TEMPS FORT : La listériose revient en Europe par les rillettes
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TEMPS FORT : La listériose revient en Europe par les rillettes
TEMPS FORT : La listériose Revient en Europe par les Rillettes Date de parution: Dimanche 9 janvier 2000 Le Temps, Genève Suite au décès de deux personnes, sans doute pour avoir mangé des rillettes suspectes, la France a lancé une «alerte grave» à la listériose en Europe. La société produisant ces charcuteries savait-elle que les produits étaient dangereux? Ou faut-il incriminer les frigos des grandes surfaces? En Suisse, les spécialistes n'ont pas encore eu connaissance de cas de listériose grave, même si des lots français de charcuterie ont été retirés dans les cantons de Vaud et de Genève. On connaît encore mal la listeria, microbe que l'on attrape en mangeant, qui résiste assez bien au froid, qui se trouverait dans 5% de la population mais qui peut devenir redoutable en cas de faiblesse La faute à la croûte ou la faute à la pâte? se demandait-on dans les années 80, lorsque la listériose et différents fromages mous avait tué plusieurs dizaines de personnes en Suisse. La faute aux rillettes elles-mêmes ou aux systèmes de réfrigération de ceux qui les distribuent? s'interrroge-t-on depuis que la listériose et des produits de charcuterie ont sans doute fait deux victimes, un homme de 75 ans et un nouveau-né infecté durant la grossesse – sans compter quatre autres personnes malades, toutes françaises elles aussi. L'affaire est partie de la Sarthe française. C'est là que la société Coudray fabrique des produits charcutiers qui sont ensuite mis sur le marché sous la marque Paul Prédault et sous d'autres dénominations appartenant directement à des distributeurs comme Système-U, Carrefour, Continent, Match, Reflets de France, etc. On trouve des produits Coudray en Belgique, en Allemagne, au Luxembourg, en Irlande. L'alerte est arrivée jusqu'en Suisse, où des lots ont été retirés dans les cantons de Vaud et Genève. Dimanche, le quotidien Ouest-France a fait rebondir l'affaire. Selon le journal, l'usine Coudray avait commandé un audit à un laboratoire. Celui-ci aurait rédigé, en novembre, un rapport faisant état «de la découverte d'un germe de Listeria monocytogenes dans un prélèvement» et aurait omis de communiquer ces résultats. Hier, la société Coudray a nié les faits. Dans une interview parue ce matin dans le journal La Croix, la Direction générale française de l'alimention, un organisme indépendant, affirme que même si elle est avérée, la concentration de listéria ne saurait être mortelle. Voilà pourquoi les recherches, maintenant, s'orientent en aval de la production, du côté d'une rupture d'une chaîne de froid. Ce d'autant plus que les deux victimes avaient acheté leurs rillettes chez le même grand distributeur, Système-U. 30 tonnes de rillettes auraient été exportées depuis le 15 novembre. Le contrôle de la listériose est centralisé à Lausanne Propos recueillis par David Haeberli Professeur de bactériologie au CHUV, à Lausanne, Jacques Bille centralise les informations suisses sur l'épidémie. Interview. Jacques Bille est un spécialiste mondialement reconnu de la listeria. Les scientifiques qui mettent en évidence la bactérie de la listériose dans l'ensemble de la Suisse ont l'obligation d'avertir le laboratoire fédéral lausannois de cet homme, professeur de bactériologie au CHUV, à Lausanne. Théoriquement, aucun cas, quand il est connu, ne peut donc lui échapper dans le pays. Le Temps: Avez-vous été averti récemment par les autorités fédérales ou par un laboratoire cantonal d'un cas documenté de listériose? Professeur Jacques Bille: Non, Berne ne m'a pas contacté, mais je suppose que ce sera chose faite dès ce lundi matin, vu le développement de l'affaire française. Il faut toutefois préciser qu'il peut y avoir un délai entre l'identification et l'envoi des souches au laboratoire de référence. A ma connaissance, aucun cas de listériose n'a été signalé en Suisse depuis avant Noël. La situation helvétique est calme. Nous n'observons pas d'augmentation de cas de listériose depuis 4 ou 5 ans. – En France, on compte deux morts dans les six nouveaux cas de listériose: un nouveau-né et une personne âgée. Quelle est la population à risque en Suisse? – Principalement les femmes enceintes et les personnes de plus de 65 ans. Mais les personnes qui suivent un traitement qui pourrait amoindrir leurs défenses immunitaires sont également exposées. Je pense notamment aux personnes séropositives ou à celles qui soignent un cancer. Si ces patients développent un état fébrile comme une fièvre ou des maux de tête qui n'est pas dû à