16, le m a ré c h a l D avout v in t v isite r n o tre p o sitio n
q u ’il re n fo rç a d u 15° d ’in fa n te rie e t de six p iè c e s de ca n o n ,
s u r l ’avis q u ’u n c o rp s de 7 à 8 000 h o m m e s v e n a it de s ’é ta ­
b lir en face de n o u s.
P e n d a n t c e tte m ê m e n u it, l ’e n n e m i fit u n d é b a rq u e m e n t
v is-à-v is le s p o ste s d u 7° H u ssa rd s, au x villag es de Z w ente r d o r lî e t P isch asto ff. Le ca p ita in e B ro, q u i c o m m a n d a it
c e tte ligne, re p o u s s a v iv e m e n t ce tte a tta q u e , tu a p lu sie u rs
h o m m e s e t fit u n e q u in z ain e de p ris o n n ie rs . D ans ce
m ê m e in s ta n t, 300 A u tric h ie n s d é b a rq u a ie n t à g au c h e, au
v illag e de A rnsdorff. Un c h e f de b a ta illo n e t u n ca p ita in e
d u 7° d e lig n e , o cc u p és à fra p p e r u n e ré q u is itio n de pain
chez le b o u rg m e s tre , f u re n t en lev és, ain si q u ’u n aide de
ca m p d u g é n é ra l L eclerc e t u n e d o u za in e d ’h o m m e s q u i
le s a c c o m p a g n a ie n t. Ce m êm e jo u r n o u s a p p rîm e s q u e le
g é n é ra l M o n tb ru n p r e n a it m o m e n ta n é m e n t le c o m m a n ­
d e m e n t d ’u n e d iv isio n q u i é ta it à B ru g avec la m is sio n
d ’o p é re r In jo n c tio n de l ’A rm ée d ’Italie qui é tait en m a rc h e.
Le le n d e m a in , envoyé en p a rle m e n ta ire à S tc in , de
l’a u tre côté du D an u b e, les o fficiers a u tric h ie n s m e r e ç u re n t
avec to u te s so rte d ’é g a rd s et d ’h o n n ê te té s ; je re m is a u c o m ­
m a n d a n t d es tro u p e s , le co m te de S alen s, u n e so m m e de
1 200 fra n cs p o u r les officiers p ris d a n s la n u it du 17.
V a in e m e n t je tâ ch a i de p é n é tre r d a n s la p o sitio n des
A u tric h ie n s p o u r c o n n a ître a p p ro x im a tiv e m e n t le u rs
fo rc es ; ils p a ra is s a ie n t tro p b ie n s u r le u rs g ard e s, e t je d u s
m e r e tire r, m a m is sio n rem p lie.
D ans la so iré e , le g é n é ra l P a jo l re ç u t l ’o rd re de se d iri­
g e r [le le n d e m a in s u r V ien n e, avec le 11° C h a sse u rs, le
7° H u ssa rd s, d eu x e s c a d ro n s d u 3°, e t le 7" d ’in fa n te rie
lé g è re , la issa n t le re ste d es tro u p e s en o b se rv a tio n s u r le
254
SOUVENIRS
MILITAIRES.
p o in t q u e n o u s a b a n d o n n io n s. Le 21, n o u s a rriv â m e s s u r
les m id i à T u lb in g , a y a n t fait h u it lie u es.
Au m o m e n t de n o tre e n tré e d an s c e t e n d ro it p e u éloigné
d u D an u b e, n o u s n o u s tro u v â m e s, p a r u n e co ïn cid e n ce
e x tra o rd in a ire , en face d ’u n c o r p s a u tric h ie n de 300 h o m m e s
q u i, ig n o ra n t n o tre m a rc h e , v e n a it de faire u n d é b a rq u e ­
m e n t. E n m o in s de dix m in u te s , ils f u re n t to u s en lev é s san s
q u ’u n se u l p û t p a s s e r s u r l ’a u tre rive p o u r a n n o n c e r cette
n o u v e lle . N ous re ç û m e s ce m ô m e jo u r des n o u v elles d ’u n
e s c a d ro n d u ré g im e n t c o m m a n d é p a r le c a p ita in e M exm c r d é ta c h é , avec d ’a u tre s tro u p e s , so u s le s o rd re s du
m a jo r À m eil, p o u r o p é re r en p a rtis a n s u r la rive g au c h e
d u D anube.
Ce c o rp s a v a it e u p lu s ie u rs affaires assez c h a u d e s , d ans
l ’u n e d e s q u e lle s u n de m e s a m is p a rtic u lie rs , le lie u te n a n t
L a b o rd e rie , av ait été fa it p r is o n n ie r e t g riè v e m e n t b le ssé.
Le 22. — B ataille d ’E ssling. — Le I e lé g e r, d o n t la
m a rc h e n e p o u v ait ê tre a u ssi ra p id e q u e la n ô tre , q u itta
T u lb in g à la p e tite p o in te d u jo u r , se d irig e a n t s u r l ’ile
de L obau afin de p a rtic ip e r, a in si q u e n o u s , a u c o m b a t qui
d ev a it avoir lieu .
Ce m o u v e m e n t
que
n o u s d e v io n s
su iv re
q u e lq u e s
h e u re s a p rè s, devait n o u s c o n d u ire au village de N eusdorff
s u r le D an u b e, où de n o u v ea u x o rd re s d e v a ie n t n o u s ê tre
d o n n é s p o u r p a s s e r le lleuve e t e n tr e r en ligne.
A rrivés à la h a u te u r de K lo sle rn e u b o u rg , o b lig és de
c h a n g e r do d ire c tio n p o u r é v ite r le feu de l'a rtille rie
e n n e m ie q u i fo u d ro y a it la ro u te q u e n o u s su iv io n s, n o u s
g rav îm es u n e m o n ta g n e au s o m m e t de
la q u e lle n o u s
e û m e s le m a g n ifiq u e c o u p d ’œ il d es d eu x a rm é e s en pré^
se n ce , c o m b a tta n t avec u n a c h a rn e m e n t re m a rq u a b le . N ous
su iv io n s avec an x iété les m a rc h e s e t c o n tre m a rc h e s des
tro u p e s ’, le d é v e lo p p e m e n t des
m a sse s d ’in fa n te rie , les
BATAILLE
D’E S S L I N G .
— 1 809.
239
p o sitio n s p ris e s e t re p ris e s , le s c h a rg e s de ca v alerie, le s
effro y ab les d é to n a tio n s de l ’a r tille r ie . E nfin, to u s le s
d étails d e c e t h o rrib le d ra m e de sa n g e t de c a rn ag e
o ffriren t à n o s re g a rd s , p e n d a n t les d e u x h e u re s de re p o s
q u e n o u s p rîm e s, l ’a sp e c t viv an t de ce p a n o ra m a é p o u ­
v an tab le .
L ’a rm é e a u tric h ie n n e , so u s les o rd re s de l ’a rc h id u c
C h arles, av ait u n total de 90000 h o m m e s avec 228 pièces
de ca n o n . N apoléon n ’avait que 35000 c o m b a tta n ts en
lig n e , ta n d is que le r e s te de se s tro u p e s défilait avec le n
te u r et q u e la p lu s g ra n d e p a rtie de so n a rtille rie é ta it
e n c o re d a n s
l ’ile
de L obau.
Les
c o lo n n e s
e n n e m ie s
d é b o u c h è re n t d a n s la p la in e v e rs q u a tre h e u re s d u so ir
e t l ’a c tio n c o m m e n ç a p a r u n e a tta q u e v ig o u re u s e s u r
la g au c h e, afin de c o u p e r les c o m m u n ic a tio n s e t in te r ­
c e p te r le p assa g e du D anube.
T ro is fois le s A u tric h ie n s e s s a y è re n t d ’e m p o rte r le vil­
lage d ’A sp ern e t tro is fois ils f u re n t re p o u ssé s. On se
b a tta it avec a c h a rn e m e n t d a n s le s r u e s , d a n s les m a iso n s,
d a n s le s g ra n g e s ; n o u s eû m e s u n ré g im e n t de cavalerie
e n tiè re m e n t d é tru it.
Il e s t difficile de p o u v o ir d é p e in d re u n sp e c ta c le au ssi
m a je s tu e u s e m e n t affreux, d o n t les effets n o u s é ta ie n t pré
s e n ts co m m e si n o u s e u s s io n s a ssisté à u n e r e p r é s e n ta ­
tion de F ra n c o n i. N ous r e s tâ m e s ain si j u s q u ’à la n u it
to m b a n te ; n o u s re d e sc e n d îm e s a lo rs la m o n ta g n e o ù force
n o u s fu t de re p r e n d r e la ro u te s u r le s b o rd s du D anube.
N ous fû m e s a u s s itô t sa lu és p a r p lu s ie u rs b o u le ts ; u n
h u s s a rd , tr o is p a s e n a r r iè r e d u g é n é rn l, e u t le b ra s e m p o rté ;
tro is c h e v a u x fu re n t tu é s ; le m a lh e u re u x p a y sa n se rv a n t
de g u id e co u p é en d e u x ; to u t c e la p e n d a n t le s q u e lq u e s
in s ta n ts q u e n o u s re s tâ m e s ex p o sés au x co u p s de l ’e n n e m i
sa n s p o u v o ir rip o ste r.
SOUVENIR S MILITAIRES.
236
E n a rriv a n t a u village de N eu sd o rff situ é to u t à fait s u r
le b o rd d u fleuve, n o u s re ç û m e s d e u x d é c h a rg e s de
m itra ille q u i tu è re n t c in q h o m m e s e t p lu s ie u rs ch ev au x ,
au n o m b re d e s q u e ls c e lu i d u g é n é ra l qui, de sa p e rso n n e ,
n ’e u t au c u n m al.
C ette p o sitio n , in te n a b le p o u r la cavalerie, fut o cc u p ée p a r
u n b a ta illo n d u 25e de lig n e q u i se ré fu g ia d a n s les m a iso n s,
ta n d is qu e la c a v a le rie é ta b lis s a it se s b iv o u a cs en av a n t
d u v illag e de K retzlin g , a tte n d a n t à to u t in s ta n t l ’o rd re de
p a s s e r s u r la riv e g a u c h e p o u r y p re n d re sa p a r t d u co m ­
b at. Le 23, en v o y é p a r le g é n é ra l P ajol, d ès la p o in te du
jo u r , p o u r c o n n a ître le s d isp o s itio n s re la tiv e s à la d iv isio n ,
ce n e fu t q u ’avec la p lu s g ra n d e d ifficulté q u e je p a rv in s
d a n s l ’île de L obau, a u p rè s d u m a ré c h a l D avout, d o n t l’in ­
fa n te rie a tte n d a it le s ré p a ra tio n s d e s p o n ts p o u r p a s s e r le
fleuve e t e n tr e r en lig n e . Il m ’o rd o n n a de d ire a u g én é ral
de su iv re so n m o u v e m e n t et q u ’a u s s itô t le passag e effec­
tu é , la c a v alerie e û t à se p o r te r r a p id e m e n t s u r l'a gau ch e
de l ’e n n e m i afin d ’in q u ié te r se s m o u v e m e n ts. Mais
u n e fo rce m a je u re d ev a it m e ttre o b sta c le à. se s d isp o s i­
tio n s .
P e n d a n t la n u it du 22 au 23, la div isio n S a in t-Ilila ire d u
c o rp s O u d in o t, u n e p a rtie de la V ieille G arde, la seco n d e
b rig a d e d es c u ira s s ie rs N an so u ly , d e u x b rig a d e s de cava­
le rie lé g è re , le tra in d ’a rtille rie é ta ie n t e n tré s en lig n e ,
ce q u i p o rta it l ’a rm é e à 48 000 c o m b a tta n ts.
Dès la p o in te d u jo u r , le p rin c e C harles av ait fait ses
d is p o s itio n s p o u r re n o u v e le r l ’a tta q u e de la v eille e t l ’enga­
g e m e n t c o m m e n ç a a u s sitô t. G ro ss-A sp e rn fu t p ris et re p ris
q u a tre fois, e t E sslin g h u it, p a r le s F u s ilie rs de la G arde e t
le s T ira ille u rs so u s le s o rd re s d es g é n é ra u x M outon et
C urial. L’in tré p id e L an n e s, à la tè te d e tro is d iv isio n s, p e rç a
le c e n tre d e l ’e n n e m i. La v ic to ire p a ra is s a it a s su ré e à
BATAILLE
D’E S S L I N G .
257
— 1809.
48000 h o m m e s c o n tre 90000, lo rs q u e l ’E m p e re u r a p p rit
q u e le s p o n ts je té s s u r le D an u b e é ta ie n t e m p o rté s p a r des
b a te a u x c h a rg é s de p ie rr e s e t la n c é s des lie s d u fleuve a u d e s su s d e L obau.
D ès ce m o m e n t, l ’E m p e re u r se v o it p riv é de se s re s ­
so u rc e s : 40000 h o m m e s, les p iè c e s d ’a rtille rie e t les m u ­
n itio n s q u i a lla ie n t le s r e n fo rc e r s o n t a r rê té s , e t il re s te
exposé à to u te la fu rie d ’u n e n n e m i q u i, v o y an t la r e tr a ite
co u p é e, re c o m m e n c e le c o m b a t avec a c h a rn e m e n t. M ais
l ’E m p e re u r, san s m o n tr e r la m o in d re a lté ra tio n , im p a ssib le
e t avec u n ca lm e a d m ira b le , p la cé s u r u n e p e tite élév atio n
d ’où il o b s e rv a it to u t avec son co u p d ’œ il d ’aigle, fait
r e p lie r le m a ré ch a l L an n e s (q u i d a n s ce m o m e n t a les d eu x
ja m b e s e m p o rté e s p a r le r ic o c h e t d ’u n b o u let), r é u n it
to u te s ses m a sse s e t les m a in tie n t to u te la jo u r n é e d an s
se s p o sitio n s, j u s q u ’à n e u f h e u re s d u s o ir q u e c e ssa c e tte
lu tte sa n g la n te .
Les A u tric h ie n s b iv o u a q u è re n t où ils se tro u v a ie n t, a y a n t
tiré , de le u r p ro p re aveu, 40000 c o u p s de can o n .
L es d eu x a rm é e s v e n a ie n t d ’ép ro u v e r d es p e rte s à p e u
p rè s égales, 15 à 20 000 h o m m e s av a ie n t é té tu é s ou b le ssé s
de p a r t et d ’a u tre . P a rm i les b le ssé s e n n e m is se tro u v a ie n t
4 fe ld -m a ré c h a u x , 8 g é n é ra u x , 663 o fficiers, 1 500 p r is o n ­
n ie rs et 4 d rap e au x . N ous e û m e s à re g r e tte r 16 g é n é ra u x
p a rm i le sq u e ls o n c i t a i t : d ’E spagne, S a in t-H ila ire tu é s ;
L ag ran g e , P iré , b le s s é s ; u n n o m b re c o n s id é ra b le d ’offi­
c ie rs , p arm i le sq u e ls se tro u v a it u n de m e s a m is p a rtic u ­
lie rs , a n c ie n officier d e s G en d a rm es d ’o rd o n n a n c e , d ’Alb u q u e rq u e , aide de cam p d u m a ré c h a l L an n e s, q u i e u t la
tê te e m p o rté e p a r u n b o u le t.
T o u te s les tr o u p e s q u i a tte n d a ie n t s u r le s b o rd s du
fleuve l’in s ta n t de le p a s se r, f u re n t e n v o y é es, s u r les d e r­
riè re s , d a n s les en v iro n s de V ienne, e t n o tr e d iv isio n g ard a
17
258
SOUVENIRS
MILITAIRES.
sa p o sitio n . D ès l ’in s ta n t q u e le s officiers d u g én ie v ire n t
les d é s a s tre s o cc a sio n n é s p a r les b a te a u x c h a rg é s de p ie rre s ,
ils s ’é ta ie n t o c c u p é s de le s ré p a re r, ta n d is q u e l’a rm é e c o n ­
tin u a it à se b a ttre . Le so ir e t p e n d a n t to u te la n u it, on p a r­
v in t à faire é v a c u e r d ’a b o rd le s b le ssé s au n o m b re de
12000; l ’a rm é e e x é c u ta e n s u ite so n m o u v e m e n t ré tro g ra d e ,
e t le p assag e d u p o n t se fit avec u n o rd re a d m ira b le en
p ré s e n c e de l’E m p e re u r, sa n s q u e l ’e n n e m i o sâ t y a p p o rte r
le m o in d re o b sta cle. Le 24, à 4 h e u r e s d u m a tin , to u te s les
tr o u p e s e t l ’a rtille rie é ta ie n t d a n s l ’île e t les p o n ts re p lié s.
Ce m ô m e jo u r , u n e s c a d ro n d u ré g im e n t a y a n t été d ésig n é
p o u r faire p ro v is o ire m e n t le se rv ic e de la place, je d u s
m ’o c c u p e r de so n é ta b lis s e m e n t, e t ce fu t p e n d a n t ce
travail q u e j ’e u s le b o n h e u r de r e n c o n tre r m o n frè re ,
a rriv é la veille au so ir c o m p lè te m e n t g u é ri de se s b le s­
s u re s e t fo rt h e u r e u x de n e s ’ê tre pas tro u v é au x deu x
d é s a s tre u s e s jo u r n é e s d an s le s q u e lle s son ré g im e n t a v a it
b e a u c o u p so u ffe rt. S e p t officiers a v a ie n t été tu é s e t
11 b le ssé s , e n tre a u tre s le co lo n el, d ’u n e m a n iè re e x trê ­
m e m e n t g rav e, 95 c h a s s e u rs é ta ie n t r e s té s s u r le ch a m p
de b ataille e t 120 b le ssé s p lu s ou m o in s g rièv e m en t.
En r e n tr a n t le so ir a u b iv o u a c , j ’a p p ris q u e le 7e H u ssa rd s
allait re jo in d re le g é n é ra l M o n tb ru n e n H o n g rie, d ’o ù il
d e v a it re v e n ir in c e s s a m m e n t n o u s re jo in d re , c e tte m issio n
a y a n t p o u r b u t de p ro té g e r la jo n c tio n de l ’A rm ée d ’Italie
so u s les o rd re s d u p rin c e E u g èn e .
Le le n d e m a in fu t u n v é rita b le jo u r de fête p o u r n o tre
ré g im e n t, p a r le r e to u r de n o tr e b rav e e t d ig n e c o lo n el
q u i n o u s a rriv a , n o n p a s to u t à fait g u é ri, m a is en é ta t
de se m e ttre à la tê te d u c o rp s d o n t il é ta it ju s te m e n t
c h é ri. Il av a it avec
officiers e t h u s s a rd s ,
re v a n c h e .
lu i se s c o m p a g n o n s
fo rt
d é s ire u x
de
d ’in fo rtu n e ,
p re n d re
une
PRÈS
DE
VIENNE.
— 1809.
259
u Sieghaiskirchen, à une dem i-lieue de Vienne,
10 juin 1809.
« J e v o u s a d re s s e , m o n p è re , le r é c it d u p r e m ie r ac te de
ce g ra n d d ra m e d o n t on n e p e u t e n c o re p ré v o ir la fin et
d a n s le q u e l j ’ai re m p li m o n p e tit rôle d u m ie ü x q u ’il m ’a
été p o ssib le , g râc e à l ’affectio n d es g é n é ra u x M o n tb ru n e t
P a jo l q u i n ’o n t c e ssé j u s q u ’à ce jo u r de m ’en d o n n e r d es
m a rq u e s, en m ’e m p lo y a n t d è s q u e l ’o cc asio n s ’en p ré se n te .
« L es d étails q u e vo u s lire z ne so n t p a s re la tifs à m a p o si­
tio n , m a is n o n sa n s in té rê t, p u is q u ’ils se r a tta c h e n t a u x
faits g é n é ra u x q u i fixent en ce m o m e n t to u s les re g a rd s
de l ’E u ro p e . L es co m b ats sa n g la n ts q u i se s o n t liv ré s
ju s q u ’à ce jo u r so n t lo in d ’avoir te rm in é la q u e s tio n . Mais
c e p e n d a n t, lo rs q u e l’o n o cc u p e la ca p ita le de l ’e m p ire avec
le q u e l o n e s t en g u e rre , c ’e s t u n g ra n d a c h e m in e m e n t
p o u r a rriv e r à u n h e u re u x r é s u lta t; p eu s ’en e s t fallu q u ’il
ait été a tte in t le jo u r de c e tte sa n g la n te b a ta ille d ’E sslin g ,
où, co m m e vous le v errez , m o n ré g im e n t n ’a p u p re n d re
au c u n e p a r t en ra iso n d es é v é n e m e n ts q u i o n t forcé le s
c o m b a tta n ts à s u s p e n d re m o m e n ta n é m e n t la lu tte .
« 11 e st in d u b ita b le q u ’elle se re n o u v e lle ra b ie n tô t et, si
l’o n d o it en ju g e r p a r les p ré p a ra tifs q u i se fo n t, elle se ra
te rrib le et d éc isiv e. E n a tte n d a n t ce m o m e n t, n o u s r é p a ­
ro n s n o s d é s a s tre s o c c a sio n n é s p a r le s d é b u ts de cetto
ac tiv e ca m p a g n e.
« Le ré g im e n t, to u jo u rs à l ’a v a n t-g a rd e , n e la isse p as que
d ’av o ir e s su y é d es p e rte s assez se n sib le s, m a is la so llic i­
tu d e d e n o tre co lo n el e t le s b ie n fa its de l ’E m p e re u r a u ro n t
b ie n tô t ré p a ré n o s d é s a s tre s , c a r on d o it a lle r en H ongrie
in c e s s a m m e n t p o u r y re c e v o ir u n e re m o n te c o n sid é ra b le ,
ce q u i n o u s re n d r a p ré s e n ta b le s c o m m e p o u r u n j o u r de
260
SOUVENIRS
MILITAIRES.
fête . L es d étails d o n t je su is c h a rg é n é c e s s ita n t m a p ré ­
sen ce c o n tin u e lle à V ien n e, j ’ai o b te n u la p e rm issio n d ’y
av o ir u n lo g e m e n t q u e le h a s a rd m ’a p ro c u ré a u s s i ag ré ab le
q u e p o ssib le .
« Je su is é ta b li, place N è u m a rk , chez la b a ro n n e de Z oès,
e x c e lle n te fe m m e , m è re de d e u x c h a rm a n te s d e m o ise lle s,
n u lle m e n t effaro u ch é es d ’av o ir p o u r p r o te c te u r u n o fficier
de h u s s a rd s q u i, p a r la c o u le u r de sa p e lisse , e s t b ie n fait
p o u r in s p ire r la con fian ce. A ussi le s so in s d o n t je su is
l ’o b je t, m e fa isa n t p re s q u e c ro ire q u e j e fais p a rtie de la
fam ille, m ’o n t d é te rm in é à faire m o n é ta b lis s e m e n t d an s
c e tte h o s p ita liè re m a iso n , co m m e si je n e devais ja m a is
la q u itte r.
« U ne fo rt jo lie p e tite ca lè ch e a tte lé e de d e u x ch ev au x
de p e u de v a le u r, p ris e a u x a v a n t-p o ste s d a n s m a p o u r ­
su ite , a c h e té e à m e s h u s s a rd s p o u r la m o d iq u e so m m e de
110 fra n c s, v ie n t d ’y ê tre m is e en d é p ô t avec ce que j ’ai
d ’a rg e n t et de v a le u rs, e t j ’ai l ’in te n tio n de les y la is s e r
lo rs q u e le s h o stilité s re c o m m e n c e ro n t, ce q u i m e tr a n q u il­
lis e r a s u r le s o r t de m o n m o b ilie r.
« Je m e d isp e n se ra i de v o u s d o n n e r d e s d étails m in u ­
tie u x s u r v ie n n e ; il e s t si facile de se les p r o c u r e r ; le s fa u ­
b o u rg s y s o n t s u p e rb e s , les p ro m e n a d e s a d m ira b le s e t le
c h â te a u im p é ria l, p eu re m a rq u a b le , e s t, sa n s a u c u n d o u te ,
u n e d es p lu s v ila in e s ré s id e n c e s ro y a le s q u i e x iste n t. Le
g ra n d th é â tr e , sa n s ê tre v aste, e s t p a rfa ite m e n t co u p é.
U ne tro u p e ita lie n n e f o rt b o n n e a ttir e b e a u c o u p de b e a u
m o n d e , q u e la p ré s e n c e des F ra n ç a is e s t lo in d ’effrayer.
« D ans u n e de m e s c o u rse s, j ’ai re n c o n tré m o n frè re p a r
h a s a rd e t p a r le b o n h e u r le p lu s in e s p é ré . Il é ta it a rriv é de
la v eille e t g u é ri de se s b le s s u r e s ; n o u s avons p assé tro is
jo u r s e n s e m b le , h e u re u x de n o u s r e v o ir a p rè s le s vives
in q u ié tu d e s q u e n o u s av io n s l ’u n de l ’a n tre . 11 d o it v o u s
ENTRE ESSLING
ET
WAGRAM.
— 1809.
261
é c rire a u s s itô t q u ’il a u ra r e jo in t son m a lh e u re u x rég im en t,
à p e u p rè s a n é a n ti d a n s la jo u r n é e d u 23. R ien ne p e u t
d é te rm in e r e n c o re l’ép o q u e de n o tre r e n tré e en c a m p a g n e ;
à l ’E m p e re u r seu l a p p a rtie n t de le sa v o ir, p u is q u e to u t e s t
so u m is à sa v o lo n té avec d ’a u ta n t p lu s de ra iso n q u e l ’en ­
n e m i se tie n t s u r la d éfe n siv e. M ais il e s t p ré su m a b le
q u ’a u s s itô t te rm in é s les im m e n se s tra v a u x p o u r a s s u re r
n o tr e p assag e, n o u s iro n s le c h e rc h e r d e rriè re se s fo rm i­
d ab les r e tra n c h e m e n ts , d ’o ù il fa u t e s p é r e r q u e n o s b a ïo n ­
n e tte s le d é lo g e ro n t ; e n a tte n d a n t ce m o m e n t, n o u s offrons
à la ca p ita le le sp e c ta c le de 200000 c o m b a tta n ts tra n q u ille ­
m e n t en
p ré se n c e les u n s d es a u tre s j u s q u ’au jo u r qui
d é c id e ra d u s o r t de se s h a b ita n ts.
« A d ieu , m o n p è re ; p ro b a b le m e n t le s g ra n d e s m a rio n ­
n e tte s jo u e ro n t lo rs q u e v o u s re c e v re z c e tte le ttr e . »
D ep u is la b a ta ille d ’E sslin g , les d e u x a rm é e s é ta ie n t en
p ré se n c e , m a is in a c tiv e s, e t se p r é p a ra ie n t à c e tte g ran d e
lu tte q u i d e v a it s u rg ir d ’u n m o m e n t à l ’a u tre e t ê tre d éc i­
sive, le s A u tric h ie n s é ta n t p e rs u a d é s que le u rs te rrib le s
r e tra n c h e m e n ts s e ra ie n t le to m b e a u de l ’a rm é e fra n ça ise
e t N ap o léo n , d an s la co n scie n ce dë son g én ie e t de se s
tro u p e s , d is a n t q u ’il n ’y a v a it p lu s de D anube p o u r les F ra n ­
çais e t a tte n d a n t l ’in s ta n t de le p ro u v e r. Ce fleuve de
400 to ises de la rg e u r av ait été d o m p té p a r le s a d m ira b le s
tra v a u x d u g é n é ra l B e rtra n d ; u n lib re e t co m m o d e p a s­
sage é ta it a s s u ré d é s o rm a is et p r é s e n ta it u n e e n tiè re sé c u ­
rité p o u r les o p é ra tio n s q u e l’E m p e re u r p r o je ta it s u r l ’u n e
et l ’a u tre rive. U ne g ra n d e p a rtie de l’a rm é e é ta it d an s l ’île
de L obau e t la cav alerie d a n s les e n v iro n s. C ette île, q u i a
d eu x lie u e s de su p e rfic ie, d e v in t u n e e sp è c e de p la ce forte
au m o y e n de to u s les o u v ra g e s q u i y fu re n t c o n s tru its :
tro is p o n ts p a ra llè le s, de 600 p a s de lo n g u e u r e t s u r l ’u n
SOUVENIRS
262
MILITAIRES.
d e s q u e ls p o u v a ie n t p a s s e r tro is v o itu re s d e fro n t, lia ie n t
le te rr a in de tê te à c e lu i de la rive d ro ite e t a s s u ra ie n t les,
c o m m u n ic a tio n s avec V ie n n e ; c e n t v in g t p iè ce s de ca n o n
en p o sitio n d é fe n d a ie n t le s re d o u te s et le s tê te s de p o n ts.
U n m o is av a it suffi p o u r l ’a c h è v e m e n t de ces m a g n ifiq u es
tra v a u x ,
et,
au
1er ju ille t,
l ’a rm é e
é ta it
fo rte
de
ISO 000 h o m m e s. E n fin to u t a n n o n ç a it q u e n o u s to u c h io n s
au d é n o u e m e n t de ce g ra n d d ra m e . Les tr o u p e s é ta ie n t
d a n s le s m e ille u re s d is p o s itio n s ; l ’e n th o u s ia s m e et l’a r­
d e u r é ta ie n t a rriv é s à u n p o in t d ’ex a lta tio n q u i p r o m e tta it
le s p lu s h e u re u x su ccès.
J ’a n n o n ç a i à m a b o n n e h ô te s s e e t à se s deu x aim ab les
filles q u e, p ro b a b le m e n t, j e n e le s r e v e rr a is q u ’a p rè s les
é v é n e m e n ts q u i a lla ie n t a v o ir lie u , si to u te fo is j ’e n re v e ­
n ais, ce q ui m ’in q u ié ta it asse z p eu . Je le u r confiai m e s é q u i­
p ag e s, m o n a rg e n t e t ce q u e je pouvais avoir de p ré c ie u x ,
le u r la is s a n t u n p a q u e tc a c h e té re n f e r m a n t m e s d isp o s itio n s,
l ’a d re sse d e m o n p è re et les in d ic a tio n s n é c e s sa ire s p o u r
tro u v e r m o n f rè re ; p u is je m e sé p arai d e ce tte a d m ira b le
fam ille d o n t les la rm e s m e p ro u v è re n t l ’a tta c h e m e n t q u ’elle
m e p o rta it e t je fus re jo in d re le ré g im e n t q u i d ev a it q u itte r
se s q u a r tie r s le le n d e m a in . Le 28, 40000 h o m m e s e t
100 p iè c e s de ca n o n r é u n is s u r u n v a ste te rra in en face du
c h â te a u d e S c h œ n b r ü n n f u re n t p a s sé s en re v u e p a r l ’E m p e ­
r e u r . L es A u tric h ie n s sé p a ré s de n o u s p a r le fleuve p u re n t
a s s is te r à c e tte m a je s tu e u s e p a ra d e et ê tre té m o in s de l ’e n ­
th o u s ia s m e d es tro u p e s .
D ans la jo u r n é e , n o u s a p p rîm e s la jo n c tio n de l ’A rm ée
d ’Ita lie à la s u ite d ’u n e v ic to ire re m p o rté e p a r le p rin c e
E u g èn e à R aab. C h arles de L a b é d o y è re , so n aide de cam p,
m o n a n c ie n c a m a ra d e d es G en d a rm es d ’o rd o n n a n c e , venai l
d ’en a p p o rte r la n o u v e lle e t v in t m ’e m b ra s s e r.
Le 29, le 5° H u ssa rd s fu t s ’é ta b lir d a n s u n su p e rb e vil­
W A G R A M . — 1 809.
263
lage, tr è s p rè s de l ’île de L o b au , o ù n o u s n e tro u v â m e s ni
h a b ita n ts, n i re sso u rc e s.
Le 30, la b rig a d e r e ç u t l ’o rd re de se p o r te r s u r E bersdorff, ta n d is q u e de n o m b re u x c o rp s d ’in fa n te rie e n tra ie n t
d a n s l ’île d e L obau.
Le 1er ju ille t, n o u s fû m e s re le v é s d a n s la jo u r n é e p a r
le s S axons. A.u m o m e n t o ù n o u s n o u s m e ttio n s en m o u v e­
m e n t, le p rin c e E u g èn e, q u itta n t l’E m p e re u r p o u r a lle r
re jo in d re so n c o rp s d ’a rm é e , p a s sa p rè s d u ré g im e n t e t
e u t l’e x trê m e b o n té de m e faire a p p e le r en m e té m o ig n a n t
la sa tisfa c tio n q u ’il é p ro u v a it de m e re v o ir, m ’a jo u rn a n t à
v e n ir le v is ite r à V ienne a p rè s la b a ta ille q u i a lla it se liv re r
« o ù j ’e s p è re , a jo u ta -t-il en ria n t, tu n ’a u ra s p a s la m a la ­
d re s s e de te faire tu e r ». Le m ê m e jo u r , l ’E m p e re u r v in t
fixer so n q u a r tie r g é n é ra l d a n s l ’île de L o b au a u m ilie u
d e s jo y e u s e s a c c la m a tio n s de l ’a rm é e . Le 4, to u te l ’in fa n ­
te rie e t u n e p a rtie d e la cav alerie é ta ie n t ré u n ie s d a n s l ’ile
d e L o b au .
A dix h e u r e s d u so ir, u n d é b a rq u e m e n t de 1500 v o lti­
g e u rs e u t lie u s u r la riv e g a u c h e ; à onze h e u re s , u n e te r ­
rib le ca n o n n ad e s ’e n g a g ea s u r u n e p a rtie du f ro n t des
r e tr a n c h e m e n ts a u tric h ie n s ; le feu d es b a tte rie s é ta it
p a r tic u liè r e m e n t d irig é s u r E n z e rs d o rf o ù s ’a p p u y a it la
g a u c h e d es r e tr a n c h e m e n ts e n n e m is . T o u s le s v e n ts
se m b la ie n t d é c h a în é s, la p lu ie to m b a it p a r to r re n ts , les
co u p s de c a n o n e t le s c o u p s d e to n n e rr e se su c c é d a ie n t
avec u n e te lle ra p id ité q u ’il é ta it p re sq u e im p o ssib le de
les d is tin g u e r : le te rr a in des île s d u D anube é ta it in o n d é .
Le c o lo n el S ainte-C roix, a id e de cam p d u m a ré c h a l M asséna,
à la tê te d e 2 500 h o m m e s , tr a v e rs a d a n s des b a rq u e s,
en lev a à la b a ïo n n e tte E n z e rsd o rff; il y fut g riè v e m e n t
b le ssé . C ette b rav e in fa n te rie , to u jo u r s au p a s de ch a rg e,
s e m b la it m a rc h e r so u s u n e v o û te d ’o b u s et de b o u le ts q u i
264
SOUVENIRS
MILITAIRES.
p a r la n t d es d e u x riv e s se c ro is a it s u r sa tê te . N otre b r i­
g ad e, e n tré e d a n s l ’île à n e u f h e u re s d u so ir, fu t a ssa illie
p e n d a n t u n e p a rtie de la n u it p a r le s b o u le ts et les o b u s
p le u v a n t a u m ilie u de n o u s ; m a is, fo rt h e u r e u s e m e n t
a b rité s p a r u n p e tit b o is e t p ro té g é s p a r l ’o b s c u rité , n o u s
en fû m e s q u itte s p o u r d e u x h u s s a rd s e t c in q ch ev au x .
D ans le fo nd de l ’île se tro u v a ie n t d eu x g ra n d e s b a ­
r a q u e s e n b o is, p la c é e s au m ilie u de la G arde im p é ria le ,
g a ra n tie s a u ta n t q u e p o ssib le c o n tre l’effet d u b o u le t.
L ’u n e é ta it o cc u p ée p a r l’E m p e re u r, l ’a u tre p a r le p rin c e
de N eu ch âtel.
E nvoyé à m in u it p o u r c o n n a ître l ’h e u re à la q u e lle s n o u s
d ev io n s e ffe c tu e r le p a ssa g e e t la d ire c tio n q u e n o u s a u rio n s
à s u iv re , je n e tro u v a i que les aid es de ca m p d u p rin c e et
q u e lq u e s o fficiers v e n u s c o m m e m o i en m is sio n , fo rt o c c u ­
p é s à jo u e r a u p a s se -d ix , p e n d a n t q u e le u r p a tro n tra v a il­
la it avec l ’E m p e re u r ; forcé d ’a tte n d re so n r e to u r , je v o u lu s
p re n d re p a r t à ce g e n re de c o m b a t d an s leq u el je ne p o u ­
vais é p ro u v e r de g ra n d e s p e r te s , n ’a y a n t s u r m o i q u e
six n a p o lé o n s d ’o r e t q u e lq u e s p iè ce s d ’a rg e n t.
L es d és m ’a rriv è re n t, et la fo rtu n e m e fu t te lle m e n t
fav o rab le q u ’en p e u d ’in s ta n ts je m e vis en p o sse ssio n
d ’u n e so m m e assez ro n d e ; v a in e m e n t j ’offris de q u itte r le
co rn e t, m e s a d v e rsa ire s , to u s ric h e s, h a b itu é s à jo u e r g ro s
je u e t e s p é r a n t se r a ttra p e r , s tim u la ie n t m o n a m o u r-p ro p re
p o u r m e fo rc er à c o n tin u e r. J ’e u sse in fa illib le m e n t fini p a r
su c c o m b e r lo rs q u e , fo rt h e u re u s e m e n t, o n a n n o n ç a la
p ré s e n c e d u p rin c e , ce q u i m e d o n n a à p ein e le te m p s de
re m p lir m a s a b re ta c h e et m o n colb ack des b én éfices q u ’on
e s p é ra it m ’a rra c h e r.
P e u d ’in s ta n ts a p rè s, m u n i de l ’o rd re que j ’a tte n d a is, je
re v in s au b iv o u a c d u ré g im e n t, é ta la n t m o n tr é s o r au x
y eu x d u co lo n el d o n t la jo ie é ta it p re s q u e a u s si g ra n d e
WAGRAM.
-
1 809.
265
q u e la m ie n n e ; en r é s u lta t, je m e tro u v a is av o ir gagné
14 300 fra n c s, p re sq u e to u t en o r e t en b ille ts de b a n q u e de
V ien n e, n o n o b s ta n t d e s so m m e s assez c o n s id é ra b le s à
c ré d it q u e je m e ra p p e la is à p e in e e t que je la issa is s u r la
co n s c ie n c e de m e s d é b ite u rs.
Cet h e u re u x é v é n e m e n t m e p a r u t de b o n a u g u re p o u r le
le n d e m a in , m a is s e n ta n t p e u la n é c e ssité d ’a v o ir a u ta n t
d ’a rg e n t d an s u n p a re il m o m e n t, j ’o b tin s d u c o lo n el la
p e rm is s io n d ’e n v o y e r su r-le -c h a m p m o n h u s s a rd à V ienne
p o u r r e m e ttr e m o n tr é s o r e n tre le s m a in s de m o n ex c el­
le n te h ô te sse .
Le 5, n o u s p a s sâ m e s le p o n t à q u a tre h e u re s d u m a lin ,
n o n lo in d u village de M uhleiten, p ro té g é c o n tre les b o u le ts
p a r u n p e tit co u d e q u e faisa it le D an u b e e n c e t e n d ro it. —
Le p assag e effectué, le ré g im e n t se fo rm a en b ataille co m m e
tê te de co lo n n e de la d iv isio n , et l’o rd re fu t d o n n é a u x h u s ­
sa rd s de r o u le r le u rs m a n te a u x p o u r les p la c e r en b a n d o u ­
liè re ; p e u d ’in s ta n ts a p rè s, a rriv a le g é n é ra l M o n tb ru n avec
le 7e H u s s a rd s ; il v e n a it re p r e n d r e le c o m m a n d e m e n t de la
d iv isio n . E n n o u s p a s s a n t e n rev u e , s ’a p e rc e v a n t q u e les
m a n te a u x é ta ie n t en b a n d o u liè re : « A llons, b ra v e s h u s s a rd s
du 5°, dit-il, m o n tre z à l ’e n n e m i to u te la b la n c h e u r de v o tre
belle p e lis se , e t p la ce z-m o i vos m a n te a u x s u r le s fo n te s d es
p is to le ts ; » p u is , n o u s fo rm a n t en co lo n n es p a r e sc a d ro n s,
il n o u s m it en m o u v e m e n t, d é b o rd a n t l ’aile g a u c h e de l ’en ­
n e m i e t n o u s é c a rta n t d e s re tr a n c h e m e n ts s u r le s q u e ls
n o tre in fa n te rie m a rc h a it de fro n t. Ces r e d o u te s é ta ie n t
d é fe n d u e s c h a c u n e p a r tr o is h a u te u r s de b a tte rie s , fo u ­
d ro y a n t l ’in fa n te rie q u i le s a tta q u a au p a s de ch a rg e e t en
en lev a d e u x su r-le -c h a m p .
Une tro is iè m e offrit b e a u c o u p de ré sis ta n c e , p o r ta n t la
m o r t d an s le s ra n g s de n o s b ra v e s ré g im e n ts; m a is, l ’E m ­
p e r e u r é ta it là, d irig e a n t to u t avec u n ca lm e in c ro y a b le.
266
SOUVENIRS
MILITAIRES.
sa n s faire a tte n tio n a u x b o u le ts q u i to m b a ie n t a u to u r de lu i.
L es re d o u te s e n n e m ie s s’é te n d a ie n t d e p u is E n z e rs d o rf
j u s q u ’à E sslin g , le u r d ro ite au D anube. Le m a ré c h a l Massé n a , avec so n c o rp s d ’a rm é e , v in t re n fo rc e r ce p o in t d ’a t­
taq u e. M alade e t h o rs d ’é ta t de p o u v o ir m o n te r à cheval, il
se faisa it c o n d u ire d a n s u n p e tite v o itu re d é c o u v e rte à la
tê te d e s tr o u p e s a u x q u e lle s il savait si b ie n a s s u re r le s u c ­
cè s, ce q u i lu i a v a it m é rité le s u rn o m d ’ « E nfan t c h é ri de
la V icto ire ». La cav alerie, p e n d a n t le s vives a tta q u e s d u
c e n tre , c o n tin u a it so n m o u v e m e n t en d é c riv a n t u n e c o u rb e
e t a rriv a en lig n e s u r tro is d iv isio n s de p ro fo n d e u r.
A m id i, p a r u n ciel m ag n ifiq u e, n o u s v îm es se d ép lo y e r la
cav alerie en n e m ie , b e a u c o u p p lu s fo rte q u e la n ô tre , se p r é ­
p a r a n t à n o u s a b o rd e r. Le g é n é ra l M on tb ru n fit a u s s itô t se s
d isp o s itio n s, p la ç a n t six ré g im e n ts de fro n t s u r tro is lignes
d o n t la se co n d e se co m p o sa it de d ra g o n s e t là tro isiè m e
de c u ira s s ie rs , m a rc h a n t, a u -d e v a n t de l’e n n e m i, avec
12 p iè ce s d e c a n o n s u r n o s flancs.
D eux e sc a d ro n s d u 3e H u ssa rd s fu re n t je té s en tira ille u rs ,
m a is l’e n n e m i se re p lia en b o n o rd re sa n s v o u lo ir a tte n d re
n o tr e ch a rg e, e t n o u s le su iv îm es ain si p e n d a n t tro is h e u re s ,
n o s tira ille u rs se u ls se b a tta n t avec a c h a rn e m e n t ; p lu s ie u r s
fu re n t tu é s ; le so u s -lie u te n a n t D ub ro ca, d o n t le ch e v al
s ’a b a ttit, fu t p ris . — A six h e u r e s du so ir, on n ’é ta it p o in t
e n c o re p a rv e n u à e n le v e r la tro isiè m e re d o u te : la m itra ille ,
les o b u s, le s b o u le ts e n n e m is fa isa ie n t des ravages é p o u ­
v an tab le s, p lu s ie u rs g é n é ra u x a v a ie n t été tu é s, la r é s is ­
ta n c e é ta it te rrib le . — P lu s ie u rs b le ssé s de la d iv isio n de
cav alerie M arulaz d u c o rp s d ’a rm é e de M asséna, p a s sa n t
p r è s d e n o u s, m ’a p p rire n t q u e m o n frè re a v a it été frappé p a r
u n b o u le t. C ette n o u v e lle m ’é ta it d ’a u ta n t p lu s affre u se
q u e , fo rcé de r e s te r à m o n p o ste , je n e p o u v ais lu i p o rte r
a u c u n se c o u rs. C ep en d an t, le g é n é ra l e u t l’oblig ean ce de
WAGitAM.
—
1809.
267
p e r m e ttr e q u 'u n h u s s a rd a llât s u r le s lie u x p o u r sa v o ir ce
q u ’il e n é ta it. Il re v in t p e u a p rè s e t m ’a p p rit q u ’en effet
m o n frè re av ait eu la ja m b e fro issée p a r u n b o u le t, m ais
q u ’o n l ’av a it a u s s itô t tr a n s p o r té de l ’a u tre cô té d u D anube.
C ette n o u v elle m e r a s s u r a u n p eu , b ie n q u e m o n in q u ié ­
tu d e fû t g ran d e , n e c o n n a issa n t p o in t au ju s te la g rav ité de
la b le ssu re .
La c o n te n a n c e fe rm e des A u tric h ie n s s u r le u r d ro ite et
le c e n tre r e n d it to u t à coup d u co u ra g e à le u r gau ch e q u e
n o u s av io n s p o u ssé e ju s q u ’a lo rs d e v a n t n o u s ; to u te le u r
m a sse de c a v alerie, s ’é b ra n la n t ré so lu m e n t, m a rc h a s u r
n o u s en c h a ssa n t n o s tira ille u rs . Le ré g im e n t re ç u t l ’o rd re
de ch a rg er, ce q u e n o u s fîm es fra n c h e m e n t en ab o rd a n t
u n ré g im e n t de h u s s a rd s h o n g ro is q u i c h e rc h a it à to u r n e r
n o tre b a tte rie de d ro ite . La m ê lée fu t vive, a c h a rn é e , p e n ­
d a n t q u e lq u e s in s ta n ts , n o u s b a tta n t c o rp s à c o rp s ; m a is la
v aleu r, le co u ra g e e t l’a d re sse de n o s h u s s a rd s trio m ­
p h è r e n t e t n o u s p o u rsu iv îm e s l ’e n n e m i en d é s o rd re , ta n d is
qu e le s a u tre s ré g im e n ts de la d iv isio n , d é b o rd a n t la ligne
e n n e m ie , la fo rç aie n t à se r e tir e r à l’a s p e c t d es d rag o n s et
d es c u ira s s ie rs to u t p rê ts à c h a rg e r. N ous e û m e s d a n s cet
en g a g e m e n t cin q h u s s a rd s tu é s e t 17 b le ssé s ; l’e n n e m i en
.p e rd it d av an tag e, et n o u s lu i p rîm e s u n co lo n el, q u a tre offi­
c ie rs e t 22 h u s s a rd s .
La n u it m it fin au c o m b a t à n e u f h e u re s d u s o ir; le s deu x
a rm é e s r e s tè r e n t d a n s le u r p o sitio n , b ie n d éc id é es à
re c o m m e n c e r le le n d e m a in .
N ous étio n s ac ca b lé s de fatig u e et, p o u r com b le de d is­
g râ c e , fo rcés de r e s te r d a n s u n e te rr e la b o u ré e sa n s vivres,
ni fo u rrag e ; s e u le m e n t to u s les h o m m e s av a ie n t u n e dem ira tio n d ’avoine q u i d ev in t la re s s o u rc e de n o s p a u v re s
chev au x . N otre bivouac, placé p r è s d ’un p e tit ru is s e a u
re m p li de vase e t de b o u e, é ta it le se u l o b sta cle q u i n o u s
268
SOUVENIRS
MILITAIRES.
s é p a râ t de l ’e n n e m i, à u n e d ista n c e d ’à p e u p rè s 400 p as,
ce q u i n e m ’e m p ê c h a p a s de d o rm ir d ’u n b on so m m e en
a tte n d a n t le m o m e n t d ’u n n o u v e a u c o m b a t qui, selon to u te
a p p a re n c e , d evait ê tre d écisif.
Nos fo rc es ré u n ie s le m a tin se m o n ta ie n t à 150000
h o m m e s e t 500 p iè ce s de ca n o n , sa n s c o m p te r l’a rm é e du
p rin c e E u g è n e q u i te n a it en éc h ec l ’a rc h id u c J e a n à R aab.
L ’e n n e m i é ta it u n p e u p lu s fo rt q u e n o u s en in fa n te rie ,
m a is sa cav alerie é ta it b e a u c o u p p lu s c o n s id é ra b le q u e la
n ô tre e t o cc u p ait d es p o sitio n s q u ’il fa lla it e n le v e r, d é fe n ­
d u e s p a r d es re tr a n c h e m e n ts c o u v e rts d ’u n e im m e n se
a rtille rie .
Le 6. — B ataille de W a g ra m . — N ous fû m e s ré v e illé s dès
la p e tite p o in te d u jo u r p a r des c ris affreux e t u n e d éc h arg e
à m itra ille d e to u te s le s b a tte rie s e n n e m ie s. Les A u tri­
c h ie n s, p ro té g é s p a r elles, p re n a ie n t l ’in itia tiv e du c o m b a t
en m a rc h a n t en c o lo n n e s s e rré e s , la b a ïo n n e tte en av an t.
Le 5° H u ssa rd s e u t à p e in e le te m p s de m o n te r à ch e v al,
de se fo rm e r en b a ta ille e t se r e p lie r s u r les m a sse s de
cav alerie p o u r é v ite r d ’ê tre éc ra sé p a r c e tte av alan ch e
d ’h o m m e s, a u -d e v a n t de la q u e lle n o tr e in fa n te rie m a rc h a
ré so lu m e n t. Le c o m b a t d e v in t te rr ib le , s u r to u t a u p rè s du
v illag e de W a g ra m , p ris et V epris p lu s ie u rs fois et q u i enfin
r e s ta au x F ra n ça is.
La c a v alerie fo rm a n t l’e x trê m e d ro ite de l'a rm é e , m a­
n œ u v ra c o m m e la veille e t, en p e u d ’in s t a n ts , se tro u v a en
face de ce lle de l ’e n n e m i, a p p u y é e de q u e lq u e s b a ta illo n s
h o n g ro is, r e f u s a n t to u jo u rs le c o m b a t en a tte n d a n t les
r é s u lta ts d u c e n tre p o u r a g ir; m a is l’E m p e re u r, se n ta n t
c o m b ie n il é ta it im p o rta n t d ’e n ta m e r c e tte m a sse de ca v a­
le rie afin de p o u v o ir to u r n e r l’e n n e m i, en voya u n officier
d ’o rd o n n a n c e au g é n é ra l M o n tb ru n avec l ’o rd re de l ’a tta ­
q u e r e t de le v ain cre.
WAGRAM.
— 1 809.
269
Le te rr a in s u r le q u e l les d e u x a rm é e s é ta ie n t e n p ré se n c e
av a it d eu x lie u e s d ’é te n d u e . L es tro u p e s le s p lu s r a p p ro ­
ch é e s d u D anube n ’é ta ie n t q u ’à 200 to is e s de V ienne, de
s o rte q u e la n o m b re u se p o p u la tio n de c e tte c a p ita le , co u ­
v ra n t le s to u rs , les c lo c h e rs, les to its des m a iso n s le s p lu s
élev é es e t d o m in a n t a in si to u te la p la in e d ’E n z e rsd o rf,
a lla it a s s is te r au sp e c ta c le im p o s a n t e t te rr ib le qui se p r é ­
p a ra it e t ju g e r de se s p ro p re s y e u x si le s d é fe n se u rs de
la m o n a rc h ie a u tric h ie n n e é ta ie n t dignes de la cau se c o n ­
fiée à le u r v a le u r.
La g a u c h e de n o tre a rm é e a v a it été v iv e m e n t p o u ssé e
p a r le p rin c e C harles, le village de G ro s-A sp e rn e m p o rté
p a r l'e n n e m i, les S axons, les B avarois c u lb u té s e t m is en
d é ro u te . L’a rc h id u c , p o u rsu iv a n t ce p re m ie r su c cè s, p r é c i­
p ite sa m a rc h e e t, d é b o rd a n t le flanc des F ra n ç a is de p lu s
d ’u n e lie u e , il p o u sse d es p a rtis j u s q u ’a u p rè s d es p o n ts.
L’ép o u v a n te se ré p a n d s u r les d e rriè re s e t c e tte fo u le de
n o n -c o m b a tta n ts fu it en to u te h â te d an s l’île de L obau
e n d is a n t q u e la b ataille e s t p e rd u e .
Il é ta it alo rs n e u f h e u re s d u m a tin . L’E m p e re u r, p rév e n u
de to u s ces m o u v e m e n ts, o rd o n n a au m a ré c h a l D avout de
s ’e m p a re r d u village de N ieu sied el, ce q u ’il ex é cu ta sa n s
b a la n c e r. — L’a rc h id u c C h arles a y a n t envoyé, p e n d a n t la
n u it, o rd re à so n frè re , l ’a rc h id u c Je a n , de m a rc h e r de
to u te v itesse avec so n c o rp s d ’a rm é e , afin d ’a tta q u e r n o s
d e rriè re s e t é c ra s e r la d ro ite , le s A u tric h ie n s, a tte n d a n t
to u jo u r s ce re n fo rt, re fu s a ie n t n o s c h a rg e s, to u t e n n o u s
a ttir a n t à eu x p o u r n o u s é lo ig n e r de l ’in fa n te rie d u m a ré ­
ch a l D avout. C’e s t a lo rs que l ’E m p e re u r, p ré v o y a n t ce
m o u v e m e n t, s e n tit q u ’il ne p o u v a it a s s u re r la v ic to ire q u e
p a r la d ro ite , e t q u e l ’o rd re n o u s fu t d o n n é de jo in d re
l ’en n e m i e t de le fo rc e r à c o m b a ttre . V o y an t q u ’il ne
p o u v a it p lu s n o u s é v ite r, to u te sa p re m iè re ligne arriv a
270
SOUVENIRS
MILITAIRES.
la c h a rg e s u r le 7e H u ssa rd s e t le 1er C h a sse u rs q u i tin r e n t
tê te à six ré g im e n ts e t fin ire n t c e p e n d a n t p a r ê tre c u lb u té s
ju s q u e s u r n o s p iè ce s. Le g é n é ra l M o n tb ru n fît a lo rs
m a rc h e r le 5e H u ssa rd s e t le 11e C h a sse u rs, so u te n u s p ar
la b elle d iv isio n de d ra g o n s d u g é n é ra l de P u lly .
N o tre b rav e co lo n el D ery, dix p a s en a v a n t d u ré g im e n t,
a g ita n t so n sa b re avec é n e rg ie : « A n o u s m a in te n a n t, h u s ­
s a rd s d u 5°, d it-il, A llons, m e s en fa n ts ' F ra p p o n s fe rm e ! En
av an t! V ive l ’E m p e re u r! » E t n o u s e n tro n s avec fu re u r d ans
u n e lig n e de c u ira s s ie rs q u i fut a u s s itô t e n fo n c ée et p o u r ­
su iv ie le sa b re d an s le s r e in s p lu s d ’u n e d e m i-lie u e .
A lo rs, se p ré s e n te à n o u s u n e m a sse de g re n a d ie rs h o n ­
g ro is fo rm a n t u n c a rré im p o s a n t, d e rriè re le q u e l v ie n n e n t
se ra llie r les c u ira s s ie rs q u e n o u s p o u rsu iv io n s. Le g é n é ­
ra l, s e n ta n t la p o s itio n c ritiq u e d a n s la q u elle n o u s é tio n s,
m ’o rd o n n e à l ’in s ta n t de c h a rg e r à la tê te d u l or e s c a d ro n
d o n t le c h e f v e n a it d ’ê tre g riè v e m e n t b le ssé , a p p u y a n t ce
m o u v e m e n t p a r le s a u tre s e s c a d ro n s d u ré g im e n t, ta n d is
q u e lu i-m ê m e , c o n d u is a n tle 11e C h a sse u rs, a b o rd e de n o u ­
v ea u le s c u ira s s ie rs avec u n e v é rita b le fu rie .
Je lance m a tro u p e s u r c e tte m a sse co m p ac te d o n t le s
d e u x d e rn ie rs ra n g s fo n t p le u v o ir s u r n o u s u n e g rêle de
b a lle s, ta n d is que le p re m ie r n o u s a tte n d la b a ïo n n e tte en
av a n t. J e m o n ta is a lo rs l ’a ra b e d o n t le co lo n el m ’avait fait
c a d e a u ; c e t a n im al, b ie n q u e vieux, a v a it u n e a rd e u r
in c ro y a b le : l ’o d e u r de la p o u d re , le b r u it des a rm e s e t de
l ’a rtille rie lu i d o n n a ie n t des v e rtig e s et, d e v e n a n t fo u g u eu x ,
a u c u n fre in n e p o u v a it le r e te n ir ; to u s m e s efforts p o u r le
m a in te n ir à la tê te e t p rè s de la tro u p e f u re n t in u tile s ; en
tr o is sa u ts il m e p ré c ip ite d an s le c a rré , to m b e p e rc é de
p lu s de d ix co u p s de b a ïo n n e tte , m e c o u v ra n t e n p a rtie
de so n c o rp s, ta n d is q u e j ’ag itais m on sa b re p o u r év iter
d ’ê tre to u c h é . H e u re u se m e n t, j ’é ta is suiv i de p r è s p a r les
WAGRAM.
-
1809.
271
h u s s a rd s ; le u r im p u lsio n fu t te lle m e n t ra p id e et te rrib le
q u ’ils e n fo n c è re n t le c a rré , et, g râce à l ’a p p u i d es esca d ro n s
c o n d u its p a r le colonel, le s H o n g ro is sa b ré s im p ito y a b le ­
m e n t f u re n t c o n tra in ts de m e ttre b as les a rm e s, ils é ta ie n t
800. Je m e relev ai co u v e rt d u sa n g de m o n p a u v re cheval,
m e s h a b its p e rc é s de p lu s ie u rs c o u p s de b a ïo n n e tte , d o n t
u n se u l m ’av a it fait u n e lé g è re e n ta ille à la cu isse , q u e je
c o m p rim a i avec m o n m o u c h o ir.
Un ch ev al m e fu t a u s s itô t a m e n é et je m e re m is en
se lle. P e n d a n t ce m o u v e m e n t, le g én é ral M o n tb ru n é ta it
au x p ris e s av ec la se co n d e lig n e de cav alerie e n n e m ie , à
la tê te d u 7° H u ssa rd s e t d u l or C h a sse u rs so u te n u s p a r les
d ra g o n s. Ce fu t a lo rs u n p ê le -m ê le ép o u v a n ta b le d ans
le q u e l l ’e n n e m i, en fo n c é s u r to u s le s p o in ts , fu y a it d ans
to u te s le s d ire c tio n s p o u r é c h a p p e r au tra n c h a n t de nos
sa b re s, ta n d is q u e son in fa n te rie c o m m e n ç a it so n m o u v e ­
m e n t ré tro g ra d e .
