EYB 2013-229971 – Résumé Commission des relations du travail
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EYB 2013-229971 – Résumé Commission des relations du travail Binette c. Manoir Nissan inc. CM-2011-6381 (approx. 16 page(s)) 16 septembre 2013 Décideur(s) Alder, Mylène Type d'action PLAINTE pour congédiement sans cause juste et suffisante. ACCUEILLIE. Indexation TRAVAIL; NORMES DU TRAVAIL; RECOURS; PLAINTE POUR CONGÉDIEMENT SANS CAUSE JUSTE ET SUFFISANTE; directeur des ventes de véhicules neufs; rendement insatisfaisant; conditions applicables à un congédiement administratif; candidature offerte chez un concurrent; rupture du lien de confiance Résumé En juillet 2009, le salarié a été embauché à titre de directeur des ventes de véhicules neufs. En avril 2010, il a rencontré le propriétaire de la concession automobile afin de lui donner sa démission, car il avait trouvé un meilleur emploi chez un autre employeur. Le propriétaire de la concession a convaincu le salarié de demeurer en poste. Vers la fin du mois de juin 2011, le propriétaire de la concession a appris que le salarié avait posé sa candidature chez un autre employeur. Le 18 août suivant, le salarié a été congédié. L'employeur lui a reproché son rendement insatisfaisant et a conclu à une rupture du lien de confiance. Le salarié a déposé une plainte pour congédiement sans cause juste et suffisante en vertu de l'article 124 de la Loi sur les normes du travail (LNT). En vertu de cette disposition, lorsque le salarié cumule deux ans de service continu, il peut contester son congédiement. Il appartient alors à l'employeur de faire la preuve d'une cause juste et suffisante à cette mesure. En l'espèce, puisque l'employeur a allégué le rendement insuffisant du salarié, il s'agit d'un congédiement administratif. Selon la jurisprudence, pour que ce dernier soit valide, il faut que le salarié ait été informé des attentes de l'employeur, de ses lacunes et qu'il ait eu l'appui nécessaire pour se corriger dans un délai raisonnable. Le salarié doit aussi avoir été prévenu du risque de congédiement à défaut de correction de sa part. En l'espèce, le salarié n'a jamais été informé par l'employeur que son rendement était insatisfaisant. L'employeur reconnaît ne pas l'avoir avisé. Le salarié n'a donc jamais eu connaissance que son emploi devenait précaire. La preuve des lacunes alléguées n'est par ailleurs pas prépondérante puisque lorsque le salarié a voulu démissionner, l'employeur a choisi de le retenir à son poste. Il a été démontré que la situation économique prévalant à l'époque peut expliquer la baisse du nombre de véhicules vendus. Or, malgré cette baisse, le salarié a réussi à gagner d'importants bonis de rendement en 2010. L'employeur a aussi allégué que le salarié a violé son obligation de loyauté en posant sa candidature chez un autre employeur. Il n'existe aucune interdiction pour un salarié de tenter de chercher un meilleur emploi chez un autre employeur et cela ne constitue pas un manquement à l'obligation de loyauté. En l'absence de cause juste et suffisante au congédiement, la plainte est accueillie. EYB 2013-229971 – Texte intégral COMMISSION DES RELATIONS DU TRAVAIL CANADA PROVINCE DE QUÉBEC CM-2011-6381 194529 DATE : 16 septembre 2013 DATE D'AUDITION : 18 juin 2013 EN PRÉSENCE DE : MYLÈNE ALDER, JUGE ADMINISTRATIVE Jean-François Binette Plaignant c. Manoir Nissan inc. Intimée [1] Prenant appui sur l’article 124 de la Loi sur les normes du travail, RLRQ, c. N-1.1 (la LNT), Jean-François Binette (le plaignant) dépose une plainte pour congédiement sans cause juste et suffisante contre Manoir Nissan inc. (l’employeur ou le Manoir Nissan). [2] L’employeur plaide avoir mis fin à l’emploi du plaignant en raison de son rendement jugé insatisfaisant, de même que du bris du lien de confiance survenu lorsqu’il a postulé chez un compétiteur. [3] Les parties demandent à la Commission de se prononcer sur le bienfondé de la plainte dans un premier temps et, le cas échéant, de réserver sa compétence sur l’ensemble des remèdes. LES FAITS L’EMPLOYEUR [4] L’employeur est un concessionnaire automobile, une franchise du fabricant Nissan Canada. Manoir Nissan est dirigé par son propriétaire, Jean Bastien, depuis le mois d’octobre 2005. Auparavant, monsieur Bastien y a travaillé plusieurs années et a gravi tous les échelons, de vendeur à président, en passant par le poste de directeur des ventes. [5] Manoir Nissan est divisé en cinq services : les ventes de véhicules neufs, les ventes de véhicules usagés, le service et les pièces (également nommé « Opérations fixes »), la carrosserie, ainsi que le service des finances. Chaque service a son propre directeur qui est supervisé directement par monsieur Bastien. [6] De 30 à 40 personnes, selon l’époque, travaillent chez Manoir Nissan. Les salariés oeuvrant aux opérations fixes sont syndiqués. Les autres employés, incluant les directeurs et les vendeurs, ne le sont pas. [7] Il n’existe aucune procédure formelle d’évaluation du rendement des employés et des directeurs chez Manoir