une simple grippe, il leur est conseillé de consulter un médecin pour qu'il pratique des analyses approfondies. Mais les personnes saines ne courent en principe aucun risque. – Comment fonctionne le système suisse de dépistage de la listériose? – Il est double. D'une part, les médecins ont l'obligation de signaler tous les cas de listériose aux autorités fédérales. De l'autre, les laboratoires qui ont mis en évidence la bactérie doivent prendre contact avec le CHUV. Toutes les souches microbiennes nous sont donc envoyées pour confirmation. Nous confrontons ensuite nos données avec Berne. Nous arrivons à environ 30 cas documentés par année. Soit 3 à 4 cas par million, ce qui est un pourcentage considéré comme faible. Mais il est pratiquement impossible d'éradiquer complètement la listeria de la chaîne alimentaire. Cela demanderait de pasteuriser absolument tous les aliments. Tous les jours, chacun de nous mange donc un peu de listeria. Cela reste cependant bénin. C'est évidemment la question de la quantité ingurgitée qui est cruciale. – Quand ce double système a-t-il été mis en place? – A la suite de l'affaire du vacherin Mont d'Or, en 1987. Cela a été une date importante dans le dépistage de la listériose en Suisse. Nous avions alors identifié 120 cas et compté 30 morts. En France, une rupture de la chaîne du froid? Christine Corre Les traces de listeria découvertes en novembre déjà dans les rillettes de la Sarthe étaient inoffensives. Alors? L'enquête continue. Dans son édition de dimanche, Ouest-France révélait que l'entreprise Coudray, dans la Sarthe, avait été informée en novembre de la présence de listeria dans un lot de rillettes. C'est à la suite d'un audit interne effectué en septembre que les analyses avaient démontré la présence du germe. Pourquoi l'entreprise n'avait-elle alors pas alerté les services vétérinaires du problème (alors qu'elle avait déjá été mise en cause dans la grave épidémie qui avait tué 63 personnes en 1992)? Parce que la loi ne l'y obligeait pas. Pierre Grandjouan, permanent de la direction générale de l'alimentation au Ministère de l'agriculture, l'explique: «Il ne s'agissait que de traces, n'obligeant pas l'entreprise à informer les services. En dessous du seuil minimal de 100 germes par gramme, la réglementation française considère qu'il n'existe pas de risque. Si on interdisait même les traces, on ne mangerait plus grand chose...» Le taux relevé dans les prélèvements annonçait moins de 10 germes par gramme. Le docteur Alain Kahn, directeur qualité du groupe Paul-Prédault (propriétaire de l'entreprise Coudray), précisait que «sur onze analyses diligentées, un seul échantillon était positif». Deux mois plus tard, l'épidémie est là, ayant déjà causé la mort de deux personnes et en ayant atteint quatre autres. La preuve est faite qu'elles ont bien été contaminées par des pots de rillettes provenant de chez Coudray, dont le patron, Olivier Bozo, a rejeté les mises en cause du quotidien breton. La mise en cause de l'entreprise a amené le groupe Paul-Prédault à sortir hier de son silence. «A aucun moment la société Coudray n'a eu la volonté délibérée de cacher un quelconque risque aux autorités et aux consommateurs, a affirmé Alain Prédo, PDG du groupe. La preuve: nous avons autorisé la diffusion de notre nom dès que nous avons su que la souche trouvée chez les malades était identique à celle de certains de nos produits. Au stade actuel de l'enquête, notre bonne foi ne peut être mise en doute», ajoutait Alain Prédo. S'il n'exclut pas formellement la mise en cause de l'usine de Connerré, il ne la retient que comme une hypothèse parmi d'autres. Pour lui, la cause de la contamination peut tout autant être postérieure au départ des produits de l'usine. Il cite ainsi «une possible rupture de la chaîne du froid, ou un contact avec des ustensiles sales, ou encore une température insuffisante dans un réfrigérateur. Voire unecontamination croisée». Les autorités sanitaires françaises ont bien sûr suivi avec attention le développement de l'affaire ce week-end. Hier soir, la direction générale de l'alimentation évoquait aussi l'éventualité d'un problème en aval de la production. «A partir du moment où le risque provenant de la fabrication est moindre, on s'oriente vers une possible rupture de la chaîne du froid dans la chaîne de distribution.» L'enquête du ministère de la consommation devrait aboutir cette semaine. Elle devra dire si la prolifération des bactéries est seulement due à un problème dans la distribution. Mais il faudra alors démontrer qu'il y a eu plusieurs incidents, dans plusieurs entrepôts. Touchant tous des produits dont on sait aujourd'hui qu'ils portaient