L ’E m p e re u r av a it b ie n ju g é de l ’effet q u e d ev a it p ro d u ire
l ’a tta q u e de sa cav alerie de d ro ite ; sa g a u c h e fu t à l ’in s ta n t
d ég ag ée e t le su c c è s de la jo u r n é e a s su ré , d ’a u ta n t q u e l ’A r­
m é e d ’Ita lie v in t y m e ttr e la d e rn iè re m ain , en a rriv a n t
s u r le ch a m p de bataille assez à te m p s p o u r y p r e n d re sa
p a r t de g lo ire . Le p rin c e E u g è n e a tta q u a le c e n tre avec
u n e v é rita b le fu rie ; la v ic to ire fu t d éc isiv e; to u te l ’a rm é e
riv a lisa d ’a rd e u r, a u x p ris e s s u r to u s le s p o in ts , p a rto u t
o b te n a n t du su c cè s. L’a rc h id u c C harles fut obligé de se
r e tir e r sa n s e s p o ir de p o u v o ir re n o u v e le r le co m b at, la is­
s a n t 4000 tu é s, 9000 b le ssé s, 18000 p ris o n n ie rs , 40 pièces
d e c a n o n , 18 d ra p e a u x e t q u a n tité de fo u rg o n s e t d ’é q u i­
p ag es
q u i d e v in re n t la p ro ie
de la cav alerie lé g ère,
en fin b o n n o m b re d ’officiers g é n é ra u x tu é s e t b le ssé s.
De n o tre côté n o u s e û m e s 3 000
m o rts e t p lu s de
6 000 b le s s é s ; n o u s av io n s à re g r e tte r p lu s ie u rs c o lo n e ls et
272
SOUVENIRS
MILITAIRES.
g é n é ra u x , e n tre a u tre s le b ra v e g é n é ra l L asalle, le p re m ie r
officier d e c a v alerie lé g è re de l ’a rm é e .
N ap o léo n s ’é ta it ex p o sé au m ilie u d u feu le p lu s te rr ib le ;
d ès le m a tin , il av a it p a rc o u ru les d iffé ren te s lig n e s, e n c o u ­
ra g e a n t les tr o u p e s p a r sa p ré s e n c e e t son é lo q u e n c e in c i­
ta n te ; les b o u le ts tu è re n t e t b le s s è r e n t p lu s ie u r s p e rs o n n e s
a u to u r de lu i. Le m a ré c h a l B e ssiè re s e u t so n cheval tu é
so u s lu i.
S. M. fit c o m p lim e n te r su r-le -c h a m p le m a ré ch a l-D a v o u t
s u r la b elle c o n d u ite de so n c o rp s d ’a rm é e q u ’il v in t v is ite r
p lu s ta rd . E n a r r iv a n t à la c a v alerie lé g è re , il lu i a d re ssa
le s élo g es le s p lu s fla tte u rs e t a c c o rd a n t p lu s ie u rs ré c o m ­
p e n s e s il e n p r o m it d ’a u tre s . Je fus ap p e lé p rè s de S. M.
p a r le g é n é ra l M o n tb ru n , il d aig n a m e n o m m e r officier de
la L égion d ’h o n n e u r en d is a n t au p rin c e de N euchâtel
d ’in s c rire le ré g im e n t p o u r d ix cro ix d o n n é e s s u r le ch a m p
de b ataille ; p u is, en n o u s q u itta n t, l ’E m p e re u r a jo u ta au
g é n é ra l : « Je vais v o u s e n v o y e r à la cu ré e. »
L a b a ta ille de W a g ra m n e la issa pas q u e de c o û te r c h e r
a u ré g im e n t, p u is q u e n o u s eû m e s, en tu é s : u n ca p ita in e ,
d e u x lie u te n a n ts e t 16 h u s s a rd s e t e n b le ssé s : h u it offi­
c ie rs e t 63 h u s s a rd s , d o n t la p lu s g ra n d e p a rtie d a n s l ’es­
ca d ro n q u e je c o m m a n d a is en a b o rd a n t le c a rré .
A la n u it to m b a n te , n o u s é ta b lîm e s n o s b iv o u acs d a n s la
p la in e , p rè s de d e u x su p e rb e s fe rm e s où n o u s tro u v â m e s
fo rt h e u r e u s e m e n t d es fo u rra g e s e t de l’e a u d o n t n o s c h e ­
v au x a v a ie n t le p lu s g ra n d b e so in , ain si q u e d ’u n p e u de
re p o s.
Le 7, le jo u r v in t é c la ire r le sp e c ta c le affreu x d ’u n c h a m p
de b a ta ille c o u v e rt de m o rts et de m o u ra n ts ; les ré c o lte s ,
p rê te s à ê tre m o is so n n é e s, in c e n d ié e s e t f u m a n te s e n c o re ,
enfin le p re stig e d e la g lo ire fa isa n t p la c e à to u t ce q u e
}a g u e rre p e u t offrir de p lu s h o rrib le .
WAGRAM.
LA
POURSUITE.
— 1 809.
213
L’E m p e re u r s o r tit de la te n te q u ’on lu i av a it d re ssé e n o n
lo in de n o tr e biv o u ac, se p ro m e n a n t à p ie d , sa n s ch a p ea u ,
sa n s ép é e , le s m a in s d e rriè re le d os, s ’e n tre te n a n t fa m iliè re ­
m e n t avec le s C h a sse u rs de la G arde ; sa fig u re e x p rim a it
la s a tisfa c tio n e t la confiance ; ce fu t p e u d ’in s ta n ts a p rè s
q u ’il e m b ra s sa M acdonald e n le c ré a n t m a ré c h a l d ’E m p ire ,
a in si q u e le g é n é ra l O ud in o t.
S u r les dix h e u re s le g é n é ra l M o n tb ru n e u t u n e c o u rte
e n tre v u e avec S. M., à la su ite de la q u elle la d ivision se m it
en m a rc h e afin de p o u rs u iv re l ’e n n e m i e t l’in q u ié te r d a n s
sa re tra ite su rZ n a ïm .
A p rès a v o ir m a rc h é p e n d a n t six
h eu re s,
ra m a s s a n t
q u e lq u e s tra în a r d s e t des v o itu re s de b le ssé s , n o u s j o i­
g n îm e s u n e a rriè re -g a rd e de 15 000 h o m m e s, co m m a n d é s
p a r le g é n é ra l R o sem b e rg , q u i v e n a it de q u itte r le village
de O E n -ltu p ersd o rf où n o u s fû m e s o b lig é s de p a s s e r la n u it,
c o n tra in ts p a r la fatig u e de n o s ch ev au x , la p ro fo n d e
o b sc u rité , et la n é c e s sité de d o n n e r le te m p s à n o tr e in fa n ­
te rie lé g ère de n o u s re jo in d re . S u r le s n e u f h e u r e s , le
g é n é ra l M o n tb ru n m e fit v e n ir p rè s de lu i; il v e n a it de
re c e v o ir d e n o u v elles in s tru c tio n s et m ’a p p rit q u ’on lu i d o n ­
n a it l’avis q u e, d a n s le b u lle tin de l ’a rm é e , en c ita n t av an ta­
g e u s e m e n t sa d iv isio n , on-m e c ita it au n o m b re des officiers
q u i s ’é ta ie n t p lu s p a rtic u liè re m e n t d istin g u é s et q u e j ’av a is
su c co m b é au m ilie u d ’u n c a rré . T rè s lla tté de ce p re m ie r
p a ra g ra p h e e t fâché de l ’effet q u e p r o d u ira it le se co n d ,
lo rs q u e m o n p è re e t m a m è re a p p re n d ra ie n t c e tte n o uvelle
q u e je n e p o u v a is d é m e n tir en ce m o m e n t, il m e p e rm it
d ’en é c rire au p rin c e de N eu c h âte l p o u r faire re c tifie r c e tte
e r r e u r p u is q u ’il a v a it été té m o in de la ré c o m p e n se q u i
m ’av ait été a c c o rd é e , e t il m e g a rd a à so u p e r avec lu i. P u is
il m e d it q u e c e tte v ic to ire
av a it é té ac h e té e au p rix de
p e rle s d o n t, b ien c e rta in e m e n t, les b u lle tin s d im in u e ra ie n t
274
SOUVENIRS
MILITAIRES.
le ch iffre. Le le n d e m a in , d an s la jo u r n é e , n o u s a tte i­
g n îm e s l ’e n n e m i p rè s de la ville de L ana o ù n o tr e avantg a rd e ra m a s s a q u a n tité de fa n ta ssin s e x té n u é s de
fa tig u e ; m a is la co n fe c tio n d ’u n p o n t q u ’il fa llu t r é ta b lir
n o u s e m p ê c h a d ’e n le v e r u n convoi c o n s id é ra b le d ’a r til­
le rie q u e n o u s savions p e u d is ta n t de n o u s.
Le 10, le g é n é ra l M o n tb ru n , q u i av ait à c œ u r de co m ­
b a ttre l’e n n e m i, le jo ig n it d a n s la m a tin é e p o sté u n e lie u e
e n a v a n t de Z n aïm . O bligés d ’a tte n d re l’a rriv é e de n o tr e
in fa n te rie p o u r le d é b u s q u e r de c e tte p o sitio n , le c o m ­
b a t n e c o m m e n ç a q u e s u r le s m id i et f u t d ’a u ta n t p lu s
o p in iâ tre , q u e l ’e n n e m i d é fe n d a it c e tte p o s itio n afin de
p ro té g e r la m a rc h e de l ’e m p e r e u r F ra n ç o is, de l’im p é r a ­
tric e , de l’a rc h id u c A n to in e et u n e s u ite de p lu s de 200 v o i­
tu r e s d e la c o u r e t a u tre s , en fo n c ées d a n s u n b o is a u m ilie u
d ’u n c h e m in a b îm é p a r le s b o u es.
C e p en d a n t, tr o is g ra n d s fo u rg o n s re m p lis d ’a rg e n te rie
d e v in re n t la p ro ie de n o s h u s s a rd s , q u i se le s p a rta g è re n t
avec u n e ra p id ité in c ro y a b le ; q u a tre v o itu re s lo u rd e s , m a s­
sives^ d e fo rm e a n tiq u e , tr è s ric h e s, c o n te n a n t dix d am es,
d o n t six je u n e s e t tr è s jo lie s , to m b è r e n t e n tre n o s m a in s,
a in si q u e d e u x ca lè c h e s c o n te n a n t tro is p e rs o n n a g e s âgés,
en h a b its de c o u r, avec p la q u e s e t g ra n d s c o rd o n s, d ix v o i­
tu r e s d ’é q u ip a g e e t se ize ch e v au x des éc u rie s de l ’e m p e ­
r e u r d ’A u tric h e ; m a is, au m ilie u de ce ric h e b u tin q u ’e û t
suivi la p ris e d es fo u rg o n s si n o s g é n é ra u x n e s ’y fu s s e n t
o p p o sé s, s u rv in t u n p e tit d ra m e d o n t n o u s n e p û m e s co n ­
n a ître q u e le p re m ie r ac te .
Un je u n e c a v alier d ’u n e to u r n u r e c h a rm a n te , v êtu avec la
p lu s g ra n d e élégance, m o n té s u r u n cheval re m a rq u a b le m e n t
beau q u ’il m a n ia it avec g râc e e t a d re sse , c h e rc h a it à fuir.
U n h u s s a rd , v o u la n t l’a r r ê te r , re ç o it en p le in e p o itrin e u n
co u p d e p is to le t q u i l ’ab a t. Le g én é ral P ajo l, té m o in de
COMBAT
DE
Z N A 1 M.
— 18(19.
275
c e tte a c tio n , fonce s u r le ca v alier p o u r le sa b re r, m a is u n e
voix c ra in tiv e e t do u ce lu i d e m a n d e g râc e, e t il re c o n n a ît,
d an s ce b rav e e t g en til c h a m p io n , u n e je u n e fe m m e de
d ix -h u it à v in g t a n s, r a v is s a n te de b e a u té , d o n t il fa it sa
p ris o n n iè re .
C ep en d an t, s u r les d eu x h e u re s a p rè s m id i, n o tr e in fa n ­
te rie en leva u n b e a u e t la rg e p la te a u d o m in a n t la v ille,
d ’où n o u s a p e rç û m e s alo rs to u te l’a rm é e e n n e m ie d an s
u n e p o sitio n s u p e rb e , a y a n t u n e a ttitu d e te lle m e n t im p o ­
sa n te q u e n o u s fû m e s c o n tra in ts d ’a tte n d re l ’a rriv é e du
co rp s d ’a rm é e
s o u te n ir.
d u m a ré c h a l M arm ont, d e s tin é à n o u s
Il a rriv a v e rs le s q u a tre h e u r e s , e t le c o m b a t re c o m m e n ç a
a u s s itô t avec le p lu s g ra n d a c h a rn e m e n t. Le 7° H u ssa rd s
e t le 1er C h a sse u rs e n ta m è re n t u n e c h a rg e b rilla n te s u r
u n e lig n e de h u la n s e t de c u ira s s ie rs ; m a is, ra m e n é s à
le u r to u r p a r d es fo rc es im p o s a n te s, le 5° H u ssa rd s et le
11e C h a sse u rs a lla ie n t e n tre r en c h a rg e , lo rsq u e le g é n é ra l,
ju g e a n t ce m o u v e m e n t im p ru d e n t, n o u s a r r ê ta to u t c o u rt.
A lo rs c o m m e n ç a le fe u d es b a tte rie s q u i d u ra p rè s de d eu x
h e u re s e t n o u s fit b e a u c o u p de m al p a r l’o b lig a tio n où
n o u s étio n s de p ro té g e r le s m o u v e m e n ts de l ’in fa n te rie e t
le je u de n o s pièces.
E n p e u d ’in s ta n ts , n o u s eû m e s p lu s ie u rs h u s s a rd s et
ch e v au x tu é s ; u n officier e u t la tê te e m p o rté e p a r u n b o u ­
le t; l ’a d ju d a n t-m a jo r O th e n in , m o n co llèg u e, fu t c o u v e rt
de p ie rre s p a r u n éc la t d ’o b u s qui to m b a à côté de lu i; il
av a it la tê te d a n s u n é ta t affreux, m ais, h e u re u s e m e n t, sa n s
d a n g e r d e m o rt.
Le 111’C h a sse u rs, placé e n a rriè re de n o u s, so u ffrit e n c o re
d av a n ta g e p a r le r ic o c h e t des b o u le ts qui p a s sa ie n t p a r ­
d e s su s n o s têtes.
C ette p o s itio n , b ie n q u e trè s m a u v aise, é ta it in d is p e n ­
216
SOUVENIRS
MILITAIRES.
sab le e t n o u s d û m e s la g a rd e r j u s q u ’au m o m e n t où u n b a ta il­
lo n fu t d élo g e r l ’e n n e m i d ’u n p e tit village to u c h a n t p re s q u e
la v ille. E n fin, le feu c e ssa à la n u it to m b a n te , sa n s av o ir
o b te n u d ’a u tre r é s u lta t q u e d ’a r r ê te r, avec 20 000 h o m m e s
q u e n o u s é tio n s, 60 000 A u tric h ie n s, ta n d is q u e l ’E m p e re u r
fa isa it m a n œ u v re r s u r le u rs d e rriè re s e t a rriv a it à n o u s
avec to u te la G arde im p é ria le , d a n s l’in te n tio n d e liv re r
u n e se co n d e b a ta ille .
S u r les h u it h e u r e s d u so ir, d e u x officiers p a rle m e n ta ire s
a rriv è re n t à n o s a v a n t-p o ste s, p o rte u rs , l ’un d ’u n e le ttre
p o u r l ’E m p e re u r e t l ’a u tre d ’u n e p o u r le d u c d e R aguse, à q ui
le p rin c e C h arles p ro p o s a it u n a rm is tic e ; le m a ré c h a l, p o u r
to u te ré p o n s e , fit d ire q u ’il a tta q u e ra it le le n d e m a in de g ran d
m a tin . E n effet, d ès q u e le jo u r .p a ru t, la cavalerie lé g è re
r e p r it se s p o s itio n s d e là veille e t nos tira ille u rs r e n tr è r e n t
en lig n e .
N ous n o u s a p e rç û m e s q u e l ’e n n e m i s ’é ta it c o n s id é ra b le ­
m e n t re n fo rc é d a n s ses p o sitio n s, ce q u i p o u v a it fa ire p r é ­
s u m e r s o n in te n tio n d ’a c c e p te r le c o m b a t : il av a it sa d ro ite
a p p u y é e à la ville de Z naïm , la g au c h e, p rè s d ’u n village,
p ro tég é e p a r u n ravin la rg e e t p ro fo n d e t p a r d es b o is q u i
lu i a s s u ra ie n t u n e tra n q u ille re tra ite , du m o in s il le c ro y a it
a in s i; m a is N apoléon a v a it d éjà to u t p ré v u : p lu s ie u rs c o rp s
to u rn a ie n t l ’e n n e m i p a r u n c irc u it é te n d u , c ’e s t p o u rq u o i
l’a tta q u e de la veille av a it été to u t à co u p su sp e n d u e .
Le 11, l’E m p e re u r a rriv a à m id i avec to u te la G arde, u n e
fo rte d iv isio n d ’in fa n te rie e t p lu s ie u rs b a tte rie s ; n o u s le
r e ç û m e s p a r les p lu s vives ac c la m a tio n s lo r s q u ’il p a rc o u ­
r u t le fro n t de n o s p o ste s m alg ré le feu in c e ssa n t de l ’a r til­
le rie en n e m ie , ce qui n e l'e m p ê c h a p o in t d ’é tu d ie r froidem e n tla p o s itio n e t de faire des d isp o sitio n s d ’a tta q u e q ui ne
la issa ie n t au c u n d o u te s u r l ’in te n tio n q u ’il av a it de liv re r
le le n d e m a in u n e b ataille décisiv e.
ARMISTICE
DE
ZNAIM.
— 18 0 9 .
Il d é fe n d it au x tro u p e s de tro p s ’en g a g er, v o u la n t a v a n t
to u t s ’e m p a re r de to u te s les h a u te u rs d o m in a n t la ville, ce
q u i fu t ex écu té en p eu d ’in s ta n ts .
L es m a n œ u v re s de l’E m p e re u r fu re n t te rm in é e s d a n s la
jo u r n é e avec u n e te lle p ré c isio n q u e le c o rp s d ’a rm é e du
m a ré c h a l D avout e t c e lu i de M asséna av a ie n t c o m p lè te ­
m e n t to u rn é la p o sitio n de l ’a rc h id u c C h a rles, qui n ’avait
p lu s d ’a u tre s re s s o u rc e s q u e do m e ttre b as les a rm e s ou
d ’a c c e p te r le c o m b a t avec les c h a n c e s le s p lu s d éfavo­
ra b le s.
Le feu de n o s b a tte rie s c o m m e n ç a avec vio len ce, ta n d is
q u e n o s tro u p e s s’é b ra n la ie n t en m a sse s u r u n fro n t é te n d u ,
p ro té g é e s p a r le s m o u v e m e n ts de la cav alerie lé g è re du
g é n é ra l M o n tb ru n q u i a v a it reç u l ’o rd re de fra n c h ir le
rav in s é p a r a n t le s d e u x a rm é e s e t de c h a rg e r s u r u n e b a t­
te rie d e do u ze p iè c e s q u ’il fallait e n le v e r. T o u te s ces d isp o ­
sitio n s s ’e x é c u ta ie n t avec u n o rd re p a rfa it, co m m e s u r un
c h a m p d e m a n œ u v re s, lo r s q u ’u n p a rle m e n ta ire a rriv a p rè s
de l ’E m p e re u r, avec d es p ro p o sitio n s de paix e t d ’u n a rm i­
stic e p ro v iso ire.
A u ssitô t, c o m m e p a r e n c h a n te m e n t, le fe u c e ssa s u r
to u te la ligne, c h a c u n r e n tr a d an s sa p o sitio n re sp e c tiv e et
les p o u rp a rle rs c o m m e n c è re n t. Le 'p rin c e de N eu c h âte l
v in t à n o s p o ste s av a n cé s où il re s ta d e u x h e u re s, ta n d is
q u e le g én é ral M ontbrun e t le p rin c e de L ic h ste n s te in a r r ê ­
ta ie n t d es c o n v e n tio n s p ré p a ra to ire s . Le so ir, les deu x
a rm é e s fire n t ch a c u n e u n m o u v e m e n t ré tro g ra d e , n o tre
biv o u ac fu t placé le lo n g d ’u n b o is, sa n s fo u rrag e s ni au c u n
m o y e n de s ’en p ro c u re r.
L’E m p e re u r é ta b lit so n q u a rtie r g én é ral s u r le p la te a u
en levé le m a tin , e n to u ré de sa g ard e e t de l’a rtille rie to u te
p rê te à a g ir a u p r e m ie r m o m e n t; enfin, p lu s d e 100000 c o m ­
b a tta n ts é ta ie n t en p ré se n c e s u r u n te rra in de deux lie u e s ;
27S
SOUVENIRS MILITAIRES.
u n e p e n s é e , u n m o t, u n g este p o u v a it les m e ttre au x
p ris e s e t faire c o u le r d e s flots de sa n g .
Le 12, n o u s a p p rîm e s , d an s la m a tin é e , q u ’i l y a v a itu n a r ­
m istic e d ’u n m o is e t q u e l’a rm é e a u tric h ie n n e é v a c u e ra it
s u r-le -c h a m p la ville de P re s b o u rg e t la citadelle de
G ratz, le T y ro l, le V o ra rlb e rg e t le fo rt de S a c h s e n b u rg et
le c e rcle de B rü n n .
A cin q h e u re s , la b rig a d e re ç u t l ’o rd re de se d irig e r s u r
B rü n n . Le le n d e m a in , c o n tin u a n t n o tr e m o u v e m e n t, n o u s
tro u v â m e s , e n a v a n t d e la p e tite ville de R e ig e rn , d es p o ste s
a u tric h ie n s n u lle m e n t in s tr u its d es é v é n e m e n ts q u i v e ­
n a ie n t d e se p a s s e r e t d es c o n v e n tio n s faites e n tre le s deux
so u v e ra in s, p a ra is s a n t n o n se u le m e n t p e u d isp o sé s à n o u s
la is s e r c o n tin u e r n o tr e m a rc h e , m a is m ê m e to u t p r ê ts à
ag ir c o n tre n o u s , d a n s la p e rs u a s io n q u e, N apoléon a y a n t
été b a ttu , n o u s é tio n s u n c o rp s égaré. L e g é n é ra l P ajo l
v o y a n t q u ’il n e ne p o u v a it d é tro m p e r le g é n é ra l a u tric h ie n
m a lg ré l'a s s u ra n c e fo rm e lle q u ’il lu i d o n n a it de l ’a rm istic e
co n c lu , lu i fit d ire p a r le c a p ita in e V érig n y , so n aide de
ca m p , q u ’il le re n d a it re sp o n sa b le des é v é n e m e n ts et
q u ’a y a n t re ç u l ’o rd re d ’o c c u p e r B rü n n su r-le -c h a m p , il
allait se m e ttr e en m e s u re de l ’e x é c u te r ; en c o n sé q u e n c e ,
le 3e H u ssa rd s, fo rm a n t tê te de co lo n n e, se m it e n m e s u re
d ’a tta q u e r, ta n d is q u e le 7° e t le 11° C h a sse u rs to u r ­
n a ie n t la v ille.
Le g é n é ra l a u tric h ie n d e m a n d a d eu x h e u re s , d a n s l’e s­
p o ir de sav o ir q u e lq u e 'c h o se de p o s itif p a r le re to u r d ’u n
officier q u ’il avait en voyé : il lu i fu t a c co rd é u n q u a r t
d ’h e u re , et, déjà, n o s tira ille u rs v e n a ie n t de c o m m e n c e r
l ’a tta q u e , lo rsq u e n o u s vîm es le s A u tric h ie n s se r e tir e r san s
offrir a u c u n e ré sis ta n c e . Ils v e n a ie n t p ro b a b le m e n t de co n ­
n a ître l’e x a c titu d e des faits, e t n o u s le s su iv îm es de telle
m a n iè re e t à si p e u de d ista n c e q u e n o u s e n trâ m e s d a n s la
OFFICIER
DE
LA L ÉGI ON.
— 18 0 9 .
279
ville de B rü n n a v a n t q u ’ils l’e u s s e n t c o m p lè te m e n t év a cu é e.
D eux jo u r s a p rè s, l’in fa n te rie d u m a ré c h a l D avout v in t s ’y
é ta b lir, e t la d iv isio n de cavalerie lé g ère p r it ses q u a rtie rs
en av a n t, d a n s les e n v iro n s. Le 25, je re ç u s l ’o rd re de
p r e n d r e le c o m m a n d e m e n t de la lig n e d ’o b se rv a tio n en face
des A u tric h ie n s avec 100 c h e v au x , ta n d is q u e le 5° H u ssa rd s
a lla it s ’é ta b lir à A uspitz e t au x e n v iro n s.
Le 26, le colo n el D ery m e fit p a rv e n ir m o n b re v e t d ’offi­
c ie r d e la L égion d ’h o n n e u r, avec u n e le ttr e d u p rin c e de
N eu c b âte l ain si c o n ç u e :
« A M . d ' E s p i n c h a l ( H i p p o l y t e ), c a p i t a i n e a u 5 ° H u s s a r d s .
« J ’ai l’h o n n e u r de v o u s p ré v e n ir q u e S. M. l’E m p e re u r
e t Roi, s a tis fa it de v o tre c o n d u ite à la b ataille d u 6, vous a
n o m m é officier de la L égion d ’h o n n e u r e t q u ’il v o u s a h o n o ­
ra b le m e n t cité à l ’o rd re de l ’A rm ée.
« C ette fla tte u se ré c o m p e n se v o u s e st si ju s te m e n t ac­
q u ise q u e je p ro fite de c e tte c irc o n sta n c e p o u r vous en
té m o ig n e r m a sa tisfa c tio n ain si que des se n tim e n ts d is tin ­
g u és avec le sq u e ls j ’ai l ’h o n n e u r de v o u s sa lu e r.
« Le
p r in c e d e
N euch atel. »
D eux jo u r s a p rè s , le g én é ral M o n tb ru n , to u jo u rs b o n et
o b lig e a n t p o u r m oi, p e n s a n t c o m b ie n d e v a it ê tre g ra n d e
m o n in q u ié tu d e s u r le s o r t de m o n frè re , m e fit re le v e r
s u r la lig n e e t m ’en voya à V ienne p o r te u r de d ép ê ch e s, avec
l ’a u to risa tio n d ’y r e s te r ju s q u ’à n o u v e l o rd re .
Je tro u v a i m o n frè re d a n s u n village assez p rè s de la
ca p ita le , m a rc h a n t à l’aide de b é q u ille s ; le b o u le t, en tu a n t
so n ch ev al, lu i av a it effleu ré le m o lle t sa n s a tta q u e r les
n e rfs, ce q u i n e p ré se n ta it a u c u n d an g e r, m a is p o u v a it
280
SOUVENIRS
MILITAIRES.
c e p e n d a n t ê tre lo n g à g u é r ir ; je le fis tr a n s p o r te r à V ienne
afin d ’y re c e v o ir d e s so in s p lu s actifs q u ’à l ’a m b u la n c e
d ’u n v illag e.
Mon a p p a ritio n chez la b a ro n n e de Z oès fu t u n v é rita b le
co u p de th é â tr e . E lle m e c ro y a it si bien m o r t q u ’elle faisait
d e p u is q u e lq u e s jo u r s d es d é m a rc h e s p o u r sa v o ir o ù é ta it
m o n f rè re , n e v o u la n t p o in t e n v o y e r à m o n p è re ce d o n t
elle é ta it c h a rg é e a v a n t de l’a v o ir v u ; sa jo ie f u t d ’a u ta n t
p lu s v iv e q u e c e tte d ig n e e t re sp e c ta b le fem m e c ro y a it n e
p o u v o ir d o u te r de c e tte fata le n o u v e lle ; au m o m e n t où je
to m b a is so u s m o n ch e v al, u n de m e s p a re n ts , officier au
5° H u ssa rd s (le je u n e R o b e rt de C onandre), a y a n t été b le ssé
p r è s d e m o i, a v a it été tr a n s p o r té s u r le s d e rriè re s , p u is à
V ien n e ; il a v a it ré p a n d u le b r u it de m a m o r t à la q u e lle m a
b o n n e h ô te s s e c ro y a it d ’a u ta n t m ie u x d e v o ir a jo u te r foi,
q u ’a y a n t été v o ir m o n ca m a ra d e , c e lu i-c i lu i av a it confirm é
ce tte tr is te v érité.
P e u de jo u r s a p rè s n o tr e a rriv é e à V ienne, m o n frè re se
fit co n d u ire à S c h œ n b rü n n au m o m e n t o ù l’E m p e re u r allait
p a s s e r u n e re v u e de la G arde. 11 é ta it ap p u y é c o n tre u n e
b a lu s tra d e en d e h o rs d u p a la is, lo rs q u e N ap o léo n , a p e rc e ­
v a n t u n o fficier so u te n u p a r d e u x b é q u ille s, s ’a p p ro c h a
en s ’in fo rm a n t avec in té rê t de sa b le s s u re e t lu i a c co rd a
a u s s itô t la cro ix . Mon frè re , e n h a rd i p a r ta n t de b ie n v e il­
la n c e , d e m a n d a l ’a u to risa tio n de p o r te r l’o rd re du M érite
m ilita ire de B avière q u e le ro i lu i av ait d o n n é à A ugsb o u rg ,
ce q u i fu t a c c o rd é s u r-le -c h a m p . « S ire, a jo u ta -t-il, en
re m e rc ia n t h u m b le m e n t V otre M ajesté, j ’ai u n e a u tre fav e u r
à lu i d e m a n d e r; c ’e s t la ra d ia tio n définitive de m o n p è re
co m p ris s u r u n e lis te d ’é m ig ré s m a in te n u s d an s la p ro s c rip ­
tio n . »
L ’E m p e re u r, d ’ab o rd s u rp ris de c e tte p e rsis ta n c e à s o lli­
c ite r, é c o u ta avec a tte n tio n e t b o n té en se ra p p e la n t to u t
SÉJOUR
A VIENNE.
— 1 80 9 .
281
à co u p q u e m on frè re é ta it officier des G en d arm es d ’o r­
d o n n a n c e d a n s la ca m p a g n e de T ilsit. « O ui, c e rte s , je vous
a c co rd e ce q u e v o u s d e m a n d e z » , d it-il, e t s e to u r n a n t vers
le p rin c e de N eu ch âtel il lu i p re s c riv it d ’en faire e x p é d ie r
im m é d ia te m e n t so n d é c re t im p é ria l, ce q u i f u t e x é c u té
avec u n e te lle c é lé rité q u e m o n p è re r e ç u t c e tte n o u v e lle
o ffic ie lle m en t a v a n t le s le ttr e s q u e n o u s lu i é c riv îm e s ce
m ô m e jo u r.
Ce p e tit ép iso d e fit u n e c e rta in e s e n sa tio n ; o n s ’en
e n tr e tin t au q u a r tie r g é n é ra l et à V ien n e ; p lu s ta rd il fut
r é p é té d a n s le J o u r n a l d e l ’E m p i r e avec des a c ce sso ires
on n e p e u t p lu s fla tte u rs, m ais to u t à fait in e x a c ts.
A m on père.
« Vienne, 4 août 1809.
« C’e st r é u n is d an s u n a p p a rte m e n t d e s p lu s co n fo r­
ta b le s , m o n frè re e t m oi, q u e n o u s v o u s éc riv o n s en p e r ­
so n n e afin d e v o u s r a s s u r e r c o m p lè te m e n t s u r n o tre so rt.
H en ri v o u s d o n n e ra lu i-m ê m e d e s d étails s u r ce q u i le
c o n c ern e. Sa ja m b e , q u elq u e p e u m u tilé e , vous p ro u v e ra
q u ’il n ’e s t p a s h e u re u x au je u de la g u e rre , ca r les tro is
c o u p s d e sa b re re ç u s d ès le d é b u t de c e tte ca m p a g n e
a u r a ie n t d û p a ra ître su ffisa n ts; il d o it en c o re c e tte
fois-ci u n b ea u cierg e à so n p a tro n , si c ’e s t lu i q u i l’a
p ré se rv é d es m a u v aises in te n tio n s de ce m a le n c o n tre u x
b o u le t.
« Qui sa it o ù d o iv e n t n o u s c o n d u ire le s v ic to ire s su c ­
ce ssiv e s q u e n o u s avons re m p o rté e s ; ca r si l ’E m p e re u r
co n tin u e de n o u s m e n e r ain si, il n o u s fa u d ra p eu de
te m p s p o u r p a rc o u rir l ’E uro p e. Le se co n d ac te de cette
g u e rre v ie n t de se te rm in e r avec u n e te lle ra p id ité q u ’à
282
SOUVENIRS
MILITAIRES.
p e in e a v o n s -n o u s e u le lo is ir d ’y p e n s e r, to u t cela, en
m o in s de h u it jo u r s ; c ’e s t le cas de d ire c o m m e c e rta in e
p rin c e s s e : c o u r t e e t b o n n e .
« Mon jo u r n a l c i- jo in t v o u s fe ra c o n n a ître le s d étails
d e c e tte é to n n a n te ca m p a g n e e t v o u s p ro u v e ra to u t ce
q u ’o n p e u t a tte n d r e des tr o u p e s fra n ç a ise s c o n d u ite s
p a r le g én ie. A ussi d o it-o n p e n s e r q u e l ’A u tric h e ne
b a la n c e ra p a s à tr a n s f o r m e r le c o u rt a rm istic e q u i d o it
a v o ir lie u , en u n e b elle e t b o n n e paix, p lu s d u ra b le q u e la
d e rn iè re .
« D ans to u s le s cas, n o u s so m m e s to u jo u r s p rê ts et je ne
se ra is p a s fâché p o u r m a p a r t q u e n o u s c o n tin u a s s io n s
e n c o re q u e lq u e te m p s u n je u d o n t je m e tire assez b ie n .
C ette cro ix d ’or, q u e je dois au m a u v a is c a ra c tè re de m on
ch e v al, e s t u n v é h ic u le q u i m e d o n n e de l ’a p p é tit, c a r ce
n ’e s t q u ’au m ilie u d es p é ta ra d e s g u e rriè re s q u e l ’o n p e u t
p a rv e n ir p r o m p te m e n t au b u t q u e je v o u d ra is a tte in d re . En
a tte n d a n t, m e v oici de r e to u r à V ien n e , jo u is s a n t d é lic ie u ­
se m e n t d u b o n h e u r d ’être p rè s de m o n frè re , e t m e liv ra n t
a u p la is ir avec la m ê m e a r d e u r q u e j ’en m e ts à re m p lir
m e s d ev o irs.
« Je p o u r ra is à c e t ég a rd faire a u s si u n jo u r n a l q u i s e r­
v ira it à l ’é d u c a tio n de la je u n e s s e , n ’é ta it la c ra in te do
p o r te r tro p de sc a n d a le à la sé v é rité de vos m œ u rs.
« J ’ai é té vo ir h ie r le p rin c e E u g èn e , q u e je n ’avais
e n tre v u q u ’u n m o m e n t, l ’a v a n t-v eille de n o tre e n tré e d a n s
l ’île de L o b au. Sa r é c e p tio n a été d ’a u ta n t p lu s g rac ieu se
q u ’il a d aig n é se ra p p e le r n o tre lia iso n d ’e n fa n ce e t j ’y ai
ré p o n d u a in si q u e l ’ex ig en t a u jo u rd ’h u i n o s p o sitio n s
re sp e c tiv e s, ce q u ’avec so n ta c t a d m ira b le il a u ra b ie n
c e r ta in e m e n t a p p ré c ié si j ’en d o is ju g e r p a r l ’affectatio n
q u ’il m e tta it à m e tr a ite r f a m iliè re m e n t; il m ’a tém o ig n é
s u r to u t la sa tisfa c tio n q u ’il av a it é p ro u v é e en v o y a n t m o n
SÉJOUR
A VIENNE.
-
1809.
283
n o m cité à l’o rd re de l ’a rm é e e t la ré c o m p e n se d o n t j ’avais
été h o n o ré . Sa so llic itu d e s u r l’é ta t de m o n frè re é ta it
v ra im e n t to u c h a n te : au ssi l ’ai-je q u itté p é n é tré de re c o n ­
n a is sa n c e , m e p ro m e tta n t d ’u s e r q u e lq u e fo is de l’e m p re s ­
s e m e n t q u ’il a m is à m ’e n g a g e r à v e n ir d é je u n e r chez
lu i le m a tin . J e vois b e a u c o u p B o n d y e t C anisy, l ’u n c h a m ­
b e lla n e t l ’a u tre é c u y e r de l ’E m p e re u r. Le p rin c e de
N eu c h âte l chez qui je m e su is p ré s e n té m ’a fa it le m e ille u r
a c cu e il ; ce p e n d a n t, u n p e tit d é b o ire e s t v e n u tro u b le r ta n t
de sa tisfa c tio n .
« P ré s e n té p a r le g é n é ra l P iré co m m e c h e f d ’e sc a d ro n
au 16° de C h a sse u rs, l ’E m p e re u r a r é p o n d u q u e j ’avais été
assez b rilla m m e n t ré c o m p e n sé p o u r a tte n d r e u n e a u tre
o ccasio n . Ce p e tit éc h ec à m o n a m b itio n m ’a affecté u n
m o m e n t, m ais j ’e s p è re le r é p a re r av an t p e u , si D ieu m e
p r ê te vie.
« V ien n e e s t en ce m o m e n t u n s é jo u r de p la is ir s e t de
fête s. La v ic to ire se m b le n o u s av o ir fait o u v rir to u te s les
p o rte s d e s p alais, e t si les b e a u té s q u ’ils r e n fe rm e n t n ’o n t
p a s u n e s y m p a th ie tr è s r o b u s te p o u r le s c o n q u é ra n ts ,
l ’illu s io n e s t te lle m e n t co m p lète q u e n o u s p o u v o n s n o u s
en c o n te n te r.
« J ’ai a s sis té , il y a tro is jo u r s , à u n e m a g n ifiq u e so iré e
chez la p rin c e sse P o to c k a ; c e tte b elle P o lo n aise, p a s sio n n é e
p o u r les F ra n ç a is, a v a it ré u n i chez elle p lu s de 300 p e r ­
so n n e s ; l ’élég ance d es to ile tte s , la g ra c ie u se té d es fem m es,
la so m p tu o sité d u local, le luxe des d é c o rs e t u n e m u siq u e
e n tra în a n te d o n n a ie n t u n e an im a tio n difficile à d é c rire à
ce tte fête q ui ne s ’e s t te rm in é e q u ’à c in q h e u re s d u m a lin .
P lu s ie u rs a u tre s so iré e s s o n t a n n o n c é e s, d a n s le s q u e lle s ,
ain si q u e v o u s devez le p e n s e r, je dois p re n d re m a
b o n n e p a rt. J e v o u s jo in s ici u n é ta t ex a ct e t te x tu e l d es
p e rte s faites p a r les A u trich ien s, le s 5 e t 6 ju ille t, que m ’a
SOUVENIRS
284
MILITAIRES.
d o n n é le co lonel L e je u n e , aide de cam p d u p rin c e de
N e u c h â te l :
TU ÉS.
G énéraux . .
4
O fficiers. . . 120
S o l d a is . . ' . 5 5 0 7
.
BLESSÉS.
G én éraux. .
12
O fficiers . .
616
S old ats. . . 17490
P R IS O N N IE R S .
O fficiers . .
S o ld a ts. . .
511
7474
PE R T E TOTALE.
G énéraux
O fficiers
Sold ats .
17
\ 243
30 471
C h evau x. . . .
5600
« S u r ce, m o n p è re , je v o u s e m b ra s s e d u p lu s p ro fo n d
de m o n cœ u r. »
Mon s é jo u r à V ien n e n e fu t p as a u ssi lo n g q u e j e l ’e s p é r a is ,
le co lo n el m ’a y a n t é c rit de p a s s e r l ’in sp e c tio n de 200 h u s ­
s a rd s e t 300 ch evaux, q u i a rriv a ie n t d u g ran d d é p ô t de
N am u r, e t m ’o rd o n n a n t de les c o n d u ire à A uspitz p o u r en
faire la ré p a rtitio n d an s le s c o m p ag n ie s. Ce re n fo rt, si im p a ­
tie m m e n t a tte n d u , p o r ta l ’effectif du ré g im e n t à 860 h u s ­
sa rd s , n o n c o m p ris les b le s s é s q u i re n tr a ie n t jo u rn e lle m e n t.
C ette ép o q u e f u t a u s s i c e lle de la fête de l’E m p e re u r,
q u e l ’a rm é e c é lé b ra it to u jo u r s avec a u ta n t de m agnifificence q u e d ’e n tra în e m e n t, et, à c e t effet, le g é n é ra l M ont­
b ru n , d o n t le q u a r tie r g én é ral é ta it à A u ste rlitz , p re sc riv it
à to u s le s chefs de c o rp s de s ’y r e n d re , a c co m p ag n é s d ’u n
officier de c h a q u e g rad e , q u a tre sous-o fficiers e t h u it so l­
d ats, to u s d é c o ré s, d ésig n és p o u r fa ire p a rtie de la re p ré ­
se n ta tio n d u 5° H u ssa rd s. Ce n e fut, p e n d a n t d e u x jo u r s ,
q u e b o m b a n ce et fête s, tir à la cib le, m â t de cocagne,
c o u rse s à pied e t à ch e v al, pugilaj* enfin to u s le s a m u s e ­
m e n ts a n a lo g u e s au x c irc o n sla c e n s et à la lo c alité.
Les officiers fu re n t in v ité s à u n b a n q u e t v ra im e n t sp le n ­
DINER
A AUSTERLÏÏZ.
— 1809.
285
d id e, p ré s id é p a r le g é n é ra l de div isio n et d o n t la c o m te sse
d e M o n tb ru n , v en u e de P a ris d e p u is q u e lq u e s jo u r s , fit les
h o n n e u rs , avec a u ta n t de g râc e q u e d ’a m a b ilité . Mais u n
des o rn e m e n ts les p lu s re m a rq u a b le s de c e tte fête fu t la
p ré se n c e d u p è re d u g é n é ra l, q u i av a it a b a n d o n n é m o m e n ­
ta n é m e n t la c u ltu re de ses c h a m p s p o u r v e n ir jo u ir de la
g lo ire e t d e s h o n n e u rs d o n t so n fils é ta it si ju s te m e n t
e n to u ré . La belle figure de ce v é n é ra b le v ie illa rd a v a it u n e
e x p re ssio n de b o n h e u r qui a ttira it to u s les re g a rd s et
in s p ira it u n tel re s p e c t q u ’il n ’é ta it pas u n de n o u s , m a l­
g ré n o s m a n iè re s é to u rd ie s e t é v a p o rées, q u i n ’e û t a m b i­
tio n n é le b o n h e u r de re c e v o ir sa b é n é d ic tio n . Mais, au
m o m e n t o ù le s n o m b re u x convives se le v è re n t p o u r lui
p o r te r u n to a s t e t lu i e x p rim e r le b o n h e u r q u e n o u s
ép ro u v io n s de le v o ir au m ilie u de n o u s, l’érn o tio n de ce
dig n e e t re sp e c ta b le p è re fu t si vive q u ’il re to m b a s u r sa
ch a ise , le s y e u x re m p lis de la rm e s ; a lo rs, so n fils, p o u r
faire c e s s e r c e lte sc è n e a tte n d ris s a n te , p o rta la s a n té de
l’E m p e re u r, q u i fu t ac co m p ag n é e de la d é c h a rg e de to u te s
les p iè ce s d ’a r tille rie de la d iv isio n e t su iv ie d ’u n m a g n i­
fique feu d ’artifice.
Le s u rle n d e m a in de ce tte b elle jo u rn é e , je re ç u s l ’o rd re
d u g é n é ra l de p a rc o u rir la lig n e de n os a v a n t-p o ste s, e t de
m e r e n d re p rè s d u g é n é ra l a u tric h ie n H ard ey , afin de lui
d e m a n d e r c o m p te des d é m o n s tra tio n s h o stile s de ses
tro u p e s . J ’e n fu s re ç u avec to u te s so rte s de p ré v e n a n c e s;
il d o n n a p lu s ie u rs p ré te x te s au x m o u v e m e n ts* q u ’il av ait
o rd o n n é s , m a is, en défin itiv e, ac q u ie sç a à to u te s les
o b se rv a tio n s q u e j'é ta is ch a rg é de lu i fa ire , c o n fo rm é m e n t
au x c o n v e n tio n s de l ’a rm istic e .
J ’ac c e p ta i so n so u p e r q u ’il m e fit p a rta g e r avec sa c h a r­
m a n te é p o u se , et je le q u itta i à m in u it, m a lg ré to u te s ses
in sta n c e s p o u r m e g a rd e r j u s q u ’au jo u r.
286
SOUVENIRS
MILITAIRES.
U ne esc o rte d e 'd ix h u s s a rd s h o n g ro is m e fu t d o n n ée j u s ­
q u ’aux a v a n t-p o ste s fra n ça is, d ’où je m e d irig e ai s u r le q u a r ­
tie r d u g é n é ra l M o n tb ru n p o u r lu i r e n d re c o m p te de m a
m issio n .
P e u d e jo u r s a p rè s, le s c o n fé re n c e s d ip lo m a tiq u e s se m ­
b lè re n t fa ire p ré ju g e r la p ro c h a in e ru p tu re de l ’a rm istic e :
les tro u p e s se c o n c e n trè re n t e t to u t p o rta it à c ro ire q u ’u n e
n o u v e lle lu tte a lla it s ’en g a g er, lo rs q u e la d iv isio n r e ç u t
l’o rd re de se p o rte r p rè s de la ville de G œ tting p o u r y p a s ­
se r la re v u e de l’E m p e re u r.
L ’a rriv é e de N apoléon a u m ilie u de n o u s p ro d u is it u n
e n th o u s ia s m e difficile à d é c rire , s u r to u t lo r s q u ’il re n o u ­
v ela sa sa tisfa c tio n s u r la b rilla n te c o n d u ite de la division
d a n s le s jo u r n é e s des 5 e t 6 ju ille t.'Il p a ssa d an s n o s ra n g s,
a c c o rd a n t n o m b re de ré c o m p e n se s. E n a rriv a n t au ré g i­
m e n t, il a p e rç u t u n m a ré ch a l d e s lo g is de la co m p ag n ie
d ’é lite d é c o ré , à la m o u sta c h e g rise et d o n t le b ra s é ta it
o rn é d e p lu s ie u rs c h e v ro n s : « Il y a lo n g te m p s q u e tu s e rs ?
lu i d it l ’E m p e re u r. — Je su is de la p re m iè re ré q u is itio n et
j ’ai fait to u te s les c a m p a g n es avec v o u s, m o n e m p e re u r. »
L ’E m p e re u r le r e g a rd a avec a tte n tio n p e n d a n t q u e lq u e s
in s ta n ts : « T u as é té d éc o ré a u c o m b a t de S ch le itz ?
— Mon e m p e re u r, in te r ro m p it le m a ré c h a l des lo g is, s u f­
fo q u é d e jo ie , jpour l'affaire de la re d o u te , vous savez b ie n ?
M ô m e m e n tq u e le p rin c e M urât v o u la it e n tre r-a v a n t m oi et
q u e je lu i en ai sau v é d ’u n e b elle. » L ’E m p e re u r so u rit :
« Oui, c’e st v rai, m ais tu sais b ie n a u ssi p o u rq u o i tu n ’es p as
officier? » Le p a u v re m a ré ch a l d es lo g is b a issa la tête.
« V o y o n s, a jo u ta l ’E m p e re u r avec b o n té , m e p ro m o ts -tu de
re n o n c e r à la b o u te ille ? — Foi de h u ssa rd , m on e m p e re u r,
je n e v o u s ferai p lu s de p e in e , c’e s t fini à p a rtir d ’a u jo u r­
d ’h u i, dit-il en se fra p p a n t la p o itrin e . — A llons, je te cro is
s u r p a ro le e t je te fais s o u s -lie u te n a n t. » D eux g ro sse s
REVUE
DE
L ’E M P E R E U R .
—
18 09 .
287
la rm e s to m b a n t s u r ce tte v ieille m o u s ta c h e fu re n t la
ré p o n s e de ce brav e m ilita ire .
P lu s ie u rs a u tre s n o m in a tio n s e u r e n t lie u et la d e rn iè re
fu t celle d u c h e f d ’e s c a d ro n M enziau, d u 11° C h a sse u rs,
n o m m é co lo n el au 5° H u ssa rd s, en re m p la c e m e n t de n o tre
b rav e e t d ig n e c h e f fait g é n é ra l.
L ’E m p e re u r en q u itta n t le ré g im e n t fit u n sig n e de la
m a in en d is a n t : « A dieu, m e s p e lisse s b la n c h e s, à b ie n ­
tô t ! » A lors, d e fré n é tiq u e s a c c la m a tio n s et d es cris de : Vive
l ’E m p e re u r ! l ’a c c o m p a g n è re n t lo n g te m p s.
L a ré c o m p e n s e ju s te m e n t m é rité e q u e v e n a it d ’o b te n ir
le c o lo n el D ery p ro d u is it u n e d o u lo u re u se im p re ssio n d an s
le ré g im e n t d o n t il é ta it aim é e t chéri. En m o n p a rtic u lie r,
j e re g re tta is en lu i n o n se u le m e n t u n b o n chef, m a is u n
am i v é rita b le q u i n ’av a it ja m a is cessé de m e d o n n e r d es
p re u v e s d ’u n e affection sin c è re . Le so ir, il m e m o n tra u n e
le ttr e d u ro i de N aples q u i le n o m m a it son p re m ie r aide
de c a m p e t c o m m a n d a n t g é n é ra l de la c a v alerie lé g è re de
sa g ard e . Sa M ajesté lu i m a n d a it a u ssi q u e, si la p aix se
faisait, il a c c u e ille ra it avec p la isir le s officiers de cavalerie
qui v o u d ra ie n t p a s s e r à so n service, q u ’il en avait l’a u to ri­
sa tio n d e l ’E m p e re u r e t q u ’u n g rad e s u p é rie u r le u r se ra it
a c co rd é d a n s sa g ard e . Le g é n é ra l D ery m e p ro p o sa d ’e n ­
tr e r c h e f d ’e s c a d ro n d an s les h u s s a rd s de la G arde avec la
p ro m e ss e d ’un a v a n c e m e n t ra p id e , ce d o n t je n e pou v ais
d o u te r; m ais, b ie n que c e tte offre fû t assez sé d u isa n te et
q u ’e lle offrît à m o n a m o u r-p ro p re la sa tisfa c tio n de rev e­
n ir avec des h o n n e u rs e t d e s d istin c tio n s d an s c e tte m êm e
ville où n ag u è re on m ’av a it c o n n u p a u v re exilé, je ne p u s
m e d é te rm in e r à q u itte r le service de F ra n ce .
J e re m e rc ia i d o n c m o n b rav e co lo n el de c e tte n o u v elle
m a rq u e de b ie n v e illa n c e et, p e u de jo u r s a p rè s, j ’e u s le c h a ­
g rin de m e S ép are r de lu i en le v o y a n t p a r tir p o u r N aples.
288
SOUVENIRS
MILITAIRES.
Q u atre jo u r s a p rè s la re v u e de l’Iim p e re u r, n o u s a p ­
p rîm e s avec effroi e t in d ig n a tio n q u ’o n av ait te n té de l ’a s ­
s a s s in e r a u m o m e n t où il a lla it p a s s e r la re v u e de la
G arde : to u s les d é ta ils o n t é té tro p s o u v e n t re p ro d u its
p o u r q u e je les ra p p e lle . P e u a p rè s c e t é v é n e m e n t, l ’A u­
tric h e a y a n t ac ce p té les c o n d itio n s q u i lu i é ta ie n t im p o ­
sées, N apoléon q u itta S c h œ n b ru n n p o u r re to u r n e r à P a r is .
Le 16 n o v e m b re de n o m b re u s e s sa lv es d ’a r tille r ie a n n o n ­
c è re n t q u e la p aix é ta it d éfin itiv em en t sig n ée, e t l’a rm é e
fu t p ré v e n u e q u e l ’é v a c u a tio n de l ’A u tric h e a lla it s ’en ­
s u iv re . L a c a v a le rie lé g è re d u m a ré c h a l D avout é ta n t
c h a rg é e d e fe r m e r la m a rc h e de l’a rm é e , n o u s q u ittâ m e s
n o s c a n to n n e m e n ts de la M oravie p o u r n o u s ra p p ro c h e r
d e la ca p ita le e t en p ro té g e r la tr a n q u ille évacu atio n .
U ne fièvre assez v io le n te m e p r it en a rriv a n t au v illage de
P itz la c h où. n o u s dev io n s r e s te r q u e lq u e s jo u r s ; elle fu t p ro ­
vo q u ée p a r u n ab c è s su rv e n u à la cu isse d ro ite , o ù j ’avais
nég ligé la b le ssu re re ç u e à W a g ra m . D epuis q u e lq u e
te m p s je r e s s e n ta is p a rfo is d es d o u le u rs a ig u ë s q u e j ’a t tr i­
b u a is à la fatigue, m ais, v ain cu p a r le m al, le c h iru rg ie n m a jo r d u ré g im e n t, c ra ig n a n t u n é p a n c h e m e n t, av ait c ru
n é c e s s a ire d e fa ire u n e p ro fo n d e in c isio n p o u r a r r ê te r le
m al.
J ’é ta is d an s ce tte tr is te p o sitio n lo rsq u e le g én é ral M ontb ru n , tra v e rs a n t n o tr e village e t a p p re n a n t m o n in fo rtu n e ,
e u t la b o n té de v e n ir m e voir e t m ’a u to ris a à a lle r à V ienne
p o u r y r e s te r j u s q u ’à so n év a c u a tio n , e s p é ra n t que j ’a u ra is
le te m p s de m e g u é rir.
Je m ’y re n d is a u s sitô t, b ie n
c e rta in d ’y re c e v o ir avec e m p re s s e m e n t des so in s de c e tte
e x c ellen te b a ro n n e de Z o ès; m a is, m a lh e u re u s e m e n t, elle
a v a it q u itté la ville d ep u is q u e lq u e s jo u r s , e t il y av a it un
tel e n c o m b re m e n t q u e je p a rv in s, n o n sa n s peine, à o b te n ir
un gîte d a n s u n fau b o u rg chez le co m te de H ardegg, p è re
MALADIE
A VIENNE.
-
180 9.
289
d u g én é ral chez le q u e l j ’avais été envoyé en m issio n au x
a v a n t-p o ste s. C ette h e u re u s e c irc o n sta n c e ne c o n trib u a
p as p eu au b o n accueil q u e je re ç u s de Mmode M intzastres,
je u n e e t jo lie fem m e d o n t les fo n c tio n s m e fu re n t b ie n tô t
c o n n u e s ; elle p a ra issa it av o ir u n p o u v o ir a b s o lu , au ssi
bien s u r le cœ u r d u v ie u x c o m te q u e s u r to u te la m ai­
so n , et il n ’y e u t so rte d ’a tte n tio n d o n t je n e fu sse l’o b je t
p e n d a n t les d o u ze jo u r s q u e je p a ssa i so u s ce to it h o s­
p ita lie r.
tu
XIII
APRÈS
LA C A M P A G N E .
CANTONNEMENTS
EN
ALLEMAGNE
L o rs q u e la d ivision d u g é n é ra l M o n tb ru n a rriv a p o u r
te rm in e r l ’e n tiè re év a cu a tio n de V ien n e, m a plaie é ta it à
p e u p r è s fe rm é e et la lièvre m ’av ait q u itté , m a is il s ’en é ta it
suiv i u n e e x trê m e fa ib le sse q u i ne m e p e r m e tta it p as de
m o n te r à ch ev al. F o rt h e u r e u s e m e n t, to u jo u r s p o s s e s s e u r
de la p e tite c a lèch e ac h e té e à m e s h u s s a rd s , j ’o b tin s la p e r­
m is s io n d e v o y ag e r d ed a n s avec d es ch e v au x de ré q u is i­
tio n e t, p a r c o n s é q u e n t, j ’ai év ité le d é s a g ré m e n t de la c h a r­
re tte q u i e û t été m a se u le re sso u rc e .
La d iv is io n se m it en m a rc h e p a r u n te m p s fro id et
m a u v a is , p o u r a lle r p r e n d r e gîte d a n s le s en v iro n s de
S a in t-P o lte n o ù n o u s n ’o b tîn m e s d ’a u tre s re s s o u rc e s que
c e lle s q u e n o u s p û m e s n o u s p ro c u r e r d a n s le s m o n ta g n es,
n o n s e u le m e n t à p rix d ’a rg e n t, m a is en e m p lo y a n t la v io ­
le n ce .
Le le n d e m a in , n o u s p rîm e s d es c a n to n n e m e n ts à dix lie u es
de la ca p ita le , afin de p ro té g e r la m a rc h e d e s tro u p e s, les
é q u ip a g e s e t le s re ta rd a ta ire s . Un d es a rtic le s d u tr a ité de
p aix s tip u la n t q u e l ’e n tiè re év acu atio n de l ’A u trich e devait
ê tre te rm in é e le 1er ja n v ie r 1810, il en ré s u lta que n o u s
RENTRÉE
EN
BAVIÈRE.
— 1 809.
291
re s tâ m e s v in g t-q u a tre jo u r s d an s n o s q u a r tie r s , ce q u i m e
d o n n a le te m p s de m e ré ta b lir c o m p lè te m e n t et de
r e p r e n d r e le c o m m a n d e m e n t de m o n esca d ro n .
N ous n o u s re m îm e s en m a rc h e le 6 d é c em b re avec
l ’a s s u ra n c e q u ’il ne r e s ta it d e rriè re n o u s rie n de ce q u i
a p p a rte n a it à l ’a rm é e fra n ça ise. N os é ta p e s fu re n t P y rh a ,
K ull, B u rg sta l, A u sp ach e t S tey e r. P e u d ’in s ta n ts av a n t
d ’a rriv e r au b o u rg de W e g e s te lte n , lie u d e s tin é p o u r le
q u a rtie r de m o n e sc a d ro n , n e sa c h a n t à q u o i a ttr ib u e r le
b r u it d es clo ch es, q u e lq u e s c o u p s de fu sil tiré s çà e t là,
d es h o m m e s p o s té s s u r d es h a u te u r s e t d es c ris d o n tje ne
p o u v ais a p p ré c ie r le s m o tifs, je form ai a u s s itô t m a tro u p e
e n c o lo n n e s p a r p e lo to n s e t envoyai q u e lq u e s tira ille u rs
en a v a n t q u i, a u s s itô t a p e rç u s p a r les h a b ita n ts , r e ç u re n t
u n e d é c h arg e d ’u n e q u in z ain e de co u p s de fusil. Ne d o u ta n t
p lu s q u ’il fa llû t c o n q u é r ir n o tr e g îte avec le tr a n c h a n t de
n o s sa b re s , et p la c é d a n s les c o n d itio n s d ’u n e lé g itim e
d é fe n se , je faisais m e s d isp o s itio n s p o u r e n tr e r d a n s c e t
e n d ro it à l ’a p p u i de n o s f o rc e s ; m a is, e n a rriv a n t p rès
d ’u n e v a ste p lace, q u e lle n e fu t n o tre su p rise en v o yant
p r è s d e 200 fe m m e s de to u t âge, d an s le u r c o s tu m e de féte,
ra n g é e s en ligne e t a c c u e illa n t avec d es c ris de jo ie l ’ap ­
p ro c h e d u p re m ie r p e lo to n , ta n d is q u e d eu x g ro u p e s c o n ­
sid é ra b le s d ’h o m m e s e n d im a n c h é s n o u s s a lu a ie n t p a r d es
d é c h a rg e s c o n tin u e lle s e t d es h o u rra s en l ’h o n n e u r des
p e lisse s b la n ch e s.