Nissan. Cela se fait informellement, au quotidien ou lors de réunions hebdomadaires. [8] Chaque année, Nissan Canada fixe des objectifs pour chacun de ses concessionnaires. Ces objectifs sont déterminés notamment à partir de prévisions que lui font les concessionnaires. Monsieur Bastien explique qu’il demande à chacun de ses directeurs de lui fournir leurs prévisions annuelles. Puis, il les compile et les envoie à Nissan Canada. L’atteinte de ces objectifs permet au concessionnaire de recevoir des prix et des bonis. LE POSTE DE DIRECTEUR DES VENTES [9] Le plaignant occupe le poste de directeur des ventes de véhicules neufs. [10] Monsieur Bastien décrit les responsabilités de ce poste. Essentiellement, il doit diriger, former, encadrer l’équipe de vendeurs et les aider à conclure leurs transactions. Il commande les véhicules neufs auprès de Nissan Canada et peut convenir d’échanges avec d’autres concessionnaires Nissan. Il peut aussi intervenir pour le rachat de véhicules usagés des clients. Enfin, le directeur des ventes doit également voir à la profitabilité de chaque transaction, tout en visant à atteindre les objectifs de vente de véhicules neufs fixés par Nissan Canada. La direction de l’équipe de vente et la conclusion des transactions [11] Le directeur des ventes dirige et supervise une équipe de six à huit vendeurs, selon l’époque. Bien que leur embauche se fait par monsieur Bastien, le directeur des ventes participe aux deuxièmes entrevues pour s’assurer de préserver la chimie dans son équipe. [12] Les vendeurs travaillent en étroite collaboration avec leur directeur pour conclure leurs transactions. Ils accueillent les clients dans la salle de démonstration en appliquant une technique de vente particulière au Manoir Nissan. Elle consiste en quatre étapes : la qualification, la présentation du véhicule, l’essai routier et le « closing ». Les vendeurs doivent la suivre et sont formés pour la maîtriser. [13] La dernière étape suit à peu près le scénario suivant : le vendeur et le client négocient un prix, lequel doit toutefois être approuvé par le directeur des ventes. Ainsi, le vendeur va consulter ce dernier avec le prix convenu, puis revient généralement au client avec une contre-proposition. Le directeur des ventes peut aussi intervenir directement à partir de cette étape afin d’atteindre l’objectif, soit conclure la transaction. [14] Dans tous les cas, le prix de vente définitif d’un véhicule est déterminé par le directeur des ventes : les vendeurs ne peuvent convenir d’un prix sans obtenir son autorisation préalable. Le directeur des ventes connaît le prix coûtant de chaque véhicule et est en mesure de contrôler la marge bénéficiaire de la transaction. D’ailleurs, les postes de travail des vendeurs, installés dans la salle de démonstration, ne sont pas équipés d’un ordinateur. Seul l’est celui du directeur des ventes, lequel est situé dans un bureau fermé. [15] Le directeur des ventes veille à ce que les vendeurs fassent un suivi auprès de tout client potentiel et en fait lui-même au besoin. [16] Tous les lundis matin, de 8 h 30 à 10 h, se tient un « meeting des ventes ». On y discute principalement des ventes réalisées, des méthodes de travail et des correctifs à apporter. Selon monsieur Bastien, c’est le directeur des ventes qui doit le présider. Selon le plaignant, c’est monsieur Bastien qui, en pratique, le fait. Assistent à ces réunions les directeurs des services et les vendeurs. Les commandes, les échanges et les rachats [17] Le directeur des ventes doit s’assurer que les stocks du concessionnaire sont en mesure de répondre à la demande des clients. Il fait un suivi régulier des véhicules neufs disponibles auprès de Nissan Canada et doit commander ceux dont il pense avoir besoin. [18] Il arrive que le véhicule neuf recherché par un client se trouve chez un autre concessionnaire. Le directeur des ventes a accès à une base de données depuis son ordinateur, laquelle lui indique quel établissement l’a en stock. Il doit alors appeler le directeur des ventes de cet établissement pour convenir d’un échange de véhicules avec lui. Le cas échéant, chaque concessionnaire va facturer l’autre pour, en quelque sorte, lui vendre le véhicule au prix coûtant. Ils s’entendent entre eux sur les modalités de l’échange (qui va chercher le véhicule, quand et comment). Lorsqu’il reçoit la facture, le directeur des ventes fait émettre un chèque et s’assure que toute la paperasse et le véhicule d’échange sont prêts pour procéder à l’échange convenu. [19] Par ailleurs, il est possible que le concessionnaire accepte de racheter le véhicule d’un client pour conclure la vente d’un véhicule neuf. À cette fin, le directeur des ventes de véhicules neufs doit travailler en collaboration avec le directeur des ventes de véhicules usagés pour vérifier la faisabilité et convenir de la transaction. Ce dernier procède à l’évaluation du véhicule usagé : c’est son service qui prendra en charge sa revente et il doit atteindre également des objectifs de rentabilité. Ultimement, le directeur