des traces de listeria au départ. © Ouest-France «Il faut contrôler d'autres importations éventuelles» A Genève et dans le canton de Vaud, des produits ont été retirés. Interview à l'Office fédéral de la santé publique, en attendant les résultats d'autres analyses. L'Office fédéral de la santé, qui a été averti de l'affaire «des rillettes», disait hier avoir pris les mesures nécessaires. Mais les développements de ce week-end ne rassurent pas son porte-parole, Lorenz Hess. – Lorenz Hess: Nous sommes en contact avec les autorités françaises depuis vendredi. Tous les produits vendus en Suisse et susceptibles d'être contaminés ont été identifiés et retirés des étals par l'importateur de la société Coudray, qui fait partie du groupe Paul-Prédault. A notre connaissance, seuls les cantons de Genève et de Vaud sont concernés. Les chimistes cantonaux sont en train d'analyser ces aliments pour déterminer leur degré de toxicité. Nous attendons les résultats. – Le Temps: Bien que son directeur le démente formellement, la société qui fabrique les rillettes incriminées est soupçonnée d'avoir ignoré les avertissements qui la mettaient en garde contre la présence de bactéries de listériose dans ses produits. Cette nouvelle information vous inquiète-t-elle et va-t-elle modifier votre travail? – Oui, elle nous inquiète. D'autant que la période d'incubation de la maladie peut être assez longue. Nous laissons bien évidemment les autorités françaises faire la lumière sur ces derniers développements, mais il va nous falloir contrôler que d'autres produits n'ont pas été distribués ailleurs en Suisse. Dès ce lundi matin, nous contacterons l'importateur en Suisse des rillettes déjà retirées du marché ainsi que les autorités sanitaires françaises afin qu'ils nous aident dans cette tâche. Comme dans les récents cas du poulet belge et du Coca-Cola, l'important est d'aller le plus vite possible afin d'informer les citoyens avec précision. – Peut-on attendre dans les jours prochains que l'Office fédéral de la santé, à l'image des autorités françaises, dresse une liste des produits susceptibles de contenir des bactéries de listériose, et des marques sous lesquelles ils sont vendus? – Non, je ne le pense pas. Une telle liste serait-elle vraiment utile? Il me paraît plus impératif d'identifier les produits incriminés et de les retirer de la vente. Propos recueillis par Dv. H. Une bactérie répandue, sournoise et particulièrement tenace, mais rarement mortelle Corinne Bensimon La listériose peut s'achever par une méningite. Quand, pourquoi? Précisions. 1. Deux décès en France: est-ce le début d'une épidémie exceptionnelle de listériose? Il est encore trop tôt pour le dire, d'autres cas pouvant être signalés dans les prochains jours. Le bilan actuel n'autorise pas le pessimisme. Chaque année, on dénombre, rien qu'en France, environ 200 cas de listériose et 30 occurrences en Suisse. La plupart guéris par un traitement antibiotique classique. Toutefois, cette maladie infectieuse tue environ 30% des personnes atteintes, soit une soixantaine d'individus par an. La plupart des cas sont «sporadiques», sans lien entre eux. Exception faite en 1992, où une contamination alimentaire était responsable de plus de la moitié des 457 cas recensés cette année-là. En France, les études épidémiologiques montrent que le nombre de cas annuels en France est en baisse. 2. Quelle est l'origine de la maladie? Une bactérie nommée Listeria monocytogenes. Ce microbe, que l'on «attrape» généralement en mangeant, est le plus souvent détruit ou maîtrisé par le système immunitaire. Résultat, on n'est pas forcément malade lorsqu'on héberge ce micro-organisme; 5% de la population seraient ainsi «porteurs sains». Cependant, la Listeria devient redoutable chez les personnes dont les défenses immunitaires sont faibles: nourrissons, grands malades, personnes âgées. La bactérie, colportée dans le système digestif par un aliment, se multiplie alors sans frein à l'intérieur des cellules de l'intestin, puis gagne le système sanguin et éventuellement le cerveau et le placenta. Les premiers symptômes de la listériose ressemblent à ceux de la grippe (fièvre, maux de gorge), la maladie pouvant s'achever par une méningite si elle n'est pas soignée à temps. 