B ien tô t n o u s fu t e x p liq u é e c e tte o v atio n in a tte n d u e q u i
m ’av ait in d u it en e r r e u r : ces b rav e s g en s, p ré v e n u s la
v eille q u ’u n e sc a d ro n de h u s s a rd s fra n ça is d ev a it p a s s e r
q u a ra n te -h u it h e u re s d a n s le u r e n d ro it, e u r e n t l’id é e de
tr a n s f o r m e r en faço n de p e tite g u e rre le s ré jo u issa n c e s du
m a ria g e d ’u n d e s p lu s ric h e s h a b ita n ts d u p ay s, q u i, j u s ­
te m e n t, av ait lie u le jo u r de n o tre a rriv é e . Il e s t facile de
2 9 2
SOUVENIRS
MILITAIRES.
co n c ev o ir la sa tisfa c tio n d es h u s s a rd s e t c o m b ie n fu t
a g ré a b le n o tre s é jo u r au m ilie u d ’u n e p o p u la tio n a u s s i
b ie n v e illa n te . Ce n e fu t q u e g alas, d a n s e s e t p la is irs où
b ie n c e rta in e m e n t la n o ce du ric h e c u ltiv a te u r n e fu t p as
la se u le c o n s o m m é e . Mais, ce q u i a jo u ta au b o n h e u r de
c e t é v é n e m e n t, c ’e s t q u e, d a n s la n u it qui d ev a it p ré c é d e r
n o tre d é p a rt, a rriv a a u co lo n el l ’o rd re de g a rd e r le s ca n ­
to n n e m e n ts de so n ré g im e n t j u s q u ’au 31 d é c e m b re . Le
1erja n v ie r 1810, In d iv isio n d e .c a v a le rie lé g è re se d irig e a
s u r le p a y s de S alz b o u rg , p ro v in c e b a v a ro ise ; n o u s fû m e s
d ’a b o rd à S w e n sta d t, fro n tiè re d u T yrol, e t à M ondsée, c h a r­
m a n te p e tite ville p r è s d ’un lac s u p e rb e , o ù le ré g im e n t d u t
s ’é ta b lir j u s q u ’à l ’é c o u le m e n t d u c o rp s d ’a rm é e d u m a ré ­
chal D avout. Ce fu t de c e t e n d ro it q u e le g é n é ra l M o n tb ru n
m ’a p p e la p rè s de lu i, à so n q u a r tie r g é n é ra l de W oklab ru c k , p o u r m e c h a rg e r de la ré d a c tio n d u ra p p o rt des
o p é ra tio n s de sa d iv isio n p e n d a n t la d e rn iè re ca m p a g n e.
Ce trav a il lo n g , m in u tie u x , s u r to u t fo rt m in u tie u x , q u i
d e v a it ê tre a d re ssé au m in is tè re de la G u erre , m ’o cc u p a
p lu s de d e u x m o is, rie n q u e p o u r p ré p a re r e t c la sse r le s
m a té ria u x q u e les d iffé ren ts c o rp s de la d iv isio n d ev a ie n t
faire p a rv e n ir. C elte fa tig a n te o cc u p a tio n f u t a d o u c ie p a r
to u te s les b o n té s d u g é n é ra l e t le s re c h e rc h e s q u ’il m e tta it
à m ’ê tre ag ré ab le . 11 m e d it u n jo u r q u ’il a v a it re ç u l’avis
p o s itif q u e le 5e H u ssa rd s p r e n d r a it se s q u a rtie rs d ’hiver
s u r les b o rd s du R h in p o u r a lle r e n s u ite te n ir g a rn iso n en
F ra n c e . C ette p e rsp e c tiv e , si p e u an a lo g u e à m e s g o û ts, m e
fit ré c la m e r de lu i sa p ro te c tio n , a u p rè s d u m in is tre de la
G u erre , p o u r ê tre en v o y é en E spagne, se u l p ay s où n o u s
fissio n s la g u e rre . 11 m e p ro m it d ’a p p u y e r m a d e m an d e ,
a jo u ta n t q u e lu i-m ê m e c o m p ta it ré c la m e r c e tte fa v e u r.
En effet, tr o is se m a in e s a p rè s, le m in is tre lu i ré p o n d it q u e
n o m b re d e d e m a n d e s se m b la b le s à la m ie n n e lu i av a ie n t
QUARTIERS
D’H I V E R .
— 1810.
293
é té fa ite s p a r des officiers de to u s g ra d e s, m a is q u ’il a u ra it
ég a rd à celle q u i m e c o n c e rn a it, e t q u e , p o u r p re u v e de son
b o n v o u lo ir il m ’a u to ris e ra it à v e n ir à P a ris lo rs q u e je lu i
en fe ra is la d e m a n d e , afin d ’y a tte n d re la ré a lisa tio n de
m e s d é sirs. C e p en d a n t, tr è s re c o n n a is s a n t de la fav e u r
q u e le g é n é ra l v e n a it d ’o b te n ir p o u r m o i, je p ris avec lu i
l ’e n g a g e m e n t de ne p ro fite r de la b ie n v e illa n c e du m in is tre
q u ’a p rè s l ’e n tiè re co n fe ctio n de trav ail d o n t j ’é ta is ch a rg é.
A
m o n père.
» W oklabruck, 18 mars 1810.
« V oici d o n c u n e p aix qui s e m b le ra it so lid e m e n t c im e n ­
té e avec l ’A u tric h e p a r le m a ria g e d e l ’a rc h id u c h e sse
M arie-L ouise, v e n a n t p a rta g e r la c o u c h e im p é ria le de N a­
p o lé o n ; c e t é v é n e m e n t n ’e s t p as le m o in s e x tra o rd in a ire
de la vie de c e t h o m m e é to n n a n t, d o n t l ’allia n ce e s t re g a r­
dée a u jo u rd ’h u i p a r la m a iso n de L o rra in e co m m e u n
v é rita b le b ie n fa it.
« J ’ai vu de m e s y e u x ce fait in c ro y a b le , d o n t je p u is
d ’a u ta n t m ie u x vous r e tr a c e r to u s le s d é ta ils q u e m o n r é ­
g im e n t s’y tro u v a it a p p e lé p a r so n se rv ic e e t, g râce à l ’o b li­
g ea n c e d u g é n é ra l M on tb ru n p rè s d u q u e l je su is c o n s ta m ­
m e n t re s té , rie n n e m ’e s t éc h ap p é .
« La p e tite v ille de B ra u n a u , fro n tiè re d e l ’A u tric h e et
de la B avière, situ é e s u r l ’In n , p rè s de la q u e lle le 5° H u s­
s a rd s é ta it e n q u a r tie r , fu t c h o isie p o u r la c o u rte ré sid e n c e
q u e d ev a it y faire l’Im p é ra tric e , a u s s itô t a p rè s la c é ré m o ­
n ie de sa re m ise : m a is, co m m e il n ’y av ait a u c u n e m a iso n
co n v e n a b le p o u r é ta b lir le p alais, on fu t ob lig é d ’en lo u e r
p lu s ie u rs a tte n a n t l ’u n e à
l ’a u tre , d o n t o n p e rç a les
m u ra ille s p o u r y c o n s tru ire d es p o rte s , d ’étage en étag e,
a g ra n d ir a in si le s a p p a rte m e n ts e t fa c ilite r le s c o m m u n i­
294
SOUVENIRS
M ILITAIRES.
c a tio n s ; to u t ce tra v a il f u t fait en p e u de jo u r s ; le p alais
im p ro v isé et m e u b lé avec u n luxe e x tra o rd in a ir e ; la c o r­
b e ille e t le s p r é s e n ts de n o c e d o n t la m a g n ificen ce é ta it
a d m ira b le f u re n t é ta lé s e t d isp o s é s d a n s u n des p re m ie rs
sa lo n s de l ’Im p é ra tric e .
« T o u t ce q u e le lu x e le m ie u x e n te n d u , le b o n g o û t
e t la ric h e s s e p e u v e n t offrir d ’é lé g a n t e t de re c h e rc h é fu t
d ép lo y é avec ordre.. T o u s le s v ê te m e n ts , le linge, e tc ., e tc .,
a v a ie n t été fa its à P a ris d ’a p rè s le s p ro p re s m o d è le s à
l’u sa g e h a b itu e l de Sa M a jesté; m a is, au m ilie u de ta n t de
b e lle s c h o se s, ce q u i n o u s fra p p a le p lu s, ce fu t la p e tite s s e
d u p ie d , à en ju g e r p a r le s so u lie rs qui a v a ie n t é té faits
d ’a p rè s d es c h a u s s u r e s en v o y é es dé V ien n e.
« A u n e p e tite lie u e de la v ille, s u r l’e x trê m e lim ite d es
d e u x fro n tiè re s , d é c la ré e n e u tr e p o u r la c irc o n sta n c e ,
il av a it é té c o n s tru it u n e b a ra q u e en b o is, d iv isée e n tro is
sa lo n s : u n d u cô té de la F ra n c e , u n a u tre d u cô té de l’A u­
tr ic h e , e t celu i d u m ilie u p lu s g ran d q u e les d eu x a u tre s.
Ce d e r n ie r sa lo n
d ev ait s e rv ir p o u r la c é ré m o n ie de
r e m ise .
« Du cô té de l ’A u tric h e , il av ait été élevé u n dais m a g n i­
fiq u e so u s le q u e l é ta it u n fa u te u il de d ra p d ’o r.
v Ce trô n e fa isa it face à la p o rte d ’e n tré e de F ra n ce .
D eux p o r te s la té r a le s é ta ie n t d isp o s é e s de ce m ê m e côté.
S u r la d ro ite d u trô n e , étail u n e ta b le ro n d e re c o u v e rte d ’u n
ta p is d ’u n e g ra n d e ric h e s s e , s u r la q u e lle d e v a ie n t se faire
le s s ig n a tu re s d es p ro c è s-v e rb a u x de r e m is e . U ne vaste
e n c e in te é ta it d e s tin é e , de c h a q u e côté d e l à b a ra q u e , p o u r
le p la c e m e n t d es v o ilu re s d e s d eu x c o r tè g e s ; de b elles
a v e n u es d ’a rb re s v e rts a v a ie n t é té p la n té e s et a b o u tis s a ie n t
à la g ra n d e r o u te , ta n t d u côté de l ’A u tric h e q u e d u côté de
la F ra n c e .
« Le 16 m a rs au m a tin , le c o rtè g e a u tric h ie n a rriv a à Al-
PASSAGE
DE
MARIE-LOUISE.
-
1810.
295
th e im , p e tite ville à u n e lie u e de la b a ra q u e ; l ’Im p é ra tric e
s ’y a r r ê ta p o u r q u itte r se s h a b its de voyage e t fa ire sa
to ile tte . A m id i, elle e n tra d a n s le sa lo n a u tric h ie n suivie
de so n c o rtè g e ; elle s ’y re p o s a u n in s ta n t e t v in t e n s u ite
d a n s le g ra n d sa lo n , p ré c é d é e p a r le m a ître d es c é ré m o n ie s
d ’A u tric h e , se p la ç a s u r so n trô n e , to u s les p e rso n n a g e s
de sa c o u r à d ro ite e t à g a u c h e , se lo n le u r r a n g ; la d e rn iè re
lig n e é ta n t fo rm é e p a r les p lu s b e a u x officiers de la g ard e
n o b le h o n g ro ise , d o n t l ’u n ifo rm e e s t si ric h e e t si b e a u .
« L ’Im p é ra tric e é ta n t d e b o u t s u r son trô n e , sa taille
élev ée é ta it p a rfa ite , se s ch e v eu x é ta ie n t b lo n d s e t se s
yeu x b le u s fo rt doux, son v isa g e re s p ir a it la fra îc h e u r,
m a is sa p h y sio n o m ie é ta it p e u e x p re ssiv e e t fro id e.
« E lle av a it u n e ro b e de b ro c a rt d ’o r, b ro c h é e de
g ra n d e s fleu rs de c o u le u rs n a tu re lle s , qui p a r sa p e s a n te u r
d ev ait la fa tig u e r b e a u c o u p .
« Elle p o rta it, su sp e n d u à so n co u , le p o r tra it de N apo­
lé o n , e n ric h i de p lu s ie u rs m ag n ifiq u es s o lita ire s, q u e l’on
d isa it v alo ir p lu s de 500 000 fra n cs.
« La c é ré m o n ie de la re m is e se fit avec to u te s le s p r e s ­
c rip tio n s q u ’en a v a ie n t re ç u e s le s c o m m issa ire s des d eu x
n a tio n s et, a p rè s le s p ro c è s-v e rb a u x sig n é s, M arie-L ouise,
ac co m p ag n é e d u p rin c e de N eu c h âte l, f u t in tro d u ite d a n s
le sa lo n fra n ç a is o ù l ’a tte n d a it la re in e de N aples q u ’elle
e m b ra s sa e t q u i lu i p ré s e n ta n o m in a tiv e m e n t le s d am es
e t le s o fficiers de sa m a iso n ; to u te s le s fo rm a lité s re m p lie s,
le p rin c e d e T ra u ttm a n s d o rff d e m a n d a à Sa M ajesté la
p e rm is s io n d e lu i b a ise r la m ain en p re n a n t congé d ’elle.
Le c o rtè g e a u tric h ie n v in t e n s u ite , se lo n le ra n g d es p e r ­
so n n e s, b a ise r la m a in de la p rin c e s s e : to u s les se rv ite u rs
m ê m e du ra n g le p lu s in f é r ie u r fu re n t a d m is à p o r te r à
se s p ie d s l’h o m m a g e de le u r re s p e c t, de le u rs re g re ts e t
de le u rs v œ u x p o u r son b o n h e u r.
296
SOUVENIRS
MILITAIRES.
« Les y e u x de la p rin c e s s e é ta ie n t m o u illé s de la rm e s e t
elle p a ra iss a it fo rt affectée de c e tte sé p a ra tio n . A près u n
m o m e n t de re p o s, l ’Im p é ra tric e m o n ta en v o itu re p o u r se
r e n d r e à B ra u n a u ; la div isio n d ’in fa n te rie d u g é n é ra l F ria n t,
celle de c a v alerie lé g è re d u g é n é ra l M o n tb ru n e t l ’a rtille rie ,
é ta ie n t en b a ta ille , p rè s de la ro u te . Sa M ajesté p a s sa au
m ilie u d es lig n e s sa n s té m o ig n e r a u c u n s e n tim e n t de sa tis ­
fac tio n , n i de b ie n v e illa n c e ; u n d é ta c h e m e n t d u b e a u 7°H uss a rd s re m p la ç a l’e s c o rte h o n g ro ise q u i l ’a c c o m p a g n a it, le
g é n é ra l M o n tb ru n se p la ç a p rè s la p o rtiè re de d ro ite , u n
é c u y e r de l ’E m p e re u r à celle de g a u c h e ; la p rin c e s s e fit
a r r ê te r u n m o m e n t la v o itu re p o u r faire se s ad ieu x à ses
c o m p a trio te s ; elle a g ita p lu s ie u r s fois son m o u c h o ir e t se
r e tir a p ré c ip ita m m e n t d an s le fo n d de la v o itu re .
« E n a r r iv a n t e n ville, le g é n é ra l P ajo l v in t a u -d e v a n t de
l ’Im p é ra tric e , avec l ’é ta t-m a jo r de la div isio n , p o u r l'e s ­
c o rte r ju s q u 'a u p alais ; en p a s s a n t s u r le fro n t d u 5e H u s­
sa rd s, f o rt de 1 000 ch e v au x , le s officiers to u t re s p le n d is ­
sa n ts d 'o r avec la p e lisse b la n c h e p e n d a n te , le d o lm a n
b le u d e ciel e t la c e in tu re c ra m o isie , l ’é te n d a rd se b a issa
p o u r la s a lu e r e t tro is salves de to u te l’a rtille rie f u re n t
fa ite s au m o m e n t o ù elle e n tra it d an s sa ré sid e n c e .
« Le co lo n el d u ré g im e n t, à la tê te du p r e m ie r esca d ro n ,
v in t a u s s itô t p r e n d r e le se rv ic e au p a la is; p eu a p rè s , le
p rin c e de N eu c h âte l p r é s e n ta to u s les officiers a p p a rte n a n t
aux c o rp s p r é s e n ts à B rau n a u . Le so ir, il y e u t u n b a n q u e t
p o u r les so u s-o fflciers e t so ld a ts d es deu x d iv isio n s et les
officiers f u r e n t in v ités chez les g é n é ra u x .
« L’Im p é ra tric e p a r c o u ru t en ca lè ch e les lieux o ù les
ta b le s é ta ie n t é ta b lie s, e t u n e illu m in a tio n de la p lu s g ran d e
b e a u té te rm in a c e tte jo u rn é e re m a rq u a b le . Le le n d em a in ,
l’I m p é r a tric e ve s c o rté e p a r d ifféren ts d é ta c h e m e n ts de m o n
e s c a d ro n é c h e lo n n é à des d ista n c e s de 4 lie u e s , q u itta B rau-
PASSAGE
DE
MARIE-LOUISE.
— 1 81 0.
297
n a u p o u r a lle r à M unich o ù l ’a tte n d a it le ro i de B avière.
. « Le co lo n el M enziau, m o i e t le lie u te n a n t V icto r O udin o t, fils du m a ré ch a l, n o u s a c c o m p a g n â m e s Sa M ajesté deux
r e la is ; le co rtè g e se co m p o sa it de 83 v o itu re s o u fo u rg o n s,
454 ch e v au x de tr a it e t h u it de se lle q u i d e v a ie n t ê tre e m ­
p lo y é s à c h a q u e re la is.
« T el e st le d é ta il e x a c t de ce t é v é n e m e n t m é m o ra b le
d o n t je su is c h a rm é d ’a v o ir été le té m o in p a r la place
q u ’il d o it o c c u p e r u n jo u r d a n s l ’h is to ire , fo rm a n t le vœ u
q u ’il n e d e v ie n n e p a s au ssi d é s a stre u x q u e l’allia n ce de
c e tte in fo rtu n é e M a rie -A n to in ette, d o n t la p ré se n c e au ssi
p ro m e tta it à la F ra n c e d es jo u r s de b o n h e u r et de p ro s p é ­
r ité ...
« Il p a ra ît q u e n o u s a llo n s b ie n tô t n o u s a c h e m in e r v ers
le R hin p o u r aller e n su ite te n ir g a rn iso n en F ra n c e ; cette
p e rsp e c tiv e , si c o n tra ire à m e s g o û ts, m ’a fait fa ire d e s
d é m a rc h e s p o u r o b te n ir d ’a lle r en E sp ag n e, co m m e é ta n t
le se u l lie u en ce m o m e n t o ù l’on p u is s e a ttr a p e r d es co u p s
et de l’a v a n c e m e n t; si je ré u s s is d a n s m es d é s irs , ain si
q u e j ’ai to u t lieu de l’e s p é re r, j ’a u ra i la d o u ce sa tisfac tio n
de v o u s e m b ra s s e r av an t de p a s s e r les P y ré n é e s; ce tte
idée r é jo u it m o n c œ u r e t j ’en dev an ce la p e n s é e co m m e
u n e e s p é ra n c e de b o n h e u r. »
Dix jo u r s a p rè s le p assag e de l ’Im p é ra tric e , la d ivision
re ç u t l’o rd re de se d irig e r s u r A u g sb o u rg o ù le q u a rtie r
g é n é ra l d evait s ’é ta b lir avec les tro u p e s en c a n to n n e m e n t
d a n s les e n v iro n s, ta n d is q u e le 5° H u ssa rd s o c c u p e ra it
l ’In v e rte l ju s q u ’à la p rise de p o sse ssio n de ce p a y s p a r la
B avière à q u i le tr a ité l ’av a it co n céd é. Q uant à m o i, je d u s
su iv re le g é n é ra l afin de c o n tin u e r m o n tra v a il. N ous
v în m e s c o u c h e r à L a n d sh u t le 30, e t le le n d e m a in , à la
p e tite ville de F re isin g , p eu d ista n te de M unich, ce q u i
298
SOUVENIRS
MILITAIRES.
en g a g ea le g é n é ra l à a lle r p r é s e n te r se s h o m m a g e s au roi
d e B a v ière; il m ’e m m e n a avec lu i. N ous a rriv â m e s d ’assez
b o n n e h e u re d a n s ce tte b elle ca p ita le q u i m ’é ta it d é jà si
b ie n c o n n u e , et, le so ir m ê m e u n e a u d ie n c e d u roi fut
a c c o rd é e p o u r le le n d e m a in m a tin , le g é n é ra l a y a n t eu
l ’o b lig e an c e de so llic ite r p o u r m o i ce tte m ê m e faveur.
I n tro d u its d an s son c a b in e t, n o u s le tro u v â m e s s e u l;
sa ré c e p tio n fu t b ie n v e illa n te e t to u t à fa it fa m iliè re :
a p rè s av o ir té m o ig n é au g é n é ra l M o n tb ru n to u te son a d m i­
ra tio n s u r sa b rilla n te c o n d u ite d a n s ce lte d e rn iè re c a m ­
p a g n e , Sa M ajesté d aig n a m e p a rle r de m o n p ère et de l’a t­
ta c h e m e n t q u ’elle lu i c o n se rv a it, a tta c h e m e n t d o n t les
p re u v e s n ’é ta ie n t p o in t é q u iv o q u e s, p u is q u e c’é ta it à ce
s e n tim e n t q u e je devais l ’h o n n e u r d ’ê tre d é c o ré de son
o rd re m ilita ire . E lle s ’in fo rm a avec le p lu s g ra n d in té r ê t
de m o n frè re e t de se s b le s s u re s : « S ire, lu i d is-je , m o n
c œ u r e s t a u s si re c o n n a is s a n t q u ’il y a n e u f an s, et le s o u ­
v e n ir d es b o n té s d o n t V o tre M ajesté co m b la it m a m è re
d a n s so n exil e t sa m is è re n e s ’effacera ja m a is de m o n
c œ u r. » Le ro i m e d o n n a u n e p e tite ta p e s u r la jo u e avec
u n s o u rire p a te rn e l e t se to u r n a n t v ers le g é n é ra l : « J ’e s­
p è re , lu i d it-il, q u e v o u s re s te r e z a u m o in s d e u x jo u r s et
q u e m a ta b le se ra la v ô tre »; p u is m e fa isa n t u n signe qui
p ro u v a it q u ’il m e
c o m p re n a it d a n s c e tte in v itatio n , il
a jo u ta : « C o m m e n ç o n s p a r d é je u n e r en p e tit co m ité », en
se d irig a n t v ers u n e sa lle o ù le se rv ic e é ta it d r e s s é ; m a is
q u e lle n e fu t p as la s u rp ris e d u g én é ral, en d é p lo y a n t sa
s e rv ie tte , d ’y tro u v e r la p la q u e e t le g ra n d c o rd o n
de
l ’o rd re m ilita ire de B avière.
Il é ta it im p o s sib le de v o ir p lu s de b o n té e t de sim p li­
c ité d an s le s m a n iè re s de c e t e x c e lle n t p rin c e , jo in te s à
b ea u co u p de ro n d e u r e t de g aieté d a n s l ’e s p r it; il a im a it
s u r to u t à ra p p e le r l ’ép o q u e o ù il é ta it en F ra n ce en q u a lité
SÉJOUR
A MUNICH.
— 1 8 10.
299
de co lo n el (so u s le rè g n e de L ouis XVI), a lo rs p rin c e Max
d es D eu x -P o nts, e t lo g e a n t to u jo u r s chez m o n p è re lo r s ­
q u ’il v e n a it à P a ris . « Qui m ’e û t d it, lo rs q u e j ’e'tais co lo n el,
q u e je d e v ie n d ra is u n jo u r so u v e ra in (m’e û t b ien s u rp ris ,
a jo u ta-t-il, il a fallu b ien des décès e t b ie n des é v é n e m e n ts
im p ré v u s p o u r a rriv e r o ù je su is . « Il p ro fe ssa it p o u r l ’E m ­
p e r e u r u n d é v o u e m e n t sa n s b o r n e ; il a ffec tio n n a it a u ssi
p a r tic u liè r e m e n t le p rin c e E u g èn e , so n g e n d re , q u i re n d a it
sa fille si h e u re u s e , e t c o n s e rv a it p o u r ses a n c ie n s am is
d ’av a n t la R é v o lu tio n d es s e n tim e n ts q u i n e se so n t ja m a is
d é m e n tis.
E n so rta n t de ta b le , le ro i fit v en ir u n c h a m b e lla n (le
co m te d e V ichy, ém ig ré français), lu i r e c o m m a n d a n t de
n o u s faire v is ite r sa b elle ré sid e n c e : « S u rto u t, d it-il, n ’o u ­
bliez p as la g alerie de ta b le a u x . » Là, j ’eu s lie u d ’é p ro u v e r
u n s e n tim e n t d ’o rg u e il e t d ’a m o u r-p ro p re q u i m ’ex p liq u a
la d élica te re c o m m a n d a tio n d u ro i.
J e v is le p o r tra it en p ie d de m o n a rriè re -g ra n d -p è re .
G asp ard d ’E sp in c h al, g é n é ra lis sim e d es a rm é e s b av aro ises,
p o u r q u i le s c h ro n iq u e s d u te m p s o n t se rv i de te x te à diffé­
r e n ts ré c its p e u fla tte u rs, d a n s le sq u e ls le s h is to rie n s ne
l’o n t pas to u jo u r s r e p ré s e n té so u s son v é rita b le jo u r , m a is
a u jo u rd ’h u i on c o n n a ît la v é rité en lis a n t le s M ém oires de
F lé c h ie r p a ru s en 1841 *. J ’en e x tra is le s p rin c ip a u x faits
a p p u y é s de titre s irré c u s a b le s :
G aspard m a rq u is d ’E sp in c h al, c o m te de M assiac, etc.,
e tc ., h o m m e de g ra n d e re n o m m é e , d ’u n e b rilla n te ré p u ta ­
tio n m ilita ire e t d ’u n p h y siq u e tr è s re m a rq u a b le , a b u s a it
parfo is de sa h a u te p o sitio n e t, c o m m e s e ig n e u r h a u tI. Le récit de Fléchier est justem ent en contradiction avec ce que
rapporte ici l ’auteur, qui résume seulem ent les Lettres d’abolition
données par Louis XIV (Cf. F l é c i i i e r , Mémoires sur les grands jo u rs
tenus à C lerm ont, Paris, 1841, pages 269 et suiv. 419 et suiv.) Ed.
300
SOUVENIRS
MILITAIRES.
ju s tic ie r , fa isa it p e s e r s u r ses v assau x sa fu n e ste et sé v ère
a u to r ité ; d ’u n e fo rc e p ro d ig ie u se , d ’u n co u rag e in d o m p ­
ta b le , il jo ig n a it à. cela u n c a ra c tè re ira sc ib le q u e la fré­
q u e n ta tio n de la c o u r n ’av ait p u a d o u c ir. Mais ce qui
m it le co m b le à sa c o n d u ite re p ro c h a b le ce fu t u n c o m b a t
q u ’il liv ra d an s la- P lan èze, p rè s de S ain t-F lo u r, n o n lo in
d u c h â te a u de C orin, et q u i p ro v o q u a c o n tre lu i u n e se n ­
te n ce de m o rt.
L es c o m b a tta n ts , au n o m b re de h u it, se r e n c o n trè re n t
s u r le lie u d u ren d e z -v o u s ; G aspard av ait avec lu i so n
c o u s in , le c o m te de M ontgon, e t d eu x h a b ita n ts de M assiac
d ’u n e g ra n d e b ra v o u re , l ’u n n o m m é C h a rb o n n ie r, e t
l ’a u tre C h a n d o ra t ; ses a n ta g o n is te s é ta ie n t le b a ro n de
R o c h e fo rt S ain t-V id al, ac co m p ag n é de tro is frè re s d ’a r­
m e s. L a lu tte fu t te rr ib le e t sa n g la n te , c in q c o m b a tta n ts
fu re n t tu é s.
G asp ard d e m e u ra v a in q u e u r, m a is la v ic to ire lu i co û ta
c h e r ; o u tre la c o n d a m n a tio n à m o rt q u ’il e n c o u ru t, ses
b ie n s f u re n t co n fisq u é s, se s c h â te a u x de M assiac, V ern iè re s, T ag enac e t E sp in c h a l fu re n t d é m o lis; ce d e rn ie r
q u i d o m in a it la ville fu t c o m p lè te m e n t ra sé , e t le s a u tre s
offren t e n c o re des r u in e s d ’u n g ran d in té rê t. Le Roi fut
in flex ib le d a n s sa co lère c o n tre G aspard, m a lg ré les
p riè re s de sa fem m e H élèn e de L évis, de ses b e lle s co u ­
sin e s les d u c h e s s e s d ’É ta m p e s e t de V alençay, e t de sa
n o m b re u se fam ille. G aspard d ’E sp in c h al a y a n t c e p e n d a n t
tro u v é m o y e n de se s o u s tra ire à ce ju g e m e n t en se ré fu ­
g ia n t en B avière, y d ev in t g é n é ra lis sim e d es tro u p e s
de l ’É le c te u r e t e u t le fu n e ste av an tag e de b a ttre le s F ra n ­
ça is s u r les b o rd s d u L ech.
P lu s ta rd , lo rsq u e la paix se fit, G aspard p a r l ’e n lre m is e
d e so n c o u s in , le m a ré c h a l de V illa rs, fu t ch a rg é de n é g o ­
c ie r le m a ria g e d u G rand D auphin avec la p rin c e s s e de
SÉJOUR
A MUNICH.
— 1810.
301
B avière e n 1680; il e n o b tin t sa ré in té g ra tio n d an s ses
b ie n s e t d a n s so n g rad e de lie u te n a n t g é n é ra l; il re ç u t en
o u tre le p o rtra it de L ouis XIV, e n ric h i de d ia m a n ts, que
la fam ille co n serv e c o m m e u n s o u v e n ir de la fa u te e t du
p a rd o n de co u p a b le .
Q uand l ’âge v in t a m o rtir le s p a s sio n s de G aspard, il
c r u t n ’av o ir rie n de m ie u x à fa ire q u e d ’im ite r le d iab le
q u i se fit e rm ite en d e v e n a n t v ieu x : il v é c u t d an s le r e p e n ­
tir, e t la p é n ite n c e , la is s a n t en m o u r a n t u n n o u v el ex em p le
d u p eu de cas q u ’o n d o it faire des v a n ité s e t d es g r a n ­
d e u rs d e ce m o n d e , a tte n d a n t, d a n s u n e m o d e ste to m b e
p lacée so u s la v o û te du c h œ u r de l ’ég lise S a in t-Je a n , fo ndée
p a r lu i à M assiac, la v en u e d u ju g e m e n t d e rn ie r, e t la is­
s a n t p o u r h é r itie r u n fils, ép o u x d 'H é lè n e de M ontm orin,
q u i s ’illu s tr a d a n s le s a rm e s e t d ev in t lie u te n a n t g é n é ra l.
P e n d a n t le p eu de te m p s q u e n o u s re s tâ m e s à M unich,
n o u s e û m e s l ’h o n n e u r d ’ê tre a d m is à la ta b le de la fam ille
r o y a le ; à la su ite de ce d în e r, n o u s a s s is tâ m e s à u n m a ­
g n ifiq u e c o n c e rt où n o u s p û m e s a d m ire r le s n o m b re u se s
b e a u té s de la c o u r, et, le le n d e m a in , n o u s p a ssâ m e s u n e
p a rtie de la jo u r n é e avec le ro i d a n s sa d é lic ie u se r é s i­
d en ce de N y m p h e m b o u rg o ù il v e n a it so u v e n t se d é la s s e r
d es fa tig u e s e t de l’e n n u i de la re p r é s e n ta tio n ; le so ir,
n o u s p rîm e s congé de Sa M ajesté, p é n é tré s d es b o n té s
d o n t elle n o u s av a it c o m b lé s.
Le ro i m e c h a rg e a d ’é c rire à m o n p è re , en d a ig n a n t
a jo u te r avec b o n té que m a v isite lu i av a it fait p la isir.
L o rsq u e n o u s a rriv â m e s à A u g sb o u rg , q u a r tie r g é n é ­
ra l de la d iv isio n , n o u s y tro u v â m e s le g én é ral P ajo l qui
v e n a it de re c e v o ir l ’a u to ris a tio n d ’a lle r à P a ris avec l’e sp é ­
ra n c e d ’a v o ir u n c o m m a n d e m e n t en E sp ag n e . La ville
é ta n t o cc u p ée p a r u n s u p e rb e ré g im e n t de ch e v au -lé g ers
b av aro is, co m m an d é p a r le c o m te de S ey sse l, ém ig ré
302
SOUVENIRS
MILITAIRES.
fra n ç a is , le s ré g im e n ts de la d iv isio n f u re n t ré p a rtis d a n s
d ’e x c e lle n ts v illages d es e n v iro n s o ù ils r e s tè r e n t d e u x m o is
d a n s l ’a tte n te d ’a lle r s u r le s b o rd s d u R hin e t de là en
F ra n c e , p o u r y te n ir g a rn iso n . Le 6 ju in , la d iv isio n se m it
en m a rc h e p a s s a n t p a r U lm , G aissling, p re m iè re ville d u
W u rte m b e rg , p u is S tu ttg a rd , ca p ita le de ce b e a u ro y a u m e .
Le ro i h a b ita it a lo rs sa b e lle r é s id e n c e de L o u isb o u rg
p rè s d e la v ille, où le g é n é ra l M o n tb ru n e s p é ra it a lle r lu i
p r é s e n te r ses h o m m a g e s, m a is Sa M ajesté lu i fit té m o ig n e r
le r e g r e t q u ’elle é p ro u v a it de n e p o u v o ir le rec ev o ir, é ta n t
r e te n u e d a n s so n lit p a r u n v io le n t accès de g o u tte .
Le 10 au m a tin , n o u s re n c o n trâ m e s e n s o r ta n t de la
ville l ’a m b a s s a d e u r p e rs a n avec sa su ite n o m b re u s e a y a n t
q u itté P a ris d e p u is q u e lq u e s jo u r s p o u r r e to u r n e r d an s
s o n p ay s.
A l ’a s p e c t d es tro u p e s , il fit a r r ê te r sa v o itu re , m it pied
à te r r e p o u r les v o ir défiler. Le g én é ral lu i fit re n d re les
h o n n e u r s d u s à sa h a u te p o sitio n ; il e n fu t te lle m e n t flatté
q u ’il lu i o ffrit en p a r ta n t u n m a g n ifiq u e sa b re co u rb e ,
e n ric h i de p ie rre s fines, q u e c e lu i-c i m it a u s s itô t à sa
c e in tu re .
Le so ir, n o u s v în m e s c o u c h e r à la p e tite ville de F aïchig e n o ù p lu s ie u r s p a r tic u lie rs a c h e tè r e n t le s ch e v au x du
g é n é ra l P ajo l, la issé s lo rs de so n d é p a rt p o u r P aris.
Le le n d e m a in , en a rriv a n t à P fo rzh e im , le g é n é ra l
tro u v a d es o rd re s d u m in is tr e de la G u erre c h a n g e a n t la
d e s tin a tio n du 5e H u ssa rd s e t d u 11° C h a sse u rs q u i, au lieu
d ’a lle r à S tra sb o u rg , d ev a ie n t se r e n d re à M anheim et e n ­
v iro n s p o u r y p r e n d re q u a rtie r ju s q u ’à n o u v el o rd re , ta n ­
d is q u e le 7° H u ssa rd s, le 10° et le 12° C h a sse u rs conti­
n u e r a ie n t le u r m a rc h e s u r F ra n c e p o u r y te n ir g a rn iso n .
N ous p rîm e s s é jo u r à C a rlsru h e , ca p ita le d u g ra n d d u c h é d e B ade, e t la ré s id e n c e h a b itu e lle d u so u v e ra in
CARLSIIUHE.
-
1810.
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d o n t l’é p o u s e é ta it la p rin c e s s e S té p h a n ie , n iè ce de l ’im ­
p é ra tric e J o s é p h in e . S on a b s e n c e m e p riv a de lu i p r é s e n ­
te r m e s re sp e c tu e u x h o m m a g e s.
E n a rr iv a n t à B ru ch sall, n o u s tro u v â m e s la p o p u la ­
tio n d an s la d o u le u r e t le s la rm e s p a r la m o rt su b ite d u
p rin c e é v ê q u e de S pire d o n t le s é jo u r p ro lo n g é en c e tte
ville av a it é té m a rq u é p a r de c o n tin u e ls b ie n fa its.
Ce d ig n e p ré la t, d ’u n âge fo rt avancé, c ra ig n a n t d ’ê tre
s u r p ris p a r la m o rt, av a it fa it d e s d isp o s itio n s te s ta m e n ­
ta ire s p a r le sq u e lle s il in s titu a it se s h é r itie r s to u s les
p a u v re s de la v ille ; il av ait p lu s de 200 000 liv re s de r e n te s .
Le le n d e m a in , n o u s p a rc o u rû m e s un m ag n ifiq u e p ays
p o u r a r r iv e r a H eid elb erg , ville cé lè b re p a r so n u n iv e rs ité ;
le c h â te a u q u i la d o m in e date de l ’an 1013; il d ev ait ê tre
tr è s re m a rq u a b le et s u r to u t d 'u n e v ig o u re u se c o n s tru c ­
tio n a en ju g e r p a r sa co n se rv a tio n q u i e s t d u p lu s g ran d
in té rê t.
D ans u n e d es sa lle s b a s s e s v o û té e s, se tro u v e u n fo u d re
m o n s tre sa n s p a re il p o u r y fa ire le v in ; sa g ra n d e u r d é m e ­
su ré e e s t v ra im e n t p h é n o m é n a le ; o n y d e s c e n d p a r u n
e s c a lie r to u r n a n t e t, d a n s le fond, o n p o u rra it d a n s e r u n e
c o n tre d a n s e de seize p e rs o n n e s .
C ette cuve e x tra o rd in a ire , qui p o u r ra it c o n te n ir u n e
p a rtie d u vin d u p a y s, n e s e rt ja m a is , m a is e s t p a rfa ite ­
m e n t co n s e rv é e p a r le s h a b ita n ts , q u i là m o n tr e n t avec
u n e esp èce de v an ité, c o m m e é ta n t u n iq u e d an s so n g e n re .
Ce fu t le 16 ju in , q u e n o u s a rriv â m e s à M anheim , lie u
de n o tre d e s tin a tio n p ro v iso ire ; le g é n é ra l M o n tb ru n e t
d e u x e s c a d ro n s d u 56 H u ssa rd s y f u re n t é tab lis, ta n d is que
le re s te du ré g im e n t e t le 11° C h a sse u rs o c c u p a ie n t les
en v iro n s d a n s de fo rt b o n s c a n to n n e m e n ts.
La b e a u té de la ville, so n h e u re u s e situ a tio n e t la
ré c e p tio n b ie n v e illa n te des h a b ita n ts fu re n t d ’u n h e u re u x
SOUVENIRS
M ILITAIRES.
a u g u re p o u r le s é jo u r q u e n o u s d ev io n s y fa ire ; n o u s
ta rd â m e s p e u à n o u s co n v a in c re co m b ien é ta ie n t fon d ées
nos
e s p é ra n c e s, p a r l ’e m p re s s e m e n t avec le q u e l n o u s
fû m e s ac cu e illis p a r la n o m b re u se so c ié té de c e tte ville,
d o n t les sy m p a th ie s é ta ie n t si b ie n a c q u ise s au x F ra n ça is.
U n a u tre av a n ta g e no n m o in s a p p ré c ié é ta it la p ro x im ité
d e la m è re p a trie , q u e n o u s p o u v io n s a b o rd e r a u m o y en
d e q u e lq u e s co u p s de ra m e s : au ssi p rim e s-n o u s fo rt g aie­
m e n t la d é te rm in a tio n d ’a tte n d r e p a tie m m e n t l ’o rd re q u i
d ev a it n o u s faire p a s s e r s u r la rive g a u c h e d u R hin.
M an h eim é ta it, au m o m e n t de la R é v o lu tio n fra n ça ise,
u n e b elle e t fo rte ville d u P a la tin a t, au co n flu e n t du N ecker
e t d u R h in . C o n sid érée co m m e u n p o in t s tra té g iq u e de la
p lu s h a u te im p o rta n c e , le s F ra n ç a is s ’en e m p a rè re n t en
1793; re p ris e d eu x an s a p rè s p a r les A u tric h ie n s, ceux-ci
en fu re n t de n o u v e a u c h a ssé s e t les fo rtificatio n s c o m p lè ­
te m e n t d é tru ite s . M anheim fit a lo rs p a rtie d u g ra n d -d u c h é
et de la co n fé d ératio n d u R h in ; c ’e s t à d a te r de cette
ép o q u e q u e la v ille ré p a ra se s d é s a s tre s e t p e r d it le tr is te
av an tag e d ’ê tre u n p o ste m ilita ire . E lle fu t re b â tie s u r un
p lan ré g u lie r, p lu s ie u r s m o n u m e n ts re m a rq u a b le s p a r
le u r a rc h ite c tu re s ’é le v è re n t ra p id e m e n t, d es h a b ita tio n s
a g ré a b le s se c r é è re n t, e t le s ru e s , tiré e s au c o rd e a u , e m b e l­
lire n t c e tte c h a rm a n te cité, p la cé e so u s la p ro te c tio n de la
g ra n d e -d u c h e sse S tép h a n ie q u i, v o u la n t y fixer sa ré sid e n c e
h a b itu e lle , y fit c o n s tru ire u n b ea u p alais en d e h o rs de la
ville et tr a n s f o r m e r le s fo rtific a tio n s e n u n p a rc su p e rb e ,
a y a n t le R hin p o u r lim ite . L’E m p e re u r, en fa isa n t de
M anheim le s é jo u r de sa nièce, p ré sid a lu i-m ê m e à la
c ré a tio n d e c e tte b elle ré sid e n c e o ù r e s p ir a ie n t la g ra n ­
d e u r e t la s o m p tu o s ité ; le s a p p a rte m e n ts en é ta ie n t rav is­
s a n ts de fra îc h e u r e t de luxe, les m e u b le s d ’u n g o û t ex q u is,
è t lo rsq u e n o u s y a rriv âm es, les h a b ita n ts a tte n d a ie n t avec
SÉJOUR
A MANIIEÏM.
— 1810.
305
la p lu s vive im p a tie n c e la p ré s e n c e de le u r b ie n -a im é e
s o u v e ra in e , r e te n u e à P a ris p a r les fêtes q u i s ’y d o n n a ie n t.
Les c a se rn e s, l ’a rs e n a l, a in s i q u e le th é â tre , s o n t de fo rt
b ea u x b â tim e n ts : ce d e rn ie r, s u r to u t re m a rq u a b le p a r so n
g e n re d ’a rc h ite c tu re , é ta it o c c u p é p a r u n e e x c ellen te
tro u p e de c o m é d ie n s e t u n o rc h e s tre p o u v a n t riv a lis e r
avec le s m e ille u rs de l ’A llem ag n e.
Le m u sé e S té p h a n ie e s t a u s s i u n m o n u m e n t trè s
d istin g u é , jo in t au x c u rio s ité s q u ’il re n fe rm e e t s e rv a n t de
c a sin o , o ù se ré u n is s a ie n t le s p e rs o n n e s le s p lu s m a r­
q u a n te s de la v ille ; les officiers d u ré g im e n t fu re n t p rié s
de v o u lo ir bien l'h o n o re r d e le u r p ré se n c e e t p lu s ie u rs
b als q u i s ’y d o n n è re n t n o u s m ir e n t to u t à fait en ra p p o rts
a sse z in tim e s avec la so c ié té assez n o m b re u s e de la v ille;
ta n t d ’a g ré m e n t e t de p la isir, jo in t au x c h a rm e s d ’u n e
je u n e v e u v e , m e fire n t fac ilem en t o u b lie r le tra v a il m o n o ­
to n e d o n t j ’é ta is ch a rg é et r e ta r d è r e n t l ’a u to ris a tio n q u e
j ’avais d ’a lle r à P a ris.
L o u ise , b a ro n n e de N o rste in , é ta it u n e je u n e veuve de
v in g t-q u a tre a n s, p o s s é d a n t to u s les tré s o rs de l ’e s p rit e t
d u c œ u r, m ais son â m e candide se re flé ta it d a n s ses b eau x
y e u x b le u s , d o n t la c o u le u r d o u ce e t te n d re c o n tra s ta it
a d m ira b le m e n t avec le n o ir de se s lo n g s cils e t de se s deux
so u rc ils lé g è re m e n t a r q u é s ; son te in t é ta it n a tu re lle m e n t
p âle e t l'é b è n e d es c h e v e u x q u i e n c a d ra ie n t son visage,
n ’en d e v e n a it en c o re q u e p lu s foncé e t p lu s éc la ta n t. O r­
p h e lin e au b e rc e a u , elle fu t élevée p a r les so in s d ’u n e p a­
re n te q u i d év e lo p p a le s h e u r e u s e s d isp o s itio n s de sa
p u p ille , e s p é ra n t q u ’un jo u r , sa b e a u té et ses ta le n ts ré p a ­
r e r a ie n t l ’in ju s tic e du s o rt qui l ’av a it fait n a ître sa n s fo r­
tu n e . En effet u n vieux b a ro n , ric h e e t p u is s a n t, é p ris de
ta n t de c h a rm e s, l ’é p o u s a ; m ais de c o m b ie n d e c h a g rin s e t
de trib u la tio n s c e tte je u n e fille, n e p a y a -t-e lle pas le sa c ri-
SOUVENIRS
MILITAIRES.
lice d e sa lib e rté ! U n m a ri vieux, in firm e e t ja lo u x , e s t u n e
to r tu r e de to u s le s in s ta n ts ; a u s si, p e n d a n t tro is a n s q u e
d u ra c e tte u n io n , L o u ise fu t g a rd e -m a la d e , sa n s q u e ses
so in s a tte n tifs a ie n t p u c a lm e r le c a ra c tè re ira sc ib le de
so n é g o ïste é p o u x . E nfin, le c iel, p r e n a n t en p itié ta n t
d ’in fo rtu n e s , de ch a g rin s e t d ’e n n u is, la d é liv ra de c e t ê tre
in u tile , d o n t la fin f u t d ’a u ta n t p lu s ex e m p la ire e t m é ri.
to ire q u ’il in s titu a sa je u n e é p o u se h é ritiè r e de la p re sq u e
to ta lité de sa b e lle fo rtu n e .
P rè s d e d eu x a n n é e s s ’é ta ie n t éc o u lées, d e p u is c e t évé­
n e m e n t, lo rs q u e n o u s a rriv â m e s à M anheim ; la m a iso n de
la b e lle e t ric h e v eu v e é ta it u n e d es p lu s ag ré a b le s de la
v ille p a r se s ré u n io n s e t se s fê te s ; j ’a u g m e n ta i le n o m b re
de se s a d o ra te u rs d o n t p lu s ie u r s en v o u la ie n t a u ta n t à sa
f o rtu n e q u ’à ses c h a rm e s, e t u n de ces c a p ric e s de
fem m e, p o u r q u i la n o u v e a u té e s t u n a ttr a it, fit a c c u e il­
lir m e s h o m m a g e s av e c u n e d o u ce b ie n v eillan c e. P lu sie u rs
p o u rs u iv a n ts , s ’a p e rc e v a n t q u ’ils n ’av a ie n t rie n de m ie u x
à faire q u e d e se r e tire r, r e n o n c è re n t à le u rs p r é te n tio n s ;
m a is le c o m te de R o tte n th a l, m a lg ré se s c in q u a n te -q u a tre
an s, sa c h e v e lu re a rg e n té e e t son p h y siq u e p e u s é d u isa n t,
c r u t v a in c re les ré s o lu tio n s d ’in d é p e n d a n c e de la b a ro n n e
en lu i o ffran t u n c œ u r fané, d e s m a in s rid é e s e t d es titre s
d o n t elle fa is a it tr è s p e u de c a s ; il fut d o n c re p o u s s é d ans
se s e s p é ra n c e s et, h u m ilié d ’u n re fu s q u e so n o rg u eil ne
p o u v a it a d m e ttre , il m e so u p ç o n n a d 'ê tre u n o b sta c le à ses
vues in té re s s é e s .
U n m a tin , le c o m te se p ré s e n ta chez m oi avec to u te la
r e c h e rc h e d ’u n d a n d y : se s h a b its é tro its e t p in c é s , sa c ra ­
v ate a tta c h é e p a r u n e épin g le en d ia m a n t, son g ile t se rré ,
la j u s te s s e de se s p a n ta lo n s , fo rte m e n t c o m p ro m ise d a n s
la lu tte de se s b re te lle s à l ’e n c o n tre de se s so u s-p ie d s
s e m b la ie n t le m e ttre au su p p lice e t fo rm a ie n t u n c o n tra ste
AMOURS.
— 1 810 .
30?
p iq u a n t avec son c o rp s m a ig re , d é c h a rn é e t se s jo u e s p e n ­
d a n te s. Jo ig n ez à ce la u n e to u r n u re raid e et e m p e sé e q u i
faisait d e c e t h o m m e u n e de ces c a ric a tu re s q u e B ru n e t
co p iait si b ie n p o u r la sa tisfa c tio n d u p u b lic . F o rt s u r p ris
d ’u n e v isite a u s si in a tte n d u e , ca r je c o n n a issa is le p e u de
sy m p a th ie d u c o m te à l ’ég ard des F ra n ç a is e t de m oi p lu s
p a rtic u liè re m e n t, 'je m ’e m p re ssa i to u te fo is de le re c e v o ir
avec to u te s le s co n v e n an c es d u e s à son âge e t à so n r a n g ;
je le p ria i d e v o u lo ir b ie n m ’e x c u se r de m e tr o u v e r d an s
u n a b a n d o n de c o s tu m e p e u d é c e n t e t si o p p o sé a u sie n ,
avec m a ch e m ise o u v e rte , le co u n u , les ch e v eu x en
d é s o rd re , — c a r je ne p o ssé d a is q u e le v ê te m e n t in d is p e n ­
sa b le p o u r n ’ê tre p a s ce q u ’o n ap p e lle en robo de c h a m b re
de p ag e — e t, v e n a n t au m o tif de sa p ré s e n c e , je lu i de­
m a n d ai ce q u i p o u v ait m e p r o c u r e r l’h o n n e u r de le re c e ­
v o ir chez m o i.
Le c o m te , d ’a b o rd u n p e u in te r d it p a r m a to u r n u re
d é b ra illé e , m e s m a n iè re s assez c a v alières, e n tre m ê lé e s
d ’ég a rd s e t d e p ré v e n a n c e s r e s s e m b la n t à de l ’iro n ie , r e s ta
u n m o m e n t in d é c is, m a is re p r e n a n t a u s s itô t c e t a ir v an i­
te u x q ui le r e n d a it si rid ic u le : « M onsieur le ca p ita in e ,
m e d it-il, v o u s fré q u e n te z b e a u c o u p Mmü la b a ro n n e de
N o rs te in ; l’affection q u ’e lle se m b le v o u s p o r te r p o u rra it
la c o m p ro m e ttr e ; v o u s ête s tro p d élica t, je p e n se , p o u r
v o u lo ir n u ir e à sa r é p u ta tio n ; je v o u s e n g a g e ra i d o n c à la
vo ir m o in s so u v e n t, ce s e ra it lu i d o n n e r u n e v é rita b le
m a rq u e d ’in té rê t, et j ’a jo u te ra i e n o u tre q u e ce qui m e
d é te rm in e à c e tte d é m a rc h e qui p o u r ra it vo u s s u rp re n d re ,
c ’e s t l ’offre q u e je lu i ai faite de l ’ép o u se r. — Je c o n ç o is,
M o n sieu r le c o m te , ré p o n d is -je , q u e v o u s recherchiez* la
m ain de M"10 la b a ro n n e , e lle e s t assez jo lie , et sa fo rtu n e
s u r to u t e s t assez c o n sid é ra b le p o u r q u ’elle p u iss e p r é ­
te n d re à u n e g ra n d e allia n ce ; m a is vous av o u e rez q u ’e n tre
308
SOUVENIRS
MILITAIRES,
e lle e t v o u s, ce s e ra it offrir l’im age d u p rin te m p s à côté de
l’h iv e r ; au re s te l ’h o m m a g e q u e je lu i a d re sse e s t san s
a rriè re -p e n s é e d ’in té r ê t; le s e n tim e n t q u ’elle in s p ire à
to u s c e u x -q u i l ’a p p ro c h e n t e s t u n ju s te tr ib u t q u e l ’on
p a y e à s a b e a u té et à se s é m in e n te s q u a lité s, et je n e su is
n u lle m e n t s u rp ris q u e vo u s soyez u n de se s a d o ra te u rs le s
p lu s e m p re s s é s ; m a is, q u a n t au co n seil a u q u e l vos c h e ­
v eu x g ris p e u v e n t s e rv ir d ’ex c u se , v o u s tro u v e re z bon que
je n ’en tie n n e a u c u n c o m p te . » C ette ré p o n se fa ite d ’u n e
m a n iè re iro n iq u e p r o d u is it s u r le co m te u n e im p re ssio n
d o n t il n e p u t d is s im u le r l ’effet; sa fig u re d ev in t en c o re
p lu s b lê m e q u e d ’h a b itu d e , ses lè v re s é ta ie n t tre m b la n te s ,
e t d 'u n e voix c o n tra c té e p a r la c o lè re : « Il m e p a ra ît,
re p rit-il, q u e le s F ra n ç a is so n t a u ssi v ain s a u p rè s des
f e m m e s q u e s u r u n c h a m p de b a ta ille ; je d é s ire ra is en
av o ir u n e n o u v e lle p re u v e , e t v o u s p ro p o se , M on sieu r le
c a p ita in e , d e n o u s r e n c o n tre r d e m a in , d e rriè re le v ie u x
c h â te a u , o ù je m e r e n d ra i av e c u n seco n d e t u n e p a ire de
p is to le ts ; j e v o u s p ro u v e ra i, j ’e s p è re , q u e v o tre to n suffi­
s a n t n e co n v ien t p o in t à u n h o m m e de m o n ra n g .
— Je n e sa is, M o n sieu r le co m te, q u i de n o u s d eu x
p e n s e en ce m o m e n t à c o m p ro m e ttre Mm0 la b a ro n n e ,
m a is v o tre c o n d u ite e s t si p e u e n ra p p o r t avec la m a tu rité
de v o tre âge q u e je re fu se v o tre défi in c o n v e n a n t e t ir r é ­
fléch i; ce p e n d a n t, si v o u s te n ez ta n t à ra p p ro c h e r le s d is­
ta n c e s q u e vous croyez e x is te r e n tre n o u s, il e s t u n m o y e n
q u i p e u t to u t c o n c ilie r; j ’ira i ce s o ir au c a sin o , ch e rch ez
u n e o cc asio n de m e m a n q u e r, je v o u s p ro te s te que je la
sa isira i. — Eh b ie n ! s ’é c ria le c o m te , c ’e s t j u s q u ’à ce
m o m e n t ce q u e vous avez d it de m ie u x ; v o tre p ro p o sitio n
m e co n v ien t e t je l’ac cep te ; à ce so ir do n c. » Il m e sa lu a
e t se r e tira . A h u it h e u re s , m e tro u v a n t d a n s le ce rcle ,
on p a rla it d iv e rse m e n t s u r le fu n e ste é v é n e m e n t a rriv é à
DUEL
A MANHEIM.
— 18l ' o.
309
P a ris a u b al du p rin c e d u S ch w artz èn b erg , où u n te rr ib le
in c e n d ie av ait fait p é r ir ta n t de m o n d e .
« Ma foi, d it le co m te, je su is fâché q u e N ap o léo n n ’ait
p a s été rô ti, cela e û t a s s u ré la tra n q u illité de l ’E u ro p e et
c h a c u n e û t re p ris so n ra n g e t sa place.
— M o n sieu r le c o m te , lu i d is-je , v o tre d isc o u rs , a u ssi
in c o n sid é ré q u ’il e s t in ju rie u x en p ré se n c e d ’u n officier
fra n ç a is, m é rite r a it u n e sé v è re c o rre c tio n q u e je m e c h a r ­
gerais de v o u s infliger, n ’é ta it v o tre âge qui in sp ire p lu s
de p itié q u e de co lère.
— Si c ’e s t u n e le ço n q u e v o u s p ré te n d e z m e d o n n e r,
ré p o n d v iv e m e n t le c o m te , sach ez q u e je n ’en ai ja m a is
re ç u d e p e rso n n e .
— On s ’en a p e rç o it fa c ile m e n t à vos m a n iè re s , r é p li­
q u a i-je avec u n fro id déd ain .
— V os p a ro le s s o n t d es o u tra g e s q u e je n e p u is to lé ­
r e r et d o n t je v o u s d e m a n d e sa tisfa c tio n , m u r m u r a le
co m te p â lis sa n t de fu re u r.
— Q u’à cela n e tie n n e , M o n sieu r, j ’a c c e p te e t vous
d o n n e le ch o ix des a rm e s. »
Il fu t d écid é q u e ce s e ra it le p isto le t e t q u e la r e n ­
c o n tre a u ra it lie u le le n d em a in .
F o rt h e u re u s e m e n t, il n ’y avait d a n s le salon q u e tro is
ou q u a tre p e rs o n n e s , q u i s ’e n g a g è re n t à g a rd e r le silen c e
s u r le s m o tifs d ’u n e p a re ille sc èn e e t des c o n s é q u e n c e s
q u i p o u v a ie n t en ré s u lte r.