des ventes de véhicules neufs peut réviser cette évaluation, dans la mesure où il est approprié de le faire. Il faut comprendre ici que deux intérêts divergents s’affrontent : celui du directeur des ventes de véhicules usagés, qui espère le plus gros profit possible, et celui du directeur des ventes de véhicules neufs, qui ne veut pas perdre une vente parce que le prix de rachat offert au client est trop bas. Les objectifs de vente et la profitabilité des transactions [20] Le directeur des ventes affiche dans son bureau un tableau présentant les objectifs de vente mensuels de chaque vendeur. Il doit voir à ce que ceux-ci les atteignent et prendre tous les moyens pour les aider à y arriver. Le tableau est mis à jour régulièrement pour indiquer la progression de chacun vers son objectif. [21] L’employeur s’attend à ce que les objectifs du service des ventes de véhicules neufs soient atteints. Monsieur Bastien explique que celui-ci est le plus important chez le concessionnaire : il amène l’eau au moulin de tous les autres services. L’EMBAUCHE DU PLAIGNANT [22] Le plaignant travaille dans la vente d’automobiles depuis 1997. En juin 2009, monsieur Bastien communique avec lui pour l’informer qu’il cherche un directeur des ventes de véhicules neufs pour Manoir Nissan. Ils se connaissent, le plaignant ayant déjà posé sa candidature dans le passé. De plus, monsieur Bastien se souvient l’avoir vu prendre la parole lors d’une réunion organisée par Nissan Canada et l’avait bien aimé. Au moment où il le sollicite en 2009, le plaignant occupe un poste de directeur des ventes chez un concessionnaire Toyota. [23] Le plaignant entre en poste chez Manoir Nissan à titre de directeur des ventes de véhicules neufs le 2 juillet 2009 et signe le plan de rémunération suivant : PLAN DE REMUNERATION 2009-2010 JEAN-FRANCOIS BINETTE DIRECTEUR DES VENTES Salaire de base : 675.00 / Semaine Boni mensuel sur objectif Nissan atteint : 500.00$ Boni mensuel : 3% profits bruts vehicules neufs incl F&I 1% profits bruts vehicules usagés incl F&I Boni CSI : 1ere position : 5000.00$ 5e position : 1000.00$ Boni pour la concession sur objectif du manufacturier : 20% pour un maximum de 5000.00$ Boni pour la concession ne s’applique pas s’il y a boni pour le directeur des ventes Essence inclus Assurance collective dès la première semaine de travail (Reproduit tel quel) [24] Monsieur Bastien explique que les bonis représentent la portion la plus importante de ce plan de rémunération : ils peuvent atteindre jusqu’à 75 000 $ par année, pour porter le salaire annuel total du directeur des ventes à 110 000 $. Il dit d’ailleurs au plaignant, à son embauche : « Si tu vends tes véhicules comme il faut, tu vas faire ton 100 000 $ facilement. » [25] Le plaignant est le premier directeur des ventes recruté à l’extérieur par monsieur Bastien. Ses prédécesseurs étaient des vendeurs promus à ce poste. Tous deux sont conscients que le plaignant arrive avec des habitudes de travail différentes de celles en place chez Manoir Nissan. Ils s’attendent donc à vivre une période d’adaptation les premiers mois. [26] Le plaignant relate avoir reçu un peu de formation les deux premières semaines suivant son entrée en fonction, principalement d’un représentant de Nissan Canada et de monsieur Bastien. Ce dernier lui enseigne, entre autres, la technique de vente en place et lui fait part de ses recommandations. [27] Selon le plaignant, le mot d’ordre qu’il reçoit de monsieur Bastien est « vends le plus possible ». C’est ce qu’il tentera de faire. Cependant, selon les données fournies par l’employeur à l’audience, le nombre de véhicules vendus a sensiblement diminué depuis la deuxième moitié de 2008. De même, le profit brut moyen d’une vente est aussi à la baisse depuis le début de 2009. Ces baisses préoccupent monsieur Bastien qui va souvent voir le plaignant pour le conseiller et l’encourager. LA DÉMISSION DE 2010 [28] En avril 2010, le plaignant obtient un poste de directeur des ventes chez un concessionnaire Subaru, avec la possibilité d’être promu directeur général à court terme. Il décide de l’accepter et rencontre monsieur Bastien pour lui annoncer sa démission. [29] Ce dernier, qui s’apprête à partir en vacances, est contrarié. Il le convainc de rester chez Manoir Nissan, en lui faisant miroiter la possibilité d’obtenir éventuellement une promotion similaire. Il lui révèle être en voie d’acheter un nouvel établissement pour développer son entreprise. Monsieur Bastien explique qu’en faisant cette confidence au plaignant, il souhaitait le motiver. Cependant, il nie lui avoir promis cette promotion, contrairement à ce qu’affirme le plaignant. [30] Toujours est-il que le plaignant demeure en poste chez Manoir Nissan. Il s’avérera que l’acquisition du nouvel établissement par l’employeur ne se concrétisera pas. Le plaignant restera directeur des ventes. LA FIN D’EMPLOI [31] Vers la fin du mois de juin 2011, monsieur Bastien apprend que le plaignant a posé sa candidature au poste de directeur des ventes chez un concessionnaire Honda où