3. Peut-on en finir avec la listériose? Il y a une difficulté majeure: Listeria monocytogenes est partout. Elle vit dans l'eau, l'air, le sol, sur les plantes... Les animaux domestiques (bœuf, porc, volaille) l'hébergent encore plus fréquemment que l'homme. La bactérie peut s'être glissée dans un aliment à n'importe quelle étape du processus de sa production. Fait aggravant, elle est peu exigeante: elle mange à peu près à tous les râteliers, résiste au sel et affiche une prédilection pour les nourritures protéinées et grasses (fromage, viande et poisson). Ajoutez à cela son indifférence aux conditions climatiques. Listeria monocytogenes se multiplie par grande chaleur (jusqu'à 42 °C) et pousse encore à -2 °C. Elle prospère particulièrement dans la fraîcheur, à 4 °C. Ce dernier trait de caractère, assez exceptionnel, est particulièrement embarrassant pour l'industrie alimentaire. Le séjour au frigo ne perturbe en rien sa prolifération. Le congélateur, à -15 °C, permet juste de stopper sa croissance, qui reprendra au dégel. La façon la plus simple de se débarrasser d'une colonie de listeria, c'est de la chauffer à plus de 50 °C. Mais l'aliment peut être recontaminé dès refroidissement. Juste avant sa mise en boîte, par exemple. 4. Comment réduire les risques? Les industriels de l'alimentation sont supposés respecter des règles d'hygiène et rendre compte de contrôles bactériologiques réguliers. En France, par exemple, tout lot testé «positif» doit être écarté et signalé à l'administration vétérinaire. Parallèlement, les médecins français sont supposés informer les femmes enceintes et les personnes immunodéprimées sur les risques présentés par les aliments du style charcuterie et fromage au lait cru. Ce dispositif pourrait-il être renforcé, suite à l'affaire des rillettes? L'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa) a mis sur pied en juillet dernier une commission Listeria monocytogenes. Un travail d'expertise sans précédent, souligne son président, le bactériologiste Jean-Pierre Flandrois (CNRS). Les scientifiques de ce groupe de travail, qui se sont tous engagés à n'avoir aucun lien avec l'industrie alimentaire, ont repéré quelques points problématiques dans la prévention des risques: les modes de détection de la bactérie ne sont pas standardisés, rendant plus complexes les interprétations. Surtout, il reste une inconnue majeure: «le seuil de toxicité», note Jean Pierre Flandrois. On ignore combien de bactéries suffisent à rendre malade une personne «à risque». Il reste aussi à préciser quelles conditions exactes favorisent la croissance de la listeria dans un aliment. Et puis, la population «à risque» serait-elle prête à changer ses habitudes alimentaires pour éviter une rare listériose? L'Afssa a ouvert un forum public sur son site Internet (www.afssa.fr). «Difficile, estime Jean Pierre Flandrois, de convaincre quelqu'un qui a mangé des rillettes pendant 70 ans de laisser tomber la charcuterie au nom d'un hypothétique risque de listériose.» La commission française rendra son rapport préliminaire fin janvier. © Libération Fromages mous, saumons et salamis Même si, hier soir, aucun cas n'avait été constaté en Suisse, les alertes à la listériose de ces derniers jours réveillent le souvenir des dizaines de décès survenus en Suisse après l'affaire du vacherin. Avant 1983, neuf cas de listériose étaient enregistrés en moyenne annuelle en Suisse. En 1983, la listériose fait un grand bond jusqu'en 1987. Par exemple, entre 1983 et 1987, plus de 110 cas de listériose sont enregistrés dans le canton de Vaud, occasionnant plus de 30 morts. Principale accusée: la croûte, parfois mal lavée, des fromages à pâte molle, dont le vacherin Mont-d'Or qui doit complètement restructurer ses centres et ses moyens de production. Les recherches sont difficiles, vu les conditions de production artisanale. Entre 1988 et 1989, les cas de maladie se raréfient, passant de 50 cas pour un million d'habitants (8387) à 4 cas pour un million (1988-1989). Depuis lors, d'autres produits ont déclenché des alertes à la listeria. Comme le saumon, peu avant les fêtes de 1991, où les contrôles à la frontière établissent que 35% des poissons marinés et 14% des poissons fumés à froid dépassent, cette année-là, les seuils indiqués. En juillet 1988, il avait été établi que deux marques de salamis italiens véhiculaient le même bacille que le vacherin. LT Les produits soupçonnés sont identifiables par leur numéro: 72-090-04. Délai de consommation: 18.02.2000. Ils sont commercialisés sous «pot de rillettes du Mans» (marques U, Cora et sans marque), «pot de rillettes de la Sarthe» (Match et sans marque), «pot de rillettes sarthoises» (Prédault), «pot de rillettes du Mans à l'ancienne («Reflets de France, LIDL), «pot de rillettes d'oie et de canard» (Prédault, Continent, Champion et sans marque), «tranches de rillettes du Mans à l'ancienne» (Prédault), «tranches de rillettes de canard au magret» (Prédault), «Langotines» (langues de porc en gelée, Prédault), etc. © Le Temps. Droits de reproduction et de diffusion réservés. www.letemps.ch