A cin q h e u re s d u m a tin , n o u s n o u s tro u v â m e s p r è s d ’u n
p e tit b o is, a u n e d e m i-lie u e d e là v ille ; j ’avais p o u r té m o in s
le c h e f d ’e s c a d ro n D ro u ard e t l ’a d ju d a n t-m a jo r O th e n in ;
le co m te é ta it a c co m p ag n é p a r u n m é d e c in de se s a m is e t
le b a ro n de F o rz h eim , colonel b ad o is, h o m m e de m é rite et
de se n s, q ui fil v a in e m e n t ce q u ’il p u t p o u r a rra n g e r
ce tte affaire. Les p is to le ts c h a rg é s, n o u s fû m es p la c é s à
310
SOUVENIRS
M ILITAIRES.
v in g t p as de d ista n c e l ’u n de l ’a u tre , avec la fac u lté d ’en
m a rc h e r dix; u n e pièce d ’a rg e n t je té e ëp l’a ir d o n n a à m o n
a d v e rsa ire l’avantage de tir e r le p r e m ie r ; le c o m te ap rè s
av o ir v isé q u e lq u e s in s ta n ts tir a et m e m a n q u a . D éc h ar­
g e a n t a u s s itô t m o n p is to le t en l ’air : « M on sieu r le c o m te ,
lu i d is-je , lo r s q u ’o n ré c la m e d es b ie n fa its de l ’E m p e re u r,
on n e d é sire p a s sa m o rt, et je v o u s e n g a g e, lo rs q u e v o u s
a u re z l ’in te n tio n de c h e rc h e r q u e re lle à u n F ra n ça is, de
v o u s y p re n d re p lu s a d r o ite m e n t e t de c h o isir s u r to u t u n
m o tif m o in s in c o n v e n a n t q u e ce lu i d o n t v o u s v o u s êtes
se rv i. » E t le la issa n t a ssez c o n fu s de l ’is s u e de ce c o m b a t,
j e m e r e tir a i avec m e s té m o in s.
L e m ê m e jo u r , le co m te q u itta la ville e t je fus a u s s itô t
chez le g é n é ra l M on tb ru n lu i re n d r e c o m p te de c e t év én e­
m e n t d o n t il v o u lu t c o n n a ître to u s les d é ta ils ; il m e p ro m it
de n e d o n n e r a u c u n e su ite à c e tte affaire qui d ev in t le su je t
de to u te s le s c o n v e rsa tio n s, sa n s q u ’on p û t lu i a ttr ib u e r
so n v é rita b le m o tif. L a b a ro n n e , en le [devinant, in d ig n é e
d es p ro c é d é s d u co m te et de se s v a n ite u s e s p ré te n tio n s ,
m ’a s s u ra q u ’elle n e le r e v e rr a it de sa vie et m e té m o ig n a ,
p a r les p lu s te n d re s d é m o n s tra tio n s , l’effroi q u e lu i c a u ­
s a it le d a n g e r q u e j ’avais c o u ru .
Ce f u t a p rè s u n sé jo u r de s e p t se m a in e s q u e le ré g i­
m e n t d u t q u itte r M anheim p o u r se d irig e r s u r S tra s b o u rg ;
j ’e m p o rta i avec m o i la co n v ic tio n d ’en g a rd e r u n lo n g s o u ­
v e n ir.
D eux jo u r s a p rè s , n o u s a rriv â m e s à R a sta d t, célèb re
d a n s le s fa ste s de n o tre R év o lu tio n p a r le C ongrès q u i s ’y
tin t et l ’a s s a s s in a t d es a m b a s s a d e u rs fra n ç a is q u i y fu re n t
ég o rg é s, à l’in stig a tio n des Ja c o b in s, afin de je te r e n s u ite
l ’h o r re u r de ce c rim e s u r le s A llem ands.
D eu x h e u re s a p rè s n o tre arriv é e en c e tte v ille, je p a rtis
p o u r B ade, d is ta n t s e u le m e n t de d e u x lie u e s , o ù je savais
LA
GRANDE-DUCIIESSE
STÉPHANIE.
— 1810.
311
q u e la g ra n d e -d u c h e s s e r é s id a it d e p u is u n e h u ita in e .
Sa r é c e p tio n fu t re m p lie de g râc e e t de b ie n v eillan c e ;
c e tte aim ab le e t ex c ellen te p rin c e s s e daig n a se ra p p e le r
le s d o u ce s e t a g ré a b le s so iré e s de M ayence, chez l’im p é ra ­
tric e J o s é p h in e , d o n t elle d é p lo ra it le tr is te so rt. S o n A l­
te s s e Im p é ria le m ’engagea à p a s s e r la so iré e p rè s d ’e lle et
m e fit l ’h o n n e u r de p re n d re m o n b ra s p o u r v is ite r les
p ro m e n a d e s e t la fo ire q u i a v a it lie u d ans le b a s de la ville.
Le s é jo u r de Bade à l ’ép o q u e de la saiso n d es b a in s e st
u n e v ie d e d élice s, de fê te s e t de jo u is s a n c e s ; le s é tra n g e rs
de d is tin c tio n y a c c o u re n t de to u s les co in s de l ’E u ro p e,
p lu tô t p o u r s ’y a m u s e r q u e p o u r y c h e rc h e r la sa n té .
L e c h â te a u , situ é s u r le s o m m e t d ’u n e m o n ta g n e, au
m ilie u de la v ille, d u t ê tre c o n s tru it v e rs la fin d u xiv° siè­
cle. S es to u re lle s g o th iq u e s; ses p o rte s , se s fe n ê tre s en
ogives p r o d u is e n t u n effet p itto re s q u e e t ag ré a b le à l’œ il
e t, m a lg ré l ’a n c ie n n e té de se s c o n s tru c tio n s , la g r a n d e u r
d é m e s u ré e d e s sa lle s e t la m a u v a is e d is trib u tio n d es ap ­
p a rte m e n ts , la p rin c e s s e , q u i v ie n t assez h a b itu e lle m e n t
y p a s s e r l ’ép o q u e de la sa iso n d e s b a in s, en a tiré to u t le
p a rti p o ssib le . M eublés avec a u ta n t de g o û t q u e de luxe,
se s v astes sa lo n s s o n t s o u v e n t re m p lis p a r les é tra n g e rs
q u i s ’e m p re s s e n t de v e n ir offrir le u rs h o m m a g es à la belle
e t g ra c ie u se so u v e ra in e de ce m ag n ifiq u e p ay s. Il y e u t ce
m ê m e so ir a u c h â te a u u n e b rilla n te e t n o m b re u s e ré u n io n ,
co m p o sée en p a rtie de d a m e s r u s s e s , an g laises e t fra n ­
ç a ise s, q u i se te rm in a p a r u n bal c h a rm a n t p e n d a n t le q u e l
j ’e u s l ’h o n n e u r de d a n s e r p lu s ie u rs fois avec S on A ltesse
Im p é ria le q u i e u t l ’e x trê m e b ie n v eillan c e de m e p re s c rire
d e p ro lo n g e r m o n s é jo u r de v in g t-q u a tre h e u re s, afin de
m e faire a d m ire r les site s ra v is s a n ts d e s e n v iro n s de Bade
e t de p a rc o u rir ses b e lle s fo rê ts, e n tre te n u e s avec u n soin
v ra im e n t re m a rq u a b le .
312
SOUVENIRS
MILITAIRES.
J e p a s sa i e n c o re la m a tin é e p rè s de la p rin c e s s e S té­
p h a n ie q u i e u t l ’e x trê m e b o n té de m e r e te n ir à d é je u n e r,
a p rè s q u o i je p ris co n g é de Son A ltesse Im p é ria le en lu i
e x p rim a n t to u te m a re c o n n a is s a n c e d u b ie n v e illa n t ac cu e il
d o n t elle av a it d aig n é m ’h o n o re r. La d ista n c e à p a rc o u rir
p o u r a lle r à S tra s b o u rg n ’é ta n t q u e de h u it lie u es, j ’a rriv a i
a v a n t la n u it au chef-lieu d u d é p a rte m e n t d u B as-R hin, où
je re jo ig n is le ré g im e n t.
M on p r e m ie r so in en a rriv a n t à S tra sb o u rg fu t d ’a lle r
chez le g é n é ra l M o n tb ru n q u i, la veille, av a it d irig é le
5e H u s sa rd s s u r S te n a y p o u r y te n ir g a rn iso n ; il m e fit u n e
p e tite se m o n c e en tro u v a n t le tra v a il, d o n t il m ’av a it ch arg é,
a u s s i p e u av a n cé , m e sig n ifia n t q u e je n e q u itte ra is la ville
q u ’a p rè s le lui avoir re m is , e t a jo u ta n t, à to u te s les p iè ce s
q u e j ’avais d éjà, u n e n o u v elle m a sse de p a p ie rs s u r la q u e lle
j ’av a is à m ’o c c u p e r p lu s d ’un m o is ; m a is fo rt h e u re u s e ­
m e n t il m ’a d jo ig n it u n ! so u s-o fficier d u 11e C h a sse u rs; ce
je u n e h o m m e , élève de l’É cole m ilita ire de F o n ta in e b le a u
a y a n t u n v é rita b le m é rite , n ’av a it p o in t été fait officier à
cau se d ’u n d u e l m a lh e u re u x q u ’il av a it eu avec u n de ses
c a m a ra d e s ; m a is le g é n é ra l, qui s ’in té r e s s a it à lu i, avait
p ro m is q u ’il s e ra it fa it s o u s -lie u te n a n t a u s s itô t n o tre tr a ­
vail te rm in é ; a u s si n o u s y m îm e s-n o u s avec a rd e u r.
P e u d e jo u r s a p rè s, le g é n é ra l, m a n d é à P a ris p o u r y
p r é s id e r la c o m m issio n de cav alerie, n o u s in sta lla d a n s
so n lo g e m e n t q u ’il avait a rrê té p o u r tro is m ois e t m e la issa
la su rv e illa n c e de se s éq u ip ag e s j u s q u ’à ce q u ’il les fît v e­
n ir à P a ris , ce q u i m e p r o c u r a l ’av a n tag e d ’ê tre s o m p tu e u ­
s e m e n t logé san s b o u rse d é l i e r . .
D éjà q u in z e jo u r s s ’é ta ie n t é c o u lé s, tra v a illa n t sans
re lâ c h e d an s le d é s ir de te rm in e r le p lu s p ro m p te m e n t
p o ssib le , lo rs q u e je re ç u s u n e le ttre d u g én é ral c o n te n a n t
m a co m m issio n p o u r le 2° H u ssa rd s, fav e u r q u ’il a v a it ob-
PASSAGE
AU 2” H U S S A R D S .
— 1810.
313
té n u e p o u r h u it officiers de sa d iv isio n e t q u ’il e s p é ra it p o u r
lu i-m ê m e ; il m ’en g ag eait à te rm in e r m o n tra v a il le p lu s
tô t p o ssib le , à le lu i p o r te r à P a ris e t m ’e n jo ig n a it au ssi
de faire p a r tir se s éq u ip ag e s s u r-le -c h a m p .
D ouze jo u r s a p rè s, m o n travail é ta n t te rm in é , je m e
re n d is à S ten a y p o u r ré g le r to u te s le s affaires q u e je p o u ­
vais a v o ir au ré g im e n t e t y p re n d re m e s é q u ip ag e s. Là, en
p a s s a n t p a r B ar-su r-O rn ain , je m e re n d is à J e a n d ’h e u rs, s u ­
p e rb e ré sid e n c e d u m a ré c h a l O u d in o t; j ’y tro u v ai le gé­
n é ra l P ajo l, so n g e n d re , e t V ictor O u d in o t q u i, en s o rta n t
d ’ê tre p re m ie r page de l ’E m p e re u r, av a it été n o m m é lie u te ­
n a n t au 5e H u ssa rd s et placé d a n s m a co m p a g n ie , je p assai
tro is jo u r s d a n s ce m a g n ifiq u e m a n o ir o ù je fus accu eilli
avec to u te s o rte de b ien v eillan ce.
L es lie n s d ’e s tim e e t d ’a m itié q u i v o u s u n is s e n t s u r
u n ch a m p d e b ataille o n t u n e fo rce q u ’o n n e p e u t ro m p re
sa n s le p lu s v io le n t c h a g rin : au ssi l’in s ta n t o ù il fa llu t m e
sé p a re r de m e s b rav e s ca m a ra d es fu t si d o u lo u re u x que
je se ra is v o lo n tie rs re sté si j ’en e u sse eu la fa c u lté ; m a is
j ’en é p ro u v a i d u m o in s la d o u ce co n so la tio n d ’e m p o rte r
le s r e g r e ts d e m e s b o n s e t b rav e s com ’p ag n o n s d ’a rm e s
q u i v o u lu re n t m e d o n n e r u n e d e rn iè re m a rq u e de le u r
affectio n , e n m ’offrant un b a n q u e t d a n s le q u e l de n o m ­
b re u x to a s ts f u re n t p o rté s au s o u v e n ir du p assé e t à l ’es­
p é ra n c e d e l ’av e n ir. En q u itta n t le b rav e e t beau 5e de H u s­
sa rd s, d o n t je ne m e se ra is ja m a is sé p a ré s ’il e û t c o n tin u é
de faire la g u e rre , j ’eu s la co n so latio n de p a s s e r d an s u n
a u tre ré g im e n t d o n t la b rilla n te r é p u ta tio n é ta it g é n é r a le ­
m e n t ré p a n d u e d a n s l ’a rm é e . Le 2° H u ssa rd s, p a rtic u liè ­
re m e n t d ésig n é so u s le n om de C h a m b o r c m d , jo u is s a it avec
ra iso n d ’u n e re n o m m é e in c o n te s ta b le d o n t il m e ta rd a it de
p re n d re m a p a rt, m a is d es c irc o n sta n c e s im p ré v u e s n e m e
p e r m ire n t p as de le re jo in d re a u s s itô t q u e je l ’e u sse d é siré .
XIY
SÉJOUR A PARIS
-
VOYAGE
A NAPLES
RETOUR
A m o n fr è r e .
« Paris, 12 octobre 1810.
« Me voici, c h e r am i, re v e n u à P a ris d ep u is u n e q u in ­
zain e d e jo u r s a p rè s av o ir c o n so m m é le sacrifice de ce tte
p e lisse b la n ch e , é c la ta n te d ’or, q u i p la ît ta n t aux fem m es,
p o u r en p r e n d re u n e p lu s m o d e ste d a n s sa co u le u r, m ais
n o n m o in s re d o u ta b le à l ’e n n e m i : le 2e H u ssa rd s e s t le
c o rp s d a n s le q u e l j ’e s p è re m é rite r de l’a v a n ce m e n t en E s­
p ag n e . C’e s t au x b o n té s d u g é n é ra l M o n tb ru n q u e je dois
d ’y être e n tré , ce q u i m ’é v ite ra l ’e n n u i de tr a în e r m on
sa b re s u r le pavé d ’u n e p e tite ville de g a rn is o n ; q u a n t a
l ’ép o q u e p ré c is e de m o n d é p a rt, rie n n ’e s t e n c o re d é te r­
m in é , a y a n t o b te n u u n congé d u m in is tre de la G uerre,
d o n t je c o m p te p ro fite r d a n s p eu de jo u r s p o u r a lle r il
M assiac p a s s e r u n e q u in z ain e p rè s de n o tr e b o n p è re .
« T u sais de q u el travail fa stid ie u x m ’av ait ch a rg é le g é ­
n é ra l M o n tb ru n ; j ’e n e u s se p e u t-ê tre a tte in t difficilem ent
la fin sa n s l ’a s sista n c e d ’u n je u n e so u s-o ffic ic r q u i v ie n t
d ’en o b te n ir la ré c o m p e n se p a r le grad e de s o u s-lie u te ­
SÉJOUR
A P A R I S . — 1810.
31S
n a n t de c h a sse u rs. E h b ie n ! j e c ro y a is c e tte affaire e n tiè ­
r e m e n t te rm in é e en re m e tta n t ce tra v a il ; m a is p as d u to u t :
a p rè s l ’av o ir lu avec a tte n tio n , l ’av o ir sig n é e t y av o ir
m is u n e n o te en m a fav e u r, le g é n é ra l m e le r e n d it le
se c o n d jo u r p o u r le p o rte r avec u n e le ttr e à M. G érard ,
c h e f de la tro isiè m e d iv isio n de la G u erre , le q u e l, à m a
g ra n d e s u rp ris e , m e fit des co m p lim e n ts e t m ’a p p rit q u ’il
y av a it p lu s d es deu x tie rs de l ’a rm é e en a rriè re de ce
tra v a il d e m a n d é ; m a is, ce q u i a jo u ta à m o n é to n n e m e n t,
ce fu t de v o ir m o n a c tiv ité ré c o m p e n sé e p a r u n e g ratifi­
c a tio n fin an c ière on n e p e u t p lu s sa tisfa isa n te , s u r la
d e m a n d e d u g é n é ra l. P e u de jo u r s a p rè s c e t h e u re u x r é ­
s u lta t, je fis d e m a n d e r à l ’im p é ra tric e Jo sé p h in e la p e r ­
m is sio n de lu i p r é s e n te r m e s re s p e c tu e u x h o m m a g e s, co
q u i m e fu t a c co rd é a u s sitô t.
« A ccu eilli avec ce tte b o n té q u i lu i e s t si h a b itu e lle , je
m ’e m p re ssa i de re m e rc ie r S. M. I. de son in d u lg e n te b o n té
à d é tro m p e r m a m è re s u r le b r u it de n o tre m o rt à W a g ra m ;
elle d aig n a s ’in fo rm e r avec in té r ê t de m a p o sitio n , de m es
esp é ra n c e s e t de m es p ro je ts , e t ne se m b la it p as a p p ro u v e r
m a d é te rm in a tio n d ’a lle r en E sp ag n e , p ré te n d a n t q u e le
g e n re d e g u e rre q u ’on y faisa it é tait h o rrib le . On voyait,
d a n s les tra its de sa figure, u n fo n d de tr is te s s e e t de c h a ­
g rin co n c e n tré q u ’elle n e p o u v a it ré p rim e r m a lg ré to u te s
le s a s su ra n c e s q u ’elle d o n n a it d u c o n tra ire e t du b o n h e u r
de la vie p riv ée q u ’elle m e n a it. U n d es e n fa n ts de la re in e
H o rte n se q u i se tro u v a it p rè s d 'elle se m b la it p r e n d r e p la i­
sir à re g a rd e r m o n u n ifo rm e ; je d e m a n d a i la p e rm issio n
de lu i b a is e r la m a in . Sa M ajesté le m it d a n s m e s b ra s en
m e d is a n t de l ’e m b ra s s e r, e t je re m a rq u a i q u e ce je u n e
p rin c e p o rta it au co u u n m é d a illo n e n ric h i de d ia m a n ts
re n fe rm a n t le p o r tra it de M arie-L ouise.
« C ette b elle so litu d e, n a g u è re e n c o m b ré e de fla tte u rs e t
SOUVENIRS
316
MILITAIRES.
de c o u rtis a n s , n ’offrait p lu s q u e l’im ag e d ’u n e s o u v e ra in e té
d éc h u e ; la c o u r, p e u n o m b re u s e , se c o m p o sa it de Mmes d ’Arb e rg , d e T u re n n e , de L astic, de Y iel-C astel, de W a lsh S e r ra n t; la b elle Mmo G azzani e s t le c tric e de l’Im p é ra tric e
e t p lu s ie u rs je u n e s p e rs o n n e s fo n t a u s si p a rtie de sa
m a iso n .
« P a rm i le s h o m m e s s o n t MM. de B e a u m o n t, de T u rp in ,
de V iel-C astel, de M ontholon, de L astic, de M onaco, P o u rta lè s e t d ’A ndlau ; l ’aim ab le e t s p iritu e l D esc h am p s est
to u jo u rs , co m m e de n o tre te m p s, à M ayence, s e c ré ta ire des
c o m m a n d e m e n ts, e t n o tre am i C asim ir de M o nllivaut
in te n d a n t g é n é ra l. J ’a p p ris p a r ces m e s s ie u rs q u e l’E m ­
p e r e u r v e n a it assez so u v e n t, à l ’in su de so n é p o u se ,
v is ite r celle q u ’il n ’e û t ja m a is d û q u itte r ; s o n a p p a ri­
tio n a v a it o rd in a ire m e n t lie u s a n s su ite e t to u jo u rs à l ’im p ro v iste .
« L’Im p é ra tric e m ’a fait vo ir sa m a g n ifiq u e g a le rie de
ta b le a u x e t so n a d m ira b le ja rd in , re n fe rm a n t le s a r b r e s e t
le s fle u rs le s p lu s ra re s. A près d în e r, j ’eu s l’h o n n e u r de
faire sa p a rtie de b illard , je u q u ’elle affectio n n e d ’a u ta n t
m ie u x q u e so n ta le n t e s t re m a rq u a b le , m a lg ré q u ’elle ne
se serve qu e d ’u n e p e tite m a sse.
« Le so ir, il y e u t u n th é , o ù se tro u v a ie n t, o u tre la
c o u r, p lu s ie u rs v is ite u rs de P a ris, p a rm i le sq u e ls je d is­
tin g u a i MM. de T alley ran d , de S ég u r, de R é m u sa t e t le duc
de V icence.
« E nfin, m a jo u r n é e b ien re m p lie , je p ris congé fo rt ta rd
de c e tte e x c e lle n te p rin c e s s e , e m p o rta n t la p e rm is s io n de
v e n ir la v o ir au ssi so u v e n t q u e je d é s ire ra is e t m e p ro m e t­
ta n t d ’ô tre le c o u rtisa n d u m a lh e u r.
« J ’ai re v u d é jà b ea u co u p d 'a m is et co n n a issa n c e s d e p u is
le p e u d e te m p s q u e je su is ic i; m a is la c ra in te de tro p
r e ta rd e r m o n d é p a rt p o u r M assiac m e fait a jo u rn e r à m o n
VOYAGE A MASSIAC.
— 1810.
811
r e to u r c e tte vie de p la is ir e t de. b o n h e u r d o n t j e sais si
b ie n a p p ré c ie r to u t le p rix .
« A dieu d o n c, c h e r a m i; je t ’e m b ra s s e co m m e je t ’aim e.
Il e s t p eu de jo u is s a n c e a u ssi d o u c e q u e celle de rev o ir
u n b o n p è re , a p rè s u n e lo n g u e s é p a ra tio n ; les é p a n c h e m e n ts d u c œ u r e t la confian te am itié offrent u n c h a rm e
q u i se ren o u v e lle à to u t in s ta n t, et le so u v e n ir de l ’ab sen c e
d e v ie n t a lo rs le s u je t d u p lu s d o u x e n tre tie n .
E n p r e s s a n t m o n p ère s u r m o n c œ u r, n o s la rm e s se
co n fo n d ire n t d a n s un égal b o n h e u r ; j ’é ta is a u s si h e u re u x
de sa jo ie , q u ’il r e s s e n ta it de p la is ir à m e v o ir p rè s de lu i,
e t p e n d a n t q u e lq u e s in s ta n ts , le silen c e d e v in t l ’e x p re ssio n
de n o s s e n tim e n ts. L es quinze jo u r s q u e je p a ssa i à M assiac
p e u v e n t ê tre c o m p té s au n o m b re d es p lu s h e u re u x de m a
vie ; ils s ’é c o u lè re n t avec u n e te lle ra p id ité q u ’au m o m e n t
de m o n d é p a rt je n e m e c ro y a is a rriv é q u e de la v eille,
et, si m o n s é jo u r n ’av ait p as été p lu s lo n g , j ’e m p o rta is d u
m o in s la d o u ce e s p é ra n c e de le re n o u v e le r b ie n tô t en
a lla n t en E sp ag n e. L o rs de m o n r e to u r , il n ’é ta it q u e s tio n à P aris q u e de
fê te s, e t p a rm i le s so m m ité s sociales se fa isa ie n t re m a rq u e r
les so iré e s d e la re in e de H ollande e t de la p r in c e s s e Borg h èse, tr è s su iv ies p a r d es p e rs o n n e s de la p lu s h a u te
d istin c tio n e t g ran d n o m b re de je u n e s o ffic ie rs; m a is
c’é ta ie n t s u r to u t les b als de la C our q u i o ffraien t u n co u p
d ’œ il a d m ira b le p a r la m agnificence e t le lu x e qui y
ré g n a ie n t. Ils p ré lu d a ie n t o rd in a ire m e n t p a r d e s q u a d rille s
p ré s id é s p a r d es p rin c e sse s e t où p a rtic ip a ie n t les p lu s
jo lie s fe m m e s de la C our et des je u n e s h o m m e s d o n t les
c o s tu m e s é ta ie n t re m p lis d ’élé g a n c e ; ce lu i de la re in e H orte n se , d o n t je faisais p a rtie , é ta it de c o u le u r c h a m o is, v êtu
à la F ra n ç o is 1er avec l'é p é e sa n s g ard e su sp e n d u e à u n e
818
SOUVENIRS
MILITAIRES.
é c h a rp e b la n c h e , la to q u e en v e lo u rs n o ir g a rn ie de p lu m e s
b la n c h e s e t u n p a n ta lo n co llan t en so ie b la n c h e avec des
so u lie rs à ta lo n s ro u g e s e t à b o u ffe tte s. L’E m p e re u r e t
l ’Im p é ra tric e r e s ta ie n t assez h a b itu e lle m e n t u n e h e u re
p e n d a n t la q u e lle ils p a rc o u ra ie n t le s d ifféren ts s a lo n s ;
m a is, a u s s itô t le u r d é p a rt, la jo ie d e v e n a it p lu s expansive
e t la d a n s e p lu s an im ée . L’h a b it h a b illé à la fra n ça ise é ta it
de rig u e u r p o u r to u s le s h o m m e s, ex cep té ceu x fo rm a n t
les q u a d rille s ; l ’E m p e re u r a v a it v o u lu d a n s le p rin c ip e q u e
le s m ilita ire s fu s s e n t a in si v ê tu s d a n s le b u t de fa ire g ag n er
le c o m m e rc e ; m a is la m o u sta c h e offrait u n c o n tra s te si
rid ic u le avec l ’h a b it à b a s q u e , l ’épée d ’a c ie r et le ch a p ea u
so u s le b ra s, q u e le s officiers o b tin r e n t de se p r é s e n te r
avec le u r u n ifo rm e , la c u lo tte b la n c h e e t le s so u lie rs à
b o u c le s ; le s C h a sse u rs de la G arde e t le s H u ssa rd s se u ls
a v a ie n t la b o tte e n m a ro q u in de c o u le u r avec u n trè s p e tit
é p e ro n en o r o u en a rg e n t à m o le tte n o n p iq u a n te .
Le p rin c e de N eu c h âte l r é u n is s a it a u ssi chez lu i la
C our et to u t ce q u ’il y av a it de p lu s m a rq u a n t d an s la so ­
c ié té ; se s fê te s, q u i se re n o u v e la ie n t so u v e n t, é ta ie n t m a ­
g n ifiq u e s. Un so ir, le c o m te S o p ran zi, fils de la b e lle m a r­
q u is e de V isc o n ti, aide de cam p d u p rin c e de N eu c h âte l,
e t m o n am i le p lu s in tim e , m e p ro p o s a de l ’a c c o m p a g n e r à
N aples où il d e v a it aller en m is sio n so u s p e u de jo u r s . 11
m e d it q u ’il é ta it a u to ris é à s ’a d jo in d re q u e lq u ’u n e t q u 'il
s e ra it c h a rm é q u e ce fû t 'm oi, se faisa n t fo rt de m e faire
a g ré e r p a r le p rin c e ; il m ’a jo u ta : « J e te c o n d u is, je te
g ard e e t te ra m è n e à P a ris sa n s b o u rse d élier, m a is il fa u t
te d é c id e r d a n s les v in g t-q u a tre h e u re s e t je m e ch a rg e de
te faire re m e ttre u n o rd re d u m in is tre de la G uerre s u r la
d e m a n d e d u p rin c e . »
L ’id ée de r e to u r n e r à N aples, o ù n a g u è re j ’avais p assé
de si h e u re u x m o m e n ts, b ie n q u e p a u v re ex ilé, m a is a ÿ a n t
VOYAGE
A NAPLES.
— 1810.
319
a lo rs to u te l ’in so u c ia n ce de m a g ra n d e je u n e s s e , m e s o u ­
r ia it tro p p o u r n e pas m ’e m p re s s e r de d o n n e r m o n ac q u ies-,
c e rn en t de g ra n d c œ u r à S o p ra n z i. I lf u tc o n v e n u q u e n o tr c
d é p a rt a u ra it lie u à h u it jo u r s de là, e t q u e n o u s g a rd e ­
rio n s le p lu s p ro fo n d sile n c e s u r ce voyage, c e tte m issio n
a y a n t u n b u t s e c re t e t confid en tiel d o n t il d e v a it m e d o n ­
n e r c o n n a issa n c e lo rs q u e n o u s a u rio n s q u itté P a ris.
N ous p a rtîm e s le 25 n o v e m b re , à la n u it to m b a n te , d an s
u n e b o n n e e t co m m o d e v o itu re , a y a n t u n d o m e stiq u e s u r
le siège e t u n c o u rrie r en a v a n t; h u it jo u rs a p rè s, n o u s
a rriv â m e s à N aples, n e n o u s é ta n t a rrê té s q u e q u e lq u e s
h e u re s à M ilan.
N o tre p re m iè re v isite fu t p o u r l’a m b a ssa d e u r de F ra n ce ,
le q u el, p ré v e n u de n o tre a rriv é e , n o u s r e ç u t avec le p lu s
g ra n d e m p re s s e m e n t e t n o u s offrit son a s sista n c e en to u te
ch o se.
J e m ’e m p re ssa i d ’a lle r v o ir m o n a n c ie n co lo n el d u
5° H u ssa rd s, le brav e D ery ; il jo u is s a it a u p rè s d u roi de la
p lu s h a u te fa v e u r; il é ta it lie u te n a n t g é n é ra l, c o m m a n d a n t
la cav alerie lé g ère de la G arde ro y a le e t s u r le p o in t de faire
u n trè s g ran d m a riag e. Sa ré c e p tio n fu t celle d ’u n v é rita b le
am i, m ais, au m ilie u d u p la is ir q u ’il ép ro u v a it à m e voir,
je m ’a p e rç u s q u ’il c h e rc h a it à p é n é tre r le m o tif de n o tre
p ré se n c e à N aples. « J ’acco m p ag n e, lu i d is-je , u n aide de
c am p d u p rin c e de N eu c h âte l, p o r te u r de d ép ê ch e s p o u r
l ’a m b a s s a d e u r; il m ’a p ro p o sé ce voyage o b te n u p a r fav eu r
e t p o u r m on a g ré m e n t, afin de re n o u v e le r c o n n a issa n c e
avec la b elle Italie e t les g ra c ie u se s N ap o litain es. » Le g én é­
ral fit se m b la n t d e m e c ro ire o u, d u m o in s, e u t In d isc ré tio n
de n e pas m ’en d e m a n d e r d a v a n ta g e ; il m e fit to u te s ses
offres de se rv ic e s, m ’e n g a g e a n t à re g a rd e r sa m a iso n
co m m e la m ie n n e e t d ’en a g ir avec lu i en am i.
P e u de jo u r s a p rè s, n o u s fû m e s p ré s e n té s au ro i p a r l ’a m ­
320
SOUVENIRS
MILITAIRES.
b a s s a d e u r. Sa ré c e p tio n fu t assez fro id e , c o n tra ir e m e n t
à ses h a b itu d e s avec les F ra n ç a is, d o n t u n e g ra n d e p a rtie
fo rm a it sa c o u r e t c o m p o sa it le s officiers s u p é rie u r s de sa
g a rd e ; m a is il c r u t v o ir d a n s n o tr e p ré s e n c e u n m o tif de
s u rv e illa n c e q u i le b le s s a it; n o u s sû m e s p lu s ta rd q u ’on
lu i en a v a it é c rit d a n s ce se n s de P a ris. C e p en d a n t, in s tru it
de to u te s n o s d é m a rc h e s q u i s e m b la ie n t n ’av o ir d ’a u tre
b u t qu e le p la is ir, il ta rd a p eu à re p r e n d r e avec n o u s ses
m a n iè re s fra n ch e s e t a im a b le s, ne la is s a n t é c h a p p e r a u ­
cu n e o cc asio n de n o u s fa ire p a r tic ip e r au x fête s q u ’il d o n ­
n a it d a n s ce p a y s de fé e rie s. Le roi de N aples, m a lg ré sa
g ra n d e ré p u ta tio n de b e a u té , avait la lig u re c o m m u n e et
d é p o u rv u e d ’ex p re ssio n ; il é ta it g ran d et b ien la it, affable
e t b o n p o u r to u s c e u x q u i l ’a p p r o c h a ie n t; il avait le s m a ­
n iè re s p o lie s et p a rfo is la p a ro le saccad ée e t im p é rie u se , la
d é m a rc h e b ru sq u e . Il p o r ta it to u jo u rs d e s c o s tu m e s p o m ­
p e u x o u e x tra o rd in a ire s , te n a n t d u p o lo n a is e t d u m u s u l­
m a n , d es étoffes r ic h e s , de c o u le u rs tr a n c h a n te s , d es fo u r­
r u r e s , d e s b ro d e rie s , des p e rle s e t d e s d ia m a n ts ; se s
ch e v eu x to m b a ie n t en lo n g u e s
b o u c le s s u r se s la rg e s
é p a u le s , se s fav o ris n o irs e t é p a is e t ses y e u x é tin c e la n ts ,
to u t cela fo rm a it u n e n s e m b le q u i p ro v o q u a it la s u rp ris e e t
d o n n a it l ’idée d ’u n c h a rla ta n . M ais, au m ilie u de se s tra v e rs ,
il av ait de g ra n d e s q u a lité s. Sa b ra v o u re p a s s a it to u te
c ro y a n c e ; lo rs q u ’il a lla it a u feu, on se m b la it v o ir u n de ces
a n c ie n s p a la d in s de l ’a n tiq u ité . Il a im a it son p e u p le avec
p a s sio n , tra v a illa n t e t p e n s a n t to u jo u r s à le r e n d r e h e u ­
reu x . M urât p a s sa sa vie à o b lig e r e t p a r c o n s é q u e n t à faire
d es in g ra ts ; so n c œ u r ne fu t p o u r rie n d a n s sa c o n d u ite
av ec l’E m p e re u r, m ais l a fo rc e de c a ra c tè re lu i m a n q u a ;
le d ip lo m a te en lu i se tro u v a it a u -d e sso u s d u g u e r r ie r e t son
ou b li d e re c o n n a iss a n c e e n v e rs so n b ie n fa ite u r e s t p e u tê tre u n e d es p rin c ip a le s ca u se s de la c h u te de l ’E m p ire.
LA
COUR
DE
NAPLES.
321
— 1811.
L ’ép o q u e où je vis M urât à N aples fu t celle de sa plus
b rilla n te p o s itio n : il é ta it en v iro n n é de to u s les p re stig e s
de la g lo ire e t de la ro y a u té ; so n n o m se ra tta c h a it à to u s
les faste s d e ce tte h is to ire m e rv e ille u se e t sa p ré s e n c e in ­
sp ira it au x tro u p e s u n v éritab le e n tra în e m e n t e t u n e n th o u ­
sia sm e in c ro y a b le . Sa m a is o n m ilita ire é ta it en p a rtie
co m p o sée de F ra n ç a is; l ’u n d ’eu x , M. de L ivron, b rav e et
in tré p id e officier, a v a it gagné se s é p a u le tte s s u r le s ro c h e rs
de File de C apri p a r u n e d es p lu s b rilla n te s a c tio n s de la
g u e r r e ; u n a u tre , le c o m te de La V au g u y o n , je u n e h o m m e
b ea u , s u p e rb e , a y a n t le g ra d e de g é n é ra l, n ’av a it d ’a u tre
m é rite q u e le s fav e u rs p a rtic u liè re s de la r e in e ; M anhôs,
v é rita b le h o m m e de g u e rre , s u je t d év o u é, é ta it la te r r e u r
d es C alab rais in su rg é s ; enfin p lu s ie u r s officiers, te ls q u e
m o n a n c ie n c o lo n el, é ta ie n t d ig n e s de le u r h a u te fo rtu n e .
La G arde ro y a le é ta it de la p lu s g ran d e b e a u té , d ’u n e
te n u e b rilla n te et des p lu s é lé g a n te s, m a is il lu i m a n q u a it
le feu sa c ré , b ien q u ’il y e û t p a rm i les N ap o litain s d es offi­
ciers d ’u n m é rite d istin g u é .
La re in e C aro lin e, m o in s p a rfa ite m e n t b elle-q u e sa sœ u r
la p rin c e s s e B orghèse, av a it, d an s la p h y sio n o m ie , u n e
g râce, u n e m o b ilité e t u n e e x p re ssio n qui d o n n a ie n t à sa
jo lie tê te c e t air v ap o re u x , si s é d u is a n t; elle é ta it d ’u n e
ta ille m o y e n n e , av ait u n tr è s b e a u te in t, d e s y eu x d ’u n e
g ra n d e e x p re ssio n , le n ez b ie n fa it, u n so u rire q u i la issa it
v o ir u n e ra n g é e de p e rle s, les m a in s d ’u n e b la n c h e u r écla­
ta n te e t d ’u n e p e tite sse e x tra o rd in a ire a u ssi b ien que le s
p ie d s.
S on c a ra c tè re re s s e m b la it à celu i de N apoléon : elle
av a it u n e g ra n d e fo rc e d ’âm e, les p a s s io n s vives, b ea u co u p
de p é n é tra tio n ; m a is s u r to u t elle é ta it tr è s p o rté e à l’in ­
trig u e , tra v a illa n t avec les m in is tre s et a b so rb é e p ar les
so in s d u g o u v e rn e m e n t q u ’elle p a rta g e a it avec so n m a ri.
21
322
SOUVENIRS
MILITAIRES.
La re in e s ’o c c u p a it avec u n so in to u t p a rtic u lie r du
d é ta il de sa m a is o n ; a im a n t le lu x e, la r e p r é s e n ta tio n e t
l ’o rd re , e lle a ffec tio n n a it p a rtic u liè re m e n t le p a la is de
P o rtic i, p e u d is ta n t de la c a p ita le , d o n t les a p p a rte m e n ts
p o u v a ie n t p a s s e r p o u r u n ch e f-d ’œ u v re de b on go û t.
C o m b ien j ’a u ra is à d ire s u r le s n o m b re u x c h a n g e m e n ts
s u rv e n u s à N aples d e p u is l ’ép o q u e o ù je l’h a b ita is e t s u r­
to u t d es e m b e llis s e m e n ts faits avec u n e si ju d ic ie u s e en ­
te n te ; m a is les d é ta ils en s e ra ie n t tro p lo n g s ; j ’a jo u te ra i
s e u le m e n t q u e j ’é ta is en ex tase en re tro u v a n t c e t a ir e m ­
b a u m é q u i p o rte au p la is ir e t à la v o lu p té e t d o n t j ’avais
co n serv é u n si d o u x so u v e n ir d a n s m e s im p re s s io n s de
je u n e s s e . Ce q u i m e fra p p a s u rto u t, ce fu t le th é â tre
S ain t-C h arles car, b ie n q u ’il fû t s u p e rb e a lo rs, le ro i M urât
en a v a it fait le p lu s a d m ira b le et le p lu s v a ste th é â tre
p e u t-ê tre de l’E u ro p e . C’é ta it s u r to u t u n jo u r de g ala o u de
g ra n d e ré c e p tio n q u ’il fallait le v o ir, ce q u i a rriv a it assez
fré q u e m m e n t : il y av a it a lo rs des m illie rs de b o u g ie s, r e ­
flétan t les lu m iè re s d a n s d es g ira n d o le s de c rista l, ce q u i,
jo in t au lu x e de la salle e t au x to ile tte s ra d ie u s e s d ’une
im m e n se q u a n tité de fe m m e s é tin c e la n te s de p ie rre rie s et
d e d ia m a n ts, p ro d u is a it u n effet m a g iq u e. Q u an t au x a c ­
te u rs e t à l ’o rc h e stre , le ro i le s su b v e n tio n n a it avec u n e
te lle g é n é ro s ité q u e l ’o n n e v o y ait ja m a is que le s p re m ie rs
su je ts d e l ’Italie.
« Naples, le 5 janvier 1811.
« J e v o is d ’ici, frè re , ta s u rp ris e e t to n é b a h is s e m e n t en
o u v ra n t m a le ttr e . E h b ie n ! lis vite e t sa tisfa is ta c u rio sité
s u r m a p ré se n c e à N aples d e p u is p rè s de six se m a in e s,
lo rs q u e tu d evais m e cro ire s u r la ro u te de l’E sp ag n e ; et
m a in te n a n t q u e c ’e st u n fa it b ie n c o n sta té , sa ch e do n c q u e
je s u is s im p le m e n t l ’a d jo in t d ’u n am i ch a rg é d ’u n e m issio n
LA
COUR
DE
NAPLES.
— 1 811.
323
se c rè te , a u q u e l j ’a b a n d o n n e c o m p lè te m e n t to u s les h o n ­
n e u rs d u p re m ie r rô le , n ’a y a n t eu d ’a u tre in te n tio n , en
v e n a n t ic i, q u e de re v o ir ce la n t d o u x p ay s, l ’o b je t de m es
c o n tin u e ls s o u v e n irs . Ce b o n h e u r e s t à c h a q u e in s ta n t
acco m p ag n é d es s u rp ris e s les p lu s a g ré a b le s, en r e tr o u ­
v an t q u a n tité de je u n e s fem m es é c la ta n te s de b e a u té ,
n a g u è re p e tite s filles de h u it à dix a n s, d o n t je p a rta g e a is
le s je u x lo rs q u e , p au v re é m ig ré , j ’étais a d m is chez le u rs
p a r e n ts ; j ’en ai é té re ç u avec d ’a u ta n t p lu s d ’e m p re s s e ­
m e n t q u ’o n m e sav ait b ie n ac cu e illi en c o u r, où le s F ra n ­
çais d ’a u jo u rd ’h u i o n t a c q u is des sy m p a th ie s q u ’o n le u r
re fu s a it ja d is.
« N aples e st a u jo u rd ’h u i b ie n c e rta in e m e n t u n e d es ca­
p ita le s les p lu s flo rissa n te s de l ’E u ro p e , n o n se u le m e n t p a r
le s fa v e u rs d o n t la n a tu re l’a co m b lée , m ais a q ssi p a r les
e m b e lliss e m e n ts d u s au so u v e ra in de ce b ea u p ay s, de
m ê m e qu e p a r les fêtes n o m b re u se s q u i s ’y d o n n e n t et d o n t
le s b e lle s N ap o litain es ne p e u v e n t se ra s s a s ie r, le p la isir
é ta n t le b u t de le u r ex iste n ce. J e p o u rra is te r e tr a c e r ici
p lu s ie u rs de ces fête s d ’u n g ra n d in té rê t, m a is je m e c o n ­
te n te r a i d e la d e rn iè re , q u i v ie n t d ’a v o ir lie u au p alais p o u r
le p re m ie r de l ’an, p e n d a n t la q u e lle m ’e s t su rv e n u e u n e
affaire assez d ésag réa b le d o n t, fo rt h e u r e u s e m e n t, je m e
su is tiré avec av an tag e.
« A d ix h e u r e s d u so ir se tro u v a ie n t ré u n ie s d a n s les
sa lo n s p lu s d e q u in z e c e n ts p e rso n n e s a tte n d a n t l ’a rriv é e de
la fam ille ro y a le ; elle p a ru t, p ré c é d é e de d eu x h é r a u ts
d ’a rm e s q u i, en tr a v e rs a n t les sa lo n s, a n n o n ç a ie n t à h a u te
voix : Sa M ajesté le Roi, Sa M ajesté la R e in e e t le P rin c e royal.
« Le ro i p o rta it l ’h a b it de sa g a rd e ; la re in e é ta it v êtu e
d ’un e ro b e b le u e p a rse m é e d ’o r et de b o u q u e ts ; e lle é ta it
é b lo u issa n te de d ia m a n ts q u e re le v a ie n t e n c o re sa c h a r­
m a n te to u r n u re et sa b e a u té v ra im e n t re m a rq u a b le .
324
SOUVENIRS
MILITAIRES.
« L es b rilla n ts c o s tu m e s de c o u r des d a m e s de la m a i­
s o n de la re in e , la ric h e sse des u n ifo rm e s des aid es de
ca m p , d es o fficiers d ’o rd o n n a n c e , d es d ig n ita ire s co m p o ­
s a n t la m a iso n civile et m ilita ire d u ro i, des officiers de
la G arde d o n t p lu s ie u rs p o rta ie n t l ’é c la ta n t d o lm a n b leu ,
le p a n ta lo n de c a sim ir b la n c b ro d é en or, le s b o tte s
ro u g e s à g la n d s d ’o r, les u n ifo rm e s des e m p lo y é s su p é ­
r ie u r s d e s d iffé ren te s a d m in is tra tio n s civ iles, enfin c e lte
ric h e b ig a rru re d ’u n ifo rm e s, de c o s tu m e s re h a u s s é s d ’o r
e t d ’a rg e n t, de p la q u e s, de g ra n d s c o rd o n s , de d é c o ra tio n s ,
to u t d o n n a it à c e tte fête u n é c la t, u n e a n im a tio n , u n e
p h y sio n o m ie q u i lu i é ta it p ro p re .
« L eu rs M ajestés, en e n tra n t d a n s le g ra n d sa lo n , se d iri­
g è re n t a u s s itô t v e rs l ’a m b a s s a d e u r de F ra n ce , à q u i elles
a d r e s s è r e n t la p aro le . S on E x cellen ce av a it p rè s d ’elle
to u te l’a m b a ssa d e : S o p ra n zi, re v ê tu de so n élég a n t co s­
tu m e d ’aid e de cam p d u p rin c e de N eu c h â te l e t m oi p o r ­
ta n t l ’u n ifo rm e sé v è re de G h am b o ran (2e H u ssa rd s), avec le
d o lm a n ca p u c in c u ira ssé d ’a rg e n t, le p a n ta lo n b le u de
ciel, la c e in tu re c ra m o isie e t la b o tte ro u g e , ce q u i n ’é ta it
p as sa n s éclat, le to u t re h a u ssé de la c ro ix d ’officier de la
L ég io n d ’h o n n e u r et de tro is d é c o ra tio n s é tra n g è re s d o n t,
b ie n c e rta in e m e n t, je n ’e u s se p a s é c h an g é la p re m iè re
c o n tre a u c u n e de c es b rilla n te s en d ia m a n t qui sc in tilla ie n t
d a n s la salle.
« Le ro i n o u s fit u n sig n e b ie n v e illa n t de la tê te , la rein e
ag ita so n é v e n ta il avec g râc e, e t n o u s ré p o n d îm e s p a r u n e
p ro fo n d e s a lu ta tio n . Les d am es, g é n é ra le m e n t m is e s avec
g o û t, c o u v e rte s d e p ie rre rie s , de p e rle s e t de fleu rs, o ffraien t
u n co u p d ’œ il ra v iss a n t : s u r le u rs jo lie s fig u res, je u n e s et
c o q u e tte s , p e rç a ie n t le p la isir, la p a ssio n et l’a m o u r.
« La so m p tu o sité d es a p p a rte m e n ts é tait én ra p p o r t avec
le lu x e d es p a r u r e s ; les d é c o rs e t les te n tu r e s é ta ie n t
LA
COUlt DE N A P L E S .
— 1811.
d ’u n e m ag n ificen ce to u te ro y a le ; m a is ce qui d o n n a it u n
ch a rm e v ra im e n t m a g iq u e à ces sa lo n s, c’é ta it la p r o fu ­
sio n de b elles fleu rs n a tu re lle s e x h a la n t le s p lu s suav es
é m a n a tio n s. Des lu s tre s , d ’u n e ric h e sse e x tra o rd in a ire , r é ­
p a n d a ie n t d es flots de lu m iè re s u r c e tte ra v issa n te d é c o ra ­
tio n e t c e tte im m e n se sa lle , o ù l ’o n d a n s a it au m ilie u de
tou ffes d e fleurs.
« Cette fête, q u i a u r a it pu o c c u p e r u n e p la c e d a n s le r é c it
d e s M i l l e e t U n e N u i t s , d u r a ju s q u ’au jo u r . J ’avais co n serv é
u n e tr o p d o u ce so u v e n a n c e de c e t h e u re u x p a y s qui s y m ­
p a th is a it si b ie n avec m e s g o û ts p o u r n e p as a p p ré c ie r le
b o n h e u r de m ’y tr o u v e r ; a u s si, la n cé , a in si q u e m o n am i,
d a n s ce to u rb illo n de p la is irs , n o u s en sa v o u râ m e s to u te s
le s d o u c e u rs en o ffran t d es h o m m a g e s , ac cu e illis avec c e tte
b o n té to u te p a rtic u liè re au x N a p o lita in e s. C e p e n d a n t u n e
je u n e d u c h e sse faillit, avec sa c o q u e tte rie e t ses d ix -h u it
p rin te m p s , m e tr a n s fo rm e r en h é ro s de ro m a n en m ’e n g a ­
g e a n t à a lle r ré c la m e r son éventail p rè s de M. de Z ibin,
je u n e a tta c h é à l’a m b assa d e r u s s e , a u q u e l elle l ’av a it co n ­
fié avec la lé g èreté de so n âge. M. de Z ibin, n e v o y a n t pas
sa n s d é p la is ir n i ja lo u s ie l ’in te llig e n c e qui se m b la it e x iste r
e n tre n o u s, m e ré p o n d it, lo rsq u e j e lu i fis p a r t de m a
m is sio n , q u ’il sa u ra it bien re n d r e lu i-m ê m e ce q u i lu i
av ait é té confié, m a is q u e , si je te n a is e s se n tie lle m e n t à
r e m p lir m a m is sio n , il m ’en g a g ea it à v e n ir le le n d e m a in
m a tin s u r les b o rd s d u la c d ’A gnano c h e rc h e r l ’év e n ta il.
C e tte ré p o n s e , faite d an s le s te rm e s les p lu s p o lis m a is si
s è c h e , m e p a r u t tro p p o sitiv e p o u r y faire [aucune ré p liq u e
e t je m e r e lira i e n 'a c c e p ta n t l’in v ita tio n .
« Le le n d e m a in m a tin , n o u s n o u s re n c o n trâ m e s s u r le
lie u in d iq u é , a y a n t p o u r té m o in s A lex a n d re T alley ran d et
S o p ran zi, q u i m ’eng ag ea à fa ire au ssi b ie n que le jo u r du
bo is de B oulogne o ù il é ta it m o n se c o n d , le 25 ju ille t 1808.
326
SOUVENIRS
MILITAIRES.
M. de Z ib in é ta il a c co m p ag n é de d e u x R u sses a tta c h é s à
l ’a m b a ssa d e .
« L es p ré lim in a ire s d u c o m b a t s e fire n t avec les fo rm e s
les p lu s h o n n ê te s , sa n s q u ’a u c u n d es té m o in s e û t l’idée
d ’a r r a n g e r c e tte affaire, q u i p r e n a it u n e e sp èc e de g rav ité
e t d ’a m o u r- p r o p re n a tio n a l; il fu t c e p e n d a n t d écid é q u e
l ’év e n ta il s e ra it re m is au v a in q u e u r. A lors, n o u s m îm e s
h a b its bas e t c ro isâ m e s a u s s itô t le fe r de n o s é p é e s ; m o n
a d v e rs a ire é ta il g a u c h e r; la lu tte fu t assez vive e t se te r ­
m in a p a r u n e b le s s u r e assez p ro fo n d e q u ’il r e ç u t d a n s le
b ra s.
« Je fu s d ’a u ta n t p lu s p e in é de c e t é v é n e m e n t q u e ce
je u n e h o m m e é ta it u n a im ab le g arçon q u e j ’avais la c ra in te
de l ’av o ir e s tro p ié ; h e u r e u s e m e n t r a s s u r é le le n d e m a in
lo r s q u e je fu s le v o ir, il m e r e ç u t avec affection, sa n s r a n ­
c u n e , e t la p ro m e s s e d ’u n e e s tim e r é c ip ro q u e ; d u re s te ,
c e tte r e n c o n tre n ’e u t a u c u n e su ite , b ie n q u ’elle n e p û t
r e s te r ig n o ré e , e t d eu x jo u r s a p rè s , m e v o y a n t p ro m e n e r
av ec M. de Z ibin, on n ’en p a rla p lu s.
« J e n e p u is te p ré c is e r l ’ép o q u e de m o n r e to u r en
F ra n c e , q u i n e p e u t avoir lie u q u ’avec m o n co m p ag n o n ,
s o u m is lu i-m ê m e à c e rta in e s c o n s id é ra tio n s im p ré v u e s ;
d a n s to u s le s cas, é c ris-m o i à P a ris afin q u e j ’y tro u v e de
te s n o u v e lle s en y a rriv a n t. A dieu, c h e r a m i; so u v e n irs e t
te n d re s s e s . »
V ers la fin de n o tre q u a triè m e m o is de sé jo u r à N aples,
S o p ran zi r e v in t u n m a tin de l ’a m b a ssa d e avec u n v o lu m i­
neu x p a q u e t re n fe rm a n t, m e d it-il, d es d é p ê c h e s de la p lu s
h a u te im p o rta n c e , q u ’il d e v a it e m p o rte r à P a ris d a n s le
p lu s b re f d élai. Je fus d ’a u ta n t p lu s c o n tra rié de c e t in c i­
d e n t q u e n o u s avions fo rm é le p r o je t de faire n o tre re to u r
en to u r is te s et q u e cela d e v e n a it im p o s s ib le ; il fu t do n c
DÉPART
DE N A P L E S .
— 1811.
327
d é c id é q u e n o u s p a r tirio n s le le n d e m a in d a n s la n u it, afin
de p o u v o ir tr a v e rs e r de jo u r le s M arais P o n tin s , in fe s té s
de b rig a n d s.
N ous q u ittâ m e s N aples le 29 fé v rie r, à six h e u re s d u so ir,
e m p o rta n t u n e am p le p ro v isio n de b ie n d o u x so u v e n irs ;
n o u s tra v e rs â m e s c e tte d é lic ie u se C apoue, a u jo u rd ’h u i
u n e b o u rg ad e fo rt la id e et trè s sale, p u is G aête la fo rte ,
q u i a v a it ré s is té si lo n g te m p s au x F ra n ç a is ; e n s u ite n o u s
p a rc o u rû m e s les M arais P o n tin s , lieux to u jo u r s in fe c ts,
m a ls a in s , re p a ire de b rig a n d s q u i, la veille, av a ie n t c o m ­
m is u n a s sa sin a t e t, p o u r c e tte c a u se , n é c e s sité la p ré se n c e
d ’u n d é ta c h e m e n t de cavalerie q u i p ro té g e a n o tre p assag e .
N ous re s tâ m e s u n e h e u re se u le m e n t à R om e, q u e je c o n ­
n a issa is si b ie n , r e g r e tta n t de ne p o u v o ir se rv ir de c ice ro n e
à m on am i.
N ous v o y ag io n s p a r u n te m p s su p e rb e et avec u n e
e x trê m e ra p id ité , é ta n t p ré c é d é s p a r u n c o u rrie r, m a is avec
le c h a g rin de n e p o u v o ir e x p lo re r ce d élicieu x p a y s.
U ne d e m i-h e u re a p rè s av o ir q u itté la ville de S ien n e ,
n o u s tro u v a n t s u r u n e h a u te u r au to u r n a n t de la r o u te , p rè s
d ’u n b o is e t d ’u n ra v in p ro fo n d , n o s re g a rd s f u re n t to u t à
co u p fra p p é s p a r l ’a s p e c t d ’u n e ca lè c h e élég a n te, a b a n ­
d o n n é e , san s chevaux, n i v o y a g e u rs; q u e lq u e s effets é p a rs,
u n e m a re de sa n g e t u n lo n g p is to le t n e n o u s la is s è re n t
au c u n d o u te q u ’u n c rim e h o rrib le n ’e û t été c o m m is, dep u is
tr è s p e u d 'in s ta n ts , d a n s cet e n d ro it, e t m ê m e a p rè s le
p assag e de n o tre c o u rrie r. N ous m îm e s p ie d à te rr e p o u r
tâ c h e r de d é c o u v rir q u e lq u e o b je t d a n s la v o itu re q u i p û t
d o n n e r des in d ic e s s u r les p r o p rié ta ire s ; le s p o rtiè re s
é ta ie n t o u v e rte s, le s coffres en lev és, u n e c a sq u e tte ro u g e
avec u n g alon d ’o r é ta it p rè s d ’u n c o u s s in e t, d a n s u n e d e s
p o c h e s, se tro u v a it u n m o u c h o ir de b a tis te , im p ré g n é de
l’o d e u r d ’ea u de P o rtu g a l, a y a n t u n chiffre b ro d é W avec
328
SOUVENIRS
MILITAIRES.
u n e c o u ro n n e ; n u l d o u te q u ’il n ’a p p a r tîn t à u n e fem m e,
qui a v a it été p ré c ip ité e , ain si q u e so n c o m p ag n o n de voyage,
d a n s le ra v in p ro fo n d q u e n o u s av io n s so u s le s yeu x . N ous
q u ittâ m e s ce lie u d ’h o rre u r avec u n s e n tim e n t d o u lo u re u x
e n p e n s a n t au s o rt affreu x de ces m a lh e u re u s e s v ic tim e s,
e m p o rta n t avec n o u s to u t ce q u i p o u v a it c o n trib u e r à
m e ttr e s u r le s tra c e s de cet a tte n ta t.
En a rriv a n t à T av a ru e lla , n o u s a p p rîm e s à la p o ste q u ’u n e
ca lè c h e se m b la b le à celle q u e n o u s d é sig n io n s av ait s im ­
p le m e n t re la y é au m o m e n t o ù n o tre c o u r r ie r c o m m a n d a it
n o s ch e v a u x ; elle é ta it occu p ée p a r u n h o m m e d ’u n e q u a ­
ra n ta in e d ’a n n é e s ; p rè s de lu i, é ta it u n e je u n e e t jo lie
fe m m e ; s u r le siège, u n d o m e stiq u e e t u n e fem m e de
c h a m b re ; la v o itu re é ta it a tte lé e de tro is chevaux c o n d u its
p a r le p o stillo n , d o n t le r e to u r a u ra it d û av o ir lie u d ep u is
lo n g te m p s .
N ous fû m e s chez le p o d e s ta t faire e t sig n e r n o tre d éc la­
ra tio n , e n lu i r e m e tta n t les o b je ts de conviction q u e n o u s
av io n s re c u e illis. Il v o u lu t n o u s r e te n ir p o u r l’in stru c tio n
de c e tte affaire, m ais le p a s s e p o rt d o n t n o u s étions, p o rte u rs
é ta it tro p im p é ra tif p o u r q u ’il o sâ t n o u s g a rd e r, e t n o u s
c o n tin u â m e s n o tr e r o u te s u r F lo re n c e , o ù n o u s re stâ m e s
sim p le m e n t le te m p s de d é je u n e r. N ous a rriv â m e s le le n d e ­
m a in à M ilan, o ù n o u s fû m e s je te r u n co u p d ’œ il p e n d a n t
q u ’o n p ré p a ra it n o tre re p a s, e t, c o n tin u a n t n o tre ro u te p a r
T u rin , C h a m b é ry et L y o n , n o u s a rriv â m e s à P a ris d a n s la
m a tin é e d u 11 m a rs.
Ma m è re , q u e je m ’e m p re ssa i d ’a lle r voir, m ’a n n o n ç a la
p ro c h a in e arriv é e de m on frè re v e n a n t de H am bourg, o ù il
é ta it en g a rn iso n , p o u r faire u n m a ria g e a v a n ta g e u x q u i
s ’é ta it a rra n g é p e n d a n t m o n a b s e n c e ; il d ev ait ép o u se r
M110 d e B o issie r, b e lle -sœ u r du g é n é ra l de div isio n M e rm e t;
l ’E m p e re u r av a it p ro m is de sig n e r le c o n tra t de m a riag e,
SÉJOUR
A PARIS.