travaille le conjoint de la directrice des finances de Manoir Nissan, Manon Lambert. [32] Pour monsieur Bastien, cette nouvelle est la goutte qui fait déborder le vase. En effet, il se dit mécontent de la performance du plaignant depuis plusieurs mois, en pleine réflexion quant à la possibilité de le congédier en raison de son rendement insatisfaisant. Toutefois, étant de nature positive, il a toujours cru pouvoir l’amener à améliorer ses performances. Or, il ne peut concevoir que le plaignant puisse s’améliorer et gérer son service « un pied en dedans et un pied en dehors ». [33] Monsieur Bastien consulte ses autres directeurs sur le cas du plaignant. Tous lui rapportent, ou lui réitèrent dans certains cas, des problèmes vécus avec le plaignant depuis son arrivée et lui conseillent de s’en départir. [34] Puisqu’il prévoit partir en vacances à ce moment, monsieur Bastien décide de penser à tout cela et de prendre une décision à son retour. Ce qu’il fait et décide alors de congédier le plaignant. Toutefois, il ne le lui annonce pas tout de suite, ce dernier partant en vacances à son tour. Pendant cette période, monsieur Bastien entame des démarches pour lui trouver un remplaçant. La rencontre de congédiement [35] Le 18 août 2011, monsieur Bastien demande au plaignant de venir le rencontrer dans son bureau à 16 h. Il le congédie à ce moment. [36] Le plaignant relate que monsieur Bastien lui annonce d’emblée son congédiement, en ces termes : « J’ai appris que tu cherchais un emploi ailleurs. Je n’ai plus confiance. Ton emploi se termine. » Puis, il montre une enveloppe sur son bureau et lui indique que tout y est : son relevé d’emploi, sa paie, etc. [37] Le plaignant affirme qu’il n’a jamais été question, avant la présente audience, de problèmes de performance ou de professionnalisme menant à sa fin d’emploi. Il est catégorique. [38] Monsieur Bastien le nie. Il convient avoir expliqué au plaignant qu’il le congédiait en raison du bris du lien de confiance. Il affirme cependant avoir ajouté : « Si on va plus loin, on peut aussi parler de tes mauvaises performances. » [39] Par ailleurs, le plaignant admet qu’il a nié, à cette rencontre, avoir postulé chez un compétiteur. Il affirme l’avoir fait sous le choc du congédiement, sans comprendre ce qui arrivait. [40] À l’audience, monsieur Bastien invoque principalement un problème de performance à la base du congédiement du plaignant. Plus précisément, il lui reproche : des problèmes de communication avec son équipe, des relations difficiles avec ses collègues des autres départements de Manoir Nissan et ceux des autres concessionnaires, un manque d’énergie et une baisse marquée de la profitabilité des transactions sous sa responsabilité. [41] Cependant, monsieur Bastien ajoute ne jamais avoir informé le plaignant qu’il pouvait être congédié s’il n’améliorait pas ses performances. Il explique ne pas pouvoir faire une telle mise en garde à un directeur des ventes dans le domaine de la vente automobile. La compétition est très forte et il risque de le perdre ou, au mieux, de rompre le lien de confiance devant nécessairement exister entre eux. PROBLÈMES DE COMMUNICATION [42] Monsieur Bastien reproche au plaignant des problèmes de communication avec ses collègues et son équipe de vendeurs. Il précise que les vendeurs l’aiment bien, car il ne les réprimande jamais. À son avis, le plaignant est trop doux et incapable de serrer la vis de ses vendeurs au besoin. Il relate l’avoir constamment encouragé à intervenir auprès d’eux pour les aider à être plus performants. [43] Selon la directrice des finances, madame Lambert, et le directeur des opérations fixes, Daniel Larose, le plaignant est peu bavard, discret et souvent reclus dans son bureau. Il communique peu avec eux ni avec les vendeurs et les clients. [44] Madame Lambert affirme aussi que le plaignant ne répond pas souvent au téléphone de son bureau, même lorsqu’il y est. Elle doit souvent se déplacer pour aller lui parler en personne. De même, elle rapporte que des employés de Nissan Canada se sont plaints auprès d’elle que le plaignant est difficilement joignable. Cependant, le représentant de Nissan Canada qui vient témoigner à l’audience, Claude Bergeron, ne peut confirmer cette affirmation. Il ne se souvient pas avoir eu de telles difficultés. [45] Dans le même ordre d’idées, monsieur Bastien rapporte que l’attitude et le rôle du plaignant dans les réunions du lundi matin sont insatisfaisants. Il estime que le plaignant est rarement préparé, il manque d’intensité, est trop effacé et incapable de mener une rencontre pour motiver ses troupes. [46] Nancy Gaudreau a travaillé chez le concessionnaire à titre de directrice commerciale de 2008 à 2012. Comme madame Lambert, elle travaille à finaliser les transactions avec les clients et convient d’une date de livraison avec ceux-ci. Elle explique avoir observé, de manière générale, des relations respectueuses entre les directeurs et le plaignant. Toutefois, lorsque ce dernier est absent, elle entend parfois les autres directeurs parler « contre lui ». [47] Par ailleurs, les témoignages du plaignant et de madame Gaudreau sur le déroulement des réunions du lundi matin apportent un éclairage différent. Cette dernière affirme que monsieur Bastien prend toujours le contrôle de ces réunions et impose ses façons de voir les choses. C’est lui qui « fait le meeting », dit-elle. [48] Quant au plaignant, il admet avoir eu de la difficulté à s’adapter au type de réunion demandé par monsieur Bastien. Il explique que monsieur Bastien prend beaucoup de place dans ces réunions, mais ajoute du même souffle respecter cela puisqu’elle concerne son entreprise. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il lui laisse prendre toute la place et s’abstient de reparler des points qu’il a déjà abordés. [49] Le plaignant affirme que monsieur Bastien ne lui a jamais fait de commentaires négatifs au sujet de sa communication avec les vendeurs ou avec les autres directeurs. PROBLÈMES LORS D’ÉCHANGES OU DE RACHATS [50] Monsieur Bastien témoigne que plusieurs problèmes surviennent concernant les échanges entre concessionnaires lorsque le plaignant est en poste. Par exemple, un véhicule arrive et celui qu’il doit donner en échange n’est pas prêt, ou encore le chèque n’a pas été préparé. Il explique que le plaignant semble être souvent à la dernière minute et que cela provoque des incidents. Cette problématique est confirmée par les témoignages de madame Lambert et monsieur Larose. [51] Monsieur Larose est également actionnaire minoritaire du concessionnaire. Son service prépare les véhicules pour les livrer aux concessionnaires ou aux clients. Il explique qu’habituellement, il demande un délai de 48 heures pour la préparation des véhicules. Il affirme que le plaignant ne lui a jamais donné un tel délai, arrivant toujours avec des instructions de dernière minute. [52] Monsieur Larose relate avoir eu des conversations à ce sujet avec le plaignant à deux, trois ou quatre reprises au cours des 25 mois qu’a duré son emploi. Il en parle aussi avec monsieur Bastien à plusieurs reprises, et ce, dès les premiers mois de l’entrée en fonction du plaignant. Il se souvient d’une rencontre, quelques mois après l’embauche du plaignant, où ils en discutent tous les trois. Toutefois, il indique n’avoir remarqué aucune amélioration chez le plaignant à cet égard. [53] Le plaignant affirme pourtant que ni monsieur Bastien ni monsieur Larose, ne lui ont dit qu’il y avait un problème au niveau des échanges avec les autres concessionnaires. Il reconnaît toutefois avoir rencontré, à trois ou quatre reprises, des problèmes lors d’échanges. Il s’agissait d’erreurs mineures qu’il a pu régler et jamais on ne lui en a fait le reproche, soutient-il. [54] Par ailleurs, monsieur Bastien critique aussi le plaignant pour ses relations difficiles avec Donald Leblanc, le directeur des ventes des véhicules usagés. Ce dernier relate que le plaignant et son équipe complétaient mal les fiches d’évaluation ou même pas du tout. Il ajoute que le plaignant décidait parfois des prix de rachat de ces véhicules sans le consulter. Il s’en est plaint une fois auprès de monsieur Bastien et a rencontré le plaignant pour lui faire connaître son mécontentement. Le plaignant l’a écouté et monsieur Leblanc a cru, en vain, que cette problématique se règlerait. MANQUE D’ÉNERGIE [55] Monsieur Bastien reproche aussi au plaignant de manquer d’énergie. Il constate chez lui une fatigue chronique et un manque d’entrain qui nuisent à son rendement. [56] Monsieur Larose rapporte aussi avoir remarqué que le plaignant manquait souvent d’énergie. Certains jours, il peinait à accomplir sa journée de travail tant il paraissait fatigué et manqué de motivation. Il précise qu’à une ou deux occasions, il lui a semblé que le plaignant avait même de la difficulté à garder les yeux ouverts. [57] Dans ce même registre, madame Lambert affirme que le plaignant s’est déjà endormi dans son bureau devant elle, alors qu’elle était en train de lui parler. Il lui semblait souvent rouge, fatigué et avoir de la difficulté à respirer. Elle ajoute lui avoir conseillé à plusieurs reprises d’aller consulter un médecin. [58] Ces observations ne sont pas partagées par madame Gaudreau, l’ancienne directrice commerciale. Elle trouve que le plaignant présente un bon niveau d’énergie, qu’il travaille beaucoup et sait motiver ses troupes. Elle l’a souvent vu encourager ses vendeurs et travailler avec eux pour les aider à atteindre leurs objectifs. À son avis, le plaignant est une personne posée avec un tempérament calme et pacifique. [59] Le plaignant affirme pour sa part que l’employeur ne lui a jamais reproché un manque d’énergie. BAISSE DE PROFITABILITÉ [60] Le domaine de la vente automobile est extrêmement compétitif. Les prix sont toujours durement négociés par les clients et la concurrence existe tant avec les concessionnaires d’un même manufacturier qu’avec ceux des autres constructeurs automobiles. [61] Monsieur Bastien témoigne qu’à partir du moment où il devient propriétaire du concessionnaire et jusqu’à l’embauche du plaignant, la profitabilité du concessionnaire est à la hausse. Il gagne à plusieurs reprises le prix Excellence Nissan, à cette époque. Cependant, de janvier 2009 à juin 2011, la profitabilité est en baisse. La situation économique et le fait que plusieurs modèles de véhicules populaires n’ont pas subi de changements majeurs sont des facteurs expliquant en partie la baisse du nombre de véhicules neufs vendus. Monsieur Bastien précise toutefois que même dans cet environnement, son directeur des ventes contrôle la profitabilité de chaque vente : il peut vendre moins d’unités, mais avec un bon profit. [62] Chaque matin, monsieur Bastien reçoit et analyse les rapports journaliers des résultats de chaque service. Ces rapports indiquent entre autres le nombre d’unités vendues, livrées, le produit de la vente et le pourcentage de profit pour chaque transaction. Quand monsieur Bastien estime qu’il y a un problème, il va tout de suite voir le directeur concerné pour en discuter et le régler, relate-t-il. C’est ce qu’il affirme avoir fait avec le plaignant tout au long des 25 mois que ce dernier a été à son emploi. En effet, sa moyenne de profit par véhicule vendu a toujours été très basse, bien en deçà des résultats obtenus par ses prédécesseurs. [63] Régulièrement, monsieur Bastien remet au plaignant différents rapports de résultats. Ainsi, le plaignant reçoit, chaque mois, un rapport des résultats par service, de même qu’un tableau comparatif des résultats mensuels d’une année à l’autre. Y sont divulgués le chiffre d’affaires, les bénéfices bruts, les dépenses directes, de même que les bénéfices nets de chaque service, pour le mois qui se termine. Le cumulatif de l’année y est aussi rapporté. De même, comme tous les directeurs des autres services, le plaignant reçoit quotidiennement le « D.O.C. » ( Daily Operational Control ). Il s’agit d’un rapport journalier contenant une mise à jour du nombre de véhicules vendus et des profits réalisés par ses ventes, le tout en lien avec les objectifs annuels de Manoir Nissan. Selon monsieur Bastien, le plaignant est capable de comprendre, à la lecture de ces documents, que son rendement pose problème. [64] Le plaignant reconnaît recevoir ces documents. Toutefois, il précise que monsieur Bastien ne lui parle du rapport des résultats et du tableau mensuel qu’à deux reprises, soit au moment de son embauche et lorsqu’il veut lui démontrer la bonne santé financière de son entreprise pour le convaincre, en 2010, de ne pas démissionner. Autrement, lorsque monsieur Bastien lui parle des revenus de vente, il ne fait que l’encourager à vendre plus de véhicules, à atteindre ses objectifs. [65] Le plaignant explique d’ailleurs avoir toujours cru que, pour Manoir Nissan, le nombre de véhicules vendus importait plus que le niveau de profit réalisé pour une transaction. Il confirme qu’il lui revient de déterminer la profitabilité, selon ce que lui a indiqué monsieur Bastien. Toutefois, ce dernier lui a enseigné du même souffle de tout faire pour ne pas perdre une vente. Cela étant, il n’a jamais vendu à perte, ce que confirme monsieur Bastien. [66] D’ailleurs, les objectifs fixés par Nissan Canada se traduisent en nombre de véhicules vendus. Madame Gaudreau explique que le concessionnaire qui les atteint reçoit d’importants bonis. Elle ajoute que monsieur Bastien a toujours insisté sur l’importance d’y arriver et le rappelle à toutes les rencontres avec ses employés. Le plaignant le confirme et ajoute que monsieur Bastien vient souvent le voir en fin de mois pour s’informer de l’état des transactions et l’informer du nombre de véhicules neufs restant à être vendus pour atteindre leur objectif mensuel. À ces moments, son mot d’ordre devient : « Il faut vendre, quitte à perdre de la profitabilité. » [67] En sa qualité de directrice du département des finances, madame Lambert voit toutes les transactions passer. Elle relate s’être aperçue rapidement après l’arrivée du plaignant que les profits par véhicule vendu avaient diminué. Elle est inquiète et en parle régulièrement avec monsieur Bastien, allant jusqu’à lui demander s’il croit « avoir le bon directeur des ventes entre les mains ». Ils en discutent à quelques reprises, en l’absence du plaignant. [68] Le plaignant témoigne ne jamais avoir eu de reproches de l’employeur relativement à la baisse de profitabilité. Il estime avoir des résultats adéquats dans un contexte économique difficile. Il dépose à l’audience des T4 émis par Manoir Nissan indiquant un revenu annuel de près de 109 000 $ pour l’année 2010 et de 65 000 $ pour les 8 premiers mois de 2011. [69] De son côté, monsieur Bastien affirme avoir indiqué à plusieurs reprises au plaignant qu’il devait hausser la profitabilité des transactions. Il ajoute que celui-ci lui donnait toutes sortes de bonnes raisons expliquant cette baisse et qu’il le rassurait en promettant de s’améliorer. PRÉTENTIONS DES PARTIES L’EMPLOYEUR [70] Selon l’employeur, la preuve démontre clairement qu’il a mis fin à l’emploi du plaignant principalement en raison de