— 1 811.
329
e t, p o u r cad ea u de n o ce s, il lu i a c c o rd a it la p la ce de re c e ­
v e u r g é n é ra l de la M é d ite rran é e, d o n t la ré s id e n c e é ta it à
L iv o u rn e, et q u i v a la it au m o in s 60 000 fra n c s de re v e n u .
C ette n o u v elle m e co m b la de jo ie , elle a s s u ra it à m o n
frè re u n e ric h e tra n q u illité et u n re p o s q u e se s b le s s u re s
re n d a ie n t n é c e s sa ire .
Ma m è re , p a r u n s u rc ro ît de p ré c a u tio n , av a it été chez le
m in is tre de la G uerre, m u n ie d ’u n e le ttre de l ’im p é ra tric e
Jo sé p h in e , p o u r o b te n ir de lu i q u ’à m o n r e to u r de N aples,
je p u isse r e s te r à P a ris ju s q u ’à la c o n c lu sio n de c e tte af­
faire, ce q u ’il av ait ac co rd é avec b e a u c o u p de grâce.
L ’h e u re u x é v é n e m e n t d u m a riag e de m o n frè re , q u e rie n
n e m ’av ait fa it p re s s e n tir e t l’a u to ris a tio n du m in istre
a llaien t, de n o u v e a u , m e la n c e r au m ilie u d es fêtes e t d es
p la isirs q u i, à c e tte ép o q u e , é ta ie n t e n c o re d ans to u te le u r
fo rc e, la n d is q u e je c o m p ta is p a r tir p o u r l ’E spagne.
U ne dizain e de jo u r s a p rè s m o n r e to u r à P a ris, S o p ra n z i,
e n tra n t d a n s m a c h a m b re , d é p o sa p lu s ie u r s b ille ts d u T ré ­
s o r s u r u n e ta b le , en m e d isa n t q u ’il v e n a it de re c e v o ir
6 000 fra n c s de g ratific atio n d u p rin c e de N eu c h âte l e t
q u ’il m ’en a p p o rta it la m o itié . « J e c ro y a is, lu i dis-je, q u e
n o u s av io n s assez la rg e m e n t d é p e n sé les fo n d s de l ’É ta t
sa n s q u ’il fû t n é c e s sa ire d ’y a jo u te r ce s u r c r o ît d ’av a n ta g e,
m a is, d a n s to u s le s ca s, je n e c ro is p as d ev o ir ê tre p o u r
q u e lq u e c h o se d an s c e tte m u n ific en c e, p u is q u e je n ’é ta is
q u ’u n ac ce sso ire d a n s la m is sio n . — Le p rin c e m ’a c e p e n ­
d a n t fo rm e lle m e n t d it, r e p r it m o n am i, q u e c’é ta it p o u r
n o u s deu x , e t il se ra it p e u c o n te n t d ’u n re fu s. Au re s te ,
je t ’en g ag e à le r e m e rc ie r d e m a in à son bal. — Q u’à cela
n e tie n n e , re p a rtis-je , p u is q u ’il en e s t a in si, je m e ré sig n e ,»
e t tro is b illets de 1 000 fran cs m e fu re n t re m is.
Je cro is m e ra p p e le r q u e le s frais de r o u te , n o tre sé jo u r
à N aples et la g ratific atio n p r o d u is ir e n t u n to ta l de 18 000
330
SOUVENIRS
M ILITAIRES.
e t q u e lq u e e e n ts fra n c s : il e st v rai q u ’a lo rs il n ’y av a it ni
m e s q u in e rie , n i p e tite s s e ,
to u t é ta it à la h a u te u r de
l ’é p o q u e , e t, en o u tre de cela, m o n am i é ta it le fils de
Mme V isc o n ti e t aide de cam p du p rin c e de N eu c h âte l.
J ’a tte n d a is fo rt p a tie m m e n t, au m ilie u d es p la isirs, q u e
le m a ria g e se te rm in â t, lo rsq u e m o n frè re v in t m ’a n n o n c e r
q u ’il d ev a it se re n d re le le n d e m a in à n e u f h e u re s d u m atin
au p a la is de S ain t-C lo u d . Mon frèr.e, en u n ifo rm e de c a p i­
ta in e au 3e C h a sse u rs, é ta it ac co m p ag n é de so n n o ta ire
âgé de tre n te a n s, m a is p a ra is s a n t en a v o ir v in g t-tro is ,
v êtu en n o ir, p e tit m a n te a u de so ie et ra b a t de d e n te lle . Ils
fu re n t in tr o d u its d an s le c a b in e t de l’E m p e re u r p a r le
c o m te de B a u sse t, p ré fe t d u p alais. N apoléon é ta it assis
p rè s d ’u n e p e tite ta b le s u r la q u e lle se tro u v a it le c o n tra t
de m a riag e q u ’il a lla it s ig n e r; il en v isag e a d ’a b o rd le
g a rd e -n o te s en fro n ç a n t le so u rcil p u is l’a p o s tro p h a ain si :
«
V o u s? n o ta ire ? .. ( P a u s e . ) V ous ê te s b ie n je u n e ! ( A u t r e
A n c ie n n e m e n t, on d isa it : Un se rg e n t a u x g a rd e s
fra n ç a ise s , u n c u ré e t u n n o ta ire fo n t tro is h o n n ê te s
p a u s e .)
g e n s !... C’e s t b ie n c h a n g é. ( P a u s e e t h u m e u r . ) A u jo u rd ’h u i
les n o ta ire s fo n t des affaires, le s n o ta ire s m a n q u e n t e t les
n o ta ire s r u in e n t le u rs c lie n ts! ( P a u s e r a d o u c i e . ) l \ y a ce p en ­
d a n t d es e x c e p tio n s. »
L’o n d o it ju g e r la p o sitio n du p a u v re g a rd e -n o te s q u i
av a it le v isag e ru is s e la n t de s u e u r ; p u is l ’E m p e re u r se ra s ­
s é ré n a e t d it à m on frè re : « Mais je v o u s c o n n a is, c a p i­
ta in e , v o u s avez été b le ssé à W a g ra m ? — O ui, sire. » Il lu i
fit u n p e tit sig n e de tê te en s o u ria n t, et a jo u ta : « E t vous
vo u le z-v o u s r e p o s e r? » P u is, p re n a n t la p lu m e , il tr a ç a son
n o m s u r le c o n tra t de m a ria g e , e t lu i fit u n g este b ie n ­
v e illa n t de la m a in p o u r q u ’il se r e tirâ t.
U ne fois so rti, le n o ta ire p o u v ait à p e in e se so u te n ir.
B a u sse t c o u r u t a p rè s m o n frè re p o u r l ’ac c o m p a g n e r chez
MA IM E-l.OUISE.
— 1811.'
331
l ’im p é ra tric e M arie-L ouise, q u i, se lo n l’u sa g e, d e v a it a u ssi
s ig n e r a u c o n tra t.
A dm is d e v a n t elle et a p rè s le s a lu t, l ’Im p é ra tric e o u v rit
la b o u c h e p o u r d ire d e u x b ê tise s, l’u n e : « V o u s ê te s o f f i ­
c ie r d a n s la G a r d e ? so n u n ifo rm e p ro u v a it le c o n tra ir e ;
l ’a u tre : « V o u s a v e z f a i t la g u e r r e e n A l l e m a g n e ? » A c e tte
se co n d e q u e s tio n , q u i e u t to u t lie u de s u r p re n d re m ort
frè re , il ré p o n d it affirm ativ em e n t en r ic a n a n t de p itié.
Le c o n tra t sig n é , ces m e s s ie u rs se re tirè re n t.
A rrivé à P a ris , M. C o u rc h a n t, le n o ta ire , se m it au lit
avec la fièvre.
Le s u rle n d e m a in , u n
d é c re t im p é ria l n o m m a it m o n
f rè re re c e v e u r g é n é ra l de la M é d ite rran é e e t il r e ç u t l ’o rd re
d e se r e n d re à L iv o u rn e, lie u de sa ré sid e n c e . C e tte re c e tte
g é n é ra le av a it d a n s se s a ttr ib u tio n s l ’île d ’E lbe; m ais ce
q u i la r e n d a it u n e des m e ille u re s de l’e m p ire , c ’e s t q u e les
d o u a n e s, v e rsa n t le u rs re c e tte s d an s le s ca isse s d u re c e v e u r
g é n é ra l q u i lu i-m ê m e n ’é ta it te n u de faire se s v e rs e m e n ts
q u e d eu x fo is p a r an , m o n frè re se tro u v a it d a n s u n e p o s i­
tio n fin an c ière d es p lu s av a n ta g eu se s.
Le m a riag e te rm in é , je co m p tais p a r tir p eu de jo u r s
a p rè s, lo r s q u ’u n é v é n e m e n t to u t à fait im p ré v u e t q u i fit
assez de b r u it d a n s
P a ris m e
r e tin t d e u x
se m a in e s.
L ’av a n t-v eille du jo u r o ù je d ev ais q u itte r P a ris , s o rta n t
du café T o rto n i v ers les onze h e u r e s d u so ir, à p e in e éf a is-je
d a n s m o n c a b rio le t, m o n cheval s ’e m p o rte ; u n e rê n e
c a sse en c h e rc h a n t à le r e te n ir et, au m o m e n t o ù j ’e n tra is
d an s la ru e d e G ra m m o n t, je c u lb u te u n m a lh e u re u x p ié to n
q u i tra v e rs a it le b o u le v a rd ; u n e ro u e lu i p asse s u r la
c u isse e t la lu i b rise en d eu x e n d ro its ; je c h e rc h a is il r e te ­
n ir la fo u g u e de m o n cheval avec la se u le rê n e q u i n o u s
r e s tâ t; il e n tre d an s le m a g asin d ’u n ép ic ie r, fo u la n t to u t
so u s se s p ie d s; l’effroi e t le s c ris d u m a rc h a n d à c e tte
332
SOUVENIRS
MILITAIRES.
v isite in a tte n d u e , la tris te situ a tio n d u m a lh e u re u x q u e
j ’av ais é c ra sé , a ttir e n t à l ’in s ta n t u n e foule de m o n d e ,
m a lg ré l’h e u re av a n cé e d a n s la n u it; le p eu p le se p ré c ip ite
s u r m o n c a b rio le t q u e l ’on r e tire avec p e in e de la b o u tiq u e
o ù le b ra n c a rd é ta it en g a g é ; o n té m o ig n e l ’in te n tio n de
le b ris e r en v o c ifé ra n t a p rè s le s m ilita ire s q u i se c ro ie n t
to u t p e r m is ; m a p o sitio n d e v e n a it à c h a q u e in s ta n t p lu s
c ritiq u e , lo r s q u ’u n m o n s ie u r d éc o ré, q u e je re c o n n u s a u s ­
s itô t p o u r u n de m e s am is p a r tic u lie r s (le c a p ita in e Montig n y d e J a u c o u rt), se p ré s e n te co m m e s ’il é ta it officier
de p o lic e , e m m è n e m o n c a b rio le t avec m o n d o m e stiq u e
a u q u e l il o rd o n n e de se d irig e r s u r la P ré fe c tu re de P o lice.
Q u a n ta m o i, je m e re n d s a u s s itô t chez u n m a rc h a n d de
m e rc e rie fa is a n t le coin d u b o u le v a rd e t de la ru e de G ram m o n t où l’on a v a it d ép o sé m a m a lh e u r e u s e v ic tim e d an s
u n é ta t v ra im e n t d é p lo ra b le ; p e u d ’in s ta n ts a p rè s, se p r é ­
s e n te le c o m m issa ire de p o lic e d u q u a r tie r avec l’in te n tio n
d e m ’a r r ê te r, lo rsq u e , fo rt h e u re u s e m e n t, le c o m te Arc h a m b a u d de P é rig o rd , q u i é ta it au café T o rto n i, v ie n t s u r
le s lieu x de la sc èn e , se fa it re c o n n a ître p o u r le frè re du
p rin c e d e B é n é v e n t, d éc la re q u e je su is so n p a re n t e t q u ’il
ré p o n d de m o i.
Le p ro c è s-v e rb a l, q u i se fit a u s sitô t, m e fit c o n n a ître que
le p au v re b le ssé é ta it u n je u n e p e in tre p ru s s ie n d u n o m
de F ra n c k , d e m e u r a n t b o u le v a rd du T e m p le ; les p ro p rié ­
ta ire s d u m a g a sin s ’e m p re s s è re n t de d o n n e r les p re m ie rs
so in s et p r ê tè re n t des m a te la s s u r le s q u e ls fu t p la c é le
b le ssé , q u e j ’ac co m p ag n a i à so n lo g is où je le confiai à u n e
g ard e .
Le le n d e m a in , je tro u v a i M. F ra n ck a u ssi b ie n que p o u ­
vait le p e r m e ttr e sa tris te p o sitio n : u n c h iru rg ie n , qui le
p a n s a it, d é c la ra q u ’il n ’y av a it q u ’u n e fra c tu re , m ais q u ’elle
s e ra it lo n g u e à g u é rir. Le p au v re b le ssé , v o y a n t m on d é s e s­
AU
PALA IS
D E J U S T I C E . — 1 81 1.
333
p o ir, c h e rc h a it à m e tr a n q u illis e r; je lu i re m is u n b ille t de
500 fra n c s avec p ro m e ss e de p o u rv o ir à to u te s se s d é p e n se s
j u s q u ’à p a rfa ite g u é riso n .
D ans l ’a p rè s-m id i, tro is h o m m e s re v ê tu s de ro b e s assez
sa les se p r é s e n tè r e n t p o u r v erb a lise r, ce q u ’ils fire n t avec
u n zèle d ’a u ta n t p lu s to u c h a n t q u ’ils p r é s e n ta ie n t to u te s
le s c irc o n sta n c e s le s p lu s ag g ra v a n te s, fa isa n t de m oi
p re s q u e u n a s s a s s in ; m a is ce brav e je u n e h o m m e , lo rs ­
q u ’on lu i p ré s e n ta c e tte pièce à sig n e r, té m o ig n a so n in d i­
gn atio n , d é c la ra n t a v o ir e n te n d u c rie r : « G are! » m ais
q u ’e s p é ra n t av o ir le te m p s de tr a v e rs e r le b o u le v ard , le
m a lh e u r q u ’il av a it ép ro u v é p ro v e n a it de so n im p ru d e n c e ;
q u ’au r e s te , il se d é s is ta it de to u te p la in te e t re fu s a it fo r­
m e lle m e n t d e se d é c la re r p a rtie civile.
Les tro is in d iv id u s, qui e s p é ra ie n t d u sc a n d a le et de l ’a r­
g e n t, se r e tir è r e n t assez m é c o n te n ts , en d is a n t q u e j ’étais
loin d ’e n être q u itte , ce q u i m a n q u a m e s u s c ite r u n e n o u ­
v elle affaire, san s la g a rd e -m a la d e q u i m ’a r r ê ta a u m o m e n t
où j ’allais, d ’u n co u p de p ie d d a n s le d errière,- faire ro u le r
les e sc a lie rs à l’im p e r tin e n t q u i m ’av ait m e n a c é .
C ette affaire, d an s la q u e lle m a cu lp a b ilité in v o lo n ta ire no
p o u v a it ê tre rév o q u é e en d o u te , avait eu q u e lq u e r e te n tis ­
se m e n t, etM . D ubois, le p ré fe t de P o lice , q u i se m a in te n a it
en fav eu r au m o y e n de c a n c a n s d o n t N apoléon é ta it fo rt
a m a te u r, n ’av a it p as m a n q u é de r a c o n te r m o n a v e n tu r e ;
a lo rs l ’E m p e re u r, d o n t la m é m o ire p o u v a it ê tre c o m p a ré e
à u n d ic tio n n a ire et qui, m a lh e u re u s e m e n t d a n s c e tte c ir­
co n sta n c e , v o u lu t b ie n m ’h o n o re r de son so u v e n ir, o rd o n ­
n a les p o u rs u ite s le s p lu s sé v ères, en d is a n t q u ’il sa u ra it
bien m e ttre à la ra iso n to u s ces je u n e s fous d ’officiers
q u i se cro y a ie n t to u t p e rm is. D éjà, il av ait m is a u x a r rê ts
de rig u e u r, p o u r q uin ze jo u r s , le co lo n el L e je u n e , q u i av ait
c u lb u té so u s ses y eu x u n e p e tite v o itu re de lé g u m e s ; u n e
334
SOUVENIRS
MILITAIRES.
a u tre fois, E d m o n d de P é rig o rd , o u tre le s a rrê ts , e u t u n e
a m e n d e p é c u n ia ire assez fo rte p a rc e q u ’u n h o m m e por-r
ta n t u n e h o tte d a n s la ru e de L ou v o is s ’é ta it v o lo n ta ire ­
m e n t fait re n v e rs e r. Je re ç u s do n c u n e a s sig n a tio n à co m ­
p a ra ître d e v a n t le trib u n a l c o rre c tio n n e l, à l ’effet de m e
v o ir c o n d a m n e r p o u r u n d é lit p ré v u p a r le Gode p én al.
E n a rriv a n t d a n s la v aste sa lle des P a s-p e rd u s, lie u d o n t
j ’ig n o ra is e n tiè re m e n t l ’e x iste n c e , je tro u v a i p lu s ie u rs de
m e s a m is, v e n u s p o u r a s s is te r a u x d é b a ts d u p ro cè s. Ils
f u re n t fo rt s u rp ris d ’a p p re n d re q u e j ’avais o u b lié dé m e
m u n ir d ’u n d é fe n s e u r; m a is, h e u r e u s e m e n t, j ’é ta is s u r le
te r r a in le p lu s p ro p ic e à ce t é g a rd ; il s ’en p ré s e n ta p lu ­
s ie u rs m ’a s s u ra n t to u s d ’u n su c c è s c e r ta in ; je p ris celu i
d o n t la ro b e e t le b o n n e t le p lu s fan é s m e fire n t p e n s e r
q u e sa lo n g u e e x p é rie n c e m e s e ra it u tile, e t je le m is au
fa it d u m o tif de m a c o m p a ru tio n .
A rriv é d a n s m o n u n ifo rm e de h u s s a rd , la p re m iè re
c h o se q u e l’on fit e t à la q u elle je v o u lu s d ’a b o rd m ’o p p o ­
se r ce fut de m e d é s a rm e r de m o n s a b re e t m e c o n d u ire
s u r le b an c des a c c u s é s, p u is de m ’in te rro g e r s u r faits e t
a r tic le s ; fo rt p e u a u c o u ra n t d u rô le q u e j ’avais à jo u e r
d a n s ce g e n re d ’a u d ie n c e si n o u v e a u p o u r m o i, m e s r é ­
p o n s e s , faites avec assez de lé g è re té e t d ’u n e e sp è c e de to n
g o g u e n a rd , m ire n t en ém o i to u s le s ju g e s e t m ’a ttir è r e n t,
de la p a r t d u p ré s id e n t, u n e m e rc u ria le sé v ère, u n ra p p e l
à l ’o rd re e t a u re s p e c t q u e to u t c ito y e n d o it à la ju s tic e .
Enfin, a p rè s u n lo n g d é b a t e n tre le c o m m issa ire im p é ­
ria l e t m o n avocat, l ’in s tru c tio n d û m e n t in fo rm é e , les
ju g e s m e d é c la rè re n t co u p a b le d u d é lit de b le s s u re s in v o ­
lo n ta ire s p a r su ite d ’im p ru d e n c e e t m a n q u e de p ré c a u ­
tio n ; en c o n s é q u e n c e de ce, m e c o n d a m n è re n t, en v e rtu de
l ’a rtic le 320 d u Code p é n a l, à 50 fra n c s d ’a m e n d e , fra is,
d é p e n s, e tc ., e tc ., e t u n m o is de p r is o n ; p u is le p ré s id e n t
AU P A L A I S
DE JU S T IC E .
— 1811.
335
a y a n t a jo u té q u e j ’avais le d ro it d ’en a p p e le r, je m e levai
v iv e m e n t en m ’é c ria n t : « Bien c e rta in e m e n t je p ro fiterai
d e ce d ro it avec la co n v ic tio n in tim e d ’ê tre a b s o u s », ce
q ui fit so u rire les ju g e s d o n t l ’o p in io n é ta it p e u t-ê tr e s e m ­
b la b le à la m ie n n e. Au r e s te , b ie n q u e ce tte affaire fû t de
p e u d ’im p o rta n c e e t n ’e n ta c h â t en r ie n m a ré p u ta tio n , le
ju g e m e n t q u i fu t re n d u p ro d u is it u n e fâ c h e u se im p re s s io n
s u r l ’a u d ito ire , le q u e l se m b la it c o n v a in c u q u e les ju g e s
a v a ie n t p lu tô t ex é cu té u n o rd re q u e re m p li u n d ev o ir.
J e c h a rg eai m o n v e rb e u x d é fe n se u r de faire to u t ce q u ’il
c ro ira it c o n v e n ab le d a n s c e tte c irc o n sta n c e . U n peu co n fu s
d u r é s u lta t de se s p ro m e s s e s , il m ’a s s u ra q u ’en a p p e l, il
fe ra it m ie u x r e s s o r tir m o n in n o c e n c e (chose q u e je p o u ­
v ais d ifficilem e n t c o m p re n d re ) et q u ’in fa illib le m e n t il ga­
g n e ra it sa c a u s e ; m a is, ce q u i m e fit in fin im e n t p lu s de
p la is ir e t m e se m b la it p lu s ce rta in , ce fu t l ’a s su ra n c e
q u ’il m e d o n n a de faire tra în e r l ’affaire p lu s de d e u x m o is,
ce q u i m e co n v e n a it d ’a u ta n t m ie u x q u ’a lo rs je se ra is en
E sp ag n e . J e payai donc assez g ra s s e m e n t m on avocat, en
lu i so u h a ita n t so u v e n t des a u b a in e s
se m b la b le s
à
la
m ie n n e . D eux jo u r s a p rè s , je m e m is en ro u te p o u r M assiac,
la is s a n t c e tte affaire to u t à fa it liv ré e au b on p la is ir d e la
ju s tic e e t j ’a p p ris p lu s ta rd queM . D e sp re m e sn il, un de m es
ju g e s et de m e s am is, av a it fo rte m e n t c o n trib u é à faire
c a s s e r l ’a r r ê td u p r e m ie r ju g e m e n t et q u e j ’a v a isé té a c q u itté .
Q u an t au m a lh e u re u x p e in tre , je lu i re m is u n b ille t do
b a n q u e de 1000 fra n c s en le q u itta n t, le p ria n t de m e
d o n n e r de ses n o u v e lle s e t de c o m p te r s u r m oi e n to u te
circ o n sta n c e .
J ’e s p é ra is p ro lo n g e r q u e lq u e te m p s m o n s é jo u r p r è s do
m o n p è re , m ais u n o rd re d u m in is tr e de la G u erre fit d is ­
p a ra ître c e tte illu sio n , e t je d u s m e m e ttre en ro u te p o u r
l ’E sp ag n e,
EN
E S P A G N E — UN C O N V O I
Ma p re m iè re jo u r n é e p o u r a r r iv e r à A u rillac se lit d an s
la v o itu re de m o n p è re ; m a is, en q u itta n t c e tte ville p o u r
a tte in d re M o ntauban, je n ’eu s d ’a u tre re c o u rs q u e des c h a r­
r e tte s , d é n o m m é e s p a ta c h e s, d é te sta b le s v é h ic u le s in v e n ­
té s p o u r le m a lh e u r e t le to u r m e n t de l ’in fo rtu n é v o y a­
g e u r q u i n e p o u v a it av o ir re c o u rs à la p o ste . E nfin, a p rè s
s e p t jo u r s de c a h o ts, de s o u b re s a u ts e t de so u ffran c es
in to lé ra b le s, au tra v e rs d ’u n ép o u v a n ta b le p ay s qui n ’offre
e n fait d e c é lé b rité q u e d es tru ffe s q u i n ’y r e s te n t p as,
c o n tra in t de m e je te r to u s le s so irs s u r u n lit d a n s le q u e l
il y a u r a it e u d a n g e r de c o u c h e r, enfin, d is-je , a p rè s ta n t
d ’e n n u is e t de tr ib u la tio n s q u i m e faisa ie n t ja lo u s e r l ’h e u ­
re u s e in d iffé re n c e de m o n c o saq u e , n o u s a tte ig n îm e s la
jo lie v ille d e M o n ta u b a n avec d ’a u ta n t p lu s de sa tisfa c tio n
q u e le p ré fe t, M. .Le P e lle tie r d ’A unay e t le s o u s-p ré fe t,
M. d e S alp e rw ic k , to u s d e u x m e s p a re n ts e t m e s a m is, m e
r e ç u re n t avec le p lu s g ra n d e m p re s s e m e n t e t m e g a rd è re n t
q u a tre jo u r s . Un a u tre m o tif se jo ig n it à ce te m p s d ’a rrê t,
ce fu t la re n c o n tre de la fam ille d u d u c de la F o rc e,
Mmes de G iro n d e, de L o rd a s et la c o m te s se de B albi, d o n t
je re ç u s l ’accueil le p lu s aim ab le. Je q u itta i M ontauban
p o u r m e r e n d re à T o u lo u se , où j'e u s l’h e u re u s e ch an ce de
BAYONNE.
— 1812.
337
r e tro u v e r la belle et g ra c ie u se C oralie de la R o
, que
j ’av ais c o n n u e à P a ris , ce q u i m e fit p e rd re deu x fois m a
place à la d ilig en ce. J e finis p o u r ta n t p a r m ’a rra c h e r de
se s b ra s p o u r m e r e n d re à P au , o ù u n e h a lte de d eu x h e u re s
m e p e r m it de v isite r ce c h â te a u q u i a v a it v u n a ître
H en ri IV ; c’é ta it a lo rs u n h ô p ita l m ilita ire , m a is o n p o u ­
v ait e s p é re r q u ’on lu i r e n d r a it u n jo u r so n lu s tre p rim itif.
L o rsq u e j ’arriv ai à B ay o n n e, je tro u v a i la ville e n c o m ­
b rée d e tr o u p e s e t d ’officiers iso lé s, se re n d a n t o u re v e ­
n a n t d ’E sp a g n e ; ce p e n d a n t, p a r u n h e u re u x h a s a rd , je p a r ­
vin s à o b te n ir u n e x c e lle n t lo g e m e n t chez M. B e rtra n d ,
h o n o ra b le n é g o c ia n t, q u i m ’a c c u e illit de la m a n iè re la p lu s
aim ab le e n m e p r ia n t de faire p a rtie de sa q h a rm a n te
fam ille ju s q u ’au m o m e n t de m o n d é p a rt d o n t l ’ép o q u e
é ta it so u m ise à la fo rm a tio n d ’u n co nvoi m ilita ire , se u le
m a n iè re de v o y a g e r avec s é c u rité au m ilie u d e s b an d e s
n o m b re u s e s de g u é rilla s q u i in fe s ta ie n t le p ays.
C elte ép o q u e de la g u e rre d ’E spagne e st, sa n s c o n tre d it,
u n e des p lu s d é s a s tre u s e s q u e la P ra n c e a it e u e s à su p p o rte r,
m a lg ré les n o m b re u x su c cè s de n o s tro u p e s, car il n e s ’ag is­
sa it p as se u le m e n t de c o m b a ttre u n e n n e m i face à face,
m a is il fallait e n c o re é v ite r les e m b û c h e s, les tra h is o n s et
le fan a tism e b a rb a re des p o p u la tio n s, c e n t fois p lu s te r ­
rib le s q u e les p e rte s o cc asio n n ée s p ar la m itra ille , le s b alles
e t les b o u le ts : jo ig n e z à ce la les fatig u es, les p riv a tio n s et
le s m a la d ie s é p id é m iq u e s e t u n e te m p é ra tu re b rû la n te
q u i p o rta ie n t le ravage d a n s les ran g s de l ’a rm é e , — g u e rre
si im p o litiq u e , qui d ev ait p lu s ta rd e n tra în e r des d é s a s tre s
irré p a ra b le s !
« Bayonne, 24 janvier 1812.
« A rrivé en c e tte ville d ep u is p e u de jo u r s , m o n p è re , e t
ig n o r a n t l ’in s ta n t où je q u itte ra i le sol fra n ç a is, p u isq u e
338
SOUVENIRS
M ILITAIRES.
c e la d ép e n d d u d é p a rt d ’u n co nvoi, je n e v eu x p a s ê tre p ris
a u d é p o u rv u p a r u n o rd re s u b it e t je p ré fè re vous é c rire
p lu tô t d e u x fois q u ’u n e , afin q u e m o n silen c e ne v o u s cause
a u c u n e in q u ié tu d e .
«, V ous sa u re z d ’a b o rd q u e je su is en ce m o m e n t to u t à
fa it en m e s u re de faire m o n e n tré e s u r c e lte te rr e p e u h o s­
p ita liè re , g râ c e à l ’a c q u isitio n q u e j ’ai faite a v a n t-h ie r d ’un
f o rt jo li ch e v al a n d a lo u , d ’u n a u tre fo rt et v ig o u re u x p o u r
m o n co sa q u e T ilsit, q u e j ’avais la issé à M assiac p e n d a n t
m e s p é ré g rin a tio n s , et d ’u n c h a r m a n t p e tit m u le t p o r ta n t
d e u x c a n tin e s en h o is des Ile s, d o u b lé e s en c u ir, dev an t
s e rv ir à c o n te n ir m e s effets e t m e s p r o v is io n s ; ce c o m p lé ­
m e n t d ’éq u ip ag e e s t la d é fro q u e d u lie u te n a n t d eB o u g ain v ille, fils de l ’a m ira l, a rriv a n t d ’E spagne p a r le d e rn ie r
co n v o i e t q u i, en b o n c a m a ra d e , m ’a cédé le to u t p o u r la
m o d iq u e so m m e de six c e n t v in g t fra n c s : a u tre m e n t j ’e u sse
été c o n tra in t de p a s s e r p a r le s m a in s de c e lte race ré p ro u v é e
de D ieu e t des h o m m e s, to u jo u rs p r ê te à é c o rc h e r vifs les
m a lh e u re u x c h ré tie n s fo rc é s d ’a v o ir r e c o u rs à elle.
« V ous sa u re z q u e , n o n s e u le m e n t p o u r p é n é tr e r en
E sp a g n e , m a is a u s si p o u r y voyager sa n s in q u ié tu d e , il
n ’e s t d ’a u tre m o y e n q u e l ’ap p u i de fo rts d é ta c h e m e n ts, le s ­
q u e ls s o n t tr è s s o u v e n t a tta q u é s p a r d es b a n d e s de g u é ­
rilla s q u i en v e u le n t a u ta n t à la vie d e s h o m m e s q u ’à le u r
b o u rs e .
« A c e t effet, l ’o n a tte n d la ré u n io n de p lu s ie u rs v o itu re s
d e s tin é e s au tr a n s p o r t d ’é q u ip ag e s m ilita ire s, d ’a rm e s,
d ’a rg e n t, e tc ., d ’officiers iso lés e t de p e tits d é ta c h e m e n ts
jo ig n a n t le u rs c o rp s re sp e c tifs p o u r en fo rm e r u n c o n ­
voi, a u q u e l on a d jo in t d es forces im p o s a n te s e t q u e l­
q u efo is m ê m e d u c a n o n afin d ’en a s s u re r la tra n q u ille
c irc u la tio n ; to u te s ces p ré c a u tio n s n ’a r r ê te n t c e p e n d a n t
p as la fu re u r d es E spagnols, o rg a n isé s en b a n d e s e t to u jo u rs
BAYONNE.
— 1 812.
339
à l ’affût d ’u n m o m e n t fav o rab le p o u r a tta q u e r avec a v a n ­
tage les co n v ois q u i le u r p a r a is s e n t h o rs d ’é ta t de p o u v o ir
r é s is te r ; au ssi, faut-il m a rc h e r c o n tin u e lle m e n t s u r le qu ivive e t s ’a tte n d r e à to u t in s ta n t à se v o ir e n to u ré s p a r des
b an d e s de c a n n ib a le s, se liv ra n t aux p lu s h o rrib le s ex cès
lo r s q u ’ils so n t les p lu s fo rts .
« Q uelle d ifférence avec ces b o n s A llem an d s q u e n o u s
g ru g io n s, m o le stio n s e t d a n s les lits d e s q u e ls n o u s c o u ­
ch io n s (pas to u jo u r s se u ls,) e t q u i, m a lg ré cela, n o u s te n ­
d a ie n t la m ain en se s é p a ra n t de n o u s , sa n s flel, san s
p e n s é e m a u v aise : ex c e lle n t p e u p le a u q u e l je p o rte u n s e n ­
tim e n t d ’e s tim e et de re c o n n a iss a n c e p o u r le b ie n q u ’il
n o u s a fa it e t le m al q u ’il p o u v a it n o u s faire. A ussi, je
co m m en c e à c ro ire , co m m e d is e n t n o s '‘so ld a ts, q u e j ’ai
m a n g é m o n p ain b la n c le p re m ie r. Au re ste , ad v ien n e
q u e p o u rra , le s o r t en e s t je té , je v ais à la g ard e de D ieu
e t de m o n sa b re , sa n s c ra in d re ni réfléc h ir s u r le s d an g e rs
qui m ’a tte n d e n t, ni le s an x ié té s ca ch é es, su.r le fo n d d es
ch o ses in c o n n u e s e t des é v é n e m e n ts in c e rta in s , m ’a b a n ­
d o n n a n t à cet ég ard avec l ’in so u c ia n c e n a tu re lle à m o n
c a ra c tè re .
« L a v ille d e B a y o n n e n ’e s t p a s tr è s g ran d e , m a is elle e s t
b ie n fo rtifiée, e n to u ré e de b eaux re m p a rts , de b a s tio n s e t
de fo ssés la rg e s e t p ro fo n d s. La citad e lle , q u i co m m an d e
to u t à fait le p o rt, la ca m p a g n e e t la m e r, flan q u é e de
q u a tre to u rs en b on é ta t, a jo u te en c o re à l’im p o rta n c e
de cette p la ce e t la m e t en p o sitio n de ré s is te r lo n g te m p s
co n tre les a tta q u e s les p lu s s é rie u s e s ; elle e s t tra v e rs é e
p a r l ’A dour, fleuve assez c o n s id é ra b le , qui sé p a re le q u a r­
tie r d es ju ifs et va se je t e r d a n s l’océan à u n q u a r t de lieu e
de là. Les e n v iro n s de la ville s o n t c h a rm a n ts , m ais le lie u
de p ré d ile c tio n d es h a b ita n ts e s t B iarritz, jo li b o u rg r e ­
n o m m é p a r se s b ain s de m e r; ce d élicieu x e n d ro it est b ai­
340
SOUVENIRS
MILITAIRES.
g n é à son p ied p a r les flots de la m e r, q u i e s t g ra n d e ,
b e lle e t m a je s tu e u s e , e t d o n t le s vagues en fu rie , q u a n d
v ie n t l ’éq u in o x e, se b r is e n t c o n tre d es ro c h e rs de g ra n it,
h a rd ie s e t m e n a ç a n te s : ce c h a rm a n t B iarritz e s t le re n d e z
v o u s d es ric h e s, des b e a u té s de la ville q u i é ta le n t le u rs
b rilla n te s to ile tte s et d ’u n p e u p le qui afflue to u t e n tie r s u r
le riv ag e le s jo u r s de d im a n c h e o u de fê le ; le s é q u ip ag e s
s ’y c ro is a n t e n to u s se n s, u n e fo u le tu m u ltu e u s e , b ru y a n te
et jo y e u s e e n c o m b ra n t la ro u te , o ffren t u n ta b le a u d ’a n i­
m a tio n difficile à r e n c o n tr e r a ille u rs .
« L e ca co let jo u e u n g ra n d rô le d an s ces jo u r s de d é lire :
c ’e s t u n é q u ip a g e assez b iz a rre , fo rt en vogue p o u r l ’a m u ­
se m e n t d es d a m e s e t tr è s u tile p o u r le tr a n s p o r t d e s v illa­
g eo is e t d es p ro v isio n s q u ’ils p o r te n t en ville. 11 c o n siste
d a n s un ch e v al a y a n t s u r le dos u n e esp èc e de b â t au q u e l
e s t ad a p té u n c o u s sin , de c h a q u e côté d u q u e l o n s ’assied
de m a n iè re à m a in te n ir u n p a rfa it é q u ilib re : a u tre m e n t
la c u lb u te s e ra it in faillib le , m a is sa n s au c u n d a n g e r; on
v o y ag e a in si le s ja m b e s p e n d a n te s , c o m m e si l ’on é ta it s u r
u n e ch a ise , et, d a n s le cas d ’un faux p a s de la p a rt d u c h e ­
val, o n se tro u v e sim p le m e n t d e b o u t s u r ses p ie d s ; c ’e st
u n sp e c ta c le tr è s a m u s a n t q u e la r e n c o n tre d ’u n e co lonne
de c a co lets g a rn is de je u n e s fem m es to u jo u rs d an s la
c ra in te d ’u n e c h u te in d is c rè te .
« L es B a y o n n aises o n t g é n é ra le m e n t la p h y sio n o m ie
ria n te , le s y e u x vifs e t a g a ç a n ts e t la to u r n u re élég an te.
« Les B a sq u aises o n t d es figures vives e t p iq u a n te s , la
ta ille sv e lte e t bien p ris e , la d é m a rc h e facile e t lé g è re e t
u n e e sp èc e de d é s in v o ltu re re m p lie de c h a rm e .
« La vie q u e je m è n e ici s e ra it assez m o n o to n e sa n s la
re s s o u rc e q u ’offre la m a iso n d u brav e e t d ig n e gén éral
S ol, c o m m a n d a n t la p la ce , a y a n t avec lu i sa n o m b re u se
fam ille q u e je f ré q u e n te a s s id û m e n t, ain si q u e celle de
BAYONNE.
— 1 812.
341
M. D u tilleu l, re c e v e u r g é n é ra l, q u i, en q u a lité de co llèg u e
d e m o n frè re , m ’a o u v e rt sa m a iso n e t sa b o u rse .
« J ’e sp è re , d ’ici à p eu de jo u r s , m e m e ttr e en r o u te ; je
vo u s p rie d o n c de m ’a d r e s s e r vos le ttr e s p o ste re s ta n te à
M adrid, d ’où je m ’e m p re sse ra i de vous é c rire en v o u s d o n ­
n a n t l’itin é ra ire de la ro u te q u e j ’a u ra i à s u iv re p o u r re jo in ­
d re m o n ré g im e n t d o n t j ’ig n o re e n c o re la p o sitio n .
« A d ieu , m o n p ère , je v o u s e m b ra sse b ie n te n d re m e n t. »
Ce f u t a p rè s seize jo u r s d ’a tte n te à B ay o n n e q u ’u n co nvoi
a v a n t été o rg a n isé p o u r se r e n d r e à M adrid, je m ’e m p re ssa i
de m ’y a d jo in d re ; il é ta it c o m m a n d é p a r le c h e f d ’e sc a d ro n
P u to n , e t se c o m p o sa it de 2000 fa n ta ssin s d u c o n tin g e n t
d e s É ta ts d e S axe, d eu x p iè c e s d ’a rtille rie , u n e ce n ta in e
d ’o fficiers iso lés a lla n t r e jo in d re le u rs c o rp s, u n tr é s o r s u r
p lu s ie u r s v o itu re s, e t six a u tre s tr a n s p o r ta n t d es effets
m ilita ire s , jo in t à cela p lu s ie u r s p a r tic u lie r s /c e q u i d ev ait
n a tu re lle m e n t re n d re la m a rc h e assez le n te e t d e v e n ir
fo rt g ê n a n t en cas d ’a tta q u e , s u r to u t a y a n t à tra v e rs e r
p lu s ie u r s m o n ta g n e s e t d es défilés o ù l ’on p r é te n d a it q u e
M ina, le p lu s re d o u té e t le p lu s cé lè b re c h e f des g u érillas,
n o u s a tte n d a it : il é ta it do n c u r g e n t de m a rc h e r avec
o rd re e t d ’é v ite r to u te s u rp rise .
N ous tra v e rs â m e s la p e tite ville de S ain t-Je an -d e-L u z et
a rriv â m e s à la n u it to m b a n te au p o n t d ’Iru n , s u r la Bidassoa, où n o u s fû m es re jo in ts p a r u n d é ta c h e m e n t v en u de la
ville a u -d e v a n t de n o u s ; c’e s t à p a rtir d’Iru n , p re m ie r e n ­
d r o it d e l’E spagne, q u e l’o n p o u v ait d ès ce m o m e n t se
re g a rd e r co m m e en é ta t de g u e rre ; le s b a n d e s de g u é rilla s
ne c e s sa n t d ’a tta q u e r les c o rp s iso lé s, le s officiers en m is ­
sio n e t les c o u rrie rs ; c’est ce q u i a v a it n é c e s sité le sy stè m e
d e s co n v o is afin de p o u v o ir ré s is te r à ces n o m b re u se s
a tta q u e s . Des o rd re s du g én é ral Sol n o u s fire n t r e s te r u n
342
SOUVENIRS
M ILITAIRES.
j o u r à I ru n p o u r a tte n d re u n c o u r r ie r d u g o u v e rn e m e n t
c h a rg é de d ép ê ch e s. N ous q u ittâ m e s I ru n le 4 fév rier, à
q u a tre h e u re s d u m a tin , m a rc h a n t d a n s u n o rd re fixé p o u r
le s jo u r s su iv a n ts afin d ’é v ite r la co n fu sio n d a n s u n e a u ssi
g ra n d e q u a n tité de v o itu re s. Six c e n ts h o m m e s m a r­
c h a ie n t s u r le s flancs de la c o lo n n e ; p a re il n o m b re é tait
en tê te , e t le r e s te de la tr o u p e à l ’a rriè re -g a rd è avec les
p iè c e s d ’a r tille r ie ; q u a n t au x officiers iso lés d o n t je faisais
p a rtie , d o n t u n assez g ra n d n o m b re é ta ie n t m o n té s, il le u r
fu t lib re de m a rc h e r à v o lo n té , s a n s to u te fo is s ’é c a rte r do
la co lo n n e, c a r on e û t c o u ru r is q u e d ’ê tre enlevé.
N ous su iv io n s u n e fo rt b e lle r o u te , m a is le s m o n ta g n e s
q u e n o u s a v io n s à tr a v e rs e r d o n n a ie n t à n o tr e a llu re u n e
le n te u r in s u p p o rta b le . N ous a rriv â m e s a in si, a p rè s cinq
h e u r e s d e m a rc h e , s u r le h a u t d ’u n e v e n t a , où se tro u v ait
u n p e tit fo rtin , c o n s tru it^ to u t n o u v e lle m e n t e t o cc u p é p a r
u n e tr e n ta in e de g e n d a rm e s placés d an s ce p o ste p o u r p r o ­
té g e r la m a rc h e d es convois e t le p assag e d es d é ta c h e ­
m e n ts ; ce p e tit fo rt, d ’u n e c o n s tru c tio n tr è s sim p le , é ta it
im p re n a b le sa n s c a n o n ; en fo rm e d ’u n cô n e re n v e rsé ,
il n ’av ait q u ’u n e se u le e n tré e c o n s is ta n t d a n s u n e p o rte
d o u b le , en c h ê n e , de p lu s de six p o u c e s d ’ép a isse u r. L ’in ­
té rie u r é ta it p e rc é de m a n iè r e à fa ire feu de to u s cô tés ;
le h a u t se rv a it de c a se rn e e t a v a it u n e p iè ce de ca n o n , ce
q u i d o n n a it à c e t e n d ro it u n a s p e c t fo rm id ab le e t im p o ­
sa n t. P lu s de 3 000 b rig a n d s é ta ie n t v e n u s a tta q u e r les g e n ­
d a rm e s q u i s ’y tr o u v a ie n t; le u r d éfense b rilla n te av a it m is
l ’e n n e m i d a n s u n e .c o m p lè te d é ro u te avec p e rte de
113 h o m m e s tu é s o u b le s s é s ; u n se u l g e n d a rm e avait été
a tte in t d ’u n e balle. D u fo rtin à la ville d ’E rn a n i o ù n o u s
dev io n s c o u c h e r, n o u s fû m e s a tta rd é s p a r u n e d es v o itu re s
d u tr é s o r d o n t u n e ro u e é ta it c a ssé e . Le le n d e m a in , n o u s
a tte ig n îm e s la jo lie ville de T oloza, où le b ataillo n d ’in fa n ­
CONVOI
EN
ESPAGNE.
— 1812.
343
te rie , q u i y é ta it en g a rn iso n , av ait s o u v e n t des e n g a g e ­
m e n ts av ec les g u é r illa s ; la v eille , tro is so ld a ts a v a ie n t été
tu é s a u m ilie u de la p la c e ; n o tre s é jo u r y f u t tra n q u ille ,
g râce à n o tre a ttitu d e im p o sa n te .. Le 7, a y a n t u n e fo rte
jo u r n é e , n o u s p a rtîm e s de g ra n d m a tin avec u n re n fo rt de
50 h o m m e s de la G arde im p é ria le se re n d a n t à V itto ria..
La ro u te é ta it fo rt belle, m a is d a n g e re u se ; n o u s m a r­
c h io n s c o n tin u e lle m e n t e n tre d eu x m o n ta g n e s avec u n
p e tite riv iè re à n o tr e g a u c h e . Ce p a ssa g e , fo rt re n o m m é
p a r le s n o m b re u s e s a tta q u e s de g u érillas, av a it été té m o in ,
p e u de jo u r s av a n t, d ’u n e h o rrib le affaire, où u n d é ta c h e ­
m e n t d e 40 h o m m e s, q u i s ’é ta it la issé s u rp re n d re , av ait été
e n tiè r e m e n t m a s s a c ré ; en a rriv a n t s u r ce lie u de d é s a stre ,
n o u s e û m es le d o u lo u re u x sp e c ta c le de g ra n d n o m b re de
c a d a v re s h o rrib le m e n t m u tilé s , au x q u e ls le c o m m a n d a n t
fit d o n n e r la sé p u ltu re . P e n d a n t q u ’o n re m p lis s a it ce tr is te
d ev o ir, n o u s re ç û m e s p lu s ie u r s d é c h a rg e s de c a rab in e
sa n s p o u v o ir rip o s te r, les b rig a n d s é ta n t a b rité s au m ilie u
d es ro c h e rs .
P e u ap rè s ê tre s o rtis de ce d a n g e reu x défilé, n o u s tra v e r­
sâ m es la p e tite ville de V illa-F ran ca e t a rriv â m e s, à cin q
h e u re s , à V illa-R éal, où, m e tro u v a n t lo g é chez le m a rq u is
de M endoza, le se u l m e u b le q u e je re n c o n tra i d a n s la m a i­
so n fu t u n e v ieille se rv a n te é d e n té e , ra b o u g rie , q u i m e fit
p a rc o u rir to u s le s a p p a rte m e n ts où je n e tro u v ai de rée l
q u e le s q u a tre m u r s , ce tte m a lh e u re u s e cité é ta n t p a r sa
p o sitio n le b u t de c o n tin u e ls c o m b a ts. D ans la so iré e , u n
ca p ita in e de g re n a d ie rs , en voyé en re c o n n a is s a n c e en
d e h o rs de la ville, s u r p rit d a n s u n e e m b u sc a d e u n e c e n ­
ta in e d ’E sp ag n o ls q u i f u re n t p re s q u e to u s tu é s.
Le le n d e m a in p o u r a rriv e r à M ondragone, a y a n t u n défilé
dan g e reu x à p a s se r, n o tre a ttitu d e m ilita ire en im p o sa à
l ’e n n e m i; n o u s a p e rç û m e s p lu s ie u rs g ro u p e s s u r le s m o n ­
344
SOUVENIRS
M ILITAIRES.
ta g n e s , m a is ils n ’o s è re n t a p p ro c h e r de la p o rté e de n o s
f u s ils ; le so ir, n o u s n o u s é ta b lîm e s m ilita ire m e n t d an s
la ville e t le s e n v iro n s afin d ’é v ite r to u te s u r p ris e . La
m a iso n la p lu s c o n s id é ra b le de l ’e n d ro it fu t o cc u p é e p a r
le c o m m a n d a n t d u convoi, M. C aillard, se c ré ta ire d ’a m b a s­
sad e à M adrid, le co lo n el D ard, se r e n d a n t à S égovie p o u r y
p r e n d re le c o m m a n d e m e n t d u 18e D ra g o n s, e t m oi, fa isa n t
d e c o n c e rt m é n a g e p lu s ou m o in s b o n , se lo n le s c irc o n ­
s ta n c e s. N ous tro u v â m e s s u r u n e ta b le u n e p ro c la m a tio n
d e M ina d é c la ra n t g u e rre à m o r t aux F ra n ç a is e t le m êm e
s o r t au x E sp ag n o ls q u i, n e fa isa n t p as p a rtie de se s tro u p e s ,
s ’a p p ro c h e ra ie n t de d e u x lie u e s de la ville de P a m p e lu n e ;
p u is , o ffran t de b rilla n te s ré c o m p e n se s aux so ld a tsfra n ç a is
q u i v o u d r a ie n t s ’e n rô le r so u s ses d ra p e a u x , e tc ., etc. Le
so ir, p lu s ie u r s E sp ag n o ls v in re n t a u d a c ie u se m e n t faire
d e u x d é c h a rg e s s u r le p o ste p la cé en d e h o rs de la v ille,
tu è r e n t u n h o m m e e t en b le s s è r e n t tro is . D ans la n u it,
n o u s re ç û m e s l ’avis q u ’u n b a ta illo n en voyé de V ilto ria
v ie n d ra it a u -d e v a n t de n o u s p o u r p ro té g e r n o tre m a rc h e .
La r o u te p o u r a rriv e r à Y itto ria e s t fo rt belle, m a is
r e s s e rr é e j u s q u ’à S alinas, où se tro u v e u n e m o n ta g n e
ra p id e , d o n t la d e s c e n te d u côté de l ’E sp ag n e e s t do u ce et
facile ; u n e p la in e assez é te n d u e se d éveloppe, m a is des bois
é p a is, a v o is in a n t la r o u te , o ffra ie n t à l’e n n e m i la fac u lté de
p o u v o ir d r e s s e r d es e m b u sc a d e s e t d ’a tta q u e r avec a v a n ­
ta g e : c ’e s t ce q u i e u t lie u q u e lq u e s m o is a v a n t n o tre p a s ­
sa g e ; Mina à la tê te de se s tr o u p e s et de c e lle s de L onga,
a u tre c h e f d e b a n d e , a tta q u a u n co nvoi c o n s id é ra b le q u i
se r e n d a it e n F ra n c e , d a n s le q u el se tr o u v a ie n t bon n o m b re
de p r is o n n ie rs a n g la is e t esp ag n o ls. Le c o m b a t fu t te r ­
r ib le ; p lu s ie u r s officiers, su p é rie u rs e t a u tre s , r e to u r n a n t
e n F ra n c e , y fu re n t tu é s , ain si q u e 150 so ld a ts, d e s v o ilu re s
de m a ître p illé e s e t les m a lh e u re u s e s fe m m e s q u i é ta ie n t
YITTORIA.
— 1 812.
345
d ed a n s, m a ssa c ré e s a p rè s avoir assouvi la b ru ta lité de ces
b a r b a re s ; p re sq u e to u s les éq u ip a g e s f u re n t e n lev é s. Tous
le s F ra n ç a is e u s s e n t fini p a r su c c o m b e r sa n s l ’a rriv é e de
tro u p e s en v o y é es de Y itto ria p o u r le u r p o r te r se co u rs.
L ’on d o it c ite r, à l ’h o n n e u r d és A nglais p riso n n ie rs, la
c o n d u ite n o b le q u ’ils tin r e n t; loin de v o u lo ir p ro fite r de
c e tte c irc o n sta n c e p o u r re c o u v re r le u r lib e rté , ils ra m a s­
s è re n t les a rm e s d es s o ld a ts tu é s , se jo ig n ire n t au x F ra n ­
çais p o u r c o m b a ttre le s b rig a n d s et, lo rs q u e le c o m b a t fu t
te rm in é , d é p o s è re n t le u rs a rm e s p o u r r e p re n d re le u r rang.
C ette b elle
e t h o n o ra b le c o n d u ite
le u r v alu t, avec la
lib e rté , l ’e s tim e q u ’ils e m p o rtè r e n t de n o s so ld a ts e t le
so u v e n ir d ’u n e actio n a u ssi n o b le que c o u ra g e u se .
On e s tim a it à tro is m illio n s la p e rte faite p a r ce convoi.
Ce d é s a s tr e u x é v é n e m e n t a été le su je t d ’u n su p e rb e ta­
b le au p e in t p a r le co lo n el L e je u n e , aid e de cam p d u p rin c e
do N eu c h âte l, q u i en a re n d u les é p iso d e s avec d ’a u ta n t
p lu s de v érité q u ’il é tait p ré s e n t a c e tte fu n e ste e t m a lh e u ­
re u s e su rp ris e d o n t il s ’e s t tiré p a r la m o rt de so n cheval
e t la p e rte de ses éq u ip ag e s.
U n fo rtin av ait été étab li d e p u is s u r le lie u de ce tris te
é v é n e m e n t; ce fu t à c e t e n d ro it q u e n o u s tro u v âm es le
b a ta illo n en v o y é au -d e v an t de n o u s .
N otre p ré s e n c e à Y itto ria ne c o n trib u a pas p e u à a u g ­
m e n te r l ’e n c o m b re m e n t p a r l ’a rriv é e , ce m ô m e jo u r, d ’u n
convoi c o n sid é ra b le v e n a n t de C astille p o u r a lle r en
F ra n c e , jo in t à cela d iffé ren ts c o rp s de la G arde im p é ria le
e t u n ra s s e m b le m e n t de tro u p e s q u i d ev a ie n t in c e ssa m ­
m e n t faire u n e ex p éd itio n c o n tre p lu s ie u rs b an d e s qui
in fe sta ie n t le p ay s.
Je m ’e m p re ssa i d ’a lle r r e n d r e v isite au g é n é ra l T h o u v en o t, g o u v e rn e u r de la p ro v in c e , que j ’avais c o n n u ja d is
p, S te ttin c o m m a n d a n t c e tte im p o rta n te p la ce ; il m ’a n ­
346
SOUVENIRS
MILITAIRES.
n o n ç a q u e n o tr e co nvoi d ev ait s ’a u g m e n te r p o u r a lle r à
M adrid e t q u ’il fa u d ra it p lu s ie u rs jo u r s p o u r sa fo rm a tio n .
Le s u rle n d e m a in de n o tre a rriv é e , M. C aillard, q u i v o y a­
g e a it en o b s e rv a te u r, m e p ro p o s a d ’a lle r au th é â tr e , m e
d o n n a n t p o u r m o tif de sé d u c tio n l ’a n n o n c e de
c e tte
d é lic ie u se d a n se d u b o lé ro q u e je d é s ira is v iv e m e n t c o n ­
n a ître . N ous tro u v â m e s la sa lle assez belle, m a is de
lu m iè re si p e u q u ’il fallait les y eu x de la foi p o u r y v o ir;
il e s t v rai q u e le n o m b re de s p e c ta te u rs n ’é ta it p as e n c o re
tr è s c o n s id é ra b le au p a r te rr e et d a n s le s c in tre s, m ais
n o u s av io n s lie u d ’e s p é re r p lu s ta rd u n e c la rté p lu s vive,
d u m o in s si l ’o n d ev a it en ju g e r p a r l ’a s p e c t d ’un lu s tre et
de q u e lq u e s c h a n d e lle s q u i se m b la ie n t n ’a tte n d re que
l ’in s ta n t de b r ille r de to u t le u r éclat. C e p en d a n t, p e u à
p e u , le s fe m m e s d a n s la te n u e de r ig u e u r, avec la m a n tille
e t l’év en tail, g a r n ir e n t le s lo g e s, e t le s m ilita ire s s ’e m p a ­
r è r e n t d es g a le rie s et d u p a rte rre .
La p re m iè re p iè ce , esp èc e de d ra m e h isto riq u e a u q u e l
n o u s n e p û m e s rien c o m p re n d re , d u ra u n e h e u r e ; v in t
e n s u ite u n p e tit o p éra , p ara d e que B obèche n ’e û t p o in t osé
offrir au x h a b ita n ts d u b o u le v a rd d u T e m p le , e t enfin u n e
fan fare m o n s tre fu t le sig n a l de c e tte d a n s e q u e n o u s
a tte n d io n s si im p a tie m m e n t; u n c o u p le s ’av an ça so u s la
fig u re d ’u n d a n s e u r e t d ’u n e d a n s e u se a rm é s to u s deu x de
c a sta g n e tte s. Je n ’ai r ie n vu de p lu s tr is te e t de p lu s
la m e n ta b le q u e ces d eu x g ra n d s d é b ris ; le th é â tre à
4 so ls n ’a ja m a is p o rté , s u r ses p la n c h e s v e rm o u lu e s , u n
a sse m b la g e p lu s u sé , p lu s é re in té , p lu s ch au v e e t p lu s en
r u in e . La p a u v re fem m e, q u i s ’é ta it p lâ tré e avec du m a u ­
vais b la n c, avait la te in te b leu de ciel d ’u n n o y é ; le s d eu x
ta c h e s ro u g e s q u ’elle av ait p la q u é e s s u r le h a u t de ses
p o m m e tte s o sse u se s , p o u r ra llu m e r u n p e u se s y e u x de
p o iss o n , faisaien t avec ce b leu le p lu s sin g u lie r c o n tra s te ;
AU
THÉÂTRE
DE
VITTORIA.
— 1 812.
341
elle se c o u a it avec se s m a in s v e in e u se s e t d é c h a rn é e s, des
c a s ta g n e tte s fêlées qui c la q u a ie n t co m m e les d en ts d ’u n
h o m m e q u i a la fièvre ; de te m p s e n te m p s , p a r u n effort
d é s e sp é ré elle te n d a it le s ficelles re lâ c h é e s de ses ja rr e ts
e t p a rv e n a it à so u le v e r sa p a u v re v ieille ja m h e taillée en
b a lu s tre , d e m a n iè re à p r o d u ire u n e p e tite c a b rio le .
Q uant à l ’h o m m e , il se tr é m o u s s a it fla sq u e m e n t avec u n e
p h y sio n o m ie de fo sso y e u r s ’e n te r ra n t lu i-m ê m e ; son
f ro n t rid é c o m m e u n e b o tte à la h u s s a rd e , so n n ez de
p e rro q u e t, se s jo u e s de ch è v re lu i d o n n a ie n t une a p p a ­
re n c e d es p lu s fa n ta stiq u e s. T o u t le te m p s q u e la d an se
d u ra , ils n e le v è re n t pas u n e fois le s y e u x l ’u n s u r l ’a u tre ;
o n e û t d it q u ’ils av a ie n t p e u r de le u r la id e u r ré c ip ro q u e
e t q u ’ils c ra ig n a ie n t de fo n d re en la rm e s en se v o y an t si
d é c ré p its e t si fu n è b re s. L ’h o m m e s u r to u t fu y a it sa
co m p ag n e co m m e u n e ara ig n é e e t se m b la it f ris s o n n e r
d ’h o r r e u r to u te s le s fois q u ’u n e figure de la d a n se le
fo rç ait de s ’en a p p ro c h e r.
Ce b o léro m a ca b re d u ra dix m in u te s ; a p rè s q u o i, la
to ile to m b a n t m it fin au su p p lic e de ces d e u x m a lh e u re u x
e t au n ô tre .
Le s u rle n d e m a in de c e tte esp èc e de m y stifica tio n , in tr o ­
d u it d a n s u n e m a iso n où le s F ra n ç a is é ta ie n t fo rt b ien
a c c u e illis, j ’a s sista i à u n e t e r t u l l i a (soirée d an san te ) où
je fu s am p le m e n t d éd o m m ag é de la su rp ris e que j ’avais
é p ro u v é e a u th é â tr e , e t je d u s re v e n ir s u r l ’im p re ssio n
fâ c h e u se q u e la d an se d u b o lé ro av ait la issé e d a n s m on
esp rit.
Un je u n e co u p le, a im ab le e t g rac ieu x , v ê tu d an s le c o s­
tu m e d u p ay s, n o u s d o n n a la re p ré s e n ta tio n de ce b a i l
(d an se d u pays). R ien de p lu s s é d u is a n t e t de
p lu s v o lu p tu e u x q u e ce tte d an se in v e n tée p a r l ’a m o u r,
n a c io n a l
o ù le s a ttitu d e s e t les ag a ç a n te s p ro v o c a tio n s d es d an ­
348
SOUVENIRS
MILITAIRES.
s e u rs p r o d u is e n t u n effet e n c h a n te u r a u b r u it des c a s­
ta g n e tte s , d o n t le so n vif e t ra p id e a jo u te au c h a rm e de
l ’a c tio n ; on se c ro y a it in itié à to u te s le s im p re ssio n s d ’u n e
p assio n v io le n te , et, b ie n c e rta in e m e n t, les p e rso n n e s qui
n o u s d o n n a ie n t cet a g ré a b le sp e c ta c le p o u v a ie n t p a s s e r
p o u r d ’e x c e lle n ts a c te u rs o u d ev a ie n t a v o ir l ’u n p o u r
l ’a u tre les s e n tim e n ts le s p lu s te n d re s .
V itto ria, cap itale de la p ro v in c e d ’Alava, e s t u n e ville assez
g ra n d e , m ais d o n t le s ru e s s o n t sa les e t é tro ite s, l’a rc h ite c ­
tu r e d es b â tim e n ts m é d io c re et d ’u n g o û t m a u s s a d e ; les
fe m m e s y s o n t g é n é ra le m e n t p e tite s , le te in t b ru n , les
y e u x n o irs e t fo rt e x p re ssifs : elles p o r te n t s u r la tê te,
avec u n e g râ c e infinie, u n e m a n tille q u ’elles sa v e n t é c a r­
te r av ec u n e c o q u e tte rie on ne p e u t p lu s sé d u isa n te .
N ous r e s tâ m e s h u it jo u r s à V itto ria , p e n d a n t le sq u e ls
s ’o rg a n isa le n o u v ea u convoi q u i d ev a it a lle r à M adrid so u s
le c o m m a n d e m e n t d ’A u g u ste F o n te n ille , c h e f d ’esca d ro n
a tta c h é à l ’é la t- m a jo r d u p rin c e de N eu ch âtel et m on am i
p a rtic u lie r. Ce convoi, a u g m e n té de six g ro sse s v o itu re s
ro u liè re s et de p lu s ie u rs é q u ip ag e s e m p o rta n t s e p t à h u it
fa m ille s e s p a g n o le s, se c o m p o sa it de 2 600 h o m m e s d ’in fa n ­
te rie , d eu x p iè c e s d ’a rtille rie , q u a tre ca isso n s, 23 la n cie rs
p o lo n a is e t 30 d ra g o n s q u i fu re n t p la cé s so u s m e s o rd re s.
Q u e lq u e s lie u e s a v a n t d ’a r r riv e r à M iranda, où n o u s
d e v io n s c o u c h e r, n o u s fîm e s la r e n c o n tre d ’u n convoi
c o n s id é ra b le , c o m p o sé p re s q u e en e n tie r de b le ssé s e t de
m a la d e s se r e n d a n t en F ra n c e . Le le n d e m a in , p o u r a rriv e r
à P a n c o rb o , n o u s av io n s à tr a v e rs e r u n d es p lu s d an g e reu x
p assag e s de l ’E sp a g n e ; u n d é ta c h e m e n t de 600 h o m m e s,
a p p u y é de d e u x pièces de ca n o n , v in t a u -d e v a n t de n o u s et
p r it p o s itio n de m a n iè re à p ro té g e r n o tre m a rc h e . P eu
a p rè s av o ir p assé le village de C ubo, on e n tre d a n s u n e
g o rg e de m o n ta g n e s q u i se re s s e rr e en av a n ça n t e t finit p a r
PANCORBO.
-
319
1812.
p r é s e n te r u n e m a sse im m e n se de ro c h e s p e rp e n d ic u la ire s,
b o rd a n t à d ro ite la ro u te , e sc a rp é e co m m e d es falaises et,
s u r la g au c h e, u n m a u v ais p o n t tra v e rs a n t le to r r e n t qui
b o u illo n n e au fond d ’u n ra v in , p u is la S ie rra qui se
d e s sin e au lo in , vague e t b le u â tre . C ette vue e s t sauvage et
p itto re s q u e , m a is le p assa g e de P a n c o rb o l ’e m p o rte p a r l a
s in g u la rité e t le g ra n d io se . L es ro c h e s n e la is s e n t p lu s q u e
la p lace d u c h e m in to u t ju s te , e t l ’on a rriv e à u n e n d ro it
où d eu x g ra n d e s m a sse s g r a n itiq u e s , p e n c h é e s l’u n e v ers
l’a u tre , s im u le n t l ’a rc h e d ’un p o n t g ig a n te s q u e q u e l ’o n
a u ra it co u p é p a r le m ilieu . Dix m ille h o m m e s s e ra ie n t
fa c ile m e n t a rrê té s d an s cet é tro it g o u le t p a r le p lu s faible
d é ta c h e m e n t, d ’a u ta n t q u ’il e s t im p o ssib le m ê m e de to u r n e r
la p o sitio n . Ce fu t d a n s ce d a n g e re u x défilé q u e le g é n é ra l
P o y , v e n a n t de P a ris p o rte u r d es d é p ê c h e s d e l ’E m p e re u r
p o u r le m a ré ch a l M asséna, av ait été a tta q u é : so n e s c o rte ,
q u ’il c ro y a it su ffisan te , ne se c o m p o sa it q u e de 300
h o m m e s ; a ssaillis de to u s cô tés par p lu s ie u rs b a n d e s
ré u n ie s e t re tra n c h é e s d a n s les ro c h e rs , ces m a lh e u r e u x
y p é r ir e n t p re sq u e to u s. Le g é n é ra l, q q i é ta it d a n s sa
v o itu re au m o m e n t de 1 a tta q u e , ne p arv in t a s é c h a p p e i
q u 'e n se p ré c ip ita n t d a n s le to r r e n t e t en se c a c h a n t
e n tre le s ro c h e rs , a y a n t de l ’e a u j u s q u ’à la c e in tu re . Il
r e s ta p lu s ie u rs h e u r e s d a n s c e tte c ru e lle
p o sitio n ju s ­
q u ’à l ’a rriv é e d e s tro u p e s en v o y é es d u fo rt p o u r le tir e r
de c e tte affreu se a n x ié té ; se s éq u ip a g e s fu re n t e n tiè re ­
m e n t p illés, m ais il sa u v a le s d é p ê c h e s d o n t il é ta it p o r­
te u r.
La p e tite ville de P a n c o rb o , placée d a n s u n e
e sp èc e
d ’e n to n n o ir, e st d o m in é e p a r u n e fo rte re s s e p re s q u e to u ­
jo u r s d an s les n u a g e s; c e tte p o sitio n in e x p u g n a b le é ta it
c o n tin u e lle m e n t o cc u p ée p a r q u e lq u e s co m p ag n ie s d ’in fan ­
te rie q u ’on re le v a it assez so u v e n t. N ous c o u c h âm es d ans
830
SOUVENIRS
M ILITAIRES.
c e t h o rrib le e n d ro it d ’où n o u s p a rtîm e s p o u r a lle r d a n s la
b o u rg a d e d e B riv iesca, à p e u p r è s a b a n d o n n é e .
N o tre m a rc h e d u le n d e m a in se fit d a n s u n p a y s d é c o u ­
v e rt, d o m in é p a r q u e lq u e s m a m e lo n s s u r le s q u e ls se fai­
s a ie n t a p e rc e v o ir d es m a s s e s d ’h o m m e s d o n t le s a rm e s
b rilla ie n t a u re fle t d u soleil.
Le c o m m a n d a n t F o n te n ille , s ’a tte n d a n t à ê tre a tta q u é
d ’u n m o m e n t à l’a u tre , fit a u s s itô t se s d isp o s itio n s, ta n d is
q u ’il faisait fo u ille r p a r dix la n c ie rs le village de M onasterio d a n s le q u e l n o u s d e v io n s p a s s e r ; c e tte d é m o n stra tio n ,
lo in d ’in tim id e r l ’e n n e m i, fu t re ç u e p a r u n e assez vive
fu silla d e à la q u e lle n o u s ré p o n d îm e s en c h a rg e a n t s u r u n e
m a sse de 700 à 800 h o m m e s, re tra n c h é s en a v a n t de la
ro u te , ta n d is q u ’en a rriè re e t s u r les flancs d u V illage, deux
m a ss e s c o m p a c te s de 1 300 à 1 800 h o m m e s p la c é s, sa n s
a u c u n e d is p o s itio n m ilita ire , avec u n e c in q u a n ta in e de
c a v aliers, s e m b la ie n t a tte n d re l ’in s ta n t de p o u v o ir to u r n e r
le convoi. Mais n o tre ch a rg e et deu x c o u p s de ca n o n p o r­
tè r e n t le tr o u b le d a n s ce ra m a ssis d ’h o m m e s q u i se d é b a n ­
d è r e n t a u s s itô t en fu y a n t d a n s la p la in e : les d rag o n s et
le s la n c ie rs en tu è re n t u n e q u in z a in e , e t, ta n d is q u e le co n ­
vo i tra v e rs a it le village avec c a lm e e t o rd re , n o u s p o u r ­
su iv îm e s le s fu y a rd s p e n d a n t p lu s d ’u n e d e m i-h e u re , afin
de lu i la is s e r le te m p s de g a g n e r le b o u rg de Q uin tan apalla, o ù n o u s d ev io n s c o u c h e r. C ette p e tite e sc a rm o u c h e
e u t p o u r r é s u lta t, o u tre le s 15 h o m m e s tu é s, u n e c e n ta in e
de p ris o n n ie rs fo rt m al v ê tu s e t tr è s p e u en m ilita ire s ; la
c ra in te de la m o r t d o n n a it à ces figures sin is tre s q u e lq u e
ch o se d ’ig n o b le ;n e p o u v a n t n o u s d é te r m in e r à m a ssa c re r
fro id e m e n t ces m is é ra b le s, m a lg ré q u e c ’e û t été ju s tic e , on
fit a p p liq u e r à c h a c u n v in g t c o u p s de p la t de sa b re s u r le
d e r riè re . Il les r e ç u re n t, sin o n avec re c o n n a iss a n c e , du
m o in s avec la sa tisfac tio n d ’en ê tre q u itte s à si b o n c o m p te ;
LES
GUÉRILLAS
— 1812.
351
p u is, o n le u r co u p a la m o u sta c h e e t les ch ev eu x ; et ils
g a g n è re n t p a y s a p rè s c e tte lé g ère ad m o n itio n .
N ous a p p rîm e s, p a r d es p ris o n n ie rs , q u e le c h e f de cette
b an d e se n o m m a it L onga, q u ’il devait a rriv e r avec 200 c h e ­
v au x , u n b a ta illo n b ie n o rg an isé e t la p o p u la tio n des vil­
lag es v o isin s; m a is la m a rc h e d u convoi s ’é ta n t faite tro is
h e u r e s p lu s tô t q u ’il n ’av a it é té p ré v e n u , il en é ta it ré s u lté
qu e la fra y e u r av ait sa isi ceux-ci q u i, n e se v o y an t p as so u ­
te n u s , n ’a v a ie n t eu rie n de m ie u x à faire que de fu ir. Le-,
le n d e m a in , n o u s a rriv â m e s à B urgos, an c ie n n e ca p ita le de
la V ieille C astille, où n o u s d ev io n s faire un s é jo u r de vingtq u a tre h e u re s ; c e tte v ille, g ra n d e , b e lle , situ é e d an s u n e
p la in e, e s t ad o ssé e à u n e m o n ta g n e s u r le so m m e t de
la q u elle se tro u v a it u n e c ita d e lle b ie n p o u rv u e e t occupée
p a r u n e b o n n e g a rn iso n . La riv iè re d ’A rlançon sé p a re les
fa u b o u rg s, q ui s o n t b o rd é s p a r u n e b elle p ro m e n a d e s u r
la q u elle le g é n é ra l T h ié b a u t, g o u v e rn e u r de c e tte place,
a v a it fait é le v e r u n m o n u m e n t en l ’h o n n e u r d u Cid et de
C h im èn e. L es h a b ita n ts p a ra is s a ie n t re c o n n a is s a n ts de c e t
h o m m a g e re n d u p a r u n F ra n ça is.
S u r u n e v aste p la ce de la v ille se tro u v e le p a la is du
r o i; au m ilie u s ’élèv e u n e s ta tu e en b ro n ze de C h arles III
q u i e st g ran d e e t n e m a n q u e p as de c a ra c tè re . L a c a th é ­
d rale e s t u n e d es p lu s b e lle s de l ’E u ro p e ; le p rin c ip a l
p o rta il e s t m a g n ifiq u e, b ro d é , fo u illé e t fleu ri co m m e u n e
d e n te lle ; u n e fo u le in n o m b ra b le de sa in ts, d ’a rc h a n g e s,
d e ro is , de m o in e s an im e to u te c e lle a rc h ite c tu re , e t ce lte
p o p u la tio n de p ie rre e s t p re sq u e a u s si n o m b re u s e q u e
celle en c h a ir et en os qui o cc u p e la ville. L ’in té r ie u r de
l'éd ifice e s t ad m irab le d a n s tous se s d étails ; d an s u n e des
sa lle s de la sa c ristie on m e fit le v e r la tê te p o u r r e g a rd e r
u n g ra n d coffre su sp e n d u à la v o û te , q u ’u n e in s c rip tio n
in d iq u a it co m m e é ta n t celu i du C id; il é ta it difficile d’im a ­
352
.SOUVENIRS
MILITAIRES.
g in e r u n e m a lle p lu s ra p ié c é e e t p lu s v e rm o u lu e . C e rtes,
si le m o b ilie r d u fam e u x R uy Diaz de B ivar, p lu s c o n n u
so u s le n o m de Cid C am p ead o r, se re n fe rm a it d a n s c e tte
m alle, il fa lla it q u ’e lle fû t p le in e de b ijo u x e t de p ie rr e r ie s
p o u r q u ’u n u s u r ie r lu i a it p rê té de l’a rg e n t s u r u n p a re il
gage. L ’h is to ire d it q u e ce m y s té rie u x coffre n e fu t p o in t
o u v e rt e t q u ’o n le c r u t s u r p a ro le , ce q u i p ro u v e ra it q u e
les ju ifs de ce te m p s é ta ie n t de p lu s facile co m p o sitio n
q u e c e u x de n o s jo u r s .
J ’eu s l ’a g ré a b le s u r p ris e de re tro u v e r à B u rg o s p lu s ie u rs
officiers d u 5° H u ssa rd s q u i, a p rè s av o ir fait u n e cam pagne
avec u n e s c a d ro n du ré g im e n t, v en a ie n t d ’ê tre in c o rp o ré s
d a n s le 31e de C h a sse u rs, n o u v e lle m e n t c ré é de p lu s ie u rs
e s c a d ro n s d e cav alerie lé g ère et m is so u s le s o rd re s d u
c o lo n el D esm ich e ls, je u n e officier d ’u n g ra n d m é rite .
N ous q u ittâ m e s B urgos, re n fo rc é s d ’u n b a ta illo n e t de
50 la n c ie rs p o lo n a is, p o u r e n tre r d an s u n p a y s a rid e e t
sa b lo n n e u x , b o rd é de m o n ta g n e s , d a n s le sq u e lle s se
te n a ie n t p lu s ie u rs b a n d e s n o m b r e u s e s ; n o tre g ite fu t le
villag e d e C elada, b âti en p isé e t to m b a n t en ru in e , a u to u r
d u q u e l n o u s n o u s é ta b lîm e s m ilita ire m e n t; p eu ap rès,
a rriv a u n co n voi a lla n t en F ra n c e e t j ’e u s le b o n h e u r, de
c o u rte d u ré e , d ’y re n c o n tre r le brav e e t loyal g én é ral
M o n tb ru n v e n a n t d u P o rtu g a l, o ù il av a it fait u n e c o u rte
a p p a ritio n e t d ’o ù il é ta it ap p elé p a r l ’E m p e re u r. Il m ’ex­
p rim a , avec sa fra n c h ise h a b itu e lle , le p la is ir q u ’il a v a it à
m e v o ir e t le r e g r e t de n e p o u v o ir m ’e m m e n e r avec lu i ; il
é ta it a c co m p ag n é de ses a id e s de cam p, d u g é n é ra l B igarré,
a tta c h é au ro i J o s e p h , e t du g é n é ra l S u b e rv ie . Je m e s é ­
p ara i de ce b ra v e et d ig n e g é n é ra l avec u n se n sib le d é p la i­
s ir ; il s e m b la it q u ’u n fu n e s te p re s s e n tim e n t m ’a v e rtissa it,
en lu i s e rr a n t la m a in , q u e je lu i faisais d ’é te rn e ls a d ie u x :
en effet, il fu t tu é , q u e lq u e s m o is a p rè s, en e n le v a n t les
VALLADOLID.
—
1812.
353
fa m e u se s re d o u te s de la M ojaïsk. J e p e rd is en lui u n p ro ­
te c te u r, u n am i, e t la F ra n c e u n de se s m e ille u rs e t p lu s
brav e s g én é rau x . N ous c o n tin u â m e s n o tre m a rc h e p a r
R o d rig o s-D u en a s,
jo lie
p e tite
ville
o ccu p ée p a r
une
assez fo rte g a rn iso n d o n t la p ré s e n c e av ait sau v é u n c h a r­
m a n t m o n u m e n t bâti d an s le g e n re m a u re s q u e avec p lu ­
sie u rs p e tite s to u re lle s év a sé es d u m e ille u r effet; p u is n o u s
a tte ig n îm e s V alladolid, g ra n d e , b ie n b âtie, re n fe rm a n t
d ’assez b e a u x édifices, m a is e n tiè re m e n t d é p e u p lé e ,,ca r
ce tte v ille ne c o m p ta it q u e 20 000 â m e s et p o u r ra it en
c o n te n ir 200 000. C ette m êm e p ro p o rtio n e x ista it d an s
to u te l’E sp ag n e , où la d é p o p u la tio n é ta it effra y an te . Du
te m p s d es M aures, o n c o m p ta it 32 m illio n s d ’h a b ita n ts ,
ta n d is q u ’il n ’en e x iste p lu s q u e 10 à 11. S an s la p ré se n c e
à V alladolid d u m a ré ch a l M arm o n t avec son c o rp s d ’a rm é e
e t se s a d m in is tra tio n s ,
on
eût
b ie n c e rta in e m e n t
pu
fa u c h e r l ’h e rb e d a n s le s r u e s , ta n t e lle s s e m b la ie n t tris te s
e t d é s e rte s d ’h a b ita n ts.
Le p alais o cc u p é p a r le m a ré c h a l d a ta it d u te m p s de
C h a rle s -Q u in t; on y v o y ait u n e co u r en a rc a d e s d ’u n e
e x trê m e élég ance et des m é d a illo n s s c u lp té s d ’u n e ra re
b e a u té ; ce p alais v e n a it d ’ê tre ré p a ré à n e u f avec so in et
m e u b lé c o n v e n a b le m e n t. N ous y fû m e s, F o n te n ille e t m oi,
p r é s e n te r n o s re sp e c ts au d u c de R aguse, q u i n o u s fit
l ’h o n n e u r de n o u s en g a g er à d în e r avec lui, fa v e u r q u ’il
a c c o rd a it ra re m e n t : h a u t, fier e t v a n ite u x , le m a ré ch a l
M arm o n t d evait sa h a u te p o sitio n p lu tô t à l’affectio n q u e
lu i p o rta it l ’E m p e re u r q u ’à ses q u a lité s m ilita ire s, b ien
q u ’il fût tr è s in s tr u it e t d ’u n sav o ir p ro fo n d ; m a is, so it
m a lh e u r o u fau te de ta c t, s u r u n c h a m p de b ataille o ù il
p a y a it to u jo u rs n o b le m e n t de sa p e rso n n e , il é ta it ra re
q u ’il o b tîn t de g ra n d s su c cè s e t so n m a lh e u r é ta it p ro v e r­
b ial d a n s l ’a rm é e .
334
SO UVE NIR S .MILITAIRES.
N ous a p p rîm e s q u e le s b a n d e s de g u é rilla s (ou de b ri­
g an d s, c o m m e o n le s a p p e la it in d is tin c te m e n t) a u g m e n ­
ta ie n t to u s le s jo u r s , so u d o y é e s e t a rm é e s p a r les A nglais;
le u r au d ace é ta it te lle q u ’o n d isa it la ville en c o n te n ir u n
g ra n d n o m b re ; m a is, co m m e ils n e c o m m e tta ie n t le u rs
c rim e s q u e d a n s l ’o m b re ou lo r s q u ’ils se jo ig n a ie n t à ceu x
d u d e h o rs, il é ta it difficile de p o u v o ir le s a tte in d re , à m o in s
d e les c o m b a ttre s u r u n ch a m p de b ataille. T o u s le s jo u r s
d e n o m b re u x a s s a s s in a ts a v a ie n t lie u d a n s la ville, p e n ­
d a n t la n u it s u r to u t, m a lg ré les p a tro u ille s , les p o s te s
m u ltip lié s e t la su rv e illa n c e de la police.
P e u de j o u r s a v a n t n o tre a rriv é e , u n ch ef, d é n o n c é p a r
u n esp io n , fu t sa isi d a n s u n e p o s a d a ; so n p ro c è s, sa c o n ­
d a m n a tio n e t so n su p p lic e f u re n t l’affaire de v in g t-q u a tre
h e u r e s . C’é ta it u n je u n e h o m m e de d ix -n e u f a n s, a p p a rte ­
n a n t à u n e fam ille ric h e e t d istin g u é e de la ville ; il avait
des m a n iè re s a g ré a b le s, u n e figure c h a rm a n te e t f r é q u e n ­
ta it la m e ille u re so c ié té . L o rs q u ’on lu i lu t sa se n te n c e , il
n e té m o ig n a d ’a u tre re g re t, en q u itta n t la vie, q u e ce lu i
d e n ’av o ir p as fa it p é r ir p lu s de F ra n ça is, et il té m o ig n a
en av o ir tu é de sa m a in p lu s de c e n t. Il fu t é c a rte lé , sa
tê te p la c é e s u r u n p o te a u au m ilie u de la p la ce e t ses
m e m b re s ex p o sés au x p o rte s de la ville.
Cet ex em p le te rr ib le n ’e m p ê c h a p a s q u e, le jo u r m ê m e
de l ’e x é cu tio n , le co lo n el de Y é rig n y , c h e f d ’é ta t-m a jo r,
d eu x g e n d a rm e s e t c in q so ld a ts fu re n t tro u v é s p o ig n a rd é s
p e n d a n t la n u it.
L’E sp a g n o l e s t b rav e , fier, o rg u e ille u x , p e u in s tru it,
n o b le d an s se s p ro c é d é s, g é n é re u x , g ra n d , p a re sse u x avec
d é lic e s, d ’u n e so b rié té e x tra o rd in a ire , e n n e m i ir ré c o n c i­
lia b le , féro ce e t m é d ita n t u n e v en g e an c e avec to u s les d é ­
ta ils les p lu s affreux, le calm e e t le sa n g -fro id le p lu s im ­
p e rtu rb a b le s , d év o t j u s q u ’à l ’ex c è s e t in v o q u a n t ce D ieu
OLMEIDO.
— 1 812.
355
de m is é ric o rd e au m o m e n t de ses c rim e s. Tel é ta it ce
p e u p le q u e n o u s avions à c o m b a ttre , q u e n o u s av o n s
v ain cu e t ja m a is so u m is.
N ous q u ittâ m e s Y alladolid a p rè s u n re p o s de tro is jo u r s ,
e m p lo y és à la ré o rg a n is a tio n d u convoi, p re s q u e d o u b lé
p a r un a u tre q u i a tte n d a it n o tr e p assag e . C ette n o u v e lle
co lo n n e fo rm a it u n to ta l de 62 v o itu re s de to u te esp èc e,
a y a n t p o u r e s c o rte 3 000 h o m m e s d ’in fa n te rie , tro is pièces
de ca n o n , 60 la n c ie rs e t 50 d rag o n s. P a rm i les p e rs o n n e s
m a rq u a n te s v o y ag e an t avec n o u s, se tro u v a it la m a rq u ise
de À lb ran ca e t sa c h a rm a n te fille P é p ita , le m a rq u is e t
la m a rq u ise de B en d an a e t p lu s ie u rs a u tre s fem m es, d o n t
le p lu s g ran d n o m b re fo rt jo lie s.
N o tre p re m iè re jo u r n é e se fit à tra v e rs u n e p la in e s a ­
b lo n n e u s e , arid e e t s o lita ire ; çà et là, q u e lq u e s ta s de dé­
c o m b re s d é c o rés d u n o m de villages, b rû lé s e t dév astés
p a r les b rig a n d s, o ù e rra ie n t q u e lq u e s r a r e s h a b ita n ts, d é­
g u e n illé s e t de m in e ch étiv e. N ous g a g n â m e s ain si la
p e tite v ille de V ald ésillas, p re sq u e e n tiè r e m e n t d é tru ite
p a r l e feu et le pillage : à p e in e u n e v in g ta in e de m a iso n s
p u re n t-e lle s n o u s offrir u n refu g e et, p o u r com b le d ’in fo r­
tu n e , u n o rd re d u m a ré c h a l n o u s fit r e s te r d e u x jo u r s d a n s
ce lie u de d é s o la tio n , p e n d a n t q u ’il en v o y ait d es tro u p e s
c o n tre p lu s ie u rs b an d e s ré u n ie s d a n s l ’in te n tio n d ’a tta q u e r
le co n v o i.
N ous n o u s re m îm e s en m a rc h e , to u jo u rs d a n s u n e p la in e
sa n s fin q u i se m b la it u n d é s e rt, m a rc h a n t avec u n e te lle
le n te u r q u e n o u s e m p lo y â m e s dix h e u re s p o u r faire
cin q lie u e s ; enfin, n o u s a tte ig n îm e s O lm eido, p o in ta n t
d a n s l’h o rizo n co m m e u n p h a re e t q u i se m b la it, p a r l'in ­
fin ité de se s c lo c h e rs, d ev o ir ê tre u n e ville d u p re m ie r
o r d r e ; m a is n o u s fû m es b ie n tro m p é s d a n s n o tre e sp é ­
ra n c e . La v ille é ta it à la v é rité d ’u n e g ra n d e é te n d u e , en*
356
SOUVENIRS
MILITAIRES.
to u r é e d e r e m p a rts n o u v e lle m e n t re le v é s e t p e u p lé e de
c o u v e n ts ,'m a is e n tiè re m e n t p riv ée d ’h a b ita n ts ; o n se m ­
b la it e n tr e r d a n s u n e n d ro it m a u d it du ciel, d o n t le s h e rb e s
p a ra site s, les v ip è re s e t le s h ib o u x s ’é ta ie n t e m p a ré s. La
m a lh e u re u s e g a rn iso n , q u i g a rd a it c e tte place sq u e le tte ,
té m o ig n a it, p a r sa tr is te s s e e t sa m a ig re u r, d es p riv a tio n s
sa n s n o m b re d o n t elle é ta it accablée.
, La p ré s e n c e de n o tre convoi fu t p o u r elle u n c o u rt m o ­
m e n t d e jo u is s a n c e a u q u e l d ev a ie n t su c c é d e r de n o u v e lle s
d o u le u rs.
Le le n d e m a in , a p rè s u n e h e u re de m a rc h e , n o u s q u it­
tâ m e s le s sa b les p o u r e n tr e r d a n s u n b o is d ’u n e g ra n d e
é te n d u e q u ’il é ta it im p o rta n t d ’é c la ire r à to u t in s ta n t, de
c ra in te d e su rp ris e ; n o u s tra v e rs â m e s , s u r u n assez m a u ­
vais p o n t, la riv iè re de S a n t-E re sm a , lie u d ésig n é co m m e
tr è s d a n g e re u x ; les p iè c e s f u re n t m is e s en b a tte r ie , c h a r ­
gées à m itra ille , d e s d é ta c h e m e n ts d ’in fa n te rie en p o s i­
tio n et s u r les flancs d u co nvoi, le s la n c ie rs e n a v a n t-g a rd e
e t le s d ra g o n s f e rm a n t la m a rc h e . S u r le s b o rd s de la
riv iè re c ro iss a ie n t le b a n a n ie r, le p is ta c h ie r, d es o ra n g e rs
e t d es c itro n n ie rs d o n t le s b ra n c h e s p lo y a ie n t so u s le u rs
fru its d o ré s ; n o n lo in , d a n s u n e éc la irc ie assez v a s te , se
tro u v a it u n c h â te a u m a u re sq u e , d a n s u n e co n se rv a tio n
p a rfa ite , avec to u te s se s ric h e s s e s e t so n a rc h ite c tu r e ;
u n e p e tite m o sq u é e de la fo rm e la p lu s g ra c ie u se e t la
p lu s é lé g a n te , v é rita b le c h e f-d ’œ u v re de l ’a r t, to u c h a it à
ce d élicieu x s é jo u r, e n to u ré e de fo rtificatio n s c u rie u s e s
p a r le g ra n d io s e de le u r é p o q u e ; p u is, on a p e rc e v a it d es
m a ssifs de fleurs e t d es je ts d ’ea u r e to m b a n t d a n s d es
b a s s in s de m a rb r e ; ce ra v is s a n t e n d ro it, e n tre te n u avec
a u ta n t de so in q u e de lu x e , a p p a rte n a it au d u c de G renade.
. Un p o ste fra n ç a is y é ta it étab li avec d e u x p iè ce s de
ca n o n sa n s q u ’on e û t ja m a is te n té de l ’a tta q u e r.
COMBAT AVEC UNE
GUERILLA.
— 1812.
357
A d eu x lie u e s de c e t e n d ro it, n o u s a tte ig n îm e s C roqua,
p e tite v ille o cc u p ée p a r d eu x b a ta illo n s d ’in fa n te rie lé g è re
e t 50 d rag o n s, ce qui n o u s c o n tra ig n it de b iv o u a q u e r. Le
pay sag e à p a r tir de C ro q u a offre u n e v a rié té de site s
ag ré ab le s à l ’œ il, ce qui fo rm a it u n c o n tra s te fra p p a n t avec
le s la n d e s s a b lo n n e u se s q u e n o u s v e n io n s de q u itte r .
S u r le s m idi, n o u s n o u s a rrê tâ m e s c o m m e d ’h a b itu d e p o u r
faire re p o s e r le s h o m m e s e t les c h e v a u x ; le s a rm e s en fais­
c e au x e t le s v e d e tte s p la cé s s u r le s cô tés d u convoi, j ’a p e r­
çu s, d a n s le lo in ta in , avec m a lu n e tte , s u r les b o rd s d ’un
b o is d ’o liv iers, u n g ro u p e d ’une q u in z a in e de c a v a lie rs; u n
p ro je t su rg it a u s s itô t à m a p e n s é e , j ’en d o n n a i c o n n a is­
sa n ce à F o n te n ille , qui m e d it : « F ais ce q u e tu vou d ras,
m a is n e t ’en gage pas tro p . »
J e fis v e n ir u n m a ré c h a l d es lo g is des d ra g o n s fo rm a n t
l ’a rriè re -g a rd e d u convoi, je lu i o rd o n n a i de p re n d re h u it
h o m m e s, de g ag n e r les bois p a r c o n to u r afin d ’a rriv e r en
a rriè re du g ro u p e. « J e vois ce q u e c ’est, c o m m a n d a n t, m e
dit-il, n o u s a llo n s n o u s a m u se r. » P u is, fa isa n t r e n tr e r les
v ed e tte s et su iv i p a r d e u x la n c ie rs , je m e d irig e le n te m e n t
s u r le b o is c o m m e v o u la n t é c la ire r le s e n v iro n s ; p eu de
m o m e n ts a p rè s, u n d e s la n c ie rs m e d it q u e n o u s é tio n s
to u rn é s p a r six cavaliers. « C’e s t b ie n , lu i d is -je , laissezles faire e t n ’ay o n s p a s l ’a ir de le s voir. » Au m ê m e in s ­
ta n t, d eu x co u p s de fu sil m ’a n n o n ç a n t l ’a rriv é e d es d ra ­
g o n s, n o u s n o u s la n ç o n s s u r le bois ; cin q p r is o n n ie rs , d o n t
u n officier, v e n a ie n t d ’ê tre faits e t d é s a rm é s , ta n d is q u e le
re s te J e ce tte b a n d e fu y a it en d é s o rd re . T ém o in de c e tte
c h a sse à c o u rre , n o u s re v e n io n s tra n q u ille m e n t r e jo in d re
le convoi, lo rsq u e l’officier, m o n ta n t u n fo rt b e a u cheval e t
e s p é ra n t se sa u v er, s o rt u n p is to le t de sa p o ch e , tire s u r
le d rag o n q u i é ta it p ro ch e de lu i e t le b le sse d ’u n e b alle
d a n s le b ra s ; m a is, a u s s itô t en v iro n n é , je lu i fais m e ttr e
358
SOUVENIRS
MILITAIRES.
p ie d à te rr e e t je le fais f u s ille r à l ’in s ta n t, p u is je d o n n e
40 fra n c s au b le ssé e t m ’e m p a re du ch ev al. Le so ir, en
a rriv a n t au village de S anta-M aria de la N ieba, n o u s y
tro u v â m e s u n convoi c o n s id é ra b le q u i v e n a it d ’y arriv er.
Il é ta it co m p o sé d u m a ré c h a l V icto r, d u c de B ellu n e, de
p lu s ie u r s g é n é ra u x , d u m a jo r d ’A m b ru g eac, u n de m e s
a m is, et de q u a n tité de d am es p a rm i le sq u e lle s se tro u v a it
la b elle m a rq u is e de M o n te-H erm o so d o n t on d isa it le
ro i J o s e p h f o r t é p ris. Ce co nvoi se re n d a it en F ra n c e .
• P lu s de q u a tre lie u e s a v a n t d ’a rriv e r à S égovie, l ’on
a p e rç o it c e tte ville p lacée s u r u n e h a u te u r au p ie d de
la q u e lle co u le la riv iè re de S an t-E re sm a . L es fo rtificatio n s
d o n t elle é ta it e n to u ré e e t u n e c ita d e lle en b o n état, a s s u ­
r a ie n t la tr a n q u illité de ce lte ville, a u tre fo is fa m e u se à ta n t
de titre s e t d ig n e e n c o re de l ’a tte n tio n des v o y a g e u rs p a r
sa c a th é d ra le e t son alca za r, b âti ja d is e t h a b ité p a r le s
ro is g o th s, et p a r u n a q u e d u c assez b ien c o n se rv é , o uvrage
d e ce g ran d p e u p le q u i a la issé p a rto u t d es m o n u m e n ts de
sa m ag n ificen ce e t de so n im m o rta lité . U ne p a rtie de
l’E u ro p e tire de S égovie les m e ille u re s la in es q u e p ro d u ise
l ’E s p a g n e ; il y a a u s si u n e f o rt b elle m a n u fa c tu re de glaces
et p lu s ie u r s é ta b lis s e m e n ts d ’u n g ran d in té rê t.
Le lo g e m e n t q u e le s o r t m e d o n n a m e fit re tro u v e r le
c o n fo rta b le q u e je cro y a is é tra n g e r à l ’E spagne. La m a iso n
d u m a rq u is d ’A lb in o sa, u n e d e s p lu s b elles d e la ville, p ro u ­
vait la ric h e sse e t le g o û t de ce se ig n e u r p a r le luxe e t la
m a n iè re d o n t elle é ta it te n u e : u n n o m b re u x d o m e stiq u e
c o u v e rt d ’u n e liv ré e é c la ta n te , des ta p is re c o u v ra n t des
e sc a lie rs en îp a rb re , d es ra m p e s en b ois d es Iles m e fire n t
c ro ire u n m o m e n t q u e je v e n a is d ’ê tre tr a n s p o rté d a n s u n
lu x u e u x h ô te l d u F a u b o u rg S ain t-G erm ain ou de la C hauss é e -d ’A n tin .
I n tro d u it p rè s de la je u n e m a rq u is e , à q u i j ’avais fait d e ­
SÈGOVIE.
— 18 12 .
359
m a n d e r la p e rm issio n de p r é s e n te r m e s h o m m a g e s , je
tro u v a i, d an s u n c h a r m a n t b o u d o ir, é te n d u e s u r de m o e l­
le u x c o u s s in s ,u n e g ra c ie u se p e tite m a ître ss e p a rla n t le fra n ­
ça is avec la p lu s g ra n d e p u re té , d o n t l ’ac cu e il b ie n v e illa n t
fu t acco m p ag n é de l ’in v itatio n la p lu s p re ssa n te d ’ac c e p te r sa
ta b le p e n d a n t le s tro is jo u r s que je devais r e s te r chez elle ;
p e u d ’in s ta n ts a p rè s, p a r u t le m a rq u is d o n t le s fo rm e s et les
m a n iè re s é ta ie n t celles d ’u n g ra n d se ig n e u r h a b itu é au x
u sa g es de la c o u r, affec tio n n a n t b e a u c o u p la F ra n c e o ù il
av ait p a ssé sa je u n e s s e . Il d é p lo ra it c e p e n d a n t le s o rt de
s o n f a i b l e e t m a lh e u re u x s o u v e ra in , q u ’u n e p o litiq u e in ju s te
v e n a it de p riv e r de so n trô n e , m a is il b lâ m a it h a u te m e n t
to u s le s ex cès de c e tte g u e rre q u i d ev ait e n tra în e r la ru in e
d e so n p ay s. Le m a rq u is d A lb in o sa a v a it p rè s de cin^
q u a n te a n s ; so n p h y siq u e é ta it u sé p a r le lo n g s é jo u r q u ’il
a v a it fait en A m ériq u e, où il p o s s é d a it de g ra n d s b ie n s.
M arié en seco n d e s n o c e s, d ep u is tro is an s, à u n e je u n e S i­
cilie n n e, il s’o c c u p a it b ea u co u p d ’a g ric u ltu re , d ’a m é lio ra ­
tio n s et s u r to u t de c o n s tru c tio n s p o u r le sq u e lle s il a v a it
u n e v é rita b le p a ssio n q u i l ’a b s o rb a it e n tiè r e m e n t; au ssi
p re n a it-il fo rt p e u de p a r t au x é v é n e m e n ts du jo u r .
D a n s la s o iré e , d e u x je u n e s fem m es fo rt g ra c ie u se s ac c o m ­
p a g n é e s d ’u n b u rle s q u e p e rso n n a g e , q u ’o n m e d it ê tre u n
c h a n te u r ita lie n , v in re n t faire v isite à la m a rq u is e . On fit
de la m u s iq u e , e t je fus à m ê m e d ’a d m ire r le re m a rq u a b le
ta le n t de m a b elle h ô te sse , ta n t d a n s 1 ex é c u tio n de p lu ­
s ie u rs sy m p h o n ie s q u e d a n s so n c h a n t p u r e t m é lo d ie u x .
L e le n d e m a in , p lu s ie u rs d é ta c h e m e n ts de la G arde ro y ale
v e n a n t de M adrid p o u r a u g m e n te r l ’e sc o rte de n o tre c o n ­
vo i, p r o u v è re n t to u te la so llic itu d e d u roi p o u r la c o n s e r ­
v atio n du tr é s o r q u i lu i é ta it d e s tin é .
Ce fu t avec u n v é rita b le r e g r e t q u e je v is a rriv e r le m o ­
m e n t de n o tre d é p a rt; la c h a rm a n te m a rq u ise m e p e rm it
360
SOUVENIRS
MILITAIRES.
de lu i b a is e r la m a in , m e d isa n t avec b o n té q u ’elle c o n s e r­
v e ra it so u v e n a n c e de m on c o u r t s é jo u r p rè s d ’elle et q u e
se s v œ u x m ’a c c o m p a g n e ra ie n t, a jo u ta n t, en m e d o n n a n t
son a d re s s e à M adrid, o ù elle p a s s a it u n e p a rtie de l’an n é e,
q u ’elle é p ro u v e ra it u n e v é rita b le sa tisfa c tio n à m e r e v o ir .
Je la q u itta i, p é n é tré de re c o n n a iss a n c e , avec l ’e s p o ir de
r é a lis e r u n jo u r ce d é s ir q u e j ’é p ro u v a is s û r e m e n t p lu s
v iv e m e n t q u ’elle.
La m a u v a is e v o lo n té des v o ilu r ie rs , jo in te à la p a re sse
de n o s b elles v o y ag e u se s, r e ta rd a n o tre d é p a rt de p lu ­
sie u rs ' h e u r e s , ce qui n o u s fit a rriv e r à la n u it to m b a n te au
villag e d ’O tero, o ù n o u s n e tro u v â m e s d ’a u tre re sso u rc e
q u e de la p aille p o u r n o s c h e v a u x , tr is te c o m p a ra is o n avec
la veille.
D eux h e u re s a v a n t d ’a rriv e r s u r le s h a u te u r s du G uadarra m a , n o u s tro u v â m e s la b elle p o sa d a de S ain t-R ap h aël,
ju s te m e n t re n o m m é e et d a n s la q u e lle , à p rix d ’a rg e n t, à la
v é rité , on tro u v a it le m o y e n de fa ire u n a u s si b o n re p a s
q u e ch e z le m e ille u r r e s ta u r a te u r de P a ris . En q u itta n t ce
lie u de d é g u s ta tio n c u lin a ire , n o u s g ra v îm e s u n e m o n ta g n e
e x c e s siv e m e n t ra p id e , au so m m e t de la q u e lle se tro u v e n t
d e u x é n o rm e s lio n s e n g ra n it in d iq u a n t la lim ite des d e u x
C astilles. La te m p é ra tu re , q u i se tro u v a it de tro is d eg ré s
a u -d e s s o u s de zéro , jo in te à u n e to u rm e n te affre u se d o n t
n o u s fû m es a ssa illis, d ev in t u n p u is s a n t v éhicule p o u r n o u s
faire q u itte r p r o m p te m e n t c e t o b se rv a to ire de to u s les
v o y a g e u rs. De c e t e n d ro it se d é ro u le au x re g a rd s u n im ­
m e n se ta b le a u d a n s le fond d u q u e l se d éc o u v re la ca p ita le
de l’E sp ag n e, à p lu s de h u it lie u e s de d ista n c e . La d e s­
c e n te , d u cô té de M adrid, e s t te lle m e n t ra p id e q u e le s v o i­
tu r e s p o u r ra ie n t a lle r to u te s se u le s si l'o n a v a it la fa c u lté
de les d irig e r; le s c o n d u c te u rs é p ro u v e n t p lu s de fatigue à
r e te n ir le s ch e v au x q u ’ils n ’o n t eu de p ein e à les faire g ra ­
AGRÉABLE
SURPRISE.
-
1812.
•
361
v ir. C e p en d a n t, n o u s a rriv â m e s d 'asse z b o n n e h e u re au
village de G u a d a rra m a , a c c ro u p i au p ied de la m o n ta g n e , où
se tro u v e u n e fo rt belle fo n ta in e en g r a n it; u n e v aste posad a, se u le m aison h a b ita b le , d e v in t .le gîte co m m u n des
d a m e s et de p lu s ie u rs d ’e n tre n o u s, ta n d is q u e les voi­
tu re s , p a rq u é e s en d e h o rs, re s ta ie n t sous la su rv eillan c e
des tr o u p e s au b iv o u ac. S u r le s o n z e h e u re s d u so ir, u n e
a le rte , o c c a sio n n é e p a r d es ch ev au x éc h ap p é s du b iv o u ac,
fit tir e r p lu s ie u r s c o u p s de c a ra b in e aux p o ste s avancés
e t fu t c a u se , d an s n o tre c h a m b ré e , d ’u n p êle-m êle q u e le
d é fa u t de lu m iè re p u t d ifficilem en t e m p ê c h e r; jo in t à celala c ra in te d es b rig a n d s, d o n t l’idée fa isa it b o n d ir le c œ u r
de n o s je u n e s c o m p a g n e s de voyage : e lle s s e n ta ie n t la
n é c e s s ité d ’avoir u n d é fe n se u r, — d ’où q u e lq u e s h e u re u se s
m é p ris e s d o n t le s e c re t fu t d ’a u ta n t m ieu x g a rd é q u e le
le n d e m a in , au jo u r , c h a c u n se tro u v a it, p a r u n sin g u lie r
h a s a rd , p la c é c o n v e n a b le m e n t. C e p en d a n t u n o b se rv a te u r
a u ra it p u fa c ile m e n t d is tin g u e r, s u r les tra its e t à la la n ­
g u e u r de q u e lq u e s c h a rm a n ts v isages, l ’im p re ssio n q u e la
fra y e u r y av a it la issé e . M a lh e u re u se m e n t ce jo u r é ta it le
d e rn ie r de n o tr e ca ra v a n e et n o u s allio n s p e rd re le d ro it si
doux de p ro té g e r la b e a u té ; j ’avais b ien , p a r m é g ard e, e n ­
lev é u n c h a rm a n t p e tit m é d a illo n , m ais je n e p u s, p o u r
sa tisfa ire m a c u rio s ité , p a rv e n ir à c o n n a ître la p e rso n n e
à q ui il a p p a rte n a it ; la se u le ch o se q u e je re m a rq u a i, c’e s t
q u e la m è re de la ra v iss a n te P é p ita en p o rta it u n se m ­
b la b le ... Le d é s ir d ’a rriv e r au b u t de n o tre c o u rse avait
d o n n é à c h a c u n u n e ac tiv ité q u i m it b ie n tô t le convoi en
m o u v e m e n t. On su iv it avec g aieté u n p a y s d o n t l’a rid ité ,
la sé c h e re ss e e t la d é so la tio n ne p e u v e n t d o n n e r a u c u n e
id é e, m ais n o u s n o u s co n so lio n s en p e n s a n t au te rm e q u e
n o u s allio n s a tte in d re .
On n e re n c o n tre , de G u ad a rram a à M adrid, que d u sab le
362
SOUVENIRS
MILITAIRES.
ja u n e , de g ro sse s p ie rre s e t u n e effra y an te s té rilité . D eux
lie u e s a v a n t d ’a r r iv e r d a n s la ca p itale, o n s u it u n e espèce
d ’e n c lo s r e n f e r m a n t q u e lq u e s b o is ra b o u g ris, q u alifiés d u
titr e p o m p e u x de c h a sse ro y ale , e t au m ilie u d e s q u e ls on
v e rra it fa c ile m e n t c o u rir u n e s o u ris.
L e fleu v e d u M ançanarez n ’e s t a u tre c h o se q u ’u n p e tit
ru is s e a u q u i a tte n d du ciel la fa c u lté de m o u ille r le s m o l­
le ts de c e lu i q u i v o u d ra it le tr a v e rs e r; enfin, p o u r d ire u n e
ex acte v érité, il n ’ex iste b ie n c e rta in e m e n t p as de ca p ita le
d o n t les a b o rd s s o ie n t si in g ra ts.
Le ro i J o s e p h é ta it te lle m e n t in q u ie t de l ’a rriv é e du
con v o i p a r le s b r u its q u ’o n av a it fa it c o u rir, q u e p lu s ie u rs
d é ta c h e m e n ts de sa g ard e é ta ie n t é c h e lo n n é s j u s q u ’à une
d e m i-lie u e d e la v ille, afin d ’en e x tra ire le s v o itu re s p o rta n t
le tr é s o r , q u e l ’on fit e n tr e r c la n d e s tin e m e n t au p alais.
La p u e r ta de H ierro , p a r la q u e lle on e n tre d ans la c a p i­
ta le, e s t d ’u n e b elle a rc h ite c tu r e ; elle to u c h e p re s q u e au
p a la is ro y a l, v aste b â tim e n t n o n achevé, so lid e m e n t c o n ­
s tr u it, a y a n t d es colonn es_ io n iq u es, d es p ila stre s d o riq u e s,
en fin to u t ce qui c o n s titu e u n m o n u m e n t q u i s e ra it trè s
re m a rq u a b le , s ’il é ta it fini r é g u liè re m e n t; m a is il e s t à
c ra in d re q u e l ’a p a th ie q u i le fait r e s te r d a n s c e t é ta t d e ­
p u is si lo n g te m p s n e se c o n tin u e à p e rp é tu ité .
Madrid, 22 m ars 1812.
« J ’e s p é ra is , m o n p è re , m ’e n tre te n ir avec v o u s b ea u co u p
p lu s tô t e t jo in d re à m a le ttr e la re la tio n de m o n voyage
d e p u is B ay o n n e, m a is u n o b sta cle in s u rm o n ta b le e s t v e n u
s’o p p o s e r a ce d é s ir. Le s u rle n d e m a in de m o n a rriv é e , u n e
fièvre a rd e n te , ac c o m p a g n é e de c o liq u e s in to lé ra b le s, se
d éc la ra , av ec d es s y m p tô m e s te lle m e n t a la rm a n ts q u e la
fa c u lté se m b la it d é s e s p é re r de p o u v o ir m e s a u v e r; le d élire
s ’e s t m a in te n u p e n d a n t dix jo u r s c o n s é c u tifs, e t, sa n s la
MADRID.
— 1812.
868
c o n s ta n te am itié de ce b o n F o n te n ille q ui ne m a p as q u itté
u n se u l in s ta n t, la su rv e illa n c e active du d o c te u r lo u r n e lD u ch a u m e, c h iru rg ie n -m a jo r de d ra g o n s, e t le s soins a t­
te n tifs de m e s h ô te s, j ’e u s se in fa illib le m e n t su c co m b é à la
c o m p lic a tio n de m a m a lad ie, q u ’o n d it ê tre é p id ém iq u e
ici en ce m o m e n t.
« U ne g ra n d e faib lesse e s t le r é s u lta t de m a c o n v a le s­
ce n ce q ui fait to u s le s jo u r s d es p ro g rè s, e t j ’ai lie u d ’es­
p é r e r q u ’a u m o y e n d ’u n ré g im e sag e, jo in t à m a fo rte c o n ­
s titu tio n , je n e ta rd e ra i p o in t à ê tre en é ta t de m e r e m e ttre
en ro u te p o u r jo in d re le 2e H u ssa rd s d a n s le fond de l’A n­
d alo u sie , ce q u i m e p ro c u r e r a l ’av an tag e d ’av o ir p a rc o u ru
to u te l’E sp a g n e d a n s sa p lu s g ra n d e lo n g u e u r.
« L ’in té r ê t d o n t j ’ai été l ’o b je t p e n d a n t c e tte c ru e lle
m alad ie, m ’a p é n é tré de re c o n n a iss a n c e e n v e rs p lu s ie u rs
c o m p a trio te s q u i m ’o n t d o n n é des m a rq u e s de la p lu s vive
so llic itu d e , n o ta m m e n t le s aid es de cam p d u m a ré ch a l
Jo u rd a n , g o u v e rn e u r de M adrid, q u i lu i-m ê m e a daig n é
e n v o y e r p lu s ie u rs fois chez m o i e t m ’a fait o b lig e a m m e n t
offrir sa ta b le p e n d a n t le te m p s q u e je re s te r a is ici.
« Le c o lo n el R a stig n a c, aid e de cam p d u ro i e t c o m m a n ­
d a n t d es h u s s a rd s de la G arde, en d ig n e A uvergnat, e s t v en u
m e p r ie r de p u is e r d a n s sa b o u rs e , q u ’il m ’a o u v e rte avec
la fra n c h is e la p lu s d élica te . T ouché de c e tte ra re e t b ie n ­
v e illa n te o b lig e an c e, j ’eu sse ac ce p té avec le m ô m e a b a n ­
d o n q u e cela m ’é ta it offert, si m o n frè re n ’avait p o u rv u a
ce so in p a r l ’a u to ris a tio n q u ’il m ’a v a it d o n n é e de tir e r s u r
lu i p o u r le s so m m e s d o n t j ’a u ra is b eso in . M. B e rtra n d , de
S a in t-F lo u r, a u jo u rd ’h u i p h a rm a c ie n en chef de 1 h ô p ita l
m ilita ire , a jo in t au x so in s q u ’il m ’a d o n n é s 1 offre de to u s
le s m é d ic a m e n ts d o n t il p o u v a it d isp o s e r e t il v ien t de m ap ­
p o r te r , p o u r m e ré c o n fo rte r l’esto m a c, d e u x c ru c h o n s en
g rè s , de m a d è re au q u in a . A insi, de ce m a l, e st ré s u lté e p o u r
364
SOUVENIRS
MILITAIRES.
m o i la co n v ictio n que p a r to u t où se re n c o n tre n t d es co m ­
p a trio te s, o n e st c e rta in de tro u v e r u n a p p u i si n é c e s sa ire
et si p ré c ie u x d an s l ’é lo ig n e m e n td e la p a trie . Ma p re m iè re
so rtie s ’e s t faite a v a n t-h ie r ; m o d e s te m e n t a ssis s u r u n banc
à la b elle p ro m e n a d e d u P ra d o , je n e pou v ais v o ir sans
su p ris e ce tte q u a n tité de v o itu re s de fo rm e a n tiq u e e t dé
m a u v a is g o û t, a tte lé e s de q u a tre m u le s c o n d u ite s p a r d es
c o c h e rs g ro te s q u e m e n t v ê tu s , e t s u rc h a rg é e s p a r d e rriè re
de p lu s ie u r s la q u a is ; l ’in té r ie u r des allées g a rn ie s de p r o ­
m e n e u rs offrait le sp e c ta c le le p lu s b iz a rre : là, des h o m m e s,
en v e lo p p é s d a n s le u r g ra n d m a n te a u e t se d ra p a n t d an s
la c o n sc ie n c e de le u r im p o rta n c e , o ffraien t u n c o n tra ste
assez p iq u a n t avec le s u n ifo rm e s fra n ç a is; p u is le s fem m es
d an s le u r c o s tu m e n o ir a rra n g é de m a n iè re à re le v e r l ’é lé­
g a n c e de le u r ta ille . L es ro b e s so n t assez g é n é ra le m e n t en
so ie, avec d e u x o u tro is ra n g s de fra n g es m é lan g é es de
ja i s ; elles d e s s in e n t a d m ira b le m e n t le s fo rm e s p a r des
m o rc e a u x de p lo m b p o sé s çà e t là au b a s d u v ê te m e n t.
Une b e lle m a n tille en d e n te lle b la n c h e ou n o ire , p la c é e d é­
lic ie u s e m e n t s u r la tê te , la isse to u jo u rs vo ir de b ea u x y e u x
n o irs, d e b e lle s lig n e s, e t va g ra c ie u s e m e n t se jo in d re
s u r la ta ille , q u ’elle c o n c o u rt à d e s sin e r avec la b a s q u in e ,u n
des o rn e m e n ts de la ro b e . L’é v e n ta il ( a b a n i j o ) v ie n t com ­
p lé te r to u t le c h a rm e de c e tte te n u e e t s e rt à rec ev o ir o u à
tr a n s m e ttr e avec u n e g râce infinie to u t ce q u ’il y a de m y s­
té rieu x d an s le u rs â m e s ; il e st q u e lq u e fo is a u s si le c o n d u c ­
te u r e x p re s s if d es c o lè re s, d es te m p ê te s et d es o rag e s d u
c œ u r. Les fe m m e s de M adrid s o n t en g é n é ra l p e tite s , pâles,
re m p lie s d e g râ c e , le s y e u x p le in s d ’e x p re ssio n et de viva­
cité.
« Le coup d ’œil d u P ra d o e s t u n e d es b elles p ro m e n a d e s
de l ’E u ro p e e t elle e st o n n e p e u t p lu s a n im é e p a r l’afflu en ce
é to n n a n te q u i s ’y p o rte to u s les so irs, de s e p t à dix h e u re s.
MADRID.
— 1812 .
363
« La P u e r ta del Sol, q u i fait face au lo g e m e n t q u e j ’oc­
cu p e , n ’e st p as u n e p o rte co m m e on p o u rra it l’im a g in e r,
n ia is b ie n u n e façade d ’é g lise , p e in te en ro se et enjolivée
d ’u n c a d ra n , éc la iré la n u it d ’u n g ra n d so le il à ra y o n s d ’or,
d ’o ù lu i v ie n t le n o m de P u e r ta del Sol. D evant c e tte é g lise
se tro u v e u n e assez vaste p la ce , re n d e z -v o u s d e s o isifs de
la v ille, d es p o litiq u e s, d e s m é c o n te n ts e t des c o n s p ira ­
te u rs , en v e lo p p é s de le u r m a n te a u b ie n q u ’il fasse u n e
c h a le u r a tro c e , so u s le p ré te x te friv o le que ce qui d éfend
d u fro id d éfend a u ssi d u c h a u d .
« U n p o ste c o n s id é ra b le , p la c é avec d e u x p iè c e s d ’a rtil­
le rie s u r c e tte place, m a in tie n t la tra n q u illité et d issip e les
ra s s e m b le m e n ts lo r s q u ’ils s o n t tro p c o n sid é ra b le s. C’e s t
s u r c e tte p la c e q u ’e u r e n t lie u le s p re m ie rs é v é n e m e n ts
qui d ev a ie n t e m b ra s e r to u te l’E sp ag n e , e t le ré c it en est
tro p c o n n u p o u r q u e je le s r e tra c e .
« Ce n ’e s t q u e p ar la su rv e illa n c e la p lu s activ e e t au
m o y e n d ’u n e g a rn is o n c o n s id é ra b le , q u e l ’on m a in tie n t
l’o rd re e t la tra n q u illité au m ilie u d ’u n e p o p u la tio n a u ssi
n o m b re u s e q u e celle de c e tte ville.