son rendement insatisfaisant et inadéquat. Ses lacunes lui ont été soulignées verbalement à maintes reprises et il a bénéficié de toute l’aide et de beaucoup de temps pour les corriger, en vain. [71] Rétrospectivement, il estime avoir été beaucoup trop patient et tolérant avec le plaignant, croyant qu’il allait finir par s’améliorer. Cette patience et cette tolérance ne sauraient l’empêcher de mettre un terme à son emploi. [72] Par ailleurs, l’employeur plaide que le lien de confiance avec le plaignant s’est rompu lorsque celui-ci a postulé chez un compétiteur puis l’a nié lorsque confronté par monsieur Bastien, le 18 août. Il s’agit de la goutte qui a fait déborder le vase et qui a précipité son congédiement. Et, puisque le plaignant occupait un poste de cadre important dans l’entreprise, il était justifié de le congédier malgré l’absence de progression de sanctions. LE PLAIGNANT [73] Le plaignant, pour sa part, soumet que la preuve démontre dans un premier temps que l’employeur ne l’a congédié que parce qu’il a postulé chez un compétiteur. Or, il n’y a pas là cause juste et suffisante au sens de l’article 124 de la LNT. [74] Au surplus, la preuve ne permet pas de conclure aux lacunes invoquées par l’employeur. Elle démontre par surcroît que l’employeur ne lui a jamais fait part explicitement de l’existence de telles lacunes ni ne l’a avisé qu’il risquait de perdre son emploi si elles n’étaient pas corrigées. MOTIFS ET DISPOSITIF LE DROIT [75] L’article 124 de la LNT accorde au salarié qui justifie de deux ans de service continu chez un employeur le droit de contester son congédiement. [76] Lorsque les conditions d’ouverture de ce recours sont prouvées ou admises, comme en l’espèce, il revient à l’employeur de démontrer une cause juste et suffisante justifiant le congédiement. [77] La jurisprudence distingue le cas du congédiement disciplinaire de celui du congédiement administratif. Dans le premier cas, la Commission doit décider si la preuve révèle l’existence d’une faute commise par le plaignant et si cette faute mérite une sanction, en l’occurrence le congédiement. Elle doit également vérifier si le principe de la progression des sanctions a bien été respecté et peut substituer une sanction moindre au cas contraire. Dans le second cas, la Commission vérifie si la décision de l’employeur est arbitraire, abusive, déraisonnable ou discriminatoire. Si c’est le cas, elle ne peut qu’annuler le congédiement. [78] Cependant, dans la décision Forget c. La Brasserie Labatt limitée, 2009 QCCRT 0126, la Commission rappelle avec justesse, au paragraphe 148, la règle suivante : « Qu’il soit pris sous l’angle administratif, disciplinaire ou encore mixte, la règle essentielle demeure qu’un employé doit être clairement avisé que son emploi est en jeu et qu’il risque le congédiement, à défaut de correction ou d’amélioration de ses lacunes. » [79] En fait, il s’agit, pour l’employeur de donner un délai raisonnable à son employé afin de lui permettre de corriger ses lacunes. Il doit aussi lui offrir un soutien adéquat pour ce faire, et ce, avant de procéder à son congédiement, le cas échéant. Le test applicable est repris à maintes reprises par la jurisprudence, dont dans la décision de la Commission Laplante c. Costco Wholesale Canada Ltd., 2003 QCCRT 0543, confirmée par la Cour d’appel en 2005 (AZ-50332970) : [76] La jurisprudence a déterminé une série d'exigences auxquelles l'employeur doit se conformer avant de se départir d'un employé incompétent. Ce n'est qu'après avoir satisfait à celles-ci qu'il pourra le faire. Ces exigences, telles que définies par Jacquelin Couture, alors Commissaire au Bureau du commissaire général du travail, dans Savoie c. Garage Montplaisir inc., C.T., CM-1005-5665, 1er mai 2000, sont : - Le salarié doit connaître les politiques de l'entreprise et les attentes fixées par l'employeur à son égard; - Ses lacunes lui ont été signalées; - Il a obtenu le support nécessaire pour se corriger et atteindre ses objectifs; - Il a bénéficié d'un délai raisonnable pour s'ajuster; - Il a été prévenu du risque de congédiement à défaut d'amélioration de sa part. APPLICATION DES PRINCIPES À LA PREUVE [80] La première question en litige dans le cas présent consiste à déterminer si le plaignant a été avisé que son lien d’emploi était en jeu. [81] Selon l’employeur, le test consacré dans la décision Costco, précitée, n’a pas à être appliqué systématiquement dans tous les cas. À son avis, lorsqu’un cadre est dûment informé des politiques et des attentes de son employeur et qu’on lui souligne des lacunes régulièrement, il doit s’attendre à ce qu’elles puissent mener à une fin d’emploi. La série d’exigences rapportées dans la décision Costco part du principe que l’employé ne doit pas être pris par surprise. Or, il estime que le plaignant savait dans le cas présent qu’il allait être congédié puisqu’il se cherchait un emploi ailleurs. [82] Les faits mis en preuve sont clairs : jamais l’employeur n’a avisé le plaignant qu’il lui trouvait des lacunes de rendement si importantes