« C e p en d a n t, il fa u t d ire q u e la n o b le sse q u i s ’y tro u v e
e s t en p a rtie a tta c h é e au n o u v ea u g o u v e rn e m e n t e t à la
co u r. Q uant au ro i Jo s e p h , il se m b le av o ir fait u n bail avec
l ’E sp ag n e d o n t on n e p e u t d é te r m in e r la d u ré e , e t ce qui
se fait ici se m b le p lu tô t p ro v iso ire q u e d u ra b le ; il y a
c e p e n d a n t u n É ta t c o n s titu é , d es m in is tre s , u n e g ard e
ro y a le , d es tr o u p e s n a tio n a le s ; m ais, au m ilie u de to u t
cela, ré g n e n t u n e in c e rtitu d e , u n e co n fu sio n e t u n e m é­
fiance d an s le p o u v o ir q u e n o s b a ïo n n e tte s n e p e u v e n l's u rm o n te r, e t il fa u d ra bien lo n g te m p s a v a n t q u e le p eu p le
esp ag n o l p u isse s ’h a b itu e r à là n o u v e lle d y n a stie q u ’on
v e u t lu i im p o ser.
« Il m e fa u d ra it p lu s dé fo rc e s d a n s les ja m b e s e t plug
366
SOUVENIRS
MILITAIRES.
de te m p s d e v a n t m oi p o u r e x p lo re r la ville ; je re m e ttr a i
d o n c ce p la is ir à u n e a u tre é p o q u e , si to u te fo is l’o cc asio n
s ’en p ré s e n te , v o u la n t m e m é n a g e r la fac u lté de p a r tir
avec u n con v oi qui se p ré p a re en ce m o m e n t e t d an s le q u e l
j ’a u ra i l ’av a n ta g e d ’avoir p rè s de m o i u n b rig a d ie r et
q u a tre h u s s a rd s d u 2°, re sté s j u s q u ’à ce j o u r p rè s d u m a ré ­
ch al et ré c la m é s p a r le c o lo n e l, ce qui m e s e ra d ’a u ta n t p lu s
ag ré a b le q u ’ils d e v ie n d ro n t m e s c o m p a g n o n s d év o u é s e t
s o u la g e ro n t m o n p a u v re C osaque, c o m p lè te m e n t s u r les
d e n ts , b ien que je lu i aie a d jo in t u n la n c ie r p o u r c o n d u ire
le ch ev al de l ’offlcier fu sillé .
« A dieu, m o n p è re , p ren e z u n e c a rte de Lopez e t suivez
la ro u te q u i c o n d u it de M adrid à S é v ille ; c’e st celle q u e je
vais su iv re p o u r re c o m m e n c e r m a vie n o m a d e, q u i, j ’e s p è re ,
se ra p ro fitab le à m a sa n té , e t je m ’e m p re s s e ra i de v o u s en
faire c o n n a ître les ré s u lta ts à m o n a rriv é e en A n d alo u sie. »
Le m a ré c h a l J o u rd a n , en s ’o c c u p a n t d ’u n co nvoi c o n si­
d éra b le p o u r l ’A n d alo u sie, m ’av ait d é sig n é au m in is tr e de
la G u erre c o m m e d ev a n t en ê tre le c o m m a n d a n t s u p é r ie u r ;
ca r, à c e tte ép o q u e , la q u a lité d ’officier de la L égion d ’h o n ­
n e u r, d o n t j ’étais re v ê tu , jo u is s a it d ’u n e tr è s g ra n d e c o n s i­
d é r a tio n ; c e p e n d a n t, le le n d e m a in m ê m e d u d é p a rt de la
le ttre d u m a ré c h a l, a rriv a de P a ris le c h e f d ’e s c a d ro n Du­
h a m e l, d o n t la p ré se n c e m e re lé g u a au se co n d rô le , san s
p o u r cela q u e j ’en fu sse a u tre m e n t c o n tra rié , la r e s p o n s a ­
b ilité d ’u n e m issio n se m b la b le é ta n t u n p e s a n t fard ea u ,
s u r to u t avec la c o n v ic tio n d ’ê tre a tta q u é s so u v e n t d a n s
les p a s sa g e s d a n g e re u x q u ’il fa lla it tra v e rs e r, sa n s a u tre
av an tag e q u e de g ra n d s e m b a rra s , d e s co u p s à re c e v o ir
e t p a s la m o in d re g lo ire à a c q u é rir.
Ce co n v o i é ta it c o m p o sé d ’u n e g ra n d e q u a n tité de voi­
tu r e s ro u liè re s tra n s p o r ta n t d es effets m ilita ire s p o u r
DÉPART
POUR
SÉVILLE.
— 1812.
367
l ’A rm ée du Midi, de p lu s ie u r s v o itu re s de m a ître s se r e n ­
d a n t à S éville et d u g én é ral de d iv isio n L afon-B laniac,
aid e de cam p d u roi J o se p h , a lla n t à M ançanarès p r e n d r e le
c o m m a n d e m e n t de c e tte p ro v in c e ; il e u t l ’o b lig e an c e de
m ’offrir sa ta b le p e n d a n t le te m p s q u e n o u s re s te rio n s
e n se m b le . D ans ce convoi se tro u v a ie n t e n c o re p lu s ie u rs
o fficiers iso lé s e t q u e lq u e s p e tits d é ta c h e m e n ts re jo ig n a n t
le u rs d iffé ren ts co rp s.
S o n esco rte se c o m p o sa it de 1 500 h o m m e s d ’in fa n te rie ,
d eu x p iè ce s de c a n o n , 80 la n c ie rs p o lo n a is e t h u it g e n ­
d a rm e s so u s le c o m m a n d e m e n t d u c h e f d ’esca d ro n D uha­
m e l, e t m o i en seco n d .
Le 26 m a rs, p re m ie r jo u r de n o tr e m a rc h e , a u c u n e in ­
q u ié tu d e n e p o u v a n t avoir lie u p a r la q u a n tité de tro u p e s
c a n to n n é e s s u r la ro u te d ’A ra n ju e z, j ’ac co m p ag n a i le g é n é ­
ra l d a n s sa ca lè ch e j u s q u ’à c e tte ré s id e n c e ro y a le , o ù n o u s
a rriv â m e s p lu s ie u r s h e u re s a v a n t le co nvoi, ce q u i m e
p e r m it de la v isite r. N ous tro u v â m e s so u s l'es a rm e s u n
fo rt b e a u ré g im e n t d’in fa n te rie e t q u a tre e sc a d ro n s de la
G arde ro y ale , q u i a tte n d a ie n t le g én é ral p o u r lu i re n d re les
h o n n e u rs m ilita ire s d u s à so n g rad e de g é n é ra l de d iv isio n
de la G arde ro y ale .
La ville d ’A ranjuez e s t p e u c o n s id é ra b le , fo rt jo lie , p a r­
fa ite m e n t b âtie et situ é e su r les b o rd s'd u Tage. Le p alais du
ro i a u n e p a rfa ite sim ilitu d e avec ce lu i de F ré d é ric le
G rand à P o tsd a m ; le s ja rd in s , tra v e rs é s p a r le fleuve, so n t
de la p lu s g ra n d e b e a u té , p a ré s d es a rb u s te s les p lu s ra re s,
de c o rb e ille s de fle u rs, de fa b riq u e s, de s ta tu e s, de cas­
cad es, d ’a rb re s sé c u la ire s d ’u n e im m e n se g r a n d e u r e t d ’u n e
v ég é ta tio n a d m ira b le p ro d u ite p a r u n e c o n s ta n te fra îc h e u r.
— Le p alais, b âti d a n s la Isla, e s t l’œ u v re de J u a n de H err e r a so u s le rè g n e de P h ilip p e II ; il e st re m a rq u a b le p a r
so n a rc h ite c tu re , e t son in té r ie u r p a r la ric h e sse de ses
368
SOUVENIRS
MILITAIRES.
m e u b le s , a u x q u e ls p lu s de g o û t e û t d o n n é u n p rix in e s ti­
m a b le ; o n y voyait u n e g ra n d e q u a n tité de ta b le a u x des
p lu s g ra n d s m a ître s e t u n c a b in e t f o rt c u rie u x , to u t en
p o rc e la in e . A u n e d e m i-lie u e d ’A ra n ju e z, a u m ilie u des
b o is, se tro u v e u n e ra v iss a n te m a iso n n o m m é e la casa del
L ab rad o r, p e rfe c tio n de l ’a rt, d u g o û t e t de la m a g n ifice n ce .
C ette c h a rm a n te d e m e u re , q u i, d it-o n , a c o û té p lu sie u rs
m illio n s , e s t la r é u n io n de to u t ce q u e l ’im a g in a tio n p e u t
in v e n te r d a n s ce g e n r e ; le ro i C harles IV, q u i en fu t le
c ré a te u r, en avait confié la d ire c tio n à des a rtis te s fra n ç a is
e t ita lie n s d o n t je r e g r e tte d ’avoir o u b lié les n o m s. T ous
les a p p a rte m e n ts é ta ie n t te n d u s de soie o r e t a rg e n t r e ­
p r é s e n ta n t d ifféren ts p a y s a g e s; la salle à m a n g e r, en
m a rb re b la n c e t à c o lo n n e s, avec d es b a s -re lie fs et des c o r­
n ic h e s du m e ille u r g o û t; u n b o u d o ir o rie n ta l, e n to u ré de
m o e lle u x d iv a n s en la m p a s d a m a ssé d ’u n bleu te n d re garn i
de la rg e s c ré p in e s d ’o r ; u n e sa lle de b ain s en a lb â tre ; le s
p o rte s d es a p p a rte m e n ts en ac a jo u m a ssif in c ru s té de
m o u lu r e s en o r ; le s e sc a lie rs en m a rb re re c o u v e rts de
ric h e s ta p is, le s b a lu stra d e s en o r et la m a in c o u ra n te en
é b è n e ; enfin l’o n p e u t c ite r ce p e tit p alais co m m e u n e d es
m e rv e ille s de l’E sp ag n e, d a n s le q u e l la rein e v en ait, disaiton, se d é la sse r d es g ra n d e u rs de la ro y a u té .
En q u itta n t ce s é jo u r e n c h a n té , je cro y a is avoir fait un
rêv e d es M i l l e e t u n e N u i t s .
Un fo rt beau d é je u n e r offert p a r'le s officiers de la G arde
ro y a le au g é n é ra l L afon-B laniac te rm in a c e tte c o u rse in té ­
r e s s a n te , e t n o u s p a rtîm e s e n s u ite a v e c le convoi p o u r aller
c o u c h e r a O cana, p e tite ville cé lè b re p a r la m é m o ra b le vic­
to ire d u m a ré c h a l S o u lt, re m p o rté e le 3 o c to b re 1809, vic­
to ire q u i c o û ta au x E sp ag n o ls 12 000 m o rts , 20 000 p r i­
s o n n ie rs , 30 p iè ce s de c a n o n , u n m a té rie l im m e n s e et
30 d rap e au x ,
VERS
SÉ VILLE.
— 18 1 2 .
369
N ous tra v e rs â m e s le le n d e m a in la v aste p la in e o ù s’é ta it
liv ré ce b rilla n t co m b at, p o u r a lle r c o u c h e r au b o u rg de
T e m b le q u e , d ésig n é co m m e é ta n t le r e p a ire de la b an d e
d u M édico, q u i tro u v a p r u d e n t de n o u s c é d e r la place en
se r e tir a n t d an s le s m o n ta g n e s .
Le jo u r su iv a n t, n o u s a rriv â m e s m a lh e u re u s e m e n t
v in g t-q u a tre h e u r e s tro p ta rd ; la veille, u n e s c a d ro n du
13° D ragons, s u rp ris p a r 1 500 b rig a n d s, av a it eu 64 d es
sie n s m a ssa c ré s, le c o m m a n d a n t b le ssé e t p ris. T ous ces
m a lh e u re u x , e n tiè r e m e n t d é p o u illé s, c o u v e rts d ’h o rrib le s
b le s s u re s , g isa ie n t d a n s le s ru e s e t en d e h o rs d u b o u rg ;
on s’e m p re s s a de le u r d o n n e r u n e s é p u ltu r e avec T ard en t
d é s ir de le s v en g e r.
N ous p a rc o u rû m e s , le q u a triè m e jo u r , u n e v a ste p lain e
sa b lo n n e u se d é p o u illé e d ’a r b r e s , a u m ilie u de la q u e lle se
tro u v e le d a n g e re u x défilé de P u e rto la p id e ; u n d es h u s ­
sa rd s m 'a p p rit q u e, six m o is avant, ce p assag e avait été
c ru e lle m e n t fu n e ste au ré g im e n t ; 80 h u s s a rd s d u 2°, placés
d an s ce p o ste p o u r p ro té g e r le s m o u v e m e n ts d ’u n e co­
lo n n e d ’in fa n te rie , s ’é ta ie n t, à la n u it to m b a n te , e n d o rm is
so u s la p ro te c tio n de 25 h o m m e s p la cé s aux av a n t-p o ste s.
S u rp ris in o p in é m e n t p a r u n e m a sse c o n s id é ra b le de g u é ­
rilla s , le c a p ita in e e t 52 h u s s a rd s fu re n t é g o rg é s; le re ste
p a rv in t, n o n sa n s p e in e , à g ag n e r le v illage de V illa rru b ia ,
où se tro u v a it le ré g im e n t.
P eu a p rè s a v o ir p a s sé ce fu n e ste défilé, n o s é c la ire u rs
re c o n n u re n t u n e co lo n n e q u i s e m b la it a c tiv e r sa m a rc h e
et s ’é lo ig n a n t de n o u s. Je d étac h ai a u s s itô t m e s h u s s a rd s
et six la n c ie rs en les so u te n a n t avec le re s te de la c a v a le rie .
ils e u re n t b ie n tô t re jo in t c e tte co lo n n e, q u i n ’é ta it a u tre
q u e d es c o n tre b a n d ie rs c h a rg é s de vins e t do m a rc h a n d is e s
an g la is e s, so u s l ’e s c o rte de 15 ca v aliers q u i p r ire n t la fuite
e n a b a n d o n n a n t le convoi au d é ta c h e m e n t qui v in t nous
310
SOUVENIRS
MILITAIRES.
r e jo in d re av ec sa p ris e . P e u a p rè s ce p e tit é v é n e m e n t,
n o u s tro u v â m e s u n b ea u c o u v e n t o cc u p é p a r u n p o ste de
60 d ra g o n s ; au m o m e n t de n o tre a rriv é e , 25 h o m m e s e t un
o fficier m o n ta ie n t à ch ev al p o u r a lle r à la p o u r s u ite d es
c o n tre b a n d ie rs q u e n o u s v e n io n s d ’e n le v e r, s u r l ’avis q u e
le c o m m a n d a n t av a it eu de le u r p ré s e n c e ; a u ssi l’on d o it
ju g e r d e so n d é s a p p o in te m e n t d ’a v o ir m a n q u é u n e a u ssi
b e lle p rise . N ous fîm e s d a n s la so iré e n o tre e n tré e à Mança n arez au m ilie u d u c a rillo n d e s c lo c h e s e t d ’u n e salve
de 11 c o u p s de ca n o n en l’h o n n e u r d u n o u v ea u g o u v e r­
n e u r q u i v en a it re m p la c e r le g é n é ra l T re ilh a rd , ap p elé au
c o m m a n d e m e n t d ’u n e d iv isio n de d rag o n s.
Le le n d e m a in de n o tre a rriv é e , u n co u p de sa n g des p lu s
p lu s v io le n ts, s u rv e n u a u c o m m a n d a n t du convoi, l ’a y a n t
m is d a n s l ’im p o s sib ilité de c o n tin u e r so n se rv ic e , le
g é n é ra l m ’o rd o n n a de le re m p la c e r, en m e p re s c riv a n t la
p lu s g ra n d e p ru d e n c e d an s m a m a rc h e , des avis q u ’il
v e n a it de re c e v o ir l’in fo rm a n t q u e d es b a n d e s n o m b re u se s
rô d a ie n t d a n s le p a y s q u e n o u s v en io n s de p a rc o u rir.
Je q u itta i m o n p a u v re c a m a ra d e avec la tris te p ré v isio n
de n e p lu s le v o ir, son é ta t a y a n t e m p iré d a n s la n u it e t le
m é d e c in c o n s e rv a n t p e u d ’e s p o ir de le sa u v er. N ous n o u s
m îm e s e n m a rc h e à tra v e rs un p ay s co u p é de bo is, de
p la in e s e t d e m o n ta g n e s. S u r les q u a tre h e u re s d u so ir, n o s
é c la ire u rs e n le v è re n t u n co nvoi de 33 v o itu re s c h a rg é e s
d ’o rg e e t d e vin se d ir ig e a n t s u r A lm agro, o ù se tro u v a it le
c h e f de b a n d e , El M a rq u esito , avec 1 500 à I 800 h o m m e s ;
c e tte p rise d ev e n ait d ’a u ta n t p lu s p ré c ie u se q u e n o u s
d e v io n s b ie n tô t e n tre r d a n s la S ierra-M o ren a, où n o u s
étio n s p e u t-ê tre d e s tin é s à m a n q u e r de r e s s o u r c e s ; en
c o n sé q u e n c e , je m is c e tte p ris e so u s la su rv e illa n c e im m é ­
d ia te d ’u n d é ta c h e m e n t d ’in fa n te rie en lu i fa isa n t p re n d re
ra n g d a n s la co lo n n e, p e n s a n t, d a n s m o n for in té rie u r, q u e ,
VALDEPENAS.
— 1812.
371
b ie n c e rta in e m e n t, je n e ta rd e ra is p a s à ê tre a tta q u é p a r
le M a rq u esito lo r s q u ’il s a u ra it q u e n o u s p o ssé d io n s so n
co n v o i.
V aldepefias, o ù n o u s a rriv â m e s le so ir, e s t u n p a y s
v ig n o b le d’u n e g ra n d e é te n d u e , p r o d u is a n t des v in s tr è s
re n o m m é s , m a is tr è s ca p ite u x , ce qui a ca u sé la m o rt d ’u n
n o m b re in c alc u la b le d e F ra n ç a is ; ce t e n d ro it é ta it d ’a u ta n t
p lu s d a n g e re u x q u e les h a b ita n ts, p a r un ra ffin e m e n t
d ’a tro c e p erfid ie, s ’e m p re s s a ie n t d ’a lle r au -d e v an t des
so ld a ts e t le s fa isa ie n t b o ire o u tre m e s u re , e t lo rs q u e ces
m a lh e u re u x é ta ie n t p lo n g é s d an s l ’iv re ss e o u le so m m e il,
ils é ta ie n t a u s s itô t égo rg és.
V o u la n t é v ite r ce d a n g e r, je fis p a r q u e r le co n v o i en
d e h o rs de la v ille ; m a is, m a lg ré la su rv e illa n c e la p lu s
ac tiv e , b o n n o m b re de so ld a ts ta r d è r e n t p e u à r e s s e n tir
les effets de c e tte b o isso n n a rc o tiq u e : a u s si, la n u it fu t-e lle
p o u r m o i re m p lie d ’in q u ié tu d e e t d ’an x iété , d a n s la c ra in te
c o n tin u e lle où j ’étais d ’ê tre a tta q u é e t p a r c o n s é q u e n t
d an s la n é c e s sité d ’a b a n d o n n e r d es h o m m e s iv re s-m o rts ;
h e u re u s e m e n t, il n ’en fu t rie n , et je vis a rriv e r le jo u r avec
u n e v é rita b le sa tis fa c tio n ; m a is u n n o u v e l e m b a rra s se
p ré s e n ta au m o m e n t d u d é p a rt, u n c e rta in n o m b re do
so ld a ts m a n q u a n t à l ’ap p e l ; enfin, a p rè s p lu s ie u rs h e u re s
e m p lo y é e s à le u r re c h e r c h e , 170 fu re n t é te n d u s s u r des
c h a rre tte s o ù ils c u v è re n t le u r v in p e n d a n t q u e n o u s c h e ­
m in io n s : d e u x h o m m e s se u le m e n t d u 46e de ligne ne
p u r e n t se r e tr o u v e r ; ils é ta ie n t d e v e n u s b ie n c e rta in e m e n t
v ic tim e s de le u r in te m p é ra n c e .
P e u av a n t d ’a rriv e r à la p e tite ville de S anta-C ruz, u n
p o n t é tro it q u ’il fa lla it p a s s e r d e v in t le s u je t d ’u n év é n e­
m e n t fâc h eu x d o n t m a p ru d e n c e ne p u t n o u s g a r a n tir ; u n
p o ste de 45 h o m m e s, la issé en o b se rv a tio n à p e u de d is ­
ta n c e de l ’a rriè re -g a rd e et a u q u e l j ’avais re c o m m a n d é la
372
SOUVENIRS
MILITAIRES.
p lu s g ran d e su rv e illa n c e , ta n d is q u e les v o itu re s p a s s a ie n t
le p o n t, au lie u de se te n ir s u r le q u i-v iv e , se c o u c h a s u r
le s b o rd s d ’u n p e tit b o is e t s’e n d o rm it. S u rp ris p a r u n e
so ix a n ta in e de cav aliers e t 30 o u 40 fa n ta ssin s, le c o m m a n ­
d a n t de ce p o s te e t six h o m m e s fu re n t tu é s à l ’in s ta n t ; p r é ­
v e n u p a r les d é c h a rg e s de p lu s ie u r s c o u p s de fusil, je
la n ç a i 25 la n c ie rs p o lo n a is à la p o u rs u ite d es fu y ard s,
m a is ils n e p u r e n t le s a tte in d re e t n o u s c o n tin u â m e s
j u s q u ’au v illage de V isillo, en a v a n t d u q u e l le co n v o i fu t
é ta b li m ilita ire m e n t.
L o rsq u e p a r u t le jo u r , u n n o u v el in c id e n t v in t r e ta r d e r
n o tre d é p a rt : p lu s ie u rs m u le ts c o n d u is a n t lesv v o itu re s
d ’o rg e e n le v é e s l’av a n t-v eille s ’é ta ie n t éc h ap p é s e t u n
h o m m e a u q u e l on av ait p e rm is de m o n te r s u r u n e v o itu re
a v a it é té s u r p ris au m o m e n t o ù il s ’o c c u p a it d ’e n faire
év a d er d ’a u tr e s ; o n le c o n d u is it d e v a n t m o i et, fo rt e x a s­
p é ré de l’é v é n e m e n t de la v eille , j ’allâis le faire fu s ille r,
lo rs q u e ce m is é ra b le se fît re c o n n a ître p o u r F ra n ç a is,
é ta b li d a n s le p ay s d e p u is v in g t an s, où il faisa it l’é ta t de
c h a u d ro n n ie r. Je m e c o n te n ta i de lu i faire a d m in is tre r
v in g t co u p s de b â to n , a p p liq u é s en c o n sc ie n c e s u r le d e r­
riè re , b ie n co n v a in c u q u ’il é ta it en é m issa ire , m a is a y a n t
ré p u g n a n c e à faire p é rir u n c o m p a trio te , b ie n q u e c ’e û t
é té de to u te ju s tic e ; p u is, je le fis lie r e t je te r s u r u n e c h a r­
r e tte avec l ’in te n tio n de lu i r e n d re la lib e rté p lu s ta rd .
N ous n o u s m îm e s en m a rc h e a p rè s c e t in c id e n t, n o u s d ir i­
g e a n t s u r la S ierra-M o ren a, avec la fe rm e conviction q u e
n o u s n e la rd e rio n s p as à ê tr e a tta q u é s , m a is a y a n t p ris à
c e t ég a rd to u te s les m e s u re s de p ru d e n c e q u e p o u v a it m e
su g g é re r n o tre p o sitio n .
Ce q u i m e d o n n a it u n c a u c h e m a r c o n tin u e l, c’é ta ie n t
les n o m b re u s e s v o itu re s d o n t il fallait p ro té g e r la m a rc h e
e t r é o a re r les a c c id e n ts p ar d e s h a lte s d a n g e re u s e s ; un
VERS
SÉVILLE.
— 1 8 12.
373
a u tre d é s a g ré m e n t q u i n ’é ta it p as m o in d re , c ’é ta it la
q u a n tité d 'o fficiers iso lé s, de to u s g ra d e s, p a rm i le sq u e ls
se tro u v a ie n t u n co lo n el et deu x g é n é ra u x q u i, b ie n q u e
n ’a y a n t rie n à m e c o m m a n d e r p u isq u e j ’é ta is s e u l r e s p o n ­
sa b le, v o u la ie n t m e d o n n e r d es c o n s e ils q u i s o u v e n t
re s s e m b la ie n t à d e s o r d re s ; il e s t v rai q u e je n ’en te n a is
g u è re c o m p te , p ré fé ra n t m ’en te n ir à m e s in s p ira tio n s et
s u r to u t m ’en e n te n d re avec les officiers so u s m e s o rd re s,
d o n t le s tro u p e s a g issa ie n t avec c o u ra g e e t d é v o u e m e n t.
U ne a u tre in q u ié tu d e en c o re é ta it ce lle d es v o itu re s de
m a ître s re n fe rm a n t des fem m es, q u e le m o in d re év é n e­
m e n t ou l ’a p p ro c h e de l’e n n e m i je ta it d a n s d es fra y eu rs
difficiles à v a in c re e t q u i p o u v a ie n t p o r te r la p e rtu rb a tio n
d an s les m o m e n ts où il fa lla it du calm e e t d u sang-froid.
E n a rriv a n t a u v illag e de la V en ta, l ’a v a n t-g a rd e de la
co lo n n e d é c o u v rit h u it cav aliers s u r u n e h a u te u r, ta n d is
q u ’u n d é ta c h e m e n t d ’u n e v in g ta in e de fa n ta ssin s o c c u ­
p a it u n p o n t s u r le q u e l no u s d ev io n s p a s s e r ; m a is, ch a rg é
a u s s itô t p a r u n p e lo to n de la n c ie rs s o u te n u d ’u n e co m p a­
g n ie d ’in fa n te rie , l ’e n n e m i se r e tir a p ré c ip ita m m e n t d a n s
la m o n ta g n e en s u iv a n t to u s n o s m o u v e m e n ts, ce q u i m e
m a in tin t d a n s la con v ictio n q u e n o u s ne ta rd e rio n s pas à
ê tre a tta q u é s , d ès q u e les E sp a g n o ls c ro ira ie n t en av o ir
tro u v é le m o m e n t fav o rab le . C’e s t p e u d ’in s ta n ts a p rè s
a v o ir p a ssé ce p o n t q u ’on q u itte la p la in e p o u r g rav ir u n e
ro u te s in u e u se e t tr è s ra p id e : c e tte p o s itio n , qui offrait
les p lu s g ra n d s av a n ta g es d an s u n e g u e rre d éfe n siv e, av ait
été ch o isie p a r l ’a rm é e e sp a g n o le en 1809 p o u r a r r ê te r la
m a rc h e d es F ra n ç a is.
Des b a tte rie s re d o u ta b le s a v a ie n t é té p la c é e s d a n s d es
re tra n c h e m e n ts d o n t on v o y a it e n c o re les r e s te s ; m a is
to u rn é s p a r la d ivision D essolles, 30 p iè ce s de can o n
a v a ie n t été p ris e s et l ’e n n e m i s ’é tait r e tiré avec p ré c ip ita ­
374
SOUVENIRS
MILITAIRES.
tio n . D u so m m e t de c e tte m o n ta g n e , q u i e s t la d é lim ita tio n
d e la M anche e t de l’A n d a lo u sie , o n d e sc e n d d a n s u n v allo n
ric h e e t b ie n cu ltiv é , au m ilie u d u q u e l se tro u v e le village
de S ain te -H é lèn e , o cc u p é p a r u n e c o lo n ie a lle m a n d e , d ans
le q u e l n o u s fîm e s u n e h a lte de d eu x h e u re s : j ’y re ç u s
l ’avis q u e p lu s ie u r s b a n d e s de g u é rilla s se ré u n is s a ie n t,
b ie n c e rta in e m e n t d a n s l ’in te n tio n de n o u s a tta q u e r.
L a g ra n d e p la in e de la M anche, q u i c o m m e n c e p r è s de
T e m b le q u e , à la C oncep cio n d ’A lm u rad iel, e s t u n e des
m ie u x c u ltiv é e s d ’E sp a g n e ; elle d o it ce b ie n fa it de la c u l­
tu r e a u x so in s p h ila n th ro p iq u e s d ’u n m in is tre q u i, v o u la n t
p e u p le r le s v a llé e s a rid e s de la S ie rra -M o re n a , y a ttir a d es
fam illes a lle m a n d e s e t h o lla n d a ise s qui o n t d e p u is fo rm é
p lu s ie u r s c o lo n ie s flo rissa n te s d a n s u n e c o n tré e et p a rm i
d es h a b ita n ts q u i ra p p e la ie n t le s sau v ag es du d é s e r t de
l ’A friq u e. G râce aux so in s de ces fam illes in d u s trie u s e s , la
S ierra -M o re n a offre m a in te n a n t d es villages b ie n b â tis, d o n t
le te rr ito ire e s t bien cu ltiv é e t les ch e m in s p la n té s d ’a rb re s.
La C aro lin a, e sp èc e de ca p ita le de ces co lo n ies o ù n o u s
v în m e s c o u c h e r, re s s e m b le à u n e jo lie ville h o lla n d a ise . La
p la ce d u M arché, l ’H ôtel d e v ille, l ’H ôtel du g o u v e rn e u r,
le s m a n u fa c tu re s d e soie e t de la in e s ’y fo n t re m a rq u e r.
L o rs q u e n o u s y p a s sâ m e s, le s b rig a n d s a v a ie n t d é v a sté
p lu s ie u r s b â tim e n ts e t n e p o u v a ie n t p a rd o n n e r a u x h a b i­
ta n ts les m a n iè re s affables avec le sq u e lle s ils a c c u e illa ie n t
le s F ra n ç a is ; ces b ra v e s g e n s, q u i a v a ie n t c o n s e rv é le s
m œ u rs , le s h a b itu d e s e t la la n g u e de le u rs p è re s , n o u s r e ­
ç u r e n t d ’a u ta n t m ie u x q u ’u n e p a rtie de m a tro u p e é ta it
a lle m a n d e . Le d ig n e et re sp e c ta b le alcad e chez le q u e l je
lo g e ais m e d o n n a l ’avis c o n fid e n tie l q u e , se lo n to u te a p p a ­
r e n c e , je se ra is p ro c h a in e m e n t a tta q u é e t q u e la ré u n io n
d e s b a n d e s d a n s la m o n ta g n e av ait p o u r b u t l ’e n lè v e m e n t
d u co n v o i ; c e tte n o u v elle ne m e s u r p r it p a s, a y a n t d éjà
LA
CAROLINA.
— 18 1 2 .
375
d es re n s e ig n e m e n ts p ré c is à c e t ég ard , et j ’e u s so in de m e
m e ttr e en m e s u re d ’o p p o se r u n e vive ré sis ta n c e , sa n s to u ­
te fo is en d o n n e r c o n n a issa n c e , d a n s la c ra in te q u e le s voi­
tu r e s de m a ître s d a n s le sq u e lle s se tro u v a ie n t u n assez
g ra n d n o m b re de fe m m e s n e c a u sa sse n t du d é s o rd re d an s
le convoi.
La C aro lin a e s t e n to u ré e de ja rd in s c o u v e rts de fleurs,
d e fru its p e n d a n t l ’é té ; d es ru isse a u x lim p id e s a rro s e n t de
b e lle s p ra irie s ; d es v ig n e s, des bois d ’o liv iers, d es o ra n ­
g e rs , d e s
c a c tu s
m o n s tre s
e m b e llisse n t ce c h a rm a n t
p a y sag e d o n t le s h a b ita n ts s e ra ie n t si h e u r e u x sa n s le fléau
de la g u e rre .
N ous tro u v â m e s c e tte in té re s s a n te cité ab a n d o n n é e de­
p u is q u e lq u e te m p s p a r la g a rn iso n fra n ça ise q u i y r e s ta it
h a b itu e lle m e n t; a u s s itô t a p rè s so n év a cu a tio n , le s b r i­
g an d s v in re n t y d é tru ire le s r e tr a n c h e m e n ts e t y faisa ie n t
d es a p p a ritio n s to u jo u rs d é s a s tre u s e s p o u r les co lo n s.
D eux h e u re s a p rè s av o ir q u itté c e tte ex c ellen te p o p u la ­
tio n , n o u s e n trâ m e s d a n s G u arro m an , a u tre eo lo n ie a lle ­
m a n d e , d o n t les b o n s h a b ita n ts n o u s o ffrire n t d es rafraf
c h iss e m e n ts .
In fo rm é q u e le s deu x lie u e s q u i n o u s s é p a ra ie n t de ce t
e n d r o it à B ay len , o ù n o u s d ev io n s c o u c h e r, é ta ie n t c o u p é es
de co llin es e t de b o is touffus, je fis p a r tir u n d é ta c h e m e n t
de 50 h o m m e s d ’in fa n te rie e t 40 ch e v au x p o u r é c la ire r le
p ay s e t p re n d re p o s itio n afin de p ro té g e r n o tre m a rc h e.
C onfiant d a n s ces d isp o s itio n s, n o u s q u ittâ m e s G u arro m an
à d e u x h e u re s a p rè s m id i.
Le co n v o i, c o m m e d ’h a b itu d e , o c c u p a it u n e é te n d u e de
p rè s d ’u n q u a rt de lie u e ; en tê te , se tro u v a ie n t d e u x c o m ­
p a g n ie s d e v o ltig e u rs m a rc h a n t 500 p as en av a n t, su iv ies
d ’u n d e m i-b a ta illo n (ces tro u p e s a p p a rte n a ie n t au c o n tin ­
g e n t de S ax e-C obourg), le s deu x pièces de c a n o n e n s u ite
376
SOUVENIRS
MILITAIRES.
av e c les c a isso n s . 800 h o m m e s c o m p o sé s de d iffé ren ts
d é ta c h e m e n ts d es -46e, 55° e t 100° de lig n e fo rm a ie n t l ’arriè re -g a rd e , et, s u r le s flancs d u convoi, p o u r m a in te n ir
l ’o rd re d a n s la m a rc h e e t é c la ire r le p ay s au b e so in , se
tro u v a it le re ste de la c a v a le rie , c ’e s t-à -d ire 30 la n cie rs,
8 g e n d a rm e s e t m e s c in q h u s s a rd s , p u is u n e d iz ain e d ’offi­
c ie rs iso lés, le s a u tre s é ta n t p a r tis avec le d é ta c h e m e n t.
S u r le s q u a tre h e u r e s , à p ein e le s dix p re m iè re s v o itu re s
fu re n t-e lle s e n g a g ée s d a n s u n défilé b o rd é de b o is, q u e n o u s
fû m e s s u b ite m e n t a tta q u é s p a r u n e m a sse d ’in fa n te rie et
de cav alerie, p o u s s a n t d es c ris é p o u v a n ta b le s et fa isa n t d es
d é c h a rg e s c o n tin u e lle s s u r le convoi.
C ette a tta q u e im p ré v u e p o r ta d ’a b o rd la c o n fu sio n d an s
le con v o i ; q u e lq u e s v o itu re s de m a ître s, p o u r fu ir u n d a n ­
g e r, se je ta ie n t d a n s u n p lu s g ra n d en ré tro g ra d a n t. Mais
ce q u i c a u sa it s u r to u t m o n in q u ié tu d e é ta it l’a b se n c e du
d é ta c h e m e n t en v o y é en av a n t et q u i ju s te m e n t devait se
tro u v e r, d ’a p rè s m es o rd re s , s u r le lie u m ê m e o ù n o u s
é tio n s si ru d e m e n t p re s s é s . C ep en d an t, p o u r r é s is te r à
u n e a tta q u e a u ssi vive, et s e n ta n t l ’im p o ssib ilité d e g a ra n tir
p a rtie lle m e n t c h a q u e v o itu re , je fis r e p lie r les S axons avec
le s d e u x p iè c e s d ’a r tille rie e t av a n ce r l ’a rriè re -g a rd e au
c e n tr e ; ce m o u v e m e n t e x é c u té avec p ro m p titu d e a y a n t
c o n tra in t les E sp ag n o ls à se re p lie r, deux d é c h a rg e s à
m itra ille p o r tè r e n t l ’effroi p a rm i e u x ; m a is, re v e n u s de
c e tte p re m iè re te r r e u r e t avec u n e sa g ac ité e x tra o rd in a ire
ils se p o r tè r e n t à la g a u c h e , alin de p a ra ly s e r l ’effet des
p iè ce s. J ’o rd o n n a i a u s s itô t la m a rc h e d u co n v o i, ta n d is
q u e n o tr e in fa n te rie fo u rn is s a it u n feu b ie n n o u rri. C e p en ­
d a n t, q u e lq u e s ch ev au x de tr a it a y a n t é té tu é s, la co lonne
fu t b ie n tô t a r r ê té e ; la s itu a tio n dev en ait à c h a q u e in s ta n t
p lu s c ritiq u e ; déjà, b o n n o m b re de m e s h o m m e s av a ie n t
été fra p p é s, u n g e n d a rm e v e n a it d ’ê tre tu é à m e s c ô té s,
BAYLEN.
— ATTAQUE
DU
CONVOI.
— 1812.
311
d eu x a u tre s g riè v e m e n t b le ssé s, et je p e n sa is, p o u r n e pas
a jo u te r à ta n t d ’e m b a rra s l ’in c o n v é n ie n t de la n u it q u i
a p p ro c h a it e t p o u v a it e n tra în e r le s p lu s affreux d é s a stre s,
je p e n s a is, d is-je , à sa u v e r a u ta n t de v o itu re s q u e p o s­
sib le en a b a n d o n n a n t ce lle s q u i n e p o u r ra ie n t su iv re,
lo rs q u e je m ’a p e rç u s d ’u n e p a n iq u e q u i v e n a it de s ’e m p a ­
r e r to u t à c o u p d e s E sp ag n o ls. P ro fita n t a u s s itô t de ce
m o u v e m e n t, sa n s sa v o ir à q u o i en a ttr ib u e r la ca u se , d eu x
n o u v e lle s d é c h a rg e s à m itra ille a c h e v è re n t de les m e ttre
d an s la p lu s com plète, d é ro u te e t je vis a p p a ra ître les
50 la n c ie rs a rr iv a n t à to u te b rid e et s a b ra n t im p ito y a b le ­
m e n t c e tte c a n a ille d ans sa fu ite.
D ès ce m o m e n t, le convoi é ta it sau v é e t h o rs de to u t
d a n g e r; il n e s ’a g issa it p lu s q u e de ré ta b lir l ’o rd re , re le v e r
le s b le ssé s, e m p o rte r n o s m o rts , d é te le r les c h e v a u x tu é s
e t faire m a rc h e r la co lo n n e ta n d is q u ’u n e p a rtie de la c a ­
v a le rie p o u r s u iv ra it le s fu y a rd s.
Blbl. Jag.
N ous a tte ig n îm e s enfin le s fa u b o u rg s de B aylen à la n u it
to m b a n te , e t ce fu t a lo rs q u e j ’a p p ris le s c a u se s de l ’év é n e­
m e n t fâcheux q u i e û t p u d e v e n ir u n e fu n e ste c a ta stro p h e .
Le c o m m a n d a n t, c h e rc h a n t à a tté n u e r la g rav ité de ses to rts
d o n t il se n ta it to u te l’im p o rta n c e , d u t c e p e n d a n t m ’en faire
co n n a ître to u s les d é ta ils; il m e d it q u ’à so n d é ta c h e m e n t,
s ’é ta ie n t jo in ts u n e d iz a in e d ’officiers iso lés au n o m b re
d e sq u e ls se tro u v a it le g é n é ra l de b rig a d e M orland, q u i lu i
av a it o rd o n n é de p o u s s e r j u s q u ’à la ville, m a lg ré l ’o p p o si­
tio n q u ’il y m e tta it, p u is q u e c ’é ta it c o n tra ire à se s in s tru c ­
tio n s , m a is q u e , vaincu p a r u n e a u to rité se m b la b le, il avait
cru d ev o ir c é d e r; c e p e n d a n t, lo r s q u ’o n e n te n d it la fusillad e
e t le c a n o n , fo rt in q u ie t de la fa u te q u ’il av a it c o m m ise , il
v o u la it p a rtir à l'in s ta n t p o u r n o u s p o r te r se c o u rs, m ais le
g é n é ra l s’y o p p o sa en se c o n te n ta n t d ’e n v o y e r tr o is la n ­
cie rs à la d é c o u v e rte ; enfin, le c a p ita in e S u lk o w sk y ne
3T8
SOUVENIRS
MILITAIRES.
v o y a n t p as re v e n ir se s h o m m e s e t d é c la ra n t n e re c o n n a ître
d ’a u tre a u to rité q u e la m ie n n e , q u 'il se re p e n ta it d ’avoir
m é c o n n u e u n m o m e n t, s ’é ta it m is à la tê te de se s la n c ie rs
p o u r n o u s p o rte r se c o u rs. — L o rsq u e n o u s a rriv â m e s, je
tro u v a i le g é n é ra l M orland fo rt e m b a rra s s é ; s e n ta n t c o m ­
b ie n a v a it été im p r u d e n t l ’a b u s de so n g rad e , il v o u lu t
m ’en faire c o n n a ître le s m o tifs. « Mon g é n é ra l, lu i d is-je en
l ’in te rro m p a n t, il n e m ’a p p a rtie n t p a s d ’e n tre r en ex p lic a ­
tio n av ec v o u s, il y a tro p de d ista n c e e n tre n o u s ; c ’e st
avec M. le m a ré c h a l S o u lt q u e v o u s a u re z à v o u s en ex p li­
q u e r, c a r v o u s devez p e n s e r q u e je lu i fe ra i un ra p p o rt
ex a c t d e to u t ce q u i s ’e s t p a s sé . »
Le so ir, on fit e n te r re r les m o rts e t je c h a rg e a i le ca p i­
ta in e du 55e de ligne de faire fo u rn ir p a r l ’alcad e des ch e­
v a u x p o u r r e m p la c e r c e u x q u i a v a ie n t été tu é s et faire
r é p a r e r les d é g â ts s u rv e n u s au x v o itu re s . C ette éc h au ffo u ré e , q u i d u ra p rè s de d e u x h e u r e s , n o u s c o û ta d e u x offi­
c ie rs , u n g e n d a rm e , do u ze h o m m e s, tro is v o itu r ie rs et
se p t ch ev au x tu é s , p u is q u a ra n te b le s s é s ; l’e n n e m i, de
so n cô té e u t 60 h o m m e s tu é s , y c o m p ris le s b le ssé s , q u i
fu re n t ac h ev é s p a r le s so ld a ts. G rand n o m b re de fu y a rd s
fu re n t a u s si sa b ré s p a r la cav alerie ; m a is u n d é s a stre qui
m e c a u sa u n v if c h a g rin , a y a n t é té d a n s l’im p o s sib ilité de
l ’év iter, ce f u t la p e rte de c in q v o itu re s de m a ître s q u i en
v o u la n t r é tr o g r a d e r s u r G u a rro m a n to m b è re n t e n tre les
m a in s d es b rig a n d s : d a n s l ’u n e d ’elles se tro u v a it le
g é n é ra l esp ag n o l H e rm o silla s av e c sa fe m m e et se s d eu x
c h a rm a n te s filles.
Le le n d e m a in à d e u x h e u re s d u m a tin , ta n d is q u e le
convoi q u itta it le fa u b o u rg de B aylen p o u r e n tr e r en ville
où n o u s d ev io n s sé jo u rn e r, je m e m is en m a rc h e avec
800 h o m m e s e t le s 80 ch e v au x , m e d irig e a n t d a n s le p lu s
g ra n d silen c e e t avec ra p id ité s u r le village de B anos, d is ­
BANOS.
— REVANCHE.
— 1812.
379
ta n t d e d e u x lie u e s , o ù je savais q u e les b rig a n d s s’é ta ie n t
r e tiré s . N o tre p ré s e n c e su b ite e t im p ré v u e p r o d u is it d ’au ­
ta n t p lu s d ’effet q u ’ils é ta ie n t lo in d ’im a g in e r q u ’u n e esc o rte
de con v o i a b a n d o n n e ra it se s v o itu re s p o u r v e n ir le s a tta ­
q u e r, s u r to u t a p rè s le c o m b a t de la v eille .
L a te r r e u r q u e n o u s in s p irâ m e s en e n tra n t d a n s ce g ro s
b o u rg p a r p lu s ie u r s iss u e s fu t te lle q u e l’e n n e m i n e sav ait
p as s ’il d e v a it fu ir o u c o m b a ttre ; a u s si, en p e u d ’in sta n ts,
p lu s de 100 h o m m e s to m b è r e n t so u s n o s s a b re s e t n o s
b a ïo n n e tte s ; tro is v o itu re s f u re n t re p ris e s , m a is n o n le s
d e u x a u tre s , d o n t celle d u g é n é ra l H erm o sillas, s u r .les­
q u e lle s n o u s ne p û m e s o b te n ir a u c u n re n se ig n e m e n t, l ’al­
cade affirm a n t q u ’elles n ’a v a ie n t p a s p a ru d a n s l’en d ro it.
A dix h e u r e s d u m a tin , n o u s étio n s de r e to u r à B aylen
avec q u a tre c h a r re tte s c h a rg é e s d ’org e e t six ch e v au x de
p ris e , a y a n t d éd aig n é de fa ire des p ris o n n ie rs q u i n o u s
e u s s e n t e m b a rra s s é s . E n fa is a n t c e tte p e tite ex p é d itio n , le
m o tif p rin c ip a l é ta it de r e m o n te r le m o ra l de la tro u p e et
de c a lm e r les in q u ié tu d e s des v o y a g e u rs s u r le s b ru its
q u ’u n r a s s e m b le m e n t de S 000 h o m m e s d e v a it n o u s a tta
q u e r ; q u e ces b av a rd ag es f u s s e n t v ra is ou faux, jJavais
u n e m is s io n à r e m p lir d o n t r ie n ne d ev a it m e d é to u rn e r.
A u ssi lo r s q u ’on m e p ro p o s a de d e m a n d e r d es re n fo rts
a v a n t de m e re m e ttre en r o u te , je ré p o n d is q u e, si l ’on
c ro y a it la c h o se n é c e s sa ire , o n en e n v e rra it e t d o n n ai
l ’o rd re d u d é p a rt p o u r le le n d e m a in , lib re à c e u x qui
n ’é ta ie n t p a s so u s m o n c o m m a n d e m e n t de faire ce q u ’ils
v o u d ra ie n t.
L es re n s e ig n e m e n ts o b te n u s d an s la jo u r n é e n o u s fire n t
co n n a ître q u e n o u s avions eu affaire à 3000 h o m m e s com ­
m a n d é s p a r le M arq u esito , q u i a v a it é té assez g riè v e m e n t
b le s sé . Ces tr o u p e s é ta ie n t c o m p o sé e s d ’in fa n te rie et de
cav alerie a y a n t des ch ev au x d ’u n e assez m a ig re en c o lu re ,
380
SOUVENIRS
MILITAIRES.
d e s se lle s élev ées, à l ’e sp a g n o le , d ’a u tre s fra n ç a ise s de
d ra g o n s e t de h u s s a rd s .
L ’h a b ille m e n t e t le s a rm e s ré p o n d a ie n t à la b iz a rre
v a iié té d u h a rn a c h e m e n t de ces a n im a u x : d e s c a sq u e s
fra n ç a is, d e s s h a k o s d ’in fa n te rie , d es co lb ac k s, des c h a ­
p eau x e sp a g n o ls re le v é s d ’un cô té, d es la n ce s, d es m o u s ­
q u e ts , d e s s a b re s de d iffé re n ts m o d è le s , in d iq u a ie n t u n e
tr o u p e irré g u liè re . C e p en d a n t, le u r c o stu m e av ait u n e e s­
p è c e d ’u n ifo rm ité : p re s q u e to u s p o r ta ie n t u n e v e s te b ru n e
re le v é e p a r d es b a n d e s e t d e s re v e rs ro u g e s e t'o r n é e de
p lu s ie u rs ra n g é e s de b o u to n s à la m a n iè re des v e ste s de
n o s p o stillo n s .
Q u a n t à l ’in fa n te rié , elle av ait p o u r a rm e s d e s fu sils a n ­
g la is, e sp a g n o ls e t fra n ça is d o n t u n e p a rtie sa n s b a ïo n ­
n e tte , d es sa b re s e t d e s c o u te la s de d iffé re n te s n a tio n s,
p e u d e g ib e rn e s et, p re s q u e to u s , d e s c a rto u c h iè re s en
fo rm e de c e in tu r e ; p o u r h a b ille m e n t, des vestes b ru n e s
e t d es p a n ta lo n s de to u te s c o u le u rs, la c h a u s s u r e d a n s le
p lu s m a u v ais é tat. C ette in fa n te rie n ’offrait q u e l’asp ec t
d ’un ra m a s s is de p a y s a n s m a rc h a n t et se b a tta n t sa n s
o rd re et d o n t le co u ra g e n ’é ta it stim u lé q u e p a r le n o m b re ,
l ’e sp é ra n c e du pillage e t la jo u is s a n c e d u m a ssa c re .
L e b o u rg de B aylen se tr o u v a it e n to u ré d ’u n e m u ra ille
c ré n e lé e , d é fe n d u e p a r u n e fo rte re s s e en b o n é ta t; ce fu t
p rè s c e t e n d ro it q u ’e u t lie u la fu n e ste c a p itu la tio n d u
g é n é ra l D u p o n t, le 22 ju ille t 1808.
B ay len d o it u n e p a rtie de se s ric h e s s e s à l ’active c o n tre ­
b a n d e de tab ac d o n t elle in o n d e l’E sp ag n e e t à so n g ra n d
c o m m e rc e de la in e s.
Le convoi se m it en m a rc h e à q u a tre h e u r e s d u m a tin ,
la is s a n t q u a tre officiers iso lés, le g én é ral M orland e t tro is
v o itu re s de m a ître s p o u r a tte n d re u n convoi v e n a n t n e
M adrid e t q u i d ev q it a r r iv e r d a n s tro is jo u r s p o u r se
ARRIVÉE
A ANDUJAR.
— 18 1 2 .
3811
re n d re a u ssi à S éville ; je fus on n e p e u t p lu s sa tisfa it de
c e tte d é te rm in a tio n de ce v ie u x g é n é ra l à q u i la r e tr a ite
é ta it b e a u c o u p p lu s n é c e s sa ire q u e l’ac tiv ité e t q u i é ta it
dev e n u l ’o b je t d es p la is a n te rie s d es so ld a ts d ep u is n o tr e
m a lh e u re u s e affaire.
L es o rd re s le s p lu s p ré c is a v a ie n t été d o n n é s p o u r q u e
c h a c u n se tîn t à so n p o ste , e t to u t av ait été p ré v u afin
d ’é v ite r la c o n fu sio n si l’e n n e m i se p ré s e n ta it. B ien p e r ­
su a d é s d ’è tre a tta q u é s s u r u n te rr a in q u i av a it été si a v a n ­
ta g eu x au x E sp ag n o ls, n o u s m a rc h io n s avec p ru d e n c e , la
cav alerie e x p lo ra n t le p ay s, afin d ’é v ite r le s e m b u sc a d e s
q u ’il e û t été facile de d r e s s e r à la faveur d ’u n b ro u illa rd
é p a is q u i n o u s ac c o m p a g n a it d e p u is tro is h e u re s. N ous
v e n io n s de fra n c h ir le défilé q u i fu t si fatal au g é n é ra l
D u p o n t, lo rs q u e le s é c la ire u rs s ig n a lè re n t u n c o rp s de
cav alerie et d ’in fa n te rie en b a ta ille s u r u n e h a u te u r n o n
lo in de la ro u te q u ’il n o u s fa lla it su iv re .
A l ’in s ta n t, to u te s le s v o itu re s f u r e n t ré u n ie s en m a sse
s u r h u it de fro n t, les d eu x p iè c e s d ’a rtille rie c h a rg é e s à
m itra ille en a v a n t, s o u te n u e s p a r le b a ta illo n sax o n , ta n d is
qu e le s tira ille u rs se p o rta ie n t en av an t e t le s d é ta c h e m e n ts
d es 46°, 55° e t 100e se p la ç a ie n t s u r le's flancs du convoi.
P lu s ie u rs co u p s de ca ra b in e v e n a ie n t d ’ê tre éc h an g é s et
to u t a n n o n ç a it q u ’u n c o m b a t ré g u lie r a lla it s ’en g a g er,
lo rs q u e le b ro u illa rd , c o m m e n ç a n t à se d iss ip e r, n o u s p e r­
m it de re c o n n a ître , d a n s les tro u p e s en b a ta ille , la g a r ­
n is o n d ’À n d u jar v en u e a u -d e v a n t de n o u s e t q u i av ait p ris
p o sitio n p o u r p ro té g e r ta s o rtie d u défilé. Ces tro u p e s se
c o m p o s a ie n t de 300 h o m m e s d u 55° de lig n e, 50 d ra g o n s,
u n e sc a d ro n de la n c ie rs p o lo n a is e t u n ré g im e n t d ’in fan ­
te rie e sp a g n o l; a u s s itô t n o tre jo n c tio n faite, n o u s c o n ti­
n u â m e s n o tre m a rc h e e t a rriv â m e s en ville à cin q h e u re s
du s o ir : n o u s d û m e s y s é jo u rn e r v in g t-q u a tre h e u re s.
382
SOUVENIRS
MILITAIRES.
L ’ap p u i q u e n o u s av io n s tro u v é p ro v e n a it de la c o n n a is­
sance q u ’on a v a it eu e de n o tr e c o m b a t e t de l ’avis reç u
p a r le c o m m a n d a n t de la place q u e de n o m b re u se s b an d e s
rô d a ie n t d a n s le pays.
La v ille d ’A n d u ja r, a g ré a b le m e n t situ é e s u r les b o rd s d u
G u ad alq u iv ir, fa it u n g ra n d c o m m e rc e de p o te rie , e n tre
a u tre s de vases assez c u rie u x a p p e lé s a lc a r a z a s , q u i s e rv e n t
à m a in te tiir l’ea u d a n s u n e te m p é r a tu re trè s fro id e .
Le su rle n d e m a in , n o u s fû m e s c o u c h e r à la p e tite ville
de A ld ea-d el-R io, o ù se tro u v a it u n ré g im e n t esp ag n o l du
roi Jo s e p h , c o m m a n d é p a r un I rla n d a is ; c e tte tro u p e av a it
te lle m e n t le s a llu re s , le d é b ra illé e t la m a u v aise te n u e de
c e u x q u e n o u s v e n io n s de c o m b a ttre les jo u r s p ré c é d e n ts,
q u e b ie n c e rta in e m e n t je l ’e u sse tra ité e de la m ê m e m a ­
n iè re , ju s q u ’à p lu s a m p le in fo rm é , si je l’avais re n c o n tré e
s u r m a ro u te .
Le p a y s q u e l ’o n p a r c o u rt p o u r a lle r à El C arpio e st
co u p é p a r le G u ad alq u iv ir, d es c o llin e s c o u v e rte s d ’o liv iers
et de v ig n e s, d e s v e rg e rs m a g n ifiq u es, des v illag e s e n to u ­
ré s de g re n a d ie rs , de la u rie rs e t de c a c tu s é n o rm e s ; à ce
ta b lea u e n c h a n te u r, se jo in t u n e v é g é ta tio n te lle que d es
b ra s m o in s p a re s s e u x r e n d r a ie n t ce p ay s ce lu i de l ’E s ­
p ag n e le p lu s p ro d u c tif.
En s o rta n t d ’El C arpio n o u s tro u v â m e s u n e fo rê t de
500 000 o liv ie rs r é g u liè re m e n t p la n té s , a rro s é e au m oyen
d ’u n e m a c h in e h y d ra u liq u e tira n t ses e a u x d u fleuve; c e tte
m ag n ifiq u e p ro p rié té fa isa it p a rtie des im m e n se s d o m a in es
du d u c d ’A lbe, u n des p lu s ric h e s p ro p rié ta ire s et d es p lu s
g ra n d s s e ig n e u rs de l ’E spagne : on e s tim a it se s re v e n u s à
p r è s de tr o is m illio n s ; c e tte illu s tre fam ille é ta it r e p r é ­
se n té e p a r u n je u n e h o m m e de d ix -se p l an s q u e l’E m p e re u r
a v a it fait v e n ir à P a ris. D eux h e u r e s a p rè s a v o ir q u itté c e tte
te rr e de p ré d ile c tio n , on p asse le G u ad a lq u iv ir s u r le b eau
CORDOUE.
— 1812.
383
p o n t d ’A lcolea et l ’on e n tre , u n e d e m i-h e u re a p rè s, d a n s
c e tte b elle, illu s tre et cé lè b re C ord o u e, si c h é rie des
M aures, e t où à c h a q u e pas on tro u v e le s o u v e n ir de le u r
g ra n d e u r
300 000
p a s sé e .
âm es,
Sa p o p u la tio n ,
e s t ré d u ite
qui
a u jo u rd ’h u i
é ta it
à
a lo rs
de
15 000;
les
sc ie n c e s, les a rts y flo rissaien t, ta n d is q u e, m a in te n a n t,
q u e lq u e s c h é tiv e s écoles so n t à p e in e fré q u e n té e s p a r ce
p e u p le ig n o ra n t e t p a re s s e u x qui ne sa it p e u t-ê tre p as
q u e se s m u rs o n t vu n a ître le s d eu x S én èq u e , L u ca in et
ta n t d ’a u tre s illu s tra tio n s . S on a d m ira b le m o sq u é e , c o n ­
v ertie en c a th é d ra le , re n fe rm e p lu s de 1 000 c o lo n n e s de
d iffé re n ts m a rb r e s ; u n e c h a p e lle o ù l ’on c o n s e rv a it le s
liv re s d e la loi, a u jo u rd ’h u i so u s l ’in v o c atio n de sa in t
P ie rre , e st d ’u n fini e t d ’u n e p e rfe c tio n te ls q u e le s m u rs
se m b le n t ê tre g a rn is de d e n te lle s. Le c lo c h e r de c e tte
c a th é d ra le , p lacé q u e lq u e s p a s en d e h o rs de l’édifice, e st
au m ilieu d ’u n ja rd in d ’o ra n g e rs e t de la u rie r s ro se s e t
b la n c s, co u p é p a r d e u x fo n ta in e s en m a rb re d ’u n bel effet.
L’A lcazar, ce b e a u p alais d es ro is M aures, d o n t les v e s­
tig e s to u t p a lp ita n ts d ’in té r ê t so n t de v é rita b le s tré s o rs ,
e s t d ev e n u le sé jo u r d u h a ra s de c e tte b e lle ra c e de c h e ­
vaux a n d a lo u s q u i h e u re u s e m e n t s ’e s t p ro p ag é e ju s q u ’à ce
j o u r ; u n e v aste place ré g u liè re , e n to u ré e de b â tim e n ts
d ’u n e b elle a rc h ite c tu re , a y a n t to u s d es b alco n s, e s t d isp o ­
sée d e m a n iè re à p o u v o ir y d o n n e r la r e p r é s e n ta tio n des
c o u rse s e t d u c o m b a t des ta u re a u x , sp e c ta c le favori des
E sp agn o ls e t s u rto u t des fe m m e s à é m o tio n s vives.
Le th é â tr e e s t u n édifice assez re m a rq u a b le , m a l éc la iré
e t tr è s suivi p a r le s b e a u té s de la v ille, d o n t le n o m b re e st
trè s c o n s id é ra b le . J ’e u s le p la isir de faire c o n n a issa n c e avec
la p re m iè re d a n s e u se , c h a rm a n te b a lle rin e , avec la q u elle
je d é p e n s a i q u e lq u e s d u c a ts p e n d a n t n o tre tro p c o u rt
sé jo u r à C ordoue.
384
SOUVENIRS
MILITAIRES.
Le g é n é ra l D igeon, g o u v e rn e u r (le m ê m e q u i m e p rê ta
so n ép é e et se s p is to le ts de c o m b a t lo rs de m o n d u e l à
P a ris , le 18 a o û t 1808), e u t l ’oblig ean ce de m ’offrir u n gîte
d a n s so n p a la is où je tro u v a i la p lu s aim ab le h o s p ita lité
p e n d a n t le s tro is jo u r s q u e le convoi re s ta d an s c e tte b elle
c ité.
Le p ay s q u ’il fa u t p a rc o u rir en q u itta n t C ord o u e p o u r
a lle r au b eau village de la C arlo tta, a u tre co lo n ie a llem an d e ,
e s t d ’u n e so m p tu e u s e ric h e sse , g râc e à l ’activ e in d u s trie
d es co lo n s, q u i sa v e n t a p p ré c ie r les b ie n fa its d o n t la n a tu re
a co m b lé c e tte b elle c o n tré e . L ’o n y vo y ait d es ch a m p s de
b lé im m e n s e s , des v ig n e s b o rd é e s de h a ie s d ’alo ès d o n t
les feu illes s o n t a ig u ës co m m e d es la n ce s e t d o n t les tig es
m e n u e s s ’é lè v e n t p e rp e n d ic u la ir e m e n t a u s si h a u t q u e des
a r b r e s ; de d ista n c e en d ista n c e , d e r r iè r e le s h a b ita tio n s,
d e s v e rg e rs tou ffu s p la n té s de f ru itie rs de to u te e sp è c e , et,
d a n s d es te rra in s in c u lte s , s u r les b o rd s d e s ru isse a u x , des
la u rie rs ro s e s e t b la n c s. La te m p é r a tu re de ce ra v iss a n t
c lim a t e s t te lle m e n t dou ce e t le ciel si clair, si se re in e t si
p u r , q u ’on p e u t y d o rm ir to u te l ’an n é e en p le in a ir ; les
h a b ita n ts de cet h e u re u x pays, b o n s e t p ré v e n a n ts, s ’e m ­
p r e s s è r e n t d ’a c c u e illir la tro u p e avec les d é m o n s tra tio n s
d ’u ne s y m p a th ie d ’a u ta n t p lu s n a tu re lle q u e le langage
des S axons le u r ra p p e la it la m è re p a trie ; a u ssi n o s so l­
d a ts p a s s è re n t-ils la n u it au m ilie u de la jo ie , d u p la is ir
e t de n o m b re u se s lib a tio n s.
Le le n d e m a in n o u s a rriv â m e s à E cija, situ é e s u r les b o rd s
d u X én il, u n e des p lu s b e lle s et d es p lu s ric h e s v illes de
l ’A n d alo u sie p a r la fe rtilité de so n sol. N ous la tro u v â m e s
e m c o m b ré e d e tro u p e s r e v e n a n t de B a d ajo z,o ù e lle s av aien t
été p o r te r de ta rd ifs se c o u rs . Le b ra v e g é n é ra l P h ilip p o n ,
c h a rg é d e la d éfe n se de c e tte place im p o rta n te , av ait d i ­
g n e m e n t rem p li ce lte m issio n ; a b a n d o n n é à lu i-m ê m e
APPROCHES
DE
S É V 1 L L E . — 1812.
385
av e c u n e faible g a rn iso n , il a v a it r é s is té e t te n u en éc h ec
u n e p a rtie d e l ’a rm é e an g laise, d e m a n d a n t d e s re n fo rts
avec le s q u e ls il e û t in fa illib le m e n t sauvé ce p o ste in té r e s ­
s a n t; m a is, r é d u it à 150 h o m m e s ta n d is q u ’il lui en a u r a it
fallu 3 000, p riv é de m u n itio n s , n e re c e v a n ta u c u n m e ssa g e ,
a b a n d o n n é à lu i-m ê m e et sa n s e sp é ra n c e , ce n e fu t q u ’à
la su ite d ’u n c in q u iè m e a s s a u t q u ’il c o n s e n tit à u n e c a p i­
tu la tio n d o n t il ré g la les c o n d itio n s, ta n t so n h é ro ïq u e d é ­
fen se av ait in sp iré d ’a d m ira tio n au x a ssié g e a n ts.
Il fu t co n v e n u q u ’il s o r tir a it de la place avec to u s les
h o n n e u rs de la g u e rre , a rm e s e t bag ag es, deu x p iè c e s d ’a r ­
tille rie la m è c h e allu m é e, e t d ra p e a u d ép lo y é, e t q u ’il re ­
jo in d r a it sa n s tro u b le l ’a rm é e fra n ç a ise .
A u m o m e n t o ù ce r e s te de b rav e s a b a n d o n n a it ces m u rs
q u ’ils av a ie n t si v a illa m m e n t d é fe n d u s, u n e d iv isio n p a ­
r a is s a it p o u r p o r te r des se c o u rs, j u s q u ’a lo rs v a in e m e n t
d e m a n d é s.
E n s o r ta n t d ’E c ija on m o n te u n e côte assez ra p id e j u s ­
q u ’a u c h a rm a n t village de la L u isia n a, d e rn iè re colonie
a lle m a n d e , q u e n o u s q u ittâ m e s a p rè s y av o ir p ris d eu x
h e u re s de re p o s, p o u r su iv re u n e ro u te fatig an te e t m a u ­
vaise q u i n o u s c o n d u isit p rè s d ’u n c h â te a u a b a n d o n n é o ù ,
la n u it n o u s a y a ilt s u rp ris , n o u s fû m e s o b lig és de b iv o u a ­
q u e r : fo rt p e tit in c o n v é n ie n t d a n s u n p ay s o ù les n u its
s o n t p ré fé ra b le s au x c h a le u rs d u jo u r . N ous v în m e s
p r e n d r e g îte le le n d e m a in à C arm ona, placé d an s u n e s itu a ­
tio n de s p lu s h e u re u s e s , d o m in a n t u n e p la in e im m e n se qui
p o u r ra it s e rv ir de g re n ie r à l’A ndalousie, si le s h a b ita n ts ,
m o in s in d o le n ts , v o u la ie n t su iv re l ’ex e m p le des colonies
a lle m a n d e s ; o n v o y ait to u t au plu® u n q u a rt de ces te rr e s
p ro d u c tiv e s en r a p p o r t; le re s te , .abandonné à sa p ro p re
v é g é ta tio n , se rv a it de p ro m e n a d e à de n o m b re u x tro u p e a u x
b r o u ta n t çà et là q u e lq u e s h e rb e s p a ra site s. Des v e s tig e s
386
SOUVENIRS
MILITAIRES.
de fo rtific a tio n s q u i e n to u re n t la ville e t u n c h â te a u fo rt
d o n t les r u in e s a tte s te n t de q u e lle im p o rta n c e é ta it c e tte
p la ce lo rs q u e les M aures en f u re n t c h a ssé s p a r F e rd in a n d
le C a th o liq u e a p r è s u n sièg e lo n g e t d é s a stre u x , o ffre n t à
c h a q u e p a s d es tra c e s e t d e s so u v e n irs de ce p e u p le v a­
le u re u x q u i faillit c o n q u é r ir e t a s s e rv ir l ’E u ro p e à sa r e l i ­
g io n ; p lu s ie u rs m o n u m e n ts y s o n t en c o re assez b ie n c o n ­
se rv é s, e n tre a u tre s , la p o rte de S éville, qui e s t u n e d es
p lu s g ra n d e s p iè c e s d ’a n tiq u ité d e to u te l ’E spagne.
C a rm o n a offre e n c o re a u jo u r d ’h u i l ’a sp e c t d ’u n e ville
m a u re s q u e , ta n t d a n s la c o n s tru c tio n de se s m a iso n s q u e
d a n s le m é la n g e b iz a rre d u c o s tu m e e t d e s u sa g e s de ses
h a b ita n ts , m a is p lu s p a r tic u liè r e m e n t p a rm i le p e u p le :
le s fe m m e s s ’a s s e y e n t s u r d es n a tte s de jo n c c irc u la ire s,
e t le g ra n d v o ile de la in e q u i le u r ca ch e to u te la figure
e x c e p té le s y e u x , a p o u r o rig in e la p iè c e de d ra p d o n t les
fe m m e s s ’e n v e lo p p e n t d a n s l ’O rien t q u a n d elles s o rte n t.
C e tte jo u r n é e é ta n t l’a v a n t-d e rn iè re de m e s trib u la tio n s
e t v o u la n t a lle r le le n d e m a in à S éville, m a lg ré les h u it
lie u e s q u ’il fa lla it p a r c o u rir p o u r y a rriv e r, je fis p a rtir
d a n s la n u it p lu s ie u rs v o itu re s c h a rg é e s d ’o rg e, de viande
e t de v in so u s l ’e s c o rte de q u a tre c o m p a g n ie s d ’in fa n te rie
e t 40 ch e v au x , afin d ’é ta b lir u n e h a lte le le n d e m a in , à m o i­
t i é ch e m in , e t p o u v o ir a rr iv e r de b o n n e h e u re .
L a ro u te q u e l ’o n s u it p o u r a rriv e r à Séville e s t s u p e rb e ;
e lle c o u p e u n e p la in e tr è s é te n d u e , q u i s e ra it o n n e p e u t
p lu s p ro d u c tiv e si la p a re s s e e t l’a p a th ie des h a b ita n ts n ’en
fa is a ie n t u n d é s e r t au m ilie u d u q u e l n o tr e co nvoi a p p a ra is­
s a it c o m m e u n e ca ra v a n e a lla n t à la M ecque ; c e p e n d a n t,
g râc e à l ’in te llig e n c e de l ’o fficier c o m m a n d a n t le d é ta c h e ­
m e n t, n o u s tro u v â m e s la h a lte étab lie p r è s d ’u n ru isse a u
lim p id e , b o rd é de q u e lq u e s la u rie rs qui n o u s a b r itè r e n t et
n o u s p e rm ire n t de faire u n d é je u n e r d ’a u ta n t p lu s gai q u e
ARRIVÉE
A S É V I L L E . — 1812.
387
n o u s to u c h io n s au b u t a u q u e l n o u s te n d io n s d e p u is p rè s
de d eu x m o is.
Mon p re m ie r soin, en a r r iv a n t d a n s c e tte b elle c a p ita le
de l ’A n d alo u sie, fu t de m e so u la g e r de la d é s a g ré a b le r e s ­
p o n sa b ilité d o n t j ’étais c h a rg é d e p u is v in g t jo u rs .
J e m e p ré s e n ta i a u s s itô t d e v a n t le g é n é ra l de d iv is io n
c o m te G azan, c h e f d ’é ta t-m a jo r de l ’A rm ée d u M idi, q u i
m e fit c o m p lim e n t s u r la m a n iè re d o n t je m ’é ta is tiré
d ’affaire, les b ru its les p lu s s in is tr e s a y a n t été ré p a n d u s
à l ’ég ard du co nvoi, q u e l’on a v a it d it p re s q u e d é tru it à
B ay len . Il m ’engagea à m e p r é s e n te r s u r-le -c h a m p p r è s
d u m a ré c h a l S o u lt, g é n é ra l en c h e f de l ’A rm ée d u Midi et
g o u v e rn e u r de l ’A n d alo u sie, m e p ré v e n a n t q u ’il m e d e m a n ­
d e ra it u n ra p p o r t tr è s d é ta illé fa isa n t s u ite à ce lu i de m o n
p ré d é c e s s e u r : je ré p o n d is au g é n é ra l q u 'a u c u n e p iè ce de
ce g e n re n e m ’av ait é té re m is e , m a is q u ’a y a n t l ’h a b itu d e
de te n ir u n jo u r n a l d e p u is m o n e n tré e au se rv ic e, rie n ne
m e s e ra it p lu s facile q u e de s a tisfa ire M. le m a ré c h a l à cet
ég ard .
APPENDICES
A P P E N DI CE I
P E N S IO N N A T
DE
MM. L E M O IN E
RUE
DE
ET
L O IS E A U
BERRY
( P r è s le j a r d i n B e a u jo n e t la p o r te M aillot).
L o rs d e la R év o lu tio n de 1789, il e x ista it à P a ris, so u s la
d ésig n atio n de : I n s t i t u t i o n d e l a j e u n e n o b le s s e , u n e p e n s io n
dirig ée p a r MM. L em o in e e t L o ise au , d o n t le p rix a n n u e l
é ta it de c e n t lo u is , n o n o b s ta n t le tro u s s e a u d ’e n tré e e t le s
m a ître s d ’a g ré m e n ts .
C ette p e n s io n d u t n a tu re lle m e n t p e r d r e sa d é n o m in a ­
tio n p re m iè re lo rs d es tr o u b le s ré v o lu tio n n a ire s ; m a is elle
c o n tin u a de se m a in te n ir j u s q u ’à la fin de l ’E m p ire de la
m a n iè re la p lu s p ro s p è re e t la p lu s h o n o ra b le ; a u s s i, e n
so rtit-il q u a n tité d ’élèves é m in e m m e n t re m a rq u a b le s p a r
le u rs ta le n ts e t le s e m p lo is q u ’ils o n t o c c u p é s ; m a is je n e
d o n n e ra i ici q u e les n o m s de m e s c o n d isc ip le s d o n t j ’é ta is
390
SOUVENIRS
MILITAIRES.
a lo rs u n d es p lu s je u n e s , e t r e tr a c e r a i s u r c h a c u n ce q u i e s t
v e n u à m a co n n a issa n c e .
Noms des Élèves.
A umont (Élie d’), m ort en R u ssie e n 1804.
A bàdie (H enri d ’), ém igré.
A lbignac (H ector d ’), m in istr e de la Guerre en W estph alie en
1809; lie u te n a n t g én éra l (en 1819.
A llonville (A n toin e d’), ém igré à l ’a rm ée de C ondé, p réfet en
1813.
A lsace (P ierre d’), ém ig ré.
A unay (H ector d’), d ép u té en 1829.
A rtaüd (Claude), con su l à R om e en 1810.
A storg (E ugène d’), lie u te n a n t g én éra l en 1846.
A rcambal (C harles d’), c o lo n el au service de N ap les en 1805.
A varay (L ouis d’), é m ig r é, duc e t pair de F ran ce en 1815.
A rmaillé (René d’), é m ig r é, c o lo n e l d’in fa n te r ie en 1815.
A uteuil (Charles d’), c o lo n el d’in fa n te r ie en 1815, aid e de cam p
du p r in c e de C ondé.
B alby (A rm and d e ), fils de la c o m te sse , favorite de L ouis XVIII.
B arante (de), am b assad eu r en R u ssie e n 1835.
B ardin (F élix d e), é m ig r é.
Bartillat (A rm and d e), é m ig r é , c o lo n el d’état-m ajor, en 1828.
B assompierre (Adolphe de), ém ig r é à l ’a rm ée de Condé.
B eaümont (Louis de), c a p ita in e de ch asseu rs en 1812.
B éarn (C harles de), ch a m b ella n de l ’E m pereu r en 1806.
B éarn de B rassac (A lexandre d e), ém igré à l ’a rm ée de Condé.
B eauharnais (E ugène de), v ic e -r o i d ’Italie en 1806.
B elzunce (Jules de), g u illo tin é .
B ernis (P ierre-F ra n ço is de), é m ig r é à l ’a rm ée de Condé, député
en 1815.
B éthune (M axim ilien d e), é m ig r é.
B iencourt (A rm and d e), é m ig r é , p air de (France en 1820.
B iron (G ontaut de), a été g u illo tin é .
Blangy (E m m an u el de), é m ig r é, g e n tilh o m m e de la cham bre
en 1815.
Boisseulh (A u gu ste'd e), cap itain e d ’état-m ajor e n 1815.
Boistel (A rm and de).
PENSIONNAT
LEMOINE
ET
LOISEAU.
391
B ombelles (L ouis de), c o n se ille r a u liq u e en A u trich e e n 1824.
B onneval (Jules de), c o lo n el de dragons en 1815.
Bosredon (F ran çois de), ca p ita in e au service d e N ap les en 1803.
B ouflers (Elzéar de).
B o u i l l e (H ippolyte d e), é m ig r é, m a réch a l de cam p en 1818.
B ourmokt (C harles d e), g é n é r a l so u s l ’E m pire, m a réch a l de
F ran ce en 1830.
(A ntoine de), ém igré à l ’a rm ée de C ondé, préfet en
1815, d irecteu r gén éral e n 1818.
B rancas (Albert de), duc e t pair en 1815.
B ricquevjlle (M artin de), c o lo n e l de ca v a lerie en 1812.
Canouville (E rnest de), m a réch a l des lo g is du p alais im p é ria l,
B o u t h il l ie r
e n 1809.
C aj\ ouville (Jules de), tué c o lo n el de h u s s a r d s en 1812.
Crèvecœur (L ouis d e), c o m m issa ire des g u erres de la Carde e n
1810.
Crèvecœur (É lie de).
Chefontatne (Edm ond de), ém igré à l ’a rm ée de Condé.
C aumont de la F orce (C harles d e), adj. g é n é ra l en 1812, duc et
p air en 1815.
Clarac (F réd éric d e), é m ig r é, d ir ec teu r gén éral du M usée en
1824.
C hambrun
(L ouis de),
à
l ’a rm ée de C ondé, secréta ire gén éral
des d ragons, 1815.
C habrillan (E m m an u el de), g e n tilh o m m e de la ch am b re, 1818.
Choiseul (É tien ne de), m o rt c a p ita in e en 1809.
C astellane (L ouis d e), é m ig ré .
Cambis (Charles d e), a u d iteu r au C on seil d’État en 1810.
C aulaincourt (A uguste de), tu é g én éra l de d iv isio n en R u ssie,
1813.
a r p i n (C am ille d e), ém ig ré.
C havaudon (Charles de), é m ig r é.
C lermont de Montoison , é m ig r é, lie u te n a n t-c o lo n e l de h u ssard s
Ch
en 1829.
Clermont -T onnerre (de) ém ig ré, m in istr e de la G uerre en 1829;
d u c et pair.
C olbert (A lphonse de), c o lo n el sou s l ’E m pire, lie u te n a n t gén éral
en 1830.
C olbert (Édouard d e), gén éral de d iv isio n e n 1812, aid e de
cam p du duc d’O rléans, 1830.
392
SOUVENIRS
MILITAIRES.
C olbert (A uguste de), g én éra l de b rigad e, tu é en P ortu gal en 1810.
Coquebert (E m m anu el de), ém igré à l’a r m ée de Condé e n 1795.
Coquebert (G ustave de), ém igré à l ’a rm ée de C ondé, m a réch a l
des lo g is des G ardes, 1815.
C ontades (Jules de), ém ig ré, c o lo n el au service de l ’A n gleterre,
en 1796.
C aumont (A uguste d e), ém ig ré, g e n tilh o m m e de la cham bre en
1815.
Du T illet (E ugène), ém igré à l ’a rm ée de C ondé.
D amas (G ilbert d e), é m ig r é, m o rt en P e r se , lie u te n a n t gén éral.
D ampierre (A chille de), m ort à S ain t-D om in gu e en 1805, gén éral
de b rigad e.
D auvet (F ran çois d e), é m ig r é, g en tilh o m m e d e la ch am bre en
1815.
D upeyroux (A ntoine), é m ig ré , cap itain e de v aisseau à N ap les
e n 1796.
D es É cotais (L o u is), é m ig ré .
Du Goulet (A uguste), é m ig ré à l ’a rm ée de C ondé, c o lo n el d’in ­
fa n terie en 1815.
Du T ertre (Joseph), é m ig r é, c o lo n el d’in fa n te r ie en 1815.
Du C oetlosquet (Charles), ém ig ré, c o lo n el des hu ssard s e n 1811,
lie u te n a n t g én éra l en 1816.
Du Martroy (A lphonse), aud iteur au C onseil d’É tat en 1810, p r é ­
fet en 1815.
E s p i n c h a l (H enri d ’), é m ig r é, r ecev eu r g én éra l en 1810, lie u te ­
n a n t-c o lo n e l e t g e n tilh o m m e de la ch a m b re en 1827.
E sp in c h a l (A lexis d’), ém igré à l ’a rm ée de C ondé, ren tré et
fu sillé à Lyon en 1793.
4
E spinchal (H ippolyte d’), ém igré à l ’a rm ée de C ondé, lie u te n a n tco lo n el en 1812.
E spagne (H enri d’), é m ig r é, cap itain e g én éra l e t grand d ’Es­
pagn e, 1809.
E spagnac (L ouis d’), ém ig r é.
E stampes (A uguste d’), é m ig r é, g en tilh o m m e de la ch am b re
e n 1816.
E stourmel (A lexandre d ’), lie u te n a n t-c o lo n e l d ’éta t-m a jo r en
1812, d ép u té en 1834.
F audoas (L éonard de), lie u te n a n t gén éral en 1840.
F itz - J ames (Édouard d e), é m ig r é, p rem ier g e n tilh o m m e d e
C harles X, duc e t pair.
PENSIONNAT
LEMOINE
ET LOI SE AU.
393
F lorac (Edm ond de), ém igré à l ’a rm ée de Condé en 1795.
F orbin (A uguste de), c h a m b e lla n en 1809, d ir ec teu r g é n é ra l du
M usée en 1825, m ort en 1853.
F oucaud (A uguste de), c o lo n el de g e n d a r m e rie en 1817.
F r a g u i e r (A rm and de), ém igré à l ’a rm ée de C ondé, c o lo n el de
la garde n a tio n a le de P aris en 1820.
F ümel (Louis de), ém igré.
G alard d e Béarn (R ené), ém igré à l ’a r m ée de C ondé, 1795.
G ondrecourt (Charles d e), é m ig r é, g e n tilh o m m e de la cham bre
e n 1816.
G rimaldi (Monaco d e), a id e d e cam p du p r in c e de Condé en 1794;
m a réch a l de cam p, 1819.
Guébriant (C harles de), é m ig ré .
H arcourt (E m m an u el d’), ém ig ré, duc et p air, am b assad eu r en
1828.
H oudetot (Frédéric d’), ém igré, pair de France en 1834.
H uillier (G eorges L’), ém ig ré.
J ouffroy (P a u l d e ), l it t é r a te u r .
J uigné (Jacques d e), é m ig r é, c h e f d’e sca d ro n en 1810.
J umilhac (Joseph de), é m ig r é ; s’est su ic id é en 1819.
K aerbourt (C harles d e), c h e f d ’escad ron d ’é ta l-m a jo r en 1812.
L a Borde (A u guste d e), aid e de cam p de L o u is-P h ilip p e en 1832.
L a b r i f f e (H ippolyte d e), é m i g r é .
L afayette (G eorges d e), lie u te n a n t de h u ssard s en 1806, dépu té
en 1834.
La F erronnays (A uguste d e), ém ig r é à l ’a rm ée de C ondé, m in istr e,
a m b a ssa d eu r e t pair, 1819
La F erté (Ernest d e), in ten d an t d es m en u s p laisirs du roi en 1815.
L amoignon (E rnest d e), tué dans la V end ée.
L angeron (M ichel d e), é m ig r é, lie u te n a n t g é n é ra l en R u ssie en
1809.
La R ivière (F rançois d e), é m ig r é de l ’a rm ée de C ondé, 1795.
La R ochedragon (A uguste de), officier d es g ard es du corp s, 1816.
La R ochedragon (Jules d e), m o rt c h e f d ’e sc a d r o n en 1804.
L a r o n c i è r e (E ugène d e), cap itain e de v aisseau e n 1816.
La T our d’A uvergne (G odefroy d e), é m ig r é ; c o lo n e l d ’un r é g i­
m e n t de son n om e n 1807.
L a T our du P in (G aston d e), é m ig r é , g e n tilh o m m e de la c h a m b re
en 1817.
L oras (Charles de), é m ig ré .
394
SOUVENIRS
MILITAIRES.
L ostanges (Edmond de), émigré.
L uynes (Charles de), duc et p air en 1815.
L awœstine (de), lieutenant général en 1850.
Macheco (Palam ède de), ém igré à l’arm ée de Condé ; m aréchal
de camp et député en 181b.
Maillé (Armand de), ém igré, duc et pair, prem ier gentilhom m e
de la cham bre de Charles X.
Marbeuf (Daniel de), colonel de chasseurs en 1812; tué en Russie,
1813.
Marcillac (Pierre de), ém igré; colonel d’état-m ajor en 1816.
Mesnard (Jules de), ém igré, aide de camp du duc de Berry en 1815.
Madpeou (A ugustin de).
Mauvoisin (É tie n n e d e), ém igré, c o lo n e l d ’in f a n te r ie en 1815.
Menou (René de), ém igré, gentilhom m e de la cham bre en 1816.
Mesgrigny (Louis de), cham bellan de l’E m pereur en 1810.
Modène (Hippolyte de), colonel d’état-m ajor en 1815.
Mole (Charles), é m ig r é, p réfet e n 1810; m in istr e et pair en 1825.
Montaigü (Auguste de), officier d’ordonnance de l’E m pereur en
1809, et écuyer en 1812.
Monteynard (Joseph de), é m ig ré .
Montaut de B rassac (Jean), ém igré,gentilhom m e d e l à cham bre
en 1815.
Montcalm (Louis de), é m ig ré , colonel et gentilhom m e de la
cham bre en 1815.
Montesquiou (Alfred de), officier d ’ordonnance de l’Em pereur en
1807 ; tué colonel en 1809.
Montesquiou (Eugène de), tué colonel de chasseurs en 1812.
Morfontaine (Pelletier de), épnigré, pair de France en 1816.
Mourgue (Alexandre de), ém igré, préfet en 1819.
Monspey (Alexandre de), ém igré à l ’arm ée de Condé.
N icolai (Scipion d e ), ém igré, gentilhom m e de la cham bre et
député en 1815.
N oinville (Félix de), ém igré à l’arm ée de Condé; colonel, 1815.
N arbonne (A lbéric d e).
O rfeuil (Edouard d ’), ém igré à l’arm ée de Condé.
O’Mahoni (B arth élém y d ’), a id e de cam p du p rin ce de Condé en
1795; c o lo n e l, 1815.
P inieux (Adrien de), ém igré.
P olignac (Armand de), é m ig ré , aide de camp du comte d’Artois
en 1792, duc et p air en 1815.
PENSIONNAT
P a rd a illa n t
LEMOINE
ET
LOISEAU.
(Ernest de), é m ig r é, 'g en tilh om m e de
la
395
ch am bre
1815.
P
o n t b r il l a n
(Gustave de), ém igré, gentilhom m e de la cham bre,
1816.
P érigord (T a lle y r a n d d e ), ém ig r é, cap itain e aid e de cam p du
p rin ce de N e u c h â te l, m ort en 1808.
(Charles de), ém igré, colonel, député et gentil­
hom m e de la cham bre, 1815.
P r a d i n e s (Albert de), ém igré à l’arm ée de Condé.
P
racontal
P üységur (A lfred de), é m ig r é, g e n tilh o m m e de la ch am b re, 1817.
(Jules de), ém igré, gentilhom m e de la cham bre, 1816.
(Hippolyte de), sous-préfet en 1811.
R etz (Georges de), ém igré à l’arm ée de Condé.
R ochechouart (Louis de), colonel en Russie, m a réch al de camp
en 1815.
R
adepont
R
a s t ig n a c
R ochedragon (A n selm e d e), c h e f d’e sca d ro n en 1811, officier des
gard es du corp s en 1815.
R oquefeuille (Em manuel de),ém igré à l’arm ée de Condé, 1795;
colonel en 1816.
R oncherolles (Charles de), ém igré, gentilhom m e de la cham bre,
1816.
S aint -A ignan (Louis de), am bassadeur en 1820.
S aint -C hamant (Alfred de), colonel des dragons d e la Garde en
1815, et général.
(Auguste de), ém igré.
S aint -C hamant (Joseph de), préfet en 1819.
S aint -C lair (Charles de), ém igré, m inistre de la Guerre du roi
des Deux-Siciles en 1812 et 1815.
S aint-H ermine (Em m anuel de), ém igré, gentilhom m e de la
cham bre en 1818.
S aint - S imon (Victor de), chef d’escadron en 1811; lieutenant
général, duc et p air en 1835, et am bassadeur.
S alverte (Auguste de), émigré à l’arm ée de Condé, écuyer du roi
en 1815.
S arcé (Henri de), ém igré à l’arm ée de Condé.
S avoie de Carignan (Joseph de), cokrfiel de hussards W 1813,
prince en 1815.
S a in t-C h a m a n t
S égur (P h ilip p e d e), gén éral de brigade en 1813.
S e s m a is o n s
en 1820.
(Donatien de),
é m ig ré , d é p u té
en 1815, p a i r
de
France
39(5
SOUVENIRS
MILITAIRES.
S ourdeval (Victor d e), ém igré à l’arm ée d e Condé.
S parre (Louis de), général de brigade en 1811, lieutenant géné­
ral en 1816.
de B ondy (Charles de), cham bellan en 1807, pair de
France en 1828.
T olozan (Frédéric de), ém igré, colonel d’infanterie en 1815.
T ournon (Joseph d e), préfet de Rome en 1812, préfet de Lyon
en 1825.
T rinqually .(François de), adjudant général en 1808.
T r o b r i a n t (Em manuel de), colonel en 1812, m aréchal de camp en
1826.
T urenne (Henri de), cham bellan de l’E m pereur en 1807.
V alon d ’A mbrugeac (Charles de), ém igré à l’arm ée de Condé,
colonel en 1812, lieutenant général en 1820.
Vaüdreüil (Joseph de), ém igré, colonel de chasseurs en 1815.
V ergennes (Charles), ém igré, capitaine e n 1812, gentilhom m e
d e la cham bre en 1818.
T aillepied
V ezelay (É tie n n e d e).
V ezelay (Alexandre de).
APPENDI CE II
O R G A N IS A T IO N
AU
SERVICE
D E L ’A R M É E D E C O N D É
LA
M a is o n m i l i t a i r e d e S . A . S .
RUSSIE
EN
1798
M gr le p r i n c e d e
C ondé.
Le comte du Cayla, m aréchal de cam p.
Le comte Alexandre df. D amas, m aréchal de camp.
Le comte de Choiseul , m aréchal de camp.
Le chevalier de Min tier , m aréchal de cam p.
Le comte d’A uteuil , m aréchal de camp.
A id e s de c a m p .
Le comte
Le comte
de
de
F ranclin , colonel.
S aint -M arsault , colonel.
ARMÉE
DE
CONDÉ.
D e T e y s s o n e t , c o lo n e l.
Le c o m te d e S é v ig n a c , c o lo n e l.
Le c o m t e d e P o l ig n a c , c o l o n e l .
Le ch e v a lie r de S a r r o b e r t , lie u te n a n t-c o lo n e l.
Le c h e v a lie r de C o u ty e, lie u te n a n t- c o lo n e l.
Le c o m t e d e La C h e v a l l e r i e , l i e u t e n a n t - c o l o n e l .
Le c h e v a lie r d e P o n s , lie u te n a n t- c o lo n e l.
Le ch ev a lier d e P r a d t , lie u te n a n t-c o lo n e l.
Le m a r q u i s d e P a l a r in , l i e u t e n a n t - c o l o n e l .
Le vico m te d e B e r t h ie r , lie u te n a n t-c o lo n e l.
Le c o m t e d e G r im a l d i , l i e u t e n a n t - c o l o n e l .
Le c o m te du G o u le t, cap itain e.
A id e s d e c a m p
Le
Le
Le
Le
d e M '1'' le d u c d ’E n g h i e n .
com te d e C o u r t e m a n c h e , m ajor.
c o m te de S e r r a n t , m ajor.
v icom te d e C h é f o n t a i n e , m ajor.
c o m te de J o in v ille , m a jo r.
É ta t-m a jo r général.
Le baron d e La R o c h e f o u c a u l d , m a réch a l de cam p.
Le p rince A m éd ée d e B r o g l ie , co lo n el.
Le baron d’O rb , co lo n el.
R oussel , m a jo r.
B o is s e l ie r , m a j o r .
Le m a r q u is de La B a s s e tiè re , cap itain e.
A lexan d re d ’O rb, c a p ita in e.
V il l a r s , q u a r t i e r - m a î t r e .
Ma thieu , f o u r r i e r d e lo g e m e n t.
D rouard , f o u r r i e r d e lo g e m e n t.
D rouin , v a g u e m e s tre g é n é r a l.
E ta t-m a jo r
Le
De
Le
De
De
Le
d 'in fa n te r ie .
m arq u is d e B o u t h il l ie r , lie u te n a n t gén éral.
S olf. my, m a r é c h a l d e c a m p .
c o m te d ’O f k e l jz e , c o lo n el.
Me.n'ibus, lie u te n a n t- c o lo n e l.
P l a r m a u , m ajor.
ch ev a lier de L a V ille -H é lio n , ca p ita in e.
398
SOUVENIRS
MILITAIRES.
- D e L a ta p ie , c a p ita in e .
D e F lavigny , c a p ita in e .
E ta t-m a jo r de la cavalerie.
Le com te d’E c q u e v illy , lie u te n a n t g én éral.
D e J o b a l, m a réch a l de cam p.
Le com te de M o n tb ru n , lie u te n a n t-c o lo n e l.
Le co m te de V a ssay , lie u te n a n t-c o lo n e l.
Le co m te de M a l le t , m ajor.
Le ch ev a lier d e L a S a l l e , m a jo r.
D uhamel , c a p ita in e .
Génie.
D e J uzancourt, m a ré c h a l d e c a m p .
Le vico m te d e S a r t i g e s , lie u te n a n t-c o lo n e l.
D e Saxy, m ajor.
D e D amoiseau , c a p ita in e .
D e Malbois , c a p ita in e .
C h evalier d e C h e f f o n t a i n e , c ap itain e.
De C a s t r e s , lie u te n a n t.
J eaubart, lie u te n a n t.
D e P ineau ,.lie u t e n a n t.
Artillerie.
(12 p iè c e s , 4 o b u s ie rs ).
De N a d a l, m a r é c h d l d e c a m p .
D e R eson , m a r é c h a l d e c a m p .
D enis , c o lo n e l.
D e R o th , lie u te n a n t- c o lo n e l.
D e C o rn e t, m a jo r.
D e V illeret , m a jo r.
L e P elletier d ’A rget , m a jo r .
Le c h e v a lie r de C o u r v ille , m a jo r .
D e Romain, s o u s -a id e -m a jo r.
D e G ra n d ru p t, s o u s - a id e -m a jo r .
Le c h e v a lie r d é S a lg u e s , s o u s - a id e -m a jo r.
D e S a in t-C y r, q u a r tie r - m a îtr e .
ARMÉE
DE
CONDÉ.
399
4 com p agn ies n ob les.
4 co m p a g n ies so ld é e s.
V ien n en t e n su ite le s ad m in istra tio n s.
C O M P O S IT IO N
EN
DE
L ’A R M É E
DECO N D É
1 7 9 4 , 179 5 , 1 7 9 6 , 1 7 9 7 , A V A N T D ’ A L L E R
EN
RUSSIE
C avalerie. In fan terie.
In fa n te rie n o b l e ..............................................
C o rp s n o b le à c h e v a l.....................................
C o rp s d e s C h e v a lie rs de la C o u ro n n e .
2360
800
600
Infanterie de ligne.
L ég io n R o g e r de Damas................................................... 1 300
R é g im e n t de B ardonnanche ..........................................
800
R é g im e n t de R o q u e f e u il l e ..........................................
740
600
H ohenlohe ..................' . . . . ! ....................................
D amas .............................................................................
970
R ohan .............................................................................
750
M ontesson ....................................................................
900
S u isses, g a rd e s d u p r in c e
...................
260
Cavalerie.
R é g im e n t d e D auphin ,c o m te de Vassau .
R é g im e n t de F argues .....................................
C lermont-T onn erre ..........................................
D’A storg , c h a s s e u r s .....................................
R o g e r de Damas, h u s s a r d s ............................
DIE cquevilly .......................................................
N oinville , c h a s s e u r s ......................................
B aschy, h u s s a r d s ..............................................
500
300
400
400
300
300
300
400
4300
8880
T o t a l g é n é r a l : 13 380 c o m b a tta n ts , n o n c o m p ris l ’a r tille r ie
d o n t je n ’a i p u m e p r o c u r e r le c h iffre .
SOUVENIRS
400
MILITAIRES.
APP ENDI CE III
G E N D A R M E S D ’O R D O N N A N C E
DE
A
LA
SA
M A JE S T É
AU
MOMENT
PAIX
DE
SUR
DE
TILSITT
LEUR
L ’E M P E R E U R
ET
LEUR
DISSOLUTION
AVEC
DES
DESTINÉE
ROI
RENSEIGNEMENTS
ULTÉRIEURE
E ta t-m a jo r.
•Le c o m te de M o n tm o ren c y ’ , g é n éra l, ca p ita in e-co m m a n d a n t,
d even u aide de cam p de l ’E m pereu r e t m ort en 1809.
D e M o n tu lé , ca p ita in e-a d ju d a n t-m a jo r.
D’A lb ü 'q u erq u e, lie u te n a n t,-a d jo in t m ajor, tué en 1809.
Manhès , l ie u t e n a n t a d jo in t, d e v e n u c o lo n e l.
D e S aint- P ern , lie u te n a n t- p o r te - é te n d a r d .
M a r l h io u , q u a r t i e r - m a î t r e - t r é s o r i e r , m o r t .
D e L a P ommerie, d e u x iè m e l i e u t e n a n t p a y e u r à l ’a r m é e .
F ournier , c h ir u r g ie n m a jo r .
N ..., a id e-m ajor.
N ..., o ffic ie r d ’h a b ille m e n t.
Capitaines.
Le c o m te d e M ontm orency, p r e m iè r e c o m p a g n ie .
C a rio n d e N isas*, c a p ita in e en seco n d de l a p r e m iè re co m p a g n ie,
com m an d eu r de la L égion d ’h o n n e u r e t co lo n el.
Le co m te d ’A r b e r g *, c h a m b e lla n de l ’E m p ereu r, d e u x iè m e
c om p agn ie.
Le duc d e C h o is e u l , tr o is iè m e co m p a g n ie, lie u te n a n t g én éral,
pair de F ran ce, m o rt aide de cam p de L ou is-P h ilip p e.
D e S oürdis , tr o is iè m e c o m p a g n ie , c a p ita in e e n se c o n d , m o r t
m aré ch a l de cam p.
Le p rin ce Joseph de M onaco, q u a triè m e com p agn ie.
GENDARMES
D ’O R D O N N A N C E .
401
Le p rin ce de Salm , c o lo n el, tué en P o rtu g a l, c in q u iè m e co m ­
p agn ie.
Lieutenants en premier.
D e C harbonnière *, ad m in istra teu r à T urin en 1809.
D e P ital* , c h e f d ’e s c a d ro n d e g e n d a rm e rie .
D e J uigné , c h e f d ’e s c a d ro n d e c u ir a s s ie rs .
De N orvins df, Montbreton *, p réfet de p o lice à R om e.
A vogardo de Quinto , tu é c o lo n e l d e c u ir a s s ie rs .
D e s p a r ts , c h e f d ’e s c a d ro n e n 1812.
M u r â t de S i s t r i è r e s , d even u lie u te n a n t g én éral.
Le p rin ce de S a v o ie -C a rig n a n , m o rt m a r éc h a l de cam p.
D e F o rb in , c h e f d ’e s c a d r o n e n 1809, a q u i tt é le se rv ice .
Le duc d’A re n b e rg , officier d’ord o n n a n ce de l ’E m p ereu r et
c o lo n el du r ég im en t de son n o m .
Lieutenants en second.
D e Br ia s .
D abos d e B ix a n v i l l e , tu é devant P a m p e lu n e .
D ’E spinchal (H ippolyte) *, officier* 1809, c o m m a n d eu r de Ba­
v ièr e, lie u te n a n t-co lo n e l en 1813.
De L a B é d o y è r e (Charles), g é n é ra l, aid e de cam p de l ’E m p e­
reu r, fu sillé en 1813.
D ’E sp in c h a l (H enri), c o lo n el, g e n tilh o m m e de la C ham bre.
N aucaze de M o n ra v e l, m ort c h e f d ’escad ron .
De S a lu c e s de M enusie, c o lo n e l e n P ié m o n t.
De R o e rg a s de S e rv ie s, a u ser v ic e de P erse.
De V exce, c o lo n el des hu ssard s de la Garde e n 1813.
De W alenbourg , c h e f d ’e s c a d r o n e n 1812.
Maréchaux de logis chefs.
D ’albignac, m o r t g é n é ra l d e d iv isio n .
D e C h a r e t t e * , tu é c h e f d ’e s c a d ro n e n 1813.
D e Montcloux, c h e f d ’e s c a d ro n e n 1812.
D e N adaillac, c o lo n e l d e h u s s a r d s e n 1816.
D e S aint -Mars (Jules), m o r t c h e f d ’e s c a d ro n .
Maréchaux des logis.
D ümanoir, tu é c h e f d ’e s c a d ro n .
A u b rio t, tue en R u ssie, ca p ita in e.
402
SOUVENIRS
MILITAIRES.
De S a in t-M a rs (A bel), c a p ita in e a u 2e h u s s a rd s e n 1812.
D u m a u v o ir , tu é c h e f d ’e s c a d ro n .
De B u z a n c y -P a v a n t, tu é c a p ita in e e n R u ssie.
D e D rée .
D e Gu e r r e *, tu é c a p ita in e .
Im b ert de L a P l a t i e r r e , c h e f d ’e s c a d ro n d ’é ta t-m a jo r .
T hom assin, c a p ita in e d e g e n d a r m e r ie .
R oyer de L a Metz , d e v e n u p ré fe t.
De L a n ç a l u t , d e v e n u c h e f d ’e s c a d r o n .
De B a v re , c a p ita in e t r é s o r ie r , 1812.
C arpentier , d e v e n u c h e f d ’e sc a d ro n .
D e P o u lly , c h e f d ’e s c a d ro n , 1815.
D e C rozet .
D e J o u v a n c o u r t , l ie u te n a n t- c o lo n e l e n 1830.
D a ngin .
S io u , c a p ita in e e n 1825.
B oulangier , tu é c h e f d ’e s c a d ro n .
Du B a r r a il , co lo n e l e n 1836, m ort e n A frique.
L uzy de C ousan.
D omergue , c o lo n e l de la n c ie r s e n 1836.
De F o u lo n , lie u te n a n t-c o lo n e l de c h a s s e u r s e n 1832.
P a is a n de L a M othe .
De S e r e v il l e , m a jo r e n 1834.
D e R ouillé .
D e G riso n n y , c a p ita in e d e c h a s s e u r s e n 1816.
Des F arges .
D e Massa *, tu é c a p ita in e .
M a r io n d e G a j a , c o lo n e l Î T é ta t-m a jo r e n 1832.
D e Mir ebel , c h e f d ’e s c a d ro n .
De B o r s c h g r a v e , m a j o r d e h u s s a r d s e n 1834.
D e Magouet .
D e Grammont, tu é .
De F é n e lo n , c h e f d ’e s c a d ro n .
D e S carampy , c a p ita in e .
G oupil de P réfeln .
D e Morel , c o lo n e l e n B elg iq u e e n 1820.
G entès , c h e f d ’e s c a d r o n d ’é ta t-m a jo r .
De Gasq , c o lo n e l d e g e n d a r m e r ie .
D e Iîezons , c h e f d ’e sc a d ro n .
D e L annoy, c o lo n e l de d ra g o n s.
GENDARMES
D ’O R D O N N A N C E .
403
Brigadiers.
D e Q o é l e n , m a r é c h a l d e c a m p e n 1829.
D e S arcus, c h e f d ’e s c a d ro n .
D e B ré v e d e n t d’A lb o n , tu é .
Chovet de L a C hance, m o rt.
D e L a Villasse .
M arion de G a .ta , c o l o n e l d ’é t a t - m a j o r e n 1830.
D e M ir e b e l , c h e f d ’e s c a d r o n e n 1829.
D e B e r c k h e im ,
D e Magonet, c a p ita in e .
D e sc o u rs, fa it s o u s-lie u te n a n t en 1808.
D e R oussy, f a it s o u s - lie u te n a n t e n 1808.
De C outilly , f a it s o u s - lie u te n a n t e n 1808.
De M o n te n d re, ca p ita in e en 1810.
D e B ro s s a rd , m a réch a l de cam p e n A friq u e en 1836.
C a lv i de S u rs a c , c h e f d’escad ron .
L a Ch ance, m o r t .
Le
De
De
De
De
De
F
ebvre.
D ietrich .
S ternbach .
Montigny , c a p ita in e d e c h a s s e u rs .
M ontsabré, c a p i ta in e d e d r a g o n s .
L’E spinasse , c o lo n e l.
D e Gastebois, lie u te n a n t- c o lo n e l.
Le B on des M o tte s , m o r t g é n é r a l d e d iv is io n e n 1834.
D e P ré v e s a c , c a p ita in e d ’é ta t- m a jo r .
De F o r g e t , tu é s o u s -lie u te n a n t.
D e B ussy, c a p ita in e .
C h e v a lie r de S a in t- J a c q u e s , s o u s - lie u te n a n t d e d ra g o n s.
D e B o u ille , s o u s - li e u te n a n t d e h u s s a r d s .
P a g e s, tu é e n P o m ér a n ie.
D e G a u c o u rt, tu é .
C onstantin , d e v e n u lie u te n a n t- c o lo n e l.
D e Montmore, tu é .
De B eaumont, c a p ita in e a u 2e h u s s a r d s e n 1812.
L atour , s o u s -lie u te n a n t.
D u m e s n il .
De R h é d o n .
D e C o rsa c , c h e f d ’e s c a d ro n e n 1830.
404
SOUVENIRS
MILITAIRES.
D e V e r g e n n e s , c h e f d ’e s c a d ro n e n 1813.
D ’E strées , fa it s o u s - lie u te n a n t d e c h a s s e u rs .
D e B ourbon , tu é en P om éran ie en 1807.
D e Mancion , c o lo n e l d ’é ta t - m a jo r e n 1823.
L e P rince , c a p ita in e d ’é ta t-m a jo r .
C h a v e a u , c h e f d ’e s c a d ro n , s’e s t su ic id é .
D e Ma lpaire , tu é .
D e L aunay .
D e S aint - P oncy.
D e Gr a ïz , tué en P o m é r a n ie en 1807.
De B e a u r e p a ir e .
De C a s t e l l a n e , lie u t e n a n t d e c h a s s e u rs e n 1812.
D e Montigny , c a p ita in e e n 1813.
De N a v a il l e s , c h e f d ’e s c a d r o n , tu é .
D e Courtivron , c a p ita in e de d ra g o n s .
D ablons , tu é e n P o m ér a n ie.
D’H umières, tu é s o u s - lie u te n a n t.
De C o r ija y , t u é en P o m ér a n ie.
D esbois , tu é .
D e G oyaü, c h e f d ’e s c a d ro n .
L a 5e c o m p a g n ie , q u i v e n a it de te rm in e r so n o rg a n isa ­
tio n , é ta it s u r le p o in t de se m e ttr e en m a rc h e p o u r r e ­
jo in d r e le c o rp s lo rs q u e le lic e n c ie m e n t e u t lie u à K œ nigsb erg . L’in s titu tio n d e s G e n d a rm e s d ’o rd o n n a n c e é ta it
d e v e n u e , d ès son p rin c ip e , un o b je t de ja lo u s ie p o u r la G arde
im p é ria le q ui c ro y a it voib, d a n s c e tte c ré a tio n , u n c o rp s
e s s e n tie lle m e n t p riv ilég ié ; en effet, la fa v e u r d o n t il é ta it
h o n o ré , so n g e n re de s e rv ic e , so n u n ifo rm e , se s d é b u ts
b rilla n ts e t les g é n é ra u x les p lu s m a rq u a n ts q u i en av a ie n t
so llic ité le co m m a n d e m a n t, ne faisa ie n t q u e tro p co n n a ître
l ’a v e n ir de ce c o rp s, d o n t le n o m b re s ’a u g m e n ta it to u s le s
jo u r s d es n o m s les p lu s m a rq u a n ts , e t il fa llu t la fin ra p id e
de c e tte ca m p a g n e c o n tre les R u s se s p o u r q u e l ’E m p e re u r
c r û t d ev o ir sa tisfa ire au m é c o n te n te m e n t de sa g ard e . Il le
fit d ig n e m e n t. T o u s ces je u n e s g e n s p le in s de d é v o u e m e n t,
de c o u ra g e e t d ’e s p é ra n c e s, f u re n t n o m m é s s o u s-lie u le -
5“ H U S S A R D S .
405
n a n ts d a n s d iffé ren ts ré g im e n ts de c a v alerie de l’a rm é e et
les o fficiers e u r e n t u n g ra d e s u p é rie u r à ce lu i q u ’ils
av a ie n t, ré c o m p e n se v ra im e n t ro y a le d o n t ils se s o n t to u s
r e n d u s d ig n e s, p u is q u e p lu s ta rd o n en v it u n g ra n d
n o m b re a rriv e r au x g ra d e s les p lu s élev és. Q u a n t à la
5e c o m p a g n ie , q u i n ’av a it pas fa it la b rilla n te c a m p a g n e de
T ilsitt, le s G en d a rm es d ’o rd o n n a n c e fu re n t in c o rp o ré s d an s
le s Y élites de la G arde im p é ria le e t fa its officiers l ’an n é e
su iv a n te .
T elle a été la c o u rte e x iste n c e de ce co rp s d o n t la c o n ­
d u ite h o n o ra b le lu i a m é r ité d ’o c c u p e r u n e p la ce d a n s les
fa s te s de la G arde im p é ria le e t q u i c o m p ta it, lo r s de sa d is ­
lo c a tio n , 475 h o m m e s, p a rfa ite m e n t m o n té s e t é q u ip é s et
d o n t le n o m b re se s e ra it c o n s id é ra b le m e n t a u g m e n té .
APPENDI CE IV
5e R É G IM E N T
DE H U SS A R D S
EN
1807
D ery *, c o lo n e l.
Martel *, m a jo r - lie u te n a n t- c o lo n e l.
A n d r ie u , c a p i t a i n e , q u a r t i e r - m a î t r e - t r é s o r i e r .
Capitaines.
L emire *.
D rouard *.
N icolle *.
S chAWB*.
Moi fa r t *.
K ister *.
Chardon *.
C habert *.
Mexuer *.
T irlemont .
L arorderie
Muller , h a b ille m e n t.
SOUVENIRS
MILITAIRES.
B arrère , c h ir u r g ie n - m a jo r .
V ollet , a d ju d a n t, so u s -o ffic ie r.
W agnette, a id e -m a jo r.
B ry Darcy , a d ju d a n t, s o u s -o ffic ie r.
Lieutenants.
D am *.
G ougeon de la T hébaudière .
S ei* dit R œ g is .
Gallois *.
R ichardot .
SCHEGLINSKY.
Chepy .
Beaümont *.
P ier r e *.
F erquet .
R obert de Ce
J acob .
Oudinot .
R œ chel .
Sous-lieutenants
L a borie .
Cristmance*.
Geoffroy .
R ivocet .
D iiouard *.
D esnoyers .
V icq .
J oyenval, o ffic ie r-p a y e u r.
P ettin .
Guittel .
G raffant *.
D uval deJ îea ü lieu .
D übroca .
Castelbajac .
D e T hermes .
G ondoin.
N icolle *.
Barthélémy.
T erriez *.
K œ l e r *.
Hartmann.
Muller .
K aüffer .
TABLE DES MATIÈRES
DU TOME P R E M IE R
I. L ‘ É M I G R A T I O N .
— L'ARMÉE
DE
CONDÉ
(1789-1798)
Pages.
L’armée de Condé (1794-1797). — Alexis d’Espinchal. — Il rentre
en France. — L’Armée de Condé en Russie. — Premières
Amours. — Paul I", grand-maître de Malte. — Une chasse
aux Loups.......................................
II. P R È S
DU
DUC
DE
B E R R Y . — LA
(1799-1800)
CAMPAGNE
DE
1
1799
Le duc de Berry et sa m aison militaire. — Voyage à Dubnow.
— Entrée en campagne. — Les Salines de W ieliçza. — Marche
militaire en Autriche. — Passage à Prague. — Campagne en
j-j
Suisse. — Le duc de Berry et Suwarow..............................
III.
PROJET
VOYAGE
DE
A
MARIAGE
NAPLES
ET
DU
A
DUC
DE
PALERME
BERRY.
(1800)
Voyage en Italie. — A Trieste avec Mesdames. — M. de Pontgibaud. — A pied, en Italie. — Rome. — Naples. — Arrivée en
Sicile. — La Cour de Sicile. — Amours et Duels. —Voyage
en Sicile. — Ascension de l’Etna, — Départ du duc de llerry.
I V.
LICENCIEMENT
SÉJOUR
DE
A
LA
MAISON
NAPLES
DU
DUC
DE
BERRY.
(1801-1809)
Le Duc de Berry licencie sa m aison. — A Naples, avec le comte
M ussin-Puschkin. — Courses deVhevaux. — Charles de Saint-
37
408
TABLE
DES
MATIÈRES.
Pages.
Clair. — Louis de Périgord et Achille de Dampierre. —
A scension au Vésuve. — Descente dans le cratère. — Maladie
de Saint-Clair. — La reine Marie-Caroline. — Mathilde . . .
V. R E T O U R
EN
FRANCE
60
(1802-1805)
Départ de Naples avec Louis de Périgord. — Le Cardinal Maury.
— Arrivée à Paris. •— Les Biens des émigrés. — Voyage en
Auvergne. — Voyage à Lyon. — Projet de mariage. — La
pièce de François de Bausset. — Duel. — Convalescence
agréable.....................................................................................................
VI .
PRÉSENTATION
FORMATION
DES
A
GENDARMES
85
L' E NI P E R E U R.
D ’O R D O N N A N C E
(1806).
Formation des Maisons de l ’Empereur et de l ’Impératrice. —
Présentation à l ’Empereur. — Présentation à l ’Impératrice.
— Bal aux Tuileries. — Guerre avec la Prusse. — Formation
des Gendarmés d’ordonnance. — Séjour à Mayence. — La
Cour de l’Impératrice.................................................................
VI I . E N T R É E
EN
CAMPAGNE. -
PREMIERS
COMBATS
(1807)
Entrée en campagne. — Passage à Berlin. — Les chevaux de
l ’Impératrice. — Devant Colberg. — La Légion d’honneur.
— Les Gendarmes appelés près de l ’Empereur..........................
VI I I .
EN
SERVICE
PRÈS
DE
L’E M P E R E U R
(1807)
\
Revue de l ’Empereur. — Combat de Guttstadt. —l'n rapport à
l ’Empereur. — Suites du combat d’Heilsberg. — Friedland.
— Tilsit. — Aü camp russe. — L’Empereur Alexandre. —
Adjudant-major au 0” Hussards.
....................................
I X.
AU
5” H U S S A R D S
114
(1807-1808)
Route en Allemagne. — Le 5” Hussards. — M ission à Breslau.
— Un duel de Gourgaud. — Séjour à Breslau. — Le Colonel
Do... — Quartiers d’hiver à Landsberg. — Mission à Berlin.
— Les Queues coupées. — Breslau. — L’abbé de Bom belles.
— Le dépôt à Namur. — Retour à P a r is................................. 151
131
TABLE DES
MATIÈRES.
X.
PARIS
SEJOUR
A
409
(1808)
■
Pages.
Arrivée à P aris.— Mm"Visconti. — La décoration de Bavière. — Soi­
rée à l ’Opéra. — La Duchesse d’Abrantès. — Soirée à Eeydeau.
— Duel. — Retour à Namur. — Au Dépôt. — Mariage manqué.
XI .
RETOUR
AU
EN
RÉGIMENT.
ALLEMAGNE
—
QUARTIERS
191
D'HIVER
(1808-1809)
Aimable voyage. —- A travers l’Allemagne. — Duel. — Retour au
régiment. — Cantonnements. — Séjour à Meiningen. — Les
Cours des Princes de Saxe. — La guerre prochaine..................... 208
XI I . G U E R R E
D ’A U T R I C H E . -
CAMPAGNE
DE
WAGRAM
( 1809)
Entrée en campagne. — Combat d’Abensberg. — Eckmiihl. —
Ratisbonne. — Un assassinat. — Reconnaissance. — Nouvelle
m ission. — Engagem ents de cavalerie. — Près de l ’Empe­
reur. — Le Général Montbrun. — L’Abbaye de Molk. — En
Parlementaire. — Bataille d’Essling. — Près de Vienne. —
Entre Essling et Wagram. — Wagram. — La poursuite. —
Combat de Znaïm. — L’Armistice. — Officier de la Légion.
— Séjour à Vienne. — Diner à Austerlitz. — Revue de l ’Em­
pereur. — Maladie à V ienne........................
227
XIII.
APRÈS
CANTONNEMENTS
EN
LA
CAMPAGNE.
ALLEMAGNE
(1809-1810)
Rentrée en Bavière. — Quartier d’hiver. — Passage de MarieLouise. — Séjour à Munich. — Le Roi. — Carlsruhe. —
Manheim. — Amours. — Duel. — La grande-duchesse Sté­
phanie. — Entrée au 2” H u ss a r d s.......................................................290
XIV.
SÉJOUR
A
PARIS. —
VOYAGE
A
NAPLES
( 1 8 1 0 - 1 3 1 I)
Séjour à Paris. — A Malmaison. — Voyage à Massiac. — Mission
à Naples. — La Cour de Murât. — Splendeurs de la Cour. —
Duel. — Départ de N ap les.— Séjour à Paris. — Marie-Louise.
— Audience de l ’Empereur et de l ’Impératrice. — En cabriolet.
— Au Palais de Justice. — Cédant A r m a ..........................................314
XV.
EN
ESPAGNE.
—
UN
CONVOI
(ISII-I8I2)
Bayonne en 1812. — Départ du Convoi. — Premières rencontres.
— Vittoria. — Le théâtre de Vittoria. — Pancorbo. — Les
410
TABLÉ
DES
MATIÈRES.
Guérillas. — Valladolid. — Olmeido. — Combat. — Ségovie.—
Agréable surprise. — Madrid. — Maladie à Madrid. — Départ
pour Séville. — Combats en route. — La Carolina. — Baylen.
Attaque du convoi. — Banos. Revanche. — Arrivée à Andujar. — Cordoue. — Approches de Séville. — Le quartier
général du Maréchal S ou lt.................................................................
APPENDICES
I. Pensionnat de MM. Lemoine et Loiseau. — Noms des élèves
en 1789 ................................................................................................
II. Organisation de l ’Armée de Condé au service de la Russie
en 1798.................................................................................................
III. Gendarmes d’ordonnance de S. M. l ’Empereur et Roi au
m om ent de leur dissolution à la paix de Tilsitt avec des
renseignem ents sur leur destinée ultérieure........................
IV. 5* Régim ent de Hussards en 1807.................................................
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