qu’il se devait de les combler pour éviter le congédiement. Au contraire, monsieur Bastien reconnaît ne pas l’avoir fait en invoquant la crainte qu’il parte travailler ailleurs. [83] Ce dernier soutient avoir tout de même signalé au plaignant, sur une base quasi quotidienne quoique informelle, différentes lacunes à corriger. Il explique l’absence de formalité par la petite taille de son entreprise et le style de gestion préconisé. Fort bien. Cela étant, même en tenant pour acquis qu’il ait souligné verbalement à plusieurs reprises au plaignant l’importance d’améliorer son rendement, il demeure qu’il ne lui a jamais dit ni laissé entendre que son emploi était en jeu. [84] L’interprétation que fait l’employeur de la décision Costco et l’application qu’il suggère ne peuvent être retenues en l’espèce. D’une part, le cas présent n’implique pas une faute disciplinaire grave justifiant une rupture immédiate du lien d’emploi. D’autre part, la position de l’employeur équivaut à demander au plaignant de lire « entre les lignes », alors que la jurisprudence exige un avertissement clair. De plus, il ne peut certainement pas être inféré du fait que le plaignant ait postulé ailleurs, qu’il savait que son lien d’emploi était en péril. [85] Par ailleurs, il n’apparaît pas non plus de la preuve prépondérante que les lacunes évoquées étaient aussi présentes que le soutient l’employeur, ni qu’elles aient été le motif du congédiement. La preuve présentée à l’audience sur ces deux points est contradictoire et ne permet pas de conclure comme l’invite l’employeur. Ainsi, s’il apparaît que Manoir Nissan connaît une baisse de profitabilité de ses ventes lorsque le plaignant est en poste, la preuve révèle aussi que cette baisse est amorcée avant qu’il n’arrive chez l’employeur. Ce dernier convient de plus que la situation économique qui prévalait à l’époque explique en partie la baisse du nombre de véhicules vendus. De plus, le plaignant réussit à gagner d’importants bonis de rendement en 2010, pour atteindre un niveau de salaire annuel que monsieur Bastien attribue lui-même à un bon directeur des ventes. [86] Qui plus est, l’employeur a convaincu le plaignant de ne pas démissionner en 2010, soit un an avant de le congédier, en lui faisant même miroiter la possibilité d’obtenir une promotion. Pourtant, la preuve révèle que les rendements du plaignant à cette époque, en 2010, sont à peu près les mêmes qu’en 2011, lorsqu’il est congédié. En d’autres termes, la baisse de profitabilité des ventes existait au moment où le plaignant a offert sa démission. Dès lors, comment l’employeur peut-il sérieusement invoquer cette même raison pour le congédier un an plus tard? [87] À l’audience, monsieur Bastien déclare qu’il croyait à ce moment que le plaignant serait en mesure de réussir à « remonter la pente ». Du même souffle, il admet aussi que le moment choisi par le plaignant pour démissionner à l’époque est bien mal choisi : il part en vacances et n’a pas le temps de lui trouver un remplaçant. Cette explication est curieuse et semble indiquer que l’employeur croit pouvoir se départir des services du plaignant seulement lorsqu’il lui trouve un remplaçant. C’est d’ailleurs ce qu’il a fait le 18 août 2011. Or, il ne pouvait le faire en l’absence de cause juste et suffisante. [88] La seconde question en litige porte sur l’existence d’un bris du lien de confiance comme motif du congédiement du plaignant. Cet argument avancé par l’employeur ne tient pas la route. [89] D’une part, il n’y a aucune preuve que le plaignant ait violé son obligation de loyauté. Celle-ci n’emporte pas l’interdiction, pour un salarié, de postuler chez un autre employeur. Conclure autrement équivaudrait à exiger d’un employé qu’il demeure chez son employeur jusqu’à ce qu’il perde son emploi. Ce n’est pas là l’objectif poursuivi par l’obligation de loyauté. [90] D’autre part, il est difficile de croire l’employeur lorsqu’il prétend que le fait que le plaignant ait postulé ailleurs brise son lien de confiance en 2011. Une année plus tôt, en 2010, le plaignant avait obtenu un poste similaire chez un compétiteur et l’employeur s’est empressé de le convaincre de refuser ce poste et de rester à son emploi. Ainsi, bien que l’étape de recherche d’emploi était plus avancée à ce moment, l’employeur n’y a pas vu alors matière à rompre le lien de confiance entre les deux. [91] En conclusion, la preuve prépondérante ne permet pas de conclure à la présence d’une cause juste et suffisante justifiant le congédiement du plaignant. Il y a donc lieu d’accueillir sa plainte. EN CONSÉQUENCE, la Commission des relations du travail ACCUEILLE la plainte; ANNULE le congédiement imposé par Manoir Nissan inc. à Jean-François Binette le 18 août 2011; RÉSERVE sa compétence pour réparation appropriées. déterminer les mesures de __________________________________ MYLÈNE ALDER Me Jessica Laforest, représentante du plaignant RIVEST, TELLIER, PARADIS Me Nicolas Joubert, représentant de l’intimée LAVERY, DE BILLY, S.E.N.C. Date de la dernière audience : 18 juin 2013 /ls